N° 4127 - Proposition de loi de Mme Michèle Delaunay visant à la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe dans l'état civil



N° 4127

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 décembre 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à la simplification de la procédure de changement
de la mention du sexe dans l’état civil,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Michèle DELAUNAY, Olivier DUSSOPT, Pascale CROZON, Martine FAURE, Marylise LEBRANCHU, Catherine LEMORTON, Jean MALLOT, Marisol TOURAINE, Sylvia PINEL, Jean-Michel CLÉMENT, Marie-Odile BOUILLÉ, Jean-Marc AYRAULT, Daniel BOISSERIE, Serge BLISKO, François BROTTES, Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Alain CLAEYS, Marie-Françoise CLERGEAU, Pierre COHEN, Catherine COUTELLE, Frédéric CUVILLIER, Pascal DEGUILHEM, François DELUGA, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Julien DRAY, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Christian ECKERT, Henri EMMANUELLI, Hervé FÉRON, Geneviève GAILLARD, Guillaume GAROT, Jean GAUBERT, Jean-Patrick GILLE, Joël GIRAUD, Daniel GOLDBERG, Marc GOUA, Jean GRELLIER, Monique IBORRA, Michel ISSINDOU, Henri JIBRAYEL, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Colette LANGLADE, Jean LAUNAY, Annick LE LOCH, Patrick LEMASLE, Bernard LESTERLIN, Michel LIEBGOTT, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Jacqueline MAQUET, Marie-Lou MARCEL, Jean-René MARSAC, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Sandrine MAZETIER, Michel MÉNARD, Pierre-Alain MUET, Philippe NAUCHE, Marie-Renée OGET, Jean-Luc PÉRAT, Catherine QUÉRÉ, Marie-Line REYNAUD, Marcel ROGEMONT, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Odile SAUGUES, Jean-Louis TOURAINE, Philippe TOURTELIER, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Marie-Claude Marchand, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Marie-Renée Oget, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Martine Pinville, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Apeleto Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo, Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, en France, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont des personnes trans, transsexuelles quand elles ont ou envisagent de pratiquer une réassignation sexuelle chirurgicale, transgenres quand elles ne souhaitent pas ou pas encore cette opération. Selon la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH) « on entend par transsexuels les personnes qui, tout en appartenant physiquement à un sexe, ont le sentiment d’appartenir à un autre ». Est également reprise dans de nombreux textes internationaux et européens la notion d’Identité de Genre, notion qui rend compte d’une diversité humaine, celle des personnes transsexuelles et transgenres à l’instar de l’orientation sexuelle qui rend compte de celle des homosexuels. Le décalage ressenti entre le sexe physique et le sexe « psychologique » conduit naturellement la grande majorité de ces personnes à vivre socialement dans le genre du sexe opposé à leur sexe biologique et à en adopter l’apparence grâce à un parcours médical, fait notamment d’hormonothérapies et d’opérations chirurgicales, en tout état de cause variable en fonction des individus. Après l’adoption du rôle social du genre ressenti, se pose rapidement la problématique de la conformité, ou plutôt de la non-conformité de l’apparence de la personne avec son état civil et subséquemment la question de la modification de la mention du sexe dans celui-ci. La mention du sexe dans l’état civil se voulant le reflet du genre de l’individu, la personne transsexuelle ou transgenre doit pouvoir lors du changement social et/ou médical de genre, adapter son genre « civil » et dès lors faire procéder à la rectification de la mention du sexe sur son état civil.

De manière plus générale, l’élaboration de cette proposition de loi visant à simplifier la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil invite le législateur à réfléchir sur l’opportunité d’introduire à plus ou moins court ou moyen terme la notion de genre dans notre droit. Réforme à venir qui permettrait sans aucun doute de préparer la mise en conformité de notre code civil avec ceux bâtis sur d’autres langues qui distinguent genre et sexe beaucoup mieux que notre langue française.

La mention du sexe (« Féminin » ou « Masculin ») de tout document officiel d’état civil se baserait alors sur le « genre » inscrit sur le registre de l’état civil et non plus sur le sexe inscrit à la naissance par la phrase « né le [...] de » ou « née le [...] de ».

