N° 1937 - Rapport d'information de M. Jean-Paul Chanteguet fait au nom de la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds




N° 1937

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mai 2014.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

EN APPLICATION DE L’ARTICLE 145 DU RÈGLEMENT

PAR LA MISSION D’INFORMATION
SUR L’ÉCOTAXE POIDS LOURDS

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean-Paul CHANTEGUET,

Président et rapporteur

Député.

La mission d’information est composée de : M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur ; Mme Catherine Beaubatie, M. Patrice Carvalho, M. Bertrand Pancher et M. Thomas Thévenoud, vice-présidents ; Mme Sylviane Alaux, M. Joël Giraud et M. François-Michel Lambert, secrétaires ; M. François André, M. Julien Aubert, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Marcel Bonnot, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Yves Caullet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. André Chassaigne, M. Alain Claeys, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Guénhaël Huet, Mme Joëlle Huillier, M. Jacques Krabal, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann et M. Fabrice Verdier.

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : LE CADRE JURIDIQUE DE LA « TAXE POIDS LOURDS » : DES CONTRAINTES EUROPÉENNES ET NATIONALES, LÉGISLATIVES ET CONTRACTUELLES 19

DEUXIÈME PARTIE : UN DISPOSITIF TECHNIQUE AMBITIEUX ET UN DISPOSITIF JURIDIQUE DE RÉPERCUSSION UNIQUE EN EUROPE 45

TROISIÈME PARTIE : UN DISPOSITIF VERTUEUX MAIS PEU COMPRIS ET DONC MAL ACCEPTÉ DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DIFFICILE 57

QUATRIÈME PARTIE : PISTES D’ÉVOLUTIONS DU DISPOSITIF D’ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS 71

PROPOSITION N° 1 – RENOMMER LE DISPOSITIF « ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS ». 71

PROPOSITION N° 2 – FRANCHISE MENSUELLE DE L’ÉCO-REDEVANCE, SANS DISCRIMINATION DE SECTEUR OU DE NATIONALITÉ, AFIN DE NE PAS PÉNALISER LES PETITS UTILISATEURS DE COURTES DISTANCES. 73

PROPOSITION N° 3 – RENFORCER LA COMMUNICATION ET LA PÉDAGOGIE POUR REDONNER DU SENS AUX OBJECTIFS DE L’ÉCO-REDEVANCE. 79

PROPOSITION N° 4 – ORGANISATION D’UNE MARCHE À BLANC NATIONALE ET OBLIGATOIRE. 81

PROPOSITION N° 5 – RENFORCER LA PRISE EN COMPTE DU PRINCIPE POLLUEUR-PAYEUR EN ACCENTUANT LA MODULATION DES TAUX DE LA REDEVANCE 83

PROPOSITION N° 6 – PERMETTRE AUX TRANSPORTEURS EN COMPTE PROPRE DE FAIRE FIGURER EN BAS DE FACTURE LES CHARGES SUPPORTÉES AU TITRE DE L’ÉCO-REDEVANCE. 87

PROPOSITION N° 7 – SOUTENIR LE SECTEUR DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES ET CRÉER UN FONDS DE MODERNISATION DE LA FLOTTE DE POIDS LOURDS. 89

PROPOSITION N° 8 – MAINTENIR LE BARÈME NATIONAL DE LA REDEVANCE AU TAUX MOYEN DE 13 CENTIMES D’EURO PAR KILOMÈTRE, ET FIXER DES RÉGLES PRÉVISIBLES ET CONTRAIGNANTES D’ÉVOLUTION FUTURE. 93

PROPOSITION N° 9 – ADAPTER LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF DE MAJORATION FORFAITAIRE AUX SPÉCIFICITÉS DE CERTAINES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES. 94

PROPOSITION N° 10 – SIMPLIFIER LES PROCÉDURES D’ENREGISTREMENT DES REDEVABLES AUPRÈS DU PRESTATAIRE COMMISSIONNÉ 98

PROPOSITION N° 11 – PRENDRE EN COMPTE LE NIVEAU DE CONGESTION SUR CERTAINS AXES PARTICULIÈREMENT encombrÉs, établir ou accroître L’ÉCO-REDEVANCE SUR CERTAINS AXES POUR LESQUELS LE REPORT MODAL OU AUTOROUTIER EST Possible. 101

PROPOSITION N° 12 – EXONÉRER LES POIDS LOURDS IMMATRICULÉS EN « W GARAGE », LES POIDS LOURDS DE COLLECTIONNEURS ET LES VÉHICULES DE FORMATION OU DE CONDUITE ÉCOLE. 103

PROPOSITION N° 13 – REVALORISER LE TRAVAIL DES CONTRÔLEURS DE TRANSPORTS TERRESTRES (C.T.T) SUR ROUTES. 106

CINQUIÈME PARTIE : PRINCIPALES PISTES D’ÉVOLUTION DU DISPOSITIF D’ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS NON RETENUES PAR LA MISSION D’INFORMATION 107

PISTE NON RETENUE N° 1 – INSTAURER UNE VIGNETTE SUR LE RÉSEAU NATIONAL NON CONCÉDÉ POUR LES POIDS LOURDS. 107

PISTE NON RETENUE N° 2 – MODIFIER LE DISPOSITIF DE COLLECTE DE L’ÉCO-REDEVANCE SUR LE MODÈLE SUISSE 110

PISTE NON RETENUE N° 3 – ACCENTUER LA PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION PÉRIPHÉRIQUE DE CERTAINS TRONÇONS ROUTIERS OU DE CERTAINES RÉGIONS. 112

PISTE NON RETENUE N° 4 – ATTRIBUER UN RÔLE AUX RÉGIONS DANS LA TARIFICATION ET L’APPLICATION DE L’ÉCO-REDEVANCE. 116

PISTE NON RETENUE N° 5 – EXONÉRER CERTAINS VÉHICULES DISPENSÉS D’INSTALLER UN APPAREIL DE CONTRÔLE DE TYPE TACHYGRAPHE. 119

PISTE NON RETENUE N° 6 – ÉTENDRE LE RÉSEAU TAXABLE ACTUELLEMENT LIMITÉ À UNE PARTIE DU RÉSEAU NATIONAL ET DÉPARTEMENTAL NON CONCÉDÉ. 121

PISTE NON RETENUE N° 7 – MODIFIER LES CATÉGORIES DE VÉHICULES ASSUJETTIS À LA REDEVANCE POIDS LOURDS EN RELEVANT LE SEUIL DE P.T.A.C. 123

PISTE NON RETENUE N° 8 – SUPPRIMER LA TAXE SPÉCIALE SUR LES VÉHICULES ROUTIERS (TSVR) DITE « TAXE À L’ESSIEU ». 124

PISTE NON RETENUE N° 9 – INTRODUIRE UNE CATÉGORIE SUPPLÉMENTAIRE POUR LES POIDS LOURDS DE 44 TONNES. 125

EXAMEN DU RAPPORT 127

CONTRIBUTION DE membres de la mission 157

ANNEXE 1 – COMPARAISON EUROPÉENNE DES DISPOSITIFS DE COLLECTE DE LA REDEVANCE POIDS LOURDS 197

ANNEXE 2 – RÉSEAU SOUMIS À L’ÉCO-REDEVANCE OU À PÉAGE PAR DÉPARTEMENT EN KILOMÈTRES 225

ANNEXE 3 – RÉSEAU SOUMIS À L’ÉCO-REDEVANCE OU À PÉAGE PAR RÉGION EN KILOMÈTRES 229

ANNEXE 4 – COURRIER DE M. Pierrick massiot, président du conseil régional de bretagne 230

ANNEXE 5 – COURRIER DE M. CLAUDY LEBRETON, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES DéPARTEMENTS DE France (ADF) 234

ANNEXE 6 – COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA SOCIÉTÉ ÉCOMOUV’ 236

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION 241

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 245

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. FRÉDÉRIC CUVILLIER, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES TRANSPORTS, DE LA MER ET DE LA PÊCHE 247

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. DOMINIQUE BUSSEREAU, ANCIEN SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DES TRANSPORTS 260

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. NICOLAS PAULISSEN, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL, ET MME FLORENCE BERTHELOT, DÉLÉGUÉE GÉNÉRALE ADJOINTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTS ROUTIERS (FNTR) 272

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. JEAN-LOUIS BORLOO, ANCIEN MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DE L’ÉNERGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 281

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. BERNARD CAZENEUVE, MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DU BUDGET 291

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE L’ORGANISATION DES TRANSPORTEURS ROUTIERS EUROPÉENS (OTRE) : MME ALINE MESPLES, PRÉSIDENTE, M. GILLES MATHELIE-GUINLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, M. JEAN-MARC RIVERA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT, M. YANN GUISNEL, PDG DE GUISNEL DISTRIBUTION SAS, ET MME BÉATRICE MONTAY, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE GUISNEL DISTRIBUTION SAS. 306

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. CLAUDY LEBRETON, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF) 323

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT (FNE) : MM. MICHEL DUBROMEL, PILOTE DU RÉSEAU TRANSPORTS ET MOBILITÉ DURABLE, ET GÉRARD ALLARD, MEMBRE DE CE RÉSEAU 333

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE LA SOCIÉTÉ ECOMOUV’ : M. DANIELE MEINI, PRÉSIDENT, M. MICHEL CORNIL, VICE-PRÉSIDENT, M. JEAN-CLAUDE DAMEZ-FONTAINE, DIRECTEUR « SYSTÈMES ET INTÉGRATION », M. GIOVANNI CASTELLUCCI, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ D’AUTOSTRADE, AINSI QUE LES MEMBRES DU COMITÉ EXÉCUTIF D’ECOMOUV, REPRÉSENTANT LES PARTENAIRES : MM. MICHAELANGELO DAMASCO (AUTOSTRADE), ANTOINE CAPUT (THALES), WILLIAM FERRE (STERIA), JEAN-VINCENT CLOAREC (SNCF), JEAN-MARC LAZARRI (SFR) 342

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE L’UNOSTRA : M. ROLAND BACOU, PRÉSIDENT NATIONAL TRANSPORT DE MARCHANDISES ET MME CATHERINE PONS, DÉLÉGUÉE GÉNÉRALE, VICE-PRÉSIDENTE 359

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. BRUNO CAVAGNÉ, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS (FNTP) 372

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. JEAN-CLAUDE GIROT, PRÉSIDENT DU GROUPE DE TRAVAIL « VÉHICULES INDUSTRIELS ET VÉHICULES UTILITAIRES » DU COMITÉ STRATÉGIQUE DE LA FILIÈRE AUTOMOBILE, REPRÉSENTANT LE COMITÉ DES CONSTRUCTEURS FRANÇAIS D’AUTOMOBILES (CCFA), DE M. JEAN-PIERRE ROBINET ET MME SANDRINE MARCOT (FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA CARROSSERIE), DE MM. JACQUES BRUNEEL ET EMMANUEL PUVIS DE CHAVANNE (CONSEIL NATIONAL DES PROFESSIONS DE L’AUTOMOBILE) ET DE M. THIERRY ARCHAMBAULT (CHAMBRE SYNDICALE INTERNATIONALE DE L’AUTOMOBILE ET DU MOTOCYCLE) 381

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. DANIEL BURSAUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES INFRASTRUCTURES, DES TRANSPORTS ET DE LA MER (DGITM), MME ANNY CORAIL, RESPONSABLE DE LA MISSION TAXE POIDS-LOURDS (MTPL) AUX DOUANES, MME ANNE DEBAR, SOUS-DIRECTRICE DES TRANSPORTS ROUTIERS, M. ANTOINE MAUCORPS, CHEF DE LA MISSION DE TARIFICATION, ET M. OLIVIER QUOY, ADJOINT AU CHEF DE LA MISSION DE TARIFICATION 393

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE MME HÉLÈNE CROCQUEVIEILLE, DIRECTRICE GÉNÉRALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS (DGDDI), DE MME ANNY CORAIL, RESPONSABLE DE LA MISSION « TAXE POIDS LOURDS » (MTPL), DE M. DARIUSZ KACZYNSKI, SOUS-DIRECTEUR DES DROITS INDIRECTS, ET DE M. ANTOINE MAUCORPS DE LA MISSION DE TARIFICATION 408

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. PHILIPPE DURON, PRÉSIDENT DE L’AGENCE DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT DE FRANCE (AFITF) 426

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. JACQUES CREYSSEL, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES DU COMMERCE ET DE LA DISTRIBUTION (FCD), M. PHILIPPE JOGUET, DIRECTEUR DÉVELOPPEMENT DURABLE, MME FABIENNE PROUVOST, DIRECTRICE DE LA COMMUNICATION ET DES AFFAIRES PUBLIQUES, MME ANNA FORTE, PRÉSIDENTE DU COMITÉ TRANSPORT DE LA FCD) ET M. GILLES COQUELLE, RESPONSABLE DES QUESTIONS FISCALES DU GROUPE AUCHAN 443

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE REPRÉSENTANTS DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DU COMMERCE INTERENTREPRISES (CGI) : M. MARC HERVOUËT, PRÉSIDENT, M. HUGUES POUZIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL, ACCOMPAGNÉS DE M. CYRIL GALY-DEJEAN, CHARGÉ DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES, M. PHILIPPE GRUAT, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DU GROUPE POINT P, ET M. PHILIPPE BARBIER, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DU GROUPE POMONA 455

TABLE RONDE AVEC LES SYNDICATS DE SALARIÉS DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES, AVEC : MM. PATRICE CLOS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, BRUNO LEFEBVRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT ET STÉPHANE LAGEDAMON, TRÉSORIER GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTS ET DE LA LOGISTIQUE FO/UNCP ; MM. JÉRÔME VÉRITÉ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, ET JEAN-LOUIS DELAUNAY, MEMBRE DU BUREAU FÉDÉRAL, SECTEUR « TRANSPORTS DE MARCHANDISES » DE LA FÉDÉRATION CGT DES TRANSPORTS ; MM. FABIAN TOSOLINI, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, THIERRY CORDIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’UNION FÉDÉRALE « ROUTE » ET DENIS SCHIRM, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL-ADJOINT DE L’UNION FÉDÉRALE « ROUTE » DE LA FGTE–CFDT ; MM. FRÉDÉRIC BÉRARD, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION CFE–CGC DES TRANSPORTS, PASCAL BODSON, CONSEILLER FÉDÉRAL ET PHILIPPE QUEUNE, CONSEILLER FÉDÉRAL SNATT CFE–CGC, AINSI QUE MM. CYRILLE JULLIEN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET PASCAL GOUMENT, COORDINATEUR DU SECTEUR TERRESTRE DE LA FÉDÉRATION GÉNÉRALE CFTC DES TRANSPORTS 468

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DU COLLECTIF DES ACTEURS ÉCONOMIQUES BRETONS, REPRÉSENTÉS PAR : MM. JOËL CHÉRITEL, CHEF DE FILE, PRÉSIDENT DU MEDEF BRETAGNE, FRÉDÉRIC DUVAL, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU MEDEF BRETAGNE, THIERRY COUÉ, PRÉSIDENT DE LA FRSEA, VINCENT FROSTIN, VICE-PRÉSIDENT DE LA FNTR BRETAGNE, JEAN BERNARD SOLLIEC, VICE-PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION BRETONNE DES ENTREPRISES AGROALIMENTAIRES ET XAVIER ROUX, ADMINISTRATEUR DE NUTRINOË (NUTRITION ANIMALE) CHARGÉ DE LA LOGISTIQUE ET DIRECTEUR LOGISTIQUE DU GOUESSANT 487

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. JEAN-LUC CADE, PRÉSIDENT DE COOP DE FRANCE NUTRITION ANIMALE, DE MME RACHEL BLUMEL, DIRECTRICE DU DÉPARTEMENT « CHAÎNE ALIMENTAIRE DURABLE » DE COOP DE FRANCE ET DE M. YVES-MARIE LAURENT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE VIVESCIA TRANSPORT/AGRILIANCE 502

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. ALEXIS DEGOUY, DIRECTEUR DES AFFAIRES PUBLIQUES DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES (ANIA), DE MME VANESSA QUÉRÉ, RESPONSABLE « ÉCONOMIE » DE L’ANIA, DE M. LIONEL DELOINGCE, VICE-PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION NATIONALE DE LA MEUNERIE FRANÇAISE (ANMF) ET DE M. NICOLAS PERARDEL, CHARGÉ DE MISSION DE L’ANMF 509

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE MME SÉGOLÈNE ROYAL, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE 518

AUDITION, OUVERTE À LA PRESSE, DE M. MICHEL SAPIN, MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS 533

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LE PRÉSIDENT et RAPPORTEUR 545

INTRODUCTION

En décidant de créer, le 12 novembre 2013, une mission d’information sur l’écotaxe poids lourds, la Conférence des présidents a démontré l’importance d’une question appelant une réflexion collective et un débat entre députés représentant tous les groupes politiques, toutes les sensibilités de notre Assemblée. Le nombre des membres de la mission a d’ailleurs été porté à 50 pour précisément traduire au mieux cette préoccupation de représentativité et d’expression la plus large.

Ayant été amené à assurer, à la fois, les fonctions de président et de rapporteur, votre Rapporteur a tenu à ce que la mission ouvre le plus de perspectives possibles au travers des auditions auxquelles elle a procédé et en multipliant des rencontres avec les acteurs des milieux économiques et sociaux qui d’ailleurs l’ont souvent directement sollicité. Il a également constaté que ses collègues des groupes de l’opposition, s’ils ont refusé l’acceptation par un de leurs membres de la présidence de la mission, ont participé avec assiduité à nos travaux et ont utilement proposé des entreprises ou organisations à auditionner tout en suggérant certaines pistes de réflexion.

Il convient également de rappeler que la mission d’information n’est pas une commission d’enquête sur tel ou tel point du « dossier » de l’écotaxe. Cette distinction méritait d’être mentionnée en préalable. Si la finalité de notre travail est d’établir un état des lieux, de lever certaines incompréhensions voire de récuser quelques désinformations, il s’agit aussi de resituer l’écotaxe dans une perspective rationnelle, de refonder sa légitimité au regard des orientations qui ont prévalu à sa conception.

L’écotaxe poids lourds n’est pas une invention née de l’imagination de grands argentiers soucieux de créer une taxe de plus pour conforter le train de vie de l’État. Elle trouve son origine dans la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999, certes plusieurs fois modifiée, mais qui érige des principes forts. D’abord, cette directive vise à faire contribuer les utilisateurs (voire indirectement les bénéficiaires du transport) de certaines infrastructures, principalement routières, à leur coût d’usage que ces professionnels soient des nationaux ou des étrangers, qu’ils y effectuent ou pas l’essentiel de leur activité, ou qu’ils en soient usagers au titre du transit international ou du cabotage. Ensuite, elle vise à harmoniser les différents systèmes existants ou à venir concernant les divers prélèvements, taxes sur les véhicules, péages et droits liés à l’usage des réseaux. Enfin, la directive entend instituer des mécanismes équitables d’imputation des coûts d’infrastructure aux transporteurs. Elle autorise les pays membres à créer une redevance d’utilisation des routes dont le produit peut être affecté à la construction, l’entretien, l’amélioration des infrastructures de transport.

Ces réalisations sont des facteurs déterminants de la compétitivité de l’économie et contribuent à l’équipement de nos territoires. Bien que non membre de l’Union européenne, la Suisse a instauré de longue date un système de tarification relevant de ce schéma. Depuis 2005, il y aura donc bientôt dix ans, l’Allemagne a mis en œuvre une tarification kilométrique comparable à l’écotaxe, la LKW Maut, suivie d’ailleurs par l’Autriche ou encore par la Slovaquie, deux pays où votre Rapporteur a voulu se rendre compte sur place des situations constatées et de leurs incidences. Il a d’ailleurs relevé que les barèmes actuellement appliqués par l’Allemagne et l’Autriche, sans omettre la Suisse, sont sensiblement plus élevés que celui envisagé en France.

Il convient tout autant de rappeler qu’en France, l’écotaxe, que votre Rapporteur préfère dénommer « éco-redevance », a trouvé une traduction législative au titre de l’article 11-IV de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Les principes d’instauration d’une telle taxation kilométrique et de sa répercussion sur les chargeurs et affréteurs avaient ainsi été approuvés, sinon à l’unanimité, mais à une écrasante majorité réunissant des parlementaires de toutes les sensibilités.

L’écotaxe ou éco-redevance n’est toutefois pas encore une taxe « pigouvienne » (du nom de l’économiste anglais Arthur Pigou qui a mis en exergue les coûts sociétaux et environnementaux des activités économiques). Son but est de matérialiser un juste principe « utilisateur-payeur » tout en dotant les pouvoirs publics de moyens financiers destinés à conforter la qualité des réseaux sur lesquels s’exerce l’activité des redevables. Dans sa conception actuelle l’écotaxe ne prend pas en compte toutes les externalités négatives (ou déséconomies externes) du transport de marchandises.

Dans un premier temps, il est d’ailleurs possible que l’écotaxe n’ait pas un impact immédiatement significatif en termes de report modal, bien que des études prévoient des transferts de trafic du réseau taxable vers certains tronçons d’autoroutes, le fer et la voie d’eau.

Toutefois, la tarification envisagée n’ignore pas les avantages environnementaux relatifs aux caractéristiques qualitatives des moyens employés. Elle est fondée sur un barème modulant la taxation en fonction de la catégorie d’appartenance d’un poids lourd au regard des normes européennes en vigueur. Ainsi, un camion ou un tracteur moins polluant et moins consommateur de carburant qui relève des normes d’émission Euro 5 EEV et Euro 6 s’acquittera d’une redevance moins élevée, sur un même parcours, qu’un véhicule plus ancien. La directive autorise d’ailleurs à procéder à un glissement progressif du principe « utilisateur-payeur » vers celui du « pollueur-payeur » en tenant compte de la pollution atmosphérique et des nuisances sonores voire même, sous réserve de solutions techniques capables d’appréhender les situations en temps réel, des congestions ou pics de trafic sur telle ou telle partie du réseau taxable et de moduler en conséquence la tarification.

Il est avéré que l’écotaxe comporte une dimension incitative qui, à terme, pourrait faire évoluer favorablement les schémas traditionnels du transport et de la logistique. Par exemple, une sensible diminution des « retours à vide » a été constatée sur le réseau allemand à la suite de la mise en place de la LKW Maut.

Concernant la situation française, des membres de la mission mais aussi, au long de ses travaux, nombre de ses interlocuteurs, ont regretté l’impact négatif de la privatisation des autoroutes sur le « dossier de l’écotaxe ».

L’ouverture de leur capital était une opération opportune qui permettait de donner à l’État un souffle financier en retour de ses investissements contre des cessions minoritaires de capital sur un réseau bâti par l’argent public. Il en aura été autrement des cessions ultérieures qui ont abouti, six ans plus tard, à partager la majeure partie du réseau autoroutier entre de grands groupes privés français et étrangers. La Cour des comptes a su démontrer l’insuffisance des évaluations ayant abouti à un produit de 14,8 milliards d’euros qu’elle a considéré, dès son rapport public de 2008, comme étant inférieur à la valeur d’actif.

Comme beaucoup de ses collègues, votre Rapporteur ne peut se résoudre à conclure qu’il n’y aurait plus rien à faire sur cette question même si la voie d’une renationalisation voire d’une dénonciation des concessions semble illusoire au regard des contraintes budgétaires. Les échéances des différentes concessions autoroutières peuvent sembler relativement lointaines puisqu’elles interviendront entre 2028 et 2033. Pour autant, l’État ne doit pas s’interdire de réfléchir, d’ores et déjà, à de possibles modalités de sortie d’un tel système qui, s’il peut, en théorie, faire l’objet d’allongements limités de sa durée, n’a pas vocation à se perpétuer en donnant aux actuels concessionnaires le sentiment qu’ils sont en position de demeurer seuls à même de satisfaire aux nécessités de la gestion du réseau.

S’il s’avérait d’ailleurs que la mise en œuvre de l’écotaxe avait effectivement l’effet de reporter une part du trafic par dérivation du réseau taxé sur les autoroutes, donc d’accroître de façon significative les recettes de péages, l’effet d’aubaine mériterait sans nul doute d’être partagé. À tout le moins, cette situation pourrait impliquer une renégociation partielle des concessions du fait d’une modification substantielle de leurs conditions économiques.

De premières études prospectives réalisées dès 2008, pour le compte du Commissariat général au développement durable, montraient qu’une partie du trafic des poids lourds était susceptible de se concentrer sur certains tronçons des autoroutes concédées du fait de l’entrée en vigueur de l’écotaxe qui contribuerait à établir, selon l’expression des auteurs, « un juste prix du transport routier de marchandises ». De récentes études finalisées au mois de mars 2014 par le ministère des transports confirment que l’écotaxe aura un effet sur le trafic global des poids lourds, principalement en raison des réductions de distances des trajets et des contournements du territoire de certains flux de transit. En considérant le réseau taxé défini en 2013, une réduction de circulation est estimée à environ 2 % (le trafic global des poids lourds baissant de 500 millions de PLxkm pour s’établir à 35,29 milliards PLxkm annuels) mais des reports de trafic interviendraient néanmoins vers les autoroutes concédées à partir d’itinéraires qui leur sont parallèles (+ 1,6 voire + 2 milliards PLxkm). Selon ces études, les recettes additionnelles des péages perçues par les sociétés concessionnaires, du fait de ce report, seraient comprises entre 300 et 400 millions d’euros. Le produit de la redevance domaniale et la fraction de la taxe d’aménagement du territoire revenant à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) s’en trouveraient mécaniquement relevées du fait de l’effet d’aubaine mais pour 15 ou 20 millions d’euros seulement. Dans ces conditions, un surplus de prélèvement resterait néanmoins à définir par une négociation entre l’État et les sociétés concessionnaires afin de conforter les ressources de l’agence. Dans l’esprit de votre Rapporteur, plus de 300 millions de recettes supplémentaires de péage ainsi enregistrés par année justifieraient, au total, au moins 150 millions de recettes au bénéfice de l’AFITF. Au titre de l’année 2013, les recettes des péages allant aux concessionnaires privés et concernant les seuls poids lourds ont atteint 2,16 milliards d’euros (hors taxes et après prise en compte de l’effet réducteur des abonnements).

La directive européenne a laissé aux États membres le soin de définir leur réseau taxable à l’éco-redevance, au sein du réseau routier transeuropéen de transport (RTE) élargi aux autoroutes. Toutefois, il n’est pas possible de cumuler sur une même fraction de route un péage et une redevance d’utilisation, et le cumul d’une éco-redevance et d’un péage sur une même route n’est possible que dans le respect d’un plafond. L’Allemagne a pu, d’abord, mettre en œuvre un équivalent à l’écotaxe sur un réseau principalement constitué de ses autoroutes non concédées et gratuites alors que cela n’est pas concevable en France où seulement certaines fractions du réseau autoroutier sont restées libres de tout péage et hors concession à des opérateurs privés. Des tronçons du réseau français non concédé, qui couvre environ 2 000 km d’autoroutes et d’ouvrages sur un total de 11 500 km, sont extrêmement fréquentés. Ils devront, dès les prochaines années, connaître d’importantes opérations de régénération pour le financement desquelles l’État aura également besoin de ressources suffisamment importantes et programmables donc pérennes.

Notre mission d’information n’étant pas une commission d’enquête, elle n’a pas eu à focaliser son attention sur l’examen des termes du contrat conclu entre l’État et la société Ecomouv’, en qualité de prestataire commissionné. Certes, les modalités de passation comme les équilibres juridiques et économiques de ce contrat spécifique ont donné lieu à bien des commentaires. Les anciens ministres Dominique Bussereau et Jean-Louis Borloo ont exposé devant notre mission les raisons qui, au cours de la période 2007-2009, ont abouti au choix gouvernemental d’externaliser la collecte de l’écotaxe au titre d’un partenariat public privé (ppp). Au terme d’une procédure de dialogue compétitif, le 14 janvier 2011, la proposition de la société Autostrade per Italia SpA a été retenue afin de bâtir, sur la base des prescriptions de l’État, le système de collecte et de contrôle.

Cette réalisation a dès lors été conduite par le consortium Ecomouv’ qui autour de son chef de file, la société Autostrade, a agrégé plusieurs partenaires français en qualité de coactionnaires (Thales, SNCF, SFR et Steria).

Votre Rapporteur constate, d’une part, que les recours engagés par des tiers à l’encontre de ce contrat ont été rejetés et, d’autre part, que l’administration elle-même a confirmé qu’elle n’était pas en mesure de percevoir directement la taxe en concevant puis en gérant par ses propres moyens son système de collecte, au regard de la complexité des procédures à mettre en place et de l’insuffisance des effectifs susceptibles d’être affectés à de telles missions.

Sur ce point, l’audition de la directrice générale des douanes et droits indirects (DDGI) a été particulièrement éclairante. Cette audition a également été l’occasion de rappeler que les exigences d’interopérabilité du système, prescrites à l’échelon européen depuis le 1er janvier 2007, avaient compliqué encore la problématique en ouvrant dans la collecte, ce qui peut être considéré comme un nouveau marché, un espace d’intervention commerciale à des opérateurs privés, les sociétés habilitées de télépéage (SHT). Ces opérateurs spécialisés disposent d’ailleurs d’une bonne connaissance du transport routier, en France comme à l’étranger, puisque leur activité est de lui fournir des prestations directes de télépéage et divers services associés. Elles relèvent d’actionnaires puissants (sociétés autoroutières ou groupes pétroliers). Leurs fichiers de clientèle doivent leur permettre d’assurer une bonne information et une mobilisation des redevables potentiels. À ce jour, six de ces sociétés (Axxès, eurotoll, DKV, Ressa, Total Marketing Services et Telepass) ont chacune adhéré à un contrat-type l’unissant à Ecomouv’ pour servir d’intermédiaire dans le processus d’enregistrement des redevables et se prévaloir de la qualité de mandataire de ces mêmes redevables dont ces sociétés doivent d’ailleurs se porter garantes (ducroire du paiement) pour le règlement des factures émises par Ecomouv’.

Le rôle des SHT est crucial car elles devraient être à l’origine de plus de 80 % des enregistrements et transactions. Reçus par votre Rapporteur, les représentants des SHT lui ont indiqué que ces sociétés venaient, au cours du mois d’avril 2014, de signer un protocole avec l’État qui sécurise leur situation jusqu’au 31 décembre 2014. Par cette voie, les pouvoirs publics reconnaissent l’implication directe des SHT au système mis en place, alors que leur position était jusqu’alors de les considérer comme de simples opérateurs choisis par Ecomouv’, donc de charger ce consortium de régler toute difficulté technique et financière avec elles.

Au point où en est le dossier, votre Rapporteur tient à ne pas laisser accréditer l’idée qu’un abandon pur et simple représenterait une voie possible voire même raisonnable. Au-delà des obligations qui nous sont imposées par l’Europe, le dossier de l’écotaxe reste marqué par de lourdes conséquences qui résultent principalement de décisions politiques prises par des majorités successives.

Des investissements matériels et humains tels que mis en œuvre, aussi importants, y compris de la part des administrations concernées, ne peuvent être rayés d’un trait de plume. La décision de suspension de l’entrée en vigueur de l’écotaxe prise le 29 octobre 2013, qui traduisait un troisième report sans oublier l’expérimentation programmée mais jamais réalisée en Alsace, n’a pas signifié une suppression à venir. Différentes déclarations ministérielles en témoignent.

Il convient de retenir que l’État est massivement engagé.

Les traductions budgétaires d’un renoncement seraient particulièrement coûteuses, sans doute sur plusieurs exercices, qu’elles résultent d’accords négociés au titre des clauses contractuelles de déchéance ou de résiliation pour motif d’intérêt général voire de voies contentieuses avec les partenaires que l’État a choisis. Certaines des clauses contractuelles lui imputent, après mise à disposition du système, une garantie à hauteur de 80 % des emprunts contractés par le prestataire commissionné. On rappellera qu’Ecomouv’ a investi, principalement au moyen d’emprunts, quelque 504 millions d’euros hors taxes, au 30 novembre 2013, sur un total prévisionnel de 534 millions d’euros (en base 2011 de ses engagements). Pour leur part, les SHT, bien que non cocontractantes directes de l’État, ont également supporté des investissements, notamment pour développer leurs interfaces informatiques avec Ecomouv’, acquérir des boitiers électroniques à distribuer à leurs clients et pour leurs recrutements.

Ces perspectives d’abandon, au demeurant peu engageantes, ne tiennent pas compte d’autres préjudices potentiels dont pourraient se prévaloir des acteurs ayant programmé des business plans en cohérence avec le développement attendu d’un système qu’il leur revenait d’exploiter à long terme (onze ans et demi pour Ecomouv’ après une première période de développement et de déploiement des dispositifs de collecte et de contrôle, à présent terminée, et au moins cinq années pour les SHT), sans oublier la question des loyers trimestriels déjà dus ou à devoir comme dans tout partenariat public privé. L’allongement de quelques années du contrat relève aussi des pistes concevables. Il allégerait chaque annuité due par l’État d’une dizaine de millions d’euros.

Face à ce qui serait un résultat désastreux, votre Rapporteur croit qu’il est possible de relancer une éco-redevance utile et même indispensable au développement des infrastructures de transports. Par ailleurs, ce péage pour utilisation recèle une dimension incitative à la modification progressive et raisonnée du comportement des acteurs économiques. À terme, un certain rééquilibrage modal devrait s’établir à destination du rail qui peut notamment améliorer son offre dans le transport combiné mais aussi du fluvial qui, pour certaines matières ou produits et pour des trajets longs, devrait assez rapidement bénéficier du rééquilibrage de prix généré par la majoration forfaitaire. La réalisation du canal Seine Nord Europe constitue, à cet égard, un enjeu décisif pour lequel des ressources doivent être dégagées en complément de l’apport des crédits européens.

En amendant, au travers de propositions concrètes, le dispositif initialement prévu, votre Rapporteur soumet à l’approbation de ses collègues différentes modalités pratiques qui visent à rouvrir un champ d’acceptabilité, certes, en révisant à la baisse les premiers objectifs financiers mais en sauvegardant une logique de rénovation de la fiscalité dans une dimension plus environnementale.

En réalité le dispositif relatif à l’écotaxe poids lourds, tel que conçu, poursuivait des objectifs trop nombreux et, plus encore, mal hiérarchisés au détriment de sa compréhension donc de son acceptabilité. Les présentes propositions ne prétendent pas lever toutes les difficultés mais ont d’abord pour objectif de re-légitimer un prélèvement socialement utile en rendant possible sa mise en œuvre sans contrecarrer toute amélioration ultérieure.

PISTES D’ÉVOLUTIONS DU DISPOSITIF
D’ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS

Proposition n° 1 – Renommer le dispositif en « éco-redevance poids lourds ».

Proposition n° 2 – Instaurer une franchise mensuelle de l’éco-redevance, sans discrimination de secteur ou de nationalité, afin de ne pas pénaliser les petits utilisateurs de courtes distances.

Proposition n° 3 – Renforcer la communication et la pédagogie pour redonner du sens aux objectifs de l’éco-redevance.

Proposition n° 4 – Organiser une marche à blanc nationale et obligatoire.

Proposition n° 5 – Renforcer la prise en compte du principe pollueur-payeur en accentuant la modulation des taux de la redevance .

Proposition n° 6 – Permettre aux transporteurs en compte propre de faire figurer en bas de facture les charges supportées au titre de l’éco-redevance.

Proposition n° 7 – Soutenir le secteur du transport routier de marchandises et créer un fonds de modernisation de la flotte de poids lourds.

Proposition n° 8 – Maintenir le barème national de la redevance au taux moyen de 13 centimes d’euros par kilomètre, et fixer des règles prévisibles et contraignantes d’évolution future.

Proposition n° 9 – Adapter la mise en œuvre du dispositif de majoration forfaitaire aux spécificités de certaines activités économiques.

Proposition n° 10 – Simplifier les procédures d’enregistrement des redevables auprès du prestataire commissionné.

Proposition n° 11 - Prendre en compte le niveau de congestion sur certains axes particulièrement encombrés, établir ou accroître l’éco-redevance sur certains axes pour lesquels le report modal ou autoroutier est facilité.

Proposition n° 12 – Exonérer les poids lourds immatriculés en « w garage », les poids lourds de collectionneurs et les véhicules de formation ou de conduite école.

Proposition n° 13 – Revaloriser le travail des contrôleurs de transports terrestres (C.T.T) sur routes.

PREMIÈRE PARTIE :
LE CADRE JURIDIQUE DE LA « TAXE POIDS LOURDS » : DES CONTRAINTES EUROPÉENNES ET NATIONALES, LÉGISLATIVES ET CONTRACTUELLES

I. LES DIRECTIVES « EUROVIGNETTE » ET L’OBJECTIF DE COUVERTURE DES COÛTS D’INFRASTRUCTURES PAR LES USAGERS DE LA ROUTE

La création de la « taxe poids lourds » en France s’inscrit pleinement dans la politique européenne des transports et de lutte contre le changement climatique, dont un des objectifs est de mieux prendre en compte le coût réel des transports en mettant en œuvre un principe « utilisateur-payeur ».

La législation européenne impose que le montant d’un tel prélèvement soit plafonné au total des coûts d’infrastructure (coûts de construction, d’exploitation, d’entretien et de développement du réseau routier taxable), et qu’il soit calculé selon une méthode transparente. Pour être conforme aux exigences du droit communautaire, la création d’un dispositif de prélèvement de ce type au niveau national doit se faire de manière non discriminatoire (vis-à-vis des usagers étrangers, notamment), et ses modalités ne doivent pas non plus amener des discriminations entre acteurs nationaux et acteurs des autres pays de l’Union européenne.

La directive « Eurovignette » correspond à une démarche concertée de tous les États membres de l’Union européenne en faveur d’une application plus effective et équitable du principe de l’utilisateur-payeur. Dans cette logique, les tarifs proportionnels aux distances parcourues sont plus efficaces que les droits d’usage « temporels ». En effet, le détenteur d’une vignette se trouvera incité à circuler le plus possible sur le réseau routier concerné pendant la durée de sa validité, ce qui ne va pas dans le sens d’une répartition équitable des coûts entre utilisateurs, ni dans le sens d’une application juste du principe « pollueur-payeur » qui a été inclus dans un second temps, en 2011, dans le dispositif législatif européen.

A. UN CADRE EUROPÉEN QUI DIFFÉRENCIE « DROIT D’USAGE » ET « PÉAGE »

Dès 1993, la Communauté économique européenne avait adopté une première directive régissant les taxes sur les poids lourds. Ce texte visait à éliminer les distorsions de concurrence entre les entreprises de transport européennes et à favoriser ainsi la libre circulation des biens. Il posait le principe selon lequel il peut exister des « mécanismes équitables d’imputation des coûts d’infrastructure aux transporteurs ». Annulé pour un vice dans la procédure législative, le texte a été remplacé par la directive dite « Eurovignette », adoptée en 1999 : la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures.

La directive « Eurovignette », a été plusieurs fois révisée. Le texte dans sa version « Eurovignette 1 » était applicable lorsque les travaux préparatoires sur l’écotaxe poids lourds ont commencé en France, et la version « Eurovignette 2 » (directive n° 2006-38 du 17 mai 2006) est entrée en vigueur avant l’adoption des derniers textes législatifs régissant l’écotaxe ; par conséquent, la préparation de ce dispositif s’est inscrite dans le respect des prescriptions de la directive.

Une révision ultérieure (« Eurovignette 3 ») a été adoptée en 2011 (directive n° 2011/76/UE du 27 septembre 2011). La directive « Eurovignette 3 » a introduit dans le dispositif une prise en compte des coûts des externalités négatives (1) , dont ceux liés à la pollution – ce qui ajoute au dispositif une dimension « pollueur-payeur ». « Eurovignette 3 » s’inscrit ainsi plus nettement dans une perspective écologique, que la « taxe poids lourds » française doit par conséquent respecter, sachant que, en pratique, le dispositif français l’a anticipée : son assiette repose notamment sur le critère écologique que constitue la classe d’émissions polluantes des véhicules (classe Euro).

La directive « Eurovignette » s’applique d’une part, aux taxes sur les véhicules - dont la liste figure à l’article 3 (2) - et d’autre part, à deux types de prélèvements pour usage des infrastructures routières :

- le « droit d’usage » (user charge) qui donne à l’utilisateur le droit d’emprunter la route concernée pour une période de temps donnée (une journée, une semaine, un mois…), sans prise en compte de la distance parcourue pendant cette période ;

- et le « péage » (toll), qui dépend de la distance parcourue

L’écotaxe poids lourds française est donc, dans la terminologie européenne, un « péage ». En revanche, les vignettes, dont les tarifs sont fixés par unités de temps, relèvent des dispositions relatives aux « droits d’usage » (c’est par exemple le cas de la vignette récemment introduite pour les poids lourds au Royaume-Uni).

Le péage au sens de la directive est défini comme une somme déterminée, payable pour un véhicule, fondée sur la distance parcourue sur une infrastructure donnée et sur le type du véhicule, qui comprend une redevance d’infrastructure et/ou une redevance pour coûts externes.

La « redevance d’infrastructure » est une redevance perçue aux fins de recouvrer les coûts de construction, d’entretien, d’exploitation et de développement des infrastructures. Quant à la « redevance pour coûts externes », elle est perçue pour recouvrer les coûts supportés en raison de la pollution atmosphérique due au trafic et/ou de la pollution sonore due au trafic.

La directive « Eurovignette » n’oblige pas les États membres à établir des péages ou des droits d’usage, ni à maintenir des prélèvements existants,  mais pose des règles à respecter lorsque les États décident d’introduire, pour faire payer l’usage des routes par les poids lourds, des dispositifs qui entrent dans son champ d’application en fonction des véhicules et des zones géographiques concernés.

Dans une étude commandée par la Commission européenne et publiée en 2012, il apparaissait que, alors que des redevances pour l’usage des infrastructures sont perçues dans la totalité des États membres dans le secteur ferroviaire et dans le secteur aérien, seule une part limitée du réseau routier des États membres donnait lieu à une redevance d’usage pour les poids lourds – et aucune route dans certains États (3).

B. DES RÈGLES EUROPÉENNES CONTRAIGNANTES SUR LE RÉSEAU ET LES REDEVABLES SOUMIS À UN PÉAGE

1. La directive s’applique aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes

Le texte initial de la directive s’appliquait aux véhicules de transport de marchandises dont le poids autorisé en charge était égal ou supérieur à 12 tonnes ; la modification de la directive en 2006 a étendu le champ des véhicules couverts aux véhicules de transport de marchandises dont le poids autorisé en charge est compris entre 3,5 et 12 tonnes.

Les États conservent la possibilité de n’appliquer les péages et/ou droits d’usage qu’aux véhicules de 12 tonnes et plus, mais ne peuvent faire usage de cette possibilité que dans des conditions strictes, définies à l’article 7 § 5.

2. Les routes concernées sont principalement celles appartenant au réseau transeuropéen de transport (RTE)

La directive s’applique aux routes qui font partie du Réseau Transeuropéen de Transport (RTE-T) (4), et aux autoroutes, qu’elles fassent partie ou non du RTE-T. Les autres routes ne sont pas incluses dans le champ de la directive – ce qui ne signifie pas que les États n’ont pas le droit d’en rendre l’usage payant, ou qu’ils ne peuvent pas mettre en place de dispositifs couvrant l’intégralité des routes sur leur territoire.

3. Aucune discrimination en raison notamment de la nationalité du transporteur n’est autorisée

En tout état de cause, tous les péages et droits d’usage nationaux doivent être conformes aux principes généraux du droit communautaire que sont le caractère non-discriminatoire à l’égard du trafic international et l’interdiction des distorsions de concurrence entre opérateurs. L’article 7 § 3 précise que « les péages et droits d’usage sont appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité du transporteur, de l’État [d’établissement] du transporteur ou d’immatriculation du véhicule, ou de l’origine ou de la destination du transport ».

4. Une règle de non-cumul est établie entre péages et droits d’usage

L’article 7 § 2 de la directive interdit aux États d’imposer cumulativement des péages et des droits d’usage pour une catégorie donnée de véhicules et pour l’utilisation d’un même tronçon de route, à l’exception du franchissement de ponts, de tunnels et de cols.

C’est cette disposition de la directive qui conduit à exclure l’introduction d’une vignette sur les autoroutes à péage. En revanche, il est juridiquement possible de cumuler deux « péages » au sens européen sur une même route : il serait donc envisageable d’appliquer sur une même autoroute un péage et une « éco-redevance kilométrique », à condition que le montant total ne dépasse pas le plafond fixé par les prescriptions de la directive Eurovignette.

5. Les taux réduits et les exonérations sont limités à quelques cas précis

Pour les péages comme pour les droits d’usage, les États peuvent prévoir des taux réduits ou des exonérations pour :

- les véhicules exonérés de l’obligation d’être équipés d’un chronotachygraphe : la liste de ces catégories de véhicules figure à l’article 4 du règlement 3820/85 du 20 décembre 1985 ;

- les véhicules visés par l’article 6 § 2 points a) et b) de la directive Eurovignette :

« a) les véhicules de la défense nationale, de la protection civile, des services de lutte contre les incendies et autres services d'urgence, des forces responsables du maintien de l'ordre ainsi que pour les véhicules d'entretien des routes ;

b) les véhicules qui ne circulent qu'occasionnellement sur les voies publiques de l'État membre d'immatriculation et qui sont utilisés par des personnes physiques ou morales dont l'activité principale n'est pas le transport de marchandises (…). »

6. Les recettes produites par ces prélèvements ne sont pas obligatoirement affectées au domaine des transports

La directive recommande que les recettes tirées de ces prélèvements soient utilisées au bénéfice du secteur des transports et pour optimiser l’ensemble du système de transport, mais n’oblige nullement les États à affecter ainsi ces recettes (sauf pour les péages additionnels dans les zones de montagne – voir ci-dessous) – ni à les consacrer spécifiquement aux infrastructures de transport routières.

C. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX PÉAGES

Les dispositions de la directive plafonnent les tarifs des péages aux sommes nécessaires pour couvrir les coûts d’infrastructure, tout en imposant une modulation de ces tarifs en fonction de la classe d’émissions Euro du véhicule.

1. Des règles de calcul précises pour que la tarification corresponde aux coûts des infrastructures

L’annexe III de la directive fixe des règles de calcul des redevances d’infrastructure. Pour que la tarification corresponde le plus étroitement possible au « juste coût » des infrastructures, les coûts à prendre en compte ont été définis de manière de plus en plus large au fil des révisions du texte, notamment en passant de la notion de « coûts de construction » à celle de « coûts liés à la construction », et en incluant la prise en compte des coûts de maintenance. L’annexe III définit des coefficients d’imputation de ces coûts.

2. L’internalisation des coûts externes a été introduite par la directive Eurovignette 3

La révision de la directive en 2011 y a introduit un objectif supplémentaire : internaliser les coûts externes afin d’avoir une tarification reflétant mieux le véritable coût du transport.

Dans sa version initiale, la directive interdisait de fixer les niveaux des péages de manière à incorporer les coûts externes (pollution, bruit) dans le calcul. En 2008, la Commission européenne a présenté aux États membres et au Parlement européen une « Stratégie pour une mise en œuvre de l’internalisation des coûts externes » et un « paquet » de propositions législatives visant à « verdir » les transports, et en particulier à internaliser ces coûts externes pour tous les modes de transport. Au sein de ce « paquet » législatif, la Commission avait inclus une proposition de révision de la directive « Eurovignette ». C’est sur la base de cette proposition qu’a été élaborée et adoptée la version en vigueur de cette directive.

Le but de l’internalisation est de donner un signal-prix afin que les utilisateurs supportent les coûts qu’ils génèrent et aient ainsi une incitation à modifier leur comportement pour les réduire.

Ainsi, l’article 7 octies de la directive révisée dispose que les États membres « font varier » la redevance d’infrastructure (composante du péage) en fonction de la classe d’émissions Euro du véhicule, « de telle manière qu’une redevance d’infrastructure ne soit jamais supérieure de plus de 100 % au montant de la redevance d’infrastructure perçu pour des véhicules équivalents qui respectent les normes d’émission les plus strictes. » (5). Les États membres peuvent néanmoins déroger à cette obligation lorsque leur péage comprend une redevance pour coûts externes.

Le même article 7 octies prévoit que la redevance d’infrastructure « peut également faire l’objet » (faculté et non obligation) de variations afin de réduire la congestion, d’optimiser l’utilisation des infrastructures concernées ou de promouvoir la sécurité routière, dans certaines conditions.

Le dernier paragraphe de l’article 7 octies est contraignant : il interdit que ces variations, aussi bien pour les modulations obligatoires en fonction de la classe Euro que pour les modulations facultatives, aient « pour objet de générer des recettes de péage supplémentaires. »

La révision de la directive a permis d’inclure une disposition (article
7 septies) en faveur du financement de projets d’infrastructures de transport dans les zones montagneuses : la directive autorise désormais un alourdissement des péages sur des sections routières dans ces zones, à condition que la recette additionnelle correspondante soit affectée au financement de la construction des projets prioritaires du RTE-T offrant des itinéraires alternatifs pour ces trajets, y compris lorsque ces projets portent sur d’autres modes de transport.

3. La transposition dans le droit français de l’article 7 octies de la directive Eurovignette 3 : les modulations obligatoires et facultatives des péages

La loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable a opéré la transposition de l’article 7 octies de la directive « Eurovignette 3 » dans les dispositions du code de la voirie routière relatives aux péages s’appliquant aux poids lourds de transport de marchandises (article L. 119-7).

Art. L. 119-7 du code de la voirie routière : « I. - Les modulations des péages sont fixées de sorte qu'elles restent sans effet sur le montant total des recettes de l'exploitant. La structure de la modulation est modifiée dans les deux ans suivant la fin de l'exercice au cours duquel la structure précédente est mise en œuvre.

II. - Les péages sont modulés en fonction de la classe d'émission Euro du véhicule, au sens de l'annexe 0 à la directive 1999/62/ CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures. Les modulations de péages prévues au présent II sont mises en œuvre lors du renouvellement des contrats de délégation de service public conclus antérieurement au 1er janvier 2010. L'amplitude maximale de la modulation est fixée par décret.

III. - Il peut être dérogé à l'exigence de modulation des péages prévue au II lorsque :

1° La cohérence des systèmes de péage est gravement compromise, notamment en raison d'une incompatibilité entre les nouveaux systèmes de péage et ceux mis en place pour l'exécution des contrats de délégation de service public existants ;

2° L'introduction d'une telle modulation n'est pas techniquement possible dans les systèmes de péage concernés ;

3° Une telle modulation a pour effet de détourner les véhicules les plus polluants, entraînant ainsi des conséquences négatives en termes de sécurité routière ou de santé publique.

IV. - Les péages peuvent être modulés, pour tenir compte de l'intensité du trafic, en fonction du moment de la journée, du jour de la semaine ou de la période de l'année. L'amplitude maximale de la modulation est fixée par décret. »

Le décret d’application de cet article (décret n° 2013-1167 du 14 décembre 2013) a précisé que :

-le montant acquitté au titre du péage modulé en fonction de la classe Euro (modulation obligatoire) ne peut être supérieur de plus de 100 % au péage qui serait acquitté, dans les mêmes conditions, par les véhicules équivalents qui respectent les normes d'émission Euro les plus strictes ;

-le montant acquitté au titre du péage modulé en fonction de la congestion (modulation facultative) ne doit pas correspondre à un taux kilométrique supérieur de plus de 75 % au taux kilométrique moyen prévu à l'article 1er du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers, pour chaque classe de véhicules considérée.

-s’agissant de la modulation liée à la congestion, les périodes cumulées pendant lesquelles le péage modulé le plus élevé est perçu ne peuvent pas excéder cinq heures par jour.

Ainsi, il est désormais obligatoire de moduler les tarifs des péages pour les poids lourds en fonction de leur classe d’émission Euro, et il est possible – mais non obligatoire – de les moduler en fonction de la congestion.

La modulation de l’éco-redevance poids lourds en fonction de la classe Euro est dès à présent obligatoire – et il serait possible, même si pour l’instant ce choix n’a pas été fait, d’en moduler également le tarif pour tenir compte de la congestion. En revanche, en ce qui concerne les péages autoroutiers, ces dispositions ne seront applicables qu’après l’expiration des concessions en cours, donc pas avant plusieurs années (le terme des concessions en cours est situé entre 2028 et 2032 selon les autoroutes).

D. DES MODALITÉS D’APPLICATION TRÈS DIVERSES SELON LES ÉTATS MEMBRES

Le 10 janvier 2013, la Commission européenne a publié une évaluation ex-post de la directive « Eurovignette » sur les prélèvements en vigueur en 2012 dans les États membres, sur la base des mesures de transposition communiquées par ceux-ci (6). Elle relève une très grande diversité d’approches nationales en la matière, qu’il s’agisse des taxes sur les véhicules, des péages ou des droits d’usage.

(Voir carte page suivante et fiches sur différents pays en Annexe au présent rapport)

carte europe prélevement TRM

L’étude comporte également des informations sur la longueur des réseaux routiers soumis à prélèvements liés à leur usage :

ROUTES SOUMISES À PÉAGES POUR LES POIDS LOURDS (2012)

(en kilomètres)

État membre

Longueur du réseau concerné

Autriche

2 178

République tchèque

1 376

France

8 614

Allemagne

13 800

Grèce

916

Irlande

304

Italie

5 773

Pologne

2 368

Portugal

1 700

Slovaquie

1 957

Slovénie

545

Espagne

3 362

TOTAL

42 893

ROUTES POUR L’USAGE DESQUELLES EST IMPOSÉ UN « DROIT D’USAGE » OU VIGNETTE POUR LES POIDS LOURDS (2012)

(en kilomètres)

État membre

Longueur du réseau concerné (km)

Belgique

3 996

Bulgarie

N/A

Danemark

1 100

Hongrie

1 610

Lituanie

1 742

Luxembourg

93

Pays-Bas

2 631

Roumanie

16 500

Suède

4 000

L’étude rappelle que la directive établit un cadre pour les États membres qui souhaitent tarifer l’usage des routes pour envoyer un signal-prix tout en faisant en sorte que les dispositifs ainsi établis n’aient d’effet discriminant ni pour les usagers occasionnels (par rapport aux abonnés), ni en fonction de la nationalité des transporteurs. Elle indique que l’impact de ces dispositifs de péage ou de droit d’usage sur le prix final des produits est, en principe, faible, voire marginal, mais que cet impact dépend de plusieurs facteurs : la capacité d’absorption de la hausse du coût par les transporteurs eux-mêmes, leur capacité de répercuter cette hausse sur leurs clients dans un contexte extrêmement compétitif, les caractéristiques des biens transportés.

La Commission européenne remarque que l’utilisation des recettes correspondantes est également très différente selon les pays. En Autriche, en Bulgarie, en République tchèque, en Roumanie et en Lituanie, les recettes issues des vignettes ou des péages sont directement consacrées à l’entretien et au développement du réseau routier. En Allemagne et en Pologne, ce sont aussi des ressources affectées, mais aux transports en général (route, rail…). Enfin, dans les autres pays étudiés (Hongrie, Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Suède), les textes législatifs et réglementaires qui régissent les péages ou droits d’usage ne prévoient aucune affectation précise des recettes.

La Commission regrette la situation actuelle qu’elle qualifie de patchwork de systèmes nationaux, source de coûts administratifs élevés pour les entreprises, et de signaux-prix peu clairs, qui incitent les transporteurs à faire des détours pour éviter les zones dans lesquelles les prélèvements sont relativement plus élevés. La coexistence de systèmes nationaux aussi différents ne permet pas de donner de signal-prix cohérent susceptible d’inciter à des évolutions de comportements, et les résultats concrets pour les transporteurs confinent à l’absurde : un conducteur de poids lourds traversant l’Union européenne de part en part est obligé d’avoir 11 appareils embarqués et 5 vignettes sur son tableau de bord !

À cette situation kafkaïenne vise à répondre un second dispositif européen, certes ambitieux mais encore loin d’être effectif : le Service européen de télépéage (SET) prévu par la directive dite « Interopérabilité ».

II. L’OBJECTIF « UN VÉHICULE, UN CONTRAT, UN ÉQUIPEMENT EMBARQUÉ » : LA DIRECTIVE « INTEROPÉRABILITÉ »

A. L’INTEROPÉRABILITÉ DES SYSTÈMES DE PÉAGE AFIN DE PERMETTRE UN SERVICE EUROPÉEN DE TÉLÉPÉAGE (S.E.T)

En 2004 – avant la première révision de la directive « Eurovignette » – les États membres de l’Union européenne et le Parlement européen ont adopté une directive sur l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier (directive 2004/52/CE du 29 avril 2004). Partant du constat de la juxtaposition des systèmes de télépéage routier existants dans plusieurs États membres au niveau national et parfois local, mis en place sans coordination, cette directive définit les conditions de création d’un Service européen de télépéage (SET).

L’introduction de systèmes de péage électroniques a déjà constitué un progrès important pour améliorer la sécurité routière, diminuer la congestion aux gares de péages, et réduire les effets néfastes pour l’environnement que provoquaient l’attente et le redémarrage des véhicules dans ces gares.

Mais la diversité des technologies utilisées pour le télépéage et des spécifications imposées par les différents États pour leurs systèmes de péage entraînent la multiplication des équipements électroniques, incompatibles et onéreux, devant être installés à bord des poids lourds effectuant des trajets transnationaux pour la collecte et le traitement des données de circulation. Les usagers se trouvent ainsi obligés d’équiper leurs véhicules d’unités embarquées nombreuses, avec les risques d’erreurs correspondants et une charge administrative importante du fait de l’obligation de s’abonner auprès de plusieurs opérateurs pour pouvoir effectuer des trajets transnationaux. Les transporteurs ont ainsi affaire à des opérateurs procédant chacun leur propre procédure de facturation et de perception des péages, ce qui a une incidence négative sur la fluidité du trafic.

Le SET devra assurer, selon les termes de la directive, « l’interopérabilité sur les plans technique, contractuel et procédural, en comportant : a) un seul contrat entre les clients et les opérateurs proposant le service, (…) qui donnera accès à l’ensemble du réseau ; b) une série de normes et d’exigences techniques sur la base desquelles les industriels pourront fournir les équipements nécessaires ».

B. LES CONSÉQUENCES DE LA DIRECTIVE « INTEROPÉRABILITÉ » SUR LES DISPOSITIFS D’ÉCO-REDEVANCES

La directive s’applique « à la perception électronique de tous les types de redevances routières, sur l’ensemble du réseau routier communautaire, urbain et interurbain, autoroutes, grands ou petits axes routiers et ouvrages divers (…) ». Le double objectif du SET - généralisation du déploiement des systèmes de télépéage dans les États membres et interopérabilité technique et commerciale de ces systèmes - est directement lié au développement préconisé d’une politique de tarification routière à l’échelle de l’Union, dans le respect du principe général de non-discrimination : la directive « interopérabilité » vient enrichir le cadre législatif instauré par la directive « Eurovignette » - et y ajoute des exigences supplémentaires.

L’article 2 de la directive « Interopérabilité » a prévu que, à compter du 1er janvier 2007, tout nouveau système de télépéage mis en service devait utiliser une ou plusieurs des technologies suivantes : localisation par satellite, communications mobiles selon la norme GSM – GPRS, micro-ondes de 5,8 GHz. L’équipement embarqué (7) peut comporter également d’autres technologies, à condition que cela n’engendre pas de coût supplémentaire pour les usagers ni de discrimination entre eux. Cet équipement peut – mais ce n’est pas une obligation – être relié au tachygraphe électronique du véhicule.

La directive ayant chargé la Commission européenne de préciser les caractéristiques et exigences du SET, la décision du 6 octobre 2009 « relative à la définition du service européen de télépéage et à ses aspects techniques » établit les spécifications techniques et les règles gouvernant les relations entre les différents acteurs : les États membres, les percepteurs de péages, les prestataires de service, les usagers.

Dans le futur système :

– les prestataires du SET concluront des contrats d’abonnement avec les utilisateurs pour leur donner accès au SET dans toute l’Union ;

– les percepteurs, pour le compte de chaque État ou dans le cadre d’un contrat de concession passé avec cet État, géreront l’infrastructure et prélèveront les péages dus pour la circulation des véhicules dans un secteur du SET,
c’est-à-dire sur une partie du réseau routier ou un ouvrage ;

– les utilisateurs n’auront pas de relations directes avec les percepteurs de péages ;

– « les prestataires du SET collabore[ront]avec les percepteurs de péage dans leurs efforts de contrôle-sanction » (article 4 de la décision de 2009) ;

– les États membres resteront maîtres des politiques en matière de tarification, dans le respect de principes de transparence, de non-discrimination et de tarification équitable, mais devront garantir le respect des règles européennes en matière de traitement des données à caractère personnel.

Les utilisateurs pourront s’abonner par un contrat unique auprès du prestataire de leur choix. Celui-ci, en règle générale, fournira l’équipement embarqué, ou acceptera un équipement embarqué existant s’il répond aux exigences techniques. Le prestataire facturera directement à chaque utilisateur tous les péages encourus par ses véhicules en circulant dans toute l’Union européenne. Le prestataire pourra proposer en même temps d’autres services à ses clients grâce au même équipement embarqué (informations routières, appels d’urgence avec localisation, surveillance du trafic, orientation et guidage, etc.) ; cette possibilité de rendre l’unité embarquée « multi-services » est particulièrement intéressante pour les transporteurs, car elle permet d’amortir plus facilement le coût de l’équipement embarqué.

Le SET sera un service continu : aucune intervention du conducteur d’un véhicule ne sera nécessaire tant que les paramètres de classification du véhicule ne changent pas.

La présence d’un unique équipement embarqué permettra d’éviter que les conducteurs ne soient distraits par les multiples équipements actuellement présents sur leur tableau de bord et leur pare-brise, dont chacun peut parfois exiger une action spécifique de leur part. Ils ne seront plus non plus tenus de connaître les spécificités de chaque système de télépéage qu’ils vont rencontrer sur leurs trajets.

Les prestataires, intermédiaires entre les utilisateurs et les percepteurs pour le paiement des péages, doivent s’enregistrer dans l’État membre dans lequel ils sont établis, moyennant le respect d’un certain nombre de critères techniques, financiers et de qualité de gestion. Ils sont alors habilités à demander à tout percepteur de péage l’accès aux secteurs routiers sous la responsabilité de celui-ci. C’est cette organisation qui s’est traduite, dans la préparation du dispositif de l’écotaxe poids lourds en France, par l’inclusion dans le partenariat de six « sociétés habilitées de télépéage » (SHT) en plus du consortium Ecomouv’, le prestataire commissionné de l’État.

Lors de leur audition par la mission d’information, les représentants d’Ecomouv’ ont indiqué que le respect de la directive « Interopérabilité » a constitué « une source majeure de complexité » pour l’élaboration du système, car cette directive prévoit « entre autres, la possibilité de faire appel aux prestataires de services que sont les SHT, ce qui implique la coordination de différents systèmes informatiques. Certaines SHT ont choisi, pour leur équipement, de faire appel à Siemens, d’autres à Kapsch. Intégrer, dans le cadre de la facturation, les informations provenant de ces technologies différentes n’est pas une tâche aisée. ».

C. LA FRANCE, « LABORATOIRE DE L’INTEROPÉRABILITÉ » AU NIVEAU EUROPÉEN ?

1. Le Service européen de télépéage (SET) constitue un modèle encore hors d’atteinte

Au 30 août 2012, les routes soumises à péage (pour les automobiles et/ou les poids lourds) dans l’UE représentaient une longueur totale de 72 000 kilomètres, dont 60 % équipés de systèmes de télépéage et 40 % couverts par des systèmes de vignette. Mais malgré l’expiration de la période de transposition de la directive, l’état d’avancement du projet de SET est, selon la Commission européenne, « décevant » (8). On peut même considérer que ce projet est, pour l’instant, au point mort. La plupart des États membres qui ont mis en place des systèmes de télépéage nationaux ou locaux depuis 2004 l’ont fait sans se conformer aux exigences de la directive sur le SET – et par définition les systèmes de télépéage mis en place avant l’adoption de la directive ne se conforment pas à celle-ci.

Selon la Commission européenne et les organisations professionnelles de transporteurs, l’absence de mise en œuvre du SET dans les délais prévus ne tient pas à des motifs techniques : il n’est pas plus compliqué, techniquement, de mettre en œuvre l’interopérabilité des télépéages que l’itinérance européenne des téléphones mobiles ou l’interopérabilité mondiale des cartes de crédit.

L’évolution des systèmes vers l’interopérabilité peut bien sûr générer des surcoûts d’investissement significatifs à court terme pour les acteurs concernés. Mais la démarche est fondée sur la conviction que la collecte des péages sous la forme du SET est une solution à terme plus économique que le recours à des dispositifs manuels ou déclaratifs. L’interopérabilité constitue un enjeu économique et industriel à l’échelle européenne pour tous les acteurs du transport routier de marchandises (transporteurs, constructeurs, sociétés de télépéage…).

L’enjeu est également significatif en termes d’acceptabilité : le paiement des redevances routières par les utilisateurs transfrontaliers sera facilité (plus de 25 % du transport routier de marchandises dans l’Union européenne est transfrontalier), y compris pour les utilisateurs occasionnels, et les utilisateurs accepteront plus facilement de payer pour l’utilisation des routes si les équipements et les moyens de paiement sont interopérables au niveau européen.

Les organisations professionnelles de transporteurs, au niveau national et européen, appellent à la réalisation du SET. Le représentant de l’Union internationale des transporteurs routiers (IRU) entendu par votre Rapporteur à Bruxelles, a souligné l’importance cruciale de ce projet. Une dizaine d’entreprises ont constitué l’Association des services de télépéage interopérables (AETIS) pour préparer leur enregistrement comme prestataires du SET : les débouchés commerciaux potentiels sont, pour ces opérateurs, considérables.

Pour expérimenter une interopérabilité technique et contractuelle, certains percepteurs de droits de péage ont créé des entreprises communes proposant à leurs clients des unités embarquées pouvant être utilisées sur l’ensemble des réseaux sous leur responsabilité ; c’est notamment le cas de « TOLL2GO », opérationnel entre l’Autriche et l’Allemagne – expérimentation qui cependant ne donne pas entièrement satisfaction aux utilisateurs, selon le représentant de l’IRU rencontré par votre Rapporteur : le boîtier allemand est utilisable en Autriche, mais le boîtier autrichien n’est pas utilisable en Allemagne ; et un transporteur ne peut pas conclure un unique contrat avec les deux percepteurs allemand et autrichien.

De lourds obstacles subsistent – pour partie dus à l’absence de coopération transnationale. Les efforts des États membres se sont limités à une interopérabilité nationale séparée, désormais effective dans la plupart d’entre eux. Les mesures nationales de transposition de la directive ne sont pas encore complètes, notamment pour que les prestataires potentiels du SET puissent s’enregistrer et saisir un organe de conciliation en cas d’obstruction de la part des percepteurs de péages.

2. La mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds française suscite une très forte attente au niveau européen

Une réflexion est en cours pour faire progresser le projet à une échelle régionale, entre un petit nombre d’États membres, dont font partie la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie – ainsi que la Suisse qui n’appartient pas à l’Union européenne. Dans ce contexte, selon les informations recueillies par votre Rapporteur à Bruxelles, l’attente vis-à-vis du dispositif français de « taxe poids lourds » est forte au niveau européen. Avec l’écotaxe poids lourds, la France sera le « laboratoire de l’interopérabilité ».

Le système français répond aux standards techniques AFNOR, estampillés standards européens par le Comité européen de normalisation (CEN), ce qui permet de présumer un niveau élevé de sécurité et d’interopérabilité.

La question des exigences imposées par la directive « Interopérabilité », qui constituent autant de contraintes pour la construction d’un dispositif de redevance sur la circulation des poids lourds en France, a été évoquée par plusieurs des personnes auditionnées par la mission d’information.

« Source majeure de complexité » selon un représentant d’Ecomouv’, « un des enjeux du projet » qui justifie le caractère très prescriptif du cahier des charges selon le Directeur général des infrastructures (DGTIM), obligation aggravant la complexité du dispositif et contribuant donc à justifier le recours à un partenaire privé pour son élaboration technique selon la Directrice générale des douanes, la conformité du dispositif de l’écotaxe aux exigences d’interopérabilité est une contrainte qui s’est imposée dès l’origine – tandis que les systèmes institués avant 2007 pouvaient s’y soustraire (en particulier les systèmes allemand, autrichien, suisse).

Jusqu’à présent, c’est l’Allemagne qui est considérée en Europe comme un « modèle », dans la mesure où le dispositif de la LKW Maut(9) permet de couvrir un réseau routier très étendu (environ 12 000 km), malgré le caractère « fermé » de ce système et son coût de gestion élevé ; mais lorsque le dispositif français entrera en vigueur, même si l’on ne tient pas compte des quelque 8 000 km d’autoroutes déjà soumises à péage, le réseau français soumis à redevance d’usage sera le plus long de l’Union européenne, et compte tenu de son caractère techniquement interopérable, c’est ce système qui deviendra, sous l’impulsion de la Commission européenne, un modèle à suivre – une proposition de révision de la directive « Eurovignette » allant dans ce sens pourrait être déposée.

Lors de leur audition par la mission d’information, les représentants d’Ecomouv’ ont indiqué que « à condition d’utiliser les équipements embarqués fournis par Ecomouv’, le dispositif français est d’ores et déjà compatible avec ses homologues espagnol, italien et autrichien. »

III. LE CADRE LÉGISLATIF NATIONAL

A. LES CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES D’UNE « ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS » ONT ÉTÉ FIXÉES PAR LA LOI « GRENELLE 1 »

Parmi les 268 engagements formulés en octobre 2007 à l’issue du processus du « Grenelle de l’environnement », en tête de la liste des mécanismes incitatifs à créer dans le secteur des transports, figure l’engagement suivant :

« Engagement n° 45 : Création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé. Objectif : mise en place effective en 2010. Modes de compensation via divers mécanismes et reprise en pied de facture. Affectation de cette ressource aux infrastructures ferroviaires (AFITF). Demande de révision de la directive Eurovignette en vue d’une meilleure intégration des coûts environnementaux. Le montant de la taxe, qui doit pouvoir être répercuté, serait fonction des émissions spécifiques du véhicule, de la charge utile maximale et du nombre de kilomètres parcourus. »

Auparavant, à l’initiative de parlementaires alsaciens qui avaient constaté depuis 2005 un important report de trafic sur l’axe Saint Louis - Wissembourg, à la suite de la mise en place de la LKW Maut (la taxe poids lourds allemande) et plaidé en faveur d’un dispositif expérimental en Alsace, la loi de finances pour 2007 a prévu la création d’une « taxe poids lourds alsacienne » (TPLA).

La loi de finances pour 2009 a ensuite prévu un déploiement de la taxe en deux temps, avec d’abord une phase expérimentale en Alsace (TPLA) avant extension sur l’ensemble du territoire (« taxe poids lourds nationale » ou TPLN). Les articles correspondants figurent dans le code des douanes aux articles 269 et suivants. Toutefois, l’expérimentation alsacienne n’aura jamais lieu.

L’engagement n° 45 du « Grenelle » a pris valeur juridique contraignante par sa reformulation dans la loi du 3 août 2009 dite « loi Grenelle 1 ».

Article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation
relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement :

« (…) Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d’usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic. Cette écotaxe aura pour objet de financer les projets d’infrastructures de transport. À cet effet, le produit de cette taxation sera affecté chaque année à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France pour la part du réseau routier national.

L’État rétrocédera aux collectivités territoriales le produit de la taxe correspondant aux sommes perçues pour l’usage du réseau routier dont elles sont propriétaires, déduction faite des coûts exposés y afférents. Cette redevance pourra être modulée à la hausse sur certains tronçons dans un souci de report de trafic équilibré sur des axes non congestionnés.

« Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. Par ailleurs, l’État étudiera des mesures à destination des transporteurs permettant d’accompagner la mise en œuvre de la taxe et de prendre en compte son impact sur les entreprises. Par exception, des aménagements de la taxe, qu’ils soient tarifaires ou portant sur la définition du réseau taxable, seront prévus aux fins d’éviter un impact économique excessif sur les différentes régions au regard de leur éloignement des territoires de l’espace européen. (…) ».

Votre Rapporteur note, dans l’engagement n° 45 comme dans la loi du
3 août 2009, que l’objectif expressément attribué à l’éco-redevance/écotaxe est le financement des infrastructures de transport, via l’affectation de cette ressource à l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF). L’argument de l’éventuel effet positif en termes de report de trafics vers des modes de transport non routiers (report modal) n’est pas présent à ce stade, bien que le Grenelle de l’environnement ait fixé des objectifs très ambitieux d’évolution de la part modale du fret non routier.

Des aménagements ont été apportés par la loi de finances rectificative pour 2010. Ces aménagements tendaient à sécuriser la collecte de la taxe et à préciser les responsabilités du titulaire du partenariat public-privé.

Le dispositif de répercussion de la charge sur les prix des prestations de transport, « pièce manquante » du dispositif législatif, prévue dans l’article 11 de la loi « Grenelle 1 », a été introduit dans un premier temps par un décret du 4 mai 2012, très largement contesté, et en conséquence abrogé et remplacé par un mécanisme de répercussion par majoration forfaitaire obligatoire introduit par la loi du n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport (voir la description du mécanisme dans la Deuxième partie du présent rapport).

Liste des principaux décrets d’application des dispositions législatives relatives à la taxe poids lourds

Décret n° 2009-1588 du 18 décembre 2009 fixant la liste des itinéraires du réseau national non soumis à la taxe (ces tronçons sont exclus du réseau taxable en raison du faible niveau de trafic sur ces axes)

Décret n° 2009-1589 du 18 décembre 2009 définissant le réseau taxable pour l’expérimentation en Alsace

Décret n° 2011-234 du 2 mars 2011 relatif aux catégories de véhicules soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises

Décret n° 2011-233 du 2 mars 2011 minorant les taux kilométriques dans les trois régions françaises comprenant au moins un département considéré comme « périphérique » au sein de l’espace européen (Aquitaine, Bretagne et Midi-Pyrénées)

Décret n° 2011-845 du 15 juillet 2011 relatif à l'homologation des chaînes de collecte et de contrôle de la taxe alsacienne et de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises (pour la certification des équipements techniques et l’homologation des chaînes de contrôle automatisées et manuelles)

Décret n° 2011-910 du 27 juillet 2011 relatif à la consistance du réseau routier local soumis à la taxe (qui a fixé la liste exacte des itinéraires locaux taxables à l’issue d’une concertation avec les collectivités territoriales)

Décret n° 2013-559 du 26 juin 2013 relatif aux droits et obligations des redevables de la taxe sur les véhicules de transport de marchandises

B. TAXE OU REDEVANCE ?

Votre Rapporteur relève le glissement sémantique entre l’engagement du Grenelle qui emploie le terme d’« éco-redevance » tandis que tous les textes législatifs utilisent le terme « taxe ».

Lors de son audition par la mission d’information, la Directrice générale des douanes a reconnu qu’il y avait eu au départ des interrogations sur la nature de la perception : « était-ce une taxe ou une redevance au sens du droit français, sachant qu’au sens du communautaire et de la directive Eurovignette il s’agit d’un péage ? La direction de la législation fiscale et la direction des affaires juridiques ont rapidement conclu qu’il ne pouvait s’agir que d’une taxe. En effet, seuls les véhicules de transport de marchandises sont assujettis, et le produit de la perception n’est pas affecté exclusivement à l’entretien des routes. (…) Le fait que ce soit une taxe implique que l’État est compétent pour sa perception, son versement aux attributaires, son contrôle et la mise en œuvre des éventuelles sanctions et recouvrements forcés. »

Votre Rapporteur considère cependant que c’est plus la nature de l’administration de la DGDDI, administration fiscale, que la nature du prélèvement qui a dicté le choix fait, et que le terme « redevance » serait préférable pour des raisons d’acceptabilité.

La qualification de « taxe » à des conséquences juridiques fortes, qui se sont traduites par l’obligation, pour les acteurs du dispositif, de garantir un taux de fraude quasi-nul. Votre Rapporteur estime regrettable que le qualificatif de « taxe » ait ainsi abouti à un cahier des charges d’un niveau d’exigence et de sophistication tel que le partenaire privé de l’État, le consortium Ecomouv’, s’est contraint lui-même à une prudence extrême dans les modalités d’enregistrement des véhicules assujettis – modalités qui constituent l’un des plus graves motifs d’insatisfaction et de revendication que les personnes auditionnées par la mission d’information et rencontrées par votre Rapporteur ont formulés.

IV. LA DIMENSION CONTRACTUELLE DU CADRE JURIDIQUE NATIONAL : LE CONTRAT CONCLU PAR L’ÉTAT AVEC LE CONSORTIUM ECOMOUV’

A. LE CONSORTIUM ECOMOUV’ ET LE CHOIX D’UN CONTRAT DE PARTENARIAT

La procédure d’appel d’offres conduisant au choix d’un prestataire a été longue et complexe : il fallait concevoir un système totalement inédit, le premier à être créé en conformité avec la directive européenne sur l’interopérabilité, et devant présenter un degré de fiabilité et de robustesse bien supérieur à celui d’un système de péage classique.

En janvier 2011 a été sélectionné le titulaire du contrat de partenariat, d’une valeur de plus de 2 milliards d’euros sur 13 ans. Il s’agit du consortium Ecomouv’, conduit par le groupe italien Autostrade per l’Italia (actionnaire à 70 %) et auquel participent également les groupes français Thales (11 %), SNCF (10 %), SFR (6 %) et Steria (3 %).

La délégation à un consortium privé de l’établissement de l’assiette, de la perception et donc de la liquidation de la taxe constitue un processus innovant. Le consortium prestataire est chargé de mettre en place un dispositif de contrôle automatique constitué de dispositifs fixes et mobiles, qui permettront de constater les manquements. En revanche, la rédaction des textes d’application, la réalisation des contrôles sur route et en entreprise, la gestion du processus d’amende et de recouvrement forcé demeurent de la compétence de la Direction générale des douanes et droits indirects.

La procédure d’appel d’offres pour la sélection du prestataire a donné lieu à un contentieux, ce qui a occasionné un retard de plusieurs mois (jusqu’à la décision du Conseil d’État du 24 juin 2011). Le contrat a finalement été signé entre l’État et Ecomouv’ le 20 octobre 2011.

Le contrat de partenariat conclu par l’État avec la société Ecomouv est un contrat global qui comprend le financement, la conception, la construction, l’entretien, la maintenance, et l’exploitation du dispositif. Les risques de performance, liés à la qualité des équipements réalisés et à celle des prestations de service fournies pendant l’exécution du contrat, pèsent sur le partenaire Ecomouv’ ; à la différence des concessions autoroutières, la rémunération du cocontractant privé n’est pas calculée en proportion des recettes perçues, mais sur les coûts d’exploitation et la performance. Le montant de la rémunération due tient compte, au prorata de leurs poids respectifs, des coûts d’investissement, des coûts de fonctionnement et des coûts de financement supportés par Ecomouv.

Le coût net du loyer annuel qui doit être versé à Ecomouv’ si le système fonctionne est de 230 millions d’euros hors taxes, soit 20 % de la recette attendue (dont environ 75 millions d’euros au titre du coût de collecte, soit 7 % de la recette attendue). Ce taux de 20 % sera amené à baisser si les recettes de l’écotaxe se révèlent supérieures aux prévisions, puisqu’Ecomouv’ ne perçoit pas d’intéressement proportionnel aux recettes. C’est ce qui s’est produit en Allemagne : la part de la recette prélevée pour rémunérer le prestataire Toll Collect est passée de 25 % la première année de fonctionnement à 15 % aujourd’hui.

La commission que versera l’État au consortium à titre de rémunération couvre les investissements, particulièrement lourds (voisins de 600 millions d’euros au total), que doit effectuer Ecomouv’ pour installer et faire fonctionner le système, mais également des frais financiers, de maintenance des portiques et des bornes, de commandes et de remplacement des boîtiers, des systèmes informatiques etc. Le montant de cette commission est estimé à 280 millions d’euros par an (sur un produit total attendu de 1,2 milliard d’euros en année pleine), mais Ecomouv’ en reversera 50 millions d’euros à l’État au titre de la TVA et 50 autres millions environ aux SHT pour les rémunérer. Ainsi, la rémunération d’Ecomouv’ s’élèvera finalement à 180 millions d’euros.

Le consortium a obtenu les fonds nécessaires au projet grâce aux fonds propres apportés par ses actionnaires mais majoritairement en empruntant auprès d’un « pool » bancaire rassemblant quatre établissements allemands conduits par la Deutsche Bank, trois banques italiennes et le Crédit agricole. Au 30 novembre 2013, le consortium avait engagé plus de 500 millions d’euros d’investissements.

Le contrat prévoit une période d’exploitation de onze ans et demi. Au terme (normal ou anticipé) du contrat, Ecomouv’ devra remettre le dispositif à l’État, dans un état permettant de maintenir l’ensemble des fonctionnalités du dispositif.

B. L’ARCHITECTURE CONTRACTUELLE : L’ÉTAT, LE PRESTATAIRE COMMISSIONNÉ ET LES SOCIÉTÉS HABILITÉES DE TÉLÉPÉAGE (SHT)

L’organisation retenue pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds est la suivante :

1 – L’État et le prestataire sont liés :

a) Par un contrat de partenariat définissant les modalités de financement, de conception, de réalisation, d’entretien, de maintenance et d’exploitation du dispositif de perception et de contrôle ainsi que les modalités de perception et de contrôle automatique de la taxe ;

b) Et par un mandat de commissionnement délivré par l’administration des douanes et des droits indirects au prestataire, qui l’autorise à percevoir la taxe au nom de l’État. Ecomouv’ remplit dans ce cadre des missions relevant de la Direction générale des douanes, pour le compte de celle-ci et sous sa responsabilité.

2 – Le prestataire commissionné (ou partenaire de l’État) et les sociétés habilitées de télépéage (SHT) sont liés par contrat, le prestataire gardant la responsabilité totale vis-à-vis de l’État des missions confiées à ces sociétés dans le cadre de ce contrat. L’État n’a pas de lien contractuel avec les SHT. Les SHT ne se trouvent pas en situation de sous-traitance vis-à-vis du prestataire, mais sont des prestataires de services dans le cadre de l’application de la directive « Interopérabilité » de 2004.

C. LE NON-RESPECT DES ENGAGEMENTS CONTRAIGNANTS QUI LIENT L’ÉTAT N’EST PAS ENVISAGEABLE

Les ministres, anciens ministres et représentants des services de l’État auditionnés par la mission d’information ont été unanimes : l’État n’était pas en mesure d’élaborer et de gérer lui-même le dispositif technique de l’écotaxe. Ils ont souligné que les autres États de l’Union européenne qui ont mis en place un prélèvement similaire ont tous eu recours aux compétences de prestataires privés (un consortium entre Deutsche Telekom, Daimler et Cofiroute en Allemagne, un dispositif associant la société publique des autoroutes et la société privée Sky Toll en Slovaquie…), et que ce choix s’imposait a fortiori en France en raison de la complexité très nettement supérieure du dispositif français par rapport aux dispositifs nationaux créés avant lui. Deux caractéristiques expliquent cette particulière complexité par rapport à d’autres dispositifs nationaux : la nature du réseau routier choisi (ouvert et composé de tronçons discontinus) et l’obligation de se conformer à la directive « Interopérabilité ».

Considérant qu’il relève de la commission d’enquête du Sénat (10), dont les conclusions sont attendues pour la fin du mois de mai 2014, d’étudier les conditions dans lesquelles a été conclu le contrat entre l’État et Ecomouv’, votre Rapporteur ne remet pas ce contrat en question et le considère comme un élément établi du cadre juridique, et donc comme une série de contraintes juridiques dont la réflexion de la mission d’information ne saurait s’abstraire.

Cependant, votre Rapporteur souhaite que des modifications puissent être apportées à ce dispositif contractuel par voie d’avenants, et en fera état dans ses propositions. Il relève notamment que le représentant de la Mission de tarification a indiqué, lors d’une audition, que le contrat peut « être prolongé par avenant, à condition que cet avenant n’emporte pas de modification substantielle de son économie. La jurisprudence en matière de marchés publics tolérant traditionnellement une augmentation de 15 à 20 % des coûts, nous avons donc des marges de manœuvre. ». Cela laisse penser qu’un certain nombre d’évolutions peuvent être introduites dans le contrat à condition de les accompagner d’une indemnisation correspondante du prestataire ; une indemnisation se situant dans cette marge tolérable d’augmentation des coûts.

Quand bien même l’allongement de la durée du contrat ne diminuerait qu’à la marge le montant du loyer annuel, il convient d’intégrer cette hypothèse à la réflexion. D’autre part, les propositions de votre Rapporteur pour faire évoluer le dispositif technique sur différents points, exposées en quatrième partie du présent rapport, nécessiteront, pour leur mise en œuvre, que des modifications plus ou moins conséquentes soient apportées au système, sans qu’un avenant soit indispensable pour toutes ces évolutions.

D. LA SUSPENSION SINE DIE DE L’ÉCOTAXE CONSTITUE UN RISQUE JURIDIQUE ET FINANCIER MAJEUR

En vertu du contrat signé en 2011, Ecomouv’ n’a reçu aucune rémunération pendant les premières années d’exécution du contrat, et n’a à ce jour perçu aucun loyer de son cocontractant, l’État. Le paiement des loyers, trimestriel, est conditionné à la mise à disposition du dispositif, qui correspond à la réception de celui-ci par l’État – étape qui n’a toujours pas été franchie à ce jour. Jusqu’à ce que la mise à disposition ait lieu, l’État ne garantit pas les emprunts contractés par Ecomouv.

Les étapes préalables à la mise à disposition que constituent la prononciation par l’État de la VABF (validation d’aptitude au bon fonctionnement), la prononciation par Ecomouv de la VSR (vérification de service régulier), et l’homologation des chaînes de collecte et de contrôle, ont été franchies avec retard – les retards et reports successifs ne plaçant toutefois pas les parties en-dehors du cadre contractuel, les responsabilités respectives de l’État et d’Ecomouv pouvant donner lieu à la mise en œuvre des clauses prévoyant des pénalités. On peut notamment indiquer que refuser un dispositif ne présentant plus de défaut majeur mettrait l’État en faute vis-à-vis d’Ecomouv.

En revanche, la décision annoncée par le Premier ministre de suspendre la mise en œuvre de l’écotaxe est un cas de figure qui n’était pas prévu dans le dispositif contractuel. La « mise entre parenthèses » de celui-ci a créé une situation d’incertitude juridique majeure pour tous les acteurs, unanimement dénoncée. Tant la direction d’Ecomouv que les représentants des SHT ont souligné la gravité de leur situation du fait de la suspension, gravité encore accentuée par l’incertitude sur la durée de la suspension. Ecomouv’ et les SHT ont recruté des personnels et réalisé d’importants investissements préalables à l’entrée en vigueur de l’éco-redevance, et le risque de faillite ne peut être écarté. Pour reprendre la formule employée par M. Giovanni Castellucci devant la mission d’information, « le pronostic vital du projet est aujourd’hui engagé, car les créanciers n’ont pas de visibilité. »

Selon les informations fournies à votre Rapporteur par les services du ministère des transports, une résiliation du contrat décidée à l’été 2012 aurait coûté à l’État entre 400 et 500 millions d’euros d’indemnités à verser à Ecomouv’, correspondant aux investissements réalisés par celui-ci à ce stade. Compte tenu des investissements réalisés depuis, notamment le déploiement des portiques de contrôle, et des frais de fonctionnement engagés (notamment pour l’enregistrement des véhicules), les indemnités de résiliation s’élèveraient aujourd’hui à plus de 800 millions d’euros.

Les discussions en cours sont d’autant plus complexes qu’elles doivent aboutir à un accord entre de nombreuses parties prenantes : non seulement entre les intervenants représentant l’État (ministères des Transports et des Finances, Caisse des dépôts) et Ecomouv’, mais également en impliquant les banques créancières d’Ecomouv’ et sans oublier les six SHT.

DEUXIÈME PARTIE :
UN DISPOSITIF TECHNIQUE AMBITIEUX ET UN DISPOSITIF JURIDIQUE DE RÉPERCUSSION UNIQUE EN EUROPE

I. LE DISPOSITIF TECHNIQUE DE RECOUVREMENT : UN DÉFI TECHNOLOGIQUE DE GRANDE ENVERGURE

Le dispositif technique mis en œuvre par le prestataire commissionné répond intégralement aux prescriptions de l’État. Il constitue un véritable défi technologique par l’étendue du réseau soumis à l’éco-redevance poids lourds, le nombre significatif de poids lourds assujettis, la modulation des taux en fonction des caractéristiques des poids lourds, le haut degré de fiabilité exigé pour le dispositif automatisé de collecte, et enfin, par l’efficacité des contrôles effectués, le tout sans qu’aucune barrière physique ne soit nécessaire.

A. UN RÉSEAU TAXABLE DE 15 500 KILOMÈTRES DE ROUTES NATIONALES ET LOCALES

L’éco-redevance poids lourds s’applique à un réseau de 15 534 kilomètres, dont 10 203 kilomètres de routes nationales et 5 331 kilomètres de routes locales (11).

Sur le plan national, le réseau soumis à l’éco-redevance poids lourds concerne les autoroutes et les routes situées sur le territoire métropolitain et appartenant au domaine public routier national, à l’exception :

– des sections d’autoroutes et routes soumises à péages, ce qui inclut le réseau autoroutier concédé ;

– des itinéraires n’appartenant pas au réseau transeuropéen (RTE) et sur lesquels le niveau de trafic des véhicules assujettis, antérieur à l’entrée en vigueur de la redevance, est inférieur à 800 poids lourds par jour. Le décret
n° 2009-1588 du 18 décembre 2009 fixe la liste des itinéraires concernés et identifie 1 472 kilomètres de routes nationales exonérées, soit 12,5 % du réseau national.

Sur le plan local, le réseau soumis à l’éco-redevance poids lourds concerne les routes appartenant aux collectivités territoriales, lorsque ces routes supportent ou sont susceptibles de supporter un report significatif de trafic en provenance des autoroutes à péages, des routes soumises à l’éco-redevance ou des autoroutes ou routes situées hors du territoire métropolitain et soumises à péages, redevances ou taxation. Une concertation a été menée auprès des collectivités territoriales en vue de déterminer les 5 331 kilomètres de routes soumises à
l’éco-redevance.

En l’état actuel du dispositif, la majeure partie du réseau national non concédé est soumise à l’éco-redevance (10 203 km sur un total de 11 675 km), tandis que le réseau local taxable représente 0,5 % du réseau local total. Pour mémoire, la longueur du réseau routier concédé (autoroutes à péage) est de
8 935 km.

L’article 270 du code des douanes, tel que modifié par la loi du 28 mai 2013, prévoit que la liste des routes locales taxables peut être révisée, selon la même procédure, à la demande des collectivités territoriales, en cas d’évolution du trafic provenant du réseau taxable. Le décret n° 2011-910 du 27 juillet 2011 avait prévu qu’une période d’observation du trafic sur le réseau local aurait lieu pendant un an à compter de l’entrée en vigueur de la redevance. Le périmètre du réseau soumis à l’éco-redevance pourra donc être revu à l’issue de ce délai, puis de nouveau par la suite.

Les auditions réalisées par la mission d’information et les informations recueillies par votre Rapporteur permettent de constater que l’étendue actuelle du réseau routier soumis à l’éco-redevance fait l’objet de critiques voire de désaccords. Votre Rapporteur a noté en particulier :

– le décalage très important entre les demandes initiales formulées par les départements, exprimées par l’Association des départements de France (12), et la longueur du réseau local finalement retenue par les services de l’État à l’issue de la concertation,

– et le cas du massif alpin, évoqué par M. Joël Giraud, membre de la mission d’information, où la quasi-inexistence de réseau routier soumis à l’éco-redevance peut effectivement paraître incompréhensible : la circulation des poids lourds dans cette région, en raison des itinéraires transfrontaliers franco-italiens dans les cols montagneux et le long de la côte, a pris des proportions parfois dramatiques en termes de pollution et d’insécurité routière, avec un impact insupportable pour la population.

B. UNE REDEVANCE S’APPLIQUANT À TOUS LES POIDS LOURDS DE PLUS DE 3,5 TONNES

L’éco-redevance poids lourds devrait toucher pas moins de 800 000 poids lourds, dont 550 000 français et 250 000 étrangers. L’éco-redevance est due pour tout véhicule immatriculé en France ou à l’étranger, solidairement par le propriétaire, le locataire, le sous-locataire, le conducteur ou tout utilisateur d’un véhicule de transport routier de marchandises dont le poids total autorisé en charge, ou le poids total roulant autorisé s’il s’agit d’un ensemble articulé, est supérieur à 3,5 tonnes.

Des catégories de poids lourds sont ensuite définies, en fonction du poids et du nombre d’essieux, afin de tenir compte le plus justement possible du degré d’usure des routes par chaque type de poids lourds. Ces catégories de véhicules sont définies par le décret n° 2011-234 du 2 mars 2011 :

− première catégorie : les véhicules moteurs seuls ayant deux essieux dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 3,5 tonnes et inférieur à 12 tonnes ; cette catégorie représente 23 % de part de trafic ;

− deuxième catégorie : les véhicules moteurs seuls ayant deux essieux dont le poids total autorisé en charge est égal ou supérieur à 12 tonnes ; les véhicules moteurs ou les ensembles de véhicules ayant trois essieux ; cette catégorie représente 15 % de part de trafic ;

− troisième catégorie : les véhicules moteurs ou les ensembles de véhicules ayant quatre essieux ou plus ; cette catégorie représente 62 % de part de trafic.

Certains véhicules, dont la vocation n’est pas d’effectuer du transport routier de marchandises, sont néanmoins exclus du dispositif :

− les véhicules de transports de personnes ;

− les véhicules d'intérêt général prioritaires ;

− les véhicules, propriété de l'État ou d'une collectivité locale, affectés à l'entretien et à l'exploitation des routes ;

− les véhicules et matériels agricoles ;

− les véhicules militaires.

L’article 271 du code des douanes exonère aussi les véhicules à citerne à produits alimentaires exclusivement utilisés pour la collecte de lait sur le fondement juridique de l’article 7 de la directive 1999/92/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures qui permet des exonérations de péage ou de droit d’usage pour les véhicules dispensés d’installer et d’utiliser un appareil de contrôle de type tachygraphe.

C. DES TAUX KILOMÉTRIQUES MODULÉS EN FONCTION DE LA CLASSIFICATION EURO DU POIDS LOURD ET DE CRITÈRES DE PÉRIPHÉRICITÉ

Les taux kilométriques de la redevance poids lourds varient selon les catégories de véhicules. Ils font ensuite l’objet d’une modulation en fonction de la classe d’émission Euro du véhicule assujetti à l’éco-redevance (arrêté du 14 mai 2013).

TARIFS APPLICABLES AUX CATÉGORIES DE VÉHICULES (2014)

(en centimes d’euros)

Catégorie 1

Catégorie 2

Catégorie 3

8,8

11,1

15,4

MODULATION EN FONCTION DE LA CLASSE D’ÉMISSION EURO DU VÉHICULE (2014)

Véhicules électriques

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II

EURO I et avant

- 40 %

- 15 %

- 5 %

0

+ 10 %

+ 15 %

+ 20 %

VALEURS DES TAUX MODULÉS 2014

(en centimes d’euros)

 

Véhicules électriques

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II

EURO I et avant

Catégorie 1

5,3

7,5

8,4

8,8

9,7

10,1

10,6

Catégorie 2

6,7

9,4

10,5

11,1

12,2

12,8

13,3

Catégorie 3

9,2

13,1

14,6

15,4

16,9

17,7

18,5

Le taux moyen pondéré de la redevance est de 13 centimes d’euro par kilomètre.

L’article 275-2 du code des douanes précise que les taux kilométriques sont minorés de 30 % pour les régions comportant au moins un département métropolitain classé dans le décile le plus défavorisé selon leur périphéricité au sein de l’espace européen, apprécié au regard de leur éloignement des grandes unités urbaines européennes de plus d’un million d’habitants. Il précise également que ce taux est porté à 50 % pour les régions périphériques ne comportant pas d’autoroute à péage. Le décret n °2011-233 du 2 mars 2011 fixe la liste de ces départements. Il en résulte des taux kilométriques minorés de 30 % dans les régions d’Aquitaine et Midi-Pyrénées et de 50 % en Bretagne.

D. UN DISPOSITIF TECHNIQUE DE COLLECTE AUTOMATISÉ AU DEGRÉ DE FIABILITÉ ÉLEVÉ

1. Le choix d’un dispositif de collecte par géolocalisation satellitaire

Les poids lourds assujettis sont obligatoirement équipés d’un équipement électronique embarqué (EEE) utilisant trois systèmes :

− un système satellitaire GPS, c’est-à-dire un système de géolocalisation, qui permet la détermination du fait générateur de l’éco-redevance poids lourds, en localisant le véhicule en temps réel et en déterminant si le véhicule a franchi un point de tarification ;

− un système DSRC, c’est-à-dire un système de communication à ondes courtes, utilisé pour les zones non couvertes par GPS et pour la vérification de l’EEE lors du passage d’un point de contrôle fixe ou mobile ;

− un système GPRS, c’est-à-dire un système de transmission de données par GSM Data, utilisé pour la communication des informations de tarification au système central situé à Metz.

L'équipement électronique embarqué (EEE) permet l'enregistrement automatique des éléments nécessaires à la détermination du fait générateur de l’éco-redevance, en localisant le véhicule en temps réel par géolocalisation et en déterminant si le véhicule a franchi un point de tarification. La détection du franchissement d’un point de tarification par l'équipement électronique embarqué déclenche la génération et l'enregistrement d'un événement de tarification. En aucun cas les portiques de contrôle ne sont utilisés pour le calcul de la redevance.

Puis, les données collectées sont transmises en temps réel par GRPS au centre d’exploitation, qui est installé à Metz. Elles sont enregistrées dans un format crypté, puis traitées par le système central, qui calcule le montant à payer et assure la facturation. Les factures sont envoyées par liaison informatique aux sociétés habilitées de télépéage (SHT) pour les abonnés et aux transporteurs pour les autres, sauf demande exceptionnelle.

LE DISPOSITIF DE COLLECTE DE L’ÉCO-REDEVANCE (SOURCE : ECOMOUV’)

2. L’utilisation d’un équipement électronique embarqué personnalisé et obligatoire

Le décret n°2013-559 du 26 juin 2013 relatif aux droits et obligations des redevables rend obligatoire pour les redevables l’installation dans le véhicule d'un équipement électronique embarqué (EEE) en bon état de fonctionnement :

− en permanence, y compris le temps du stationnement, pour les véhicules immatriculés en France métropolitaine ;

− lorsqu’ils circulent sur le réseau taxable, y compris le temps du stationnement sur le réseau ou une aire attenante, pour les véhicules immatriculés hors de France métropolitaine.

L'équipement électronique embarqué est personnalisé au moment de l'enregistrement sur la base des caractéristiques du véhicule. Ces informations comprennent le numéro d'immatriculation du véhicule, son poids total roulant autorisé (PTRA), son poids total autorisé en charge (PTAC), et sa classe Euro d'émission.

L’équipement électronique embarqué est configuré pour un véhicule donné et ne peut être utilisé que pour ce véhicule. La seule donnée modifiable lors de la circulation du véhicule par paramétrage de l'équipement électronique embarqué par le conducteur du véhicule est le nombre d'essieux, pour prendre en compte les ajustements du véhicule, notamment lors de l'attelage d'une remorque.

Selon leur préférence et la fréquence des déplacements sur le réseau soumis à l’éco-redevance, les redevables peuvent recourir à deux options pour l’installation du dispositif électronique embarqué et le paiement de l’éco-redevance :

− signer un contrat d’abonnement avec une des sociétés habilitées de télépéage (SHT) agréées (Axxès, Total Marketing Services, eurotoll, DKV, Ressa, Telepass) qui est alors autorisée à procéder à l’enregistrement du véhicule et à s’acquitter de la redevance due au nom de la personne redevable de la redevance ;

− s’inscrire directement auprès du prestataire commissionné, soit par voie télématique, soit en s’adressant à une des 420 bornes de distribution dont Ecomouv’ a prévu, au total, l’installation. Dans ce cas, l’utilisateur est tenu d’acquitter, avant d’utiliser le réseau, un montant prépayé qui servira de solde dégressif.

L’équipement électronique embarqué est mis gratuitement à disposition du redevable non abonné par le prestataire commissionné, sous réserve du versement préalable d’un dépôt de garantie dont le montant est fixé par arrêté du ministre chargé des douanes. Pour obtenir le dispositif embarqué, une garantie de 100 euros est nécessaire.

Si le redevable décide d’avoir recours à une société habilitée de télépéage, le coût de l’utilisation du service ainsi que de la mise à disposition de l’EEE relèvent de la négociation commerciale entre le redevable abonné et la SHT. La plupart des redevables espèrent néanmoins bénéficier d’économies d’échelle avec d’autres services – notamment autoroutier, tout en bénéficiant de la réduction de 10 % prévue par la loi.

E. DES DISPOSITIFS TECHNIQUES DE CONTRÔLE FIXES ET MOBILES EFFICACES À HAUT DEGRÉ DE FIABILITÉ

Le dispositif de contrôle prévu permet de vérifier le respect de la réglementation par l'ensemble des redevables, de détecter ceux en situation irrégulière, de les identifier et de les sanctionner. Il s'appuie sur :

− des contrôles automatiques réalisés par Ecomouv’ ;

− des contrôles manuels réalisés par les corps de contrôle de l'État.

Les dispositifs de contrôle automatiques permettent la vérification de la situation régulière des véhicules en circulation sur le réseau taxable et non taxable. Il s'agit de dispositifs techniques installés sur plusieurs points de contrôle répartis sur l'ensemble du réseau taxable :

− 173 contrôles automatiques fixes (CAF) ou portiques ;

− 130 contrôles automatiques déplaçables (CAD).

Les dispositifs de contrôle automatique fixes ou déplaçables permettent :

− l’identification du numéro d’immatriculation du véhicule par des prises de vues effectuées par des caméras ;

− la vérification de l'équipement électronique embarqué via DSRC, c’est-à-dire des ondes de courte portée, pour permettre une lecture des informations intégrées ;

− la classification du véhicule par l’utilisation de lasers permettant de détecter sa silhouette et d’en déduire la catégorie de tarification.

Les portiques de contrôle ont un objet uniquement dissuasif pour assurer le respect par les transporteurs de la législation en vigueur. Dans ce cadre, il peut théoriquement être envisagé de réduire le nombre de portiques sur le territoire national, et de renforcer les contrôles effectués par les agents de l’État. Néanmoins, l’efficacité des contrôles manuels trouve sa limite dans le nombre d’agents pouvant être affecté aux contrôles : les systèmes de portiques peuvent contrôler près de 230 000 poids lourds par jour, ce qui est impossible à reproduire manuellement. La DGDDI estime que pour effectuer un niveau de contrôle identique, avec un contrôle effectif tous les 500 kilomètres – ce qui correspond au montant de l’amende forfaitaire en cas de fraude, il conviendrait de recruter près de 5 000 agents supplémentaires.

L’ensemble de ces opérations sont effectuées en tenant compte des recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). La CNIL a étudié de près la question des données personnelles collectées par les dispositifs de contrôles automatiques. La solution mise en œuvre est conforme à ses prescriptions : les personnels du prestataire commissionné qui ont à connaître de ces données individuelles sont agréés. Le cahier des charges impose que les données soient sécurisées et qu’elles ne puissent être ni modifiables ni réutilisables à d’autres fins que la transmission au contribuable qu’elles concernent. Le détail de la liquidation n’est transféré aux SHT que si leur abonné – le redevable – le demande. Enfin, les rapports de passage sont automatiquement détruits en local dans l’équipement de contrôle automatique pour les véhicules non assujettis ou en situation régulière, puisque les données sur ces véhicules sont supprimées dans les secondes suivant le passage des dits véhicules.

Les contrôles automatiques sont complétés par des contrôles dits « manuels » réalisés par les agents de contrôle de la Douane, la Gendarmerie, la Police nationale et par les contrôleurs des transports terrestres (CTT) relevant du ministère en charge des transports à l'aide des équipements mobiles et portables. Ces contrôles sont effectués dans la circulation ou en entreprise.

PRÉSENTATION DES DISPOSITIFS DE CONTRÔLES FIXE ET MOBILE


II. LE DISPOSITIF JURIDIQUE DE LA MAJORATION FORFAITAIRE OBLIGATOIRE : UNE RÉPERCUSSION DE L’ÉCO-REDEVANCE VERS LES DONNEURS D’ORDRES

Si le dispositif technique de collecte de l’éco-redevance n’est pas unique en Europe, celui de la majoration forfaitaire obligatoire est propre au dispositif français. Son principe a été acté dès l’origine de l’éco-redevance, lors du Grenelle de l’environnement.

A. LE DISPOSITIF INITIAL PRÉVOYAIT UNE RÉPERCUSSION AU RÉEL COMPLEXE ET IMPRATICABLE

Afin de ne pas remettre en cause l’équilibre économique des entreprises du secteur des transports, la loi rend obligatoire la répercussion de la redevance sur les prix de transport. Un premier dispositif a été défini par le décret n° 2012-670 du 4 mai 2012. Ce décret a tout de suite rencontré l'hostilité de la profession. Il a donc été proposé, après concertation, un mécanisme plus simple, en remplacement du dispositif précédent.

L’enjeu principal du texte qui a été discuté au printemps 2013 au Parlement était d’introduire dans la loi un mécanisme permettant aux entreprises de transport routier de mettre en place une répercussion facile à calculer, véritable signal prix à destination des chargeurs. Il s’agit d’une simple majoration, obligatoire, du prix du transport pour prendre en compte l’éco-redevance et en répercuter les conséquences sur les chargeurs.

B. LE DISPOSITIF ACTUEL IMPOSE UNE RÉPERCUSSION FORFAITAIRE SIMPLE ET OBLIGATOIRE

La majoration de prix doit être appliquée par le transporteur pour toute prestation de transport de marchandises, quel que soit l'itinéraire emprunté, même partiellement ou non taxé. Il ne s'agit pas d'un mécanisme de répercussion au réel de l’éco-redevance acquittée par le transporteur redevable. Le prix du transport doit être majoré de plein droit, par les taux suivants :

− un taux unique pour les transports effectués entre les régions qui s’établit à 5,2 % ;

− un taux intrarégional pour les transports à l'intérieur de chaque région, en fonction des régions.

Ces taux correspondent à l'évaluation de l'incidence moyenne de
l’éco-redevance sur les coûts de transport compte tenu de la consistance du réseau soumis à la redevance, des trafics de poids lourds et des itinéraires observés ainsi que du barème kilométrique retenu.

Les taux tiennent également compte des frais de gestion afférents à l’éco-redevance supportés par les transporteurs. Ils sont fixés par arrêté du ministre chargé des transports.

TAUX DE MAJORATION POUR LES TRANSPORTS
EFFECTUÉS À L’INTÉRIEUR DE CHAQUE RÉGION

(en pourcentage)

Régions

Taux de majoration

Régions

Taux de majoration

Ile-de-France

7,0

Pays de la Loire

3,9

Champagne-Ardenne

5,5

Bretagne

3,7

Picardie

4,1

Poitou-Charentes

4,6

Haute-Normandie

4,1

Aquitaine

2,3

Centre

3,6

Midi-Pyrénées

2,8

Basse-Normandie

4,6

Limousin

6,0

Bourgogne

4,3

Rhône-Alpes

3,4

Nord-Pas-de-Calais

6,7

Auvergne

3,8

Lorraine

5,7

Languedoc-Roussillon

3,1

Alsace

6,9

PACA

2,7

Franche-Comté

3,3

Corse

0,0

CARTE DES TAUX DE MAJORATION POUR LES TRANSPORTS
EFFECTUÉS À L’INTÉRIEUR DE CHAQUE RÉGION

France majoration V2

TROISIÈME PARTIE :
UN DISPOSITIF VERTUEUX MAIS PEU COMPRIS ET DONC MAL ACCEPTÉ DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DIFFICILE

On ne peut nier que le contexte économique qui prévalait lors de la mise en place de l’éco-redevance est singulièrement différent aujourd’hui. Ainsi, le monde du transport routier traverse aujourd’hui une profonde crise amorcée dès 2008 et exacerbée par une concurrence européenne souvent déloyale. De même, certaines activités de l’industrie agroalimentaire souffrent d’une situation économique particulièrement difficile, alors même que sa structure logistique et économique a pour conséquence un impact proportionnellement plus important de l’éco-redevance sur ce secteur d’activité.

Dans ce contexte économique, il n’a pas été aisé d’exposer sereinement les objectifs vertueux voulus par le Grenelle de l’environnement au regard d’un dispositif trop souvent source d’incompréhensions, et donc peu accepté par différents secteurs concernés car fragilisés.

I. LE MONDE DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES SUBIT DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES BIEN DES TURBULENCES.

Tributaires de la situation économique générale, les activités du transport routier de marchandises traversent une crise consécutive à la profonde dépression amorcée en 2008. Selon les statistiques ministérielles, le secteur du transport routier de fret (TRF) compte un peu plus de 40 000 entreprises et environ 378 000 salariés en incluant la location avec chauffeurs, soit le tiers de l’emploi total du transport et de l’entreposage. Toutefois, le TRF enregistre depuis trois ans un ralentissement des créations d’entreprises et une forte augmentation des défaillances. L’acquisition de véhicules de plus de
3,5 tonnes s’inscrit également en recul depuis 2009, à l’exception d’un rebond passager au dernier trimestre 2013. Le parc des camions et tracteurs routiers vieillit avec un âge moyen qui est passé de 5,1 ans en 2009 à 6,7 ans en 2013. Ce point est important car il doit être considéré comme un marqueur de compétitivité, y compris dans sa dimension contributive au développement durable.

Il convient en effet de rappeler qu’en Allemagne, la mise en place d’un prélèvement kilométrique comparable à l’écotaxe (LKW Maut) s’est accompagnée d’aides au renouvellement du parc en faveur des poids lourds aux normes Euro 5 EEV et Euro 6 qui ont conféré aux transporteurs de ce pays un avantage de compétitivité, notamment en raison de la moindre consommation de carburant des véhicules récents. Il n’est malheureusement plus possible de transposer en France le dispositif incitatif à l’acquisition tel qu’il avait été mis en place outre-Rhin, dès 2005.

En effet, depuis le 1er janvier 2014, seuls des véhicules de la norme Euro 6 sont accessibles à la vente dans les pays européens. L’Union européenne proscrirait, à présent, tout dispositif comparable au titre de l’interdiction des aides sectorielles directes. Néanmoins, votre Rapporteur entend proposer de faire bénéficier de certains avantages les véhicules les plus novateurs (électriques, hybrides et au gaz comme les GNV, GNL ou GNC), qui ne relèveraient pas déjà de la norme Euro 6 et non encore intégrés à une norme Euro 7 qu’il reste à définir à l’échelon européen. Ce type de véhicules, majoritairement de moins de 12 tonnes, ne couvre évidemment qu’un segment du marché et ne correspond pas aux besoins des transports sur de longues distances. Mais concernant les trajets courts et notamment les livraisons régulières, leur développement mérite d’être économiquement encouragé. Votre rapporteur fait une proposition en ce sens.

Les acteurs de la logistique urbaine ont d’ailleurs pris conscience de la nécessité d’une évolution, notamment dans les grandes agglomérations où l’accès au centre des villes est d’ailleurs de plus en plus contraint.

La première des solutions est d’ordre logistique avec l’amélioration des remplissages pour limiter le nombre des trajets. Mais il convient aussi de cibler une modernisation des moyens employés, lorsque l’on sait qu’en Île-de-France, le transport de marchandises représente, à certaines heures de la journée, 50 % des émissions de particules et le tiers du CO2 de la pollution automobile. Ainsi, en septembre 2013, la Ville de Paris a signé une charte avec les acteurs de la logistique urbaine, avec pour objectif 2020 que 100 % des livraisons soient effectués avec des véhicules non diesel. À cet égard, les efforts de l’entreprise orléanaise Deret méritent d’être soulignés. Ce transporteur, actif pour les livraisons en Île-de-France, a pris l’initiative de faire évoluer son parc qui compte, à présent, 52 camions à motorisation électrique auxquels s’ajoutent des véhicules hybrides.

Cette donnée justifie pleinement l’initiative parlementaire visant à inscrire, par amendement, dans la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport (article 41), l’organisation par le gouvernement d’une grande Conférence nationale sur la logistique rassemblant « …tous les acteurs et tous les gestionnaires d’équipement permettant de gérer les flux du secteur ainsi que des experts … » dans le but d’effectuer un diagnostic de l’offre logistique française et d’évaluer l’opportunité de mettre en œuvre un schéma directeur national de la logistique. Un tel schéma pourrait être conçu en tant qu’annexe au Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) et ainsi servir à mieux identifier les priorités pour les investissements et les services.

Au-delà des aléas conjoncturels, certaines branches du transport souffrent d’une inadaptation de leurs capacités. Cette situation débouche trop souvent sur des restructurations opérées sous les contraintes de l’urgence. Tel est le cas du secteur de la messagerie qui n’a pu répondre comme il aurait été souhaitable aux besoins du e-commerce et à la multiplication des petits colis destinés aux consommateurs. Les graves difficultés du groupe Mory Ducros en sont l’illustration avec la suppression de quelque 2 500 emplois au début de cette année et la fermeture de nombreuses agences. Pour leur part, les entreprises spécialisées de l’express (une activité de livraison dominée par des grands groupes internationaux) ont sans doute une meilleure capacité d’adaptation aux évolutions des marchés. Leur activité, qui n’est d’ailleurs pas exclusivement routière, repose sur une organisation complexe. Elle doit faire l’objet d’une attention particulière car les entreprises concernées ont développé d’importantes plateformes françaises qui représentent un grand nombre d’emplois. De tels développements témoignent de la qualité de nos infrastructures, notamment aériennes et routières, des outils qu’il convient de sauvegarder et de parfaire.

Dans sa globalité, le monde du transport et de la logistique de proximité est multiforme, souvent même fracturé. Il est encore présenté comme celui de la petite entreprise familiale disposant de quelques camions qui rayonneraient sur un secteur géographique limité et relativement protégé. Cette réalité n’a aujourd’hui plus véritablement cours. En effet, la France est l’un des pays européens les plus « cabotés » et aucune de ses régions n’est désormais à l’abri de cette forme de concurrence.

Le « cabotage », encadré par un règlement européen du 20 octobre 2009, est une prestation concernant du fret dont le chargement et le déchargement sont réalisés au sein d’un même pays par un transporteur appartenant à un autre pays de l’Union européenne. Les opérations de cabotage ne peuvent légalement s’effectuer que dans le cadre d’un transport international et sont limitées à trois dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises initialement concernées par l’entrée dans le pays. La pratique du cabotage est également possible au titre d’un transit en retour. Dans ce cas, elle est limitée à une seule opération et doit prendre fin dans les trois jours suivant l’entrée à vide sur le territoire d’un État membre. En France, les acteurs les plus performants du cabotage sont allemands et espagnols, plus présents encore que les transporteurs originaires de l’Europe de l’est.

Il reste à souligner qu’au cours de la table ronde organisée par la mission, des représentants de fédérations syndicales de salariés du transport routier de marchandises ont indiqué que de grands groupes français du secteur représentaient une part non négligeable de l’activité « cabotée » sur notre territoire et étaient en partie à l’origine de l’augmentation du nombre de chauffeurs « détachés » d’autres pays européens, par l’intermédiaire de filiales créées à l’étranger, parfois même, nous a-t-on dit, dans ces seuls objectifs. Le contrôle de situations aussi complexes s’avère difficile à mettre en œuvre sur le terrain. En outre, nombreux sont les interlocuteurs de la mission à avoir dénoncé une autre réalité qui met à mal les règles d’une concurrence juste et loyale. Il s’agit de l’augmentation constatée au quotidien de transports « sauvages » effectués sur notre territoire, certes pour des petits chargements, par des ressortissants d’autres pays au moyen de véhicules utilitaires légers mais fréquemment en surcharge. Ce type d’opérations, non soumis à une quelconque réglementation européenne, permet à de pseudo transporteurs de capter une part non négligeable du marché.

Le transport routier de marchandises connaît aussi un phénomène de concentration depuis près d’une décennie. Aujourd’hui, moins de
6 000 entreprises françaises représentent plus des deux tiers du chiffre d’affaires et des emplois salariés. Les petites entités subsistent difficilement. Elles se caractérisent par une grande fragilité financière (près de 40 % d’entre elles enregistraient un résultat courant négatif au terme de l’exercice 2012), d’autant qu’une partie importante de leurs activités s’effectue en sous-traitance ou encore dépend pour l’essentiel de grands donneurs d’ordre.

Dans la mécanique de l’écotaxe, la disparité des situations dans les relations contractuelles a justifié l’élaboration des principes de répercussion et de majoration forfaitaire sur les chargeurs et affréteurs afin de conférer aux transporteurs une garantie de neutralité de l’écotaxe acquittée aussi forte que possible. Certes, les obligations de répercussion et de majoration forfaitaire n’existent pas, du moins sur la base des règles législatives en vigueur, dans les autres pays ayant déjà mis en œuvre, au titre de la directive européenne « Eurovignette », un dispositif équivalent à l’écotaxe, en Allemagne ou en Autriche par exemple.

En France, il n’a pas paru possible de s’en remettre à la libre négociation commerciale tant restent déséquilibrées les discussions pré contractuelles entre les différents acteurs, principalement du fait de la grande distribution. La loi n’a pu, à ce jour, contrer les effets les plus pervers de cette situation pourtant souvent dénoncée et qui serait sans équivalent en Europe selon de nombreux commentateurs.

Bien que soumis à une réglementation abondante et complexe, le transport routier français est fortement confronté à du dumping social et à la déloyauté de certaines pratiques anticoncurrentielles. Nos entreprises se trouvent de la sorte injustement pénalisées. Votre Rapporteur a tenu à comprendre comment des contrôles mieux ciblés peuvent lutter contre ces dérives, en observant sur place des opérations de cette nature, organisées à sa demande par le ministère des transports. En effet, dans l’optique d’une mise en œuvre de l’écotaxe, le renforcement de la surveillance humaine constitue un enjeu d’importance. Le contrôle automatisé par des portiques du seul fonctionnement des équipements électroniques embarqués (EEE) ne saurait constituer un moyen de surveillance privilégié au regard de l’application d’un ensemble de règles qui dépassent de beaucoup le seul aspect fiscal. Ces règles, notamment d’ordre social, s’imposent légalement sur notre territoire à toutes les activités du secteur, tant aux transporteurs français qu’étrangers sans oublier les filiales créées à l’étranger par des groupes français. Il revient aux pouvoirs publics de mobiliser les services de l’État et surtout de donner aux forces d’intervention les moyens d’agir (police et gendarmerie) en coordonnant leur action avec les échelons territoriaux de la douane et les contrôleurs des transports terrestres (CTT), un corps de fonctionnaires dont les effectifs et les pouvoirs doivent correspondre à l’importance du trafic routier sur notre réseau, s’agissant notamment du transit international.

II. DES INCIDENCES CONTRAIGNANTES SOUVENT MAL ACCEPTÉES PAR LES ENTREPRISES

A. LE CAS DES INDUSTRIES AGROALIMENTAIRES.

Au-delà du monde du transport routier, l’écotaxe poids lourds a suscité une inquiétude et parfois la colère de milieux professionnels notamment chez des dirigeants d’entreprises artisanales et de PME, et plus spécialement dans les filières de l’agroalimentaire. Pour ce secteur, c’est la situation d’entreprises bretonnes, fragilisées par la crise, qui a servi de révélateur à une situation plus générale dont les causes sont sans doute profondes et n’ont pas pour unique origine la mise en œuvre annoncée de l’écotaxe.

Certes, la Bretagne est de toutes les régions celle où le poids de ces activités pèse le plus lourd dans l’économie locale. Certaines entreprises agroalimentaires de la région ont même symbolisé, pendant presque trois décennies, ce qu’il était convenu d’appeler « le miracle breton » en raison d’une croissance soutenue de leurs activités, notamment à l’exportation. La concurrence de pays émergents qui, pour certains, ont longtemps constitué des marchés porteurs car fortement demandeurs et sur lesquels ils exportaient, a durement frappé quelques grands groupes bretons. Ce bouleversement du paysage de la production au niveau mondial s’est conjugué aux premiers effets de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui réduisent voire suppriment les aides à l’exportation dont bénéficiaient jusqu’alors ces groupes. Les difficultés rencontrées par des entreprises longtemps leaders, comme Doux ou Tilly Sabco, illustrent cette situation sur le marché des produits de la volaille. D’autres entreprises bretonnes sur lesquelles l’attention de votre Rapporteur a été appelée subissent également les conséquences d’un dérèglement de la concurrence, non pas au niveau mondial mais au sein même de l’Union européenne, comme c’est le cas pour Cooperl Arc Atlantique, une importante coopérative spécialisée dans la viande porcine qui compte quelque 2 700 éleveurs adhérents dans l’ouest de la France. Dans ce cas, la concurrence s’est intensifiée du fait de l’Allemagne de la Belgique ou du Danemark, des pays qui ont recours à une main-d’œuvre étrangère à bas coûts sur des sites modernisés particulièrement productifs.

L’audition des responsables de l’organisation professionnelle Coop de France a montré par des exemples précis, d’ailleurs non exclusivement bretons, que le processus de production de nombreuses activités agroalimentaires repose sur une chaîne d’interventions qui se traduit par une succession de transports, des approvisionnements de base jusqu’à la distribution du produit fini, avec différentes ruptures de charges.

Par sa situation géographique, ses spécialisations, ses infrastructures, l’économie agroalimentaire bretonne est, à l’évidence, concernée par ce schéma. D’autant, qu’en Bretagne mais aussi dans d’autres territoires, les possibilités de report modal de la route vers le rail sont extrêmement limitées. Lorsqu’elles ont existé, ces possibilités sont parfois devenues impraticables du fait du vieillissement des réseaux ferrés de fret dont l’accès n’est plus assuré. D’autant que la participation financière à la régénération des embranchements menant aux unités de production reste majoritairement à la charge des industriels, car il a été constaté que Réseau ferré de France (RFF) se refuse à tout financement ou subordonne son apport, au demeurant modeste, à un effort trop important de la part des entreprises concernées.

Toutefois, le chaînage du transport routier, qui est effectivement une des caractéristiques du schéma de production des activités agroalimentaires, intervient sur des distances souvent limitées (généralement voisines de 150 à 200 kms), avec des fréquences assez différentes selon les productions et souvent dans un cadre géographique principalement local. En Bretagne, une partie importante du transport intra régional par route ne sera d’ailleurs pas effectuée sur le réseau soumis à l’écotaxe en considérant la carte des voies de circulation retenues.

Une autre organisation professionnelle, l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), a rappelé, au cours de l’audition de ses responsables par la mission, que le secteur comptait plus de 12 000 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire. Elles constituent le premier secteur industriel français avec 495 000 salariés. Si les PME représentent la majeure partie de ces entreprises avec près de la moitié des emplois, les productions agroalimentaires forment néanmoins un ensemble très diversifié tant en termes d’implantation que de marché. Il n’y a pas de comparaisons possibles entre de très grands groupes multinationaux ayant de fortes structures financières comme Danone, Bonduelle, Nestlé, Ferrero ou Sofiprotéol pour le traitement des oléagineux et de petites entreprises, par exemple, « monoproduits » qui n’ont qu’un débouché local ou, si elles ont de plus larges objectifs commerciaux, doivent généralement traiter avec des distributeurs puissants. Pour sa part, le secteur coopératif compte lui aussi de très grands groupes, d’ailleurs fortement exportateurs, qui ne sont pas exactement confrontés aux mêmes difficultés de commercialisation de leurs produits, comme Sodiaal dans la filière du lait et qui regroupe 14 000 producteurs ou encore Terreos pour l’activité sucrière.

Selon les statistiques communiquées par la FNTR, les produits agricoles et agroalimentaires représentent environ 23 % (en tonnes transportées) des activités pour compte d’autrui des entreprises françaises du transport routier de marchandises.

B. UNE FAUSSE « SOLUTION » : LA MULTIPLICATION DES EXONÉRATIONS SECTORIELLES ET/OU GÉOGRAPHIQUES.

Dans les faits, plus que les montants d’écotaxe ou d’éco-redevance qu’il reviendrait d’acquitter, les effets du principe de leur répercussion sur les donneurs d’ordres (chargeurs et affréteurs) ont suscité les critiques voire les réfutations les plus vives.

Ce principe, soutenu par les grandes organisations professionnelles du transport routier de marchandises, vise à assurer aux entreprises du secteur la plus grande neutralité possible de la taxe kilométrique. Il prend la forme d’une majoration forfaitaire intégrée à la facture émise par le transporteur par chaque prestation et se traduit par un mécanisme cumulatif de taux (un taux interrégional et autant de taux intra régionaux qu’il existe de régions).

L’application systématique de ce barème irrite les industriels qui craignent de ne pouvoir répercuter, à leur tour, cette charge dans le cadre de la « libre » négociation commerciale. En outre des critiques ont maintes fois été exprimées, au cours des auditions, à l’égard d’un dispositif qui peut effectivement aboutir, par l’application du barème, à imputer une majoration supérieure à la taxe effectivement acquittée par le transporteur s’agissant d’une prestation pour l’exécution de laquelle son véhicule aura effectué une partie minoritaire du trajet sur le réseau « écotaxé ». Certaines situations mériteraient également d’être plus précisément prises en considération comme, par exemple, celle des entreprises titulaires de marchés publics de fourniture à des collectivités (cantines scolaires, hôpitaux etc.) à moyen voire à long terme. Les responsables des activités du commerce interentreprises ont exposé à la mission la situation d’entreprises ainsi « tenues » par des bordereaux de prix unitaires inclus dans les marchés et qui ne pourront, à leur tour, répercuter pour les prestations effectuées à ce titre tout ou partie de la redevance kilométrique qui leur sera facturée par les transporteurs ou sera directement acquittée par elles pour des transports en compte propre.

Pour autant, votre Rapporteur n’a pas été convaincu par les argumentaires avancés devant lui par tel ou tel secteur d’activité dans le but d’obtenir une exonération pure et simple.

S’agissant du secteur agroalimentaire, l’hétérogénéité des situations des entreprises et des filières ne permet pas d’entamer une règle de portée générale, au gré d’une succession d’exceptions, qui aboutirait à mettre en cause l’égalité devant l’impôt. Au sein d’un même secteur, les schémas productifs et logistiques sont par nature très différents d’une activité à l’autre. Un examen attentif et régulier des comptes actualisés de branches ne parviendrait sans doute pas à établir un consensus sur une hypothétique modulation de la tarification. Un tel traitement fiscal ex post s’inscrirait d’ailleurs souvent à contre-courant des tendances propres aux cycles économiques.

Il n’a donc pas paru souhaitable d’exclure un métier, une production, voire tout ou partie d’un territoire, de l’assujettissement à l’écotaxe dont la recette est précisément destinée au financement d’infrastructures d’intérêt général. L’idée consistant à soustraire de l’assujettissement à l’écotaxe au gré des situations conjoncturelles, filière par filière, n’est guère praticable. Aux difficultés spécifiques d’une activité doivent répondre des mesures adaptées. Il revient aux pouvoirs publics d’en arrêter les modalités et les durées de mise en œuvre.

À cet égard le Pacte d’avenir pour la Bretagne, présenté par le Premier ministre, le 13 décembre 2013, peut constituer un cadre propice à la déclinaison de mesures ciblées envers des secteurs confrontés à des difficultés d’adaptation.

À l’exception de la Corse, une région qui ne compte pas de routes nationales (le réseau ayant été transféré à la Collectivité territoriale en 2007) et dont la majorité des poids lourds immatriculés dans ses deux départements n’a pas vocation à assurer des prestations de transport sur le réseau national, aucune autre région métropolitaine ne saurait valablement être exclue du cadre de l’écotaxe.

Votre Rapporteur considère qu’une approche par trop locale du problème compliquerait le système et susciterait inévitablement de nombreuses autres demandes émanant de telle ou telle partie du territoire. D’ailleurs, il constate qu’au titre de la « périphéricité », une notion nouvelle concernant le territoire métropolitain, la Bretagne a pu obtenir un abattement tarifaire sur l’écotaxe, initialement conçu pour le seul département du Finistère, puis porté à 50 %.

Pour leur part, les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées feront l’objet d’un abattement de 30 %

Puisque votre Rapporteur n’entend pas mettre en cause l’existence de tels acquis, au demeurant rares en matière fiscale, sa proposition d’instaurer une franchise kilométrique mensuelle (exprimée en euros) allégera les montants qui seront acquittés par tous les redevables, et encore sensiblement plus dans ces trois régions. En outre, l’instauration d’une telle franchise ayant automatiquement un effet réducteur sur les taux de majoration, la répercussion facturée aux donneurs d’ordres pour chaque prestation de transport s’en trouvera minorée d’autant.

Cette voie est sans doute favorable à de nombreux secteurs comme, par exemple, aux PME du bâtiment ou des travaux publics qui concentrent généralement leur activité dans un cadre régional relativement précis et utilisent leurs poids lourds pour l’approvisionnement des chantiers. Ce type de transports en compte propre bénéficiera pleinement de la franchise qui aura l’effet d’abaisser sensiblement l’écotaxe à acquitter. Le coût du transport s’avère en effet difficile à individualiser dans le prix global de certaines prestations pour lesquelles d’ailleurs une éventuelle mention de ce coût « en pied de facture » (purement informative) n’ouvre pas aux entrepreneurs un droit à répercussion sur leur clientèle.

III. DES OBJECTIFS TROP NOMBREUX ET MAL HIÉRARCHISÉS AU DÉTRIMENT DE LA COMPRÉHENSION ET DONC DE L’ACCEPTABILITÉ DE L’ÉCO-REDEVANCE

La multiplicité des objectifs assignés à l’écotaxe poids lourds était présente dès l’origine : comme on l’a vu, tant les directives « Eurovignette » successives que les textes législatifs nationaux, ont fait de l’écotaxe un outil « multi-usages », devant servir à atteindre plusieurs buts – ou du moins à contribuer à leur réalisation.

Cette multiplicité d’objectifs n’est pas condamnable en soi, mais elle a nui à la clarté de la démarche, et partant, à la compréhension et donc à l’acceptabilité du dispositif. Votre Rapporteur note qu’au cours des auditions réalisées par la mission d’information, tous ces objectifs ont été évoqués, mais que la confusion due à la multiplicité d’objectifs était parfois très forte.

Votre Rapporteur est convaincu que pour redonner du sens à cette éco-redevance, il faut non pas lui assigner un objectif unique, mais savoir très précisément quels sont ses objectifs : une erreur de communication majeure a été commise parce qu’on a trop « vendu » l’écotaxe au nom du report modal qu’elle provoquerait.

Rebaptiser « l’écotaxe »ou la « taxe poids lourds » en « éco-redevance poids lourds » n’implique pas de remise en cause des buts de l’écotaxe : la dimension environnementale du dispositif se décline en plusieurs objectifs finaux et objectifs intermédiaires, qu’il convient d’exposer clairement et en les hiérarchisant.

Bien entendu, pour aucun des objectifs fixés, l’éco-redevance ne constitue, à elle seule, la solution : elle est un instrument nécessaire, mais pas du tout suffisant.

A. DEUX PRINCIPES DE MÉTHODE POUR UN PREMIER OBJECTIF : LA TARIFICATION AU JUSTE PRIX

D’« Eurovignette 1 » à « Eurovignette 3 », le principe « utilisateur-payeur » a été combiné avec le principe « pollueur-payeur ». Il était bien question, par une même démarche d’encadrement et d’encouragement des péages et droits d’usage pour les poids lourds, de montrer la complémentarité de ces deux logiques, qui correspondent à la recherche d’une « juste tarification » de l’usage des routes.

La mise en œuvre de ces deux principes constitue un objectif intermédiaire vers l’objectif final qui est le « juste prix » de la route. On voit à ce stade que coexistent une logique économique et une logique environnementale dans un même dispositif.

L’application d’un principe « utilisateur-payeur » en ce qui concerne la circulation des poids lourds appelle un instrument permettant de faire payer
– ou de mieux faire payer - les coûts d’investissement et d’exploitation du réseau routier par ceux qui utilisent – et usent ou dégradent – ce réseau, quelle que soit leur nationalité
 : la volonté de faire contribuer les poids lourds étrangers est bien un des objectifs recherchés, l’un des objectifs intermédiaires. Il est d’une particulière importance pour la France, pays de transit. Mais le principe « utilisateur-payeur » ne peut s’appliquer seulement aux quelque 250 000 poids lourds immatriculés dans les autres pays qui circulent sur les routes concernées : les 600 000 poids lourds immatriculés en France dégradent eux aussi ces routes.

B. CONTRIBUER À FINANCER LES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT : UN MOYEN ET UNE FIN

L’engagement n° 45 du Grenelle de l’environnement et l’article 11 de la loi « Grenelle 1 » attribuent comme objet à l’éco-redevance le financement des infrastructures de transport, par l’affectation de son produit à l’AFITF. Lors de son audition par la mission d’information, M. Bernard Cazeneuve, alors ministre chargé du Budget, a qualifié de « central » le rôle de la taxe poids lourds dans le financement de la politique des transports.

Le budget de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France
(A.F.I.T.F)

1. Dépenses

L’AFITF, établissement public créé par décret du 26 novembre 2004 et dont la vocation est exclusivement financière, a pour objet d’apporter la part de l’État dans le financement de projets d’infrastructures de transport dans le respect des objectifs de développement durable. L’Agence est un acteur-clé de la politique nationale des transports : elle intervient aussi bien sur les chantiers de nouveaux réseaux de transport que sur les opérations de rénovation et de modernisation de réseaux existants. Ses interventions prennent la forme de subventions d’investissement ou d’avances remboursables.

M. Philippe Duron, membre de la mission et président de l’AFITF, a expliqué, lors de son audition, que « Le modèle AFITF’ repose sur l’affectation de ressources régulières liées aux transports destinées à assurer la continuité de l’effort d’investissement pluriannuel dont nos infrastructures ont besoin. »

Dépenses d’intervention de l’AFITF en 2013 (en crédits de paiement) – ventilation par mode :

Transport ferroviaire et combiné : 38,19 % (729 millions d’euros)

Transport routier : 34,77 % (664 millions d’euros)

Transports collectifs d’agglomération : 18,3 % (349 millions d’euros)

Transport maritime : 3,6 % (69 millions d’euros)

Transport fluvial : 3,46 % (66 millions d’euros).

TOTAL : 1,9 milliard d’euros, dont 1,2 milliard dans le cadre des contrats de plan État-régions (CPER).

2. Ressources

Les ressources de l’AFITF proviennent exclusivement du secteur routier. À l’origine, elles reposaient sur les dividendes des participations de l’État dans les sociétés d’autoroutes. Depuis la privatisation de ces sociétés, l’Agence dispose de trois ressources pérennes :

- l’essentiel du produit de la taxe d’aménagement du territoire (TAT) due par les concessionnaires d’autoroutes, dont le montant est calculé à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers ; la recette prévue pour 2014 pour l’AFITF s’élève à 540 millions d’euros

- l’intégralité du produit de la redevance domaniale, également due par les concessionnaires d’autoroutes et dont la valeur est fonction de la valeur locative du réseau concédé et du chiffre d’affaires réalisé par les concessionnaires ; la recette prévue pour 2014 est de 305 millions d’euros

- et une part du produit des amendes forfaitaires des radars automatiques (prévision : 230 millions d’euros pour 2014).

Ces recettes étant insuffisantes, le budget de l’Agence est complété chaque année par une « subvention d’équilibre » versée par l’État, dans l’attente de l’entrée en vigueur de la taxe poids lourds. Il est en effet prévu que la majeure partie du produit de cette taxe constituera une nouvelle recette pérenne pour l’Agence. La subvention d’équilibre, qui a été d’un milliard d’euros en 2012 et de 700 millions en 2013, doit continuer à décroître, au fur et à mesure de la « montée en puissance » de la taxe, et disparaître en 2016.

Pour l’année 2014, la subvention d’équilibre qui aurait dû s’élever à 334 millions d’euros, sera finalement de
656 millions d’euros
pour compenser – partiellement – le manque-à-gagner dû au report de l’entrée en vigueur de la taxe poids lourds.

3. Les conséquences graves d’un retard prolongé de l’entrée en vigueur de l’écotaxe 

Le budget de l’AFITF pour 2014 sera maintenu à son niveau de 2013 (1,9 milliard en 2013, 1,8 milliard en 2014) mais sera inférieur de 450 millions d’euros à ce qu’il aurait atteint si l’écotaxe avait été appliquée au 1er janvier 2014. Chaque mois de suspension entraîne un manque-à-gagner de près de 100 millions d’euros pour l’AFITF.

Selon les termes employés par M. Philippe Duron, l’Agence va œuvrer en 2014 avec un « budget de transition, voire de crise », permettant de poursuivre les chantiers déjà engagés mais interdisant tout nouvel engagement.

Ceci compromet notamment la mise en œuvre du volet « mobilité » de la nouvelle génération de contrats de plan État-Régions (CPER 2014-2020) et bloque le lancement du troisième appel à projets pour le développement des transports en commun en site propre (TCSP). La contribution de l’État au volet « Mobilité » des nouveaux CPER devait atteindre un montant global de 6,5 milliards d’euros sur la période 2014-2020.

Au-delà, c’est la mise en œuvre des recommandations de la commission « Mobilité 21 » qui risque d’être remise en question si l’écotaxe n’était pas appliquée.

Contribuer de manière permanente et significative au financement des infrastructures de transport est à la fois un objectif final de l’éco-redevance, et un objectif intermédiaire permettant de se rapprocher d’un dernier objectif final, plus éloigné dans le temps et indirect : le report modal.

C. PROVOQUER UN DOUBLE MOUVEMENT DE REPORT DE TRAFIC

Il faut souligner que le report modal n’est pas l’effet premier attendu de l’éco-redevance – pas plus qu’elle ne l’était avec l’ « écotaxe ». Il s’agit, comme l’a dit M. Jean-Louis Borloo lors de son audition, d’« encourager lentement le transfert modal », ce qui demandera nécessairement « plusieurs décennies ». Un effet à la baisse sur la demande de transport routier est attendu et espéré, mais à long terme.

L’internalisation des impacts environnementaux du transport routier de marchandises passe par la modulation des tarifs en fonction de la classe Euro des véhicules, et pourra aussi passer par la possibilité, ouverte par la directive, de moduler le trafic routier : il sera possible, par exemple, de faire évoluer le dispositif pour faire diminuer le trafic de poids lourds sur les itinéraires les plus congestionnés et les plus pollués, ou dans les zones où les écosystèmes sont les plus sensibles à la pollution automobile.

Cette internalisation doit inciter à réduire ces impacts environnementaux. Elle permet aussi de réduire l’avantage compétitif de la route lié à des prix ne reflétant pas correctement les coûts, et ainsi favoriser le report modal sur le fret ferroviaire, fluvial et maritime – étant entendu que le fret non routier, même lorsque les infrastructures correspondantes auront été considérablement développées, n’a absolument pas vocation à faire disparaître tous les camions des routes, car il ne peut s’y substituer pour les petits trajets.

Le report modal est un objectif lointain de l’éco-redevance. Il découlera :

- d’une part, de l’incitation directe, via le signal-prix, à utiliser des modes de transport alternatifs à la route, au moins sur les longues distances,

- et d’autre part, indirectement, à travers l’action de l’AFITF.

L’Agence utilise une partie de ses recettes, perçues exclusivement sur l’activité routière, pour des investissements sur le réseau routier (rénovation de tunnels et autres grands ouvrages, modernisation de routes…) mais consacre désormais plus de 60 % de son budget aux modes de transport non routiers (voir encadré ci-dessus). Lors de son audition par la mission d’information, M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, a cité parmi les objectifs de l’écotaxe la contribution au financement d’équipements améliorant la qualité des sillons ferroviaires ou d’installations permanentes de contresens en vue de développer le fret ferroviaire.

En tant qu’élément de fiscalité environnementale, par définition, l’éco-redevance vise à déclencher un « cercle vertueux » devant conduire à la réduction de sa propre assiette : la circulation des poids lourds, surtout celle des poids lourds les plus polluants et/ou parcourant de longues distances.

L’éco-redevance est susceptible de contribuer à une redéfinition globale des circuits de transport des marchandises, dans le sens d’une amélioration des performances de la logistique respectant les principes du développement durable. On peut, à cet égard, rappeler que la loi du 28 mai 2013 qui a introduit et défini le mécanisme de répercussion du coût de la taxe sur les chargeurs a également établi l’objectif d’un « schéma directeur national de la logistique » : introduit grâce à une initiative parlementaire (amendement présenté par M. Gilles Savary et plusieurs de ses collègues), l’article 41 de cette loi demande au Gouvernement d’organiser une conférence nationale sur la logistique, afin d’effectuer un diagnostic de l’offre logistique française, de déterminer les besoins pour les années à venir, et d’évaluer l’opportunité d’un schéma directeur national de la logistique pour identifier les priorités d’investissement dans ce domaine.

Enfin, même s’il ne s’agit pas d’un objectif de l’éco-redevance, votre Rapporteur note qu’un effet significatif et rapide peut raisonnablement être attendu en termes de report de trafic non pas de la route vers les autres modes, mais du réseau routier national et départemental soumis à l’éco-redevance vers le réseau autoroutier soumis à péage. Cet effet sera très bénéfique en termes de sécurité routière sur les routes nationales et départementales, et se traduira naturellement par une augmentation des recettes de péage autoroutiers, et donc par un accroissement de l’assiette des taxes dont les concessionnaires d’autoroutes sont redevables … et qui alimentent pour partie le budget de l’AFITF.

Hiérarchisation des objectifs de l’éco-redevance :

Objectifs intermédiaires : contribuer à

- financer de manière pérenne et significative les infrastructures de transport non routier,

- appliquer le principe « utilisateur-payeur » pour notamment – mais pas seulement - faire contribuer les poids lourds immatriculés à l’étranger,

- appliquer le principe « pollueur-payeur », en internalisant les coûts externes du transport routier de marchandises.

Objectifs finaux : contribuer à

- déterminer le juste prix de l’usage de la route,

- financer de manière pérenne et significative les infrastructures de transport (tous modes de transport confondus),

- favoriser le report modal.

QUATRIÈME PARTIE :
PISTES D’ÉVOLUTIONS DU DISPOSITIF D’ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS

PROPOSITION N° 1 – RENOMMER LE DISPOSITIF « ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS ».

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Il est proposé de renommer « l’écotaxe poids lourds » (ou « taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises ») en « redevance kilométrique pour l’utilisation du réseau non-concédé par les véhicules de transport de marchandises », ou plus simplement en « éco-redevance poids lourds ».

Le dispositif ne vise pas à faire payer uniquement la pollution atmosphérique selon le principe du « pollueur-payeur », mais aussi l’utilisation des routes par les transporteurs routiers de marchandises selon le principe « utilisateur-payeur ». De ce fait, il s’agit bien d’une redevance pour usage du réseau routier national et local non concédé.

Rebaptiser la « taxe » en « redevance » peut sembler une mesure de portée symbolique, mais cette modification peut être la première étape d’une démarche indispensable de pédagogie et de communication qu’il reste à mener en direction des redevables, des élus et du grand public pour la « re-légitimer ».

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Le ministère en charge du budget fait valoir que la redevance poids lourds est une taxe au sens de la typologie fiscale française, et ceci pour deux raisons :

− l’éco-redevance poids lourds n’est pas uniquement affectée à l’entretien du réseau routier sur lequel elle est perçue puisque les recettes collectées sont affectées à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) sans fléchage particulier ;

− l’éco-redevance poids lourds ne s’applique pas à toutes les catégories de poids lourds mais seulement au transport routier de marchandises (TRM).

Pour ces deux raisons, la terminologie de taxe a été retenue : elle induit des exigences fiscales de fiabilité particulièrement lourdes quant à la liquidation et à la collecte de la taxe.

Pourtant, l’éco-redevance poids lourds a été mise en place sur la base du chapitre III de la directive « Eurovignette », qui n’est pas le chapitre relatif aux taxes sur les véhicules (chapitre II), mais celui relatif aux péages et droits d’usage, qui vise les redevances d’infrastructures et/ou de coûts externes. La Directrice générale des douanes et droits indirects a même précisé lors de son audition que la taxe poids lourds est un « péage ». Il est donc certainement possible, en s’appuyant sur le droit de l’Union européenne qui a valeur supranationale, de faire valoir le nom « d’éco-redevance poids lourds ».

