Le 27 juin 2018, le groupe d’études auditionnait des représentants de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) : sa présidente, Mme Anne de la TOUR, docteur en médecine, cheffe du service de soins palliatifs du centre hospitalier Victor Dupuy à Argenteuil, M. Jean-Marie GOMAS, professeur de médecine, praticien hospitalier, spécialiste de l’éthique médicale, de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs, et sa secrétaire, Mme Isabelle MARIN, docteur en médecine exerçant à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis.
Jean-Louis TOURAINE, président du groupe d’études, a rappelé que cette audition devait permettre d’évaluer la loi Claeys-Leonetti de 2016 et d’envisager une éventuelle évolution législative.
Anne de la TOUR a d’abord présenté la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, qui est à la fois une société savante (avec un conseil scientifique) et militante au contact des professionnels, liée à la société européenne de soins palliatifs et à la fédération francophone de soins palliatifs. Elle a ensuite expliqué que l’enjeu du débat sur la fin de vie n’était pas de porter par la loi « l’acte de précipitation du mourir » mais bien le renforcement des soins palliatifs. Pour Anne de la TOUR, la loi française donne un cadre et permet le non-acharnement thérapeutique (bien qu’il existe des dérives), le respect de la volonté du patient (notamment grâce aux directives anticipées), la collégialité (qui permet une prise de décision en équipe, mais qui nécessiterait un renforcement de la formation en éthique et en droit pour qu’elle soit plus rigoureusement appliquée), enfin la sédation qui est une des approches du soin. Elle estime toutefois que les dispositions de la loi de 2016 ne sont pas suffisamment connues par les professionnels de santé, ce qui pose des difficultés en termes d’application. Les recommandations de la HAS ne datent que de mars 2018. Anne de la TOUR considère par ailleurs que le caractère transgressif de la loi est essentiel car il donne un cadre aux médecins et permet de responsabiliser les actes. Elle estime que plusieurs sujets sont à travailler en priorité dans le cadre du débat sur la fin de vie afin de faire du « mourir mieux » l’enjeu : le rôle des proches aidants (qui sont un maillon essentiel de l’accompagnement et de la prise en charge des patients en fin de vie), la collégialité (qui pourrait être étendue en intégrant d’autres professionnels de santé ou des bénévoles et pourrait par ailleurs prendre la forme de groupes de parole), la formation (aussi bien des étudiants en médecine que des professionnels de santé), la médiation (pour des cas plus complexes et médiatisés), enfin un nouveau plan triennal pour le développement des soins palliatifs, avec une priorité à donner à la lutte contre les inégalités territoriales d’accès à ces soins. Pour Anne de la TOUR, la légalisation de l’euthanasie ne saurait être présentée comme une liberté offerte aux plus vulnérables : à partir du moment où il y a de la vulnérabilité, souligne-t-elle, il ne peut y avoir de liberté.
Isabelle MARIN a ensuite pris la parole pour indiquer que, selon elle, la loi de 2016 est mieux connue des professionnels que celle de 2005, bien que d’importants progrès restent à faire. Cette loi est importante parce qu’elle place le patient et ses droits au cœur des pratiques de fin de vie. Sur le point spécifique de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, elle a expliqué qu’aucun patient n’en faisait la demande. Médecin à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, elle dénonce cependant une dégradation des conditions de vie dans son département et, de fait, des conditions du vieillissement et du mourir. Pour elle, il est prioritaire de travailler sur les « lieux du mourir » et du vieillissement (notamment les EHPAD) pour améliorer les conditions de fin de vie des personnes les plus vulnérables. Elle considère en outre qu’il est important de faire changer les représentations que chacun se fait de la maladie, de la vieillesse, de la fragilité et de la mort.
Intervenant à sa suite, Jean-Marie GOMAS s’est associé aux propos tenus par ses confrères et il a ajouté que, selon lui, la loi de 2016 était le fruit d’une « fascination de la maîtrise de l’angoisse de la mort ».
Jean-Louis TOURAINE a ensuite souligné « le constat partagé » selon lequel la loi actuelle n’est pas bien appliquée. La loi est difficilement applicable, en particulier les dispositions relatives à la sédation profonde et continue qui ne répondent pas au souhait des malades.