Alors que la CEDH a pu aller jusqu’à établir une définition du transsexualisme, en France, aucune législation spécifique n’a été prise jusqu’alors afin d’encadrer la situation des personnes transsexuelles (et encore moins transgenres), particulièrement la modification de leur état civil. Si la procédure de droit commun de modification du prénom de l’intéressé(e) ne soulève guère de difficultés, il en va autrement de la procédure en rectification de la mention du sexe qui n’est pas spécifiquement prévue par le droit positif. En la matière, le parcours juridique des personnes transsexuelles reste aujourd’hui régi par la jurisprudence de la Cour de cassation, initiée en 1992(1) après que la France ait été condamnée par la CEDH dans le fameux arrêt du 25 mars 1992, affaire Botella c/ France n° 13343/87.

La procédure actuelle ainsi gouvernée par la jurisprudence n’est plus acceptable tant au regard des droits de la personne transsexuelle qu’au regard de l’évolution de la scène internationale en la matière ; partant, nous vous proposons la présente proposition de loi.

I – La solution actuelle d’origine jurisprudentielle est inadaptée.

La procédure actuellement appliquée consiste pour le ou la transsexuel(le) à former une requête en matière gracieuse qui se convertie le plus souvent en matière contentieuse de par l’intervention du Ministère public qui subordonne généralement son acceptation à la réalisation d’une expertise médicale attestant notamment, selon les personnes, de la réalisation d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle ou de leur stérilisation.

« Le plus souvent », « généralement », « notamment », autant d’adverbes qui nuancent les propos ici tenus. En effet, la réponse apportée à une demande en rectification de la mention du sexe dans l’état civil n’est pas toujours la même. La diversité des traitements des demandes est parfois fonction des cas d’espèces, ce qui découle naturellement, et heureusement, de la personnification de la procédure judiciaire, de son adaptation au cas d’espèce ; mais aujourd’hui, l’hétérogénéité dans le traitement des requêtes est en fait aussi et surtout fonction du ressort de la juridiction saisie. Les solutions sont loin d’être uniformes, pas plus que les processus qui y conduisent. Une véritable cartographie judiciaire peut être opérée en la matière et cela n’est pas acceptable dans un État qui se doit d’appliquer, toutes choses égales par ailleurs, le droit de manière identique à l’égard de tous les justiciables quelque soit le ressort duquel ils puissent dépendre.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), dans une délibération n° 2008-190 du 15 septembre 2008, relevait cette situation et recommandait au gouvernement « de mettre en place un dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et de l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée dans leurs relations avec les services de l’État et également le principe de non-discrimination dans leurs relations de travail, en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions ». Elle recommandait aussi à la Caisse nationale d’assurance maladie « de prévoir une circulaire à destination de ses services afin qu’ils soient vigilants sur l’immatriculation sociale du patient en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles et à l’INSEE de prendre toutes les mesures utiles de mise à jour du répertoire national d’identification des personnes physiques, en tenant compte du changement d’état civil des personnes transsexuelles ».

La HALDE met en exergue, dans cette résolution, l’impossibilité de concilier un refus de rectification de la mention du sexe ou un délai déraisonnablement long préalable à cette rectification devant mettre en conformité le sexe « légal » et le genre ressenti et apparent de l’intéressé(e), avec le respect de la vie privée de la personne transsexuelle visé par l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et utilisé au fondement des condamnations de la France par la CEDH en la matière. La France ne saurait poursuivre avec une absence de législation mettant à mal un droit aussi fondamental que celui du respect de la vie privée, qui plus est internationalement protégé.

Le Ministère de la justice a entendu cette recommandation ainsi que les appels de la société civile, et a pris en compte les difficultés soulevées par cette procédure et les inconvénients posés par l’expertise quasi-systématiquement ordonnée. En effet, le 14 mai 2010, la Chancellerie a pris une circulaire en direction des procureurs de la République leur enjoignant de ne plus ordonner de telles expertises sauf à ce que subsiste à l’examen de la requête un doute sérieux quant à la réalité du transsexualisme du requérant. Or, nonobstant cette circulaire, le Ministère public persiste à requérir des expertises qu’existe ou non le « doute sérieux » visé. Cette disposition réglementaire apparait dès lors comme manifestement insuffisante et l’amélioration de la situation des personnes transsexuelles appelle à une réponse du législateur.