On rappellera d’ailleurs que différents documents ministériels (DGITM, Service de l’administration générale et de la stratégie et Mission de tarification) dont celui relatif à la synthèse économique de la taxation envisagée (janvier 2009) puis le rapport présenté, en avril 2010, aux commissions parlementaires chargées des finances et des transports, en application de l’article 153 de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, mentionnaient dans leur titre « Eco-redevance poids lourds » et non pas « Écotaxe ».

Il est nécessaire de modifier par un véhicule législatif le nom actuel de « taxe poids lourds » ou « taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises », en « éco-redevance poids lourds », notamment dans le code des douanes et dans le code des transports.

PROPOSITION N° 2 – FRANCHISE MENSUELLE DE L’ÉCO-REDEVANCE, SANS DISCRIMINATION DE SECTEUR OU DE NATIONALITÉ, AFIN DE NE PAS PÉNALISER LES PETITS UTILISATEURS DE COURTES DISTANCES.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Il est proposé de créer une franchise mensuelle à l’éco-redevance sans discrimination de secteur d’activité, de nature du transport ou de nationalité. Elle se présentera sous la forme d’une franchise kilométrique exprimée en euros. Pour des raisons pratiques, cette franchise sera mensualisée et valable uniquement par poids lourd et non pas par entreprise. La mesure concernera tous les utilisateurs du réseau taxable, quelle que soit la distance parcourue ou la localisation des trajets.

Une franchise kilométrique mensuelle, et exprimée en euros, de
l’éco-redevance réduit par construction la charge de la redevance pour les petits utilisateurs du réseau taxable. Elle sera favorable aux utilisateurs occasionnels du réseau et, surtout, aux utilisateurs de poids lourds en compte propre pour lesquels l’usage du véhicule n’est généralement pas l’activité principale. Elle permettra de redonner du sens au dispositif puisqu’il n’existe pas d’alternative au transport routier sur les courtes distances ou pour les utilisateurs occasionnels.

La franchise sera exprimée « en euros » et mensualisée. De ce fait, elle bénéficiera davantage aux véhicules se voyant appliquer un taux kilométrique relativement plus faible. Par construction, une franchise exprimée « en euros » favorisera davantage les poids lourds circulant sur le réseau des régions périphériques, ainsi que les catégories de poids lourds les moins dommageables pour la chaussée et les poids lourds les moins polluants respectant les règles européennes d’émissions les plus strictes.

La mise en place d’une franchise kilométrique « en euros » semble la solution la plus pertinente pour tenir compte à la fois d’inquiétudes économiques locales mais aussi de préoccupations environnementales légitimes, sans pour autant compromettre l’égalité devant l’impôt sur le territoire national. Elle permet de renforcer la légitimité de l’éco-redevance en allégeant le coût de cette redevance pour les petits trajets, et par conséquent les petits transporteurs, qui ne peuvent structurellement pas bénéficier de report modal ou pour lesquels le report modal est impossible.

La franchise aura un impact plus fort pour le secteur agroalimentaire, notamment en Bretagne, qui repose sur une structure économique plus intensive en transports routiers de courtes distances peu propices à un report modal. Les systèmes logistiques de production d’un produit agroalimentaire font appel à une multitude de petits trajets routiers entre les différentes phases de production du produit final. Cette multiplication des petits trajets pour la production d’un bien unique multiplie l’effet de l’éco-redevance sur le coût du produit, mais multiplie également l’effet de la franchise.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

a. La compatibilité européenne de la proposition

Les contraintes européennes résultent principalement de la directive 1999/62/CE modifiée et relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, dite directive « Eurovignette ».

La directive « Eurovignette » interdit formellement toute forme de discrimination, directe ou indirecte, en fonction de l’origine ou de la destination du véhicule. Ainsi, une exonération non-forfaitaire des petites distances à partir d’un point de départ fixe (par exemple la coopérative ou l’entreprise concernée) – quand bien même elle serait techniquement réalisable – est a priori incompatible avec le droit de l’Union européenne puisque les véhicules étrangers ne bénéficieraient a priori pas de l’exonération, conditionnée à l’origine du poids lourd. À l’inverse, une exonération forfaitaire mensuelle exprimée en « euros » semble compatible, car elle s’applique également au montant de la redevance payée en France par un véhicule étranger. De ce fait, il n’existe aucune discrimination, directe ou indirecte, en fonction de l’origine, de la destination, ou de la nationalité du véhicule, dans le dispositif proposé.

Il n’est pas non plus prévu par la directive « Eurovignette » que la distance parcourue puisse être considérée comme un critère de variation du taux kilométrique. Une liste limitative des critères est établie par l’article
7 decies de la directive 1999/62/CE. Les États membres peuvent prévoir des abattements ou des réductions sur la redevance d’infrastructure, à condition que :

− la structure tarifaire en résultant soit proportionnée, rendue publique et accessible aux usagers aux mêmes conditions et n’entraîne pas la répercussion de coûts supplémentaires sur les autres usagers au moyen d’une augmentation du péage ;

− les abattements ou réductions induisent des économies réelles de frais administratifs ;

− les abattements ou réductions n’excèdent pas 13 % de la redevance d’infrastructure appliquée à des véhicules équivalents qui ne peuvent bénéficier de l’abattement ou de la réduction.

Le troisième alinéa de ce même article précise que la structure tarifaire qui en résulte sera linéaire, proportionnée, rendue publique et accessible à tous les usagers aux mêmes conditions. Une franchise forfaitaire mensuelle s’écarterait de ce principe de tarification kilométrique linéaire et proportionnée imposé par la directive.

Toutefois, la franchise proposée s’apparente davantage à une mesure générale pour les utilisateurs plutôt qu’à des réductions ou abattements spécifiques. Dans ce cadre, elle doit être considérée non pas sur la base de l’article 7 decies de la directive, mais comme l’application d’un taux moyen légèrement réduit par la mise en place d’une franchise mensuelle.

b. Les contraintes techniques de la proposition

L’octroi d’un abattement sur les premiers kilomètres, exprimé en euros, n’est techniquement envisageable que s’il est forfaitaire et mensualisé.

La mise en place d’une franchise non forfaitaire poserait des difficultés techniques difficilement surmontables. Le réseau taxable est actuellement divisé en 4 100 sections de tarification. Chacune d’entre elles est associée à un point de tarification virtuel et mesure en moyenne 3,8 kilomètres. Le franchissement d’un point de tarification constitue le fait générateur de la redevance. Elle est due sur l’ensemble de la longueur de la section de tarification. Il est dès lors techniquement impossible d’identifier un trajet sur lequel seraient exonérés les premiers kilomètres à partir d’un centre d’activité déclaré par l’entreprise redevable.

Le dispositif techniquement mis en œuvre par la société Ecomouv’ avec ses actionnaires les plus impliqués dans la conception du système, les groupes Thales et Steria, correspond au cahier des charges établi par l’administration. Il ne permet effectivement pas une reconnaissance des petits trajets. Toute évolution en ce sens supposerait une refonte complète de son architecture qui exigerait au moins une année de travail avec des coûts supplémentaires extrêmement importants, un risque non négligeable sur la performance globale du système, sans oublier le déploiement de nouveaux moyens techniques de suivi ou de contrôle des véhicules assujettis.

La franchise des premiers kilomètres, exprimée « en euros », ne peut être que forfaitaire. Comme l’ont indiqué tant les représentants du prestataire commissionné que les représentants de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) devant la mission d’information, il est impossible d’intégrer comme base d’exonération les notions de premiers ou de derniers kilomètres. Le choix d’une fréquence mensuelle est également préférable puisque le paiement de l’éco-redevance est mensualisé pour l’ensemble des utilisateurs ayant souscrit un abonnement à une société habilitée de télépéage (SHT).

Consultée par votre Rapporteur, la direction de la société Ecomouv’ a confirmé par écrit la possibilité d’instituer un abattement forfaitaire mensualisé représentatif des premiers kilomètres parcourus sur le réseau taxé : « La question peut être réglée par une révision des mécanismes de liquidation et de communication de la facturation mensuelle. Elle pose toutefois la problématique du montant effectivement déduit, le taux associé aux différents points de tarification pouvant notamment varier du fait de la périphéricité ». Dans sa réponse, la société Ecomouv’ considère que la meilleure solution serait toutefois de retenir, comme le souhaite d’ailleurs votre Rapporteur, « (…) le principe d’une franchise en euros, cette solution ne présenterait pas de difficultés supplémentaires pour les redevables abonnés avec un avantage supplémentaire qu’elle apporte une réponse à la problématique de la détermination du montant déduit ».

Cette solution techniquement réaliste est donc tout à fait possible pour les redevables abonnés. En revanche, concernant les non abonnés, c’est-à-dire majoritairement des usagers occasionnels du réseau, la franchise mensuelle posera quelques difficultés du fait du prépaiement de la redevance et de l’utilisation ponctuelle du réseau. Il faudra donc, les concernant, trouver une solution spécifique, comme la mise en place d’une franchise journalière, la proratisation de la franchise en fonction du nombre de jours, ou encore un système déclaratif a posteriori supposant un remboursement par la douane des droits qui se révéleraient supérieurs à la perception.

Dans tous les cas, la procédure de l’avance sur le paiement de la redevance devra être ajustée pour prévoir un remboursement de la différence ou la possibilité de créditer l’avance avec le montant de la franchise. Le système informatique du prestataire commissionné doit donc être modifié pour intégrer ce dispositif.

c. Les conséquences économiques et financières de la mesure

Selon les services du ministère des transports, l’usage moyen quotidien du réseau taxable par un poids lourd français est estimé à environ
37 kilomètres.
Cette moyenne recouvre, bien entendu, des trajets de longueurs extrêmement différentes, mais il faut souligner qu’une franchise de plus de
40 km/jour aurait un effet important puisqu’elle se situerait au-delà de l’usage moyen.

Dans tous les cas, cette franchise kilométrique devra être calculée de telle manière à ne pas réduire le produit de la redevance d’un montant supérieur à 300 millions d’euros.

DISTANCE POUVANT ÊTRE PARCOURUE POUR UNE FRANCHISE DE 400 KM EN FONCTION DE LA CATÉGORIE ET DE LA NORME EURO DU POIDS LOURDS (BARÈME 2014 ET MODULATION EURO ACTUELLE)

(en kilomètres)

 

Véhicules électriques

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II

EURO I et avant

Catégorie 1

985

695

622

591

537

514

492

Catégorie 2

781

551

493

468

426

407

390

Catégorie 3

563

397

355

338

307

294

281

DISTANCE POUVANT ÊTRE PARCOURUE POUR UNE FRANCHISE DE 400 KM EN FONCTION DE LA CATÉGORIE ET DE LA NORME EURO DU POIDS LOURDS (BARÈME 2014 ET NOUVELLE MODULATION PROPOSÉE PAR LA MISSION)

(en kilomètres)

 

VE, EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II, EURO I et avant

Catégorie 1

844

622

591

514

492

Catégorie 2

669

493

468

407

390

Catégorie 3

482

355

338

294

281

L’ensemble des distances pouvant être parcourues grâce à la franchise exprimée en euros sont multipliées par un facteur 2 pour la région Bretagne, et par un facteur 1,4 pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées. En effet, ces régions bénéficient d’une minoration des taux kilométriques de 50 % pour la Bretagne et de 30 % pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées.

Il est important de noter que l’utilisation du réseau taxable ne représente qu’en moyenne que 30 % du trajet effectué par un poids lourd. En bénéficiant d’une franchise de 400 kilomètres sur le réseau taxable, le poids lourd aura en moyenne effectué un trajet sur le réseau routier de près de 1 300 kilomètres.

Enfin, la mise en place d’une franchise exprimée en euros aura un impact réducteur sur les taux de majoration forfaitaire, dont l’objectif est d’assurer une répercussion vers les donneurs d’ordre. Sur la base des informations dont dispose votre Rapporteur, une franchise exprimée en euros de
400 kilomètres aurait les conséquences suivantes sur les taux de majoration forfaitaire :

TAUX DE MAJORATION FORFAITAIRE RÉVISÉS EN FONCTION D’UNE FRANCHISE KILOMETRIQUE DE 400 KILOMETRES EXPRIMEE EN EUROS

(en pourcentage)

Régions

Taux de majoration

Régions

Taux de majoration

Ile-de-France

5.3 % (au lieu de 7 %)

Pays de la Loire

3.0 % (au lieu de 3,9 %)

Champagne-Ardenne

4.2 % (au lieu de 5,5 %)

Bretagne

2.8 % (au lieu de 3,7 %)

Picardie

3.1 % (au lieu de 4,1 %)

Poitou-Charentes

3.5 % (au lieu de 4,6 %)

Haute-Normandie

3.1 % (au lieu de 4,1 %)

Aquitaine

1.7 % (au lieu de 2,3 %)

Centre

2.7 % (au lieu de 3,6 %)

Midi-Pyrénées

2.1 % (au lieu de 2,8 %)

Basse-Normandie

3.5 % (au lieu de 4,6 %)

Limousin

4.6 % (au lieu de 6 %)

Bourgogne

3.3 % (au lieu de 4,3 %)

Rhône-Alpes

2.6 % (au lieu de 3,4 %)

Nord-Pas-de-Calais

5.0 % (au lieu de 6,7 %)

Auvergne

2.9 % (au lieu de 3,8 %)

Lorraine

4.3 % (au lieu de 5,7 %)

Languedoc-Roussillon

1.7 % (au lieu de 2,1 %)

Alsace

5.2 % (au lieu de 6,9 %)

PACA

2.1 % (au lieu de 2,7 %)

Franche-Comté

2.5 % (au lieu de 3,3 %)

Corse

0.0 %

Taux de majoration interrégional

3.8 % (au lieu de 5,2 %)

L’impact d’une franchise de 400 kilomètres exprimée en euros aura un impact non négligeable pour les donneurs d’ordre ayant recours à une prestation de transport pour compte d’autrui, puisque la franchise conduira à une réduction du taux de majoration interrégional forfaitaire qui passera de 5,2 % à 3,8 %.

Il est nécessaire d’introduire dans la loi, dès la prochaine loi de finances rectificative (LFR), la règle selon laquelle chaque véhicule assujetti bénéficiera d’une franchise mensuelle de X kilomètres exprimée en euros, applicable aux kilomètres parcourus dans le mois sur le réseau taxable, et non reportable le mois suivant.

PROPOSITION N° 3 – RENFORCER LA COMMUNICATION ET LA PÉDAGOGIE POUR REDONNER DU SENS AUX OBJECTIFS DE L’ÉCO-REDEVANCE.

Il apparaît qu’un certain nombre de malentendus ou méconnaissances persistent sur les objectifs de l’éco-redevance ainsi que sur les modalités de recouvrement du dispositif. De nombreux acteurs économiques et sociaux ont ainsi affirmé que l’éco-redevance ne s’appliquerait pas aux transporteurs étrangers, que les portiques serviraient à la collecte de la redevance, ou encore que la majoration forfaitaire ne serait pas obligatoire. Ces incompréhensions reflètent un manque réel de pédagogie et de communication autour du dispositif et des principes de fonctionnement de la redevance.

Cette situation résulte pour une bonne part de l’insuffisance de pilotage politique qui a caractérisé le dossier de l’éco-redevance depuis la conception même de ce prélèvement jusqu’aux solutions techniques retenues. Les pouvoirs publics s’en sont exclusivement remis à l’expertise de quelques hauts-fonctionnaires dans un cadre interministériel restreint.

Le travail de ces hauts fonctionnaires n’est pas en cause. Leur implication et les efforts accomplis méritent même d’être soulignés alors qu’au long du cheminement du dossier, ils n’ont probablement pas toujours été en mesure d’exposer clairement au niveau des gouvernements qui se sont succédé toutes les implications d’un système nécessairement complexe.

Une absence de pilotage politique du dossier depuis l’adoption du principe de l’écotaxe dans le cadre du Grenelle de l’environnement est à l’origine de bien des incompréhensions. La perception trop tardive de certaines incidences de l’éco-redevance s’explique par une insuffisante prise en compte par les gouvernements de l’utilité et de la finalité d’un tel prélèvement, au regard d’enjeux majeurs de portée environnementale et sociale. L’opinion n’a pas été informée et préparée à être confrontée au dispositif, dès lors perçu comme une imposition supplémentaire qui serait destinée au train de vie de l’État et non pas comme une contribution acquittée par les utilisateurs professionnels et dédiée au financement d’infrastructures qui constituent un facteur essentiel de la compétitivité économique et contribuent de façon déterminante au développement de nos territoires.

Un effort de pédagogie pour redonner du sens au dispositif est essentiel : l’éco-redevance se fonde sur les principes de l’utilisateur-payeur et du pollueur-payeur, elle s’applique à tous, et vise à développer des perspectives du transport durable pour nos territoires.

Il revient manifestement aux pouvoirs publics mais aussi au prestataire commissionné de renforcer la communication sur l’utilisation des recettes collectées : l’éco-redevance financera non seulement une partie de la mise à niveau des infrastructures routières, mais également les infrastructures de transports durables tels que les lignes ferroviaires, les transports urbains ou les voies d’eau. Elle permettra ainsi de conforter la compétitivité de notre pays, en lui garantissant des infrastructures de transport à la fois performantes et respectueuses de l’environnement.

Il convient d’insister sur les conséquences d’une éventuelle suppression de l’éco-redevance. Si l’éco-redevance devait ne pas être mise en œuvre, à la suite d’une décision politique, cela se traduirait par une dégradation des infrastructures de transports existantes, le report sine die – voire l’abandon pur et simple – d’un certain nombre de projets de développement d’infrastructures, à moins de procéder à une hausse des fiscalités nationales et locales. C’est la collectivité tout entière qui devra prendre en charge la responsabilité financière, économique et environnementale de la suppression de
l’éco-redevance
.

En Allemagne, la mise en place, il y a presque dix ans, d’un prélèvement kilométrique équivalent à l’éco-redevance ne s’est pas réalisée sans difficultés. Le contentieux ouvert entre le prestataire et l’État fédéral est d’ailleurs toujours pendant. Mais l’enjeu de modernisation des réseaux routiers a progressivement été valorisé à destination du public qui constatait une sérieuse dégradation de leur état du fait des retards dans les investissements consentis tant au niveau fédéral que local. Le ministre des transports vient d’ailleurs d’annoncer un abaissement du tonnage des véhicules assujettis de 12 à 7,5 tonnes ainsi qu’une extension du réseau taxé de quelque 1 000 kilomètres de routes nationales. Ces décisions auront pour effet de porter le produit de la LKW Maut à près de 4,5 milliards d’euros, soit un montant quatre fois supérieur au produit net attendu de l’éco-redevance française. Au titre de l’exercice 2012 et après déduction des coûts de collecte, la LKW Maut avait généré 3,5 milliards d’euros de recettes.

La proposition nécessite un véritable effort de communication, à mener non seulement par les services de l’État mais aussi par le relais des élus, des partenaires du dispositif et des organisations professionnelles de transporteurs et de chargeurs. La réalisation de dépliants explicatifs, d’un site internet performant et pédagogique, l’organisation de tables rondes (rôle des préfectures en liaison avec les organisations professionnelles et consulaires), etc., sont aujourd’hui nécessaires. Cet effort de pédagogie est essentiel pour redonner du sens à une éco-redevance qui a été généralement mal perçue et rarement comprise. Il ne devra pas omettre la diffusion d’informations destinées au grand public d’une part, et aux transporteurs étrangers, d’autre part.

Cette proposition ne nécessite pas l’adoption d’un texte législatif ou réglementaire.

PROPOSITION N° 4 – ORGANISATION D’UNE MARCHE À BLANC NATIONALE ET OBLIGATOIRE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Pour renforcer l’acceptabilité du dispositif, mais également pour tester son bon fonctionnement et disposer d’éléments d’évaluation de son impact économique, il est proposé de mettre en place une marche à blanc nationale, c’est-à-dire sur l’ensemble du réseau soumis à l’éco-redevance, et d’une durée minimale de trois mois. Cette marche à blanc permettra non seulement aux acteurs de tester le dispositif, mais également d’identifier les principales difficultés à résoudre.

Elle devra être obligatoire pour tous les poids lourds et toutes les sociétés habilitées de télépéage (SHT), et non pas facultative comme la marche à blanc de 2013.

Un certain nombre d’entreprises pilotes seront identifiées pour permettre une analyse détaillée des effets et conséquences de l’éco-redevance, et ainsi bénéficier au niveau local d’une forme d’étude d’impacts. Ces entreprises pilotes devront refléter la diversité des entreprises de transports de marchandises ainsi que la diversité des clients des transporteurs (chargeurs). Elles permettront notamment de vérifier l’adéquation des taux de majoration forfaitaire avec la redevance réellement prélevée, et de détecter en amont les secteurs d’activité ou les filières directement placés dans une situation économique difficile du fait de l’éco-redevance. L’identification de ces filières mises en difficultés ou voyant ainsi leurs difficultés s’aggraver pourra conduire l’État à mettre en place un plan d’adaptation ciblé et temporaire.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

La préparation de la marche à blanc nécessite une validation préalable et globale de tous les dossiers déjà enregistrés par Ecomouv’ en sa qualité de prestataire commissionné, tout en s’assurant que les informations qui ont été fournies par les redevables ne soient pas périmées.

Il convient de conserver et de valider le « stock » existant des enregistrements pour lancer la marche à blanc à laquelle s’agrégeront les « nouveaux entrants » au fur et à mesure de leur enregistrement. Pour que le nombre de véhicules enregistrés soit suffisant et que la marche à blanc ait véritablement du sens, l’État devra mettre en place un mécanisme d’incitation fort pour finaliser les enregistrements.

Néanmoins les études qui pourront être conduites au long de la marche à blanc ne fourniront pas toutes les informations utiles à la compréhension de toutes les incidences du dispositif : l’éco-redevance n’étant pas réellement appliquée, elle ne sera pas répercutée le long de la chaîne de valeur. Il sera difficile de déterminer avec précision l’impact de l’éco-redevance sur les prix, et de savoir si elle est effectivement répercutée par les chargeurs, notamment vis-à-vis de la grande distribution. Il sera également difficile d’estimer les effets sur le report modal et/ou autoroutier en l’absence de véritable signal prix vers les chargeurs durant la phase de marche à blanc.

Le rétro-planning proposé est le suivant :







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Le pilotage de la marche à blanc devra être réalisé par le ministère en charge des transports. La marche à blanc ne peut être engagée que si la décision politique de remettre en place l’éco-redevance a été préalablement prise : elle ne doit pas servir à conditionner une décision de mise en œuvre ultérieure de l’éco-redevance.

Un texte législatif est nécessaire pour mettre en œuvre une marche à blanc nationale et obligatoire, ainsi que pour imposer une date limite d’enregistrement contraignante pour les poids lourds.

PROPOSITION N° 5 – RENFORCER LA PRISE EN COMPTE DU PRINCIPE POLLUEUR-PAYEUR EN ACCENTUANT LA MODULATION DES TAUX DE LA REDEVANCE

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Les taux kilométriques de la redevance varient en fonction du nombre d’essieux et du poids total autorisé en charge (PTAC) des poids lourds – prise en compte du principe utilisateur-payeur – mais sont également modulés en fonction de la catégorie d’émissions Euro des véhicules – prise en compte du principe pollueur-payeur :

MODULATIONS DU BARÈME 2014

Véhicules électriques

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II

EURO I et avant

- 40 %

- 15 %

- 5 %

0

+ 10 %

+ 15 %

+ 20 %

Il en résulte un système à 21 taux différents. Accroitre les modulations actuelles des taux kilométriques pourrait inciter les transporteurs à investir dans de nouveaux véhicules, aux normes d’émissions Euro plus récentes, et de ce fait, soumis à un taux d’éco-redevance plus faible.

Les taux de modulation ont été calculés en utilisant les projections relatives à la composition du parc de véhicules pour classe Euro pour 2013 et 2014 et en appliquant ensuite les rabais jugés appropriés pour encourager le renouvellement du parc par des véhicules moins polluants de la classe Euro 6. Une tolérance a ensuite été introduite de manière à ce que les petites entreprises de transport qui utilisent essentiellement des véhicules Euro 6 ne soient pas pénalisées.

Par l’application obligatoire de la majoration forfaitaire, les entreprises de transport ayant effectué des investissements pour moderniser leur flotte de poids lourds bénéficieront d’une forme de retour sur investissements : une entreprise vertueuse dont l’ensemble de la flotte respecterait la norme Euro 6 acquittera une redevance modulée à la baisse de 15 % par rapport à une entreprise concurrente dont la flotte serait entièrement composée de poids lourds de norme Euro 4. Pour autant, les deux entreprises appliqueront à leurs clients un taux identique de majoration forfaitaire.

Il semble que la seule modulation des tarifs de l’éco-redevance en faveur des poids lourds Euro 6 ou plus ne soit actuellement pas suffisante pour inciter aux achats les plus vertueux, compte tenu du surcoût d’acquisition de tels véhicules (environ 10 000 euros par rapport à un poids lourd Euro V, selon le Conseil national des professions de l’automobile).

Un soutien complémentaire est nécessaire pour encourager les achats de véhicules récents moins polluants, même si l’éco-redevance poids lourds ne vise pas seulement à réduire la circulation des véhicules polluants mais à compenser les coûts d’usure des routes, y compris l’usure causée par les véhicules les moins émetteurs de gaz à effets de serre.

2. SITUATION DU PARC ROULANT DE POIDS LOURDS

Le parc roulant français de poids lourds est essentiellement composé de véhicules diesel anciens, aux normes d’émissions Euro moins exigeantes que celles applicables aux véhicules neufs aujourd’hui. L’âge moyen du parc est progressivement passé de 5 ans en 2007 à 5,5 ans en 2011 et 6,7 ans en 2013.

RÉPARTITION DU PARC DES POIDS LOURDS EN FRANCE (2014)

Normes EURO

Nombre de poids lourds

Part du parc roulant (%)

Pré-EURO I

4 310

1,0

EURO I

7 100

1,6

EURO II

34 264

7,9

EURO III

90 249

20,8

EURO IV

71 540

16,5

EURO V

171 695

39,7

EURO VI

53 759

12,4

TOTAL

432 916

100

Source : DGITM.

Au 1er janvier 2014, le parc de poids lourds était encore composé à
30 % de véhicules aux normes Euro 2 et 3. Or, un véhicule Euro 4 émet
13 fois moins de particules et 12 fois moins d’oxydes d’azote qu’un véhicule classé en Euro 3.
En effet, pour limiter les émissions de gaz nocifs, des réglementations européennes ont été prises depuis le début des années 1970. Ces normes imposent des valeurs limites d’émissions des oxydes d’azote (NOx), du monoxyde de carbone (CO), des hydrocarbures (HC) et des particules.

PRÉSENTATION DES DIFFÉRENTES NORMES D’ÉMISSION EURO

Normes

Textes de référence (directives)

Date de mise en application

NOx (g/kWh)

CO (g/kWh)

HC (g/kWh)

Particules (g/kWh)

EURO 0

88/77

01/10/1990

14,4

11,2

2,4

-

EURO I

91/542 (A)

01/10/1993

9

4,9

1,23

0,36

EURO II

91/542 (B)

01/10/1996

7

4

1,1

0,15

EURO III

1999/96

01/10/2001

5

2,1

0,66

0,13

EURO IV

1999/96

01/10/2006

3,5

1,5

0,46

0,02

EURO V

1999/96

01/10/2009

2

1,5

0,46

0,02

EURO VI

Règlement 595/2009

31/12/2013

0,4

1,5

0,13

0,01

Les émissions polluantes des véhicules d’un poids total autorisé en charge (PTAC) de plus de 3,5 tonnes sont ainsi encadrées par des directives européennes de plus en plus contraignantes. Depuis le 31 décembre 2013, tous les véhicules neufs et achetés par des transporteurs doivent être conformes à la norme Euro 6, en application du règlement n° 595/2009 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009.

3. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

a. Les contraintes juridiques de la proposition

La directive « Eurovignette » ouvre des possibilités de recourir à une modulation tarifaire en fonction des normes Euro : la modulation doit cependant être effectuée de telle manière qu’elle ne soit jamais supérieure de plus de 100 % au montant de la redevance d’infrastructure perçue pour des véhicules équivalents qui respectent les normes d’émission les plus strictes. Elle ne doit pas non plus avoir pour objet de générer des recettes de péage supplémentaires.

L’écart maximum actuel est à mesurer entre le bonus de 40 % aux véhicules électriques et le malus de 20 % pour les poids lourds Euro 1 ou plus vieux. On a dès lors un écart de 0,6 à 1,2, soit un facteur 2 ou un écart de 100 %. La contrainte européenne (plafond) est dès lors atteinte.

Afin de libérer quelques marges de manœuvre vis-à-vis de ce plafond fixé par la directive, tout en accentuant la modulation en faveur des véhicules les moins polluants, il est proposé, d’une part, de fusionner les normes Euro 1 et Euro 2, et, d’autre part, les véhicules électriques et la norme Euro 6. Dès lors, en respectant également la condition de neutralité sur le rendement de la redevance, la nouvelle modulation pourra prendre la forme suivante :

Véhicules électriques,

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II, EURO I et avant

- 30 %

- 5 %

0

+ 15 %

+ 20 %

b. Estimation du coût financier de la mesure

Le coût financier de la mesure sera nul puisqu’elle ne peut pas avoir pour objet de générer des recettes de péage supplémentaires et doit se faire à rendements constants.

La modification de la modulation par normes Euro de la redevance peut s’effectuer, dans le cadre de l’article 275 du code des douanes et dans le respect des exigences de l’Union européenne, par la voie réglementaire.

PROPOSITION N° 6 – PERMETTRE AUX TRANSPORTEURS EN COMPTE PROPRE DE FAIRE FIGURER EN BAS DE FACTURE LES CHARGES SUPPORTÉES AU TITRE DE L’ÉCO-REDEVANCE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Le dispositif consiste à faire figurer par une mention en bas de la facture (« pied de facture »), lorsqu’elles sont disponibles, les informations relatives aux majorations supportées au titre de l’éco-redevance ou aux coûts supportés par le producteur assurant le transport en compte propre. Il s’agirait d’une répercussion au réel, et non forfaitaire, sans caractère obligatoire.

L’objectif est d’influer sur les négociations commerciales, notamment avec la grande distribution, afin de permettre une répercussion en aval de
l’éco-redevance et de favoriser la prise en compte par le consommateur d’un signal prix.

Cette mesure a été défendue par un certain nombre de secteurs d’activités comme l’agriculture, l’agroalimentaire, ou les activités de distribution de matériels de bâtiments, de travaux publics et de manutention.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

La proposition n’est pas une répercussion automatique et obligatoire des coûts de l’éco-redevance sur l’ensemble de la chaîne de production car elle serait impossible à mettre en œuvre et à contrôler. Par conséquent, la mesure peut se révéler sans effets réels ou n’avoir que de faibles conséquences : il est probable que la négociation porte sur le haut de la facture au détriment des transporteurs ou des producteurs.

Néanmoins, la mesure faciliterait sans doute la répercussion de
l’éco-redevance, en particulier dans les secteurs d’activité où les négociations commerciales sont systématiquement tendues
comme la filière agricole et / ou agroalimentaire.

Juridiquement, rien ne s’oppose à la répercussion en pied de facture, tant qu’elle reste sans caractère obligatoire. Dans le cas inverse, elle pourrait poser des problèmes d’égalité de traitement entre transporteurs pour compte propre et transporteurs pour compte d’autrui.

Il convient d’éviter l’écueil d’un dispositif normatif visant à répercuter au fil de la chaîne de production le coût de la majoration du prix de la prestation de transport. Si le principe de la majoration forfaitaire a été admis par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-670 DC du 23 mai 2013, c’est au double motif qu’il demeurait corrélé avec l’objectif de la redevance, à savoir que c’est le donneur d’ordres qui choisit le mode de transport et qui doit s’acquitter de la redevance, et que l’objectif de politique économique poursuivi par le législateur à l’égard du transport routier de marchandises le justifiait. Il est difficile de tenir un raisonnement analogue pour une coopérative agricole ou une centrale d’achat répercutant le coût de l’éco-redevance en aval, puisque c’est la coopérative elle-même qui est le donneur d’ordre du mode de transport.

Une modification législative du code de commerce est nécessaire pour permettre la mise en place (non obligatoire) d’un « pied de facture » pour
la répercussion de l’éco-redevance poids lourds.

PROPOSITION N° 7 – SOUTENIR LE SECTEUR DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES ET CRÉER UN FONDS DE MODERNISATION DE LA FLOTTE DE POIDS LOURDS.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DES PROPOSITIONS

Le secteur du transport routier de marchandises (TRM) subit de plein fouet les aléas et la stagnation de l’économie française, mais aussi l’émergence d’une concurrence européenne intense et souvent inégale. Afin de renforcer la compétitivité de ce secteur d’activité, dans le respect des enjeux environnementaux, il est proposé d’accompagner la mise en place de
l’éco-redevance :

− en créant un fonds de modernisation pour inciter à un renouvellement plus respectueux de l’environnement de la flotte de poids lourds ;

− en supprimant le versement d’une caution lors de la remise de l’équipement électronique embarqué (EEE) aux redevables non abonnés afin de soulager les TPE n’ayant recours qu’occasionnellement au réseau soumis à l’éco-redevance ;

− en préservant le soutien de l’État au Conseil national routier (CNR), dont le rôle d’observatoire économique français du transport routier de marchandises est essentiel ;

− en conservant pour les années à venir le niveau de la TICPE sur le gazole à usage professionnel à son niveau de 2004, soit 39,19 euros par hectolitre, afin de faciliter la convergence européenne de la fiscalité portant sur le gazole professionnel ;

− en renforçant le dispositif législatif de répercussion gazole afin de garantir une véritable la répercussion des variations des charges de carburant dans les prix de vente des prestations de transport ;

− en luttant de manière efficace contre le cabotage illégal en utilisant éventuellement les nouvelles technologies de géo-positionnement des équipements électroniques embarqués, et en renforçant les moyens de contrôles routiers.

La principale de ces mesures est la création d’un fonds de modernisation destiné aux entreprises du transport routier pour inciter à un renouvellement plus respectueux de l’environnement de la flotte de poids lourds. Ce fonds doit inciter les entreprises de transports à investir dans des véhicules moins polluants, comme par exemple :

− des véhicules dédiés à la livraison urbaine utilisant des technologies alternatives au diesel, notamment le gaz naturel pour véhicules (GNV), le gaz naturel compressé (GNC) le gaz naturel liquéfié (GNL), ne relevant pas de la norme Euro 6 et non encore intégrés à la future norme Euro 7 en cours de définition ;

− des véhicules de moins de 12 tonnes de PTAC dédiés à la livraison du « dernier kilomètre » dans des zones urbaines denses et utilisant des technologies alternatives au diesel, notamment une motorisation électrique.

L’acquisition d’un véhicule au gaz ou à motorisation électrique entraîne un surcoût à l’acquisition et à la maintenance de 20 à 50 % par rapport à une motorisation diesel. En outre, elle nécessite une réorganisation complète des schémas logistiques, l’autonomie des véhicules électriques restant, à ce jour, assez faible.

Les surcoûts engendrés par ces changements de motorisation et la réorganisation des schémas logistiques rendent incertain le retour sur investissement pour les transporteurs dans une période de forte pression sur les prix de transport.

De plus, l’utilisation du gaz ou de la motorisation électrique est conditionnée au maillage d’un réseau de stations d’approvisionnement ou de bornes de rechargement, les fournisseurs d’énergie ne pouvant investir dans le déploiement de ce réseau qu’à la condition de l’existence d’une demande soutenue.

Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics incitent les entreprises de transport à acquérir des véhicules au gaz ou à motorisation électrique, moins polluants, afin de provoquer le déclenchement de la progression de ces solutions alternatives au diesel.

ÉMISSIONS DE POLLUANTS EN FONCTION DES NORMES EURO ET DU GNV

Normes

NOx (g/kWh)

CO (g/kWh)

HC (g/kWh)

Particules (g/kWh)

EURO V

2

1,5

0,46

0,02

EURO VI

0,4

1,5

0,13

0,01

GNV

0,47

1,4

0,0006

0,002

2. LE CAS DE L’ALLEMAGNE

Le Gouvernement fédéral a mis en place des mesures d’accompagnement pour les transporteurs routiers à la suite de la mise en place de la LKW Maut en 2005. Elles s’élevaient à près de 550 millions d’euros par an :

− diminution de la fiscalité sur les poids lourds (150 millions d’euros) ;

− modernisation des flottes de poids lourds (16 millions d’euros) ;

− formation professionnelle (85 millions d’euros) ;

− subventions des petits investissements visant à améliorer la sécurité ou les performances environnementales des transporteurs (293 millions d’euros).

Le programme de modernisation de la flotte de poids lourds prévoit des subventions directes des transporteurs pour l’achat de véhicules dont les normes environnementales sont supérieurs à l’obligation légale. Elles s’élèvent à 3 850 euros par véhicule pour les grandes entreprises et atteignent 6 050 euros par véhicule pour les plus petites.

La coordination du programme était assuré par la KfW, équivalent allemand de la Banque publique d’investissement (BPI). L’ensemble des mesures est financé directement par les recettes de l’éco-redevance poids lourds.

Il convient de noter que le droit de l’Union européenne relatif aux aides d’État et le droit européen relatif à l’entrée en vigueur obligatoire des normes Euro successives ont évolué dans un sens restrictif depuis la mise en place des mesures allemandes.

3. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Du point de vue juridique, le dispositif de subvention doit être formellement compatible avec le droit de la concurrence de l’Union européenne. Les aides à l’acquisition de nouveaux véhicules de transport font l’objet d’une réglementation spécifique : elles ne sont autorisées qu’à condition d’être destinées à l’acquisition de véhicules allant au-delà des normes communautaires obligatoires.

La norme Euro 6 s’appliquant obligatoirement depuis le 1er janvier 2014, une aide à l’acquisition de véhicules Euro 6 n’est dorénavant plus compatible avec le droit de l’Union européenne. Un dispositif d’aide ne pourra dès lors soutenir que les achats de poids lourds plus vertueux et appelés à intégrer une future catégorie « post Euro 6».

Pour l’instant, le droit européen ne définit pas de norme « post Euro 6 » ou « Euro 7 ». La catégorie des « véhicules électriques » figure dans les tableaux annexés aux textes européens relatifs aux normes Euro d’émission, mais ne constitue pas une norme.

Il existe une norme « EEV » (« enhanced environmentally friendly vehicles » ou « véhicules plus respectueux de l’environnement » – VRE), qui n’a pas de caractère obligatoire et concerne une partie des véhicules de norme Euro 5.

Enfin, la situation des véhicules au gaz est particulière : bien qu’appartenant pour la plupart d’entre eux à la norme Euro 6, ils sont, pour certains, bien moins polluants que des véhicules diesel de norme équivalente.

Ils ne peuvent néanmoins pas, dans l’état actuel du droit de l’Union européenne, faire l’objet d’une subvention à l’acquisition.

L’ensemble des propositions nécessitent un support législatif qui relève, dans certains cas comme celui de la création d’un fonds de modernisation, de la loi de finances.

PROPOSITION N° 8 – MAINTENIR LE BARÈME NATIONAL DE LA REDEVANCE AU TAUX MOYEN DE 13 CENTIMES D’EURO PAR KILOMÈTRE, ET FIXER DES RÉGLES PRÉVISIBLES ET CONTRAIGNANTES D’ÉVOLUTION FUTURE.

L’application des taux prévus par l’arrêté du 14 mai 2013 relatif au taux kilométrique et aux modulations qui lui sont appliquées de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises pour 2014, alors même que la redevance n’était pas encore en place, n’a pas été comprise par les acteurs économiques, et a envoyé un signal négatif vers certaines professions craignant des hausses successives et importantes de ces taux.

Afin de permettre aux entreprises d’anticiper les coûts de l’éco-redevance, il est proposé que le Gouvernement s’engage à maintenir les taux actuels inchangés sur une période d’au moins trois années, en tenant éventuellement compte de l’évolution de l’inflation et des rectifications rendues nécessaires après constats de situations économiques particulières.

BARÈME 2014 DES TAUX KILOMÉTRIQUES AVEC LA MODULATION EURO ACTUELLE

(en centimes d’euros)

 

Véhicules électriques

EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II

EURO I et avant

Catégorie 1

5,3

7,5

8,4

8,8

9,7

10,1

10,6

Catégorie 2

6,7

9,4

10,5

11,1

12,2

12,8

13,3

Catégorie 3

9,2

13,1

14,6

15,4

16,9

17,7

18,5

BAREME 2014 DES TAUX KILOMÉTRIQUES AVEC LA MODULATION EURO PROPOSÉE

(en centimes d’euros)

 

VE, EURO VI, EURO V (EEV)

EURO V

EURO IV

EURO III

EURO II, EURO I et avant

Catégorie 1

6,2

8,4

8,8

10,1

10,6

Catégorie 2

7,8

10,5

11,1

12,8

13,3

Catégorie 3

10,8

14,6

15,4

17,7

18,5

Aucune modification n’est a priori nécessaire. Un véhicule législatif est néanmoins possible afin d’engager le Gouvernement à maintenir ses taux inchangés pendant a minima trois années.

PROPOSITION N° 9 – ADAPTER LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF DE MAJORATION FORFAITAIRE AUX SPÉCIFICITÉS DE CERTAINES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES.

Afin de ne pas remettre en cause l’équilibre économique des entreprises du secteur des transports, la loi rend obligatoire la répercussion de la redevance sur les prix de transport par l’application d’une majoration forfaitaire.

La majoration de prix doit être appliquée par le transporteur pour toute prestation de transport de marchandises, quel que soit l'itinéraire emprunté, même partiellement ou non taxé. Il ne s'agit pas d'un mécanisme de répercussion direct de l'éco-redevance acquittée par le transporteur redevable. Le prix du transport doit être majoré de plein droit, selon les taux suivants :

− un taux unique de 5,2 % pour les transports effectués entre les régions ;

− un taux intrarégional pour les transports à l'intérieur de chaque région, en fonction des régions. Ce taux varie entre 7,0 % pour l’Ile-de-France et 2,1 % pour le Languedoc-Roussillon.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Certaines activités économiques, du fait de contraintes logistiques et économiques particulières, ne parviennent pas à appliquer le taux de majoration forfaitaire sur un prix reflétant uniquement la prestation de transport effectuée. En raison de contraintes inhérentes à leur activité, la majoration forfaitaire est appliquée sur la prestation de service dans son ensemble, et non pas uniquement sur le prix de la prestation de transport routier de marchandises, comme le prévoit la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports.

Il est proposé d’adapter, pour ces secteurs d’activité particuliers, la mise en œuvre du dispositif de majoration forfaitaire. Il ne s’agit pas de revenir sur le principe même de la majoration forfaitaire, mais de s’assurer que le dispositif de majoration actuel puisse s’adapter à la spécificité de certaines activités économiques particulières, telles que :

− le transport routier de pré et de post acheminement dans le cadre de la réalisation d’un transport combiné : le dispositif de majoration actuel viendrait surenchérir le coût des transports de pré et de post acheminement via son application non seulement à la part du trajet routier mais aussi à l’ensemble de la prestation de transport ;

− les opérations de déménagements : la problématique est la même que pour les opérations de pré et de post acheminement, puisque le prix de la prestation auquel est appliquée la majoration comprend la prestation de transport mais aussi une prestation de service, souvent indissociable ;

les opérateurs de livraisons en express pour les acheminements rapides de colis ou palettes individualisés et mentionnant des délais indicatifs ou conventionnels ou de fret d’un poids inférieur à une tonne.

L’impact pour les finances publiques de ces mesures serait neutre, tandis qu’elles redonneraient de la légitimité au dispositif d’éco-redevance.

2. LE TRANSPORT ROUTIER DE PRÉ ET DE POST ACHEMINEMENT RELEVANT D’UNE OPÉRATION DE TRANSPORT COMBINÉ

L’instruction du gouvernement du 2 août 2013 relative au dispositif de majoration forfaitaire précise à l’intention des services de l’État que « pour les opérations de transport intermodal, le dispositif de majoration ne s’applique obligatoirement qu’au prix du volet routier de la prestation (…) Pour les opérations de transport intermodal, il appartient aux cocontractants de définir la part du volet routier dans le prix global de la prestation, cette part constituant l’assiette de la majoration. Le taux de majoration applicable est le taux unique inter-régional si les opérations de transport routier sont réalisées dans deux régions différentes. À défaut, le taux de majoration intra régional s’applique. À titre indicatif pour le transport combiné, la part des trajets de pré et post acheminement dans le prix global de la prestation usuellement retenue par les professionnels est de 40 %. ».

Dès lors, adapter le dispositif de majoration forfaitaire permettra aux transporteurs routiers de marchandises de pré et post acheminement de ne pas révéler le prix de la prestation de transport, prix qui est souvent difficile à déterminer. Aussi, il pourrait être envisagé un dispositif dans lequel, si l’entreprise ne peut pas différencier ses prix, la majoration est appliquée sur une part forfaitaire de 40 % du prix total de la prestation.

3. LES OPÉRATIONS DE DÉMÉNAGEMENT

Dans une logique similaire à celle des transporteurs de pré et post acheminement routier à un transport combiné, le prix de la prestation de déménagement auquel est appliquée la majoration forfaitaire comprend la prestation de transport mais aussi une prestation de service, souvent indissociable. Il est alors difficile aux déménageurs d’identifier avec précision la prestation de transport pour y appliquer la majoration forfaitaire. Aussi, il pourrait être envisagé un dispositif dans lequel, si l’entreprise ne peut pas différencier ses prix, la majoration est appliquée sur une part forfaitaire de 80 % du prix total de la prestation de déménagement.

4. LES OPÉRATEURS DE LIVRAISONS EXPRESSES POUR LES ACHEMINEMENTS RAPIDES ET INDIVIDUALISÉS

Il s’agit de tenir compte de l’organisation particulière de ces transporteurs spécialisés dont les systèmes de facturation sont principalement mis en œuvre selon des procédures en vigueur à l’étranger en raison de l’importance de leur activité à l’international. Pour autant, ces opérateurs acquitteront l’éco-redevance pour tous les transports effectués sur le réseau français soumis à ce prélèvement et, par ailleurs, supporteront la majoration forfaitaire lorsqu’ils feront appel à d’autres transporteurs dans un cadre de
sous-traitance.

Les difficultés d’application de la majoration forfaitaire au secteur de la messagerie expresse tiennent à la nature de ses activités qui ne permet pas d’isoler, pour chaque envoi, la part du transport routier dans le prix, notamment pour les opérations internationales, sachant qu’il s’agit souvent d’un « mix » complexe laissant d’ailleurs souvent une part importante à l’utilisation de véhicules utilitaires légers (VUL) non soumis à l’éco-redevance.

L’instruction ministérielle du 2 août 2013 relative à la majoration du prix de la prestation de transport dispose que ce mécanisme est bien applicable aux opérations de messagerie mais sans préciser de façon explicite si ce mécanisme concerne les seules prestations réalisées au moyen de véhicules soumis à l’éco-redevance. Les entreprises concernées se plaignent donc de devoir présenter en facturation une récupération « sur majorée », difficilement acceptable par leurs clients, par rapport à un montant d’éco-redevance réellement acquitté.

La solution proposée laisse aux opérateurs la faculté de décider de répercuter ou non à leurs clients tout ou partie de l’éco-redevance pour les colis individualisés palettes et fret de moins d’une tonne sans être contraints d’identifier de façon systématique en facturation la partie de la prestation qui relève d’un transport routier en France. Les opérateurs de la livraison expresse gèrent des volumes importants d’envois, lesquels sont groupés puis dégroupés au long d’une même opération dont la partie routière est parfois résiduelle notamment pour les envois à destination de l’étranger pouvant seulement transiter ou être triés en France.

En fait, la difficulté première est l’absence de dispositions claires visant à définir juridiquement le secteur de la livraison express, à l’exception de quelques critères anciens mais sans valeur juridique probante qui avait été retenus par les services de la douane. Cette difficulté peut être levée par un texte réglementaire. Ce texte préciserait que le bénéfice de cette exemption (ou plus exactement de cette faculté d’option) ne sera toutefois ouvert qu’aux seules entreprises répondant aux critères cumulatifs suivants : disposer en France d’agences ou de plateformes employant au moins 150 salariés ; réaliser plus de
50 % de leur chiffre d’affaires pour des opérations relatives aux colis, palettes ou fret de moins d’une tonne et relevant d’un service intégré et suivi (permanence de la traçabilité) d’enlèvement, de collecte, de transport, de dédouanement et de livraison ; pratiquer pour ces opérations une tarification basée sur un barème simplifié.

Cet ensemble de critères doit fonder une définition suffisamment précise des entreprises « expressistes » qui pourraient ainsi être inscrites à ce titre dans un registre tenu par les services de la douane chargés de contrôler le caractère effectif de leurs activités dans un tel cadre.

L’ensemble de ces adaptations relèvent principalement du cadre réglementaire et ne nécessitent pas une adaptation de l’article L. 3222-3 du code des transports.

PROPOSITION N° 10 – SIMPLIFIER LES PROCÉDURES D’ENREGISTREMENT DES REDEVABLES AUPRÈS DU PRESTATAIRE COMMISSIONNÉ

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Lors des auditions menées par la mission d’information, il est apparu que les redevables non abonnés, ainsi que les sociétés habilitées de télépéage (SHT) en charge d’enregistrer les redevables abonnés, ont rencontré de réelles difficultés à procéder à l’enregistrement des flottes de poids lourds.

Ces difficultés sont d’autant plus mal perçues par les SHT qu’elles disposent d’un mandat explicite de la part de chacune des entreprises pour lesquelles elles interviennent (des entreprises qu’elles connaissent d’ailleurs parfois de longue date en raison d’autres prestations qu’elles leur fournissent), et, en outre, qu’elles sont garantes du paiement des factures de la redevance émises par Ecomouv’ car elles ont la qualité de ducroire.

Certaines sociétés habilitées de télépéage (SHT) ont précisé à votre Rapporteur que le taux de rejet des dossiers avait pu atteindre entre 20 % et 30 % des enregistrements transmis au prestataire commissionné. Si la responsabilité d’un tel taux de rejet est sans doute partagée, notamment du fait de la mise en œuvre des interfaces entre Ecomouv’ et chaque SHT, il n’en reste pas moins que l’enregistrement apparaît souvent complexe et « chronophage » aux redevables. En l’absence de simplifications, la situation perpétuera un des premiers motifs de faible acceptabilité de la redevance.

Le consortium Ecomouv’, en sa qualité de prestataire commissionné de l’État, voit peser sur lui une responsabilité juridique et financière non négligeable. Sous la pression d’un contrôle extrêmement vigilant de la douane, il a été amené à agir avec toutes les exigences et la vigilance d’un douanier. Cette attitude n’est guère compatible avec les nécessités toutes matérielles d’un traitement administratif de masse, en considérant les volumes des dossiers à enregistrer, d’autant que des rectifications concernant les dossiers devraient être plus faciles à réaliser a posteriori lorsque le dispositif sera en régime de croisière. La direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est une administration fiscale expérimentée mais face à l’éco-redevance, un prélèvement totalement nouveau, elle a sans doute eu trop tendance à vouloir transposer dans les textes réglementaires et d’application pour lesquels son implication était décisive, des objectifs, des principes et des voies de droit qu’elle a pour habitude de mettre en œuvre.

La question de l’identification du redevable enregistré est illustrative à cet égard. Il semble que la Douane ait d’emblée privilégié un degré d’exigence maximum pour garantir un taux de non-recouvrement inférieur à 1 % des montants dus après liquidation, et pour s’assurer que les amendes prononcées, en cas de manquement et défaillance, puissent être le plus efficacement recouvrées. Pour louables qu’elles puissent paraître, ces inclinaisons ont fait transparaitre de façon sans doute trop pressante voire pesante, une logique délibérément « anti-fraude » plutôt qu’une démarche plus pédagogique en direction des publics concernés.

Il ressort des derniers contacts entre votre Rapporteur et les responsables de la DGDDI qu’une prise de conscience s’est récemment manifestée au sein de cette administration sur la nécessité d’engager une révision de ses positions sur ces points.

La simplification des conditions exigées à l’enregistrement et de la consistance des pièces justificatives demandées est nécessaire pour relancer l’enregistrement dans les meilleurs délais des poids lourds restants, puisque seuls 210 000 enregistrements ont été réalisés et validés, essentiellement des redevables abonnés – parmi lesquels 113 000 sont français. Cette simplification doit être accompagnée d’une véritable politique de communication sur la procédure et les pièces exigées.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Pour qu’un équipement électronique embarqué (EEE) soit activé pour collecter l’éco-redevance, le redevable doit enregistrer son véhicule assujetti auprès du prestataire commissionné. La qualité et la fiabilité des informations transmises et enregistrées dans le système du prestataire commissionné sont essentielles afin d’identifier correctement le redevable et le véhicule, et les caractéristiques permettant de déterminer le taux kilométrique applicable.

Le prestataire commissionné est responsable de la validation des enregistrements dont les données servent pour la liquidation de la redevance, et le cas échéant, lors d’un manquement, pour sa notification ainsi que celle de l’infraction correspondante.

Trois principales contraintes pèsent ainsi sur le prestataire commissionné lors de l’enregistrement des poids lourds assujettis :

- l’identification du redevable,

- la justification de la classe Euro d’émission

- et, le cas échéant, la preuve de l’existence d’un mandat entre la SHT et le redevable.

Dans le dispositif actuel, pour s’assurer de la présentation correcte de l’ensemble de ces données, la DGDDI estime que le nombre de justificatifs à fournir réellement par un redevable donné pour un véhicule varie de deux à six, selon la situation du redevable – abonné ou non abonné, de la date de mise en service du véhicule, et de la qualité du déclarant.

Pour autant, des incompréhensions sur la nature, les dates d’émission ou de péremption des documents, et le nombre des pièces demandées sont rapidement apparues et ont subsisté au long de la période d’enregistrement, certes interrompue par la décision de suspension. Une réponse de l’État est désormais indispensable pour simplifier la procédure d’enregistrement.

À ce titre, la mission d’information propose, comme pistes possibles, les simplifications suivantes :

− rendre facultatif la fourniture du KbiS à l’enregistrement et éventuellement l’information sur le représentant légal ;

− simplifier les justificatifs exigés pour la détermination de la classe Euro du poids lourds, en permettant éventuellement l’utilisation du certificat d’immatriculation ou la date de première mise en circulation, lorsqu’un justificatif de classe Euro n’est pas disponible ;

− assouplir les conditions de récupération d’un nouvel équipement électronique embarqué (EEE) lors de la mise en œuvre de la procédure de secours ;

− enfin, envisager de réduire la durée minimale de location de trois à un mois à partir de laquelle il a été prévu de donner la possibilité à tout locataire titulaire d’un contrat de location supérieur ou égal à trois mois de devenir le redevable enregistré.

En tout état de cause, toute relance d’une éco-redevance appelle une sérieuse révision des méthodes de travail et de communication entre les administrations concernées, en premier lieu la DGDDI, Ecomouv’, les SHT, sans oublier les organisations professionnelles du secteur et les syndicats de salariés du transport routier. Une inclinaison plus coopérative entre toutes les parties prenantes doit impérativement succéder à ce qui a été un facteur de confusion et d’incompréhension au cours d’une période qui, si elle appartient au passé, doit être gardée en mémoire concernant l’inadaptation de certaines de ses procédures ou encore les défauts de prise en compte d’interrogations légitimes qui pourtant émanaient du terrain.

L’ensemble de ces adaptations relèvent principalement du cadre réglementaire.

PROPOSITION N° 11 – PRENDRE EN COMPTE LE NIVEAU DE CONGESTION SUR CERTAINS AXES PARTICULIÈREMENT ENCOMBRÉS, ÉTABLIR OU ACCROÎTRE L’ÉCO-REDEVANCE SUR CERTAINS AXES POUR LESQUELS LE REPORT MODAL OU AUTOROUTIER EST POSSIBLE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Il pourrait être judicieux de relever le taux kilométrique de
l’éco-redevance sur certains axes particuliers pour lesquels un report modal ou un report autoroutier est possible.
À cette fin, deux options ont été examinées par votre Rapporteur :

− une prise en compte du niveau de congestion sur certains axes particulièrement sensibles. L’article 275 du code des douanes permet de moduler les taux kilométriques de la redevance en fonction du niveau de congestion de la section de tarification. Il serait intéressant de déterminer, en accord avec les collectivités territoriales concernées et/ou l’État, les routes pouvant faire l’objet d’une prise en compte de l’effet de congestion, notamment pour les routes nationales et/ou départementales longeant des autoroutes routières ou ferroviaires (ex. cas particulier de la RN10) ;

− une surtaxe temporaire de certains itinéraires routiers parallèles au tracé du futur canal Seine-Nord-Europe, le supplément du produit ainsi collecté pouvant être destiné à compléter le financement de cette réalisation. Cette « surtaxe » constituerait également une mesure incitative pour favoriser le report modal sur le canal, comme le préconise le rapport de la mission de reconfiguration du canal Seine-Nord-Europe confiée à notre collègue Rémi Pauvros.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

S’agissant du principe de congestion, le droit de l’Union européenne précise que la redevance d’infrastructure peut faire l’objet de variations afin de réduire la congestion, à condition que :

− la variation soit transparente, rendue publique et accessible à tous les usagers aux mêmes conditions ;

− la variation soit appliquée en fonction du moment de la journée, du type de jour ou de la saison ;

− la redevance d’infrastructure ne soit supérieure à 175 % du niveau maximal de la redevance moyenne pondérée ;

− les périodes de pointe pendant lesquelles les redevances d’infrastructure plus élevées sont perçues aux fins de réduire la congestion n’excèdent pas cinq heures par jour.

La variation ne doit pas avoir pour effet de générer des recettes de péages supplémentaires : l’augmentation des taux en période de congestion doit être compensée par une diminution des taux en période creuse.

S’agissant de la mise en place d’une surtaxe temporaire de certains itinéraires routiers parallèles au tracé du futur canal Seine-Nord-Europe, la mesure devra être compatible avec la directive « Eurovignette ». Elle devra éventuellement s’appuyer sur le concept juridique et économique de « redevance pour coûts externes », c’est-à-dire une redevance perçue aux fins de recouvrer les coûts supportés par la collectivité en raison de la pollution atmosphérique due au trafic.

L’article 275 du code des douanes disposant déjà que le taux est modulé, le cas échéant, en fonction du niveau de congestion de la section de tarification : aucune disposition législative nouvelle ne serait donc nécessaire.

Un décret doit toutefois préciser les conditions dans lesquelles le niveau de congestion de la section de tarification est pris en compte. Il convient de définir les axes faisant l’objet de la modulation, l’ampleur de la modulation, ainsi que les horaires / jours pendant lesquels la modulation est appliquée.

Mais dans l’optique d’une surtaxation temporaire sur certains itinéraires routiers parallèles au tracé du futur canal Seine-Nord-Europe, une modification législative, en loi de finances, sera probablement nécessaire.

PROPOSITION N° 12 – EXONÉRER LES POIDS LOURDS IMMATRICULÉS EN « W GARAGE », LES POIDS LOURDS DE COLLECTIONNEURS ET LES VÉHICULES DE FORMATION OU DE CONDUITE ÉCOLE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

a. Poids lourds immatriculés en « W garage »

Le certificat W dit « carte de garage » permet de faire circuler provisoirement un véhicule, avant son immatriculation définitive. Il est délivré aux réparateurs, vendeurs, transporteurs, carrossiers, importateurs et constructeurs pour l’utilisation de certains types de véhicules et pour une durée temporaire. Peuvent être immatriculés W, les véhicules :

− neufs : prototypes à l’essai, véhicules en attente de mise en circulation ;

− d’occasion : uniquement ceux dont la mise en circulation porte sur des essais techniques liés à une réparation, le transport entre ateliers ou vers un centre de contrôle technique, la revente du véhicule, le remorquage après accident notamment ;

− utilisés par des coopératives agricoles dans le cadre d’opération de réparation ou de maintenance ; et dans des établissements de formation des mécaniciens.

Le certificat W garage est rattaché au professionnel qui en est titulaire, pour son usage professionnel, et non à un véhicule en particulier. Il est évidemment interdit de faire circuler simultanément plusieurs véhicules avec le même numéro W. L’original du certificat W doit être à bord du véhicule en circulation.

Il est actuellement prévu que les poids lourds immatriculés en W Garage doivent s’équiper d’un boîtier spécifique dont l’installation et la désinstallation nécessitent environ 1 heure 30 de main d’œuvre pour des essais dont la durée n’excède pas 20 minutes pour une distance parcourue inférieure à 10 kilomètres. De plus, ces déplacements ne sont pas utilisés pour le transport de marchandises : les réparateurs ne sont ni des transporteurs pour compte propre ni des transporteurs pour compte d’autrui. Leurs déplacements ont pour seul objectif de mettre en circulation les véhicules sur les plans techniques et administratifs, de les entretenir, de les réparer et, en tant que de besoin, d’effectuer des tests sur route. Enfin, la plupart de ces véhicules devraient être dotés d’un équipement électronique embarqué, même s’ils sont en vente d’occasion et immobilisés sur un parking.

b. Poids lourds de collection

La problématique des véhicules immatriculés en « W Garage » est similaire pour les poids lourds appartenant à des collectionneurs, dont la vocation n’est pas d’effectuer du transport de marchandises, ainsi que pour les véhicules de formation ou de conduite école.

En effet, si « les véhicules spécialisés identifiables grâce au genre « VASP » (véhicule automoteur spécialisé) sur le certificat d’immatriculation ne sont pas des véhicules de transport de marchandises et ne sont donc pas assujettis à l’éco-redevance », il semblerait que « les véhicules de collection qui correspondent à des véhicules conçus ou construits pour du transport de marchandises sont assujettis à l’éco-redevance » puisqu’il « n’est pas possible d’exonérer des véhicules pour un seul usage particulier ». Or les poids lourds de collection de transport de marchandises sont peu nombreux, facilement reconnaissables, n’effectuent que très peu de kilomètres par année et portent une mention spécifique sur leur certificat d’immatriculation. De plus, l’installation d’un équipement électronique embarqué (EEE) s’avère souvent impossible dans ces véhicules de conception ancienne qui, pour certains, ne disposent même pas de ce fait de branchements électriques et n’offrent guère de possibilités d’adaptations techniques en ce sens.

c. Véhicules de formation ou de conduite-école

S’agissant des véhicules exclusivement destinés à l’apprentissage et à la formation professionnelle à la conduite, l’exonération à l’éco-redevance poids lourds semble tout autant s’imposer. Ces véhicules qui devront être immatriculés au nom de l’organisme formateur (environ 200 d’entre eux relèvent d’établissements d’enseignement de l’Education nationale pour lesquels une taxation se traduirait par une augmentation des budgets de fonctionnement) devront également être exclusivement dédiés et donc n’exécuter aucune prestation de transports de marchandises en compte propre ou destinées à des chargeurs. Si une partie des enseignements est généralement réalisée sur de courtes distances et souvent sur des routes voisines des centres et établissements, il convient néanmoins de ne pas les contraindre du fait d’un assujettissement à privilégier le réseau secondaire non taxé. Une telle « solution » hypothéquerait la qualité des formations dispensées dont la finalité est de préparer les chauffeurs professionnels aux différentes situations de conduite qu’ils auront à connaitre sur tous les types de réseaux (urbains, suburbains et interurbains).

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Techniquement, l’identification des véhicules peut poser certaines difficultés et nécessiter une éventuelle adaptation du système informatique de gestion du prestataire commissionné tout en lui occasionnant un surcroit de travail.

La direction d’Ecomouv’ a néanmoins indiqué à votre Rapporteur que « le dispositif permet de gérer une liste de numéros d’immatriculation des véhicules non assujettis, préalablement déclarés ou identifiés comme tels au moyen d’un équipement embarqué spécifique », en précisant cependant que la fonctionnalité indiquée et la procédure qui lui est associée ont été conçues pour traiter des exceptions et que les déclarations de non assujettissement ne sauraient aboutir à une obligation de traitement de masse.

Dans l’esprit de la proposition, les trois catégories précitées et ainsi exemptées ne représentent, au total, qu’une exception mesurable et contrôlable par rapport à la dimension du parc des véhicules redevables.

Enfin, il convient de noter que le non assujettissement ne peut concerner dans le dispositif qu’un véhicule et ne peut dépendre de la qualification de son chauffeur.

Une modification législative de l’article 271 du code des douanes est, sur ces points, nécessaire.

PROPOSITION N° 13 – REVALORISER LE TRAVAIL DES CONTRÔLEURS DE TRANSPORTS TERRESTRES (C.T.T) SUR ROUTES.

Pour assurer le contrôle sur les routes de l’ensemble des poids lourds effectuant du transport routier de marchandises sur le territoire français, l’État dispose de 480 contrôleurs terrestres. Les contrôles annoncés ou inopinés peuvent être réalisés sur le terrain sur des véhicules de toutes les nationalités ou en entreprises. Les contrôleurs interviennent sur la route avec l’appui pour intervention des autorités en tenue – police, gendarmerie, ou douane – qui partagent ainsi leur expertise afin de garantir l’efficacité de ces contrôles.

Indépendamment même de la mise en œuvre de l’éco-redevance, il est nécessaire d’accroitre les contrôles terrestres sur routes afin de lutter efficacement contre les pratiques de dumping social et de concurrence déloyale : surcharge fréquente des véhicules utilitaires de moins de 3,5 tonnes, cabotage illégal sur le territoire français, non-respect des règles relatives au repos des conducteurs, détérioration volontaire de chronotachygraphes, etc.

Pour cela, la revalorisation des missions et la reconnaissance du travail les contrôleurs des transports terrestres (CTT) sont indispensables. Cette revalorisation et cette reconnaissance constitueraient un geste fort à destination de la profession, mais aussi envers le secteur des transporteurs routiers de marchandises, victime de situations de concurrence déloyale entre les entreprises dans un contexte européen de plus en plus ouvert.

La mission de contrôle des transports terrestres assurée par les agents de la DREAL est effectivement déterminante pour la régulation des activités. Le contrôle continu des transports terrestres contribue notamment à l’amélioration de la sécurité routière et à assurer des conditions de travail décentes pour les conducteurs. Toutefois, les objectifs d’une telle mesure de revalorisation d’un corps de contrôle devront être bien expliqués au monde du transport qui affirme souvent qu’il constitue, d’ores et déjà, « la profession la plus réglementée en France », soumise à de très nombreuses obligations et, en conséquence, à des contrôles pointilleux. Il convient de ne pas conforter certains professionnels du transport routier dans l’idée qu’ils exercent des activités qui subiraient, au quotidien, une véritable « traque » sur les routes comme dans les entreprises.

CINQUIÈME PARTIE :
PRINCIPALES PISTES D’ÉVOLUTION DU DISPOSITIF D’ÉCO-REDEVANCE POIDS LOURDS NON RETENUES PAR LA MISSION D’INFORMATION

Tout au long des travaux menés par la mission d’information, de nombreuses pistes d’évolution de l’éco-redevance poids lourds ont été soumises à la réflexion des membres de la mission, et ont fait l’objet d’un examen attentif par votre Rapporteur. Toutefois, il est rapidement apparu que certaines de ces propositions ne pouvaient être retenues par votre Rapporteur, en raison d’une part, de contraintes techniques, juridiques, et économiques, et d’autre part, d’éventuels effets induits contre-productifs.

PISTE NON RETENUE N° 1 – INSTAURER UNE VIGNETTE SUR LE RÉSEAU NATIONAL NON CONCÉDÉ POUR LES POIDS LOURDS.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Cette proposition se présente comme une alternative à la mise en place de l’éco-redevance poids lourds : l’instauration d’une vignette pour l’usage des routes nationales et locales non concédées, qui s’appliquerait, conformément au droit de l’Union européenne, aux poids lourds nationaux et étrangers.

La directive 1999/62/CE définit un droit d’usage ou vignette comme une somme déterminée dont le paiement donne droit à l’utilisation, par un véhicule, pendant une durée donnée, des infrastructures. À cette somme forfaitaire ouvrant un droit à circulation pendant une période donnée, s’oppose le péage ou redevance kilométrique qui est une somme payée en proportion de la distance parcourue.

Un dispositif de vignette est en vigueur depuis le 1er avril 2014 au Royaume-Uni, mais également en Belgique, au Danemark, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suède. Dans l’ensemble de ces pays, la vignette n’est applicable qu’aux véhicules dont la masse maximale autorisée est supérieure à 12 tonnes. Toutefois, la Belgique mettra en œuvre à partir de 2016 un système lié au nombre de kilomètres parcourus et abandonnera en conséquence la vignette.

Contrairement aux idées reçues, la vignette utilisée en Suisse est réservée aux véhicules utilisant les routes soumises à redevance et dont la masse maximale autorisée est inférieure à 3,5 tonnes. Valable pendant 14 mois, elle s’élève à
40 francs suisses. À l’inverse, les poids lourds dont le poids est supérieur à
3,5 tonnes sont soumis à une redevance sur le trafic de poids lourds liée aux prestations (RPLP), qui s’apparente très fortement à l’éco-redevance française. La RPLP s’applique pour tous poids lourds de plus de 3,5 tonnes, étrangers comme nationaux, et varie selon la distance parcourue, le poids total et la catégorie d’émission Euro du poids lourds.

Il est important de noter que le rendement d’une vignette est inférieur à celui d’une redevance kilométrique. En effet, une vignette donne droit à l’usage de l’ensemble d’un réseau routier concerné pour une durée déterminée, et n’est pas lié au nombre de kilomètres parcouru par les redevables. À titre indicatif, les recettes de l’actuelle vignette belge sont d’environ 120 millions d’euros par an, et les recettes attendues de la vignette britannique sont de l’ordre de 25 millions d’euros. Si certaines organisations professionnelles augurent un rendement de l’ordre de 800 millions d’euros pour une vignette française, les recettes seraient en réalité bien moindres, de l’ordre de 600 millions d’euros au maximum, soit la moitié de la recette de l’éco-redevance poids lourds.

De plus, par son caractère forfaitaire (annuel ou mensuel), la vignette présente le grand inconvénient d’être nullement incitative aux changements de comportements. Une fois payée, elle crée un besoin de « rentabilisation » qui pousse le détenteur à effectuer le plus de kilomètres possible. Ce facteur psychologique n’est sans doute pas le moindre désavantage d’un système souvent présenté comme simple à mettre en œuvre mais qui recèle néanmoins certains effets négatifs.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

La directive « Eurovignette » dispose que : « Les États membres n’imposent pas cumulativement des péages et des droits d’usage pour une catégorie de véhicules donnée pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Les péages et droits d’usage sont appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité du transporteur, de l’État membre ou du pays tiers d’établissement du transporteur ou d’immatriculation du véhicule, ou de l’origine ou de la destination du transport. »

La directive pose donc le principe de l’interdiction de percevoir cumulativement un péage et un droit d’usage pour un même tronçon routier, et la Commission européenne tend à considérer que cette notion de
non-superposition s’applique non pas par sous-réseau mais à l’échelle d’un pays entier
. Dans le cadre de cette interprétation, l’existence d’un réseau autoroutier concédé en France rend impossible la mise en place d’une vignette, même limitée au seul réseau national non concédé.

Une solution pourrait toutefois consister à mettre en place un fonds de compensation visant à éviter ce phénomène de « double péage », mais ce dernier serait fortement déficitaire. La Pologne a été confrontée lors de son entrée dans l’Union européenne à cette difficulté et, après mise en place d’un fonds de compensation, a abandonné la vignette afin de créer une redevance d’usage kilométrique uniquement sur le réseau national non concédé.

La mise en place d’une vignette devrait dès lors s’accompagner de la suppression des péages autoroutiers pour les poids lourds et donc d’une compensation à verser aux sociétés de concessions autoroutières. Or, les recettes de péages autoroutiers pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes sont estimées à près de 2,3 milliards d’euros. La recette de la vignette serait très nettement insuffisante pour compenser les recettes de péages autoroutiers, et la mise en place du dispositif serait donc fortement déficitaire pour l’État.

Cette vignette devrait être payée non seulement par les véhicules étrangers, mais aussi par les véhicules immatriculés en France métropolitaine : aucune discrimination n’est dans ce domaine possible. Aucun exemple européen ne fait état d’un dispositif où seuls les véhicules étrangers seraient assujettis. La non-discrimination en fonction de la nationalité et la libre circulation sont deux piliers fondamentaux de l’Union européenne.

Il est important de noter que l’éco-redevance a été mise en place notamment pour faire participer les poids lourds étrangers à l’entretien des infrastructures. Selon les dernières modélisations effectuées par le ministère, la part de la recette collectée sur les poids lourds étrangers s’élèvera à près de 350 millions d’euros, soit un peu plus de 30 % de la recette totale de l’éco-redevance.

Enfin, une telle solution reviendrait à abandonner le principe d’une redevance en fonction des kilomètres parcourus, et du degré d’usage de la route par un transporteur de marchandises : la redevance ne serait plus kilométrique, et toucherait de manière identique les petits comme les longs trajets. La fonction principale de l’éco-redevance, qui était de faire payer l’usage des routes en fonction de leur degré d’utilisation, aura entièrement disparu. Corrélativement, le coût d’usage de la route n’étant plus lié au nombre de kilomètres parcourus, les donneurs d’ordre ne seront évidemment plus incités à l’utilisation de moyens de transport plus vertueuse pour l’environnement.

PISTE NON RETENUE N° 2 – MODIFIER LE DISPOSITIF DE COLLECTE DE L’ÉCO-REDEVANCE SUR LE MODÈLE SUISSE

Il est proposé de modifier substantiellement le système de collecte de l’éco-redevance sur la base du modèle suisse. À l’inverse du système français, le système suisse (étendu au territoire du Liechtenstein) fonctionne sur une base déclarative et sans portiques de contrôle ou de collecte. Les moyens humains de contrôles sont plus importants, tandis que le réseau soumis à la redevance est plus limité et assez facilement contrôlable.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

La redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) ou « écotaxe suisse » est exigible depuis le 1er janvier 2001 sur l’ensemble du réseau public suisse : les routes nationales, les autoroutes mais aussi les routes cantonales et communales. Elle est régie par la loi fédérale relative au trafic de poids lourds lié aux prestations du 19 décembre 1997 et par une ordonnance (ORLP) du 6 mars 2000. La RPLP fait également l’objet d’une disposition constitutionnelle (article 85 de la Constitution fédérale) qui autorise ce prélèvement sur la circulation : « … si ce trafic entraîne pour la collectivité des coûts non couverts par d’autres prestations ou redevances ».

Elle concerne tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes servant au transport de marchandises ou de personnes, immatriculés en Suisse ou à l’étranger. Elle varie selon la distance parcourue, le poids total et la catégorie d’émission Euro du poids lourd. Son montant varie entre 2,02 et 2,51 centimes d’euro par tonne-kilomètre. Le taux moyen par tonne-kilomètre s’élève à
2,19 centimes d’euro depuis 2008.

La procédure de perception de la redevance – mais pas son système tarifaire – fait la distinction entre les véhicules suisses et étrangers. Les véhicules suisses sont équipés d’un appareil de saisie reçu gratuitement par les détenteurs de véhicules. Couplé au tachygraphe, il détermine les kilomètres parcourus et la position satellite du véhicule. Lorsque le camion sort de Suisse, une radiobalise et un module GPS placés sur la route désactivent la fonction de comptage. L’opération inverse s’effectue lors du retour du véhicule en Suisse. Le propriétaire assujetti à la redevance transfère chaque mois les données de l’appareil de saisie sur une carte à puce. L’administration des douanes vérifie alors dans son système électronique la « plausibilité » des données. Une fois contrôlées et, le cas échéant, corrigées, celles-ci constituent la base du calcul de la redevance et de la facturation mensuelle.

Les véhicules suisses effectuant un faible kilométrage peuvent, de manière exceptionnelle et sur demande, être dispensés de l’obligation de monter un appareil de saisie. Le calcul de la redevance s’effectue dans ce cas par le biais d’un carnet de route.

Les véhicules immatriculés à l’étranger peuvent disposer gratuitement, sur une base volontaire, du même système que les véhicules suisses. S’ils ne le souhaitent pas, ils reçoivent dès leur première entrée sur le territoire Suisse une carte d’identification ad hoc tandis que les données d’identification importantes pour la perception de la RPLP sont enregistrées dans le système informatique central. Au passage de la frontière, et à chaque nouvelle entrée ou sortie du territoire suisse, le chauffeur introduit la carte dans un terminal de traitement et déclare manuellement le kilométrage figurant à son compteur kilométrique. Un formulaire est alors remis, sur lequel le chauffeur indiquera à sa sortie du territoire suisse le nouvel état de son compteur kilométrique. La douane vérifie les déclarations par sondages. La redevance doit être payée au plus tard au moment de quitter le territoire suisse, soit au comptant, soit au moyen d’une carte de carburant ou de crédit.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

La principale contrainte de la mise en œuvre de ce système est contractuelle, puisqu’une telle proposition aurait pour conséquence de remettre en cause le contrat de partenariat conclu entre l’État et le prestataire commissionné, la société Ecomouv’.

Au titre du contrat actuel, 173 équipements de contrôles automatiques fixes (CAF) ou portiques ont été construits et permettent la vérification de la situation régulière des véhicules en circulation sur le réseau taxable et non taxable. La mise en place d’un système déclaratif remettrait en cause l’utilité d’un tel dispositif. Il serait nécessaire de renégocier les clauses du contrat signé entre l’État et la société Ecomouv’, et de remettre en cause la pertinence du système de collecte tel qu’imaginé par le prestataire commissionné sur la base d’un cahier des charges contraignant rédigé par l’État.

La seconde contrainte est européenne, et elle concerne la compatibilité du futur dispositif avec la directive européenne « Interopérabilité » (qui ne s’impose pas à la Suisse), dont l’objectif est la mise en place d’un système européen de télépéage (SET) harmonisé. Le dispositif proposé devra être conforme à cette directive, et permettre notamment l’existence de sociétés habilitées de télépéage (SHT).

Enfin, le dispositif suisse ne peut en l’état être appliqué en France en raison de la consistance du réseau soumis à l’éco-redevance. L’écotaxe suisse est appliquée sur l’ensemble du réseau routier suisse, tandis que l’éco-redevance française ne doit être appliquée que sur certaines routes nationales et locales. Dans ce cadre, le tachygraphe ou le compteur kilométrique ne peuvent pas déterminer le nombre de kilomètres parcourus sur le réseau taxé français, rendant inopérant le dispositif.

PISTE NON RETENUE N° 3 – ACCENTUER LA PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION PÉRIPHÉRIQUE DE CERTAINS TRONÇONS ROUTIERS OU DE CERTAINES RÉGIONS.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Le dispositif actuel prend en compte la situation périphérique de certaines régions françaises (13) . Les taux kilométriques sont minorés de 30 % pour les régions comportant au moins un département métropolitain classé dans le décile le plus défavorisé selon leur périphéricité. Il précise également que ce taux est porté à 50 % pour les régions périphériques ne comportant pas d’autoroute à péage. Il en résulte des taux kilométriques minorés de 30 % dans les régions d’Aquitaine et Midi-Pyrénées et de 50 % en Bretagne.

Deux solutions ont été initialement envisagées, éventuellement complémentaires, afin de renforcer la prise en compte du critère de périphéricité pour certaines régions françaises :

− augmenter la décote à 70 % contre 50 % pour les régions périphériques ne comportant pas d’autoroute à péage ;

− modifier la consistance du réseau routier national non soumis à la redevance pour prendre en compte la situation périphérique de certains tronçons routiers.

La première solution vise à quasiment exonérer la région Bretagne du paiement de l’éco-redevance. La Bretagne était initialement la troisième région contributrice de l’écotaxe poids lourds, avec près de 97 millions d’euros de recettes collectées. Toutefois, les aménagements législatifs et réglementaires ont progressivement eu pour effet de réduire cette contribution à moins de 45 millions d’euros. Une augmentation de la décote à 70 % réduirait la contribution de la région Bretagne de 17 millions d’euros, à près de 28 millions d’euros.

La seconde proposition consisterait à modifier le réseau taxable dont la consistance n’est pas figée. Il s’agirait de modifier le décret n° 2009-1588 du 18 décembre 2009 relatif à la consistance du réseau routier national non soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises afin de prendre en compte la situation particulière de certains tronçons routiers en raison non seulement d’un critère de faible trafic mais aussi d’un critère de périphéricité, indépendamment de l’appartenance ou non du tronçon au réseau routier transeuropéen (RTE). Le département du Finistère, et la région Bretagne, seraient les principaux bénéficiaires de cette proposition en permettant l’exonération des routes nationales N165 et N12.

Dans le contexte juridique actuel, l’article 270 du code des douanes permet uniquement d’exclure du réseau taxable des itinéraires n'appartenant pas au réseau transeuropéen (RTE) au sens de la décision n° 1692/96/ CE, du 23 juillet 1996, sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport, et sur lesquels le niveau de trafic des véhicules assujettis, antérieur à l'entrée en vigueur de la redevance, est particulièrement bas. Le seuil de faible trafic a été fixé à 800 poids lourds par jour par le ministère. En retenant initialement ce seuil, seuls 2,7 % du trafic poids lourds du réseau routier national non concédé échappe à l’éco-redevance, sur environ 1 500 kilomètres de routes, soit environ 12,5 % du réseau taxable.

Ainsi, si une route appartient au réseau transeuropéen (RTE), elle ne peut actuellement pas être exonérée pour faible trafic. Il en est de même des routes qui n’appartiennent pas au RTE mais qui ne présente pas un trafic particulièrement bas. Une modification de l’article 270 du code des douanes serait nécessaire pour supprimer l’obligation de soumettre à l’éco-redevance tous les axes appartenant au RTE et permettre d’exonérer quelques tronçons routiers en raison de leur situation particulièrement périphérique.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Les deux solutions exposées ci-dessus présentent des incertitudes juridiques, techniques et politiques majeures qui ont conduit votre Rapporteur à ne pas les retenir. Juridiquement, le risque d’une censure du Conseil constitutionnel pour incompétence négative du législateur – le critère de situation particulièrement périphérique étant flou – ou pour rupture d’égalité devant l’impôt – seule la région Bretagne semble concernée – n’est pas inexistant.

Politiquement, ne manquera pas d’être souligné le fait que la mesure conduise à exonérer principalement la région Bretagne du paiement de l’éco-redevance, alors qu’elle bénéficie déjà d’une double minoration (- 25 % de l’éco-redevance en raison de la situation périphérique de la région d’une minoration supplémentaire, et - 25 % en raison de l’absence d’autoroute sur son territoire), ainsi que de l’exclusion du réseau taxable de la route nationale N164 entre Châteaulin et Montauban en raison du faible trafic de poids lourds sur ce tronçon routier. À ces aménagements spécifiques, on peut ajouter l’effet de l’abattement général de 10 % pour les abonnés à un service de télépéage, qui favorise les utilisateurs intensifs en réseau taxé, et dont l’impact est plus significatif en Bretagne.

Il est important de noter que la Bretagne ne possède pas le réseau le plus soumis à l’éco-redevance en nombre de kilomètres total. Toutefois, puisqu’il n’existe aucun réseau concédé en Bretagne, le réseau national soumis à l’éco-redevance est mécaniquement plus important en Bretagne que dans le reste de la France.

Enfin, diminuer le réseau taxable n’aura qu’un impact modéré sur le taux de majoration forfaitaire interrégional. Si le taux de majoration régional sera directement touché par la diminution du réseau redevable breton, tel n’est pas le cas pour le taux de majoration interrégional. Une première évaluation menée par le ministère en charge des transports conduirait à une diminution du taux de majoration interrégional de 5,2 % à 5,0 %. Ainsi, la diminution du réseau taxable breton permettrait de soutenir la chaîne de production et logistique bretonne, notamment dans l’agroalimentaire, mais aurait un impact limité sur l’acheminement des produits hors de Bretagne.

RÉSEAU ROUTIER SOUMIS À L’ÉCO-REDEVANCE PAR RÉGION

Région

Réseau local taxé (km)

RRN taxé (km)

TOTAL (km)

Ile-de-France

520

838

1 358

Champagne Ardenne

345

500

845

Picardie

417

402

819

Haute-Normandie

457

315

772

Centre

620

411

1 031

Basse-Normandie

133

395

528

Bourgogne

496

351

847

Nord-Pas-de-Calais

21

560

581

Lorraine

144

652

796

Alsace

145

309

454

Franche-Comté

293

251

544

Pays de Loire

308

408

716

Bretagne

 

886

886

Poitou-Charentes

212

575

787

Aquitaine

209

479

688

Midi-Pyrénées

50

632

682

Limousin

48

416

464

Rhône-Alpes

384

591

975

Auvergne

215

502

717

Languedoc-Roussillon

256

404

660

Provence-Alpes Côte d’Azur

61

328

389

TOTAL

5 334

10 205

15 539

PISTE NON RETENUE N° 4 – ATTRIBUER UN RÔLE AUX RÉGIONS DANS LA TARIFICATION ET L’APPLICATION DE L’ÉCO-REDEVANCE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

Les régions constituent un acteur essentiel du développement des modes de transports durables. De même que les départements, qui reçoivent une partie des recettes de l’éco-redevance (au titre des routes départementales incluses dans le réseau taxé, dans le souci de contribuer à leur entretien), une partie des recettes pourrait être versée aux conseils régionaux, pour le financement des infrastructures de transport durable.

Trois dispositifs sont envisageables :

− soit l’État rétrocède une partie des recettes de l’éco-redevance comme il le fait actuellement pour les départements : la somme reversée est simplement prélevée sur le montant global de l’éco-redevance et ventilée sur la base de critères à définir ;

− soit les taux sont, sur le modèle de la TICPE, modulés en fonction des régions, dans une fourchette imposée par la loi. Les recettes supplémentaires collectées au moyen de ces taux additionnels seraient rétrocédées par l’État aux conseils régionaux concernés pour assurer le développement d’une offre de transport durable. Il ne s’agirait pas d’une régionalisation totale mais partielle de l’éco-redevance ;

− soit le conseil régional peut intégralement fixer les taux kilométriques applicables sur son territoire. Il s’agirait, dans ce cas, d’une régionalisation intégrale de l’éco-redevance.

Le premier dispositif nécessiterait de définir des critères de redistribution des recettes entre régions. Ces critères pourraient être les suivants : pourcentage de la redevance effectivement collectée dans la région ; nombre d’habitants ; état des infrastructures routières ; offre alternative à la route ; besoin d’investissements dans les infrastructures de transport durable ; etc. Ces critères permettraient de définir dans la loi un mécanisme d’attribution d’une partie de l’éco-redevance aux régions sans toucher aux taux kilométriques, qui demeureraient uniformes sur le territoire métropolitain. Si aucun critère de répartition n’est défini, il pourrait être décidé d’attribuer dans chaque région un pourcentage forfaitaire de la recette collectée sur les routes nationales : pour un barème de 13 centimes par kilomètre, 2 centimes iraient aux régions. Cela représenterait environ 140 millions d’euros, soit en moyenne 6,5 millions d’euros par région métropolitaine. Dans ce cas, le dispositif de majoration forfaitaire ne serait pas modifié.

Le deuxième dispositif donnerait une plus grande marge de manœuvre aux régions : il consiste à donner la possibilité aux régions de faire varier, au-delà d’un taux minimal national, le barème de la redevance. Par exemple, le taux de base serait de 11 centimes par kilomètre, et les régions pourraient fixer leur taux entre 11 et 16 centimes par kilomètre. Les sommes collectées au-delà de 11 centimes iraient directement abonder le budget régional. Une région plutôt défavorable à l’éco-redevance pourrait la moduler à la baisse, mais au prix d’une diminution automatique des recettes rétrocédées par l’État à son budget.

Le dernier dispositif consisterait en une régionalisation complète, dans lequel chaque région serait libre de fixer le taux applicable sur son territoire, en choisissant un taux entre 0 et 16 centimes par kilomètre. Un pourcentage des recettes collectées serait affecté à l’AFITF, le reste serait intégralement reversé au budget régional. Les variations importantes dans les taux conduiraient nécessairement à rendre caduque le décret sur le réseau local soumis à l’éco-redevance, les reports de trafic variant d’une région à l’autre. Enfin, un tel dispositif va probablement à l’encontre du principe d’égalité devant l’impôt, et nécessiterait, en fonction du taux de modulation et des sommes en jeux, la mise en place d’un fonds de péréquation interrégional.

Dans les trois cas, il y aurait un arbitrage politique délicat à opérer sur la question de la répartition de la part du produit de la redevance non attribuée à l’État entre les régions et les départements, à moins d’augmenter de manière significative la recette globale pour maintenir inchangées les recettes attendues par l’AFITF et par les conseils généraux.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Tout d’abord, le dispositif doit être compatible avec le droit de l’Union européenne. En vertu de la directive « Eurovignette », les États membres déterminent librement l’usage des recettes produites par les prélèvements liés à la circulation des poids lourds, même si la directive recommande que les recettes provenant de ces prélèvements soient destinées au secteur des transports ainsi qu’à l’optimisation du système de transport dans son ensemble.

Pour autant, les redevances d’infrastructures sont fondées sur le principe du recouvrement des coûts d’infrastructures. Ainsi, dans le dispositif actuel, l’État rétrocède aux collectivités territoriales le produit de la redevance correspondant aux sommes perçues pour l’usage du réseau routier dont elles sont propriétaires.

La région n’est pas propriétaire d’un réseau routier en particulier, et ne peut prétendre à ce titre récupérer une partie des recettes de la redevance. Un autre fondement juridique, compatible avec le droit européen, doit être trouvé : les régions participant activement à la politique de transport durable, il semble juridiquement possible qu’une partie de la redevance leur soit attribuée sur ce fondement.

Une partie de la redevance est néanmoins déjà rétrocédée indirectement aux régions pour le développement des modes de transports durables à travers l’activité de l’AFITF, qui finance les grands projets de transports nationaux et la contribution de l’État dans les contrats de plan entre l’État et les régions (CPER). Il y a alors un risque de doublons et de rendre plus complexes les schémas de financement des infrastructures, dont la cohérence doit être assurée à l’échelon national.

Ensuite, les deuxième et troisième dispositifs conduisent à compliquer le barème des taux applicables, qui ne varieraient plus seulement en fonction du nombre d’essieux, du PTAC et de la catégorie d’émissions du véhicule, mais aussi en fonction du lieu et de la région de circulation. Pourtant, le coût d’usage des routes soumises à la redevance ne varie pas en fonction des régions, et reste identique sur l’ensemble du territoire : il n’y a donc aucune logique économique ou environnementale à ce que les taux kilométriques soient différenciés en fonction des différentes régions françaises.

PISTE NON RETENUE N° 5 – EXONÉRER CERTAINS VÉHICULES DISPENSÉS D’INSTALLER UN APPAREIL DE CONTRÔLE DE TYPE TACHYGRAPHE.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

La directive « Eurovignette » permet aux États membres de prévoir des taux réduits ou des exonérations pour les véhicules dispensés d’être équipés un appareil de contrôle de type tachygraphe. L’article 13 du règlement 561/2006 du
15 mars 2006 fixe la liste des véhicules concernés
, parmi lesquels on trouve notamment les véhicules à citerne à produits alimentaires exclusivement utilisés pour la collecte du lait dans les fermes (la loi du 28 mai 2013 a utilisé cette possibilité d’exonération). En application de la règlementation européenne, le législateur national pourrait étendre le champ des exonérations :

− aux véhicules utilisés pour le transport d’animaux vivants des fermes aux marchés locaux et vice versa, ou des marchés aux abattoirs locaux dans un rayon de 50 kilomètres (manque-à-gagner estimé à 12 millions d’euros par an) ;

− aux véhicules transportant des déchets d’animaux ou des carcasses non destinés à la consommation humaine (manque-à-gagner estimé à 5,4 millions d’euros par an) ;

− aux véhicules utilisés ou loués sans chauffeur par des entreprises d’agriculture, d’horticulture, de sylviculture, d’élevage ou de pêche pour le transport de biens dans le cadre de leur activité professionnelle spécifique dans un rayon de 100 kilomètres autour du lieu d’établissement de l’entreprise (manque-à-gagner estimé à 20 millions d’euros par an) ;

− aux tracteurs agricoles ou forestiers utilisés pour des activités agricoles ou forestières dans un rayon allant jusqu’à 100 kilomètres autour du lieu d’établissement de l’entreprise qui est propriétaire du véhicule qui le loue ou le prend en leasing ;

− aux véhicules ou combinaisons de véhicules d’une masse autorisée ne dépassant pas 7,5 tonnes utilisés pour le transport de matériel, d’équipement ou de machines destinés au conducteur dans l’exercice de ses fonctions, pour autant que ces véhicules ne soient utilisés que dans un rayon de 100 kilomètres autour du lieu d’établissement de l’entreprise et à condition que la conduite du véhicule ne constitue pas l’activité principale du conducteur (14).

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Sauf à pouvoir justifier de la particulière fragilité des activités considérées et du caractère inadapté des sujétions qu’emporterait à leur égard l’instauration de la redevance, il n’est pas certain que ces activités puissent être exonérées sans risque d’inconstitutionnalité. Cette exonération est périlleuse juridiquement car elle concerne un grand nombre d’activités économiques, diluant la portée de l’argument relatif à la fragilité économique du secteur. Une généralisation des exonérations à la totalité des véhicules listés à l’article 13 du règlement n° 561/2006 doit être évitée.

L’exonération des véhicules utilisés ou loués sans chauffeur par des entreprises d’agriculture, d’horticulture, de sylviculture, d’élevage ou de pêche bénéficierait principalement à l’industrie agroalimentaire par le biais des transports de produits agricoles en amont de la chaîne. Il existe un risque sérieux de contestation de cette exonération par les organisations professionnelles de transporteurs routiers au motif que cette exonération constituerait une incitation supplémentaire faite aux coopératives agricoles de s’équiper de leur propre flotte de poids lourds et d’exercer une forme de concurrence déloyale.

Enfin, d’un point de vue technique, le dispositif actuel ne permet pas d’identifier avec certitude et de manière efficace ni les poids lourds potentiellement exonérés ni les trajets effectués. Outre l’évolution du système de traitement informatique d’Ecomouv’ afin d’identifier les trajets autour d’une base d’activité, se pose principalement la question du contrôle du chargement des poids lourds : pour éviter des risques de dérives et de fraudes, les agents en charge de l’application de l’éco-redevance devront effectuer des contrôles du chargement des poids lourds pour s’assurer que l’utilisation du poids lourds est conforme à celle qui lui donne droit à exonération. Ce contrôle est nécessairement difficile, aléatoire, et peu efficace par rapport à celui assuré par les dispositifs de contrôle automatique, notamment les portiques.

PISTE NON RETENUE N° 6 – ÉTENDRE LE RÉSEAU TAXABLE ACTUELLEMENT LIMITÉ À UNE PARTIE DU RÉSEAU NATIONAL ET DÉPARTEMENTAL NON CONCÉDÉ.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

L’écotaxe ou éco-redevance poids lourds s’applique à un réseau de 15 534 kilomètres, dont 10 203 kilomètres de routes nationales et 5 331 kilomètres de routes locales. L’éco-redevance est appliquée sur environ 1,6 % du réseau routier non concédé français, qui compte environ un million de kilomètres de routes, dont 373 000 kilomètres de routes départementales. En conséquence, seulement 1,4 % du réseau départemental est soumis à l’éco-redevance.

Il a été proposé d’étendre le réseau soumis à l’éco-redevance pour permettre à la fois de renforcer l’égalité sur tout le territoire face au paiement de cette redevance, et de simplifier le dispositif actuel. Cette extension permettrait de réduire les distorsions de concurrence entre régions, tout en réduisant les risques de détournements et de fraudes.

Une extension du réseau vers les routes départementales et locales aurait néanmoins pour conséquence de toucher plus durement les entreprises à rayon d’activité local et l’économie de proximité en soumettant davantage d’axes locaux à la redevance. Elle aurait un impact particulièrement fort pour les régions qui n’ont aujourd’hui sur leur territoire que peu de routes soumises à péage.

Face à ce constat, et à la volonté de votre Rapporteur de ne pas toucher trop durement l’économie de proximité, il n’est pas proposé, à ce stade, d’étendre le réseau routier taxable. Votre Rapporteur rappelle néanmoins que le dispositif législatif prévoit, à échéance d’un an après l’entrée en vigueur de l’éco-redevance, une analyse du réseau taxable en vue de sa révision. Il propose qu’ensuite il soit procédé à une telle révision de manière périodique, en tenant compte de l’impact sur la production locale d’une telle extension, mais aussi des effets de report vers le réseau départemental et communal qui auront été constatés.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

La directive « Eurovignette » permet de mettre en place une redevance sur le réseau routier transeuropéen (RTE) ainsi que sur tout tronçon du réseau autoroutier qui ne fait pas partie du réseau transeuropéen.

Cela ne porte pas atteinte au droit des États membres d’appliquer des redevances sur d’autres axes routiers, pour autant que la perception de cette redevance ne présente pas de caractère discriminatoire à l’égard du trafic international et n’entraîne pas de distorsions de concurrence entre les opérateurs. Toutefois, les États membres ne peuvent imposer cumulativement des péages et droits d’usage pour une même catégorie de véhicules donnée pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Si rien ne semble s’opposer à la généralisation de la perception de la redevance à l’ensemble du réseau routier
non concédé, l’éco-redevance ne peut toutefois pas être mise en œuvre sur le réseau autoroutier concédé tant que ce dernier fait l’objet d’un péage.

Enfin, d’un point de vue technique, le prestataire commissionné souligne que l’extension du réseau taxable est possible, puisque seuls les équipements électroniques embarqués (EEE) sont nécessaires pour collecter la redevance. Elle sera toutefois longue à réaliser car il faudrait définir un nombre très important de nouveaux points de tarification pour couvrir la totalité d’un réseau à forte capillarité.

Le prestataire commissionné estime également que la construction de nouveaux portiques de contrôles automatiques, fixes ou mobiles, serait à terme nécessaire pour éviter une multiplication des fraudes. Ces portiques pourraient être construits progressivement, après la mise en œuvre officielle de la redevance, et après une renégociation éventuelle des termes du contrat de partenariat.

PISTE NON RETENUE N° 7 – MODIFIER LES CATÉGORIES DE VÉHICULES ASSUJETTIS À LA REDEVANCE POIDS LOURDS EN RELEVANT LE SEUIL DE P.T.A.C.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

La proposition consiste à concentrer l’assiette de la redevance sur les poids lourds qui contribuent le plus à la dégradation de la chaussée. Dans cette optique, le seuil de l’éco-redevance pourrait être relevé à 7,5 tonnes (seuil de remboursement de la TICPE sur le gazole) ou à 12 tonnes (ancien modèle allemand et seuil autorisé sous conditions par la directive « Eurovignette »).

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Le droit de l’Union européenne ne permet de relever le seuil de 3,5 tonnes à 12 tonnes que dans des cas très particuliers. La directive « Eurovignette » précise qu’un tel relèvement de seuil n’est autorisé que « si un État-membre considère qu’une extension aux véhicules d’un poids inférieur à 12 tonnes aurait soit pour conséquences des incidences négatives importantes sur la fluidité du trafic, l’environnement ou la sécurité routière en raison du détournement de trafic ; soit pour conséquences d’engendrer des frais administratifs supérieurs à 30 % des recettes supplémentaires que cette extension aurait générées ». À noter que l’Allemagne, seul pays à appliquer le seuil de 12 tonnes, envisage un abaissement de ce seuil à 7,5 tonnes.

Un relèvement du seuil aurait pour conséquence une diminution de l’assiette taxable : en 2012, 20 % des camions en service dans le transport routier de marchandise français pour compte d’autrui ont un PTAC inférieur à 12 tonnes. La DGDDI a ainsi estimé qu’un relèvement du seuil à 12 tonnes représenterait un manque-à-gagner compris entre 200 et 250 millions d’euros.

Au-delà de la perte financière, le relèvement du PTAC pose la question des effets de seuil pour les véhicules de moins de 12 tonnes. Certains acteurs et organisations professionnelles du transport font valoir qu’un relèvement du seuil aurait pour conséquence la multiplication des poids lourds de moins de 12 tonnes sur les routes, ce qui est contraire aux objectifs recherchés par l’éco-redevance.

Concernant le seuil de 7,5 tonnes, des aménagements au dispositif technique de collecte seraient nécessaires et potentiellement coûteux, sans pour autant rentrer dans le cadre juridique tel que défini par la directive « Eurovignette ».

PISTE NON RETENUE N° 8 – SUPPRIMER LA TAXE SPÉCIALE SUR LES VÉHICULES ROUTIERS (TSVR) DITE « TAXE À L’ESSIEU ».

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION :

La taxe à l’essieu a été qualifiée d’« impôt archaïque » par la Cour des comptes dans son rapport public 2014.

Cette taxe, créée par la loi de finances pour 1968, rapporte 170 millions euros par an à l’État. Pour la Cour, la complexité et la lourdeur de son système déclaratif et de contrôle font peser sur la Douane, chargée du recouvrement de cette taxe dont le produit est désormais stable, un coût de gestion élevé : proche de 11 % du produit de la taxe. Au surplus, la Cour des comptes rappelle qu’en application d’une décision ministérielle « ancienne et illégale », la taxe à l’essieu n’est pas prélevée en Corse ni dans les DOM.

L’objectif de la proposition serait de réduire la fiscalité appliquée aux transporteurs français.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

On rappellera que l'article 28 de la loi de finances pour 2009 a aligné, à compter du 1er janvier 2009, les tarifs de cette taxe sur les taux minimaux fixés par la directive « Eurovignette » du 17 juin 1999. Cet alignement tarifaire a représenté un allègement fiscal annuel de l'ordre de 55 millions d'euros pour l'ensemble des entreprises utilisant des poids lourds de 12 tonnes et plus, immatriculés en France. Aucune modification supplémentaire ne semble envisageable sur ce dispositif à court terme.

Enfin, il est important de noter que la taxe à l’essieu est une taxe nationale que l’on retrouve dans les autres pays européens. Elle est appliquée dans tous les États membres dans le cadre de la directive 1999/62/CE, et ne peut pas être inférieure aux minima communautaires. Ainsi, un transporteur étranger ne paye pas la TSVR en France, mais il acquitte une taxe ou des droits comparables dans son pays d’immatriculation. La suppression de la TSVR nécessiterait, au préalable, une renégociation de la directive européenne, ainsi que la suppression de cette taxe dans les autres pays européens.

PISTE NON RETENUE N° 9 – INTRODUIRE UNE CATÉGORIE SUPPLÉMENTAIRE POUR LES POIDS LOURDS DE 44 TONNES.

1. DESCRIPTION ET OBJECTIFS DE LA PROPOSITION

La circulation des poids lourds de 44 tonnes à plus de 4 essieux dans le secteur agro-alimentaire a été autorisée en France par le décret n° 2011-64 du 17 janvier 2011, avant d'être généralisée à tous les transports de marchandises par le décret n° 2012-1359 du 4 décembre 2012.

L'augmentation de la limite du poids total roulant autorisé (PTRA) à 44 tonnes ne concerne que les transports nationaux, effectués indifféremment par les transporteurs français ou les transporteurs étrangers lors d'une opération de cabotage.

L’éco-redevance vise à recouvrer les coûts de construction, les dépenses d’exploitation et de maintenance et les coûts associés à la planification, en les ventilant entre les classes de poids lourds redevables en fonction du degré escompté de dommage causé au revêtement par chaque classe de véhicule. Or, la multiplication des poids lourds de 44 tonnes conduit à une usure accélérée des infrastructures routières.

Dans ce cadre, il est proposé de définir une quatrième catégorie au dispositif d’éco-redevance concernant les poids lourds de plus de 40 tonnes.

2. CONTRAINTES TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Dans le dispositif actuel, les catégories de véhicules définies par le décret n° 2011-234 du 2 mars 2011 sont les suivantes :

− première catégorie : les véhicules moteurs seuls ayant deux essieux dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 3,5 tonnes et inférieur à 12 tonnes ;

− deuxième catégorie : les véhicules moteurs seuls ayant deux essieux dont le poids total autorisé en charge est égal ou supérieur à 12 tonnes ; les véhicules moteurs ou les ensembles de véhicules ayant trois essieux ;

− troisième catégorie : les véhicules moteurs ou les ensembles de véhicules ayant quatre essieux ou plus.

Les poids lourds de 44 tonnes sont inclus dans la troisième catégorie. En 2013, 9,2 % des poids lourds de plus de 3,5 tonnes circulaient à 44 tonnes – 8,7 % étaient articulés à 5 essieux et 0,17 % comportaient 6 essieux.

Du fait de l’intégration des poids lourds de 44 tonnes dans la troisième catégorie de redevables, une surtaxe sur les poids lourds à 5 essieux roulant à 44 tonnes n’est pas possible dans la mesure où l’assujettissement à
l’éco-redevance est lié au type de véhicules et non à sa charge.
Cette logique est essentielle à l’efficacité des contrôles puisqu’il est aujourd’hui impossible d’envisager un contrôle des charges effectives des poids lourds circulant sur le réseau taxable. Le dispositif actuel ne peut pas différencier un 38 tonnes d’un 44 tonnes lorsque ces derniers utilisent tous les deux 5 essieux.

Par ailleurs, en ce qui concerne le cas des véhicules de 44 tonnes à 6 essieux, si ces derniers peuvent faire l’objet d’un traitement spécifique au regard de leurs caractéristiques, cela devrait conduire à un abaissement du taux kilométrique appliqué car, de par la répartition de leur charge à l’essieu, ils usent moins le revêtement des infrastructures routières que des véhicules identiques à 5 essieux.

EXAMEN DU RAPPORT

Au cours de sa réunion du mercredi 14 mai 2014, la mission d’information sur l’écotaxe poids lourds, créée par la Conférence des présidents, a examiné le rapport et les propositions présentés par M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Alors qu'après plusieurs reports, l’écotaxe allait être mise en œuvre au 1er janvier 2014, les manifestations et les contestations bretonnes ont conduit le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault à suspendre sine die son application.

Consciente qu'en prenant cette décision le Gouvernement s'était mis dans une impasse, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a considéré que, compte tenu des enjeux, financiers, environnementaux, économiques et sociaux, il pouvait être utile de demander à des députés de toutes sensibilités d'essayer d'identifier le chemin permettant de redonner du sens à cette mesure et une plus grande acceptabilité, et elle a donc créé, en novembre 2013, la présente mission d'information.

L’initiative était d’autant plus justifiée que le projet, qui n'en était pas à ses tout premiers balbutiements – bien au contraire –, emportait de multiples engagements de l'État.

Engagement tout d'abord à l'égard du consortium chargé de collecter l'écotaxe, Ecomouv’, qui a déjà investi dans ce projet près de 600 millions d'euros, ainsi qu’à l’égard des six sociétés habilitées de télépéage pour chacune desquelles l’investissement se monte à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Engagement vis-à-vis de l'Union européenne, qui voit dans le dispositif technique retenu le premier système interopérable en Europe

Engagement vis-à-vis des conseils généraux, qui avaient prévu de mobiliser une partie de la recette pour l'entretien de leurs routes

Engagement vis-à-vis des entreprises du secteur des transports, qui avaient déjà doté plus de 200 000 camions d’équipements électroniques embarqués.

Engagement vis-à-vis des salariés recrutés par les douanes, soit 130 agents à Metz et 170 douaniers pour les contrôles manuels, et par Ecomouv’, soit 159 personnes en CDI à Metz.

Engagement, enfin, vis-à-vis de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui devait percevoir chaque année plus de 700 millions d'euros.

En près de six mois, dégagés de la pression des mécontentements, nous avons modestement essayé de repenser en toute sérénité ce dossier. Nous nous sommes déplacés à Bruxelles, à Vienne et à Bratislava. Nous avons procédé à une trentaine d'auditions et reçu les représentants des institutions et fédérations professionnelles, des ONG, des syndicats, des collectifs d'acteurs du secteur et de la société Ecomouv’.

Ce travail tout à l'honneur de l'Assemblée nationale nous aura permis dans un premier temps de reposer les fondements de l'écotaxe et d'en identifier les éléments incontournables.

L'écotaxe bénéficie tout d'abord d'une grande force, puisqu'elle prend racine dans un véritable consensus politique. En effet, en nous saisissant de ce dossier, nous ne nous saisissions pas d'un projet venu de nulle part, d'un projet orphelin depuis l'élection du nouveau Président de la République et du renouvellement législatif de juin 2012. Non ! nous nous saisissions d'un projet porté sur les fonts baptismaux par la précédente majorité et adopté à la quasi-unanimité dans le cadre de la loi de programmation dite Grenelle 1 du 3 août 2009 mais, plus encore, d'un projet que la majorité actuelle s'était approprié en validant le contrat de partenariat public-privé passé avec le consortium Ecomouv’ et en faisant voter en mai 2013 une loi disposant que, comme cela était écrit dans les textes du Grenelle, le prélèvement de l’écotaxe devait être neutre pour les transporteurs et serait donc répercuté sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises – les affréteurs et les chargeurs – par un mécanisme de majoration forfaitaire, et prenant acte d’une réduction du taux de l'écotaxe de 40 % à 50 % pour la Bretagne et de 25 % à 30 % pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, ainsi que de l'exonération des véhicules affectés à la collecte du lait.

L'écotaxe répond ensuite, bien au-delà de son aspect technique, à un véritable choix de société. Elle est un outil qui participe d'une politique durable des transports routiers. En favorisant une répartition différente des trafics, elle concourt à réorienter notre économie vers un modèle moins dépensier en énergie, moins polluant et plus résilient au changement climatique.

En effet, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, la France s'est engagée à adopter des politiques permettant de respecter les engagements nationaux et internationaux qu'elle a pris en matière d'émissions de gaz à effet de serre et d'autres polluants.

En 2011, au niveau national, le transport terrestre de marchandises s'effectuait à 87,6 % par camion contre 10 % pour le transport par voie ferrée et 2,4 % pour le transport par la voie d'eau. Or le transport routier est la première source d'émission d'oxydes d'azote et de monoxyde de carbone, et est à l’origine de près de 20 % des émissions de particules fines et de près du tiers de celles de dioxyde de carbone.

À cette pollution de l'air dont l'impact sur la santé n’est pas négligeable s'ajoute la forte accidentologie sur les routes et autoroutes due à la présence des camions.

Aujourd'hui, la gratuité du réseau routier, hors le réseau autoroutier concédé, le rend particulièrement attractif. Au cours des vingt prochaines années, malgré les efforts entrepris à l'échelle européenne pour développer les modes de transport alternatifs à la route et quels que soient les progrès du transport ferroviaire dans des pays comme l'Allemagne et la Suède, le transport routier restera le mode de transport terrestre largement prépondérant parce que le mieux adapté à la structure et à la géographie de l'activité économique européenne.

Néanmoins, si nous voulons construire une politique soutenable des transports de marchandises, plusieurs voies complémentaires doivent être empruntées et développées. Il convient de promouvoir le développement de technologies plus économes ou plus propres, comme certains carburants alternatifs au pétrole, de réduire la demande de fret routier, notamment par l’optimisation des tournées et des taux de chargement et de retour à vide, ainsi que par la modification et l’allégement des emballages, et de favoriser l'utilisation de modes de transport alternatifs à la route.

Si l'on veut rendre le transport terrestre de marchandises durable, il faut rétablir la vérité des prix afin de parvenir à plus d’équité entre les modes de transport et d’éviter que les citoyens ne soient les seuls à payer l'entretien des routes.

En effet, aujourd'hui, la circulation sur le réseau routier non concédé est gratuite, alors que l'utilisation des réseaux ferroviaires et fluviaux donne lieu à un péage. C'est pourquoi il faut faire payer au transport routier de marchandises les coûts réels d'usage de l'infrastructure afin de mieux les reporter dans le prix.

La loi Grenelle I a donc introduit le principe de l'éco-redevance pour corriger la sous-tarification actuelle sur le réseau routier national non concédé. L'objectif était d'améliorer d'un point de vue économique la couverture par les poids lourds des coûts qu'ils génèrent lorsqu’ils empruntent les infrastructures routières – il s'agit du coût d'usage, qui inclut les charges d'investissement, d'entretien et d'exploitation de l'infrastructure, mais pas les externalités que sont la pollution, les nuisances et autres coûts sociaux.

L'écotaxe s'appuie sur deux principes incontestables.

Le premier est celui de l'utilisateur payeur. L'écotaxe n'est pas un impôt, qui serait la marque d'une écologie punitive, mais une redevance à payer par les utilisateurs des routes, qui jusqu'ici les empruntent gratuitement sans contribuer à leur réparation ni à leur entretien, contrairement à ce qui se passe pour tous les autres modes de transport. En finir avec cette gratuité constitue donc une mesure de justice : ce n'est pas aux contribuables qu'il revient de payer pour le passage des camions.

Le second principe est celui du pollueur payeur. Le transport routier est effectivement la première source d’une pollution qui nuit à la santé de la population et entraîne des frais sanitaires considérables, ce qui est doublement contraire à l'intérêt général.

L'importante circulation des poids lourds participe au réchauffement climatique, confirmé par le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui prévoit, sauf mesures radicales prises par la communauté internationale, la multiplication d'événements climatiques extrêmes, le développement de conflits d'accès à l'eau et à l'alimentation et l'augmentation des déplacements de réfugiés.

La France doit d'autant plus se mobiliser sur cette question qu'elle accueillera en 2015 la Conférence climatique mondiale et que plusieurs pays européens ont déjà pris des mesures permettant le report modal.

C'est exactement ce que permet l'éco-redevance grâce au signal prix envoyé aux acteurs économiques, afin qu'ils utilisent des camions moins polluants, optimisent leurs tournées, réduisent leurs charges, favorisent les circuits courts et la relocalisation des productions et, bien sûr, choisissent autant que possible le rail et la voie d'eau.

Enfin, cette écotaxe permet à l'État et aux collectivités territoriales de disposer des ressources financières pour le nécessaire entretien des routes, mais aussi pour le développement d'infrastructures alternatives de transport durable, à mettre au plus vite à disposition des acteurs économiques, comme le chemin de fer ou les voies fluviales.

Le contrat de partenariat qui a été conclu en janvier 2011, au terme d'un appel à projets et d'une période dite de « dialogue compétitif », a abouti à la désignation d'un prestataire commissionné par l'État pour la liquidation et la collecte de l'écotaxe, est bien au cœur de ce projet.

Aujourd'hui, alors qu'il n'a pas été démontré qu'il n'avait pas été passé conformément aux règles et règlements en vigueur, et que la société Ecomouv’ considère qu'elle a rempli ses obligations en respectant pour la mise à disposition du système le délai maximum de six mois à compter de la date contractuelle de livraison du 20 juillet 2013, et alors que l'État, tout en ayant engagé une procédure de déchéance au titre de l'article 64, a accepté une procédure de conciliation sur la base d'un protocole d'accord, il ne nous est pas possible de ne pas tenir compte de tous les aspects de ce contrat ainsi que des contraintes techniques, administratives et financières qu'il nous impose. Et, face à la volonté de certains, clairement exprimée à de nombreuses reprises, de le remettre en cause, il n'est pas inutile de rappeler que les systèmes et dispositifs proposés par Ecomouv’ l'ont été sur la base des prescriptions de l'État.

Au-delà d'un enjeu de crédibilité, concernant la parole – mais aussi la signature – de l'État, disposons-nous aujourd'hui des moyens financiers de dédommager le prestataire à hauteur d'au moins 800 millions d'euros, hors le montant des indemnités qui seraient réclamées par les entreprises ayant signé des contrats de sous-traitance comme Thales, SFR ou Steria, ainsi que par les six sociétés habilitées de télépéage ?

Il est difficile, en outre, de s'affranchir de la législation européenne qui, au travers de la directive « Eurovignette », n'oblige pas les États membres à établir des péages ou des droits d'usage, mais leur impose le respect de certaines règles lorsqu’ils décident d'introduire, pour faire payer l'usage des routes par les poids lourds, des dispositifs qui entrent dans son champ d'application du fait des véhicules et des zones géographiques concernés. En particulier, la création d'une éco-redevance au niveau national ne doit pas se traduire par une discrimination à l’égard des usagers étrangers ni par des discriminations entre acteurs nationaux et acteurs des autres pays de l'Union européenne. En effet, l'article 7§3 précise que les péages et droits d'usage sont appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité ou de l’État du transporteur, de l'État d’immatriculation du véhicule, ou encore de l'origine ou de la destination du transport. Ainsi, il n'apparaît pas possible d'instaurer une vignette uniquement pour les véhicules étrangers.

Enfin, en son article 7§2, la directive interdit aux États d'imposer cumulativement des péages et des droits d'usage à une catégorie donnée de véhicules pour l'utilisation d'un même tronçon de route, à l'exception du franchissement de ponts, de tunnels et de cols. Elle interdit de plus de percevoir cumulativement ces péages et droits d'usages pour un même tronçon, sachant que la Commission considère que la notion de tronçon ne s'applique pas par sous-réseau, mais à l'échelle d'un pays entier. De ce fait, l'existence en France de plus de 8 000 kilomètres d'autoroutes concédées rendrait impossible la mise en place d'une vignette en France, ou à tout le moins imposerait la création d'un fonds de compensation visant à éviter le double péage, fonds qui devrait être doté de plus de 2 milliards d'euros correspondant aux péages acquittés par les poids lourds, de sorte que l’opération serait largement déficitaire pour l'État, car la vignette ne rapporterait qu'environ 650 millions d'euros.

Il est difficile aussi de ne pas prendre en compte les enjeux financiers d'un tel projet. En effet, les engagements gouvernementaux pris en juillet 2013 par M. Ayrault à la suite de la remise du rapport de la Commission « Mobilité 21 », présidée par M. Philippe Duron, devaient se traduire par la mobilisation, pour le financement des infrastructures de transport, d'une enveloppe globale de 35 milliards d'euros inscrite au budget de l'AFITF.

Cette enveloppe est déjà amputée en 2014 de près de 500 millions d'euros, du fait de la suspension de l'écotaxe. Si cette suspension devenait abandon ou si le bilan financier d'une remise à plat était trop dégradé, c’est le financement des quatre lignes à grande vitesse (LGV) en cours de réalisation, des projets de transport collectifs en site propre ou des volets « Mobilité » des contrats de projets État-région, pour lesquels la participation de l'AFITF est de 950 millions d'euros annuels, qui serait remis en cause.

Comment ne pas tenir compte non plus du temps qui passe, générateur tous les mois d'un loyer de près de 20 millions d'euros, non couvert par une recette d'écotaxe ?

Cette situation nous interdit de proposer des modifications ou des adaptations du dispositif qui induiraient un report de la mise en œuvre de l'écotaxe, comme la création d'une quatrième catégorie de poids lourds, l'extension du réseau local taxé – qui nécessiterait la consultation de tous les conseils généraux – ou la modification du seuil des véhicules taxés.

Avec le temps qui passe, l’inquiétude grandit aussi parmi les douaniers recrutés à Metz et parmi les salariés d'Ecomouv’ chargés de la gestion de l'écotaxe, basés à Augny, comme parmi les fonctionnaires qui doivent assurer le contrôle et l'encaissement.

Il est, enfin, d'autres dispositions, soutenues avec force par les principales organisations de transporteurs, qui ne paraissent pas pouvoir être remises en cause sous peine de les voir demain s'y opposer très frontalement : ce sont celles qui ont trait aux mécanismes de répercussion de l'écotaxe par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises – chargeurs ou affréteurs. En effet, l'objectif de l'éco-redevance étant de faire payer l'usage de la route à ses utilisateurs, il est prévu d'en répercuter le coût sur les chargeurs, c'est-à-dire sur ceux qui commandent la prestation de transports.

L'inapplicabilité, reconnue par tous, du décret du 4 mai 2012 « relatif aux modalités de majoration du prix du transport liée à l'instauration de l'écotaxe » a conduit le ministre Frédéric Cuvillier à proposer un système simple de répercussion au travers d'une majoration forfaitaire de plein droit, selon un taux fixé par région et un autre, distinct, pour les trajets interrégionaux.

Ce dispositif, qui permet à tout transporteur routier de majorer le prix de sa prestation quel que soit l'itinéraire emprunté, a été adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel l’a validé le 23 mai 2013 en considérant que le principe de cette majoration forfaitaire demeurait corrélé avec l'objectif de la taxe, à savoir que c'est le donneur d'ordre qui choisit le mode de transport. Ce donneur d’ordre doit supporter la taxe, et l'objectif de politique économique poursuivi par le législateur à l'égard du transport routier de marchandises le justifiait.

Au terme de nos travaux, nous avons considéré que les propositions que nous devions faire devaient bien entendu respecter les engagements pris par la classe politique et par l'État, qu'elles devaient renforcer l'acceptabilité de l'écotaxe, mais qu'elles devaient aussi permettre une meilleure prise en compte des inquiétudes économiques locales et des préoccupations environnementales légitimes.

Tout d'abord, nous avons tenu à repréciser que l'écotaxe n'était pas une taxe supplémentaire. En effet, c'est une redevance kilométrique d'usage des infrastructures routières et sa mise en œuvre, comme nous l'avons déjà rappelé, fait appel à deux principes : le principe « utilisateur payeur » et le principe « pollueur payeur ».

Parler maintenant d'éco-redevance poids lourds peut paraître très symbolique aux yeux de certains, mais cette modification est pour nous la première étape d'une démarche indispensable de pédagogie et de communication qu'il convient de mener en direction des redevables, des élus et du grand public pour re-légitimer ce prélèvement.

Il est difficile de nier que le contexte économique qui prévalait lors de la mise en place de l'éco-redevance soit singulièrement différent aujourd'hui. Le monde du transport routier traverse actuellement une profonde crise, amorcée dès 2008 et exacerbée par une concurrence européenne souvent déloyale. De même, certaines activités de l'industrie agroalimentaire souffrent d'une situation économique particulièrement difficile, alors même que sa structure logistique et économique a pour conséquence un impact proportionnellement plus important de l'éco-redevance sur ce secteur.

Au-delà du monde du transport routier, l'éco-redevance a suscité l’inquiétude, et parfois la colère, de milieux professionnels, tout spécialement des dirigeants d'entreprises artisanales et de PME de ces filières de l'agroalimentaire. Pour ce secteur, c'est la situation d'entreprises bretonnes fragilisées par la crise qui a servi de révélateur à une situation plus générale, qui n’a pas pour unique origine la mise en œuvre annoncée de l'éco-redevance.

Dans les faits, plus que le montant de l'éco-redevance, c'est le principe de sa répercussion sur les donneurs d'ordre qui a suscité les critiques, voire les réfutations les plus vives.

Il ne nous a pas paru souhaitable de répondre favorablement aux demandes d'exonération pure et simple présentées par tel ou tel secteur d'activité. En effet, au sein d'un même secteur, les schémas productifs et logistiques sont par nature très différents d'une activité à l'autre. L'idée consistant à soustraire de l'assujettissement à l'éco-redevance au gré des situations conjoncturelles filière par filière n'est guère praticable non plus.

Compte tenu de la diversité des chaînes logistiques et de production, le dispositif de l'éco redevance poids lourds tel qu'il est défini aujourd'hui pénalisera demain ceux qui effectueront de courts trajets ou qui seront des utilisateurs occasionnels, ceux qui mettront en œuvre des systèmes de distribution vertueux comme celui des tournées, ceux pour lesquels le transport n'est pas généralement l'activité principale ou, à l’inverse, certaines filières économiques intensives en transport. C'est pourquoi nous pensons que la proposition d'instaurer une franchise kilométrique mensuelle, exprimée en euros, est plus pertinente. Elle allégera les montants qui seront acquittés par tous les redevables, et plus sensiblement encore dans les trois régions classées au titre de la périphéricité. En outre, elle aura un effet réducteur sur les taux de majoration forfaitaire et la répercussion facturée aux donneurs d'ordre pour chaque prestation de transport s'en trouvera minorée d'autant.

Elle sera créée sans discrimination de secteur d'activité, de nature du transport ou de nationalité.

Elle se présentera sous la forme d'une franchise kilométrique exprimée en euros. Pour des raisons pratiques, cette franchise sera mensualisée et valable uniquement par poids lourd, et non pas par entreprise. Elle concernera tous les utilisateurs du réseau taxable, quelle que soit la distance parcourue ou la localisation des trajets.

Une franchise kilométrique mensuelle de l'éco-redevance réduit par construction la charge pour les petits utilisateurs du réseau taxable et sera plutôt favorable à ceux qui effectuent leur transport en compte propre.

Exprimée en euros et mensualisée, elle bénéficiera davantage aux véhicules se voyant appliquer un taux kilométrique relativement plus faible et favorisera donc davantage les poids lourds circulant sur le réseau des régions périphériques, ainsi que les catégories de poids lourds les moins susceptibles d’endommager la chaussée et les moins polluants.

Cette solution est la plus pertinente pour tenir compte à la fois d'inquiétudes économiques locales et de préoccupations environnementales légitimes. Elle permet de renforcer la légitimité de l'éco-redevance en allégeant son coût pour les petits trajets et, par conséquent, pour les petits transporteurs qui ne peuvent structurellement pas bénéficier de report modal ou pour lesquels le report modal est impossible.

La franchise aura, notamment en Bretagne, un impact plus fort pour le secteur agroalimentaire, qui repose sur une structure économique plus intensive en transports routiers de courtes distances, peu propices à un report modal. Les systèmes logistiques du secteur reposent en effet sur une multitude de petits trajets entre les différents sites correspondant à chaque phase de la production, ce qui multiplie certes l'effet de l'éco-redevance sur le coût du produit, mais multiplie également l'effet de la franchise.

Cette franchise protégera nos territoires et l'économie de proximité. En effet, dans une économie maintenant mondialisée, les sites de production sont souvent très éloignés des lieux de distribution, situation à laquelle concourt d’ailleurs la sous-tarification des prestations du transport routier. Au travers de cette franchise, nous ferons proportionnellement plus payer les transports de longue distance.

Les taux kilométriques de l'éco-redevance varient en fonction du nombre d'essieux et du poids total autorisé en charge des poids lourds – c'est la prise en compte du principe utilisateur payeur –, mais ils sont également modulés, en fonction de la catégorie d'émissions Euro des véhicules.

Nous proposons une franchise mensuelle de 400 kilomètres qui, convertie en euros, permettra, en fonction des différentes catégories et de la norme Euro du poids lourd, de bénéficier d’abattements de 280 à 850 kilomètres.

Les distances pouvant être parcourues grâce à la franchise exprimée en euros seront multipliées par deux pour la Bretagne et par un facteur 1,4 pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, en raison des abattements, respectivement de 50 % et de 30 %.

Sachant que l'utilisation du réseau taxable ne représente en moyenne que 30 % du trajet effectué par un poids lourd, lorsque celui-ci bénéficiera d'une franchise de 400 km, il aura effectué en moyenne un trajet sur le réseau routier de près de 1 300 kilomètres. Un transporteur breton pourra, avec un véhicule de 1ère catégorie de norme Euro 6, parcourir gratuitement près de 5 000 kilomètres sur un mois.

Enfin, la mise en place d'une franchise exprimée en euros aura un impact réducteur sur les taux de majoration forfaitaire, dont l'objectif est d'assurer une répercussion vers les donneurs d'ordre. Ce taux passera de 3,7  à 2,8 % pour la Bretagne et de 7 % à 5,3 % pour l’Île-de-France, tandis que le taux de majoration interrégional passera de 5,2 % à 3,8 %.

Afin de renforcer les effets favorables à l’environnement de l’éco-redevance en favorisant le report modal – ou un report sur l’autoroute lorsque cela est possible–, nous avons examiné la possibilité de relever son taux kilométrique sur certains axes particuliers. Cette proposition pourrait conduire à prendre en compte le niveau de congestion sur certains axes très sensibles, ce que permet déjà l'article 275 du code des douanes, ou à envisager une surtaxe temporaire de certains itinéraires routiers parallèles au tracé du futur canal Seine-Nord Europe, comme le préconise le rapport de la mission de reconfiguration confiée à notre collègue Rémi Pauvros.

Le parc roulant français de poids lourds est essentiellement composé de véhicules diesel anciens, aux normes d'émissions Euro moins exigeantes que celles applicables aux véhicules neufs d'aujourd'hui. L'âge moyen du parc est progressivement passé de cinq ans en 2007 à cinq ans et demi en 2011 et à 6,7 ans en 2013. Au 1er janvier 2014, le parc de poids lourds était encore composé de 30 % de véhicules Euro 2 et Euro 3. Or, les véhicules Euro 6 émettent treize fois moins de particules et douze fois moins d'oxydes d'azote qu'un véhicule Euro 3.

À compter du 31 décembre 2013, tous les véhicules neufs devront être conformes à la norme Euro 6. Renforcer la dimension environnementale de l'éco-redevance est pour nous une priorité. C'est pourquoi nous proposons, afin d'accélérer le renouvellement de notre parc de poids lourds, d'accentuer la modulation des taux kilométriques de l'éco-redevance en faveur des véhicules les moins polluants, afin de renforcer la prise en compte du principe pollueur payeur. Nous proposons en particulier de fusionner les véhicules électriques et la norme Euro 6 et de leur appliquer un rabais de 30 %, au lieu de 15 % comme prévu à l'origine.

De plus, nous pensons qu'il conviendrait de créer un fonds de modernisation pour inciter les entreprises de transports à investir dans les véhicules moins polluants, au gaz ou à motorisation électrique. En effet, l'acquisition d'un tel véhicule entraîne un surcoût, intégrant l'achat et la maintenance, de l'ordre de 20 % à 50 % par rapport à une motorisation diesel. Je signale qu’à la suite de la mise en place de la taxe poids lourds en Allemagne, en 2005, le gouvernement de ce pays a adopté un tel plan de modernisation des flottes de poids lourds, doté de 16 millions d'euros.

Nombreux sont ceux qui ont regretté que l'expérimentation prévue en Alsace n'ait pas eu lieu et que la marche à blanc organisée sur la base du volontariat n'ait concerné qu'une dizaine de milliers de véhicules. Nous proposons donc, pour renforcer l'acceptabilité de l'éco-redevance poids lourds, mais également pour tester son bon fonctionnement et disposer d'éléments d'évaluation de son impact économique et financier, l’organisation d'une marche à blanc nationale, soit sur l'ensemble du réseau soumis à l'éco-redevance, d'une durée minimale de quatre mois et qui devra être obligatoire pour tous les poids lourds et toutes les sociétés habilitées de télépéage.

La préparation de cette marche à blanc nécessite une validation préalable et globale de tous les dossiers déjà enregistrés par Ecomouv’ en sa qualité de prestataire commissionné. Au fur et à mesure de leur enregistrement s'y agrégeront les nouveaux entrants, qui devront être suffisamment nombreux pour que l’opération ait véritablement du sens – d’où la nécessité aussi d’un robuste mécanisme d'incitation.

Cette marche à blanc devrait nous servir d'étude d'impact et, pour ce faire, un certain nombre d'entreprises et de secteurs d'activité seront identifiés afin de mesurer les effets et conséquences de l'éco-redevance. Elle nous permettra notamment de vérifier l'adéquation des taux de majoration forfaitaire avec la redevance réellement prélevée et de détecter en amont les secteurs d'activité ou les filières qui seraient confrontés à des difficultés et pour lesquels pourrait être mis en place un plan d'adaptation.

Plusieurs organisations professionnelles ont exprimé leurs craintes de voir certaines filières agricoles ou agroalimentaires pénalisées par l'état des relations commerciales, notamment avec la grande distribution. L'idée a donc été émise, afin d'influer sur les négociations commerciales, d'autoriser l'inscription en bas de facture, lorsqu'elles sont disponibles, des informations relatives aux majorations supportées au titre de l'éco-redevance ou aux coûts supportés par le producteur assurant le transport en compte propre. Il s'agirait d'une répercussion au réel, et non forfaitaire, sans caractère obligatoire.

Cette proposition ne correspond pas à une répercussion automatique et obligatoire des coûts de l'éco-redevance sur l'ensemble de la chaîne de production, ce qui serait impossible à mettre en œuvre et à contrôler. Par conséquent, la mesure peut se révéler sans effet réel ou n'avoir que de faibles conséquences. Néanmoins, elle faciliterait sans doute la répercussion de l'éco-redevance, en particulier dans les secteurs d'activité où les négociations commerciales sont systématiquement tendues, comme la filière agricole ou agroalimentaire.

Reconnaissant avec de nombreux acteurs de ce dossier la complexité des dispositifs et des difficultés d'application, nous proposons d'adapter l’application du dispositif de majoration forfaitaire pour le transport routier de pré- et post-acheminement relevant d'une opération de transport combiné, pour les opérations de déménagement et pour les opérations de livraisons expresses, de simplifier les procédures d'enregistrement des redevables auprès du prestataire commissionné et d'exonérer les poids lourds immatriculés en « W garage », les poids lourds de collectionneurs et les véhicules de formation ou de conduite école.

Enfin, la contestation de l'éco-redevance poids lourds étant due aussi à un déficit d'explication, il serait particulièrement opportun de renforcer la communication et la pédagogie afin de redonner du sens au dispositif.

Bien que je me sois, au cours de nos travaux, toujours refusé à appréhender ce dossier à la lumière des problématiques bretonnes, je reconnais avec vous l'existence de schémas d'organisation spécifiques à l'économie agroalimentaire de cette région, appuyés sur des processus de production reposant sur une succession d’opérations de transport, des approvisionnements de base jusqu'à la distribution du produit fini, avec différentes ruptures de charge.

Si nous devons reconnaître qu'en Bretagne, comme dans d'autres territoires, les possibilités de report modal de la route vers le rail sont relativement limitées, nous devons aussi dire que le chaînage du transport routier intervient sur des distances souvent limitées, avec des fréquences assez différentes selon les productions et souvent dans un cadre principalement local. D'ailleurs, en Bretagne, une partie importante du transport intrarégional par route ne sera pas effectué sur le réseau soumis à l'éco-redevance.

Ne disposant pas aujourd'hui de véritables études d'impact économique et financier, je considère qu'il serait indispensable, dans le cadre de la marche à blanc, d'identifier en amont les secteurs d'activité ou filières qui pourraient être confrontés à des difficultés et, pour ce faire, qu'il serait utile de tester à partir d'un échantillon la répercussion de la majoration forfaitaire sur les chargeurs.

Si certains pensent que le Pacte d'avenir pour la Bretagne présenté par le Premier ministre le 13 décembre 2013 peut constituer un cadre propice à la déclinaison de mesures ciblées d'adaptation et d'accompagnement pour les filières qui seraient touchées par l’éco-redevance, d'autres considèrent que la seule réponse consiste à retirer du réseau taxé toutes les routes bretonnes, ce qui pourrait se faire par voie réglementaire après modification de l'article 270 du code des douanes qui définit le réseau taxé. Une telle décision, lourde de sens, devrait être prise par l'exécutif, expliquée et justifiée.

Ces différentes propositions, certains les trouveront peu révolutionnaires. Mais elles ont au moins le mérite de ne pas être farfelues. Nous respectons tout d'abord la parole et la signature de l'État puisque nous considérons que le dispositif technique mis en œuvre par Ecomouv’, après avoir franchi les différents tests de contrôle – vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) et vérification de service régulier (VSR) – doit être réceptionné.

Ainsi, en ces périodes d'austérité budgétaire, nous préservons les intérêts de l'État, car une résiliation, voire une déchéance, coûterait au bas mot 800 millions d'euros. De plus, en ne remettant pas en cause fondamentalement le cahier des charges, nous limitons la facture du temps qui passe, facture qui s'élève chaque mois à près de 100 millions d'euros.

En accentuant la modulation des taux de la redevance et en créant un fonds de modernisation de la flotte de poids lourds, nous renforçons l’effet environnemental de l’éco-redevance.

Avec la marche à blanc, nous facilitons la montée en puissance du dispositif et limitons les risques d'enrayement.

Nous confirmons l'engagement pris auprès des organisations professionnelles du secteur des transports de répercuter l'éco-redevance sur les chargeurs et affréteurs au moyen d'une majoration forfaitaire.

Nous redonnons de l'acceptabilité au dispositif en proposant le maintien pendant au moins trois ans d'un taux moyen de 13 centimes d'euros pour que les entreprises bénéficient d’une certaine visibilité, en adaptant la majoration forfaitaire aux spécificités de certaines activités, en simplifiant les procédures d'enregistrement des transporteurs auprès d'Ecomouv’ et en acceptant des exonérations limitées.

Enfin, conscients que le dispositif tel qu'il est défini aujourd'hui pénaliserait l'économie de proximité à travers ceux qui n'ont aucune possibilité de réduire leur usage de la route, nous proposons de créer une franchise mensuelle kilométrique de 400 kilomètres, convertie en euros. Elle sera favorable à ceux qui effectueront de courts trajets, aux utilisateurs occasionnels, à ceux pour lesquels le transport n'est pas généralement l'activité principale ou à certaines filières économiques intensives en transport. Elle bénéficiera davantage aux poids lourds circulant sur le réseau des régions périphériques, comme la Bretagne, ainsi qu'à ceux qui provoquent le moins de dommages à la chaussée et sont les moins polluants.

Face à la diminution des recettes attendue, de l'ordre de 300 millions d'euros, nous pensons que le report de trafic vers les autoroutes, générateur de recettes additionnelles de péage comprises entre 300 et 400 millions d'euros, serait créateur d'un effet d'aubaine qui mériterait sans nul doute d'être partagé, une telle situation pouvant justifier une renégociation partielle des concessions du fait d'une modification substantielle de leurs conditions économiques.

De plus, l'augmentation mécanique de la taxe d'aménagement du territoire et de la redevance domaniale permettrait de présenter un bilan financier légèrement dégradé, mais préservant l'essentiel des moyens de l'AFITF.

J’ai par ailleurs reçu des contributions : de M. Joël Giraud, des élus écologistes, de M. Patrice Carvalho, celle de Mme Corinne Erhel, de M. François André, de Mme Marie-Anne Chapdelaine, de M. Richard Ferrand, de Mme Viviane Le Dissez, de MM. Jean-Pierre Le Roch, Hervé Pellois et celle de M. Marc Le Fur, de Mme Isabelle Le Callennec et de MM. Philippe Le Ray et Gilles Lurton.

Je conclurai en vous remerciant, chers collègues, de votre écoute et de votre mobilisation sur ce dossier. Au cours d’échanges parfois animés, nous avons fait preuve de notre sens des responsabilités et je comprends que nous puissions avoir des points de vue différents. Je me suis efforcé, pour ma part, de tenir une ligne droite tout au long de nos travaux.

Mais ce dossier ne se referme pas là : il appartient désormais au Gouvernement de reprendre – ou non – les propositions formulées.

M. Hervé Mariton. Nous serons sans doute nombreux, monsieur le président, à rendre hommage à la qualité de votre travail et à la clarté de votre analyse et de vos propositions.

Je ne voterai toutefois pas ce rapport, mais je ne voterai pas contre : je m’abstiendrai pour des raisons de cohérence que j’exposerai dans un instant.

Je veux en effet rappeler au préalable que, voilà quelques années, j’avais moi-même publié plus modestement, au nom de la commission des finances, un rapport sur la taxe poids lourds qui faisait déjà apparaître les difficultés prévisibles que rencontrerait la mise en œuvre d’un tel dispositif et l’importance qu’il y aurait à mieux l’expliquer et à anticiper en particulier l’accompagnement de l’industrie du transport. J’avais souligné l’effet d’aubaine dont bénéficieraient probablement les sociétés autoroutières et l’importance qu’il y aurait à examiner les moyens par lesquels l’État pourrait récupérer une partie de ces bénéfices.

La première raison pour laquelle je ne voterai pas votre rapport tient à l’appellation du dispositif : il s’agit bien d’une taxe, et non pas d’une redevance, comme vous l’indiquez du reste très honnêtement dans le rapport même. De fait, il n’y a pas de retour au secteur prélevé et l’affectation à l’AFITF en fait bien une taxe. Ce n’est pas la gestion politique du vocabulaire qui rendra un impôt plus acceptable, mais plutôt l’explication et le bon usage. Le mot « redevance » a certes été utilisé lors du Grenelle de l’environnement, mais il n’était pas juste. Puisque les évolutions que vous préconisez nécessiteront un vote en loi de finances, il faudra revenir sur ce point.

La deuxième raison de mon abstention tient au mécanisme de répercussion. Je ne l’avais pas approuvé en son temps, et le groupe auquel j’appartiens avait d’ailleurs fait devant le Conseil constitutionnel un recours tout à fait justifié politiquement même s’il n’a pas prospéré, car la « répercussion Cuvillier » est plutôt un facteur de confusion.

Cela étant, nous sommes plusieurs à voir dans l’écotaxe une possibilité de financement des infrastructures. D’autre part, il y a une certaine cohérence à poursuivre, comme vous le souhaitez, le travail réalisé très en amont avec les transporteurs, qui se sont assez largement engagés – parfois au-delà de ce que je pensais justifié – pour la mise en place de l’écotaxe.

Surtout, il y aurait aujourd’hui plus d’inconvénients que d’avantages à abandonner en cours de route l’écotaxe, même s’il faut l’améliorer et la réformer. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, car il faut assurer le financement des infrastructures et les dédits auraient un coût important, pour nos finances comme pour la parole de l’État. Lorsqu’un partenariat public privé de cette nature a été engagé, si l’on veut que la parole de l’État soit crédible dans la durée, on ne peut pas se dédire capricieusement.

Vous avez aussi, monsieur le président, souligné courageusement que certaines pistes évoquées par le Gouvernement n’étaient pas crédibles, comme la taxation des seuls transporteurs étrangers ou la taxation autoritaire des sociétés autoroutières. En revanche, la captation d’une partie de l’effet d’aubaine sur les fondements que vous avez exposés est une idée qui « tient la route ».

Voilà donc les points qui expliquent mon vote d’abstention.

M. Xavier Breton. Je salue à nouveau le travail de la mission La rédaction de votre rapport montre, monsieur le président, la qualité du travail que vous avez conduit avec une honnêteté que je tiens à souligner.

En tant que président du groupe d’étude sur la filière des véhicules industriels, j’ai été sensible au fait que ce rapport rappelle les difficultés que connaît aujourd’hui ce secteur. Malgré la pensée unique qui tend à s’exprimer contre le camion, il faut rappeler l’utilité de ce secteur pour notre économie et les difficultés qu’il rencontre depuis plusieurs années.

Certains points du rapport suscitent cependant quelques interrogations.

Ce sont, tout d’abord, les objectifs assignés au dispositif. Le rapport souligne en effet, page 16 qu’« en réalité, le dispositif relatif à l’écotaxe poids lourds, tel que conçu, poursuivait des objectifs trop nombreux et, plus encore, mal hiérarchisés, au détriment de sa compréhension donc de son acceptabilité ». De fait, le dispositif ne permet pas d’aller vers le report modal qu’il ambitionnait, au titre d’une fiscalité « comportementale », parallèlement à un objectif de financement des infrastructures.

Vous avez en outre tenté de hiérarchiser les objectifs, comme l’indiquent les pages 63 et suivantes, mais l’ensemble manque de clarté : il ne sera pas possible de courir plusieurs lièvres à la fois.

J’en viens aux propositions du rapport.

Tout d’abord, le mécanisme de franchise kilométrique mensuelle, à caractère forfaitaire, ne permet pas de reconnaître les petits trajets car, comme le reconnaît le rapport à la page 70, « toute évolution en ce sens supposerait une refonte complète du dispositif mis en œuvre par la société Ecomouv’ ». Cette refonte étant exclue par le rapport, la franchise s’appliquera non aux petits trajets, mais aux petits utilisateurs, ou aux utilisateurs occasionnels.

Par ailleurs, la création d’un fonds de modernisation de la flotte de poids lourds est décevante – non sur son principe, bien sûr, car il s’agit là d’une demande récurrente de la filière des véhicules industriels depuis plusieurs années, mais quant à ses modalités, car il ne concernera que l’acquisition de véhicules au gaz ou à motorisation électrique, ce qui en limitera fortement le champ d’application et ne correspond pas aux besoins des constructeurs et des transporteurs.

Je regrette que le rapport ait exclu de proposer une redéfinition du réseau taxable, qui aurait permis de corriger les incohérences mises en lumière par les auditions.

