N° 2842 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à créer une commission d'enquête sur la liquidation de Metaleurop Nord par Metaleurop SA après le retour en bourse du titre Metaleurop ; et sur l'introduction dans la loi de la notion de "dépendance décisionnelle et financière particulièrement marquée", dans le cadre de l'extension des procédures collectives d'une filiale à son groupe




 

N° 2842

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 février 2006.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête
sur la
liquidation de Metaleurop Nord par Metaleurop SA
après le retour en bourse du titre Metaleurop ;
et sur l'
introduction dans la loi de la notion
de « 
dépendance décisionnelle et financière
particulièrement marquée », dans le cadre de l'extension
des procédures collectives d'une filiale à son groupe,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 janvier 2003, la décision du groupe industriel Metaleurop « de ne pas octroyer de nouveaux financements à sa filiale Metaleurop Nord de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), (...) afin d'assurer la stabilité financière du groupe » signait l'arrêt de mort de ce site de production de zinc, jetait 830 salariés à la rue, sans compter les emplois indirects, portait un coup terrible à l'économie d'un bassin de vie et laissait à l'État et aux collectivités territoriales, la charge considérable des conséquences sociales, sanitaires et environnementales de ce désastre.

Trois ans plus tard, la reprise de cotation en Bourse du titre Metaleurop, le 6 février, avec un bond de 622 % dès le premier jour puis de 35 % le deuxième, suscite l'émotion et la colère. Et ce d'autant qu'entre temps, Metaleurop et un ancien dirigeant ont fait l'objet voici moins d'un an, d'une sévère sanction de l'Autorité des Marchés Financiers, « gendarme de la Bourse », et d'amendes cumulées de 350 000 euros pour avoir fourni une information financière fallacieuse !

Émotion et colère des ex-salariés de Metaleurop Nord dont des centaines demeurent dans des situations personnelles et professionnelles précaires, voire totalement bloquées.

Émotion et colère des populations riveraines et des élus des collectivités territoriales.

Émotion et colère des familles des « Metaleurop », et de celles des salariés décédés depuis 2003, certaines victimes de l'amiante tandis que jusqu'ici, les pouvoirs publics ont refusé l'inscription de Metaleurop Nord au nombre des entreprises devant bénéficier du dispositif de cessation anticipée d'activité.

Vice-président de l'association « Chœur de Fondeurs », Monsieur Albert Lebleu témoignait à ce propos le 4 mai 2005, devant la Commission sénatoriale instruisant le rapport sur « Le drame de l'amiante en France ».

Après avoir rappelé un certain nombre d'éléments factuels dont par exemple, les effarants tonnages d'amiante commandés : 31 tonnes en 1972, et encore 7 à 8 tonnes par an à l'orée des années 80, son témoignage évoquait la situation sanitaire en ces termes :

« J'en viens à la situation sanitaire. Sur les 807 personnes qui ont été licenciées, un certain nombre d'entre elles sont allées passer des radios et des scanners, et nous avons identifié à ce jour douze personnes qui ont 5 % d'IPP pour cause de plaques pleurales.

« Nous en avons eu d'autres chez les retraités, qui sont venus nous confier leur dossier de demande d'indemnisation au FIVA. Et au travers de notre commission "santé et indemnisation pour préjudice sanitaire", nous avons eu connaissance de six décès des suites de l'amiante.

« Récemment encore, nous avons agi au bénéfice des ex-salariés, qu'il s'agisse des CDI, CDD, intérimaires ou sous traitants, et un sous-traitant est décédé de l'amiante très récemment alors qu'il avait passé beaucoup de temps dans l'usine.

« Quel est le bilan des plaques pleurales aujourd'hui ?

« Sur les gens qui sont nés entre 1948 et 1950, nous avons toute la cohorte qui a travaillé dans l'usine pendant de nombreuses années, et nous avons décelé 6 % de personnes qui sont atteintes de plaques pleurales. À mon avis, ce chiffre devrait être voisin de 10 % si tout le monde avait passé la radio et le scanner, ce qui n'est pas le cas.