Par ailleurs, la rectification de la mention du sexe, est encore majoritairement subordonnée par les juges à la réalisation d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle ou de stérilisation, et quand elle ne l’est pas, à une certification médicale de l’état de transsexualisme. Cette médicalisation de la procédure de rectification de l’état civil ne peut convenir et ne convient pas. Le parcours juridique et le parcours médical sont deux entités distinctes qui ne sauraient dépendre l’une de l’autre. Ainsi, la rectification de la mention du sexe à l’état civil ne saurait être subordonnée à une quelconque exigence de parcours médical. En effet, l’obligation de suivre un parcours médical afin de remédier à l’atteinte portée à la vie privée de l’intéressé(e) porte manifestement atteinte au droit à un consentement libre et éclairé à l’acte médical, tel que visé par les articles L. 1111-4 et suivants du code de la santé publique(2).

L’action du législateur s’impose alors manifestement.

II – L’émergence de solutions internationales satisfaisantes.

La France, en refusant de légiférer, reste aujourd’hui singulièrement isolée sur la scène internationale où la prise en compte de la situation des personnes transsexuelles et transgenres au regard de la possibilité de modifier leur état civil, va croissante. En attestent les textes relatifs au transsexualisme pris par des instances internationales d’envergure, dont la France est partie :

– Le 26 mars 2007, un collège d’experts internationaux présentait auprès de l’ONU les principes dits « de Jogjakarta » sur l’application du droit international des droits de l’Homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Le principe n° 3 dispose que « Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Les personnes aux diverses orientations sexuelles et identités de genre jouiront d’une capacité juridique dans tous les aspects de leur vie (...) Personne ne sera forcé de subir des procédures médicales, y compris la chirurgie de réassignation de sexe, la stérilisation ou la thérapie hormonale, comme condition à la reconnaissance légale de son identité de genre. Aucun statut, tels que le mariage ou la condition de parent, ne peut être invoqué en tant que tel pour empêcher la reconnaissance légale de l’identité de genre d’une personne. Personne ne sera soumis à de la pression pour dissimuler, supprimer ou nier son orientation sexuelle ou son identité de genre. »

– Le 31 juillet 2009, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe dans son rapport thématique sur « Droits de l’Homme et Identité de Genre » recommandait, « Dans les textes encadrant le processus de changement de nom et de sexe, [de] cesser de subordonner la reconnaissance de l’identité de genre d’une personne à une obligation légale de stérilisation et de soumission à d’autres traitements médicaux »

– Le 29 avril 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe votait la résolution n° 1728 relative aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Son article 16.11.2 dispose que « l’Assemblée appelle les États membres à traiter la discrimination et les violations des droits de l’homme visant les personnes transgenres et, en particulier, garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes [...] à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ».

Fortes de ces dispositions, plusieurs législateurs notamment en Europe ont choisi de faire évoluer leur droit dans le sens recommandé par les instances internationales et notamment européennes. On peut notamment citer les lois espagnoles et allemandes.

En Espagne, la loi sur l’Identité de Genre du 15 mars 2007 oblige l’officier d’état civil à disposer d’un premier certificat de praticien prouvant la « dysphorie de genre » du demandeur, puis d’un certificat déterminant, établi par un collège de médecins pour établir l’objectivité des deux années de traitements médicaux mais sans réassignation sexuelle chirurgicale obligatoire. Des dérogations sont prévues en cas de force majeure pour raison de santé et d’âge permettant alors de changer de sexe légal avant les deux ans de traitement certifié médicalement. Trois ans après la promulgation de cette loi, un ensemble d’associations LGBT espagnoles ont bon espoir de la faire évoluer en travaillant à la promotion d’un guide de bonnes pratiques pour le parcours de soins. Ce guide appelle les autorités de santé espagnoles et les praticiens à se diriger vers une pratique d’accompagnement des personnes transsexuelles et transgenres et à s’éloigner de la psychiatrisation explicite ancrée dans la loi par le certificat de dysphorie de genre obligatoire. Ces évolutions constitueraient une brèche dans le lien organique institué par la loi entre expertise médicale et droit de changer de sexe à l’état civil.(3)

En Allemagne, une proposition de loi déposée au cours du premier semestre 2010(4) prévoit de simplifier la procédure : la personne transsexuelle déclarerait, seule ou par l’intermédiaire de son représentant légal en cas d’incapacité, que le genre indiqué dans son état civil ne correspond pas au genre ressenti et la demande de rectification ne pourrait être rejetée qu’en cas d’abus manifeste. Les effets de cette rectification ne se produiraient que pour l’avenir : le mariage antérieur ne serait pas remis en cause, de même que la filiation, et les droits et obligations contractés sous le genre précédent sauf disposition contraire. Par ailleurs, si la rectification serait opposable à tous, la révélation du changement de genre serait elle prohibée, tous les documents présentant l’état civil de la personne devant nécessairement prendre en compte le changement de genre.

