Alphonse de Lamartine (9 mai 1838)

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Alphonse de Lamartine : L'étatisation des chemins de fer (9 mai 1838)

Après des échecs électoraux successifs en 1831 et 1832 Lamartine s'embarque vers l'Orient et, pendant son voyage, il est élu député du Nord, à Bergues, en janvier 1833. Il est réélu en 1834. Il fait son apprentissage politique. Il intervient sur la question d'Orient, l'abolition de la peine de mort, divers projets relatifs à l'assistance. Il s'élève contre « une société qui ne saurait que faire de l'homme, qui ne regarderait pas l'homme comme le plus précieux de ses capitaux ». En 1837 il est député de Mâcon. La Chambre où il revient lui paraît être « une Babel où sa langue ne serait pas comprise ». Avant de devenir dans les années 40 acteur d'« une grande et sérieuse opposition démocratique » jusqu'à parvenir à l'exercice de trois mois de pouvoir en 1848, Lamartine « monte aux tribunes » encore contraint au second plan. Il approfondit ses vues et intervient dans les questions d'actualité. En mai 1838 il aborde la question des chemins de fer avec une grande indépendance de vues. Il soutient le développement des chemins de fer et considère les transports comme un instrument essentiel de transformation économique. Alors que la majorité de la Chambre, les notables, soutient le régime de la concession à des compagnies privées qui sera adopté, Lamartine se déclare favorable à une prise en charge par l'État. Une cascade de faillites se déclenche et l'année suivante Lamartine dénoncera une mesure enchaînant le pays « à la fortune et souvent au scandale des industries privées ».

   

D'abord, j'ai commencé par le dire, je veux des chemins de fer. Entendons-nous, Messieurs, je n'en veux pas improviser étourdiment un réseau complet, entrepris sur mille points à la fois, achevé sur aucun, et jetant le pays dans une expérience de deux milliards ; mais j'en veux d'abord un, un grand, le plus nécessaire de tous, parce qu'il va se renouer à tout un système de voies parallèles déjà organisé sur vos frontières du Nord. Je veux celui de Bruxelles avant tout. Je veux ensuite celui de Paris à Strasbourg, puis celui de Paris à Marseille. Je veux donc des chemins de fer immédiatement entrepris, et promptement et réellement terminés...... Vous avez des offres, des gages, des certitudes ... Mais quand les capitaux seraient tous atteints de folie, quand des compagnies se présenteraient sans tarifs exagérés, sans minimum d'intérêt, sans monopole d'actions, je vous dirais : refusez-les encore.

Oui, refusez-les, pour ne pas vous déclarer incapables, pour ne pas engager votre sol et inféoder votre avenir de viabilité à une puissance d'intérêt individuel, rivale de la puissance de la nation ; pour ne pas vous enlever à vous, nation, la liberté de vos mouvements, la détermination de vos lignes, l'indépendance de vos tarifs, les améliorations, les expériences, les rectifications que vous aurez à tenter ; en un mot, pour ne pas vous dépouiller de la disponibilité complète et votre action actuelle et surtout future dans l'oeuvre de vos chemins de fer.

Ah ! messieurs, il y a un sentiment qui m'a toujours puissamment travaillé en lissant l'histoire ou en voyant des faits... C'est l'incompatibilité de la liberté sincère, progressive, avec l'existence des corps dans un État et dans une civilisation...... Jamais gouvernement, jamais nation n'aura constitué en dehors d'elle une puissance d'argent, d'exploitation, et même de politique, plus menaçante et plus envahissante que vous n'allez le faire en livrant votre sol, votre administration, et cinq ou six milliards à vos compagnies.

Je vous prophétise avec certitude, elles seront maîtresses du gouvernement et des Chambres avant dix ans... Mais, disent les préopinants, l'État est incapable. L'État est incapable ? Je vais commencer par vous demander à vous, si les compagnies, de quelque nature qu'elles soient, ont donné jusqu'ici tant de preuves de leur merveilleuse capacité ? Leur histoire, hors une seule exception, et encore rentre-t-elle dans mon système, leur histoire n'est que celle de nos désastres, de nos ruines, de nos catastrophes industrielles et coloniales. Rien de grand ne s'est fait, de grand, de monumental en France, et je dirais dans le monde, que par l'État : et comment cela serait-il autrement ? Vous avez beau calomnier la force publique, la puissance de l'association universelle et gouvernementale n'a-t-elle pas des conditions de capacité et d'omnipotence mille fois supérieures à celles des associations individuelles ? ...