Ainsi, au-delà du travail de fond, le rapport laisse subsister de nombreuses inquiétudes et interrogations. Je voterai donc contre.

M. François André. Je salue moi aussi, monsieur le président, la manière dont vous avez conduit les travaux de cette mission, avec constance et une grande honnêteté intellectuelle. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont permis d’avoir une large vue du dispositif même de l’écotaxe, de ses finalités économiques, écologiques et fiscales, ainsi que de ses effets attendus ou supposés. Elles ont également confirmé les faiblesses du dispositif initial, qui ont conduit à sa contestation, puis à sa suspension.

La première de ces faiblesses tient au mécanisme de répercussion forfaitaire. Alors que l’écotaxe était censée inciter au report modal, la répercussion forfaitaire aboutit à renchérir la fonction transport, quels que soient la nature des produits transportés et l’itinéraire emprunté. L’écotaxe n’est ainsi plus une taxe incitative, mais s’est transformée en taxe additionnelle sur le transport routier, préjudiciable de fait à l’économie productive.

La deuxième faiblesse est la contradiction entre trafic de transit et trafic de destination. L’écotaxe est née d’une demande légitime des territoires subissant un important trafic de transit, parfois un trafic de contournement. La mise en œuvre du dispositif permettrait de répondre à cet enjeu, mais pénaliserait les territoires qui sont quasi-exclusivement des lieux de départ ou de destination, et ce d’autant plus qu’il s’agit de territoires de production, notamment agricole et agroalimentaire. Les abattements ne modifient pas une réalité de bon sens : plus on est loin, plus on roule et plus on paie. La compétitivité de ces secteurs économiques et de ces territoires en sera encore dégradée.

La troisième faiblesse tient aux aspects techniques de l’écotaxe. Le contrat avec Ecomouv’, assorti d’un coût de collecte exorbitant et de portiques qui demeurent des symboles de taxation très négatifs laisse toujours très perplexe. À cet égard, nous attendons avec beaucoup d’intérêt les conclusions de la mission ad hoc mise en place par le Sénat.

Monsieur le président, cohérent avec vous-même, vous proposez dans vos conclusions des aménagements de l’écotaxe. Cohérents avec nous-mêmes et nous appuyant sur la volonté de la nouvelle ministre de remettre à plat le dispositif au vu des faiblesses que j’ai évoquées, nous – la grande majorité des députés socialistes bretons –, voterons contre les conclusions de ce rapport.

Mme Eva Sas. Je remercie à mon tour le président Chanteguet pour ce rapport très argumenté et documenté, fruit de six mois de travail et d’écoute de tous les acteurs, qui tente de tirer ce débat hors des jeux de démagogie et de la posture dans lesquels il tombe parfois– je ne vise personne en particulier, mais je tiens à souligner combien une clarification des enjeux juridiques et financiers est nécessaire à un débat serein.

Les écologistes partagent entièrement les conclusions du rapport, notamment le constat qu’il serait aujourd’hui contre-productif d’abandonner la taxe poids lourds. Les raisons en sont d’abord financières car, comme vous l’avez fort justement écrit, « on ne peut rayer d’un trait de plume les engagements de l’État », et le montant du dédit envers Ecomouv’ pourrait dépasser 800 millions d’euros. L’abandon de la taxe poids lourds pourrait également se traduire par un manque à gagner d’un milliard d’euros pour la politique des transports et, comme l’a en effet bien expliqué le président Duron, le budget de l’AFITF est aujourd’hui un budget de crise : il sera difficile de boucler l’an prochain un budget de transport sans cette taxe poids lourds.

L’abandon de l’écotaxe serait également contre-productif pour des raisons environnementales, car nous ne pouvons rester sans rien faire face aux nuisances causées par le trafic poids lourds et nous avons la responsabilité de prendre des mesures pour réduire ce trafic. Le rapport démontre clairement l’efficacité de la taxe poids lourds en termes de diminution du trafic et de performance environnementale.

Nous saluons également les propositions très pragmatiques d’adaptation du dispositif, qui concilient les contraintes économiques des transporteurs et les objectifs environnementaux de la taxe poids lourds notamment l’exonération des premiers kilomètres parcourus sous la forme d’un forfait mensuel, qui permet de ne pas pénaliser les petits trajets et les petits transporteurs, tout en favorisant la relocalisation des productions et la consommation locale des produits fabriqués localement. C’est là un élément très important qui prend en compte à la fois les contraintes économiques et les aspects environnementaux.

Nous saluons donc ce travail très argumenté, qui occupe une place très importante dans le débat actuel et formule des propositions concrètes et pragmatiques ayant pour vocation tant d’aider les transporteurs à s’adapter que de poursuivre et de renforcer les objectifs environnementaux de cette taxe, parfois oubliés dans le débat.

M. Éric Straumann. Est-il possible d’amender ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Non, malheureusement. Vous pouvez rédiger des contributions, qui seront annexés au rapport.

M. Éric Straumann. C’est regrettable. En Alsace, où tous les élus sont favorables à la taxe, il est prévisible qu’elle ne suffira pas à mettre fin au transfert de flux intervenu depuis l’institution d’une taxe similaire en Allemagne, car son montant sera plus faible dans notre pays, comme l’indique le rapport en page 11.

D’autre part, la franchise proposée permettra à un poids lourd qui traverse la France une fois par mois de bénéficier d’une franchise pour les 400 premiers kilomètres. Ne vaudrait-il pas mieux, sachant que la distance moyenne parcourue sur le réseau taxable est de 37 kilomètres, que cette franchise ne s’applique que lorsque la distance parcourue est inférieure à 100 kilomètres par jour, afin de favoriser les transporteurs locaux ? Il est en effet à craindre que les transporteurs venus d’Allemagne ne traversent gratuitement notre région avant de passer à nouveau la frontière. Il s’agit là d’une difficulté majeure qui me conduira à voter contre le rapport.

M. Bertrand Pancher. Je tiens à mon tour à rendre hommage au travail réalisé par la mission et tout particulièrement par son rapporteur et président avec ce rapport qui me satisfait presque entièrement. J’y note cependant quelques oublis.

Il devrait tout d’abord présenter plus précisément la liste impressionnante de tous les travaux qui seraient abandonnés si l’écotaxe devait l’être – et sur lesquels ceux qui refusent ce dispositif seraient dès lors bien avisés de ne pas verser des larmes de crocodile !

La première de ces listes correspond au scénario 2 de la commission « Mobilité 21 », où figurent notamment des travaux qui intéressent les électorats breton et normand, comme le traitement de la gare de Rouen ou des interventions sur des secteurs ferroviaires importants. On y trouve également de nombreux travaux routiers ou autoroutiers, tels que le contournement indispensable de nœuds ferroviaires, par exemple à Lyon, Marseille et Nice, et la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse.

Seraient aussi condamnés, comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, le troisième appel à projets de transports en commun en site propre et le volet routier et d’infrastructures des contrats de plan État-régions 2014-2020, ainsi que bien des projets qui, lors des débats récents, recueillaient l’adhésion de la plupart des sensibilités politiques. Les réserves que j’avais exprimées à propos de la liaison Lyon-Turin, qui n’était du reste pas financée dans le cadre du budget de l’AFITF, ont été jugées ridicules, mais nous ne sommes pas près de voir ce projet se réaliser et sans doute l’Union européenne devra-t-elle récupérer les financements prévus pour le soutien de nos grandes infrastructures, faute pour nous de pouvoir répondre d’ici à septembre 2014 aux exigences du plan de financement de cette ligne Lyon-Turin – et je ne parle pas du canal Seine-Nord Europe !

Le rapport est un vibrant plaidoyer pour le maintien de l’écotaxe : vous y évoquez, monsieur le président, les conséquences « désastreuses » qu’aurait l’abandon de celle-ci et je suis en plein accord avec vous sur ce point.

Vos conclusions reprennent des propositions de bon sens issues de nombreuses auditions – propositions parfois lourdes de conséquences : ainsi, la franchise de 400 kilomètres aura un important coût budgétaire, mais, visant à satisfaire les manifestants qui ne voulaient pas payer le transport de proximité, elle constitue une réponse bien plus intelligente que l’exonération de telle ou telle profession, car elle règle tous les problèmes.

La marche à blanc, réponse « du berger à la bergère » – si j’ose dire – qui expliquait voici quelques semaines que le système ne fonctionnerait pas, doit précisément permettre de démontrer qu’il fonctionne.

Vous reprenez également la réflexion sur la facturation des transporteurs pour leur propre compte – qui avait du reste donné lieu à des débats lors de l’examen de la loi sur l’écotaxe, le ministre des transports de l’époque prenant alors d’assez haut les amendements que j’avais déposés à ce propos. Le Gouvernement serait bien aveugle s’il ne mettait pas à profit, pour prendre ses décisions, tous les éléments qui lui sont fournis là.

J’exprimerai toutefois quelques réserves à l’égard de ce rapport.

Pour ce qui est tout d’abord de la création d’un fonds de modernisation de la flotte de poids lourds, j’y vois une nouvelle contrepartie qui viendrait s’ajouter à celles, déjà nombreuses, que les transporteurs routiers ont déjà demandées et obtenues de l’État au titre de l’écotaxe, comme si le principal problème de cette profession n’était pas plutôt un régime social qui les amène à se délocaliser dans d’autres pays d’Europe.

Le rapport aurait, d’autre part, pu être l’occasion de rappeler aux régions demandant des exonérations de l’écotaxe que celles-ci interdiraient de soutenir demain leurs infrastructures. Si les régions se réclament d’un particularisme régional, elles doivent aussi accepter que la solidarité nationale ne s’applique pas toujours. Ainsi les parlementaires bretons devront bien nous dire un jour ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas.

Quant aux parlementaires socialistes bretons, dont je comprends certes la position, je me demande comment ils s’expliqueront en interne – car les points qu’ils défendent sont difficiles à expliquer publiquement.

Je conclurai en soulignant que le rapport est une attaque en règle contre les élucubrations de Mme Ségolène Royal, dont il dresse, à raison d’une par semaine, une liste très précise. Nous y trouverons les éléments techniques permettant de recadrer le débat.

Je vous remercie donc à nouveau, monsieur le président, pour la qualité de ce rapport, que je soutiendrai sans réserve.

M. Joël Giraud. S’agissant de la nécessité de déployer une écotaxe sur tout le territoire, j’ai une vision plus maximaliste encore que celle du rapport.

Si j’ai bien entendu qu’il n’était pas possible d’amender ce document pourtant provisoire, j’aimerais toutefois avoir quelques précisions.

Tout d’abord, la contribution que j’ai apportée était accompagnée d’une carte du massif alpin qui démontrait l’imbécillité d’un système où aucun itinéraire n’est taxé lorsqu’on se rend de Suisse ou d’Italie en France. Cette carte sera-t-elle intégrée au rapport ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Elle le sera.

M. Joël Giraud. J’estime aussi, comme mes collègues alsaciens, que l’on devrait disposer les portiques de manière à éviter des reports sur des axes déjà encombrés et dangereux.

La proposition n° 11 est précisément intitulée « Prendre en compte le niveau de congestion sur certains axes particulièrement encombrés ou accroître l’éco-redevance sur certains axes pour lesquels le report modal ou autoroutier est possible ». C’est ici le libellé du second point qui me pose problème. En effet, dans le massif alpin, le report modal ou autoroutier est possible dans tous les cas : soit on emprunte les grands tunnels et les autoroutes sur lesquels ils débouchent, soit on emprunte les axes qui passent par les cols et qui, eux, sont exonérés d’écotaxe. Il ne s’agit donc pas seulement d’accroître l’éco-redevance, mais de la mettre en place sur les axes où le report est possible. Ne pourrions-nous pas corriger cette erreur purement sémantique ? Je ne doute pas, en effet, que vous ayez envisagé aussi ce cas de figure.

La piste n°6 – « Étendre le réseau taxable actuellement limité à une partie du réseau national et départemental non concédé » – n’est pas retenue mais le rapport renvoie à la clause de revoyure, à échéance d’un an après l’entrée en vigueur du dispositif, qu’un de mes amendements a introduite dans le texte et qui prévoit, du reste, la consultation des conseils généraux et des conseils de massif concernés. Je souhaite que ce soit l’occasion de discuter de la carte des itinéraires taxés de manière aussi large et franche que nous avons pu le faire ici et, à cet effet, je suggérerai que cet examen se fasse dans une formation dont la composition soit proche de celle de notre mission d’information.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. S’il est vrai que nous n’avons pas retenu la piste de l’extension, cela ne signifie pas que nous ne nous interrogeons pas sur le réseau taxable.

Un des objectifs que je me suis fixés est de permettre la mise en œuvre de l’éco-redevance dans les meilleurs délais. C’est pourquoi je n’ai pas retenu de propositions conduisant à prendre un mois de retard ici, six mois-là, etc. L’urgence est réelle, tant du point de vue financier qu’au regard du calendrier électoral : étant donné la fréquence des élections, ayons l’honnêteté d’admettre que, si l’on ne met pas à profit les « fenêtres de tir » existantes, on ne mettra jamais en place le dispositif. Tous les responsables politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, tiennent compte de cet élément.

Pour ces raisons, nous n’avons pas ouvert l’hypothèse de l’extension du réseau taxable. Mais il est relativement facile de le faire : il suffit que, demain, le Parlement modifie la rédaction de l’article 270 du code des douanes, puis que le Gouvernement modifie le réseau par décret. C’est d’ailleurs ce que j’ai indiqué au sujet des routes taxées en Bretagne.

Cela dit, nous avons examiné vos propositions, monsieur Giraud. Nous y répondons dans le rapport, notamment par une analyse du système autrichien auquel vous faites référence.

Comme vous l’avez indiqué, toute modification du réseau taxable départemental suppose que l’on consulte à nouveau l’ensemble des conseils départementaux. Cela m’a dissuadé de retenir cette piste. Mais si l’exécutif avait, demain, la volonté politique de s’attaquer à ce qui peut apparaître comme non pertinent dans la définition du réseau taxable, il aurait la possibilité de le faire.

M. Joël Giraud. Je me permets toutefois d’insister sur l’erreur de plume dans l’intitulé de la proposition n° 11. Il conviendrait de substituer au mot : « accroître » les mots : « établir ou accroître ».

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. D’accord.

M. Marc Le Fur. M. Xavier Breton a bien exposé la position du groupe UMP. Je salue aussi les propos de M. François André : notre collègue a mis en exergue des circonstances, régionales sans doute, mais objectivement très importantes et redoutables, d’où notre inquiétude.

Tout en saluant le travail réalisé dans ce rapport, je constate que des hypothèses ne sont pas examinées alors qu’elles ont été mises sur la table. Différentes pistes non retenues font certes l’objet d’une argumentation, mais tel n’est pas le cas de l’hypothèse d’une taxation spécifique des autoroutes, que vous n’avez évoquée qu’oralement, ou de celle de l’utilisation d’une partie de la recette du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), évoquée par plusieurs collègues. La grande distribution, je le rappelle, bénéficie de ce crédit à hauteur de 2,5 milliards d’euros.

Quant au changement de nom de l’écotaxe, qui deviendrait « éco-redevance », c’est non ! Nos concitoyens sont assez lucides pour savoir que, quand on leur prend de l’argent, c’est un impôt !

L’essentiel des trajets de poids lourds, nous en sommes tous d’accord, sont des trajets courts pour lesquels il n’existe aucune possibilité de substitution modale. Votre proposition de franchise mensuelle de 400 km ne saurait constituer une réponse à cette réalité. Pour les professionnels du transport que j’ai interrogés, la moyenne journalière est déjà de 550 à 600 km. Dans une grosse coopérative de ma région, les camions roulent en trois-huit et parcourent en moyenne plus de 900 km par jour. Que représente, en comparaison, la franchise mensuelle de 400 km ? Je crains qu’elle ne favorise plutôt les véhicules étrangers effectuant peu de trajets en France, par exemple ceux d’une société de transport assurant une liaison Berlin-Metz.

Tout en admettant qu’il soulève des difficultés, vous ne proposez nulle part de revenir sur le dispositif Cuvillier. Votre idée de permettre aux transporteurs en compte propre de faire figurer en bas de facture les charges correspondant à l’éco-redevance est sans conséquence, comme vous l’admettez vous-même.

Enfin, je regrette que vous ne proposiez pas, comme il en a été question à un moment donné, une expérimentation régionale. Votre préoccupation majeure, nous l’avons bien compris, est le calendrier : il faut tout faire passer de force et rapidement avant les élections à venir ! Pourtant, une expérimentation aurait permis d’aller au fond des choses, et déjà une région s’y portait candidate.

Vous prenez une responsabilité considérable. Ce rapport d’information sera, au moins dans la région que je connais, très mal accueilli. On le percevra comme étant en totale contradiction avec les propos du Gouvernement. Les gens n’y comprenant plus rien. On s’expose à des difficultés dont j’espère qu’elles n’iront pas jusqu’à des excès. Je me devais de vous en alerter.

M. Gilles Savary. À mon tour, je vous remercie pour le travail accompli et pour la qualité de votre rapport, monsieur le président. Sur un sujet qui paraît parfois obscur, il constituera sans nul doute un document de référence.

Au départ, on a adopté le principe de l’écotaxe parce que l’Union européenne et tous ceux qui réfléchissent aux questions d’environnement souhaitaient que l’on crée des effets-prix intégrant l’ensemble des coûts, de manière à établir une vérité des prix dans le secteur du transport et à éviter que les transports les plus polluants ne bénéficient d’une rente de situation. La crise des budgets publics survenue entre-temps nous place devant l’alternative suivante : soit faire payer le contribuable, dont on nous dit par ailleurs qu’il est saturé d’impôts, soit, prenant en considération les incertitudes qui pèsent sur les recettes fiscales et qui conduisent, par exemple, à reporter d’année en année le financement de grandes infrastructures, remplacer l’appel au contribuable par le recours à une recette durable et légitime, reposant à la fois sur le principe du « pollueur payeur » et sur celui de l’« utilisateur payeur ».

Notre responsabilité est donc vertigineuse. Je comprends et respecte les Bretons, mais on ne peut abolir tout intérêt général pour donner une prime à l’émeute ! Et l’intérêt général, aujourd’hui, ce sont les lignes de crédit des contrats de projets État-régions, qui sont vides, ce sont différents grands travaux qui ne peuvent être financés, ce sont nos villes dont les transports collectifs ne seront plus subventionnés tant que le troisième appel à projets ne sera pas mené à bien.

Bref, pouvons-nous conclure nos travaux, par ailleurs remarquables, en renvoyant « la patate chaude » au ministère des finances, dont nous avons pourtant constaté le désarroi ? Ceux qui réclament 130 milliards d’économies au lieu de 50 et qui, dans le même temps, refusent la mise en place d’une recette durable dont d’autres États européens se sont dotés sont dans la démagogie et dans l’irresponsabilité la plus totale.

J’avoue ne pas retrouver dans ce rapport tout ce que j’aurais souhaité y voir figurer, monsieur le président. Mais il est vrai que vous êtes contraint à certaines synthèses. Néanmoins, vous envoyez un message assez clair : nous ne voulons pas que l’État paie un dédit de 600 à 800 millions d’euros en cette période de grande difficulté budgétaire ; nous ne voulons pas de gaspillage et de gabegie pour des raisons idéologiques ou parce qu’un groupe de pression prend la République en otage ; enfin, nous voulons substituer au contribuable une recette durable à laquelle nous apportons de nombreux aménagements.

À cet égard, je tiens la marche à blanc pour essentielle. Elle nous permettra de valider et, le cas échéant, de réajuster le dispositif, en dépassant les peurs et les assertions catégoriques qu’il inspire aujourd’hui.

J’aurais souhaité que le rapport soit plus incisif concernant les effets d’aubaine, car le risque est, si l’on resserre le réseau taxable autour des corridors de transit formés par le réseau autoroutier, de provoquer un transfert assez considérable de trafic vers les autoroutes et de faire dans ce cas un énorme cadeau aux sociétés concessionnaires. La recette publique que nous souhaitons se transformerait alors en rente privée perpétuelle. Il aurait été préférable d’indiquer plus clairement que le réseau doit être suffisamment large pour éviter autant que possible un tel phénomène.

D’autre part, si une négociation devait être engagée avec les sociétés autoroutières sur ces effets d’aubaine – ce qui serait sans doute souhaitable –, il faudrait éviter qu’elle n’aboutisse à une augmentation de la durée des concessions, qui accroîtrait encore la rente privée.

Je regrette aussi que le rapport n’aborde pas la périphéricité des déplacements de poids lourds dans les différentes régions. Une étude du sujet aurait permis de donner un sérieux coup de canif à certaines revendications, y compris dans ma région : il faut savoir que le premier port de Bordeaux est … Anvers ! Ira-t-on jusqu’à demander des exonérations au motif que les marchandises ne passent pas par le port de Bordeaux ?

Le sujet, je ne l’ignore pas, est difficile, et même explosif en Bretagne, mais il serait bon de pousser la réflexion plus avant, éventuellement en s’appuyant sur les travaux de laboratoires de recherche. La périphéricité ne peut être une revendication de circonstance : elle ne se définit que par rapport aux destinations les plus fréquentes de telle ou telle économie, sans considération de localisation géographique.

Je regrette que l’hypothèse de la régionalisation partielle, à laquelle je tenais beaucoup, ait été écartée, d’autant qu’elle s’inscrivait dans la perspective de la future loi de décentralisation qui regroupera les régions. J’espère qu’on ne l’a pas définitivement abandonnée. On nous objecte qu’elle est irréalisable, pourtant elle est mise en œuvre en Suisse. Je conçois bien que l’administration centrale ne veuille pas perdre la main sur ces sujets, mais il y aurait là un facteur de responsabilisation.

Enfin, il serait temps de lancer des Etats généraux de la logistique. Si les Bretons ont besoin de quelque chose, c’est bien d’un examen détaillé de leur compétitivité dans ce domaine !

En dépit de ces observations, je voterai ce rapport sans barguigner. Si nous abandonnons le projet en rase campagne, nous nous exposons à de grandes difficultés. Que certains veuillent jouer la politique du pire, je peux l’admettre. Pour ma part, je m’y refuse.

M. Patrice Carvalho. Je vous félicite à mon tour, monsieur le président, d’avoir assuré le bon déroulement de nos travaux et d’avoir assumé à la fois le rôle de président de la mission d’information et celui de rapporteur. La droite a en effet choisi de renoncer aux fonctions revenant de droit à l’opposition et nous constatons aujourd’hui quelles grandes manœuvres politiques se cachaient derrière ce choix.

La loi instituant l’écotaxe est une loi mal faite au départ. Elle fait la part belle aux entreprises responsables de l’installation du système et coûte cher en fonctionnement. On aurait pu trouver d’autres formules, en s’appuyant par exemple sur le décret du 24 octobre 2011. Ce texte issu du Grenelle II fait obligation aux transporteurs d’indiquer le volume de CO2 émis lors de chaque opération de transport, ce qui nous aurait permis de déployer une taxe bien plus facilement.

Malheureusement, le système est aujourd’hui en place. L’abandonner coûterait très cher, ce qui ne doit pas nous empêcher de commencer à réfléchir à ce qui pourra s’y substituer à l’avenir.

Dans tous les autres modes de transport de marchandises – rail, voies navigables, etc. –, on paie. Je ne vois pas pourquoi on ne paierait pas lorsqu’on utilise la route. Quand le citoyen doit faire dix ou quinze kilomètres pour consulter un médecin, pour faire ses courses ou pour se rendre à son travail parce que tout ferme dans sa ville, il paie « plein pot » : on ne lui déduit pas les quatre premiers kilomètres en compensation de la TVA qu’il acquitte sur son essence ! Ceux qui décident de fermer les usines et de faire venir les marchandises de plus en plus loin devraient assumer eux aussi tous les coûts de transport. Ce serait peut-être un moyen de rééquilibrer le système : si l’on produisait en France, on rapprocherait les fabricants des consommateurs et on polluerait moins.

Cela dit, le système est construit. On ne pourrait y renoncer sans grever le budget de l’État. Ne voulant pas non plus participer à la manœuvre politicienne qui vise à mettre le Gouvernement en difficulté sur une loi qui n’est pas de son fait, je voterai ce rapport.

M. Michel Heinrich. Je m’associe au concert des louanges qui vous sont adressées, monsieur le président, autant pour la façon dont vous avez mené les débats que pour la qualité, l’honnêteté et la cohérence de votre rapport.

Il est très regrettable que la ministre de l’écologie ait souhaité s’exprimer avant la fin de nos travaux. Attendre de lire ce rapport lui aurait permis d’approfondir le sujet. En tout cas, nous avons là un document qui remet ses propos à leur juste place !

Je m’abstiendrai sur ce texte pour les motifs énoncés par Hervé Mariton, en y ajoutant un regret : il eût été judicieux, me semble-t-il, de faire figurer dans vos propositions celle de se réserver la possibilité de modifier le réseau taxable ultérieurement.

Mme Joëlle Huillier. La proposition figure à la page 109 du rapport.

M. Michel Heinrich. Pas de façon très explicite, alors que nous avons tous estimé qu’il fallait revenir sur ce tracé.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est un reproche que l’on peut nous faire …

M. François-Michel Lambert. Rappelons que ce rapport n’a pas force de loi. Il doit avant tout montrer si nous avons ou non la volonté de relancer le principe, soutenu sans ambiguïté par les écologistes, d’une taxation des poids lourds. Il s’agit d’instaurer un modèle vertueux de relocalisation de l’économie grâce au développement de modes de transport alternatifs à la route, de faire payer le transit à l’usager, d’inciter à améliorer la performance du transport routier et de la logistique. En effet, si la taxe poids lourds a vocation à abonder le budget de l’AFITF et celui des régions, elle s’inscrit également dans une logique de réduction des émissions de gaz à effet de serre, dix-huit mois avant que Paris n’accueille la 21e Conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP 21).

L’objet de nos travaux est de relancer une dynamique, pas d’inscrire telles quelles dans le marbre de la loi les treize propositions du rapport. Le groupe écologiste votera pour ce texte, tout en adoptant une position de critique constructive. La taxe poids lourds doit s’inscrire dans une politique globale de transports articulée autour du schéma directeur national de la logistique, mentionné à l’article 41 de la loi qui institue ladite taxe. Il ne saurait en effet s’agir d’une mesure isolée, et c’est donc à juste titre que Gilles Savary a rappelé l’absolue nécessité de réunir des états généraux de la logistique.

Notre critique devra aussi s’exercer pour tenir compte du projet de nouvelle décentralisation et des évolutions technologiques qui sont devant nous. Notre choix doit être optimal car il vaudra pour les dix prochaines années. C’est pourquoi nous souhaitons trouver des moyens pour continuer à alimenter ces travaux. Plusieurs points doivent être améliorés, qu’il s’agisse de la révision du réseau taxable, de la question des portiques – non abordée dans le rapport mais qui devra être soulevée pendant la marche à blanc –, du renforcement de la place des régions ou de mesures pour le développement des outils d’aide à la décision et à l’optimisation grâce aux nouvelles technologies. On le voit, nos propositions ne sont pas que punitives : elles visent aussi à instaurer une relation gagnant-gagnant entre la collecte d’une part, la performance des transports routiers et de la logistique d’autre part.

Tout cela implique une refonte du cahier des charges, dans le respect des contraintes juridiques résultant du contrat passé avec Ecomouv’. La commission d’enquête sénatoriale chargée d’examiner ce contrat n’ayant pas encore rendu ses conclusions, nous devons conserver une certaine liberté pour pouvoir nous prononcer en fonction des résultats de ce travail.

Le groupe écologiste ne reculera pas devant le choix politique de mettre en œuvre l’eurovignette, déjà adoptée par d’autre pays avant nous. Il reste cependant critique, car le chemin est encore long. Il appellera le Gouvernement à prendre lui aussi ses responsabilités.

M. Thierry Benoit. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire plusieurs fois, monsieur le président, vous avez bien travaillé.

Cela dit, vous proposez un réaménagement de l’écotaxe là où je réclame une complète réorientation : on ne peut transformer une taxe en redevance sans en changer les modalités de recouvrement et les mécanismes de répercussion.

Étant favorable à la subsidiarité, je considère que la redevance doit se substituer à une autre taxe pesant actuellement sur le transport. Dans le cadre du Grenelle, il était d’ailleurs précisé que le projet d’écotaxe devait être réalisé à fiscalité constante. Or le rapport est muet à ce sujet.

D’autre part, alors qu’il y a urgence à financer l’AFITF, les infrastructures de transport et la participation de l’État aux contrats de projets État-régions, on a balayé d’un revers de la main des hypothèses telles que la réorientation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, que j’avais personnellement soutenue, ou la participation des sociétés d’autoroutes. Mais, surtout, il aurait fallu mieux distinguer entre l’urgence et les perspectives à moyen et long termes ouvertes par l’encouragement à l’intermodalité et à des pratiques plus vertueuses et plus propres.

Si l’on fait le choix d’une redevance durable, il aurait également fallu se soucier d’intégrer celle-ci dans un « maillage » européen au travers d’outils comme une eurovignette, dans un objectif d’harmonisation fiscale, et expliquer tout cela aux contributeurs français.

Il faut aussi, impérativement, ouvrir des perspectives à la filière du transport, du fret et de la logistique. En association avec les acteurs du secteur, nous devons faire de ce sujet un enjeu de création de richesse économique et d’emplois.

Enfin, je déplore que notre mission d’information ne soit pas le garant et l’acteur de la simplification !

M. Olivier Faure. Je loue moi aussi la qualité du travail et du rapport de Jean-Paul Chanteguet. Il aura eu une tâche difficile, mais, après un débat complexe, nous disposons d’un document très argumenté qui permet de faire le tour de la question.

Nous sommes maintenant mis en face de notre responsabilité de parlementaires. Nous nous demandons souvent à quoi nous servons : eh bien, à ouvrir des voies qui ne sont pas forcément celles que le Gouvernement aurait choisies !

Le débat avec l’exécutif se prolongera au cours des prochaines semaines. À cet égard, je voudrais que chacun comprenne ici que nous ne sommes pas les députés de telle ou telle région. Cela étant, si je considérais que je représente la seule région Île-de-France, je plaiderais avec encore plus d’assurance pour l’éco-redevance puisque, à l’inverse de certaines régions trop périphériques, la région capitale est trop centrale. Elle voit ses infrastructures se dégrader alors qu’elles sont utilisées par tout le monde et que le coût d’entretien du réseau existant – notamment le réseau ferré – n’est même pas assuré. Mais nous sommes avant tout députés de la Nation et, en tant que tels, nous devons trouver les recettes qui correspondent aux besoins. Chacun défend, ici, ses positions sur l’éco-redevance tout comme, dans quelques semaines, lorsque nous débattrons en séance publique de la réforme ferroviaire, chacun viendra avec des demandes pour sa région et pour son département sans que personne sache comment les financer. Nous voulons tous des réseaux mieux entretenus, nous voulons des routes, des trains, des RER, des tramways. Cela suppose des crédits ! Tenir un discours qui n’est pas en adéquation avec les demandes que l’on formule, c’est de la démagogie, que l’on soit député de gauche ou député de droite.

Ce dispositif, mesdames et messieurs de l’opposition, c’est vous qui l’avez inventé. C’est nous, aujourd’hui, qui le soutenons. Cela montre que l’on peut, dans cette Assemblée, dépasser les clivages partisans pour viser l’intérêt général, en s’affranchissant du jeu de rôles permanent qui voudrait qu’une fois passé dans l’opposition, on ne soutienne plus les propositions que l’on défendait lorsqu’on était dans la majorité.

M. Thierry Benoit. Vous voulez parler de la réforme territoriale ?

M. Olivier Faure. Nous pourrons en reparler. Ma remarque vaut pour les uns comme pour les autres.

Le courage et la cohérence voudraient que la position de la mission d’information, à défaut d’être unanime, bénéficie d’un vote clair qui lui donne de la force. Tout le monde sait l’interprétation qui sera faite d’un vote moyen, diffus voire confus : « La mission est partagée », écrira-t-on, et l’on ne tirera rien de nos travaux. Pourtant, l’intérêt de la mission était justement de permettre de dépasser les clivages pour construire un rapport de force avec l’opinion publique et avec le Gouvernement, de manière à ce que l’écotaxe puisse vivre. Chacun en convient en effet, au moins en privé : nous ignorons quel autre chemin nous pourrions emprunter.

Bref, nous sommes à la croisée des chemins. Pour une fois, nous devrions nous garder de verser dans la posture ou dans le clivage partisan.

Mme Isabelle Le Callennec. Je salue le travail réalisé mais ne le considère pas comme totalement abouti.

Sur la forme, on nous invite à voter un document qui ne comprend pas les comptes rendus des auditions, pourtant annoncés à la page 178. J’aurais aimé y retrouver celles des transporteurs ou du Collectif des acteurs économiques bretons.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Ces comptes rendus seront bien évidemment intégrés en totalité au rapport.

Mme Isabelle Le Callennec. J’aurais aussi apprécié que l’on attende la publication du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le contrat conclu avec Ecomouv’.

Sur le fond, une phrase résume tout : « Un dispositif peu compris et donc mal accepté dans un contexte économique difficile ». On pourrait néanmoins ajouter : « … et dans un contexte institutionnel pour le moins mouvant », puisque chaque jour apporte une nouvelle annonce sur la façon dont départements et régions vont fonctionner – ou dysfonctionner – à l’avenir.

L’objectif originel de l’écotaxe me parait aujourd’hui complètement dévoyé. Les objectifs partent dans tous les sens. Si l’on ne donne plus la priorité au report modal, on remet en cause l’existence même de cette contribution.

Comme l’a souligné Marc Le Fur, le changement de nom ne changera rien. Pour l’opinion publique, l’éco-redevance restera une taxe. De même, la franchise ne résout pas le problème des petits trajets. Quant au fonds de modernisation dont on envisage la création, son objet est limité à l’acquisition de véhicules à gaz et électriques et rien n’est dit sur la façon dont il sera alimenté, à un moment où l’État cherche à faire 50 milliards d’euros d’économies.

Enfin, le rapport exclut la prise en compte de la situation périphérique de certaines régions. Y figure pourtant, en annexe, la proposition – non retenue – du président du conseil régional de Bretagne. Soit dit en passant, vous avez reçu ce dernier en catimini, pour ainsi dire…

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pourquoi n’avez-vous pas accepté la présidence de la mission d’information ? Vous avez signé avec Marc Le Fur une prise de position à la kalachnikov. Vous pourriez être un peu plus respectueuse du travail que j’ai effectué seul parce que c’est l’opposition qui m’a laissé seul !

Mme Isabelle Le Callennec. Le vote de notre mission est particulièrement attendu dans certaines régions. Je salue à cet égard les députés bretons de la majorité qui ont le courage de leurs opinions. Le Premier ministre précédent avait bien voulu reconnaître la légitimité des demandes exprimées en signant le pacte d’avenir pour la Bretagne. J’estime que votre rapport remet totalement en cause cette signature. Je voterai évidemment contre.

M. Jean-Pierre Le Roch. Je souscris pleinement à la déclaration de François André. Pour des raisons de santé, Richard Ferrand ne peut être présent ce matin mais il m’a demandé de l’associer à notre vote contre le rapport.

M. Philippe Bies. Je m’associe pour ma part aux louanges – plus ou moins hypocrites – qui vous sont adressées, monsieur le président. Votre rapport permettra d’appuyer non seulement les propositions que vous faites, mais aussi celles qui n’ont pas été retenues.

Ce matin, certains veulent faire croire que la mission d’information aurait pu décider de l’abandon de l’écotaxe. Cela n’a jamais été notre feuille de route !

M. Marc Le Fur. Nous ne sommes tout de même pas aux ordres du Gouvernement !

M. Philippe Bies. La feuille de route que nous avons définie entre nous – du moins ceux qui ont accepté d’y travailler – visait à trouver des aménagements à l’écotaxe poids lourds pour la rendre acceptable dans un contexte qui avait changé. Les propositions de Jean-Paul Chanteguet répondent à cet objectif, tant en termes de proximité que d’intérêt des territoires. La marche à blanc permettra de vérifier le bon fonctionnement du dispositif et de répondre aux inquiétudes légitimes de certains professionnels.

Si elles devaient être retenues, ces quatorze propositions impliquent le vote d’un projet ou d’une proposition de loi. Elles fixent un cap, mais sont encore susceptibles de modifications.

La LKW Maut allemande a rapporté 4,4 milliards d’euros en 2012, ce qui a permis de doubler ou de tripler des voies autoroutières – en effet, 50 % de ce produit sont consacrés à la modernisation de la voirie, 35 % allant à la modernisation du secteur ferroviaire et 15 % au transport fluvial. Tandis que nos voisins avancent, nous discutons ! Je me réjouis néanmoins que ce rapport fixe un cap clair et évite de donner une prime à ceux qui se rebellent, allant jusqu’à détruire le matériel, public ou privé.

Nous sommes tous issus d’un territoire – je suis pour ma part député strasbourgeois et alsacien. Mais nous sommes avant tout députés de la République une et indivisible. C’est ce point de vue qui doit prévaloir dans notre choix.

M. Thomas Thévenoud. Je salue votre travail et celui de l’administration qui vous a assisté, monsieur le président : vingt-trois auditions, quatre visites sur le terrain dont trois à l’étranger, cinquante entretiens. Vous avez raison de rappeler, avec vivacité parfois, certaines réalités : nos collègues de l’UMP n’ont pas eu le courage d’exercer les responsabilités que le Règlement leur ouvrait au sein de cette mission d’information, sans doute pour pratiquer avec plus d’aisance la démagogie et la posture politicienne.

Je considère pour ma part que nous sommes devant un excellent rapport. Comme tout bon rapport parlementaire, il garantit un équilibre. Il prend en compte les réalités économiques du secteur – la crise économique, la crise du transport routier en France et la concurrence déloyale exercée par des entreprises étrangères se font sentir dans d’autres régions que la Bretagne – en préconisant la création d’une franchise et d’un fonds de modernisation. Il prend également en compte les intérêts de la Nation. Rayer d’un trait de plume le contrat passé avec Ecomouv’ alourdirait le budget pour 2015 de 1,5 milliard d’euros. Ceux qui nous incitent à le faire sont les mêmes qui nous reprocheront, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, de ne pas réaliser assez d’économies. Cela a un nom : la démagogie fiscale !

Le rapport n’abandonne pas l’idée d’une contribution des poids lourds au financement des infrastructures. Cela aussi a un nom : la fiscalité écologique. N’en déplaise à certains, cette notion a du sens et la France a du retard en la matière. Ce n’est pas en repoussant sans cesse les choix courageux qui sont nécessaires au développement durable de notre pays que nous agirons en véritables responsables politiques.

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, je voterai cet excellent rapport. Il est de notre responsabilité de parlementaires de faire de la pédagogie fiscale. Il est aussi de notre responsabilité de rappeler à nos concitoyens que l’unité nationale est toujours d’actualité.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je rappelle qu’aux termes de l’Instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale, « l’autorisation de publication » sur laquelle nous allons voter « n’emporte pas approbation du texte du rapport ».

La mission d’information a autorisé la publication du rapport et de ses annexes.

CONTRIBUTION DE MEMBRES DE LA MISSION

CONTRIBUTION DE M. JOËL GIRAUD
AU NOM DU GROUPE RRDP

Groupe RRDP

Joël GIRAUD


Député des Hautes-Alpes

Président de la Commission Permanente

Du Conseil National de la Montagne

Maire de L’Argentière-La Bessée

L’Argentière, le 6 mai 2014

Objet : écotaxe PL / Contribution écrite du groupe RRDP

La mise en place du système français d’écotaxe était viciée dès l'élaboration du cahier des charges de l'appel d'offres (et sans même porter de jugement sur le caractère pour le moins étonnant de la procédure qui a conduit au choix d'Ecomouv’).


En effet, le réseau routier proposé comme base de taxation ne reposait sur aucune logique d'itinéraire mais un simple classement administratif. Et il exonérait les réseaux autoroutiers au motif qu'ils sont sous concession et que l'UE s'y opposerait.


Dans tous les pays d'Europe appliquant une écotaxe, la logique de tarification est la suivante :


- le réseau autoroutier (incluant le réseau autoroutier à gabarit routier, à l'image des autoroutes de montagnes suisses ou autrichiennes) est taxé, y compris lorsqu'il est sous quasi-concession (cas de l'Autriche dont le système n'a soulevé aucune remarque de l'UE) ainsi que le réseau national structurant ("Schnellstraβen") ;


- la taxation est maximale pour les PL à itinéraire international (passant une frontière, voire deux frontières - cas des PL traversant un pays-) ;


- il y a rétablissement d'une équité avec les PL nationaux quant aux taxes nationales non prises en compte pour les PL étrangers (introduction de la taxe à l'essieu dans l'écotaxe en Suisse/Autriche) ;


- il est établi un malus écologique avec une taxe différenciée suivant le niveau de pollution du camion.

La forme de la collecte est différente suivant les pays (vignette ou portiques d'itinéraires), la plus élaborée étant le système autrichien mis en place par Autostrade per l'Italia qui cumule itinéraire, pollution et taxe à l'essieu. Notons au passage que dans ce pays un PL sur autoroute s’acquitte d’une taxe 2 fois supérieure au km que le péage autoroutier en France.

En pièce jointe n° 1, nous proposons une analyse détaillée du très efficace système autrichien qui se rapproche le plus du dispositif français mais relève de la logique précitée.

La carte du massif alpin français, en pièce jointe n ° 2, démontre à elle seule l'inadéquation du système proposé dans le cahier des charges. Alors que les populations de ces zones sont favorables à l'écotaxe (comme tous les secteurs frontaliers envahis par les PL) et que le trafic Est / Ouest est celui qui, depuis 10 ans, connaît la plus forte progression en matière de transit international, le passage des frontières suisses et italiennes est libre et seules deux routes sont taxées.


- la RN90 d'Albertville à Moutiers (sans doute pour pénaliser les livraisons de marchandises dans les stations);


- la RN85 de Gap à Grenoble (qui n'est empruntée que par quelques marchands de pommes allant vendre à Grenoble et des entreprises de transport du plateau matheysin qui ont résisté de justesse à la fermeture du bassin minier !).


Autrement dit dans les Alpes comme ailleurs, seuls les transporteurs locaux à courte distance paieraient l'écotaxe. En revanche, l’on pourrait faire Turin-Barcelone via les Alpes par autoroute ou route nationale sans payer l’écotaxe !


C'est la raison pour laquelle le groupe RRDP demande :


- soit de modifier le contrat Ecomouv’ en mettant en place le même système que celui qu’Autostrade per l'Italia a élaboré pour l'Autriche, ce qui éviterait tout paiement de dédit à Ecomouv’ mais impose en France une convention avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes pour percevoir l'écotaxe PL pour le compte de l'État ;

La perception par les sociétés d’autoroutes d’une écotaxe poids lourds n’est pas considérée comme une rupture d’équilibre de la concession si les itinéraires routiers de substitution sont taxés dans les mêmes conditions. C’est le système appliqué dans les pays germaniques et en Suisse. Pour donner un exemple, si ce système est mis en place sur l’A43 à la sortie du tunnel du Fréjus (frontière italienne), il doit l’être également pour la RN6 qui lui est parallèle et l’itinéraire de substitution du col du Montgenèvre (RN94).


- soit la mise en place d'une vignette à l'entrée du territoire national différenciée suivant le niveau de pollution, le nombre d'essieux et une vignette entrée/sortie pour les PL traversant le territoire, ce système imposant un dédommagement à Ecomouv’.


En tout état de cause, l'écotaxe PL doit concerner, comme la LKW Maut germanique, tout le réseau autoroutier et routier principal (y compris les départementales à classement et nomenclature européenne) et privilégier la taxation des PL à itinéraire international.

Joël GIRAUD

signature Joël

Les écotaxes poids lourds : Comment cela fonctionne en Europe?

(in wordpress.com)

L’Autriche, un pays précurseur

A- 1993-2003 : Les éco-points

Pays enclavé au beau milieu de l’Europe, l’Autriche sert de « synapse » entre différents territoires. D’une logique historique Nord-Sud, les flux sont intensifs entre l’Allemagne et l’Italie. Le pays traversé a eu la volonté de maîtriser ce transit. Avec  l’ouverture du marché commun européen et de l’espace Schengen issu du traité de Maastricht il devrait normalement être possible de circuler librement dans tous les pays signataires. Toutefois, en 1993 lors de cette entrée en vigueur l’Autriche ne faisait toujours pas partie de l’Union. L’Europe (la CEE à l’époque), et le pays avaient signé un accord dans le but de réduire la pollution atmosphérique à ce moment. Le gouvernement autrichien a donc mis en place les éco-points. Ce système était obligatoire pour n’importe quel ressortissant étranger (issue de l’union européenne ou non) utilisant un poids-lourd en Autriche. Cette contrainte routière était assez simple d’utilisation, chaque pays recevait un nombre d’éco-points par an. Les « pavillons » ne pouvaient donc pas dépasser ce taux limite. Le nombre de poids-lourd autorisés à transiter était déterminé pour chaque État en fonction de la pollution atmosphérique que les poids-lourds de son pavillon causent. Chaque année ce nombre d’éco- points était revu à la baisse.

Nous pouvons détailler et expliquer ce dispositif avec l’exemple du cas français. Les éco-points autrichiens étaient distribués par les directions régionales des équipements (DRE) en fonction des quotas attribués à la France aux agents souhaitant traverser le pays enclavé. Le système fut manuel de 1993 à 1998, ce qui causa de nombreux désagréments pour les professionnels de la route aux frontières car le temps d’attente était très long. En effet chaque conducteur devait laisser un feuillet de l’« ökocarte » à la frontière qui indiquait le nombre d’éco-points nécessaires à la traversée du pays. Cette contrainte de temps était à elle seule suffisante pour faire migrer une grosse partie du transit (à dominante Nord Sud) par les passages multimodaux suisses. En 1998 le système s’est libéralisé avec la dématérialisation de la démarche. Des portiques capables de lire toutes les plaques d’immatriculation des véhicules ont été installés à chaque point de frontière rendant ainsi inutile la présentation du document « ökocarte » et rapprochant dans l’espace-temps la liaison autrichienne entre l’Allemagne et l’Italie. La politique européenne de libre circulation entre autres des marchandises mis en avant par l’espace Schengen était ainsi respectée.

Cette migration de trafic routier s’est amplifiée en 2001 en raison d’un facteur externe au pays. Le voisin helvète prend lui aussi des mesures particulièrement efficaces pour limiter le trafic de transit sur son territoire et c’est tout naturellement que les flux se sont concentrés sur l’Autriche avec le passage du Brenner et celui du Tauern moins taxé. Les prestataires de transports ne vont pas hésiter à faire des détours pouvant aller jusqu’à 100 km afin d’emprunter les passages autrichiens. Cela est très bien expliqué par le tableau ci-dessous. En effet, on remarque que lorsque les deux itinéraires majeurs de la région sont empruntables, celui du Saint-Gothard ainsi que celui du Brenner, ce dernier va être préféré. En effet, on remarque qu’il absorbe plus de détours que tous les autres grands cols alpins réunis. En 2004 on estimait que plus de 560 000 poids-lourd ont emprunté le Brenner en faisant au moins 60 km de plus qu’en prenant le Saint-Gothard ; à titre d’idée cela concerne plus de 28 % des camions utilisant le col du Tyrol.

Sources : Revue de géographie alpine/ Journal of Alpine Research

« La question des détours dans le transport routier de marchandises » Helmut Köll, Sandra Lange Flavio

L’objectif affiché par l’État autrichien était la diminution de 60 % des émissions de dioxyde d’azote sur une période de dix ans. Les normes de pollution étaient donc pour ce faire de plus en plus strictes d’année en année et le contingent d’éco-points attribué par pays était en baisse d’une année sur l’autre. Il s’agissait en quelque sorte du même système que celui utilisé lors des accords mondiaux de Kyoto en 1997, chaque pays étant titulaire d’un droit à polluer. Toutefois le système autrichien était plus évolué et volontaire dans la mesure où chaque année le taux des éco-points était revu à la baisse. En définitive l’objectif de base n’a pas vraiment été atteint bien que les chiffres diffèrent en fonction des sources. Les éco-points ont tout de même limité jusqu’en 2003 à 1,7million de véhicules par an le transit routier.

B-    2004 à nos jours : le péage poids lourds

Après 1992 et l’apparition de l’Union européenne l’année 2004 marque un deuxième tournant dans la construction de l’Europe. C’est à cette date que les anciens pays dits « communistes » vont faire leur entrée dans l’union. Au niveau géographique cela impacte fortement l’Autriche qui va se retrouver au cœur de la nouvelle organisation. Les flux historiques Nord- Sud entre l’Allemagne et l’Italie se sont élargis à des bassins plus vastes, reliant la pleine danubienne (Allemagne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie) au Golfe de l’Adriatique (Italie, Slovénie).

Qui plus est, en 2004 l’Autriche va abandonner le système des éco-points au profit d’une taxe autoroutière provisoire pour tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Au départ les éco-points devaient être prolongés dans une version simplifiée jusqu’en 2006 mais face au coût de structure élevé du système et d’une contrainte allégée pour les poids-lourds il fut abandonné. En effet dans la nouvelle version les véhicules les moins polluants (soit environ 80 % du trafic de transit) pouvaient traverser librement l’Autriche sans être soumis à aucun quota et en sens inverse les camions les plus polluants sont interdits de transit à compter de 2006.

Etudions de manière concrète ce péage qui n’est plus provisoire depuis 2006. Cette taxe s’applique à tous les poids-lourds, autobus et caravanes de plus de 3,5 tonnes (on retrouve les mêmes similitudes que dans le projet français). Ce qui diffère vient du type du réseau taxé, en effet en Autriche il a été décidé d’appliquer cet impôt sur le réseau autoroutier ainsi que sur les voies rapides. Le montant de la taxe est bien sûr fonction de la distance parcourue mais aussi du nombre d’essieux que compte le véhicule. De plus depuis 2010 une troisième fonction s’est ajoutée et le prix va également fluctuer en fonction de la classe d’émissions Euro des engins. 

Quelles modalités de fonctionnement sur le terrain ?

Chaque véhicule assujetti à ces péages doit être doté d’une « Go-box », boîtier fixé sur le pare-brise qui sert à calculer le montant de la taxe routière. 

Source : http://kisaetr.blogspot.fr/2012/12/a-go-box-hasznalatarol.html

Ce boîtier électronique se règle en fonction de la classe de véhicule concerné, du nombre d’essieux du poids-lourd ainsi que de la classe Euro d’émissions du poids-lourd. Pour l’obtenir, le système est assez simple : il est disponible dans des points de distribution spécifiques, bien sûr aux différents postes de frontières mais également dans des stations-services autrichiennes, allemandes, italiennes et slovènes. Le système de paiement est assez simple d’utilisation : en effet ces boitiers sont équipés d’un système de micro-ondes reliées à des radars de détection installés

en bord de route. On trouve un radar par « section » de route, c’est-à-dire à tous les points d’entrée et de sortie du réseau taxé. Il est possible de régulariser sa situation par avance ou d’attendre la facture. Dans le premier cas le transporteur va acheter ce que l’on appelle des avoirs de péage qui vont être enregistrés dans la « Go box », dans le second cas le transporteur doit créer un compte et indiquer par avance le moyen de paiement qu’il utilisera. La première solution est souvent utilisée pour des transports occasionnels tandis que la deuxième solution, utilisée dans 85 % des cas, concerne en général des lignes régulières.

Il existe également un certain nombre de radars (plus de un sur cinq)   dotés d’un système de contrôle. C’est-à-dire qu’ils vont être capables de vérifier si l’appareil est bien présent et est bien configuré avec les propriétés du véhicule. Si tel n’est pas le cas une photo est conservée afin de procéder à une verbalisation. D’autres systèmes de détection des fraudes sont en service tels que des appareils mobiles pouvant être fixés sur les portiques de perception classiques, ou encore des camionnettes équipées de balises de détections sillonnant les autoroutes autrichiennes.

En cas de fraude le véhicule peut être directement arrêté ou une amende est envoyée au propriétaire, si le véhicule est étranger, il est black-listé et immobilisé dès son retour sur le territoire autrichien. Ces amendes varient de 110 (si la Go-box est mal configurée) à 220€ si le véhicule n’est pas équipé ou si la fraude est intentionnelle. En 2006 le taux de fraude estimé était de 1,5 %.

Source : http://charisma45.over-blog.com/article-36566305.html

En moyenne le coût du péage pour les usagers était d’environ 0,22€ par kilomètre en 2006. Cette taxe est à titre de comparaison deux fois supérieure à celui du réseau autoroutier français.

Il faut rappeler cependant que le territoire autrichien est recouvert à 70 % par le massif alpin, dans ces conditions cette différence peut résulter du coût élevé des infrastructures. Toutefois on remarque qu’il existe une spécificité propre au Brenner, beaucoup plus taxé mais seul passage autrichien ouvert de nuit (22h à 5h du matin)  aux véhicules de plus de 3,5tonnes.

 Tarifs de péage (valables à partir du 01 janvier 2013)

Péage en fonction des
classes d'émission EURO

Tarifs pour les véhicules
de plus de 3,5t de PTAC

à partir du 1.1.2014

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Groupe tarifaire

Catégorie 2

2 essieux

Catégorie 3

3 essieux

Catégorie 4+

4 essieux et plus

A Classe d'émission EURO EURO VI

0,162

0,2268

0,3402

B Classe d'émission EURO EURO EEV

0,167

0,2338

0,3507

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

0,185

0,2590

0,3885

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

0,208

0,2912

0,4368

Tarifs en EUR par km, hors 20 % de TVA.

 

 

Péage en fonction des classes d'émission EURO

Tarifs pour les véhicules de plus de 3,5t de PTAC à partir du 1.1.2014

Tronçons à péage spécial

A9, A10, A11, A13, S16

Fahrzeuge mit 2 Achsen

Fahrzeuge mit 3 Achsen

Fahrzeuge mit 4 oder mehr Achsen

Groupe tarifaire

Tronçon à péage

km

Catégorie 2

2 essieux

Catégorie 3

3 essieux

Catégorie 4+

4 essieux et plus

À 9 Pyhrn Bosruck

Spital/Pyhrn - Ardning

10

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

4,20

5,88

8,82

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

4,33

6,06

9,09

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

4,79

6,71

10,06

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

5,38

7,53

11,30

À 9 Pyhrn Gleinalm

Kn. St. Michael - Übelbach

25

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

9,95

13,93

20,90

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

10,27

14,38

21,57

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

11,35

15,89

23,84

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

12,76

17,86

26,80

À 10 Tauern

Flachau - Rennweg

47

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

14,23

19,92

29,89

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

14,69

20,56

30,85

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

16,25

22,74

34,13

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

18,26

25,57

38,35

À 11 Karawanken *

St. Jakob/Rosental - Tunnel, Südportal

10

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

9,41

13,17

19,76

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

9,72

13,61

20,41

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

10,74

15,04

22,55

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

12,07

16,90

25,35

À 13 Brenner **

Innsbruck Amras - Brenner

35

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

Tarif de nuit

 

24,59

34,44

51,64

103,28

B Classe d'émission EURO EURO EEV

Tarif de nuit

 

25,39

35,54

53,34

106,68

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

Tarif de nuit

 

28,05

39,27

58,92

117,84

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

Tarif de nuit

 

31,53

44,14

66,20

132,40

À 13 Brenner **

Innsbruck Wilten - Brenner

34

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

Tarif de nuit

 

23,86

33,42

50,11

100,22

B Classe d'émission EURO EURO EEV

Tarif de nuit

 

24,64

34,49

51,76

103,52

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

Tarif de nuit

 

27,22

38,11

57,18

114,36

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

Tarif de nuit

 

30,60

42,84

64,25

128,50

S 16 Arlberg

St. Anton/Arlberg - Langen/Arlberg

16

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

9,10

12,74

19,11

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

9,40

13,16

19,74

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

10,38

14,53

21,80

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

11,67

16,34

24,51

 

Péage en fonction des classes d'émission EURO

Tarifs pour les véhicules de plus de 3,5t de PTAC à partir du 1.1.2014

Tronçons à péage spécial

A12

Fahrzeuge mit 2 Achsen

Fahrzeuge mit 3 Achsen

ahrzeuge mit 4 oder mehr Achsen

Groupe tarifaire

Tronçon à péage

km

Catégorie 2

2 essieux

Catégorie 3

3 essieux

Catégorie 4+

4 essieux et plus

À 12 Unterinntal

Border Kiefersfelden - Innsbruck Amras

74,8

 

 

 

A Classe d'émission EURO EURO VI

 

13,94

19,52

29,26

B Classe d'émission EURO EURO EEV

 

14,36

20,10

30,16

C Classes d'émission EURO EURO IV et V

 

15,89

22,29

33,42

D Classes d'émission EURO EURO 0 à III

 

17,87

25,06

37,59

 

Des tarifs plus élevés sont applicables sur certains tronçons, en particulier les tronçons à péage spécial.

• Autoroute A 9 Pyhrn (Bosruck- et Gleinalmtunnel) autoroute A 10 Tauern 

• Autoroute A 11 Karawanken

• Autoroute A 12 Inntal (frontière régionale Kiefersfelden – Innsbruck Amras)

• Un supplément qui contribue au financement du tunnel de base du Brenner est perçu pour ce tronçon.

• Autoroute du Brenner A 13 

• Tarif de nuit : sur l'A3, un tarif de nuit qui s'élève au double du tarif de jour est applicable pour les poids lourds de catégorie 4 entre 22h00 et 05h00.

• S 16 tunnel de l'Arlberg 

Source : Go-Maut/ ASFINAG

Ces deux tableaux montrent l’évolution de la taxe poids-lourd en Autriche, le premier fait l’état des prix en 2006 et le second est le tableau valable pour l’année 2013. En premier lieu nous pouvons remarquer que tarifs ont augmenté de manière assez conséquente sur la période. De plus on remarque que le tableau s’est complexifié au cours de ces sept dernières années, en effet depuis 2010 la taxe prend aussi en compte la classe d’émissions Euro des poids-lourds. Plus les véhicules sont anciens et polluants, plus ils sont pénalisés.

Les tarifs spéciaux, de nuit et valables sur certains tronçons se sont également développés à d’autres autoroutes que celle du Brenner et sont désormais forfaitaires. Le tableau ci-dessous en fait l’état à ce jour.

Source : fédération belge des exploitants d’autobus et d’autocar

Qui sont les bénéficiaires ?

Nous allons maintenant nous intéresser à un tout autre champ d’intérêt, l’application économique. Qui supporte les coûts de fonctionnement du système et qui bénéficie de ces retombées économiques ?

Tout d’abord il est important de préciser que cette taxe est largement rentable pour le gouvernement autrichien. Des sociétés anonymes ont été créées afin de s’occuper de la partie financière de la taxe. Pour les véhicules de moins de 3,5 tonnes, c’est-à-dire ceux concernés par les péages autoroutiers classiques, l’ASFINAG (société de péage de droit privée non subventionnée appartenant à l’État autrichien) est chargée de collecter les recettes de la vignette. Ces recettes sont ensuite réutilisées pour planifier, construire et entretenir le réseau routier à haut débit autrichien.

En ce qui concerne les véhicules de plus de 3,5 tonnes l’ASFINAG a confié à EUROPASS (société dont elle est devenue propriétaire en 2005 suite à sa vente par la société italienne AUTOSTRADE) le financement, la conception, la construction et l’exploitation du péage poids-lourds. Ce contrat de 750 millions d’euros doit courir jusqu’en 2015 et une prolongation est d’ores et déjà prévue jusqu’en 2020. Ce contrat représente 80 % des recettes d’EUROPASS. En plus de cette part fixe s’ajoute une part variable qui est fonction du nombre de transactions et de fraudeurs identifiés.

Bien que la société EUROPASS appartienne directement à l’ASFINAG elle doit se conformer à des objectifs de qualité sous peine de pénalités pouvant aller jusqu’à la résiliation du contrat. Une fois le contrat terminé l’ASFINAG peut exiger d’EUROPASS le démontage de l’ensemble des portiques de contrôle et du système de péage.

Le système autrichien comporte des coûts d’investissements et d’autres liés à son fonctionnement, les coûts de construction étant juste liés à la mise en place des équipements de fonctionnement. Les coûts de construction (investissement) et d’exploitation (fonctionnement) amortis sur la durée du contrat (en prenant une hypothèse de taux d’intérêt à 4 %) s’élèveraient ainsi à 62 millions d’euros.

Cette dépense est très faible comparée à ses voisins européens. En effet à titre d’exemple, rapporté à la longueur du réseau autrichien le coût annuel de perception et de contrôle des autoroutes concédées françaises coûterait de l’ordre de 118 millions d’euros par an. De plus en Allemagne, où le système LKW Maut a également été mis en place, les coûts annuels représentent environ 20 % des recettes (soit 51 000 euros par kilomètre) contre 8 % en Autriche (soit 28 000 euros par kilomètre de réseau tarifé).

C- Des projets en réflexion

Le programme autrichien contrôlé par EUROPASS doit entrer dans une nouvelle phase à compter de 2015. À cette occasion des projets d’amélioration du système sont en réflexion. D’un point de vue financier cette taxe est une vraie manne pour l’Autriche. En revanche le but initial de voir diminuer le nombre de véhicules routier en transit n’a pas vraiment été atteint, en 2004 lors de l’entrée en application du système le taux par kilomètre parcouru par les poids-lourds a certes fortement chuté mais il a regagné en intensité à compter de 2007 et de l’application d’une taxe similaire en République Tchèque.

De plus les reports modaux, notamment vers le ferroviaire,  escomptés avec l’arrivée de cette nouvelle taxe sont quelque peu retombés. Pour retrouver un dynamisme dans ces changements de modes plusieurs solutions sont en réflexion ou en cours de réalisation tant au niveau de la discréditation du mode routier qu’en prônant les avantages du ferroviaire.

Tout d’abord nous allons commencer par présenter les mesures ayant pour objectif de diminuer l’attrait au mode routier. Comme nous avons pu nous en apercevoir un peu plus haut dans le dossier, les tarifs des péages sont augmentés chaque année. Ceux-ci sont volontairement plus forts que l’inflation afin d’encourager au maximum une diminution des distances parcourues. Une seconde mesure en réflexion tient compte de l’extension du réseau taxé. En effet le ministère autrichien des transports a noté une augmentation du trafic des poids-lourds au cours du premier semestre 2004 (au moment de l’entrée en application de la taxe) sur les routes secondaires de certaines régions. Les autorités locales ont essayé de trouver des parades plus ou moins radicales en limitant les vitesses ou même en mettant en place des interdictions de circulation, mais ces dernières ont toutes été invalidées par la cour de justice des communautés européennes.

Viennent ensuite les mesures « hybrides » et ayant pour but de développer des modes de transports alternatifs au routier. Bien sûr en Autriche il s’agit principalement du mode ferroviaire bien que le fluvial à grand gabarit ne soit pas laissé pour compte avec la présence du Danube sur une grande partie Nord-Est du territoire. Les autorités réfléchissent à l’idée de pouvoir tracer l’origine des flux routiers afin de pouvoir procéder à des exonérations de péage pour les pré- et post- acheminements issus de transports combinés. Toutefois des limites doivent être mises en place afin de ne pas exonérer des possibles profiteurs d’un tel système en effectuant de « très grands » pré ou post acheminements. De grands travaux sont également en place pour les modes alternatifs à la route. En fluvial, des mesures sont prises le long du Danube afin de développer le transport à grand gabarit et de l’ouvrir vers les pays en aval du fleuve. De plus il existe un grand projet européen de canal Danube-Oder-Elbe reliant Vienne à l’est de l’Allemagne et à la Pologne. 

Dans le mode ferroviaire ces grands travaux ont d’ores et déjà commencé, le symbole le plus fort provient du passage des Alpes et du percement du tunnel ferroviaire de base du Brenner qui devrait être opérationnel à compter de 2024. Le tunnel en travaux depuis avril 2011, long de 55km devrait proposer une alternative modale de grande ampleur à la région du Tyrol, et plus particulièrement à l’E45, autoroute passant par le col du Brenner qui a connu une augmentation de son trafic poids-lourds de l’ordre de 73 % en vingt ans.

Sources : http://www.tunneltalk.com/Brenner-Base-Tunnel-Feb11-A-leap-forward.php

CONTRIBUTION DE MME CORINNE ERHEL, DÉPUTÉE DES CÔTES D’ARMOR, M. FRANÇOIS ANDRÉ, DÉPUTÉ D’ILLE-ET-VILAINE,
MME MARIE-ANNE CHAPDELAINE, DÉPUTÉE D’ILLE-ET-VILAINE, M. RICHARD FERRAND, DÉPUTÉ DU FINISTÈRE,
MME VIVIANE LE DISSEZ, DÉPUTÉE DES CÔTES D’ARMOR,
M. JEAN-PIERRE LE ROCH, DÉPUTÉ DU MORBIHAN
ET M. HERVÉ PELLOIS, DÉPUTÉ DU MORBIHAN

9 mai 2014

L’écotaxe est au centre de l’actualité depuis plusieurs mois. Créée par le Gouvernement Fillon, sa mise en œuvre a été repoussée à plusieurs reprises en raison de la complexité des modalités d’application prévues.

Conscients des inquiétudes qu’a suscitées – en particulier en Bretagne – l’instauration de cette taxe, nous nous sommes mobilisés dès le début de notre mandat pour travailler avec le Gouvernement sur un dispositif national qui prenne en compte les spécificités de chaque territoire.

Contrairement à la situation des régions frontalières qui subissent un report de trafic des poids lourds étrangers, la Bretagne, en raison de son caractère péninsulaire, est dans une situation symétriquement opposée. Sa production agroalimentaire en fait une grande région exportatrice fortement dépendante de son réseau routier. Le caractère périphérique de la Bretagne ainsi que les trop rares alternatives existantes au transport routier nous ont amenés à proposer lors de l’examen du projet de loi en 2013 des amendements relatifs à l’exonération de la collecte du lait et à l’abattement pour les régions périphériques, amendements qui ont été adoptés.

Suite aux événements survenus à l’automne dernier, le Gouvernement a décidé la suspension de la mise en œuvre de l’écotaxe.

La mission d’information « écotaxe poids lourds » créée par la Conférence des Présidents le 19 novembre 2013 et présidée par Jean-Paul Chanteguet, député de l’Indre et président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, a permis à tous les députés membres qui le souhaitaient d’intervenir et de partager leurs points de vue au cours des nombreuses auditions organisées ces derniers mois et dont les comptes rendus sont publics.

Nous souhaitons saluer cette démarche de concertation qui, nous l’espérons, permettra d’aboutir à une nouvelle solution juste et équilibrée permettant de faire évoluer les modèles ainsi que les schémas logistiques et de promouvoir l'inter-modalité tout en répondant de manière pérenne aux problématiques de financement des infrastructures existantes et à venir sans menacer l’équilibre économique des filières concernées.

Nous regrettons par ailleurs de ne pas avoir eu connaissance, en raison des impératifs de calendriers, des conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur les modalités du montage juridique, financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l'écotaxe poids lourds. Le contrat Ecomouv’ continue de poser de nombreuses interrogations.

Alors que toute politique doit être acceptée économiquement et socialement, nous avons tous constaté à l’automne dernier, notamment en Bretagne, un désaccord profond sur les modalités de mise en œuvre de ce dispositif en raison d’un risque avéré de pénalisation de l’économie productive.


Au cours de cette mission, nous avons identifié cinq points de blocage :

-   La complexité du dispositif tout d’abord. Un dispositif qui nécessite un exposé de plus d’une heure, comme cela a été le cas lors de l’audition de la directrice générale des douanes et des droits indirects, le 12 février dernier, ne peut pas être facilement appréhendé et donc soutenu par les acteurs économiques.

-   Le mécanisme de répercussion forfaitaire ensuite. Nous avions fait part à ce sujet de notre réserve dès le début des débats parlementaires. Sa légitimité ainsi que sa pertinence sont remises en question alors que ses conséquences sur les différents territoires et l’ensemble de la chaîne logistique n’ont pas été suffisamment mesurées. De plus ce mécanisme annule l’effet incitatif de la taxe censée à l’origine favoriser le report modal et neutralise de fait les effets des abattements accordés pour tenir compte de l’éloignement et des enjeux d’aménagement du territoire.

-   Le choix technologique. La technologie choisie par Ecomouv’ apparait désormais datée dans un univers technologique en évolution constante. D’autre part, les portiques ont cristallisé la colère et la contestation et sont devenus des symboles dans certaines régions comme la Bretagne. Le coût de fonctionnement sans équivalent du dispositif a largement contribué à sa non acceptabilité.

-   La prise en compte effective de la périphéricité à laquelle sont confrontées certaines régions comme la Bretagne, éloignée des bassins de consommation et qui n’est pas concernée par le trafic de transit.

-   La question de la collecte de données. À l’heure où les données constituent un gisement de valeur incontestable, l’utilisation et la destination des données de transport collectées par la société Ecomouv’ mais également par les sociétés habilitées de télépéage doivent être contrôlées afin de garantir le secret des affaires et la protection des données personnelles.

Bien que conscients des impératifs financiers qui se posent à l’État et à ses agences en matière de financement des infrastructures de transport, le dispositif existant ne peut être maintenu en l’état au vu de l’incompréhension qu’il suscite et des trop nombreuses questions qu’il soulève.

C’est pourquoi nous, parlementaires socialistes bretons membres de la mission d’information, soutenons la démarche de remise à plat engagée par la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie afin de concilier les objectifs à atteindre et de trouver une solution juste, plus efficiente et compréhensible par tous.

Ainsi, aux côtés des différentes propositions émises par les membres de la mission ainsi que par les personnalités auditionnées, nous souhaitons que soient examinées les solutions évoquées par Ségolène Royal :

- Péage de transit, qui toucherait les poids lourds traversant le territoire.

- Contribution des sociétés autoroutières, dans le respect du droit communautaire, sur leur profit sans entraîner une hausse des tarifs pour les usagers.

Face au défi économique et écologique qui se pose aujourd’hui, il est nécessaire de faire preuve de courage et d’audace pour trouver une solution qui ne sera sans doute pas unique mais pourra être une combinaison de plusieurs dispositifs et qui devra s’inscrire dans une démarche incitative et non punitive.

Nous devons collectivement trouver une solution partagée par l’ensemble des acteurs, adaptée aux territoires et aux exigences de la situation économique et conforme à l’exigence de financement d’infrastructures de transports durables.

CONTRIBUTION DE M. PATRICE CARVALHO
AU NOM DU GROUPE GDR

Le principe de l’écotaxe a été décidé par un vote quasi unanime du Parlement en 2009 dans le cadre de la loi du Grenelle 1 de l’environnement.

Des textes réglementaires ont suivi et les parlementaires se sont efforcés de solidifier le dispositif dans la loi n°2013-431 du 28 mai 2013.

La reculade du gouvernement, face au lobby routier, en octobre 2013, met donc en cause une loi de la République adoptée par la représentation nationale dans sa diversité politique.

C’est un coin enfoncé dans le fonctionnement institutionnel de la démocratie représentative.

Je maintiens que ce droit d’usage est nécessaire et juste. Sa mise en cause rend illusoire tous les discours tenus et les engagements pris en faveur de la transition écologique et du report modal.

Mesurons-en d’abord les conséquences budgétaires immédiates à un moment où nos concitoyens sont soumis à l’austérité.

Il va manquer 950 millions € de recettes si nous considérons que la collecte annulée était censée s’élever à 1,2 milliard € et que la société Ecomouv’, entreprise privée chargée de la collecte dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), se voyait attribuer royalement 250 millions €.

Il était prévu que 750 millions € soient affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transports (AFTIF), ce qui devait compenser la diminution des crédits attribués à l’Agence par l’État et permettre de financer de nouvelles infrastructures.

L’AFTIF a, en effet, un rôle décisif dans le report modal, c’est-à-dire dans le rééquilibrage des modes de transports. Si elle ne dispose pas des fonds nécessaires pour remplir cette mission, le « tout routier » se poursuivra avec tout ce que cela entraîne en termes d’environnement et de sécurité.

2014 est d’ores et déjà une année perdue et la décision de suspension aura gâché une belle occasion d’engager un processus indispensable.

Tous les modes de transports sont soumis à des droits d’usage, sauf les poids lourds, ce qui contribue à consolider leur quasi-monopole dans le transport du fret. Et ce sont les contribuables qui paient la construction et l’entretien du réseau routier que les poids lourds utilisent et dégradent.

Quand la SNCF affrète un TGV, elle paie en moyenne à RFF 13 € par train et par km parcouru, ce qui, pour le coup, relève du racket et contribue à la flambée des prix des billets.

Quand une péniche emprunte la voie d’eau, par exemple entre Lille et Dunkerque, elle s’acquitte en moyenne de 63 centimes d’€ du km parcouru.

Quand un poids lourd emprunte une route nationale ou départementale, il ne paie à peu près rien, à l’exception de la taxe à l’essieu pour les plus de 12 tonnes et il bénéficie, en outre, d’une détaxation du gazole.

Avec l’écotaxe, le droit d’usage devait se monter à 13 centimes d’€ par km en 2014, ne concernant que 15 000 km de voies sur les près de 400 000 km de routes nationales et départementales que compte notre pays.

Il s’agissait donc du péage le moins cher de tous les modes de transports.

Avec la suspension de sa mise en œuvre, le dispositif a perdu de son crédit, se trouvant assimilé à un élément supplémentaire de matraquage fiscal, alors qu’encore une fois, il s’agit d’un droit d’usage et ce que les poids lourds ne paient pas, ce sont les contribuables qui le paient pour l’entretien du réseau.

Le report modal est une nécessité. Il passe notamment par l’instauration du droit d’usage.

Une piste mérite d’être explorée : le décret n°2011-1336 du 24 octobre 2011 issu de la loi Grenelle 2 fait obligation aux transporteurs, depuis le 1er octobre 2013, de fournir le volume de CO2 de chaque opération de transports.

Nous pouvons parfaitement envisager que le droit d’usage soit calculé sur cette base, ce qui aurait l’avantage de lier la contribution au niveau des émissions polluantes des poids lourds, d’inciter à leur diminution et de rechercher des modes de transports alternatifs moins polluants (rail, voie d’eau), de développer enfin la multimodalité, c'est-à-dire la combinaison de plusieurs modes de transports dans l’acheminement du fret.

Sur la base d’un objectif de recettes d’1 milliard € environ comme pour l’écotaxe, il convient de se baser sur les 283 milliards de tonnes-km du transport intérieur routier en France (données 2012), dont nous connaissons le taux d’émissions de CO2 par type de véhicule (+ou- 80 à 1800 g par tonne-kilomètre), ce qui porterait la contribution moyenne autour de 20 € par tonne de CO2 émis.

Un tel dispositif serait simple, n’impliquant pas de contrat de concession à un prestataire privé et incitant réellement au report modal, dès lors qu’une volonté politique l’accompagne pour développer le fret ferroviaire (qui, pour le moment, continue de régresser), fluvial et maritime.

CONTRIBUTION DE MME EVA SAS ET M. FRANÇOIS-MICHEL LAMBERT,
AU NOM DU GROUPE ÉCOLOGISTE

Rappels

La taxe poids-lourd (TPL) telle que prônée par les écologistes depuis plus de 10 ans et qui a fait l’objet d’un consensus politique lors du Grenelle 1 en 2007 a pour vocation de changer le modèle actuel qui se caractérise par un transport de marchandises passant toujours plus par la route et marginalisant le fret ferroviaire et fluvial.

De nombreux États de l'Union ont mis en place un système de taxation des poids-lourds (PL) de plus de 3,5 T, sur la base des directives européennes « Eurovignette », destiné à prendre en compte leur impact environnemental, selon un double principe de pollueur-payeur et d’utilisateur-payeur.

Le profil du trafic routier en France est particulier et se caractérise par :

- un fort transit international avec des points d’entrée sur le territoire limités, concentrant un trafic très dense ;

- un réseau autoroutier historiquement centré sur Paris et quelques grands axes nord-sud ;

- un réseau confié à des sociétés privées qui en assurent la construction et l'exploitation, et dont la plupart des sections sont payantes pour l'utilisateur par un système de péage ;

- un trafic de report, les PL préférant dans certains cas rouler en France pour éviter une taxation à l’étranger ;

- un réseau de routes nationales et départementales non payantes, prises en charge par la communauté qui connaît un trafic poids-lourds important. Lorsque les PL sont d'origine étrangère, ils ne contribuent pas aux charges liées à ces infrastructures.

La TPL vise à instaurer un modèle vertueux de relocalisation de l'économie et de développement des transports de marchandises alternatifs à la route. Elle permet de faire payer l’usage des routes par l’utilisateur réel – notamment les camions étrangers et le transit – et incitera les transporteurs à rationaliser et optimiser leurs tournées. La TPL doit abonder le budget de l'AFITF et des régions pour participer au financement d'infrastructures de transports marchandises et voyageurs.

Le dispositif actuel et ses faiblesses

Le système actuel consiste à faire payer aux PL de plus de 3,5T, une taxe correspondant à l'empreinte environnementale du camion concerné sur certains grands axes routiers gratuits. Le montant de la taxe est répercuté par les transporteurs sur le chargeur qui est le véritable utilisateur de la route, le transporteur n’étant que le collecteur. Conformément aux recommandations européennes, chaque camion circulant sur le réseau concerné doit être équipé d'un boîtier transpondeur qui permet de calculer la taxe en fonction du nombre de kilomètres parcourus. Les portiques n’ont pour but que de contrôler les éventuelles fraudes et ne sont en aucun cas des points déterminants la taxe.

Le dispositif actuel pose plusieurs problèmes :

L’absence de pilotage politique : C’est le principal point faible, l'absence de pilotage politique coordonné sur les enjeux du transport de marchandises et de logistique en France nuit à la lisibilité de la taxe.

En Suisse et en Allemagne cette redevance a été instaurée dans un programme d'actions et de planifications complet : schéma de développement d'infrastructures de transport (corrélation entre collecte et amélioration de l'offre transports alternatifs à la route), schéma logistique national (amélioration de la performance logistique des territoires par une politique d'aménagement du territoire ad ‘hoc), politique d'amélioration de la performance du transport routier (augmentation du tonnage des camions, aides à l'équipement en nouveaux matériels, professionnalisation pour une meilleure performance logistique, etc. ….), mais aussi des transports alternatifs (modernisation et informatisation des signalisations et des gestions des réseaux fer et fleuve, aides à l'équipement en nouveaux matériels, professionnalisation pour une meilleure performance logistique, etc. …).

La TPL en France a comme seul lien avec les éléments cités ci-dessus le fléchage financier d’une partie de la collecte sur l'AFITF, sans aucune corrélation entre routes taxées et nouvelles infrastructures pouvant offrir des alternatives à ces routes taxées.

Le système de la TPL a pour seul objet de récupérer des données qui permettent d'établir des taxes. Il serait préférable de pouvoir utiliser ces données dans une perspective d'optimisation des flux (itinéraires de transit évitant les routes péri-urbaines, optimisation de la logistique pour éviter les trajets à vide, adaptation des horaires et des calendriers sur les axes très chargés, sillons ferroutage à développer en priorité).

Le faible niveau d’harmonisation européenne qui conduit à la nécessité d’autant plus prégnante de mettre en place cette TPL en France puisque des régions comme l’Alsace ou Rhône Alpes subissent un report de trafic de pays comme l’Allemagne ayant mis en place la LKW Maut dès 2005.

Le contrat avec Ecomouv’

Deux points posent question : le coût de collecte, qui est très élevé (on parle de 25 % de la recette lorsqu’en France le coût de collecte serait en moyenne de 1 %) et certaines clauses du contrat qui paraissent nettement désavantageuses pour l’État.

Par ailleurs, il faut souligner que le contrat liant l'État à Ecomouv' est d'une durée de 11,5 ans, c’est-à-dire qu'il se clôt en 2025. Le Commissariat Général à la Stratégie et Prospective a été chargé par le Président de la République de mener une mission « La France dans 10 ans » se projetant dans la France de 2025. Les premiers enseignements de cette mission font apparaître nombre de ruptures et de changements en profondeur qui impacteront les logiques de transports et d'aménagement du territoire. Sans oublier la question primordiale des gaz à effet de serre. Or, le système proposé par Ecomouv' est issu d'un cahier des charges et d'un appel d'offre de 2009 qui ne prenait pas en compte tous ces éléments.

Autres points :

- des tensions entre les transporteurs, les chargeurs et la grande distribution pour savoir sur qui va peser le coût final de la taxe ;

- la refacturation au chargeur est forfaitaire, dé-corrélée de la pollution réelle générée par les camions ;

- les technologies utilisées peuvent être en partie obsolètes, compte tenu des technologies de monitoring, de géo-localisation, de reconnaissance optique, de transfert de données actuelles et a fortiori avec les systèmes de positionnement et d'aide à la navigation européen satellitaire Galileo qui va être mise en place dans les prochaines années.

Préconisations du groupe écologiste : il faut mettre en place la taxe poids-lourds dans les meilleurs délais assortie d’aménagements

La mission d’information à laquelle nous avons participé a auditionné l’ensemble des acteurs concernés et étudié la question de manière approfondie sur plusieurs mois. La TPL a en effet démontré son efficacité dans les pays l’ayant mis en place : 600 000 poids lourds de moins dans la traversée des Alpes Suisses, 6 % de report modal de la route vers le fret ferroviaire 3 ans après la mise en place de la LKW Maut en 2005.

Les écologistes souhaitent la mise en place d’une taxe PL sur l’ensemble du territoire européen, permettant d’éviter les reports de trafics aux frontières liés aux inadéquations entre les systèmes des différents États européens.

Pour préparer cette harmonisation, la TPL doit être mise en place dans les meilleurs délais en France pour inciter/aider les acteurs à entamer la transition vers un nouveau modèle de développement et financer les investissements nécessaires à la transition écologique. Cette mise en œuvre doit être assortie d’aménagements en conséquent.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la taxe Poids Lourd ne saurait être une mesure isolée et doit s’inscrire dans une politique globale de transports favorisant la diminution du trafic routier de marchandises, le report modal vers les modes alternatifs, et la relocalisation dans une logique d'aménagement du territoire, de performance économique et de régionalisation renforcée, qui sera mise en œuvre dans les 10 prochaines années.

Le groupe écologiste recommande :

- Les objectifs environnementaux de réduction du trafic routier de marchandises, de report modal et de relocalisation de l’économie doivent être maintenus dans le dispositif mis en place. L’ambition environnementale de la France doit rester intacte, et l’incitation fiscale est l’un des outils nécessaires à l’atteinte de notre engagement international de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports en 2020.

- Devant l'urgence de redonner à l'AFITF et aux CPER 2014-2020 les moyens d'investir dans les infrastructures, l’État doit assurer les financements de la mobilité durable et, en particulier, le financement du 3e appel à projet Transports Collectifs en site propre, dont la mise en œuvre était prévue en 2014, pour un soutien de l’État de 450 millions d’euros et qui a été reporté sine die. Ce financement doit être assuré de manière pérenne et stable par la mise en place de la Taxe Poids Lourds.

Pour ce faire, le groupe écologiste propose les aménagements suivants :

a. L’exonération des premiers kilomètres d’un trajet ou l’application d’une franchise pour chaque camion de 400 km par mois (équivalente à environ 65 euros)

b. L’expérimentation de la taxe dans des régions volontaires comme l’Alsace ou PACA

c. La révision du réseau taxable dans une logique d’itinéraires de transit et non de portions de routes discontinues

d. Le maintien de la répercussion de la TPL sur la facture de transport destinée au chargeur ou de l'intégration de cette taxe dans un système plus large d'aides et de compensations simplifiant les relations transporteurs-chargeurs. En tout état de cause, repenser le système de facturation forfaitaire et fluidifier (médiateur ?) les relations commerciales entre chargeurs, transporteurs et la grande distribution afin que le montant de la taxe pèse, in fine, sur le consommateur ;

e. L’étude d’un système sans portiques de contrôle, avec maintien des moyens mobiles de contrôles des douanes, de la gendarmerie avec l’application des amendes fortement dissuasives en cas d’absence de transpondeur ;

f. Le développement des outils d’aide à la décision et à l’optimisation accompagnant cette taxe Poids Lourds, permettant aux transporteurs de bénéficier du système mis en place, en mettant en œuvre de nouveaux moyens techniques comme des boîtiers ou des sondes qui, en plus de fixer le montant de la taxe, permettent aux transporteurs d’effectuer un monitoring complet de leur flotte, d’optimiser la consommation de carburant (= économie et baisse de la consommation de CO 2), d’améliorer l’éco-conduite de leur chauffeur (= baisse du nombre d’accidents et baisse de la consommation de carburant), lutter contre le vol de carburant et d’optimiser les chargements et la fréquence des pleins de carburant.

g. Le renforcement de la place des régions dans la perspective de la nouvelle décentralisation dans les choix des critères de la redevance (montant, sections concernées, filières exemptées, ….) ;

h. La refonte du cahier des charges, dans le respect des contraintes juridiques du contrat, pour tenir compte de la politique à mettre en œuvre et du rôle de la redevance, de la place des régions ; pour cela le groupe écologiste recommande la recherche de tous les moyens à mettre en œuvre de cette refonte (étude, délais, négociation avec Ecomouv’, synergie européenne) ;

Concernant le maintien ou non de relations avec la société Ecomouv, le groupe écologiste estime que la mission « Ecotaxe » n'est pas en mesure de le définir et renvoie à la mission d'enquête parlementaire du Sénat sur les conditions de passation du contrat dont a bénéficié la société Ecomouv' et aux responsabilités du gouvernement qui doit déterminer des suites à donner au contrat.

Fait à Paris le 13 mai 2014

François-Michel Lambert, Député des Bouches du Rhône et Eva Sas, Députée de l’Essonne

Membres de la mission parlementaire sur l’Ecotaxe Poids Lourds,

Pour le Groupe écologiste à l’Assemblée nationale

CONTRIBUTION DE M. MARC LE FUR, MME ISABELLE LE CALLENNEC
ET MM. PHILIPPE LE RAY ET GILLES LURTON

INTRODUCTION

Depuis plusieurs mois l’écotaxe est au cœur du débat politique, du vote de la loi relative aux infrastructures de transport du 28 mai 2013, à la décision du Premier Ministre de suspendre ce prélèvement le 29 octobre 2013.

Afin de répondre aux enjeux soulevés par cette décision, il convient de rappeler le cadre dans lequel se tient ce débat.

Notre pays s’est inspiré du système Allemand de taxation des poids lourds sur le réseau gratuit afin de financer l’Agence de Financement des Infrastructures de France (AFITF), qui bénéficie d’une subvention d’équilibre de l’État.

Ce faisant, les créateurs de l’écotaxe ont occulté la différence majeure existant entre la France et l’Allemagne. Les allemands ont en effet mis en place une écotaxe car leurs autoroutes sont gratuites. En France, il existe un réseau autoroutier français, concédé, c’est-à-dire payant. De fait les poids lourds, comme d’ailleurs les automobiles sont déjà soumis à paiement sur cette partie du réseau (9 000 kilomètres).

L’article 60 du projet de loi de finances pour 2009 – devenu article 153 de la loi de finances pour 200915 - a traduit cette ambition dans le code des douanes aboutissant à la création de la taxe kilométrique sur les poids lourds, dite écotaxe.

Marc Le Fur avait, associé à d’autre collègues dont Pierre Méhaignerie, dès cette époque exposé son opposition de principe à l’écotaxe, en déposant un amendement de suppression16, amendement défendu en séance le 6 novembre 200817 .

Cette opposition était motivée, d’une part par le début de retournement de la conjoncture économique après la crise financière de 2008, et d’autre part par le caractère restrictif de la prise en compte de la périphéricité, dont le principe avait pourtant été accepté par le gouvernement lors de la discussion du « Grenelle de l’Environnement ».

En vertu de cet article 153 de la loi de finances pour 2009, à compter du 1er octobre 2013, tous les véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes, chargés ou non, circulant sur le réseau routier national gratuit (le réseau autoroutier non concédé, les grandes routes nationales ...) et une partie du réseau secondaire (soit une grande partie du réseau départemental) devaient être assujettis à cette taxe kilométrique. Au total 15 000 kilomètres de routes ont été assujettis.

Toujours, dans le cadre de cet article 153 de la loi de finances pour 2009, l’État a, en outre, été autorisé pour l'application de la taxe sur les poids lourds, à confier à un ou plusieurs prestataires extérieurs :

- le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la maintenance du dispositif technique nécessaire à la mise en œuvre de la taxe, y compris le dispositif de traitement automatisé et la mise à disposition des équipements électroniques embarqués ;

- la collecte de l'ensemble des informations nécessaires à l'établissement de la taxe ;

- la liquidation du montant de la taxe ;

- la communication aux redevables et aux sociétés habilitées fournissant un service de télépéage du montant de taxe due ;

- le recouvrement des sommes facturées aux redevables ou aux sociétés habilitées fournissant à ces derniers un service de télépéage, l'administration des douanes et droits indirects restant seule compétente pour l'engagement des procédures de recouvrement forcé ;

En vertu de ces dispositions le gouvernement a attribué au consortium Ecomouv’ la mission de perception de la taxe, au 21 juillet 2013, échéance reportée au 1er octobre 2013, puis au 1er janvier 2014.

Le gouvernement a également publié le décret n° 2012-670 du 4 mai 2012 relatif aux modalités de majoration du prix du transport liée à l'instauration de la taxe alsacienne et de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises18 définissant les modalités de répercussion de l’écotaxe.

Le gouvernement issu des échéances électorales de mai et juin 2012 a souhaité modifier le régime de l’écotaxe dans le cadre du projet de loi relatif aux infrastructures de transport, devenu loi du 28 mai 2013.

Il a estimé que le décret précité n’était pas applicable et a décidé d’imposer une répartition forfaitaire.

Le nouveau mécanisme, figurant à l’article 16 de la loi du 28 mai 2013, prévoit l’obligation pour le transporteur pour compte d’autrui de majorer le prix de sa prestation, ce que le réseau taxé ait été, ou non, emprunté et donc l’écotaxe payée. Cette majoration est fonction du point de chargement et de déchargement des marchandises. Un taux est prévu par région, auquel s’ajoute un taux inter-régional.

La majoration est désormais déconnectée du montant de taxe acquittée et ne joue, en outre, qu’au bénéfice du transporteur pour compte d’autrui. Cette modification a créé un désordre considérable, puisque le transport de marchandise se répartit entre les entreprises qui transportent pour leur propre compte et les entreprises qui transportent pour autrui. Si chacun de ces modes de transport payent la même écotaxe, les transporteurs, au vu de la loi Cuvillier du 28 mai 2013 étaient susceptibles de reporter à leurs clients chargeurs des sommes sans rapport aucun avec l’écotaxe qu’ils auraient effectivement payée. Il s’agissait là d’une occasion d’enrichissement sans cause et d’une source de complexité et de conflit considérable entre les deux maillons de l’activité de transport logistique, les entreprises qui transportent pour autrui et les entreprises qui transportent pour leur compte.

Les professionnels des filières liées au transport dans les régions périphériques, mais aussi sur l’ensemble du territoire national, ont souligné, à maintes reprises, que cette majoration bouleverserait en profondeur leurs modèles économiques.

Région particulièrement concernée par l’écotaxe et la majoration Cuvillier, et connaissant une crise sans précédent dans les secteurs agricoles et agroalimentaires dépendant du transport, la Bretagne n’a cessé d’alerter les pouvoirs publics sur le caractère néfaste et préjudiciable à l’économie et à l’emploi et de faire part de leur inquiétude.

Cette angoisse a été partagée, au-delà des régions périphériques de la façade atlantique, par un nombre grandissant de territoires.

L’automne 2013 a été le catalyseur des inquiétudes et a vu l’émergence d’une contestation de ce prélèvement, dans un contexte de ras-le-bol fiscal.

Cette contestation, qui s’est regroupée sous le signe de ralliement du bonnet rouge, symbole de la révolte fiscale bretonne de 1675 a rassemblé des hommes et des femmes de tous les horizons professionnels, de toutes les tendances politiques pour exprimer un message clair : trop c’est trop : trop d’impôts, trop de paperasse, trop de tracasseries administratives alors qu’ils sont confrontés à une concurrence européenne qui bénéficient de régimes fiscaux et sociaux plus avantageux, voire qui exploitent à outrance la directive européenne relative au statut des travailleurs détachés.

Pendant tous les week-ends du mois d’octobre 2013, salariés de l’agroalimentaires, agriculteurs, chefs d’entreprises, élus locaux ont exprimé ce ras le bol et demandé au Président de la République, qui n’est jamais venu dans cette région depuis le 23 avril 2012, et au Premier Ministre de leur répondre.

Les auteurs de la présente contribution ont, avec plusieurs de leurs collègues, déposé dès le débat budgétaire pour 2014, un amendement de suppression de l’écotaxe19 , avant de déposer une proposition de loi visant à supprimer ce prélèvement20, qui n’était alors pas encore entré en vigueur, et dont les modalités faisaient l’objet de contentieux devant le Conseil d’État.

Le 29 octobre 2013, le gouvernement a décidé de suspendre l’écotaxe et le 12 novembre dernier, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a décidé de créer une mission d’information sur l’écotaxe poids lourds.

Cette mission d’information a été instaurée dans un contexte marqué par l’engagement pris par le Premier Ministre lors de la présentation du pacte d’avenir pour la Bretagne de ne pas appliquer l’écotaxe et de la création au Sénat d’une commission d’enquête parlementaire sur le contrat Ecomouv’.

Cette mission d’information, dont les organes ont été désignés le 4 décembre 2013 a procédé à une vingtaine d’auditions en cinq mois.

Il est apparu clairement au fil des débats et auditions que l’objectif des élus de cette mission appartenant à la majorité était de permettre dans un meilleur délai l’application de l’écotaxe, de la « ripoliner », pour la rendre acceptable.

L’orientation générale de la mission a ainsi restreint par principe l’étendue de sa réflexion :

- les éléments de comparaison européenne n’ont pas véritablement été explorés;

- les spécialistes de l’économie des transports n’ont pas été auditionnés ;

- certains acteurs essentiels du transport, la SNCF par exemples, n’ont pas été convoqués devant la mission d’information.

La mission n’a d’ailleurs pas souhaité les auditionner, en dépit des demandes répétées auprès de son Président par les auteurs de la précédente contribution. Or, la mission aurait eu besoin d’études, afin d’objectiver le débat.

Cela aurait permis en particulier de connaître, dans chaque secteur, la part que représente le coût du transport et de la logistique dans le prix des produits finaux, part évidemment très variable en fonction de la nature et du poids des marchandises transportées. Ces experts auraient également pu soumettre des projets alternatifs à l’écotaxe.

Les auteurs de la présente contribution tiennent également à souligner qu’afin que certaines auditions soient organisées par la mission, ils ont dû saisir son Président de plusieurs demandes officielles et publiques.

Les auteurs de la présente contribution regrettent par ailleurs qu’à l’occasion de l’interruption des travaux parlementaires du mois de mars, le Président de la mission ait procédé à des auditions « privées » en tête à tête, avec certains intervenants, dont M. Massiot Président de la Région Bretagne.

Ils tiennent par ailleurs à exprimer leur désaccord majeur sur les propositions du rapporteur de la mission d’information à savoir :

- La création d’une franchise de la taxe pour les trajets inférieurs à 400 kilomètres mensuels

- La réalisation d’une marche à blanc obligatoire

- L’accentuation de la modulation pour favoriser les poids lourds « Euro 6 »

- La création d’un fonds de modernisation de la flotte

- L’instauration d’un système de bas de facture pour le transport en compte propre

- L’exonération de la taxe pour les transports d’acheminement et les livraisons express

- L’application d’une surtaxe pour les itinéraires plus encombrés.

Cette contribution tient par conséquent à approfondir plusieurs points négligés par la mission tels que :

- L’inadéquation de l’écotaxe au contexte économique actuel

- Le caractère contestable et coûteux du mode de perception de l’écotaxe

- Les enseignements des comparaisons européennes

- L’effondrement des justifications théoriques de l’écotaxe

- La détermination d’alternatives à l’écotaxe

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I - Un prélèvement en décalage avec la conjoncture et néfaste pour les entreprises

Le contexte économique dans lequel l’écotaxe a été élaborée n’est pas celui que nous connaissons actuellement.

L’écotaxe a été conçue entre 2007 et 2008, à une époque de prospérité, où les priorités étaient d’une autre nature, où la conjoncture favorable permettait d’accorder la priorité plus à l’écologie qu’à l’économie.

La situation économique d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, tant au regard de la situation de l’emploi que du niveau de la pression fiscale. Les complications sur lesquelles Marc Le Fur avait alerté le gouvernement de l’époque se sont accrues.

Il convient de comparer le moment où la décision de créer cette écotaxe a été prise avec la situation actuelle. Alors qu’entre 2007 et 2008, la croissance était de l’ordre de 1,9 %, notre pays a péniblement terminé l’année 2012 avec 0,1 % de croissance, et celle de 2013 avec 0,3 %.

Le taux de chômage était alors de 8 % et il est aujourd’hui de 10,2 % ; le prix du gazole, lui aussi, a sensiblement évolué, puisqu’il est passé de 1,22 euro le litre au mois de janvier 2008 à 1,32 euro en mars 2014.

Si, à l’époque, certains pouvaient – mais nous le contestions déjà - envisager des mesures qui se présentaient comme des perspectives d’avenir, ce qui importe aujourd’hui, c’est de se battre sur le terrain de l’emploi, et cette priorité exige une remise en cause fondamentale du dispositif.

Par ailleurs, la répercussion de l’écotaxe telle qu’elle a été modifiée par l’article 16 de la loi du 28 mai 2013 a aggravé le problème, puisque sa répartition pour le chargeur abouti à faire payer non pas sur les 15 000 kilomètres de routes écotaxées, mais sur les 800 000 kilomètres de routes françaises.

Il convient de souligner que le transport routier de marchandises, qui emploie plus de 400.000 travailleurs, connait d’importantes difficultés et que chaque semaine des entreprises font faillite, et licencient.

Alors que le secteur des transports a déjà dû subir la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaire décidée par la nouvelle majorité, l’application de l’écotaxe constitue une véritable double-peine fiscale !

Il est donc plus qu’inopportun d’imposer à ce secteur une taxe supplémentaire, dont le montant espéré est de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an.

Par ailleurs, à ces 1,2 milliard de la taxe proprement dite, les routiers vont devoir payer 240 millions d’euros de TVA sur la taxe, et 70 millions d’euros de frais administratifs. Les auteurs de la présente contribution tiennent à souligner que ces éléments chiffrés concrets n’ont jamais été évoqués lors des débats de la mission. Sur les routes concernées, la taxe représenterait si elle était mise en œuvre 6,2 % du prix actuel du transport routier.

Le gouvernement et la majorité soutiennent que l’écotaxe doit être entièrement supportée par les chargeurs. En retenant cette hypothèse – très théorique - il convient de prendre en compte les conséquences sur la demande de transports de l’augmentation des charges résultant de l’écotaxe, c’est-à-dire l’élasticité-prix.

Le professeur Rémy Prud’homme, économiste réputé des transports, que la mission n’a pas – hélas - voulu auditionner en dépit des demandes récurrentes des auteurs de la présente contribution l’a clairement démontré dans sa tribune publiée par les Echos le 19 février 201321.

Selon M. Prud’homme, dans l’hypothèse retenue par le gouvernement où les chargeurs supporteraient entièrement la taxe, « avec une élasticité-prix de la demande égale à -0,5 la diminution des quantités transportées (sur les routes concernées), sera de 3,1 %. Le trafic sur les routes taxées représentant à peu près 60 % du transport routier, celui-ci va, du fait de la taxe, se réduire d’environ 1,8 %. Si l’emploi est proportionnel à l’activité et aux recettes cela signe la disparition de plus de 7.000 emplois. ».

Alors que notre pays constate chaque mois une hausse nouvelle du chômage, faire le choix de l’écotaxe, c’est admettre la perte de milliers d’emplois !

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II - Le dispositif Ecomouv’ : un fermier général couteux, complexe et opaque

Après l’adoption du principe de l’écotaxe, la loi de finances pour 2009 a validé l’idée de confier, via un appel d’offres, la collecte de la taxe et la définition de son assiette à un partenaire privé doté de la capacité d’engager, le cas échéant, les poursuites nécessaires.

Dès le 6 novembre 2008, lors de l’examen de l’article du projet de loi de finances énonçant ce principe, Marc Le Fur dénonçait un rétablissement des fermiers généraux d’avant 1789 et soulignait que jusqu’à présent, notre tradition fiscale attribuait la collecte de l’impôt à des régies.

Marc Le Fur avait d’ailleurs indiqué que, saisi de l’article organisant ce transfert de la compétence fiscale, le Conseil d’État s’était montré très réservé.

Lors du débat sur l’écotaxe de novembre 2008, le député des Côtes d’Armor avait également fait part de ses inquiétudes sur le coût de la collecte, dans la mesure où en l’état des informations disponibles à l’époque, cette recette d’un milliard devait susciter un coût de collecte de l’ordre de 25 %, au bénéfice de conglomérats privés.

À cette occasion, il convient de souligner que la possibilité de voir un conglomérat à majorité étrangère, remporter l’appel d’offre avait été évoqué dans le débat parlementaire de l’époque.

À l’issue de l’appel d’offre organisé par l’État, c’est un consortium du nom d’Ecomouv’ qui a été désigné pour effectuer cette collecte, dans le cadre d’un contrat d’une durée de treize ans.

Autostrade per l’Italia, qui détient 70 % du capital d’Ecomouv’, est un groupe privé concessionnaire du réseau autoroutier italien, également actif à l’international pour l’exploitation de certains ouvrages routiers payants.

Autostrade est contrôlée à 100 % par la holding Atlantia. Le plus important actionnaire d’Atlantia est, avec 46 % du capital, le fonds Sintonia du groupe familial Benetton, allié depuis 2008 à la banque Goldman Sachs.

Chacun situera Goldman Sachs, dont la renommée n’est plus à faire depuis 2008 !

Quant à la société Benetton, bien connue pour son sens de la provocation dans la communication, elle a également tristement défrayé la chronique avec l’effondrement à Dacca capitale du Bangladesh, du Rana Plaza bâtiment insalubre abritant cinq ateliers de confection, aujourd’hui reconnu comme le plus grave accident industriel du Bangladesh, et le plus lourd de l’histoire de l’industrie textile mondiale, avec près de 1 000 ouvriers décédés.

Il convient par ailleurs de préciser que la SNCF est également actionnaire de ce consortium.

En ce qui concerne cette participation de la SNCF à ce consortium, les auteurs de la présente contribution, s’étonnent de sa présence et déplorent, en dépit de nombreuses demandes officielles de leur part- écrites et orales - que la SNCF ne soit pas venue devant la mission justifier cette participation.

Au terme du contrat conclu avec l’État, ce consortium, moyennant une rétribution de 230 millions d’euros hors taxes, est chargé de la mise en œuvre et de la collecte de la taxe.

Chargé de percevoir une taxe basée sur la redevance kilométrique, Ecomouv’ a conçu un système fondé sur l’installation de boitiers de contrôles sur les poids lourds, à la charge des transporteurs, et l’implantation pour effectuer les relevés de trajets de portiques électroniques sur le réseau taxable cogérés avec les opérateurs de télépéage, dénommées Sociétés Habilitées au Télépéage (SHT).

Le montant de 230 millions par an attribué à ce consortium, pour un montant de recettes estimé à 800 millions d’euros, correspond bien à 25 % du produit attendu et dépasse largement les objectifs de maîtrise du coût de la collecte défendu par l’exécutif en novembre 2008 lors du débat budgétaire. On avait à l’époque parlé de 12 %.

Lors de son audition, la Ministre de l’Écologie, Madame Ségolène Royal a d’ailleurs estimé que « les termes du contrat liant l’État à Ecomouv’ (avaient) de quoi surprendre… les capitaux propres de cette société (étant) rémunérés à hauteur de 17 %, ce qui est très rare, surtout dans une activité sans risque ».

La Ministre a elle-même souligné qu’en outre, « le coût de la collecte représente 25 % de son montant, soit au minimum 270 millions d’euros pour une recette de 1,15 milliard d’euros » ce qu’elle a jugé comme étant « un coût extrêmement élevé ».

Il convient par ailleurs de souligner que la mise en œuvre du dispositif Ecomouv’ a connu de nombreux retards et certains dysfonctionnements.

En premier lieu, l’expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace, initialement prévue dans le contrat n’a pas été à terme – du fait d’un amendement du sénateur socialiste Ries lors de l’examen du projet de loi relatif aux infrastructures de transport et a été remplacée par une marche à blanc menée à l’échelle nationale, ce qui constitué une erreur majeure.

Cette phase à blanc du dispositif Ecomouv’ s’est déroulée, jusqu’au 30 novembre 2013 et s’est accompagnée de nombreux dysfonctionnements, qui selon les entreprises de transport rendent le dispositif de collecte inapplicable, contrairement à ce que soutient le consortium Ecomouv’.

Entendues dans le cadre de l’audition d’un syndicat de transporteurs, certaines entreprises qui ont participé à la marche à blanc – dont les auteurs de la présente contribution rappellent qu’elle visait à tester les modalités de tarification gérées par un système informatique complexe – ont soutenu de façon très argumentée que celle-ci n’avait pas fonctionné.

Ces professionnels ont fait la démonstration que l’écotaxe ne pouvait être mise en application pour des raisons techniques évidentes et que son expérimentation à une échelle très limitée n’a pas été performante.

Les auteurs de cette contribution regrettent par ailleurs formellement que le Président de la Mission n’ait pas donné suite à leur suggestion publique et officielle d’organiser une audition conjointe des transporteurs ayant participé à la marche à blanc et d’Ecomouv’ afin de confronter les points de vue et d’en tirer toutes les conséquences, notamment au regard de l’enjeu financier considérable que représente la réception de ce marché Ecomouv’.

Les auteurs de la présente contribution regrettent également que les « Sociétés Habilitées au Télépéage (S.H.T.) », passages obligés entre les transporteurs et Ecomouv’ pour la perception de l’écotaxe et parties prenantes à cette expérimentation, qui ont également rencontré des difficultés, n’aient pas été auditionnées, en dépit de nos demandes.

Dans ces conditions, la réception du système par l’État était difficilement concevable pour les auteurs de la présente contribution, sachant que l’absence de réception du marché par l’État signifie l’absence de dette de l’État à l’égard d’Ecomouv’.

Marc Le Fur a d’ailleurs alerté, par courrier officiel, le précédent Ministre du Budget Monsieur Bernard Cazeneuve en lui faisant part de ses réserves et invitant l’État à ne pas réceptionner le marché Ecomouv’.

Ce courrier, n’a, à ce jour, toujours pas reçu de réponse…

Les auteurs de la présente contribution ne peuvent d’ailleurs que souscrire aux propos de la Ministre de l’Écologie qui a répondu à « ceux qui (lui) objectent qu’une dénonciation du contrat d’Ecomouv’ entraînerait des frais d’indemnisation élevés pour l’État – certains parlent de 800, voire de 900 millions d’euros –, … que l’État aussi a subi des préjudices, en raison notamment des retards dans l’exécution du contrat ou de certains engagements mirobolants de l’entreprise quant aux performances techniques des installations ».

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III - L’absence de comparaison européenne sur la fiscalité des transports routiers sur la mise en œuvre d’Euro vignette

Aucune comparaison avec la fiscalité applicable aux transports chez nos voisins européens, y compris en matière d’euro vignette n’a été engagé : pas d’audition sur ce sujet spécifique, pas de délégation de la mission pour examiner les exemples étrangers, pas même de documents transmis…

La réflexion sur l’écotaxe ne saurait être déconnectée du montant total des charges fiscales pesant sur le transport routier dans l’ensemble des pays européens.

Alors que les transporteurs routiers exercent leur activité dans un secteur ultra concurrentiel à dimension européenne, il convient en effet d’avoir une vision globale de la fiscalité qui pèse sur cette activité, l’écotaxe n’étant qu’une composante de cette fiscalité. Ceci est d’autant plus essentiel que l’écotaxe est concomitante de la libéralisation du cabotage qui exacerbe la concurrence.

Les auteurs de la présente contribution rappellent que les véhicules de transports français sont déjà lourdement taxés et payent déjà la taxe à l’essieu au titre de leur contribution à l’entretien des infrastructures de transport, communément désignée sous le nom de « taxe à l’essieu ».

Les poids lourds français ont ainsi, en 2011, payé 5,7 milliards d’euros de charges fiscales dont 130 millions d’euros au titre des certificats d’immatriculation, 100 millions d’euros au titre de la taxe sur les assurances, 200 millions d’euros au titre de la taxe à l’essieu, 5 milliards d’euros au titre de la TICPE et de la TVA afférente à cette taxe, 60 millions d’euros au titre de la redevance domaniale sur les autoroutes et 190 millions d’euros au titre de la taxe d’aménagement sur le territoire perçue à raison de l’utilisation des autoroutes.

La mission n’a pas suffisamment pris en compte le fait que chez la plupart de nos partenaires européens, le réseau taxable au titre de la Directive Eurovignette est essentiellement constitué d’autoroutes afin de cibler le transport longue distance. Il en résulte que les comparaisons européennes sont faussées, les autoroutes françaises étant déjà taxées !

Il convient par ailleurs de souligner que la directive européenne n’oblige pas à créer une écotaxe, mais fixe les règles à respecter pour les États qui désireraient en créer une.

La tarification du transport routier des poids lourds s’effectue dans le cadre des obligations réglementaires issues de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 modifiée par la directive 2006-38 du 17 mai 2006 dite « Eurovignette II » relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures et la directive 2013/22 UE du 13 mai 2013 s’appliquant aux « taxes sur les véhicules, aux péages et aux droit d’usages imposés aux véhicules » de plus de 3,5 tonnes.

Cette directive ne constitue qu’un cadre juridique, permettant ensuite aux États de mettre en place, s'ils le souhaitent, des péages pour financer certains investissements, notamment en matière d’infrastructures.

Elle n’impose donc nullement la création d’une écotaxe, notamment parce que l’actuel taxe à l’essieu correspond d’ores et déjà à ses objectifs.

Aujourd'hui, seuls six pays, essentiellement d'Europe centrale, ont mis en œuvre une taxe de type écotaxe.

L'Autriche a été la première en 2004 a adopté un système de taxation des véhicules de plus de 3,5 tonnes. Ce prélèvement s’applique uniquement sur les autoroutes et voies rapides, soit 7 % de l'ensemble du réseau national.

En 2005, l’Allemagne a à son tour mis en œuvre un octroi payable par les camions de plus de 12 tonnes sur les 13 000 kilomètres d'autoroutes du pays, la « LKW-Maut ». Son tarif est fixé à 20 centimes d'euros par kilomètre, excepté pour les poids lourds équipés de moteurs moins polluants et son produit est affecté à la maintenance des voies rapides et au financement des compensations allouées par le gouvernement allemand aux transporteurs routiers ( baisse de la vignette, fond d’aides à la modernisation des flottes).

En dépit de cela, depuis janvier 2014, dans le prolongement de la contestation française de l’écotaxe, le gouvernement Allemand doit faire face à la contestation des usagers qui s’estiment lésés par le barème de la taxe. En conclusion d'une affaire opposant un transporteur à l'État, le tribunal de Münster a même jugé récemment dans le cadre d’un litige entre un transporteur et l’État Fédéral, la grille tarifaire du dispositif «non conforme ». Le gouvernement de Mme Merkel envisagerait par conséquent une refonte du dispositif pour 2015.

Trois pays d’Europe de l’Est ont également opté pour une écotaxe, la Slovaquie qui applique un prélèvement dont le tarif kilométrique additionnel de 16 centimes en moyenne, la Pologne, qui taxe pour sa part les véhicules de plus de 3,5 tonnes et les bus excédant neuf places et la République Tchèque, qui applique, quant à elle, une surtaxe kilométrique depuis le 1er janvier 2012, surtaxe majorée chaque vendredi de 30 % entre 15 heures et 21 heures.

Le Portugal, a pour sa part adopté l'écotaxe à l'été 2013.

Enfin la Grande Bretagne applique depuis le 1er avril un droit d’usage sous forme d’une vignette. Cette taxe concerne tous les poids lourds de plus de 12 tonnes circulant au Royaume-Uni. Elle se règle à la journée, la semaine, le mois ou l’année. Ce prélèvement forfaitaire est dû pour la circulation sur les routes anglaises.

Pour les camions étrangers, la taxe devra être payée avant de circuler en Angleterre, en réglant soit via un portail internet où il faut enregistrer les renseignements sur le poids lourd, soit via des bornes sur les zones d’accès au Royaume-Uni ou les ferries.

Il convient de souligner que le système britannique aboutit à des modalités de perception très différentes pour les nationaux et les étrangers.

La mission n’a pas souhaité examiner de manière plus précise, en dépit des observations des auteurs de la présente contribution, les conditions d’application de cette taxe, qui selon les professionnels, correspond à la taxe à l’essieu française, à l’exception près qu’elle s’applique aux poids lourds étrangers.

Il convient par ailleurs de préciser que, si les Pays-Bas, le Danemark et la Suède envisagent également l’instauration d’une écotaxe, l’Espagne et l’Italie se sont clairement prononcées contre l’application d’une telle mesure.

Quant à la Belgique, elle a reporté, à l'échéance de 2016, l'entrée en application d'une écotaxe issue d'un accord conclu entre les trois régions du royaume (Bruxelles-capitale, Wallonie, Flandre), écotaxe également contestée fortement par les transporteurs belges, vent debout contre la mesure.

Il convient dès lors de relever de ces exemples deux informations occultées par la mission, à savoir :

- L’acceptabilité de la taxe chez nos voisins est loin d’être avérée ;

- La taxe permet à certains pays, en particulier l’Allemagne et l’Autriche de compenser la gratuité des autoroutes, ce qui fausse la comparaison avec la France.

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IV - Les justifications de l’écotaxe tombent une à une

Il est nécessaire de revenir sur les justifications initiales et l’historique de l’écotaxe, qui appartiennent au passé, étant tombées une à une.

- 1) La réorientation vers d’autres modes de transport

L’écotaxe avait pour objectif initial de réorienter une partie du transport routier vers des modes alternatifs et notamment le fret ferroviaire.

Or, si d’autres modes de transport que la route existent pour les distances de plus de 300 kilomètres, il convient de préciser que la distance moyenne des transports en France est de 115 kilomètres, Dans cette perspective, un transfert sur le rail pour de nombreux métiers du transport routier ne peut être raisonnablement envisagé.

Si l’objectif du gouvernement est véritablement de promouvoir d’autres types de transport, il faut réserver la pénalisation au transport routier à longue distance, c’est-à-dire à partir de 300 ou 400 kilomètres.

Par ailleurs si l’un des objectifs de l’écotaxe était d’encourager le développement du fret, il convient de souligner que la part relative de ce dernier dans les activités de la SNCF – déjà très faible en France par rapport aux autres pays – a encore décliné au cours des dernières années.

En effet alors qu’en 2007, le trafic fret de la SNCF était de l’ordre de 54 milliards de tonnes-kilomètres, il s’est établi en 2012, à 30 milliards de tonnes-kilomètres. Le rail qui représentait 60 % du fret en 1975 ne concerne aujourd’hui que 11 % du marché en termes de tonnes kilométriques.

Toutes les études montrent en outre que l’élasticité croisée (la réponse de la demande de fret ferroviaire à la variation des prix du mode concurrent) est extrêmement faible, inférieure à +0,1.

La hausse du prix du fret routier de 3,1 % à 6,2 % qui selon les économistes du secteur et les professionnels résulterait de l’écotaxe, selon les choix établis en matière de répercussion, entrainerait au plus une hausse du fret ferroviaire de 100 millions à 200 millions de tonnes-kilomètres, négligeable au regard des 4 milliards de tonnes-kilomètres de fret routier qui seraient éliminées si l’écotaxe venait à être réinstaurée. Le recul du transport routier serait en réalité un recul du transport tout court.

Le Professeur Rémy Prud’homme a, là encore démontré clairement le caractère illusoire de cette substitution, dans une tribune publiée par les Echos le 6 novembre 201322.

Selon ce spécialiste des transports, « le report modal est un mirage. Cela fait des décennies que les « plans fret » prévoyant un doublement ou un triplement du fret ferroviaire se succèdent, à coup de gros paquets de milliards d’euros. Le fret ferroviaire est subventionné par le contribuable à hauteur d’au moins 70 %. Malgré tout cela, il décline inexorablement. En valeur (ce que payent les entreprises pour le transport de leurs marchandises), il représente actuellement 2 % (de la valeur économique) du transport par camions. Si les poulets bretons ne peuvent plus voyager par camions, ils ne voyageront pas pour autant par le train : ils ne voyageront pas du tout, et ne seront plus produits. »

Les auteurs de la présente contribution peinent d’ailleurs à comprendre la cohérence de la stratégie de la SNCF et les raisons de sa participation au consortium Ecomouv’ chargée de percevoir l’écotaxe.

Nous avons sollicité, sans succès aucun, l’audition de M. Pépy. La SNCF est pourtant au cœur du sujet en tant que bénéficiaire de l’écotaxe comme actionnaire d’Ecomouv’ et opérateur du fret ferroviaire.

- 2) L’application du principe utilisateur/payeur

L’écotaxe pour certains se justifie par l’application du principe utilisateur/payeur.

Si l’on se place dans cette logique, l’écotaxe ne devait financer ni les transports urbains, ni les transports inter-urbains non routiers (chemins de fer, canaux fluviaux…)

D’autre part, si l’on considère que le transport routier doit apporter sa contribution à la route, c’est oublier l’essentiel, à savoir que les camions payent déjà largement la route, si l’on se réfère à la fiscalité d’ores et déjà supportée par les seuls transporteurs ( cf. P. 11).

- 3) La mise en œuvre à fiscalité constante de l’écotaxe.

L’écotaxe avait été conçue lors du « Grenelle de l’environnement », qui devait être mis en œuvre à fiscalité constante

Or, les diverses modifications de l’écotaxe, se traduisent de fait par un accroissement de la fiscalité sur les transports. À ce titre, les réflexions en cours sur le devenir de l’écotaxe ne peuvent être disjointes de celles par ailleurs conduites sur la remise à plat de notre fiscalité et la compétitivité du site France.

Alors que les Français, et plus particulièrement les opposants à l’écotaxe ont exprimé un véritable « ras-le-bol fiscal », il convient de préciser que les taux de ce prélèvement ont déjà varié à la hausse au moins deux fois depuis le vote de la loi instaurant le « Grenelle de l’Environnement ».

Or, la fiscalité environnementale ne peut pas constituer une couche supplémentaire du mille-feuille fiscal auquel nos entreprises sont déjà soumises. Les auteurs de la présente contribution rappellent à cet égard, l’engagement pris, lors de l’adoption du Grenelle de l’environnement, d’une mise en œuvre à pression fiscale constante, ou à « iso-fiscalité », ce qui constituait un élément déterminant de son acceptabilité par le corps social.

L’écotaxe, dont la mise en œuvre ne s’accompagnerait d’aucune suppression de prélèvement constituerait, si elle devait être réinstaurée un nouveau prélèvement.

Comme le souligne M. Rémy Prud’homme23, « Au total, les impôts spécifiques payés par les poids lourds s’élèvent à 5,7 milliards d’euros » et « la taxe poids lourds, baptisée « écotaxe », actuellement suspendue, dont le montant s’élève à 1,2 milliard24, augmentera(it) de plus de 20 % le montant de ces taxes spécifiques. ».

Alors que le gouvernement annonce une « remise à plat de la fiscalité », réinstaurer l’écotaxe sans contrepartie revient à écarter par principe le principe de l’iso-fiscalité qui avait été mis en avant lors du « Grenelle de l’environnement ».

Il y a un risque pour les ambitions environnementales à allier systématiquement écologie et fiscalité, écologie et sanctions, écologie et normes. Les préoccupations écologiques que les citoyens partagent sont aujourd’hui associées à des éléments contraignants et négatifs. Nous devons nous interroger et nous poser la question de savoir si en instaurant l’écotaxe, nous ne sommes pas en train de porter préjudice au mouvement engagé en faveur de la sauvegarde de l’environnement.

L’écotaxe est de fait devenue un nouveau prélèvement dont l’unique objectif est désormais de compenser la baisse de la subvention de l’État à l’AFITF.

- 4) La prise en compte de la périphéricité de certaines régions

Les régions périphériques sont dans une situation singulière. Les entreprises situées au « Finistère de l’Europe » dont les clients sont situés dans des zones de chalandise éloignées de 500 ou 1 000 kilomètres, dépendent d’une logistique et d’un transport qui est coûteux.

C’est pourquoi le législateur, au cours du précédent mandat, avait imaginé dans sa sagesse un abattement de 30 % sur l’écotaxe pour l’Aquitaine ou la région Midi-Pyrénées, et un abattement de 50 % pour la Bretagne, qui ne dispose pas d’autoroutes.

On pouvait imaginer que cette prise en compte de la périphéricité soit incorporée à la répercussion établi par l’article 16 la loi du 28 mai 2013. Or ce n’est pas le cas puisque par définition, comme le transporteur peut répercuter l’ensemble du trafic qu’il effectue, que ce soit sur une route écotaxée ou non, les régions périphériques perdent leur avantage relatif.

De fait, dans sa nouvelle version, l’écotaxe ne prend en compte les spécificités des régions ultrapériphériques que pour les transports intrarégionaux.

La Bretagne avec 886 kilomètres de route écotaxées sur le 10 205 du réseau national est la région la plus concernée. Alors qu’elle ne représente que 4 de l’économie française, elle représente 8,7 % du réseau écotaxé.

- 5) L’écotaxe n’a pour objectif que le financement de l’AFIT

L’écotaxe devait favoriser les modes alternatifs de transport et notamment le fret ferroviaire et d’autres systèmes de transports, systèmes intermodaux ou transports urbains.

Cet objectif ne figure plus parmi les priorités puisque l’écotaxe telle qu’elle est envisagée aujourd’hui vise essentiellement à financer l’entretien des infrastructures existantes et de financement d’infrastructures nouvelles, dont beaucoup n’ont rien à voir avec le transport de marchandises.

Les auteurs de la présente contribution réaffirment clairement que la nouvelle mouture de l’écotaxe a pour unique objectif de compenser la baisse de la subvention de l’État à l’AFITF.

Cette dernière qui était de 914 millions en 2010 ; a été de 974 en 2011 ; 900 en 2012, 559 en 2013, le gouvernement ayant prévu son extinction en sifflet.

Initialement fixée à 400 millions d’euros, réduits à 334 millions après application des mesures d’économies – gel et réserve de précaution - pour 2014, elle s’élèvera finalement à 656 millions d’euros.

Le gouvernement se dit attentif aux équilibres budgétaires et justifie à ce titre les baisses de subvention à l’AFITF.

Les masses financières concernant le jour de carence des fonctionnaires ou l’aménagement des rythmes scolaires sont identiques à celle de l’écotaxe et donc par conséquent au financement de l’AFITF.

Il est même paradoxal, de la part d’une majorité qui renonce en dépit de ses engagements à élargir la taxe Tobin sur les échanges d'actions des sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d'euros et qui reporte le paiement de la taxe à 75 % sur les hauts revenus, de vouloir coûte que coûte imposer l’écotaxe !

L’écologie n’est donc plus qu’un prétexte budgétaire.

Justifier l’écotaxe par le fonctionnement de l’AFITF et communiquer, tant auprès des parlementaires, des élus locaux et du grand public en ce sens revient à occulter les choix politiques du gouvernement, qui privilégient des revendications catégorielles au détriment de l’investissement public en matière d’infrastructures.

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V : Les pistes du rapporteur de la mission d’information : des propositions cosmétiques inadaptées et coupées des réalités économiques.

Le rapporteur de la Mission propose une écotaxe retravaillée à la marge et fondée sur des aménagements techniques sans ambition à savoir

- La création d’une franchise de la taxe pour les trajets inférieurs à 400 kilomètres mensuels

- La réalisation d’une marche à blanc obligatoire

- L’accentuation de la modulation pour favoriser les poids lourds « Euro 6 »

- La création d’un fonds de modernisation de la flotte

- L’instauration d’un système de bas de facture pour le transport en compte propre

- L’exonération de la taxe pour les transports d’acheminement et les livraisons express

- L’application d’une surtaxe pour les plus encombrés.

En premier lieu il convient de souligner que la notion de courte distance, 400 kilomètres mensuels est en décalage complet avec la réalité économique du transport lorsqu’on l’ait que le trajet moyen parcouru chaque jour par un poids lourds en France et de 400 kilomètres. Le rapporteur ne propose de fait qu’un mécanisme de franchise d’un jour par mois !

Cette franchise risque même, au regard des pratiques en vigueur en matière de cabotage, de favoriser les transporteurs étrangers, notamment sur la frontière alsaciennes qui pour échapper à la « Maut » allemande, utiliseront les routes alsaciennes, pour bénéficier de cette exonération sur les trajets courts frontaliers.

En ce qui concerne la marche à blanc obligatoire, le rapport soumis aux membres de la mission est flou et ne donne aucun élément concret, de durée, de champ géographique, de nombre d’entreprise.

Les auteurs de la présente contribution sont également très réservés sur l’instauration d’un système de bas de facture pour les transports en compte propre.

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VI - L’absence de réflexions concrètes sur les alternatives à l’écotaxe

Pour nous, le rôle de la mission n’était pas de revoir les modalités d’application de l’écotaxe, mais de proposer des solutions alternatives à celle-ci.

Lorsqu’il n’est pas possible de collecter un impôt, parce que cela suscite des difficultés économiques et sociales considérables, voire des troubles à l’ordre public, il est de la responsabilité des décideurs publics d’envisager des dispositifs susceptibles d’être mieux acceptés.

Or, les solutions alternatives à l’écotaxe n’ont pas été explorées suffisamment par la mission, en dépit des multiples propositions formulées tant par les acteurs économiques, que par les députés de l’opposition.

C’est ainsi que plusieurs pistes de réflexion ont été occultées ou écartées sans réflexion approfondie à savoir :

- Le démantèlement des portiques écotaxe

Ces portiques servent en effet non à collecter l’écotaxe, mais à contrôler la présence dans les poids lourds d’un boîtier embarqué enregistrant les données de géolocalisation et permettant de collecter l’écotaxe en déterminant en temps réel le franchissement d’un point de tarification et en calculant le montant de la taxe due.

Comme l’a souligné lors des auditions de la Mission M. François-Michel Lambert, le prélèvement de la taxe poids lourds pourrait se faire sans recourir aux portiques, et le contrôle de la présence des boîtiers dans les poids lourds pourrait être assuré par des policiers ou des gendarmes, comme pour les chronotachygraphes dans les camions.

Il convient d’ailleurs de souligner que dans un avis du 14 février 2013, la CNIL a indiqué que les portiques étaient attentatoires aux libertés individuelles dans la mesure où tous les véhicules – poids lourds et véhicules particuliers - passant sous les portiques devraient être photographiés.

- L’utilisation des recettes de l’écotaxe – actuellement destinées à financer des canaux, des lignes de chemin de fer, et des aménagements urbains – pour le seul secteur routier.

Il convient de souligner à ce titre qu’un impôt est un peu mieux accepté lorsque les contributeurs savent qu’ils en bénéficieront également.

Or, si l’écotaxe devait être réinstaurée, 34,77 % de son produit serait affecté aux investissements routiers et 63,23 % à des investissements dans d’autres modes de transport (38,19 % pour le transport ferroviaire, 18,3 % pour les transports collectif d’agglomération, 3,6 % pour le transport maritime et 3,46 % pour le transport fluvial).

Loin de nous éclairer, le Président de l’AFITF, M. Duron, membre de la mission, a évoqué une éventuelle modification du périmètre de l’écotaxe afin de rééquilibrer, comme cela s’est fait en Allemagne l’affectation des recettes en faveur de la route.

Force est de constater qu’aucune proposition concrète n’a été faite en la matière. Par conséquent les poids lourds, déjà lourdement contributeurs aux budgets publics, vont payer un impôt nouveaux, dont ils ne bénéficieront en retour qu’à la marge !

- L’utilisation d’une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont profite essentiellement la grande distribution, afin de financer nos infrastructures.

Cette solution est envisagée par plusieurs groupes politiques.

De nombreux parlementaires ont été surpris de constater que, sur les quelque 20 milliards d’euros consacrés au CICE en 2014, 2,5 milliards sont revenus à la grande distribution et à peine 3 milliards à l’industrie, pourtant présentée comme prioritaire.

Les auteurs de la présente contribution estiment qu’il serait concevable de récupérer une petite partie de ces dépenses au profit de l’AFITF.

- L’instauration d’une vignette similaire à celle mise en œuvre au 1er avril 2014 par la Grande Bretagne

Cette option a été suggérée par les professionnels du transport qui estiment tout à fait possible de mettre en place un droit d’usage répondant aux exigences de la directive Eurovignette, qui soulignent par ailleurs que la nature juridique de la taxe à l’essieu correspond bien aussi à un droit d’usage de l’infrastructure.

Ce système permettrait de taxer essentiellement les camions étrangers.

La mission n’a pas examiné l’idée de réformer la taxe à l’essieu afin de rendre les véhicules étrangers éligibles à sa liquidation ou de définir, en complément de cette taxe un droit d’usage pour les infrastructures routières non concédées qui respecterait les dispositions de la directive 1999/62/CE. Nous le regrettons.

Les auteurs de la présente contribution regrettent également que la Mission n’ait pas souhaité aller plus avant dans la perspective de la taxation des bénéfices des sociétés gestionnaires des autoroutes (deux milliards d’euros) avancée par la Ministre de l’Écologie.

En effet, les actionnaires des sociétés d’autoroute sont majoritairement des entreprises du BTP.

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CONCLUSION : DES PROPOSITIONS NÉGATIVES QUI NÉCESSITENT UN ARBITRAGE DU GOUVERNEMENT

En conclusion, les auteurs de la présente contribution estiment que les élus de la majorité ont volontairement restreint le champ de réflexion de la Mission, la conduisant nécessairement à vouloir sauver un « chef d’œuvre en grand péril » et à refuser par principe toute alternative à l’écotaxe.

Ils craignent que cette approche étroite n’aboutisse à vouloir imposer un prélèvement dangereux pour les acteurs économiques du transport, inadapté aux enjeux et dont l’acceptabilité par le corps social est sujette à caution.

Si les conclusions de cette mission devaient se traduire par une écotaxe ripolinée, les auteurs de la présente contribution ont la conviction profonde que les mêmes causes produiront les mêmes effets.

C’est pourquoi ils estiment qu’il revient au gouvernement de prendre ses responsabilités et d’effectuer clairement un arbitrage entre les propositions de la mission que nous jugeons négatives et les pistes de travail de la Ministre de l’Écologie.

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ANNEXE 1 – COMPARAISON EUROPÉENNE DES DISPOSITIFS DE COLLECTE DE LA REDEVANCE POIDS LOURDS

En Europe, seuls six pays ont mis en place une redevance kilométrique de type écotaxe poids lourds afin de faire payer au secteur du transport routier de marchandises le coût d’usage du réseau autoroutier ou routier national. Ces pays sont l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et, en dehors de l’Union européenne, la Suisse.

La Belgique a prévu d’abandonner son système d’eurovignette qu’elle partage avec le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède, pour une taxe kilométrique qui doit entrer en vigueur en 2016. Le gouvernement danois a, quant à lui, abandonné un projet de taxe kilométrique sur les poids lourds proposé par le gouvernement précédent, considérant que le coût de gestion d'un tel système serait trop élevé au regard de la petite taille du réseau taxable danois.

Le Royaume-Uni a mis en place cette année une taxation, entrée en vigueur en avril 2014 et qui s’apparente à une eurovignette. Elle consiste à faire payer aux conducteurs de poids lourds, étrangers comme nationaux, un droit d’usage pour l’utilisation du réseau routier britannique. L’Irlande a annoncé la mise en œuvre prochaine d’une nouvelle taxe poids lourds de type vignette, sur le modèle britannique. Enfin, l’Espagne et l’Italie se sont prononcées contre l'application d'une telle mesure à l'ensemble de leur territoire. Quant au Portugal, il dispose d’un système de collecte automatisé sur certaines portions de ses routes – dénommé Via Verde, mais pas d’un dispositif de type écotaxe en tant que tel.

La comparaison des dispositifs de redevance kilométrique de type écotaxe poids lourds en Europe fait apparaître deux modèles distincts :

− d’un côté, un système basé sur une technologie de localisation satellitaire qui détecte le franchissement par les poids lourds de points de tarification virtuels – c’est le choix effectué par l’Allemagne, la France et la Slovaquie ;

− de l’autre, un système de détection via des portiques fixes qui jouent le rôle de point de tarification – c’est le choix effectué par l’Autriche, la République Tchèque et la Pologne.

L’utilisation d’un équipement électronique embarqué (EEE) est toutefois systématique dans tous les pays considérés, tout comme l’existence de portiques de contrôle fixes et de bornes de contrôle mobiles. Leur nombre varie néanmoins entre les pays concernés : 1 portique tous les 45 kilomètres en moyenne en Allemagne, 1 portique tous les 90 kilomètres en France, ou encore 1 portique tous les 70 kilomètres en Slovaquie.

L’ensemble des pays considérés ont eu recours à un prestataire privé pour assurer la mise en place du dispositif de collecte. Le système suisse demeure néanmoins le plus spécifique en raison de la particularité du réseau suisse et de l’ancienneté du dispositif.

La grande majorité de ces pays ont opté pour une tarification kilométrique qui s’applique dès le premier kilomètre, sans distinction entre poids lourds nationaux ou étrangers, et touchant les véhicules de transport de marchandises dont le poids maximal autorisé est supérieur à 3,5 tonnes. Seule l’Allemagne n’applique sa redevance poids lourds qu’à partir de 12 tonnes, mais cette spécificité est aujourd’hui remise en question outre-Rhin.

Les 6 pays concernés, sans exceptions, procèdent à des modulations des tarifs de la taxe kilométrique en fonction de la catégorie d’émission polluante Euro du véhicule. D’autres modulations existent pour prendre en compte des phénomènes de congestion – augmentation des tarifs pour certaines périodes de la journée sur certaines routes – ou pour prendre en compte des situations de pollution atmosphérique – réduction pour les véhicules équipés d’un dispositif de réduction des particules.

Les taux appliqués varient de manière sensible entre pays européens comme l’illustre le cas pratique suivant :

TARIF KILOMÉTRIQUE APPLICABLE POUR UN POIDS LOURDS DE 38 TONNES DE 4 ESSIEUX DE CLASSE EURO IV

(euros par kilomètre)

France

Allemagne

Slovaquie

République Tchèque

Pologne

Autriche

Suisse

0,15

0,18

0,22

0,23

0,37

0,39

0,70

La France applique l’un des taux kilométriques les plus faibles d’Europe. Ces taux sont fixés en adéquation avec les normes européennes et doivent permettre le recouvrement des recettes nécessaires afin de financer les coûts d’exploitation, d’entretien, de construction et d’extension du réseau routier faisant l’objet de la taxation. Ce faible taux français s’explique par le type de routes faisant l’objet de la taxation – le réseau routier national ou local non concédé dont l’entretien est moins coûteux que celui du réseau autoroutier. Enfin, il semblerait que la France soit le seul pays à avoir décidé de mettre en place un dispositif de majoration forfaitaire pour faire in fine porter le poids de la redevance poids lourds non pas sur le secteur routier mais sur les donneurs d’ordres.

L’Allemagne a préféré opter pour un dispositif visant à subventionner la modernisation des flottes, en soutenant l’acquisition de véhicules classés Euro (Euro 5 et EEV) et en affectant une partie de la taxe à la modernisation du parc roulant et à l’installation de filtres à particules.

Quant au système du Royaume-Uni, pour intéressant qu’il puisse paraître, la voie choisie semble extrêmement fragile au regard du droit européen. Une vignette vient d’être instituée par ce pays. Elle concerne tous les poids lourds (britanniques comme étrangers). La situation ainsi créée semble méconnaitre le principe de non cumul d’un péage et d’un droit d’usage sur un même tronçon. En effet, pour l’autoroute M6 de quelque 40 kms, le gouvernement anglais entendrait faire fi de cette règle posée par la directive en imposant un cumul de paiement aux transporteurs. Par une interprétation constante de la Commission européenne tout cumul de ce type est prohibé. Cette modalité avait été mise en œuvre par la Pologne qui a dû y renoncer sur injonction des services de la Commission.

LE CAS PARTICULIER DE LA POLOGNE

Afin de rendre les infrastructures routières conformes aux exigences d’une économie en plein essor, le Gouvernement polonais avait entamé l’exécution de son Programme national de construction d’autoroutes à la suite des événements politiques de 1989. La première société concessionnaire a été Autostrada Wielkopolska S.A., créée en 1993, qui a en 1995 obtenu la concession de l’autoroute à péage A2. Conformément à ce qui est prévu dans l’accord de concession, Autostrada Wielkopolska S.A. doit assurer l’exploitation et l’entretien des 149 kilomètres d’autoroutes concédées jusqu’en 2037.

Autostrada Wielkopolska II S.A. est une seconde entité qui a été créée en février 2009, conformément aux exigences posées par le Gouvernement polonais, dans le but spécifique de construire un prolongement de 106 kilomètres d’autoroute A2. Autostrada Wielkopolska II S.A. doit assurer l’exploitation et l’entretien des 106 kilomètres d’autoroutes concédées jusqu’en 2037.

Il existe encore deux autres concessionnaires, Stalexport Autostrada S.A. et Gdansk Transport Company S.A..

Parallèlement, les poids lourds polonais et étrangers utilisés pour le transport de marchandises pour compte d’autrui ou pour compte propre étaient sujets à un droit d’usage – une vignette – pour l’utilisation du réseau routier polonais.

L’entrée de la Pologne dans l’Union européenne en 2004 va rendre impossible la poursuite de cette superposition des droits d’usage (vignette) et des redevances d’usage puisque celle-ci est interdite par la directive Eurovignette. Après des discussions avec la Commission européenne, la Pologne a néanmoins décidé, dans un premier temps, de maintenir sa vignette mais s’est alors trouvée dans l’obligation, pour éviter les « doubles péages », d’assurer elle-même le paiement aux concessionnaires autoroutiers de la circulation des véhicules possédant la vignette sur le réseau concédé. Ce mécanisme permettait aux concessionnaires de récupérer des recettes correspondant à un trafic de poids lourds qui ne subissait pas les effets économiques directs du péage et qui ne cherchaient pas d’itinéraires alternatifs gratuits.

Alors même que le linéaire d’autoroutes concédées en Pologne est modeste (très inférieur au linéaire français), les sommes dues par le Gouvernement aux concessionnaires d’autoroutes ont rapidement atteint le montant total des recettes de la vignette, rendant celle-ci totalement inutile et inefficace.

C’est dans les années 2008 et 2009 que le Gouvernement polonais a décidé de remplacer la vignette par une redevance kilométrique, sur la base d’un système satellitaire. La décision de suppression de la vignette a été prise avec une date d’effet au mois de juillet 2011. Depuis, la vignette est totalement supprimée pour les poids lourds et environ 1 600 kilomètres de voies ont été tarifiées, avec l’aide d’un dispositif similaire au dispositif allemand ou à celui de l’éco-redevance française.

Les fiches - pays ci-après ont été classées par ordre chronologique de mise en œuvre du dispositif étudié.

SUISSE

Nom

RPLP

Réseau taxable

70 000 km

Date de mise en place

Janvier 2001

Poids lourds

> 3,5 tonnes

Une taxe applicable aux poids lourds a été mise en place par la loi fédérale concernant une redevance sur le trafic de poids lourds liée aux prestations du 19 décembre 1997 et l’ordonnance relative à une redevance sur le trafic des poids lourds du 6 mars 2000. La redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) est exigible depuis le 1er janvier 2001 sur l’ensemble du réseau public suisse, soit les routes nationales parmi lesquelles les autoroutes, les routes cantonales ainsi que les routes communales. Elle sert en outre pour le financement des grands projets ferroviaires et contribue au transfert du trafic de marchandises de la route au rail.

L’écotaxe suisse est applicable à l’ensemble du réseau suisse et concerne tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes servant au transport de marchandises ou de personnes, immatriculés en Suisse ou à l’étranger. Elle varie selon la distance parcourue, le poids total et la catégorie d’émission Euro du poids lourd. Son montant varie entre 2,02 et 2,51 centimes d’euro par tonne-kilomètre. Le taux moyen par tonne-kilomètre s’élève à 2,19 centimes d’euros depuis 2008.

La procédure de perception de la redevance – mais pas son calcul – fait la distinction entre les véhicules suisses et étrangers. Les véhicules suisses sont équipés d’un appareil de saisi reçu gratuitement par les détenteurs de véhicules. Couplé au tachygraphe, il détermine les kilomètres parcourus et la position satellite du véhicule. Lorsque le camion sort de Suisse, une radiobalise placée sur la route désactive la fonction de comptage. L’opération inverse s’effectue lors du retour du véhicule en Suisse. Le propriétaire assujetti à la redevance transfère chaque mois les données de l’appareil de saisie sur une carte à puce. L’administration des douanes vérifie alors dans son système électronique la « plausibilité » des données. Une fois contrôlées et, le cas échéant, corrigées, celles-ci constituent la base du calcul de la redevance et de la facturation mensuelle.

Les véhicules étrangers peuvent disposer gratuitement du même système que les véhicules suisses. S’ils ne le souhaitent pas, ils reçoivent dès leur première entrée en Suisse une carte d’identification ad hoc tandis que les données importantes pour la perception de la RPLP sont enregistrées dans le système informatique central. Au passage de la frontière, le chauffeur introduit la carte dans un terminal de traitement et déclare le kilométrage figurant à son compteur kilométrique. La douane vérifie la déclaration par sondage. La redevance doit être payée au plus tard au moment de quitter le territoire suisse, soit au comptant, soit au moyen d’une carte de carburant ou de crédit.

Un certain nombre de véhicules sont exonérés de la redevance, parmi lesquels :

− véhicules militaires, de la police et des services du feu ;

− véhicules de la protection civile et des ambulances ;

− véhicules agricoles dotés d’une plaque de contrôle verte ;

− véhicules servant aux écoles de conduite ;

− véhicules de transport pour forains et cirques ;

− véhicules à chenilles ;

− etc.

Pour le transport de lait, de bétail, et bois, le tarif de la redevance est réduit d’un quart.

Le produit annuel moyen attendu pour la période 2010-2015 a été estimé entre 1,39 milliard d’euros et 1,47 milliard d’euros. Les cantons reçoivent environ un tiers du produit de la redevance, le reste revenant à la confédération.

Pour calculer la redevance, la distance parcourue en Suisse (en kilomètres) est multipliée par le poids maximum admissible du véhicule (en tonnes). Les tonnes-kilomètres ainsi obtenues sont ensuite multipliées par le taux de la redevance, qui lui est fonction de la catégorie d’émissions Euro du véhicule.

Depuis 2012, les valeurs suivantes, calculées en fonction des émissions polluantes des véhicules, sont applicables :

TARIFS KILOMÉTRIQUE PAR TONNE APPLICABLE

(en euros par tonne-kilomètre)

EURO I / II

EURO III

EURO IV / V

EURO VI

0.0251

0.018

0.0185

0.0166

Les détenteurs de véhicules de type Euro 2 et 3 équipés de filtres à particules bénéficient d'un rabais de 10 % sur la RPLP.

AUTRICHE

Nom

GO MAUT

Réseau taxable

2 178 km

Date de mise en place

Janvier 2004

Poids lourds

> 3,5 tonnes

Les poids lourds et autobus de plus de 3,5 tonnes doivent s’acquitter d’un droit de passage supplémentaire sur les autoroutes et voies rapides autrichiennes, sur près de 7 % du réseau national.

La taxe est collectée via un équipement électronique embarqué (GoBox) qui enregistre le passage du poids lourd sous les portiques de collecte. Il s’agit d’un simple boîtier avec deux bandes adhésives, simplement apposé sur le pare-brise du véhicule. À chaque fois qu’un véhicule équipé du boîtier électronique passe sous un des portiques, le boîtier communique par onde courte (ondes DSRC) avec le portique et enregistre le passage du véhicule. Le conducteur est informé par différents signaux sonores que son passage sous un portique a bien été enregistré. Les informations sont ensuite transmises au centre de collecte des données en temps réel. Près de 400 portiques ont été installés pour permettre la couverture du réseau taxable.