« On peut donc penser que ce chiffre ne pourra qu'augmenter en fonction du vieillissement du personnel. En tout cas, vous pourrez trouver ce chiffre de 6 % sur toutes les pièces qui concernent les personnes nées en 1948, 1949 et 1950, parmi lesquelles certaines sont en fin de reconnaissance de leur IPP, mais c'est une certitude et c'est un chiffre qui ne peut qu'augmenter au fil du temps pour les deux raisons que je viens d'indiquer. »

C'est désormais un élément incontournable et important de ce dossier, et qui s'ajoute aux constats dont faisait état la demande de commission d'enquête parlementaire que nous avions déposée dès mars 2003. Demande rejetée le 28 mai 2003 par la majorité de la Commission des Affaires Économiques de l'Assemblée.

Rappelons les informations qui avaient été alors rapportées, faisant état de « salariés de l'entreprise atteints de saturnisme » ; de « taux de plombémie très alarmants » détectés par une enquête de l'Office régional de santé en 2001-2002, et qui affectaient y compris l'environnement du site et les populations riveraines.

Trois ans plus tard, de nombreuses et douloureuses questions demeurent posées sur cet aspect essentiel du scandale Metaleurop Nord et Metaleurop SA.

Mais d'autres éléments retiennent eux aussi l'attention, et nécessitent la mise en œuvre d'une commission d'enquête parlementaire.

Car, outre les responsabilités de l'entreprise sur le plan sanitaire, ses responsabilités économiques, sociales et environnementales devraient faire l'objet d'une telle investigation.

La Représentation nationale ne peut laisser en effet sans suite, ce « retour en grâce » de Metaleurop SA, dans les milieux boursiers et financiers !

Quelles réponses à ces hommes, ces femmes, ces foyers qui ont vu leur vie professionnelle, familiale et sociale bouleversée ou anéantie par le lâche abandon de janvier 2003 ?

Quelles réponses à leurs interrogations, à celles des populations et des élus locaux faisant le constat des dizaines, voire davantage, de millions d'euros d'argent public, investies en lieu et place de Metaleurop SA et de son actionnaire privilégié Glencore, toujours maître du jeu, dans les tentatives loin d'être abouties à ce jour, de réparation des casses et des gâchis subis.

Pollutions, désindustrialisation, chômage, déstabilisation sociale... La course aux profits a un coût qui doit être clairement précisé, rappelé et... assumé par les responsables de ce drame humain.

Et puis, il y a l'avenir, la nécessité d'empêcher la répétition à l'infini de pratiques similaires, permises par l'habileté à jouer des lois et des procédures de cabinets d'affaires de haute volée, grâce quelquefois et c'est le cas ici, à la vacuité des textes et à la passivité de pouvoirs publics qui devraient être à l'offensive sur de tels enjeux.

Conduite à juger de l'appel faisant suite à la décision du tribunal de Béthune du 2 octobre 2003, la cour d'appel de Douai, dans un arrêt du 16 décembre 2004, avait sur la base d'un rapport d'expertise commandité par ses soins, constaté « une confusion entre les patrimoines des sociétés Metaleurop Nord et Metaleurop SA », et ordonné « l'extension à la SA Metaleurop, de la procédure collective ouverte à l'encontre de la SAS Metaleurop Nord ».

Dans le cadre du débat ouvert en séance publique de l'Assemblée nationale le 8 Mars 2005, les députés communistes avaient rappelé la déclaration de Monsieur François Fillon, Ministre des Affaires Sociales au moment des faits : « il n'est pas acceptable qu'une entreprise se permette de décider de fermer une de ses filiales, sans en assumer les conséquences sociales et environnementales ».

Du temps avait passé depuis, et plus encore aujourd'hui. Mais, demeure le constat qu'établissaient donc en mars 2005 les députés communistes, à la suite du rapport d'expertise invoqué par la cour d'appel de Douai dans son jugement.

Metaleurop Nord « se trouvait dans une situation de dépendance décisionnelle et financière particulièrement marquée », et ses relations avec Metaleurop SA étaient « devenues anormales ».

À l'évidence, ce jugement constitue une avancée dans les questions touchant à la responsabilité des sociétés mères dans les groupes industriels.

D'où l'importance de la proposition que nous avancions ce 8 mars 2005, d'envisager qu'un prolongement législatif soit donné à l'arrêt de la cour d'appel de Douai.