C’est bien ce modèle respectueux de la personne et de ses droits les plus fondamentaux qui doit inspirer le législateur français.

Ces évolutions accentuent l’isolement de la France sur la scène internationale quant à la réponse à apporter aux questions posées par le transsexualisme. Cet isolement pourrait par ailleurs conduire à court terme à de nouvelles condamnations de la France par la CEDH.

L’action du législateur français, encore une fois, s’impose alors manifestement.

III – La proposition ici faite.

L’objet de la présente proposition de loi est de permettre une procédure de modification de la mention du sexe à l’état civil qui soit entièrement affranchie d’une quelconque obligation de parcours médical. Cette procédure se veut s’inspirer à la fois du symbolisme du baptême républicain et de l’extension des procédures de changement de prénom prévu à l’article 60 du Code civil, ainsi que de la pratique des actes de notoriété auprès des officiers publics(5).

Les alinéas 2 et 3 de la présente proposition de loi posent le principe d’une requête en matière gracieuse. La rectification de la mention du sexe à l’état civil est un acte constitutif et non déclaratif, les actes passés sous le genre précédemment mentionnés ne sont pas remis en cause comme l’indiquera l’alinéa 7 de la proposition de loi ici présentée. En tant qu’acte constitutif, la matière gracieuse s’impose de prime abord.

Le requérant se présente accompagné de trois témoins de son choix, capables et dépourvus de lien d’ascendance ou de descendance avec le demandeur. A contrario, ils peuvent être des collatéraux. Ces témoins déclinent leur identité, leurs liens avec le demandeur et attestent sur l’honneur de la bonne foi et de la légitimité de la demande, autrement dit de l’identité de genre du requérant. La présentation de ces témoins s’inspire de l’établissement des actes de notoriété prévus par le code civil.

Néanmoins, la rectification de la mention du sexe heurte un autre principe, aujourd’hui circonscrit et atténué, de notre droit : celui de l’indisponibilité de l’état des personnes. Or, la présente proposition de loi ne propose en rien de modifier le sexe biologique de l’individu reconnu à sa naissance et indiqué dans l’acte d’état civil. Il s’agit ici de rectifier le genre de l’individu qui constate que son genre ne correspond pas à son sexe biologique. L’imbrication de la rectification avec l’atteinte à l’indisponibilité de l’état des personnes est donc nettement atténuée et justifie une simplification de la procédure à suivre pour opérer cette rectification. Cependant, si l’atténuation de ce principe doit permettre une rectification de la mention du sexe en cas de transsexualisme et doit également permettre que cette rectification fasse l’objet d’une procédure simplifiée, elle ne saurait permettre l’abus en la matière. En réponse à ceux qui prétendraient que l’abus de la procédure en rectification de la mention du sexe à l’état civil serait fréquent, il semble évident que les conséquences sociales d’une telle modification sont d’une ampleur suffisante pour décourager les tentatives d’abus. L’abus persévérant ne saurait cependant profiter de la simplification de la procédure. Face à une demande manifestement abusive, et uniquement dans ce cas, le Ministère public retrouverait alors la plénitude de son rôle de défense des intérêts de la société et pourrait intervenir, entraînant alors la procédure en matière contentieuse.

Le juge compétent reste le juge aux affaires familiales.

Les alinéas 4 et 5 de la présente proposition de loi précise que le juge doit ordonner la rectification de la mention du sexe à moins d’être confronté à un abus manifeste. La rectification ordonnée est définitive, c’est à dire dotée de la force de la chose jugée et doit donc être prise en compte et appliquée.

Toutefois, dans le cas où un changement de circonstances le justifierait, l’introduction d’une nouvelle requête sur le fondement de l’article précédent est toujours possible, aux fins de voir rectifier la mention rectifiée, autrement dit pour l’annuler.