Le tarif kilométrique de la taxe est variable en fonction du nombre d’essieux et de la catégorie d’émission Euro du véhicule. Certaines sections sont soumises à des taux plus élevés, tandis que d’autres sont soumises à une majoration nocturne. Ainsi, le taux applicable sur l’autoroute autrichienne A13 est doublé entre 22 heures et 5 heures.

Le gouvernement autrichien a annoncé vouloir doubler les taux kilométriques de l’écotaxe en 2007, mais a fait marche arrière à la suite du refus de Bruxelles : la taxe ne peut couvrir que les coûts de construction, d’exploitation, de maintenance ou de développement du réseau, et ne peut aller au-delà. Les bénéfices de l’écotaxe sont dédiés aux infrastructures routières elles-mêmes.

L’usager peut procéder au paiement de la taxe via deux systèmes distincts :

− l’usager peut prépayer la taxe en créditant avant d’effectuer son trajet son compte : la taxe est prélevée sur l’EEE à chaque passage sous un portique ;

− l’usager paye la taxe à une date ultérieure de son choix : la taxe due est enregistrée par le centre de collecte des données pour une facturation ultérieure.

L’EEE est obligatoire dans tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Il est mis à disposition gratuitement par la société publique gestionnaire (ASFINAG). Le nombre d’essieux doit être paramétré manuellement par l’usager, tandis que les autres informations sont enregistrées par le gestionnaire.

Les systèmes de contrôles automatiques sont assurés par des équipements fixes ou mobiles. Les contrôles automatiques fixes sont effectués par des caméras de surveillance disposées sur des portiques de contrôle, tandis que les contrôles automatiques mobiles sont effectués par des bornes mobiles. Si le contrôle fait apparaître une irrégularité, une photographie du véhicule est transmise au centre de contrôle qui effectue une vérification manuelle. Ce dernier transmet l’information aux officiers publics en charge d’assurer l’application de la taxe, ou envoie un avis de paiement forfaitaire à l’usager si ce dernier est enregistré dans la base de données.

Des contrôles manuels sont également effectués par des officiers publics. La loi fédérale donne aux agents assermentés du service de surveillance et de contrôle du péage (SKD), qui n’ont pas la qualité d’officiers de police, les prérogatives nécessaires pour assurer la collecte effective du péage (possibilité d’immobiliser et d’arrêter les véhicules, de verbaliser les infractions constatées, etc.).

Les recettes des péages versées à l’ASFINAG se sont élevées pour 2013 à 1,13 milliard d’euros. Le produit est destiné à la construction d’infrastructures routières, à leur entretien, gestion et sécurité.

Site Internet : http://www.go-maut.at/en/startseite (en anglais)

TARIFS KILOMÉTRIQUES APPLICABLES – AUTRICHE

(en euros par kilomètre)

EURO I / II / III

EURO IV / EURO V

EURO EEV

EURO VI

2 essieux

3 essieux

4 essieux ou plus

2 essieux

3 essieux

4 essieux ou plus

2 essieux

3 essieux

4 essieux ou plus

2 essieux

3 essieux

4 essieux ou plus

0.208

0.291

0.437

0.185

0.259

0.389

0.167

0.234

0.351

0.162

0.227

0.340


CARTE DU RÉSEAU TAXABLE


ALLEMAGNE

Nom

LKW Maut

Réseau taxable

13 335 km

(sur un réseau routier total de 231 000 km)

Date de mise en place

Janvier 2005

Poids lourds

> 12 tonnes

CARACTÉRISTIQUES ET FONCTIONNEMENT DU DISPOSITIF

Depuis le 1er janvier 2005, l’Allemagne applique la LKW Maut, une taxation de la circulation des camions de plus de 12 tonnes empruntant les autoroutes fédérales. Depuis le 1er août 2012, certaines sections de routes fédérales à quatre voies sont devenues payantes, allongeant ainsi le réseau à péage de 1 135 kilomètres.

TARIFS KILOMÉTRIQUES APPLICABLES – ALLEMAGNE

(en euros par kilomètre)

EURO I / II / III

EURO II + PMK / EURO III

EURO III + PMK / EURO IV

EURO V / EEV / VI

3 essieux ou moins

4 essieux ou plus

3 essieux ou moins

4 essieux ou plus

3 essieux ou moins

4 essieux ou plus

3 essieux ou moins

4 essieux ou plus

0.274

0.288

0.190

0.204

0.169

0.183

0.141

0.155

Le sigle PMK désigne les véhicules équipés d’un dispositif de réduction des particules.

Les poids lourds concernés

Les poids lourds sont taxés en fonction du kilométrage parcouru mais aussi en fonction du nombre d’essieux et de la classe Euro émission. Le mode de tarification avantage sensiblement les poids lourds peu polluants et ceux ayant été équipés d’un système de réduction des particules, au détriment des véhicules ayant des rejets polluants plus élevés.

En avril 2012, 944 605 poids lourds de plus de 12 tonnes étaient enregistrés : 453 249 poids lourds allemands et 491 356 étrangers (dont 34 437 français).

L’article 1 de la loi relative au péage sur les voies de communication nationales (Bundesfernstrassenmautgesetz, BFStrMG) prévoit l’exonération de certains véhicules ou ensembles de véhicules :

− véhicules de transport en commun ;

− véhicules militaires ;

− véhicules de police ;

− véhicules de la protection et de la sécurité civile ;

− véhicules utilisés par les organisations d’utilité publique ou caritatives pour le transport d’aide humanitaire destinée à secourir les personnes en détresse ;

− véhicules de pompiers ;

− véhicules de l’État fédéral ;

− véhicules servant exclusivement à l’entretien et à l’exploitation des routes, y compris aux travaux de voirie et de viabilité hivernale ;

− véhicules servant aux activités foraines et aux professionnels du cirque ;

− véhicules qui ne sont ni exclusivement destinés au transport routier de marchandises ni employés à cet usage.

Les véhicules de transport en commun et les véhicules militaires sont détectés automatiquement par le système de péage. Les détenteurs des autres véhicules exonérés du péage ont la possibilité de les inscrire auprès de Toll Collect afin d’éviter les arrêts, contrôles et procédures de recouvrement inutiles. L’inscription n’est possible que si le véhicule répond de manière permanente et non seulement temporaire aux critères d’exonération durant la période d’inscription choisie.

Le consortium Toll Collect

Le consortium regroupe pour 45 % Deutsche Telekom, pour 45 % Daimler et pour 10 % Cofiroute. Toll Collect a mis en place et gère le système, reverse les recettes à l’État et distribue un bénéfice à ses actionnaires qui investissent dans le système.

Site Internet : http://www.toll-collect.de/fr/home.html (en français)

Le dispositif a soulevé de très nombreux débats en Allemagne, et a amené un recours contentieux du Gouvernement fédéral contre le consortium pour retard dans la livraison du système (ce contentieux est en cours).

Le système conçu par Toll Collect offre à l’utilisateur deux types de recouvrement :

1. L’enregistrement automatique par appareil embarqué (90 %). La taxe est collectée grâce à l’utilisation d’un équipement électronique embarqué (EEE) qui permet la localisation satellitaire en temps réel des poids lourds soumis à l’écotaxe. Sur la base des signaux GPS reçus par satellite et des informations fournies par les autres capteurs de localisation, l’appareil détecte les tronçons à péage empruntés, calcule la redevance à payer, puis transmet ces données par téléphonie mobile au service de facturation de Toll Collect.

Pour faciliter le calcul de la position par GPS dans l’appareil de bord, Toll Collect a également recours à 50 balises d’assistance placées à tous les endroits critiques, notamment là où une voie non payante passe parallèlement à une voie payante. Ces balises transmettent des données de position supplémentaires à l’appareil embarqué afin de renforcer la précision de la localisation. Des modèles mobiles sont également employés lorsque des travaux provoquent des perturbations sur la chaussée.

Les poids lourds faisant le choix de l’équipement électronique embarqué (EEE) doivent s’inscrire auprès de Toll Collect, qui remet alors une carte électronique au conducteur dans laquelle sont mémorisées les principales informations concernant le véhicule. Muni de cette carte, l’usager doit contacter un partenaire de service agréé par Toll Collect pour faire installer l’EEE qui est fourni gratuitement et reste la propriété de Toll Collect. En revanche, l’usager prend à sa charge le coût d’installation de l’appareil.

2. L’enregistrement manuel au terminal de péage ou par Internet (10 %). Un système d’enregistrement manuel au terminal, par paiement à des bornes automatiques (9 %), et un système d’enregistrement manuel en ligne, avec réservation du trajet sur Internet (1 %), sont également disponibles. Il est alors possible d’enregistrer a priori son trajet à l’un des quelque 3 500 terminaux disponibles ou par Internet. L’utilisateur rentre manuellement la date, l’heure, le point de départ ainsi que la destination de son trajet. Le système calcule l’itinéraire le plus court sur le réseau à péage et la taxe applicable, et remet au conducteur un ticket d’enregistrement l’autorisant à utiliser le réseau taxable.

L’autorité responsable du contrôle du système de péage est l’Office fédéral du transport de marchandises (BAG, Bundesamt für Güterverkehr). Le système de contrôle comprend deux grands types de procédure :

− un système de contrôles automatiques : 300 portiques fixes enregistrent par capteurs infrarouge les poids lourds en circulation. Les données sont analysées et comparées avec celles de la centrale de contrôle. Parallèlement, le système peut transmettre les données des usagers suspectés de fraude à un fonctionnaire du BAG se trouvant sur un parking proche afin qu’il arrête et vérifie le camion ;

− un système de contrôles mobiles : environ 300 équipes mobiles du BAG opèrent 24 heures sur 24 pour constater et sanctionner les infractions.

Le BAG effectue également des visites par sondages chez les transitaires et les entreprises de transport.

LA VENTILATION DE LA RECETTE ET LES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT :

Avec une moyenne de 17 centimes du kilomètre, cette taxe a rapporté à l’État 4,5 milliards d’euros en 2013, avec un taux de collecte qui a atteint
99,9 % :

− 74 % de cette somme sont utilisés pour le financement des infrastructures de transports, en étant versés à la Société fédérale de financement des infrastructures (VIFG), l’équivalent de l’AFITF française.

− 12 % pour le financement des mesures de compensation,

− et 14 % (630 millions d’euros) pour la rémunération du prestataire.

Le Gouvernement fédéral a défini des mesures d’accompagnement pour les transporteurs routiers à la suite de la mise en place de la LKW Maut en 2005, par l’intermédiaire de l’Agence fédérale pour le transport de marchandises (BAG). Ce programme de soutien ambitieux a été bien accueilli par les professionnels. Ces mesures s’élèvent actuellement à près de 550 millions d’euros par an :

− diminution de la fiscalité sur les poids lourds (150 millions d’euros) ;

− modernisation des flottes de poids lourds (16 millions d’euros) ;

− programme de soutien pour la formation professionnelle (85 millions d’euros) ;

− subventions des petits investissements visant à améliorer la sécurité ou les performances environnementales des transporteurs (293 millions d’euros).

Le programme de modernisation de la flotte de poids lourds a prévu des subventions directes au bénéfice des transporteurs pour l’achat de véhicules dont les normes environnementales sont supérieurs à l’obligation légale (3 850 euros par véhicule pour les grandes entreprises et atteignent 6 050 euros par véhicule pour les plus petites).

Les entreprises doivent remplir des conditions assez strictes, posséder leur siège en Allemagne et des véhicules immatriculés en Allemagne. Les dossiers ne sont pas systématiquement retenus, le BAG gère les procédures de sélection.

L’ensemble des mesures est financé directement par les recettes de la taxe poids lourds.

ÉLEMENTS D’ÉVALUATION

Selon une étude de Toll Collect citée par le Comité national routier dans son rapport « Le transport routier de marchandises allemand » (2013), l’instauration de la LKW Maut aurait eu un impact positif sur les émissions de polluants par les poids lourds, grâce aux incitations tarifaires pour les classes Euro les plus performantes. Le rapport du CNR considère qu’il est cependant difficile de dissocier l’effet direct de ces péages sur l’évolution du parc de l’effet de renouvellement standard.

S’agissant de la répartition des redevables par nationalité, selon les statistiques publiées par le gouvernement fédéral, en 2013 plus de 80 % du produit de la taxe ont été perçus sur des transporteurs allemands – et donc moins de 20 % sur des redevables étrangers (4,5 % auprès de transporteurs polonais, 3,1 % néerlandais, 1,9 % tchèques, 1 % roumains, 1 % hongrois, 0,9 % autrichiens, 0,9 % slovaques, 4,4 % pour l’ensemble des autres nationalités de l’Union européenne, et 1 % de ressortissants de pays tiers).

ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES DU DISPOSITIF

Le contrat entre l’État fédéral et Toll Collect doit être renégocié en 2015. Les débats actuels en Allemagne à propos de la LKW Maut s’orientent dans trois directions :

− L’élargissement du réseau taxable : les ministres chargés du transport dans les 16 Länder ont décidé en octobre 2013 d’étudier la possibilité d’étendre cette taxe aux 40 000 kilomètres de routes nationales du pays (« Bundesstrassen »). Dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung du 9 avril 2014, le ministre fédéral des Transports, M. Alexander Dobrindt, a annoncé l’extension du champ de la LKW Maut aux nouvelles routes nationales à quatre voies au 1er juillet 2015, et à la totalité des routes nationales au 1er juillet 2018. L’extension à l’ensemble des routes nationales devrait permettre d’augmenter de 2 milliards d’euros le produit annuel de la LKW-Maut.

− L’abaissement du seuil de tonnage : dans le même entretien, M. Dobrindt a également annoncé que la LKW-Maut sera étendue à tous les poids lourds à partir de 7,5 tonnes au 1er octobre 2015.

− L’interopérabilité dans l’espace européen, puisque le dispositif modernisé devra respecter les exigences de la directive « Interopérabilité » (qui n’était pas en vigueur au moment de l’instauration de la LKW Maut) ; un dispositif partiel d’interopérabilité existe déjà entre les systèmes allemand et autrichien.

RÉPUBLIQUE TCHEQUE

Nom

MYTO CZ

Réseau taxable

2 000 km

Date de mise en place

Janvier 2007 / 2010

Poids lourds

> 3,5 tonnes

La République Tchèque ne dispose pas d’une véritable fiscalité « verte ». Les péages distinguent deux cas de figure :

− les véhicules particuliers de moins de 3,5 tonnes, dont la circulation est conditionnée à l’achat d’une vignette ;

− les véhicules de transport de marchandises ou de personnes de plus de 3,5 tonnes qui se voient appliquer depuis 2010 une « écotaxe » sur les voies rapides, les autoroutes et certaines routes nationales. Avant cette date, seuls les véhicules de plus de 12 tonnes étaient assujettis à la taxe.

Le tarif kilométrique de la taxe varie de 0,79 à 11,76 couronnes du kilomètre, soit de 4 à 43 centimes d'euro, selon le lieu et l’horaire. Il est variable en fonction du nombre d’essieux, de la catégorie d’émission Euro et des routes empruntées. Pour tenir compte de la congestion du trafic routier, la taxe kilométrique est majorée chaque vendredi entre 15 heures et 21 heures sur certains axes.

La taxe est collectée électroniquement via 178 portiques qui balisent les routes du pays avec lesquels communiquent des boîtiers embarqués dans les véhicules concernés. La taxe est acquittée de deux manières : soit par prépaiement de l’équipement embarqué avant utilisation du réseau taxable, soit par un système de paiement après utilisation du réseau taxable si l’utilisateur est abonné.

Les contrôles sont effectués par des portiques fixes, des stations mobiles et les forces de la Direction générale des douanes Tchèque.

Site Internet : http://www.mytocz.eu/en/index.html (en anglais)

CARTE DU RÉSEAU TAXABLE

TARIFS KILOMÉTRIQUES APPLICABLES – RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Tarifs poids lourds sur autoroutes (euros / km)

Le Vendredi de 15h00 à 21h00

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / EEV / VI

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

0.15

0.30

0.43

0.12

0.23

0.34

0.08

0.15

0.21

Reste de la semaine

0.12

0.21

0.30

0.10

0.16

0.23

0.06

0.10

0.15

Tarifs poids lourds sur routes (euros / km)

Le Vendredi de 15h00 à 21h00

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / EEV / VI

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

2 essieux

3 essieux

4 et + essieux

0.07

0.14

0.20

0.06

0.11

0.16

0.04

0.07

0.10

Reste de la semaine

0.06

0.10

0.14

0.04

0.08

0.11

0.03

0.05

0.07

Tarifs bus sur autoroutes et routes (euros / km)

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / EEV / VI

0.05

0.04

0.03

SLOVAQUIE

Nom

Myto

Réseau taxable

17 770 km

Date de mise en place

Janvier 2010

Poids lourds

> 3,5 tonnes

Le système de télépéage électronique était initialement applicable sur 1 957 kilomètres dont 391 kilomètres d’autoroutes, 181 kilomètres de voies expresses et 1 385 kilomètres de routes. Depuis le 1er janvier 2014, le réseau taxable a été étendu à 17 770 km comprenant notamment 660 km d’autoroutes et de voies expresses et 3 630 km de routes nationales.

Sur ces 17 770 km, seuls 3 279 km font l’objet d’une taxation, les taux applicables sur le reste du réseau étant nuls. Les routes payantes ne représentent environ 18 % du réseau couvert par le système, bien que l’équipement électronique embarqué soit obligatoire pour les véhicules assujettis sur tout le réseau. L’État entend ainsi analyser les éventuels effets de report de trafic vers les routes gratuites. Le cas échéant, les tronçons de routes les plus utilisés pourraient devenir payants.

La taxe est applicable aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes et aux autobus. Les véhicules du ministère de l’intérieur, de l’armée, des douanes, et d’urgence sont exonérés du paiement du péage. Les tarifs applicables sont fonction de la catégorie de véhicule, du nombre d’essieux et de la classe d’émission Euro du véhicule pour atteindre une moyenne de 16 centimes par kilomètres.

Un décret de décembre 2013 a introduit des abattements en fonctions du nombre de kilomètres parcourus qui bénéficie principalement aux grands transporteurs :

Distance parcourue durant une année civile (km)

Réduction du prix pour les différentes catégories (%)

< 12 tonnes

> 12 tonnes

> 5 000 km

3 %

0 %

> 10 000 km

5 %

3 %

> 20 000 km

7 %

5 %

> 30 000 km

9 %

7 %

> 50 000 km

11 %

9 %

Le système de péage électronique utilise la technologie satellite GPS-GSM pour la collecte du péage. Les véhicules sont dotés d’un équipement électronique embarqué (EEE) intégrant trois technologies : technologie GPS satellite ; GSM/GPRS technologie pour la communication au sein des réseaux mobiles et les transferts de données ; technologie microondes DSCR pour la communication à courte distance qui permet le contrôle des équipements par les portiques.

L’enregistrement auprès de Sky Toll – la société en charge de mettre en place le dispositif – et l’installation de l’EEE est obligatoire pour les usagers souhaitant utiliser le réseau taxable. Le système choisi est entièrement interopérable et en conformité avec les obligations européennes dans ce domaine.

La taxe est acquittée de deux manières : soit par prépaiement de l’équipement électronique embarqué avant utilisation du réseau taxable, soit par un système de paiement après utilisation du réseau taxable sur facture si l’utilisateur est abonné et a déposé une garantie bancaire. La première forme de paiement est utilisée par 66 % des usagers. Deux facteurs expliquent cet état de fait : d’abord, la Slovaquie est essentiellement un pays de transit ; ensuite, le paiement sur facture nécessite des installations fixes des EEE dont le coût est estimé à 120 euros, ainsi que le dépôt d’une garantie bancaire estimée à 600 euros.

Pour le paiement sur facture, les EEE sont installés de manière fixe ; pour les prépaiements, ils sont branchés sur l’allume-cigare.

Le contrôle du trafic est assuré par 46 portiques et 30 voitures de la police des péages gérées mutuellement par Sky Toll et par la police slovaque. Ces véhicules sont équipés de moyens de détection et de contrôle des EEE.

La Compagnie nationale des autoroutes, société publique, est chargée de la perception, tandis que la société privée Sky Toll assure la collecte de la taxe. Les recettes sont affectées à l’entretien et à la construction des autoroutes. En 2012, les recettes collectées par l’opérateur Sky Toll s’élevaient à 155 millions d’euros.

Le dispositif a fait l’objet d’une vive contestation de la part des transporteurs routiers. Ainsi, le Gouvernement a adopté :

− une baisse des droits d’accise sur le gasoil ;

− un redécoupage des tronçons de 800 à 1 000 pour rapprocher la facturation kilométrique à la distance effectivement parcourue ;

− une baisse des sanctions liées aux infractions de télépéage ;

− une signalisation systématique des tronçons payants ;

− un report des paiements jusqu’au 1er mars 2010.

Site Internet : http://www.skytoll.sk/index-en.html (en anglais)

TARIFS KILOMÉTRIQUES APPLICABLES – SLOVAQUIE

Redevance poids lourds pour autoroutes, voies expresses et certaines routes nationales (euros / km)

Catégorie de véhicule

Classe d’émission

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / VI / EEV

3,5 t – 12 t

0.103

0.093

0.080

> 12 t

2 essieux

0.222

0.201

0.172

3 essieux

0.234

0.212

0.181

4 essieux

0.243

0.220

0.188

5 essieux

0.234

0.212

0.181

Redevance bus pour autoroutes et voies expresses (euros / km)

Catégorie de véhicule

Classe d’émission

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / VI / EEV

3,5 t – 12 t

0.060

0.050

0.030

> 12 t

0.110

0.100

0.060

Redevance poids lourds pour certaines routes nationales (euros / km)

Catégorie de véhicule

Classe d’émission

EURO 0 / I / II

EURO III / IV

EURO V / VI / EEV

3,5 t – 12 t

0.080

0.072

0.062

> 12 t

2 essieux

0.172

0.156

0.133

3 essieux

0.181

0.164

0.140

4 essieux

0.185

0.167

0.143

5 essieux

0.181

0.164

0.140

CARTE DU RÉSEAU TAXABLE



POLOGNE

Nom

Via TOLL

Réseau taxable

2 690 km

Date de mise en place

Juillet 2011

Poids lourds

> 3,5 tonnes

Au début des années 1990, la Pologne a lancé un programme national de constructions d’autoroutes, avec attribution, à partir de 1995, de contrats de concession à quatre sociétés concessionnaires pour construire et exploiter les nouveaux axes autoroutiers. Outre les péages perçus sur les autoroutes au titre de ces concessions, les poids lourds polonais et étrangers ont été soumis, sur la base d’une loi de 2001, au paiement d’un droit d’usage (vignette) pour l’utilisation du réseau routier.

Du fait de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne en 2004, les dispositions de la directive « Eurovignette » devenant applicables à cet État, il est devenu juridiquement impossible de maintenir la superposition de la vignette et des redevances d’usage.

Après des discussions avec la Commission européenne, l’État polonais a décidé, dans un premier temps, de maintenir sa vignette, mais s’est vu alors dans l’obligation, pour éviter l’application de « doubles prélèvements » sur les autoroutes, d’assurer lui-même le paiement aux concessionnaires autoroutiers des péages correspondant à la circulation des véhicules possédant la vignette.

Les sommes ainsi dues par l’État aux concessionnaires ayant rapidement atteint le montant total des recettes de la vignette, celle-ci a été rendue totalement inutile et inefficace. Le Gouvernement polonais a donc décidé de supprimer la vignette poids lourds, avec effet en juillet 2011, et de la remplacer par une redevance kilométrique.

Depuis juillet 2011, les véhicules de transport de marchandises ou de personnes de plus de 3,5 tonnes se voient effectivement appliquer une écotaxe sur 2 690 kilomètres de routes nationales, voies rapides et autoroutes gérées par la Direction générale des routes nationales et autoroutes.

Si la taxe ne touchait initialement que 1 500 kilomètres de route, l’objectif est à terme d’inclure les 7 000 kilomètres de routes du réseau national et éventuellement les voies secondaires susceptibles de subir un report significatif de trafic.

Le tarif kilométrique de la taxe varie de 16 à 53 centimes d'euro, selon le poids total et la catégorie d’émission Euro du véhicule.

La taxe est collectée via un équipement électronique embarqué (viaBox) qui enregistre le passage du poids lourd sous les 700 portiques de collecte et de contrôle. À chaque fois qu’un véhicule équipé du boîtier électronique passe sous un des portiques, le conducteur se voit appliquer la taxe en fonction de la section particulière qu’il vient de franchir.

Les utilisateurs du système viaToll doivent s’inscrire via Internet auprès de Kapsch Telematic Services, opérateur du viaToll. Après l’enregistrement via Internet, l’utilisateur doit signer un contrat et récupérer la viaBox dans un point de distribution ou dans un centre clients.

En cas de prépaiement, le péage est déduit du solde du compte de l’utilisateur crée lors de l’enregistrement en ligne. La viaBox doit être rechargée avant que le montant prépayé ne soit complètement consommé. En cas de post paiement, la taxe électronique est payée à la fin de la période d’imposition sur la base d’une note de débit.

Les contrôles sont assurés par des portiques fixes ou par des bornes mobiles. Ces derniers vérifient que l’équipement électronique embarqué est correctement installé et que le péage a bien été payé par l’usager. En cas de fraude détectée, et après vérification par le centre de contrôle, une unité de contrôle mobile des inspecteurs du service routier est envoyée afin d’immobiliser le véhicule et d’engager les poursuites administratives nécessaires. Actuellement, l’Inspectorat général du transport routier dispose à cette fin de 94 équipes mobiles disposant également d’appareils de contrôle mobiles pouvant être monté sur les portiques.

L’intégralité des recettes sont attribuées au Fonds national pour la route et sont dépensées pour des investissements en faveur du développement du réseau routier et la modernisation du réseau existant. Après plus de deux ans de fonctionnement, le total des recettes provenant du système atteint près de 550 millions d’euros. Les recettes pour 2013 devraient atteindre 250 millions d’euros.

La taxe a eu pour conséquence une diminution du nombre de poids lourds fortement polluants. Toutefois, cet effet reste limité en raison d’une modulation en fonction des normes Euro d’émission trop faible pour se révéler suffisamment incitatif. On observe également un report important du trafic sur les routes local qui a augmenté sur la période de près de 30 %. Les autorités locales concernées se plaignent de la détérioration des routes, du bruit et de l’augmentation du nombre d’accidents sur les routes locales.

Site Internet : http://www.viatoll.pl/en/heavy-vehicles/news (en anglais)

TARIFS KILOMÉTRIQUES APPLICABLES EN POLOGNE

Tarifs poids lourds sur routes nationales de catégories A et S (euros / km)

EURO I / II

EURO III

EURO IV

EURO V / EEV / VI

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

0.40

0.53

0.40

0.35

0.46

0.35

0.28

0.37

0.28

0.20

0.27

0.20

Tarifs poids lourds sur routes nationales de catégories GP et G (euros / km)

EURO I / II

EURO III

EURO IV

EURO V / EEV / VI

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

> 3,5 t

< 12 t

> 12 t

Bus

0.32

0.42

0.32

0.28

0.37

0.28

0.22

0.29

0.22

0.16

0.21

0.16

Les routes de catégories A désignent les autoroutes, celles de catégories S les voies expresses, tandis que celles de catégories GP et G désignent d’autres routes nationales de moindre importance.

CARTE DU RÉSEAU TAXABLE


ROYAUME-UNI

Nom

HGV Road User Levy

Réseau taxable

Totalité

Date de mise en place

1er avril 2014

Poids lourds

> 12 tonnes

Au 1er avril 2014, est entrée en vigueur au Royaume-Uni une vignette
heavy goods vehicle (HGV) road user levy – s’appliquant à tous les poids lourds d’une masse maximale autorisée supérieure à 12 tonnes. Son tarif varie selon la masse maximale autorisée et le nombre d’essieux. Par exemple : le montant pour un camion de 40 tonnes avec 5 essieux s’élèvera à 10 livres sterling par jour ou 1 000 livres par an. La loi de 2013 dispose que cette vignette doit être acquittée pour l’utilisation de la totalité du réseau routier britannique dont l’entretien est financé sur des fonds publics (public roads) – même si elle prévoit la possibilité pour le Gouvernement d’exclure certaines routes ou catégories de routes.

Peu de catégories de véhicules sont exonérées (véhicules militaires, véhicules des auto-écoles, véhicules forains). Le dispositif devrait concerner 260 000 poids lourds immatriculés au Royaume-Uni et 130 000 poids lourds étrangers. La recette nette attendue reste modeste. En année pleine, elle est estimée, selon l’étude d’impact, entre 18,7 et 23,2 millions de livres sterling (entre 22,6 et 28 millions d’euros).

Le tarif ne dépend pas du nombre de kilomètres parcourus mais se fonde sur une durée donnée (tarifs journaliers, hebdomadaires, mensuels et annuels pour les véhicules étrangers, auxquels s’ajoutent des tarifs semestriels pour les véhicules britanniques). D’autre part, bien que cette taxe s’inscrive dans le cadre européen de la directive « Eurovignette », il ne s’agit pas d’une mise en œuvre du principe « pollueur-payeur », le barème n’intégrant pas la classe Euro des véhicules comme critère de tarification.

Le paiement de cette vignette ne dispense pas de payer le péage existant (sur une seule autoroute britannique) ou le péage urbain de Londres). Ce point est susceptible de poser problème au niveau européen, la Commission européenne ne s’est pas encore prononcée sur le système.

Pour les véhicules routiers britanniques, cette « eurovignette » est compensée par une baisse équivalente de la fiscalité nationale applicable au secteur routier des poids lourds, le Vehicle Excise Duty (VED). Ainsi, le Gouvernement britannique affirme que plus de 90 % des opérateurs nationaux ne verront pas leur fiscalité augmenter.

Il convient de noter que, selon l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi, 94 % des kilomètres effectués par des poids lourds de plus de 12 tonnes sont le fait de véhicules immatriculés au Royaume-Uni.

Les véhicules routiers immatriculés en dehors du Royaume-Uni devront s’acquitter de la taxe avant d’entrer sur le territoire britannique et avant toute utilisation de son réseau routier au moyen du téléphone, des terminaux ou de l’Internet. Payer ce droit d’usage donnera accès au réseau britannique routier pour une durée comprise entre un jour et un an. Les opérateurs étrangers pourront de cette manière choisir la durée qui conviendra le mieux à leur besoin.

La gestion et la perception de la taxe pour les redevables britanniques relève de l’administration qui gère et perçoit le VED, les deux taxes étant prélevées en même temps. En revanche, la création et la gestion du système de paiement pour les redevables étrangers ont été confiées par contrat à un partenaire privé, la société Northgate Public Services.

Aucun signe visible ne permettra de s’assurer qu’un poids lourd s’est correctement acquitté du droit d’usage. Les usagers ayant payé seront enregistrés dans une base de données que toute personne pourra consulter – cette dernière étant accessible par Internet.

BELGIQUE

Nom

VIAPASS

Réseau taxable

 

Date de mise en place

2016 (prévision)

Poids lourds

> 3,5 tonnes

Après plusieurs années de concertation politique, les trois entités fédérées ont débloqué en 2013 le dossier de l’instauration d’une nouvelle taxe kilométrique poids lourds en lieu et place de l’actuelle vignette. Dès 2016, la taxe poids lourds sera basée sur un système lié au nombre de kilomètres parcourus, mesuré par voie satellitaire. Pour respecter l’échéance de 2016, la sélection du prestataire de service doit avoir lieu d’ici l’été 2014.

À partir de 2016, tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes paieront une redevance kilométrique. En attendant, seuls les propriétaires de poids lourds dont la masse maximale autorisée (MMA) est de plus de 12 tonnes doivent s’acquitter d’une Eurovignette pour pouvoir utiliser les autoroutes et voies rapides dans le pays. Cette Eurovignette varie entre 750 euros et 1 550 euros par an, en fonction de la classe d’émission Euro et du nombre d’essieux du véhicule. Un tarif forfaitaire de 8 euros par jour est également disponible. La Belgique abandonnera son Eurovignette dès que le système de tarification kilométrique sera opérationnel, mais conservera l’Eurovignette pour les véhicules légers.

Toutes les routes seront soumises d'emblée au prélèvement kilométrique, mais un tarif nul sera établi pour une partie des voies. Viapass s’appliquera néanmoins au minimum sur le réseau sur lequel l’Eurovignette est actuellement applicable. Il s'agit essentiellement des autoroutes, des voiries ceinturant les villes principales et de quelques routes principales importantes. Les Régions pourront inclure d'autres voiries dans ce réseau soumis au péage afin d'éviter des détournements du trafic vers le réseau non taxé.

Le tarif applicable sera variable en fonction du nombre d’essieux, de la catégorie d’émission Euro du poids lourds et de la congestion du trafic. Pour l’heure, les tarifs ne sont pas encore déterminés.

Certaines catégories de véhicules d’intérêt public seront exonérées, tels que les véhicules des services d’incendies et de la protection civile. Bien que les tarifs au kilomètre puissent varier d’une région à l’autre, il n’est toutefois pas prévu d’abattement spécifique par région.

Le système utilisé fonctionnera via la technologie satellitaire, par lequel l’équipement électronique embarqué (EEE) enregistrera la distance parcourue par le véhicule ainsi que l'itinéraire emprunté. Le nombre de kilomètres parcourus sera transmis à un centre de traitement des données par une technologie sans fil utilisant le réseau de téléphonie mobile. S’agissant du contrôle, il est également prévu des installations de contrôle fixes et mobiles. Toutefois, cette mission de contrôle n’est pas confiée au prestataire mais à des services régionaux spécialement créés pour cette mission : des fonctionnaires régionaux seront chargés du contrôle de l’application de la législation et procéderont à des contrôles physiques le long des routes.

En octobre 2013, les régions ont sélectionné cinq candidats qui soumettront une offre de contrat de développement et de gestion du futur système Viapass. Les groupes français participent à 4 consortiums candidats sur 5, tandis qu’Autostrade, actionnaire majoritaire de la société Ecomouv’ en France, est également candidat pour l’appel d’offre à travers le consortium Traxia.

Les recettes reviendront aux trois régions au prorata du nombre de kilomètres parcourus. Une étude récente évalue la recette globale pour les trois régions belges à près de 1 milliard d’euros par an, alors que l’actuelle eurovignette de rapporte que 120 millions d’euros par an.

ANNEXE 2 – RÉSEAU SOUMIS À L’ÉCO-REDEVANCE OU À PÉAGE PAR DÉPARTEMENT EN KILOMÈTRES

DÉPARTEMENT

RÉSEAU CONCÉDÉ

RÉSEAU LOCAL ÉCOTAXÉ

RÉSEAU NATIONAL EXONÉRÉ

RÉSEAU NATIONAL ÉCOTAXÉ

AIN

226

153

   

AISNE

171

148

 

165

ALLIER

98

113

 

211

ALPES DE H.- PROVENCE

67

 

106

 

HAUTES ALPES

30

 

98

53

ALPES MARITIMES

75

     

ARDECHE

   

41

47

ARDENNES

     

125

ARIEGE

15

16

 

83

AUBE

153

176

 

33

AUDE

155

46

   

AVEYRON

11

   

145

BOUCHES DU RHONE

203

43

 

211

CALVADOS

91

65

 

168

CANTAL

   

132

55

CHARENTE

 

49

 

228

CHARENTE MARITIME

135

77

34

96

CHER

101

84

50

57

CORREZE

112

36

 

66

COTE D'OR

259

112

 

56

COTES D'ARMOR

   

88

166

CREUSE

     

93

DORDOGNE

110

   

128

DOUBS

99

20

87

42

DROME

136

   

143

EURE

168

169

 

110

EURE ET LOIR

131

331

 

161

FINISTERE

   

43

183

GARD

96

73

30

107

HAUTE GARONNE

188

6

21

113

GERS

   

83

161

GIRONDE

148

43

30

164

HERAULT

106

85

 

124

ILLE ET VILAINE

   

18

295

INDRE

     

133

INDRE ET LOIRE

180

   

9

ISERE

240

68

 

118

JURA

94

106

67

31

LANDES

226

136

46

 

LOIR ET CHER

176

11

 

51

LOIRE

101

84

 

132

HAUTE LOIRE

 

26

 

182

LOIRE ATLANTIQUE

75

21

29

221

LOIRET

272

194

8

 

LOT

93

 

16

 

LOT ET GARONNE

85

30

 

92

LOZERE

   

67

153

MAINE ET LOIRE

191

 

1

36

MANCHE

   

49

145

MARNE

173

138

 

197

HAUTE MARNE

109

31

 

145

MAYENNE

55

52

 

151

MEURTHE ET MOSELLE

37

57

 

219

MEUSE

59

   

83

MORBIHAN

     

242

MOSELLE

105

65

 

207

NIEVRE

17

56

60

96

NORD

36

   

361

OISE

135

97

 

164

ORNE

114

68

 

82

PAS DE CALAIS

242

21

 

199

PUY DE DOME

170

76

 

54

PYRENEES ATLANTIQUES

180

   

95

HAUTES PYRENEES

58

 

14

35

PYRENEES ORIENTALES

53

52

99

20

BAS RHIN

71

75

 

156

HAUT RHIN

9

70

 

153

RHONE

147

79

 

114

HAUTE SAONE

 

154

23

156

SAONE ET LOIRE

121

151

 

149

SARTHE

253

227

   

SAVOIE

165

 

48

37

HAUTE SAVOIE

200

     

VILLE DE PARIS

 

70

 

3

SEINE MARITIME

131

288

 

205

SEINE ET MARNE

160

147

 

232

YVELINES

76

65

 

152

DEUX SÈVRES

93

86

 

102

SOMME

249

172

 

73

TARN

   

44

95

TARN ET GARONNE

115

28

   

VAR

173

   

19

VAUCLUSE

55

18

 

45

VENDEE

163

8

   

VIENNE

80

   

149

HAUTE VIENNE

 

12

 

257

VOSGES

62

22

 

143

YONNE

181

177

34

50

TERRITOIRE DE BELFORT

38

13

10

22

ESSONNE

19

81

 

130

HAUTS DE SEINE

 

28

 

54

SEINE SAINT DENIS

 

12

 

63

VAL DE MARNE

 

51

 

105

VAL D'OISE

12

66

 

99

TOTAL

8 935

5 331

1 477

10 203

ANNEXE 3 – RÉSEAU SOUMIS À L’ÉCO-REDEVANCE OU À PÉAGE PAR RÉGION EN KILOMÈTRES

Région

Réseau local taxé

RRN taxé

Réseau éco-redevance

Réseau concédé

Réseau soumis à un péage

RRN exonéré

Ile-de-France

520

838

1 358

267

1 625

 

Champagne Ardenne

345

500

845

435

1 280

 

Picardie

417

402

819

555

1 374

 

Haute-Normandie

457

315

772

299

1 071

 

Centre

620

411

1 031

860

1 891

58

Basse-Normandie

133

395

528

205

733

49

Bourgogne

496

351

847

578

1 425

94

Nord-Pas-de-Calais

21

560

581

278

859

 

Lorraine

144

652

796

263

1 059

 

Alsace

145

309

454

80

534

 

Franche-Comté

293

251

544

231

775

187

Pays de Loire

308

408

716

737

1 453

30

Bretagne

 

886

886

 

886

149

Poitou-Charentes

212

575

787

308

1 095

34

Aquitaine

209

479

688

749

1 437

76

Midi-Pyrénées

50

632

682

480

1 162

178

Limousin

48

416

464

112

576

0

Rhône-Alpes

384

591

975

1 215

2 190

89

Auvergne

215

502

717

268

985

132

Languedoc-Roussillon

256

404

660

410

1 070

196

Provence-Alpes Côte d’Azur

61

328

389

603

992

204

TOTAL

5 334

10 205

15 539

8 933

24 472

1 476

ANNEXE 4 – COURRIER DE M. PIERRICK MASSIOT,
PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL DE BRETAGNE


ANNEXE 5 – COURRIER DE M. CLAUDY LEBRETON, PRÉSIDENT
DE L’ASSOCIATION DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF)






ANNEXE 6 – COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA SOCIÉTÉ ÉCOMOUV’

Communiqué de presse

Ecomouv’

Le contrat de partenariat entre Ecomouv’ et l’État :
les vérités incontestables (données factuelles et chiffres clés)

Paris, le 14 mai 2014

La mission d’information sur l'écotaxe poids lourds de l’Assemblée Nationale va rendre son rapport le mercredi 14 mai 2014. À cette occasion, Ecomouv’ souhaite apporter un éclairage factuel sur les principaux éléments du contrat de partenariat et en préciser les chiffres clés.

• La société Ecomouv’

Ecomouv’ est une société française et commissionnée par le Ministre du Budget. Ses actionnaires sont Autostrade per l’Italia (70 %), Thales (11 %), SNCF (10 %), SFR (6 %) et Steria (3 %). La totalité de ses activités opérationnelles est faite en France, sans aucune délocalisation et une large majorité des technologies mises en œuvre sont de conception et de production nationale. Les équipements embarqués pour les camions sont produits à Châtellerault; les équipements de contrôle conçus par Thales sont fabriqués en Ile-de-France et le système informatique central conçu par Steria est développé et géré sur des sites hexagonaux.

L’expérience des actionnaires d’Ecomouv’ sur des projets comparables à l’écotaxe est incontestable. À titre d’exemple, le premier projet européen d’écotaxe a été conçu et réalisé, avec succès, par Autostrade per l’Italia en Autriche en 2004.

Ecomouv’ emploie d’ores et déjà directement presque 200 personnes entre son site de Metz et le siège de Paris ; à terme plus de 300 personnes doivent travailler pour la société. Plus de 1.000 salariés ont travaillé pendant la seule phase de conception-réalisation du dispositif.

Depuis le début du projet, Ecomouv’ a investi plus de 650 millions d’euros, dont 135 millions d’euros apportés par les actionnaires en tant que fonds propres et quasi-fonds propres ; à ce jour, le projet Ecomouv’ a déjà permis à des PME françaises de générer plus de 50 millions d’euros de revenus.

• Le contrat de partenariat et sa durée

Suite à une procédure compétitive européenne, l 14 janvier 2011, l’offre préparée par Ecomouv’ a été jugée comme étant la « mieux-disante » par l’État. À cet égard, on peut rappeler que l’offre d’Ecomouv’ était significativement moins chère que celles de ses compétiteurs. Le contrat de Partenariat a été signé le 20 octobre 2011, après validation de sa procédure de passation par le Conseil d’État.

Le contrat est d’une durée totale de 159 mois (21 mois pour la phase de conception-réalisation et 138 mois, soit 11,5 années, pour la phase d’exploitation du dispositif).

La durée d’exploitation du dispositif était fixée par l’État dans son cahier des charges et n’a jamais évolué. De même, la durée de la phase de conception-réalisation proposée par Ecomouv’.

En outre, il convient de rappeler que la durée de conception-réalisation proposée par Ecomouv’ était une durée crédible qui aurait pu être tenue si des contraintes externes à Ecomouv’ n’étaient pas apparues. À cet égard, on peut souligner que, lors de la passation du contrat relatif à l’écotaxe, la durée de conception-réalisation proposée par l’offre classée en deuxième position était de 22 mois (par comparaison avec les 21 mois proposés par Ecomouv’).

• La rémunération d’Ecomouv’

La rémunération d’Ecomouv’ est fixe et forfaitaire. En effet, cette rémunération est indépendante de la recette de l’écotaxe et ne constitue en aucun cas un pourcentage de la taxe collectée. À ce sujet, on peut souligner que les paiements de la taxe arrivent sur un compte séquestre à la Banque de France et ne transitent à aucun moment sur les comptes d’Ecomouv’.

Le contrat prévoit un paiement moyen annuel pondéré de 210 millions d’euros constants
– valeur 2011 – hors taxes (dont une partie est indexée annuellement) à compter de la date de mise à disposition du dispositif, dont en moyenne :

- 70 millions d’euros, soit 33,3 %, pour le remboursement des investissements initiaux, en ce inclus les frais financiers demandés par les créanciers financiers ;

- 65 millions d’euros, soit 31 %, pour les frais opérationnels ;

- 51 millions d’euros, soit 24,3 %, pour rémunérer les sociétés habilitées de télépéage (SHT) qui participent à la collecte de l’écotaxe ;

- 24 millions d’euros, soit 11,4 %, pour les impôts et la rémunération des fonds propres.

L’offre d’Ecomouv’ était de loin la moins chère.

Les frais opérationnels incluent le paiement des salariés, des loyers immobiliers, de la maintenance et de la logistique du système informatique et des équipements (170 portiques fixes, 130 sites et 250 bornes de contrôle déplaçables, 300 bornes automatiques d’enregistrement, 700.000 équipement embarqués), du réseau commercial composé de 420 points de distribution dont 50 sur les autoroutes et 40 à l’étranger à la proximité des frontières et des coûts généraux de fonctionnement (énergie, télécommunication, etc.).

Le coût de gestion du système Ecomouv’ par poids lourd et par km est sensiblement moins cher que le coût du système allemand (de 0,22 à 0,23 en France contre le 0,26 à 0,27 en Allemagne). En ce qui concerne les recettes de ces deux systèmes, il existe une différence de recette, laquelle est due au fait, d’une part, que le système allemand est appliqué aux poids lourds qui transitent sur toutes les autoroutes, alors qu’en France la taxe ne s’applique pas au trafic sur les autoroutes (lesquelles sont déjà assujetties au péage).

En tout état de cause, le fait que la majeure partie des autoroutes françaises soit assujettie au péage ne semble pas permettre l’instauration d’un système de vignette.

À ce jour, l’État n’a rien versé à Ecomouv’ alors même que le dispositif qu’il a commandé est réalisé et opérationnel.

• La valeur du Contrat de Partenariat et de la rémunération du projet

Différentes valeurs ont été diffusées à propos de la valeur du Contrat.

Le chiffre de 2,4 milliards d’euros correspond à la valeur du contrat en euros constants (date de valeur janvier 2011) et hors taxes. Ce montant correspond à 3,2 milliards en valeur TTC et en euros courants. Ces deux valeurs correspondent exactement au montant prévu lors de la signature du contrat le 20 octobre 2011 pour la rémunération d’Ecomouv’ pendant la durée d’exploitation du Dispositif (soit 11,5 années). La valeur du contrat n’a jamais changé.

Le taux de rémunération des fonds propres d’Ecomouv’ est de 15,52 % (et non de 17 %) totalement compatible avec le risque technologique et avant taxes. Usuellement le taux de rentabilité interne (TRI) des projets de construction d’infrastructures (hôpitaux, prisons, tramway…) se situe entre 10 % à 15 %.

En l’espèce, le positionnement en partie haute de la fourchette se justifie par :

- La complexité technologique du projet et les risques associés de conception/réalisation d’un dispositif technique innovant ;

- Les exigences contractuelles de l’autorité délégante (Ecomouv’ a par exemple dû fournir une garantie de 100 millions d’euros pour le recouvrement de la Taxe) ;

- La maturité très courte du projet (159 mois, environ 13 ans, en ce incluse la période de construction de 21 mois) par rapport à la maturité usuelle des PPP (entre 20 et 40 ans) ; et

- L’exigence d’apporter des fonds propres dans des proportions supérieures aux ratios usuels.

• Les caractéristiques techniques et la conformité du dispositif conçu et réalisé par Ecomouv’

Ecomouv’ a conçu un projet de péage électronique inédit et innovant dans le secteur du transport routier en Europe. Il repose sur un équipement électronique embarqué à bord des véhicules, qui, grâce à un système satellitaire avancé, permet la géolocalisation et l’identification très précise du véhicule. Ce dispositif garantit une taxation uniquement sur la distance effectivement parcourue. Le système proposé par Ecomouv’ permet de répondre aux exigences de l’État, à savoir un taux de recouvrement de 99,75 %.

La capacité du système réalisé par Ecomouv’ à atteindre ce taux de recouvrement est pleinement prouvée. Le système a été homologué par l’État après un long processus de vérifications par des laboratoires indépendants agréés par l’État.

Les portiques (appelés CAF - contrôles automatiques fixes) n’ont aucune fonction pour la collecte de la taxe. Ils servent uniquement à lutter contre la fraude. Ils existent dans tous les pays ayant un péage routier semblable à l’écotaxe, notamment en Allemagne.

Le dispositif conçu et déployé par Ecomouv’ demeure aujourd’hui la seule solution économiquement et techniquement viable pour contrôler des centaines de milliers de poids lourds chaque jour.

En ce qui concerne les questions liées aux données personnelles collectées et à leur confidentialité, toutes les données des véhicules qui ne sont pas soumis à l’écotaxe sont effacées au pied du portique. Seules sont conservées et traitées les données des poids lourds assujettis à l’écotaxe.

L’ensemble des questions de confidentialité a fait l’objet d’un avis favorable de la CNIL.

Chaque installation de portique a reçu une autorisation spécifique d’occupation du domaine public, comme le prévoit la réglementation.

Le dispositif technique est flexible et peut être aisément adapté pour élargir ou réduire le réseau taxable, modifier les barèmes, gérer des franchises, etc.

Le système réalisé par Ecomouv’ est parfaitement conforme à la directive européenne. Il est interopérable et ouvert à la concurrence, ainsi qu’en atteste la coopération entre Ecomouv’ et 6 société habilitées de télépéage, lesquelles participent à la collecte de l’écotaxe. À titre d’exemple, le système allemand devra évoluer vers le modèle conçu par Ecomouv’ afin de se conformer à la Directive.

Ecomouv’ n’a jamais participé ni été associée à aucun des travaux ou aucune des discussions qui ont abouti aux changements législatifs relatifs à l’écotaxe.

• Le caractère opérationnel du dispositif technique

Depuis décembre 2013, le dispositif conçu et réalisé par Ecomouv’, et qui devait démarrer le 1er janvier 2014, est prêt à fonctionner. Il a été homologué par l’État (l’homologation certifie que le Dispositif atteint le niveau d’exigence requis par l’État) et sa vérification en service régulier n’a décelé aucun défaut majeur. En outre, la marche à blanc, laquelle s’est déroulée avec plus de 10 000 poids lourds et a occasionné plus de 16 millions de transactions, a montré que le système fonctionne parfaitement.

Le conseil technique de l’État, Cap Gemini, qui a mené les opérations de vérification du Dispositif, a d’ailleurs reconnu publiquement et sous serment, lors des auditions de la commission d’enquête au Sénat, que le système est opérationnel et ne présente pas de défauts majeurs.

*****

Ecomouv’ souhaite que le rapport de la Mission d’Information puisse finalement permettre aux politiques de prendre les décisions qui permettront le maintien du dispositif et des effectifs salariés d’Ecomouv’.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION

Par ordre chronologique des auditions

M. Frédéric CUVILLIER, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Dominique BUSSEREAU, ancien secrétaire d’État chargé des transports.

Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) :

M. Nicolas PAULISSEN, délégué général ;

Mme Florence BERTHELOT, déléguée générale adjointe.

M. Jean-Louis BORLOO, ancien ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Bernard CAZENEUVE, ministre délégué chargé du budget.

Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) :

Mme Aline MESPLES, présidente ;

M. Gilles MATHELIE-GUINLET, secrétaire général ;

M. Jean-Marc RIVERA, secrétaire général adjoint ;

M. Yann GUISNEL, P-DG de la société Guisnel Distribution ;

Mme Béatrice MONTAY, directrice générale de Guisnel Distribution.

Assemblée des Départements de France (ADF) :

M. Claudy LEBRETON, président.

France Nature Environnement (FNE), réseau « Transports et Mobilité durables » :

M. Michel DUBROMEL, pilote du réseau ;

M. Gérard ALLARD, membre du réseau.

Ecomouv’ :

M. Daniele MEINI, président d’Ecomouv’ ;

M. Michel CORNIL, vice-président d’Ecomouv’ ;

M. Giovanni CASTELLUCI, administrateur délégué d’Autostrade per l’Italia ;

M. Michelangelo DAMASCO, directeur des affaires juridiques d’Autostrade per l’Italia ;

M. Antoine CAPUT (Thales) ;

M. Jean-Vincent CLOAREC (SNCF) ;

M. Jean-Christophe DAMEZ-FONTAINE, directeur « Systèmes et intégration » (Ecomouv’).

Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles (UNOSTRA) :

M. Roland BACOU, président ;

Mme Catherine PONS, vice-présidente.

Fédération nationale des travaux publics (FNTP) :

M. Bruno CAVAGNE, président ;

Mme Corinne LE SCIELLOUR, directrice générale déléguée ;

Mme Marie EILLER, directrice des affaires juridiques et européennes ;

M. Jean-Philippe DUPEYRON, chef du service économique ;

M. Jean-Christophe ANGENAULT, directeur de cabinet.

Comité stratégique de la filière automobile (groupe de travail « véhicules industriels et véhicules utilitaires ») :

M. Jean-Claude GIROT, président du groupe de travail, représentant le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) ;

M. Jean-Pierre ROBINET et Mme Sandrine MARCOT (Fédération française de la carrosserie – Constructeurs) ;

MM. Jacques BRUNEEL et Emmanuel PUVIS DE CHAVANNES (Conseil national des professions de l’automobile) ;

M. Thierry ARCHAMBAULT (Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle).

Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie :

M. Daniel BURSAUX, directeur général ;

Mme Anne DEBAR, sous-directrice des transports routiers ;

M. Antoine MAUCORPS, chef de la mission de tarification ;

M. Olivier QUOY, adjoint au chef de la mission de tarification ;

Mme Anny CORAIL, directrice de la « mission taxe poids lourds » (MTPL).

Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) :

Mme Hélène CROQUEVIEILLE, directrice générale ;

Mme Anny CORAIL, chef de la « mission taxe poids lourds » ;

M. Dariusz KACZYNSKI, sous-directeur des droits indirects ;

M. Antoine MAUCORPS, chef de la mission de tarification ;

Mme Laurence JACLARD, responsable des relations institutionnelles.

Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) :

M. Philippe DURON, président ;

M. Jean-Claude PARAVY, secrétaire général.

Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) :

M. Jacques CREYSSEL, délégué général ;

Mme Anna FORTE, présidente du comité « transports » de la fédération, responsable « transports » du distributeur Cora ;

M. Gilles COQUELLE, directeur fiscal du groupe Auchan ;

M. Philippe JOGUET, directeur « développement durable » de la fédération ;

Mme Fabienne PROUVOST, directrice de la communication et des affaires publiques.

Confédération française du commerce interentreprises :

M. Marc HERVOUËT, président ;

M. Hugues POUZIN, directeur général ;

M. Philippe GRUAT, directeur général adjoint du groupe Point P ;

M. Philippe BARBIER, président du directoire du groupe Pomona ;

M. Cyril GALY-DEJEAN, chargé des relations institutionnelles.

Syndicats de salariés des transports routiers (table ronde)

FO-UNCP : MM. Patrice CLOS et Stéphane LAGEDAMON ;

CGT-FNST : MM. Jérôme VERITE et Jean-Louis DELAUNAY ;

CFDT-FGTE : MM. Fabian TOSOLINI, Thierry CORDIER et Denis SCHIRM ;

CFE-CGC-SNATT : MM. Frédéric BERARD, Pascal BODSON et Philippe QUEUNE ;

CFTC : MM. Cyrille JULIEN et Pascal GOUMENT.

Collectif des acteurs économiques bretons

M. Joël CHERITEL, président du MEDEF-Bretagne ;

M. Frédéric DUVAL, délégué général ;

M. Jean-Bernard SOLLIEC, vice-président de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires.

Coop de France :

M. Jean-Luc CADE, président de Coop de France Nutrition Animale ;

M. Yves-Marie LAURENT, directeur général de Vivescia Transport / Agriliance ;

Mme Rachel BLUMEL, directrice du département « Chaîne alimentaire durable » de Coop de France ;

Mme Irène de BRETTEVILLE, responsable relations parlementaires.

Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA)

M. Lionel DELOINGCE, vice-président de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF) ;

M. Alexis DEGOUY, directeur des affaires publiques de l’ANIA.

Mme Ségolène ROYAL, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Michel SAPIN, ministre des finances et des comptes publics.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Cuvillier,
ministre délégué chargé des transports, de la mer
et de la pêche

(Séance du mercredi 11 décembre 2013)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

La semaine passée, au cours de notre réunion d’installation, nous avons décidé d’ouvrir le cycle de nos auditions avec M. Frédéric Cuvillier. Mercredi prochain, nous entendrons M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Comme nous en sommes également convenus, nous auditionnerons ensuite les anciens ministres ayant eu à définir l’écotaxe poids lourds dans son dispositif actuel. À ce titre, nous proposons d’entendre en premier lieu Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, qui a notamment porté le Grenelle de l’environnement.

Monsieur le ministre, dans mon esprit, notre mission doit se donner un but ambitieux. Il ne s’agit pas d’apporter quelques retouches aux détails du dispositif actuel. Il s’agit plutôt pour nous de refonder, de reconstruire l’écotaxe, en lui redonnant tout son sens et en lui permettant d’atteindre une plus grande acceptabilité.

Certains trouveront peut-être cette démarche trop optimiste. Mais il en va de la responsabilité des parlementaires – j’ose le dire de leur crédibilité –, de se saisir d’un tel sujet. Nous n’en sommes pas au stade des orientations, il revient tout d’abord à la mission d’explorer le champ des possibles. À cet égard, nous ne manquerons pas de regarder attentivement les dispositifs mis en œuvre par d’autres pays de l’Union européenne, sans oublier la Suisse, tout en ayant conscience des spécificités qui caractérisent les réseaux et les trafics routiers dans chaque État.

Nous porterons également notre attention sur les règles fiscales et les coûts d’usage qui impactent les activités du transport dans ces pays. En Allemagne, par exemple, la fiscalité sur les carburants est sensiblement différente de la nôtre. S’agissant des péages autoroutiers, le système allemand est aussi très différent compte tenu, d’une part, de la gratuité pour les véhicules légers et, d’autre part, du dispositif « Toll Collect » mis en place à partir de 2005 pour les camions.

Vous venez de prendre l’initiative, monsieur le ministre, d’inviter vos homologues européens à une grande conférence sur les transports routiers de marchandises, qui se tiendra en France au printemps 2014. Cette initiative est importante. À cette occasion, il serait judicieux de s’engager, enfin, au niveau européen, sur la voie de l’harmonisation des niveaux de taxation et des techniques de collecte de l’écotaxe ou de ses équivalents.

Nous espérons qu’il n’est pas trop tard. Il serait tout à fait regrettable d’assister à la mise en place, pays par pays, de systèmes foncièrement distincts et même incompatibles. En d’autres termes, que chaque pays choisisse son type de portique ou encore que certains optent pour la géolocalisation ou les contrôles par GPS, quand d’autres en resteront à des systèmes plus basiques.

Monsieur le ministre, notre horaire est contraint, mais vous êtes convenu de revenir devant notre Mission une fois d’autres acteurs auditionnés sur ce dossier particulièrement important.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, l’objectif que vous avez énoncé est ambitieux dans un contexte de contraintes juridiques et contractuelles. Voté à plusieurs reprises par le Parlement, notamment en 2009 dans le cadre de la loi Grenelle 1, le dispositif de l’écotaxe fait l’objet d’un décret publié le 6 mai 2012 qui définit les modalités de sa répercussion. Dans le cadre de la directive « Eurovignette », plusieurs étapes ont été franchies entre 2009 et 2012, basées sur le principe de l’utilisateur-payeur. À cet égard, l’article 11 de la loi de 2009 précise le double enjeu du report modal et de la modernisation des infrastructures de transport grâce à de nouvelles ressources.

Dès 2009, les contours du réseau taxable sont précisés : les routes nationales sont soumises au dispositif. Par décret de 2011, une partie des réseaux départementaux est incluse, après consultation de tous conseils généraux. Le réseau taxable représente 15 000 kilomètres de routes : 10 000 km de routes nationales et 5 000 km de routes départementales dans 65 départements, soit 1,5 % du réseau routier.

Depuis le décret du 6 mai 2012, il est apparu nécessaire de simplifier le dispositif de répercussion. Le Parlement lui-même s’est longuement attardé sur la mise en place de l’écotaxe, puisque les dispositions finales relatives à celle-ci sont issues de la loi du 28 mai 2013. Afin de solidifier un dispositif qui était juridiquement fragile, nous avons choisi un mécanisme de répercussion forfaitaire. La répercussion réelle prévue dans le dispositif initial – par client, par commande, par kilomètre parcouru – était en effet difficilement applicable dans la mesure où le transport de marchandises fait le plus souvent l’objet de groupements de commandes.

Dans le cadre nécessairement contraint par la directive européenne, les travaux parlementaires ont apporté un certain nombre d’aménagements, je pense aux véhicules de collecte du lait, aux camions d’entretien des réseaux des collectivités et de l’État, mais aussi à la reconnaissance de la « périphéricité » de certaines régions, notamment avec des abattements. Je rappelle que les véhicules agricoles ne seront pas concernés par l’écotaxe poids lourds.

Nous avons également souhaité mettre en place un dispositif évolutif. À la demande des parlementaires, le Gouvernement a accepté la mise en place d’observatoires régionaux, mais aussi la remise d’un rapport au Parlement. Le dispositif est en effet appelé à évoluer, y compris à la demande des collectivités locales qui souhaiteraient le rendre plus opérant.

Je rappelle que l’écotaxe représentera une augmentation du prix du transport de l’ordre de 4 %. Mais comme la part moyenne du transport dans les prix aux consommateurs des marchandises est d’environ 10 %, une majoration moyenne de 4 % sur 10 % sera peu perceptible – de l’ordre de 4 centimes pour 10 euros. Il est donc faux de dire que ce dispositif entraînera une hausse sensible des coûts : une somme globale pèsera sur l’ensemble du transport et sera répercutée sur les donneurs d’ordre. Au final Au bout du compte, c’est le consommateur qui intégrera cette charge supplémentaire de quelques centimes par produit.

En annonçant sa suspension, le Premier ministre a réaffirmé la nécessité absolue de l’écotaxe qui contribuera à la modernisation des infrastructures, tout en permettant une diminution des moyens budgétaires – c’est-à-dire de l’impôt – affectés à leur financement. Au demeurant, je note un certain nombre de prises de position favorables à cette taxe.

Au cours des dernières semaines, nous avons mis à profit ce répit supplémentaire pour réfléchir aux pistes qui pourront vous être soumises. Je pense en particulier à la sécurisation des modalités de la répercussion – laquelle est différente selon qu’il s’agit d’un transport en compte propre ou d’un transport pour compte d’autrui. À cet égard, des dispositifs existent, comme une répercussion en pied de facture. Par ailleurs, dans le cadre de la directive, des exonérations sont possibles, notamment pour le transport d’animaux vivants et les véhicules agricoles dans un certain rayon kilométrique. Une autre piste possible serait d’intéresser les collectivités, je pense aux régions, par des centimes additionnels générés par la taxe.

J’attire votre attention sur les difficultés qui seront les vôtres au regard d’un sujet complexe où les intérêts sont divergents. Je songe aux relations entre le monde du transport et le monde agricole, mais aussi aux conditions de concurrence entre les différentes professions. Ce qui est aménagé pour les uns peut en effet se révéler un véritable drame économique pour les autres. Notre pays compte 40 000 entreprises de transport, essentiellement des PME, qu’il faut sécuriser, sachant que 400 000 emplois sont concernés. C’est précisément le contexte de dumping et de concurrence déloyale dans le monde du transport qui a amené la France à être à l’initiative d’un appel à la Commission européenne visant à demander la mise à plat des conditions de concurrence et de traitement dans ce secteur. Six pays nous ont rejoints dans cette démarche, d’autres ont manifesté leur intérêt pour une clarification des règles.

En outre, les difficultés sont d’ordre juridique et budgétaire. Pour l’État, la recette envisagée de l’écotaxe poids lourds était de 802 millions d’euros pour 2014 – et de 160 millions pour les départements. C’est dire l’importance de l’enjeu pour le financement et la modernisation des infrastructures. Mon collègue Bernard Cazeneuve ne manquera pas de vous apporter des précisions en la matière.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les pistes d’évolution que vous nous avez présentées, monsieur le ministre, témoignent de votre volonté de faire avancer la réflexion et de nous aider à formuler des propositions acceptables.

M. Richard Ferrand. Monsieur le ministre, je vous félicite pour votre esprit d’ouverture.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les « contraintes juridiques et contractuelles » que vous avez évoquées au début de votre propos ?

Les évolutions du dispositif doivent-elles nécessairement s’arrimer au principe de l’utilisateur-payeur, ou d’autres types de financements sont-ils envisageables ?

M. Joël Giraud. L’acceptabilité d’un itinéraire taxé dépend des contraintes environnementales ou de sécurité, ainsi que de l’existence de projets d’infrastructures – je pense au projet Lyon-Turin.

En général, les systèmes de taxation visent essentiellement le transit international, plutôt que les déplacements locaux. Or l’étude de la carte du massif alpin montre qu’aucun itinéraire de transit franco-italien n’est taxé : le seul itinéraire soumis à l’écotaxe est la nationale 85 entre Grenoble et Gap, où, à part un marchand de pommes qui emmène son chargement depuis le sud des Hautes-Alpes vers le marché de Grenoble ou encore un transporteur resté dans la Matheysine après la fermeture des mines de la Mure, il n’y aura aucun camion à taxer ! Monsieur le ministre, je ne comprends pas le choix du réseau taxé ! Quelles améliorations peuvent être apportées ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est tout le problème de la pertinence du réseau taxé. Sur ce sujet, nous nous appuierons dans notre réflexion sur les services du ministère, ainsi que sur les élus locaux.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, outre les ministres, il nous faudra également écouter l’opinion des « vrais gens ».

Monsieur le ministre, le coût du transport dépend du caractère plus ou moins pondéreux du produit transporté. Plus un produit a de la valeur, plus le coût du transport est faible. Plus un produit est basique, plus la part du transport est élevée, surtout si ce produit va loin. D’ailleurs, les opposants au dispositif sont concernés par des produits relativement pondéreux.

Par ailleurs, en plus des transports entre l’usine et le consommateur, des transports ont lieu entre la ferme et l’usine, mais aussi pour apporter les produits à la ferme. Monsieur le ministre, le coût du transport – que vous avez évalué à 10 % – intègre-t-il ces transports antérieurs au transport final ?

La loi qui porte votre nom organise des modalités de répercussion différentes entre le transport pour compte propre et le transport pour autrui. Pour un transporteur qui paiera une écotaxe de 100, la répercussion sur ses clients variera entre 80 à 150 en fonction du trafic. Le système sera donc très compliqué.

S’agissant des modalités de répercussion en pied de facture, la loi crée une obligation, mais le reste sera renégocié par les clients, ce qui fragilisera le pouvoir de négociation du transporteur.

D’ailleurs, les positions du monde du transport sont très divergentes. Certaines instances nationales sont favorables à l’écotaxe, tandis que des organisations régionales appartenant à la même instance nationale y sont très hostiles.

M. Thomas Thévenoud. Les contraintes budgétaires doivent être prises en considération au vu de la situation que nous avons trouvée en arrivant aux responsabilités il y a quelques mois.

Monsieur le ministre, en cas de suspension définitive de l’écotaxe, à combien s’élèvera la perte de recettes pour l’État, les conseils généraux et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIFT) ?

Quel est le montant des loyers à payer à la société Ecomouv’? À partir de quand l’État devra-t-il les payer ? Quel est le montant des pénalités ?

Toutes ces considérations nécessitent un calendrier de travail resserré pour notre Mission.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le calendrier sera resserré.

Mme Joëlle Huillier. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les moyens prévus pour contrôler l’application de l’écotaxe. En effet, cette mission serait dévolue notamment aux contrôleurs des transports terrestres en poste dans les DREAL et qui dépendent du ministère de l’écologie.

Ces fonctionnaires – moins de 500 couvrent l’ensemble du territoire national – sont chargés du contrôle et de la verbalisation sur la route des poids lourds. Ils assurent en cela une mission de service public, mais aussi un vrai rôle économique dans la mesure où ils participent à la lutte contre la fraude et la concurrence déloyale qui minent les entreprises françaises de transport.

Alors que le transport routier a fortement augmenté ces dernières années, notamment du fait du cabotage, les effectifs de ces personnels n’ont pas évolué. En outre, leur statut de « secrétaire administratif » paraît peu adapté à l’expertise technique qui leur est demandée. L’affectation d’une mission supplémentaire – le contrôle du respect de l’écotaxe sur route et en entreprise pour le calcul des itinéraires – pose avec plus d’acuité ce problème de distorsion entre la fin et les moyens qui permettraient d’y parvenir.

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’écotaxe, avez-vous envisagé de renforcer les moyens – humains, financiers et juridiques – nécessaires à un système de contrôle moderne et efficace, comme cela a été réalisé chez certains de nos voisins européens ?

M. Michel Heinrich. La pertinence du réseau taxé est effectivement un point très important.

Les transporteurs et les professionnels du BTP que j’ai rencontrés voient dans l’écotaxe une charge supplémentaire par rapport aux autres pays – la taxe à l’essieu est spécifique à la France et coûte cher – et une surcharge administrative pour les entreprises.

À cet égard, une étude comparative sur les pays européens nous serait fort utile.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Cette étude est en cours.

M. Philippe Duron. Monsieur le ministre, la France a fait le choix à partir de 2005 de financer ses infrastructures par des recettes affectées. L’écotaxe poids lourds devait représenter une part importante des recettes affectées à l’AFITF – 34 % pour l’année 2014. Je sais que vous travaillez d’arrache-pied avec le Premier ministre et le ministre des finances pour trouver des solutions.

En Allemagne, une campagne de sensibilisation a été menée pour rendre la taxe poids lourds acceptable. Votre ministère serait-il prêt à lancer, éventuellement avec le ministère des finances, une telle campagne sur l’intérêt de l’écotaxe, mais aussi ses conséquences sur la consommation des ménages ? C’est tout le problème de l’acceptabilité du dispositif.

Les difficultés majeures auxquelles est confronté le secteur des transports sont liées au cabotage et au détachement. En Allemagne, le seuil de perception de 12 tonnes présente deux avantages : l’exonération totale de l’artisanat et l’absence de pénalisation du trafic ultra-local. La modification de la cible de l’écotaxe en France, de 3,5 à 12 tonnes, vous paraît-elle pertinente ?

Enfin, le gouvernement allemand a négocié un accompagnement des transporteurs nationaux pour leur permettre d’acquérir des camions Euro 5. Quelle est notre marge de manœuvre vis-à-vis de la Commission européenne ? Est-il encore temps d’obtenir de celle-ci l’autorisation d’accompagner nos transporteurs vers l’obtention de l’Euro 6 ?

M. Éric Straumann. Cette taxe a été imaginée en 2005 par Yves Bur, dont l’amendement en ce sens prévoyait une expérimentation en Alsace, qui n’a pas eu lieu. Monsieur le ministre, une mise en place progressive de l’écotaxe pourrait-elle être imaginée, en commençant par l’Est de la France, plutôt favorable au dispositif ?

Une forte demande s’exprime pour ne pas pénaliser les véhicules de moins de 12 tonnes, utilisés par les petits artisans et les maraîchers. Une harmonisation européenne ne vous semble-t-elle pas nécessaire, y compris sur les aspects techniques – les boîtiers – sachant que 200 000 poids lourds étrangers traversent la France chaque année ?

M. Florent Boudié. La suppression de la taxe Borloo sur les poids lourds signifierait purement et simplement la fin de la politique des transports en France. Auditionné le 3 décembre par la commission du développement durable, le président d’Alstom Transport nous a expliqué que si l’écotaxe était mise à mal, son entreprise serait confrontée à de graves difficultés en termes de commandes publiques parce que les trains d’équilibre du territoire (TET), dont la convention de financement a été signée par la SNCF au mois de septembre, seraient quasiment abandonnés. Si c’était le cas, il faudrait expliquer aux Français que l’État français renonce à une partie de sa politique d’aménagement de l’espace.

L’objectif de notre mission d’information n’est pas tant d’aboutir à une remise en cause profonde de l’écotaxe que de déterminer les paramètres sur lesquels nous pouvons jouer pour améliorer son acceptabilité. À cet égard, je considère que nous pourrions nous inspirer de la position allemande sur le tonnage.

M. Bertrand Pancher. Plutôt que de taxe Borloo ou de taxe Cuvillier, le mieux serait de parler de taxation environnementale.

Le refus de la taxe poids lourds s’explique par le ras-le-bol fiscal, mais aussi par de vrais problèmes qui doivent être réglés.

Lors du débat sur la mise en œuvre de l’écotaxe, nous avions insisté sur les préoccupations des transporteurs pour leur propre compte qui craignaient de ne pas pouvoir appliquer la répercussion. Vous nous aviez expliqué, monsieur le ministre, qu’il n’y aurait pas de problème. Est-il possible de rouvrir ce dossier, sachant que certaines fédérations professionnelles de transporteurs ont exprimé des demandes en la matière ?

Pour la mise en place de l’écotaxe prévue initialement, nous n’avions pas prévu une exonération pour les transports de proximité. Il semblerait cependant que la technologie le permette. Est-il possible de mettre en œuvre l’exonération des transports de proximité dans un rayon de 30 ou 50 kilomètres ? Si oui, quels seraient les scénarios financiers, sachant que nous sommes attachés à la politique des transports et au soutien des moyens à l’AFITF ? En clair, si les ressources diminuent, quelles seront les ressources nouvelles ? Une taxation des camions sur autoroutes est-elle finalement envisageable ?

Mme Eva Sas. Merci, monsieur le ministre, d’avoir réaffirmé la nécessité de mettre en place la taxe poids lourds. Elle doit l’être rapidement pour trois raisons qui tiennent à ses conséquences environnementales, financières et sociales.

D’abord, le transport est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France – 27 % des émissions. Le trafic routier représente 88 % du transport de marchandises, la part du non routier plafonnant à 12 %, contre 30 % en Allemagne. D’où la nécessité d’engager un report vers d’autres modes de transport.

Ensuite, le manque à gagner pour l’AFITF est important – 802 millions d’euros pour 2014. Les écologistes sont inquiets au regard du budget qui sera consacré aux investissements, notamment dans le ferroviaire et les transports collectifs. Il y a urgence à compenser ce manque à gagner.

Enfin, la suspension de la taxe poids lourds a entraîné chez Ecomouv’ le chômage partiel pour 110 personnes en CDI et la non-reconduite de 40 CDD, sans compter 60 personnes en formation qui attendent une promesse d’embauche liée à la mise en œuvre du dispositif.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous compenser le manque à gagner pour le budget de l’AFITF et prendre en considération les conséquences sociales de la suspension de l’écotaxe ? Quels aménagements envisagez-vous pour une mise en place rapide de cette taxe que tout le monde appelle de ses vœux ?

M. Xavier Breton. Monsieur le ministre, l’arrêté que vous avez pris le 2 octobre dernier, prévoyant la mise en œuvre de l’écotaxe à compter du 1er janvier 2014, est-il suspendu ? Des sociétés habilitées de télépéage continuent à contacter des entreprises de transport pour les amener à s’équiper. Le ministère a-t-il donné des instructions en ce sens en vue de la mise en œuvre de l’écotaxe ?

Nous sommes conscients des enjeux du passage de l’Euro 5 à l’Euro 6, au regard des progrès importants réalisés dans le parc poids lourds pour la lutte contre la pollution, mais aussi des difficultés auxquelles est confrontée la filière véhicules industriels. Parallèlement à son utilisation pour la modernisation des infrastructures, réfléchissez-vous à une affectation partielle de l’écotaxe à la modernisation du parc poids lourds ?

M. Gilles Lurton. Il existe une très grande iniquité dans l’application de l’écotaxe en fonction du lieu où se trouve l’entreprise. En Bretagne, par exemple, malgré des avantages obtenus grâce à l’amendement de Marc Le Fur, les entreprises se trouveront confrontées à de graves difficultés du fait de leur éloignement.

De plus, les transporteurs auront beaucoup de mal à répercuter le montant de l’écotaxe sur leurs clients car ceux-ci négocieront des prix plus avantageux ou se tourneront vers des entreprises étrangères ne répercutant pas ce coût supplémentaire. D’où le risque d’une perte de compétitivité de nos entreprises.

Mme Catherine Beaubatie. Parmi les pistes envisagées, monsieur le ministre, vous avez évoqué la répercussion sur le consommateur, mais pas celle sur la grande distribution, dont les marges très importantes nuisent au secteur agricole. Ce levier vous semble-t-il envisageable, sachant que le Parlement examine actuellement le projet de loi sur la consommation ?

M. Philippe Le Ray. Le transport non routier est important en Allemagne parce que ce pays a favorisé le développement du transport fluvial. Or si Mme Voynet n’avait pas bloqué le projet Rhin-Rhône, on aurait aujourd’hui moins de poids lourds sur l’axe Strasbourg-Marseille !

Au lieu de taxe, parlons plutôt de financement des projets – pourquoi pas de financement Cuvillier ? Nous n’avons pas attendu des taxes pour financer des projets dans ce pays.

Il coûte plus cher de produire à l’Ouest qu’à l’Est en raison de l’éloignement des lieux de consommation. Monsieur le ministre, comment éviter ce déséquilibre Ouest-Est ?

Enfin, les fonds destinés à l’entretien des routes nationales sont nettement insuffisants. Ce point n’a pas été abordé, alors que certaines routes françaises sont dans un très mauvais état !

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, l’écotaxe a été adoptée à l’unanimité parce que le Parlement a acté le principe de conversion écologique en matière de fiscalité.

Le Premier ministre a annoncé la nécessité de remettre à plat la fiscalité en France. Quel lien les travaux actuels sur l’écotaxe ont-ils avec cette remise à plat de notre système fiscal ?

Les particuliers et les entreprises ont toujours manifesté, quels que soient les gouvernements, leur ras-le-bol fiscal. Au regard de la notion d’acceptabilité, le ministère a-t-il imaginé de substituer l’écotaxe à une ancienne taxe ?

Il faut expliquer, notamment aux entreprises de transport, en quoi l’instauration de l’écotaxe en France ne créera pas de distorsions de concurrence nouvelles avec nos voisins européens. Sur ce point, l’harmonisation sur le tonnage de 12 tonnes est intéressante.

Toujours au regard de cette notion d’acceptabilité, pourrions-nous acter le principe d’une écotaxe au départ quasi indolore, ou symbolique ? Surtout, pourrions-nous acter un principe simple ? Nous avons en effet découvert au fil des mois la complexité du dispositif tel qu’il avait été envisagé initialement ; or le rôle de notre mission est également d’imaginer un dispositif plus simple.

Enfin, la logique d’itinéraire du transit international diffère entre le Nord-Pas-de-Calais, la région PACA, la région Centre et la Bretagne. La périphéricité et le caractère péninsulaire ne devraient-ils pas être davantage pris en compte ?

M. Françoise Dubois. Auditionné hier après-midi par la commission du développement durable, le président de France Nature Environnement, M. Bruno Genty, s’est interrogé sur le terme d’« écotaxe », à laquelle son association préférerait l’expression « taxe kilométrique poids lourds » ou « redevance poids lourds ».

Le Gouvernement comme les parlementaires ne devraient-ils pas consentir des efforts en matière de communication, qui pourraient se traduire, comme le préconise notre collègue Philippe Duron, par une campagne de sensibilisation ? Nous sommes prêts dans nos territoires, où les incompréhensions sont nombreuses, à faire œuvre de pédagogie.

Mme Sylviane Alaux. Au Pays basque, région très fréquentée par le transport routier, nous sommes très demandeurs de la mise en œuvre de l’écotaxe – qui devrait être dénommée redevance et que nous appelons chez nous la « pollutaxe ».

À court terme, il faudra traiter les sujets liés à l’harmonisation européenne et aux aspects juridiques, financiers et humains. Mais à moyen et long termes, il sera nécessaire de proposer de véritables alternatives, je pense au transport maritime et au fret ferroviaire. Monsieur le ministre, j’aimerais vous entendre sur cette stratégie à moyen et long termes.

Mme Isabelle Le Callennec. L’écotaxe a été présentée à l’opinion publique comme une incitation très forte au développement des modes alternatifs à la route. Or j’entends plutôt parler de modernisation des routes, de soutien au développement du ferroviaire passager, mais pas du fret ferroviaire. Monsieur le ministre, quelle affectation aviez-vous envisagée pour les 802 millions de recettes de l’État ? Cette somme devait-elle être fléchée uniquement vers le fret ferroviaire, qui constituait l’objectif initial ?

Cette mission s’est donné pour objectif de mesurer les impacts de la mise en œuvre – ou non – de l’écotaxe. Si le dispositif est appliqué, quels en seront les impacts en termes économiques et sociaux ?

M. Gilles Savary. La commission Duron a mis en perspective les investissements de l’État dans les années futures. Nous savons que des contrats de plan État-région doivent être financés. Nous savons aussi qu’une partie de l’écotaxe devait revenir aux départements qui ont en charge un réseau routier très important. Par conséquent, il me semble utile de connaître le coût du renoncement à l’écotaxe. Que devrions-nous abandonner : les grands projets, les contrats de plan, les TET ?

L’abandon de l’écotaxe pourrait aboutir à une augmentation importante de la taxation du diesel. Il faut le dire en toute transparence ! C’est une des raisons pour lesquelles les transporteurs routiers n’étaient pas hostiles à cette taxe. L’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) n’a fait que saisir l’opportunité pour obtenir des adhérents vis-à-vis de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) – je le sais pour avoir été le seul parlementaire à leur congrès cette année. D’ailleurs, l’OTRE plaide la cause des moins de 3,5 tonnes face à la concurrence des petites camionnettes polonaises qui envahissent notre pays. Les choses sont donc plus compliquées qu’il n’y paraît.

En Europe, les grands centres sont Paris et les grands ports comme Hambourg et Rotterdam, où converge le grand trafic international. La Bretagne n’est donc pas plus éloignée que le sud-est de la France. Par conséquent, le problème breton me semble quelque peu irrationnel.

En conclusion, je suggère de travailler avec les filières professionnelles sur la chaîne de valeur. L’application de l’écotaxe à une entreprise industrielle pour des produits transformés, qui représentera 0,3 % du coût de production, n’a rien à voir avec l’application de l’écotaxe à un transporteur de matériaux lourds non transformés pour son propre compte. Faute de régler le problème à ce niveau, nous aboutirons à un dossier mal ficelé avec toutes sortes de dérogations.

M. François-Michel Lambert. Le port de Marseille a surtout besoin de reconquérir son hinterland. Lyon reçoit davantage de marchandises des ports d’Anvers et de Rotterdam
– 60 à 70 % – que du port de Marseille distant de 300 kilomètres. Je ne vois donc pas en quoi le projet Rhin-Rhône aurait amélioré les choses !

Il y a un gros problème de communication dans ce pays au regard de l’acceptabilité citoyenne. Le surcoût de l’écotaxe pour une salade serait – dans le pire des cas – de 0,5 centime, même pas le prix du sachet ! À l’instar de la Suisse et de l’Allemagne, qui utilisent le terme de redevance poids lourds, parlons en France de taxe à la pollution au lieu d’écotaxe !

Au surplus, la redevance poids lourds en Suisse s’inscrit dans le cadre d’un plan global, qui a permis en dix ans la modernisation du parc poids lourds, l’augmentation du chargement des camions grâce aux autorisations de circulation qui sont passées de 28 tonnes à 40 tonnes, et la mise en place de schémas logistiques.

La loi votée au printemps prévoit, grâce à un amendement très important de notre collègue Gilles Savary, le schéma directeur national logistique. N’est-il pas nécessaire de replacer cette taxe poids lourd dans le cadre d’une stratégie globale des transports, d’aménagement du territoire et de développement économique, afin de promouvoir une économie ancrée dans les territoires et respectueuse des ressources ?

L’Assemblée a adopté – sans les voix du groupe écologiste – l’exonération des poids lourds des services publics. Je ne pense pas que ce soit le meilleur des signaux envoyés à la population et aux acteurs du secteur privé.

Enfin, ne faut-il pas lever tous les doutes sur le contrat passé avec Ecomouv’ – dont les clauses sont de nature à plomber les finances de l’État – en saisissant la Cour des comptes ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le Sénat a mis en place une commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier du contrat retenu pour la mise en œuvre de l’écotaxe.

Pour la Mission d’information dont j’ai la responsabilité, l’objectif est de sortir des difficultés par le haut. Vous avez, les uns et les autres, attiré l’attention du ministre sur ces difficultés, mais aussi formulé des propositions. Le chemin de crête est étroit. Nous connaissons l’objectif, auquel je suis moi-même très attaché. Nous cheminerons rapidement, sans nous détourner de l’essentiel.

M. le ministre. En tant que ministre de la République, ma mission est d’assurer la continuité de l’engagement de l’État en défendant un dispositif dont le Parlement s’est saisi à plusieurs reprises. La responsabilité de chacun est donc engagée. À nous de faire en sorte que ce dispositif soit une réussite.

Notre objectif est de promouvoir, grâce à l’écotaxe, une politique des infrastructures de transport cohérente et complémentaire entre les différents types d’infrastructures – fluvial, routier, ferroviaire –, pour disposer d’un réseau efficace, sécurisé, créateur de croissance et d’emplois.

Monsieur Ferrand, les contraintes juridiques sont celles de la directive européenne « Eurovignette ». Nous ne pourrons construire un dispositif que dans le cadre de cette directive, tant en ce qui concerne les exonérations que les tonnages et les critères de proximité. Les contraintes contractuelles sont celles du contrat signé avec Ecomouv’, sauf à considérer que l’État indemnisera cette entreprise – en faisant peser 40 euros par foyer fiscal – pour cause de résiliation du contrat.

S’agissant du principe de l’utilisateur-payeur, je remercie ceux d’entre vous qui sont prêts à faire œuvre de pédagogie. Au demeurant, en discutant avec les gens, y compris les transporteurs, on se rend compte que l’acceptabilité est bien supérieure à ce que l’on pensait. Le dispositif protégera les entreprises dans la mesure où la répercussion portera sur le consommateur, ainsi que sur le donneur d’ordre.

Monsieur Giraud, le choix a été fait, par décret de 2011, de retirer du réseau national certains axes sur le critère de faible trafic – moins de 800 poids lourds par jour. Pour les routes départementales, une concertation a été menée avec les conseils généraux. Toutes les routes nationales peuvent être taxées, et la taxation est obligatoire pour celles incluses dans le RTE-T (réseau transeuropéen de transport). La route nationale 85 fait partie du réseau RTE-T et sera donc taxée.

À cet égard, les observatoires sont indispensables car des éléments pertinents auparavant ne le sont plus nécessairement aujourd’hui. Au surplus, le dispositif sera difficile à mettre en place d’un point de vue technologique, mais aussi au regard de la révolution des modes de de financement. J’ajoute que le décret du 6 mai 2012 était d’une complexité son nom – aucune PME de transport n’aurait pu établir une facturation à l’unité ! C’est pourquoi j’ai voulu le simplifier.

Monsieur Le Fur, le taux de 10 % est une moyenne et concerne l’ensemble de la chaîne du transport.

La majoration forfaitaire est plus sécurisante et fiable que tout autre dispositif, notamment le régime réel. Le dispositif sera donc efficace, et il n’y aura globalement aucun enrichissement sans cause, faute de quoi le dispositif aurait été censuré par le Conseil constitutionnel. Le taux régional et le taux interrégional aboutiront à une moyenne de facturation.

Monsieur Thévenoud, le loyer a été négocié à hauteur de 230 millions d’euros HT, soit 270 millions d’euros TTC. Il sera opposable au moment où Ecomouv’ sera en situation de démontrer le caractère techniquement achevé du dispositif, c’est-à-dire vraisemblablement fin décembre. Nous allons discuter avec l’entreprise : il y a des dispositions contractuelles de pénalités ou d’absence de pénalités, tout cela est à négocier. Les pénalités de retard sont de l’ordre de 8 millions par mois. Certains retards sont dus à Ecomouv’, la suspension de la taxe est le fait de l’État : il conviendra de mettre en place des voies de conciliation. Au titre du loyer, l’État doit normalement payer chaque mois 19 millions d’euros HT, soit 23 millions d’euros TTC, mais nous essaierons de réduire ces montants.

Monsieur Duron, l’acceptabilité est très importante – si ce n’était pas l’utilisateur-payeur, c’est le contribuable qui devrait payer. En outre, si l’écotaxe avait été mise en place entre 2009 et 2012, nous aurions pu bénéficier de dispositifs européens d’aide à la modernisation du matériel roulant. Les Allemands ont bénéficié de telles aides au titre du passage à l’Euro 6. En ce qui nous concerne, la date butoir est le 31 décembre 2013. Cela n’exclut pas des mesures d’accompagnement : il nous faudra regarder ce qui est susceptible d’être accepté par la Commission européenne – je pense notamment aux primes à la casse.

Monsieur Savary, peut-être faut-il réviser le tonnage concerné. Néanmoins, une de mes priorités dans les prochains mois sera la lutte contre la concurrence déloyale des véhicules utilitaires légers (VUL) qui traversent notre pays en convois sans contrôle et avec des personnels souvent exploités et payés à vil prix. Il est essentiel de ne pas conforter cette concurrence.

Madame Huillier, la loi prévoit des dispositifs permettant d’étendre les prérogatives des contrôleurs routiers. Auparavant, les contrôleurs n’avaient pas le droit d’entrer dans les cabines des camions ! J’en profite pour saluer cette profession qui souffre d’un manque de reconnaissance – mais j’ai apporté aux intéressés des assurances sur l’évolution de leur statut. Dans un souci de simplification des contrôles, une circulaire portera sur les modalités de contrôle de tous les services de l’État – police, gendarmerie, douanes –, à laquelle s’ajoutera le plan de lutte contre la concurrence déloyale.

Le contrôle automatique des portiques sera très efficace. Il constituera aussi une sécurité pour les transporteurs en leur permettant de prouver la réalité des déplacements.

Monsieur Straumann, l’expérimentation alsacienne a été suspendue car la loi est intervenue par la suite. Je sais que plusieurs régions réclament l’application de l’écotaxe. L’expérimentation est une piste intéressante pour re-crédibiliser le dispositif, car les entreprises de transport devront pouvoir s’inscrire le jour venu et se doter des boîtiers nécessaires. L’harmonisation technique est une réalité, puisque les boîtiers sont compatibles avec les systèmes de télépéage européens.

Monsieur Boudié, le ministre du budget, Bernard Cazeneuve, complétera mon propos. Des dispositions ont été prises pour 2013 et 2014, mais la compensation ne pourra pas être éternelle. De la qualité de vos travaux dépendra la possibilité de mettre en place rapidement le dispositif amélioré.

Monsieur Heinrich, la taxe à l’essieu a été alignée sur les minima communautaires de taxation des poids lourds. Elle ne peut pas être supprimée.

La charge administrative du dispositif écotaxe est de 0,3 %. Les sociétés de télépéage ont mis en place des dispositifs d’accompagnement – rabais de 10 % pour les abonnés.

Monsieur Pancher, le Conseil constitutionnel est évidemment attentif au problème que vous avez soulevé. Une des pistes de travail pour le transport en compte propre est la sécurisation de la répercussion. Il nous faut réfléchir au caractère opposable du dispositif.

Les exonérations en fonction du kilométrage sont interdites par la directive européenne, exceptées pour les flottes affectées. De plus, elles seraient extrêmement difficiles voire impossible à contrôler.

Madame Sas, je vous remercie de vos encouragements. La compensation financière sera de 800 millions en 2014 et de 950 millions d’euros en 2015. L’écotaxe est en effet appelée à évoluer.

La suspension du dispositif à des conséquences sur les emplois de la société Ecomouv’. Nous en avons appelé à la responsabilité de celle-ci, mais la situation économique est à prendre en compte.

Monsieur Breton, un arrêté interviendra pour abroger celui fixant la date d’entrée en vigueur au 1er janvier.

Monsieur Le Ray, l’objectif est de faire aboutir des projets qui ont du sens avec des moyens affectés. C’est tout l’intérêt de l’écotaxe. L’AFITF se déterminera sous le contrôle du Parlement, qui doit être au cœur des stratégies d’aménagement du territoire. Je précise que les autoroutes ferroviaires ont été relancées.

Madame Beaubatie, quand la grande distribution est solidaire des producteurs en prenant comme prétexte l’écotaxe, elle peut démontrer sa volonté d’agir elle-même…

Monsieur Benoit, c’est votre mission d’information qui « a la main ». Mon ministère vous livrera toutes les informations nécessaires.

Les réseaux courts seront privilégiés par rapport aux réseaux longs. Une infime partie du réseau local sera taxée – les chemins communaux, qui constituent le cœur du trafic de proximité, ne seront pas soumis à l’écotaxe.

Monsieur Lurton, il faudra s’assurer d’une mise en place égalitaire du dispositif entre le transport de transit et le transport national.

S’agissant des autoroutes payantes, il ne pourra pas y avoir de centimes additionnels au prix du péage. Une directive précise que l’on ne peut pas aller au-delà du coût réel de l’utilisation de l’infrastructure.

Il conviendra d’observer le report modal vers les autoroutes. Je précise que ce gouvernement a augmenté de 50 % la redevance domaniale sur les sociétés autoroutières.

Madame Dubois, la pédagogie permettra d’obtenir l’adhésion de nos concitoyens.

Madame Alaux, les alternatives à la route s’inscrivent dans le cadre de notre politique de transport. Elles concernent les ports, l’hinterland, les nœuds ferroviaires, les désenclavements, les autoroutes ferroviaires, le fluvial, etc. C’est tout l’intérêt de la proposition des centimes additionnels régionaux.

Mme Le Callennec, 60 % du budget de l’AFITF concerne les modes alternatifs de transport à la route.

Je rappelle qu’un exercice – soit 500 millions d’euros – des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) n’a pas été honoré. Or 20 % du réseau routier est très dégradé. C’est dire l’importance de la modernisation de notre réseau, en particulier au regard des conditions de sécurité.

M. Marc Le Fur. Quand des réponses précises nous seront-elles apportées ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je propose, monsieur le ministre, que vos services nous apportent ultérieurement des précisions aux nombreuses questions qui ont été posées.

Merci, monsieur le ministre, pour cette audition.

Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Bussereau,
ancien secrétaire d’état chargé des transports

(Séance du mercredi 18 décembre 2013)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous devions initialement entendre aujourd’hui M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, qui est retenu toute la journée au Sénat par l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative, et M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, qui se trouve, quant à lui, à Bruxelles pour discuter de l’union bancaire avec ses homologues européens. Ces auditions sont donc reportées au début de l’année prochaine.

Je vous précise d’ores et déjà que nous entendrons M. Jean-Louis Borloo le mercredi 8 janvier à onze heures.

Nous avons donc décidé de procéder dès maintenant à l’audition de notre collègue Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports de 2007 à 2010. Nous le remercions de s’être libéré dans des délais aussi brefs.

Votre audition nous a paru indispensable, cher collègue, en raison des responsabilités gouvernementales que vous assumiez au moment où a été débattu le Grenelle de l’environnement, mais aussi parce que votre position sur l’écotaxe est de longue date clairement affirmée.

Vous l’avez d’ailleurs qualifiée de « bon impôt » dans des déclarations récentes, en regrettant qu’elle serve aujourd’hui de « bouc émissaire ». Vous avez même estimé qu’il convenait « de lui redonner très vite vie ». Cet état d’esprit positif est celui qui m’apparaît propice à une bonne réflexion, sans pour autant préjuger du résultat des travaux de notre mission.

D’une certaine façon, vous êtes un précurseur en matière d’écotaxe. Bien avant le Grenelle, vous vous étiez prononcé, dès 2003, en faveur d’une « taxe à l’allemande » – qui n’est d’ailleurs entrée en vigueur dans ce pays qu’en 2005 – pour financer les travaux de modernisation du réseau routier.

Vous vous inquiétiez alors de la saturation de certains axes, notamment la RN 10 dans votre région. Vous présidez aujourd’hui le conseil général de la Charente-Maritime. À ce titre, vous pourrez nous préciser quel a été le rôle des départements dans la définition du réseau taxable à l’écotaxe, certaines critiques ayant été exprimées à ce sujet.

M. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État chargé des transports. Votre président et rapporteur a bien résumé la situation. Nous réfléchissions en réalité depuis longtemps à l’écotaxe en France, d’abord à la demande de nos collègues alsaciens, qui ont vu l’autoroute entre Strasbourg et Mulhouse saturée par des camions venus de toute l’Europe à partir de la mise en service, en 2005, de la LKW Maut – qui s’applique à l’autoroute de l’autre côté du Rhin.

Dans ma propre région, je constate depuis longtemps que, pour rejoindre Paris depuis Bordeaux, les poids lourds venus de la péninsule ibérique ou du Maroc empruntent la RN 10 à la queue leu leu, dans des conditions parfois dangereuses, de préférence à l’autoroute A 10 – qui lui est quasiment parallèle, mais est soumise à péage.

Lorsque les Allemands ont commencé à mettre en œuvre la LKW Maut, j’ai donc souhaité rencontrer mon homologue allemand, et je me suis d’emblée intéressé à ce qui se passait de l’autre côté du Rhin. L’entrée en vigueur de la LKW-Maut a pris dix-huit mois : elle a même dû être reportée à cinq reprises. Lorsque nous sommes entrés dans les débats sur le Grenelle de l’environnement, nous avons décidé – notamment à l’instigation de nos collègues alsaciens – de mettre en œuvre l’écotaxe.

Bien des questions se posaient. Quel réseau routier soumettre à la taxe ? Comment ? Avec quelles dérogations ? Comment l’exploiter ?

En ce qui concerne le réseau taxable, nous avons d’emblée éliminé le réseau autoroutier, déjà soumis à péage, d’autant que l’État perçoit une redevance domaniale sur les péages ; vous savez d’ailleurs que le décret augmentant cette redevance a fait l’objet d’un recours des sociétés d’autoroutes devant le Conseil d’État. Restaient donc les rares parties d’autoroutes gratuites – qui desservent notamment le Massif central et l’Alsace –, les routes nationales et d’autres ouvrages comme les périphériques des grandes villes. Nous avons donc défini un petit réseau taxable de 15 000 kilomètres. Les départements nous ont alertés sur les risques de report du trafic sur la voirie départementale, par exemple la route départementale 137, ancienne RN 137, qui permet d’effectuer le même trajet que l’A 10 et la RN 10 au nord de Bordeaux. Après en avoir parlé avec M. Claudy Lebreton, le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), nous avons décidé d’inclure dans le réseau taxable une partie du réseau routier départemental – inférieure, néanmoins, à ce que souhaitaient les départements. Moi-même, qui venais d’être élu président de conseil général alors que je siégeais encore au Gouvernement, je n’ai pas obtenu tout ce que j’aurais voulu de mon administration ! Les services du ministère ont été très prudents, mais près de 5 000 kilomètres de routes départementales ont tout de même été intégrés dans ce réseau taxable.

Le Grenelle de l’environnement a été voté presque à l’unanimité. Ceux qui étaient opposés à l’écotaxe à l’époque le sont toujours ; il faut ici rendre hommage à Marc Le Fur, dont la position est restée constante.

Très vite, en effet, s’est posé le problème des régions dites périphériques. La Bretagne a fait valoir qu’elle n’était pas une terre de transit, n’étant pas concernée par le poids lourd espagnol qui traverse la France à partir de Perpignan ou Hendaye sans mettre un centime dans l’économie française. Nous avons donc accepté une réduction de 50 % au bénéfice de cette région. Cela n’a pas été sans mal, nombre de parlementaires faisant valoir qu’elle était déjà la seule région à posséder un réseau gratuit de routes à quatre voies. Je n’étais moi-même pas partisan d’accepter une telle réduction, mais le Premier ministre a arbitré en ce sens. D’autres régions – l’Aquitaine et la région Midi-Pyrénées – ont alors emboîté le pas à la Bretagne, et obtenu des abattements de 25 % à 30 %.

La profession routière n’était bien sûr pas favorable à l’écotaxe, bien que celle-ci soit entrée en vigueur en Allemagne, en Slovaquie, en République Tchèque et en Autriche, et envisagée au Royaume-Uni. Elle a donc négocié – ce qu’elle oublie parfois de rappeler – des contreparties : la quasi-disparition de la taxe à l’essieu, vieille revendication de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et d’autres organisations professionnelles, et l’ouverture du réseau routier à la circulation des 44 tonnes, à laquelle j’étais personnellement opposé, mais qui était déjà autorisée pour la desserte des hinterlands - des ports maritimes et, plus récemment, fluviaux, avec des dérogations préfectorales, par exemple pour le transport des céréales. La quasi-totalité de notre réseau routier se trouve désormais ouvert aux 44 tonnes. Le monde agricole n’a que peu réagi à l’époque.

Par ailleurs, nous avons décidé que l’écotaxe figurerait en « pied de facture » du donneur d’ordres. Autrement dit, ce n’est ni le transporteur routier ni le producteur qui paye, mais celui qui expédie sa marchandise à travers la France autrement que par le train. Je reconnais que cela donne lieu à un calcul complexe, mais le principe est là. Lorsque certains viennent nous expliquer aujourd’hui que ce sont eux qui vont payer, c’est donc de la pure escroquerie intellectuelle – et je regrette parfois que le Gouvernement reste sans réponse.

Pourquoi avons-nous fait le choix d’un partenariat public-privé (PPP) ? Il fallait trouver un opérateur capable de gérer un système fondé sur des appareils embarqués dans les poids lourds, qui transmet directement l’information au satellite et qui se devait d’être compatible avec les autres systèmes européens ; les fameux portiques qui ont donné lieu à tant de débats ne servant qu’à contrôler la présence des appareils embarqués. L’opérateur en question devait être compétent en matière de gestion des réseaux, de gestion satellitaire et de gestion des systèmes, car – à moins d’accepter de former des agents sur une longue période – nous ne disposions pas de ces capacités dans l’administration française. Jean-Louis Borloo et moi-même avons donc pris la décision de recourir à un PPP, en désignant l’administration des douanes – qui a l’habitude de la gestion économique de la fraude et avait besoin de diversifier ses missions – comme administration de contrôle.

La décision de recourir à un PPP a été prise en 2009. Jean-Louis Borloo et moi-même avons quitté le Gouvernement le 13 novembre 2010, au moment où la commission chargée de donner un avis sur le choix du candidat entamait ses travaux. Le choix qui a été fait est celui d’un PPP sur une très courte période, à savoir treize ans, ce qui concourt à expliquer un coût annuel de perception qui peut paraître exorbitant par rapport au produit perçu – soit de l’ordre de 1,2 milliard d’euros. Les investissements à réaliser s’élevaient à 800 millions d’euros, et les frais mensuels entre 15 et 20 millions, sachant qu’il fallait rémunérer 250 collaborateurs directs ou indirects, que le réseau taxable était réduit, et le taux kilométrique restait bien inférieur à celui en vigueur en Allemagne. Avec un réseau taxable et un taux kilométrique plus importants, nous n’aurions pas une telle dichotomie entre le coût de la collecte de l’écotaxe et son produit. En Allemagne, le coût de la collecte s’élève à environ 510 millions par an, pour un produit qui atteindra 4,5 milliards. L’ensemble des autoroutes allemandes est en effet soumis à la LKW Maut, si bien que le rapport entre le coût de gestion et le produit de la taxe est sans commune mesure avec ce qui était prévu en France.

Après avoir quitté le Gouvernement, nous avons continué à suivre le dossier, mais à travers la presse. C’est donc l’offre d’Ecomouv’ qui a été choisie le 14 janvier 2011 ; nous avons suivi le contentieux devant le tribunal administratif de Pontoise, puis au Conseil d’État.

Je comprends les difficultés auxquelles s’est heurté le Gouvernement. Nous savons tous à quelles extrémités peuvent conduire les crises bretonnes, de l’incendie du Parlement de Bretagne à Rennes à la mise à sac d’une sous-préfecture et au grand mouvement agricole breton, qui a d’ailleurs conduit son meneur à créer la compagnie Brittany Ferries, belle réussite économique de la région. Néanmoins, il faut en sortir, et si possible par le haut. Pour ma part, je souhaite le retour de l’écotaxe. Peut-être faut-il revoir les tarifs, le réseau taxable, la part des départements, le tonnage minimum des poids lourds concernés
– aujourd’hui fixé à 3,5 tonnes. Trois grands chantiers de lignes à grande vitesse (LGV) sont en cours – Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes et la fin du TGV Est –, auxquels s’ajoute la ligne à grande vitesse Montpellier-Nîmes, et les discussions sur les prochains contrats de plan État-région (CPER) sont plutôt de bon augure pour ce qui concerne le volet mobilité. Il faudra bien financer tout cela, et reprendre des chantiers comme celui de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. Le ministre des transports annonce que nous le ferons sans recourir à un PPP ou à une concession. C’est un choix politique. Il est respectable, mais il pose la question du financement. Bref, il faut de l’argent pour nos infrastructures : le jour où nous sortirons de la crise, leur compétitivité sera déterminante pour le pays, qu’il s’agisse du haut débit, du très haut débit ou des canaux. La qualité de nos infrastructures figure d’ailleurs au nombre des points forts de notre pays constamment cités par les investisseurs étrangers. Les Allemands ont laissé se détériorer leur réseau autoroutier et leur réseau ferroviaire ; ils sont très en retard en matière de grande vitesse. Nous devons donc préserver nos atouts, et c’est pourquoi nous avons besoin de l’écotaxe, qui n’est pas un impôt, mais une redevance, puisqu’elle est la contrepartie d’un service.

Dans l’intérêt général, il me semble donc souhaitable que nous aboutissions – de la manière la plus consensuelle possible – à une écotaxe rénovée, sans perdre trop de temps et en veillant à assurer l’information de nos concitoyens, qui ont entendu les rumeurs les plus contradictoires sur le sujet. Nous avions calculé qu’il en coûterait, avec l’écotaxe, 1 centime de plus sur un kilo de tomates de Bretagne, et entre 0,4 % et 1 % de plus sur un produit acheté dans un commerce ou en grande surface.

J’ajoute, et peut-être aurais-je dû commencer par-là, que l’écotaxe a aussi des objectifs environnementaux : nous souhaitions encourager le report modal en finançant le fret ferroviaire, les canaux et les autoroutes de la mer, des objectifs, me semble-t-il, partagés sur tous les bancs de notre assemblée.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Outre M. Bernard Cazeneuve, M. Pierre Moscovici et M. Jean-Louis Borloo, nous recevrons également dès le début de l’année prochaine les représentants de la FNTR et d’Ecomouv’, ainsi que M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, et la directrice générale des douanes et droits indirects.

Nous faisons preuve de cohérence dans notre réflexion, puisque la réunion de la commission du développement durable que je présidais tout à l’heure était consacrée au rapport de notre collègue Rémi Pauvros sur la refondation du canal Seine-Nord-Europe, et que nous évoquons maintenant l’écotaxe ; il s’agit en effet de deux projets qui peuvent permettre de porter demain une politique durable de transport des marchandises.

M. Philippe Duron. Nous sommes nombreux à partager votre conviction sur l’écotaxe, cher Dominique Bussereau : s’il est difficile de la remettre en œuvre, il reste nécessaire de le faire. Trois problèmes se posent aujourd’hui. Le premier est celui de l’acceptabilité, qui est lié à la crise bretonne. Comment discuter avec les Bretons pour restituer sa légitimité l’écotaxe ? Cette discussion devra aussi avoir lieu avec les transporteurs routiers, dont certains, notamment les plus modestes, sont dans une situation objectivement fragile– c’est le deuxième problème. La compétitivité du transport routier français s’est dégradée ; il a perdu des parts de marché considérables en Europe. Quelles compensations proposer aux transporteurs routiers pour qu’ils reprennent confiance et acceptent un dispositif auquel ils ne sont en fait pas vraiment opposés ?

Enfin, il va falloir réceptionner – sans doute en janvier – le dispositif Ecomouv’. Si vous étiez ministre des transports, le feriez-vous, ou négocieriez-vous un report de la date de réception – puisque le dispositif ne peut être mis en œuvre – ou un allongement du contrat, pour faire en sorte que ce qui heurte aujourd’hui – à savoir le prélèvement lié à la gestion – soit plus supportable pour le système de transport français ?

M. Xavier Breton. Je remercie notre invité pour sa cohérence dans ses positions : c’est un témoignage qui fait honneur à la fonction politique.

J’aimerais savoir s’il a été envisagé d’affecter une partie du produit de l’écotaxe au renouvellement du parc de véhicules industriels. Si la modernisation des infrastructures est utile, les transporteurs ont aussi consenti de gros efforts pour lutter contre la pollution et devront poursuivre dans cette voie, notamment avec les nouvelles normes Euro 5 et Euro 6. Selon vous, cela peut-il constituer une piste intéressante compte tenu de la situation des transporteurs ?

M. Jean-Yves Caullet. La cohérence du réseau taxable vous paraît-elle facile à défendre devant les citoyens et ses utilisateurs ? Vous l’aurez compris, ce n’est pas mon impression. Le choix qui a été fait en Allemagne est cohérent, puisque tout le réseau autoroutier est soumis à la LKW Maut. Nous aurions pu choisir des axes qui permettent d’encourager le report modal sur la traversée de notre pays, ou sur les grands franchissements. Il semble que l’on ait péché par excès de pointillisme, ce qui nuit à la cohérence du dispositif. Ce peut être une piste de réflexion.

Nous avons évoqué les tarifs et la demande des élus alsaciens. Quelles sont selon vous les marges d’appréciation qui pourraient être concédées au niveau local, que ce soit en termes de mise en œuvre, de calendrier, de taux ou de partage ?

Enfin, comment prendre en compte l’existence ou l’absence de report modal ? Je pense aux grumiers, qui demandent à pouvoir faire circuler des véhicules de 50 tonnes, voire de 72 tonnes ou même davantage, dans des sites où il n’y a pas de report modal.

M. Thierry Benoit. Je suis comme vous convaincu que l’écotaxe est un élément de conversion écologique de la fiscalité, laquelle ne peut être sérieusement refusée en bloc. Philippe Duron a évoqué la notion d’acceptabilité. Il importe que l’écotaxe soit comprise. Pouvons-nous, avec le recul, proposer un dispositif plus simple et plus compréhensible ? Par ailleurs, vous avez parlé d’une répercussion de 1 centime par kilo de tomates sur la facture finale, mais ce n’est pas ce que nous expliquent les transporteurs et les producteurs de Bretagne.

Disposez-vous d’éléments de comparaison avec nos voisins européens qui permettraient d’assurer à nos transporteurs et à nos producteurs que l’instauration de l’écotaxe en France ne créera pas de nouvelles distorsions de concurrence ? L’écotaxe qui devait être mise en œuvre s’est en effet apparentée à la taxe de trop. Comme le vase était plein, ceux qui étaient pressentis pour la payer s’y sont opposés.

Vous avez évoqué les spécificités régionales. L’écotaxe étant censée taxer le transit international, auquel toutes les régions ne sont pas exposées de la même manière, pouvons-nous aller plus loin que le précédent gouvernement en matière d’allègements – voire d’exonérations – pour les régions qui ne sont pas concernées par le transit international ?

M. Patrice Carvalho. L’idée de départ était bien de faire payer l’utilisateur des routes – pour ne pas dire le démolisseur. En effet, les camions sont de plus en plus chargés. Un élu de droite m’a dit un jour que 100 tonnes de plumes n’étaient pas plus lourdes que 100 tonnes de verre ; mais, lorsque le chargement repose sur deux roues et non plus sur six, l’impact n’est pas du tout le même. Il est du reste aisé de constater les poinçonnements de la chaussée, notamment sur les autoroutes.

Pourquoi avoir fait le choix d’un PPP ? J’ai ma petite idée : après avoir fait disparaître les directions départementales de l’équipement (DDE) et renvoyé leurs compétences aux départements, après avoir réduit ses effectifs, l’État ne pouvait guère faire autrement. En revanche, il est exagéré de dire qu’il ne pouvait gérer le dispositif. Notre pays est à la pointe de la technologie ; il suffisait de s’en donner les moyens. De plus, nous avions la chance de bénéficier de l’expérience de nos voisins.

Reconnaissons que le contrat et les sommes à payer à Ecomouv’ étaient plutôt scandaleux. De quel poids le Président Sarkozy a-t-il donc pu peser dans cette décision, qui succédait à celle prise sur le canal Seine-Nord-Europe, à savoir encore un PPP – qui coûte cher au pays sur le long terme et s’apparente parfois à une fuite en avant ?

Enfin, je rejoins les propos de M. Caullet sur les grumiers – d’autant que, avant d’arriver sur les routes nationales, ils ont déjà « sabordé » toutes nos routes locales et départementales, et cela sans payer.

M. Richard Ferrand. Vous avez évoqué le problème de l’acceptabilité de l’écotaxe, notamment en Bretagne. Permettez-moi, en tant que député du Finistère, de rappeler un certain nombre de circonstances qui peuvent l’expliquer. Il y a d’abord la concentration dans le temps et dans l’espace de crises agro-alimentaires très difficiles, coïncidant avec l’arrivée d’une taxe supplémentaire, qui a donné le sentiment de frapper singulièrement nos productions agricoles et agro-alimentaires. Ensuite, l’argument du report modal ne tient guère dans notre région : le fret ferroviaire ne va guère au-delà de Rennes, et le port de Brest n’est pas utilisé autant qu’il le devrait faute d’aménagements – l’État y a très peu investi ces dernières années, de sorte qu’il faut aller au Havre. S’y ajoute le sentiment d’éloignement de la première région agricole française, qui estime qu’elle sera plus taxée que d’autres pour transporter ses marchandises – d’où la demande de « ristourne » qui avait été acceptée.

Par ailleurs, il faut dire clairement qu’il y a eu des manipulations politiques grossières autour de l’écotaxe. Par courtoisie, je ne citerai cependant pas le nom de mon collègue – qui est absent.

J’ajoute que la gratuité des routes en Bretagne est un principe acquis et ancré dans les esprits, depuis Anne de Bretagne jusqu’au discours du général de Gaulle à Quimper en février 1969, qui l’a réaffirmé sans ambiguïté.

Les Bretons ne sont pas de mauvais citoyens ; ils acquittent l’impôt comme tout le monde. Mais le sentiment qui prévaut aujourd’hui est que l’on réinvente le fermier général sous les traits d’Ecomouv’. Historiquement, les fermiers généraux ont toujours été bien rémunérés ... il semble que cela n’ait guère changé ! En outre, la répercussion de la taxe sur le chargeur, et donc le producteur, donne le sentiment qu’il s’agit non d’un impôt sur le transport, mais d’un impôt sur la production – puisque ce sont ceux qui produisent et qui chargent qui le payent ; les transporteurs n’ayant finalement qu’un rôle de collecteur. Il apparaît donc comme une taxe à la production, et cela au moment même où l’on appelle au redressement productif.

Il est vrai qu’il faut financer nos infrastructures – en Bretagne comme ailleurs. La question qui se pose est de savoir comment trouver des financements sans peser sur la production. Sans doute les gouvernements successifs ont-ils pensé qu’il serait plus aisé de répercuter la taxe sur les producteurs, qui n’ont pas les mêmes possibilités que les transporteurs pour bloquer le pays. C’est pourtant sur le transport que la taxe devait être perçue. Pour éviter la taxation des producteurs et des chargeurs, et compte tenu des difficultés d’un certain nombre d’entreprises de transport, pourquoi ne pas mettre à contribution la grande distribution, qui est à la fois l’un des grands utilisateurs de transports et l’un des secteurs les plus prospères du pays ?

M. Gilles Lurton. Il est vrai que la Bretagne bénéficie d’un réseau routier gratuit, mais les transporteurs bretons répercutent cette gratuité sur les prix qu’ils pratiquent, comme les transporteurs qui opèrent sur le réseau concédé répercutent le coût des péages sur leurs clients.

L’écotaxe avait pour but de favoriser le recours à des engins moins polluants et de participer à l’entretien du réseau de transports, principes que nous pouvons approuver. Mais pourquoi avoir choisi de confier la gestion du système à une société privée ? Comment la société Ecomouv’ a-t-elle été choisie ?

Ma deuxième question porte sur le coût de la rémunération d’Ecomouv’. Je rappelle que le contrat prévoit des recettes de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an pendant treize ans, et qu’Ecomouv’ doit toucher 230 millions d’euros, soit 22 % du montant total de la taxe.

Enfin, quelles seraient les conséquences de l’abandon de l’écotaxe ?

M. Philippe Bies. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la complexité du dispositif. Ces difficultés avaient-elles été anticipées dans la définition du projet initial ? Il semble qu’elles aient été sous-estimées. Quelles en sont les raisons ? La question se pose d’autant plus que c’est sur cet argument que certains se sont fondés pour ralentir la mise en œuvre du dispositif, le revoir et finalement le rendre plus complexe. Aurait-il fallu lancer plus rapidement des expérimentations, notamment des expérimentations à blanc dans les régions volontaires, non seulement pour éprouver le dispositif, mais aussi pour installer ces portiques dans le paysage et leur donner la légitimité dont ils sont aujourd’hui dépourvus ? Cette hypothèse, qui aurait sans doute conduit à une instauration par régions de l’écotaxe et a été évoquée par le ministre la semaine dernière, vous apparaît-elle comme une possible solution pour relancer l’écotaxe, en commençant par les régions qui l’attendent – comme l’Alsace ?

Le report modal ne peut être l’unique objectif de cette écotaxe ou « pollutaxe ». J’emploie ce terme à dessein, car, si nous voulons travailler sur un nouvel outil, il faut que son objectif soit de faire payer ceux qui abîment les routes.

M. Éric Straumann. Vous dites que le taux kilométrique de la taxe est plus faible en France qu’en Allemagne. C’est bien là un problème pour l’Alsace, car les poids lourds resteront du côté français. Y aviez-vous pensé à l’époque ? Il serait souhaitable d’auditionner les autorités allemandes ou l’opérateur allemand pour bénéficier de leur retour d’expérience, sachant que les Allemands ont aussi choisi la voie du PPP. En ce qui concerne notre pays, j’imagine mal les services douaniers s’engager dans un processus technique aussi complexe : notre administration ne dispose sans doute pas des moyens nécessaires pour le mener à bien.

M. Gilles Savary. Il est de bon augure de vous entendre soutenir aussi fermement l’écotaxe. Puissiez-vous avoir quelque influence auprès de ceux de vos collègues qui l’ont fait sombrer en Bretagne, en particulier dans le monde agricole.

Que pensez-vous de l’idée d’une régionalisation partielle de l’écotaxe ? Nous aurions un taux régional, puisque les régions ont besoin de ressources propres pour financer leurs transports, et un taux d’État, tout cela étant bien sûr plafonné pour éviter l’inflation. Chaque région serait ainsi amener à prendre la responsabilité de financer ses transports par l’une des trois options possibles – l’écotaxe, le contribuable ou l’usager. Cela éviterait de devoir rendre des arbitrages au profit de telle ou telle région. Je dois dire que je n’ai pas bien compris le propos de M. Benoit sur la périphéricité de la Bretagne, qui ne serait pas concernée par le trafic de transit. Le sujet n’est pas là, puisque l’écotaxe sera une recette pour l’État : il est de savoir combien payent les Bretons et où ils livrent leurs marchandises. Leur cas est-il si différent de celui des producteurs de Bayonne, de Montpellier ou du Cantal ? En réalité, presque tous les transporteurs convergent vers le triangle Paris-Anvers-Rotterdam, dont la Bretagne n’est pas plus éloignée que les autres. En revanche, elle s’est habituée à la gratuité des infrastructures. Quoi qu’il en soit, la régionalisation partielle de l’écotaxe répondrait aux attentes des régions, qui réclament une évolution de la fiscalité pour assumer leurs compétences en matière de transports.

M. Thomas Thévenoud. Vous êtes venu à Paray-le-Monial, Monsieur Bussereau. Vous savez donc que la Saône-et-Loire a besoin de l’écotaxe, ne serait-ce que pour réaliser les aménagements routiers attendus sur la route Centre-Europe-Atlantique (RCEA). Je ne vous parlerai donc pas de report modal. Je me bornerai à dire que le conseil général de Saône-et-Loire avait prévu de reverser les 2,5 millions d’euros de recettes de l’écotaxe inscrites à son budget – soit 10 % du budget des routes du département – à l’aménagement de la RCEA. Souvenez-vous : vous étiez venu annoncer la privatisation de cette route, à laquelle nous étions opposés, et nous avons finalement obtenu que l’État mette de l’argent dans ce projet.

En tant que ministre, comment avez-vous conduit le dialogue avec les départements sur l’écotaxe, et notamment sur les itinéraires taxables ? On parle beaucoup des contributeurs à l’écotaxe, mais il y a aussi des bénéficiaires – dont les départements. C’est pourquoi il me semble effectivement important que la mission reçoive l’ADF.

De même, quel dialogue avez-vous entretenu avec les sociétés autoroutières ? Lors des réunions précédentes, nous avons évoqué la perception de la taxe sur le réseau autoroutier comme une piste à explorer. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, je rejoins M. Ferrand sur la possibilité de mettre à contribution la grande distribution, d’autant que cet échelon intermédiaire entre la production et la consommation bénéficie déjà d’un certain nombre de dispositifs fiscaux.

M. Olivier Faure. Je vous remercie pour la clarté de votre propos et pour le vœu que vous avez exprimé que la mission d’information se prononce en faveur d’un retour rapide d’une écotaxe poids lourds. Si nous partageons cet objectif, il importe de trancher au préalable sur le sort du PPP conclu avec Ecomouv’. La comparaison avec l’Allemagne serait plutôt flatteuse pour notre pays ; en tout cas, elle ne donne pas l’impression que l’État a négocié un trop mauvais partenariat. Cela étant, aviez-vous envisagé une alternative pour percevoir l’impôt, sachant que le fait que cette perception soit confiée à un partenaire privé a choqué ? L’État pouvait-il assumer le contrôle et la perception de cet impôt ? Pour quel coût et à quelles conditions ?

M. Dominique Bussereau. L’idée d’une régionalisation partielle de l’écotaxe peut être effectivement envisagée, Monsieur Savary, mais elle peut poser problème pour les instances de Bruxelles, ainsi que vis-à-vis des transporteurs étrangers. Nous visons un public de 1 million de camions, dont 800 000 Français et 200 000 étrangers. Il peut être compliqué d’expliquer au chauffeur de poids lourd espagnol qui transite par notre pays que le tarif va varier suivant les régions qu’il est amené à traverser. Cela poserait aussi des problèmes techniques et des problèmes de perception, alors que le dispositif est déjà très compliqué à mettre en œuvre, puisque tout le réseau n’est pas taxable. Sur le principe, je trouve l’idée astucieuse et intéressante. La réalisation technique paraît plus complexe, mais cela mérite en tout cas d’être regardé de plus près.

J’en viens aux questions de M. Duron. Je pense qu’il faut réceptionner le dispositif Ecomouv’. Cela permettrait d’abord de le tester à blanc, comme l’ont souhaité un certain nombre d’entre vous, donc d’éviter les difficultés auxquelles l’Allemagne a été confrontée
– qui ont coûté leur tête à plusieurs ministres. Les cinq reports dont j’ai parlé étaient en effet dus à des problèmes techniques, et non d’ordre politique comme en France. Un contentieux est d’ailleurs toujours en cours entre les autorités allemandes et Toll Collect ; il porte sur près de 3,3 milliards d’euros.

Réceptionner le dispositif serait par ailleurs une manière de correction vis-à-vis des salariés de la société.

Les transporteurs routiers ont bien obtenu des compensations à l’instauration de l’écotaxe, avec l’ouverture de la quasi-totalité du réseau aux 44 tonnes et la quasi-disparition de la taxe à l’essieu. D’autres compensations peuvent être envisagées avec les trois principales organisations du secteur routier. J’observe simplement que la FNTR – qui reste la principale d’entre elles, même si elle a perdu de sa puissance – ne tient pas un discours responsable dans cette affaire. C’est finalement l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), donc la plus petite, qui est la plus active.

Le pavillon français a perdu beaucoup de parts de marché à l’international, ce qui explique la présence perpétuelle de ces 200 000 camions étrangers sur nos routes, qui assurent parfois des transports à l’intérieur même de notre pays. Bien que la route ait pris le pas sur le fer en matière de transports, les entreprises françaises de transport routier restent très fragiles. C’est une difficulté majeure pour notre système.

La discussion avec les Bretons interviendra nécessairement dans un contexte délicat. Personnellement, je ne suis pas partisan d’exempter la Bretagne de l’écotaxe. Elle bénéficie déjà d’un atout avec ce réseau gratuit que lui envient de nombreuses régions, quand bien même il n’est pas autoroutier. Le plan de 1969 appartient au passé, Monsieur Ferrand : la Bretagne a fait la preuve de son dynamisme économique, même si elle souffre aujourd’hui. Le Gouvernement doit certes aller plus loin sur ce point dans le dialogue avec les Bretons, mais une exemption complète poserait problème vis-à-vis de Bruxelles et ne serait pas comprise par les Français, quelles que puissent être l’admiration et la compassion qu’ils vouent à votre région.

L’affectation d’une partie de la taxe au renouvellement des véhicules peut faire partie de la discussion avec la profession routière, Monsieur Breton. Toutefois, il était déjà prévu que l’écotaxe s’applique de manière différenciée selon le poids et la taille des véhicules, mais aussi selon le degré des leurs émissions polluantes – le poids lourd le moins polluant paye moins que le plus polluant. Je rappelle également qu’il existe déjà une écotaxe – qui porte ce nom – sur certains ouvrages comme le pont de l’île de Ré. Une partie de son produit est affectée au département de la Charente-Maritime pour l’entretien de l’ouvrage, et l’autre au développement durable, à savoir le développement du transport public dans l’île et la protection des espaces naturels. La loi permettrait d’étendre cette écotaxe à d’autres ouvrages ou sites fragiles.

M. Caullet a évoqué la délicate question de la cohérence du réseau taxable. Dès lors que l’on a choisi d’exclure le réseau autoroutier à péage, ce dont rien n’interdit d’ailleurs de rediscuter, ce réseau est en effet constitué de différents tronçons. Lorsqu’il était ministre de l’équipement et du logement, au temps du général de Gaulle, Albin Chalandon fut un temps surnommé « Monsieur Tronçon » : faute de moyens, l’État était conduit à n’aménager que des tronçons d’autoroute. Quoi qu’il en soit, rien n’interdit aujourd’hui de rouvrir le dialogue avec les départements. L’audition du président Lebreton pourrait s’avérer utile à cet égard ; rappelons que l’État n’a pas inclus dans le réseau taxable autant de routes que les départements l’auraient souhaité.

Le report modal n’est certes pas aussi aisé dans le Morvan qu’ailleurs, cher collègue. Vous me permettrez néanmoins de rappeler, comme l’a fait le rapport Duron, que la construction de lignes à grande vitesse n’a pas seulement pour but de réduire les temps de parcours, mais aussi de dégager des sillons pour le fret et les TER sur les lignes classiques. Je le dis notamment pour nos amis bretons, car c’est le cas pour la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes. Je rappelle aussi que l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) avait la possibilité d’affecter une partie de l’écotaxe aux transports urbains.

L’écotaxe est bien le premier élément d’une fiscalité écologique, Monsieur Benoit. Il est certain qu’un dispositif plus simple aurait été préférable. Toute la question est de savoir lequel. Hormis quelques manifestations très marginales, ce choix n’avait fait l’objet d’aucun débat à l’époque. Tout comme en Allemagne, il a été très bien accepté par l’opinion publique. Réexpliquer les tenants et aboutissants du dispositif à nos compatriotes sera à coup sûr une difficulté si nous choisissons de le remettre en œuvre. Faut-il rappeler que les portiques qui ont cristallisé toute la colère ont pour seul objet d’identifier les fraudeurs, et au premier chef les fraudeurs étrangers, en vérifiant la présence à bord du boîtier électronique, qui communique directement avec le satellite ?

Vous souhaitez disposer d’éléments de comparaison avec nos partenaires européens. Il serait intéressant que votre mission d’information les reçoive, comme certains d’entre vous l’ont suggéré. L’Allemagne a choisi de taxer sur la totalité de son réseau autoroutier, ce qui a le mérite de la cohérence. En Autriche, le réseau est tout petit ; je ne parle pas de la Slovaquie ou de la Slovénie. Ces pays ont d’ailleurs adopté un système différent : le réseau autoroutier est si petit que les portiques permettent d’assurer à la fois le contrôle et la perception de la taxe.

Je ne suis guère favorable à de nouvelles exonérations. Le produit de l’écotaxe – 1,2 milliard – est déjà relativement faible au regard des 8 milliards que coûte la construction de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, par exemple. En outre, il faut en déduire la rémunération d’Ecomouv’. On risque donc d’arriver à un dispositif qui coûte plus cher en gestion qu’il ne rapporte.

Nous avons fait le choix d’un PPP parce qu’il s’agissait de métiers techniques très pointus, monsieur Carvalho. Du reste, ce sont des entreprises françaises – notamment Cofiroute, membre du consortium Toll Collect, pour l’Allemagne – qui gèrent les systèmes des autres pays européens. Nos entreprises ont donc une grande expertise. Plusieurs entreprises françaises détiennent d’ailleurs une participation dans le capital d’Ecomouv’, aux côtés d’Autostrade per l’Italia, et son vice-président, M. Michel Cornil, est un cadre détaché de la SNCF, spécialiste du transport urbain, qui a fait sa carrière chez Transdev.

Je précise que le décret du 30 mars 2009 avait pris soin d’encadrer rigoureusement la composition de la commission chargée de donner un avis sur le choix de l’entreprise : présidée par un membre du Conseil d’État, elle était composée du directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, du directeur général des douanes et droits indirects, du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du directeur du budget, et enfin du président de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat. Le ministère des transports n’a donc pas décidé seul ; en outre, tout cela s’est fait sous le contrôle de Matignon. Bref, nous étions loin d’une commission d’initiés.

J’ai bien compris le propos de M. Ferrand sur la complexité de la crise bretonne. Néanmoins, on peut faire du report modal en Bretagne, comme l’illustre l’exemple de Brittany Ferries – nous avons bien là des autoroutes de la mer. Les Bretons doivent comprendre que beaucoup de Français s’interrogent sur les raisons de la gratuité du réseau routier en Bretagne. Certes, la Bretagne était en difficulté au moment du plan routier breton. L’État a donc massivement investi. Rien dans l’histoire de France n’autorise pour autant la Bretagne à estimer que le réseau devrait être gratuit en Bretagne et payant ailleurs, quelle que soit l’affection que nous portons à ses habitants.

J’ajoute que c’est le donneur d’ordres qui paye la taxe. Il ne s’agit pas nécessairement du producteur : cela peut être la plateforme de distribution d’une chaîne d’hypermarchés qui renvoie la marchandise vers ses magasins. Cela étant, peut-être faut-il mieux organiser la répartition entre distributeur et donneur d’ordres dans la facture finale.

J’ai bien pris note de la remarque de M. Lurton sur les spécificités bretonnes. Je crois lui avoir répondu sur le choix d’Ecomouv’. Quatre ou cinq consortiums avaient répondu à l’appel d’offres. Je n’étais plus au Gouvernement lorsque la commission a fait son choix. Je me souviens néanmoins qu’elle devait se prononcer en fonction d’un critère de rapidité, non seulement dans la délivrance des prestations, mais aussi dans l’appel d’offres et le dialogue compétitif.

J’en viens aux recettes d’Ecomouv’. Pour accroître les recettes et réduire le coût de la collecte, il faut étendre le réseau routier taxable au-delà des 15 000 kilomètres.

Je reconnais que nous avons sans doute un peu sous-estimé les difficultés en dépit de l’exemple allemand, Monsieur Bies. Mais il faut bien voir que le processus a été très lent. Sur le plan technique, le dispositif était compliqué à mettre en œuvre. Si nous ne l’avons pas fait avant l’élection présidentielle, c’est qu’il n’était pas prêt. Le décret du 6 mai 2012 était incompréhensible, et M. Cuvillier a eu raison de demander à son administration d’y revenir. Il est vrai que la tâche était particulièrement complexe. Treize arrêtés ou textes ont d’ailleurs été pris sur le sujet depuis le changement de gouvernement, et il n’est pas dit que nous ne puissions pas encore progresser. Encore une fois, tout cela est très compliqué. Un camion espagnol qui traverse la France pour rallier Anvers depuis Bayonne emprunte à la fois de l’autoroute à péage, de la route nationale et de la route départementale.

Il est possible d’aller plus vite si certaines régions acceptent de tester le dispositif. Nous avions prévu qu’il entrerait en vigueur six mois plus tôt en Alsace. M. Cuvillier a préféré que la date soit la même pour toutes les régions ; ce devait initialement être le 1er juillet, puis le 1er octobre, et enfin le 1er janvier 2014, avant la suspension de l’écotaxe par le Gouvernement. Si le processus redémarre, rien n’empêche de procéder d’abord à une expérimentation. C’est une bonne méthode, à laquelle nous n’avons pas suffisamment recours en France, et qui pourrait être mise en œuvre dans les régions de transit qui sont d’accord pour le faire, comme la Lorraine ou l’Alsace.

Nous avons fait le choix d’un taux kilométrique plus faible qu’en Allemagne, car nous avons déjà un réseau autoroutier payant, Monsieur Straumann. Si l’écotaxe s’appliquait à une partie du réseau autoroutier, ce qui suppose une discussion entre l’État et les sociétés d’autoroutes, nous pourrions mieux aligner le système français et le système allemand, et ainsi gérer la spécificité des itinéraires de détournement des camions allemands par la rive alsacienne du Rhin.

La suspension de l’écotaxe prive en effet les départements d’une ressource sur laquelle ils comptaient, Monsieur Thévenoud. Il manque 2,5 millions d’euros à la Saône-et-Loire, 2 millions à la Charente-Maritime. Le Gouvernement pourrait utilement rouvrir le dialogue avec les conseils généraux, dont les revendications n’ont pas été pleinement entendues.

Nous n’avons pas envisagé à l’origine d’inclure les autoroutes à péage dans le réseau taxable. Mais peut-être est-ce une erreur. Il doit être possible de discuter avec les sociétés autoroutières pour voir comment combiner péage et écotaxe. Techniquement, ce n’est pas inenvisageable.

Nous n’avions pas envisagé d’autres alternatives que le PPP, monsieur Faure, non par idéologie libérale, mais parce que nous ne savions pas faire autrement, y compris au regard de l’expérience des autres pays européens. Même si nous avions recruté des fonctionnaires supplémentaires, il aurait fallu les former. Nous avons préféré nous adresser à ceux qui savaient faire. Bref, c’était un choix de fonctionnement – qui n’interdit pas d’envisager autre chose aujourd’hui.

Je n’ai pas de conseils à donner au Gouvernement pour l’avenir. Il faut trouver un accord avec Ecomouv’ pour que la société puisse reprendre son travail dans un cadre rénové, que les travaux de votre mission d’information contribueront à tracer. Je suis conscient de la difficulté de la tâche, d’autant que l’on a raconté tout et son contraire à nos compatriotes. L’autre jour, un reportage diffusé sur LCI expliquait que le dispositif excluait les camions étrangers ! J’ai téléphoné au directeur de la chaîne ; il m’a répondu qu’elle ne le savait pas ! En réalité, nous aurions au contraire souhaité taxer les seuls camions étrangers, mais les règles européennes ne le permettent pas. Sur les transits longs, il y aura cependant, hélas
– compte tenu des difficultés du pavillon routier français –, bien plus de camions étrangers que de camions français taxés.

M. Thierry Benoit. Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de désinformation sur cette affaire. Ne serait-il pas opportun de rédiger un petit document précis reprenant les éléments techniques que vient de nous rappeler Dominique Bussereau ? Cela nous permettrait de rétablir certaines vérités dans nos territoires, car, pour le moment, la désinformation continue de sévir. C’est un dossier très technique, que la plupart des parlementaires – moi le premier – ne connaissent pas au fond. Être plus précis – comme l’a été M. Bussereau ce matin – devrait permettre à nos concitoyens de mieux comprendre et peut-être de mieux accepter l’écotaxe.

M. Richard Ferrand. Puis-je suggérer de le dédicacer à Marc Le Fur ?

Mme Catherine Beaubatie. Ce document existe. Il a été rédigé à l’issue du vote de la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport, et peut être téléchargé sur le site du ministère des transports.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il me reste à remercier M. Bussereau pour sa franchise, sa liberté de ton et la clarté de son propos. Il n’a pas changé, et je tiens à saluer, après M. Breton, son sens des responsabilités.

Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Paulissen, délégué général,
et Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la
fédération nationale des transports routiers (FNTR)

(Séance du mercredi 8 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons M. Nicolas Paulissen, délégué général, et Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale du transport routier (FNTR) qui est l’organisation professionnelle la plus importante par sa représentativité dans les métiers de la route et de la logistique – elle compte en effet plus de 12 000 entreprises adhérentes de toute taille.

Depuis plusieurs années, le transport routier connaît une situation difficile. Les entreprises françaises ont perdu des parts de marché à l’international. Le redressement du secteur constitue une préoccupation majeure de la FNTR, qui travaille en ce sens avec les pouvoirs publics. Cependant, le discours pédagogique que la Fédération a tenu à la profession sur la mise en place de l’écotaxe n’a pas toujours été reçu, compte tenu des informations souvent inexactes diffusées sur ce sujet durant les derniers mois.

La FNTR entend que l’écotaxe n’affecte en aucune façon la compétitivité d’entreprises confrontées à la concurrence des transporteurs étrangers et soumises à la pression des chargeurs sur les prix. Elle a clairement affirmé son attachement à deux principes, d’ailleurs précisés par des textes législatifs : le coût de la taxe doit être répercuté sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise ; une majoration forfaitaire doit compenser les charges qui pèsent sur les transporteurs soumis à l’écotaxe. En d’autres termes, la FNTR plaide pour la neutralité de l’écotaxe poids lourds sur les coûts d’activité des entreprises de transport. À cette condition, elle n’en récuse pas le principe.

L’audition permettra à la mission de mieux comprendre un mécanisme en vue duquel de nombreuses entreprises représentées par la FNTR ont déjà accompli un important travail de préparation technique et de formation. Nous nous intéressons aussi aux retours d’expérience répercutés par les adhérents de la Fédération sur les systèmes comparables mis en place dans d’autres pays de l’Union européenne. Nous voudrions enfin connaître les raisons qui ont compromis l’acceptabilité de l’écotaxe et recueillir des propositions pour lever ces obstacles.

M. Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Votre mission a été formée pour réfléchir au devenir de l’écotaxe poids lourds, aujourd’hui officiellement suspendue. Avouons-le : six ans après le début des travaux, et alors que l’écotaxe poids lourds devait entrer en vigueur en 2011, puis en 2013, enfin le 1er janvier 2014, la situation est quelque peu surréaliste. Il n’y a plus que de mauvaises solutions et le risque est grand que toute décision, quelle qu’elle soit, soit rejetée.

L’écotaxe poids lourds est, à nos yeux, incompatible avec la situation de nos entreprises compte tenu des fragilités du secteur, pointées par les études de la Banque de France, de la crise économique qui frappe nos entreprises – dont l’activité a baissé de 21,3 % entre 2007 et 2012 –, du choc économique, commercial et opérationnel que constitue l’écotaxe, enfin de la sur fiscalisation qui atteint les limites du tolérable dans notre secteur
– nos entreprises sont 4,5 fois plus fiscalisées que la moyenne de l’économie française. Aucun marché ne pourrait encaisser une augmentation de 8 à 10 % de ses coûts et ses prix ni supporter un bouleversement aussi important dans les rapports commerciaux. Aucune PME ne pourrait sans dommage affronter l’usine à gaz que constitue l’écotaxe.

La fiscalité est un enjeu essentiel dans un secteur où le ras-le-bol fiscal est particulièrement vif. En France, l’écotaxe s’ajoute aux péages, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. La FNTR a toujours été hostile à cette taxe comme à toute fiscalité supplémentaire ciblant le transport routier.

Dès 2007, nous en avons combattu le principe. Lors du Grenelle de l’environnement, nous avons dénoncé cette nouvelle taxation sur les poids lourds pour financer le mirage du camion sur les trains, les fameuses « autoroutes ferroviaires ».

Lors du débat sur le Grenelle 1, en septembre 2008, nous avons écrit dans une lettre ouverte aux parlementaires : « Cette redevance, en frappant la mobilité sur moyenne distance, surenchérit le coût d’acheminement, de fabrication, de transformation et de distribution des marchandises dans les régions et handicape donc l’attractivité et l’aménagement du territoire. » Nous avons martelé ce message à chaque audition parlementaire, notamment en février 2011 devant la commission des finances du Sénat.

La FNTR était alors une des rares organisations à s’opposer à l’écotaxe. Elle est rejointe aujourd’hui par beaucoup de résistants de la dernière heure.

En 2008-2009, l’opinion publique a plébiscité le Grenelle de l’environnement. À l’automne 2008, quand le Parlement a voté à la quasi-unanimité la loi Grenelle I instituant l’écotaxe, la FNTR a obtenu le principe d’une répercussion de l’écotaxe sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise. Ce principe s’inscrit pleinement dans la logique du texte, puisqu’il permet d’envoyer un signal prix au marché pour favoriser le report modal. Par la suite, la FNTR n’a eu de cesse de le traduire dans la réalité, ce qui s’est concrétisé, au printemps 2013, par l’obtention de la loi de majoration forfaitaire qui a été entièrement validée par le Conseil constitutionnel. Je vous renvoie aux motifs éclairants que celui-ci a mis en avant.

Avec la majoration, force est de constater que l’écotaxe est aussi devenue l’affaire de nos clients. En pleine crise bretonne, le 29 octobre dernier – soit deux mois avant l’entrée en vigueur de la taxe, déjà reportée plusieurs fois –, le Premier ministre a décidé de suspendre l’écotaxe en vue d’aménagements sectoriels et géographiques. Il a précisé que les solutions retenues devraient tenir compte des entreprises de transport routier et leur permettre d’exercer leur activité dans un cadre loyal.

Cette suspension de dernière minute a réduit l’acceptabilité de l’écotaxe, que beaucoup jugent insupportable, et accru les incertitudes ainsi que l’instabilité économique des entreprises. Une nouvelle fois, notre marché a été perturbé et les rapports commerciaux ont été bouleversés. Une grande partie de nos entreprises se trouvent piégées, enlisées au milieu du gué, après s’être engagées et avoir investi pour préparer la mise en œuvre de la taxe.

Il vous appartient désormais de vous déterminer sur le sort de l’écotaxe. Deux hypothèses sont envisagées.

En cas de suppression de l’écotaxe, nous nous opposerons à toute fiscalité de substitution non répercutable, et nous demanderons des garanties solides pour que l’écotaxe ne réapparaisse pas sous une autre forme sans majoration forfaitaire ou pour que l’on ne voie pas naître d’autres taxes difficilement répercutables pour nos entreprises.

En cas de refonte de l’écotaxe, nous nous opposerons à toute remise en cause de la majoration forfaitaire, que ce soit dans son principe, ses taux ou son assiette. Nous nous opposerons également à toute exonération qui romprait l’égalité de traitement entre transport pour compte propre et transport pour compte d’autrui. La FNTR sera particulièrement attentive à ce principe d’égalité.

Si l’écotaxe est réaménagée, nous veillerons aussi à ce que toutes les conditions de remise en marche soient réunies pour préserver les intérêts de nos entreprises. Si des aménagements sont envisagés, nous entendons que ce soit pour ramener à son périmètre initial le réseau taxé étendu à des axes de report, pour revoir les barèmes à la baisse, pour simplifier les complexités administratives et pour prendre en compte les délais nécessaires à nos entreprises.

Quoi qu’il en soit, il faut rapidement mettre fin aux incertitudes. L’écotaxe est un boulet que nos entreprises, en mal de stabilité et de visibilité, traînent depuis trop longtemps. Elle est devenue un symbole du ras-le-bol fiscal, un révélateur des difficultés de nos entreprises et un catalyseur de leur souffrance. Celles-ci souffrent non seulement de la crise économique, mais aussi, depuis plus longtemps, de l’iniquité de la concurrence européenne, d’un déficit de compétitivité, ainsi que des excès de la fiscalité et de la réglementation.

Nous portons un message de désarroi pour le présent et d’inquiétude pour l’avenir. Les difficultés économiques, aggravées par la gestion chaotique, pendant sept ans, du dossier écotaxe, ont engendré une véritable crise de confiance à laquelle il faut remédier.

Le 13 novembre, le ministre des transports a répondu favorablement à notre demande et à celle de nos partenaires en acceptant de prévoir un plan de soutien au transport routier.

Depuis dix ans, les rapports succèdent aux missions, qui font suite aux études, mais rien n’a été fait. Pour combler notre déficit de compétitivité, il est temps de traiter les distorsions de concurrence et le défaut d’harmonisation européenne, le problème de la sous-traitance et les excès de la fiscalité comme de la réglementation.

