Georges Clemenceau (31 juillet 1885)

Partager

Contenu de l'article

Georges Clemenceau (1885) : La colonisation est-elle un devoir de civilisation ? (31 juillet 1885)

Médecin, puis publiciste-journaliste, représentant à l'Assemblée nationale en 1871, élu député en 1876, il siège parmi les radicaux. En 1882 il contribua à renverser les ministères Ferry puis Freycinet. Le 30 mars 1885 le réquisitoire de Clemenceau contre l'expédition du Tonkin provoque la démission du cabinet Ferry. Il acquiert une réputation de « tombeur de ministères ».

Successeur de Jules Ferry, le radical Henri Brisson continue la même politique et demande des crédits à la Chambre pour une intervention à Madagascar. Le 28 juillet, Jules Ferry justifie la politique d'expansion coloniale, système politique et économique se rattachant à trois « ordres d'idées : à des idées économiques, à des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d'ordre politique et patriotique. » En revanche, Clemenceau considère l'entreprise coloniale des opportunistes comme l'abandon déguisé de la revanche. Il se réfère à l'argumentaire développé trois jours auparavant par Jules Ferry.

    

   

M. Clemenceau : Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ? races inférieures, c'est bientôt dit ! Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l'Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d'art dont nous voyons encore aujourd'hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d'abord jusqu'à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité, aujourd'hui même, permettez-moi de dire que, quand les diplomates chinois sont aux prises avec certains diplomates européens... (rires et applaudissements sur divers bancs), ils font bonne figure et que, si l'un veut consulter les annales diplomatiques de certains peuples, on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la race jaune, au point de vue de l'entente des affaires, de la bonne conduite d'opération infiniment délicates, n'est en rien inférieure à ceux qui se hâtent trop de proclamer leur suprématie.

M. Paul de Cassagnac : ...

M. Clemenceau : Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n'est pas autre chose que la proclamation de la primauté de la force sur le droit ; l'histoire de France depuis la Révolution est une vivante protestation contre cette inique prétention.