L’alinéa 6 de la présente proposition de loi pose l’obligation de prendre en compte la rectification ordonnée lors de l’établissement de documents nécessitant la présentation d’un acte d’état civil, à la date de la rectification. Cette disposition s’impose principalement aux auteurs de tels documents mais également au demandeur qui ne pourrait plus, sauf à renoncer à la rectification, se prévaloir de l’ancienne mention du sexe sur son état civil. L’abus de la procédure est ici encore entravé. Le demandeur doit prendre acte dans sa vie quotidienne de la rectification opérée, sous peine de ne pas répondre aux exigences posées par les dispositions des alinéas précédents et de ne pas voir la rectification confirmée. Parallèlement, lorsque l’intéressé(e) se prévaudra de la décision de rectification, ses interlocuteurs n’auront d’autre choix que d’en tenir compte.

Les alinéas 7 à 9 de la présente proposition de loi envisagent le contenu des effets de la rectification de la mention du sexe. Si les obligations nées antérieurement à l’égard de tiers, quelque soit la source de l’obligation, ne sauraient disparaître du seul fait de la rectification, il en va différemment des droits antérieurement acquis. En effet, les droits dont le bénéfice est lié au sexe ne peuvent perdurer après la rectification.

Sur les actes d’état civil, le mariage conclu antérieurement à la rectification et qui existerait toujours à la date de la rectification ne peut manifestement pas se poursuivre tant que la législation française limitera le mariage à l’union d’un homme et d’une femme. Les époux peuvent alors avoir recours au divorce dans les conditions du droit commun. Le divorce pour faute ne devrait cependant pas pouvoir être envisagé du seul fait du changement de genre de l’un des époux. En effet, selon la doctrine majoritaire en la matière(6), la faute ne saurait être imputée à une personne du fait de son état de transsexualisme. En tout état de cause, le mariage préexistant ne pouvant survivre à la rectification de la mention du sexe à l’état civil, il convient d’en requérir la dissolution effective au jour du dépôt de la requête de l’alinéa 2 de la présente loi par l’intéressé.

Ce paragraphe sera caduc dès lors que le mariage sera ouvert aux couples de même sexe.

La filiation établie précédemment à la rectification à l’égard de la personne intéressée n’est pas affectée par cette rectification, de même que l’établissement de la filiation d’un enfant né antérieurement à la rectification.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article 99-1 du code civil, il est inséré un article 99-2 ainsi rédigé :

« Art. 99-2 .La requête en rectification de la mention du sexe est présentée par l’intéressé au président du tribunal de grande instance en présence d’au moins trois témoins capables, sans lien ni d’ascendance ni de descendance avec l’intéressé. Ils témoignent de la bonne foi du fondement de la requête.

« L’abus manifeste du requérant fonde l’intervention du Ministère public.

« Le tribunal ordonne, sauf abus manifeste, la rectification de la mention du sexe.

« La rectification est définitive, sous réserve de la non-introduction d’une nouvelle requête de l’intéressé au titre de l’alinéa premier du présent article.

« Sans préjudice des dispositions de l’article 101, les actes reposant sur l’acte d’état civil doivent, à peine de l’amende édictée à l’article 50, intégrer la rectification ordonnée à la date de la rectification.

« La rectification de la mention du sexe confère les droits et obligations du nouveau sexe à l’intéressé sans préjudice des obligations contractées sous l’empire de l’ancien à l’égard des tiers et sous réserve des droits liés au sexe antérieur.

« Le mariage préexistant doit être dissout au jour de l’introduction de la requête en rectification.

« La filiation établie avant la rectification ne subit aucune modification. Après la rectification, la filiation peut être établie à l’égard de l’intéressé conformément aux dispositions du titre septième du présent code. »

1 () Cass. Ass. Plén., 11 déc. 1992, « Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’appartenance ».

2 () Voir notamment art. L. 1111-4 alinéa 3 du code de la santé publique : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.».

3 () Homosexualités et socialisme, Proposition sur les questions d’identité de genre, adoptée le 9 juin 2010.

4 () Draft Law on the Changing of Forenames and the Determination of Gender Identity, déposée par le groupe parlementaire Vert allemand.

5 () Homosexualités et socialisme, op. Cit.

6 () Voir François Terré et Dominique Fenouillet, Les personnes la famille les incapacités – précis Dalloz 7e édition 2005, p. 151 ; J. Hauser, RTD Civ 2001.335 ou RTD Civ 2002.274 ; Laurence Mauger-Vielpeau, D.2002.124 ; Jacques Massip, LPA 12 avr. 2001 p. 20 ; Hervé Lécuyer, Dr. fam. 2002, comm. n° 42 ; Frédérique Granet, AJ Famille 2002.413.


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