La représentation nationale fera ses choix. Nous avons posé nos lignes rouges. Nos entreprises examineront avec la plus grande vigilance les résultats de vos travaux. Votre marge de manœuvre est étroite, nous le savons, mais plus le temps passera sans prise de décision ni lisibilité, moins il sera possible de relancer opérationnellement l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Qu’entendez-vous par « fiscalité non répercutable » ?

M. Xavier Breton. En tant que président du groupe d’études sur la filière véhicules industriels, je vous remercie, Monsieur Paulissen, d’avoir rappelé les difficultés que connaît le secteur du camion, essentiel pour notre économie. Approuvez-vous le choix du réseau éligible à l’écotaxe ? Jugez-vous pertinent de réaffecter une part du produit de l’écotaxe au renouvellement du parc de poids lourds, notamment pour le moderniser dans le cadre de la lutte contre la pollution ?

M. Thierry Benoit. En France, nous avons la mauvaise habitude de laisser passer trop de temps entre le moment où sont prises certaines décisions, notamment fiscales, et celui où elles sont appliquées. Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, tout le monde validait le principe d’une conversion écologique de la fiscalité, ce qui explique que l’écotaxe ait été votée à l’unanimité. Mais le monde étant devenu mouvant, notamment sous l’effet de la mondialisation, la vérité d’un jour n’est pas nécessairement celle du lendemain.

Avez-vous recensé l’ensemble des taxes auxquelles sont soumises les entreprises de transport en France ? Avez-vous établi un état comparatif à l’échelon européen ?

Dès lors que nous devons travailler à somme nulle, du moins au jour de la mise en œuvre, à quelle taxe pourrait se substituer l’écotaxe ? Je rappelle que la fiscalité n’a pas pour but de piéger les transporteurs, dont nous avons besoin ; elle doit les aider à s’adapter aux nouveaux modes de transport et permettre au pays d’envisager le report modal.

M. Éric Straumann. Le pavillon français a été exposé, ces dernières années, à une concurrence particulièrement rude. En Belgique, les transporteurs nationaux acquittent une taxe fixe, mais celle qu’acquittent les transporteurs étrangers est proportionnelle à leur circulation sur le réseau routier. Le droit communautaire permettrait-il de taxer davantage les transporteurs étrangers qui circulent en France ?

M. Philippe Bies. L’écotaxe s’ajoute aux péages, qui ont beaucoup augmenté depuis la privatisation des autoroutes, et à la taxe à l’essieu, déjà ancienne, dont la directive européenne signale qu’elle pourrait être reprise dans un nouveau dispositif. Sous réserve de conformité à la réglementation européenne, il semble possible de refonder l’écotaxe et la taxe à l’essieu, la première ciblant prioritairement le transit et la seconde le transport régional. On ferait ainsi payer ceux qui polluent et abîment le réseau, et on lisserait la distorsion de concurrence entre routiers français et européens.

Mme Sophie Errante. Selon M. Dominique Bussereau, il avait été envisagé de compenser la mise en place de l’écotaxe par la suppression de la taxe à l’essieu et l’ouverture du réseau routier aux 44 tonnes. Avez-vous songé à d’autres contreparties ? Est-il facile de faire payer l’écotaxe par les chargeurs ou les bénéficiaires du transport ? Une table ronde autour du transport, permettant une vraie réflexion, ne vaudrait-elle pas mieux qu’une négociation avec les seuls transporteurs ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Êtes-vous favorable à la mise en place d’une marche à blanc ? Si oui, doit-elle concerner une région ou l’ensemble du territoire ? Faut-il relever le seuil de l’écotaxe de 3,5 tonnes à 7,5 tonnes, voire à 12 tonnes ?

M. Nicolas Paulissen. À l’origine, le périmètre taxé devait être de 10 000 kilomètres, ce qui correspondait au réseau national non concédé. Au fil des années, on y a inclus 5 000 kilomètres de réseau secondaire, soit les axes dits de report. Dès lors que l’écotaxe ne touchera pas les autoroutes privatisées, elle concernera principalement le transport de moyenne et de courte distance, ce qui signifie que l’extension du périmètre à des routes départementales frappera l’économie des territoires. En s’en tenant au périmètre initial, on réglerait certains problèmes du transport de proximité. L’écotaxe portera à 80 % sur des entreprises françaises et à 20 % sur des entreprises étrangères, puisque les étrangers empruntent surtout les autoroutes. D’où notre soutien à toute réflexion visant à réduire le périmètre taxé.

Nous sommes également favorables à toute aide au renouvellement de la flotte, qui permettrait à nos entreprises de se doter de véhicules plus performants en matière de développement durable. En 2005, quand l’Allemagne a introduit la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), équivalent de l’écotaxe, elle a versé aux transporteurs une compensation avoisinant 600 millions d’euros.

À ma connaissance, il n’existe pas d’état comparatif de la fiscalité dans les différents pays de l’Union européenne, mais, en 2013, une excellente étude du Comité national routier a pointé les différences de compétitivité d’un État à l’autre, en intégrant la fiscalité.

C’est tordre la vérité historique que de présenter l’ouverture du réseau routier aux 44 tonnes comme une compensation à l’écotaxe poids lourds. Dans un entretien à La France agricole du 30 avril 2010, le Président de la République avait annoncé que les 44 tonnes seraient autorisés à transporter les produits agricoles et agroalimentaires. Puis, sous la pression du Conseil d’État, cette autorisation a été étendue au transport de tous les produits, mais cela n’a jamais été envisagé comme une compensation à l’écotaxe poids lourds. La mesure n’a été présentée comme telle que par la suite, dans les éléments de langage destinés aux écologistes.

Le relèvement du seuil de l’écotaxe de 3,5 à 12 tonnes nous inspire beaucoup de réticences. À recettes constantes, il obligerait en effet certains à payer plus, pour compenser les exonérations. Il aurait un impact important, car les véhicules de 3,5 à 12 tonnes représentent 18 % du parc. Enfin, il se heurterait à des incompatibilités européennes, que je laisse à Mme Berthelot le soin de vous présenter.

Mme Florence Berthelot, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Il existe trois versions de la directive Eurovignette. La première remonte à 1999. La deuxième date de 2006 – le dispositif de l’écotaxe s’est fait dans ce cadre. Quant à la troisième, prévue pour entrer en vigueur au plus tard le 13 octobre 2013, elle a été adoptée en 2011, malgré notre opposition.

Cette directive ne prévoit pas une obligation d’instaurer une tarification des infrastructures ; elle se limite à préciser que celle-ci doit s’exercer dans des conditions uniformes au sein des États membres. Une réflexion est d’ailleurs en cours à Bruxelles, visant à rendre obligatoire la tarification des infrastructures dans tous les États, voire son extension aux véhicules particuliers.

La troisième version de la directive est plus contraignante que la première : un État ne pourra placer la limite à 12 tonnes que s’il démontre à la Commission européenne qu’un seuil inférieur aurait des incidences négatives importantes sur la fluidité du trafic, l’environnement, le niveau de bruit, la congestion, la santé ou la sécurité routière. Le passage d’un seuil à l’autre doit donc être motivé et faire l’objet d’une notification à la Commission.

La directive traite également de la taxe à l’essieu et des redevances d’infrastructures. Dans sa première partie, elle interdit formellement aux États toute exonération de taxe à l’essieu, même s’ils instaurent un nouveau système de tarification des infrastructures. En France, cette taxe est fixée au plancher européen. Nous souhaiterions que la future directive permette aux États de la supprimer.

Enfin, en vertu du principe essentiel d’égalité de traitement entre les nationaux et les non-ressortissants, les textes européens ne permettent pas de taxer les étrangers en exonérant les Français. C’est à tort qu’on donne à la tarification des infrastructures en vigueur en Belgique le nom d’Eurovignette. Il s’agit en fait d’une vignette payable à la journée, au mois ou à l’année, ce qui permet aux nationaux de payer annuellement alors que les autres paient à l’usage. À terme, ce système semble condamné par l’Union européenne. Bien qu’il soit simple et peu coûteux en termes de collecte, il n’est pas possible de l’instaurer en France en raison de l’existence des péages. En effet, la directive Eurovignette interdit de faire payer deux fois sur un même tronçon de route.

M. Nicolas Paulissen. Le relèvement du seuil induirait des effets d’aubaine, qui existeront d’ailleurs déjà, mais de façon marginale, avec un seuil à 3,5 tonnes. Le relèvement à douze tonnes accuserait l’effet d’aubaine : les véhicules compris entre 7,5 et 12 tonnes bénéficieraient à la fois de la ristourne gazole, accordée aux véhicules de plus de 7,5 tonnes par la directive Énergie de 2003, et de l’exonération de l’écotaxe accordée aux moins de 12 tonnes.

S’il ne nous appartient pas de choisir la forme de la fiscalité ou son orientation, il est essentiel que toute mesure fiscale supplémentaire s’effectue à prélèvement constant. On doit mettre un terme à l’augmentation de la fiscalité. Si une nouvelle taxe est mise en place, nous devons pouvoir la répercuter sur nos prix de vente.

Notre secteur est en surcapacité structurelle, car il doit pouvoir répondre à la demande en cas de pic. C’est toujours le cas dans le transport, mais, alors que l’aérien est constitué en oligopole et le rail en monopole, le secteur routier comporte des centaines d’entreprises, ce qui induit une tension très forte, aggravée par la concurrence étrangère. Nos marges étant très faibles – de l’ordre de 1 % –, nos entreprises sont sensibles à la moindre variation de coût. Le secteur ne pourrait pas supporter l’écotaxe sans un mécanisme de majoration forfaitaire.

Celui-ci ne constituerait pas, cependant, une solution miracle. Nos entreprises subiront probablement des pressions de la part de leurs clients, qui voudront récupérer en haut de facture ce qu’ils perdent en bas. Reste qu’une majoration forfaitaire serait l’outil le plus efficace pour aider les PME à passer le cap.

Enfin, nous sommes favorables à une marche à blanc nationale et opposés à une expérimentation limitée à l’Alsace. Il n’y a aucune raison que cette région paie avant les autres. L’écotaxe est déjà suffisamment complexe. N’en rajoutons pas ! D’autant que le système impliquerait les autres régions, puisque les transporteurs qui travaillent avec l’Allemagne traversent nécessairement l’Alsace.

M. Marc Le Fur. Merci à M. Paulissen d’avoir tordu le cou à certaines idées, comme celle d’un relèvement du seuil de l’écotaxe de 3,5 à 12 tonnes, et à Mme Berthelot d’avoir rappelé que la directive européenne n’oblige nullement à passer à un nouveau système, mais fixe les règles à respecter si tel était le cas. Il était important que vous affirmiez votre opposition à l’écotaxe, car le ministre des transports a parfois argué d’un prétendu accord de votre part pour défendre son application.

Je comprends la difficulté d’établir un comparatif des fiscalités européennes, mais ce serait pour nous un élément très précieux. J’aimerais aussi connaître la part prise par le transport et la logistique dans le coût final d’un bien. Le chiffre global de 10 % avancé par le ministre n’est pas pertinent, car il faut raisonner par catégorie. Pour les biens pondéreux, le coût du transport et de la logistique peut être considérable, alors qu’il est négligeable, voire nul pour certains biens très onéreux.

Nous pensons tous qu’il nous faut moins dépenser d’énergie dans le transport, mais reste à savoir comment. Les 44 tonnes permettent de transporter beaucoup plus de matière sans consommer beaucoup plus d’énergie. Il faut trouver le moyen d’économiser celle-ci sans recourir à un système fiscal contraignant. Dans ma circonscription, par exemple, un transporteur avait demandé à ses chauffeurs de rouler à 10 kilomètres heure en dessous de la limite. Le transport durait plus longtemps, mais l’économie d’énergie ainsi réalisée compensait largement le recours aux heures supplémentaires qui, à l’époque, étaient moins taxées qu’aujourd’hui. C’était une solution intelligente.

À partir de combien de kilomètres considérez-vous qu’une alternative au transport routier est envisageable ? La fourchette de 300 à 400 kilomètres, qu’on avance parfois, vous semble-t-elle exacte ?

M. Gilles Savary. Il faut dissocier le débat sur la compétitivité du pavillon français et la question de l’écotaxe. Abstraction faite des charges sur les entreprises ou du coût du travail, notre pays est un de ceux dont le dispositif de taxation sur le réseau est le plus limité, du fait de la longueur de son réseau non autoroutier. Le coût élevé d’Ecomouv’, rapporté à son rendement, tient à ce que notre taxation, contrairement à la Toll Tax allemande, ne concerne pas les autoroutes. Le rôle de l’écotaxe n’étant pas de financer un gestionnaire de péage, il n’y a pas lieu de réduire le périmètre taxé, ce qui ne ferait qu’augmenter le coût de gestion du dispositif au kilomètre.

Remonter le seuil d’application du dispositif à 12 tonnes peut sembler sympathique, mais cela créerait un effet de seuil entraînant l’intrusion de la concurrence étrangère et une forte dérégulation des petits et moyens transporteurs. Je n’y suis donc pas favorable.

Le raisonnement de M. Le Fur sur les 44 tonnes ouvre la voie aux Mega Liners, probablement moins consommateurs d’énergie par kilo transporté, mais hélas extrêmement destructeurs pour la chaussée ! Méfions-nous du gigantisme auquel nous pousse le lobby suédois, d’autant que nous ne disposons pas du réseau américain. En outre, si j’ai bonne mémoire, les 44 tonnes ont été exonérés d’un essieu pour le calcul de la taxe à l’essieu !

Par ailleurs, dans un pays de transit comme le nôtre, il est impossible d’établir une discrimination en fonction de la nationalité. C’est une solution à écarter.

La question de l’écotaxe doit être posée dans le cadre du financement des infrastructures de transport. Notre absence de compétitivité – je souligne à cet égard que le salaire horaire d’un travailleur polonais représente 19 % de celui d’un travailleur français – est un autre problème qu’il faut traiter de manière indépendante.

On est actuellement en train de découvrir que l’ancien dispositif de l’écotaxe n’était pas si mal. Si 80 % des transports s’effectuent dans les régions, pourquoi exonérer un transporteur breton qui effectue quotidiennement quatre-vingts kilomètres à l’intérieur de la Bretagne, et non un transporteur auvergnat qui parcourt la même distance en Auvergne ? Il y a là un problème d’égalité entre les Français et à l’intérieur des régions ! Rien n’est jamais gratuit, in fine c’est toujours le contribuable qui paie.

Enfin, comment financer les infrastructures ? Peut-on imaginer un dispositif s’adressant directement aux chargeurs ?

M. François-Michel Lambert. Après m’être étonné, au début de l’audition, des arguments développés par les délégués de la FNTR, je me réjouis que nous soyons entrés dans une logique de coopération. Nul ne peut nier que les camions défoncent la chaussée et que l’entretien des voies est payé par le contribuable. La fiscalité écologique ne fait qu’appliquer le principe « pollueur-payeur » ou « défonceur de route / payeur », qui impose à celui qui détruit la chaussée de prendre en charge, même partiellement, sa rénovation. De même, les trains de fret paient plus chers quand ils sont plus lourds et endommagent les rails ou le ballast.

Je veux par ailleurs souligner que le transport n’est pas une activité en soi ; c’est un support de services qui participe à la performance économique. C’est pourquoi Gilles Savary a introduit dans notre législation la notion de « schéma national logistique », qui nous impose enfin de réfléchir à l’organisation fonctionnelle du territoire autour de l’activité économique. Il faut notamment reposer la question des origines et des destinations. Pourquoi transporte-t-on ? Peut-on le faire mieux ? Comment améliorer la performance ?

Il y a un an, dans cette même salle Lamartine, des experts ont signalé que le coût logistique acquitté par la France s’élevait à 200 milliards par an. Ils ont identifié une marge de progression de la performance de 10 % à 30 %, représentant une économie potentielle de 20 à 60 milliards.

Il faut penser la question de l’écotaxe dans une vision globale centrée sur l’idée de schéma national logistique, sur l’idée de redevance ou sur la prise en compte de l’impact du trafic des poids lourds sur la chaussée. Il faut aussi poser le problème en termes de niveau de pollution et d’aide à la conversion vers la norme Euro 6, comme cela se pratique en Allemagne ou en Suisse. Par ailleurs, les régions doivent être responsabilisées. Si la Bretagne est exonérée, elle prendra encore du retard au lieu de se réorganiser afin d’être plus performante.

À quelle date collectera-t-on le premier euro de la redevance poids lourds ? Quelle est la position de la FNTR sur l’exonération de l’écotaxe dont bénéficient les poids lourds du service public ? Dès lors que ceux-ci transportent des marchandises, par exemple des ordures, ne devraient-ils pas acquitter les mêmes taxes que les camions privés ?

M. Jean-Pierre Gorges. Pour faire avancer la réflexion, il faut avoir en tête le coût du transport. Le passage d’un trente-huit tonnes sur une route équivaut à celui de 1,2 million de voitures légères. La FNTR ne veut pas d’une fiscalité supplémentaire et réclame des outils afin de répercuter le montant de la taxe sur le produit. En somme, les barrières installées sur les routes ne serviraient à rien ; ce sont les produits qu’il faudrait taxer !

Par ailleurs, au lieu de faire rouler des camions sur les routes, il vaudrait mieux revoir notre système pour rapprocher les usines de transformation du lieu de production de la matière première. Qu’en pensez-vous ? La fiscalité doit inciter à choisir le bon mode de transport ou, mieux encore, le non-transport.

M. Nicolas Paulissen. La grande erreur du Grenelle de l’environnement a été d’exclure le transport routier du développement durable, sans prendre en compte nos marges de progression. La démarche « Objectif CO2 : les transporteurs s’engagent » permet de réduire le volume d’émission de 700 000 tonnes par an.

Il faut appréhender notre secteur sous l’angle de l’économie au lieu de le voir sous les seuls prismes des infrastructures et du développement durable. Dès lors qu’elles disposeront des marges nécessaires, les entreprises de transport routier investiront dans le développement durable.

C’est bien pour échapper à la logique du principe pollueur-payeur que nous avons fait introduire, dans la loi Grenelle 1, le principe d’une répercussion de la taxation sur le bénéficiaire du transport de la marchandise, ce qui ouvre la voie vers une taxe sur les marchandises.

Nous croyons beaucoup à la R&D, car, bien que favorables à la complémentarité des modes, nous ne pensons pas qu’il faille présenter les autoroutes ferroviaires ou maritimes comme la solution miracle qui permettra de supprimer les camions sur les routes. Des aides pourraient ainsi permettre à nos entreprises de s’équiper, pour la distribution urbaine, de véhicules à motorisation hybride. Dans dix ou quinze ans, le gaz naturel nous aidera à réduire les émissions de CO2. À l’échelon européen, les normes Euro ont permis de grands progrès. Depuis vingt ans, la performance énergétique des véhicules s’est considérablement développée.

En tant qu’administrateurs du Comité national routier, nous demanderons à celui-ci s’il est possible d’établir une comparaison entre les systèmes européens. L’excellent service d’études du ministère des transports peut aussi être sollicité.

Nous ne disposons que d’une moyenne – 3 % à 5 % – pour évaluer le coût du transport et de la logistique dans le prix d’un produit. Les principales filières pourraient réaliser des études plus précises, en fonction du type et de la nature des produits. J’insiste sur le fait que l’écotaxe est pour nous une charge considérable, car elle entre directement dans nos coûts, alors que nos clients, par exemple les agriculteurs, la répercutent sur leurs prix.

L’obligation du sixième essieu pour les 44 tonnes était une très mauvaise idée. C’est en découvrant le cadeau fait aux agriculteurs par ses prédécesseurs, que le Gouvernement avait ajouté ce dispositif, en catastrophe, pour protéger les routes. Nous sommes une victime collatérale de ce dossier, puisqu’il a fallu deux ans de travaux pour éviter la naissance d’un véhicule atypique en Europe – on ne le trouve qu’en Angleterre –, et dont la productivité aurait été catastrophique.

Certains d’entre vous ont rappelé à l’envi que les camions endommagent les routes, mais ceux-ci jouent un rôle d’intérêt général : ils transportent 99 % de nos besoins quotidiens. Les Français en sont conscients, comme le montrent toutes les enquêtes d’opinion. On ne peut oublier ce rôle social, dont nous sommes particulièrement fiers.

M. François-Michel Lambert. À quelle date collectera-t-on le premier euro de l’écotaxe ?

M. Nicolas Paulissen. Si vous réaménagez l’écotaxe, il faudra prévoir des délais suffisants pour que les entreprises puissent s’y préparer !

Mme Florence Berthelot. Le projet a connu trois reports et une suspension. Au cas où il s’appliquerait – je reste prudente –, il faudrait laisser du temps aux entreprises. Il leur avait fallu au moins quatre à six mois pour se préparer au précédent projet.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Borloo,
ancien ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie,
du développement durable et de l’aménagement du territoire

(Séance du mercredi 8 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons M. Jean-Louis Borloo qui, comme vous le savez tous, a été, de juin 2007 à novembre 2010, ministre d’État, en charge de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer ainsi que des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Monsieur Borloo, notre mission a déjà auditionné M. Dominique Bussereau qui a été votre collègue au sein du gouvernement et travaillait d’ailleurs étroitement avec vous dans le domaine des transports.

Vous avez, au cours de cette période, défendu devant le Parlement de nombreux dispositifs et de grandes lois à vocation écologique, notamment les textes de mise en œuvre des Grenelle I et II, dans le cadre d’un véritable marathon parlementaire. Nous sommes nombreux ici à nous en souvenir.

L’écotaxe a d’ailleurs été inscrite, dans son principe, à l’article 11 de la loi dite Grenelle I, en vertu duquel elle devait entrer en vigueur au cours de l’année 2011. Je rappelle que la loi Grenelle I a été adoptée, sinon à l’unanimité, à une écrasante majorité puisque les groupes UMP, SRC et Nouveau centre ont voté « pour ».

D’autres dispositions, notamment réglementaires, sont intervenues par la suite alors que vous aviez quitté le gouvernement.

En revanche, le recours à un partenariat public privé (PPP) pour la collecte de l’écotaxe a été décidé avant votre départ du gouvernement, même si le choix du consortium n’est intervenu qu’ultérieurement.

Toutefois, notre mission d’information n’est pas une commission d’enquête. Elle a avant tout pour objectif de trouver les voies et moyens d’une véritable refondation de l’écotaxe. Il nous revient de chercher à extirper le débat de la confusion dans laquelle il s’est malheureusement enlisé.

C’est donc dans cet état d’esprit que votre audition intervient. Je souhaite que vous nous donniez, si possible, certaines des pistes, voire des clés, qui permettraient de débloquer la situation.

M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je me félicite de la création de cette mission d’information dont l’objet est de trouver les voies et les moyens de sortir des difficultés actuelles. Le groupe UDI a d’ailleurs soutenu cette initiative.

Je vous le dis tout de go : ayant été, comme membre du gouvernement, partie prenante du Grenelle et ayant à ce même titre présenté les textes au Parlement votés très largement, je n’entends pas revenir sur le principe de la fiscalité écologique.

Le Parlement a été amplement solidaire du Grenelle de l’environnement dont la redevance poids lourds était un élément. Je veux rappeler la genèse de celle-ci. Cette idée de la redevance poids lourds est antérieure au Grenelle puisqu’elle remonte à 2003. Elle a ensuite été appuyée par nos collègues alsaciens qui s’inquiétaient de l’évolution chez nos voisins.

Cette redevance, loin de fragiliser une profession, a pour ambition d’encourager lentement le transfert modal, qu’il soit maritime, fluvial ou ferroviaire, et de favoriser le passage du tout véhicule aux transports doux dans les villes.

Le Grenelle de l’environnement reposait sur le principe suivant : dès lors que les cinq parties prenantes avaient trouvé un accord, le Gouvernement s’engageait à le soumettre au Parlement. La redevance poids lourds s’inscrit dans la problématique globale des transports et de la mobilité. L’objectif est de passer du tout routier, qui caractérise notre pays, à des modes de transport plus doux. Cela demande plusieurs décennies et la compréhension du modèle économique du transport routier et de la souplesse que ce dernier apporte.

Les organisations syndicales, y compris agricoles, les régions, y compris l’Aquitaine et la Bretagne, le Medef, les ONG, les organisations représentatives des salariés, le Parlement et l’État, tous se sont engagés en faveur d’une redevance poids lourds qui devait concourir au transfert modal tout en étant compatible avec la situation économique.

Cette redevance s’accompagnait d’un effort considérable en matière d’infrastructures : les autoroutes ferroviaires – avec une première expérimentation sur la ligne Perpignan-Bettembourg et la création d’une structure dédiée associant la SNCF, la Caisse des dépôts et consignations et un partenaire privé –, les autoroutes maritimes, le transport fluvial avec le canal Seine-Nord Europe et la régénération ferroviaire, indispensable compte tenu de l’état du réseau, à laquelle 9 milliards d’euros sur cinq ans ont été consacrés. Parallèlement, les opérations de lignes à grande vitesse (LGV) ont été lancées : les lignes Sud-Est, Le Mans-Rennes ou le TGV Est. Il faut savoir que les voies libérées par la création de lignes à grande vitesse sont réaffectées au transport de proximité ou au fret ferroviaire, permettant ainsi la réorganisation du réseau. La ligne Barcelone-Perpignan-Paris, récemment inaugurée, et le contournement de Montpellier-Nîmes pour éviter les camions allant de l’Espagne à l’Italie en sont des exemples. L’écotaxe s’inscrit dans cet ensemble de mesures.

Le principe de la redevance poids lourds a donc été acté. Restaient posées les questions sur l’équité territoriale, la technologie à mettre en place et les modalités pour y parvenir.

Sur le premier point, l’équilibre du territoire, le Parlement a considéré dès le départ que certains territoires ne devaient pas être soumis à l’écotaxe – ce fut le cas des DOM-TOM. Se posait également la question des territoires périphériques, notamment l’Aquitaine et la Bretagne, dans lesquels le trafic international est faible. Sur les 900 000 transporteurs répertoriés sur le territoire français, 200 000 sont des transporteurs étrangers.

Avec l’aide du Conseil d’État et au regard des règles européennes, a été envisagée la possibilité de faire de certains territoires des cas particuliers, non comme une faveur qui leur serait faite mais parce que leur situation périphérique le justifiait. Ainsi, le cas du Finistère a été, dès l’origine, pris en considération. Le principe d’une réduction du montant de l’écotaxe pour les régions périphériques a été admis. Cette réduction était de 25 % pour le Finistère ; elle a été portée ensuite à 40 % puis à 50 % pour être étendue à l’ensemble de la Bretagne. Il a également été décidé d’exclure la route nationale 164 et la collecte du lait, ainsi que d’autres mesures spécifiques.

Dès que le texte a été approuvé, largement et dans une certaine euphorie, par le Parlement, les investissements ferroviaires et fluviaux ont démarré. Mais nous savions que la mise en place de la redevance serait très compliquée comme le montre l’exemple de l’Allemagne : il a fallu cinq tentatives et aujourd’hui encore cette question y fait l’objet d’un contentieux de 3,5 milliards d’euros. Il y avait des choix technologiques à faire et une organisation à trouver pour garantir l’acceptation du projet.

Après le vote du texte, début 2009, deux décisions sont intervenues. La première a été de faire appel à la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (PPP), présidée par M. Noël de Saint-Pulgent. Celle-ci a rendu un avis le 12 février 1999 disant que « la pertinence juridique du recours au PPP est établie au titre de la complexité du projet particulièrement évidente dans le cas présent. Il est en effet impossible à l’État de déterminer seul et à l’avance le choix de l’option technologique optimale entre le système de positionnement par satellites GNSS et le système DSRC de communications à courte portée au sol. Le choix optimal pour l’État ne pourra être opéré qu’à l’issue du dialogue compétitif ».

Selon les autorités techniques et administratives qui conseillent alors le Gouvernement, le recours au PPP est donc justifié, non par des considérations financières, mais par la complexité du projet et le choix technologique à faire impliquant de multiples compétences. Dominique Bussereau a mené un travail rigoureux pour comprendre les différents systèmes. Il s’est rendu à plusieurs reprises en Allemagne à cette fin.

Seconde décision, un décret du Premier ministre établissant avec rigueur les responsabilités de chacun a été publié le 31 mars 2009. Son article 1er confie au ministre chargé des transports la charge de piloter la procédure préalable à la conclusion de tout contrat.

L’article 2 crée une commission consultative à laquelle le ministre chargé des transports soumet pour avis la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat. Sa composition est précisée par l’article 3. Cette commission est présidée par un membre du Conseil d’État, désigné par le vice-président du Conseil d’État, ou son suppléant. Elle comprend, en outre, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, le directeur général des douanes et droits indirects, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le directeur du budget et le président de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat, ou leur représentant. Elle peut recueillir l’avis d’experts astreints au secret professionnel. La commission, chargée de rendre des avis tout au long de la procédure, a donc été composée de personnalités indiscutables.

Depuis l’origine, la question de la périphéricité est posée. Elle a donné lieu, en février et mars 2010, à des débats avec les différents représentants de la région bretonne, qui ont abouti à proposer au Parlement d’étendre à l’ensemble de la Bretagne les mesures applicables au Finistère, d’exclure de l’assiette la nationale 164 et la collecte du lait, et d’autoriser les 44 tonnes. Je rappelle que la contrepartie de l’écotaxe poids lourds était la réduction à son plus bas niveau européen de la taxe à l’essieu.

La mise en place d’une fiscalité écologique et le transfert modal demanderont des décennies. Cette évolution indispensable doit faire l’objet d’un minimum d’assentiment.

Comment sortir de la situation actuelle ? C’est avec beaucoup de modestie et en tant que membre du Parlement, et non comme président de groupe, que je vais tenter de répondre à certaines questions.

La technologie peut-elle permettre d’exonérer les petites distances, de moins de cinquante kilomètres par exemple ? Je le dis avec prudence : apparemment oui, mais ce sujet mérite d’être expertisé.

Peut-on commencer par des expérimentations ? Apparemment oui.

Peut-on davantage tenir compte de la situation périphérique de certaines régions ? C’est possible. Cela ne constitue pas une concession à leur égard ; cela relève de la prise en considération d’une particularité.

On peut aussi envisager d’affecter une partie du produit de l’écotaxe à la modernisation de la flotte de camions, en dépit des contraintes budgétaires pesant sur le financement des infrastructures.

Enfin, l’évolution de la taille des poids lourds pourrait être étudiée avec les parties prenantes.

Le Grenelle était un accord social. Il en est résulté 260 propositions émanant de l’ensemble des parties, qui ont toutes été soumises au Parlement et validées à une écrasante majorité par ce dernier.

La fiscalité écologique est une mutation difficile mais indispensable. Il est vrai que les difficultés en Bretagne s’étaient manifestées au printemps 2010, mais elles se sont aggravées pour d’autres raisons que la seule écotaxe.

M. Philippe Duron. Le financement des infrastructures repose depuis 2005 sur le principe de recettes affectées. L’écotaxe a été créée par le gouvernement auquel vous apparteniez pour pallier les conséquences de la regrettable privatisation des autoroutes. La suspension de l’écotaxe – un manque à gagner d’un milliard d’euros de recettes – pose donc problème pour le financement des infrastructures engagées ou à venir.

L’écotaxe a été conçue sur le fondement de la directive dite Eurovignette et sur le modèle de la LKW Maut. D’autres options fiscales ou techniques ont-elles été étudiées avant de faire ce choix ?

Un autre mode de perception, fondé sur une déclaration des chargeurs, pourrait être envisagé. L’information sur les émissions de CO2 des prestations de transport est obligatoire depuis le 1er octobre 2013. Dans quelques mois, la certification des calculateurs de ces émissions sera mise en place. Peut-on imaginer de demander aux chargeurs de déclarer les émissions de CO2 induites par leur cargaison et de payer l’écotaxe comme ils le font pour la TVA ? Ce système est-il suffisamment viable pour être retenu par le législateur demain ?

M. Gilles Lurton. L’écotaxe a été décidée dans le cadre du Grenelle de l’environnement, vous l’avez rappelé. Son principe semblait alors faire consensus. Mais, entre la décision politique et sa mise en application, le contexte économique a changé : les entreprises sont confrontées à des difficultés économiques ; elles sont assaillies de taxes en tout genre et doivent faire face à un système très concurrentiel, concurrence parfois illégale dans le cas des camions de moins de 3,5 tonnes qui circulent souvent en surcharge.

Quel est votre avis sur la suppression d’une autre taxe, par exemple la taxe à l’essieu que vous avez évoquée, en contrepartie de l’instauration de l’écotaxe ? Nous avons tendance à créer de nouvelles taxes sans nous interroger sur ce qui a été fait par le passé, ce qui contribue à exaspérer les citoyens et les chefs d’entreprise de ce pays.

Mme Isabelle Le Callennec. Vous avez souligné que l’écotaxe s’inscrivait dans un plan d’ensemble visant à faire évoluer les modes de transport afin de diminuer la part du transport routier et de favoriser le transfert modal. Or, les chargeurs et les transporteurs nous le disent, les infrastructures nécessaires pour opérer ce transfert n’existent pas et n’existeront pas compte tenu de la nature de leur activité.

Monsieur Lurton a évoqué le contexte économique national et le contexte breton. Nous sommes confrontés à un dilemme : si l’écotaxe ne voit pas le jour, cela représente un manque à gagner pour les infrastructures. Mais si elle est appliquée, cela fragilise encore un peu plus l’activité économique. Avez-vous réfléchi à cette question lorsque des résistances à la mise en place de l’écotaxe se sont manifestées ? En Bretagne, des améliorations ont été apportées, mais elles sont aujourd’hui insuffisantes pour éteindre la revendication de suppression de la taxe.

Les transporteurs soulignent les possibilités d’amélioration de la flotte de camions. Ils demandent à l’État de soutenir un renouvellement du parc pour un transport plus propre. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bies. Je peine à comprendre pourquoi une distinction pourrait être opérée entre les régions au nom de la périphéricité mais ne pourrait pas l’être entre les pays européens. Je reprends la proposition que j’ai émise de distinguer la taxe à l’essieu, qui serait payée par les transporteurs nationaux, et l’écotaxe, qui serait payée par les transporteurs étrangers. Il me semble que cette idée mérite d’être creusée, y compris au plan européen. Les directives ne sont pas gravées dans le marbre.

J’entends mes collègues de l’UMP dire que l’écotaxe n’est plus possible aujourd’hui parce que les entreprises sont submergées de taxes nouvelles. Ce n’est pas vrai. Les entreprises de transport sont confrontées à deux problèmes : la taxe à l’essieu et les péages. Ces derniers ont connu une augmentation extraordinaire à la suite de la privatisation des autoroutes. Ne serait-il pas opportun de réfléchir à un retour en arrière sur cette question ?

S’agissant du transfert modal, l’expérience allemande, sur laquelle nous disposons du recul suffisant, montre que celui-ci est faible, voire, dans d’autres pays, inexistant. Cela me renforce dans l’idée que l’objectif premier de cette taxe doit être l’application du principe pollueur-payeur – celui qui abîme les routes doit payer. Le transfert modal est certes un objectif plus ambitieux, mais plus lointain aussi.

Enfin, l’idée d’une expérimentation en Alsace de l’écotaxe, à laquelle mon collègue Straumann et moi-même étions plutôt favorables, me paraît aujourd’hui illusoire et très risquée. La FNTR y est d’ailleurs totalement opposée.

M. Bertrand Pancher. L’intérêt de ces auditions est de prendre de la hauteur et d’échanger sur les perspectives en matière de développement durable.

Le Grenelle a été marqué par l’implication de tous et le consensus. L’unanimité était totale sur la taxe poids lourds qui est l’un des premiers instruments de l’économie verte. Les acteurs de la société civile et le Parlement y étaient favorables, y compris la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui vient nous expliquer que l’accord négocié il y a quelques mois n’est plus valable aujourd’hui.

Nous connaissons les menaces, qui ne sont d’ailleurs pas contestées – le réchauffement climatique et la disparition de la biodiversité –, et les opportunités
– l’économie verte. Que manque-t-il pour avoir le courage d’accepter la réalité et de transformer les menaces en opportunités ?

M. Gilles Savary. Vous proposez d’exonérer les courtes distances et d’améliorer la prise en compte de la périphéricité. Mais comment appréciez-vous cette périphéricité ? Je suis sceptique. Le transporteur qui va de Nice à Lille est par définition périphérique de Lille. Tout dépend du point de départ et de la destination.

Savez-vous que la distance moyenne parcourue est de 115 kilomètres ? Si ces 115 kilomètres sont parcourus à l’intérieur de la Bretagne, il y aura une exonération ; s’ils le sont à l’intérieur de l’Auvergne, il n’y en aura pas : vous créez de l’inégalité ! Je suis dubitatif sur l’ouverture de la « boîte de Pandore de la périphéricité ». Est-elle fondée sur une évaluation sérieuse ou est-elle le résultat de la pression politique ?

Enfin, quel est votre avis sur le mécanisme de répercussion de l’écotaxe ?

M. Xavier Breton. L’idée d’affecter une partie du produit de la taxe au renouvellement du parc de poids lourds a-t-elle été étudiée dès l’origine ou est-elle une réponse au problème actuel ?

La mise en œuvre de la fiscalité écologique voulue par le Grenelle de l’environnement, qu’il s’agisse de la taxe carbone ou de l’écotaxe, se heurte à de grandes difficultés. Est-ce inhérent à la fiscalité écologique ou est-ce une fois encore une exception française ?

M. Éric Straumann. En réponse à mon collègue Bies, l’expérimentation en Alsace ne serait acceptable qu’à la condition que l’intégralité du produit de la taxe revienne au réseau alsacien qui a pris un grand retard.

M. François-Michel Lambert. Je note, au travers de vos propos et de ceux tenus devant nous par la FNTR, une différence d’appréciation qui explique certainement les difficultés de l’écotaxe. Selon cette organisation, l’ouverture du réseau routier aux 44 tonnes n’est nullement une compensation à l’écotaxe.

Je suis inquiet pour les régions bénéficiant d’une exonération au titre de leur périphéricité. Si à court terme, elles peuvent croire en tirer profit, à long terme, elles ne connaîtront pas d’évolution structurelle et seront rattrapées par les réalités économiques, favorisant de nouveau l’apparition de bonnets rouges.

Plutôt que d’exaspération fiscale, ne conviendrait-il pas de parler d’exaspération à l’égard d’Ecomouv’ et du taux de collecte de la taxe ? C’est ce qui ressort des discussions avec les transporteurs routiers de ma région. Pensez-vous que nous devons persister dans ce choix ou mettre en place un autre mécanisme de répercussion ?

L’écotaxe, avez-vous dit, s’inscrit dans une vision globale et dans un schéma de développement logistique. En Allemagne, la mise en place d’une taxe équivalente a été l’occasion de repenser l’aménagement du territoire et les modes de transport. Ne devrions-nous pas plutôt nous en inspirer ?

Pouvez-vous, grâce à votre maîtrise du sujet, pronostiquer la date à laquelle le premier euro d’écotaxe sera collecté ?

M. Marc Le Fur. Je souhaite d’abord apporter quelques rectifications d’ordre historique.

L’unanimité obtenue lors du Grenelle doit beaucoup à votre talent. Mais je dois rappeler que, dès le débat sur le projet de loi de finances pour 2009, certains députés, issus de la même région, vous avaient alerté en demandant la suppression de l’article instaurant la taxe. L’unanimité n’était donc pas totale…

Il est vrai que la situation économique d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Au regard de la pression fiscale, la situation a changé. Les complications sur lesquelles nous vous avions alerté à l’époque se sont accrues.

Votre intuition est bonne lorsque vous soulignez le problème du transport court. Selon les spécialistes, le transfert vers le rail ne se justifie qu’à partir de 300 ou 400 kilomètres de trajet. Pour le transport de proximité, il n’existe pas d’alternative. En outre, comme l’a dit mon collègue alsacien, l’expérience allemande nous renseigne sur l’ineffectivité du report modal.

Il y a un risque pour les ambitions environnementales à allier systématiquement écologie et fiscalité, écologie et sanctions, écologie et normes. Les préoccupations écologiques que les citoyens partagent sont aujourd’hui associées à des éléments contraignants et négatifs. Nous, parlementaires, devons-nous interroger : en instaurant l’écotaxe, ne sommes-nous pas en train d’interrompre le mouvement de la société en faveur du développement durable ?

M. Jean-Pierre Gorges. À la lumière de la position de blocage de la FNTR, je pense que l’écotaxe ne pourra pas être reprise dans sa forme actuelle. Depuis le vote du texte instaurant la taxe, des années se sont écoulées, la fiscalité a évolué, la technique et le monde aussi. Ce qui est proposé est-il encore d’actualité ?

Il me semble que le problème est pris par le petit bout de la lorgnette. On s’attaque aux poids lourds qui sont certes destructeurs : un poids lourd de 38 tonnes équivaut à 1,2 million de passages de voitures légères sur une route. Ne faut-il pas envisager une approche écoresponsable qui consisterait à demander à celui qui choisit le moyen de transport d’en assumer le coût ? Il faut replacer la responsabilité sur l’objet transporté si l’on veut induire des comportements vertueux. Dans un monde parfait, il n’y aurait plus de camions à terme. Il faut faire payer celui qui est à l’initiative du transport plutôt que racketter l’intermédiaire.

Vous ne réussirez pas à imposer l’écotaxe dans sa version actuelle. Il faut imaginer un système dans lequel celui qui prend l’initiative de recourir à un certain mode de transport est le payeur, car c’est lui le pollueur et non le conducteur de camion.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, comme l’ont rappelé certains collègues, vous avez su faire prendre conscience à nos concitoyens, dans les années 2008-2009, de l’importance des questions relatives à l’écologie et au développement durable. Cela s’est traduit par le vote quasi unanime des textes du Grenelle de l’environnement. Dans ces conditions, comment expliquer le laps de temps qui s’est écoulé entre la prise de décision politique et la mise en œuvre de cette redevance qui nous cause tant de souci aujourd’hui ?

Le contexte étant favorable, on aurait pu imaginer que les choses se mettraient en place sereinement. Que s’est-il donc passé ? Faut-il chercher la cause de ce retard dans les ministères ? Les techniciens chargés de conseiller le Gouvernement n’étaient-ils pas prêts ? À moins qu’ils n’aient pas été à la hauteur des enjeux que vous aviez fixés !

Le report modal – maritime, fluvial et ferroviaire – était l’un des enjeux du Grenelle. Vous aviez présenté et développé des stratégies, dont les Bretons sont, ou seront, les bénéficiaires : avec la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes ou la future ligne Bretagne-Pays de la Loire. Quel scénario aviez-vous imaginé en matière de report modal ? Vous avez toujours dit que l’écotaxe financerait uniquement des infrastructures de transport.

Ensuite, on parle depuis de nombreuses années de procéder à une harmonisation fiscale, sociale et environnementale, afin de lutter contre les distorsions de concurrence existant au sein de l’Europe. A-t-on établi avec nos voisins européens des tableaux comparatifs permettant d’établir que cette nouvelle taxe ne créera pas de distorsion de concurrence supplémentaire ?

La réponse aux difficultés de mise en œuvre de l’écotaxe ne se trouve-t-elle donc pas, en partie, au niveau européen ? Les questions liées à l’écologie, à l’environnement et au développement durable ne doivent-elles pas être prises à bras-le-corps par l’Europe ?

M. Thomas Thévenoud. Monsieur le ministre, je voudrais que vous nous éclairiez sur votre implication dans les négociations avec la société Ecomouv’, et sur votre position concernant trois points particuliers : la durée du PPP, le montant du loyer et la pénalité due en cas de non application de l’écotaxe – pénalité dont nous avons été nombreux à ne découvrir l’existence qu’à l’occasion du mouvement des Bonnets rouges.

M. Jean-Louis Borloo. Certains d’entre vous se sont intéressés, à juste titre, à ce qui se passait au niveau international et européen. J’observe que l’actuel ministre des transports a pris l’initiative de réunir au printemps l’ensemble de ses collègues des transports sur le sujet et qu’au Parlement européen, le vice-président Dominique Riquet, en charge des transports, a pris la même initiative. Sans doute l’harmonisation européenne est-elle souhaitable – voire indispensable, s’agissant des modalités et des techniques. Mais je ne sais pas si elle est faisable, dans la mesure où les situations sont assez diverses. Certains pays, comme la Suisse ou la République tchèque, sont de véritables « corridors » à camions internationaux.

Monsieur Duron a déclaré que l’écotaxe avait été conçue sur le fondement de la directive Eurovignette. Oui, au plan formel, mais pas au plan philosophique. Certains d’entre vous ont loué mon enthousiasme et mon habileté, mais la vérité est que les Français, dans le cadre du Pacte écologique signé par tous les candidats à l’élection présidentielle, avaient très fortement envie de progresser en matière de développement durable. De fait, un sondage mené au niveau international en 2010-2011 a montré que nos concitoyens étaient, parmi les Occidentaux, ceux qui se préoccupaient le plus des enjeux environnementaux
– alors même qu’ils s’en désintéressaient dans les années 2004-2005. L’engagement des parties prenantes fut la conséquence et la concrétisation de leur volonté.

Monsieur Le Fur s’est demandé si on ne risquait pas de lier « taxe et écologie », ce qui irait à l’encontre de la philosophie générale de la taxation écologique. C’est bien entendu un sujet majeur. Il est terrible de constater que l’on parle beaucoup moins des éco prêts à taux zéro, des aides à la conversion de l’agriculture bio, du bonus-malus écologique – grâce auquel la France est le pays du monde qui, depuis 2009, a réduit le plus massivement ses émissions de CO2 – ou de la multiplication par deux, et bientôt par trois, des transports « doux » en ville. Je rappelle que l’objectif du Grenelle était de multiplier ceux-ci par quatre. Cela suppose que dans chaque ville, on soit à moins de huit minutes de l’endroit où l’on se rend. J’observe également que la France est l’un des rares pays au monde qui respecte le Protocole de Kyoto. Elle est même très avance sur ses engagements et obligations, si l’on se réfère à l’accord européen des trois fois vingt conclu sous présidence française.

Tel était donc le schéma dans lequel nous nous trouvions. Pour autant, nous devons faire face à une certaine désaffection. Celle-ci s’explique par le fait que certains assimilent respect de l’environnement et gestion des ressources rares à des politiques coûteuses et non à une stratégie majeure en matière énergétique et de développement. Or je suis convaincu que, dès aujourd’hui et pour les générations futures, les pays qui feront leur transition énergétique auront – y compris économiquement et socialement – un coup d’avance.

Évidemment, chaque fois que l’on s’engage dans telle ou telle mesure, des difficultés surgissent. Souvenez-vous des hurlements que l’on a entendus lors de la mise en place du bonus-malus écologique automobile. Certains disaient que c’était une vignette sur les grosses voitures, que cela n’aurait pas d’impact sur les achats. Bien au contraire, 54 % des achats ont été influencés par le bonus-malus écologique des voitures. Et la diminution des émissions de CO2 est passée d’un gramme tous les dix ans à un gramme par an. Aujourd’hui, il y a moins de bonus et l’on commence à ressentir un sentiment de taxation. Certes, je comprends les contraintes budgétaires, mais il est clair qu’on est en train d’évoluer sur ce point.

Monsieur Duron, le projet de financement affecté n’est pas lié aux privatisations
– sur lesquelles chacun peut avoir son opinion. Pour avoir assisté à tous les débats du Grenelle, je peux vous affirmer que l’éco redevance poids lourds était vraiment le fruit d’une réflexion environnementale et qu’elle a été portée, entre autres, par les transporteurs, les syndicats agricoles et toutes les régions. À l’époque, avait-on envisagé d’autres options ? Objectivement, je n’en n’ai pas le souvenir. Je vous répondrais plutôt non, sous réserve d’inventaire. Enfin, pourrait-on baser la perception de l’écotaxe sur la déclaration des transporteurs et des chargeurs ? Cette modalité mérite d’être expertisée, mais je n’ai pas, à cette heure, les moyens de vous répondre.

Monsieur Lurton a parlé des véhicules utilitaires légers. Je précise que les transports sont concernés par l’application de la directive « Services » et que le transport routier français souffre parfois aussi du fait que certains opérateurs ne sont pas soumis aux mêmes règles de temps de travail ou aux mêmes règles sociales que nous. C’est un point sur lequel la Fédération nationale des transports routiers souhaite plus de contrôles. Cela me paraît indispensable. Le Gouvernement essaie de faire ce qu’il peut en ce domaine. Ensuite, il faut améliorer la flotte des camions. C’est une hypothèse que j’avais évoquée à l’époque.

Monsieur Savary m’a demandé mon avis sur l’évolution du principe de répercussion. Ce qu’a fait le Gouvernement en la matière me paraît adapté. Le sujet est complexe et je n’ai rien à y redire.

Je ne crois pas que la fiscalité écologique soit un problème français. L’écotaxe semble moins critiquée par l’opinion publique que les autres taxes. Il faut toutefois reconnaître que France est un pays climatiquement béni des dieux où, pendant longtemps, les notions énergétiques et climatiques n’ont pas été prises en compte.

La fiscalité écologique française rencontre-t-elle des difficultés ? Je ne crois pas non plus. Le bonus-malus écologique fait partie des deux mesures les plus appréciées des dix dernières années. Les aides sur les travaux énergétiques dans les bâtiments ont été également bien accueillies. Les problèmes apparaissent quand les intéressés ont le sentiment qu’il n’y a pas de contrepartie.

Par ailleurs, il ne peut pas y avoir de rapport direct entre le payeur et le transfert modal dont il peut profiter lui-même. Le transfert dont il s’agit est global, il intéresse tout le pays et n’a rien à voir avec la décision de chacune et de chacun. C’est pour cela qu’il faut qu’il soit supportable.

Monsieur Lambert s’interroge sur Ecomouv’. Que ce soit très clair : politiquement, j’assume totalement la situation. Je vous ai lu le décret mettant en place la commission chargée de donner un avis sur le choix de l’entreprise, mais il se trouve que je n’ai jamais rencontré ses membres et que je ne connais pas le contenu du contrat. Ni Dominique Bussereau ni moi-même n’étions en charge à ce moment-là. Il me semble toutefois que mes successeurs, compte tenu de la rigueur de la procédure utilisée, ont eu raison de faire ce qu’ils ont fait. Je vous rappelle qu’il s’est agi d’un choix technologique, et je vous renvoie à ce que disait la mission d’appui pour le partenariat public-privé, à savoir que le choix optimal pour l’État ne pourrait être opéré qu’à l’issue d’un dialogue compétitif. C’est ce qui a justifié le PPP. Pour une fois, ce n’était pas une opération de préfinancement.

Messieurs Benoît et Gorges notamment se sont interrogés sur le temps qui s’est écoulé entre la prise de décision et la mise en œuvre de l’écotaxe. À l’évidence, les concepteurs de l’époque se sont arrêtés sur un principe. Mais les modalités sont extrêmement complexes. Je rappelle qu’en Allemagne, trois ou quatre ministres successifs ont buté sur le sujet, que le coût de collecte est très supérieur à ce qu’il est en France et qu’un contentieux de 3,5 milliards est bel et bien en cours.

Je pense que nos ingénieurs – en satellites, signalisations, télécommunications, etc. – ont plutôt bien fait leur travail d’ingénieur, tout en remarquant que le degré d’acceptabilité de l’écotaxe dans telle ou telle région ne relève pas de leur responsabilité. Ils ont conçu un système moins cher que le système allemand, qui fonctionnera sans doute très bien, technologiquement parlant, lorsqu’il sera mis en application. Bien sûr, cela a pris du temps. Le système devait être opérationnel fin 2011 et mis en application début 2013. Les circonstances ne l’ont pas permis. Nous avons plus de deux ans de retard et, entre-temps, la situation économique de notre pays a évolué.

Il ne s’agit pas du tout de faire la guerre aux camions. Ne pas prendre en compte la souplesse qu’ils permettent serait pure folie. Le fret ferroviaire en France est en grande difficulté, notamment à la sortie des ports, où les marchandises sont chargées à 92 % sur des camions ! Il faut donc investir massivement dans ce secteur, tout en défendant le système des camions, par ailleurs indispensable. C’est la raison pour laquelle nous avions lancé les autoroutes ferroviaires. Le fret ferroviaire est en effet un transfert total sur le rail, alors que l’autoroute ferroviaire est un système mixte dans lequel le monde du transport routier a toute sa place. Une première ligne, d’abord expérimentale, s’est imposée progressivement : un train par jour, puis deux, puis huit par jour, etc., jusqu’à atteindre le seuil de rentabilité. On devait en créer d’autres, au rythme d’une par an – Grand Nord, Grand Sud-Est, Sud-Ouest et Ouest-Est. Je regrette que, pour l’instant, à ma connaissance, nous ayons arrêté le développement des autoroutes ferroviaires qui constituent un bon combiné entre le rail et les camions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve,
ministre délégué chargé du budget

(Séance du mercredi 15 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget.

Monsieur le ministre, nous avons déjà reçu votre collègue chargé des transports, de la mer et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier, ce qui nous a permis de faire le point sur les principales étapes d’un dossier devenu complexe. Cette complexité a assurément été aggravée par la désinformation et le catastrophisme auxquels certains se sont adonnés.

Quoi qu’il en soit, notre mission entend dépasser les aspects les plus polémiques du sujet. Il nous importe de trouver les meilleures pistes pour rouvrir des perspectives de compréhension et d’acceptabilité à l’écotaxe. Une taxe dont le principe avait été approuvé à la quasi-unanimité du Parlement lors de l’adoption de la loi dite du « Grenelle I ».

Je rappelle que la semaine passée, au micro de RTL, votre collègue Pierre Moscovici a, une nouvelle fois, insisté sur le fait que l’écotaxe n’était pas supprimée, mais que son entrée en vigueur avait été simplement suspendue.

Une grande part des difficultés rencontrées s’explique sans doute par d’autres difficultés, celles d’activités professionnelles parmi les plus directement concernées : il s’agit des transporteurs routiers, dont les entreprises ont notamment perdu des parts de marché à l’international et, du côté des chargeurs, de la partie, peut-être la plus fragile, des activités agricoles et agroalimentaires.

Monsieur le ministre, toutes les voies d’apaisement nous semblent devoir être explorées.

Par exemple, est-il concevable que l’impact de l’écotaxe soit en quelque sorte « gagé » par des compensations, voire des suppressions concernant d’autres taxes ? Les Assises de la fiscalité des entreprises, qui viennent de s’engager, pourraient être l’occasion de clarifier et de simplifier le maquis des quelque 150 impôts et taxes à destination des entreprises.

Concernant le système de collecte retenu pour l’écotaxe, le contrat liant l’État au consortium Ecomouv’ a été qualifié par vous-même d’« hasardeux ». Ce contrat a paru en effet surprenant à beaucoup d’observateurs.

Sur ce point, est-il exact que, à compter de ce mois de janvier, l’exécution des termes contractuels exigerait de l’État un paiement à Ecomouv’ de 18 millions d’euros par mois ou de 55 millions d’euros par trimestre ? Du moins, tels sont les chiffres qui ont circulé dans la presse.

Existe-t-il d’ailleurs pour l’État une marge de négociation sur l’équilibre économique de ce contrat ? À défaut d’une véritable négociation, des discussions sont-elles néanmoins en cours sur certains points avec le consortium Ecomouv’ ?

Je terminerai par une interrogation de portée générale. Les gouvernements successifs n’auraient-ils pas fait trop confiance aux capacités de création technique, voire technocratique ? N’ont-ils pas méconnu le ressenti d’un terrain sur lequel allaient s’exprimer de nombreuses contradictions ou fantasmes de la part non seulement des futurs assujettis, mais aussi de certains responsables économiques et sociaux ? À cet égard, monsieur le ministre, disposez-vous d’études d’impact officielles sur l’écotaxe, autrement dit de travaux intelligibles conduits dans les années précédant l’entrée en vigueur annoncée du dispositif ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c’était un devoir pour moi d’accepter cette invitation. Vous avez engagé un travail parlementaire sur un sujet complexe, avec le souci de trouver une solution pour le financement de nos infrastructures de transport. Je souhaite contribuer à cette réflexion, en répondant à toutes vos interrogations dans un esprit de rigueur et de transparence.

En introduction de cet échange, je souhaite vous fournir quelques éléments sur l’état d’avancement du dossier « écotaxe poids lourds », en insistant sur cinq points.

Tout d’abord, l’écotaxe poids lourds est, avant tout, un nouvel élément de la fiscalité écologique dans notre pays.

Elle prend son origine dans le Grenelle de l’environnement, initié par le précédent gouvernement et qui fut, il faut le reconnaître, la traduction d’une large concertation de l’ensemble des acteurs de notre société : élus locaux, associations environnementales, employeurs, salariés, État. La mesure a ensuite été votée par le Parlement de façon transpartisane.

Il s’agit d’abord d’une fiscalité qui permet de donner un prix aux dégradations engendrées par la circulation des poids lourds sur nos routes nationales et départementales. L’usage de la route n’est en effet pas gratuit. Aujourd’hui, c’est le contribuable qui paye. Faire participer les usagers de la route relève d’un juste partage des coûts – et c’est ce qui a présidé à la décision du précédent gouvernement. Cela permet de mettre à contribution des transporteurs étrangers, qui empruntent le réseau routier français. Ils l’empruntent d’ailleurs parfois pour éviter le paiement des écotaxes en vigueur depuis longtemps dans certains des États européens qui nous entourent, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse.

Ainsi, les transporteurs étrangers contribueront, via l’écotaxe, à hauteur de 200 millions d’euros environ au financement des infrastructures de transport en France. Aucune autre méthode de taxation ne le permettrait, par exemple sous forme de taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises de transport, ou encore de hausse de la fiscalité sur le gazole routier. En effet, ces autres méthodes pèseraient de façon disproportionnée sur les entreprises françaises, en épargnant les entreprises étrangères ou les véhicules faisant leur plein hors de nos frontières.

Ensuite, cette écotaxe permet d’inciter à une rationalisation de l’usage du réseau, indispensable à la transition énergétique que nous engageons, et d’éviter la saturation des axes du réseau national. Elle encouragera le report modal, de la route vers le rail, c’est-à-dire au profit de modes de transports moins carbonés, et répondra ainsi aux objectifs du plan climat. Elle poussera à éviter le transport à vide ou à espacer les livraisons, de manière à réduire l’usage de la route.

L’écotaxe sera certes acquittée par les transporteurs routiers, et il faut veiller à la viabilité de toutes ces entreprises. Mais il faut rappeler que le tarif de la taxe, en l’état actuel des textes – 13 centimes par kilomètre parcouru en 2014 – est nettement inférieur à celui pratiqué par les États qui nous entourent : 17,5 centimes en Allemagne, 23 centimes en Autriche, 38 centimes en Suisse. Par ailleurs, un mécanisme de majoration des prix a été mis en place par le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier, pour permettre aux transporteurs de répercuter l’écotaxe dans leurs prix, car la volonté du Gouvernement est de ne pas voir écraser les marges, déjà très faibles, des transporteurs routiers. En effet, l’emploi et la viabilité des entreprises ont constamment été présents dans notre esprit. En outre, je rappelle que la taxe sur les véhicules routiers (TSVR), ou « taxe à l’essieu », a été abaissée en 2009 à un niveau qui est désormais très proche du minimum communautaire. Enfin, le choix a été fait, dans le budget 2014, de préserver le prix du gazole routier dans le cadre de la mise en place d’une composante « carbone ». Je rappelle ces éléments pour souligner la préoccupation constante du Gouvernement pour la compétitivité du secteur routier.

L’histoire de l’écotaxe n’est pas allée sans heurts, depuis l’origine.

Ce projet chemine depuis 2006 et, depuis son adoption en 2009, il a fait l’objet, chaque année, d’amendements visant à corriger ses malfaçons. Il est passé au travers d’un processus long et mouvementé de passation de marché avec le prestataire Ecomouv’. Je considère que la mission qui nous réunit aujourd’hui constitue une nouvelle étape, j’espère la dernière, pour faire en sorte que cette idée, mise en œuvre dans d’autres pays, qui résulte d’un processus de concertation et qui a été validée à plusieurs reprises par la représentation nationale, puisse enfin être mise en place dans de bonnes conditions.

Comme l’a rappelé le Premier ministre, la suspension de la taxe « poids lourds » doit permettre de se donner le temps nécessaire au dialogue. L’écotaxe nécessite sans doute des corrections, mais elle doit être mise en œuvre en gardant à l’esprit sa raison d’être.

Le second message que je souhaite vous adresser porte sur le rôle central assigné à la taxe poids lourds pour le financement de la politique des transports. Si la taxe poids lourds n’est pas mise en place, il conviendra de revoir nos objectifs en matière de modernisation de nos infrastructures de transport.

En effet, jusqu’en octobre 2013, nous avons construit une trajectoire budgétaire pour la politique des transports reposant sur la mise en œuvre de la taxe poids lourds à compter du 1er janvier 2014.

C’est en partant de cette hypothèse que le Premier ministre a demandé aux préfets d’engager des discussions sur les contrats de plan État-régions, afin que les projets d’infrastructures nécessaires au développement des territoires soient cofinancés avec les régions.

C’est également en partant de l’hypothèse que cette taxe poids lourd serait mise en place que Frédéric Cuvillier a fait conduire un appel à projets sur les transports collectifs en site propre (TCSP), qui permettra d’équiper nos villes de transports en commun et d’inciter nos concitoyens à emprunter les modes de déplacement « durables ». Le développement de transports plus respectueux de l’environnement constitue en effet un enjeu considérable auquel les villes sont attachées.

Comme votre collègue Philippe Duron vous le confirmera également, c’est en partant de cette hypothèse que la commission, qu’il a remarquablement présidée, a redessiné les priorités de la politique des transports de notre pays pour les décennies à venir.

Mon message est donc le suivant : considérer que l’on peut conduire la politique des transports, que nous avons co-élaborée avec vous, de manière inchangée, sans mettre en œuvre une contribution qui permette le rendement attendu, n’est pas réaliste dans le contexte budgétaire que nous connaissons.

Le Président de la République l’a rappelé : pour conserver notre souveraineté, nous devons rétablir nos comptes publics. Nous devons réaliser près de 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017. Il sera très difficile de réaliser à la fois ces 50 milliards d’économies et celles visant à donner plus de compétitivité à nos entreprises, en faisant une dépense supplémentaire de 800 millions d’euros par an. En effet, l’abandon de la taxe poids lourds nécessiterait de revoir nos priorités, de faire des choix, de redessiner les objectifs de notre politique de transport. Ne pas le dire serait mentir à nos concitoyens qui attendent légitimement la modernisation des infrastructures de transport, dans un souci de préservation des équilibres écologiques de la planète.

Il est donc important de garder en mémoire l’équation budgétaire qui s’impose à nous et qui nous oblige à faire des choix.

Je souhaite vous délivrer un troisième message. S’agissant de l’année 2014, nous aurons, dans tous les cas de figure, à franchir des obstacles pour surmonter le sujet budgétaire auquel nous serons confrontés.

Si nous mettons en place la taxe poids lourds, l’effet de sa suspension temporaire impliquera nécessairement un manque à gagner pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Dans ce domaine comme dans d’autres, le temps a un coût. Ainsi, si la suspension dure un an, les moindres recettes pour l’AFITF seront de l’ordre de 800 millions d’euros. Si cette suspension est plus courte, les moindres recettes seront proportionnellement moins élevées, et les difficultés budgétaires moins grandes.

Ce manque à gagner sera atténué par la baisse de loyer, qui résultera mécaniquement de la suspension et dépendra de nos discussions avec Ecomouv’ sur le contrat que nous avons passé avec cette société. Le manque à gagner, que nous ne connaissons pas puisque nous ne savons pas quand la taxe poids lourds sera mise en place, restera à n’en pas douter significatif.

Comme nous l’avions dit lorsque le Premier ministre a annoncé la suspension, ce manque à gagner doit être compensé par des économies en gestion.

Ces économies portent d’abord sur les dépenses de l’AFITF, sur lesquelles un travail est en cours, dont l’issue sera connue au début du mois de février lorsque le conseil d’administration de l’Agence votera son budget pour l’année 2014. J’en profite pour remercier le président de l’Agence et ses services pour la qualité du travail qu’ils ont mené avec nous.

Dans la mesure où ces économies ne suffiront certainement pas, une majoration de la subvention de l’AFITF devra être prévue, dès le budget initial de celle-ci, dont le calibrage n’est pas encore déterminé – nous y travaillons. Cette subvention prendra sa source au sein du budget du ministère des transports, conformément au principe d’autoassurance.

Il nous faudra ensuite faire un point d’étape : d’abord sur l’avenir de la taxe poids lourds, puisque votre mission aura certainement rendu ses préconisations et que la concertation sera achevée ; ensuite, sur l’état de l’exécution des dépenses de l’AFITF, ce qui nous permettra de mieux connaître ses besoins éventuels ; enfin, sur le degré de tension sur l’exécution du budget de l’État en général.

Forts de l’ensemble de ces informations, nous serons en mesure d’évaluer d’éventuels moyens additionnels à apporter à l’Agence. Ces moyens seront, là encore, financés par des redéploiements au sein du budget de l’État, car nous tenons à nous conformer rigoureusement à l’autorisation de dépenses que la représentation nationale a votée dans le cadre des débats du PLF 2014. Pour moi, l’objectif premier est de tenir la dépense, et ce sur tous les sujets.

Sur l’ensemble de ces questions relatives à la construction budgétaire 2014 de l’Agence, je ne pourrai pas vous en dire plus car les travaux sont en cours. Les choses seront stabilisées lors du conseil d’administration du 6 février de l’AFITF, au sein duquel l’Assemblée nationale est représentée. Il y aura donc une transparence parfaite sur les choix qui seront retenus. Les principaux messages restent que l’année 2014 sera une année difficile. Nous chercherons à tenir l’essentiel de nos engagements, mais il est indéniable que les pertes de recettes fiscales peuvent peser sur la soutenabilité de notre politique des transports.

Je voudrais insister sur un quatrième point. La mise en place de l’écotaxe a été suspendue afin de l’aménager et de trouver un compromis avec les parties prenantes. Le Gouvernement souhaite qu’un accord permette la mise en œuvre de l’écotaxe dans les meilleures conditions. Sur ce sujet, comme sur d’autres, il vaut mieux un bon compromis qu’une mauvaise querelle.

La concertation a été engagée, en Bretagne et ailleurs, notamment autour d’observatoires régionaux, pour sérier les difficultés et les aplanir, et pour permettre la mise en fonctionnement de l’écotaxe, une fois les aménagements nécessaires introduits par la loi.

Cette réflexion collective doit respecter deux principes.

D’une part, nous devons obéir aux règles du droit communautaire, en particulier celles de la directive « Eurovignette ». Nous ne pouvons pas consentir des efforts pour rétablir nos comptes publics et réduire nos déficits et, dans le même temps, nous engager dans de multiples contentieux européens, dont nous savons à quel point ils pèsent lourd dans le budget de l’État.

Le droit communautaire énumère la liste des exonérations qui sont possibles. Beaucoup sont déjà utilisées, notamment en faveur des engins agricoles. Il reste quelques possibilités, notamment en matière de transports d’animaux ou de transports agricoles de proximité, qui peuvent être examinées avec bienveillance dans le cadre des concertations en cours, tout en gardant à l’esprit la latitude juridique dont nous disposons. Ainsi, le droit communautaire fixe par exemple des règles en matière de définition du réseau routier taxable, ou encore en matière de relèvement du seuil de taxation au-delà de 3,5 tonnes. Nous ne pouvons pas nous en affranchir.

D’autre part, nous devons prêter attention aux conditions loyales et équitables de concurrence entre transporteurs. Ces derniers y sont d’ailleurs très attachés. Cela suppose de conserver des règles simples, contrôlables par les dispositifs automatisés et par les services douaniers. Des règles peu contrôlables entraîneraient la fraude, c’est-à-dire une concurrence déloyale.

La concertation doit, par ailleurs, déboucher assez en amont de la remise en marche de l’écotaxe pour offrir aux contribuables une visibilité suffisante. Les contribuables doivent pouvoir, quelques mois avant la remise en marche, s’enregistrer et équiper leurs véhicules. Il faut aussi que tous les acteurs économiques impliqués et qui, pour certains, ont beaucoup investi, soient prochainement fixés sur le calendrier. Il faut enfin que le Parlement puisse traduire dans la loi les aménagements que votre Mission aura proposés.

Je finirai mon propos par un cinquième point. La gestion de l’écotaxe dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) est la modalité choisie par le gouvernement précédent.

Le contrat de partenariat a été signé avec l’entreprise Ecomouv’ le 20 octobre 2011. L’écotaxe sera gérée par cette société, à laquelle l’État versera un loyer. Beaucoup de pays étrangers, comme l’Allemagne, ont choisi la même modalité, en raison de l’extraordinaire complexité technique et juridique du projet.

On peut commenter à l’envi l’équilibre économique de ce contrat, le montant du loyer, les conditions d’élaboration de ce PPP – sans doute votre mission livrera-t-elle son analyse sur ce point. Mon approche est pragmatique. Ce contrat existe, nous en avons hérité, et sa résiliation coûterait 800 millions d’euros. Notre état d’esprit est donc de faire en sorte que ce contrat, que nous n’avons pas négocié ni élaboré nous-mêmes, puisse s’appliquer dans de bonnes conditions.

D’aucuns ont jugé utile de déclencher une polémique en indiquant que j’avais signé un arrêté concernant la perception de cette taxe. Ceux-là ne sont pas dans la salle, mais je tiens à dire qu’une telle critique relève d’une malhonnêteté intellectuelle qui ne les honore pas, puisque j’ai agi conformément au principe de continuité de l’État.

À court terme, la suspension décidée par le Premier ministre crée, au regard du contrat conclu avec Ecomouv’, une situation nouvelle qui ouvre un espace de discussion avec le prestataire, afin de préciser les règles qui s’appliquent pendant cette phase de suspension. Dans le cadre de ces discussions – qui doivent être à la fois constructives et intransigeantes au regard des intérêts de l’État –, le Gouvernement sera particulièrement exigeant pour minimiser le montant des loyers pendant la durée de la suspension et pour obtenir du prestataire la reconnaissance de sa responsabilité dans les retards accumulés pour la mise en œuvre de la taxe, avec les pénalités financières associées à ces retards. Il faut, en toute chose, le respect du droit, la défense des intérêts de l’État. Cette rigueur, nous la devons aux Français.

Voilà en quelques mots les éléments que je voulais vous rappeler.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Une étude réalisée par Jean Dominique Blardone montre la possibilité d’un report relativement important du trafic vers les autoroutes. Le ministère des transports a laissé entendre, il y a quelques mois, que cela pourrait se traduire par une augmentation du chiffre d’affaires des sociétés, comprise entre 200 et 400 millions d’euros. Vos services disposent-ils d’informations à ce sujet, monsieur le ministre ?

M. Thierry Benoit. Chaque semaine, des paramètres nouveaux apparaissent et permettent d’envisager la mise en œuvre d’une nouvelle écotaxe.

Je pense d’abord à la déclaration du Premier ministre sur une remise à plat de la fiscalité. Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons abordé l’agro-écologie. Monsieur le ministre, le « verdissement » de la fiscalité constitue-t-il une priorité pour le Gouvernement ?

Je pense ensuite au pacte de responsabilité voulu par le Président de la République, qui laisse supposer une réelle volonté d’allégement des charges pesant sur les entreprises. Comment intégrez-vous cette nouvelle donnée ?

Le troisième paramètre nouveau est le souhait du Président de la République de voir modifier le périmètre de certaines institutions de notre pays, je pense aux régions. Un parlementaire de la majorité a émis l’idée de ramener le nombre de régions de vingt-deux à quinze. Le dialogue noué entre l’État et les régions va-t-il prendre en compte cet élément ?

Pour finir, vous avez évoqué l’Eurovignette, la distorsion de concurrence en Europe. Comment comptez-vous porter ce débat sur la scène européenne de façon à nous assurer que la mise en œuvre de l’écotaxe n’entraînera pas une distorsion de concurrence accrue entre les entreprises françaises et celles de nos partenaires européens ?

M. Philippe Duron. Monsieur le ministre, je vous remercie pour la clarté et la précision de votre propos.

L’Agence de financement des infrastructures de transport assure le paiement des engagements pris par l’État. Environ 16 milliards d’euros doivent être payés dans les années à venir, qu’il s’agisse de grands projets, comme les quatre lignes LGV, ou de projets de régénération d’ouvrage ou d’infrastructure. L’année 2014 sera difficile, et nous devrons faire preuve de responsabilité, mais il est un fait que certaines dépenses sont incompressibles.

Monsieur le ministre, convient-il de différer certaines dépenses, je pense notamment à la convention signée entre le Gouvernement, la SNCF et l’AFIFT, sur le renouvellement des trains d’équilibre du territoire (TET), au troisième appel à projets des transports collectifs en site propre (TCSP), ou encore au volet transport des contrats de projet ?

Théoriquement, la réception du dispositif pour la mise en œuvre de la taxe poids lourds est prévue pour le 20 janvier. Est-il raisonnable de la réaliser à cette date, ce qui implique le paiement par l’État des rémunérations prévues au contrat, ou convient-il de l’effectuer au moment où le dispositif sera opérationnel, ce qui suppose de négocier avec Ecomouv’?

Une partie des transporteurs est opposée à l’écotaxe, considérant qu’elle va peser sur le résultat de leur profession déjà fortement touchée par le cabotage et l’emploi de travailleurs soumis à des conditions sociales différentes des nôtres. Comment consolider la répercussion afin d’éviter une négociation asymétrique entre les chargeurs et les transporteurs ?

M. Éric Straumann. Le Gouvernement est-il favorable à une expérimentation dans l’Est de la France, autrement dit à une mise en service progressive du dispositif ?

Si l’écotaxe ne peut être mise en œuvre uniformément au niveau national, une mise en place régionale est-elle envisageable, avec des recettes exclusivement affectées aux régions ?

M. Joël Giraud. En Autriche, pour emprunter les autoroutes, on paie une vignette, des taxes spéciales sur les ouvrages spécifiques, comme le Brenner, et la LKW Maut pour les poids lourds.

En France, les choix opérés sont étonnants, puisque la définition des axes ne repose pas sur le principe de l’origine-destination. Pourtant, l’impact économique et écologique n’est pas du tout le même entre un poids lourd qui vient de l’industrie automobile du Piémont et va chercher des pièces détachées de l’autre côté de la frontière espagnole et un camion de pommes qui quitte le sud des Hautes-Alpes pour aller livrer à Grenoble. Étrangement, c’est le second qui sera taxé sur la route nationale 85 et non le premier !

Ce dernier ne sera pas taxé soit parce qu’il empruntera des réseaux autoroutiers concédés, soit parce qu’il empruntera des réseaux non concédés, mais totalement exonérés d’écotaxe pour cause d’insuffisance de trafic – moins de 800 poids lourds par jour. Et pourtant, ce type camion, en parcourant 1 000 à 2 000 kilomètres et en traversant notre pays, cause des dégâts importants sur les réseaux, sans parler de la pollution qu’ils provoquent.

Je ne vois pas au nom de quel dogme la non-taxation du réseau concédé doit être appliquée, d’autant que, comme l’a rappelé le président Chanteguet, on va assister à un report vers ce réseau. En outre, prendre comme base, comme l’ont fait les services du ministère des transports, le nombre de poids lourds sur tel ou tel réseau aura pour conséquence de créer de forts trafics avec des poids lourds de faible tonnage, et de taxer essentiellement des entreprises de transport local qui travaillent dans des conditions difficiles.

M. François-Michel Lambert. À ma grande surprise, j’ai appris récemment que les portiques serviraient non à collecter l’écotaxe, mais seulement à contrôler la présence dans les poids lourds d’un équipement embarqué enregistrant les données de géolocalisation. Seul ce boîtier permettra de collecter l’écotaxe en déterminant en temps réel le franchissement d’un point de tarification et en calculant le montant de la taxe due.

Ainsi, le prélèvement de la taxe poids lourds pourrait se faire sans recourir à ces fameux portiques, comme l’a indiqué le vice-président d’Ecomouv’, M. Cornil, dans un entretien récent au journal Le Télégramme, et le contrôle de la présence des boîtiers dans les poids lourds pourrait être assuré par des policiers ou des gendarmes, comme pour les chronotachygraphes dans les camions.

Par ailleurs, la CNIL a indiqué le 14 février 2013 qu’en photographiant l’ensemble des usagers, et pas seulement les poids lourds, les portiques étaient attentatoires aux libertés individuelles. D’un point de vue technique, en effet, tous ceux qui passeront sous le portique devront être photographiés.

Monsieur le ministre, connaissez-vous les raisons pour lesquelles il a été décidé sous la précédente majorité de recourir à l’utilisation des portiques pour un appel d’offres qui, au final, s’élève à 1,9 milliard d’euros, alors que d’autres possibilités, comme le recours aux forces publiques – police et gendarmerie – aurait pu être bien moins onéreuses ?

Dans la mesure où les portiques sont le symbole de la cristallisation du ras-le-bol fiscal, comme nous avons pu le constater notamment en Bretagne, et que la mise en œuvre de l’écotaxe est suspendue, vos services ont-ils travaillé à la possibilité de la mise en œuvre de l’écotaxe dans le cadre d’un contrat renégocié avec Ecomouv’ ne prévoyant pas de portiques ?

Enfin, une implication plus forte des acteurs politiques locaux est-elle envisageable, en associant les conseils régionaux au choix des axes taxés et en leur donnant la possibilité de majorer la taxe pour abonder leur budget transport et infrastructures – comme elles peuvent le faire aujourd’hui en majorant le tarif des carburants ?

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre, je partage votre point de vue sur les enjeux que vous avez rappelés, en particulier le financement des infrastructures.

Le mécanisme de répercussion forfaitaire sur les chargeurs a suscité des interrogations, voire des oppositions, notamment dans les régions périphériques et certains secteurs économiques, comme l’agroalimentaire qui fonctionne à flux tendus et où le schéma logistique des PME implique une multiplication des transports.

Monsieur le ministre, vous avez dit être prêt à réfléchir à des aménagements, notamment avec la prise en compte de secteurs d’activité particuliers ou d’organisations logistiques particulières. Pouvez-vous nous apporter des précisions en la matière ?

Je pense en effet que le point de crispation tient au mécanisme de répercussion, forfaitaire et systématique. Une approche microéconomique sur certains schémas logistiques de PME me semble intéressante.

M. Marc Le Fur. Comme Mme Erhel, je pense que les modalités dites « Cuvillier », de répercussion transporteur/donneur d’ordre, ont suscité l’irritation.

Monsieur le ministre, je vous trouve donc très allant sur l’application de l’écotaxe ! Certes, vous êtes attentif aux équilibres budgétaires, mais je rappelle par ailleurs que les masses financières concernant le jour de carence des fonctionnaires sont identiques à celle de l’écotaxe. En outre, nos concitoyens entendent, d’un côté, le Premier ministre sur le Pacte pour la Bretagne et la remise à plat de la fiscalité et, de l’autre, le Président de la République dans une tout autre logique ! Je vous invite donc à la plus grande prudence.

Ensuite, vous faites des comparaisons internationales. Or l’Allemagne ne connaît aucun péage sur ses autoroutes, et la Suisse et l’Autriche ont instauré une vignette annuelle. Vos éléments de comparaison devraient être plus précis.

Par ailleurs, vous avez souligné la nécessité d’encourager le report modal, et nous sommes d’accord sur le principe. Cependant, l’écotaxe ne favorisera pas le transfert modal car celui-ci ne présente un intérêt qu’à partir de 300 à 400 kilomètres de transport. Or l’essentiel du trafic pénalisé par l’écotaxe sera le trafic de proximité. En outre, le report modal sera impossible dans certaines régions en raison de l’insuffisance du tissu ferroviaire. Il me semble donc logique d’appliquer l’écotaxe dans le cas où le donneur d’ordre peut choisir un autre mode de transport, ce qui peut justifier une augmentation du prix.

Enfin, monsieur Duron a indiqué qu’une partie des transporteurs est hostile à l’écotaxe. Mais aujourd’hui, tous les transporteurs y sont opposés, y compris la FNTR que nous avons auditionnée la semaine dernière. Et, les donneurs d’ordre, au moins ceux de ma région, sont radicalement contre.

M. le ministre. Monsieur Le Fur, je ne suis pas « allant », je m’attache à présenter des éléments objectifs sur la réalité de la situation. La majorité à laquelle vous apparteniez a voté l’écotaxe. Aujourd’hui, conformément au principe de continuité de l’État, nous essayons de faire en sorte qu’elle puisse être mise en place dans les meilleures conditions afin de financer nos infrastructures de transport. Ma position est pragmatique, et j’attends des parlementaires qu’ils fassent des propositions sur ce sujet stratégique.

Il n’y a pas de contradiction entre la position du Président de la République et celle du Premier ministre, entre la position du Gouvernement et celle de la majorité. Nous voulons rétablir la compétitivité de nos entreprises grâce à des actions très concrètes, au premier rang desquelles le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui permet aux entreprises de bénéficier d’un allègement net de charges de 20 milliards – dont elles n’ont jamais bénéficié jusqu’à présent. Nous le faisons, non pas avec un transfert de TVA sociale sur les ménages à hauteur de 13 milliards, mais à 50 % grâce à des économies en dépenses, la montée en puissance de la fiscalité environnementale, et la TVA à hauteur de 6 milliards. Nous voulons également poursuivre les objectifs du plan climat, voulu par le précédent gouvernement et porté par Jean-Louis Borloo dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Par conséquent, on ne peut pas faire de la politique politicienne sur un sujet aussi stratégique qui renvoie à la parole de la France au plan international. La parole de la France sera forte si elle se déploie dans la durée par-delà les gouvernements.

Monsieur le président, les études d’impact ne sont généralement pas un point fort dans le processus d’élaboration de la norme en France. Le processus d’étude d’impact sur la mise en place de l’écotaxe poids lourds n’a sans doute pas été exempt de critiques. Sur le fond, je dirai que les implications financières de la taxe ont été soigneusement expertisées – il faut le reconnaître –, notamment pour justifier le recours à un partenariat public privé. En revanche, il existe des angles morts : l’analyse de l’impact économique sur certains secteurs, comme l’agriculture et l’agroalimentaire, et l’analyse des conditions dans lesquelles la taxe pourrait être répercutée ou pas sur les clients. Le décret de mai 2012 rendait impraticable la répercussion de la taxe. Le nouveau système de majoration forfaitaire, mis en place sous l’impulsion de Frédéric Cuvillier, a résolu une partie de ces difficultés. Un autre angle mort existe s’agissant des entreprises qui utilisent beaucoup le transport routier sans être elles-mêmes des entreprises de transport routier. À cet égard, je rejoins la préoccupation exprimée par Marc Le Fur sur les entreprises agricoles, notamment bretonnes. En effet, ces entreprises ne bénéficient pas directement du mécanisme de majoration forfaitaire et sans doute faudra-t-il trouver une solution qui leur permette de répercuter la taxe, notamment sur leurs acheteurs dans la grande distribution.

Il était prévu une expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace, puis, dans un second temps, une expérimentation nationale à blanc, ce qui aurait incontestablement permis de dresser un premier bilan rapide avant généralisation. Les retards accumulés dans la mise en œuvre de la taxe, en raison de dysfonctionnements persistants affectant le dispositif mis au point par Ecomouv’, ne l’ont pas permis.

Une expérimentation régionale soulèverait deux sujets sérieux. Nous nous éloignerions de la solidarité nationale, garantie par l’AFIFT dans le cadre d’un schéma national pour le développement des infrastructures et des transports de demain. Nous perdrions en cohérence de nos politiques publiques, sachant que l’AFIFT doit contribuer à travers ses financements au développement des transports en site propre pour l’ensemble des agglomérations.

S’agissant du montant et du calendrier des loyers dus, la suspension décidée par le Premier ministre crée une situation nouvelle qui permet une discussion avec Ecomouv’, afin de pallier les incertitudes du contrat et, surtout, de défendre les intérêts de l’État et donc du contribuable. Vous comprendrez que je ne commenterai pas devant vous le résultat de ces discussions ni même les conditions de leur déroulement – la confidentialité des négociations est la garantie de la défense des intérêts de l’État. Le montant des loyers, de 70 millions d’euros par trimestre en régime de croisière, doit faire l’objet d’une discussion durant la période de suspension, en raison des retards et de la non-perception de la taxe. De même, nous devons débattre du calendrier de paiement de ces loyers.

Pour ce qui concerne le report vers les autoroutes, les services de mon collègue Cuvillier sont particulièrement compétents pour vous apporter des réponses précises.

Monsieur Benoit, nous sommes déjà engagés dans le « verdissement » de la fiscalité à travers la contribution climat-énergie – l’un des vecteurs de financement du CICE -, dont nous attendons un premier rendement significatif en 2014 et une montée en puissance dans les années à venir à la faveur de la taxation des productions énergétiques qui occasionnent des pollutions. Je fais remarquer à tous les contempteurs systématiques de l’action gouvernementale que nous avons réussi à faire passer cette contribution climat-énergie, quand eux ont été dans l’incapacité de le faire pour la taxe carbone, censurée par le Conseil constitutionnel.

Nous allons poursuivre ce travail de verdissement de la fiscalité, en étroite liaison avec le Comité pour la fiscalité écologique, présidé par Christian de Perthuis, devant lequel je me rends régulièrement avec Pierre Moscovici et Philippe Martin, de sorte que les travaux de ce comité puissent s’articuler avec la réflexion sur la remise à plat de la fiscalité voulue par le Président de la République et le Premier ministre.

Notre volonté de donner une chance à nos entreprises, comme nous le faisons grâce à une baisse de leurs charges nettes, s’inscrit pleinement dans le cadre du « pacte de responsabilité » proposé par le Président de la République le 31 décembre. Ainsi, nous poursuivrons ce travail d’allègement du coût du travail, en contrepartie d’engagements de la part des entreprises pour plus d’embauches et plus de dialogue social. Les allègements supplémentaires seront financés par des économies en dépenses, d’où ma volonté d’un ajustement des budgets suivants exclusivement par des économies en dépenses. Je vous confirme d’ailleurs que les prélèvements obligatoires sur les entreprises baisseront en 2014.

Monsieur Duron, s’agissant du budget de l’AFIFT, il n’est pas question de revenir, dans l’exécution du budget 2014, sur les projets essentiels sur lesquels nous nous sommes engagés. En particulier, nos engagements sur le renouvellement des matériels des TET seront tenus. Le Gouvernement souhaite étudier avec vous le calendrier de déclenchement des engagements correspondant aux 16 milliards que vous avez rappelés, et il entend le faire de façon méticuleuse, ligne à ligne, ce qui nous permettra d’aboutir à un ajustement le plus fin possible du volume budgétaire qui devra être mobilisé en vertu du principe d’auto assurance. Encore une fois, si nous n’avons pas le produit de cette taxe, l’équation budgétaire sera difficile.

La taxe poids lourds sera due par tous les transporteurs empruntant le réseau français. Sur le produit de cette taxe, 200 millions seront supportés par les transporteurs étrangers. En étant liée au nombre de kilomètres parcourus, et non au nombre de trajets, elle sera favorable aux transporteurs de proximité.

Je rappelle les mesures prises récemment en faveur des entreprises de transport routier : baisse de la taxe à l’essieu, sanctuarisation du taux réduit applicable au gazole routier, mise en place du CICE dont l’effet, pour le secteur du transport et de l’entreposage, se chiffrera à 2 milliards d’euros en 2014.

Monsieur Giraud, les véhicules qui emprunteront le réseau taxable sont déjà soumis à péage. En tout état de cause, la superposition de péages et de l’écotaxe ne sera pas possible en vertu du droit communautaire Je vous propose donc de vous revoir avec mes services pour approfondir la discussion.

Concernant la définition du réseau taxable, il est prévu d’établir un bilan après un an de fonctionnement. Si des reports de trafic indésirables apparaissent alors, nous réviserons le réseau taxable, en particulier le réseau local.

Monsieur Lambert, il est technologiquement possible de mettre en œuvre l’écotaxe sans portique. Cependant, un contrat a été signé, dont les clauses contractuelles ont des effets budgétaires collatéraux très lourds. Changer de technologie impliquerait de changer de contrat, ce qui déclencherait des indemnités de résiliation, dont je vous ai indiqué le montant. L’hypothèse que vous formulez ne peut donc susciter mon enthousiasme.

Madame Erhel, la majoration forfaitaire mise en place par Frédéric Cuvillier a succédé à la répercussion au réel, introduite par le décret du 6 mai 2012 et difficilement applicable en raison de sa complexité à la fois pour les transporteurs et les chargeurs. Le nouveau système présente deux caractéristiques non négligeables : il est applicable et il évite l’écrasement des marges des transporteurs routiers. De plus, il est simple et transparent, en prévoyant un taux de majoration par région et un taux interrégional. J’en conviens : des entreprises peuvent être fortement utilisatrices de transport sans être elles-mêmes des entreprises de transport. À cet égard, Frédéric Cuvillier a évoqué devant vous la possibilité de l’affichage de l’écotaxe sur les factures de ces entreprises, pour faciliter la répercussion dans le cadre des négociations commerciales. Il s’agit là d’un début de solution que je soumets à votre réflexion.

M. Gilles Lurton. L’écotaxe a été votée de façon transpartisane. Depuis, le contexte économique, de plus en plus concurrentiel, a fortement changé, et un nombre croissant de camions de moins de 3,5 tonnes circulent sans contrôle et en surcharge sur nos routes.

Monsieur le ministre, je m’inquiète de la situation des transporteurs qui se sont équipés, parfois à des coûts importants. Une discussion est-elle envisagée avec ces derniers, afin de prendre en compte les frais qu’ils ont engagés pour cet équipement ?

M. Gilles Savary. Le ministre a le mérite de la clarté et de la franchise en évoquant l’équation budgétaire qui résulterait de la suppression de l’écotaxe.

Si j’ai bien compris, monsieur le ministre, nous sommes contraints sur la solution de sortie. Il est difficile de taxer les chargeurs car il existerait alors une distorsion de concurrence, puisque les camions étrangers qui traversent le pays seraient les seuls à ne pas être taxés. Il pourrait même y avoir des effets de frontière, avec des chargements à l’étranger. Par conséquent, nous devons taxer au kilomètre.

Je précise, car une erreur a été commise tout à l’heure, que la Suisse taxe les poids lourds au kilomètre : il faut une vignette générale pour entrer sur le réseau, à laquelle s’ajoute une taxation des poids lourds.

Une écotaxe à un niveau relativement élevé entraînerait un report du trafic sur les autoroutes. Il me semble donc nécessaire que notre Mission cherche une solution avec le secteur autoroutier.

En outre, ne faut-il pas envisager des dérogations par type de transport, en particulier en distinguant les biens primaires et les biens manufacturés ? L’écotaxe est en effet très coûteuse pour les biens primaires, alors qu’elle se répercute très faiblement sur l’économie pour des produits très manufacturés. Je suis surpris qu’aucune étude de filière n’ait été réalisée sur le sujet.

Enfin, ne faut-il pas prévoir un plus grand linéaire de réseau, afin de rendre l’écotaxe homéopathique ?

M. Thomas Thévenoud. L’objectif de cette mission d’information est de rebâtir une taxe poids lourds – et non de procéder à un enterrement de première classe de l’écotaxe, comme le prétend souvent l’opposition, en particulier M. Le Fur. Je peux témoigner que nos concitoyens sont favorables au transfert modal, à la contribution des camions étrangers à l’entretien de nos routes, et à une harmonisation européenne. Ce faisant, ils sont favorables au principe d’une taxe poids lourds en France.

Comme l’a déclaré le Premier ministre, « suspension n’est pas suppression ». En outre, la taxe poids lourds s’inscrit pleinement dans l’objectif d’une fiscalité écologique en France. Je tenais à le rappeler car M. Le Fur n’est pas porte-parole de la France. Il a d’ailleurs dit une grosse bêtise sur le jour de carence. D’après mes calculs, la masse financière pour le jour de carence est de 60 millions par an pour l’État, ce qui n’a rien à voir avec le montant en jeu pour l’écotaxe.

Monsieur le ministre, vous avez cité des chiffres précis : 800 millions d’euros sur le manque à gagner ; 70 millions par trimestre pour les loyers ; 800 millions en cas de dédit. Le 20 janvier, jour de réception, l’État devra-t-il faire un chèque à la société Ecomouv’ – on nous a parlé d’un chiffre avoisinant les 270 millions d’euros ? En outre, si l’écotaxe était abandonnée fin 2014, l’État devrait-il payer le manque à gagner, le dédit, les loyers, soit une ardoise voisine de 2 milliards d’euros à trouver dans le budget 2015 ?

Certes, l’acceptation de la taxe poids dans l’opinion publique est réelle – je le constate dans mon département, caractérisé par un important transit. Néanmoins, en tant que parlementaire, nous devons tenir compte de ces contingences budgétaires.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur le ministre, je comprends vos obligations en tant que ministre du budget, mais pensez-vous sérieusement que l’écotaxe puisse être mise en place dans le climat actuel autour de la fiscalité ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Pour avoir passé ma vie professionnelle dans le secteur de la technologie, je ne comprends pas la solution technique retenue – les portiques –, qui pèse lourd dans la facture. Il est possible de faire autrement, d’autant que la technologie a évolué.

Je pense aussi que notre Mission doit proposer un système plus cohérent d’un point de vue fiscal. Car entre 2006 et aujourd’hui, la fiscalité elle-même a évolué.

Au travers de cette taxe, ne cherche-t-on pas à régler deux problématiques en même temps qui n’ont rien à voir, la dépendance énergétique, les taxes, d’un côté, les routes et les payeurs, de l’autre. Il me semble qu’une réflexion globale doit être menée.

Pour avoir une fiscalité lisible, compréhensible et qui induit des comportements, ne pensez-vous qu’il faudrait instaurer une taxe sur la technologie utilisée ? En outre, si c’est l’usager final qui devra payer, faudra-t-il ouvrir les camions, déballer les colis… ? Le système va induire des comportements fous, dont personne ne sera capable de maîtriser les conséquences !

Essayer de récupérer aux forceps quelques millions d’euros au prétexte que le ministre du budget veut équilibrer son budget 2014, c’est prendre des risques énormes. Nous en reparlerons en 2015, monsieur le ministre : vous n’aurez pas touché un kopeck, vous aurez payé, et nous n’aurons pas avancé vers une solution fiscale plus cohérente.

M. Philippe Bies. Il me semble qu’en Alsace comme ailleurs, les conditions d’une expérimentation ne sont pas forcément réunies.

J’ai interrogé Jean-Louis Borloo la semaine dernière sur la privatisation du réseau autoroutier. Il ne m’a pas répondu. Monsieur le ministre, pensez-vous que la cession des autoroutes est un sujet clos, sur lequel l’État ne pourra pas revenir ? Devons-nous, au contraire, nous pencher sur cette question au regard du levier qu’elle représente en matière d’aménagement du territoire tant d’un point de vue économique, fiscal que stratégique ?

M. Olivier Marleix. Le ministre parle souvent de bonne foi, et je lui en donne acte.

Monsieur le ministre, j’aimerais vous entendre sur le montant du contrat Ecomouv’, de 230 millions d’euros par an sur onze ans et demi. Le partenaire privé de l’État supporte l’investissement de près de 1 milliard d’euros, à amortir sur cette durée, ainsi que le fonctionnement et l’entretien du dispositif de radar, de l’ordre d’une centaine de millions par an, soit l’équivalent de ce que coûte à l’État le dispositif de radar de lutte contre la vitesse. Au vu de ces chiffres, partagez-vous les propos excessifs sur un contrat exorbitant, voire scandaleux ?

M. Joël Giraud. En Autriche, tous les camions à partir de 3,5 tonnes sont équipés d’une GO-Box. En plus de la vignette autoroutière, trois critères sont pris en compte : la distance parcourue, le nombre d’essieux et la classe Euro, soit quatre éléments en une seule taxe. Un dispositif « eurocompatible » est donc tout à fait possible.

Monsieur le ministre. Monsieur Savary, je pense comme vous qu’il n’est pas possible de taxer les chargeurs. Il n’est pas possible non plus de moduler la taxe selon le secteur économique, sauf à créer des difficultés techniques très difficilement surmontables, indépendamment des obstacles juridiques.

S’agissant de la question sur le report vers les axes autoroutiers, le bilan établi après une année de fonctionnement sera très précieux pour ajuster le dispositif. Le tarif de l’écotaxe, s’il demeure en l’état, est, sur une large partie du réseau, plus bas que le péage autoroutier.

Monsieur Lurton, 190 000 véhicules ont été enregistrés et sont équipés depuis l’engagement du gouvernement précédent de mettre en œuvre cette taxe. Toutes ces démarches n’ont pas été faites en vain, puisque cet équipement sera opérationnel si l’écotaxe est mise en place à l’issue de sa suspension. Les conditions économiques de mise à disposition des équipements ont été retenues pour limiter au maximum le coût pour les petites entreprises. Sont prévus un rabais de 10 % pour les abonnés et un montant minimal limité à 1 euro, une caution de 100 euros pour les non abonnés et l’absence de frais d’achat.

Monsieur Thévenoud, si l’État réceptionne le dispositif le 20 janvier – ce qui très peu probable –, aucun loyer ne serait dû avant mars. Le chiffre que vous citez est alarmiste et ne correspond pas à la réalité. En revanche, la perte de recettes de 800 millions d’euros, en cas de retard de mise en œuvre de la taxe, est une réalité incontestable.

Monsieur Gorges, je n’ai pas dit que le Gouvernement tenait à mettre en œuvre l’écotaxe sans tenir compte du contexte. J’ai exposé une réalité budgétaire. Le Premier ministre a exprimé la volonté de trouver un bon compromis, ce qui est toujours préférable à la démagogie et au conflit.

Monsieur Savary, les exonérations sont envisageables pour autant qu’elles ne nous exposent pas à des risques de contentieux européens, dont on sait qu’ils sont toujours très coûteux. Je rappelle que, dans le budget 2013, les contentieux européens ont pesé à hauteur de 3,7 milliards.

Faute de mettre en œuvre l’écotaxe, le financement de nos infrastructures de transport serait problématique. Cela se traduirait dans les territoires par moins de trains, moins de transports durables, moins de transports en commun en site propre, moins de trains modernes. Ne pas le dire, c’est mentir et céder à la démagogie.

Monsieur Gorges, vous posez toute une série de questions sur la nature de cette taxe et sur les modalités de sa mise en œuvre. Ce faisant, vous me demandez des comptes sur un dispositif que vous avez intégralement conçu et que nous devons aujourd’hui mettre en place. C’est la réalité.

M. Jean-Pierre Gorges. Ce n’est pas l’objet de la Mission. On ne peut pas parler comme cela en permanence. Il faut parler de l’avenir.

Monsieur le ministre. Je suis prêt à ne pas parler ainsi si on ne me demande pas des comptes en permanence sur les raisons pour lesquelles un dispositif que nous n’avons pas conçu ne fonctionne pas. Vous avez raison de dire qu’il faut regarder l’avenir. C’est ce que nous faisons, en ayant parfaitement conscience de ce que le passé nous apporte d’ennui. Nous essaierons de faire au mieux, de façon pragmatique, sans démagogie et dans la transparence. La volonté du Gouvernement, comme dans tous les grands pays européens, est de promouvoir la modernisation de nos infrastructures de transport, gage de compétitivité de notre économie. Notre approche est équilibrée, responsable, dans un contexte extraordinairement difficile.

Monsieur Marleix, s’agissant du contrat avec Ecomouv’, nous souhaitons ne pas passer notre temps à commenter le passé. Comme beaucoup de partenariats public-privé (PPP), le dispositif a ses imperfections et son intérêt ; il est complexe. Nous nous efforçons de surmonter les difficultés afin de parvenir à mettre en œuvre cette taxe.

Les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne et l’Autriche, montrent que le coût d’un PPP est toujours élevé. Ce coût est la conséquence même du PPP, puisque l’entreprise privée qui participe à la mise en œuvre d’une mission de service public le fait rarement pour des raisons philanthropiques.

En 2009, les services de l’État avaient estimé que le recours au PPP réduisait les coûts de 10 % par rapport à d’autres formes de marché public. À ce jour, aucune étude n’a remis à jour cette équation. Pour apprécier la réalité du coût du contrat, il ne faut pas partir du coût initial. Il faut regarder les surcoûts induits par les retards et les tensions qui en résultent et qui rendent le dispositif difficile à mettre en œuvre. C’est l’ensemble de ces éléments qui doit être pris en compte pour mesurer la réalité du partenariat public-privé.

En conclusion, il convient d’être scrupuleux. Je constate que les retards imputables au prestataire, d’une part, et le contexte actuel, d’autre part, engendrent des coûts collatéraux qui doivent être pris en considération dans l’équation financière globale du partenariat public-privé.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Audition, ouverte à la presse, de l’organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) : Mme Aline Mesples, présidente, M. Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général, M. Jean-Marc Rivera, secrétaire général adjoint, M. Yann Guisnel, Pdg de Guisnel distribution SAS, et Mme Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS.

(Séance du mercredi 15 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons cet après-midi les responsables de l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), organisation professionnelle française se présentant dans ses publications comme « l’unique organisation patronale représentant les TPE et PME du transport routier de marchandises, du transport routier de personnes, du déménagement, du transport de fonds et valeurs, du transport sanitaire et de la logistique ». Une telle présentation illustre clairement sa volonté de se démarquer d’autres organisations professionnelles du transport, plus anciennes qu’elle et peut être plus « statutaires » – que la mission entendra bien évidemment aussi. Il reste néanmoins exact que vos métiers sont exercés par un grand nombre de petites entreprises, d’ailleurs souvent familiales. Les élus que nous sommes les connaissent bien et sont à l’écoute de leurs problèmes.

Votre opposition à l’écotaxe peut être qualifiée de frontale puisque vous en exigez le retrait définitif, dénonçant « l’obstination » des pouvoirs publics. S’active d’ailleurs à vos côtés le Collectif Spinelli, une coordination plutôt informelle, dont vous voudrez bien nous indiquer les liens avec votre organisation. Les membres de l’OTRE ont en effet été à la pointe des manifestations de la fin de l’année dernière. Ils n’étaient sans doute pas seuls, mais les camions portaient souvent votre sigle sur les opérations de barrages routiers ! Nous souhaiterions donc que vous nous expliquiez plus en détail les raisons fondant votre refus.

Notre mission a bien conscience des difficultés rencontrées par de nombreuses entreprises de votre secteur. Parmi vos revendications, on relève une détermination à combattre le dumping social que vous subissez de la part de certains pays concurrents. De même, vous exigez une lutte plus affirmée contre le travail illégal qui affecte votre secteur et met véritablement en péril de petites entreprises de transport, les plus fragiles face à cette concurrence déloyale. Ayant entendu ces revendications, le Gouvernement a renforcé les contrôles en ciblant plus particulièrement les transporteurs de certains pays. Il agit par ailleurs au niveau européen afin de clarifier de façon définitive les règles de détachement des salariés.

Mme Aline Mesples, présidente de l’OTRE. Présidente de l’OTRE, je suis à la tête d’une entreprise de transport localisée dans les Pyrénées atlantiques. Je suis accompagnée des deux secrétaires généraux de notre organisation, M. Gilles Mathelie-Guinlet et M. Jean-Marc Rivera. J’ai aussi souhaité que notre délégation comprenne des représentants de l’entreprise bretonne Guisnel, qui a participé à la marche à blanc de l’écotaxe avec Ecomouv’ : Mme Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS, témoignera ainsi de la dimension technique de cette expérience, et M. Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS, apportera le témoignage d’un professionnel confronté à ce que devrait être la majoration qui est proposée en même temps que l’écotaxe.

Fondée en 2000, l’OTRE est une fédération patronale représentative de PME à capitaux familiaux, ayant souhaité, dès sa création, s’inscrire dans une dimension européenne, afin de répondre à la réalité du marché du transport routier français de marchandises, compte tenu de la situation de transit de notre pays et de ses conséquences.

Concernant l’écotaxe, l’OTRE a toujours eu une démarche constructive à l’égard des projets de taxation visant au financement des infrastructures routières, à la condition que cette taxation soit à iso-fiscalité pour les entreprises de transport routier de marchandises françaises et qu’elle permette de réduire le différentiel de compétitivité entre les entreprises françaises et européennes. Tout au long des travaux, nous avons alerté les pouvoirs publics sur les déviances des choix qui se formalisaient avec, d’un côté, une taxation dont la collecte serait sous-traitée à une société privée et des prestataires mandatés et, de l’autre, le principe d’une taxe dont le redevable est le transporteur, ce dernier étant autorisé à la répercuter. Les promoteurs de l’idée de répercussion de la taxe ont ainsi laissé croire à la profession qu’elle n’était qu’un simple collecteur et qu’elle pouvait être assurée de la neutralité financière de la mesure. Or, les travaux de la mission Abraham sur le premier modèle de répercussion, de même que les contours de la majoration actuelle, démontrent que cela ne sera pas le cas et que l’on a donc menti aux transporteurs. Dès lors qu’il est apparu que l’« écotaxe-Ecomouv’ » ne répondait pas au postulat de départ sur lequel les pouvoirs publics et la profession s’étaient engagés, l’OTRE s’y est clairement opposée.

À ce jour, nous avons établi trois types de constat : un premier de portée technique, un second de nature juridique et un troisième d’ordre commercial.

S’agissant tout d’abord du constat technique, les nombreux dysfonctionnements rencontrés dans le traitement administratif des dossiers d’enregistrement sont massivement à l’origine des reports successifs de l’entrée en application de l’écotaxe poids lourds, initialement fixée au 20 juillet 2013. Aucune preuve du bon fonctionnement des équipements embarqués ni du système de facturation n’a été établie à ce jour et il est impossible de savoir si les boîtiers sont certifiés et homologués par un organisme de métrologie, l’État affirmant que ce ne sont pas des instruments de mesure. Pourtant, c’est bien à partir du décompte de kilomètres parcourus enregistrés et relayés par ce boîtier que la taxe est calculée. De plus, on relève une grande opacité quant aux tests menés. Les différentes phases à blanc qui ont été instituées n’ont apporté aucun élément de réponse probant à cette question. Mme Béatrice Montay vous présentera un compte-rendu de la phase à blanc à laquelle a participé l’entreprise Guisnel.

Sur le plan juridique, l’OTRE estime que les deux grands principes d’égalité de traitement devant l’impôt et de non-discrimination n’ont pas été respectés. Qui plus est, compte tenu du refus de l’État et du ministère des finances de nous fournir une copie du contrat de partenariat public-privé entre l’État et Ecomouv’, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a été saisie : celle-ci a rendu un avis favorable à la remise du contrat à l’OTRE sous couvert du respect du secret de certaines dispositions comptables, financières et techniques.

Sur le plan commercial, enfin, le fait d’annoncer à de multiples reprises une date précise d’entrée en application de la loi a conduit les chargeurs à geler les négociations commerciales si bien que de nombreuses entreprises de transport n’ont pas pu revaloriser leurs prix depuis 2011. De plus, la loi sur la majoration du prix de transport en compensation de la taxe versée par les transporteurs a incité de nombreux chargeurs à revoir les contrats de transport qu’ils avaient conclus avec leurs transporteurs ou leurs sous-traitants, soit en diminuant directement le prix de transport, soit en rompant ces contrats et en lançant de nouveaux appels d’offre dans le but d’en revoir les conditions tarifaires à la baisse et ainsi de contourner ladite loi. Nous tenons à votre disposition des preuves de ces affirmations et M. Yann Guisnel exprimera tout à l’heure ses réserves à l’égard de la majoration et de ses conséquences sur notre activité.

Dénoncés par l’OTRE, ces trois constats cumulés fondent notre refus de voir l’écotaxe Ecomouv’ être instituée ainsi que notre demande d’annulation pure et simple de celle-ci en l’état.

Dès la première audience de la mission est réapparue l’opposition entre le principe de l’utilisateur-payeur et celui du pollueur-payeur, et, en filigrane, la question des moyens de financement des infrastructures. Car que veut-on taxer aujourd’hui ? Le poids lourds en circulation ou bien la marchandise qui circule par la route ? Et comment assurer le financement des infrastructures routières ? Nous souhaiterions par conséquent vous proposer plusieurs pistes de réflexion.

Première solution proposée, la taxation de la circulation des marchandises sur la route selon le principe pollueur-payeur. C’est alors le décideur du mode de transport utilisé pour véhiculer sa marchandise qui doit être taxé : toutes les marchandises circulant sur le territoire national sont taxées, quel que soit le véhicule qui les transporte – poids lourd ou utilitaire –, son tonnage et son immatriculation. Le système est universel et taxe à la source la circulation des marchandises sans avoir d’impact sur les entreprises de transport routier qui ne sont que des prestataires. Ce principe simplifie la chaîne de taxation envisagée actuellement, fondée sur la perception puis la répercussion par le transporteur. Pour ce faire, le principe d’une éco-redevance ou d’une ligne de taxation forfaitaire en bas de facture sur le modèle de la TVA pourrait être envisagé.

À cette idée peut être opposé le fait que les camions étrangers ne seraient alors pas taxés. La réponse envisageable est double : en cas de transport bilatéral, le contrat de transport étant français, le donneur d’ordre français doit faire appliquer la taxe même s’il fait transporter sa marchandise par un étranger ; en cas de transit international, on peut appliquer, selon le même principe que la vignette belge, un droit d’usage routier qui serait majoré du delta de taxation de la circulation de la marchandise sur le territoire national. Le dispositif serait déclaratif, soit via internet, soit grâce à des bornes installées aux frontières. Notez qu’en Allemagne, un projet de taxation, via une vignette, des véhicules utilitaires étrangers de moins de 12 tonnes serait inscrit au programme de la coalition du nouveau gouvernement Merkel. S’agissant par ailleurs du transport pour compte propre, cette taxe s’appliquerait à la marchandise livrée. Dans cette optique, il convient de ne pas oublier que les entreprises de transport routier pour compte d’autrui ou en compte propre continueraient de payer la taxe à l’essieu, respectant ainsi les dispositions de la directive Eurovignette relatives au financement des infrastructures.

Une deuxième solution réside dans la taxation de la circulation des poids lourds, qui correspond au principe de l’utilisateur-payeur posé par la directive Eurovignette II : le camion doit alors payer son utilisation des infrastructures routières. Ce principe était déjà posé dans la directive Eurovignette I qui définissait les taxes nationales affectées à ce financement et à cet entretien. Pour la France, il s’agissait de la taxe à l’essieu et de la vignette automobile. Selon la directive « Eurovignette II », cette taxe de financement des infrastructures constitue une redevance, auquel cas – et c’est là une demande de plusieurs députés de la mission – ses recettes devraient être affectées en grande partie à la route et à son entretien. De plus, à la différence des autres États membres de l’Union européenne qui ont mis en place une redevance kilométrique, la France présente la particularité de détenir sur ses infrastructures des autoroutes payantes privées. Sur cet unique réseau autoroutier, le camion participe aussi à hauteur de 40 % du chiffre d’affaires cumulé des autoroutes concédées françaises – soit 8 milliards d’euros annuels. La taxe à l’essieu reste aujourd’hui en vigueur, même si l’État l’a diminuée à son seuil minimal européen. La taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR) peut donc correspondre à la demande exprimée d’une redevance poids lourds. En assujettissant les poids lourds étrangers à la taxe à l’essieu, les finances de l’État peuvent récupérer très rapidement le même montant de recettes de taxe à l’essieu. Une telle option doit cependant se traduire non pas par un alourdissement de la fiscalité des entreprises françaises – qu’occasionnerait une augmentation de la taxe à l’essieu –, mais bien par l’élargissement de ce prélèvement aux véhicules étrangers utilisant le réseau non concédé.

La troisième piste envisagée concerne le financement des infrastructures
– problème pointé par nombre de parlementaires au cours des débats introductifs de la mission parlementaire et de l’audition de M. Cuvillier, au même titre que le coût qu’engendrerait le renoncement au dispositif actuel. Comme cela a été rappelé précédemment, au-delà du simple financement du réseau routier non concédé, le transport routier participe à hauteur de 40 % du chiffre d’affaires global des autoroutes françaises, alors qu’il ne représente que 25 % de la circulation sur ce réseau. Cela représente un montant de plus de 3 milliards d’euros auxquels il convient d’ajouter les recettes fiscales y afférant. Cependant, les premières concessions autoroutières vont prochainement arriver à échéance. Les principales sociétés d’autoroute ont proposé au Gouvernement une rallonge budgétaire
– d’un montant total de 3,3 milliards d’euros – contre une extension de trois ans de ces concessions. Au vu des sommes en jeu et des bénéfices que rapporte chaque année la circulation autoroutière, l’OTRE propose que l’État récupère ses contrats de concessions en permettant uniquement à ces sociétés de gérer techniquement les péages, comme elle le fait actuellement pour l’écotaxe avec Ecomouv’ – à la différence près que pour les autoroutes, la technologie est déjà en place et fonctionne correctement. Une telle solution permettrait à l’État de retrouver très rapidement une certaine aisance dans le financement des infrastructures.

En conclusion, l’OTRE réaffirme sa demande d’annulation du dispositif actuel d’écotaxe, concédé à la société Ecomouv’. Elle refuse un système qui laisse à croire que les entreprises de transport routier pourront facilement répercuter la charge de la taxe poids lourds sur leurs clients. Il s’agit là d’une fausse bonne solution qui, dès aujourd’hui, est totalement contre-productive pour l’activité des PME françaises. L’OTRE soumet donc à la mission d’information trois pistes de réflexion : l’imposition d’une taxation de la marchandise et de sa circulation routière directement sur le donneur d’ordre de transport, propriétaire de cette marchandise ; celle d’une taxation de la circulation des poids lourds, telle qu’envisagée par la directive Eurovignette, par le biais d’un élargissement de l’assiette de la taxe à l’essieu aux poids lourds étrangers ; enfin, la nationalisation des autoroutes concédées, qui permettrait d’assurer le financement des infrastructures grâce aux recettes de péage. Et les représentants de l’entreprise Guisnel sont là pour vous présenter la marche à blanc avec Ecomouv’ et le point de vue d’un chef d’entreprise sur la majoration forfaitaire censée permettre la répercussion de l’écotaxe poids lourds.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie d’avoir bien voulu nous expliquer les raisons vous ayant conduit à vous opposer à l’écotaxe et de nous avoir présenté différentes propositions – le rôle de notre mission d’information étant non seulement d’entendre les positions des organisations professionnelles sur l’écotaxe, mais aussi d’esquisser des pistes de réflexion compte tenu de l’importance des enjeux en cause.

M. Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS. Béatrice Montay, directrice générale de l’entreprise Guisnel, va vous présenter un bilan de la phase expérimentale que nous avons menée à bien depuis deux mois.

Mme Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS. Je vais en effet vous présenter une synthèse très rapide de notre expérience, démontrant que la marche à blanc n’a pas réellement débuté et que le dispositif n’est pas au point tant du point de vue technique que de la facturation.

Début septembre 2013, après avoir échangé avec l’OTRE, notre entreprise décide de participer à la marche à blanc. Le 11 septembre, nous prenons rendez-vous avec la société habilitée à percevoir la taxe (SHT) Axxès, avec laquelle nous travaillons déjà pour la fourniture de badges autoroutiers. Nous parvenons très rapidement à un accord et le 14 septembre, les bons de commande sont signés. Les documents administratifs nécessaires – barrés rouges et cartes grises – sont alors transmis à Ecomouv’. Le 25 septembre, soit dix jours plus tard, nous avons la grande joie de recevoir quatre boîtiers « marche à blanc », à destination de Guisnel distribution. Le 30 septembre, les boîtiers sont montés par nos ateliers et activés afin de pouvoir circuler sur le réseau autoroutier. Je précise que le montage, qui dure une heure environ, est à la charge du transporteur. Ayant contacté plusieurs ateliers et garages dans toute la France, nous avons constaté que selon les régions, le coût de ce montage représentait entre 72 et 120 euros par camion – soit un coût de plus de 80 000 euros pour notre entreprise, rien que pour brancher les boîtiers écotaxe, coût auquel s’ajoute celui de la location des boîtiers.

Le 1er octobre, nos quatre camions roulent avec leur boîtier activé et le 3 octobre, nous recevons des mandats assignés par la SHT. Très rapidement, dès le 17 octobre, je demande que l’on dispose d’un relevé de facturation : en effet, très motivée par la démarche, je souhaite vérifier si la géolocalisation est au point et si l’on peut en obtenir un relevé rapidement. La société Axxès nous indique alors que c’est impossible car elle n’est pas en possession, comme les autres SHT, des polygones de taxation. En d’autres termes, nous nous trouvons le 17 octobre dans l’impossibilité d’effectuer la moindre phase à blanc. Cela nous étonne tout de même dans la mesure où l’on nous certifie que plus de 400 camions ont effectué les tests sans problème. Le 23 octobre, on nous fait signer une charte de consentement au volontariat pour la marche à blanc : pourquoi ne l’avions-nous pas reçue dès le mois de septembre ? Le 30 octobre, nous apprenons le report sine die de la taxe alors qu’aucun relevé d’écotaxe ni de facturation n’a été produit. Et en novembre : plus de nouvelles.

Le 2 décembre, nous recevons un appel téléphonique de la SHT nous avertissant du démarrage de la phase à blanc, et le 4 décembre, une facture, alors que nous nous étions retirés de la démarche. Cette facture de la SHT reprend la facturation des badges autoroutiers, et comprend, en bas de page et en tout petits caractères, la mention « Ecotaxe : 197,50 euros hors taxe » sans aucun détail. Ce montant nous est dans le même temps recrédité sur une facture de service, sous le libellé de « frais soumis à TVA », mais pour un montant farfelu de 167,22 euros ne correspondant pour nous à aucune réalité. En outre, nous n’étions pas censés être facturés puisqu’il était prévu que nous disposions dans le cadre de la marche à blanc de relevés kilométriques sans aucune facturation. Le 6 décembre, nous recevons un mail d’Axxès nous informant que nos quatre véhicules déclarés auprès d’Ecomouv’ ont été intégrés dans la phase à blanc – alors que la taxe a été reportée sine die le 30 octobre et que nos véhicules circulaient équipés depuis le 1er octobre ! On nous informe également de notre possibilité d’accéder au détail de la liquidation de la taxe par immatriculation via notre espace client Axxès, ce qui est en réalité impossible, comme le démontre un mail de cette société nous précisant que celle-ci n’a pas le droit de fournir d’informations sur le détail de la taxe et que seule Ecomouv’ y est habilitée. Nous n’avons donc jamais obtenu le moindre détail. Le 13 décembre, nous adressons un courriel à Axxès demandant l’arrêt de la facturation et les informant que nous nous retirons de cette expérience. Le 16 décembre, nous recevons une deuxième facturation tout aussi incompréhensible.

Nouvelle bizarrerie, le 3 janvier 2014, nous recevons encore une facture, provisoire cette fois, de 2,46 euros. Deux boîtiers ont par ailleurs été activés pour Guisnel location, une autre société du groupe : dans ce cas également, on nous indique l’activation de l’un des badges le 3 janvier alors qu’il l’était en réalité déjà lui aussi depuis octobre 2013.

Par ailleurs, à cette date, nous n’avons plus accès à la partie géolocalisation du site puisque début janvier, nos accès internet ont été bloqués par Axxès, nous empêchant de contrôler la facturation. Cela étant, nous avons quand même essayé d’opérer un contrôle par nos propres moyens de géolocalisation : ayant repris les tournées de notre quatre camions sur la période du 16 au 30 novembre – période pour laquelle Axxès nous avait facturé ses boîtiers le 4 décembre –, nous avons constaté que ceux-ci avaient parcouru 14 149 kilomètres, dont 6 134 sur le réseau « écotaxé », pour un montant estimé à 720 euros. Le logiciel que nous avons utilisé pour effectuer cette estimation est « Map & Guide » de PTV Loxan, c’est-à-dire, à notre connaissance, le logiciel le plus utilisé pour sa fiabilité et le premier à avoir intégré l’écotaxe, logiciel avec lequel nous travaillons par ailleurs depuis plus de dix ans. Alors qu’Axxès nous avait facturé un montant de 167, 22 euros sur la même période, il nous a été impossible d’effectuer la moindre analyse des écarts constatés. En effet, l’indication, fournie par Axxès, selon laquelle il nous serait possible d’obtenir le détail de cette facture auprès d’Ecomouv’ via l’espace client Axxès, s’est révélée fausse : aucun détail n’a jamais été accessible sur le site. Notez que, dans le même mail, Axxès précise qu’elle n’est pas habilitée par le représentant de l’État à fournir le détail de facturation.

Compte tenu de notre expérience, force est de constater que ni la technologie ni la facturation écotaxe ne sont au point à ce jour. Je dois préciser, pour ne pas la pénaliser, qu’Axxès est une entreprise très sérieuse ayant joué le jeu avec conviction et implication dès le début de notre démarche pour la phase à blanc. Nous craignons simplement qu’elle n’ait fait que subir l’inexpérience d’Ecomouv’.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous vous remercions pour ce bilan particulièrement précis. Ce n’est pas la première fois, il est vrai, que l’on attire notre attention sur certains dysfonctionnements.

D’après les informations qui nous ont été communiquées à ce jour, 190 000 camions seraient équipés d’un équipement électronique embarqué. Tous les véhicules de la société Guisnel le sont-ils ?

Mme Béatrice Montay. Non, ce n’est le cas que de sept camions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Et au sein de votre organisation, Madame la présidente ?

Mme Aline Mesples. Peu d’entreprises en ont équipé leurs camions, et la plupart de celles qui ont commandé des boîtiers les ont gardés emballés. Seules quelques-unes les ont fait installer en garage. Beaucoup d’entreprises n’ont donc pas dépassé la phase d’enregistrement. Car lorsque l’on a échoué jusqu’à quatre reprises à enregistrer une flotte de véhicules, on abandonne la partie. J’ajoute que nous avions positionné trente entreprises réparties de façon relativement équitable sur le territoire français lors de la phase à blanc, et que la seule entreprise ayant pu aller jusqu’au stade de réception et d’installation de badges puis d’obtention d’un retour de facturation est l’entreprise Guisnel. Toutes les autres entreprises ont vu la phase à blanc s’interrompre pour diverses raisons, liées à des problèmes d’enregistrement ou encore au fait que la SHT retenue n’avait pas donné suite à la phase de mise en marche du dispositif.

M. Marc Le Fur. Par son propos très intéressant, Mme Montay nous a fait la démonstration que l’écotaxe ne pouvait être mise en application pour des raisons techniques évidentes. De fait, même son expérimentation à une échelle très limitée n’a pas été performante. Je souhaiterais donc que nous en tirions deux leçons. D’une part, il est inutile d’avoir des débats de principe alors que nous ne sommes pas du tout au point techniquement. D’autre part, je souhaiterais que ces informations soient délivrées très explicitement au ministre qui nous a expliqué qu’il était prêt à réceptionner le système Ecomouv’ en janvier de cette année et que par conséquent, la dette de l’État commençait à courir vis-à-vis de cette société. À l’évidence, le Gouvernement ne peut pas réceptionner Ecomouv’ dans la mesure où le système de répercussion ne fonctionne pas, ce qui signifie que l’argument selon lequel nous sommes en train de perdre beaucoup d’argent n’est pas valable.

Je souhaiterais par ailleurs vous remercier pour votre rôle constant d’alerte des pouvoirs publics : si tous les transporteurs avaient été aussi clairs que vous, sans doute les choses auraient-elles été plus simples dès le départ. Je vous remercie également pour vos propositions : j’en ai retenu une qui mérite peut-être des précisions – l’idée de faire payer par les étrangers la taxe à l’essieu, taxe d’utilisation du domaine public français.

M. Gilles Savary. Je vous remercie de l’extrême précision avec laquelle vous rapportez votre expérience de terrain. Il nous faudra donc demander des informations complémentaires au Gouvernement. En effet, ce qui était vrai en octobre dernier ne l’est peut-être plus forcément le 20 janvier, car peut-être a-t-on amélioré la maîtrise technique du dispositif. Toujours est-il que si ce dernier ne fonctionne pas, nous n’avons pas à payer de dédits. S’agissant de la situation d’octobre, il était bien connu que le dispositif avait des ratés et que les retards étaient dus à Ecomouv’ et non pas au Gouvernement.

Si vous avez tout à fait le droit de vous opposer à l’écotaxe, sa remise en cause nous mettrait néanmoins dans une situation très complexe compte tenu de l’héritage du contrat Ecomouv’, qui représente 800 millions d’euros de dédits, et du manque à gagner d’environ un milliard d’euros pour le financement des infrastructures, étant entendu que le but du jeu est de faire en sorte que l’État réalise des économies. Car il s’agit bien de faire en sorte de réduire les dépenses de l’État, en leur substituant une fiscalité sur les utilisateurs – c’est-à-dire des redevances. Une telle décision ne relève cependant pas de vous.

Vous proposez pour votre part trois pistes. Celle de la taxation de la marchandise a déjà été évoquée ici puisqu’elle correspond précisément au dispositif initialement proposé par Jean-Louis Borloo. Elle avait cependant été écartée au motif qu’il était infiniment plus compliqué de taxer les marchandises que de majorer les prestations de transport, dans la mesure où vos camions transportaient souvent plusieurs types de marchandises et que vous vous voyiez mal faire de la facturation tous les trois kilomètres, chaque fois que vous livriez un colis. Peut-on revenir à un tel système de facturation sachant qu’une partie de la profession a jugé cela absolument inenvisageable à l’époque ?

La taxation à l’essieu, elle, est européenne ; tous les poids lourds étrangers y sont donc assujettis, mais dans leur pays d’origine. C’est pourquoi je vois mal comment, par exemple, on pourrait recouvrer une taxation supplémentaire à l’essieu sur les Espagnols alors même qu’ils la paient déjà, et au moins au même taux que le nôtre. Et je vois mal comment ce serait physiquement possible puisque c’est sur le territoire national qu’il nous faut prélever l’impôt. S’agissant de la taxation belge que vous avez évoquée, je rappelle qu’une taxation n’est légale dans les États membres de l’Union européenne que si elle est équivalente pour les nationaux et les étrangers sans quoi l’on enfreint le principe de non-discrimination. Par conséquent, la taxation belge sur les poids lourds étrangers est également prélevée sur les Belges. De même, l’écotaxe aurait elle aussi été prélevée sur les Français comme sur les Espagnols. Vous noterez qu’aujourd’hui ces derniers ne paient rien puisqu’ils font le plein avant de passer la frontière pour ensuite se rendre dans la journée au Luxembourg. Il serait donc compliqué de les faire s’arrêter pour leur faire payer une taxe à l’essieu française.

En revanche, vous avez parfaitement raison en ce qui concerne la nationalisation des autoroutes concédées : nous sommes tous convaincus d’avoir échoué en les privatisant puisqu’elles rapportent énormément. La difficulté réside cependant dans le fait que lorsque l’on nationalise un bien, on doit l’acquérir à sa valeur, sans quoi l’on spolierait ses propriétaires. Or, pour disposer de l’argent public nécessaire au rachat d’autoroutes aujourd’hui fort chères, il nous faudrait prélever massivement des impôts – ce qui n’est guère à la mode. Et, de surcroît, cet investissement ne serait amorti que dans le temps. Les autres pays en difficulté budgétaire, tels que l’Espagne ou le Portugal, ont d’ailleurs plutôt tendance à vendre leur patrimoine public.

Quoi qu’il en soit, soutenez-vous l’idée que la taxation de la marchandise ne vous gênerait nullement ? Ce point vous sépare en effet d’autres transporteurs. Et nous nous étions nous-mêmes interrogés sur l’opportunité de taxer les chargeurs, ce qui impliquerait de pouvoir recouvrer cette taxe quelque part.

M. Gilles Lurton. J’ai beaucoup de plaisir à accueillir ce soir, dans le cadre de cette mission, une entreprise de ma circonscription. Pour se développer, l’entreprise Guisnel a su allier la tradition familiale à une très grande rigueur de gestion, mais elle a dû faire face à de nombreuses contraintes administratives qui ont malheureusement souvent freiné le développement auquel elle pouvait prétendre.

J’interrogeais ce matin le ministre du budget sur le coût de l’écotaxe pour les transporteurs. Or la réponse que j’ai obtenue ne me semble pas tout à fait correspondre à ce que vous nous avez démontré ce soir : le ministre a en effet indiqué que le coût pour les transporteurs avait été extrêmement faible. Pourriez-vous nous indiquer ce qu’il représente pour une entreprise comme la vôtre ? En outre, que pensez-vous de la possibilité qui vous est offerte de refacturer l’écotaxe au client ? Un tel système est-il simple à instituer ? Enfin, puisqu’il s’agit d’allier une fiscalité écologique à un besoin financier, que pensez-vous de l’éventualité d’une faible augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ? Voilà qui aurait pu compenser le manque à gagner de l’écotaxe.

M. Marcel Bonnot. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir dressé un triple constat technique, juridique et commercial, et d’avoir formulé plusieurs propositions. Compte tenu des observations qui viennent de nous être livrées, il semble que l’on ne puisse pas demander à un poids lourd étranger d’acquitter la taxe à l’essieu sur notre territoire national. Il convient cependant de réfléchir à une solution.

Je viens de l’est de la France, région traversée par l’autoroute A35-A36-A39 qui, selon les dernières estimations, est fréquentée à plus de 52 % par des poids lourds étrangers, d’origine polonaise notamment. Ces poids lourds sont exonérés de la taxe à l’essieu, ce qui induit une forme de concurrence déloyale et de distorsion commerciale. C’est pourquoi votre proposition d’extension de la taxe aux poids lourds étrangers me paraît digne de réflexion, quelle que soit la valeur juridique des observations précitées.

M. Éric Straumann. Vous représentez une organisation de transport routier européen. Vos véhicules circulent donc certainement en Allemagne : comment les choses se passent-t-elles dans ce pays ? Êtes-vous satisfaits du mécanisme de recouvrement qui y est en vigueur ? Les boîtiers utilisés en Allemagne seraient-ils éventuellement compatibles avec la mise en application de l’écotaxe en France ou sera-t-il au contraire nécessaire d’installer un deuxième boîtier sur les réseaux français ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La création d’un fonds d’aide à la modernisation de la flotte vous paraît-elle une idée intéressante à examiner dans le cadre de cette mission ? Je souhaiterais également vous interroger sur les actions de formation des chauffeurs qu’il conviendra de mener et qui auront, elles aussi, un coût.

M. Guénhaël Huet. Je reprends à mon compte les interrogations de Gilles Lurton, que je complèterai par la question suivante : la société Guisnel est-elle en mesure d’évaluer les transferts susceptibles d’intervenir en cas d’application de l’écotaxe aux seuls véhicules de plus de 3,5 tonnes ? Avez-vous déjà effectué, dans votre région, une évaluation approximative du tonnage des marchandises qui pourraient être transférées chez des sociétés concurrentes utilisant des véhicules de moins de 3,5 tonnes ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est une vraie question. Malheureusement, aucune étude d’impact ne semble avoir été sérieusement conduite.

Mme Aline Mesples. Je formulerai des réponses aux questions généralistes et laisserai M. Guisnel et sa directrice vous apporter des réponses plus précises, s’agissant notamment des modalités d’application de la majoration et de ses effets sur une société de transport située en Bretagne, ainsi que des coûts induits par l’écotaxe pour les entreprises.

S’agissant de nos propositions, si nous avons évoqué la taxation de la marchandise, c’est parce qu’il est possible de la répercuter non seulement sur notre premier client, mais sur toute la chaîne de consommation. S’il n’y a pas eu de fronde contre les éco redevances et écotaxes qui ont été appliquées à l’électroménager et au mobilier, c’est parce qu’il est possible de les répercuter, du producteur au consommateur. Dès lors, elles ne pèsent pas sur une seule branche d’activité. À l’inverse, si l’écotaxe poids lourds pose problème aujourd’hui, c’est que les 1,25 milliard d’euros escomptés seront essentiellement prélevés sur une seule et même branche d’activité – le transport routier de marchandises, en compte public comme en compte propre.

Je complèterai les chiffres que vous avez cités tout à l’heure en vous fournissant ceux de la profession : l’écotaxe poids lourds représente a minima 5,5 % de notre chiffre d’affaires pour des entreprises dont les marges s’élèvent en moyenne à 1,04 %. D’où l’importance de ce dossier pour notre secteur et la véhémence des propos tenus par certaines entreprises. Notre secteur souffre réellement et ne peut supporter un tel impact financier.

Quant à l’effet de report de fret du poids lourd vers le véhicule léger, il s’agit là d’une des conséquences, déjà en marche, de l’écotaxe. Nous avons d’ailleurs alerté à maintes reprises les ministères concernés de la situation du véhicule léger en France : à l’heure actuelle, dans toutes les villes françaises et dans toutes les régions, même les plus reculées, on trouve des véhicules légers étrangers, essentiellement polonais et roumains, qui font du fret. Pour l’anecdote, nous avons observé en venant ici qu’un véhicule léger polonais était en train de livrer l’Assemblée nationale. Il s’agit donc là d’un vrai problème. Les grands opérateurs de transport qui arguent des nécessités de l’international pour venir travailler sur le territoire national à bas coût ont déjà instauré un système et une organisation permettant le report du fret poids lourds sur le fret moins de 3,5 tonnes. M. Guisnel dispose d’ailleurs sur ce sujet d’un dossier étayé dont il pourra vous parler.

Quoi qu’il en soit, si l’utilisation du poids lourd est pertinente, c’est que ce véhicule permet de regrouper les marchandises, de même qu’un bus transporte de nombreux passagers. Les petits véhicules servent, eux, à faire de la ramasse au niveau local, que l’on charge ensuite dans un poids lourd. Il est vrai que ces derniers engendrent de la pollution. Mais lorsqu’au lieu d’un seul véhicule transportant ses vingt tonnes, vingt véhicules légers transportent chacun une tonne – ce qui, soit dit en passant, signifie qu’ils sont en surcharge – dans des conditions sociales et fiscales tout à fait illégales, le coût environnemental, social et fiscal pour notre pays est effroyable.

M. Yann Guisnel. Je rappellerai tout d’abord que nous sommes une entreprise à 100 % familiale, existant depuis cinquante-sept ans. Nous avons deux activités. La plus connue est celle de transport de mobilier : elle nous permet de réaliser 40 millions d’euros de chiffre d’affaires. La seconde consiste en la location de véhicules dédiés au bâtiment, pour un chiffre d’affaires d’un peu plus de 20 millions d’euros. Nous possédons 800 véhicules moteurs et employons 750 personnes. L’activité meuble est celle qui souffre le plus depuis quelques années, notamment du fait du report de marchandises sur les 3,5 tonnes, qui nous a conduit à baisser nos effectifs de 285 personnes depuis quatre ans. On peut considérer que cette baisse d’effectifs est due à 80 % à un problème de concurrence déloyale. Notre chiffre d’affaires, qui était de 60 millions d’euros il y a cinq ans dans cette activité, est réalisé pour près de 30 % à l’export – Angleterre, Allemagne, Belgique, Suisse, pays nordiques, Espagne.

L’Allemagne a instauré un système de taxation au kilomètre, qui s’applique de deux manières. La première est fondée sur l’installation de GPS dénommés « OBU » au-dessus des camions, permettant, dès lors que les véhicules passent la frontière et utilisent des tronçons assujettis à cette taxe, d’établir un calcul des kilomètres parcourus jusqu’à la sortie du pays. Les transporteurs sont alors facturés au mois. Ayant vérifié ces calculs de façon précise et pragmatique, nous avons constaté qu’ils étaient tout à fait exacts. La seconde façon est la suivante : si vous vous rendez vous-mêmes en camion à la frontière, vous serez obligés de vous arrêter et de déclarer, muni de votre carte grise, le nombre d’essieux de votre véhicule et le voyage que vous devez effectuer. Vous serez alors enregistré si bien que lorsque vous quitterez à nouveau le territoire allemand, et ce quel que soit le poste frontière, on vous fera payer sur place, avant de sortir, la taxe correspondant aux kilomètres taxables parcourus. On retrouve d’ailleurs un système assez comparable en Suisse. Il faut savoir qu’au départ, le coût que nous faisions supporter à nos clients en pied de facture sur l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche était de 5 à 7 %. Or il s’élève aujourd’hui à 11 %. Car malheureusement, tous les un ou deux ans, l’Allemagne intègre des routes supplémentaires au dispositif.

Comme l’a dit Mme Mesples, le coût de l’écotaxe représenterait 5 à 7 % de notre chiffre d’affaires. Et je vous confirme que nous sommes très satisfaits lorsque, les bonnes années, nous faisons 1,5 % de marges. C’est d’autant plus rageant que nous avons une belle entreprise – nous avons obtenu deux fois le prix de la sécurité en France – et que nous consacrons un peu plus de 4 % de notre masse salariale à la formation.

Nous sommes confrontés à deux problèmes. Le premier réside dans la concurrence déloyale due à l’utilisation des véhicules de 3,5 tonnes provenant pour la moitié de l’étranger. Si vous observez de près les choses dans les semaines et les mois qui viennent, vous verrez qu’il y a un nombre impressionnant de véhicules de 3,5 tonnes sur les autoroutes et les aires de repos ou les parkings. Ces transporteurs ont mis en place une organisation extrêmement performante leur permettant de se ruer sur les petits lots lors des bourses de fret. Ils organisent ainsi depuis la Pologne ou d’autres pays la « ramasse » de ces produits pour les livrer dans des délais performants. L’on sait en revanche que ces véhicules sont en permanence en surcharge, car ils ne peuvent supporter au mieux que 700 à 800 kilos.

Cela dit, l’autre moitié de ces transporteurs est franco-française – ce qui est peut-être plus grave. Si l’État faisait son travail de contrôle des véhicules, et si vous obteniez de Bruxelles que les 3,5 tonnes entrent dans les quotas fixés aux directions générales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) pour les contrôles de véhicules, il y aurait beaucoup moins de concurrence déloyale.

Ce point capital a également d’autres conséquences – et pas uniquement pour l’entreprise Guisnel. Il est clair que le transport industriel et de lots complets est désormais assuré par les transporteurs étrangers. Il n’est guère compliqué de répercuter en pied de facture sur un client une majoration pour le transport d’un lot complet entre Lille et Marseille. En revanche, à l’instar de nombreux transporteurs français, nous transportons des demi-lots et mettons en général dans nos camions de transport mobilier des meubles neufs à destination d’une cinquantaine de clients. Nous remplissons ainsi nos camions pour la semaine. Nous n’avons donc d’autre choix que de répercuter la taxation individuellement en pied de facture. Pour cette raison, nos clients ont déjà contourné le problème : de nombreux chargeurs contraignent les transporteurs – de façon autoritaire, en les menaçant de passer des appels d’offre en cas de refus – à baisser leurs tarifs de 5 %.

Et il vient aujourd’hui de se créer un nouveau métier : celui d’affréteur. Les affréteurs sont des Français appartenant au monde du transport, souvent à de grands groupes – raison susceptible d’expliquer pourquoi certains groupes relevant d’autres syndicats de transporteurs ne protestent pas dans ce dossier. Ces gens appellent tous les chargeurs pour leur proposer de baisser leurs coûts de transport de 20 % du jour au lendemain. Quel chargeur ne serait pas intéressé par une économie aussi substantielle ? Ces commerciaux, qu’ils soient français ou pas, parviennent à faire baisser les prix en recourant à des véhicules de 3,5 tonnes et en faisant venir des transporteurs étrangers. Ils s’arrangent alors pour que ces derniers chargent du fret au départ du pays étranger ou leur demandent de se rendre jusqu’à la frontière allemande. Ils leur confient un transport d’encadrement au départ de l’est de la France vers toutes nos régions, leur assurant des rechargements de produits français, y compris à destination française. Il est en effet impossible de vérifier que les règles de cabotage sont bien respectées. La situation est donc dramatique !

Monsieur Lurton, vous qui êtes de Saint-Malo, sachez que les ferries qui arrivent dans l’ouest de la France sont pleins à craquer de transporteurs étrangers qui ne peuvent charger en Angleterre, si bien que nous n’avons même pas de place en fin de semaine, lorsque nos camions arrivent. Ces transporteurs viennent inonder l’ouest de la France pour prendre des produits à vil prix puisque de toute façon, il leur faut rentrer. Quant aux transporteurs français qui transportent des demi-lots, ils avaient l’habitude de prendre de petits lots pour « payer le gasoil » : or, aujourd’hui ces petits lots ont disparu de la circulation, happés de façon extraordinaire par les transporteurs étrangers.

Je conçois que vous soyez soumis à des contraintes budgétaires, mais je vous conseille d’attendre avant de prendre des mesures et de réagir à la multiplication des 3,5 tonnes. Interdire l’accès aux villes aux véhicules de plus de 3,5 tonnes aura un l’effet inverse au but recherché et l’on sera inondé de 3,5 tonnes, comme en Asie. Et je ne vous parle pas des conséquences dramatiques sur le plan social !

Mme Aline Mesples. Il me paraissait important que Yann Guisnel s’exprime car, bien que je sois moi-même transporteur, ma fonction de présidente ne donne pas la même force à mon témoignage. Je le remercie donc d’avoir parlé comme il l’a fait. Sans doute conviendra-t-il que Béatrice Montay revienne sur les coûts induits par l’écotaxe, que ce soit en termes d’équipement, de formation du personnel ou de mise à jour de nos logiciels.

Nous voulons vous convaincre que le système retenu est très complexe et qu’il n’a de surcroît pas fait la preuve de son opérabilité. Les Allemands ont certes mis du temps à mettre le leur en place, mais il était beaucoup plus simple. Le système français est en outre fort coûteux puisque les 250 millions d’euros que rapporte la taxe à l’essieu payée par les poids lourds français correspondent à ce que touchera Ecomouv’ pour la perception de l’écotaxe. Cela nous paraît d’autant plus insupportable que nos entreprises ont du mal à faire chaque année quelques centaines de milliers d’euros de bénéfice !

Je souhaiterais également revenir sur notre proposition de taxation de la marchandise, qui aurait pour avantage d’avoir une incidence sur le choix du mode de transport et de mettre un terme à certaines pratiques. Aujourd’hui, lorsque vous faites un achat sur internet, les frais de transport vous sont offerts neuf fois sur dix pour la simple raison que l’on a tellement baissé les coûts de transport que l’on est parvenu à les annihiler. Si l’on taxe la marchandise, le consommateur comprendra qu’il doit lui aussi payer pour que cette marchandise transite par la route. Un tel dispositif ne me paraît pas plus complexe à instituer que la taxe applicable aux lave-linge, aux lave-vaisselle, aux grille-pain ou aux sèche-cheveux. Nous représentons pour notre part des métiers transportant des lots complets, des demi-lots et du vrac. Il ne me paraît donc pas plus complexe de facturer individuellement chaque élément transporté. Simplement, il nous faudra trouver le système de facturation adéquat et faire en sorte que celle-ci puisse être répercutée du producteur sur le consommateur.

Le principal danger que nous fait courir l’écotaxe telle que prévue actuellement, c’est de décourager la production en France. Un morceau de bois qui sera transporté des Landes vers une usine de production située à 300 ou 400 kilomètres sera d’abord taxé à l’état brut. Puis, si l’usine ne produit que des planches, celles-ci seront taxées à leur tour lorsqu’elles iront dans un atelier de menuiserie pour être transformées en un meuble qui sera, lui aussi, taxé lors de son transport alors qu’un meuble arrivant de Chine au Havre ou dans un port belge ne sera taxé qu’une seule fois. Tout le problème est là. En revanche, le système de taxation de la marchandise, dans lequel le prélèvement opéré peut être répercuté du producteur ou du chargeur au consommateur final, présente le double avantage d’être simple et de ne pas défavoriser la production française. Le témoignage dont M. Guisnel vient de vous faire part vous aura permis de comprendre aussi que le transport routier français travaille essentiellement pour des clients français, sur le territoire français et sur des distances de moins de 150 kilomètres : 87 % du trafic assumé par les entreprises françaises constitue du trafic intérieur et 79 % des opérations sont effectuées sur moins de 150 kilomètres.

M. Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général de l’OTRE. La taxation de la marchandise dont parle M. Savary reposait sur une répercussion au kilomètre et au gramme de marchandise, alors que nous défendons une taxation de la circulation de la marchandise sur le territoire national, ce qui est totalement différent et permet d’éviter toute complexité.

M. Richard Ferrand. L’exposé que viennent de nous faire les professionnels ici présents comprend de nombreux éléments qu’il conviendra de citer dans les conclusions du rapport de cette mission d’information.

