Jacqueline Thome-Patenôtre (14 décembre 1967)

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Jacqueline Thome-Patenôtre : Pour la « libération de la femme » (14 décembre 1967)

La loi du 31 juillet 1920 punissait l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. Le 1er juin 1966, Lucien Neuwirth, député UNR-UDT de la Loire, dépose une proposition de loi supprimant la répression de la propagande contraceptive et autorisant, sous certaines conditions, la vente de la « pilule ». La commission spéciale constituée pour l’examen de cette proposition remet son rapport le 1er décembre 1966 mais le texte n’est pas inscrit à l’ordre du jour de la dernière session de la législature qui s’achève le 21 décembre 1966. Il devient donc caduc.

Réélu aux élections législatives de mars 1967, Lucien Neuwirth dépose une nouvelle proposition de loi dès le 12 avril 1967. Elle deviendra la loi du 28 décembre 1967. Elle s’inscrit dans une dynamique législative favorable à l’émancipation des femmes dans les années 1960, puisque la loi de juillet 1965 a permis à l’épouse d’exercer une activité professionnelle sans le consentement de son mari, et celle de 1966 a instauré un congé maternité de 14 semaines.

La députée Jacqueline Thome-Patenôtre intervient dans la discussion générale le 14 décembre 1967 pour soutenir l’adoption de la proposition de loi qui « constitue un progrès considérable sur le plan de la promotion de la femme et de la prise de conscience des couples » et participe à la « libération de la femme ».

      

      

Mme Jacquelline Thome-Patrenôtre. Monsieur le ministre, madame la présidente, mes chers collègues, nous constatons aujourd'hui avec quelque satisfaction que le Sénat s'est prononcé, après notre Assemblée, en faveur de la modification de la loi du 31 juillet 1920.

La France prend ainsi sa place parmi les nations qui reconnaissent la liberté de la conception comme un droit essentiel, et abandonne enfin une législation rétrograde et dépassée.

Je m'en réjouis d'autant plus que certains députés appartenant à la fédération de la gauche démocrate et socialiste ont été à l'origine des premières propositions de loi déposées dans ce sens, notamment MM. Hernu, Dejean et Regaudie dès 1956, M. Mitterrand et moi-même en octobre et en novembre 1965, ainsi que le docteur Benoist au Sénat. Puisque l'accord semble pratiquement réalisé, j'insisterai surtout sur ce qui reste à faire pour que la possibilité désormais offerte aux couples de choisir le nombre de leurs enfants et le moment de leur naissance, s'exerce dans le sens, non du malthusianisme, mais de l'épanouissement et au développement de la famille française, dans la liberté et dans l'équilibre.

Malheureusement, en France, l'ère de l'enfant unique n'a pas attendu celle de la diffusion des méthodes contraceptives scientifiques. Pour combattre cette tendance que l'on croyait disparue depuis la guerre, il faut donc permettre aux familles d'accueillir un nouvel enfant sans qu'elles aient à subir des difficultés ou des restrictions interdisant toute amélioration de leurs conditions de vie, comme c'est souvent le cas aujourd'hui.

A cet égard, l'opposition entre le foyer et le travail est un faux problème. Dès lors qu'un couple est en mesure de choisir le moment où ses enfants viendront au monde, la femme peut avoir une vie à part entière, l'organiser sur les plans professionnel et maternel et se réaliser elle-même si elle le souhaite.

A toutes les femmes qui ont de jeunes enfants, mais qui ne veulent pas oublier ou gaspiller la formation reçue, il faut donc donner des possibilités de travail égales. A cet effet, il convient d'accroître les équipements sociaux, notamment les crèches et les garderies.

Encore faut-il admettre et favoriser la mutation entre le foyer et le travail que connaissent la plupart des femmes mariées au moment de la naissance de leur premier enfant et lorsque, leurs enfants étant élevés, elles souhaitent reprendre une activité professionnelle.

En outre, l'étude des méthodes contraceptives et de leurs effets devrait figurer au programme des facultés de médecine. Aussi, monsieur le ministre, souhaitons-nous vivement recevoir l'assurance qu'un enseignement universitaire et post-universitaire pourra être créé, qui permettra aux médecins de remplir leur double rôle d'informateur qualifié et de praticien.

Enfin et surtout, des mesures doivent être prises pour résoudre une crise du logement intolérable, caractérisée non seulement par l'insuffisance du nombre des logements mais aussi — phénomène hélas tout aussi grave — par l'inadaptation des loyers aux salaires et l'impossibilité d'accéder à la propriété pour une grande partie des Français — des jeunes ménages notamment — en raison de la faiblesse de leurs revenus.

Aussi longtemps que le pays connaîtra la stagnation éco­nomique avec des difficultés d'emplois et le chômage, il serait vain d'attendre une amélioration de notre situation démo­graphique, en dépit de l'aménagement des prestations fami­liales annoncé ces jours-ci. Car il bien connu que depuis la dernière guerre, dans les pays à niveau de vie élevé, le rythme des naissances s'accroît avec l'expansion économique et décroît en période d'incertitude et de crise.

Nous voterons cette réforme tant attendue parce qu'elle constitue un progrès considérable sur le plan de la promotion de la femme et de la prise de conscience des couples. Nous espérons qu'elle aura également le mérite de mettre en évidence la nécessité et l'urgence de mesures économiques et sociales, faute desquelles nous risquerions d'assister à la détérioration du progrès constamment recherché du niveau de vie des familles. (Applaudissements sur les bancs de la fédération de la gauche démocrate et socialiste.)