Nous l'avions demandé sans être bien évidemment, suivis par le gouvernement ! Mais cette importance demeure. Elle est plus grande encore à présent, devant l'accumulation dans l'économie française de situations approchantes et de décisions de conseils d'administration et de fonds de pension, dont les salariés, les bassins d'emploi, les collectivités locales et les contribuables restent les seules victimes. Il faut que cela cesse !

L'article L. 621-5 du code du commerce est muet sur les conditions qui justifient l'extension à la maison mère d'une procédure ouverte contre une filiale.

Dans l'affaire Metaleurop Nord, Metaleurop SA, l'arrêt de la cour de cassation du 19 avril 2005 a pu réformer le jugement de la cour d'appel de Douai en l'absence, dans la loi française, de définition des liens et des obligations sociales entre une société dominante et une unité filialisée.

« On a été abandonnés par l'État » dénonçaient les ex-salariés. Et la presse mettait d'ailleurs en avant le fait que l'État par la voix du parquet, avait plaidé pour l'extension de la procédure devant la cour d'appel de Douai en 2004, puis contre cette extension, quelques mois plus tard en cassation à Paris !

Mais cette décision de la cour de cassation n'était prise qu'en référence à une insuffisance de la loi, en référence à une absence de support dans la langue du droit, et ne prenait pas position sur le fond du dossier et sur les motivations du jugement de Douai, c'est-à-dire sur les arguments financiers, économiques et sociaux soulevés et retenus par la cour d'appel.

Des arguments complètement justifiés à l'époque et qui, trois ans plus tard, restent d'une brûlante actualité y compris après certains jugements rendus dans des affaires similaires comme celui de la cour d'appel de Rouen dans le dossier Aspocomp.

L'arrêt du 19 avril 2005 de la cour de cassation porte sur la forme, non sur le fond : en l'occurrence l'établissement de la preuve d'un lien de subordination de nature à caractériser une confusion des patrimoines et, par là même, une extension de la procédure collective.

Cette démarche d'identification par le juge de la responsabilité de l'entreprise Metaleurop SA permet de ne pas restreindre le débat aux seules formalités commerciales, et de prendre en compte les dimensions environnementales et sociales de l'activité économique.

On comprend, dès lors, que le grand patronat et les cabinets d'affaires aient applaudi à la censure de la cour de cassation.

Une commission d'enquête parlementaire reprenant l'ensemble des éléments constitutifs de ce scandale de Metaleurop Nord, Metaleurop SA et de « patrons-voyous » dénoncés un temps, haut et fort, par le Président de la République, permettrait de décider du bien fondé de l'introduction dans la loi, des avancées de jurisprudence fournies par la décision courageuse de la cour d'appel de Douai, et notamment de la notion de « dépendance décisionnelle et financière particulièrement marquée » comme critère ouvrant la voie à une confusion des patrimoines.

Le Chef d'État, le 29 juin 2003, ne promettait-il pas de demander au gouvernement « des dispositions législatives pour que des agissements aussi scandaleux ne demeurent pas impunis » ?

Trois ans après, l'État est loin d'avoir apporté le moindre prolongement à ces engagements ; loin de l'écoute due à tous ceux qui ont été victimes ; loin du respect de leurs droits et de leur dignité.

D'où le caractère d'urgence renforcée que revêt notre demande de constitution sur Metaleurop Nord, Metaleurop SA, trois ans après la liquidation et quelques jours après le retour en bourse du titre, d'une commission d'enquête parlementaire reprenant l'ensemble du dossier et envisageant prioritairement les prolongements législatifs susceptibles d'être apportés.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de 30 membres sur la liquidation de Metaleurop Nord par Metaleurop SA, après le retour en Bourse du titre Metaleurop ; et sur l'introduction dans la loi, de la notion de « dépendance décisionnelle et financière particulièrement marquée », dans le cadre de l'extension des procédures collectives, d'une filiale à son groupe.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119000-0
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2842 - Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête
sur la liquidation de Metaleurop Nord par Metaleurop SA après le retour en bourse du titre Metaleurop ; et sur l'introduction dans la loi de la notion de « dépendance décisionnelle et financière particulièrement marquée », dans le cadre de l'extension des procédures collectives d'une filiale à son groupe (M. Alain Bocquet)


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