Nous avons bien compris, tout d’abord, que l’expérimentation que vous aviez essayé de mener avait été courtelinesque. Si l’affaire n’était pas sérieuse, le récit chronologique que vous nous avons conté serait presque un sketch ! Il nous faudra donc obtenir de sérieux éclaircissements, car on ne peut prétendre que la situation nous coûte horriblement cher alors que le dispositif n’est pas opérationnel.

Ensuite, puisque selon M. Guisnel, le système allemand fonctionne plutôt bien, en toute clarté et en toute simplicité, pourquoi ne pas le copier plutôt que de nous retrouver avec une usine à gaz ?

Notre travail devra également intégrer les propos qui viennent d’être tenus par les professionnels en matière de concurrence déloyale, et en particulier leur constat d’une dégradation des conditions sociales, fiscales et environnementales de concurrence, due tant aux groupes nationaux qu’aux étrangers.

Enfin, il nous faudra déterminer comment faire peser cette taxe– nécessaire au financement de nos infrastructures et au report modal – sur la distribution davantage que sur la production. Les professionnels pourraient-ils nous fournir leur point de vue sur ce point ?

M. Gilles Savary. Cette audition nous permet de mesurer très concrètement, et sur le fondement d’arguments irréfutables, l’extrême difficulté dans laquelle se trouve le pavillon français de transport. On comprend ainsi le trouble qui a pu survenir lorsque l’on a instauré l’écotaxe sans en avoir préalablement évalué l’impact.

Le ministre des transports s’attaque au problème des 3,5 tonnes à Bruxelles. Les petites camionnettes polonaises dont il est question font-elles au moins semblant de faire du transport international ou viennent-elles caboter chez nous avec des Polonais ou d’autres étrangers, bien que ce soit formellement interdit ? La question est beaucoup plus compliquée s’il s’agit de transport international, puisque l’on a le droit de partir de n’importe quel pays avec n’importe quel chauffeur de n’importe quelle nationalité pour se rendre à un autre endroit, en traversant plusieurs pays. En revanche, il est interdit aux étrangers de caboter, a fortiori avec des chauffeurs ne respectant pas les conditions sociales et fiscales françaises.

M. Éric Straumann. Il nous faudrait approfondir notre analyse de l’exemple allemand qui semble fonctionner techniquement, mais ce système est-il compatible en France ?

S’agissant des moins de 3,5 tonnes, j’ai effectivement observé en Alsace la présence de convois de petits véhicules apparemment en surcharge. Il conviendrait donc de faire appliquer la loi, comme vient à juste titre de le souligner Gilles Savary. Cela dit, je serais pour ma part assez favorable à une harmonisation européenne en ce domaine et à une limite fixée à 12 tonnes, comme c’est le cas en Allemagne.

M. Yann Guisnel. Le système de GPS installé sur les véhicules allemands est différent du système français. Les deux devraient pouvoir devenir compatibles, mais pas dans l’immédiat.

Le système allemand est certes simple, mais il a été institué il y a huit ans, à une époque où l’on n’était pas encore en crise. Il ne faudrait pas croire que les transporteurs soient farouchement opposés à l’écotaxe, mais plus de cinquante impôts supplémentaires ont été créés ces dernières années, ce qui est lourd à gérer. C’est cette situation qui nous a conduits à la petite rébellion que nous avons vécue il y a peu.

S’agissant du problème des 3,5 tonnes, je vais vous livrer des anecdotes récentes. En Suisse, nous avons dû payer une amende de plus de 600 euros parce que l’un de nos camions dépassait de 2 centimètres la limite fixée à 4,10 mètres dans ce pays. Nous avions en effet commis une erreur d’exploitation. En Belgique, l’un de mes clients joue depuis des années avec le 3,5 tonnes et livre lui-même ce pays avec ce type de véhicules. Or, la semaine précédant Noël, il a été contrôlé dans la région d’Anvers avec quelque 800 kilos de surcharge : cela lui a coûté plus de 1 000 euros et son véhicule a été bloqué. Il en a donc tiré la leçon et m’a confié ses livraisons sur la Belgique.

Je vais à présent vous donner quelques exemples, tout en précisant que je suis non seulement transporteur mais aussi éleveur et que je connais donc bien ce secteur.

Le poulet brésilien qui arrive à Brest n’est taxé qu’une fois – que l’on bénéficie ou pas d’une remise particulière en Bretagne, et qu’il soit transporté dans un camion français ou allemand. En revanche, son élevage, lui, n’aura pas été taxé. Par ailleurs, le taux de l’heure travaillée dans les abattoirs allemands est de 7 euros au mieux. Compte tenu du taux français, comment voulez-vous que les paysans et les transporteurs français s’en sortent ? Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres ! Nous innovons ! Et s’il est vrai qu’il y a trente ans, le transport était une faillite sociale en France, c’est aujourd’hui un modèle en la matière. La preuve en est que lors des contrôles qui ont récemment été effectués dans la région de Mme la présidente, près de Bordeaux, on a constaté une hécatombe d’anomalies. Enfin, au Vivier-sur-Mer, capitale européenne de la moule sur bouchot, le kilo de moules élevées à moins de dix kilomètres coûte 3,95 euros, contre 1,95 euro pour les moules hollandaises, qui sont presque aussi bonnes. Est-il normal qu’une moule provenant d’en endroit situé à 800 kilomètres soit deux fois moins chère ?

M. Jean-Marc Rivera, secrétaire général adjoint de l’OTRE. S’agissant de la présence de véhicules utilitaires étrangers sur le territoire national évoquée par Gilles Savary, nous sommes persuadés qu’il ne s’agit pas là d’un système de transit international et que c’est bel et bien du trafic intérieur. Et il n’est peut-être pas aussi clair que l’interdiction pour les véhicules de ce type d’effectuer du transport intérieur soit juridiquement fondée.

Par ailleurs, les chauffeurs de poids lourds de plus de 3,5 tonnes doivent posséder un permis de conduire plus difficile à obtenir, donc plus cher, et sont soumis à des obligations de formation.

Enfin, un véhicule utilitaire a effectivement un poids total autorisé en charge (PTAC) limité à 3,5 tonnes, mais son poids total roulant autorisé (PTRA) peut aller jusqu’à 7,5 tonnes s’il est attelé à une remorque, et il ne sera alors pas soumis à l’écotaxe.

Mme Aline Mesples. La grande différence entre la France et l’Allemagne, c’est que cette dernière a « écotaxé » les routes correspondant à notre réseau autoroutier concédé. Si, en France, les transporteurs sont de plus en plus contraints d’utiliser le réseau autoroutier et donc d’assumer le coût des péages, l’argent qu’ils versent ne vient malheureusement pas abonder le budget de l’État ; il est empoché par des sociétés d’autoroute privées. Le transport routier de marchandises paie déjà pour circuler sur le réseau autoroutier et il lui est maintenant demandé de payer aussi sur les réseaux national et départemental. En d’autres termes, si les coûts kilométriques allemand et français sont presque identiques actuellement, la France est en train d’étendre la liste des routes sur lesquelles le transport routier de marchandises devra payer sa circulation, alors même que les Allemands n’ont installé de péages publics que sur le réseau autoroutier. L’enjeu commercial et l’acceptabilité du système pour le transport routier sont donc tout à fait différents en France et en Allemagne. Il est vrai, par ailleurs, que l’Allemagne a consacré des fonds de soutien à la modernisation de sa flotte lors de l’instauration de sa taxation, ce qui a permis aux transporteurs allemands d’investir dans des véhicules plus propres. En France, en revanche, l’investissement de 10 000 à 12 000 euros qui est nécessaire pour avoir un véhicule conforme à la norme Euro 6 ne peut même pas être compensé par la différence de taxation entre ce type de véhicule et ceux de type Euro 5.

Voilà pourquoi nous proposons de nationaliser les autoroutes. Sachant que l’on a perdu 40 milliards d’euros de recettes depuis leur privatisation, même si le transport routier paie un milliard d’euros par an, il lui faudra quarante ans pour combler le déficit ! L’idée sous-jacente à nos propositions est la suivante : le secteur du transport routier n’a pas les moyens d’apporter au budget de l’État le milliard qui lui est nécessaire. La concurrence déloyale qui sévit sur notre territoire permettra en effet aux chargeurs d’éviter de faire appel aux transporteurs français et de recourir aux véhicules légers ou de faire du cabotage illégal. En effet, l’écotaxe poids lourds ne représente rien dans la balance d’un transporteur étranger circulant avec du personnel rémunéré 400 à 500 euros par mois, et dont les coûts de personnel se situent au maximum à 1000 euros par mois. Par contre, les 5,5 % de taxation supplémentaire sont inacceptables pour un transporteur français dont les coûts de personnel se situent entre 3 000 et 3 500 euros par mois, charges comprises. C’est essentiellement le social qui fera toute la différence : un chargeur aura en effet tout intérêt à faire appel à des véhicules légers roulant sept jours sur sept à 120 km/heure sans compter les heures de route de leur chauffeur– dont les frais sont de surcroît remboursés a minima –, plutôt que de faire appel à des transporteurs poids lourds français.

Pour répondre au besoin de financement de nos infrastructures routières, nous proposons d’instituer une taxation qui puisse se diffuser sur plusieurs secteurs et qui ne repose pas sur le seul transport routier.

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie de votre exposé et de votre démarche très active dans ce dossier. Je m’inscrirai cependant en faux sur plusieurs points.

On ne peut avancer l’argument de la crise pour dire qu’il ne faut rien faire. La crise doit au contraire nous conduire à nous interroger et à prévoir des réponses appropriées. Il s’agit en l’occurrence de faire évoluer la situation du transport routier de marchandises de façon structurelle – ce que vous proposez d’ailleurs vous-mêmes. D’après mes calculs, l’instauration de l’écotaxe ne représenterait qu’un ou deux euros de plus dans le prix des meubles fabriqués en France, et ce dans le pire des cas – c’est-à-dire dans l’hypothèse où le bois nécessaire à leur élaboration transiterait par des axes « écotaxés » depuis son abattage jusqu’à sa finition et au transport final. La question n’est donc pas là. On le perçoit d’ailleurs clairement lorsque vous dénoncez la concurrence déloyale dans le secteur du transport routier.

Gilles Savary et moi-même avons introduit dans la loi du 28 mai 2013 un article 41 instituant l’objectif d’élaborer un schéma national de la logistique pour mettre enfin en cohérence l’aménagement du territoire et les politiques publiques de transport. Quelles seraient vos propositions pour réviser non seulement l’écotaxe poids lourds, mais l’ensemble de la problématique du transport routier de marchandises – secteur qui ne doit transporter que ce qui est nécessaire au développement équilibré de notre pays, selon les trois piliers du développement durable ? La Suisse, que vous avez citée, a quant à elle véritablement révisé son modèle de transport routier de marchandises afin de le rendre plus efficace : l’instauration d’une redevance à taux variable y a ainsi été l’occasion d’une réorganisation territoriale ; on a accompagné la transformation des flottes de poids lourds et l’augmentation du taux de charge a été acceptée. En effet, si le PTRA s’élevait à 28 tonnes au début des années 2000 en Suisse, il est aujourd’hui proche des 40 tonnes. J’estime que les opérateurs qui ne jouent pas le jeu doivent disparaître.

Enfin, chers collègues bretons, vous avez rappelé qu’en Allemagne l’écotaxe était appliquée sur les autoroutes gratuites, mais je ne crois pas qu’il y ait une seule autoroute payante en Bretagne !

Mme Aline Mesples. Nous ne disons pas que notre refus de l’écotaxe poids lourds est lié à la crise. Simplement, celle-ci aurait sans doute été plus acceptable pour les chefs d’entreprise il y a cinq ou dix ans, lorsque nos activités se portaient mieux. Je suis en revanche d’accord avec vous pour dire que le problème du transport routier de marchandises français est d’ordre structurel. En effet, selon les statistiques, un tiers des dépôts de bilan est actuellement dû à la crise, et deux tiers s’expliquent par des raisons structurelles s’expliquant essentiellement par la concurrence déloyale. Cela fait des années que l’on nous propose d’avancer vers un nouveau modèle d’organisation des transports et de la logistique, mais dans la pratique, il n’y a pas moins de camions en France. Ou plutôt, il y a beaucoup moins de camions français, mais beaucoup plus de camions étrangers ! Le problème actuel, c’est que le transfert de fret s’effectue non pas du transport routier vers d’autres modes, mais du routier français vers le routier international – et plus particulièrement vers le routier low cost, qui intéresse les donneurs d’ordre. Nous ne pouvons que souscrire à ce projet de transformation de l’offre logistique et de transport, mais nous ne voulons plus être les dindons de la farce – cela fait vingt ans que nous le sommes ! On nous a demandé d’être les plus performants, nous disant que même si cela devait nous coûter plus cher, nous serions les meilleurs et que les Européens nous suivraient. Mais cela ne s’est pas passé comme ça ! Et les choses vont de mal en pis, car la concurrence espagnole et portugaise que l’on a connue à la fin des années 90 n’était rien comparée à la concurrence de un à dix que l’on connaît depuis l’ouverture du marché aux pays de l’Est : une concurrence fondée sur des comportements délinquants de fraude aux autoroutes et de vol de gasoil.

Nous avons tous trop perdu. Nos entreprises ont peu à peu quitté le transport international – qui ne représente plus que 10 % de notre activité – pour se concentrer sur le transport national, qu’elles l’ont ensuite quitté pour descendre sur le transport régional, voire départemental. Or, voilà que nous nous retrouvons désormais attaqués sur ce créneau-là aussi !

Enfin, vous nous avez objecté que le montant de l’écotaxe applicable au produit fini était infime : eh bien justement ! Pourquoi ne pas taxer le produit ? Cela aurait un impact beaucoup moins important, car beaucoup plus diffus – et donc beaucoup plus acceptable –, que si vous taxez le seul secteur du transport routier – qui lui, n’en a pas les moyens ? Si un ou deux euros ne représentent pas grand-chose dans le prix d’un produit, 5,5 % de son chiffre d’affaires représente pour le transport routier un montant considérable.

M. Gilles Mathelie-Guinlet. Je veux réfuter l’argument de M. Savary selon lequel il serait impossible d’appliquer une taxe à l’essieu aux véhicules étrangers. De fait, si les Espagnols sont taxés chez eux sur leurs infrastructures, ils ne paient rien pour l’entretien des infrastructures routières lorsqu’ils viennent en France. Or, à l’inverse des transporteurs des pays anglo-saxons et du Benelux, les Espagnols et les Portugais empruntent plutôt nos routes gratuites, notamment les routes départementales qui longent le littoral aquitain, passant par des petits villages pour éviter l’A63. Quant aux Belges, ils paient effectivement une vignette, comme les transporteurs étrangers. Nous demandons donc, conformément à la directive Eurovignette 2, qu’il n’y ait plus en France de discrimination à l’égard des transporteurs français qui contribuent au financement des infrastructures en payant la taxe à l’essieu que ne paient pas les étrangers. J’ai entendu la responsable d’une autre fédération affirmer qu’un problème se posait en France dans la mesure où nous avions deux types de réseau. Je pense au contraire que l’on peut envisager de taxer la circulation des véhicules étrangers uniquement sur le réseau non concédé. Cela a existé à un moment donné pour la taxe à l’essieu : les entreprises françaises payaient une taxe différente selon l’infrastructure utilisée. Il nous paraît donc tout à fait envisageable de faire payer la circulation des poids lourds étrangers sur le réseau français dans le cadre de la directive Eurovignette 2.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous soulevez là une question majeure à laquelle il nous faudra tenter d’apporter des réponses. Il nous a en effet été indiqué que l’on ne pouvait faire payer sur autoroute à un transporteur étranger à la fois un péage sur l’autoroute et un droit d’usage – c’est-à-dire une vignette. Nous avons donc prévu de nous rendre à Bruxelles pour compléter les informations et réflexions susceptibles de nous être communiquées par des organismes tels que le vôtre.

M. Gilles Mathelie-Guinlet. Le troisième point de l’article 7 de la directive précitée dispose que pour une catégorie donnée de véhicules, les péages et droits d’usage ne sont pas perçus cumulativement pour l’utilisation d’un même tronçon de route. En d’autres termes, vous ne pouvez faire payer un droit d’usage sur un tronçon d’autoroute soumis à péage. Sauf qu’aujourd’hui, les entreprises françaises paient quand même ce droit d’usage sous la forme de la taxe à l’essieu. A contrario, cet article signifie bien que lorsqu’on se situe sur un tronçon du réseau susceptible d’être taxé, il n’y a pas de raison qu’un camion étranger ne paie pas ce droit d’usage. C’est du moins l’interprétation que nous faisons de ce texte.

M. Gilles Savary. Je suggère que nous clarifions ce débat en écrivant à la Commission européenne. La taxe à l’essieu n’a jamais été conçue comme un droit d’usage car celui-ci doit être directement proportionnel au nombre de kilomètres parcourus. Tout camion français est assujetti à la taxe à l’essieu, quand bien même il ne se déplacerait pas. Le droit d’usage est à ma connaissance le seul moyen de faire payer les étrangers, sauf à nous exposer à des rétorsions terribles et à des pénalités – le ministre du Budget nous indiquait encore ce matin que nous payons actuellement trois milliards d’euros de pénalités à l’Union européenne. De plus, comment voulez-vous faire payer la taxe à l’essieu à un camion qui traverse trois pays différents dans la journée, alors qu’il la paie déjà chez lui ? C’est d’ailleurs pour limiter les distorsions entre les différents États membres que cette taxe a été encadrée par le droit européen, tout comme la TVA.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous parlons de vignette, pas de taxe à l’essieu. C’est différent !

M. Gilles Mathelie-Guinlet. L’article 7 de la directive dispose également que les États membres ont le droit de maintenir ou d’introduire des droits de péage ou d’usage. Cela ne veut pas dire a contrario, qu’ils ne soient pas autorisés à les supprimer. La taxe à l’essieu pourrait donc être supprimée si l’écotaxe entrait en application. De plus, les deux premiers articles de la directive définissent très précisément les taxes sur les véhicules pour l’utilisation de l’infrastructure ainsi que pour son entretien, voire son financement.

M. Gilles Savary. La taxe à l’essieu n’est pas un droit d’usage.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je ne l’ai pas dit, moi !

Mme Aline Mesples. J’ai connu une époque où nous déclarions le nombre de kilomètres parcourus sur autoroute pour les déduire ensuite du calcul de la taxe à l’essieu. Il s’agissait donc bien alors de nous faire payer l’usage du réseau non autoroutier.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, pour cet échange de qualité.

Audition, ouverte à la presse, de M. Claudy Lebreton,
président de l’assemblée des départements de France (ADF)

(Séance du mercredi 22 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons ce matin M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France, l’ADF. Il est accompagné de collaborateurs techniques en charge du dossier au sein de cette organisation. Président du conseil général des Côtes d’Armor depuis 1997, M. Lebreton nous dira sans doute quelles sont, encore à ce jour, les remontées de terrain dont il dispose sur l’écotaxe. Il est certain qu’au sein même de l’ADF ce sujet a été débattu. Il fait sans doute toujours l’objet de vos interrogations et de vos préoccupations.

Nous avons tenu à vous entendre, monsieur le président, car les départements sont une des parties prenantes de ce dossier. En effet, une part du réseau routier départemental est inscrite dans le réseau taxable à l’écotaxe. Il s’agit de 5 000 km, c’est-à-dire d’une petite partie des routes départementales. Sur ce point, nous avons plusieurs questions. Comment s’est effectué le choix d’inscrire ou de ne pas inscrire telle ou telle fraction d’une route départementale ? Les départements ont-ils eu un réel pouvoir de décision sur cette question ? L’État a-t-il suivi à la lettre leurs souhaits au terme de la consultation qui est intervenue ?

Beaucoup de nos interlocuteurs et nos collègues ici présents ont relevé certaines incohérences dans les choix retenus. Un sentiment d’arbitraire, voire d’injustice, a pu naître de cette situation dans certaines parties du territoire.

Pourriez-vous, le cas échéant, illustrer de mémoire des situations qui auraient donné lieu à de vifs débats pour savoir s’il convenait de retenir telle ou telle fraction de route ? Selon vous, la méthode de consultation retenue était-elle la bonne ? Dans l’absolu, vous paraîtrait-il même réaliste d’intégrer davantage de routes départementales et pourquoi pas leur quasi-totalité dans le réseau taxable, à condition de baisser significativement les taux de l’écotaxe ?

Vous comprendrez, monsieur le président, que notre mission cherche à comprendre les causes de ce qui reste à ce jour un échec. En aucune façon, nous n’avons l’intention de faire un procès ou de culpabiliser les départements. Au contraire, nous comptons sur votre aide pour nous donner d’éventuelles pistes de sortie de crise. Certains points doivent pouvoir faire l’objet de simplifications ou d’aménagement. Nous allons donc vous écouter au titre d’un exposé liminaire de dix à douze minutes. Puis les membres de la mission vous poseront différentes questions.

M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF). Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir convié à cette audition au titre de l’Assemblée des départements de France. Comme vous avez pu le remarquer, je ne suis pas venu coiffé d’un bonnet rouge, ce qui est un signe positif s’agissant du président du conseil général des Côtes-d’Armor !

Au cours des travaux des Grenelle 1 et 2, les départements ont adhéré à la quasi-unanimité à cette idée d’écotaxe. Nous avons à gérer 380 000 kilomètres de routes départementales, avec un trafic très variable d’un département à l’autre comme à l’intérieur de chaque département. Entre 2004 et 2007, en application de la loi de décentralisation portée par M. Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre de l’époque, plus de 12 000 kilomètres des 30 000 kilomètres du réseau routier national ont été transférés aux départements.

Notre réseau routier départemental mobilise des moyens financiers conséquents. Ainsi, avant 2008 et la crise financière, ceux-ci atteignaient près de 4,5 milliards d’euros, sur les 17 milliards consacrés par les départements aux investissements, pour l’entretien du réseau départemental et les grandes infrastructures – je vise plus particulièrement les travaux neufs pour la mise à 2x2 voies ou l’aménagement de rocades autour des agglomérations. Les départements ont donc été très sensibles aux débats des Grenelle, dans la mesure où ils espéraient un retour financier sur leur propre investissement, lequel n’était accompagné jusqu’alors, directement ou indirectement, que par la dotation de fonctionnement qui leur était attribuée.

J’ajoute qu’entre 2008 et 2011, dans l’ensemble des départements de France, les investissements routiers ont diminué de 22 %, pour s’établir aujourd’hui à 3,2 milliards d’euros. Et cette baisse drastique a affecté davantage les investissements en travaux neufs que les investissements d’entretien.

Enfin, depuis de nombreuses années, dans le cadre des contrats de projets État-région successifs, les départements participent à l’amélioration du réseau routier national. Il avait pourtant été prévu, dans les lois de décentralisation, que l’État financerait son propre réseau à 100 %, tandis que les départements se préoccuperaient du leur. Mais il n’en a rien été. Quels que soient les gouvernements qui se sont succédé depuis, les intercommunalités, les départements, et même les régions sont fréquemment sollicités.

Ainsi les départements ont-ils adhéré au principe de l’écotaxe qui leur assurerait, en retour, des subsides, au moins pour financer les grandes infrastructures. Nous savons que sur le produit attendu de l’écotaxe, à savoir 1,24 milliard d’euros en 2014, 138 millions d’euros, soit 11 %, auraient été transférés aux budgets départementaux. À l’origine, aucune participation financière directe n’était prévue pour les départements. C’est un amendement soutenu par des parlementaires « bienveillants » à la demande de l’ADF, et auquel le Gouvernement s’est montré favorable, qui a prévu de distraire une partie de l’écotaxe au bénéfice des départements. Au regard du nombre de départements, la somme est d’ailleurs modeste – je précise que 62 départements sont concernés par la taxe poids lourds.

Monsieur le président, vous m’avez interrogé sur le déroulement des négociations entre le ministère – M. Borloo à l’époque – et l’ADF – représentée notamment par M. Yves Krattinger, sénateur et président du conseil général de Haute-Saône. Nous avions proposé que 9 000 kilomètres de routes départementales soient soumis à l’écotaxe alors que l’État, dans un premier temps, s’était fixé un objectif de 2 000 kilomètres. Et nous sommes parvenus à un compromis : 5 400 kilomètres. La volonté de progresser pour définir les axes départementaux éligibles à la mise en œuvre de cette taxe poids lourds était en effet partagée. Une des raisons de notre adhésion était qu’en vertu d’une clause de revoyure, un nouveau décret pourrait aller un peu plus loin, après évaluation : on vérifierait si les axes qui avaient été retenus au moment de la discussion avec le Gouvernement remplissaient bien les conditions fixées et si d’autres, qui ne l’avaient pas été, pourraient être rendus éligibles. À ce propos, si ma mémoire est bonne, en Bretagne, le réseau départemental n’est pas du tout concerné.

J’observe qu’au niveau local, la discussion s’est déroulée de façon très diverse. Parfois c’est le préfet de région qui a conduit la négociation avec les départements du territoire régional, mais dans d’autres cas la négociation a été menée au niveau du préfet de département. Quant aux propositions faites par les présidents de conseil général et leur assemblée, elles ont parfois été entendues, parfois pas du tout.

Un partenariat existe aujourd’hui entre l’Assemblée des départements de France et la Fédération nationale des travaux publics, qui s’intéresse bien évidemment aux donneurs d’ordre que sont les départements. De nombreuses entreprises de ce secteur font en effet 50 % de leur chiffre d’affaires avec les collectivités territoriales, et donc avec les départements, notamment sur le réseau routier.

Pour terminer, je tiens à dire que les collectivités territoriales ont exprimé leur mécontentement lorsque le Gouvernement a mis en place la mission dirigée par M. Philippe Duron, composée d’inspecteurs de l’administration et des finances et de représentants du Parlement. Une délégation de l’ADF, à laquelle participaient M. Krattinger et M. Bussereau, a alors exprimé vertement sa réprobation à M. Cuvillier. En effet, nous ne comprenions pas que les financeurs des grandes infrastructures, qui sont à plus de 50 % des collectivités territoriales, ne soient pas représentés dans cette mission. Nous avons ensuite été entendus et invités à plusieurs reprises, mais c’était là un véritable manque de considération, alors même qu’une grande partie de l’écotaxe devait alimenter l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF).

Je suis maintenant prêt à répondre aux interrogations des uns et des autres. J’ai remarqué que de nombreux parlementaires bretons, de toutes sensibilités, participaient à cette Mission d’information sur l’écotaxe, et j’imagine qu’ils portent un grand intérêt au sujet. Par ailleurs, je sais que cette audition est publique et doit être très suivie par certains journaux. Je précise donc que je parle ici comme président de l’Assemblée des départements de France. Pour autant, si vous me le demandez, je vous donnerai le point de vue du président du conseil général des Côtes d’Armor…

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est en effet le président de l’Assemblée des départements de France que nous avons invité.

M. Thierry Benoit. Vous avez bien fait d’indiquer, monsieur le président Lebreton, que vous êtes malgré tout issu de la région Bretagne, où ce sujet a fait débat. D’où ma première question : comment avez-vous vécu, à la fois en tant que président de département et comme acteur politique d’une région, ce mouvement d’hostilité à l’égard de la mise en œuvre de l’écotaxe ? Je rappelle qu’à l’origine, le consensus était total, au Parlement, dans l’opinion publique et au sein des médias.

Ma deuxième question portera sur tout ce qui concerne les allégements, les exonérations, la spécificité des territoires, la péninsularité, la périphéricité, etc. Quelle est votre approche ? Que répondez-vous à ceux qui mettent en avant, non pas la spécificité des territoires, mais celle de certaines filières industrielles ? Que répondez-vous au président Chanteguet sur l’éventualité de l’élargissement de l’assiette de la taxe, qui permettrait de limiter l’impact de celle-ci ? Avez-vous imaginé une recette nouvelle qui permettrait de financer les infrastructures en général, et le réseau départemental en particulier ? J’observe enfin que, dans certains départements comme le mien, il n’y a pas d’alternatives – fluviale, maritime ou ferroviaire – au réseau routier, alors même que c’était pour financer de telles alternatives que M. Borloo avait imaginé l’écotaxe et soutenu le principe du Grenelle 1 puis du Grenelle 2.

M. Gilles Savary. L’écotaxe est une taxe kilométrique dont le poids est exactement proportionnel à l’usage de l’infrastructure. Elle sera due par tous les usagers concernés, y compris par les étrangers qui traversent notre pays et qui, jusqu’à présent, s’exonèrent de toute contribution à l’infrastructure nationale ; or la France est un pays « carrefour ». Enfin, son impact sur la concurrence sera à peu près neutre, puisque la plupart des grands pays, dont l’Allemagne, notre plus grand concurrent économique, ont mis en place une taxe équivalente. Mais bien sûr, d’autres formules existent.

J’en viens à ma première question. Devant les réticences de certaines régions, certains se sont demandé s’il ne serait pas judicieux de régionaliser l’écotaxe, solution conforme aux principes de responsabilité et d’autodétermination fiscale. Les régions qui ne voudraient pas « écotaxer » n’« écotaxeraient » pas ; seulement, elles auraient moins de ressources pour financer les infrastructures. Le problème est que si l’on régionalise l’écotaxe, les départements demanderont qu’on la départementalise, ce qui serait extrêmement complexe ! Que penseriez-vous d’une régionalisation d’une partie importante de l’écotaxe ? Chacun assumerait ses responsabilités dans une fourchette établie par le législateur.

Ma seconde question est la suivante : les Bretons ont-ils conscience que si l’on ne règle pas par l’écotaxe l’important problème de financement des infrastructures, il faudra trouver autre chose ? Par exemple, nous avons voté, en loi de finances 2014, le principe de la taxe carbone, avec ristourne pour les transporteurs routiers, et il suffirait de lever cette ristourne pour avoir une recette. Si nous avons renoncé à appliquer la taxe carbone aux transporteurs routiers c’est parce que nous lui avons préféré une taxe kilométrique, plus juste et concernant aussi les étrangers. Reste que nous avons les moyens de contourner les difficultés budgétaires que nous rencontrons au plan national, en particulier pour financer l’AFITF et les contrats de plan État-région. J’observe que l’aménagement du réseau routier était sorti du périmètre des contrats de plan. Maintenant qu’il en fait à nouveau partie, il serait malheureux de ne pas pouvoir le financer !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le montant de la « ristourne gasoil » pour les transporteurs est aujourd’hui de l’ordre de 381 millions d’euros. Avec la mise en place de la fiscalité carbone et d’une base carbone sur la fiscalité des énergies fossiles, à l’horizon 2016, le montant de la ristourne sera de 780 millions d’euros. En effet, le prix de la tonne de carbone devrait passer de 7 euros à 21 ou 22 euros.

M. Thomas Thévenoud. M. Savary a parlé de la France comme d’un « pays carrefour ». Je vous parlerai quant à moi d’un « département carrefour », la Saône-et-Loire, qui est sillonné par plusieurs autoroutes et par la route Centre-Europe-Atlantique (RCEA), une des plus dangereuses du pays, qui traverse toute la France d’Est en Ouest et où circulent des poids lourds de toute l’Europe. Cette route est doublée par la voie ferrée Centre-Europe-Atlantique (VFCEA), qui attend désespérément des investissements et des travaux d’électrification entre Nevers et Chagny, dernier tronçon manquant qui permettrait de relier le port de Nantes avec les infrastructures ferroviaires d’Allemagne. Donc, oui, nous avons besoin d’une taxe sur les poids lourds !

Nos amis parlementaires bretons voient une injustice dans la péninsularité de la Bretagne, mais il y a aussi une injustice dans le fait que certains départements sont traversés par des poids lourds étrangers qui ne contribuent jamais à l’entretien des infrastructures routières. D’où l’importance de l’écotaxe pour ces départements en général, et pour le mien en particulier. En Saône-et-Loire, cette taxe devait rapporter 2,5 millions d’euros, soit un peu moins de 10 % du budget d’investissement routier. Je rappelle que le département a récupéré la RN 6 qui double l’autoroute – ce n’est pas rien !

Monsieur le président, vous aviez proposé à l’État que 9 000 km de routes départementales soient éligibles à l’écotaxe. Sur quels critères ? Autrement dit, pourrions-nous, dans le cadre de cette mission d’information, reprendre ces critères et relancer l’idée d’une assiette plus large pour rendre cette taxe plus acceptable ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous sommes confrontés à un vrai problème lié à la mise en place de la majoration forfaitaire. Aujourd’hui, des transporteurs routiers pour compte d’autrui peuvent emprunter un réseau non taxé et soumettre les chargeurs à la majoration forfaitaire. En effet, celle-ci s’applique que le réseau soit taxé ou pas. Je rappelle que si tel est le cas c’est parce que le précédent système était totalement inapplicable. Reste que le dispositif n’est toujours pas satisfaisant. Voilà pourquoi nous sommes un certain nombre, parmi lesquels M. Savary, à réfléchir à un élargissement du réseau taxé. Est-ce envisageable, sachant qu’un tel élargissement devrait s’accompagner de la baisse des taux de l’écotaxe ? C’est une question importante.

M. Jean-Pierre Gorges. M. Savary a posé les vraies questions. Tout le monde était d’accord pour la mise en place de l’écotaxe. Je pense pour ma part que l’on fait une confusion entre l’utilisateur payeur et le pollueur payeur. Ce sont deux notions différentes qu’on ne peut pas prendre en compte en même temps. Imaginez que demain des camions électriques circulent. Ils paieraient l’écotaxe alors qu’en fait, ils ne polluent pas ? D’ailleurs, les problèmes que l’on rencontre en Bretagne s’expliquent en partie par cette confusion, entre des 2x2 voies gratuites et des systèmes autoroutiers, et un risque de report de trafic des uns vers les autres. Comme le disait M. Savary tout à l’heure, pour faire payer les pollueurs, il suffirait d’activer la taxe carbone.

Je ne vous cache pas mon inquiétude car le temps passe, le compteur tourne et, en attendant, les sommes prévues ne rentrent pas dans les caisses de l’État. Nous devons donc trouver une solution sans trop attendre.

En Eure-et-Loir, on discute avec le ministre autour d’une 2x2 voies et d’une concession autoroutière. On va s’orienter vers la concession, système dans lequel la facture est divisée en deux : une moitié pour l’État ; l’autre moitié pour la région et le département. Ensuite, si l’on veut que l’autoroute soit gratuite, la région et le département devront en assumer la responsabilité. Cela me paraît tout à fait raisonnable, et la régionalisation évoquée par M. Savary pourrait être une porte de sortie pour chacun.

Que pensez-vous de la confusion entre le principe utilisateur-payeur – je rappelle que le passage d’un camion de 38 tonnes équivaut à 1,1 million de passages d’une voiture légère – et le principe pollueur-payeur ? On ne peut tout vouloir régler en même temps ! Je m’inquiète par ailleurs des questions liées au diesel, qui sont sous-jacentes et qui conduisent à des clivages politiques forts. Ne pourrait-on pas utiliser rapidement la substitution – qui est en sommeil – pour alimenter les caisses de l’État ? Enfin, en tant que président de l’Assemblée des départements de France, pensez-vous que l’on puisse appliquer le système imaginé sans risquer de déclencher de nouvelles manifestations et de nouveaux défilés de bonnets rouges ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Aujourd’hui, trois catégories de poids lourds ont été retenues et, pour chaque catégorie, sept taux différents ont été fixés en fonction de la norme Euro. Il y a donc vingt-et-un taux différents : on tient compte à la fois de l’utilisation – c’est-à-dire de la détérioration – du réseau et de la pollution générée. Ainsi, on applique à la fois le principe « utilisateur payeur » et le principe « pollueur payeur ».

M. Richard Ferrand. Il s’agit de trouver des recettes pour financer des travaux dont personne ne discute la nécessité. Pour autant, la régionalisation – en recettes et en dépenses – de cette taxe serait sujette à caution. En effet, cela signifierait que c’est le niveau de recettes liées à cette taxe qui justifierait les investissements à réaliser. Ce serait un critère singulier. En outre, il se trouve que l’engagement des collectivités dans la création d’infrastructures, qu’elles soient ferroviaires, portuaires ou routières, varie selon les régions et les infrastructures ; de fait, dans de nombreux endroits de France, l’État a beaucoup plus apporté qu’ailleurs. Si l’on devait opérer une péréquation de tout cela, l’exercice serait voué à l’échec.

Par ailleurs, l’écotaxe pèse sur la production, alors qu’on attendrait qu’elle pèse prioritairement sur le transport. C’est ce qui a entraîné l’émotion que l’on sait. La grande distribution ne pourrait-elle pas être mise à contribution ? Comment faudrait-il procéder ?

M. Marc Le Fur. S’agissant des routes départementales, je rappelle, monsieur le président, qu’aucun département breton n’a adopté la solution proposée car vous pressentiez des difficultés objectives, qui s’étaient déjà manifestées dans le monde économique et social.

Par ailleurs, vous vous exprimez certes en tant que président de l’ADF, mais vous êtes aussi président d’un conseil général dans une région confrontée à de graves difficultés économiques qui expliquent la remise en cause de l’écotaxe. Objectivement, les termes du débat ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui prévalaient à l’époque où la création de cette taxe était envisagée. Il est de votre devoir de le dire à l’ensemble des députés ici présents.

Il y a deux types de régions : les régions de transit, qui sont traversées par les camions, et les régions d’aboutissement comme la Bretagne. Par définition, dans une péninsule, on ne passe pas : on y va ou on en vient. En Bretagne, les produits transportés par les poids lourds sont destinés à la Bretagne ou viennent de Bretagne, et ils impactent donc directement l’économie. Les régions de transit sont favorables à l’écotaxe qui pèse sur ceux qui empruntent leurs routes, c’est-à-dire les autres. Bien sûr, il y a quelques situations singulières, comme celle de l’Alsace qui subit le passage des camions allemands. Reste que la question se pose de façon très différente dans les régions dont l’économie locale risque d’être directement impactée par cette taxe.

Je voudrais rebondir sur l’idée de M. Richard Ferrand de faire payer la grande distribution. N’oublions pas que celle-ci va engranger 2,5 milliards d’euros au titre du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, initialement destiné à soutenir l’industrie, l’agriculture et l’agroalimentaire. Ne pourrait-on pas orienter une petite partie de cette somme considérable vers le financement de l’aménagement de nos axes routiers ?

Je suis enfin tout à fait d’accord avec M. Jean-Pierre Gorges : nous sommes en pleine confusion ! Fait-on payer l’usager des routes, auquel cas une répercussion n’est pas nécessaire. Ou est-on sur une autre logique ? On est entre les deux, d’où la complication. Voilà pourquoi cet impôt, non seulement n’est pas bien toléré, mais est absolument incompréhensible.

M. Claudy Lebreton. Que les parlementaires bretons se rassurent. Comme je l’ai déjà dit, si le président du conseil général des Côtes d’Armor, par ailleurs président de l’ADF, est interrogé, il pourra s’appuyer sur cet exemple. Je me doutais bien que la question serait abordée…

Avant la fin de vos travaux, M. Yves Krattinger, qui est notre expert, fera un rapport à l’ADF sur l’état des négociations et les propositions que nous serons amenés à porter. Ce rapport vous sera transmis.

Je commencerai par trois observations. Premièrement, nous sommes tous conscients, à l’ADF, de l’extrême hétérogénéité des départements de France. On n’aborde pas de la même façon la question de l’écotaxe quand on est en Lozère, qui est le plus petit département, avec 100 000 habitants, ou dans le département du Nord qui en compte 2,5 millions, ou encore dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis ou les Yvelines en Île-de-France, qui sont aussi concernés. Vous pouvez d’ailleurs imaginer ce que sont les débats avec nos 101 présidents de conseils généraux ! Pour autant, comme je l’ai dit tout à l’heure, une très forte majorité s’était prononcée favorablement au principe de l’écotaxe. Il s’agissait d’ailleurs plus de faire payer l’entretien du réseau à ceux qui l’utilisent à des fins économiques que de taxer les pollueurs.

Deuxièmement, lorsque l’on a supprimé la taxe professionnelle, impôt dynamique qui rapportait beaucoup d’argent aux collectivités, soit 30 milliards sur les 60 milliards d’euros de la fiscalité locale, les chefs d’entreprise se sont déclarés satisfaits. Très vite, j’ai mis en garde les représentants des deux grandes fédérations, celle des travaux publics, et celle du bâtiment et du logement, en leur disant qu’ils allaient en payer le prix. Aujourd’hui, ils ont en effet déchanté, d’autant plus que les donneurs d’ordre que nous sommes sont moins allants en raison du contexte économique et social. Si j’évoque cette question c’est parce que j’aurai l’occasion de parler ultérieurement de la deuxième partie de la loi de décentralisation à venir et de l’éventualité d’une réforme de la fiscalité, donc de celle de la fiscalité locale, où il sera possible d’aborder la question des impôts et des taxes.

Troisièmement, dans son principe, le recours à l’écotaxe ne peut relever que de la responsabilité du Gouvernement ou du Parlement. Rien n’empêche, ensuite, d’étudier s’il ne conviendrait pas d’en transférer la gestion – compétence et taxation – aux collectivités territoriales, dans l’esprit de la décentralisation. Mais dans un premier temps, il est déterminant que le Parlement fixe le cap et définisse une stratégie avec le Gouvernement. J’observe que si le principe est que tout véhicule poids lourds doit payer la TPL à partir du moment où il emprunte les routes « éligibles », on n’a pas à se préoccuper de la distance parcourue, ni du fait qu’il roule pour le compte d’un transporteur régional ou d’un transporteur international qui traverse la France. Pour autant, cette façon d’envisager la question n’exclut pas d’éventuelles accommodations. Le Président de la République a en effet émis l’idée de la discussion au Parlement d’un pouvoir réglementaire local d’adaptation. Chiche sur ce dossier, qui peut rejoindre la question de la régionalisation !

Nous avons donc des portes à ouvrir : d’abord, la deuxième partie de la loi de décentralisation ; ensuite, l’éventuelle réforme de la fiscalité locale ; enfin, l’institution, au profit des régions, d’un pouvoir réglementaire local d’adaptation. Mais cela relève de la responsabilité du Gouvernement. Nous donnerons notre point de vue puisque nous participons au dialogue social en tant que partenaires représentant une catégorie de collectivités territoriales. Mais nous ne faisons pas la loi. Chacun son rôle. D’ailleurs, au moment de la décentralisation, les collectivités n’ont jamais revendiqué le pouvoir législatif. Malgré tout, on discute d’un pouvoir réglementaire au niveau régional. Tout en étant à la tête d’un département, j’y ai toujours été favorable. Cela me paraît déterminant.

Pour autant, ne nous leurrons pas. Avec la taxation, c’est toujours le même qui paie, à savoir le citoyen, consommateur et éventuellement contribuable, nonobstant ce qu’en disent les producteurs et les transporteurs. Il y a quelques années, alors que l’on ne parlait pas encore de l’écotaxe, les collectivités ont lancé avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) une étude pour connaître la réalité du transport en Bretagne. On s’est alors aperçu que dans 80 % des cas, on transportait un colis d’un poids moyen de 56 kg sur une distance moyenne de 150 km – donc dans les régions de Bretagne, Pays-de-Loire et Basse-Normandie. Comme on l’a dit, la Bretagne n’est pas une région qui se traverse.

Lorsque s’est posée la question de la Bretagne, j’avais aussi mon point de vue d’élu politique local, mais je n’aurais pas pu le défendre si j’avais demandé l’avis de l’ADF. En effet, de nombreux présidents de conseil général m’ont dit que je retardais d’un an le versement d’hypothétiques recettes dont ils avaient bien besoin pour entretenir leurs routes départementales. Beaucoup de départements de l’Est, du Nord, du Sud-Est, du Sud-Ouest, voire de la région parisienne, étaient dans l’attente. Ils espéraient voir augmenter le nombre de kilomètres éligibles et récupérer certaines recettes par l’intermédiaire de l’AFITF, qui finance toutes les infrastructures de transport. Mais attention : pour nous, l’écotaxe est destinée aux infrastructures routières, et nous ne voudrions pas qu’elle soit reportée sur d’autres infrastructures. C’est d’autant plus important que la part destinée aux départements - 138 millions – est déjà bien modeste.

J’en viens aux propos de M. Savary sur la régionalisation de l’écotaxe. L’espace territorial régional est-il le plus pertinent pour aborder cette question ? J’ai en partie répondu avec l’exemple de l’étude faite par la FNTR : effectivement, c’est le niveau régional ou interrégional qui est pertinent. Vous avez d’ailleurs pu observer que certains conseils généraux – je pense à la Vendée et au Maine-et-Loire – n’ont même pas voulu discuter avec le préfet de l’application de l’écotaxe sur leur territoire. Maintenant, cette question peut-elle relever de la décentralisation et de la fiscalité à venir ? Je ne peux pas m’exprimer au nom de l’ADF, car nous n’avons pas suffisamment avancé sur le dossier.

Ensuite, j’ai dit qu’en fin de compte c’était le consommateur qui payait. Cela nous amène à regarder du côté de la grande distribution, secteur d’activité éligible au CICE. Mais la question relève de la taxation des entreprises, et donc de la fiscalité globale.

Monsieur Thévenoud, nous vous donnerons toutes les informations dont nous disposons, à l’ADF, sur la proposition que nous avions faite, et qui consistait à rendre éligibles à l’écotaxe 9 000 km de routes départementales. Quels critères avions-nous retenu ? Le critère du trafic, qui est revenu souvent, est assez simple, mais il n’est pas suffisant. On a en effet constaté dans certains endroits des reports de trafic sur des routes départementales qui étaient d’anciennes routes nationales, à côté de grands sillons autoroutiers.

S’agissant de la gestion de la taxation, j’avoue ne pas comprendre. J’ai monté un cluster sur les systèmes de transport intelligents et je me demande pourquoi on n’a pas trouvé un système plus pertinent et plus efficace que ces portiques. En outre, c’est un tel symbole que ce n’était pas très astucieux. Je ne critique personne, mais nous aurions pu aller sur un autre registre.

Dans le dossier breton, le contexte économique et social du moment a été déterminant. À une époque où la France avait un taux de croissance de 4 % et des rentrées fiscales, la mise en place d’une telle taxe n’aurait pas posé de problème. Et le buzz qui a été fait autour de la fiscalité n’a pas arrangé les choses. Dans les sondages qui viennent de sortir pour les prochaines élections municipales, un Français sur deux répond qu’il se prononcera en fonction de la position des équipes en matière de fiscalité. On a oublié de faire de la pédagogie sur la raison d’être de l’impôt par rapport au service public. Aujourd’hui, dès que vous parlez de fiscalité, tout le monde voit rouge.

Monsieur Le Fur, je ne regrette rien en tant que breton. Je précise que je n’ai jamais plaidé pour la suppression de l’écotaxe ; j’ai toujours souhaité sa suspension. Je pensais que nous pourrions aboutir à un terrain d’entente, d’autant qu’en Bretagne – droite et gauche confondues – nous avions trouvé avec les acteurs économiques des accommodements majeurs, et que les gouvernements – le précédent comme l’actuel – nous avaient prêté un regard bienveillant. On pourra peut-être aborder la question par le biais d’une forme de régionalisation. Se pose alors la question du transfert de compétences à ceux qui portent le patrimoine. Mais comment doter les départements des moyens d’entretenir leur réseau routier ? Aujourd’hui, le foncier bâti ne représente en moyenne que 17 % des recettes des départements – sur un total de 71 milliards d’euros. C’est très peu, même si les départements perçoivent par ailleurs les droits de mutation qui ont été en débat ces dernières semaines. J’observe d’ailleurs qu’à l’initiative, en 1982, les DMTO étaient destinés à l’entretien des collèges ! Les choses évoluent avec le temps, mais la question du financement des infrastructures routières reste pendante. Or, dans de nombreux territoires, le transport routier reste le premier mode de transport – pour 85 %. M. Tardy, qui a été président de la FNTR, m’a dit qu’il faudrait doubler les infrastructures ferroviaires pour permettre un véritable transport de marchandises. Or on ne peut pas dire que la SNCF ait fait preuve d’un grand enthousiasme pour développer ce mode alternatif. En Bretagne, nous avons la chance d’avoir la mer, mais ce n’est pas le cas de tous les territoires de France.

M. Éric Straumann. Monsieur le président, cette mission a été créée en raison des événements qui se sont déroulés en Bretagne. Pensez-vous que cette écotaxe sera un jour acceptable et acceptée par les Bretons ? Sera-t-on obligé de créer un îlot fiscal ?

M. Claudy Lebreton. La Bretagne a été frappée de plein fouet par la mondialisation. L’agroalimentaire étant son industrie dominante, elle pensait être préservée dans la mesure où il faut toujours nourrir la population. Or nous nous sommes retrouvés face à des restructurations industrielles de grande ampleur. Ce qui s’est passé à Rennes, avec Citroën, n’a pas eu les mêmes conséquences sur l’opinion publique. Mais, dans le secteur alimentaire, tous les groupes ont été frappés et des milliers d’emplois ont été supprimés. Cela ne pouvait que secouer la région, alors même que l’application de l’écotaxe était encore à venir. Le contexte était donc propice à une explosion.

L’écotaxe peut-elle être appliquée demain ? L’État français ne peut pas imaginer que certains territoires soient exonérés de taxe nationale. La taxe sera appliquée partout, quitte à opérer une territorialisation – selon les départements, le taux des DMTO peut bien varier entre 3,8 et 4,5 %. C’est un principe de la République, et il ne peut pas en être autrement de l’écotaxe. Quand j’ai parlé tout à l’heure d’accommodements pour la région, c’est à cette philosophie que je me référais.

La Bretagne, conjoncturellement, a été un exemple. Mais si on applique véritablement l’écotaxe, compte tenu du contexte économique, ce qui s’est passé en Bretagne pourrait très bien se passer ailleurs. Je pense, par exemple, à l’est de la France, qui est confronté à des mutations industrielles. Dans le futur proche, il faudra aborder cette question par le biais de la fiscalité, de la décentralisation et du pouvoir de réglementation régionale.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Certes, mais il y a urgence. S’agissant de l’écotaxe, le temps est compté, et je ne suis pas sûr que nous puissions attendre l’examen de certains des textes qui ont été annoncés.

M. Thierry Benoit. Monsieur le président Lebreton, vous représentez une association d’institutions qui représentent elles-mêmes des territoires. Êtes-vous, oui ou non, favorable au maintien d’un dispositif d’allégement ou d’exonération territoriale ?

M. Claudy Lebreton. À l’heure actuelle, je suis mandaté par l’ADF pour dire qu’une grande majorité des départements de France est favorable au principe de l’écotaxe…

M. Thierry Benoit. Avec le maintien d’un système d’aménagement territorial ?

M. Claudy Lebreton. … avec le maintien d’un système d’accommodations.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur le président, je vous remercie pour votre intervention.

Audition, ouverte à la presse, de France Nature Environnement (FNE) :
MM. Michel Dubromel, pilote du réseau transports et mobilité durable,
et Gérard Allard, membre de ce réseau

(Séance du mercredi 22 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons ce soir deux responsables de France Nature Environnement (FNE), une fédération citoyenne qui rassemble quelque trois mille associations et qui a très clairement pris position en faveur de la mise en place de l’écotaxe. Son président, Bruno Genty, a adressé une lettre ouverte en ce sens au Président de la République, le 8 novembre dernier, au plus fort des manifestations.

Fidèle à ses convictions, France Nature Environnement se veut force de proposition en faveur d’une politique des transports tenant compte des enjeux environnementaux.

Les trop rares études d’impact dont nous disposons montrent que l’écotaxe n’aura pas d’effets majeurs sur le report modal, à l’exception de certains transferts de trafic vers les autoroutes. En revanche, dans la logique du vote quasi-unanime de la loi dite Grenelle 1, nombre d’observateurs pensent, comme France Nature Environnement, qu’il revient aux utilisateurs du réseau routier non concédé de payer, au moins en partie, son entretien et son amélioration.

France Nature Environnement conçoit l’écotaxe comme un impôt protecteur des territoires dans la mesure où il est favorable au développement d’une économie de proximité. Cette taxe pénaliserait en effet les migrations routières sur longue distance de produits susceptibles d’être consommés sur place, c’est-à-dire au plus près des lieux de production. L’objectif est louable, mais l’atteindre suppose que les acteurs économiques modifient en profondeur leurs comportements.

Nous souhaiterions, Messieurs, connaître à la fois vos appréciations sur le dispositif tel qu’il a été conçu, y compris sur le plan technique pour la collecte et le contrôle, et vos éventuelles propositions d’amélioration.

Pour sortir de la situation actuelle, il conviendrait d’abord de redonner un sens à cette redevance d’usage qu’est l’écotaxe. Elle ne sera acceptée que si elle est comprise, ce qui exige de simplifier son dispositif sur plusieurs points.

M. Michel Dubromel, pilote du réseau Transports et mobilité durable de France Nature Environnement (FNE). Nous vous remercions d’avoir sollicité France Nature Environnement pour cette audition.

Convaincue de l’utilité de l’écotaxe poids lourds, notre fédération pense qu’elle doit être mise en œuvre rapidement.

Notre mouvement, qui regroupe plus de trois mille associations, réparties sur l’ensemble du territoire national, y compris outre-mer, traite près de vingt thématiques. Nous ne travaillons pas seulement sur les transports, mais aussi sur un sujet comme « santé et environnement », auquel les médias et la population accordent davantage d’attention avec une prise conscience des effets dommageables de la pollution atmosphérique sur la santé. Nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais l’intérêt général.

Nous dénonçons toutes les situations portant préjudice à l’environnement et à la qualité de vie de nos concitoyens. Mais au-delà, nous nous voulons force de proposition. C’est ainsi que nous avons participé au Grenelle de l’environnement ainsi qu’au débat national sur la transition énergétique, et participons actuellement aux travaux du comité pour la fiscalité écologique. Nous travaillons sur toutes les questions de transport et de mobilité, en cherchant à promouvoir les modes de transport les moins nocifs pour l’environnement, qu’il s’agisse de la pollution atmosphérique ou de la destruction des milieux naturels. Le thème de notre congrès de l’an passé était d’ailleurs « Se déplacer et transporter moins, mieux et autrement ».

C’est après le très grave accident du tunnel du Mont-Blanc en 1999, lequel avait fait 39 morts, qu’une première alerte avait été lancée. À l’époque, nombreux en effet avaient été les responsables politiques et associatifs à dire « Plus jamais ça ! ». Depuis 2003, France Nature Environnement s’est résolument engagée sur le sujet de l’éco-redevance, à la demande de ses fédérations régionales, inquiètes de l’augmentation du trafic routier, en particulier dans les zones fragiles sur le plan environnemental, comme en montagne. C’est l’époque où la Suisse a commencé de mettre en œuvre « la redevance poids lourds liée aux prestations » (RPLP), intégrant les coûts d’utilisation de l’infrastructure routière mais aussi les externalités. Les recettes de cette redevance y financent une grande partie des infrastructures ferroviaires nécessaires au report modal. Avec l’aide de sa Fédération européenne Transports et environnement, du ministère des transports et de l’ADEME, dès 2006, France Nature Environnement réalisait une étude intitulée « Une éco-redevance ici et maintenant », dans laquelle nous étudiions comment transposer dans notre pays l’expérience suisse.

Nous avons défendu cette proposition l’année suivante, lors du Grenelle de l’environnement. Elle en est devenue l’engagement n°45 « Création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau national non concédé ». Cet engagement, accepté par toutes les parties, a ensuite été acté dans la loi dite Grenelle 1, votée à la quasi-unanimité, puis dans la loi de finances pour 2009, avec, il faut le reconnaître, nous l’avions alors regretté, quantité de dérogations et de minorations.

Nous avons continué de travailler sur le dossier au niveau national. Nous avons ainsi été en liaison régulière avec la mission Tarification routière du ministère. Nous avons également participé à de nombreux colloques sur le sujet et édité plusieurs plaquettes d’information – je vous en remets deux, Monsieur le président. La première, éditée il y a deux ans, s’intitulait encore « Éco-redevance », avant que le ministère des finances nous fasse savoir qu’il n’était plus possible d’utiliser cette dénomination. La deuxième, éditée il y a six mois, s’intitule « Taxe kilométrique poids lourds ».

Nous sommes également restés mobilisés au niveau européen au travers de notre fédération européenne Transports et environnement, par le biais de laquelle nous suivons de près les révisions successives de la directive Eurovignette.

Pour nous, l’écotaxe poids lourds – nous aurions évidemment préféré qu’on continue de parler d’éco-redevance – n’est que l’application du principe utilisateur-payeur aux infrastructures routières. Les opérateurs ferroviaires s’acquittent bien d’un péage auprès de Réseau ferré de France (RFF) et les bateliers auprès de Voies navigables de France (VNF).

Cette écotaxe répond aux exigences de la directive européenne Eurovignette, que la France a toujours soutenue, ayant même parfois reproché à la Commission européenne de ne pas aller assez loin en matière de péage au bénéfice des infrastructures routières. Conformément aux dispositions de la directive, il convient aujourd’hui de veiller à n’opérer aucune discrimination entre transporteurs français et étrangers.

Pour nous, l’écotaxe, qui est une redevance d’infrastructure, a une vocation environnementale. Elle doit favoriser le report modal. Je rappelle à cet égard que le Grenelle de l’environnement avait fixé un objectif de 25 % de transports alternatifs en 2022. Elle doit également donner un « signal prix » sur le transport avec une tarification proportionnelle au kilométrage parcouru, alors que l’actuelle taxe à l’essieu est forfaitaire, et permettre d’améliorer le taux de remplissage des camions, tout en diminuant le nombre de parcours à vide. En Allemagne, trois ans après la mise en place de la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), on constate que les parcours à vide ont diminué de 6 %. Cette taxe doit également servir à financer la réalisation d’infrastructures alternatives à la route et à conduire les travaux d’amélioration de sécurité sur le réseau routier existant. Elle doit enfin permettre de réduire la pollution causée par la circulation des poids lourds.

Elle ne défavorise pas le pavillon routier français puisqu’elle est applicable à tous les poids lourds. Elle permet d’ailleurs de faire payer l’utilisation des infrastructures aux transporteurs étrangers, alors qu’aujourd’hui, ceux d’entre eux qui empruntent le réseau non concédé ne paient pratiquement rien.

J’en viens aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’écotaxe. Celle-ci a pris trop de temps. Alors que la loi, votée en 2008, prévoyait une entrée en vigueur en 2011, la mesure a été par cinq fois reportée ! Peut-être aurait-il fallu lancer l’expérimentation alsacienne plus rapidement.

La communication sur le sujet aussi a été très mauvaise, quels qu’aient été d’ailleurs les gouvernements et les personnes chargée du dossier. Si des réticences se sont fait jour de la part de certains milieux économiques, une grande majorité de nos concitoyens n’est pas défavorable au dispositif. Trop d’informations erronées ont circulé, comme sur la forte augmentation des prix à la consommation qui pourrait en résulter. Le ministère des finances dispose d’une étude restée confidentielle mais qui établit que l’augmentation serait au maximum de 0,1 % ou 0,2 %.

Il faut enfin rappeler que certaines compensations avaient été octroyées par avance aux transporteurs routiers. La taxe à l’essieu a été diminuée en 2009, pour un coût annuel de 100 millions d’euros. La généralisation du 44 tonnes à cinq essieux entraînera une dépense supplémentaire de 400 millions d’euros par an pour l’entretien du réseau routier, selon une estimation réalisée par le Commissariat général au développement durable en janvier 2011. Enfin, le gazole a bénéficié d’une exonération supplémentaire de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) de 2,5 centimes d’euros par litre lors de la dernière augmentation par les régions de la part régionale de cette taxe. Cette niche fiscale représente un coût de 150 millions d’euros.

Trop d’exemptions et de minorations ont, hélas, été introduites lors du débat parlementaire, pour répondre à des intérêts sectoriels, alors qu’il aurait fallu avec cette écotaxe, adresser un message de solidarité entre régions.

La dénomination d’éco-redevance, qui était celle initialement prévue, plus compréhensible, aurait permis que le principe soit mieux accepté. Lorsqu’en 2006, nous avions, avec Gérard Allard, ici présent, assisté aux assemblées générales de l’ensemble des transporteurs routiers, nous avions constaté que s’ils n’approuvaient pas l’institution d’une telle redevance, ils en comprenaient néanmoins le principe et la motivation. Nous avions appelé l’attention du ministère des transports sur les dangers de la dénomination « écotaxe », mais c’était, semble-t-il, une instruction de Bercy.

Dans la situation actuelle, quelles sont nos propositions ? Cela a été souligné lors d’auditions précédentes de votre mission d’information : le dispositif retenu correspond aux objectifs de la France en matière de transports. L’écotaxe n’a pas été bien comprise, mais ce sont certains lobbies qui ne l’acceptent pas, non pas le grand public. La plupart des économistes qui suivent les questions de transport et les grandes centrales syndicales y sont favorables. Ce n’est pas l’intérêt général, mais des intérêts particuliers, qui se sont exprimés dans son refus.

Pour nous, je le répète elle doit être mise en œuvre sans retard, compte tenu des enjeux environnementaux des prochaines années. Nous proposons toutefois quelques aménagements, à même de satisfaire certaines des attentes exprimées. Ainsi pourrait-on envisager une exonération journalière pour les 50 premiers kilomètres parcourus, au moins à titre transitoire. L’entrée en vigueur du dispositif pourrait également être progressive, en s’appliquant d’abord aux camions de plus de 12 tonnes, puis de plus de 7,5 tonnes et enfin de plus de 3,5 tonnes, sachant que la directive fixe pour objectif 3,5 tonnes. Cela nous paraîtrait plus logique que d’octroyer des dérogations régionales, ce qui porte atteinte au principe d’égalité entre les territoires. Il serait possible également de revoir la grille des péages en augmentant, à produit constant, l’écart entre le prix du péage dont s’acquittent les camions à la norme Euro 6 et ceux à la norme Euro 2 ou Euro 3 – ils sont encore nombreux – qui sont les plus polluants. Ce serait une aide indirecte à l’achat de véhicules plus respectueux de l’environnement. Une différence de traitement pourrait également être faite entre les camions de 12 tonnes et ceux de 3,5 tonnes, afin de ne pas pénaliser les transporteurs locaux.

Nous sommes donc convaincus qu’il est possible de mettre rapidement en œuvre l’écotaxe, à condition de s’appuyer sur de larges campagnes d’information à l’intention des acteurs économiques et de la population. Certains acteurs économiques bretons nous ont dit regretter maintenant d’avoir pris position contre une taxe qui aurait pu leur être utile, reconnaissent-ils.

Cette écotaxe, éventuellement aménagée comme je viens de l’indiquer, devra toutefois respecter certains principes. Aucune nouvelle exonération ni minoration ne doit être accordée : ce serait ouvrir une boîte de Pandore. Le niveau de recettes prévisionnel attendu doit être atteint, afin de ne pas amputer le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui commence à avoir des difficultés pour entretenir le réseau. Il faut enfin que le montant de la taxe soit répercuté sur le prix des marchandises transportées, comme prévu dans la loi de juin 2013, de façon à ne pas rogner les marges des transporteurs.

Nous n’avons rien contre le transport routier. Le transport par camion a sa pertinence, en particulier pour les courtes distances. Nous pensons en revanche que la réalité de son coût sociétal doit être prise en compte. La mise en place de l’écotaxe poids lourds est le premier pas, c’est toujours le plus difficile, vers un juste coût du transport et une véritable politique de report modal. Il faut en effet transporter moins, mieux et autrement !

Ayons le courage de prendre les mesures issues hier du Grenelle de l’environnement et, aujourd’hui, du débat national sur la transition énergétique. Traduisons enfin en actes nos engagements maintes fois répétés : l’écotaxe – ou l’éco-redevance – en faisaient partie. La France doit accueillir en décembre 2015 la Conférence des parties (« COP 21 ») sur les changements climatiques. Dans cette perspective, elle devrait être exemplaire, et non la lanterne rouge de la fiscalité environnementale en Europe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’ai déjà eu en mains les deux plaquettes d’information que vous m’avez remises, et les ai lues avec attention.

Deux de vos propositions me paraissent tout à fait intéressantes. La première serait d’exonérer les petits trajets. Reste à vérifier qu’une telle mesure est compatible avec la directive Eurovignette et possible sur le plan technique. La deuxième serait de mieux prendre en compte le degré de pollution des camions. Puisqu’il est prévu de distinguer entre trois catégories de poids lourds et comme il existe six degrés identifiés de pollution, il pourrait y avoir près de vingt taux d’écotaxe différents.

J’ai également retenu de votre exposé que c’est à la demande de Bercy que le terme « écotaxe » a été substitué à celui « d’éco-redevance » que nous aurions nous aussi préféré. Savez-vous pourquoi le ministère a souhaité ce changement de dénomination ?

M. Philippe Bies. Chacun s’accorde sur la nécessité de trouver une solution permettant de sortir de l’impasse actuelle. L’un des moyens pourrait être d’intégrer cette écotaxe dans le cadre d’un dispositif plus large, avec éventuellement des contreparties.

Le taux de l’écotaxe doit-il être uniforme sur l’ensemble du territoire ou différencié selon les régions ?

Quelles sont vos priorités dans le cadre de la révision de la directive Eurovignette ? Quels nouveaux éléments souhaiteriez-vous voir intégrés dans le futur texte ? Je pense notamment aux coûts d’ordinaire externalisés du transport routier de marchandises.

Mme Sophie Errante. La redevance devait au départ s’appliquer sur un réseau représentant 9 000 kilomètres. Lors de son audition ce matin, le président de l’Assemblée des départements de France nous a indiqué que ne devraient plus être concernés que 5 400 kilomètres. Quel regard portez-vous sur l’assiette de taxation ?

Vous évoquez l’idée d’exonérer les 50 premiers kilomètres. Mais par là, visez-vous les 50 premiers kilomètres d’un trajet plus long ou tout trajet inférieur à 50 kilomètres, ce qui inclurait tous les petits circuits dans une zone donnée ? C’est assez différent.

L’une des préoccupations des transporteurs routiers est que ce soit bien les donneurs d’ordres qui supportent au final le coût de cette éco-redevance. Comment s’assurer que tel sera bien le cas ?

Il est effectivement dommage que l’on parle maintenant d’écotaxe et non plus d’éco-redevance car c’est bien d’une redevance participative qu’il s’agit. Et il aurait sans doute été plus facile d’obtenir un consensus si les choses étaient vues de la sorte.

Mme Françoise Dubois. Je suis d’accord avec l’essentiel des propositions de France Nature Environnement, notamment l’idée d’alléger le taux de la taxe pour les camions à la norme Euro 6. Je pense moi aussi qu’il ne faut plus tarder à mettre en œuvre cette écotaxe. Il est grand temps ! Les acteurs concernés doivent comprendre qu’à un moment, il faudra bien y venir. La population ne comprendrait pas qu’il en aille autrement, sans parler même de la réaction de nos amis écologistes.

L’idée a été émise que l’écotaxe puisse être refacturée aux clients. Qu’en pensez-vous ?

Mme Joëlle Huillier. Les fédérations de transporteurs nous signalent que fleurissent maintenant dans notre pays des camions de 3,5 tonnes en provenance de l’étranger, qui viennent pour faire du transport sur de petits trajets. Que faudrait-il faire pour enrayer ce phénomène ?

M. Jean-Pierre Gorges. Afin d’éviter toute ambiguïté, je précise d’emblée que je suis favorable au dispositif, dont j’avais voté le principe.

Cela étant, je ne suis pas certain qu’on s’y soit pris de la bonne manière. Ce que l’on souhaite, c’est favoriser les comportements écoresponsables. Dans ma région, la Beauce, des milliers de tonnes de céréales partent pour être transformées ailleurs. S’il existait des industries de transformation sur place, non seulement il y aurait plus d’activités dans notre région, mais on ferait beaucoup d’économies de temps et d’argent, tout en évitant de la pollution.

Chacun s’accorde sur le fait que c’est le client final qui doit supporter le coût de cette taxe. Il faut éduquer les jeunes dès leur plus jeune âge au coût respectif des différents modes de transport.

Que le principe utilisateur-payeur soit désormais reconnu par tous constitue déjà un énorme progrès. Il serait d’ailleurs mauvais à cet égard que le produit de la taxe soit versé au budget de l’État pour être ensuite redistribué selon des critères mal connus. Mieux vaut que cette ressource soit affectée.

D’autres choix auraient pu être faits concernant le réseau où s’appliquera la taxe, y compris avec l’outil existant. Reste aussi le débat sur le fait de savoir si la collecte de la redevance doit être confiée à des entreprises privées ou rester sous contrôle de l’État. La taxe devrait aussi être ramenée au plus près du produit. Chacun sait que la fiscalité influe sur les comportements. Si on fixe le seuil de taxation à 12 tonnes, on verra fleurir les camions d’un tonnage inférieur – les étrangers seront les premiers à en fabriquer. Si on taxe selon le degré de pollution, les utilisateurs s’adapteront aussi. Il y aura toujours des moyens de contourner la loi. C’est pourquoi je me demande si on ne regarde pas les choses par le petit bout de la lorgnette. Il va être très difficile de remettre en place le dispositif prévu, face à une profession qui se sent montrée du doigt. Si on acceptait de traiter le problème de manière plus globale, on constaterait peut-être qu’un autre système serait préférable. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Dubromel. Nous parlions, nous, au départ d’éco-redevance, sur le modèle de la RPLP suisse ou de la LKW Maut allemande, dont le principe avait d’ailleurs été bien compris lors du Grenelle de l’environnement. L’explication fournie par Bercy sur le changement de dénomination en « écotaxe » est que le produit d’une redevance est nécessairement affecté à l’usage pour lequel elle a été prélevée. En l’espèce, la redevance est acquittée par les transporteurs routiers pour permettre le financement d’infrastructures de transport routier mais aussi alternatif, ce qui n’autoriserait pas à parler stricto sensu de redevance. C’est certes exact sur le plan juridique, mais c’est dommage sur le plan symbolique. Redevance aurait été mieux comprise.

M. Gérard Allard, coordonnateur du réseau « Transports et mobilité durables » de France Nature Environnement. L’écart entre la redevance acquittée par les camions à la norme Euro 6 et celle acquittée par les plus polluants est actuellement de 35 %. La directive Eurovignette permet de le porter à 100 %. Lors de la transposition de la directive Eurovignette 3, nous avions suggéré des amendements, tendant notamment à différencier le prix des péages autoroutiers selon les mêmes critères, le tout à recettes constantes – si on augmentait les péages pour les camions à la norme Euro 3 et en-dessous, les péages pour les camions à la norme Euro 5 ou Euro 6 devaient corollairement diminuer d’autant. Cela aurait incité les transporteurs à s’équiper de véhicules les moins polluants. Ce serait selon nous une meilleure solution que d’accorder une aide directe à l’investissement, et ce serait sans doute moins coûteux pour le budget de l’État.

Certains pensent qu’il faudrait appliquer l’écotaxe sur le réseau autoroutier également. Or, lorsque les transporteurs s’acquittent d’un péage sur autoroute, ils paient déjà pour l’utilisation de l’infrastructure. On ne peut pas leur faire payer une taxe supplémentaire. En revanche, si on veut faire contribuer davantage le transport routier parce que les camions usent beaucoup plus les chaussées, on peut porter de 3 à 3,5 le coefficient multiplicateur entre le péage acquitté par les véhicules légers et celui acquitté par les poids lourds.

Pour nous, le taux de la taxe doit être uniforme sur l’ensemble du territoire. Sinon cela suscite des incompréhensions. Les régions Pays de Loire ou Basse-Normandie se sont d’ailleurs interrogées sur le traitement privilégié réservé à la Bretagne. Les péages de RFF pour les trains de marchandises ne sont pas inférieurs en Bretagne à ce qu’ils sont ailleurs !

Répercuter le prix de la taxe sur les marchandises paraît une bonne idée, mais outre qu’elle serait difficilement applicable, elle serait tout aussi difficile à faire accepter, car cela serait perçu comme une augmentation de la TVA sur le transport. Nous sommes attachés, nous, à la redevance d’usage, sur le modèle de ce qui s’est fait dans les autres pays européens.

L’idée a aussi été formulée de faire reposer la taxe sur les émissions de CO2. Pour nous, les externalités devraient être prises en compte au travers de la contribution climat-énergie, qui sera applicable en 2015. Il ne faudra pas en exonérer les transporteurs routiers, car la mesure perdrait sinon tout son sens. Nous avons, hélas, des craintes à ce sujet. Pour l’instant, nous défendons la redevance d’usage kilométrique. La directive Eurovignette 3 exige que soient prises en compte les externalités comme la pollution atmosphérique ou les nuisances sonores, et il le faudra. La France avait d’ailleurs défendu avec force cette position – on se souvient du combat de Dominique Bussereau lors de la présidence française de l’Union. Mais commençons par faire entrer en vigueur la redevance d’usage kilométrique.

Quelle doit être l’assiette de taxation ? Des exonérations de certaines parties du réseau national, dites à faible fréquentation, ont été accordées. Des parties de ce réseau se situent dans des régions sensibles sur le plan environnemental : ainsi beaucoup de routes nationales ont-elles été exonérées en montagne, mais la RN 164 en Bretagne l’a été également, alors même que le trafic y est élevé et qu’elle doit bientôt être modernisée. Qui financera cette modernisation ? En partie l’AFITF, qui escomptait retirer des recettes de l’écotaxe. C’est ici que les contradictions apparaissent au grand jour.

L’idée a également été formulée d’exonérer certains véhicules ou certaines marchandises. Le Parlement a ainsi décidé d’exempter les véhicules des collectivités ou encore les camions transportant du lait. Il paraît difficile de prévoir de telles exonérations par filières car avec le dispositif actuel, comment distinguer un camion transportant une denrée alimentaire ou du matériel électroménager ? C’est donc là une autre fausse bonne idée.

Certains pensent qu’il faudrait réduire le montant de la taxe, aujourd’hui estimé à 12-13 centimes par véhicule/kilomètre. Pour un camion chargé à 20 tonnes, cela fait 0,7 centime par tonne/kilomètre. Le péage moyen qu’appliquera RFF en 2015 est d’un centime par tonne/kilomètre. La redevance poids lourds n’est donc pas si élevée qu’il pourrait y paraître. Il faudrait toutefois adresser un signal aux transporteurs locaux, en revoyant la fourchette pour les camions de 3,5 à 12 tonnes.

Il faut être attentif aux effets de seuil, les transporteurs ont alerté sur ce point. Cet effet de seuil a été constaté en Allemagne au moment de l’entrée en vigueur de la taxe. Le seuil avait été fixé à 12 tonnes, comme le permettait la directive Eurovignette : les immatriculations de camions de 10 tonnes ont augmenté de 50 % ! Un excellent rapport européen détaille les avantages et les inconvénients respectifs d’une tarification kilométrique par rapport à une vignette annuelle ou journalière. Le dispositif en vigueur en Belgique s’apparente à notre taxe à l’essieu, mais à un niveau de trois à quatre fois supérieur à la taxe applicable en France, où elle est au niveau minimal imposé par la réglementation européenne. Pour notre part, nous donnons la préférence à une taxe kilométrique plutôt qu’à une taxe à l’essieu ou à une taxe annuelle.

Nous proposons d’exonérer les 50 premiers kilomètres, qu’il s’agisse du début d’un parcours plus long ou d’un court trajet journalier. La directive Eurovignette prévoit la possibilité d’exonérer certains petits parcours, mais il faut démontrer que les coûts de perception seraient supérieurs à la recette.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous le démontrerons.

M. Michel Dubromel. Pourrait-on intégrer l’éco-redevance dans un dispositif plus général ? La situation du secteur du transport routier de marchandises nous inquiète. J’ai parlé avec de nombreux professionnels, qui étaient d’ailleurs surpris de voir le responsable d’une association écologiste s’inquiéter du bilan financier de leurs entreprises. On a accusé l’écotaxe de tous les maux alors qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur ! Les difficultés du secteur lui sont bien antérieures. Songeons à la faillite du transporteur Mory Ducros, qui emploie quelque cinq mille salariés. L’entreprise n’arrive pas à s’en sortir, et ce n’est pas l’écotaxe qui explique comment elle en est arrivée là !

Il faut faire évoluer le transport routier, mais pas en l’assistant sous perfusion. Il faut lui ouvrir des perspectives d’avenir. Nous essayons depuis plusieurs années de convaincre certaines fédérations de se tourner vers le métier beaucoup plus rentable, attendu des producteurs locaux, de la logistique urbaine. Nous avons édité une plaquette d’information sur le sujet, dont le principal diffuseur est d’ailleurs la FNTR. Si les transporteurs sont prêts à évoluer en ce sens, c’est aussi qu’ils souffriront moins de la concurrence que sur les longs parcours. Adressons-leur un signal et aidons-les à se réorienter vers ce nouveau métier. Il serait beaucoup plus logique de les accompagner dans cette évolution plutôt que de les placer sous perfusion.

Si la directive européenne change sa dénomination d’Eurovignette en Eurotoll, c’est parce qu’on doit en finir avec la vignette forfaitaire encore en vigueur en Angleterre ou en Belgique pour passer à une tarification kilométrique. La nouvelle directive devrait également laisser plus de marges manœuvre aux États pour en adapter les dispositions aux contextes nationaux.

En Suisse, il a été décidé, après une votation dont le résultat a été sans appel, que la taxe s’appliquerait sur l’ensemble du réseau. Les transporteurs et les chargeurs avaient combattu le projet et formulé des contre-propositions. Bien que la taxe soit aujourd’hui en vigueur sur l’ensemble du réseau, le transport routier se porte, que je sache, à merveille en Suisse. Il y certes eu des mesures d’accompagnement, mais, on le voit, une mesure contraignante n’a pas été pénalisante pour l’activité économique.

Nous ne sommes pas favorables à une redevance pour une redevance, dont en général pâtissent ceux qui sont le plus en difficulté. Nous pensons que des mesures d’accompagnement sont nécessaires. La situation d’une entreprise comme Mory Ducros mérite à coup sûr d’être regardée de près, et on ne peut certainement pas dire à cette entreprise qu’il faudra seulement payer davantage !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pour nous, l’exonération d’écotaxe pour les 50 premiers kilomètres se justifiait car pour les petits trajets, il n’y a pas de report modal possible. Votre proposition est différente en ce qu’elle concerne aussi les longs trajets. Vous paraît-il envisageable, dans le respect de la directive européenne, d’exonérer non pas les 50 premiers kilomètres, mais plutôt les petits trajets ?

M. Gérard Allard. Tout dépend de ce qu’on entend par un « petit trajet ». Si c’est 10 ou 15 kilomètres, cela mérite d’être examiné mais pas s’il s’agit, comme le souhaiteraient certaines fédérations de transport routier, de n’appliquer l’écotaxe que sur les trajets pour lesquels un report modal est possible, soit parfois 300 kilomètres. Le plafond de 150 kilomètres, qui a parfois été évoqué, ne me paraît pas compatible avec la directive. Des transports passifs sont possibles sur des distances de 50 à 80 kilomètres. Je pense à une carrière près de Laval dont les pierres et granulats sont transportés sur une plate-forme de distribution au Mans, à 70 kilomètres donc, par voie ferroviaire. Avec un train par jour de 1 200 tonnes de granulats, quelle économie d’émissions de CO2 mais aussi pour l’entretien des routes ! Non seulement exonérer 100 kilomètres journaliers ne parait pas compatible avec la directive, mais nous pensons que ce ne serait pas opportun. Il faut adresser un signal clair. N’exonérer que les 50 premiers kilomètres par jour présente en outre l’avantage d’éviter toute discrimination entre transporteurs locaux et étrangers. En effet, l’exonération des petits trajets pourrait être perçue comme un avantage donné aux transporteurs locaux.

Mme Sophie Errante. Ne serait-il pas intéressant de prévoir une marche à blanc pendant un trimestre par exemple, de façon à avoir une idée précise de l’incidence de l’écotaxe et des montants en jeu ? Car on entend vraiment dire tout et n’importe quoi.

M. Gérard Allard. C’est possible pendant deux ou trois mois. Cela ne pose aucune difficulté et cela serait même utile – à condition qu’il soit clair qu’on ne reviendra pas en arrière sur la mise en œuvre du dispositif. En Allemagne, la mise au point de la taxe a pris deux à trois ans, et l’homologue allemand d’Ecomouv’, dont Cofiroute était actionnaire, a d’ailleurs dû régler de lourdes pénalités.

On pourrait commencer par faire payer les camions de plus de 12 tonnes, et prévoir un calendrier précis pour le passage aux plus de 7,5 tonnes – palier retenu pour la ristourne de cinq centimes par litre de gazole –, l’objectif restant bien sûr que, conformément à la directive, tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes s’acquittent de la taxe. En Allemagne, seuls les camions de plus de 12 tonnes y sont aujourd’hui assujettis, mais cette dérogation, sollicitée par le pays, n’est que transitoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Messieurs, il me reste à vous remercier pour cet échange très fructueux.

Audition, ouverte à la presse, de la société Ecomouv’ :
M. Daniele Meini, président, M. Michel Cornil, vice-président, M. Jean-Claude Damez-Fontaine, directeur « systèmes et intégration », M. Giovanni Castellucci, administrateur délégué d’Autostrade, ainsi que les membres du comité exécutif d’Ecomouv, représentant les partenaires : MM. Michaelangelo Damasco (Autostrade), Antoine Caput (Thales), William Ferre (Steria), Jean-Vincent Cloarec (Sncf), Jean-Marc Lazarri (SFR)

(Séance du mercredi 29 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons, ce matin, la société Ecomouv’ représentée ici par des membres de son conseil d’administration. Je souhaite la bienvenue à MM. Daniele Meini, président, Michel Cornil, vice-président, et Jean-Christophe Damez-Fontaine, directeur de la société. Je salue également les membres du comité exécutif d’Ecomouv’ représentant ses partenaires – MM. Michaelangelo Damasco d’Autostrade per l’Italia, Antoine Caput de Thales, Jean-Vincent Cloarec de la SNCF –, ainsi que M. Giovanni Castellucci, administrateur délégué de la société italienne Autostrade.

Autostrade per l’Italia, qui détient 70 % du capital d’Ecomouv’, est un groupe privé concessionnaire du réseau autoroutier italien, également actif à l’international pour l’exploitation de certains ouvrages routiers payants. Autostrade est contrôlée à 100 % par la holding Atlantia – une ancienne société publique qui regroupait des participations de l’État italien jusqu’à sa privatisation en 1999 –, qui gère également l’aéroport de Rome. Le plus important actionnaire d’Atlantia est, avec 46 % du capital, le fonds Sintonia du groupe familial Benetton, allié depuis 2008 à la banque Goldman Sachs.

Je rappelle que notre mission d’information n’est pas une commission d’enquête sur le contrat conclu entre l’État et Ecomouv’. Notre vocation est de comprendre pourquoi la mise en œuvre de l’écotaxe – dont le principe avait été voté à la quasi-unanimité – se heurte à tant de difficultés et d’incompréhensions. Les pouvoirs publics, mais aussi Ecomouv’, ont sans doute insuffisamment porté leurs efforts sur la communication. Comprendre ce qui n’a pas marché, et pour quelles raisons, devrait nous permettre de proposer des aménagements au cadre existant.

S’agissant du contrat conclu avec l’État, la mission d’information a entendu les anciens ministres, MM. Dominique Bussereau et Jean-Louis Borloo, qui nous ont précisé les motifs du choix d’un partenariat public privé (PPP) assorti d’une période de dialogue compétitif avec les différents candidats. Des interrogations persistent cependant, notamment en ce qui concerne la durée du contrat : nous pensions qu’elle était de treize ans et trois mois, mais devant le Sénat, M. Antoine Caput, un des participants à notre réunion, a évoqué une durée d’exploitation contractuelle de onze ans et demi.

Autre question : où en est la réception du dispositif par l’État ? À ce jour, les validations techniques au titre de la procédure dite de « vérification d’aptitude au bon fonctionnement » (VABF) semblent avoir été menées à bien, mais après plusieurs reports ; comment ces derniers s’expliquent-ils ?

Plus généralement, quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées au cours de la conception et de la réalisation du dispositif dont vous avez la charge ? Les administrations qui comptaient le plus parmi vos interlocuteurs – la direction générale des douanes ou le ministère des transports – ont-elles présenté des exigences qui vous auraient compliqué la tâche ?

M. Michel Cornil, vice-président d’Ecomouv’. Les auditions précédentes vous ont permis de vous familiariser avec les textes dont nous avons dû tenir compte dans le cadre du développement du dispositif pour la collecte de l’écotaxe. Aussi pouvons-nous insister aujourd’hui sur une série de points précis.

Depuis quelques mois, les critiques se multiplient sur le coût du montage. Or le prix était un des critères importants de l’appel d’offres, et notre proposition était la moins-disante. D’ailleurs, statuant dans le cadre d’un recours, le tribunal administratif a considéré l’offre d’Ecomouv’ comme la meilleure. De plus, l’appel à un partenaire privé a permis de faire financer les investissements par les banques et non par le budget de l’État.

La durée du contrat est bien de treize ans, mais la période d’exploitation est de onze ans et demi, car il faut tenir compte d’une première étape de développement et de déploiement du dispositif. Il s’agit d’une période relativement courte ; l’amortissement de la dette est donc très rapide. Au terme du contrat, l’État disposera d’un système en fonctionnement dépourvu de charges financières. Enfin, le montage nous a conduits à externaliser tous les coûts, ce qui en garantit la transparence.

La réalisation du dispositif a représenté un défi technologique. La société et ses partenaires ont mobilisé les meilleures pratiques en matière de management de projet, ce qui nous a permis de maîtriser la complexité tout en assurant un niveau de qualité élevé. Chacun des industriels contributeurs, représentés aujourd’hui, est un expert reconnu dans son domaine.

Si des décalages ont en effet été constatés dans la mise à disposition du dispositif, nous n’en avons pas la même vision que l’État. Afin de sécuriser cette mise à disposition, c’est l’État qui a décidé d’abandonner l’expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace, initialement prévue dans le contrat, et qui nous a demandé d’exécuter une marche à blanc à l’échelle nationale. Aujourd’hui, les tests de VABF et de vérification de service régulier (VSR) sont terminés avec succès ; le dispositif est prêt et homologué. L’État dispose de tous les éléments nécessaires pour en prononcer la mise à disposition (MAD). La marche à blanc s’est déroulée, comme exigé, jusqu’au 30 novembre 2013, permettant de constater que le cœur technique du dispositif – la collecte de la taxe – fonctionnait correctement à grande échelle. Depuis la fin du mois de juillet, nous avons également enregistré 200 000 véhicules, dont 45 % de véhicules étrangers.

La suspension de l’écotaxe, le 29 octobre 2013, a créé une situation nouvelle qui est lourde de conséquences pour notre société. Sur le plan financier, l’absence de prononcé de la mise à disposition par l’État nous empêche de rembourser la dette vis-à-vis des banques qui ont financé le développement et le déploiement du dispositif.

Attentifs aux auditions qui se sont déroulées jusqu’à présent, nous avons noté que des propositions de modification du dispositif ont été avancées par différents acteurs. Sans porter un avis sur leur pertinence politique – ce qui ne relève ni de notre rôle, ni de nos compétences –, nous devrons néanmoins en évaluer la faisabilité technique puisque là est notre cœur de métier. Certaines de ces propositions nécessiteraient des modifications importantes du dispositif, conçu et réalisé jusqu’à présent en fonction des exigences de l’État ; d’autres – telles que des modifications du seuil de tonnage ou des changements de paramétrage sur le réseau taxable – seraient, en revanche, faciles à réaliser dans le cadre du dispositif actuel.

La reprise de l’écotaxe nécessitera du temps. En effet, dès que la date de son entrée en vigueur sera connue, il faudra relancer l’enregistrement des véhicules taxés ; 200 000 ont déjà été enregistrés, mais si la période de suspension est trop longue, nous devrons réviser ces dossiers. Il faudra également réactiver les démarches commerciales des sociétés habilitées de télépéage (SHT) afin de compléter l’enregistrement dont l’objectif est d’atteindre environ 400 000 véhicules. Enfin, le dispositif nécessite une maintenance très complète afin d’assurer un fonctionnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, à un niveau de qualité élevé. À l’issue de la suspension, il faudra s’assurer que toutes les dégradations ont été réparées. À ce jour, en effet, neuf portiques ont été sérieusement endommagés, et démontés par notre société afin d’assurer la sécurité de circulation sur les voies concernées. Une quinzaine d’armoires déplaçables qui ont été détériorées sont également irrécupérables.

Les travaux de la commission d’enquête sénatoriale et de votre mission d’information nous donnent le sentiment que la plupart des questions soulevées sont d’ordre politique. Nous sommes, pour notre part, à votre disposition pour répondre aux questions se rapportant aux aspects techniques.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Comment la rémunération d’Ecomouv’, qui, par année, s’élève à 230 millions d’euros hors taxes, est-elle répartie ? Quel en est le montant qui échoit aux SHT ?

Mme Émilienne Poumirol. Les retards constatés depuis mai 2012 peuvent, en grande partie, être imputés à Ecomouv’. Si le contrat était annulé, l’État devrait s’acquitter d’un dédit de 800 millions d’euros ; peut-on négocier la diminution des montants des loyers pendant la période de suspension de l’écotaxe ? Est-il envisageable de modifier le contrat pour redonner un pouvoir de contrôle à la puissance publique ?

Mme Joëlle Huillier. Quel est votre avis sur le rapport entre l’investissement en portiques et le nombre de kilomètres soumis à l’écotaxe ? Augmenter ce nombre conduirait-il à une diminution relative du poids des investissements ? Quel serait, en cette matière, l’impact de l’extension de l’écotaxe à l’ensemble du réseau français ?

Mme Sophie Errante. Devait-on forcément passer par l’implantation de portiques ? N’existait-il pas une autre solution technologique ?

Qu’en est-il de l’impact réel de l’écotaxe ? Une marche à blanc sur un trimestre à l’échelle nationale vous paraît-elle envisageable et réalisable, et sous quelles conditions ?

M. Joël Giraud. La société Ecomouv’ a-t-elle pu donner un avis technique sur la définition du réseau taxable, dont dépend en grande partie la rémunération du concessionnaire ? En effet, la carte du réseau ne peut qu’interroger : pourquoi renoncer à taxer le réseau déjà concédé, au prétexte que ce ne serait pas « eurocompatible » ? Pourquoi exonérer d’écotaxe les frontières, notamment la frontière franco-italienne ?

Dans beaucoup de pays, la Suisse en particulier, l’écotaxe est perçue par le service des douanes. Le mode de collecte, via un prestataire qui a été choisi en France faisait-il partie du cahier des charges initial ou bien résulte-t-il des négociations ? Quelle a été votre position sur cette question ?

Enfin, quels seront les impacts financiers pour Ecomouv’ et pour l’État si, pour des raisons d’efficacité et d’équité, la carte du réseau taxable était étendue à l’intégralité du territoire national ?

M. Éric Straumann. Qu’en est-il de la compatibilité du dispositif avec ceux de nos voisins ? Un transporteur allemand qui circule en France doit-il disposer d’un équipement spécifique ? Un transporteur français équipé qui circule en Allemagne, en Suisse ou en Autriche, a-t-il besoin d’un équipement complémentaire pour emprunter les routes françaises ?

M. Gilles Lurton. Monsieur le vice-président, vous avez dit que la reprise éventuelle de l’écotaxe nécessiterait des délais, notamment pour l’enregistrement des véhicules taxés. De quels délais exactement s’agirait-il selon vous ?

Quel a été le coût social de la suspension de l’écotaxe ? Vos salariés doivent-il s’attendre à subir le chômage partiel ou l’ont-ils même déjà subi?

M. Marc Le Fur. Qu’est-ce qui nous garantit que les véhicules étrangers subiront les mêmes contraintes que les véhicules français ?

Entendues dans le cadre de l’audition d’un syndicat de transporteurs, certaines entreprises qui ont participé à la marche à blanc – dont je rappelle qu’elle visait à tester les modalités de tarification gérées par un système informatique complexe – ont soutenu de façon très argumentée que celle-ci n’avait pas fonctionné. Dans ces conditions, je n’imagine pas une réception du système par l’État ; or l’absence de réception signifie l’absence de dette à votre égard.

Par ailleurs, j’ai été très surpris de voir la SNCF parmi les membres de votre consortium. Sa participation est paradoxale dans la mesure où il s’agit d’un concurrent du transport routier, bien qu’elle ait pour filiale l’un des principaux transporteurs routiers. De plus, l’un des objectifs de l’écotaxe était d’encourager le développement du fret. Or la part relative de ce dernier dans les activités de la SNCF – déjà très faible en France par rapport aux autres pays – a encore décliné au cours des dernières années. On peine donc à comprendre la cohérence de la stratégie de la SNCF et les raisons de sa participation à ce consortium.

Mme Corinne Erhel. Je m’interroge sur la maîtrise des données que collecte votre consortium : qui en est propriétaire ? Ce point n’est pas négligeable, y compris en termes économiques.

M. François-Michel Lambert. En dépit de votre souhait de rester sur le terrain technique, je me permets d’aborder une question politique. Dans le cadre du contrat entre l’État et Ecomouv’, l’État ne peut pas empêcher le principal actionnaire du consortium – Autostrade – de revendre ses parts. Que penser de cette clause qui remet en cause le pouvoir régalien de l’État de contrôler la collecte de l’impôt ?

Les portiques relèvent les plaques d’immatriculation des véhicules afin de vérifier si ceux-ci sont inscrits au fichier des détenteurs de boîtiers. Que faites-vous des données ainsi captées ? Quelle a été la position de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur cette question ?

Pourrait-on imaginer un modèle qui se passerait des portiques ; ils cristallisent le mécontentement, au profit d’un contrôle plus classique de la présence des boîtiers par les forces de police ? Si l’on revenait à un système de ce type, quel en serait l’impact économique, et donc les gains pour la Nation ?

M. Michel Heinrich. Les représentants des entreprises que nous avons reçus nous ont expliqué que la préparation à la mise en place de l’écotaxe avait représenté pour eux une tâche longue et complexe. En cas de reprise de la taxe, leur faudra-t-il mener à nouveau de fastidieux travaux préparatoires ?

M. Jean-Pierre Gorges. À partir de quel moment la situation d’attente deviendra-t-elle sans retour ? Autrement dit, de combien de temps disposons-nous pour régler ce problème ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Quelles seraient les conséquences, pour les actionnaires et les créanciers, d’un report supérieur à six mois ?

M. Thierry Benoit. Vous avez affirmé maîtriser le défi technologique complexe que représente le dispositif de collecte de l’écotaxe, et il est certain que votre consortium, qui a déjà mis en œuvre ce type de système dans d’autres pays, notamment chez des voisins européens, détient un savoir-faire important dans ce domaine. Afin de parvenir à remettre en place l’écotaxe en France, pourriez-vous proposer un dispositif moins « provocateur » que les portiques ? Élu d’une circonscription de Bretagne où vous avez encore procédé à un démontage le week-end dernier, je constate le rejet dont cet équipement est l’objet dans ma région et n’imagine pas l’y voir réinstallé de sitôt.

Quant au dispositif fiscal, il faudrait pouvoir l’amorcer tout en envisageant une montée en puissance dans les années à venir. Cela permettrait aux contribuables concernés d’intégrer l’écotaxe dans leurs calculs et d’organiser progressivement le transfert modal, raison d’être initiale de la mesure.

Aujourd’hui, les conditions de la mise en place de l’écotaxe ne sont clairement pas réunies en France. Pourquoi le processus s’avère-t-il plus difficile dans notre pays qu’ailleurs ? Qu’est-ce qui pourrait inciter nos concitoyens, et notamment les usagers de la route, à accepter le principe du dispositif ?

Mme Catherine Beaubatie. Vous avez évoqué la possibilité, à la reprise de l’écotaxe, d’apporter au dispositif des modifications simples, mais également d’autres plus complexes. S’agit-il de changements plus ou moins onéreux pour l’État ?

M. Thomas Thévenoud. À propos de la géolocalisation, vous avez parlé d’un défi technologique maîtrisé ; or les témoignages qu’on nous a livrés au sein de cette mission d’information, mais également sur le terrain, font état de problèmes techniques dans ce domaine.

Où en êtes-vous des discussions avec l’État sur le point de départ des loyers ? À partir de quelle date l’État devra-t-il s’en acquitter ?

Quel sera le montant de la pénalité appliquée en cas de suppression définitive de l’écotaxe ? Comment est-on arrivé au montant mentionné du dédit, et qu’est-ce qui le justifie ?

M. Olivier Marleix. Réduire le nombre des portiques et augmenter la part des contrôles par satellite représenteraient un certain coût. Du point de vue juridique, de quelles marges de manœuvre dispose-t-on, selon vous, pour éventuellement allonger, par avenant, la durée du contrat liant l’État à Ecomouv’ ?

M. Gilles Savary. La société Ecomouv’ et le dispositif qu’elle a proposé représentent la principale contrainte dans notre travail au sein de cette mission d’information. Sans cela, le génie fiscal aurait très aisément trouvé à asseoir l’écotaxe sur autre chose, par exemple les carburants. Or nous avons opté pour une taxation basée sur la redevance kilométrique et qui passe par la solution technique des portiques. Sans remettre en question ni la sophistication ni le coût de ce dispositif, j’observe qu’il limite les possibilités de propositions nouvelles. Si l’on devait y renoncer, quelle serait votre réaction, et quel serait le coût pour le contribuable ? Nous devons savoir précisément à quoi nous attendre.

On n’a pas besoin de portiques pour frapper de la taxe de l’aviation civile les avions qui passent dans notre espace aérien : on a les moyens de les repérer, y compris quand il n’y a ni atterrissage ni décollage. La solution peut se révéler plus complexe pour le transport routier, mais on doit pouvoir imaginer des dispositifs de traçabilité quasi parfaite. Rejetés par la population, les portiques constituent en effet des cibles faciles, donc susceptibles de fragiliser l’ensemble du dispositif.

M. Philippe Bies. Quel serait le coût d’un échec total de l’opération ? Quelle est la situation financière actuelle de la société Ecomouv’, qui a d’ores et déjà utilisé tout l’argent qu’elle avait levé auprès des banques ?

Quelle est, par ailleurs, sa situation sociale ? Combien de salariés compte-t-elle aujourd’hui et que font-ils puisque la société ne fonctionne pas ? Quelles portes de sortie envisage-t-on pour eux ?

Je m’inquiète enfin devant le décalage entre le satisfecit que vous octroyez à la technicité et à l’opérationnalité immédiate du système et les témoignages qu’on nous a livrés ici ou que nous avons également pu récolter dans nos circonscriptions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Quel est le montant des investissements réalisés, à ce jour ? Comment ont-ils été financés ? Les emprunts contractés sont-ils garantis par l’État ? Enfin, le dispositif technique permet-il d’identifier et de différencier les petits trajets journaliers ?

Mme Bernadette Laclais. La différence des coûts de collecte entre le système proposé par Ecomouv’ et d’autres systèmes qui existent en Europe ne peut qu’étonner. Comment l’expliquez-vous ?

Le dispositif des portiques a-t-il été choisi en cours de discussion ou bien figurait-il dans le cahier des charges initial ?

M. Jean-Marie Sermier. Je voudrais revenir sur les conditions de mise en place de l’équipement embarqué dans les véhicules. Le matériel est-il aujourd’hui complètement déployé ? La société Ecomouv’ dispose-t-elle de chiffres précis en cette matière ?

M. Michel Cornil. Vu l’abondance des questions portant sur l’aspect financier, je laisse M. Castellucci vous apporter dès maintenant le point de vue du principal actionnaire d’Ecomouv’.

M. Giovanni Castellucci, administrateur délégué de la société Autostrade per l’Italia. Le contrat prévoit une durée d’exploitation d’onze ans et demi, soit une période assez réduite par rapport à la hauteur de l’investissement en capital. Celui-ci est lourd pour Ecomouv’, mais également pour les SHT qui devront, au cours de cette période, amortir les équipements embarqués qu’elles ont acquis, sachant que la longévité technique de ce matériel de dernière génération satellitaire pourrait, si nécessaire, aller bien au-delà des onze ans et demi.

S’agissant de la réception du dispositif par l’État, les tests de VABF ont été achevés le 8 novembre, et les certificats nous ont été transmis il y a quelques jours. L’État a donc bien vérifié la qualité, la fiabilité et la conformité du dispositif au cahier des charges.

Pourquoi la mise à disposition est-elle retardée ? Jusqu’à fin octobre, la date de démarrage du dispositif était fixée au 1er janvier ; la VABF a été achevée bien avant, mais le changement du cadre politique a bouleversé le calendrier. Jusqu’à la mi-décembre et son audition à l’Assemblée nationale, le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, M. Cuvillier, prévoyait le prononcé de la mise à disposition avant la fin de l’année. À ce jour, elle fait toujours défaut.

La principale difficulté que nous avons rencontrée tient aux exigences de la Commission européenne en matière d’écotaxes, auxquelles le dispositif adopté en France est le premier à répondre. Il prévoit ainsi, entre autres, la possibilité de faire appel aux prestataires de services que sont les SHT, ce qui implique la coordination de différents systèmes informatiques. Certaines SHT ont choisi, pour leur équipement, de faire appel à Siemens, d’autres à Kapsch. Intégrer, dans le cadre de la facturation, les informations provenant de ces technologies différentes n’est pas une tâche aisée. La directive européenne imposant l’interopérabilité et la possibilité pour les opérateurs d’intervenir sur les marchés constitue ainsi une source majeure de complexité.

Parmi les autres difficultés, mentionnons la rareté des organismes agréés pour l’homologation dans divers domaines. Ainsi, en matière de sécurité des systèmes d’information, nous ne pouvions faire appel qu’à la société d’expertise Oppida, forcément surchargée de demandes ; l’homologation a donc demandé plus de temps que prévu. Plus largement, nous avons dû régler une multitude de détails, certes mineurs, mais complexes, dont l’accumulation a demandé beaucoup d’efforts.

Les exigences de l’État étaient à la fois raisonnables et compatibles avec la directive européenne. Rien n’imposait de traiter l’écotaxe comme une taxe et non comme un péage mais, une fois prise, cette décision a déterminé la nécessité d’un dispositif particulièrement précis.

La rémunération d’Ecomouv’ résulte directement de l’appel d’offres correspondant à un cahier des charges précis, que l’État a formulé au terme d’un dialogue compétitif. Selon le Premier ministre, notre offre était de loin la moins-disante – appréciation confirmée par le tribunal administratif dans le cadre d’un recours initié par un concurrent. La rémunération vise essentiellement à couvrir l’amortissement de notre investissement et la rémunération des SHT, qui doivent à leur tour amortir l’investissement en équipements embarqués.

Le ministre délégué aux transports a affirmé en audition que la responsabilité de certains retards échoyait à Ecomouv’. S’il est normal que nos avis divergent, la situation actuelle ne facilite pas le consensus dans la mesure où rien ne nous incite désormais à trouver des solutions pour le démarrage du système. Plusieurs facteurs sont responsables des retards. Ainsi, le guide des procédures – document fondamental qui définit le fonctionnement du dispositif – a été sensiblement modifié onze mois après que le contrat nous a été attribué. Ce changement nous a obligés à refaire beaucoup de choses et à trouver avec l’État des calendriers d’aménagement pour rattraper le décalage. Autre cause du retard : la décision de remplacer l’expérimentation en Alsace par une marche à blanc à l’échelle nationale. Si ce choix était justifié, il a exigé du temps supplémentaire. Aujourd’hui, la situation n’est pas simple, et nous espérons rapidement parvenir à une convergence de points de vue avec l’État.

Quant à savoir s’il faut modifier le contrat entre l’État et la société Ecomouv’, nous opérons déjà sous le contrôle de la puissance publique, notamment dans le domaine de l’embauche. Bénéficiant d’un agrément pour gérer le système de collecte de l’écotaxe, nous sommes un agent de l’État et disposons, à ce titre, d’une marge de liberté assez limitée.

L’investissement en portiques constitue une question importante. Chargés de détecter si l’équipement embarqué marche bien, les portiques ne peuvent pas être remplacés par un système satellitaire plus sophistiqué : celui-ci ne saurait déceler un matériel embarqué caché ou défectueux. En revanche, on peut leur substituer des contrôles manuels, surtout dans un périmètre limité. Cependant, les portiques représentent une façon intelligente et efficace d’automatiser et de massifier les contrôles du comportement des transporteurs. Sans être unique, cette solution nous a semblé la plus efficace, étant entendu que nous n’en sommes pas les auteurs puisqu’elle figurait dans le cahier des charges imposé par l’État. Nous n’avons fait que répondre à la demande en réalisant des portiques bien conçus et
– détail non dépourvu d’importance – utilisant une technologie française.

Nous avons déjà organisé une marche à blanc, qui s’est déroulée avec succès. En septembre 2013, lorsqu’il a annoncé la date de mise en service au 1er janvier 2014, l’État devait avoir connaissance de ses résultats ; en tout état de cause, il ne pouvait pas les ignorer au moment de prononcer la VABF. Tout ce qu’on a entendu ne correspond donc pas à la vérité, et nous sommes prêts à vous fournir toutes les précisions nécessaires.

Nous n’avons eu aucune possibilité d’influencer la définition du réseau taxable. Tout comme la localisation des portiques et des systèmes de contrôle déplaçables, elle faisait partie de l’appel d’offres initial. Par la suite, l’État y a apporté de petites modifications, mais de sa propre initiative et à la marge seulement.

Du fait de la suspension de facto de la mise en service du dispositif, Ecomouv’ se trouve aujourd’hui hors du contrat de financement. Cette situation et le manque de visibilité qui l’accompagne inquiètent les banques qui ont financé le projet. Nous espérons, en travaillant avec l’État, pouvoir rassurer les créanciers, mais il faut le faire très rapidement afin de ne pas laisser le temps décider pour nous. Il y a une semaine, nous avons enfin été convoqués par le ministère des transports qui, après avoir consulté les autres organes de l’État, nous a énoncé ses souhaits et objectifs. Lors d’une deuxième réunion, nous avons expliqué nos contraintes, relatives essentiellement aux attentes des créanciers et aux systèmes de financement. Nous nous sommes donc expliqués sur nos impératifs réciproques et espérons désormais parvenir rapidement à une solution commune. L’État souhaite en particulier ne pas payer de loyers tant que dure la suspension – contrainte particulièrement lourde si l’on en ignore la durée. La discussion est d’autant plus complexe qu’elle implique plusieurs intervenants, tant du côté de l’État que de celui des créanciers, sans oublier les SHT qui ont beaucoup investi dans l’achat de matériel et qui ne savent pas quand elles pourront le rentabiliser.

En matière sociale, le ministre nous a demandé de faire preuve de responsabilité et de ne pas activer les clauses de chômage partiel jusqu’à ce qu’on se mette d’accord sur la façon de gérer la période de suspension. Afin de ne pas ajouter de la crise à la crise, nous nous en sommes tenus à cette demande du Gouvernement en gardant tous nos employés de Metz. Jusqu’à récemment, ils étaient très occupés à traiter les 180 000 fichiers enregistrés. Depuis quelques semaines, il y a nettement moins d’activité, mais nous espérons pouvoir les éclairer rapidement sur leurs perspectives.

Pour étendre le réseau, il suffirait d’ajouter des portiques ou des points de contrôle. Si l’on décidait de s’en passer, le coût marginal de l’extension serait assez faible, et le coût moyen beaucoup plus bas qu’aujourd’hui. Mais si l’on veut garder un niveau de contrôle élevé, les portiques représentent un système plus efficace que les vérifications manuelles. Il est évidemment possible d’opter pour une surveillance plus lâche, mais cela relève d’une décision politique.

En matière de compatibilité internationale, rappelons que la France est le premier pays à mettre en place un système conforme aux standards européens. Cela nous a, dès le début, incités à concevoir un dispositif susceptible d’être étendu à d’autres pays. Le système allemand, en fin de vie, ne correspond pas aux exigences européennes et ne sera pas compatible avec le nôtre. Toutefois, dans deux ans environ, sa refonte fera l’objet d’un appel d’offres et nous espérons pouvoir jouer nos cartes avec nos partenaires pour mettre en place un système totalement interopérable. En revanche, à condition d’utiliser les équipements embarqués fournis par Ecomouv’, le dispositif français est d’ores et déjà compatible avec ses homologues espagnol, italien et autrichien. Les équipements fournis par Kapsch et Siemens ne sont, pour leur part, interopérables qu’avec l’Autriche.

Monsieur Le Fur, les véhicules français et étrangers subiront bien les mêmes contraintes. La VABF a eu lieu ; vérifié par l’État et par la CNIL, le système est homologué et donc prêt à la mise en service.

Ce n’est pas à nous, mais à la SNCF, qu’il faut demander la raison de sa participation au consortium. Du point de vue d’Ecomouv’, si certains services fournis par la SNCF, tels que la logistique aux points de distribution, peuvent également être assurés par d’autres prestataires, sa présence parmi nos partenaires s’est en revanche révélée indispensable dans le cadre de la marche à blanc. En effet, les adhésions à l’expérimentation s’effectuant sur la base du volontariat, la participation immédiate de sa filiale Geodis nous a permis de tester le système de façon rapide et efficace.

Les données collectées par Ecomouv’ appartiennent à l’État et aux SHT ; nous ne pouvons ni les échanger avec nos partenaires – la SNCF n’y aura donc jamais accès –, ni les exploiter économiquement. Quant aux SHT – Axxès, eurotoll, Total, DKV, Ressa et Telepass –, ces données leur permettront d’améliorer la qualité de leurs services, tout en favorisant leur intégration en matière d’intermodalité.

M. Lambert s’est inquiété de la possibilité qui nous est laissée de revendre nos participations. Nous sommes des industriels, le système de péage est notre cœur de métier. À la fin des années quatre-vingt, nous avons été les premiers au monde à développer un système de péage électronique, en Italie. Nos 8,5 millions de clients italiens représentent la moitié de l’ensemble des clients des systèmes de péage électronique en Europe. En 2004, nous avons été les premiers à mettre en place un système d’écotaxe, qui fonctionne très bien, en Autriche. Nous sommes donc là pour rester. Le contrat nous permet de vendre 30 % des parts immédiatement – ce que nous avons fait – et plus par la suite, à condition toutefois de garder le contrôle de la société. Sauf dérogation de l’État, nous sommes donc obligés de conserver un niveau de participation de 50,1 %, étant entendu que, si le projet est mené à bien, nous souhaitons rester partie prenante.

Après la suspension, le plus compliqué dans la reprise du contrat pourrait tenir à la validité des données enregistrées. Si la reprise a lieu pas trop tard dans l’année, leur fraîcheur pourra être conservée, voire prolongée à travers des décisions de la part de l’État. Par contre, une trop longue attente imposera aux entreprises de refaire le travail d’enregistrement, qui exige beaucoup plus de précisions pour une taxe que pour un péage. L’établissement de la taxe dépend, en effet, principalement de la qualité et de la fraîcheur des données d’enregistrement.

Où se situe le point de non-retour ? Je ne saurais le dire, mais les nombreux intervenants – cinq pour l’État, dont la Caisse des dépôts et consignations au titre du financement, huit banques et les SHT – ont besoin d’une réponse assez rapide pour maintenir l’efficience du système. En travaillant bien, il n’est pas impossible de tenir jusqu’à la fin de l’année, dans des conditions de clarté et de prise en charge des coûts de maintien du système. Je rappelle que nous avons été arrêtés à deux mois du démarrage, en pleine montée en puissance des réseaux de distribution. Aujourd’hui, en tout cas, les conditions ne sont pas réunies pour tenir trop longtemps.

On ne peut pas dire que le coût du système soit plus élevé en France que dans les autres pays. En Allemagne, non seulement les SHT n’étaient pas intégrées dans le système, mais la technologie n’avait pas besoin d’être aussi sophistiquée. Le coût dépend des nombres de kilomètres et de camions à contrôler, et, à parité de réseau et de nombre de camions, le coût en France est inférieur de moitié. Seulement, les recettes françaises sont plus faibles qu’en Allemagne parce que le réseau taxé est moins fréquenté par les poids lourds. Le choix du réseau est donc à l’origine du renchérissement du coût, dû à la faiblesse des recettes. Sur un réseau de première importance, le coût aurait été réduit de moitié par rapport à l’Allemagne. Il ne résulte d’ailleurs pas d’une négociation mais d’une réponse à un appel d’offres, compétition vraie dans laquelle notre proposition est ressortie comme la moins chère.

Quel serait le coût pour la collectivité en cas d’interruption du projet ? La clause de résiliation du contrat prévoit que soient dédommagés ou payés l’investissement réalisé et les coûts supportés à la date – dépenses opérationnelles, coût du capital pour les banques et les actionnaires, coûts de rupture de contrats. Il n’y a rien sur le manque à gagner. Cette clause existait déjà dans le contrat et n’a pas été négociée.

Des modifications peuvent, bien sûr, être apportées au système, mais très difficilement sur les éléments structurants, c’est-à-dire tout ce qui touche à la base de données, aux classifications ou à la tarification. La non-tarification des premiers cinquante kilomètres, par exemple, est assez compliquée à faire, surtout pour ce qui concerne les redevables non abonnés qui acquittent en temps réel, contrairement aux abonnés qui travaillent en post-facturation. Avec la facturation en fin de mois, les ajustements peuvent être calculés, mais pour les 20 ou 30 % de facturation en temps réel restants, le système de prépaiement ne le permet pas.

D’autres modifications ne posent pas de problème. Par exemple, il serait très facile de limiter la classe de tonnage aux 12 tonnes.

M. Jean-Christophe Damez-Fontaine, directeur « systèmes et intégration » d’Ecomouv’. Dans le dispositif tel qu’il a été conçu, il y a d’abord une possibilité simple d’extension du réseau taxable ou de modulation de ce réseau de façon quasi instantanée. On peut redéfinir des sections, en supprimer, les étendre sans avoir à modifier le dispositif. Les technologies de collecte le permettent, de même que ce qu’on appelle la virtualisation des portiques de collecte.

Une autre possibilité concerne le calcul de la taxe elle-même par la modulation de différents paramètres aujourd’hui pris en compte dans ce calcul : poids du véhicule, nombre d’essieux, classe d’émission polluante, type de motorisation, critère de périphéricité – intégré notamment pour la Bretagne –, et possibles niveaux de congestion en fonction de la tranche horaire de circulation. Tout cela est possible dès à présent.

D’autres modifications pourraient être envisageables, en ce qui concerne l’assujettissement ou le non-assujettissement de certains véhicules. Aujourd’hui, nous avons trois moyens de détecter un véhicule non assujetti. Premièrement, d’après ses caractéristiques physiques – inférieur à 3,5 tonnes ou supérieur à 12 tonnes. Si les équipements du contrôle automatique le définissent comme assujetti et qu’il n’est pas équipé, l’anomalie est remontée au central pour lui notifier un manquement. Deuxièmement, l’inscription sur une liste d’immatriculations, par exemple dans la déclaration de transport d’un type de marchandises. Par exemple, un véhicule déclaré comme transport de lait est inscrit sur une liste permettant, au moment du contrôle, de l’écarter de la notification en manquement. Troisièmement, la reconnaissance de format de plaques d’immatriculation spécifiques signifiant que certains véhicules sont non assujettis.

Ces possibilités d’exonérations pourraient être étendues à une base géographique, mais cela renvoie à la problématique de localisation du véhicule et des petits trajets. Aujourd’hui, la collecte est basée sur le franchissement de points de tarification. Pour les redevables non abonnés, le calcul est effectué en temps réel, ce qui exclut toute notion de trajet puisqu’on n’a connaissance ni d’un point de départ ni d’un point d’arrivée. Au sein même d’un trajet réel, on peut avoir des portions de réseau taxables et des portions non taxées. Ces dernières ne comportant pas de points de géolocalisation, on ne peut pas définir de trajet dans le système. De ce fait, la notion de trajet n’est pas gérée et l’exonération pour de petits trajets devient une option que nous ne pouvons retenir dans le dispositif et dans le système de taxe tel qu’il a été demandé.

Une réflexion peut être lancée sur l’exonération d’un certain nombre de kilomètres mais, comme le disait M. Castellucci, elle ne peut être possible que pour les redevables abonnés via la post-facturation. Cette éventuelle modification peut s’avérer relativement lourde en l’état du dispositif mais est faisable d’un point de vue technique.

M. Giovanni Castellucci. La faisabilité des modifications dépendra aussi de la durée de la suspension et du temps que mettra l’État à procéder aux vérifications, qui est, il faut bien le reconnaître, assez long.

S’agissant du dispositif, nous n’avons rien proposé ; nous avons seulement répondu à un appel d’offres qui mettait en compétition plusieurs opérateurs français et européens. En réalité, nous avons eu une marge de proposition très limitée dans la soumission du projet, et aucune s’agissant des points clés que sont les systèmes de contrôle et de collecte.

La part la plus importante des loyers est consacrée à l’amortissement de l’investissement et à la rémunération des SHT. Le reste est affecté à la gestion du réseau de distribution, aux prestataires de service disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à la gestion du système informatique ainsi qu’au centre de Metz.

M. Michaelangelo Damasco, représentant Autrostrade. Nous avons lu, dans le compte rendu d’audition de l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), un témoignage sur la marche à blanc totalement faux.

Je souhaite vous rassurer sur le fonctionnement de la géolocalisation. Selon les données de la marche à blanc, 10 millions de franchissements de points de tarification ont été testés, ce qui confirme que la géolocalisation fonctionne bien au-delà des objectifs contractuels. La phase expérimentale a été conduite selon un cahier des charges précisé par l’État et qui a fait l’objet d’un accord entre Ecomouv’ et les SHT. Les éléments de tarification à communiquer aux SHT et aux redevables potentiels qui avaient choisi d’y participer ont également été déterminés par l’État. Nous pouvons vous communiquer un exemple de ce que nous leur avons remis.

Quelques précisions maintenant s’agissant de l’expérience de la marche à blanc qui vous a été relatée par l’entreprise Guisnel Distribution, le 15 janvier dernier. Entre le 9 et le 14 octobre, la société Guisnel a fourni à la SHT Axxès– qu’elle avait choisie – les pièces justificatives permettant de procéder à la validation et à l’enregistrement de quatre véhicules. Le 7 novembre, Axxès a déclaré les identifiants des boîtiers équipant les véhicules participant à la marche à blanc. Le 6 décembre, Ecomouv’ a mis à la disposition de la SHT les avis de paiement et le détail de liquidation pour les véhicules activés, pour des montants de 179 et 94 euros – sommes différentes de celles mentionnées par Guisnel. Le 19 décembre, Axxès nous a informés de la décision de Guisnel de ne plus participer à la phase expérimentale. Entre temps, des informations procurées par les équipements embarqués avaient été repérées par le système, et, le 10 janvier, Ecomouv’ a transmis à la SHT les détails de liquidation relatifs au mois de décembre pour des montants de 86 et 103 euros. Nous ne savons pas si elle les a transmis à Guisnel, car cela relève de la relation commerciale entre la SHT et ses cocontractants. Quoi qu’il en soit, nous pouvons vous fournir les détails de liquidation qui prouvent le bon fonctionnement de la marche à blanc.

Mme Sophie Errante. Est-ce par choix que 20 à 30 % de redevables ne sont pas abonnés ou est-ce parce qu’ils ne remplissent pas certaines conditions pour l’être ? Il paraît plus acceptable de pouvoir ajuster la redevance en fonction du transport effectué que d’avoir à payer à l’avance.

M. Thomas Thévenoud. Pouvons-nous avoir un chiffrage précis des conséquences de l’éventuelle suppression définitive de l’écotaxe ? Si j’ai bien compris, à ce que j’appelle la pénalité libératoire de plus de 800 millions d’euros, il faudrait ajouter le coût du capital et des investissements. C’est un point important qui change la donne.

Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à la question du président Chanteguet sur la garantie des emprunts par l’État.

M. Marc Le Fur. Les capacités de modulation semblent tout à fait considérables. Si, à partir de la plaque d’immatriculation, on peut exempter de taxation un véhicule en fonction des marchandises qu’il transporte, on pourrait déjà sortir tout le transport d’animaux et d’aliments du bétail, un des principaux sujets d’inquiétude pour les transporteurs d’une région occidentale de notre pays. Avec cette même technique, on pourrait concevoir d’étendre aux véhicules légers ce type de paiement. Savez-vous si ce sont des hypothèses envisagées dans d’autres pays ou grandes villes ?

Vous avez parlé des banquiers sans les identifier. Je serais intéressé de les connaître.

S’agissant de la marche à blanc, vos propos étaient très argumentés, mais ceux de l’entreprise Guisnel l’étaient tout autant. Nous n’avons aucune raison de mettre en doute les affirmations des uns ou des autres. Afin d’y voir clair sur ce point essentiel, il ne serait pas inutile que nous rencontrions les deux parties ensemble, monsieur le président.

Enfin, je n’ai toujours pas la réponse s’agissant de la SNCF. Les transporteurs ont été très surpris de voir une société qui est plutôt leur concurrente dans un dispositif chargé de collecter l’impôt qu’ils paient. Si l’on comprend bien l’avantage de disposer de Geodis pour les expérimentations, on n’est tout de même pas loin du conflit d’intérêts.

M. Gilles Savary. Je m’aperçois que les SHT pèsent lourd dans ce nœud contractuel. Qui sont ces SHT et que font-elles ? Sans divulguer d’éléments confidentiels, est-il possible d’avoir un organigramme des contrats gigognes quelque peu compliqués dont vous ne maîtrisez pas toute la responsabilité juridique, puisque certains éléments contractuels sont, dites-vous, du ressort soit de l’État soit d’autres acteurs que vous-mêmes ? Il me semble intéressant de creuser cet aspect important.

Je me demande si nous n’avons pas fait un très bel objet à la française, un « Rafale du péage » très beau et très cher, très en avance sur son temps mais difficilement vendable.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’essentiel du loyer, avez-vous dit, est constitué par l’amortissement des investissements que vous-mêmes et les SHT avez réalisés. Pouvons-nous avoir des informations sur les investissements des SHT ? Sur tous les aspects financiers, un document écrit serait fort utile à notre mission.

Quant à la proposition de Marc Le Fur d’une rencontre entre Ecomouv’ et l’entreprise Guisnel, elle pourrait paraître envisageable.

M. Giovanni Castellucci. C’est le redevable qui décide s’il veut s’abonner ou fonctionner sur le mode « pré-payé ». L’appareil est alors alimenté avec un certain montant qui est géré en temps réel, selon le même principe que la téléphonie mobile.

Nous n’avons pas calculé le coût précis d’une éventuelle suppression, car nous ne sommes pas dans cette optique, la décision en revenant à l’État. La clause de résiliation prévue dans le contrat était la même pour tous les participants : elle vise simplement les coûts supportés par l’opérateur, soit le coût des investissements en capital et les coûts de gestion. C’est tout.

M. Thomas Thévenoud. Une entreprise comme la vôtre doit bien pouvoir dire quel serait le coût d’une suppression !

M. Giovanni Castellucci. Franchement, nous n’avons pas fait le calcul. Des ministres ont parlé dans la presse de 800 millions.

M. Thomas Thévenoud. Est-ce un chiffre qui vous convient ?

M. Giovanni Castellucci. Qu’il nous convienne ou pas, il est contractuel. Il représente la restitution des coûts supportés. Cela peut vous sembler naïf, mais nous n’avons pas fait nos calculs, car nous n’en sommes pas encore là.

M. Gilles Lurton. Vous devez tout de même connaître le montant des coûts supportés.

M. Michaelangelo Damasco. La clause de résiliation ne prévoit pas de montant défini mais divers critères applicables. Le moment où la suppression intervient a autant d’importance dans le calcul que d’autres facteurs. Selon les hypothèses, on pourrait arriver à des chiffres cohérents avec ceux avancés par les ministres.

M. Richard Ferrand. Est-il juste de dire que chaque jour qui passe alourdit les coûts supportés ? Nous avons bien compris le sens de votre allusion à la diminution de la charge de travail de vos collaborateurs.

Outre la clause que vous venez d’indiquer, existe-t-il dans le contrat d’autres clauses, de type pénal ou de dommages et intérêts, qui pourraient être actionnées au cas où la décision serait prise de ne pas mettre en œuvre le contrat ?

M. Giovanni Castellucci. Nous ne sommes pas venus discuter de l’interprétation des clauses légales du contrat. Ce que je peux dire, c’est que nos personnels à Metz n’ont plus grand-chose à faire mais sont tout de même payés, et que le maintien du système, les financements et le maintien du réseau de distribution ont aussi un coût. Si chaque jour qui passe alourdit, en effet, les coûts, franchement, notre première préoccupation n’est pas de les calculer au titre de la clause de résiliation. Notre première préoccupation est de répondre aux exigences de l’État de maintenir le système en vie le temps de la suspension. C’est de cet aspect que nous nous attendions à discuter, pas d’autre chose.

Pour en revenir à la modulation, elle est faisable car déjà dans le système. Ce n’est qu’une question de décision politique.

Parmi les banques impliquées, quatre sont allemandes – Deutsche Bank au premier chef, DekaBank, NordLB et HypoVereinsbank –, trois sont italiennes – Unicredit, Banca Intesa et Mediobanca – et une des banques est française, Crédit agricole.

La garantie des emprunts de la part de l’État intervient normalement après la mise à disposition. Or la mise à disposition n’a pas encore eu lieu.

La présence de la SNCF satisfait notre souhait d’avoir un partenaire de son envergure.

Pour l’heure, six SHT sont homologuées et intégrées dans notre système. Ce sont, par ordre de grandeur, Axxès, qui compte dans son actionnariat Vinci et APRR, Total, Eurotoll filiale de SANEF, ainsi que les opérateurs allemand DKV, italien Telepass et espagnol Ressa.

Je ne connais pas le Rafale, mais je peux dire que notre proposition était de loin la moins chère. En termes de loyer pour l’État, elle coûte moitié moins que le système allemand pour un contrôle identique de l’extension kilométrique et du parc routier, soit près d’un million de poids lourds. Nous ne partageons donc pas votre remarque sur la cherté. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que l’application du système sur un réseau à trafic réduit en augmente proportionnellement le coût.

M. Antoine Caput, représentant du groupe Thales. Quelques précisions complémentaires sur le contrôle automatique, entièrement développé par le groupe Thales.

Je confirme que, s’agissant de la stratégie de contrôle et des moyens y afférents, l’appel d’offres de l’État a été extrêmement prescriptif, tant en phase initiale que finale. Du point de vue industriel, cela n’avait rien d’étonnant puisque tous les pays européens dotés d’un dispositif de taxation des poids lourds au kilomètre possèdent un système de contrôle automatique tout à fait similaire. Les autorités françaises ne se sont donc pas adonnées à une innovation débridée qui aurait pu aboutir à un système spécifique sans équivalent ailleurs. Entre la consultation initiale et la consultation finale, le nombre de points de contrôle automatique fixes a été substantiellement réduit, ce qui témoigne d’une conscience des coûts et des difficultés qu’entraînait la sur-spécification des besoins.

Aujourd’hui, 173 points de contrôle automatique fixes constitués d’un portique, parfois de deux, sont répartis sur un réseau de 15 000 kilomètres, soit, en moyenne, un point de contrôle tous les 87 kilomètres. Que ce soit trop ou pas assez n’est pas la question. Rappelons-nous seulement que tout système moderne de taxation kilométrique repose sur le postulat que chaque véhicule assujetti à la taxe est muni d’un équipement embarqué qui fonctionne. Que cet équipement soit absent ou techniquement perturbé, et le véhicule devient invisible pour le système : il peut circuler sur le réseau sans acquitter la taxe.

Selon les projections de trafic effectuées sur la base des statistiques routières dont dispose le ministère des transports, 610 000 véhicules assujettis passeront chaque jour devant les 173 points de contrôle automatique fixes. La stratégie du contrôle automatique a précisément pour objet de traiter de manière systématique un tel volume : chaque véhicule qui passe sous un portique est contrôlé. Pour remplir la même tâche de contrôle en toute sécurité, les agents seraient obligés de dévier, notamment par mesure de sécurité, les poids lourds vers des aires de stockage. Et en supposant qu’ils soient techniquement en mesure de contrôler quotidiennement 610 000 véhicules roulant à 80 kilomètres heure, cela nécessiterait des moyens humains colossaux dont le coût serait extrêmement important.

Le système de contrôle automatique n’est pas seulement destiné à repérer les fraudeurs. Il peut également détecter des erreurs de classification commises par les chauffeurs routiers eux-mêmes et à leur détriment. Dans le système français, en fonction de la remorque attelée, la classification du véhicule peut être modifiée par une simple opération sur l’équipement embarqué, de façon à payer le tarif correspondant. En cas d’oubli de la part du chauffeur, il peut arriver que des véhicules circulent sous une classification trop élevée. Le système de contrôle vérifie aussi que cette classification n’est pas erronée et que le tarif de taxation correspond bien à la situation.

Plutôt que de provocants, je qualifierais les portiques de dissuasifs puisque tel est l’effet recherché. Du point de vue du citoyen, je ne sais pas si le système automatique de contrôle de vitesse – les fameux radars – est provocant ou dissuasif. On observe que les dégradations commises sur les matériels sont restées extrêmement localisées en France. Si le dispositif venait à être démonté sur tout le territoire, ce serait une incitation très forte à la fraude. Notamment, cela permettrait aux transporteurs étrangers, qui traversent bien souvent le territoire d’une traite, sans même s’arrêter pour acheter du carburant ou des marchandises soumises à TVA, de traverser très facilement le territoire sans acquitter la taxe.

Pour finir, la CNIL a fait connaître sa position sur la conservation des données collectées par le système. Dans un premier temps, une photographie du véhicule et de sa plaque d’immatriculation est prise à distance du portique. Ce n’est que lorsque le véhicule passe au droit du portique que le système peut le classifier, c’est-à-dire déterminer s’il est assujetti ou pas. Dès lors que le véhicule est identifié comme non assujetti ou assujetti en situation régulière, toutes les données sur son passage – photos de contexte et plaque minéralogique – sont détruites par le système du portique dans les quelques secondes qui suivent. La CNIL a été extrêmement attentive à ce sujet, elle a vérifié le fonctionnement du système. Je confirme que lesdites données sont immédiatement effacées, non pas dans le système central, mais localement, dans les portiques.

M. Thierry Benoit. Pour que nos concitoyens acceptent l’écotaxe, ils doivent en comprendre le principe de mise en œuvre. Or je crains que le nombre des acteurs – le consortium, les banques, les sociétés de télépéage –, dont certains ont parfois des intérêts divergents, n’accentue plus encore la défiance envers l’écotaxe. On peut en effet s’étonner que, dans un pays comme le nôtre, on ne soit pas capable de mettre en place un système simple. On se dit que tous ces partenaires ne travaillent pas pour rien, qu’il faut bien les rétribuer.

M. Gilles Savary. Je me fais insistant sur la question des emprunts : qui les cautionne ?

M. Giovanni Castellucci. En disant qu’ils seraient garantis par l’État lors de la mise à disposition, je sous-entendais qu’ils ne l’étaient pas aujourd’hui.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous n’avez pas indiqué le montant des investissements d’Ecomouv’ ni de ceux des SHT.

M. Giovanni Castellucci. Nous ne connaissons pas le montant des investissements réalisés par les SHT. On peut l’estimer, pour les équipements embarqués qu’elles ont achetés, à 350 000 fois 150 euros. À cela, il faut ajouter l’investissement en systèmes informatiques dont nous ne savons rien, et qui est directement lié à l’efficacité opérationnelle.

M. Daniele Meini, président d’Ecomouv’. Les SHT étant des sociétés privées, nous n’avons aucune visibilité sur leurs investissements.

M. Michaelangelo Damasco. Le montant des investissements engagés par Ecomouv’ au 30 novembre 2013 était de 534 millions d’euros.

M. Giovanni Castellucci. Ce chiffre n’est pas définitif.

M. Michaelangelo Damasco. Permettez-moi de vous donner quelques éléments concernant le loyer. La rémunération est fixée par le contrat. Il s’agit d’une rémunération fixe payée à échéances trimestrielles. Après la mise à disposition, les quatre échéances interviendront au 1er mars, au 1er juin, au 1er septembre et au 1er décembre de chaque année. La partie fixe, la plus importante, qui rémunère les investissements et le remboursement des moyens de financement, s’élève à 96 millions d’euros par an, soit 24 millions par trimestre sur quarante-six trimestres, qui est la période d’exploitation.

Une deuxième partie fixe rémunère les coûts de maintenance du dispositif, les coûts de gestion – salariés, loyers, frais de fonctionnement – et le réseau de distribution. Ce montant s’élève, en moyenne annuelle, à 47 millions d’euros constants hors taxes, sur une base prix au 1er janvier 2011. En plus, 8 millions d’euros sont déposés sur un compte séquestre au bénéfice de l’État pour le gros entretien et le renouvellement du dispositif.

Le montant de la rémunération fixe est donc de 150 millions d’euros, moyenne hors taxes.

Le montant de la rémunération variable s’élève à environ 64 millions d’euros, moyenne hors taxes.

Dans les 230 millions évoqués plus haut, il y a aussi la partie de rémunération due aux SHT, qui transite par Ecomouv’ en toute transparence. Ce montant est d’à peu près 50 millions annuels.

M. Daniele Meini. La rémunération dépend du nombre des transactions, donc la part variable évolue en fonction de l’utilisation du système.

Par gros entretien et renouvellement, on entend mise à jour technique du système, qui est décidée par l’État sur recommandation de notre part. Nous estimons qu’une mise à jour totale devrait intervenir après onze ans et demi d’utilisation. Mais il ne s’agit aujourd’hui que d’une planification qui n’a fait l’objet d’aucune décision.

M. Giovanni Castellucci. M. Le Fur s’est interrogé sur la sincérité des participants s’agissant de la qualité de la marche à blanc. Mais c’est l’État qui a vérifié tous les éléments apportés par les transporteurs et toutes les réponses que nous avons données, et qui a certifié avec la VABF que le système fonctionne. Si vous doutez de notre sincérité, faites au moins confiance au professionnalisme des agents de l’État qui ont procédé à une analyse approfondie, avec le soutien de Capgemini, et à l’homologation qui s’en est suivie. Au total, la VABF a duré plus de sept mois.

Le système est opérationnel ; il a été remis à l’État pour la dernière phase de VABF à la mi-septembre. Considérant la fiabilité du système, celui-ci avait alors décidé que le démarrage aurait lieu le 1er janvier. Dans l’attente de la mise à disposition, à laquelle il aurait déjà dû être procédé, le pronostic vital du projet est aujourd’hui engagé, car les créanciers n’ont pas de visibilité. Le temps est l’élément le plus critique. Nous n’en avons pas beaucoup pour redonner confiance aux opérateurs externes, SHT et créanciers. Chacun doit être conscient de l’urgence. Si nous réussissons à donner les assurances nécessaires, nous pouvons espérer une suspension d’une durée assez confortable pour l’État pour redéfinir certains éléments du système et en améliorer l’acceptation. En la matière, c’est la communication qui a surtout manqué, et c’est une responsabilité que nous partageons collectivement. Pour disposer de ce temps, il faut donner des certitudes aux partenaires autour de la table, à ces opérateurs qui ont pris le risque de développer un système complexe. Maintenant qu’il existe, il est urgent de le traiter en toute clarté.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Messieurs, merci pour ces échanges de qualité sur de nombreux points importants. Vous avez conclu sur l’urgence de la situation. Nous sommes tous convaincus de la nécessité de faire des propositions le plus rapidement possible. Je l’ai dit lorsque nous avons mis en place cette mission d’information, il faut redonner à l’écotaxe du sens et la rendre acceptable.

Vous avez bien compris, au travers de nos différentes interventions, que c’est la direction que nous avons choisie. J’espère que nous serons en mesure, compte tenu notamment de toutes les auditions que nous avons conduites, de faire des propositions dans les meilleurs délais.

Sur ce projet déjà ancien, qui engage l’ensemble des parlementaires, il nous faut également améliorer notre communication qui, avons-nous reconnu de part et d’autre, a souffert de faiblesses. Je vous remercie encore très sincèrement.

Audition, ouverte à la presse, de l’UNOSTRA :
M. Roland Bacou, président national transport de marchandises et Mme Catherine Pons, déléguée générale, vice-présidente

(Séance du mercredi 29 janvier 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons, à présent, les représentants de l’UNOSTRA, l’Union nationale des organisations syndicales des transports routiers automobiles, qui est l’une des grandes organisations représentatives du secteur.

Notre mission d’information est, bien évidemment, à l’écoute des professionnels du transport par route. En tant qu’élus, nous avons tous conscience des difficultés d’un secteur qui compte des milliers d’entreprises réparties sur tout le territoire, parmi lesquelles beaucoup d’entreprises familiales.

La crise économique et la concurrence internationale, trop souvent caractérisée par du dumping social, ont considérablement affecté les marges d’exploitation d’un grand nombre de transporteurs. Les revendications de l’UNOSTRA ne nous étonnent donc pas.

Par exemple, votre organisation réclame la suppression pure et simple de la taxe à l’essieu. Cette taxe a pourtant été ramenée, depuis 2009, à son plus bas taux européen. Dans sa plate-forme de revendications, l’UNOSTRA considère que l’impact des charges fiscales et des règles sociales applicables au secteur constituerait « une exception française ». Je ne me prononcerai pas sur cette affirmation, mais sachez que notre mission entend, sur cette question, examiner de près les éléments comparatifs entre les différents pays européens.

S’agissant de l’éventuelle mise en œuvre de l’écotaxe, nous souhaitons que vous indiquiez très librement quelles sont aujourd’hui les remontées de terrain recueillies par votre organisation. Certains de vos adhérents ont-ils participé à des expérimentations à blanc avec Ecomouv’ et les sociétés habilitées de télépéage (SHT) ? À votre connaissance, quels en sont exactement les résultats ?

Selon vous, le cadre actuel de l’écotaxe est-il réformable et, le cas échéant, quelles pistes d’aménagement proposeriez-vous ? Nous l’avons dit et le répéterons à tous les professionnels du transport déjà rencontrés ou qu’il nous reste à rencontrer : nous sommes ouverts aux propositions.

Quelle est votre position sur le principe même d’une contribution de l’usager, qu’il soit routier français ou étranger, à l’entretien et à l’amélioration de l’infrastructure qu’il emprunte ?

Estimez-vous praticable la mise en œuvre de la répercussion de l’écotaxe sur le donneur d’ordres, c’est-à-dire le chargeur, telle qu’elle a été conçue par les textes ? Votre attachement au principe de la majoration forfaitaire est-il aussi fort que celui exprimé par la FNTR ?

Enfin, considérez-vous, comme d’autres acteurs, que l’écotaxe pose un réel problème de distorsion de concurrence entre le transport pour compte propre et le transport pour compte d’autrui ?

Mme Catherine Pons, déléguée générale et vice-présidente. L’UNOSTRA, représentée par le président Roland Bacou, transporteur en Languedoc-Roussillon, et par moi-même, ancien transporteur en Franche-Comté pendant trente ans, vous remercie de la recevoir aujourd’hui.

Vous avez entendu beaucoup de responsables du transport routier de marchandises, et nous apprécions de pouvoir faire entendre la voix des TPE et PME que l’UNOSTRA représente. Si nous sommes ici pour vous parler de notre vision de l’écotaxe dans les TPE, il ne sera pas facile de la dissocier des doléances et des constats répétés à l’envi dans cette enceinte. Nous allons tenter de vous éclairer sur le véritable problème que cette taxe constitue pour les 28 000 petites entreprises du transport routier de marchandises.

Au préalable, permettez-moi de vous présenter la dynamique de l’UNOSTRA.

L’UNOSTRA est née le 25 octobre 1956, de l’union de dizaines de syndicats régionaux de chefs d’entreprises de transport de marchandises et de voyageurs, qui souhaitaient avoir leur propre représentation dans une fédération de transport. Elle compte des adhérents répartis sur l’ensemble du territoire ainsi qu’à La Réunion et en Martinique.

En 1998, sous la présidence de Jean-Louis Amato, l’UNOSTRA a été membre fondateur de l’UETR (l’Union Européenne des Transporteurs Routiers), dont le siège est à Bruxelles. Représentant aujourd’hui seize pays membres et forte de 200 000 entreprises faisant rouler 430 000 véhicules, elle constitue la deuxième fédération européenne du transport routier de marchandises.

Notre organisation professionnelle a pour principale vocation de défendre et d’accompagner les TPE. L’UNOSTRA est plutôt discrète mais elle agit sur le terrain. Outre le dossier de l’écotaxe qui nous réunit aujourd’hui, nous travaillons sur le plan de compétitivité du transport routier de marchandises avec trois autres fédérations – la FNTR, TLF et la Chambre syndicale du déménagement (CSD). Ce plan est soutenu par Frédéric Cuvillier.

Nous intervenons également, avec l’aide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dans le dossier d’expérimentation « Regroupement de TPE en régions », qui consiste à réunir des savoir-faire afin de les concentrer, et d’améliorer et développer la productivité d’une communauté professionnelle régionale – 80 % des membres du conseil d’administration de l’UNOSTRA faisant partie de groupements régionaux ou nationaux, voire de coopératives, leur légitimité à porter ce projet ne saurait être contestée. Le regroupement peut être une solution d’avenir pour les petits patrons qui, face aux contraintes du marché, sont voués à disparaître si rien n’est fait.

L’UNOSTRA participe à d’autres solutions novatrices, notamment dans le domaine du transport durable, avec le « rail-route » qui représente un vrai défi pour une PME française. L’entreprise du président Roland Bacou est membre d’un groupement dont l’un des associés est utilisateur de ce mode de transport. Il pourrait vous en parler, si vous le souhaitez.

Notre organisation suit depuis plusieurs années le feuilleton de l’écotaxe, plus communément appelée taxe poids lourds par les chefs d’entreprise du transport routier, aussi bien français qu’européens. À juste titre, puisque ce sont eux qui devront l’acquitter. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir proposé, à maintes reprises entre 2007 et 2009, des solutions alternatives plus simples. Hélas ! elles n’ont pas été retenues.

Depuis 2012, les transporteurs se sont préparés à l’arrivée de l’écotaxe, à reculons, il faut bien le dire, tant les incertitudes étaient grandes. Outre que les principaux textes réglementaires n’ont été publiés qu’avec retard, en septembre 2013, les SHT se sont montrées incapables de répondre aux demandes des transporteurs, que ce soit pour les commandes de boîtiers ou, plus grave, pour les adhésions à la marche à blanc que certaines d’entre elles ont tout simplement refusée. À cela s’ajoute le refus, annoncé dès le départ, des donneurs d’ordre de se soumettre au dispositif de la majoration forfaitaire pourtant inscrit dans la loi.

L’échec du lancement de l’écotaxe ne doit pas cacher le problème principal que nous avons toujours souligné et sur lequel nous souhaitons revenir aujourd’hui : le rôle de collecteur d’impôt assigné au transporteur, sur lequel repose le dispositif. Là est, depuis le départ, la cause principale du malaise des transporteurs, car le rapport de force avec les chargeurs est tel qu’il ne leur permet pas d’assumer ce rôle.

La réalité des pratiques du secteur est celle-ci que les prix sont imposés par les chargeurs ; même lorsqu’il n’y a pas d’appels d’offres, ils sont en position dominante. Trop souvent, les TPE n’ont d’autre issue que d’accepter d’intégrer l’écotaxe dans le prix du transport. Imaginez, dans ces conditions, quel choix ont les transporteurs qui recourent à la sous-traitance en cascade !

En outre, la mise en œuvre de l’écotaxe constitue un véritable défi tant organisationnel et technique que commercial et financier pour de nombreuses entreprises gérant moins de dix véhicules. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un transporteur subit, plus que n’importe quel autre chef d’entreprise, un mille-feuille de réglementations : le code de la route, le code du travail et la réglementation européenne. Par obligation professionnelle, il ne peut être que légaliste ; les différents contrôles dont il fait l’objet quasiment toutes les semaines ne peuvent que le lui rappeler.

Lorsque j’entends les chargeurs se plaindre que les transporteurs vont augmenter leurs marges avec la majoration de l’écotaxe, je dis « stop ! ». Ces propos sont insultants pour nos entreprises qui tirent des marges extrêmement faibles – moins de 1 %.