Selon Isabelle MARIN, il n’y a pas de demande d’euthanasie dans les services de soins palliatifs, mais plutôt de la détresse liée à une mauvaise prise en charge de la douleur. Par ailleurs, la légalisation de l’euthanasie pourrait avoir pour effet de renforcer la logique économique qui prévaut dans les hôpitaux.
Jean-Marie GOMAS a confirmé ce constat. Ceux qui veulent mourir sont une minorité. La majorité des malades veut simplement finir sa vie dignement, sans pour autant être précipitée dans la mort. À cet égard, la médecine palliative est une réponse essentielle à la douleur des malades.
Anne de la TOUR, quant à elle, a rappelé que le mouvement des soins palliatifs était né, en France, suite à l’utilisation dans les hôpitaux de « cocktails de la mort ». Désormais, le combat pour la légalisation de l’euthanasie est « dépassé », parce que le développement des soins palliatifs a changé la donne.
Mais, pour Véronique HAMMERER, légaliser une aide à mourir n’est pas synonyme de remise en cause du travail des professionnels des soins palliatifs. Simplement, il est question de replacer le sujet – le patient, mais aussi ses proches aidants, souvent seuls face à cette mort – au cœur des débats et des procédures. Pourquoi l’idée de créer une aide active à mourir inquiète-t-elle ces professionnels ?
En réponse, Jean-Marie GOMAS a indiqué que l’euthanasie pouvait conduire selon lui à une forme de « suppression des plus fragiles ». Il ne souhaite pas que les sédations profondes et continues soient facilitées, parce qu’il existe toujours des alternatives pour soulager les malades. Et pour ceux qui veulent vraiment mourir, le suicide reste une option.
Pour Frédérique DUMAS, il est important de ne pas opposer légalisation d’une aide à mourir et développement des soins palliatifs. Elle dénonce par ailleurs l’argument qui revient à nier les demandes d’aide à mourir de la part des patients et à dire qu’il leur est toujours possible de se suicider. Pour elle, la demande de certains patients, c’est de mourir apaisés quand ils le désirent et entourés de leurs proches.
Isabelle MARIN considère quant à elle que la demande d’aide à mourir est un problème car c’est demander à la société d’acquiescer à la mort d’une personne vulnérable et de la supporter.
Marie-Noëlle BATTISTEL a alors rapporté le témoignage d’une soignante d’un centre de soins palliatifs de son département, selon laquelle une patiente qui endurait de grandes souffrances, faute d’avoir pu bénéficier d’une aide à mourir, s’était suicidée en rentrant chez elle.
Mais, pour Anne de la TOUR, donner la possibilité de l’euthanasie pourrait être source de dérives. Aux Pays-Bas, 23% des euthanasies réalisées ne sont pas déclarées. Si l’on peut comprendre que certains patients demandent à mourir, notamment quand la douleur est mal prise en charge, ce n’est pas au médecin de répondre à une telle demande sociétale, qui plus est minoritaire.
Nicole DUBRE-CHIRAT est ensuite intervenue pour rappeler qu’il était important de faire une différence entre l’accompagnement de la fin de vie et l’assistance au suicide. Les médecins généralistes et les infirmières sont mal formés à cet accompagnement. De même, il est urgent de travailler sur l’hospitalisation à domicile (HAD).
Jean-Pierre PONT a rejoint ces propos, pointant un trop faible accompagnement des médecins généralistes confrontés aux souffrances de leurs patients en fin de vie. La formation est un enjeu central pour améliorer les situations de fin de vie.
Pour Jean-Marie GOMAS, il faut alerter le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche afin que le nombre de professeurs et d’enseignements en éthique et en médecine palliative soit accru.
De même, a ajouté Anne de la TOUR, il faudrait davantage d’études sur les pratiques de fin de vie en France. Il est important de travailler sur cet aspect pour améliorer la connaissance sur ces sujets.
Jean-Louis TOURAINE a conclu en estimant que le rôle de la loi était de donner une place à chacun et d’offrir des possibilités à toutes les situations, même si celles-ci sont minoritaires.