Dès septembre 2013, les négociations tarifaires avec les chargeurs ont été très houleuses et ont rapidement pris l’allure d’un chantage. Ceux-ci ont suggéré avec insistance une baisse des tarifs 2013 équivalente à la majoration de l’écotaxe 2014, soit une opération blanche pour eux ; la prise en compte de 50 % de la majoration par le transporteur lui-même ; une remise annuelle de l’écotaxe de type « marge arrière ». Est venu s’ajouter, en fin d’année, un calcul très personnel du chargeur du coût réel de la taxe intégrant la déduction de certains tronçons routiers. Comme si cela ne suffisait pas, ces exigences étaient assorties de la remise à plat, dans la plupart des cas, des contrats en cours, sous forme d’appels d’offres.

Depuis 1998, avec l’ouverture du cabotage européen, les prix de transport ont progressivement fait l’objet d’appels d’offres permanents, même pour les transports locaux. Les donneurs d’ordre et les affréteurs ont muté en de véritables traders du transport routier, alors même – ce qui rend cette évolution incompréhensible – que le transport ne représente en moyenne que 3 % du coût total d’une marchandise.

L’addition de tous ces éléments ne met pas, convenons-en, le transporteur en situation de collecter une taxe auprès de son chargeur ; il ne peut que la payer à sa place. Puisque c’est là le principal problème à résoudre pour les TPE, l’UNOSTRA pense que le centre de gravité de l’écotaxe doit être déplacé des transporteurs sur les chargeurs.

Devant le consensus au sein des élus en faveur de la mise en place du dispositif de l’écotaxe, l’UNOSTRA a fait preuve de réalisme et s’est battue pour obtenir une majoration obligatoire et forfaitaire. Le but était d’offrir aux TPE et PME un appui légal pour faire supporter l’écotaxe par les véritables décideurs du choix de mode de transport : les bénéficiaires du transport de la marchandise. À l’issue d’innombrables réunions techniques auxquelles l’UNOSTRA a participé, au cours desquelles ont été présentés maints scénarios, dignes pour certains de véritables usines à gaz, les professionnels ont obtenu un barème de tarification de l’écotaxe lisible et l’inscription dans la loi du principe de la majoration forfaitaire. Ce dispositif permet aux transporteurs de répercuter sur leur prix de vente l’écotaxe ainsi que tous les frais induits pour la mise en place et le suivi de ce dispositif dans leurs entreprises. Entrent, en particulier, dans ces frais induits les kilomètres à vide que personne ne veut jamais payer, ce qui n’est pas un détail.

Avec des marges dépassant rarement 1 % en 2013, sans la majoration aucune des 28 000 TPE et PME de transport ne pourrait absorber le surcoût engendré par l’augmentation prouvée – de l’ordre de 8 à 10 % – des coûts de revient. Cette majoration forfaitaire est un garde-fou indispensable. Qu’elle constitue une obligation légale permet d’imposer, autant que faire se peut, ce que la loi du marché et les acheteurs de transport considèreraient autrement comme un simple élément de négociation. Elle constitue un atout, précaire certes, mais qui a le mérite d’exister, pour des milliers de chefs d’entreprise qui n’ont pas dans leur équipe un commercial rompu aux négociations les plus ardues.

Selon nous, la solution est un système où le transporteur a un rôle déclaratif mais pas de collecteur. Dans l’absolu, cette obligation devrait incomber directement aux chargeurs pour rester dans l’esprit de la loi.

Tout en prenant acte du projet de modification de l’écotaxe, l’UNOSTRA tient à affirmer que certaines conditions ne seront pas négociables à ses yeux : pas de remise en cause de la majoration ; une communication régulière des contrôles effectués par la DGCCRF chez les chargeurs, avant, pendant et après ; la suppression des cautions liées au dispositif ; pas de régime particulier pour le transport pour compte propre en cas d’exonération de certains types de marchandises ; retour au périmètre initial de 10 000 kilomètres du réseau taxé ; révision à la baisse de l’ensemble des barèmes de l’écotaxe ; proposition aux transporteurs d’une période à blanc minimale de six mois. Bien que légaliste, l’UNOSTRA se réserve la possibilité de manifester en dernier recours si ses demandes devaient rester lettre morte.

Le rôle qui nous a été imposé dans le dispositif de l’écotaxe, nous ne l’acceptons pas. Puisqu’il vous appartient aujourd’hui de faire évoluer ce dispositif, nous vous demandons de prendre en compte l’impact qu’il aura sur les TPE du transport routier français. N’oubliez pas que 80 % des camions qui empruntent nos routes nationales et départementales sont français et qu’ils ont une activité régionale ou locale, et que 80 % des entreprises de transport françaises sont des TPE de moins de dix salariés. Ne tirez pas une balle dans les pneus du transport routier, premier vecteur de notre économie !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La majoration forfaitaire est manifestement un élément déterminant, puisque la FNTR nous a fait part d’un attachement aussi fort que le vôtre.

Vous considérez que la marche à blanc devrait durer au moins six mois alors que, selon d’autres professionnels, elle pourrait être plus courte. Pourquoi ?

Les professionnels seraient-ils favorables à la réduction des vingt-trois taux de majoration forfaitaire qui existent aujourd’hui – un par région, plus un taux interrégional – à un seul pour l’ensemble des vingt-deux régions ? Il ne s’agit pas, de ma part, d’une question piège, mais plutôt d’un souci de simplification, sachant qu’il existe vingt et un taux d’écotaxe différents.

M. Roland Bacou, président national « Transport de marchandises ». Le secteur du transport étant soumis à une forte saisonnalité et connaissant des modulations en fonction des régions et des activités, une marche à blanc de moins de six mois ne permettrait pas d’évaluer précisément le coût de la taxe poids lourds.

Quant à la réduction à un seul taux de la majoration forfaitaire, l’UNOSTRA ne l’avait pas envisagée, si bien que je ne peux vous donner, à chaud, une réponse personnelle. Permettez-moi de la différer de quelques jours, le temps de procéder à des simulations.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’idée d’un fonds de modernisation vous paraît-elle intéressante ? Si oui, quel pourrait en être le contenu ?

À condition d’en donner une définition précise, pensez-vous utile de travailler sur l’exonération des petits trajets ?

M. Roland Bacou. Introduire des exceptions aux principes de taxation et de majoration ne peut que créer des complications. Ces deux dernières années, nous en avons connu pour les véhicules de 44 tonnes, qui nous ont immédiatement perdus, les exceptions créant d’autres exceptions. Nous ne pouvons pas nous permettre d’exception : tout le monde est concerné ou personne.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Dans le transport pour compte d’autrui, la majoration forfaitaire s’applique automatiquement qu’on ait payé l’écotaxe ou pas. L’idée d’exonérer les petits trajets ne concernerait donc que l’écotaxe, pas la majoration, ce qui complique énormément les choses, j’en conviens. Nous sommes là face à une vraie difficulté.

M. Roland Bacou. Je maintiens que toute exception posera problème. Ce serait mettre le doigt dans un engrenage dont on ne sortirait plus. Une rétrocession, pourquoi pas, mais pas d’exception.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Mieux vaudrait l’application à tous du droit commun, assortie de mesures de compensation ?

M. Roland Bacou. Vous pouvez toujours en faire la proposition. Toute modification visant l’écotaxe ou la majoration devra faire l’objet d’un débat.

M. Gilles Savary. Comme d’autres avant vous, vous nous dites que le rôle de collecteur assigné aux transporteurs constitue un obstacle de taille et qu’il vaut mieux le transférer aux chargeurs. Le problème est que nous sommes un pays de transit ; nous ne voulons pas inventer un dispositif qui nuirait au seul pavillon français.

Avec votre proposition, comment « capture-t-on » un chargeur espagnol ou allemand louant les services d’un transporteur de même nationalité qui ne fait que traverser notre pays, sans même y faire son plein de carburant ? Le transporteur étranger paie l’écotaxe, mais comment fait-il pour la reporter sur le chargeur étranger ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il ne peut le faire que si le contrat de transport est de droit français.

M. Gilles Savary. Absolument ! Et rien ne l’y oblige. Il peut même caboter trois fois sur notre territoire avec un contrat de droit étranger en payant une écotaxe différente de celle qu’acquitterait un transporteur français sur le même parcours. Dans ces conditions, pourquoi faire une telle proposition qui revient à exonérer les étrangers ?

M. Roland Bacou. Le même problème se pose avec la majoration, que les transporteurs français ont beaucoup de mal à répercuter sur le donneur d’ordre étranger. Je réponds à votre question par une autre question. Aujourd’hui, de nombreux gros donneurs d’ordre sont en train de délocaliser en Belgique, au Luxembourg, en Suisse. Nous adressons donc les factures dans ces pays. Comment pourrons-nous répercuter la majoration ? Quel pouvoir aura la DGCCRF pour contraindre ces donneurs d’ordre à la payer ? Non seulement l’État sera perdant sur la taxe, mais nous n’aurons pas de recours pour faire appliquer la majoration, dont les chargeurs usent comme moyen de pression.

Par ailleurs, vous savez bien que nous n’arriverons pas à absorber les 8 à 10 % d’augmentation. Mme Pons a parlé de marges à 1 %, mais il s’agit du haut de la fourchette ; nous sommes plutôt entre 0,5 et 0,8 % sur l’année 2013.

De même que la répercussion de la majoration sur le chargeur sera vaine pour le transporteur, le transfert sur le même chargeur de la collecte entraînera des pertes de recette, nous en sommes bien d’accord.

M. Gilles Savary. Plus que la perte de recette pour l’État, ce qui est choquant c’est que les seuls Français sont touchés et que la concurrence est faussée à leur détriment par les règles de cabotage.

M. Roland Bacou. Nous en sommes d’autant plus conscients qu’un tel déséquilibre existe aujourd’hui dans de nombreux domaines, en particulier fiscal et social. Du reste, vous le savez. Vous savez que la réglementation française nous pénalise par rapport à la réglementation européenne. Nous avons déjà perdu les marchés international et national ; aujourd’hui, nous sommes voués à rester dans nos régions, à y mourir. Comme on a vendu le transport maritime, on est en train d’abandonner le transport routier aux pavillons étrangers, de démolir, en nous laissant souffrir, un maillon de l’économie française. Or, dans cette activité, avons-nous vraiment intérêt à être dépendant des autres pays ? Ce sujet peut sembler en dehors de la problématique de l’écotaxe mais, s’il n’existait pas, peut-être que celle-ci passerait mieux.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Parmi les propositions que vous avez faites figure la diminution du barème de l’écotaxe. Quelle en est la justification ?

M. Roland Bacou. Avant même que l’écotaxe soit appliquée, le barème arrêté en 2012 a subi une augmentation en 2013 ! Cela ne surprend-t-il pas un peu ?

De même, le kilométrage, a d’abord été fixé à 10 000 puis est passé à 18 000. Nous avons dû nous battre sans relâche pour qu’il retombe à 15 000. Nous ne sommes pas des « vaches à lait » et s’il manque trois sous, allez les chercher là où on peut les récupérer !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Selon vous, il faut en revenir à un kilométrage de 10 000 ?

M. Roland Bacou. Oui.

Dans le Languedoc-Roussillon, on est allé taxer l’A75 qui déleste l’arc méditerranéen surchargé. Jusque-là, le différentiel de quatre à cinq litres de consommation aux cent kilomètres était compensé par la gratuité de l’A75. Demain, avec 15 centimes d’un côté et 17 centimes d’autoroute, de l’autre, il n’y n’aura plus aucun intérêt à passer par le centre, et l’A7 et l’A9 seront de nouveau surchargées. Peut-être qu’une réflexion mieux conduite aurait permis de trouver une meilleure solution.

M. Gilles Savary. C’est un plaidoyer en faveur de la taxation généralisée. Sans échappatoire, il n’y a pas de report de trafic.

M. Roland Bacou. Tout taxer, mais moins cher. À mon avis, si les textes vous permettaient de tout taxer, vous l’auriez fait. Le principe de libre circulation implique certainement l’obligation de laisser la gratuité sur certaines routes.

M. Gilles Savary. Pourvu qu’il n’y ait pas de discrimination entre étrangers et français, on peut tout à fait taxer l’ensemble du territoire. Le territoire suisse est totalement taxé, l’allemand n’en est pas loin.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. On ne peut pas non plus avoir une vignette et une éco-redevance sur le même tronçon, mais il me semble que la directive Eurovignette n’interdit pas de taxer la totalité du réseau français.

Quels dysfonctionnements reprochez-vous aux SHT ?

Mme Catherine Pons. Lors d’une réunion au ministère des transports avec le ministre, M. Frédéric Cuvillier, et les SHT, il est apparu très rapidement que celles-ci se répartissaient en deux catégories : celles qui avaient joué le jeu avec les entreprises, proposant des marches à blanc et du retour rapide sur activité ; celles qui avançaient à reculons, prenant leur temps pour mettre à disposition les boîtiers et instruire les dossiers, et refusant de procéder à des marches à blanc qui auraient nécessité, selon elles, l’embauche de plusieurs personnes. Manque d’organisation, manque de personnel, manque de communication, rien dans leur attitude ne correspondait à l’esprit de partenariat que nous avait promis le ministère.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Si, demain, on devait organiser une marche à blanc de plusieurs mois, il faudrait donc faire obligation aux SHT d’y participer.

Vous avez mentionné un plan de modernisation du transport. Quels sont les éléments qui pourraient y figurer ?

Mme Catherine Pons. Le plan de compétitivité que nous avons élaboré avec la FNTR, la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) et la CSD vise à sortir la compétitivité des TPE et PME de l’état de latence dans lequel la plonge le contexte fiscal, réglementaire et social. Il faut absolument qu’on arrive, avec l’administration et le ministère, à trouver des portes de sortie pour que nos entreprises ne soient plus à la traîne des autres pays européens. Dans le dernier tableau de compétitivité des pays européens publié par le Comité national routier (CNR), en matière de cabotage, les pays de l’Est prennent la tête et la France se retrouve à la vingt et unième place sur vingt-quatre !

Le problème dans notre pays, c’est que la réglementation nationale en matière de transport routier de marchandises est beaucoup moins favorable aux transporteurs que dans les autres pays européens, avec des écarts de zéro à vingt. Autrefois, ces écarts n’étaient ressentis que dans les grands groupes qui avaient une activité à l’international ; dans les régions, les PME n’étaient absolument pas touchées. Puis le cabotage a été ouvert, se développant progressivement des frontières à l’intérieur du territoire. Il y a encore une dizaine d’années, les UNOSTRA d’Auvergne, Limousin ou Poitou-Charentes n’avaient jamais vu de camions Willi Betz (WB) : les étrangers ne trouvaient pas de fret en repartant de ces régions. Aujourd’hui c’est fini, le plus petit transporteur dans la région la plus reculée ressent vivement la concurrence étrangère sur son marché local. L’écart de prix est tellement énorme avec les pays qui viennent caboter chez nous que nous perdons nos marchés locaux : à 20-25 %, on ne peut pas jouer dans la même cour.

M. Gilles Savary. Vous parlez du cabotage ouvert aux transporteurs internationaux ou de cabotage intérieur effectué en fraude par des opérateurs low cost ?

Mme Catherine Pons. J’ai envie de vous dire : les deux.

M. Gilles Savary. Le cabotage a été ouvert à la concurrence pour des raisons environnementales, afin d’éviter que les internationaux ne reviennent à vide, mais pas le cabotage national. Et il ne peut être caboté que trois fois sur un trajet international. Les pratiques dont vous parlez semblent plutôt être le fait de groupes nationaux qui font venir des pays de l’Est des salariés détachés pour faire du cabotage national.

M. Roland Bacou. Ces pratiques, on les subit de plein fouet en Languedoc-Roussillon, mais pas seulement. Avec les Espagnols, ce n’est pas le différentiel social qui pose problème, car il est assez faible ; c’est qu’ils ont créé une activité qu’on désigne au CNR sous le vocable de « Espagne low cost », en délocalisant des entreprises en Roumanie ou en Pologne. Avec des chauffeurs dont le coût de revient est de 45 % par rapport à celui d’un chauffeur français, ces gens-là, par le biais du cabotage, pompent aujourd’hui tout le travail français.

Le gros inconvénient du cabotage, c’est qu’il n’a pas été assorti de garde-fou. Selon l’UNOSTRA, il devrait être soumis à l’obligation de rentrer dans le pays d’origine, quitte à l’aménager en autorisant jusqu’à cinq cabotages sur la totalité de l’Europe plutôt que trois sur sept jours.

M. Gilles Savary. Les Français aussi mettent le doigt dans la confiture.

Mme Catherine Pons. Oui. C’est pourquoi c’est compliqué.

M. Roland Bacou. Ces pratiques déstabilisent totalement le marché national, et même régional. La Belgique n’était jusqu’à présent pas concernée par le cabotage, n’étant pas vraiment un pays de transit. Aujourd’hui, elle voit s’installer des entreprises roumaines, polonaises ou bulgares qui ont trouvé là un bon moyen de faire trois cabotages. Car il est très simple de faire du transport international en Belgique. De même, sur la frontière espagnole, il suffit de faire cinquante kilomètres entre Figueras et Perpignan pour avoir le droit d’effectuer trois transports sur une durée de sept jours en national en France. Autrement dit, pour cinquante kilomètres en international, on peut couvrir 3 000 kilomètres sur le territoire français avec un coût de revient moindre. Qui plus est, en cas d’infraction, il est toujours plus compliqué d’aller chercher un contrevenant étranger que quatre sous chez un Français.

La faute européenne est donc de n’avoir pas prévu l’obligation de revenir systématiquement dans le pays d’origine.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Que pensez-vous des modes de paiement prévus pour l’écotaxe, l’un passant par les SHT et permettant à l’entreprise de bénéficier d’une réduction de 10 %, l’autre s’effectuant par prépaiement avec dépôt d’une caution ? Selon vous, serait-il possible d’unifier ou d’homogénéiser ?

Mme Catherine Pons. En soi, le double système ne nous pose pas de problème. L’abonnement avec boîtier est beaucoup plus pratique pour le transporteur qui couvre de nombreux kilomètres sur les routes taxées ; pour le transporteur qui agit localement ou pour les étrangers qui viennent ponctuellement en France, il n’est pas gênant de passer par une borne.

Nous sommes beaucoup plus réservés au sujet de la caution. Pour couvrir chaque besoin de son activité, le transporteur est sommé de fournir une caution, et l’addition de ces cautions finit par composer une liste à la Prévert : carte de carburant, carte d’autoroute, encours chez un vendeur de pneus, encours chez un garagiste, tout est soumis à caution. En face, les clients paient quand ils ont le temps. Nous sommes donc totalement opposés à toute possibilité de caution s’agissant de l’écotaxe. Il faut arrêter ! D’ailleurs, si nous sommes très attachés à la majoration forfaitaire, c’est non seulement parce qu’elle va nous permettre de payer la taxe, mais aussi tous les frais, très conséquents, induits pour l’entreprise, parmi lesquels précisément la caution et la formation des salariés.

M. Roland Bacou. Alors que nous facturons au mois et encaissons à trente jours pour 80 % de nos clients, nous devons payer à quinze jours, ce qui signifie que nous avançons de l’argent sur la première quinzaine. Là-dessus, on nous demande encore des cautions ! Avec toutes ces cautions et garanties exigées par nos fournisseurs, nous sommes aujourd’hui confrontés à des problèmes de couverture SFAC (Société française d’assurance-crédit) qui peuvent tout bloquer. Chaque fournisseur est en droit de demander des garanties sans vous en informer, si bien qu’un beau jour, vous pouvez découvrir que votre fournisseur de carburant vous coupe votre carte parce que vous n’êtes plus couvert par votre assurance-crédit. Du jour au lendemain, une entreprise saine peut devenir en difficulté parce qu’on la prive des moyens de fonctionner. Ce n’est qu’au bout de maints coups de téléphone que vous finissez par trouver un interlocuteur qui vous explique les raisons de votre situation. Comment voulez-vous que les TPE s’en sortent sans accompagnement ? Ajoutez à cela le pouvoir du banquier et du gros chargeur, et vous comprendrez que le transporteur ne fait que subir !

De surcroît, les quelques textes qui nous protègent ne sont pas appliqués. Nous avons beau relever des infractions, personne n’intervient ou de façon si peu discrète que le chargeur contrôlé sait immédiatement d’où vient la plainte : quinze jours après, vous êtes mis dehors. Quant à la DGCCRF, elle est aujourd’hui quasiment réduite à néant et manque de monde pour travailler. À voter des textes sans mettre en œuvre les moyens de les faire appliquer, on joue avec la vie des entreprises. Avez-vous conscience quelle est la vie des entrepreneurs et de leurs familles ? Ces gens ne sont pas aussi vicieux que les grandes entreprises ; le jour où ils tombent, ils se retrouvent une main devant, une main derrière, sans rien ! Croyez bien que c’est triste, après une vie de travail.

M. Jean-Paul Chanteguet président et rapporteur. Les messageries express que nous avons rencontrées, en particulier DHL, Fedex et UPS, demandent à ne pas se voir appliquer la majoration forfaitaire. Ces messageries comptent peut-être dans leur chaîne des entreprises adhérentes de l’UNOSTRA ou de la FNTR qui, compte tenu des procédures, se voient dans la quasi-impossibilité d’appliquer cette majoration forfaitaire. Qu’en pensez-vous ?

M. Roland Bacou. Vous me prenez au dépourvu. Je peux dire qu’aujourd’hui, on se rend compte que ces grosses entreprises de messagerie deviennent des quasi-monopoles et contribuent à la disparition de toute activité parallèle dans la livraison de colis. Nous venons d’apprendre que, dorénavant, les avis de passage en cas d’absence du client à livrer n’étaient plus rémunérés. Vous avez quand même fait des kilomètres ! Si la situation se reproduit pour dix ou trente clients, c’est encore cela en moins. Petit à petit, les entreprises structurées se font rogner jusqu’à être déstabilisées pour être mieux exploitées. C’est une vraie tristesse.

Je ne vous répondrai pas aujourd’hui sur une éventuelle exonération, car j’ai bien peur que cette demande ne fasse partie d’une stratégie visant encore à payer moins cher. Ce qui est désolant, c’est que, de la surcharge carburant à la majoration demain, le transporteur affrété en cascade est en train de se faire grignoter tous ses acquis. Il ne pourra plus vivre. C’est grave.

M. Jean-Pierre Gorges. Plus je vous entends, plus je me demande dans quels draps nous nous sommes mis et, même si je l’assume, j’ai un peu honte d’avoir voté la taxe.

Le principe d’utilisateur-payeur pour l’écotaxe est compréhensible : en tant que maire, je sais que les routes ont un prix. Que le produit serve à financer les infrastructures va aussi dans le bon sens, à condition toutefois de mettre en place une régionalisation.

Dans le système global, ce qui gêne c’est le transit. À la fin, l’écotaxe est censée être répercutée sur celui qui a choisi le mode de transport, chaque maillon de la chaîne transmettant au suivant. C’est exactement un mécanisme de TVA. Dans l’idéal, on ferait payer un point de TVA correspondant au mode de transport choisi : une livraison à pied n’abîme rien donc ne coûte rien ; à vélo, cela use un peu les trottoirs ; en voiture, cela détériore un peu plus, et ainsi de suite, sachant qu’un camion représente 1,2 million de passages de véhicules légers sur une route. Puisque donc nous recherchons un système incitatif, on pourrait régler le problème au niveau du produit par une taxe additionnelle différente en fonction du mode de transport choisi. Or il y a le problème du transit.

Pour traiter l’exception de celui qui rentre dans notre pays et en ressort sans avoir déposé de marchandise, nous sommes en train de mettre en place une usine à gaz qui nous pénalise de l’intérieur. Nous nous trouvons en pleine contradiction : l’Europe nous oblige à traiter tout le monde de la même manière et, en cherchant à nous conformer à cette obligation, nous mettons un désordre terrible en France. Le système finira peut-être par rapporter de l’argent, mais sans doute pas en termes de PIB.

J’ai l’impression que nous nous y sommes pris à l’envers. Au lieu de traiter les exceptions, peut-être vaudrait-il mieux faire payer tout le monde, sur toutes les routes. Plus je vous écoute, plus je pense que nous sommes face à la quadrature du cercle. Si les promoteurs du système, que nous avons entendus ce matin, nous ont convaincus de l’intérêt de cette technologie dans divers domaines, de votre côté, je pense que vous vous en sortirez très mal.

M. Roland Bacou. On n’a pas besoin d’une taxe pour contrôler, il y a déjà beaucoup de moyens pour cela. Je suis d’accord avec vous, pour gagner trois sous demain, on va mettre à mal toute une économie, déjà affectée par le cabotage, alors qu’elle pourvoit et de l’activité et des emplois. Je ne comprends pas pourquoi on veut affaiblir une profession jusqu’à la faire mourir – parce que c’est ce qui va arriver dans cinq à dix ans. Dans ce pays, on ne voit pas à moyen terme, juste à demain.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’entends ce que vous dites, en particulier sur la situation des petites entreprises du secteur. Le système de la majoration forfaitaire permet tout de même de régler les problèmes entre transporteurs et chargeurs en imposant le report sur les chargeurs de la majoration forfaitaire.

Mme Catherine Pons. Le dispositif de la majoration forfaitaire nous convient, mais nous avons déjà vécu une expérience similaire avec la surcharge gasoil, en 2006. Si, dans un premier temps, la mise en place s’est plutôt bien passée grâce à l’arsenal juridique qui l’accompagnait, dans un deuxième temps, on s’est aperçu que, progressivement, cette surcharge gasoil était passée du pied au haut de facture et qu’elle redevenait un élément de négociation. Nous avons payé pour apprendre, et nous savons que l’arsenal juridique qui encadre la majoration forfaitaire sera insuffisant. Dans nos discussions avec nos chargeurs des prix de transport, on nous oppose que nous allons faire de la marge avec la majoration parce qu’elle n’est pas égale au prix de la taxe. Nous devons faire un gros travail de pédagogie pour fournir à nos adhérents, qui sont de petits transporteurs,  les éléments leur permettant d’expliquer aux acheteurs tout le mécanisme de la taxe poids lourd et de la majoration, et de les convaincre.

Nous sommes satisfaits de la majoration mais, si une autre taxe arrive demain, le mécanisme actuel ne sera pas suffisant. Il vous faudra inventer un autre moyen pour que les chargeurs la paient vraiment aux petits transporteurs. Sinon, je peux déjà vous dire ce qui va se passer : soit leurs factures leur seront payées déduction faite de la taxe poids lourd, soit le chargeur mettra leurs factures en attente pendant un mois, deux mois, sans jamais dire qu’il refuse de payer la taxe mais en les incitant à se montrer raisonnables sur certains éléments de prix. Les transporteurs auront beau avoir la loi avec eux et le chargeur encourir une amende de 15 000 euros, ils savent très bien qu’ils ne l’emmèneront jamais devant le tribunal car ils le perdraient. Au bout de deux mois – s’ils ont tenu jusque-là –, ils vont lâcher, pressés quotidiennement par leur banquier de remonter leur trésorerie. Vraiment, trouvez un dispositif assez puissant pour que les chargeurs paient cette taxe, car ils sont loin d’y être prêts.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le mécanisme de la surcharge gasoil fonctionne bien, avez-vous dit.

Mme Catherine Pons. Les premiers temps, oui. Aujourd’hui, il est retombé dans la négociation.

M. Roland Bacou. Pour que nos confrères comprennent comme nous nous battons pour eux, je leur demande régulièrement d’ôter la récupération TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) de leurs 0,8 ou 1 %, exceptionnellement 1,1 ou 1,2 %, de bénéfices. Curieusement, les bilans sont alors négatifs. Il ne faut donc pas cracher dans la soupe sur cette question de la surcharge carburant, même si elle n’est pas appliquée comme elle devrait l’être.

Pour la majoration forfaitaire, le texte prévoit bien une amende de 15 000 euros, mais qui va constater les manquements ? Depuis des années, j’encourage les ministres des transports – d’abord M. Bussereau, puis M. Mariani et maintenant M. Cuvillier – à envoyer dans les bourses de fret, deux ou trois heures par jour ou une journée par semaine, un agent de de la DGCCRF qui se ferait passer pour un transporteur. Il verrait qu’on lui refuserait la surcharge carburant, qu’on le ferait tourner à des prix abusivement bas, qu’on lui imposerait des délais de paiement à soixante ou quatre-vingt-dix jours. Il trouverait tous les éléments pour taper un bon coup ! Si la DGCCRF et le ministère faisaient leur travail, après deux ou trois amendes de 15 000 euros, le chargeur finirait par demander à son responsable du transport de ne plus jouer à essayer de gagner 200, 50 ou 20 euros sur un transport. S’il y a des textes, ceux qui ont à les faire appliquer ne font pas leur travail, sauf quand il s’agit d’infliger une amende de 90 euros à un camion dont l’extincteur est périmé depuis trois jours. Là, c’est évidemment facile !

Cette façon de sacrifier la profession me fait bondir, au point que je me demande si ce n’est pas volontaire, parce que le coût de la protection dont elle a besoin serait trop élevé. Si c’est cela, c’est bien plus grave que je ne le pensais.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avons bien compris qu’il faut donner des moyens à la DGCCRF.

M. Gilles Savary. Si elle est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, l’écotaxe ne semble que très marginalement liée aux difficultés du pavillon français. Je conviens avec vous que tout un ensemble de dérégulations européennes a été mal géré, avec notamment pour résultat que le coût d’un chauffeur polonais représente 34 % du coût d’un chauffeur français.

Vous vous dites favorables à la majoration forfaitaire, mais ajoutez tout de suite après qu’elle est l’objet d’un rapport de forces qui vous échappe. Ce n’est pas avec la DGCCRF qu’on gérera ce problème parce que si le chargeur est amené à payer la majoration forfaitaire, c’est le prix de transport qui servira de variable d’ajustement et la pression commerciale continuera. La difficulté de reporter sur le chargeur, c’est que, pour des questions de souveraineté, on ne peut pas taxer les étrangers. Comment pourrions-nous aller taxer un Roumain, alors que nous-mêmes n’avons jamais vu débarquer les Allemands pour taxer un chargeur français.

M. Jean-Pierre Gorges. Réinstallons les douanes !

M. Gilles Savary. Et pourquoi ne pas abolir l’Europe ! Mais ce serait encore un choc pour le transport routier, dont il ne faut pas oublier qu’il est, en termes de volume d’affaires, le premier bénéficiaire du marché intérieur. Qu’il soit mal organisé et même en train de s’auto-liquider, c’est autre chose. On n’a jamais autant transporté par route. Les transporteurs ne sont pas victimes de l’Europe mais de la dérégulation sociale et fiscale.

Imaginons que l’on renonce à l’écotaxe, trop compliquée à mettre en place, au profit d’une taxe carbone sur le gasoil. À mon avis, cela vous ferait encore plus bouillir.

M. Roland Bacou. Nous ne sommes pas dupes, nous savons très bien qu’en cas d’abandon de l’écotaxe, c’est la taxe carbone qui nous pend au nez. Ce serait encore plus grave. Nous ne pouvons pas être favorables à quelque taxe que ce soit, mais l’écotaxe assortie de la majoration forfaitaire, pourvu qu’elle soit bien encadrée et appliquée à tout le monde, serait un moindre mal. Mais, de grâce, pesons tout pour ne pas trop affecter le vecteur économique qu’est le transport français !

On ne pourrait pas taxer un chargeur roumain, dites-vous ; mais le problème est le même avec la majoration forfaitaire puisque de plus en plus d’entreprises délocalisent vers le Luxembourg, la Belgique, la Suisse et ailleurs. Les factures sont adressées dans ces pays, et qui va aller contrôler là-bas ? Avec une déperdition dans les deux sens, la situation est bloquée. En tout cas, il ne serait pas acceptable que, une fois de plus, le Français paie et pas l’étranger. Si c’est cela, demain nous sommes dans la rue.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il faut reconnaître que c’est une vraie difficulté. Force est de constater que plus notre réflexion avance, plus elle s’obscurcit. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous défaire de deux contraintes : la réglementation européenne et le dispositif technique, juridique et financier arrêté dans le cadre du contrat Ecomouv’.

Madame, Monsieur, il me reste à vous remercier d’avoir accepté notre invitation.

Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Cavagné,
président de la fédération nationale des travaux publics (FNTP)

(Séance du mercredi 5 février 2014)

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, je voudrais rappeler au préalable que je vous ai adressé le 6 décembre dernier deux courriers concernant des personnes que nous aurions intérêt à auditionner : M. Philippe Mangin, président de Coop de France, et les institutionnels de Bretagne comme les chambres d’agriculture et tous ceux qui se sont investis dans le mouvement contre l’écotaxe et sont à bien des égards à l’origine de nos travaux. Quelle suite comptez-vous réserver à ces demandes ?

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je puis déjà vous dire que nous recevrons les dirigeants de Coop de France le 10 avril prochain.

Ce matin, nous accueillons M. Bruno Cavagné, le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui est accompagné par de proches collaborateurs.

M. Cavagné dirige une société familiale basée à Toulouse. Il préside la FNTP depuis septembre 2013, date à laquelle il a succédé à M. Patrick Bernasconi devenu Vice-président du MEDEF.

Monsieur le président, la problématique de l’écotaxe concerne naturellement votre secteur, qui compte 270 000 salariés.

En premier lieu, la FNTP a fait part de ses interrogations sur la sauvegarde du financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Devant notre mission, M. Cazeneuve, ministre en charge du budget, a clairement indiqué qu’un report durable de l’écotaxe, a fortiori son abandon, impliquerait une révision de certaines priorités d’investissement.

La semaine suivante, M. Claudy Le Breton, le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), nous a fait part de la réduction des ressources disponibles à ce niveau pour l’entretien du réseau routier. Sur 100 euros de chiffre d’affaires dans les travaux publics, le « bloc collectivités locales », qui est de très loin votre premier client, en représente près de 45 euros. Nous comprenons donc l’inquiétude de vos entreprises !

En tant qu’élus, nous les connaissons bien. En dehors de quelques grands groupes internationaux, les entreprises françaises de travaux publics sont à 80 % des petites structures qui travaillent notamment sur des marchés d’entretien, souvent à l’échelle locale.

En second, lieu, vos entreprises ont également une importante activité de transport, le plus souvent pour compte propre.

Ainsi, elles ont pu légitimement s’interroger sur les conditions de la répercussion de l’écotaxe « en pied de facture », même si le secteur paraît principalement concerné par des transports de matériaux sur de courtes distances.

Comment, par exemple, prendre en compte les multiples rotations de camions pour approvisionner un chantier ?

Par ailleurs, il peut être difficile dans vos métiers de distinguer, pour une prestation donnée, ce qui relève précisément des coûts de transport.

Vous nous préciserez donc vos inquiétudes et, peut-être, dessinerez-vous quelques pistes de proposition.

M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Merci de nous recevoir. Je vais d’abord faire un point de conjoncture pour vous expliquer l’importance pour nous de l’écotaxe et du financement des infrastructures.

Notre activité représente 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et, en effet, 270 000 salariés. 80 % de nos entreprises ont moins de 20 salariés et 70 % de notre activité dépend de la commande publique, dont 45 % de celle des collectivités locales, qui sont effectivement notre premier client. Au cours des six dernières années, nous avons enregistré 20 % de baisse d’activité, avec trois conséquences immédiates : une perte de 15 000 salariés depuis 2008 ; un taux de marge qui n’a jamais été aussi bas, soit 1,7 % en 2012 ; un taux de défaillance des entreprises qui est passé de 8 % en 2008 à 20 % en 2012.

Nous avons essayé de comprendre la politique des infrastructures en France et son mode de financement. Nous avons eu d’abord le schéma national des infrastructures de transport (SNIT), fort de 245 milliards d’euros et de 70 projets, qui nous a donné quelques espoirs – certainement beaucoup trop ! Puis on est revenu sur terre, nous a-t-on dit, avec le rapport « Mobilité 21 » résultant d’un travail présidé par M. Philippe Duron, qui a prévu 30 milliards d’euros. L’idée était d’avoir un budget de l’AFITF constant avec en plus 400 millions d’euros à partir de 2017. En juillet dernier, le Premier ministre nous a dit que c’était notre nouvelle feuille de route.

Mais, depuis, nous avons enregistré de nombreuses annonces : celle d’une deuxième ligne LVG Bordeaux-Dax-Hendaye par le ministre des transports ; le rapport sur le Grand contournement de Strasbourg, qui a dit l’inverse du rapport Duron ; celui de votre collègue Rémi Pauvros, préconisant la réalisation du canal Seine-Nord, compte tenu de ce que les aides européennes sont passées de 6 à 40 % ; la réalisation de la ligne Lyon-Turin, actée par votre Assemblée, et dont le budget a grimpé de 12 à 26 milliards d’euros ; ou encore les travaux supplémentaires de 3 milliards d’euros promis par le Premier ministre à Marseille.

Je serais ravi si tout cela était réalisé. Cependant, le Gouvernement a fait en même temps quatre annonces : une baisse de la dotation à l’AFITF de 660 à 330 millions d’euros ; la suspension de l’écotaxe, qui devait rapporter 800 millions ; une ponction sur les agences de l’eau de 210 millions ; et une réduction d’1,5 milliard par an de la dotation aux collectivités locales, qui se traduit par 330 millions d’euros d’investissements en moins. Cela représente en tout 1,4 milliard d’euros d’activité en moins au départ pour nous.

Si on prend en compte également les effets de levier, c’est-à-dire le fait que les contrats de plan État-région alimentés par l’AFITF sont aujourd’hui suspendus et que Voies navigables de France (VNF) se trouve dans l’incapacité de boucler son budget, vous pouvez comprendre notre inquiétude quand nous avons appris que l’écotaxe était suspendue.

Nous sommes aujourd’hui en conséquence très inquiets. Pour 2014, compte tenu de ces annonces, nous pouvons nous attendre à 12 000 emplois de moins. Notre activité est réellement menacée.

S’agissant de l’écotaxe, si on considère qu’il faut la supprimer – ce qui n’est évidemment pas mon avis –, cela signifie qu’on n’a plus de volonté politique en matière d’infrastructures. Car une telle suppression entraînerait la disparition de l’AFITF, ce qui fera peut-être la joie de Bercy ! Pour 2014, 90 % du budget de l’AFITF est déjà engagé. Si on ne trouve pas de solution, certaines entreprises pourraient ne pas être payées.

J’ai proposé que l’État réduise certaines des participations qu’il détient pour alimenter l’AFITF, mais un éminent spécialiste de Bercy m’a dit que ce n’était pas possible car cela reviendrait à créer de la dette « maastrichtienne ». Cela dit, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas doter des sociétés en capital.

Si on part du principe qu’on ne peut se passer de l’écotaxe, les solutions sont en nombre limité. En premier lieu, on pourrait remonter le seuil de taxation en le faisant passer de plus de 3,5 tonnes à 8 ou 12 tonnes. Pour compenser ce que l’on perdrait ainsi d’un côté, on pourrait prévoir, d’un autre, une taxe additionnelle régionale en vue de favoriser une véritable volonté politique des régions.

Je ne suis pas pour une régionalisation complète de la taxe car cela constituerait un retour en arrière en termes d’aménagement du territoire. Je rappelle que, lors de ces dix dernières années, lorsque l’Île-de-France enregistrait une augmentation de 25 % d’activité en matière d’infrastructures, le Limousin connaissait une baisse dans la même proportion. Il nous faut donc conserver une véritable politique nationale d’aménagement du territoire.

Une autre solution serait de changer l’assiette de l’écotaxe. Il y a en France 1 million de kilomètres de routes nationales et départementales et d’autoroutes. Or l’écotaxe et les autoroutes concernent 23 000 kilomètres : un tel écart pourrait donner lieu à réflexion.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il y a de fait une certaine contradiction entre certaines décisions tendant à accroître les besoins financiers et d’autres tendant à réduire les budgets mobilisés en faveur des infrastructures nationales.

L’idée de la régionalisation de la taxe a déjà été évoquée par d’autres acteurs. Vous avez raison de dire qu’il faut que la plus grosse partie de l’écotaxe ou de l’« éco-redevance » serve à mettre en œuvre une politique nationale des infrastructures. Reste que les régions pourraient, pour financer une partie de leurs propres infrastructures – routières, mais aussi ferroviaires – bénéficier d’une partie de celle-ci.

M. Jean-Pierre Gorges. Je comprends bien vos préoccupations mais il ne faudrait pas laisser penser aux Français que l’écotaxe sert à maintenir votre activité. Il s’agit d’une démarche globale fondée sur le principe utilisateur-payeur, au même titre que celui du pollueur-payeur.

Il faut aussi éviter que l’idéologie ne prenne le dessus. Je rappelle que l’autoroute est financée par l’usager. Sur un projet auquel je réfléchis, portant sur environ 1 milliard d’euros, l’État doit verser une subvention d’équilibre de 30 millions et il touchera 200 millions d’euros de TVA sur les travaux. Le produit fiscal net de cette opération sera donc de 170 millions d’euros. Or cette écotaxe ne concerne qu’un réseau secondaire au regard des grandes artères du pays : il ne faudrait pas qu’on inverse le rôle joué par cet outil.

M. Bruno Cavagné. Si je suis là pour défendre les intérêts des entreprises de travaux publics, mais penser que nous ne soutenons l’écotaxe que pour faire valoir des intérêts de cette nature n’est pas imaginable.

Je ne suis d’ailleurs pas un défenseur de l’écotaxe pour elle-même : je dis simplement qu’elle devait permettre de financer des infrastructures. Et je rappelle que l’AFITF devait être alimentée par les dividendes des sociétés d’autoroutes.

Sur 220 000 ponts routiers en France, on en met un « hors service » chaque jour par manque d’entretien. En outre, la durée de coupure d’électricité, atteint maintenant 70 minutes par an et par abonné, elle a augmenté de 30 % entre 2012 et 2013. Nous avons donc de réels besoins à satisfaire.

Or on sait que le développement des travaux publics conditionne depuis longtemps celui de notre pays. Je suis donc d’accord pour réfléchir à un financement global des infrastructures : encore une fois, je ne défends pas l’écotaxe dans le seul but de servir les intérêts de nos seules entreprises !

M.  Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il n’y a pas de malentendu à cet égard.

M. Gilles Savary. Je suis d’accord avec Jean-Pierre Gorges. Mais il ne faut pas croire que l’écotaxe sert à taxer à tout prix la population. On a décidé de retirer à l’État certaines dépenses, dans le cadre des nécessaires efforts de diminution de la dépense publique, et de trouver des financements de substitution pour un certain nombre de ses missions, dont celle d’entretenir nos réseaux d’infrastructures.

Dans une période où existe une certaine aversion à l’égard d’infrastructures nouvelles, l’AFITF est de fait en danger si on n’arrive pas à trouver une recette pour compenser la suspension de l’écotaxe. Il s’agit d’un outil opportun, permettant d’utiliser des recettes d’affectation spéciale au financement des infrastructures. Mais il fonctionne en dehors de toute doctrine de l’impôt, notamment de son principe d’universalité, et Bercy l’abhorre. D’ailleurs, depuis que l’agence est en place, elle est sous les foudres de celui-ci et de la Cour des comptes : à la moindre occasion, ils nous expliqueront que s’il n’y a plus de recettes, plutôt que de recourir à une subvention d’équilibre de l’État, il vaut mieux supprimer cette instance – ce qui pourrait entraîner de grosses difficultés.

Cet outil a donné de la visibilité, de la stabilité et de la prévisibilité au financement des infrastructures, dont dépendent les travaux publics, mais aussi les collectivités locales, qui mettent en place les réseaux de transports collectifs dans des agglomérations. S’il était fragilisé, il faudrait chaque année batailler dans le cadre de l’examen du budget de l’État pour assurer un certain niveau de financement de ces infrastructures, alors que nous nous sommes déjà engagés sur d’assez longues durées dans ce domaine.

Par ailleurs, s’il n’y avait pas d’écotaxe, il faudrait trouver une recette de substitution. À défaut, cela aurait des conséquences considérables sur l’investissement public et l’entretien du réseau existant. Au-delà des solutions que vous évoquez, n’en existe-t-il pas une troisième : accroître le prélèvement sur les autoroutes ?

Enfin, comment voyez-vous l’écotaxe en tant que client de transporteurs ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Aucune véritable étude d’impact n’a été réalisée sur l’écotaxe, ce qui soulève des difficultés.

Mais, s’agissant du report du trafic vers les autoroutes, il ressort des analyses qui ont été faites que le trafic sur ces voies devrait augmenter et que le chiffre d’affaires correspondant devrait, selon le ministère, s’accroître d’un montant compris entre 200 et 400 millions d’euros.

Concernant la modification du tonnage, la directive « Eurovignette » prévoit un seuil de 3,5 tonnes. Si demain nous passions à 7 ou 12 tonnes, il faudrait donc le justifier.

M. Marc Le Fur. Monsieur Cavagné, j’ai mieux compris votre réponse à M. Gorges que votre propos initial. Certains propos pourraient en effet être interprétés comme justifiant une écotaxe dont certains de vos collègues chefs d’entreprise ne veulent pas. Si on comprend vos besoins, qu’ils soient financés par le biais de l’écotaxe ou d’une autre recette importe guère. Ce qui compte est que l’on dispose bien des fonds publics permettant de réaliser l’investissement routier.

Deuxièmement, votre activité existait bien avant l’écotaxe et les difficultés que vous évoquez sont antérieures à la suspension de celle-ci. Établir un lien de causalité entre vos difficultés et cette suspension est donc sans fondement.

Troisièmement, passer de 3,5 à 12 tonnes n’est pas objectivement pertinent. D’autres recettes sont envisagées. On a évoqué l’importance du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) : ne peut-on utiliser une partie des 2,5 milliards d’euros dont bénéficie, à ce titre, la grande distribution en faveur des infrastructures ?

Enfin, vous indiquez que vos donneurs d’ordres voient leurs recettes baisser au titre de l’écotaxe : je souhaiterais que vous manifestiez la même protestation au sujet des autres recettes en diminution. La réduction d’1,5 milliard d’euros de la dotation aux collectivités locales a assurément beaucoup plus d’impact que la suspension de l’écotaxe !

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai l’impression qu’il y a une opposition entre le système autoroutier et le système routier classique, l’écotaxe ne pouvant être appliquée sur les autoroutes. Ne devrait-on pas avoir une politique s’appuyant sur une généralisation des prélèvements sur les autoroutes, dont l’État récolterait les fonds au niveau national, qu’il redistribuerait en partie pour financer les routes secondaires ? Nous sommes passés à un système inverse, alors que nous avions un produit simple géré par les péages. J’estime, même en tant que libéral, que l’autoroute relève du domaine régalien.

M. Éric Straumann. Je souhaiterais que nous retenions un seuil de 12 tonnes comme l’Allemagne pour éviter des équipements différents d’un pays à l’autre et permettre une uniformisation au niveau européen. La réglementation communautaire ne semble pas poser de problème à ce pays.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il y est envisagé de passer à 7 tonnes.

M. Éric Straumann. Dans la mesure où il y a une harmonisation européenne, j’en suis d’accord.

Je rappelle que les autoroutes ne sont pas toutes concédées ou gratuites. Par ailleurs, les entreprises de travaux publics que j’ai reçues étaient réticentes vis-à-vis de l’écotaxe et j’ai dû leur expliquer qu’elles en seraient les premières bénéficiaires. Vous avez sans doute un effort supplémentaire de pédagogie à faire à leur égard.

De même, le secteur agricole doit prendre conscience que le coût du transport peut être un avantage concurrentiel pour la production locale.

M. François André. Votre propos liminaire, Monsieur Cavagné, a rappelé l’utilité sociale de l’impôt et son effet de levier économique, ce qui n’est pas inutile dans le climat de démagogie qui règne actuellement sur certains bancs !

Vous avez évoqué une perte d’environ 300 millions d’euros d’investissement public local : comment se décompose ce chiffrage ? Ne fait-il pas abstraction des cycles d’investissement local, lequel est, on le sait, corrélé au calendrier électoral ?

M. Olivier Faure. Monsieur Cavagné, merci d’avoir montré l’impact de l’écotaxe sur les entreprises de travaux publics : nous devons en tenir compte.

Je ne souhaite pas ouvrir une polémique avec nos collègues de l’opposition mais je voudrais relever certains propos paradoxaux, dont certains me choquent. En effet, je m’étonne lorsque j’entends certains ayant soutenu le SNIT, dont le projet était pharaonique, s’opposer aujourd’hui à un financement pouvant correspondre, même de façon réduite, à ce qu’ils avaient pu souhaiter et aux priorités du rapport Duron.

De même, je m’étonne d’entendre parler de nationalisation de la part de ceux qui ont hier privatisé les autoroutes et se plaignent aujourd’hui d’un manque à gagner, d’autant que je vois mal avec quels moyens ils pourraient nationaliser des autoroutes encore concédées pour des années.

La véritable question est de trouver un financement alternatif, sachant que nous avons besoin d’infrastructures, qu’il s’agisse de travaux d’entretien ou de construction. Ce financement passe soit par la création d’une taxe affectée, comme l’écotaxe, soit par la mobilisation du budget de l’État et l’augmentation de taxes non affectées. À cet égard, l’écotaxe présente l’avantage de reposer sur le principe de l’utilisateur-payeur : à défaut, on ferait payer des infrastructures à l’ensemble des contribuables alors qu’ils ne les utilisent pas tous de la même façon. Un camionneur étranger empruntant les routes nationales françaises serait ainsi obligé de payer l’écotaxe servant à leur financement. L’autre avantage de celle-ci est de permettre aux transporteurs de la répercuter sur les chargeurs, plutôt que d’avoir demain une augmentation d’impôt ou de taxes payés par toutes les entreprises sans répercussion possible sur les donneurs d’ordres. Ce principe est également important, d’autant qu’il permettrait de faire contribuer la grande distribution.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. De fait, le principe utilisateur-payeur s’apparente au principe pollueur-payeur : la définition du taux de l’écotaxe tient compte des normes Euro.

M. Thierry Benoit. Je suis convaincu que si le Parlement a fait le choix, à la quasi-unanimité, de la mise en œuvre de l’écotaxe, c’est parce qu’il avait compris la nécessité de la conversion écologique de la fiscalité. Il ne s’agit pas d’instaurer une fiscalité « piégeuse », mais d’organiser le report modal et de faire évoluer les pratiques dans le temps.

Si votre fédération regroupe des contributeurs mais aussi des bénéficiaires de l’écotaxe, vos propos ne sont pas ressentis partout de la même manière : les entreprises de travaux publics, qui ont davantage une activité locale, se trouvent dans la situation du contributeur et comprennent mal les bénéfices de ce prélèvement ni comment faire évoluer les pratiques.

Nous disposons de différentes pistes possibles de mise en œuvre de cette taxe, dont nous commençons à identifier des contributeurs potentiels, comme la grande distribution ou les sociétés de péage et de gestion des autoroutes. Par exemple, avez-vous réfléchi au sein de votre fédération à une approche par filières pour voir comment l’écotaxe pourrait frapper le grand transit national et international et comment renforcer les dispositions d’allègement de taxation au niveau des régions ? On pourrait avoir une écotaxe « socle », de base, nationale, et une modulation pour les régions voire certaines filières.

Monsieur le président Chanteguet, je rappelle, pour faire suite aux propos de Marc Le Fur, que vous avez été saisi par un collectif d’entrepreneurs bretons : je souhaite que notre mission puisse auditionner tous ceux désirant nous exposer la façon dont ils perçoivent l’écotaxe. La meilleure manière de faire accepter celle-ci est en effet qu’elle soit bien comprise de tous.

M. Bruno Cavagné. Je rappelle d’abord que les infrastructures sont un facteur de compétitivité de nos entreprises.

S’agissant des concessionnaires d’autoroutes, une partie de leurs filiales fait partie de notre fédération. Comme elles payent déjà la redevance domaniale, je ne sais pas si elles seraient ravies de payer aussi l’écotaxe…

Il y a eu en effet un manque de pédagogie sur l’écotaxe et j’ai dû moi-même déployer beaucoup d’efforts dans ce domaine au sein de ma fédération, les entreprises de travaux publics n’ayant pas toutes pris conscience que cette taxe allait financer une partie de nos infrastructures. Leur problème était surtout de savoir comment la refacturer. J’ai demandé à Bercy qu’elles puissent le faire en « pied de facture » : si on y parvient, elles seront satisfaites.

Nous n’avons pas travaillé sur les filières, mais augmenter le seuil de tonnage pourrait être une idée intéressante.

Je suis choqué d’entendre qu’il n’y aurait pas de lien entre la baisse de notre activité et l’écotaxe : je rappelle que, jusqu’à présent, l’AFITF était financée ! Si on ne trouve pas de solution de remplacement à l’écotaxe, nous allons nous trouver dans une situation intenable, avec de nombreux chômeurs de plus – ce que nous ne pouvons accepter. En revanche, que l’usager paye ne me choque pas.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je rappelle que l’AFITF, dont le budget global s’élève à 2, 2 milliards d’euros, est financée par plusieurs ressources : la redevance domaniale versée par les sociétés d’autoroutes, qui est passée de 100 à 300 millions d’euros ; la taxe d’aménagement du territoire, prélevée sur les concessionnaires d’autoroutes, qui rapporte 610 millions d’euros ; et une partie du produit du dispositif de contrôle et de sanction automatisés que constituent les radars fixes, pour 227 millions d’euros. Si demain ce budget n’est pas alimenté par les recettes de l’écotaxe, il sera très déséquilibré, alors que l’AFITF a déjà pris de nombreux engagements.

M. Gilles Lurton. Monsieur Cavagné, vous avez dit que l’écotaxe ne constituait plus un problème si elle pouvait être refacturée au client. Or, tous les transporteurs que nous avons reçus nous ont exprimé les difficultés qu’ils auraient à opérer cette refacturation, les pertes de marge que celle-ci entraînerait – sans parler des entreprises exportant « franco de port » qui sont dans l’impossibilité de réaliser cette opération. Il s’agit d’un problème majeur.

M. Bruno Cavagné. Il s’agit essentiellement d’un problème technique, qui doit pouvoir être réglé. Si on garantit aux entreprises de travaux publics qu’elles peuvent refacturer l’écotaxe, les trois quarts des problèmes seront résolus.

Monsieur André, les 300 millions d’euros de baisse des investissements en travaux publics correspondent à environ 20 % de la diminution d’1,5 milliard de la dotation aux collectivités locales. S’ajoute à cela le fait que les périodes électorales prévues en 2014 et 2015 ne sont pas très propices pour notre activité, alors que 2013 a été l’année préélectorale la moins faste depuis trente ans.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le fait de faire figurer le coût du transport « en pied de facture » permettrait-il de répondre à vos difficultés et à vos interrogations ?

M. Bruno Cavagné. Nous avons demandé à Bercy, sans avoir été entendus, que l’on puisse faire figurer chaque mois le coût réel en « pied de facture ». Je le répète : si on y arrive, avec un peu de pédagogie, on parviendra à régler l’essentiel des problèmes.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur Faure, il n’y a pas lieu d’entrer dans des clivages politiques si on veut faire un travail objectif.

Je pense qu’on va se diriger vers deux systèmes routiers opposés : le système autoroutier et le système éligible à l’écotaxe. Le fait que celle-ci entraîne un report de trafic de l’un vers l’autre montre qu’ils seront en concurrence.

De toute façon, le coût sera répercuté sur le client, et la grande distribution, comme tous les autres secteurs, le refacturera.

Mme Catherine Beaubatie. La plupart du temps, les entreprises mettent l’accent sur les déplacements de courte distance pour alimenter des réseaux commerciaux ou des chantiers. Vos services ont-ils travaillé à une évaluation des déplacements de la plupart de vos entreprises entre les régions et au sein de chacune d’elles ? Si oui, ces données sont-elles disponibles ?

M. Gilles Savary. Nous n’avons pas les moyens de nationaliser les autoroutes, compte tenu de leur valeur et de la durée des concessions, même si je peux comprendre qu’on n’aurait jamais dû s’en séparer.

Si aussi peu de réseaux sont soumis à l’écotaxe, je crains que le report de trafic ne soit massif. Pour le grand transit international, il serait plus avantageux de prendre l’autoroute, quitte à payer un peu plus cher, car cela est plus rapide. Une solution consisterait donc à étendre l’assiette à tout le réseau.

Je ne sais si la directive « Eurovignette » nous interdit de cumuler deux taxes, car les Européens ont toujours distingué et estimé compatibles la taxation de renouvellement des infrastructures et la taxation des effets externes – tels que la congestion ou la pollution –, qui est la cible de l’écotaxe. Il faudrait donc examiner la nature précise d’un péage autoroutier pour être sûr qu’on ne peut étendre l’écotaxe aux autoroutes.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. On me dit que c’est techniquement impossible, ce qui n’empêche pas de continuer à y réfléchir.

M. Bruno Cavagné. Madame Beaubatie, nous sommes en train de collecter des données sur les déplacements de nos entreprises.

Au-delà de l’écotaxe, il convient de réfléchir au financement des infrastructures, qu’il faut peut-être remettre à plat. Reste que nous sommes confrontés au problème urgent de notre activité pour l’année à venir, qui justifie, en attendant, une solution de court terme.

À cet égard, je ne peux que vous inviter à conserver des taxes dédiées, car lorsque cela passe par Bercy, c’est catastrophique !

M. Olivier Marleix. Que la mise en place de l’écotaxe entraîne un report sur le réseau autoroutier n’est pas une découverte. Mais en taxant le réseau autoroutier, on maintiendrait la situation actuelle, dans laquelle le réseau routier secondaire coûte moins cher que le réseau autoroutier, avec les effets d’éviction que l’on connaît – ce qui ne me paraît pas souhaitable.

En termes de financement des infrastructures routières, il y a bien un moment où il faudra choisir entre l’écotaxe et la concession autoroutière. Or il est difficile d’être à la fois contre l’écotaxe et contre les autoroutes – je rappelle que la Commission Duron était défavorable à celles-ci.

Enfin, j’émets une réserve sur le fait que le produit de l’écotaxe puisse, par l’intermédiaire de l’AFITF, servir à financer du transport urbain : cela s’éloignerait du but de la taxe.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Girot, président du groupe de travail « véhicules industriels et véhicules utilitaires » du comité stratégique de la filière automobile, représentant le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), de M. Jean-Pierre Robinet et Mme Sandrine Marcot (Fédération française de la carrosserie), de MM. Jacques Bruneel et Emmanuel Puvis de Chavanne (Conseil national des professions de l’automobile) et de M. Thierry Archambault (Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle)

(Séance du mercredi 5 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons, ce soir, les représentants du groupe de travail « véhicules industriels et véhicules utilitaires » du Comité stratégique de la filière automobile mis en place par les États généraux de l’industrie. La mission a répondu favorablement à leur demande d’audition.

Nous vous remercions d’avoir constitué une délégation composée à la fois de constructeurs, de professionnels de la carrosserie, d’importateurs, de vendeurs et de ceux qui assurent l’après-vente de camions. Au total, en « amont » du secteur du poids lourds, vos activités représentent en France plus de 160 000 emplois.

En dépit d’une reprise de l’activité au dernier trimestre 2013, les perspectives de vente de poids lourds neufs demeurent incertaines malgré un vieillissement du parc dont l’âge moyen est passé de 5,1 ans en 2009 à 6,7 ans en 2013. L’écotaxe doit favoriser l’émergence des véhicules les plus performants qui relèvent de la norme Euro 6. Nous serons d’autant plus attentifs à vos propositions qu’il semble que notre pays a effectivement du retard dans ce domaine. Vous allez sans doute nous expliquer pourquoi et vous pouvez aussi nous suggérer des pistes qui permettraient de redresser la situation. L’instauration progressive d’une fiscalité écologique n’est pas a priori contradictoire avec des préoccupations d’efficacité et de compétitivité sectorielles. Bien au contraire.

M. Jean-Claude Girot, président du groupe de travail « véhicules industriels et véhicules utilitaires » du Comité stratégique de la filière automobile, représentant le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA). Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous avoir invités à nous exprimer dans le cadre de votre mission.

La filière « camion » représente 800 000 emplois en France qui se répartissent pour moitié entre l’aval de la filière – le transport routier de marchandises – et l’amont – les industriels et les commerçants, dont 164 000 dans la construction, la vente, la réparation et la location de véhicules industriels, de carrosseries et de semi-remorques. Des constructeurs français et étrangers produisent des camions, des cars et des bus en France, par exemple Renault Trucks à Blainville et Bourg-en-Bresse, mais aussi à Lyon ou Limoges ; Iveco Bus à Annonay ; Heuliez Bus à Rorthais ; Scania à Angers et Mercedes à Ligny-en-Barois. Des carrossiers constructeurs fabriquent des remorques, des semi-remorques et des carrosseries de véhicules « made in France », tels Chéreau à Avranches, Lamberet à Bourg-en-Bresse, Gruau à Laval, Magyar à Dijon, Benalu à Liévin, Frappa à Davezieux. Cette énumération atteste l’ancrage territorial de l’activité. Des groupes de distribution et réparation, 1 500 professionnels de la maintenance, offrent en tout point du territoire une assistance continue à un parc de 800 000 véhicules. Vous l’aurez compris, la filière camion ne se résume donc pas au transport routier.

Fort de ce constat, un groupe de travail poids lourds rattaché au Comité stratégique de la filière automobile (CSFA) s’est constitué depuis deux ans. Ce groupe est directement relié au ministère du redressement productif, puisque le ministre préside lui-même le CSFA. Il associe toutes les composantes de la filière poids lourds. C’est à ce titre que m’entourent aujourd’hui Thierry Archambault, président délégué de la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle (CSIAM), organisation représentative entre autres des filiales françaises des constructeurs étrangers de poids lourds ; Jean-Pierre Robinet, mon prédécesseur à la tête de notre groupe de travail, en sa qualité de vice-président de la Fédération française de la carrosserie (FFC), seule organisation représentative des carrossiers constructeurs ; Jacques Bruneel, président du Conseil national des professions de l’automobile – branche « véhicules industriels » (CNPA-VI), organisation représentative des professionnels de la vente et de la maintenance de poids lourds. Je suis pour ma part représentant du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), dont est membre le constructeur de camion national, Renault Trucks, dont je suis le directeur des affaires publiques.

L’écotaxe, je l’appelle ainsi par facilité de langage, aura, quoi qu’il advienne, un impact très fort sur le marché du véhicule industriel, donc sur ses métiers et ses emplois. Or, si le marché est resté à peu près stable en 2013 avec 43 000 unités vendues, le marché risque d’être particulièrement médiocre cette année, les perspectives se situant dans une fourchette comprise entre 38 000 et 41 000 immatriculations. On s’approche dangereusement des niveaux historiquement bas que nous avons connus lors des crises de 1993 et 2009. Avant la crise, en 2008, 58 000 camions avaient été immatriculés. Les deux années suivantes, le chiffre était tombé à 37 000, puis à 34 000. En toute hypothèse, le marché du poids lourd souffrira du contexte économique, mais également des incertitudes réglementaires.

En effet, la courbe des prises de commandes de véhicules industriels au cours de l’année 2013 révèle un marché atone jusqu’à la parution de la tarification de la taxe poids lourds, puis le rythme des commandes s’est accru, les acheteurs privilégiant les véhicules Euro 5 au détriment des Euro 6, obligatoires à partir du 1er janvier 2014. Ils ont considéré que le surcoût de 10 % de nouveaux véhicules ne serait pas compensé par l’abattement de la tarification de taxe poids lourds. Cette incertitude faisait déjà suite aux longs atermoiements, qui ont duré vingt-quatre mois environ, au sujet du nombre d’essieux, 5 ou 6, pour les 44 tonnes.

C’est pourquoi nous plaidons depuis plusieurs années pour une réglementation et une fiscalité stables, lisibles et prévisibles. C’est tout l’inverse qui s’est produit pour l’écotaxe : une gestion erratique, des tarifs publiés quatre mois avant une échéance qui a été reportée plusieurs fois avant la décision de suspendre. Or, pour planifier son investissement – le camion est un véritable outil industriel dont le prix moyen tourne autour de 100 000 euros hors taxe –, un transporteur doit avoir de la visibilité sur plusieurs années. Les temps politiques et économiques doivent s’accorder. L’aptitude d’une entreprise à investir dépendra de celle des pouvoirs publics à stabiliser et simplifier son cadre réglementaire. « Il ne peut pas y avoir d’investissements si le cadre n’est pas clair, si les règles changent » déclarait d’ailleurs le Président de la République lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier.

Nous plaidons également depuis un an pour l’instauration d’un dispositif « écotaxe » simple au plan technique comme au plan administratif. Là encore, un système extraordinairement complexe a été mis en place. Par exemple, il était prévu d’assujettir les véhicules circulant dans le cadre de leurs essais pour réparation. Non seulement ce principe est absurde mais, en plus, il coûte plus cher qu’il ne rapporte à l’État. Il en est de même pour les véhicules en essai après carrossage et avant livraison et immatriculation. Il faut tout de même savoir que le démontage-remontage d’un boîtier nécessite 1 heure 30 de main-d’œuvre alors que les essais routiers durent en moyenne 20 minutes et que 10 kilomètres seulement sont parcourus. Autre incongruité : dans le projet écotaxe, les véhicules d’occasion sur parc en attente d’acquéreur, bien que ne circulant pas, devaient aussi être équipés ! Il existe bien d’autres exemples de blocages techniques au sujet desquels nous n’avons reçu aucune réponse, Ecomouv’ et l’administration se renvoyant la balle depuis un an.

Comment les entreprises auraient-elles pu se préparer en l’absence de réponses techniques à seulement deux mois de la mise en place de l’écotaxe ? Comment intégrer des procédures aussi inutiles que complexes à nos activités ? Comment concilier ces freins administratifs avec la compétitivité de nos entreprises ? On est encore très loin du choc de simplification !

Enfin, nous plaidons depuis un an pour une égalité de traitement des professionnels devant l’écotaxe qui tienne compte de leur capacité à reporter le trafic sur d’autres modes. À titre d’exemple, les collecteurs de déchets n’ont, pas plus que les collecteurs de lait, la possibilité de se tourner vers le ferroviaire ou le fluvial.

Tirons les enseignements de l’échec du déploiement de l’écotaxe !

Le premier impératif est de faire contribuer les poids lourds immatriculés à l’étranger, qui représentent 25 % des poids lourds circulant sur le territoire et 32 % du kilométrage parcouru. Le potentiel de contribution est donc considérable, mais pour eux, le boîtier n’était pas obligatoire. Dès lors, comment contrôler ? Une telle taxe permettrait de réduire l’écart de compétitivité avec les autres États de l’Union Européenne dans lesquels un système similaire est déjà en vigueur.

Le deuxième impératif est de prendre en compte le fait que, sur les trajets de courte et moyenne distance, il n’existe pas d’alternative au transport routier, lequel représente encore 85 % du fret. La taxe ne fait donc qu’alourdir les charges des entreprises et n’a aucun impact sur le choix modal. Il ne faut pas dégrader encore plus la compétitivité du pavillon national.

Enfin, il est nécessaire de financer les infrastructures selon des modalités adaptées aux réalités et aux besoins économiques. Le mode routier réalise 87 % des tonnes-kilomètres contre 11 % pour le rail et 2,6 % pour la voie d’eau. Les contraintes physiques ne permettent pas toujours d’utiliser des modes alternatifs à la route, notamment à cause des ruptures de charge. Il est donc important d’affecter une partie des ressources aux infrastructures routières, dont l’état se dégrade, et de ne pas faire payer à leurs seuls usagers des modes de transport alternatifs qui ne sont pas toujours possibles ni économiquement viables.

Il découle de ces trois points la nécessité de mieux redistribuer le produit de la taxe à ceux qui y contribuent afin d’enclencher un cercle vertueux pour le transport de marchandises, mais aussi d’épargner le transport sur les petites distances au risque, sinon, de nuire à la compétitivité générale.

De la même manière que la taxe à l’essieu est affectée à l’entretien des routes, une partie de l’écotaxe « nouvelle mouture et nouveau nom » pourrait être affectée à la modernisation du parc.

À de multiples reprises, nous avons fait cette proposition au ministre des transports, qui l’a écartée en 2013, mais l’a paradoxalement envisagée lors de sa récente audition devant votre mission, en parlant pour la première fois, s’agissant du camion, de « prime à la casse ». Nous n’en voulons pas. En effet, un tel dispositif en vigueur dans l’automobile n’est pas transposable au camion. En fin d’utilisation, un poids lourd, qu’il soit revendu tel quel ou en pièces détachées, a encore une valeur marchande pouvant atteindre 15 000 euros si bien que sa mise à la casse représenterait une destruction de valeur pour l’entreprise à moins que la prime n’atteigne environ 25 000 euros, ce qui est inenvisageable. Aussi soutenons-nous plutôt un soutien à l’investissement pour inciter à l’achat de véhicules récents, plus propres, sous la forme d’une prime à la modernisation du parc telle qu’elle a été mise en place aux Pays-Bas, en Italie, et en Allemagne.

L’Allemagne avait ainsi accordé il y a quelques années une subvention de 100 millions d’euros par an aux transporteurs pour l’achat de véhicules Euro 5, une mesure financée par les recettes de péage dans le cadre de la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), l’écotaxe allemande. Plus récemment, le gouvernement fédéral allemand a mis en place un programme d’aide pour l’achat de camions neufs Euro 6. La banque d’État KfW était chargée de la coordination de ce programme visant les véhicules de plus de 12 tonnes qui bénéficiaient d’une prime unitaire dont le montant variait entre 3 850 euros et 6 050 euros selon la taille de l’entreprise.

Comme je vous le disais, l’exemple allemand intéresse désormais la France.

L’avis publié par le sénateur écologiste Ronan Dantec au nom de la commission du développement durable sur le projet de loi de finances 2014 concernant l’écologie, le développement et la mobilité durables fait référence au programme allemand d’aide à l’Euro 5. Lors des réunions de la mission d’évaluation de l’écotaxe, les 4 et 11 décembre 2013 à l’Assemblée nationale, M. Philippe Duron, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), et M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, ont envisagé de faciliter l’achat de véhicules moins polluants. Effectivement, l’exemple allemand de soutien aux véhicules de dernière génération mérite d’être étudié dans la mesure où la seule modulation des tarifs de l’écotaxe ne suffit pas à inciter à l’achat des véhicules Euro 6 à cause de leur surcoût de 10 %. Ils sont certes obligatoires depuis le 1er janvier, mais rien n’oblige à acheter des camions surtout dans une conjoncture morose. J’ai rencontré des clients qui m’ont annoncé une année blanche en 2014, et même en 2015. Pour nous, les constructeurs, c’est catastrophique ! Le retour sur l’investissement engagé par les constructeurs dans la norme Euro 6 en sera donc retardé et des effets sur l’emploi en France sont à craindre. Un soutien complémentaire est donc nécessaire.

Le gain écologique d’un soutien à l’Euro 6 serait très significatif compte tenu des réductions considérables des émissions polluantes qu’il obtient. Un véhicule Euro 6 pollue 95 fois moins qu’un véhicule produit dans les années 1990, et émet 80 % d’oxyde d’azote et 50 % de particules de moins qu’un Euro 5. Autrement dit, un camion Euro 6 pollue 13 fois moins qu’un camion Euro 3. C’est pourquoi dans les grandes villes, les véhicules Euro 6 constituent d’ores et déjà une réponse opérationnelle aux problématiques de qualité de l’air. Un aparté technique : désormais, les moteurs sont testés en atmosphère stérile. Nous sommes donc très loin des camions « fumants » qu’on voit encore parfois sur les routes, notamment ceux de certains artisans qui n’ont pas les moyens d’en changer.

Le parc de poids lourds vieillit : l’âge moyen du parc est passé de 5,1 ans en 2009 à 6,7 ans en 2013. Selon le Groupement interprofessionnel de l’automobile (GIPA), au 1er janvier 2013, le parc était encore composé à 53 % de véhicules Euro 2 et Euro 3. La modernisation du parc est donc vraiment nécessaire.

Le gain économique d’un soutien à l’Euro 6 serait également important : en suivant cette direction, la France prendrait l’exemple de l’Allemagne qui soutient sa production industrielle de poids lourds, la technologie et les emplois qui lui sont liés.

L’acceptabilité de cette taxe serait renforcée, car le contributeur aurait un retour direct du paiement de la taxe à laquelle il est assujetti. Aujourd’hui, les utilisateurs de poids lourds paient déjà une taxe à l’essieu affectée à l’entretien des routes. Sans le bénéfice d’aucune aide, les transporteurs percevront un nouvel effort pour financer les infrastructures comme une double peine. Ils ont du mal à admettre qu’ils vont devoir payer pour favoriser des modes de transport concurrents, mieux lotis.

D’autres solutions sont envisageables comme l’incitation à l’achat de camions hybrides, électriques ou au gaz (GNV) pour les mobilités urbaines. La modernisation du parc de camions en France pourrait s’inspirer de la modernisation du parc de cars et bus en Ile-de-France, dont le syndicat des transports (STIF) a décidé d’y affecter 100 millions d’investissements supplémentaires en 2014 et 2015.

Quelles que soient nos réflexions sur le devenir de la taxe poids lourds, arrêtons d’opposer le rail et la route. Ils ne sont pas concurrents mais complémentaires. S’il est compétitif, le rail est particulièrement bien adapté pour acheminer des marchandises à faible valeur ajoutée sur de longues distances. La route concerne bien davantage les petites et moyennes distances et la logistique du dernier kilomètre. Elle a au cours des dernières années accompli des efforts considérables en matière de consommation d’énergie par tonne transportée, donc d’émissions de polluants et de CO2. En l’absence d’une véritable alternative au transport routier, la taxation de la route est seulement répressive et non incitative. Le transporteur est devenu logisticien : il arbitre en permanence entre le coût, le délai et le service.

La filière poids lourds traverse une grave crise liée à la santé financière des acteurs du transport mais également à l’incertitude générée par le report de l’écotaxe. Cette crise entraîne d’ores et déjà du chômage technique dans l’ensemble de la filière et des plans de restructuration dans la distribution. Les clients se sont dépêchés d’acheter des Euro 5, plutôt que des Euro 6, au détriment de l’environnement et de l’activité de nos usines.

Il est aujourd’hui urgent de clarifier un flou réglementaire insoutenable pour les entreprises de la filière poids lourds dans un contexte économique déjà difficile. Les défaillances ont été nombreuses chez les petits transporteurs l’année dernière, et chez Mory Ducros, 5 000 emplois sont menacés. Les clients ne savent pas s’ils doivent investir, les industriels ne savent pas s’ils doivent produire. L’incertitude réglementaire bloque le marché et menace bon nombre d’emplois. Mesdames, messieurs les parlementaires, nous comptons donc sur votre concours pour débloquer rapidement la situation et la simplifier. C’est l’avenir de notre filière qui est en jeu et, si nos propositions devaient trouver un écho auprès de vous, il sera indispensable de nous associer à leur déploiement. Nous sommes tous à votre disposition pour approfondir les sujets autant que vous le souhaitez.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avons intégré dans notre réflexion un plan de modernisation inspiré des expériences menées en Allemagne et aux Pays-Bas, et la répartition de notre flotte de camions selon les différentes normes Euro. En effet, ce n’est pas le changement de norme au 1er janvier qui incitera les transporteurs à acheter de nouveaux véhicules. L’Allemagne a mis en place des primes allant de 3 850 euros à quelque 6 000 euros, en fonction de la taille des entreprises. Avez-vous estimé le budget qu’il faudrait mobiliser en France ?

M. Thierry Archambault, président délégué de la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle (CSIAM). Comme nous avons raisonné en pourcentage du prix du véhicule et comme Euro 6 représente un surcoût de l’ordre de 10 % du prix du véhicule, vous avez une idée de ce qu’il faudrait pour que les nouveaux produits deviennent abordables dans le contexte économique actuel.

M. Jean-Claude Girot. Il faudrait 250 millions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Sachant qu’un camion vaut en moyenne 100 000 euros et qu’Euro 6 représente un surcoût de 10 %, il faudrait donc une aide de 10 000 euros. En Allemagne, 250 millions d’euros approximativement ont été mobilisés et, entre 2005 – date d’entrée en vigueur de la taxe allemande – et 2012, la flotte allemande s’est profondément modernisée. La catégorie Euro 1, qui constituait un tiers du parc en 2005 avait quasiment disparu en 2012 et la catégorie Euro 5, apparue en 2005, compose désormais plus de 60 % de la flotte. Quant à la norme Euro 6, sa part atteignait environ 10 % en 2012. Avoir des véhicules moins polluants est bien l’un des objectifs visés, indépendamment de l’impact bénéfique en termes d’activité et d’emploi.

M. Thierry Archambault. Un moteur Euro 6 ne pollue pratiquement pas : il n’émet quasiment plus aucune particule ni aucun monoxyde d’azote. Et c’est la raison pour laquelle ces moteurs sont testés en chambre stérile.

M. Jacques Bruneel, président du Conseil national des professions de l’automobile – branche véhicules industriels. D’après nos calculs, l’aide en Allemagne a concerné 86 000 véhicules pour un total de 196 millions. Dans les études que vous ferez, veillez à prendre en compte le surplus de TVA sur le surcoût de 10 % qui amortira un peu l’aide accordée en amont.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Faut-il inciter à l’acquisition de véhicules hybrides, GNV ou entièrement électriques ? Quel est le parc aujourd’hui ?

M. Jean-Claude Girot. Le parc est très limité et c’est le vice-président de l’AVERE-France mobilité électrique, l’association pour la réalisation d’engins et véhicules électriques, qui œuvre à la promotion des véhicules électriques et hybrides en France, qui vous le dit. Par exemple, on commercialise un petit véhicule de 3,5 tonnes, entièrement électrique, mais il coûte trois fois plus cher qu’un diesel. Les grandes sociétés de la distribution qui achètent un ou deux véhicules hybrides s’en servent comme élément de communication, mais ce parc ne représente nullement le gros du marché. La Ville de Paris a annoncé que les livraisons seraient assurées à 50 % par des véhicules non diesel en 2017, mais qui va payer ? Les transporteurs sont, comme tout le monde, convaincus qu’il faut réduire la pollution, mais ils sont attentifs avant tout à leur compte d’exploitation qui conditionne la survie de leur entreprise. On peut s’interroger sur l’opportunité d’acheter un véhicule deux à trois fois plus cher qu’un véhicule diesel alors même que celui-ci ne pollue quasiment plus. Certes, on fabrique et on commercialise des véhicules électriques, mais ce n’est pas demain, ni en 2017, ni même en 2020– date retenue par la Ville de Paris pour atteindre 100 % des véhicules de livraison « non diesel » dans Paris, qu’il en sera ainsi. On va tuer le commerce parce que je ne vois pas comment les transporteurs, dans la situation économique actuelle, pourraient acheter des véhicules deux à trois fois plus cher, à moins de les aider.

M. Hervé Pellois. Pourrait-on comparer la composition respective des flottes française, sans aide, et allemande, avec aide ?

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis surpris de rencontrer autant de professions qui ont hâte que l’écotaxe soit en place. En 2006, quand tout le monde était d’accord pour agir, c’était bien le camion qui était visé non seulement à cause de la pollution – et certes, dans ce domaine, les progrès ont été considérables –, mais aussi de l’usure des infrastructures. Le passage d’un 38 tonnes équivaut à celui de 1 200 000 véhicules légers. Voilà l’enjeu ! C’est en vertu du principe utilisateur payeur que l’écotaxe a été conçue. Même dans l’hypothèse où les poids lourds ne pollueraient plus du tout, resterait la question du financement des infrastructures. L’idée de départ était de permettre une transition vers d’autres modes de transport – le rail ou l’eau – ou de rapprocher les entreprises des lieux de transformation. Sur ce point, je suis d’accord avec Europe Écologie-Les Verts.

Vous vous focalisez sur la pollution, je comprends votre point de vue de fabricants, mais il faut aussi s’interroger sur la cohabitation des poids lourds avec les autres véhicules. Je suis maire de Chartres qui est traversée par la Nationale 154. Elle est défoncée régulièrement et, dessous, les canalisations cèdent. Ce sont autant de coûts indirects qu’on peut à la rigueur supporter quand il s’agit de camions français, mais beaucoup plus difficilement quand ce sont des camions étrangers.

Un des premiers objectifs de l’écotaxe était le report modal : réduire la proportion de la route – 85 % – dans le fret et favoriser la circulation sur les autoroutes plutôt que le transit. Incidemment, le mode de concession des autoroutes pose problème puisqu’il nous empêche de collecter la dîme au profit des autres infrastructures. Il faut bien sûr continuer à investir puisque les camions ne vont pas disparaître du jour au lendemain mais la pollution n’est qu’une partie du problème.

On en arrive à un système routier à deux vitesses : le premier s’autofinance – les autoroutes – tandis que, dans le second, les utilisateurs paient pour toutes les infrastructures, quelles qu’elles soient. N’y a-t-il pas contradiction ? Je suis d’accord avec l’idée d’un grand plan qui favorise les technologies nouvelles, mais comment évaluer les externalités négatives des poids lourds, comme l’usure ou les accidents ? Il faut intégrer tous les coûts provenant de la cohabitation des camions et des voitures sur les routes qui impose des ronds-points, ou des deux fois deux voies.

M. Jean-Claude Girot. C’est un problème d’aménagement du territoire et vous conviendrez que nous ne sommes pas compétents.

Mais nous sommes bien conscients que nos camions usent les routes, mais pas plus que ceux des étrangers qui ne paient rien, si bien que le contribuable français paie pour l’entretien d’infrastructures empruntées par d’autres.

L’introduction de l’écotaxe pourrait en effet causer un report du trafic vers les autoroutes, mais leur privatisation relève d’un choix politique.

Enfin s’agissant des accidents, ceux qui impliquent les poids lourds sont très peu nombreux et en diminution constante, même s’ils sont spectaculaires et peuvent être graves. Au kilomètre parcouru et à la tonne transportée, la proportion des accidents n’a rien à voir avec celle pour les voitures.

M. Thierry Archambault. La part des poids lourds dans les accidents est la moitié de la place qu’ils occupent dans la circulation. Les chauffeurs de poids lourds conduisent remarquablement bien.

M. Jacques Bruneel. Tous les constructeurs ont profité de l’Euro 6 pour améliorer les aides à la conduite : système anti-endormissement, respect des distances de sécurité etc...

Personne ici ne dit qu’il faut supprimer une contribution destinée à entretenir les infrastructures, mais il faut la rendre plus acceptable aux yeux des transporteurs. C’est pourquoi nous proposons d’inciter les utilisateurs au travers d’une progressivité accrue de l’écotaxe selon les normes car les 2 000 euros d’économie que réalise l’exploitant d’un camion Euro 6 par rapport à celui d’un camion Euro 4 sont insuffisants pour être incitatifs. La frustration vient aussi de ce que les contributeurs ne voient aucun retour alors qu’ils paient déjà la taxe à l’essieu. Ils s’imaginent être des « vaches à lait », maigres pour le moment.

M. Jean-Claude Girot. Vous avez raison, il n’y a pas que les camions qui utilisent les infrastructures, mais je ne voudrais pas vous donner des idées… Un autocar est aussi un véhicule lourd qui utilise les routes gratuitement.

M. Jean-Pierre Robinet. Nous sommes des industriels mais aussi des citoyens responsables et, en tant que tels, nous nous soucions de la dimension environnementale. Regrouper les centres de production est une ambition louable, mais pas toujours réalisable. Les abattoirs bretons sont concurrencés par les abattoirs allemands, dont certains sont capables d’abattre près de 500 000 volailles par jour, et il faudra bien aller chercher tous ces poulets.

M. Olivier Faure. Je suis sensible à l’aspect pédagogique d’un plan de modernisation du parc destiné à des transporteurs en partie hostiles à l’écotaxe, et qui y trouveraient ainsi un intérêt économique. Combien faudrait-il ? Pendant combien de temps ? Sous quelle forme ? À quel niveau ?

M. Jean-Claude Girot. Le surcoût de l’Euro 6 est estimé à 10 000 euros environ et il faudrait encore davantage en cas de prime à la casse, mais une compensation de ce montant à l’achat serait déjà une avancée. Avec un coup de pouce supplémentaire de 5 000 euros, les transporteurs routiers seraient satisfaits, et les constructeurs aussi. Les transporteurs que j’ai rencontrés m’ont dit ne pas pouvoir absorber la hausse de l’Euro 6 ; leur accorder 10 000 euros reviendrait à les ramener à la situation de 2013.

M. Olivier Faure. Vous proposez de vendre un Euro 6 moins cher qu’un Euro 5 ?

M. Jean-Claude Girot. À 15 000 euros, ce serait le cas.

M. Olivier Faure. Et sur quelle durée ?

M. Thierry Archambault. Nous n’avons pas toutes les qualifications pour échafauder un tel programme. Ce n’est pas notre métier. Nous nous contentons de vous donner une base de réflexion pour construire un plan ensuite. Cela dit, et pour vous répondre, on peut très bien partir d’une enveloppe de 250 millions et maintenir l’aide jusqu’à épuisement. Faisons quelque chose de simple, en nous inspirant de l’expérience de nos partenaires.

M. Jean-Pierre Gorges. Et si les camions prennent l’autoroute, nous ne toucherons rien !

M. Thierry Archambault. C’est précisément la raison pour laquelle nous ne sommes pas arrivés avec un plan « tout fait » ! Retenez que nous ne sommes pas opposés à une contribution – il faudra absolument changer le nom d’écotaxe – car nous comprenons qu’il faut financer les infrastructures, mais ceux qui la paieront doivent impérativement avoir un retour. Le calibrage, c’est votre affaire.

Il faut comprendre aussi qu’il n’y a jamais d’achat d’impulsion. Le camion n’est qu’une machine dont on attend un rendement. Les transporteurs qui ont acheté des Euro 5 en fin d’année n’achèteront pas en 2014 quelles que soient les aides. Ils passeront à l’Euro 6 quand ils auront amorti leur investissement.

M. Jean-Pierre Robinet. Mais ils se sentiraient pénalisés d’avoir raté la prime à l’Euro 6.

M. Thierry Archambault. Donc, fixez un budget et tenez-vous-y. Nous sommes prêts à travailler avec vous à une évaluation fine de l’enveloppe.

M. Jean-Claude Girot. Cela permettrait de passer l’année 2014 qui s’annonce très difficile et de sauver des emplois.

M. Thierry Archambault. Le profil de l’année est déjà connu : beaucoup d’immatriculations en janvier, représentant la queue des commandes de fin d’année puis un grand trou d’air se traduisant par du chômage technique. Le second semestre sera décisif et les commandes passées à cette époque se ressentiront sur les chaînes de production principalement au début de 2015. La profession se prépare à une année 2014 très difficile.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’écotaxe se fonde au départ sur le principe « utilisateur payeur », mais elle devait aussi aider à mieux prendre en compte les enjeux environnementaux : le report modal et la modernisation de la flotte, pour la rendre moins polluante. D’ailleurs, la catégorie Euro figure parmi les critères retenus pour fixer les taux de l’écotaxe. Taxer davantage les véhicules plus polluants inciterait-il les propriétaires à acheter de l’Euro 6 ?

M. Jean-Pierre Robinet. La courbe des commandes de 2013 en apporte la parfaite illustration : l’attentisme a prévalu jusqu’à ce que soit connue la taxe poids lourds qui a déclenché les commandes d’Euro 5, car une taxe de 15 % ne compensait pas un surcoût de 10 000 euros.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Cela signifie donc qu’on pourrait aller au-delà, pour la taxe kilométrique. La directive Eurovignette nous en offre la possibilité.

M. Jean-Pierre Gorges. Je le répète. Faites attention à vos arguments ! Pourquoi ne pas insister sur l’aide que pourrait apporter l’écotaxe pour passer à l’Euro 6 ? Peut-être n’a-t-on pas valorisé suffisamment ce point, car c’est surtout sur la maintenance des infrastructures que l’accent a été mis. En tout cas, ne présentez pas le dossier en mettant en avant la défense de l’emploi ici ou là, même si c’est vrai. Il faut communiquer sur les aspects vertueux de la taxe sur la pollution et sur le report modal, mais si les Français pensaient qu’elle est destinée à financer l’emploi, ce sera une catastrophe. L’écotaxe se défend si elle tend vers un fret plus propre et le rapport de 1 à 10 que vous avez cité tout à l’heure m’a agréablement surpris. Si débat il doit y avoir sur le montant de l’enveloppe ou de la prime unitaire, on peut arriver à se mettre d’accord. Tout le monde sera gagnant et respirera mieux.

M. Jean-Claude Girot. La communication politique, ce n’est pas à nous de la faire. Nous nous contentons de vous apporter des éléments, parmi lesquels il y a l’emploi. Nous avons informé M. Montebourg que des mesures de chômage technique avaient été prises, et il n’est pas indifférent à la suite qu’elles auront. Ce n’est pas à nous de dire aux citoyens qu’il s’agit d’une prime pour sauver l’emploi, mais il y aura bien des hommes politiques qui ne s’en priveront pas !

M. Jean-Pierre Gorges. Je me méfie de l’interprétation qui est faite des conclusions des commissions d’enquête et des missions d’évaluation et de contrôle. À chaque fois, il y a des gens pour écrire des articles sans lire les rapports, et ce sont eux que l’on retrouve sur les plateaux de télévision.

M. Jean-Pierre Robinet. La route assure désormais 85 % du fret, mais, en 1975, au début de ma carrière, le pourcentage n’était que de 40 % contre 60 % pour le rail. L’inversion n’est que la conséquence des défaillances de la SNCF. Qu’un rééquilibrage soit souhaitable, nous en sommes d’accord et c’est la raison pour laquelle nous avons insisté sur le fait que les transporteurs étaient des logisticiens. Ils ne cherchent pas à privilégier le camion, ils optimisent les modes de transport.

M. Olivier Faure. Une mission d’évaluation doit tout de même pouvoir prendre l’emploi en compte. La suspension de l’écotaxe est malheureusement liée au fait qu’une région y a vu la raison de ses maux. Il n’est pas neutre de dire que des emplois sont peut-être perdus en Bretagne, mais que la suspension n’est pas sans conséquence sur les travaux publics, les transports et la construction automobile. L’argument écologique est fort, mais, sur le plan financier, cela revient à subventionner pour diminuer le rendement de la taxe, puisqu’elle est dégressive.

M. Thierry Archambault. L’intérêt de l’écotaxe réside dans le fait qu’elle a une assiette plus large puisqu’elle frappe aussi les véhicules étrangers.

M. Jean-Pierre Robinet. Ils devraient rapporter plus que ce qui a été estimé.

M. Jean-Pierre Gorges. Pour compenser l’aide accordée aux Euro 6, il faut taxer plus fort les autres camions, la taxe n’en sera que plus incitative.

M. Jean-Claude Girot. Nous nous inquiétons de savoir jusqu’à quand la taxe sera suspendue. Il ne faudrait pas qu’elle subisse le même sort que le service militaire suspendu en 1997. Nous attendons des mesures concrètes.

M. Jean-Pierre Gorges. Je fais partie de ceux qui ont voté l’écotaxe, mais je n’aurais pas monté un système dans lequel on a fait des exceptions le cas général. Ça ne peut pas marcher et j’ai des doutes sur le montage financier. Mais j’ai envie que l’écotaxe se mette en place, d’autant que le ministre nous a promis 30 millions pour un tronçon autoroutier près de Chartres, à condition que l’écotaxe voie le jour. Je ne suis pas de ceux qui défendent leur région avant toute autre considération.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous sommes tous convaincus de l’urgence et notre objectif est de remettre mi-avril des propositions au pouvoir exécutif qui prendra ses responsabilités. Si demain nous instaurions un système incitant les transporteurs à commander de nouveaux camions Euro 6, quels seraient les délais de livraison ?

M. Jean-Claude Girot. Deux mois environ.

M. Thierry Archambault. De deux à trois mois, selon que l’on parle des poids lourds prêts à l’emploi ou non. S’il n’y a pas de doute, les industriels s’engageront ; sinon, ils attendront. Il faut donc faire attention à présenter le plan de façon claire et simple.

M. Jean-Pierre Robinet. Il faudrait un peu de rétroactivité, pour que ceux qui ont acheté leur Euro 6 en début d’année puissent en bénéficier.

M. Jean-Pierre Gorges. La rétroactivité n’existe pas.

M. Jacques Bruneel. Un des freins à l’investissement en fin d’année vient de ce que l’administration n’a jamais voulu se projeter au-delà de l’année n+1, ni tenir compte de ce qu’un camion s’acquiert pour au moins quatre ans. Ainsi, il y a eu des revirements à propos de l’Euro 5, et de l’Euro 5 EEV, une catégorie qui était assimilée à l’Euro 6. Il faudrait tout de même qu’il y ait une certaine lisibilité pour les investisseurs.

M. Jean-Claude Girot. Le barème de l’écotaxe qui devait entrer en vigueur au 1er octobre 2013 était fixé pour trois mois ! Et une augmentation de 10 % était prévue pour 2014 … Pourquoi ne pas avoir retenu d’emblée le tarif le plus élevé ?

M. Jean-Pierre Gorges. C’est la conséquence des termes du partenariat public-privé et de la répercussion des coûts.

M. Thierry Archambault. On a besoin d’un tarif à trois ans. Fixez-le au niveau que vous voulez, mais une fois qu’il est publié, gardez-le parce que la seule chose que l’on ne sait pas faire, c’est de jongler d’un tarif à l’autre. Dans pareil cas, le réflexe, c’est d’attendre.

M. Jean-Pierre Gorges. Je le répète, pour que ça entre dans les esprits, mais le réseau autoroutier relève de l’activité régalienne. Sinon, il va y avoir conflit d’intérêt entre les autoroutes et les autres routes, en fonction du report que provoquera l’instauration de la taxe. On reprochera à M. de Villepin d’avoir privatisé les autoroutes en 2007 pour améliorer les comptes de l’État cette année-là mais « Le processus de privatisation des autoroutes a été engagé, en octobre 2001, par le socialiste Laurent Fabius, lorsqu’il était ministre des finances du gouvernement de Lionel Jospin. Une seule société d’autoroutes était alors privée : Cofiroute. L’opération lancée par M. Fabius concernait Autoroutes du sud de la France (ASF) … », selon le journal Le Monde. François Bayrou avait réagi et s’était demandé, et on peut se demander s’il n’avait pas raison, si la décision était constitutionnelle. Dans la mesure où le régime d’imposition sera différent selon le type d’usager, ne risque-t-il pas d’y avoir contestation ?

M. Olivier Faure. De Laurent Fabius à Dominique de Villepin, on est tout de même passé de l’artisanat à l’industrie !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il s’agit bien de deux redevances d’infrastructure.

M. Jacques Bruneel. Pour l’activité « essais et réparations », le coût de la collecte de l’écotaxe coûtera beaucoup plus cher que sa recette. Il s’agit de petits parcours, il faudra monter et remonter le boîtier et il en faudra deux… Nous n’avons pas pu expliquer suffisamment nos problèmes à la mission de tarification.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. N’hésitez pas à nous transmettre une note pour attirer notre attention sur des difficultés particulières. Nous nous efforcerons d’en tenir compte, l’objectif étant de simplifier le système. Madame, Messieurs, nous vous remercions.

Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM),
Mme Anny Corail, responsable de la mission taxe poids-lourds (MTPL) aux Douanes, Mme Anne Debar, sous-directrice des transports routiers, M. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification,
et M. Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification

(Séance du mercredi 12 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous accueillons, ce matin, M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), accompagné de Mmes Anny Corail, responsable de la mission taxe poids-lourds (MTPL) aux Douanes et Anne Debar, sous-directrice des transports routiers, ainsi que de MM. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification, et Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification.

Il serait possible, monsieur le directeur général, de vous appeler « Monsieur écotaxe » !

En effet, à la tête de la DGITM depuis 2008, vous avez connu toute la période allant de la naissance de la taxe au titre du Grenelle de l’environnement à sa conception pratique et aux discussions actuellement conduites avec Ecomouv’ sur les incidences de la décision de suspension.

Vous le constaterez, notre mission commence à avoir une assez bonne connaissance de la chronologie. Vous entendre nous permettra toutefois de compléter utilement notre information : je pense aux travaux conduits par la mission de tarification, d’ailleurs toujours active. Vous nous direz ce qu’elle a fait, selon quelles approches et quelles méthodes, et vous nous ferez part des difficultés qu’elle a éventuellement rencontrées.

Autre interrogation : quelle a été exactement la mission confiée à M. Claude Abraham, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées ? Son travail a-t-il fait l’objet d’un certain consensus s’agissant du principe de la répercussion de l’écotaxe sur les chargeurs ? En lisant des déclarations de M. Abraham, telles que rapportées par la presse spécialisée, il semble n’avoir envisagé, à titre personnel, une mise en œuvre de cette répercussion que pour les premières années de prélèvement de l’écotaxe. Au-delà d’une période temporaire, M. Abraham aurait donc privilégié la suppression de ce mécanisme afin que l’écotaxe devienne un élément du coût du transport au même titre que le gazole.

Les principes de répercussion et de majoration forfaitaire énoncés par le dernier décret de 2013 doivent-ils être considérés comme gravés dans le marbre ? Ou des évolutions sont-elles possibles, par exemple dans le cadre d’un comité de suivi ? Je vous pose la question car vos services négocieraient toujours avec certains transporteurs qui estiment impossible de pratiquer cette répercussion vis-à-vis de leurs clients. Je pense à la situation d’entreprises de l’express comme DHL, Fedex ou encore UPS.

Plus généralement, il apparaît que les conditions de mise en œuvre de l’écotaxe ont souffert d’un défaut de communication. M. Castellucci, administrateur délégué de la société Autostrade per l’Italia, l’actionnaire principal d’Ecomouv’, a spontanément évoqué ce point devant nous lorsque nous l’avons auditionné. Cette lacune a permis à certains milieux de diffuser une désinformation d’autant plus tenace qu’elle joue souvent sur des fantasmes !

Par ailleurs, des interlocuteurs de la mission ont fait état du caractère extrêmement prescriptif du cahier des charges concernant le système de contrôle et de collecte. Il nous a été affirmé que des modifications importantes du « guide des procédures » étaient intervenues, non pas dans la phase du dialogue compétitif, mais plusieurs mois après l’attribution du contrat à Ecomouv’ !

Ces points ont, bien évidemment, retenu l’attention de la mission.

Vous pourrez également nous expliquer comment il a été possible de concilier des impératifs purement techniques de la conception du système avec les exigences réglementaires de la Douane.

M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). La mission de tarification a été mise en place lors de la réorganisation du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) en 2008 : elle est dirigée par M. Antoine Maucorps, qui a été désigné en plein accord avec le directeur général des Douanes et droits indirects. Il a pour adjoint, à la DGITM, M. Olivier Quoy, et à la direction générale des Douanes et droits indirects, Mme Anny Corail. Si la mission a pour siège la DGITM, cette structure technique, dont j’assume le contrôle hiérarchique, est donc interministérielle, ses travaux ayant été co-pilotés par les deux directions générales.

Tous les services concernés de l’État se sont penchés sur la genèse de ce projet et ont assuré son suivi. Outre que celui-ci est le fruit de textes législatifs, il a été l’objet de la part des ministères de nombreux décrets et arrêtés. De plus, d’autres services de l’État que la DGITM et la DGDDI ont été associés à différentes phases du projet : je pense notamment à la direction du budget et à la direction de la législation fiscale, sans oublier les forces de police et de gendarmerie, puisque des contrôles devront être effectués. Je tiens enfin à rappeler que la justice administrative a également eu à se prononcer dans le cadre d’un recours.

Le caractère prescriptif du cahier des charges répond au fait qu’il s’agit d’une taxe douanière : des garanties doivent donc être données à ceux qui y seront soumis. Une des prescriptions vise à rendre le taux d’erreur en défaveur des redevables statistiquement très faible – de l’ordre de un pour 1 million – en vue d’éviter, autant que faire se peut, les tarifications erronées sur les 8 millions de contrôles qui pourront être effectuées chaque jour – l’erreur ne portant que sur quelques centimes d’euro ! Nous tenions à éviter, lors de la mise en service du dispositif, tout risque de contestation. De même, lors de leurs passages aux points de contrôle, les transporteurs ne doivent pas être accusés à tort de ne pas avoir mis en fonction leur équipement embarqué. Les prescriptions sont moins exigeantes lorsque le transporteur passe mais ne paie pas.

Nous nous sommes montrés également très prescriptifs en matière d’interopérabilité, qui est un des enjeux du projet dans le cadre de la directive Eurovignette. Le dispositif est compatible avec les équipements embarqués des opérateurs de télépéage, ce qui n’a pu que concourir à rendre encore plus complexe le système Ecomouv’.

Mme Anne Debar, sous-directrice des transports routiers. Dès l’adoption de la loi Grenelle, en 2009, le principe d’un mécanisme de répercussion de l’écotaxe des transporteurs sur leurs clients a été établi de façon à permettre à l’écotaxe de jouer pleinement son rôle d’instrument de fiscalité écologique sans alourdir les charges des transporteurs. C’est dans ce cadre que mission a été confiée à M. Abraham d’associer étroitement tous les acteurs, à savoir les organisations de transporteurs et les représentants des chargeurs.

À l’issue de ces travaux qui ont pris un peu plus de trois ans, trois méthodes ont été mises au point pour assurer cette répercussion. La première s’appuie sur les bases réelles et les deux autres sur des bases forfaitaires. Il était en effet très difficile dans un cadre commercial de trouver le bon moyen de répercuter cette nouvelle taxe sur les chargeurs. Le décret, de par la complexité intrinsèque du dispositif, ayant fait l’objet de vives oppositions de la part des professionnels, le chantier a été rouvert par le Gouvernement dans le cadre d’une nouvelle concertation, en vue de simplifier et de sécuriser le dispositif, seule façon de le rendre non négociable dans les relations entre les transporteurs et leurs clients et de l’étendre à toutes les opérations de transports – l’universalité du dispositif est une demande très forte des acteurs du transport. Ces trois principes que sont la simplification, la sécurisation et l’universalité ont conduit à adopter dans le cadre de la loi de mai 2013 un nouveau dispositif plus simple, celui de la majoration forfaitaire des prix de transport.

M. Daniel Bursaux. Je pense, comme M. Abraham l’a dit dans un entretien, que la répercussion est consubstantielle au dispositif, du moins dans sa phase de démarrage : il était logique, pour le législateur, de permettre aux transporteurs de répercuter cette nouvelle taxe sur les chargeurs, afin de combler la hausse du coût du transport qu’elle provoque. À long terme, il est possible d’imaginer que ce coût, au même titre que les péages autoroutiers, finisse par être intégré au prix du transport. Il faut toutefois attendre la mise en place du système pour le savoir.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il nous a été indiqué que la dénomination écoredevance n’a pas été retenue dans la mesure où la totalité du produit de l’écotaxe n’est pas affectée aux routes. Est-ce vrai ?

M. Daniel Bursaux. Oui. D’une part, seuls les véhicules de transport de marchandises y sont assujettis, et non l’ensemble des usagers de la route ; d’autre part, le produit de la taxe n’est pas exclusivement affecté à l’entretien du réseau routier. Il s’agit donc bien d’une taxe douanière, appelée à l’origine taxe poids-lourds.

M. Joël Giraud. Pourquoi l’État a-t-il opté pour un opérateur qui à la fois réalise les équipements et perçoit la taxe ? Quels sont les obstacles techniques à la séparation de ces deux missions – une mission d’ingénierie et une mission régalienne – qui sont par nature tout à fait différentes ? Un retour en arrière se révélerait-il coûteux pour l’État ? En Suisse, la douane perçoit la taxe poids-lourds. En Allemagne, la compagnie Toll Collect est une société de droit privé à capitaux d’État basé à Berlin dans les locaux du ministère fédéral des finances. Le dispositif autrichien ASFINAG est équivalent.

Quant à l’interopérabilité, je rappelle l’existence du système TOLL2GO entre l’Allemagne et l’Autriche : nous dirigeons-nous nous aussi vers une interopérabilité totale ?

Par ailleurs, la direction des douanes a-t-elle été associée au cahier des charges de l’appel d’offre ? Comment a-t-elle suivi la mise en œuvre du dispositif ?

Je continue en outre à ne pas comprendre pourquoi le dispositif français a prévu d’exonérer les autoroutes. En Europe, le dispositif, qui taxe prioritairement les autoroutes et, en Allemagne et en Autriche, les Schnellstraßen, est relativement simple : il prévoit, pour les faibles tonnages, le paiement d’une vignette et, pour les tonnages plus importants, le recours à un dispositif embarqué interopérable entre l’Allemagne et l’Autriche. Ce dispositif global permet de calculer la taxe à l’essieu et la LKW Maut, en fonction de la distance parcourue et de la pollution émise, alors que, je tiens à le rappeler, dans le cadre du dispositif choisi en France, les camions qui vont de Turin à Barcelone par autoroute ne paieront pas l’écotaxe. Est-ce parce que les autoroutes françaises sont payantes ? Les autoroutes autrichiennes ne sont pas gratuites : il faut payer une vignette pour les emprunter et, en Allemagne comme en Autriche, les poids-lourds devaient eux aussi s’acquitter d’une vignette avant l’introduction du système global actuel, qui me paraît vertueux. Pourquoi ne pas avoir fait le même choix en France ?

M. Daniel Bursaux. Séparer l’équipement et la perception de la taxe nous paraissait être une source de complexité, car l’État aurait dû assumer la mise en place et la maintenance d’un système informatique de contrôle et de suivi satellitaire. C’était également prendre le risque, en cas de dysfonctionnement, d’un renvoi de responsabilités entre le gestionnaire et l’opérateur.

Par ailleurs, monsieur Giraud, les dispositifs allemand et autrichien sont intégrés – il en est de même du dispositif tchèque. Il est vrai que le système allemand a évolué, mais la société responsable de la collecte est toujours de droit privé. Quant au système autrichien, il a été racheté par l’État, alors qu’il avait été mis en place par une entreprise privée.

Le choix d’un dispositif intégré me paraît avoir été le bon : c’est du reste la solution retenue dans les principaux pays que j’ai évoqués.

Quant à l’interopérabilité, latitude est donnée aux sociétés habilitées de télépéage (SHT) qui le souhaitent de payer l’écotaxe avec le TIS-PL qui sert à acquitter le péage des autoroutes – c’est une véritable innovation qui ne peut que faciliter la vie des transporteurs.

Si nous avions fait le choix de la vignette – les Allemands ne l’ont pas fait –, son calcul aurait dû se faire tous réseaux confondus, ce qui aurait impliqué la création d’une caisse de compensation pour les transporteurs utilisant alternativement le réseau autoroutier, qui est payant, et le réseau routier gratuit : le dispositif aurait été très complexe.

M. Joël Giraud. Tel est le cas en Autriche en deçà de 3,5 tonnes.

M. Daniel Bursaux. En France, les camions ne seront pas taxés en dessous de 3,5 tonnes.

M. Joël Giraud. Ce qui me choque, c’est que les camions qui empruntent le réseau autoroutier ne seront pas taxés.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Toll Collect est une entreprise privée dont les trois actionnaires sont Daimler et Deutsche Telekom à hauteur de 45 % chacun et Cofiroute à hauteur de 10 %. C’est donc une société de droit privé avec des actionnaires privés.

M. Daniel Bursaux. Quant au dispositif autrichien, il a été mis en place par un prestataire privé : constatant qu’il fonctionnait de manière satisfaisante, le gouvernement autrichien a fait le choix de le racheter.

Je rappelle que le réseau autoroutier français non concédé sera taxé – je pense notamment à l’Île-de-France. L’alternative est donc bien la suivante : péage sur le réseau autoroutier concédé et taxe poids-lourds sur le réseau autoroutier non concédé ainsi que sur une grande partie du réseau routier national.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le péage étant une redevance d’infrastructure, il conviendrait, s’agissant des autoroutes concédées, d’intégrer dans le dispositif les externalités liées à la pollution atmosphérique, au bruit ou à la congestion.

M. Daniel Bursaux. La directive « Eurovignette 3 » l’autoriserait. Si nous n’avons pas intégré cette possibilité dans le dispositif, c’est que nous espérions que celui-ci fonctionnerait dans un premier temps tel que nous l’avions imaginé. Mais le système Ecomouv’ permet d’envisager de telles extensions.

M. Philippe Duron. Je tiens tout d’abord à rappeler que c’est le législateur qui a décidé que les transports relèvent de recettes affectées. La privatisation des sociétés d’autoroutes était primitivement destinée à financer l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) : nous sommes aujourd’hui contraints de nous diriger vers d’autres solutions.

Il fallait par ailleurs donner un signal-prix aux chargeurs pour les inciter à emprunter d’autres modes de transports : tel est un des objectifs de l’écotaxe, qui découle de différentes dispositions européennes.

L’écotaxe ayant fait l’unanimité de l’Assemblée nationale, je tiens, monsieur le directeur général, à vous faire part de mon estime dans ce moment difficile où vous devez répondre à de nombreuses questions, tant au Sénat qu’ici, à l’Assemblée nationale, alors que vous n’avez fait que mettre en œuvre une décision politique dont nous sommes tous responsables.

J’en viens à la comparaison entre un mode de perception du type écotaxe ou péage urbain tel qu’il est pratiqué à Londres avec d’autres modes plus classiques : votre expérience vous permet-elle d’envisager un mode de perception moins onéreux pour l’usager ou pour la collectivité ?

La semaine dernière, nous avons adopté le budget de l’AFITF : l’exercice a été d’une grande complexité puisqu’il a fallu deux mois pour trouver une solution équilibrée. Ce budget est, sinon a minima, du moins de transition : il ne permet ni de lancer le troisième appel à projet Transports collectifs en site propre (TCSP) ni de prévoir les financements des nouveaux contrats de plan. Quel sera à vos yeux l’avenir du financement des infrastructures si l’écotaxe n’est pas rétablie ?

À quels aménagements du contrat écotaxe serait-il, selon vous, juridiquement possible de procéder sans que l’État soit mis en demeure de verser des indemnités au concessionnaire ? Est-il possible de modifier le périmètre de l’écotaxe, d’alléger momentanément sa perception, voire de rééquilibrer, comme cela s’est fait en Allemagne, l’affectation des recettes en faveur de la route ? En Allemagne, alors que les recettes allaient pour 60 % à la route et pour 40 % aux modes de transport alternatifs, l’agence allemande en perçoit aujourd’hui la totalité. Vous connaissez l’état du réseau routier français : est-il souhaitable de conserver la répartition actuellement prévue – 70 % pour la route et 30 % pour les autres modes de transports ? Une modification de la répartition en faveur de la route ne permettrait-elle pas de rendre la taxe plus acceptable ?

M. Daniel Bursaux. Je vous remercie de vos propos liminaires, monsieur le député. J’ai rappelé hier au Sénat que le dossier de l’écotaxe répondait en effet à une commande politique forte et insistante. J’avais également la conviction qu’il fallait introduire une taxe pour assurer la politique française des transports, les recettes budgétaires étant de plus en plus contraintes : c’est pourquoi il convenait de trouver un moyen pérenne pour alimenter l’AFITF et, plus généralement, construire des équipements neufs et assurer la maintenance du réseau, dont chacun, ici, connaît l’état. Alors que le réseau autoroutier allemand tombait en ruine, l’introduction de la LKW Maut a permis d’entreprendre des travaux de remise en état et d’élargissement phénoménaux, si bien que la qualité du réseau autoroutier allemand est appelée à dépasser à plus ou moins court terme celle du réseau français.

S’agissant d’autres modes éventuels de perception, la vignette paraissait le plus simple. Toutefois, compte tenu des contraintes européennes, il n’était pas possible de prévoir des recettes équivalentes à celles que nous attendons de l’écotaxe. Nous risquions de plus, comme les Polonais, de nous retrouver confrontés à la difficile question de la mise en place de caisses de compensation. Il était également possible d’envisager un système déclaratif, notamment du nombre de kilomètres parcourus par les poids-lourds sur l’ensemble du réseau. Or tout le réseau n’étant pas taxé, il convenait alors de prévoir l’instauration d’un suivi satellitaire ou de tout autre suivi. C’est la raison pour laquelle nous avons abandonné ces deux hypothèses. Nous avons alors demandé aux entreprises de choisir entre un suivi satellitaire et un système de péage à ondes courtes : toutes les entreprises qui ont répondu ont choisi le suivi satellitaire.

Certes, les crédits de paiement accordés à l’AFITF pour 2014 doivent permettre de couvrir l’essentiel des engagements qui ont été pris, mais, comme le montant des autorisations d’engagement est très faible, si la situation devait perdurer, elle affecterait dès 2015 la modernisation et l’amélioration des réseaux de toutes natures : routiers, fluviaux et ferroviaires.

M. Philippe Duron. Nous avons mangé tout le fonds de roulement ! Il ne sera donc pas possible de reconduire en 2015 le budget qui a été adopté pour 2014.

M. Daniel Bursaux. Si la décision de ne pas geler l’ensemble de mon programme a permis de dégager un allongement budgétaire en vue de réalimenter l’AFITF, toutefois, les deux ministres concernés l’ont rappelé : en l’absence de recettes supplémentaires – je pense notamment à la taxe poids-lourds – nous sommes conduits à nous interroger sur le financement des contrats de plan 2014-2020 entre l’État et les régions.

Vous avez également eu raison d’évoquer les incertitudes pesant sur le troisième appel à projet des transports collectifs en site propre en région, qui aurait pu être annoncé à la fin de l’année dernière ou au début de cette année. Comment, compte tenu des recettes prévisibles, conseiller à l’heure actuelle au ministre ou au président de l’AFITF de prendre des engagements en la matière ?

Sur la question des possibles aménagements du contrat avec Ecomouv’, sans prendre position, je peux tout d’abord citer la consistance du réseau routier taxable : le contrat permet de l’étendre ou de le réduire. Le tonnage minimal peut également être modifié, avec la réserve suivante : le système de contrôle, qui repose sur une reconnaissance de formes – d’où la présence des portiques –, est conçu pour reconnaître les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Il conviendrait alors, sans que cela puisse être considéré comme une sortie du contrat, de négocier avec Ecomouv’ toute adaptation du système à la reconnaissance d’un autre tonnage. Le montant unitaire de la taxe peut, quant à lui, être modifié du jour au lendemain : il suffit de changer le multiplicateur. Enfin, s’agissant du rééquilibrage entre le rail et la route, je tiens à rappeler que l’écotaxe devait rapporter à l’État entre 800 millions et 850 millions d’euros, suivant l’évolution du trafic : c’est bien moins que les crédits affectés annuellement au fonctionnement du système routier. Il est tout à fait possible d’affecter très majoritairement les recettes de la taxe à la route.

M. Marc Le Fur. Le rapport Abraham évoquait les modalités de la répercussion de l’écotaxe sur les chargeurs, tout en précisant que cette répercussion était momentanée. Pourrions-nous disposer de ce rapport ? Je n’en ai pas eu connaissance.

M. Daniel Bursaux. Je vous le ferai parvenir, monsieur le député.

Je tiens toutefois à préciser que ce rapport ne préconisait pas de rendre momentanée la répercussion : c’est M. Abraham qui a suggéré, à titre personnel, qu’il était possible d’imaginer l’abandon de la répercussion à plus ou moins long terme.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il a émis cette hypothèse au cours d’un entretien avec la presse.

M. Marc Le Fur. Il n’y aura dette de l’État à l’égard d’Ecomouv’ que lorsque le système aura été réceptionné. Vous l’avez rappelé : le vrai problème de la réception, c’est la qualité des transmissions entre le système et les transporteurs, en vue d’éviter toute erreur de calcul. Or nous avons auditionné Ecomouv’ ainsi qu’un transporteur qui avait participé à une marche à blanc : si, pour Ecomouv’, le système fonctionne, tel n’est pas l’avis du transporteur concerné Est-il possible, monsieur le président, d’organiser une confrontation entre Ecomouv’ et les transporteurs ? Il conviendrait également d’auditionner les représentants des SHT, qui assurent la relation entre Ecomouv’ et les transporteurs.

Monsieur Bursaux, quand sera-t-il possible de procéder à la réception du dispositif ?

M. Daniel Bursaux. Toutes les SHT sauf une ont validé les résultats de l’expérimentation.

Quant au cas breton que vous avez évoqué – je l’ai identifié –, il semblerait que la SHT ait fourni des boîtiers à des véhicules qui n’avaient pas été correctement enregistrés – les services de la Douane procèdent actuellement aux vérifications nécessaires.

Les résultats de la marche à blanc qui nous sont parvenus sont bons. Je rappelle qu’elle a concerné 10 000 véhicules, dont un petit nombre seulement a recouru aux services des SHT. La société Ecomouv’ a rendu son rapport de vérification de service régulier (VSR) : l’État a deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 17 ou 18 mars prochains, pour rendre son avis sur cette phase.

M. Marc Le Fur. Lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, nous avons débattu de différentes exceptions, portant notamment sur le transport du lait. Est-il vrai qu’une exception au bénéfice des forains a été ajoutée – nous n’en avions pas débattu à l’Assemblée nationale ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire, en tant que responsable de l’ensemble du système de transports, si des progrès ont été réalisés en direction du multimodal ? Qu’en est-il du fret ferroviaire ? Est-il vrai qu’il continue de décliner ?

Les Britanniques sont également sur le point de mettre en place une taxe. Or le dispositif prévu de traiterait de manière sensiblement différente les transporteurs nationaux et étrangers : une vignette est prévue pour les nationaux tandis que les étrangers devront acquitter une taxe à la journée, ce qui permettra de les faire payer un peu plus. Leur dispositif ne semble pourtant pas contrevenir aux directives européennes : ne nous serait-il pas possible de prévoir, nous aussi, un dispositif moins pénalisant pour les nationaux que pour les étrangers qui se contentent de traverser notre pays ?

M. Daniel Bursaux. Je n’ai pas d’indications suffisamment précises sur le projet britannique qui, à ce jour, n’a d’ailleurs pas été agréé par la Commission européenne. S’il ne l’est pas, les Britanniques seront condamnés au premier recours d’un transporteur routier – je vous rappelle le cas de la Slovénie, qui avait prévu des vignettes à des coûts exorbitants : la Commission européenne l’a obligée à faire marche arrière. Ce sont les transporteurs qui, heureusement d’ailleurs, possèdent in fine la clef du système.

Je tiens à répéter haut et fort que le dispositif tel qu’il est prévu en France fera payer les transporteurs étrangers, à hauteur de quelque 200 millions d’euros, alors qu’aujourd’hui le transporteur étranger qui réussit à traverser la France sans même y faire le plein de carburant n’y dépense pas un seul euro, exception faite des péages des autoroutes s’il les emprunte.

Quant au tonnage du fret ferroviaire, qui a beaucoup diminué il y a quelques années et qui demeure bas, il est stabilisé depuis deux ans et est même en voie de légère amélioration, ce qui est encourageant compte tenu de la situation économique. Il convient évidemment d’améliorer nos objectifs. Je vous communiquerai les chiffres : M. Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, tient ce soir une conférence qui réunit les partenaires du fret ferroviaire – c’est la deuxième depuis septembre. Un des objectifs de l’écotaxe est de financer des équipements améliorant la qualité des sillons ou les installations permanentes de contresens en vue de développer, demain, le fret ferroviaire.

Je tiens toutefois à noter qu’on ne saurait à la fois vouloir rééquilibrer en faveur de la route l’affectation des recettes de l’écotaxe et réclamer plus de moyens pour le fret ferroviaire. Il convient de concilier les deux objectifs.

M. Marc Le Fur. Depuis quatre ans, quels travaux ferroviaires ont été réalisés ?

M. Daniel Bursaux. On peut souligner la réalisation du contournement Nîmes-Montpellier, qui permet d’assurer de nouveau le fret vers l’Espagne, ou la construction de quelques lignes à grande vitesse (LGV). Je pense notamment à un projet de 3 milliards d’euros en Bretagne, dont l’État et l’AFITF prennent toute leur part.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il convient de souligner que l’ouverture d’une LGV permet de libérer des sillons pour le fret ferroviaire.

M. Daniel Bursaux. C’est le cas du contournement Nîmes-Montpellier ou encore de Tours-Bordeaux, qui permettra la mise en place, de manière transitoire, d’une autoroute ferroviaire. C’est, il est vrai, un peu moins vrai du projet qui concerne la Bretagne.

Je répondrai après vérification à votre question sur les forains.

M. Éric Straumann. M. Cuvillier, que j’avais interrogé sur le sujet, m’a répondu que, les forains n’ayant pas vocation à transporter des marchandises, le dispositif ne saurait les concerner.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur Le Fur, le Royaume-Uni mettra en place à partir du mois d’avril 2014 une vignette pour tous les poids-lourds nationaux de plus de douze tonnes. Cette vignette sera également acquittée par les poids-lourds étrangers via le téléphone ou internet – le taux, quotidien ou annuel, ne dépendra pas de la nationalité, la directive Eurovignette l’interdisant.

Mme Émilienne Poumirol. Les auditions révèlent que le principe et les finalités de l’écotaxe ne font aucun doute. En revanche, il semble bien que nous soyons les seuls à avoir choisi un système aussi complexe – M. Gilles Savary l’a comparé l’autre jour au Rafale –, alors que la plupart des pays ont fait le choix de la vignette.

Des représentants des transporteurs que j’ai rencontrés contestaient non pas l’écotaxe mais son mode de perception : pourquoi ne pas avoir tout simplement prévu, au bas de la facture, un pourcentage calculé en fonction des marchandises transportées et de la longueur du trajet et automatiquement répercuté sur le chargeur ? Alors que l’écotaxe telle qu’actuellement prévue transforme les transporteurs en percepteurs d’une taxe qui ne les concerne pas directement, un tel dispositif leur permettrait d’éviter de subir les pressions des chargeurs qui renégocient déjà les contrats.

Est-il possible de mettre en cause le contrat passé avec Ecomouv’ ? Comment l’État devrait-il dédouaner cette société ?

M. Daniel Bursaux. Au moins cinq pays voisins, madame la députée, ont fait le même choix que nous de la perception kilométrique : la Slovaquie, l’Allemagne, l’Autriche, la République tchèque et la Suisse. Nous sommes donc loin d’être les seuls ! Les Belges se dirigent actuellement vers la même solution : ils ont lancé un appel d’offre. Ce dispositif, je le répète, a permis de sauver le réseau autoroutier allemand.

La loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, promulguée au mois de mai dernier et qui prévoit la répercussion du montant de la taxe sur les chargeurs, a été débattue en amont notamment avec la Fédération nationale des transports routiers : toute remise en cause de la répercussion est inenvisageable pour la FNTR. Le risque du système que vous évoquez serait de ne faire payer que les transporteurs français.

Mme Émilienne Poumirol. Il serait possible de prévoir pour les transporteurs étrangers un dispositif au kilomètre ou à la journée, sur le modèle britannique.

M. Daniel Bursaux. Le droit européen exige, me semble-t-il, que le même dispositif soit appliqué aux transporteurs français et étrangers.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous poserons la question à la Commission européenne la semaine prochaine.

M. Éric Straumann. En raison du report du trafic de 1 500 camions de l’Allemagne sur l’Alsace après la mise en œuvre de la LKW-Maut, M. Yves Bur avait fait adopter un amendement au projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports, promulguée en 2006, amendement qui instaurait une taxe expérimentale pour les poids-lourds de plus de douze tonnes en Alsace. Or voilà neuf ans que les Alsaciens attendent la mise en place de cette taxe. Si l’écotaxe est abandonnée, ne serait-il pas possible d’étendre par voie de convention à l’Alsace et au fossé rhénan le dispositif allemand, dont il serait intéressant, du reste, d’auditionner les responsables ? Un Français, équipé du système, pourrait aujourd’hui circuler en Allemagne, alors qu’un camion allemand ne pourrait pas circuler en France avec le système allemand, ce qui crée un obstacle technique majeur.

Qu’en est-il par ailleurs de la ventilation régionale de la taxe ? Le Premier ministre serait-il désormais favorable à sa régionalisation ? Si oui, dans quelle proportion ?

M. Daniel Bursaux. Passer une convention avec la société exploitant le dispositif allemand se heurterait à des obstacles juridiques de droit du contrat. De plus, je m’inscris dans le cadre non pas d’un abandon mais d’une simple suspension de la taxe. Le dispositif français a donc vocation à s’appliquer également en Alsace.

Une régionalisation de la taxe peut faire l’objet de deux hypothèses de travail. La première, qui ne poserait aucune difficulté d’ordre technique ou contractuelle, consisterait à redistribuer aux régions une partie de la taxe collectée pour qu’elles la réaffectent à leurs transports. Le risque, toutefois, serait de créer des distorsions de perception entre les régions compte tenu d’éventuelles distorsions entre la nature de leur réseau routier et celle du réseau taxé : les régions, en effet, qui sont traversées par de nombreuses autoroutes à péage et n’ont plus beaucoup de routes nationales, ne percevraient quasiment aucune taxe et seraient donc désavantagées par rapport à celles que traversent encore un réseau routier national abondant et des autoroutes non concédées. Cette hypothèse, si elle était retenue, impliquerait d’instaurer un système de péréquation.

La seconde hypothèse, à mes yeux plus hasardeuse, consisterait à prévoir un taux par région, qui pourrait aller, par exemple, de zéro à dix-sept centimes du kilomètre, ce qui ne poserait pas un problème d’ordre constitutionnel si l’écotaxe devenait officiellement une taxe régionale perçue par l’État. Cette seconde hypothèse, dans laquelle la base taxable sera différente selon les régions, aboutit toutefois aux mêmes problèmes d’inégalités entre les régions. De plus, sur le plan technique, le plafond de la taxe perçue région par région devra être recalculé, les directives européennes prévoyant que le plafond doit être calculé en fonction notamment du coût d’usage des infrastructures, ce qui serait très compliqué.

C’est pourquoi seule la première hypothèse me paraît réalisable.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. De plus, cette seconde hypothèse priverait l’AFITF de moyens et conduirait donc à abandonner toute politique nationale des infrastructures, ce qui serait une grave erreur.

La régionalisation d’une partie de la taxe n’en demeure pas moins une idée intéressante.

M. Gilles Savary. Je tiens tout d’abord à m’associer aux propos liminaires que M. Duron a tenus à l’égard de M. Bursaux et de son équipe. Ce dossier a été décidé et mis en œuvre par les politiques qui doivent l’assumer, comme l’a fait notamment Jean-Louis Borloo, lors de son audition.

Renoncer à l’écotaxe ou à tout dispositif équivalent, ce serait prendre le risque de « sinistrer » gravement le financement des infrastructures. Ce serait ouvrir la voie à leur « soviétisation ». D’atout pour la France, elles deviendraient un handicap considérable. On ne peut pas nous demander en tribune de faire des économies budgétaires et refuser la mise en place de nouvelles recettes nous permettant de concilier des économies budgétaires massives avec des taxes acquittées par les utilisateurs.

J’ajoute que l’AFITF, instaurée par la précédente majorité, est un dispositif aussi excellent que fragile : il permet de disposer de recettes stables et prédictives pour des investissements étalés dans le temps – c’est la seule politique à disposer de recettes d’affection spéciale.

M. Daniel Bursaux. Ce n’est pas Bercy mais la Cour des comptes qui est du reste plutôt hostile à l’AFITF.

M. Gilles Savary. Si l’AFITF devait être financée uniquement par des dotations d’État, on en tirerait argument pour soumettre son budget à un arbitrage annuel, ce qui reviendrait à la tuer. Or il faut sauver ce dispositif essentiel pour le financement des infrastructures.

Une éventuelle régionalisation impliquerait d’étendre le réseau taxable, en vue de réduire les différences de perception entre les régions. Or une telle extension nous obligerait de recourir à un autre moyen que les portiques. Le chronotachygraphe numérique est employé aujourd’hui dans toute l’Europe et les équipements embarqués permettent de disposer d’une traçabilité assez précise des poids-lourds en lien avec le GPS. Pourquoi est-il dans ces conditions nécessaire de recourir à des portiques, qui focaliseront toujours le rejet de l’écotaxe ?

M. Daniel Bursaux. Si l’objectif était la déclaration de tous les kilomètres parcourus, le chronotachygraphe, qui peut être contrôlé dans les entreprises, serait suffisant. Des outils de contrôle spécifiques sont en revanche nécessaires à partir du moment où il convient, certes, de contrôler des kilomètres parcourus mais sur un réseau taxable.

Une extension massive du réseau est une décision politique, qui soulèverait, à mes yeux, le problème suivant : plus le réseau sera étendu, plus l’économie locale sera affectée, y compris les petits déplacements de proximité sur le réseau secondaire. Le dispositif actuel ne prévoit de taxer que 15 000 kilomètres de routes.

Les portiques sont au nombre de un pour cent kilomètres. Si le réseau taxé devait être étendu, il conviendrait de prévoir un système de contrôle, y compris humain, pour le réseau complémentaire. Dans l’état actuel du réseau taxable, il aurait déjà fallu plusieurs milliers de douaniers pour remplacer les 173 portiques installés. De plus, le contrôle humain engendrerait des pertes de temps pour les transporteurs et soulèverait des problèmes de sécurité qui ne pourraient être résolus que par l’aménagement d’aires spécifiques.

M. Jean-Pierre Gorges. L’écotaxe n’a été, semble-t-il, suspendue qu’en raison du ras-le-bol fiscal des Français. Toutefois, l’outil était-il prêt ? Les auditions ne semblent pas l’assurer. J’ai participé à de nombreuses missions d’évaluation et de contrôle ainsi qu’à des commissions d’enquête : force est de constater encore une fois que l’étude d’impact a été très mauvaise. Rien n’a été fait, alors qu’elle était obligatoire. Et nous sommes maintenant confrontés à une catastrophe.

Le dispositif qui devait entrer en application était-il opérationnel ? Pourrait-il commencer à fonctionner dans les trois mois ?

M. Daniel Bursaux. Ce dossier a fait l’objet d’une documentation très importante et de nombreux rapports d’information, qui portent notamment sur l’impact du dispositif sur l’économie locale, son coût ou les recettes de péage.

M. Jean-Pierre Gorges. L’outil est donc prêt à être utilisé…

M. Daniel Bursaux. Par ailleurs, M. Le Fur sait que nous avons discuté avec les acteurs économiques bretons de l’impact du dispositif sur le coût des marchandises à destination de Rungis ou de l’Allemagne. Toutes ces études sont à votre disposition.

S’il est tout à fait légitime de s’interroger sur les raisons de la contestation dont a fait l’objet le dispositif, je tiens à préciser que la décision de sa mise en œuvre est purement politique.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est ce que je voulais entendre.

M. François-Michel Lambert. Je tiens à rappeler que l’objet de la mission d’information sur l’écotaxe poids-lourds, est de permettre le rétablissement d’une « pollutaxe », l’écotaxe étant liée à l’impact écologique des poids-lourds. Or, je ne sens pas à travers les prises de position des uns et des autres, la volonté d’ouvrir à 360 degrés notre capacité de réflexion.

On peut parler d’un mal français en matière de collecte des taxes poids-lourds. C’est une vraie Bérézina ! Le point de cristallisation est la complexité du système, qui mêle le GPS, les portiques de contrôle et la facturation en bas de page, alors que les entreprises veulent consacrer leurs efforts à leur activité plutôt qu’à la surcharge administrative. Il ne convient pas non plus d’oublier le taux de rendement de la collecte, entre 75 % et 80 %, qui exaspère nos concitoyens et la perte de recettes pour l’AFITF.

Jean-Paul Chanteguet, en prenant la présidence de la mission, a déclaré vouloir une sortie par le haut : je suis évidemment sur la même ligne. Si, à cette fin, il convient d’explorer toutes les pistes, celle qui vise à privilégier la route dans la répartition des crédits de l’AFITF me semble bien éloignée de la logique de la sortie par le haut.

Monsieur Bursaux, vous avez déclaré qu’en l’absence de portiques il aurait fallu embaucher 1 000 douaniers. Or, Ecomouv’ touchera 250 millions, ce qui ferait plus de 200 000 euros par douanier ! Par ailleurs, la CNIL s’est montrée très réservée sur le fait que les portiques photographieront toutes les plaques d’immatriculation et les enregistreront dans un fichier détenu par une société privée. Pouvez-vous nous donner les latitudes dont le politique dispose pour reprendre la main sur le dossier ? Le retrait des portiques aurait-il pour conséquence d’accepter un taux d’erreur supérieur à un pour 1 million ? Pourquoi le politique ne pourrait-il pas faire le choix d’embaucher des douaniers et d’augmenter la présence des forces de l’ordre ? L’obstacle au retrait des portiques est-il d’ordre purement technique ou d’ordre contractuel, c’est-à-dire politique ?

M. Daniel Bursaux. Je crois avoir montré précédemment que nos recherches sont à 360 degrés puisque j’ai envisagé devant vous toutes les hypothèses possibles d’aménagement du dispositif.

Par ailleurs, je n’ai pas évoqué l’embauche de 1 000 douaniers mais de plusieurs milliers. De plus, un poids-lourds se rendant par exemple de Paris à Marseille devra alors être contrôlé et donc arrêté plusieurs fois sur le trajet avec toutes les difficultés que cela suppose notamment de sécurité.

M. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification. Nous avons suivi les recommandations de la CNIL.

C’est pour des raisons techniques que tous les véhicules, quels qu’ils soient, sont photographiés : en effet, les plaques doivent être photographiées de loin tandis que le profil du véhicule n’est reconnu par laser que lorsqu’il passe sous le portique. Si le véhicule photographié n’est pas concerné par la taxe, les informations le concernant ne sont pas centralisées. La CNIL s’était interrogée sur le fait que celles-ci seraient conservées soixante-douze heures : c’est pourquoi, conformément à sa demande, l’État a réduit ce délai à trente-six heures.

Enfin, s’il est techniquement possible de détecter le profil du véhicule avant de photographier sa plaque, ce dispositif, qui a été choisi par les Suisses, entraîne l’installation de deux portiques à chaque point de contrôle. Nous n’avons pas retenu cette solution, qui implique de doubler le nombre de portiques.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je tiens à confirmer les propos de M. Maucorps. Ce point a été abordé lors de l’audition de la société Ecomouv’ : le représentant de la société Thales a précisé que les photographies des véhicules qui ne sont pas concernées sont détruites au bout de trente-six heures – les portiques, monsieur Lambert, permettront de contrôler plus de 600 000 véhicules/jour. Les systèmes mis en place dans les autres pays de l’Union européenne sont identiques.

M. Daniel Bursaux. Les portiques sont au nombre de 300 en Allemagne, de plus d’une centaine en Autriche, de 25 en Suisse et de 37 en République tchèque. Avec 173 portiques, la France se situe dans la moyenne.

En cas d’extension du contrôle, monsieur Savary, il conviendrait de prévoir des bornes mobiles de contrôle sur les petites routes taxées. Nous allons approfondir la question. Des dispositifs mobiles de contrôle sont déjà prévus dans le contrat.

M. Jean-Yves Caullet. En cas d’extension de l’assiette taxable, il serait facile de connaître le parcours effectué sur autoroute, puisque les routiers peuvent défalquer le péage.

M. Daniel Bursaux. Il conviendrait alors d’étendre le réseau à la totalité du réseau routier, y compris aux voies communales.

M. Jean-Yves Caullet. Les ordres de grandeur entre le montant de la TIPP et le montant prévu de l’écotaxe étant équivalents pour 100 kilomètres, serait-il possible, dans le cadre d’un régime déclaratif, de résoudre les problèmes soulevés tant par le trafic local que par la régionalisation – la TIPP a une part régionale – ou le ciblage des types de dessertes, en exonérant le transporteur du paiement de l’écotaxe à hauteur du montant déjà acquitté au titre de la TIPP ? Cette solution permettrait aux transports qui ne paient pas la TIPP d’acquitter l’écotaxe à taux plein tout en épargnant les trajets de proximité.

M. Daniel Bursaux. C’est la première fois que j’entends parler d’un tel système, qui me paraît néanmoins intéressant : je ne saurais donc répondre avant de m’être penché dessus. Je tiens toutefois à rappeler que le défaut de tout système déclaratif est d’épargner les transporteurs étrangers.

M. Jean-Yves Caullet. Si le contrôle humain ne portait que sur les transporteurs étrangers, il se révélerait certainement moins coûteux que les portiques.

M. Olivier Marleix. Avant de penser à une éventuelle régionalisation des recettes de l’écotaxe, encore faudrait-il commencer par la percevoir ! N’oublions pas que l’objectif de l’écotaxe est de taxer le transport routier de marchandises pour l’orienter vers d’autres modes notamment vers le ferroviaire. Ne dispersons pas les recettes éventuelles de l’AFITF !

Le dispositif actuel a été coécrit par la FNTR, qui ne souhaite pas le voir réviser. Toutefois, les chargeurs font pression, notamment sur les petits transporteurs, pour qu’ils diminuent leurs marges à hauteur de la répercussion de la majoration forfaitaire prévue dans la loi. Comment la rendre effective ?

M. Daniel Bursaux. La loi de 2006, relative à la sécurité et au développement des transports, visait entre autres choses à compenser les effets des fluctuations du cours du pétrole. À cette fin, elle prévoyait la possibilité de répercuter ces fluctuations dans les contrats de transport. En dépit de craintes semblables à celles que vous formulez, monsieur Marleix, le dispositif a, semble-t-il, donné satisfaction.

De plus, le ministre m’a demandé de prendre contact avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : dès le démarrage de l’écotaxe, la DGCCRF pourra être alertée au cas par cas et en temps réel par les transporteurs qui seraient confrontés à des problèmes de ce type. Nous avons signé avec celle-ci une convention d’engagement sur ce point précis.

Mme Sophie Errante. La mise en place d’une société d’économie mixte a-t-elle été envisagée à un moment ou à un autre, ce qui permettrait sans doute de rendre le système plus transparent ?

M. Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification. Toutes les pistes, notamment celle-ci, ont été envisagées. Nous nous sommes ainsi rendus à Lyon pour étudier l’administration du péage de Teo Lyon : tous les montages auxquels nous avons procédé impliquaient de définir un régisseur. Le commissionnement nous a paru le dispositif le plus adapté.

M. Daniel Bursaux. Je rappelle que le dispositif autrichien a été racheté après quelques années par l’État.

Il est toutefois prématuré d’envisager à l’heure actuelle la même démarche de la part de l’État français, compte tenu de la phase du contrat avec Ecomouv’ dans laquelle nous nous trouvons. Cela supposerait de discuter gros sous avec le contractant !

Mme Corinne Erhel. J’ai déjà eu l’occasion, au cours d’une réunion à Rennes, de prendre connaissance d’études d’impact macroéconomiques par produit. J’avais alors demandé s’il était possible de procéder à des études d’impact microéconomiques prenant en compte des logistiques particulières et portant notamment sur des entreprises travaillant à flux tendus et dont les marges sont très faibles : disposerons-nous de telles études ?

Par ailleurs, à qui appartiendront in fine les données collectées ? À l’État ou à Ecomouv’ – à qui j’ai du reste posé la même question ? Il m’a été indiqué qu’une partie des données sont destinées aux SHT : si tel est le cas, quelles seront leurs obligations ? Il est toujours possible, en effet, de monétiser les données. Quelles garanties ont-elles été prises par l’État en la matière ?

M. Olivier Quoy. À la suite de la réunion du 25 octobre, des réunions se sont tenues au cabinet avec les acteurs, notamment la Fédération du commerce et de la distribution, Coop de France ou la FNSEA. Or, pour mener à bien l’exercice, il faudrait arriver à réunir les différents acteurs de la chaîne, lesquels entretiennent des relations parfois très conflictuelles sur les marges. Je ne peux donc pas vous promettre aujourd’hui que nous arriverons à vous proposer des informations réalistes portant sur la chaîne complète. Nous avons rencontré le même type de difficulté pour les labellisations CO2, que nous n’avons pu réaliser que pour un ou deux produits.

M. Antoine Maucorps. Les données qui seront exigées des redevables pour calculer le montant de leur taxe seront la propriété de l’État qui a, de ce fait, lui-même présenté le dossier à la CNIL, même si l’ensemble des moyens destinés à respecter les contraintes qu’elle a fixées seront mis en œuvre par Ecomouv’.

Le transporteur paie sa taxe à Ecomouv’. Lorsqu’une SHT a reçu mandat du redevable pour payer la taxe à sa place, Ecomouv’ envoie en retour à la SHT des informations qu’elle doit transmettre au redevable : il s’agit du montant de la taxe due et, si le redevable l’a demandée, de la facture détaillée. Les SHT n’ont pas le droit d’utiliser ces informations à d’autres fins que l’information du redevable.

En revanche, les sociétés de télépéage ont vocation à mettre en place l’interopérabilité. Elles peuvent vendre d’autres services à leurs clients comme le télépéage autoroutier, la géolocalisation et la gestion de flotte au titre de relations commerciales privées entre la SHT et son client. En cas de géolocalisation, la SHT remplit ses obligations vis-à-vis de la CNIL indépendamment de son contrat avec Ecomouv’.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les messageries express, compte tenu de l’internationalisation de leur activité, souhaitent ne pas être soumises aux dispositions relatives à la majoration forfaitaire. Est-ce envisageable ?

Par ailleurs, qu’en est-il du calcul de l’écotaxe en cas de transport combiné ? Le taux de majoration forfaitaire tel qu’il est aujourd’hui prévu prend en compte l’écotaxe sur la totalité du parcours. Or une partie importante du transport peut être effectuée par le rail ou par l’eau. Est-il possible de réduire le taux de majoration forfaitaire en cas de transport combiné ?

M. Daniel Bursaux. S’agissant des messageries, je vous enverrai une réponse écrite : elles sont soumises au code des transports.

Il est difficile d’apporter une réponse à la question de l’exonération du transport combiné, compte tenu du mode de reconnaissance des véhicules qui a été adopté. Il ne permet pas de distinguer ceux des transporteurs qui recourent au multimodal. Seul un système de remboursement permettra de donner un atout complémentaire au transport combiné. Ce dispositif, bien que compliqué à mettre en place, demeure de l’ordre du possible.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Plutôt que prévoir une exonération, ne serait-il pas possible de diminuer le taux de la majoration forfaitaire, dans la mesure où une partie seulement du trajet est effectué sur la route ?

M. Daniel Bursaux. Le problème est que les opérateurs du transport combiné ne veulent pas se résoudre à l’éclatement de leurs factures entre transport ferroviaire et fluvial, manutention portuaire et transport routier, prétextant que ce serait attenter au secret de la fabrication de leurs prix. La question se trouve donc dans l’impasse.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie, mesdames et messieurs.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Crocquevieille,
directrice générale des douanes et droits indirects (DGDDI),
de Mme Anny Corail, responsable de la Mission « taxe poids lourds » (MTPL), de M. Dariusz Kaczynski, sous-directeur des droits indirects,
et de M. Antoine Maucorps de la mission de tarification

(Séance du mercredi 12 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Madame la directrice générale, contrairement à M. Bursaux que nous avons entendu ce matin, vous n’avez pas suivi le dossier de l’écotaxe depuis l’origine, n’ayant pris vos fonctions qu’il y a un an.

Votre connaissance de la fiscalité est toutefois bien affirmée, car vous avez eu auparavant d’importantes responsabilités à la direction du budget. Au total, la douane, administration fiscale, collecte près de 70 milliards d’euros de droits et taxes, dont la moitié environ sur l’énergie et les carburants. Au regard des montants attendus de l’écotaxe, sa collecte ne représenterait qu’une partie modeste de l’activité des services douaniers. Néanmoins, la mise en place de l’écotaxe a fortement mobilisé cette administration. La douane a même été impliquée dès sa conception dans la définition des modalités pratiques de la taxe.

Vous êtes venue avec trois de vos proches collaborateurs qui supervisent les travaux de la mission « taxe poids lourds » spécialement créée au sein de la direction générale.

Madame la directrice générale, vous allez nous préciser quel a été le rôle de cette mission, comment elle a travaillé et quelles difficultés elle a rencontrées. L’écotaxe est un projet interministériel, pour lequel la douane a élaboré une grande part des textes réglementaires.

Vous voudrez bien rappeler aussi quelle a été l’implication de la douane, avec ses spécifications et ses exigences, dans la phase du dialogue compétitif qui a abouti au choix d’Ecomouv’. Comment vos fonctionnaires travaillent-ils avec les personnels d’Ecomouv’ ? Des transporteurs nous ont dit que l’enregistrement des dossiers leur paraissait assez lourd. Or, la douane joue un rôle important à ce niveau, notamment dans la validation de chaque dossier.

Pouvez-vous nous décrire les étapes de la procédure et les tâches respectives d’Ecomouv’ et de votre administration ? Dans l’hypothèse d’une relance de l’écotaxe dans quelques mois, faudra-t-il tout reprendre à zéro du fait du vieillissement des données ? Si oui, cela reporterait de quel délai l’entrée en vigueur de l’écotaxe ?

Pour leur part, les dirigeants d’Ecomouv’ nous ont assuré que le « guide des procédures » avait été profondément modifié onze mois après l’attribution du contrat. Cette révision des prescriptions n’a-t-elle pas compliqué certaines questions techniques ?

Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Monsieur le président, merci de m’avoir invitée à venir traiter ici de l’écotaxe, qui constitue en effet une mission importante pour la DGDDI. La participation aux travaux de préparation, puis de mise en œuvre de cette taxe, dont la collecte a vocation à revenir à la douane, fait partie, depuis trois ou quatre ans, des objectifs clairement assignés par les différents ministres qui se sont succédé.

Ayant pris mes fonctions il y a un an, je n’ai pas connu le dossier de l’écotaxe au moment où il a été pris en mains par la douane. Je précise toutefois que j’ai travaillé à la 4ème sous-direction de la direction du budget, qui est chargée, entre autres, du secteur des transports et de l’équipement. En 2006-2007, j’ai donc pu assister aux prémices de l’écotaxe : mise en place de manière « impromptue » en Alsace et aux premières consultations, notamment auprès de la direction des affaires juridiques, sur les possibilités d’externalisation de telle ou telle catégorie d’acte. J’ai ensuite retrouvé ce dossier en prenant mes fonctions actuelles.

Je parlerai d’abord du rôle de la douane dans la mise en œuvre de la taxe et, en particulier, de sa position quant à l’externalisation de certaines missions de collecte et de contrôle. J’apporterai ensuite des précisions sur quelques chantiers qui suscitent des interrogations – dont l’enregistrement et les évolutions éventuelles du guide des procédures. Je terminerai par la situation actuelle et les perspectives d’évolution du point de vue de la douane.

Je commencerai donc par la place de la DGDDI dans la mise en œuvre de l’écotaxe. Précisons que la douane n’a pas participé à l’instauration de la taxe expérimentale en Alsace. En effet, la taxe a été créée dans le code des douanes par la loi du 5 janvier 2006 par le biais d’un amendement parlementaire voté en séance contre l’avis du Gouvernement. Depuis, en revanche, elle a été associée à l’ensemble des travaux qui ont été menés sur le sujet.

La douane a été associée pour la première fois aux travaux relatifs à la mise en œuvre de la taxe alsacienne à partir de mai 2006. Puis des discussions ont eu lieu en vue d’étendre l’expérimentation alsacienne à l’ensemble du territoire.

On s’est interrogé d’abord sur la nature de la perception. Était-ce une taxe ou une redevance au sens du droit français, sachant qu’au sens du droit communautaire et de la directive Eurovignette il s’agit d’un péage ? La direction de la législation fiscale (DLF) et la direction des affaires juridiques (DAJ) ont rapidement conclu qu’il ne pouvait s’agir que d’une taxe. En effet, seuls les véhicules de transport de marchandises sont assujettis, et le produit de la perception n’est pas affecté exclusivement à l’entretien des routes. Il convenait donc d’appliquer, pour la perception de ce péage, les règles fiscales. Le terme de « taxe » a été retenu dans l’article 153 de la loi de finances initiale pour 2009.

La DGDDI est une administration fiscale chargée de la perception des droits indirects, et en particulier de la taxe à l’essieu et de l’essentiel de la fiscalité environnementale et écologique comme la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). C’est aussi une administration de contrôle, et la perception de la taxe poids lourds en Alsace (TPLA) lui avait été naturellement attribuée par la loi. Elle était aussi logiquement l’administration compétente pour une taxe élargie.

Mais les services de l’État, et en particulier la douane, étaient-ils capables d’élaborer et de gérer eux-mêmes le dispositif technique de calcul et de collecte de l’écotaxe ?

Pour répondre aux contraintes communautaires, il était clair que la mise en œuvre de cette nouvelle taxe nécessitait le développement d’un système technologique et informatique extrêmement complexe : mise en place de systèmes de détection des véhicules, fourniture de badges, construction d’outils de contrôle, etc. Tous les pays qui ont déjà instauré ce type de taxe – l’Autriche, la Suisse, la République tchèque, l’Allemagne – se sont appuyés sur les compétences de prestataires privés. La complexité étant aggravée en France par la nature du réseau concerné – ouvert, composé de tronçons discontinus – et l’obligation d’appliquer la directive « interopérabilité », qui suppose des équipements utilisables sur tous les réseaux à péage, l’élaboration technique ne pouvait être confiée qu’à un prestataire privé.

Ensuite, on pouvait s’interroger sur la capacité de l’État à exploiter le dispositif, une fois celui-ci élaboré. Or, à la complexité technique s’ajoutait la complexité juridique liée au déploiement de l’interopérabilité, obligatoire pour tout nouveau dispositif de péage institué après le 1er janvier 2007 – l’Allemagne, qui avait déployé son système antérieurement, avait pu y échapper. De ce fait, un contrat doit être signé entre le percepteur de péage – la douane, pour la TPL – et le prestataire de service européen de télépéage (SET) ou la société habilitée fournissant un service de télépéage (SHT).

La nature du contrat qu’il aurait fallu mettre en place entre la douane et des sociétés privées installées en France et à l’étranger – interopérabilité oblige – suscitait de grandes interrogations et difficultés. Quel droit et quelle juridiction devaient être retenus ? Comment contrôler la bonne exécution des contrats dans un autre État membre ?

Pour la douane, il paraissait indispensable de désigner un interlocuteur unique faisant l’interface avec tous les sous-traitants, afin d’éviter des dissolutions et des reports de responsabilité entre les prestataires. Nous y avons été particulièrement attentifs lors des discussions préalables.

Enfin, et c’est certainement un point que l’on ne doit pas éluder, la douane ne disposait pas des moyens et effectifs nécessaires pour collecter et contrôler la taxe – et augmenter ses moyens ne serait pas allé dans le sens de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui prévoyait la diminution des effectifs et encourageait le transfert de missions de l’État vers le privé.

Pendant la procédure de sélection du prestataire, la douane a pris toute sa part aux discussions et aux travaux, mais elle l’a fait dans ses domaines d’expertise, en tant qu’administration fiscale et de contrôle.

Elle s’est impliquée d’abord au stade de la rédaction de l’avis d’appel public à la concurrence (AAPC) lancé en mai 2009 ; elle a fait prévaloir son avis sur la modulation des critères et, en particulier, sur une pondération un peu plus importante du coût global de l’offre.

Puis au moment de la rédaction des spécifications de l’État – élaboration du programme fonctionnel et d’une partie du contrat de partenariat, notamment les aspects relatifs à la collecte de la taxe.

La douane a ensuite participé aux différentes étapes du dialogue compétitif : réponses aux questions des candidats relatives à la collecte et au contrôle ; participation à toutes les auditions ; évaluation des offres des candidats sur tous les éléments impactant directement la collecte et le contrôle de la taxe– essentiellement le critère relatif à la qualité technique du projet et la garantie fiscale du critère de la solidité financière.

Ensuite, et assez rapidement au cours du dialogue, la douane a précisé ses exigences liées aux contraintes fiscales et comptables. La confrontation a fait apparaître que celles-ci pouvaient être un peu modulées ou assouplies, compte tenu de l’impact qu’elles auraient pu avoir sur les éventuels prestataires. En effet, le contrat de partenariat public/privé (CPPP), dans sa forme habituelle, ne répondait pas à la particularité d’une taxe fiscale, et les propositions initiales des candidats n’intégraient pas suffisamment cette donnée.

J’en arrive donc au guide des procédures, qui est le recueil des spécifications de l’État et des précisions nécessaires pour le traitement des opérations de collecte et de contrôle, selon les règles fiscales et douanières. Il se présente sous forme de fiches d’instructions de la douane à destination du prestataire commissionné, et a été annexé au contrat signé le 20 octobre 2011. Il précise les règles et modalités d’enregistrement, de liquidation, de communication, de contrôle, d’archivage.

Comme vous l’avez fait remarquer, monsieur le président, Ecomouv’ a fait état de difficultés suscitées par une nouvelle version du guide, onze mois après la signature du contrat.

S’agissant d’un contrat de partenariat public/privé (CPPP), et en sa qualité de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre, Ecomouv’ a développé les spécifications générales et détaillées qu’il a jugées nécessaires à la réalisation du projet. Lors de leur analyse, l’État s’est rendu compte de certaines non-conformités aux dispositions fiscales et comptables, qui ont été signalées au prestataire privé. Un certain nombre d’échanges ont eu lieu à cette occasion. Par ailleurs, pendant la construction du dispositif, et en particulier pendant les développements informatiques, Ecomouv’ a posé à l’État de nombreuses questions d’ordre technique pour l’application de ces instructions.

Ces questions, ainsi que les observations faites sur les spécifications générales et détaillées, ont appelé des précisions de la part de l’État, lesquelles ont été reprises ensuite dans le guide des procédures.

Ces précisions sont apparues au fur et à mesure des constatations de l’État, au cours des nombreux ateliers techniques et à l’occasion des questions posées par le prestataire privé, voire des réponses que lui-même apportait à l’État sur la manière dont il avait pris en compte certaines dispositions. Lorsque la MTPL se rendait compte que le prestataire privé n’avait pas forcément bien compris les spécificités demandées, nous apportions un certain nombre de précisions sur ce guide des procédures. Tout cela s’est fait de façon pragmatique, en concertation avec Ecomouv’, tout au long de la phase de développement, et à chaque fois que cela nous a paru nécessaire.

À un moment donné, il a fallu synthétiser l’ensemble des précisions apportées. Le guide de procédures a effectivement été revu, dans le cadre d’une procédure d’échanges avec Ecomouv’ qui a duré de février à août 2012. Il a été livré dans une version consolidée en septembre 2012.

Pour l’État – mais je sais qu’Ecomouv’ a une appréciation légèrement différente – il ne s’agit donc pas de modifications par rapport à la version originale, mais bien de précisions qu’il est apparu nécessaire de fournir au prestataire privé pour que le développement du dispositif soit conforme aux règles générales régissant une taxe fiscale.

Après avoir traité de la place de la douane dans la mise en œuvre de l’écotaxe, j’aborderai maintenant quelques chantiers pouvant susciter des interrogations.

D’abord, quelques précisions, monsieur le président, sur le rôle et les missions des différents acteurs, s’agissant notamment de l’enregistrement et de la phase expérimentale ou « marche à blanc ».

L’intervention de différents acteurs résulte de la nature de ce péage. Le fait que ce soit une taxe implique que l’État est compétent pour sa perception, son versement aux différents attributaires, son contrôle et la mise en œuvre des éventuelles sanctions et recouvrements forcés.

Elle résulte aussi des directives européennes, et en particulier de la directive « interopérabilité » qui permet à un redevable de n’utiliser qu’un seul équipement et de n’avoir qu’un seul interlocuteur pour toutes les routes à péage utilisées, à savoir la société de télépéage et non les percepteurs de chaque péage. Mais cette directive implique également que la société de télépéage soit l’interlocuteur des différents percepteurs de péage.

Au préalable, il convient de rappeler la distinction entre « redevables abonnés » et « redevables non abonnés », créée pour l’application des directives européennes.

Pour le redevable abonné, c’est dans le cadre d’un contrat commercial de droit privé que la SHT lui fournit la totalité des services liés à la taxe poids lourds (TPL) : l’enregistrement du véhicule, la livraison de l’équipement électronique embarqué, la refacturation de la taxe, l’envoi des détails de liquidation, l’acquittement de la taxe auprès du prestataire commissionné. Le redevable abonné est client de la SHT.

La SHT peut également – mais ce n’est pas une obligation – fournir d’autres prestations, liées ou non à la TPL, auxquelles le client souhaite souscrire : d’autres péages comme le TIS PL, ou des prestations annexes, géolocalisation, cartes carburants, etc.

Toutes ces opérations sont réalisées dans le cadre d’un contrat commercial de droit privé. Les coûts relatifs à ces prestations relèvent de la seule compétence de la SHT et sont librement consentis par le client.

Il y a également des redevables non abonnés. L’abonnement auprès d’une SHT ne pouvant être obligatoire, il a fallu prévoir un dispositif permettant au redevable qui ne souhaitait pas contracter auprès d’une SHT de s’acquitter de la taxe : d’où la notion de redevable non abonné.

Les redevables non abonnés s’enregistrent directement auprès du prestataire commissionné, Ecomouv’, qui met gratuitement à leur disposition un équipement embarqué, contre le dépôt d’une garantie. Celle-ci a pour but d’encourager le redevable à prendre soin de cet équipement et à le rendre, notamment quand il quitte le territoire national. Ces équipements représentent du reste un coût supérieur à la garantie et sont à la charge de l’État. Le redevable doit ensuite fournir une avance, imputée au fur et à mesure de ses déplacements sur le réseau taxé.

Ce dispositif justifie et nécessite la mise en place d’un réseau de distribution suffisamment dense, comptant 420 points de distribution (bornes automatiques, points avec personnel dans les stations-services). Il est possible de s’inscrire par internet, par téléphone ou par courrier. En effet, pour ne pas gêner exagérément la circulation des marchandises, le redevable doit être à même de se procurer un équipement au plus vite avant son entrée sur le réseau taxable.

Quelles sont les missions respectives des différents acteurs ?

Les SHT agissent pour le compte du redevable, sur la base du mandat de celui-ci. Elles enregistrent le véhicule auprès de l’État représenté par le prestataire commissionné ; elles paient au prestataire commissionné la taxe due par le client. Ce sont elles qui garantissent le paiement de la taxe, à charge pour elles de la refacturer à leur client et d’entamer, si elles le souhaitent, des procédures de recouvrement forcé.

Ensuite, le prestataire Ecomouv’ est commissionné par le ministre chargé des douanes pour effectuer, à la place de la DGGDI, mais sous son contrôle strict, certaines missions. C’est à cette condition que le Conseil d’État a validé l’externalisation de certaines missions. Ecomouv’ effectue ainsi diverses tâches, non pas en tant que prestataire privé, mais pour le compte de la douane et sous sa responsabilité.

Il procède à l’enregistrement des véhicules et il est seul responsable – et non pas la douane – de la validation de l’enregistrement.

Il collecte les données nécessaires à l’établissement de l’assiette de la taxe et détermine, à partir des données enregistrées par les équipements embarqués, les siens et ceux des SHT, le point de tarification franchi. Ce point constitue le fait générateur de la taxe.

Il assure la liquidation et la communication de la taxe directement aux redevables non abonnés, et à la SHT pour les redevables abonnés, ses clients.

Il effectue le recouvrement de la taxe et la reverse à la douane. Le prestataire commissionné doit verser à l’État la taxe qu’il a facturée, qu’il l’ait recouvrée lui-même ou non ; c’est là qu’entre en jeu sa garantie et son obligation vis-à-vis de l’État.

Il procède au prétraitement des demandes en restitution. Il procède également au remboursement lorsque la douane l’a accordé, et que l’argent correspondant lui a été versé par l’État.

Il constate les manquements par le dispositif automatique et les notifie aux redevables. Il traite des contestations de ces manquements.

Il procède enfin à l’information des redevables.

La douane réalise quant à elle toutes les opérations relevant du droit régalien, conformément aux conditions posées par le Conseil d’État : la perception définitive de la taxe et son reversement aux différents attributaires ; l’acceptation ou le refus des demandes en restitution ; la notification des infractions et de l’amende ; les poursuites judiciaires et le recouvrement forcé ; enfin, le contrôle et l’audit du prestataire commissionné. C’est à ce titre qu’a été créé un service centralisé à Metz, le service taxe poids lourds (STPL), doté d’un effectif de 130 agents.

Il est également nécessaire d’effectuer des contrôles manuels sur le linéaire : ces derniers seront principalement réalisés par la douane qui s’est vu attribuer à ce titre un effectif de 170 agents. Ils seront complétés par des contrôles réalisés par la police, la gendarmerie et les contrôleurs des transports terrestres du ministère des transports – qui effectueront des vérifications dans le cadre de leurs missions habituelles de contrôle des transports routiers, contrairement à la douane qui devra engager des contrôles dédiés au titre de la mission TPL.

L’ensemble de ces forces – police, gendarmerie, contrôleurs des transports terrestres, douane – pourra constater des infractions, les notifier et appliquer des amendes. Dans tous les cas, la taxe sera perçue par la douane qui assurera également, le cas échéant, les poursuites judiciaires – quelle que soit l’autorité ayant effectué le contrôle. Il sera par ailleurs possible d’effectuer des contrôles en entreprise : ils seront réalisés a posteriori sur l’ensemble du territoire métropolitain par les agents des douanes et les contrôleurs des transports terrestres du ministère des transports.

J’espère avoir exposé ainsi clairement le rôle des différents intervenants.

Vous avez évoqué, monsieur le président, la difficulté que pouvait susciter l’enregistrement. Son objectif consiste à identifier le véhicule assujetti – c’est-à-dire à vérifier son immatriculation et les données fixes ayant un impact sur le taux applicable, notamment la classe Euro dont il relève – mais aussi le redevable à qui sera adressé l’avis de paiement. Il est important de disposer de données exactes : la classe Euro du véhicule peut faire varier de manière significative le taux applicable ; il faut également garantir que le numéro déclaré ou les coordonnées du redevable ne sont pas usurpées. Les justificatifs demandés ont pour objet de permettre au prestataire commissionné de vérifier la cohérence des données.

La personne qui déclare le véhicule doit fournir les documents permettant de justifier de son identité, de la qualité du redevable destinataire des avis de paiement – selon qu’il est propriétaire, locataire ou utilisateur – et de ses coordonnées, ainsi que des caractéristiques du véhicule – immatriculation, poids à vide, classe Euro. Lorsqu’elle représente le redevable, cette personne doit produire un mandat, à moins qu’il ne s’agisse du représentant local d’une société, auquel cas elle devra fournir une attestation sur l’honneur de sa fonction. Un même document peut évidemment servir à justifier plusieurs données nécessaires à l’enregistrement.

Les informations et pièces justificatives à fournir sont listées dans un arrêté afin de faciliter l’enregistrement des véhicules. Cet arrêté énumère les types de documents pouvant être utilisés pour justifier une donnée. Ainsi, pour justifier de la classe Euro d’un véhicule, le redevable peut présenter un certificat d’immatriculation. Mais si cette information ne figure pas sur ce document, il pourra présenter un certificat de conformité, un certificat « CEMT » ou encore une attestation de constructeur. S’il est impératif que toutes les informations nécessaires à l’enregistrement d’un véhicule soient bien fournies et contrôlables, en revanche, tous les documents énumérés dans l’arrêté ne sont pas nécessaires à l’enregistrement. En moyenne, le nombre de justificatifs varie de deux à six selon la situation du redevable et l’ancienneté du véhicule.

Je rappelle une fois encore que l’enregistrement relève de la seule responsabilité du prestataire commissionné et non de l’administration. La douane vérifie uniquement a posteriori que les données correspondent à celles dont elle dispose déjà dans ses référentiels, notamment, que le redevable est connu dans un autre domaine. La douane collecte en effet les recettes issues de taxes environnementales, de taxes sur les carburants, ou encore de la taxe spéciale sur certains véhicules routiers (TSVR) dite taxe à l’essieu.

L’enregistrement des redevables abonnés a commencé le 19 juillet, et le 15 octobre pour les redevables non abonnés. Selon les données transmises par Ecomouv’ à la fin de janvier, un peu plus de 194 000 enregistrements ont été réalisés et validés, dont 193 500 redevables abonnés – parmi lesquels 54 % sont français et 46 % d’une autre nationalité – et 574 redevables non abonnés – à 82 % français. Depuis quelques semaines, le processus d’enregistrement s’est évidemment ralenti.

Dans les premiers temps, nombre de dossiers ont été rejetés par Ecomouv’ du fait notamment de problèmes de format d’échanges de données entre Ecomouv’ et les SHT. La résolution de ce défaut a permis de réduire le nombre de rejets. En outre, les SHT ont eu besoin d’un temps d’adaptation : au départ, beaucoup de données ont été mal saisies. Le fait que certaines données, principalement la classe Euro, n’aient pas été justifiées a entraîné 20 % des rejets.

Aujourd’hui, l’apprentissage accompli par les SHT et l’effort réalisé par Ecomouv et la DGDDI pour trouver des solutions aux différentes questions restantes ont permis de régler la quasi-totalité des dossiers. Il ne doit plus guère rester, à ce jour, de dossiers en instance de traitement.

En cas de relance de l’application de la taxe, soit telle que nous la connaissons soit sous une forme modifiée, qu’adviendra-t-il des redevables déjà enregistrés, qu’ils soient abonnés ou pas ? Leur enregistrement demeurera valable tant que l’ensemble du système ne sera pas bouleversé – à ceci près, qu’en cas de renouvellement de la flotte, un nouvel équipement embarqué sera attribué au véhicule, qui devra donc faire l’objet d’un nouvel enregistrement. Dans ce cas, afin de simplifier et de limiter les démarches du redevable, la douane donnera pour instruction à Ecomouv’ de ne pas demander à nouveau les pièces fournies initialement si la situation du redevable n’a pas changé. Plus la durée de la suspension de la taxe sera longue, plus le nombre de camions renouvelés sera important.

J’en viens à la question de la phase expérimentale dite « marche à blanc », qui a remplacé l’expérimentation initialement prévue en Alsace. Cette marche à blanc a été demandée par les transporteurs, il ne s’agissait pas d’un exercice nécessaire pour valider le dispositif. Elle avait pour objet de permettre aux redevables d’appréhender le cycle de la collecte à l’échelle nationale ainsi que le fonctionnement du dispositif. La marche à blanc s’est limitée à la collecte, pour un mois donné, des informations nécessaires à l’établissement des faits générateurs, à la liquidation de la taxe pour ce mois et à la communication à la SHT de la liquidation – à charge pour celle-ci de la transmettre aux redevables abonnés. Toutes les SHT ont accepté de participer à la marche à blanc. Cette expérimentation n’ayant pas été rendue obligatoire, les redevables enregistrés ont dû préciser s’ils souhaitaient y participer.

À la fin de novembre 2013, 9 708 véhicules avaient participé à cette phase expérimentale, produisant sur le mois de novembre 2013 un peu plus de six millions d’événements de tarification – autrement dit, de points de tarification franchis par ces véhicules. Quatre liquidations, une par mois, ont pu être opérées d’août à novembre. L’expérimentation s’est achevée à la fin de novembre, les SHT ayant refusé de la poursuivre, compte tenu des annonces du Premier ministre. Ayant procédé à la vérification d’un échantillon de liquidations, l’État n’a relevé aucune anomalie.

Lors de l’audition de l’Organisation des Transporteurs routiers européens (OTRE), la société Guisnel a fait état d’erreurs qui seraient apparues au cours de l’expérimentation de novembre. J’ai donc fait procéder à un contrôle. Le système de l’écotaxe n’est pas un système de géolocalisation, de sorte que seuls les points de tarification franchis, qui sont nécessaires à la détermination du fait générateur et de l’assiette de la taxe, sont mémorisés et transmis au système central d’Ecomouv’ pour liquidation de la taxe. Or, l’examen réalisé par les services de la douane me permet d’infirmer les dires de la société Guisnel : aucune erreur ne s’est produite en novembre. Ayant effectué son enregistrement les 10 et 18 octobre 2013, la société Guisnel n’a donné son consentement à la marche à blanc que le 23 octobre et les équipements électroniques embarqués n’ont été activés par sa SHT pour la taxe poids lourds que le 7 novembre. C’est donc uniquement à partir de cette date que les points de tarification franchis par les camions de la société Guisnel ont pu être enregistrés. Et ils ont bien été remontés par les équipements embarqués. La vérification de la liquidation démontre que tous les points remontés ont été liquidés et que le calcul de la taxe est correct. Nous pourrons vous remettre, si vous le souhaitez, le rapport établi par mes services à la suite de ce contrôle.

Globalement, et bien que ce ne soit pas là l’objectif poursuivi, cette phase expérimentale a permis de montrer que le cœur du dispositif – la collecte des données et la liquidation de la taxe pour les redevables abonnés – fonctionnait correctement. Les vérifications effectuées au cours des quatre mois de la marche à blanc entre points de tarification et liquidations de la taxe n’ont pas révélé d’erreurs.

Où en sommes-nous aujourd’hui, compte tenu de la suspension de la taxe ? Quelles difficultés les pistes d’évolution envisagées soulèvent-elles ?

L’annonce formulée par le Premier ministre le 29 octobre a eu des incidences sur les travaux menés par la douane, et notamment sur l’activité de son service taxe poids lourds (STPL) ainsi que sur ses travaux d’ordre réglementaire. La finalisation de deux décrets et de huit arrêtés a été suspendue, notamment pour des raisons d’affichage en fin d’année. Certains de ces textes devront d’ailleurs être repris en fonction des ajustements susceptibles d’être apportés au dispositif. De même certains travaux législatifs ont été suspendus, notamment ceux visant à l’introduction, dans le code des douanes, de la procédure d’ordonnance pénale en vue de faciliter le traitement des contentieux relatifs à la taxe poids lourds. Un texte devait être présenté en loi de finances rectificative pour 2013 mais son dépôt a été reporté. Autre élément suspendu, l’examen du système d’information de la douane par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). En effet, si le système d’information d’Ecomouv avait déjà été validé, celui de la douane était censé l’être à la fin de 2013 : on a reporté de quelques mois. Ce système devra lui aussi tenir compte des éventuelles évolutions du dispositif. Des travaux étaient également en cours avec la Chancellerie, notamment en vue de la transmission informatisée de données relatives à l’ordonnance pénale. Je citerai encore les travaux menés avec la police et la gendarmerie pour le développement informatique des procès-verbaux valant proposition transactionnelle, la finalisation de la formation des agents chargés des contrôles – agents émanant essentiellement des autres autorités de contrôle – et enfin, les actions de communication menées auprès des redevables. Autant de travaux qui ont été suspendus et qui devront être repris si le signal de la reprise nous est donné.

Le service de la taxe poids lourds à Metz est sensiblement affecté par cette suspension, dans la mesure où il est spécialisé dans la gestion de l’écotaxe. Les agents de ce service se retrouvent sans mission pendant la suspension. Comme il était hors de question de laisser ces agents sans occupation pendant toute cette période, d’autres missions leur ont été temporairement attribuées – sachant que la priorité demeure à la reprise des travaux sur la taxe poids lourds lorsque cela sera nécessaire.

Dans un premier temps, leur ont été confiées des activités liées à la taxe poids lourds et limitées dans le temps, telles que la finalisation de différents travaux, et la participation aux travaux de vérification des documents du prestataire commissionné et aux kits de formation non achevés. Nous leur avons ensuite confié des activités non liées à la taxe poids lourds mais vouées à demeurer temporaires : sur la base du volontariat, certains agents ont été détachés auprès d’autres bureaux de la douane ; d’autres, restés à Metz, participent à d’autres missions douanières. De toute façon, ces agents restent mobilisables dès que nécessaire pour la reprise des opérations relatives à la taxe poids lourds. La situation sociale des agents présents sur place constituant un point sensible, elle fait l’objet d’un suivi très précis de ma part et de l’ensemble des directeurs et chefs de services sur place. Les agents, qui ont bien compris la situation, sont satisfaits de s’être vu confier de réelles missions. Il deviendra cependant primordial à un moment donné de disposer d’une visibilité quant au calendrier de reprise des opérations.

M. Daniel Bursaux a dû vous faire ce matin un point précis de la situation d’Ecomouv’. Si la suspension de la taxe a eu des conséquences assez directes sur le STPL, il n’en va pas de même de nos relations avec Ecomouv’. Dans la mesure où la suspension concerne la taxe et non le contrat, les obligations du prestataire demeurent, et les travaux qui devaient être finalisés l’ont été ou sont en train de l’être. La vérification d’aptitude au bon fonctionnement (VABF) a été effectuée dans un délai raisonnable, compte tenu de la complexité du dispositif (environ 1 300 tests ont été réalisés pour chaque VABF). Elle a été prononcée le 16 janvier dernier, après la levée du dernier défaut considéré comme majeur par l’État, visant à l’obtention de l’homologation des premières chaînes de collecte et de contrôle. L’État examine actuellement le rapport de vérification de service régulier (VSR) reçu le 20 janvier pour s’assurer de l’absence de défaut majeur. Des discussions sont en cours pour déterminer les modalités pratiques régissant la période de suspension de la taxe.

Quant aux pistes envisagées pour améliorer l’acceptabilité du dispositif, nous les suivons avec attention.

La première piste évoquée est celle d’une suppression de la TSVR, dite « taxe à l’essieu », ou de son extension aux étrangers : cela n’est pas possible, compte tenu de la directive Eurovignette. En effet, la taxation des véhicules immatriculés dans l’Union européenne est obligatoire pour les États membres, à qui la directive interdit formellement toute exonération. Il existe une taxe équivalente dans tous les États membres. En application des principes d’universalité et de reconnaissance réciproque dans l’Union européenne, les véhicules français n’acquittent pas de taxe sur les véhicules lorsqu’ils circulent dans les autres États membres. De même, les véhicules européens n’acquittent pas de TSVR lorsqu’ils circulent en France. On ne peut donc ni supprimer la TSVR ni l’étendre aux véhicules immatriculés dans l’Union européenne.

Deuxième piste évoquée, le relèvement du seuil de l’assujettissement à douze tonnes. Cela poserait aussi des difficultés au regard de la directive Eurovignette et nécessiterait des discussions avec la Commission européenne. Certes, la Commission a introduit un amendement à la directive, permettant une dérogation, mais à certaines conditions qui ne nous paraissent pas remplies aujourd’hui. Il faudrait pouvoir justifier que l’application du dispositif dès 3,5 tonnes entraînerait des coûts supplémentaires ou un report de trafic excessif. Or, nous comptions intégrer les 3,5 tonnes au dispositif. Et c’est au contraire si on les exonérait que l’on risquerait d’engendrer des coûts supplémentaires. La perte de recettes serait d’ailleurs de 200 millions d’euros.

La troisième piste évoquée consiste à majorer le critère de périphéricité de certaines régions. Il s’agit là d’une question d’appréciation, politiquement sensible. Je note que ce critère est déjà largement utilisé pour certaines régions françaises : le Midi-Pyrénées et l’Aquitaine bénéficient d’une minoration de 30 %, la Bretagne d’une minoration de 50 %. Ces taux paraissant déjà significatifs, il est probablement assez difficile de les augmenter – le risque étant, si l’on allait trop loin, d’entraîner une rupture d’égalité entre les différentes régions.

En quatrième lieu, on peut songer à une extension du champ des véhicules non assujettis. Les directives européennes permettent cette extension dans quelques cas : le transport d’animaux de la ferme au marché et inversement, dans la limite de cent kilomètres ; le transport des déchets et carcasses d’animaux ; les véhicules utilisés ou loués sans chauffeur pour le transport de biens des secteurs agricole, horticole et sylvicole, là encore dans un rayon de cent kilomètres.

Pour rendre cette extension possible, il faut, d’une part, que ces exonérations soient inscrites dans la loi et leurs modalités d’application précisées par des textes réglementaires et, d’autre part, que les véhicules demeurent contrôlables afin d’éviter toute distorsion entre les redevables – ce dernier point étant essentiel pour l’administration des douanes.

Dans tous les cas, pour permettre les contrôles, il faut définir de manière précise les véhicules concernés et les modalités de déclaration de ces véhicules : un véhicule est assujetti à la taxe poids lourds en fonction de son genre, de ses caractéristiques, et non pas en fonction de son contenu ou de son usage : la technologie utilisée, aussi pointue soit-elle, ne permet pas de vérifier le contenu d’un camion, pas plus qu’elle ne permet de vérifier le type de trajet effectué ou les kilomètres effectués sur un trajet donné. Enfin, seuls pourraient être exemptés les véhicules utilisés à titre exclusif pour un usage échappant à l’assujettissement. Un engagement du redevable sur ce point devra être fourni.

La solution à privilégier est donc la déclaration du véhicule non assujetti auprès d’une autorité compétente – DRAAF ou préfecture, par exemple –, puis son inscription, après validation, sur une liste lui permettant de passer la procédure de contrôle automatique. Cette solution ne règle pas néanmoins la question du contrôle des véhicules utilisés pour une activité mixte.

Lors de l’audition de M. Bernard Cazeneuve a été évoquée la question du maintien des portiques. Leur suppression aurait des conséquences assez lourdes : une diminution considérable du nombre des contrôles et, partant, une augmentation massive de la fraude, et la diminution des recettes ; mais aussi un coût important si le contrôle automatique devait être remplacé par un contrôle manuel, lequel n’atteindrait jamais, de surcroît, le degré de performance du contrôle automatique.

La douane s’est vue dotée d’un effectif supplémentaire de 170 agents pour lui permettre de contrôler manuellement environ 1 % du trafic. De leur côté, la police, la gendarmerie et les contrôleurs des transports terrestres n’agiront que dans le cadre de leurs contrôles habituels sur les véhicules de transport terrestre. Le nombre de contrôles manuels sera donc relativement faible par rapport à ceux que permettent les contrôles automatiques.

Pour compenser la suppression des contrôles automatiques, il faudrait augmenter considérablement le nombre de contrôles manuels. Cela entraînerait des difficultés budgétaires et techniques mais se révèlerait également problématique au regard du droit communautaire. Sur la base d’un contrôle tous les 500 kilomètres, base de calcul de la taxe forfaitaire, un peu plus de 5 000 agents supplémentaires seraient nécessaires pour approcher l’efficacité du contrôle automatique. Encore ne contrôlerait-on alors que 50 000 passages de véhicule par jour, alors que le dispositif de contrôle automatique en contrôle 230 000.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Ce n’est pas le chiffre qui nous a été donné par Thales, qui évoquait plutôt 600 000 contrôles par jour. Tout dépend sans doute de ce que l’on entend par véhicule.

Mme Anny Corail, responsable de la mission taxe poids lourds. Cela dépend du taux d’activation des portiques.

Mme Hélène Crocquevieille. En effet, il n’était pas prévu que tous les portiques soient activés simultanément, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Quoi qu’il en soit, il est difficilement imaginable, compte tenu de nos contraintes budgétaires, de déployer 5 000 agents supplémentaires affectés exclusivement à la taxe poids lourd, quand on sait que les effectifs des douaniers affectés à la surveillance terrestre n’excèdent pas 4 500 agents.

La suppression des portiques poserait par ailleurs des problèmes techniques tout à fait considérables. Outre que les contrôles manuels seraient une forte entrave à la fluidité du trafic, ils sont impossibles sur une part importante du réseau, faute d’un nombre suffisant de zones de stationnement sécurisées.

Au-delà de ces contraintes, la suppression des portiques diminuerait fortement l’efficacité des contrôles. En effet, les contrôles manuels seraient réalisés au hasard, alors que les procédures automatiques permettent un ciblage des véhicules. Par ailleurs, la fraude augmenterait sensiblement, la pression de contrôle étant amoindrie, et entraînerait de facto une diminution des recettes.

Un mot enfin sur les modalités de relance du dispositif. En l’absence de toute modification, un délai sera de toute façon indispensable avant la mise en œuvre de la taxe, du fait même que l’on aura suspendu la taxe pendant plusieurs mois : pour publier les textes juridiques en attente ; relancer les systèmes d’information ; coordonner l’action des douanes avec celle des autres forces de l’ordre et de la Chancellerie ; finaliser enfin l’enregistrement des véhicules, un peu moins de 200 000 d’entre eux ayant été enregistrés à ce jour sur les 600 000 attendus. J’estime ce délai incompressible à trois ou quatre mois au minimum.

Dans l’hypothèse où des modifications du dispositif seraient proposées à la suite de vos travaux, il faudra analyser leur impact au cas par cas. D’un point de vue technique, s’assurer de l’adéquation du dispositif actuel d’Ecomouv’ et de la douane à ces modifications et réaliser les modifications nécessaires, le cas échéant, dans les systèmes informatiques de la douane. D’un point de vue juridique, il faudra probablement modifier la loi – par exemple, en cas de révision des taux, de l’assiette ou du champ des assujettis – et tenir compte du délai d’adoption des textes d’application. D’un point de vue financier enfin, il sera nécessaire d’évaluer l’impact des modifications sur le contrat passé avec Ecomouv’, car elles entraîneront certainement une augmentation des coûts et nécessiteront donc un avenant. En fonction de l’importance des modifications apportées, le délai pourrait donc dépasser six mois après la décision de mise en œuvre.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous avez abordé la question de la dénomination du dispositif, écotaxe plutôt qu’ « éco-redevance ». Nous percevons mieux aujourd’hui les raisons de ce choix : la totalité du produit n’est pas affectée à la route ; le prélèvement ne s’applique qu’aux véhicules transportant des marchandises. Est-il néanmoins envisageable de renommer le dispositif ?

Vous nous dites que quatre à six mois seraient nécessaires pour remettre en marche le dispositif. Est-il possible, dans ces conditions, de procéder, à l’échelle nationale, à une nouvelle marche à blanc qui intégrerait les aspects techniques mais également des aspects financiers et économiques ? Nous avons en effet le sentiment qu’il n’y a pas véritablement eu d’étude d’impact sur les conséquences pour les entreprises et les différentes filières de la mise en place de l’écotaxe.

Vous avez évoqué les activités ou les produits pour lesquels la directive Eurovignette autorise une exemption. Il ressort néanmoins de nos auditions qu’une approche par distance, ouvrant la possibilité d’exonérer les petits trajets, serait plus satisfaisante. Que permet la directive Eurovignette en la matière ? Le dispositif mis en place permet-il d’identifier ces petits trajets ?

Enfin, en l’état actuel de nos réflexions et compte tenu de notre lecture de la directive Eurovignette, il n’est pas question pour nous de modifier le tonnage. Revoir le seuil des 3,5 tonnes était une fenêtre que nous avions ouverte ; pour de multiples raisons, nous l’avons refermée aujourd’hui.

Mme Hélène Crocquevieille. Pour quelles raisons souhaiteriez-vous modifier la dénomination du dispositif ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’entends ce que disent les élus, les citoyens et les entrepreneurs, aux oreilles de qui le terme d’« éco-redevance » sonne mieux !

M. Olivier Marleix. Le président d’Ecomouv’ nous a expliqué que l’insistance de Bercy à qualifier le dispositif d’écotaxe avait eu des conséquences sur la lourdeur des procédures mises en place, notamment en matière de contrôle. J’en déduis que si nous décidions de ne pas réinstaller tous les portiques, il faudrait sans doute renommer l’écotaxe.

Mme Hélène Crocquevieille. Il ressort clairement des analyses menées par la direction de la législation fiscale, la direction des affaires juridiques ou le Conseil d’État que, dans sa structure et tel qu’il est conçu, le dispositif s’apparente à une taxe et non à une redevance. Il n’est pas de mon ressort mais de celui des juristes de décider s’il pourrait néanmoins être rebaptisé « éco-redevance ». En tout état de cause, il ne me semble pas que rebaptiser le dispositif permettrait sa simplification, dans la mesure, notamment, où j’ai rappelé la nécessité d’avoir des portiques sur l’ensemble du réseau taxé pour garantir l’effectivité du contrôle, limiter la fraude et assurer le rendement de la taxe, dans le respect du principe d’égalité de traitement.

Vous souhaitez une nouvelle marche à blanc, à l’échelle nationale. Doit-elle aller jusqu’à la perception de la taxe ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pas nécessairement. Ce que nous souhaitons, c’est une évaluation des conséquences économiques et financières pour les différentes filières. Si, aujourd’hui, le prix du transport est évalué en moyenne à 10 % du coût des marchandises et l’augmentation due à l’écotaxe à 4 % de ce prix – soit une augmentation globale de 0,4 point –, les chefs d’entreprise que nous avons rencontrés ont avancé des chiffres bien supérieurs, que nous ne sommes pas en mesure de contester.

Mme Hélène Crocquevieille. Des évaluations économiques et socio-économiques ont été menées par les services des transports, par catégorie professionnelle, selon les régions ou selon les linéaires. Certes, il s’agit d’études ex ante, ce que d’aucuns peuvent contester. Mais une nouvelle marche à blanc ne pourrait se faire qu’avec les 200 000 véhicules enregistrés, qui ne représentent pas la totalité du parc. Par ailleurs, faire fonctionner un système à blanc emporte un coût. Se poserait notamment la question de l’indemnisation des SHT.

M. Antoine Maucorps, chef de la mission de la tarification. Nous avons réalisé des études à partir de cas réels, et ce malgré la difficulté de réunir autour d’une table transporteurs et chargeurs, les premiers étant réticents à communiquer leurs coûts réels, les seconds à révéler leurs marges.

La première marche à blanc avait été conçue sur la base du volontariat. Sur 200 000 véhicules enregistrés, seuls 10 000 s’étaient portés volontaires, et encore avait-il fallu « motiver » certaines des entreprises visées. Se pose donc la question de notre capacité à mobiliser des volontaires en nombre suffisant pour conduire une expérimentation qui soit significative. Par ailleurs, relancer une marche à blanc aurait un coût dans la mesure où, si les sociétés de télépéage ont joué le jeu pendant trois ou quatre mois, elles refuseront aujourd’hui, compte tenu de leurs difficultés financières, de participer sans rémunération.

Mme Hélène Crocquevieille. Vous m’avez interrogée sur les petits trajets. Aujourd’hui, le dispositif identifie des points de passage mais ne permet pas de reconnaître le trajet effectué. Comment définir un trajet ? S’il y a un arrêt d’une demi-heure, d’une heure, y a-t-il un trajet ou bien deux ? La conception du dispositif actuel ne permet pas de répondre aisément à cette question. Tout au plus pourrait-on envisager d’identifier les déplacements autour d’un point fixe mais, même dans un périmètre réduit, certains professionnels peuvent multiplier les petits trajets, parcourir au total une distance importante dans la journée et activer plusieurs points de tarification. Il y a donc une difficulté technique, à laquelle s’ajoute peut-être une difficulté juridique.

M. Jean-Pierre Gorges. Je continue de m’interroger sur la nature du problème : est-il technique ou politique ? Ce matin, on nous a affirmé que le dispositif était techniquement au point ; il est donc inutile d’épiloguer sur les portiques si le véritable obstacle à la mise en place de l’écotaxe est le ras-le-bol fiscal des Français !

Modifier son nom ne changera pas les effets de cette taxe, la première à se matérialiser sous la forme de ces portiques par lesquels les gens se sont sentis agressés. Sans m’attarder sur les solutions techniques retenues et sur ce contrôle en temps réel qui coûte très cher, alors qu’il existe, grâce aux disques embarqués, d’autres moyens de contrôler l’activité d’un camion, je souhaite savoir si vos services sont capables de faire redémarrer le dispositif en septembre, dans le cas où le Premier ministre aurait donné son feu vert.

Mme Hélène Crocquevieille. La mise à feu du dispositif était prévue pour le 1er janvier 2014. À cette date, tout ce qui concerne l’ordonnance pénale et les transmissions automatisées n’aurait pas été réglé, mais nous aurions été en mesure de le faire fonctionner, sous réserve de l’acceptation par l’État du rapport de vérification de service régulier (VSR), avant mise à disposition effective du dispositif. Mon seul bémol concerne l’enregistrement des redevables : malgré une montée en puissance assez significative depuis la fin de l’été, nous doutions d’atteindre les 600 000 abonnés – soit la totalité de la flotte – au moment du démarrage du dispositif. À cette réserve près, la réponse à votre question est oui.

M. Olivier Marleix. J’ai retenu de l’intervention du représentant d’Autostrade qu’il existait un lien étroit entre le niveau de contrôle exigé par le cahier des charges et le nombre de portiques. J’en déduis que ne pas réinstaller tous les portiques aurait un impact sur le degré de fraude, et donc sur le rendement de la taxe. Cela étant, j’ai cru comprendre que, contractuellement, le fait que certains portiques aient été dégradés ne constituait pas un obstacle juridique au fonctionnement du dispositif.

Mme Hélène Crocquevieille. En effet, cela signifie simplement que quelques zones du territoire seront moins contrôlées que d’autres, dans la mesure où il nous est impossible de mettre sur le bord de la route autant de douaniers qu’il le faudrait pour se substituer aux contrôles automatiques.

M. François-Michel Lambert. Merci, madame la directrice générale, pour cette intervention de soixante-dix minutes. Il fallait bien cela pour nous présenter ce dispositif censé nous permettre de financer l’AFITF grâce à la collecte d’une « pollutaxe », mais dont la complexité dépasse l’entendement. J’avais cru comprendre que l’État, après avoir signé à Ecomouv’ un chèque d’un montant assez conséquent, n’avait plus d’autres moyens à engager dans le dispositif que ceux liés à la surveillance régalienne. Or, vous semblez dire le contraire : quelles sont donc les charges financières supplémentaires qui pèseront sur l’État, en sus de ce qu’il lui faudra payer à Ecomouv’ ?

Pour en revenir au dispositif de perception de la taxe, je n’ai toujours pas compris pourquoi il faudrait mobiliser autant de douaniers pour contrôler les véhicules. Aujourd’hui, tous les camions sont équipés de chronotachygraphes, et il n’est pas nécessaire d’affecter 5 000 douaniers à leur contrôle. Pourquoi, dès lors, ne pas imaginer un système équivalent, même si cela implique d’accepter un risque de fraude plus élevé, ce qui est un choix politique.

Je souhaiterais également que vous soit transmise la proposition faite, lors de notre audition de ce matin, par notre collègue Jean-Yves Caullet.

Par ailleurs, ne pourrait-on réfléchir à un dispositif qui s’inspire de la taxe à l’essieu, laquelle est liquidable dès la mise en route du véhicule sur la voie publique – hors emprises portuaires – mais peut-être suspendue pour une durée de neuf mois, dans le cas, par exemple, des camions utilisés pour les campagnes céréalières ? Au Royaume-Uni, cette taxe d’usage est complétée par un système de vignette à destination des poids lourds opérant des trajets ponctuels.

Enfin, l’OTRE avait également suggéré un modèle radicalement différent, basé sur une taxation des marchandises dont le taux varierait en fonction du mode de transport utilisé. Ce type de modèle permet d’impliquer le chargeur dans le choix modal.

Mme Hélène Crocquevieille. Pour faire fonctionner le dispositif tel qu’il a été conçu, l’État a mis en place, au sein de l’administration des douanes, le Service de la taxe poids lourds, pour lequel ont été recrutés 130 à 140 agents, chargés notamment des contentieux et du contrôle d’Ecomouv’. Je précise que, une fois le dispositif mis en place, les moyens déployés par les douanes ne concerneront que les missions régaliennes – que le Conseil d’État interdit à la puissance publique de transférer à un prestataire privé. À ces effectifs s’ajoutent environ 170 agents affectés au contrôle manuel le long du réseau taxé. Au total, je ne saurais vous dire ce que représentent ces moyens en termes de taux d’intervention sur la taxe. Quant aux autres forces de sécurité, elles effectueront leurs contrôles dans le cadre de leurs missions générales, ce qui rend, là encore, le chiffrage difficile.

Je ne suis pas spécialiste des tachygraphes, mais ils obéissent à une logique différente de la nôtre. Le tachygraphe permet des contrôles a posteriori, à partir de données enregistrées concernant la vitesse, la distance parcourue ou la durée d’un trajet. Notre dispositif est, lui, à usage financier, puisqu’il doit servir à percevoir une taxe.

M. François-Michel Lambert. Ma question ne concernait pas le contenu du boîtier mais les modalités de contrôle de sa présence dans le véhicule. Dans le cas des chronotachygraphes, un seul contrôle, sur le site de l’entreprise, est suffisant.

Mme Hélène Crocquevieille. Les portiques contrôlent la présence de l’équipement embarqué, le fait qu’il est activé et qu’il est bien programmé, mais ils permettent également de s’assurer que le boîtier reste activé, afin de permettre la taxation du véhicule tout le long du parcours.

M. François-Michel Lambert. Le boîtier peut être désactivé ?

Mme Hélène Crocquevieille. Il suffit de le débrancher.

Mme Anny Corail. Le portique a pour objectif de vérifier, lors du passage du véhicule, que l’équipement embarqué est bien à bord et qu’il fonctionne. Par ailleurs, un chronotachygraphe, qui ne permet qu’un contrôle a posteriori, ne nous permettrait pas de contrôler les véhicules étrangers.

M. François-Michel Lambert. La question de l’activation du boîtier embarqué est une question technique. Or, la technologie permet aujourd’hui d’installer dans les camions des systèmes de pilotage et de gestion du carburant à distance, sur lesquels le chauffeur n’a plus la main.

M. Antoine Maucorps. J’imagine que, si les sociétés ont recours à ce type de dispositif permettant d’économiser le gazole, c’est qu’elles en attendent des gains à long terme. Pour notre part, nous nous sommes préoccupés des coûts cachés que pouvait générer l’équipement des véhicules. La législation européenne nous interdit aujourd’hui d’obliger les poids lourds à s’équiper de boîtiers inviolables ou plombés. Un redevable occasionnel doit pouvoir équiper son camion à la volée, dans un minimum de temps. Cela implique des équipements faciles à installer, et donc faciles à retirer.

Par ailleurs, les chronotachygraphes n’équipent à ma connaissance les transporteurs de marchandises que dans le but de contrôler le respect de la législation sociale par les entreprises de transport européennes. L’écotaxe, au contraire, doit s’appliquer à tous les propriétaires et utilisateurs de poids lourds.

Mme Hélène Crocquevieille. Vous avez également évoqué, monsieur Lambert, d’autres formes de taxation comme la taxation à la marchandise ou la taxation différenciée selon le mode de transport. Tous ces systèmes d’écofiscalité ont leur sens, mais ils procèdent d’un autre choix que celui qui a été fait.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. En optant pour la vignette, les Anglais ont fait un autre choix que le nôtre. Il me paraît aujourd’hui assez difficile de réorienter nos propositions en ce sens.

Mme Corinne Erhel. Votre intervention nous a montré combien il était difficile de présenter clairement ce dispositif dans un temps contraint, et il n’est pas évident de faire comprendre la complexité de son montage aux différents acteurs économiques. Cela étant, je souhaite savoir comment s’est opéré le choix de ces portiques dont l’apparence assez agressive a cristallisé la colère. N’était-il pas possible d’envisager des capteurs plus discrets ?

Par ailleurs, que prévoit le contrat passé avec Ecomouv’ concernant les données collectées ? Il m’a été dit qu’elles restaient propriété de l’État et non du consortium. Mais qu’en est-il, juridiquement, des données transmises aux SHT ?

Enfin, qu’advient-il concrètement, tant que le dispositif de l’écotaxe n’a pas été mis en service, des 130 ou 140 agents actuellement en poste à Metz, ainsi que des salariés d’Ecomouv’ ?

Mme Hélène Crocquevieille. Avions-nous la possibilité de choisir un dispositif technique moins voyant que les portiques ? Cette option a été rapidement privilégiée plutôt qu’un système satellitaire ou des DSRC, qui auraient également nécessité des portiques.

M. Antoine Maucorps. Les trois candidats qui ont répondu à l’appel d’offres proposaient le même type de dispositif, semblable à ce que l’on trouve ailleurs en Europe. Les portiques allemands, autrichiens ou suisses sont d’ailleurs fabriqués par les mêmes industriels.

Mme Corinne Erhel. Je suis contente de vous l’entendre dire !

Mme Hélène Crocquevieille. La CNIL a étudié de près la question des données personnelles collectées. Les personnels d’Ecomouv’ qui ont à connaître de ces données individuelles sont agréés par le STPL, conformément à un arrêté du ministre chargé des douanes. Quant à la relation entre Ecomouv’ et les SHT, elle relève d’un contrat de droit privé. Le cahier des charges impose néanmoins que les données soient sécurisées et qu’elles ne puissent être ni modifiables ni réutilisables à d’autres fins que la transmission au contribuable qu’elles concernent.

Mme Anny Corail. Le détail de la liquidation n’est transféré aux SHT que si leur abonné – le redevable – le demande. Dans la mesure où la SHT a mandat pour déclarer et payer, il faut bien qu’elle ait accès aux données. Par ailleurs, à la demande de la CNIL, le détail de liquidation ne peut être transmis que sous un format non modifiable, ce qui pose d’ailleurs problème aux clients qui souhaiteraient pouvoir retraiter les fichiers.

Mme Émilienne Poumirol. Les modalités techniques du calcul de la tarification me demeurent un peu obscures et je ne comprends toujours pas comment s’évalue le kilométrage parcouru par un camion entre deux portiques, ni ce que contrôlent précisément ces derniers.

Compte tenu de la complexité technique et juridique du système, je conçois que l’État ait dû externaliser la conception du dispositif. Néanmoins, peut-on imaginer aujourd’hui que la puissance publique puisse reprendre la main dans ce dossier, par exemple par le biais d’une société d’économie mixte ?

Mme Hélène Crocquevieille. Il existe plus de 4 100 points de tarification répartis sur le réseau en fonction des différents carrefours. À chacun de ces points est associé un nombre de kilomètres, calculé en fonction des embranchements situés en amont et en aval. La tarification est ensuite calculée en fonction de la catégorie du véhicule.

La question du choix de l’externalisation ne me semble pas au cœur des travaux de votre mission d’information, dans la mesure où il ne me paraît pas devoir être remis en cause. C’est un choix qu’a fait l’État au moment de la conception du dispositif, compte tenu de sa complexité technique et des problèmes liés à son exploitation. Envisager que l’État se substitue à Ecomouv’ et s’implique davantage, au-delà du seul exercice de ses missions régaliennes, dans la perception et la liquidation de la taxe, l’obligerait à gérer l’interface avec le SET et des SHT nationales ou étrangères, ce qui n’est pas sans poser problème en termes d’interopérabilité ou de contrôle. Cela supposerait par ailleurs la mise en place d’un service qui assume les missions aujourd’hui remplies par Ecomouv’ mais gère également les points de distribution mis à disposition des non-abonnés sur le linéaire. Cela ne me semble pas aller dans le sens actuel des politiques publiques.

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis atterré par le fait qu’un dispositif, dont le principe a été voté en 2006, ne soit toujours pas en place en 2014. Connaissez-vous un système informatique qui résiste à huit années d’évolutions technologiques, a fortiori lorsqu’il s’appuie sur des solutions qui étaient déjà vieilles de dix ans en 2006 ? Je pense donc qu’il faut activer le dispositif sans tarder – il en va de nos investissements futurs qu’il doit contribuer à financer. Nous devons accepter qu’il fonctionne malgré la dégradation de certains portiques : le contrôle ne sera pas parfait, car la technologie n’est pas parfaite, mais mieux vaut ne taxer que 520 000 redevables sur 600 000 qu’aucun. Cela ne doit pas nous empêcher d’étudier dès à présent de nouvelles solutions technologiques mieux adaptées que ce dispositif par lequel les camionneurs se sentent agressés.

M. Olivier Marleix. Quelles sont nos marges de manœuvre juridiques pour faire évoluer la durée du contrat qui nous lie à Ecomouv’ ? Peut-il être prolongé par avenant, et dans quelles limites ?

M. Antoine Maucorps. Le contrat nous lie pour les 21 mois de la construction, auxquels s’ajoutent 11,5 ans d’exploitation. Il est régi par les règles qui s’appliquent aux marchés publics et peut donc être prolongé par avenant, à condition que cet avenant n’emporte pas de modification substantielle de son économie. La jurisprudence en matière de marchés publics tolérant traditionnellement une augmentation de 15 à 20 % des coûts, nous avons donc des marges de manœuvre.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Madame la directrice générale, nous vous remercions, ainsi que vos collaborateurs, pour ces explications précises sur un dispositif bien complexe.

Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Duron, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)

(Séance du mercredi 19 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je donne la parole à M. Le Fur pour un rappel au Règlement.

M. Marc Le Fur. Plusieurs responsables économiques bretons demandent légitimement à exprimer leur point de vue devant notre mission d’information. Mes collègues Philippe Le Ray, Gilles Lurton, Isabelle Le Callennec et moi-même avons relayé cette demande par un courrier daté du 12 février, et je vous en avais saisi bien en amont. Notre mission a été créée parce que l’écotaxe a suscité des réactions de vive hostilité et d’incompréhension. Il me paraît indispensable d’entendre ceux qui se sont exprimés à cette occasion. Je suis convaincu que les collègues socialistes qui connaissent bien la Bretagne partageront mon analyse. Ces responsables se sentent snobés par la mission, alors même qu’ils ont été reçus par le Premier ministre et dans différents ministères.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’ai en effet reçu cette demande d’audition et nous discutons actuellement du format qui pourrait être retenu. La Mission a décidé d’adopter une approche nationale et nous devons nous en tenir à ce choix : l’écotaxe ne concerne pas que la Bretagne. Si nous recevons le Collectif des acteurs économiques bretons dans le cadre d’une audition publique, nous n’aurons aucune raison de ne pas recevoir dans les mêmes conditions le représentant du MEDEF d’Aquitaine ou de Midi-Pyrénées.

M. Marc Le Fur. Bien sûr !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Mais il y a urgence et il n’est pas question de poursuivre les travaux de notre mission pendant encore six mois. Évitons toute dérive : nos débats ne doivent pas tourner uniquement autour des difficultés bretonnes. Je ne souhaite pas aller sur le terrain sur lequel on cherche à m’entraîner.

J’ai déjà reçu un certain nombre d’acteurs dans le cadre d’entretiens privés – et, n’étant pas candidat aux élections municipales, je continuerai à le faire pendant tout le mois de mars – car il me paraît important d’entendre toutes les doléances, réserves, remarques ou propositions. À cet égard, le collectif a demandé, dans l’un des derniers courriels qu’il m’a adressés, la suppression de l’écotaxe. Je connais donc déjà leur position et il ne me paraît pas nécessaire d’organiser une audition publique. En revanche, je suis prêt à les recevoir dans le cadre d’un entretien privé, afin qu’ils puissent exposer leurs arguments.

Jusqu’à maintenant, la mission a conduit ses auditions dans un climat plutôt serein. Notre objectif – le mien, en tout cas – est de redonner du sens à l’écotaxe et de la rendre acceptable, en tenant compte des critiques ou des observations des différents acteurs. Ceux qui pensent que la mission a été créée pour enterrer l’écotaxe se trompent.

M. Marc Le Fur. Pourquoi traitez-vous le collectif des acteurs économiques bretons différemment des autres interlocuteurs de la mission d’information ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Ce n’est nullement ce que je fais ! Dans le cadre de nos auditions publiques, nous n’avons reçu que des acteurs qui exercent des responsabilités nationales. Ainsi, nous avons entendu M. Claudy Lebreton en sa qualité non pas de président du conseil général des Côtes-d’Armor, mais de président de l’Assemblée des départements de France. Nous n’avons pas auditionné de représentants d’associations, de syndicats ou d’organisations professionnelles régionales.

M. Gilles Savary. Je ne suis pas hostile à ce que nous recevions des responsables économiques bretons. Il ne faudrait pas les exclure au motif qu’ils sont bretons ! Mais nous devons nous assurer au préalable que ces personnes n’ont pas encouragé les casseurs ou ne vont pas le faire en fonction de ce que nous pourrons leur dire.

En outre, nous devons respecter certaines règles éthiques : ne transformons pas l’Assemblée en lobby breton ! Et ne nous laissons pas piéger par la surenchère à la veille des élections municipales. Nous pourrions envisager que seuls les membres de la mission qui ne se présentent pas aux élections municipales participent à leur audition.

Mme Catherine Beaubatie. Les membres du collectif appartiennent à des organisations représentatives au niveau national que notre Mission a déjà reçues ou pourrait recevoir. L’écotaxe n’est pas un problème purement breton, si tant est que cela en soit un, et nous ne cherchons pas des solutions que pour la Bretagne ! Votre proposition de recevoir le collectif dans le cadre d’un entretien privé, monsieur le président, me paraît satisfaisante. Évitons que ce sujet ne devienne un enjeu électoral à quelques semaines des municipales.

M. Jean-Marie Sermier. Certes, l’écotaxe n’est pas qu’un problème breton et nous n’avons en effet reçu à ce stade que des représentants exerçant des responsabilités nationales, mais il serait justement intéressant d’entendre des acteurs de terrain. Leur message est d’ailleurs probablement le même, qu’ils viennent de Bretagne ou d’ailleurs.

Mme Isabelle Le Callennec. J’insiste également pour que la mission reçoive ce collectif. Certes, il milite pour la suppression de l’écotaxe, mais il serait intéressant que nous entendions collectivement ses arguments. Vous souhaitez, monsieur le président, redonner du sens à l’écotaxe et la rendre acceptable. À cette fin, comme nous en étions convenus lors de la création de la mission, nous devons mesurer tant l’impact de sa non-application
– M. Duron va certainement nous expliquer le manque à gagner que cela représente pour l’AFITF – que celui de son application, notamment dans les régions périphériques. Vous nous prévenez que nous devrons alors accepter toutes les demandes provenant d’autres régions, mais pourquoi pas ! L’écotaxe concerne en effet tout le pays. Enfin, en quoi cela poserait-il problème de nous faire partager à tous les arguments que vous entendez habituellement dans le cadre d’entretiens privés ? Cela ne préjugera bien sûr en rien de la décision finale qui sera prise quant à l’application de l’écotaxe.

M. Éric Straumann. Notre Mission n’aurait pas été créée si les événements que nous connaissons n’avaient pas eu lieu en Bretagne. Il convient donc de recevoir le collectif. Ce sera en outre l’occasion pour ses représentants d’échanger avec des élus d’autres régions qui ne partagent pas nécessairement leur point de vue, et de comprendre que le débat sur l’écotaxe est national. Nous devons aller de l’avant : si la Bretagne continue à refuser l’écotaxe, il sera difficile de la mettre en place.

Mme Sylviane Alaux. Nous assistons à une certaine dérive et vous avez bien fait, monsieur le président, de recadrer les choses : le débat ne peut pas tourner uniquement autour de la Bretagne. D’autant que les événements qui s’y sont déroulés ne sont que partiellement liés à l’écotaxe : beaucoup d’autres éléments se sont greffés, la période étant propice aux amalgames. Si chacun des membres de la mission prend parti et se fait le porte-parole de sa circonscription, je peux tout aussi bien de mon côté me faire l’écho de manifestations en faveur du maintien de l’écotaxe. J’ai d’ailleurs demandé à faire partie de la mission pour réfléchir à la manière de la mettre en place. Il convient de le faire sans tarder, compte tenu notamment des enjeux financiers.

M. François André. Les intentions des collègues qui vous ont interpellé, monsieur le président, n’échappent à personne. Toute la Bretagne n’est d’ailleurs pas nécessairement à l’unisson de leurs gesticulations ! Il convient d’analyser les retombées locales de l’écotaxe, qu’elles soient positives ou négatives, en Bretagne ou ailleurs. Votre proposition d’un entretien privé me semble concilier l’exigence d’efficacité – notre mission travaille dans un calendrier désormais contraint – et notre souhait d’écouter tous ceux qui ont une contribution à apporter à nos débats.

M. Jean-Pierre Gorges. Je ne partage pas l’analyse de mes collègues du groupe UMP : auditionner publiquement le collectif des acteurs économiques bretons ne serait pas rendre service à la mission. L’objectivité est une condition nécessaire au bon fonctionnement d’une instance de travail comme la nôtre. À cet égard, je regrette que le rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire – dont je suis également membre – adopte une posture militante.

Nous devons aborder le problème de l’écotaxe sous l’angle technique et financier. J’ai posé la même question à tous les interlocuteurs que nous avons reçus, notamment au directeur général des infrastructures, des transports et de la mer et à la directrice générale des douanes et des droits indirects : si le Gouvernement décide de mettre en œuvre l’écotaxe demain, le dispositif est-il prêt à fonctionner ? Tous nous ont confirmé que oui. Cela signifie donc que le blocage est essentiellement politique. Or, si nous mêlons les dimensions technique et politique, les positions vont devenir beaucoup plus tranchées au sein de notre mission. Cela ne facilitera guère le débat, y compris pour le groupe UMP. À écouter les acteurs bretons, on se rend d’ailleurs compte que leur motivation première n’est pas, en soi, l’entrée en vigueur de l’écotaxe, mais le « ras-le-bol fiscal » – le Gouvernement a augmenté les prélèvements fiscaux de 50 milliards d’euros –, dont l’écotaxe n’est que le dernier élément.

D’autre part, certains acteurs de terrain ont bien compris l’intérêt de l’écotaxe – je le vois dans le dossier de concession autoroutière que je suis actuellement. Il convient donc d’être prudent. Je comprends les motivations de mes collègues, mais nous sommes d’abord des représentants de la Nation. Envisageons le problème à l’échelle du pays, avant de le traiter dans chacune des régions.

M. Thierry Benoit. Notre mission s’honorerait en acceptant d’auditionner tous ceux qui sont désireux de s’exprimer sur le sujet. En l’espèce, il s’agit de professionnels qui se sont organisés, y compris pour mettre en œuvre l’écotaxe. À l’issue de ses travaux, la mission sera en mesure d’apprécier précisément la manière dont il convient de mettre en place une nouvelle fiscalité écologique, qu’il s’agisse de l’écotaxe ou d’un autre dispositif.

Le Gouvernement détient les clés pour trouver une solution. Le Président de la République a fixé, à juste titre, un objectif de 50 milliards d’euros d’économies. Il a en outre évoqué la mise en œuvre d’un pacte de responsabilité. Il y a donc une volonté partagée d’alléger les charges qui pèsent sur la production – c’est bien le thème sur lequel se mobilisent les acteurs économiques, notamment bretons – et de revoir la fiscalité des entreprises. L’écotaxe ne pourra être mise en œuvre que si elle est comprise et acceptée.

M. Marc Le Fur. M. André a parlé de « gesticulations ». Nous avons pourtant affaire à des personnes tout à fait sérieuses : entre autres, les présidents de l’association bretonne des entreprises agroalimentaires, du MEDEF et de l’UIMM de Bretagne, des fédérations départementales des syndicats d’exploitants agricoles. Ils comprennent mal de devoir se contenter d’un entretien privé. Au contraire, tout devrait être public, transparent, collégial. Notre mission aurait d’ailleurs pu se rendre dans les régions ou les villes concernées par l’écotaxe, tant celles où son impact est important que celles où sa suspension pose un problème d’emploi, par exemple à Metz. Ne restons pas dans l’abstraction ! Alors que nous invoquons en permanence les réalités concrètes et locales, il serait paradoxal de ne pas entendre les acteurs de terrain ! Je ne vous demande d’ailleurs pas de partager leur opinion, monsieur le président.

D’autre part, le rôle de la mission n’est pas seulement de revoir les modalités d’application de l’écotaxe : rien ne doit nous empêcher de proposer des solutions alternatives à celle-ci. Plusieurs d’entre nous, notamment au sein du groupe SRC, ont évoqué la possibilité de réduire le montrant du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – 20 milliards d’euros – pour compenser le manque à gagner sur l’écotaxe – évalué à environ 1 milliard. Lorsqu’il n’est pas possible de collecter un impôt, parce que cela suscite des difficultés économiques et sociales considérables, voire des troubles à l’ordre public, il est de notre responsabilité d’envisager des dispositifs susceptibles d’être mieux acceptés.

Enfin, si cela pose problème d’organiser l’audition du collectif avant les élections municipales – ce que je peux comprendre –, faisons-le après : ma préoccupation n’est pas la campagne électorale, mais la qualité de notre travail.

M. Jean-Pierre Le Roch. Le collectif a sollicité tous les parlementaires bretons afin d’être auditionné par notre mission. Pour ma part, je n’y vois pas d’objection. Cela nous permettrait aussi de mieux comprendre ce qui s’est passé en Bretagne. Mon collègue Richard Ferrand et moi-même avions reçu ce même collectif à Paris au printemps 2013, au moment où étaient examinés les amendements qui visaient, d’une part, à minorer le taux de l’écotaxe de 50 % en Bretagne et, d’autre part, à exonérer la collecte du lait. Conduit à l’époque par M. Caré, président du MEDEF-Bretagne, il avait approuvé les amendements et avait fait part de sa satisfaction, y compris publiquement lors de réunions régionales du MEDEF ou de la chambre de commerce et d’industrie. Cependant, quelques semaines plus tard, il a fini par rejeter ce qu’il avait d’abord salué comme une avancée. Comment expliquer un tel revirement ? Une audition serait aussi l’occasion de vérifier si le collectif est réellement représentatif et en phase avec sa base. Selon les échos que j’ai, tel n’est pas nécessairement le cas.

M. Olivier Faure. Nous devrions être très réservés sur le principe d’une telle audition : l’écotaxe est un sujet non pas régional, mais national. En outre, il ne serait pas normal de recevoir les uns plus que les autres.

Toutefois, si nous refusons de recevoir ce collectif, on ne manquera pas de nous le reprocher : on fera peser des soupçons sur notre mission en expliquant qu’elle n’a pas voulu écouter tous les points de vue. Je suis donc plutôt favorable à ce que nous l’auditionnions, de préférence après les élections municipales. Cependant, dans un souci d’équilibre, je souhaiterais que nous entendions également le président du conseil régional d’Île-de-France, afin qu’il nous donne son point de vue sur les implications de la suspension de l’écotaxe pour la mise en œuvre du contrat de plan État-région.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous aurons l’occasion de discuter à nouveau de la demande du Collectif des acteurs économiques bretons.

Monsieur Philippe Duron, vous êtes président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) depuis juillet 2012. Cet établissement public a été créé par un décret du 26 novembre 2004. Il avait été présidé auparavant par M. Gérard Longuet, puis par M. Dominique Perben.

Vous nous avez déjà fait part, au cours de nos travaux, de l’extrême fragilité du budget de l’AFITF, qui devait en principe recevoir, dès l’exercice 2014, la majeure partie du produit de l’écotaxe. En outre, le budget qui vient d’être adopté ne pourra pas être reconduit en 2015, car l’AFITF a consommé son fonds de roulement. Au regard des besoins, le financement pérenne des infrastructures apparaît donc menacé.

Le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) a montré que les besoins étaient très étendus et variés. Cependant, il ne hiérarchisait guère les priorités. Vous avez conduit un travail beaucoup plus précis, monsieur le président, dans le cadre de la commission « Mobilité 21 ». Selon les analyses de ce groupe d’experts, le manque de disponibilités de l’AFITF pourrait hypothéquer à l’avenir toute programmation cohérente. En réalité, le produit de la privatisation des autoroutes a été consommé depuis longtemps et l’AFITF n’a reçu que 4 milliards d’euros sur ce montant. Comment financer, d’une part, les premières priorités arrêtées par la commission « Mobilité 21 » pour la période de 2014 à 2020 et, d’autre part, les contrats de plan État-régions (CPER) sur la même période ?

Nous dénonçons cette situation de disette financière durable en matière d’infrastructures de transport. Nous espérons être en mesure de dégager quelques pistes pour y remédier à l’issue de cette audition.

M. Philippe Duron, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). La doctrine française en matière de financement des infrastructures de transport a été définie par le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, qui a dressé une première liste des besoins et posé le principe qu’ils seraient financés par des recettes affectées provenant principalement du secteur routier. Ces recettes constituent les ressources de l’AFITF, créée par un décret de 2004 et opérationnelle depuis 2005. Il s’est d’abord agi des dividendes versés par les sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA), puis d’une soulte de 4 milliards d’euros issue de la privatisation de ces sociétés. L’AFITF perçoit en outre le produit de la redevance domaniale et de la taxe d’aménagement du territoire, toutes deux prélevées sur le réseau autoroutier concédé. Une fois la soulte consommée, l’État a versé à l’AFITF une subvention d’équilibre pour faire face aux besoins de financement des projets d’intérêt national, ou qui répondent à des politiques nationales, auquel il apporte son concours. Cette subvention était de l’ordre de 1 milliard d’euros par an. Dans le budget triennal, il était prévu qu’elle s’éteigne « en sifflet » au fur et à mesure que l’écotaxe poids lourds monterait en charge ; elle devait disparaître complètement en 2016. Mais, du fait de la suspension de l’écotaxe – qui devait entrer en vigueur en 2012, puis en 2013 –, l’AFITF se trouve privée d’une partie essentielle de ses recettes.

Le dispositif de l’écotaxe poids lourds est encadré par trois directives européennes. La directive « Eurovignette II » donne la possibilité aux États d’instaurer une tarification sur l’usage des routes, à condition qu’elle ne couvre que le coût des infrastructures, c’est-à-dire leur construction, leur entretien et leur exploitation. La directive « Eurovignette III » permet d’intégrer dans la tarification le coût des externalités négatives, notamment la pollution atmosphérique, le bruit et la congestion. Enfin, la directive « interopérabilité » précise les modalités techniques de ce prélèvement.

En France, l’écotaxe doit être prélevée sur une partie du réseau routier national non concédé, c’est-à-dire sur 10 000 kilomètres de routes nationales et d’autoroutes non soumises à péage, auxquels s’ajoutent 5 000 kilomètres de routes départementales qui constituent des itinéraires alternatifs. La détermination du réseau départemental soumis à l’écotaxe a fait l’objet d’une négociation avec les conseils généraux.

L’écotaxe a au moins trois vocations : établir un principe utilisateur-payeur ; favoriser le report modal ; inciter les transporteurs à rationaliser leurs tournées et à limiter les trajets à vide. Conformément à la réglementation européenne, elle est applicable à tous les véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes. Il serait possible de ne l’appliquer qu’aux véhicules de plus de 12 tonnes, à condition de le motiver convenablement : tel est le choix qu’a fait l’Allemagne. Les tarifs sont modulés en fonction de l’importance du véhicule – le nombre d’essieux – et de sa catégorie « Euro » – c’est-à-dire son niveau de pollution. Ils sont fixés nationalement, avec certains allègements pour les régions les plus périphériques compte tenu de leur éloignement des principales métropoles européennes : l’Aquitaine et Midi-Pyrénées bénéficient d’une minoration de 30 % et le Bretagne d’un abattement de 50 %.

Afin de ne pas pénaliser les entreprises de transport, dont les marges sont très faibles et qui ont connu une baisse de leur chiffre d’affaires en raison de certains dispositifs européens, il a été décidé de leur permettre de répercuter le montant de l’écotaxe sous la forme d’une majoration du prix des prestations de transport.

Conformément à la réglementation européenne, l’écotaxe doit répondre à des exigences d’interopérabilité. La complexité du dispositif à mettre en place a conduit l’État à faire appel à des opérateurs privés dits « sociétés habilitées de télépéage », et a conduit le législateur de prévoir la possibilité de confier la collecte de l’écotaxe à un acteur privé. Ainsi un contrat de partenariat a été conclu avec Ecomouv’, à l’issue d’une mise en compétition qui a permis d’évaluer les conditions financières, les technologies et les services proposés par les différents candidats. Les contrôles manuels sur le terrain et la répression des fraudes resteront de la seule compétence de l’État : ils mobiliseront principalement les services des douanes, mais aussi la gendarmerie, la police et les contrôleurs des transports terrestres.

Du point de vue de l’AFITF, l’écotaxe revêt une importance majeure pour le financement des infrastructures du pays. Dès l’origine, son produit a été conçu comme devant être affecté aux infrastructures, avec un volet relatif au report modal. Telle est précisément la vocation de l’AFITF, d’où sa désignation comme bénéficiaire naturel de la taxe. Le « modèle AFITF » repose sur l’affectation de ressources régulières liées aux transports destinées à assurer la continuité de l’effort d’investissement pluriannuel dont nos infrastructures ont besoin.

Cependant, l’AFITF n’a pas de responsabilité dans la définition de l’écotaxe
– redevance en droit européen, mais impôt en droit français –, ni dans sa collecte. Elle n’est donc pas impliquée dans la procédure de dévolution du contrat de partenariat signé par l’État. Néanmoins, elle est directement intéressée au bon déroulement de la procédure et à son résultat ; elle s’est donc tenue étroitement informée de son avancement. De plus, en tant que bénéficiaire du produit brut, l’AFITF doit dégager sur ses ressources la rémunération du contrat en cours.

L’enjeu est important pour l’AFITF en termes financiers. En 2009 et 2010, les premières évaluations tablaient sur un apport de près de 1 milliard d’euros en année pleine, à partir de 2012. Le budget pluriannuel voté à la fin de l’année 2012, donc après la signature du contrat de partenariat, prévoyait quant à lui une entrée en vigueur de l’écotaxe à la mi-2013 et un apport en année pleine de l’ordre de 800 millions d’euros – ce chiffre a été actualisé en tenant compte de la diminution des échanges due à la crise. Selon les dernières estimations, le produit net de l’écotaxe en année pleine s’établirait à 760 millions d’euros et devrait atteindre progressivement 800 millions.

Compte tenu de la suspension du processus, l’AFITF n’a pas été en mesure d’établir son budget pour 2014 au mois de décembre comme elle le fait habituellement. Après de nombreux échanges avec le ministère des transports, celui du budget et le cabinet du Premier ministre, elle est parvenue à voter un budget sincère et réaliste le 6 février dernier. L’État a consenti un effort exceptionnel pour abonder la subvention d’équilibre : il était prévu que celle-ci décroisse et s’établisse cette année à 400 millions d’euros – soit 334 millions après application des diverses procédures de régulation budgétaire –, mais elle a finalement été réévaluée.

Il s’agit néanmoins d’un budget de transition, voire de crise. En dépenses, 1,813 milliard d’euros de crédits de paiement ont été inscrits, ce qui correspond à 1,7 milliard de crédits d’intervention, l’AFITF devant honorer d’autres obligations, notamment le remboursement d’avances du Trésor à hauteur de 45 millions d’euros. Si les crédits de paiement atteignent presque leur niveau de 2013 – 1,9 milliard –, ils restent inférieurs au montant des financements de l’AFITF en vitesse de croisière, qui est plutôt de l’ordre de 2,1 à 2,2 milliards par an.

Quant aux autorisations d’engagement, elles ont été réduites au minimum : outre les opérations d’entretien et de modernisation indispensables, le seul projet inscrit au budget est l’autoroute ferroviaire Atlantique, l’amélioration du fret ferroviaire constituant une priorité. En revanche, aucun nouveau projet correspondant aux anciens programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ou relevant d’un CPER n’a été retenu. De même, il n’est pas prévu à ce stade de lancer un troisième appel à projets en matière de transports en commun en site propre (TCSP). Toutefois, ainsi que le ministre délégué chargé du budget l’a indiqué devant cette Mission le mois dernier, il n’est pas exclu que de nouvelles recettes soient inscrites au budget de l’AFITF dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative, en fonction des évolutions budgétaires ou des développements sur le dossier de l’écotaxe. D’autres projets pourraient donc être financés en cours d’année.

Pour redonner à l’AFITF les moyens d’assurer sa mission et, surtout, pour permettre à nos territoires de s’appuyer sur des infrastructures performantes, clé de leur développement économique, il convient de sortir le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions de cette situation très difficile. Les déclarations des présidents de plusieurs grandes collectivités territoriales le montrent : les attentes sont grandes et, d’ailleurs, tout à fait justifiées.

Quelles sont les perspectives ? Il appartient non pas à l’AFITF, mais à votre Mission de faire des propositions au Gouvernement. Mais nous suivons ce qui se dit et ce qui s’écrit, et je souhaite vous faire part de quelques points de vue personnels, qui n’engagent pas l’AFITF.

S’agissant d’une éventuelle refonte de l’écotaxe, rappelons d’abord que chaque mois de suspension supplémentaire « coûte » près de 100 millions d’euros de recettes à l’AFITF. La remise en route du dispositif – si elle est décidée – prendra du temps, et les premières recettes ne seront versées à l’AFITF que trois mois après leur perception. Elle n’aurait donc d’incidence que sur le budget pour 2015. Cette période de latence sera évidemment plus longue si le dispositif est réformé par voie législative ou si des modifications techniques substantielles y sont apportées.

D’autre part, le principe de la taxe kilométrique est très encadré par les directives européennes. Lui substituer un système plus simple et moins coûteux tel qu’une vignette créerait d’autres problèmes : compte tenu de l’existence du réseau autoroutier concédé, dont l’usager paie déjà le coût total, il faudrait alors rembourser les péages aux transporteurs ayant acquis la vignette ou, si l’on décidait de la gratuité des autoroutes, reverser aux concessionnaires les montants en principe acquittés par les usagers. Le coût serait de l’ordre de 200 à 400 millions d’euros.

En revanche, il est possible de faire évoluer certains paramètres tout en respectant les directives. D’abord, le tonnage des poids lourds concernés. L’application de l’écotaxe aux véhicules de plus de 3,5 tonnes correspond au droit commun de la directive « Eurovignette ». Mais il est possible de fixer le seuil à 12 tonnes, ce qui entraînerait toutefois une baisse de recettes de 200 à 250 millions d’euros par an. Quant à la fixation d’un seuil intermédiaire, elle impliquerait d’engager des discussions assez complexes avec la Commission européenne.

Ensuite, le dispositif français n’épuise pas toutes les possibilités d’exonération. La loi du 28 mai 2013 a dispensé du paiement de l’écotaxe les véhicules des collectivités territoriales affectés à l’entretien des routes et ceux qui sont chargés exclusivement de la collecte du lait. Il serait possible d’étendre l’exonération à l’ensemble des véhicules qui ne sont pas tenus d’installer des chronotachygraphes. Elle pourrait ainsi s’appliquer à certains trafics très locaux, tels que le transport de carcasses dans les régions agricoles. Il serait cependant difficile d’identifier les véhicules concernés, qui ne seraient contrôlés qu’en entreprise. Il s’agirait donc d’un système déclaratif.

D’autre part, il est également concevable de réviser le réseau routier taxable. Toutefois, la procédure sera longue, car il sera nécessaire de discuter avec les conseils généraux et les communautés d’agglomération pour certains contournements. D’une manière générale, il est plus facile d’étendre le réseau local taxable que de réduire le réseau national retenu, qui correspond à la logique de la directive.

Avec ou sans révision du réseau, il est envisageable d’exonérer certains trafics locaux. Ce serait cependant difficile à réaliser, puisque le dispositif actuel enregistre non pas le trajet des véhicules, mais le franchissement de points de passage.

Enfin, il est possible de réviser les tarifs, notamment pour étaler dans le temps la montée en charge du dispositif. La seule condition à respecter est de ne pas toucher au plafond fixé par la directive : environ 17 centimes du kilomètre. Le manque à gagner pour l’AFITF dépendrait du calendrier et des éventuelles baisses de tarifs décidées.

Par ailleurs, la lourdeur du dispositif de contrôle a été critiquée. Mais la proposition de substituer un contrôle « humain » aux portiques qui enregistrent automatiquement le passage des véhicules nous laisse perplexes : pour ce faire, il faudrait créer environ 4 000 emplois publics, ce qui n’apparaît guère réaliste dans le contexte actuel.

L’idée la plus novatrice avancée récemment serait d’introduire une régionalisation de la taxe. Cela pourrait se faire de plusieurs façons. L’écotaxe pourrait être modulée au niveau régional, certaines régions pouvant même appliquer un taux nul. Cependant, ce système poserait un problème d’égalité et d’équité devant l’impôt et risque d’être inconstitutionnel, à moins que l’on ne parvienne à définir des critères objectifs, tels que ceux qui ont été retenus pour appliquer un taux minoré aux régions périphériques. En outre, les distorsions de taux entre les régions pourraient aggraver celles qui existent déjà en termes de longueur du réseau routier taxable. Et une péréquation au profit des régions où le produit de l’écotaxe serait faible en raison d’une base taxable étroite ou d’un taux réduit n’éliminerait pas ces distorsions. Par exemple, dans le Languedoc-Roussillon, le trafic se concentre structurellement sur les autoroutes payantes, car la circulation sur les itinéraires alternatifs est fortement ralentie par les traversées de zones urbaines. Au total, le système serait difficile à gérer.

Il serait également envisageable de redéfinir les réseaux taxables sur une base régionale. Mais cela obligerait sans doute à recalculer par région les coûts plafonds en application de la directive, ce qui n’est pas non plus une solution très commode.

Il serait enfin possible d’autoriser les régions à moduler de manière limitée un taux de base unique fixé à l’échelle nationale. Dans tous les cas la question serait de savoir si la part des régions serait retranchée de celle de l’AFITF ou s’y ajouterait. Il serait plus aisé de maintenir une perception nationale de l’écotaxe, tout en redistribuant une partie du produit aux régions selon des critères objectifs à définir. Tel est, à peu de choses près, le modèle retenu par la Suisse : les cantons reçoivent une partie du produit de la redevance sur le trafic des poids lourds, selon des clés propres telles que la longueur du réseau routier ou les handicaps à compenser, notamment le relief.

Une dernière proposition, plus provocante, a été formulée : transférer aux régions le réseau routier national qui ne l’a pas encore été dans le cadre de la décentralisation. L’idée n’est pas complètement invraisemblable : cela a déjà été décidé pour la Corse et pour les départements d’outre-mer, dont le réseau routier ne présente pas de continuité avec le réseau national. Chaque territoire déciderait alors d’appliquer ou non l’écotaxe à son propre réseau. Mais, dans cette hypothèse, il n’y aurait plus de politique nationale et les régions ne pourraient plus solliciter le concours de l’AFITF pour l’extension ou la modernisation de leur réseau. En définitive, il n’existe pas de solution simple.

Le principe que nous avons retenu depuis le Grenelle de l’environnement et la naissance de l’AFITF – j’y insiste –, c’est que le secteur routier doit contribuer très largement au financement des modes de transport alternatifs. Si nous ne pouvons plus trouver les recettes nécessaires, nous aurons d’autant plus de difficultés à maintenir et à développer le réseau ferroviaire et le réseau fluvial. La question de la transition énergétique se posera alors avec plus d’acuité. Nous sommes donc confrontés, d’une part, à des problèmes politiques globaux et, d’autre part, à des difficultés d’acceptabilité économique et sociale d’un système qui n’est certes pas parfait, mais qui permet de mobiliser des ressources de manière assez efficace au profit d’une politique d’ensemble.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Merci, monsieur le président, pour votre présentation précise et exhaustive. Vous avez passé en revue un certain nombre de propositions. Comme l’a rappelé M. Le Fur, l’objectif de notre Mission est aussi d’examiner des hypothèses alternatives à l’écotaxe. Néanmoins, je rappelle la contrainte
– juridique, technique, financière – que constitue le contrat signé avec Ecomouv’. À ce stade, personne – sinon, peut-être, en aparté – n’a proposé de le dénoncer et d’indemniser la société Ecomouv’, afin de pouvoir bâtir un nouveau système de financement des infrastructures de transport.

J’entends parler pour la première fois d’un éventuel transfert des routes nationales aux régions. Certaines routes nationales ayant déjà été transférées aux départements, il y aurait donc à la fois un réseau régional et un réseau départemental. D’autres proposent d’ailleurs de transférer les routes nationales restantes aux départements. Cependant, ne devons-nous pas mener une politique nationale de financement des infrastructures de transport ? Nous ne pouvons pas échapper aux réalités : notre pays dispose d’infrastructures d’envergure nationale qui structurent l’aménagement du territoire. Il ne semble donc guère opportun de s’engager dans la voie d’un nouveau transfert des routes nationales.

La subvention de l’État à l’AFITF s’est élevée à 1,134 milliard d’euros en 2012, puis à 658 millions en 2013. Il était prévu qu’elle soit ramenée à environ 320 millions en 2014, mais vous avez évoqué une dotation complémentaire. Quel est, au total, le montant de la subvention cette année ? Est-il analogue à celui de 2013 ?

Il est prévu que l’AFITF finance, au nom de l’État, une partie du volet « mobilité » des CPER. Avez-vous déjà travaillé sur cette question ? Quels moyens financiers envisagez-vous de mobiliser à cette fin sur le budget de l’AFITF ?

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis tout à fait favorable au principe utilisateur-payeur et souscris à l’idée de prélever des ressources sur le secteur routier pour financer des infrastructures ferroviaires, fluviales et maritimes. Il convient d’adopter une vision globale, ce que permet justement l’AFITF. Cependant, avec la mise en place de l’écotaxe, ne risque-t-on pas d’assister à un report du trafic sur le réseau autoroutier concédé et de voir ainsi une partie du produit de la taxe échapper à l’État ?

Compte tenu des problèmes politiques suscités par la mise en place de l’écotaxe, certains préconisent une régionalisation du système. Cependant, évitons de répéter les erreurs que nous avons commises lorsque nous avons transféré certaines routes aux départements : je me bats depuis dix ans pour que l’axe Rouen-Orléans, qui est déjà aménagé en deux fois deux voies dans l’Eure et dans le Loiret, le soit également en Eure-et-Loir. Je m’interroge sur les conséquences d’une régionalisation pour les axes d’importance nationale : chacun risque d’envisager le système de transports d’un point de vue non pas national, mais local.

D’une manière générale, avant d’agir, il conviendrait de se demander quelles routes doivent relever de la compétence de l’État. Nous devrions même nous poser la question pour les autoroutes, en tout cas pour les nouvelles – car l’État n’a sans doute pas les moyens de racheter le réseau déjà concédé. Il y aurait sans doute moins d’obstacles pour construire des autoroutes si elles relevaient directement de l’État.

En Eure-et-Loir, nous avons obtenu une concession autoroutière pour aménager l’axe que j’évoquais. C’est actuellement le seul outil qui permet de financer de tels projets. La construction de l’autoroute coûtera au total 1 milliard d’euros. L’État apportera la moitié de la subvention d’équilibre de 60 millions d’euros, l’autre moitié étant à la charge des collectivités territoriales. Le ministre délégué chargé des transports a fait valoir que le département devrait financer lui-même la gratuité de l’autoroute pour les riverains s’il souhaitait l’instaurer. C’est une démarche intelligente qui responsabilise les élus locaux.

M. Gilles Savary. L’État consent cette année un effort complémentaire en matière de financement des infrastructures de transport. Mais d’où ces moyens proviennent-ils ? L’AFITF a-t-elle étalé dans le temps certains programmes existants ? Ou bien a-t-elle demandé à Réseau ferré de France de prendre en charge une partie des financements, comme elle l’a déjà fait dans le passé ? D’une manière générale, nous assistons à un naufrage ! Il faut sortir de cette situation !

Je fais partie de ceux qui ont émis l’idée d’une régionalisation de l’écotaxe, mais il ne s’agit nullement de supprimer toute compétence de l’État en la matière. Cette régionalisation devrait être conduite dans le cadre de la prochaine étape de décentralisation. Certaines compétences en matière de transport ont déjà été transférées aux régions, notamment les transports express régionaux (TER). Il est désormais envisagé de faire des régions des autorités organisatrices de transports (AOT) de plein exercice et de leur confier la gestion des cars interurbains, voire celle des transports scolaires, qui relèvent actuellement des départements. Cela permettrait d’éviter les doublons. Or les conseils régionaux estiment avoir besoin d’une ressource propre – ou, à tout le moins, d’une part de ressource propre – pour assurer ces nouvelles responsabilités. Selon moi, le produit de l’écotaxe devrait être partagé entre l’État et les régions, sur le modèle suisse. En contrepartie, l’État cesserait de verser directement et indirectement certaines subventions aux régions, par exemple celles qui sont destinées à faire baisser le prix des péages ferroviaires et qui s’élèvent au total à 1,7 milliard d’euros chaque année.

Je suis favorable à la régionalisation de l’écotaxe, car je crois beaucoup au principe de responsabilité. Ainsi, la Bretagne disposera d’une ressource propre qui lui permettra de financer les infrastructures de transport si elle le souhaite. Mais si elle considère qu’elle ne doit pas payer, les autres régions ne le feront pas à sa place.

Néanmoins, il convient de conserver un réseau national. Quant au transfert partiel des routes nationales aux départements en 2004, il a été très mal réalisé : nous constatons aujourd’hui une rupture de continuité dans l’entretien de certaines routes importantes. Nous aurions dû constituer des réseaux d’intérêt régional.

S’agissant de nos méthodes de travail, notre Mission pourrait-elle commander des études ? Il serait par exemple utile de disposer de simulations permettant d’évaluer les différents modèles de régionalisation. Il serait également intéressant d’en savoir plus sur le trafic des poids lourds en Bretagne, afin d’objectiver les revendications. En l’absence de telles études, nous en resterons à des propos assez généraux et aurons du mal à nous forger une opinion fondée.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur.. Nous avons déjà passé plusieurs commandes et obtenu que le ministère des transports nous communique un certain nombre d’études existantes.

M. Thierry Benoit. Soyons prudents : si nous nous lançons dans le débat soulevé par M. Savary – « la Bretagne paiera si elle le souhaite, mais les autres régions ne doivent pas avoir à le faire à sa place » –, les Bretons risquent de nous répondre en mettant en regard la contribution de leur région au PIB de la France et le niveau de l’écotaxe en Bretagne.

Dans un premier temps, nous aurions intérêt à traiter séparément la question du financement des infrastructures de transport et du budget de l’AFITF, d’une part, et celle de la mise en œuvre de l’écotaxe, d’autre part. De 2004 à aujourd’hui, l’AFITF a équilibré son budget de diverses manières, notamment grâce à une subvention versée par l’État. Les acteurs économiques qui ont organisé des mouvements de protestation très puissants dans certaines régions, particulièrement dans l’ouest de la France, ont perçu l’écotaxe comme un piège : ils ont eu le sentiment que l’on prenait les usagers contributeurs en otage, parce qu’il fallait impérativement et immédiatement trouver des recettes pour l’AFITF.

Trouvons d’abord une solution, quitte à ce qu’elle soit temporaire, pour abonder le budget de l’AFITF et financer les infrastructures de transport. MM. Savary et Le Fur ont évoqué une piste : évaluer le CICE à l’issue de sa première année de mise en œuvre et, le cas échéant, retrancher du dispositif certains secteurs qui ne devraient pas en bénéficier – ils ont évoqué à juste titre la grande distribution. En vitesse de croisière, le CICE coûtera 20 milliards d’euros : environ 15 milliards en 2013, auxquels s’ajouteront 5 milliards en 2014 et à nouveau 5 milliards en 2015. Voyons s’il n’est pas possible de récupérer 1 milliard d’euros pour le réorienter vers l’AFITF.

Parallèlement, travaillons à l’instauration d’une fiscalité écologique qui s’applique à tous les secteurs : bâtiment, industrie automobile, transports. Il convient que cette nouvelle version de l’écotaxe soit indolore, à tout le moins qu’elle ne soit pas considérée comme un piège par les usagers contributeurs. Mais elle doit aussi permettre de faire évoluer les comportements dans le temps, conformément à l’esprit du Grenelle de l’environnement. Le Gouvernement, je le répète, détient les clés pour trouver une solution. Tous les paramètres sont réunis : la négociation du pacte de responsabilité, la recherche de 50 milliards d’euros d’économies, la volonté d’alléger les charges qui pèsent sur les entreprises.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur Je rappelle que la Mission auditionnera aujourd’hui à dix-sept heures trente le délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Vous aurez donc la possibilité d’évoquer avec lui la question du CICE, monsieur Benoit.

M. Marc Le Fur. Vous envisagez, monsieur le président, certaines évolutions. Mais n’est-il pas possible d’aller plus loin ? La semaine dernière, vous aviez évoqué une autre piste : utiliser une partie des recettes de l’écotaxe – actuellement destinées à financer des canaux, des lignes de chemin de fer, et des aménagements urbains – pour le secteur routier. Un impôt est un peu mieux accepté lorsque les contributeurs savent qu’ils en bénéficieront également.

L’AFITF devrait se concentrer sur des projets nationaux, qui portent en particulier sur les axes de communication qui relient les régions entre elles. Or elle apporte également sa contribution à des aménagements en site propre, qui n’intéressent que les agglomérations concernées. Celles-ci auraient certainement les moyens de financer ces opérations sans faire appel à l’AFITF.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le premier appel à projets pour les TCSP a été lancé sous la précédente majorité.

M. Marc Le Fur. C’est exact, mais je m’étais alors singularisé au sein de la majorité sur ce point.

S’agissant des solutions alternatives pour le financement de l’AFITF, M. Benoit a rappelé la piste du CICE. Nous avons tous été surpris de constater que, sur les quelque 15 milliards d’euros consacrés au CICE en 2013, 2,5 milliards revenaient à la grande distribution et à peine 3 milliards à l’industrie, pourtant présentée comme prioritaire. N’est-il pas concevable de récupérer une petite partie de ces dépenses au profit de l’AFITF ? Et n’existe-t-il pas d’autres possibilités, notamment l’instauration d’un prélèvement additionnel sur le gasoil ?

Je suis tout à fait d’accord avec M. Savary : notre Mission a besoin d’études, afin d’objectiver le débat. Il conviendrait en particulier de connaître, dans chaque secteur, la part que représente le coût du transport et de la logistique dans le prix des produits finaux. J’avais interrogé le ministre délégué chargé des transports sur ce point sans obtenir de réponse satisfaisante. Cette part est évidemment très variable en fonction de la nature et du poids des marchandises transportées. Elle est très importante dans le secteur agroalimentaire, ce qui peut expliquer que celui-ci ait été en pointe dans la mobilisation contre l’écotaxe.

Notre Mission devrait auditionner des économistes spécialistes du domaine des transports. J’avais notamment proposé que nous recevions M. Rémy Prud’homme.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Identifier les conséquences de la mise en place de l’écotaxe par secteur d’activité, par territoire et par type de transport
– pour compte propre ou pour compte d’autrui – est en effet une de nos préoccupations. Ce n’est pas une question simple, mais je rappelle que personne ne se l’est posée auparavant. Nous nous efforçons d’expertiser les études existantes. En outre, une marche à blanc du dispositif permettrait de mieux analyser ces conséquences.

Mme Corinne Erhel. Toute réforme doit être comprise économiquement et acceptée socialement. Il existe au moins trois points de blocage. Premièrement, il semble difficile de revenir sur le contrat avec Ecomouv’. D’une part, cela serait très coûteux. D’autre part, le dispositif de contrôle mis en place est très complexe, comme l’a montré l’audition de la directrice générale des douanes et des droits indirects. Doit-on maintenir ou non les portiques ? Peut-on s’en passer ? Comment ? Le choix de cette technologie ancienne et visuellement agressive a eu un effet psychologique important sur le terrain. Il existe certainement des technologies alternatives plus simples, utilisant des capteurs.

Deuxièmement, le mécanisme de répercussion de l’écotaxe a été mal compris et mal accepté. Nous avons demandé à plusieurs reprises des études permettant d’évaluer non seulement l’impact macroéconomique de l’écotaxe, mais aussi ses conséquences sur différentes régions et sur la chaîne logistique de plusieurs types d’entreprises.

Troisièmement, nous devons examiner toutes les hypothèses, notamment celles qui ont été présentées par le président de l’AFITF. Pour chacune d’entre elles, nous devrions disposer d’une étude d’impact économique. En particulier, serait-il envisageable d’instaurer une taxe additionnelle sur le gasoil ?

Les paramètres à prendre en compte sont nombreux et il n’existe pas de solution évidente qui permette à tout le monde de sortir par le haut. Il est néanmoins indispensable de trouver un mécanisme pour financer les infrastructures de transport dans notre pays.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les hypothèses sont aujourd’hui moins nombreuses ; il convient en tout cas d’en évacuer certaines. Ainsi, il est impossible de substituer à l’écotaxe une augmentation de 2 ou 3 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) appliquée au gasoil. Cela créerait une discrimination entre transporteurs français et étrangers, car ces derniers peuvent aller faire le plein en Belgique ou en Espagne. D’autre part, le système de la vignette n’est pas non plus une solution, car il ne peut pas coexister avec une éco-redevance. Le produit de la vignette telle qu’elle existe actuellement s’établit à 175 millions d’euros, après avoir baissé de 50 millions.

Je suis d’accord avec Mme Erhel : nous disposons d’informations sur l’impact macroéconomique de l’écotaxe, mais nous aurions aussi besoin d’indications par filière. Or notre Mission a une obligation morale à l’égard de l’exécutif : elle doit remettre son rapport dans les meilleurs délais. Une marche à blanc pour tester le dispositif technique de l’écotaxe permettrait de mesurer, à cette occasion, son impact sur différentes filières. Tel est le message que nous avons fait passer tant au ministère des transports qu’aux représentants des différents secteurs d’activité que nous avons rencontrés.

M. Thierry Benoit. Nous devons aussi tenir compte du contexte européen. Selon ses détracteurs, l’écotaxe va accentuer les distorsions de concurrence avec les autres États membres, alors que nous commençons à peine à trouver des solutions au problème des travailleurs détachés.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Plusieurs pays européens ont déjà mis en place une éco-redevance. L’instauration de l’écotaxe en France n’accentuera pas les distorsions de concurrence, en tout cas pas avec l’Allemagne.

M. Thierry Benoit. Néanmoins, il pourrait être utile de mener une réflexion au niveau européen. Cela pourrait aider la France à mettre en place l’écotaxe.

M. Philippe Duron. L’écotaxe est un dossier complexe, qui présente à la fois une dimension financière – l’État rémunère Ecomouv’ et devrait lui verser, en sus, une indemnité, si l’écotaxe n’était pas mis en place – et fiscale – nous avons besoin de recettes pour financer les infrastructures de transport en France. L’écotaxe doit en outre permettre de répondre à des problèmes de mobilité – nous avons encore des progrès à faire en matière de lutte contre la congestion ou pour améliorer les performances de certains modes de transport – et à des problèmes environnementaux – il convient de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergies fossiles.

Quant aux études qui pourraient être utiles à votre Mission, l’AFITF ne dispose malheureusement d’aucune capacité d’expertise. Le législateur n’a pas souhaité lui en donner une, alors que cela lui a été demandé, notamment dans le rapport de M. Claude Gressier en 2009. Le rôle de l’AFITF est de protéger les ressources, de les affecter de manière transparente, de donner des garanties juridiques aux conventions que l’État passe avec ses partenaires et d’assurer le suivi de ces conventions et des financements qu’elle accorde. Aujourd’hui, notamment en cas de partenariat public-privé, l’État s’engage sur des durées parfois très longues : vingt-cinq ou trente ans, voir davantage dans le domaine ferroviaire.

L’AFITF a reçu pour la première fois une subvention d’équilibre de l’État en 2009, après avoir consommé la soulte de 4 milliards d’euros provenant de la privatisation des SEMCA. Elle s’est élevée cette année-là à 1 228 539 000 euros, auxquels se sont ajoutés 374 millions issus du plan de relance. Les années suivantes, la subvention a été d’environ 900 millions d’euros : 914 millions en 2010 ; 974 en 2011 ; 900 en 2012. Puis, le budget triennal a prévu son extinction « en sifflet ». En 2013, elle s’est établie à 559 809 447 euros. Cette année, elle aurait dû être plus modeste encore : 400 millions d’euros sur le papier, réduits à 334 millions après application des mesures d’économies – gel et réserve de précaution. Finalement, elle s’élèvera à 656 millions d’euros, grâce au repositionnement de certains crédits et au dégel de 100 millions d’euros gelés en 2013.

Le Premier ministre a lancé la procédure d’élaboration de la nouvelle génération de CPER à la fin de l’été 2013. Il a décidé que les CPER comporteraient un volet « Mobilité », conformément aux recommandations de la commission « Mobilité 21 ». Ainsi, la contractualisation entre l’État et les régions concernera désormais non plus seulement un mode de transport particulier– routier, ferroviaire ou fluviomaritime – mais la mobilité au sens large. Il appartient aux partenaires sur le terrain – préfet de région, président de conseil régional – de déterminer quelles sont les priorités de leur territoire : elles ne sont par exemple par les mêmes pour une région maritime ou une zone de montagne. Le Premier ministre avait donné mission aux préfets, par trois circulaires, de mener ce travail à bien avant la fin de l’année 2013.

Dans son discours sur les grands investissements de l’État prononcé le 9 juillet 2013 à l’université Pierre-et-Marie-Curie, le Premier ministre a souhaité que le budget de l’AFITF atteigne 2,5 milliards d’euros par an. Si tel était le cas, l’agence pourrait financer le volet « mobilité » des CPER. Mais, dans le cadre du budget voté pour 2014, elle n’est pas en mesure de mettre en place les premiers crédits de paiement pour la nouvelle génération de CPER. Le Gouvernement trouvera peut-être des solutions pour la deuxième partie de l’année.

Monsieur Gorges, vous avez estimé qu’une partie des réseaux routier, ferroviaire, voire fluviomaritime, devait conserver un caractère national. On imagine mal, en effet, que la cohérence des itinéraires ne soit pas garantie, surtout dans un pays tel que le nôtre. La réorganisation de l’État en matière de routes a privilégié cette notion d’itinéraire. Le premier problème aujourd’hui est celui du financement : d’une part, la ressource publique diminue et, d’autre part, les instances européennes nous incitent à mobiliser l’épargne privée pour financer certaines infrastructures – tel est notamment le rôle des project bonds dans l’esprit de la Banque centrale européenne. Dans la configuration actuelle, les partenariats public-privé sont beaucoup plus coûteux que les financements publics, ce qui rend certains arbitrages politiques difficiles à rendre. Mais il est des cas où ils présentent un réel intérêt, notamment lorsque les projets sont très complexes : le Gouvernement a ainsi décidé d’avoir recours à un financement public-privé pour achever la rocade L2 à Marseille.

D’autre part, il convient de déterminer qui doit supporter le coût des infrastructures : le contribuable, l’usager ou les deux selon un équilibre à définir. C’est un débat de nature politique, qu’il n’appartient pas au président de l’AFITF de trancher. Lorsque la France s’est fixé l’objectif, il y a près de quarante ans, de rattraper son retard en matière de construction d’autoroutes, elle a créé des sociétés publiques – les SEMCA –, mais elle a décidé que les nouvelles infrastructures seraient financées par l’usager.

Enfin, deux usages de la route ou des voies ferrées peuvent être distingués : en tant que service public ou à des fins économiques. Même si cela fait débat en Bretagne, il n’est pas illégitime d’intégrer dans le coût du transport des marchandises – et donc dans leur prix final – celui de l’infrastructure et de son usage.

M. Marc Le Fur. Ce raisonnement est pertinent pour les ouvrages publics nouveaux, mais non pour ceux qui existent déjà et qui ont été financés par les contribuables, en particulier par les contribuables régionaux dans le cadre des CPER précédents.

M. Philippe Duron. Je pourrais vous suivre, monsieur Le Fur, si les ouvrages publics ne se dégradaient pas avec le temps. Or le maître d’ouvrage public a du mal à entretenir et à moderniser les infrastructures – c’est une des fragilités du système public, qui vaut d’ailleurs tout autant pour les tribunaux, les prisons ou les lycées. Nous pourrions très bien imaginer que l’usager ne finance pas le coût de l’investissement, mais seulement celui de l’entretien et de la modernisation. Tel est d’ailleurs le cas pour certaines lignes à grande vitesse, sur lesquelles la tarification permet d’assurer le « petit équilibre ». Mais le contexte économique et financier peut aussi justifier que l’on fasse appel aux usagers pour financer le coût complet des infrastructures. Ces décisions relèvent de l’autorité politique.

Vous avez évoqué un naufrage, monsieur Savary. Pour ma part, je dirais plutôt que nous avons colmaté les voies d’eau.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pour combien de temps ?

M. Philippe Duron. À ce stade, pour l’exercice 2014.

J’ai peut-être évoqué imprudemment une régionalisation plutôt qu’une départementalisation. Mais telle est bien l’idée qui revient dans le débat public. Il revient au pouvoir politique de décider à qui l’État doit transférer telle ou telle infrastructure. Il serait en effet plus logique d’affecter la totalité d’un mode de transport à un même niveau de collectivités. Dans le cadre du projet de loi de décentralisation, comme l’a indiqué M. Savary, il est envisagé de faire des régions des AOT et de leur confier un rôle de chef de file en matière de transports, afin qu’elles puissent avoir une vision cohérente des problématiques de mobilité sur leur territoire. Pour l’instant, aucun nouveau transfert de routes nationales n’est prévu. Au vu de mon expérience de président de conseil régional, il ne serait d’ailleurs pas facile aux régions de gérer les routes.

Il est en effet possible, monsieur Benoit, de traiter temporairement de manière séparée la question du financement de l’AFITF et celle de la mise en place de l’écotaxe. À cet égard, il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’opportunité de réorienter au profit de l’AFITF une partie des financements consacrés au CICE. Quoi qu’il en soit, l’instauration d’une taxe sur l’usage des routes présente un intérêt propre : inciter à rationaliser le transport routier et à réaliser un transfert modal. La situation est complexe dans notre pays : le transfert modal vers le rail est le mot d’ordre de tous les gouvernements depuis une vingtaine d’années mais, à ce stade, pour reprendre le bon mot d’un ancien président de Geodis, nous le réalisons à rebours ! Il convient, d’une part, d’améliorer l’efficacité du système ferroviaire – tel est l’objectif du projet de loi qui sera examiné prochainement par le Parlement – et, d’autre part, de donner des signaux tarifaires : les chargeurs choisiront logiquement le mode de transport le plus efficace et le plus économique.

Il n’est pas exact que les transporteurs routiers supporteront le poids de l’écotaxe, comme on l’entend souvent. En tout cas, tel n’est pas le dispositif prévu : avec le mécanisme de répercussion, c’est le chargeur qui prendra en compte l’écotaxe dans son équation financière et l’intégrera au prix du produit final. Certes, la répartition de la charge que représente l’écotaxe pourra faire l’objet d’une négociation entre le chargeur et le transporteur, ce qui introduira le cas échéant un biais dans le dispositif.

Monsieur Le Fur, lorsque le CIADT de décembre 2003 a décidé de créer une agence de financement disposant de ressources affectées, il était en effet prévu que les crédits de l’AFITF contribuent exclusivement au développement de projets nouveaux. Cependant, l’État a ensuite confié à l’agence la mission de financer d’autres projets : la sécurisation des tunnels, le volet « transports » du plan Espoir Banlieues, les TCSP. Il existe néanmoins une justification pour les TCSP : il s’agit d’inciter les villes et les agglomérations à s’engager plus fortement dans le transfert modal en matière de transport de voyageurs. De plus, la part des financements de l’État dans les TCSP demeure modeste : 20 % des dépenses subventionnables, soit environ 10 % du coût total d’un projet.

Vous avez évoqué, madame Erhel, l’acceptabilité sociale de la réforme. Nous avons tous été surpris – je m’exprime cette fois en ma qualité de parlementaire – par la résistance suscitée par la mise en place de l’écotaxe. Nous ne nourrissions guère de doutes sur la pertinence du dispositif : nous l’avons approuvé à la quasi-unanimité et nous sommes donc tous collectivement responsables de cette décision.

Quant aux portiques, ce sont bien des supports de capteurs. Peut-être aurait-on pu les rendre plus acceptables en leur attribuant d’autres fonctions, par exemple celle de diffuser des informations sur les conditions météorologiques ou l’état du trafic, comme l’a suggéré le ministre délégué chargé des transports.

Les études que vous évoquez sont difficiles à réaliser, car l’impact économique de l’écotaxe varie non seulement en fonction de la nature des produits, comme l’a indiqué M. Le Fur, mais aussi d’autres facteurs, tels que la longueur des itinéraires.

Pour conclure, l’écotaxe sera aussi un moyen de rétablir une concurrence plus saine entre transporteurs français et étrangers. Pour la plupart, ces derniers ne paient rien actuellement pour l’usage du réseau routier français. En particulier, ils n’acquittent pas la TICPE, car les camions qu’ils affrètent font le plein au Luxembourg ou en Espagne, pour peu qu’ils soient équipés de réservoirs de 1 100 litres. La moitié des 200 000 agents économiques qui se sont enregistrés auprès d’Ecomouv’ sont des transporteurs étrangers : ils sont déjà habitués à ce type de dispositif sur les autres réseaux routiers qu’ils empruntent.

Je le répète : l’AFITF a besoin de ressources pour financer les infrastructures de transport. L’écotaxe constitue une solution efficace pour ce faire. Sa non mise en œuvre compromet gravement la construction et la régénération des équipements dans les années à venir.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Merci, monsieur le président.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), M. Philippe Joguet, directeur développement durable,
Mme Fabienne Prouvost, directrice de la communication et des affaires publiques, Mme Anna Forte, présidente du comité transport de la FCD) et M. Gilles Coquelle, responsable des questions fiscales du groupe Auchan

(Séance du mercredi 19 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui adhère au MEDEF, représente et défend les intérêts de grandes enseignes. Des enseignes qui sont présentes dans des zones commerciales importantes comme en centre-ville mais aussi dans les zones rurales avec de plus petits magasins. La FCD compte parmi ses membres des groupes comme Carrefour, Darty, les Galeries Lafayette, Leroy Merlin, les Hyper U ou encore Leader Price, un « hard discounter ». Les centres Leclerc et le groupe Intermarché n’appartiennent pas à cette fédération.

La mise en œuvre de l’écotaxe concerne directement vos activités, mesdames, messieurs. Si vos entreprises peuvent, pour partie, effectuer des transports ou des livraisons en compte propre avec des flottes de camions leur appartenant, elles paraissent surtout concernées par l’écotaxe en tant que chargeurs, autrement dit de donneurs d’ordres aux transporteurs. Les rapports entre les producteurs, les transporteurs et vos centrales d’achat peuvent paraître complexes ; ils s’avèrent encore parfois conflictuels.

Il ne vous étonnera donc pas d’être interrogés sur le principe et les modalités pratiques de répercussion de l’écotaxe prévus par les textes. Ainsi, que pensez-vous du mécanisme de majoration forfaitaire auquel sont particulièrement attachées de grandes organisations professionnelles du transport ?

Notre mission entend aborder ces questions de la façon la plus concrète. Par exemple, vos enseignes envisagent-elles de faire figurer les montants répercutés d’écotaxe sur le ticket de caisse remis aux clients ? Qu’en sera-t-il pour vos adhérents qui ont des activités de commerce en ligne, le e-commerce ? Chaque distributeur restant évidemment maître de sa politique commerciale, pensez-vous néanmoins que l’écotaxe se retrouvera intégralement dans les prix de vos produits ? Disposez-vous d’ailleurs d’études prospectives sur l’impact de l’écotaxe en termes de marge ou encore de pouvoir d’achat ? Enfin, certaines de vos entreprises ont-elles, d’ores et déjà, anticipé l’impact de cette taxe en optimisant plus encore leurs besoins de transport et leurs pratiques logistiques ?

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). Nous sommes doublement concernés par l’écotaxe. D’abord directement, car nous devons acquitter des coûts de transport élevés afin d’acheminer les produits jusque dans nos magasins. Ces coûts sont estimés à 1 milliard d’euros par an, et la répercussion de l’écotaxe telle qu’elle était prévue initialement avait été chiffrée aux alentours de 5 %, soit un surcoût direct de 50 millions d’euros. Nous sommes également concernés par le transport en amont ; les répercussions auraient donc été inéluctables. Il faut bien voir que ce sont les produits à faible valeur ajoutée et denses, pour lesquels la part du transport est proportionnellement la plus importante, qui auraient été les plus pénalisés par l’écotaxe.

Le dispositif tel qu’il était prévu se serait révélé très complexe à appliquer, voire incompréhensible, avec non seulement des réseaux taxés hétérogènes selon les régions, des tarifs variant suivant le type de véhicule, mais aussi une distorsion entre la taxe réellement acquittée et le coût payé par le chargeur. Ces inconvénients n’auraient pu que tendre les relations entre les distributeurs et les chargeurs et auraient favorisé les grands groupes de transport par rapport aux plus petites entreprises qui n’ont pas les moyens d’optimiser leurs coûts en fonction des règles du jeu forfaitaire telles qu’elles étaient prévues.

Nous considérons qu’il faut rejeter d’emblée l’une des solutions envisagées par le Gouvernement, dès avant la suspension de l’écotaxe : l’inscription du montant de l’écotaxe en pied de facture.

D’abord, un tel dispositif serait impossible à mettre en place techniquement. Par exemple, tout au long de la chaîne de fabrication d’un blanc de poulet, les coûts de transport se cumulent ; on en compte jusqu’à une dizaine : pour les aliments destinés au bétail, pour les animaux, l’abattage, la transformation etc.

Il est impossible de mettre en place un système de traçabilité complète de l’ensemble de ces dépenses de transport. Compte tenu de la complexité de l’ensemble des systèmes de fabrication, la généralisation des pieds de facture est vraiment impossible – à côté, la mise en œuvre de la carte vitale paraîtrait d’une simplicité enfantine.

Ensuite, selon cette logique, la totalité de la charge, soit l’addition des pieds de factures successifs, serait immédiatement assumée par le consommateur. Compte tenu de l’état de la consommation aujourd’hui, cela ne nous paraît pas envisageable. Cette incapacité dans laquelle nous nous trouvons de répercuter immédiatement de telles charges sur le prix final pose un vrai problème pour l’équilibre de la filière agroalimentaire au sens large. Toute augmentation des prix se traduit par une baisse des volumes : ainsi, en 2013, les prix des produits laitiers ont augmenté de 1,9 % et les volumes ont baissé de 1,8 %. Espérons que le retour à une situation économique meilleure permettra de changer cela !

Enfin, cette mesure serait totalement inéquitable : à court terme, compte tenu de l’impossibilité de répercuter complètement l’écotaxe sur les prix à la consommation, elle reviendrait, de fait, à en faire prendre en charge l’essentiel par la grande distribution, dont la marge nette moyenne n’est que de 1 % environ, alors que certains grands industriels, dont la marge est de 8 à 20 %, n’en prendraient pas leur part.

La meilleure solution est encore de trouver une alternative à l’écotaxe. La plus simple serait d’augmenter la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Bien que ne présentant pas tous les avantages de l’écotaxe, notamment en termes de financement par les transporteurs étrangers, elle aurait celui de la simplicité : un point de TICPE représente 500 millions d’euros. On pourrait également envisager d’augmenter la faculté dont disposent les régions de « lever » des centimes supplémentaires de taxe sur les produits pétroliers ou de revenir sur certaines exonérations fiscales. Quoi qu’il en soit, je le répète, la solution la plus simple est, pour nous, et de très loin, l’instauration d’un mécanisme alternatif à l’écotaxe.

Si cette solution n’était pas retenue, il resterait à aménager l’écotaxe telle qu’elle était prévue. Cet aménagement ne pourrait jouer que sur les seuils d’assujettissement – en passant, par exemple, à 7,5 tonnes voire à 12 tonnes pour les camions – ou par l’instauration de mécanismes d’exonérations pour les courtes distances. Une telle solution ne serait envisageable que si elle se traduisait par une baisse globale du produit attendu, car il ne saurait être question de répartir différemment la même somme sur une assiette réduite. Nous sommes favorables à l’examen de mesures d’abattements plus importants pour les camions les moins polluants. De même, nous ne sommes pas opposés à la proposition de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) visant à baisser les taux kilométriques. Il n’en reste pas moins que ces ajustements ne permettraient pas de remédier à la complexité de l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’inscription du montant de l’écotaxe en pied de facture ne fait pas l’unanimité. L’augmentation de la TICPE, quant à elle, a le mérite de la simplicité mais de nombreux transporteurs étrangers faisant le plein de carburant en Belgique, au Luxembourg ou en Espagne ne seraient pas concernés par cette disposition, dès lors discriminatoire pour les transporteurs français. Nous allons à nouveau interroger les responsables de la Commission européenne à Bruxelles très prochainement sur ce point. Enfin, vous proposez, en dernier recours, l’aménagement de l’écotaxe.

Nombre de nos interlocuteurs estiment que le seuil d’assujettissement doit rester fixé à 3,5 tonnes. Les Allemands eux-mêmes envisagent d’abaisser leur seuil, qui est actuellement de 12 tonnes. La directive « Eurovignette » prévoit un seuil de 3,5 tonnes ; si nous le relevons, il faudra nous justifier. Il convient donc d’éviter non seulement les complications mais également les effets de seuil. Une difficulté supplémentaire est que le remboursement au transporteur d’une partie des taxes sur le gasoil ne concerne que les véhicules de plus de 7,5 tonnes.

En ce qui concerne l’exonération des courtes distances, les différentes auditions nous ont convaincus de son intérêt – en tout cas, j’y suis moi-même favorable. Il faut toutefois lever deux obstacles : l’un, juridique, est celui de la directive « Eurovignette », l’autre est technique.

Nous réfléchissons, par ailleurs, à un abattement plus important pour les véhicules répondant aux normes Euro 6, qui nous paraît une bonne proposition. Nous pouvons même aller assez loin en ce qui concerne les véhicules électriques et les véhicules hybrides.

Vous vous êtes prononcé contre toute augmentation du taux de la taxe pour obtenir le même produit fiscal. Nous n’avons pas de position arrêtée sur la question Nous pourrions très bien imaginer, comme vous le proposez, une baisse des taux kilométriques qui soit assortie d’une progressivité dans le temps.

Je dois dire que nous nous retrouvons dans la plupart de vos propositions d’aménagement, excepté la modification du seuil d’assujettissement des poids lourds.

M. Éric Straumann. Quel est le montant de votre chiffre d’affaires total ?

M. Jacques Creyssel. Le chiffre d’affaires global de la profession est de l’ordre de 180 milliards d’euros.

M. Éric Straumann. L’écotaxe représenterait donc 50 millions d’euros sur 180 milliards d’euros de chiffre d’affaires !

M. Jacques Creyssel. Cinquante millions pour un milliard d’euros que coûtent les transports. C’est au résultat qu’il faut rapporter ce chiffre, et la marge nette moyenne est de 1 %.

M. Éric Straumann. Une éventuelle augmentation de la taxe pétrolière est, j’imagine, automatiquement répercutée sur le prix du produit, comme pour l’écotaxe.

M. Gilles Coquelle, responsable des questions fiscales du groupe Auchan. Il faut arrêter de rapporter une taxe supplémentaire au chiffre d’affaires. Jacques Creyssel l’a rappelé : la marge nette dans la grande distribution est proche de 1 %. On dit souvent que les grands groupes paient très peu d’impôts par rapport aux petites entreprises – de l’ordre de 8 % ; c’est une contrevérité. Les chiffres du groupe Auchan me semblent refléter la réalité du secteur : le rapport entre la ligne « impôts et taxes »  de la liasse fiscale et le bénéfice comptable, autrement dit les bénéfices avant impôts et taxes, révèle une pression fiscale de 67 %. Encore est-ce compte tenu du fameux crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), sans lequel ce taux atteindrait 76 %. La pression fiscale est donc très forte.

On entend souvent qu’il n’est pas normal que la grande distribution bénéficie du CICE. C’est oublier le « E » du sigle, qui signifie « emploi ». La masse salariale de la grande distribution est très importante ; Auchan France compte ainsi 50 000 salariés. On soutient également que le CICE devrait profiter aux seules entreprises exportatrices. Or, qui peut valablement soutenir que les charges sociales trop lourdes n’ont pas d’incidence sur les effectifs d’une entreprise ?

M. Éric Straumann. Une grande surface se trouve dans ma commune et j’en sais parfaitement l’importance pour l’emploi. L’écotaxe coûterait à la ménagère quelque 3 centimes sur un panier de 100 euros. C’est objectivement faible. Certes, cela s’ajoute pour vous à d’autres taxes mais, en même temps, pour venir chez vous, vos clients empruntent des routes financées par l’impôt.

De surcroît, près de 1 500 poids lourds étrangers circulent devant l’hypermarché Cora de ma commune. L’augmentation de la TICPE ne diminuera en rien leur nombre puisque ces camions paient la taxe en Allemagne.

Quant aux charges sociales certes élevées en France, c’est dans ce cadre-là, un faux combat.

M. Jacques Creyssel. Je n’ai pas le sentiment que nous payions beaucoup moins d’impôts que dans les autres pays. Nous avons un vrai problème de compétitivité globale, et si on prétend que cela n’est rien, on peut en effet créer des impôts toute la journée et faire en sorte qu’il y ait de moins en moins d’emplois et de moins en moins de croissance.

M. Éric Straumann. Vous ne répondez pas au problème que posent les 1 500 poids lourds qui encombrent l’espace rhénan et empêchent peut-être même vos clients de venir dans vos magasins.

M. Jacques Creyssel. C’est une question d’arbitrage entre les dépenses publiques ; c’est donc votre responsabilité. Et considérer que tout problème doit être réglé par une augmentation d’impôts, très franchement, c’est ce qui conduit la France à décrocher dans toute une série de secteurs. Comme l’a souligné Gilles Coquelle, c’est cette politique qui conduit notre secteur, le premier employeur de jeunes peu qualifiés, à moins recruter parce que l’on accumule les charges et les coûts. Ce n’est certainement pas en ajoutant des impôts nouveaux qu’on va renverser la vapeur.

M. Gilles Coquelle. J’ajoute que l’impôt sur les sociétés porte sur le résultat fiscal de l’entreprise, et donc il évolue – plutôt à la baisse à l’heure actuelle. Dans ce contexte, si l’on doublait cet impôt, son rendement ne doublerait pas puisque les bénéfices des sociétés – c’est vrai en tout cas pour Auchan – ont tendance à baisser. En revanche, les taxes s’envolent : elles représentent bien plus du double de l’impôt sur les sociétés. C’est, en particulier, le cas des impôts locaux – taxe foncière, cotisation foncière des entreprises, taxe communale qui a d’ailleurs été complètement détournée de son objet initial. Et les collectivités territoriales ont la possibilité de les augmenter de 20 % ! Certes, il faut financer les routes, mais on assiste parallèlement à une explosion des impôts locaux. Il faut envisager la baisse des dépenses publiques, sans quoi on n’en sortira plus.

M. Éric Straumann. Un poulet est-il obligé de parcourir 3 000 kilomètres avant d’arriver dans l’assiette du consommateur ? Quand je vois, devant chez moi, que la moitié des poids lourds circulent à vide, je me dis que les transporteurs pourraient faire un effort de rationalisation.

M. Jacques Creyssel. Rassurez-vous, pour l’essentiel, les poulets viennent de très près et cela de plus en plus, ne serait-ce que pour répondre à une demande croissante des consommateurs. L’optimisation que vous évoquez est constante. Reste que l’augmentation des coûts pose un vrai problème.

M. Jean-Pierre Gorges. Je ne suis pas en désaccord avec vous sur la fiscalité, mais ce n’est pas le débat : vous n’êtes pas ici pour répondre à ce type de questions, et vous ne pouvez pas les lier à l’écotaxe.

Les routes sont payées par des gens qui ne sont pas des usagers. La petite mamie qui habite dans son HLM et qui n’a pas de voiture paie pour la réfection des routes abîmées par les poids lourds. Or, l’écotaxe consiste à faire payer l’utilisateur. Ainsi les autres auront-ils un peu plus d’argent dans leur porte-monnaie pour aller consommer dans les grandes surfaces. Nous souhaitons donc ici trouver l’outil qui favorise des comportements vertueux : que l’usager paie et que cela serve à financer les nouvelles infrastructures. Je suis heureux que gauche et droite soient d’accord sur ce principe.

Je ne vous cache pas que votre position m’étonne. Selon vous, l’application de l’écotaxe aurait été catastrophique. Avez-vous été consultés dans le cadre d’études d’impact ? Si, demain, l’écotaxe devait être appliquée, quelle serait votre attitude ? Enfileriez-vous un bonnet rouge ou bien vous plieriez-vous à la loi ? Vous vous prévalez du fait que votre secteur réalise 1 % de marge pour nous inciter à nous intéresser plutôt aux industriels réalisant 7 ou 8 % de marge. Mais cela ne tient pas la route puisque c’est bien toujours l’usager final qui, à la fin, paie, de même que pour la TVA.

Je me souviens que deux modèles ont opposé Les Mousquetaires et Leclerc. L’un consiste à irriguer le marché depuis très loin grâce à des camions ; l’autre, privilégiant l’implantation de bases à proximité, constitue non seulement un autre système d’alimentation mais aussi de production – un poulet qui passe par sept camions différents n’a pas le même goût qu’un poulet élevé et consommé sur place. En outre, le coût de transport de tous les produits qui viennent de très loin est beaucoup plus élevé que celui du produit.

L’écotaxe ne va-t-elle pas vous obliger à réfléchir à travailler différemment, à organiser autrement le territoire ? Vous ne pouvez pas, en tant que distributeurs, défendre les positions que vous venez de défendre, et vous devriez plutôt vous demander de quelle manière, au sein de la chaîne, contribuer à la mise en place de l’écotaxe. Vous avez des responsabilités sur la façon d’acheminer les produits dans vos magasins.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je rappelle que M. Creyssel a fait des propositions d’aménagement de l’écotaxe, dans lesquelles, qui plus est, nous pouvons nous retrouver.

M. Olivier Faure. Vous tentez de nous expliquer que votre métier est d’acheter pour revendre ; or on sait depuis longtemps que le vrai métier de la grande distribution, c’est la banque. Vous ne réalisez pas l’essentiel de votre profit sur la différence entre le prix d’achat et le prix de vente mais sur les délais de paiement que vous faites supporter à vos fournisseurs, ces quatre-vingt-dix jours fin de mois qui vous permettent de faire des placements.

M. Jacques Creyssel. Autrefois peut-être ; permettez-moi de vous rappeler que cette pratique est interdite par la loi depuis plusieurs années. La loi de modernisation de l’économie (LME) fixe aujourd’hui le délai de paiement à quarante-cinq jours fin de mois.

M. Olivier Faure. Et que faites-vous de l’argent pendant ces quarante-cinq jours ?

M. Éric Straumann. Il est rémunéré au taux de 0,5 % ; ce n’est rien.

M. Jacques Creyssel. M. Coquelle vous le dira mieux que moi, aujourd’hui, le résultat financier de la plupart des entreprises de la grande distribution est négatif. Il est exact qu’autrefois, le business model de la grande distribution reposait en partie sur l’élément que vous évoquez. Mais tout cela dorénavant est terminé.

D’une part, les délais de paiement ont été considérablement réduits, et chacun
– direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en tête – reconnaît que nous sommes exemplaires sur ce point. L’Observatoire des délais de paiement ne relève d’ailleurs aucun problème en ce qui nous concerne : nous respectons strictement les dispositions de la LME, qui viennent d’être ajustées à la marge par le projet de loi sur la consommation porté par M. Benoît Hamon. D’autre part, le niveau des taux d’intérêt rend quasiment inexistante la notion de produit financier.

Les autres éléments du business model ont connu la même évolution. Il se fondait sur une croissance forte. Mais la croissance de la consommation est au mieux nulle, au pire légèrement négative, comme c’était le cas au cours des derniers mois. Quant au foncier, son coût a tendance à augmenter, car les investissements se font de plus en plus en centre-ville. Le modèle d’origine n’est donc plus viable.

Nous avons joué le jeu : l’Observatoire des prix et des marges en atteste, les marges de la grande distribution sont aujourd’hui très faibles – beaucoup plus, en tout cas, que dans la plupart des pays voisins. En Grande-Bretagne, elles sont deux à trois fois supérieures à celles constatées en France. Bref, le monde a changé. En outre, nous sommes dans une période où le pouvoir d’achat est atone et où le consommateur n’accepte pas les hausses des prix. Il faudra pourtant bien qu’il en paye une partie si nous ne voulons pas laisser dépérir l’ensemble de la chaîne. En tout cas, lorsque la croissance est nulle avec des marges extrêmement faibles, toute augmentation de charges pose un vrai problème.

Je remercie M. le président d’avoir rappelé que nous ne réclamions pas la suppression pure et simple de l’écotaxe. J’ai indiqué dès le départ que le système nous posait problème en raison de sa complexité, et que nous étions favorables soit à son remplacement par une autre solution, qui pourrait impliquer la TICPE, soit à des aménagements. Nous sommes là pour essayer de trouver des solutions, sans pour autant négliger le problème global d’augmentation des impôts auquel nous sommes confrontés.

M. Olivier Faure. Dont acte.

Vous avez parlé de compétitivité. Ainsi que l’a rappelé Jean-Pierre Gorges, la compétitivité de vos entreprises tient aussi aux infrastructures routières. Qu’il s’agisse de l’acheminement des produits vers les grandes surfaces ou de celui des clients qui viennent y faire leurs courses, elles bénéficient bien directement de ces infrastructures. Leur politique d’implantation est d’ailleurs liée à la présence d’axes routiers et de nœuds de circulation. Dans la logique de l’écotaxe, elles doivent en supporter le coût, puisqu’elles font partie de ceux qui les utilisent le plus. Rappelons que de nombreux contribuables payent des réseaux qu’ils n’utilisent jamais, soient qu’ils n’aient pas de véhicule, soit qu’ils se déplacent très peu ; ils font malgré tout cet effort au nom de l’intérêt de la collectivité.

Vous allez bénéficier du CICE, alors même que vos entreprises ne sont pas soumises à la concurrence internationale comme peuvent l’être celles de secteurs industriels. Si l’on excepte quelques zones frontalières, les consommateurs vont rarement faire leurs courses à l’étranger. Néanmoins, la grande distribution bénéficiera de ces allègements de charges. Le paiement de l’écotaxe apparaît, dès lors, comme une juste contrepartie. Au lieu d’un aménagement de la TICPE, qui reviendrait à exempter les transporteurs étrangers du paiement de l’écotaxe, mieux vaudrait regarder ce qui peut être fait du côté du CICE. Cette piste vous paraît-elle envisageable ?

M. Thierry Benoit. Je remercie les représentants de la FCD d’avoir répondu à notre invitation. Je tiens à leur dire qu’ils ne sont pas devant un tribunal. J’ai apprécié le propos et les propositions de M. Creyssel et de M. Coquelle.

Néanmoins, nous sommes aujourd’hui confrontés à une vraie difficulté. Nous nous sommes assigné collectivement, droite, gauche et centre, à travers le vote des lois Grenelle I puis Grenelle II, un objectif : la conversion écologique de la fiscalité. Il ne s’agit pas de piéger les entreprises, les usagers ou les contribuables, mais de tendre vers des pratiques plus vertueuses. Je suis convaincu que nous sommes tous d’accord sur cet objectif. Pour l’atteindre, nous devons réussir à instaurer en France – comme l’ont fait d’autres pays dans le monde, et notamment en Europe – une fiscalité écologique.

Signalons également que l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), dont nous avons auditionné ce matin le président, notre collègue Philippe Duron, a besoin de financements.

Enfin, nous constatons que le choix fait par le Gouvernement il y a un an d’instaurer le CICE entraîne des effets induits. Je précise d’emblée que je suis, comme tous les membres du groupe UDI, partisan de l’instauration dans notre pays d’une vraie TVA sociale. Nous préférons, en effet, taxer la consommation plutôt que la production ou les outils de production.

Le Gouvernement a fait le choix de l’instauration du CICE, qui doit apporter aux entreprises une bouffée d’oxygène de 20 milliards d’euros. Ce n’est pas vous stigmatiser que rappeler que ce dispositif n’a pas vocation à soutenir la grande distribution, mais à relancer les filières de production, les filières industrielles et les filières de transformation. La grande distribution et le commerce bénéficient néanmoins du CICE, qui leur apporte une respiration estimée à 2,5 milliards d’euros. Dans la mesure où le secteur de la grande distribution comporte aussi bien des unités de commercialisation des produits que des sites industriels, il me semble que nous aurions là une marge de négociation, notamment dans le cadre du Pacte de responsabilité voulu par le Président de la République, pour en quelque sorte « reventiler » une partie du CICE vers le financement de l’AFITF.

Je me réjouis que le Président de la République ait annoncé sa volonté de dégager 50 milliards d’euros d’économies supplémentaires et reconnu la nécessité d’alléger les charges qui pèsent sur la production. Il s’ouvre là une « fenêtre de tir » inespérée, en parallèle des travaux de notre mission d’information et des discussions qui vont être engagées dans le cadre du Pacte de responsabilité.

En conclusion, je voudrais rappeler que se développe aujourd’hui dans notre pays un climat de suspicion à l’égard des grands distributeurs, et plus encore du rôle des centrales d’achat. Le président Chanteguet a eu raison de préciser que certains grands groupes, dont fait partie Leclerc, ne sont pas membres de votre fédération. Je me félicite que certains des membres de la FCD, comme Système U, engagent aujourd’hui des démarches de filières fort intéressantes. Je pense au partenariat noué avec des producteurs de lapins sans antibiotiques, ou encore à celui qui vient d’être conclu avec des producteurs de porcs qui s’engagent à nourrir leurs animaux sans OGM ni soja, mais à partir de graines de lin, selon le cahier des charges de la filière « Bleu-Blanc-Cœur », qui trouve son origine dans le pays de Fougères, dont je suis l’élu.

Force est de reconnaître que ce climat de suspicion existe. C’est pour cela que l’Observatoire des prix et des marges a été mis en place ; c’est aussi pour cela que nous avons souhaité vous entendre. Nous pensons qu’il y a matière à discussion, pour ne pas dire à négociation, en particulier en ce qui concerne le CICE.

Mme Sophie Errante. Le montant que représente le transport pour vos entreprises serait d’un milliard d’euros. L’impact de l’écotaxe s’élèverait, selon vous, à 5 % de ce montant, soit 50 millions d’euros. Comment arrivez-vous au chiffre de 5 % ? Comment avez-vous calculé cet impact ? S’agit-il d’un calcul par filières, par secteurs ?

Par ailleurs, avez-vous envisagé une « marche à blanc » pour tester le dispositif ? Nous avons cru comprendre que celles qui avaient été conduites n’avaient pas donné entière satisfaction. En avez-vous néanmoins tiré quelques enseignements pour vos calculs ? Une marche à blanc nationale sur une période limitée – disons un trimestre – vous paraît-elle souhaitable ?

M. Jacques Creyssel. Je ne peux accepter que l’on parle de climat de suspicion à l’endroit de la grande distribution. Nous sommes un secteur majeur ; les enseignes de la FCD emploient 750 000 salariés dans notre pays. Lorsque vous parlez de climat de suspicion, ce sont eux que vous mettez en cause. N’oublions pas que parmi ces 750 000 salariés, il y a de très nombreux jeunes. Il n’est pas acceptable de parler en ces termes d’un secteur qui est le principal employeur de notre pays.

M. Olivier Faure. Mon collègue ne vous a accusé de rien : il s’est borné à constater que ce climat existait.

M. Jacques Creyssel. Le mot suspicion sous-entend un jugement de valeur qui n’est pas admissible. Si l’on disait cela d’un homme politique, vous ne l’accepteriez pas.

M. Olivier Faure. Cela arrive fréquemment.

Mme Sophie Errante. Tous les jours !

M. Jacques Creyssel. Le monde du commerce et de la distribution compte plus de 3,5 millions de salariés en France. Nous nous battons tous les jours pour faire en sorte que ce secteur se développe. Parler de suspicion à notre endroit est donc anormal et totalement hors de propos.

Je vous le dis d’autant plus franchement que nous avons régulièrement l’occasion d’échanger, monsieur Benoit : ces termes ne sont pas admissibles.

M. Thierry Benoit. Nous pouvons nous parler franchement. Je ne suis qu’un modeste parlementaire : j’écoute et je participe au débat. Je ne vous ai pas agressé. Je respecte les dirigeants d’entreprise et la richesse que représente votre secteur pour notre pays. Reconnaissons cependant qu’il y a des débats difficiles. J’ai pris soin de bien distinguer, dans mon propos, les distributeurs et les centrales d’achat : c’est une précision de taille. De réelles avancées ont été observées– transparence, Observatoire des prix et des marges. Il me semble donc que nous pouvons échanger sereinement et en confiance.

Je n’ai jamais hurlé avec les loups. Élu de Bretagne, je n’ai pas soutenu les mouvements de l’automne. Mais nous devons trouver le moyen de réussir la conversion écologique de la fiscalité. Or cela ne pourra se faire que si cette nécessité est comprise, acceptée, et si l’ensemble des partenaires jouent le jeu– c’est-à-dire celui de la France. Les intérêts de nos entreprises et ceux de notre pays sont convergents. Il ne sert donc à rien de jeter des anathèmes, ni de faire croire aux salariés de la grande distribution que je les aurais agressés : c’est une ineptie. Ne travestissez pas mon propos !

M. Jacques Creyssel. Nous n’avons jamais pris de position de principe contre l’écotaxe. Quant au chiffre de 50 millions, madame Errante, il s’agit du coût direct induit par le dispositif.

Lors des consultations qui ont été menées, nous avons indiqué nos réserves techniques sur ce dispositif, et bien sûr nos préférences ; mais jamais nous n’avons dit que nous refusions cette charge, pour autant qu’il ne s’agisse que de celle qui nous incombe en direct, c’est-à-dire les coûts à l’aval correspondant à nos frais de transport.

Pour en venir au CICE, je m’étonne que l’on imagine utiliser une baisse de charges pour financer des augmentations d’impôts – c’est tout à fait contradictoire. C’est pourtant ce que vous semblez nous proposez ! Dès l’origine, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi s’entendait comme comportant deux parties : l’une destinée à améliorer la situation des secteurs confrontés à la compétition internationale, et l’autre qui permettait d’améliorer la situation de l’emploi. Dire aujourd’hui que le CICE n’est pas justifié dans notre secteur revient à dire que nos employés ne sont pas productifs. Là encore, ce n’est pas acceptable. Nous contribuons à la production de la même façon que l’industrie.

Il n’y a pas, d’un côté, des secteurs nobles et, de l’autre, des secteurs qui ne le seraient pas, mais bien une économie d’ensemble. Il est d’autant plus important de le rappeler que la grande distribution est le principal recruteur de jeunes peu qualifiés en France quand l’industrie n’en embauche que très peu. N’encourager que l’industrie, c’est aller vers de graves problèmes sociaux. Or, il nous appartient d’assurer l’équilibre social dans notre pays. Celui-ci passe notamment par le développement des secteurs qui embauchent de nombreux jeunes non qualifiés – la grande distribution, la restauration, l’intérim, la propreté ou encore le bâtiment. C’est à cela que sert le CICE, et c’est pour cela que nous l’avons approuvé.

Du reste, il faut avoir conscience que, depuis quelques années, notre secteur n’est plus créateur d’emplois. C’est même l’inverse : en trois ans, il a vu ses effectifs reculer de 5 % et perdu plus de 30 000 emplois. Le CICE doit nous permettre d’inverser la tendance. Si nous en affectons une partie à autre chose que ce pour quoi il a été conçu, nous ne pourrons pas le faire. Or, cela reste une priorité pour nous.

J’ajoute, pour finir, que les 2,5 milliards du CICE bénéficient à l’ensemble du commerce et de la distribution, secteur qui représente 3,5 millions d’emplois, soit davantage que dans l’ensemble de l’industrie. Assez de l’amalgame qui limite les analyses à la grande distribution ! Les petits commerces de centre-ville, déjà confrontés à de réelles difficultés conjoncturelles, profitent aussi de ces 2,5 milliards. Sachons donc raison garder ; donnons les vrais chiffres et regardons les vraies évolutions. Un pays qui a un commerce qui marche est un pays qui va bien. Cessons donc d’opposer les uns aux autres.

Mme Anna Forte, présidente du comité transport de la FCD. Mon métier et mon mandat à la FCD me conduisent à être en constante relation avec les transporteurs aussi bien qu’avec les chargeurs. Nous ne pouvons accepter l’écotaxe en l’état parce que le principe de répercussion forfaitaire en pied de facture est incompréhensible pour nous, et ne nous permet pas d’optimiser.

Penser que le dispositif tel qu’il a été conçu va nous encourager à adopter des comportements vertueux est une erreur. Nous sommes des logisticiens, et nous n’avons pas attendu l’écotaxe pour chercher à optimiser les flux : tous les jours, nous y travaillons ! C’est le seul moyen dont nous disposons pour diminuer nos coûts de transport. Il est également important de rappeler que nos bases logistiques sont situées au plus près de nos magasins. Il va de soi que nous procédons à de savants calculs pour trouver le juste rapport entre le coût et l’efficacité.

Comme l’a dit notre délégué général, la FCD n’a jamais été contre l’écotaxe : nous sommes tous d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment celles qui sont générées par les transports. Mais elle est si compliquée à comprendre que le dossier en est devenu inextricable. Les transporteurs ayant eux-mêmes du mal à comprendre combien cela va coûter, vous imaginez à quelles difficultés ils se seraient heurtés pour nous la répercuter. Le législateur a donc souhaité la simplifier avec un forfait. Le problème est que celui-ci ne correspond pas du tout à la réalité. Il ne permettra donc pas d’optimiser nos transports, bien au contraire.

Prenons en exemple un prix de transport à 250 euros. Avec l’application en pied de facture du forfait inter-régions de 5,2 %, le chargeur paiera 13 euros ; si le véhicule concerné est un camion quatre essieux de type Euro 4 – ce qui correspond à la classe moyenne des camions circulant en France –, il devrait lui en coûter 15,4 centimes du kilomètre. Toutefois, si le transporteur utilise les autoroutes concédées, qui ne sont pas soumises à l’écotaxe, il ne lui en coûtera pas un centime de plus ; a contrario, si le transporteur circule dans une zone entièrement « écotaxée », il aura à payer 250 kilomètres fois 15,4 centimes, soit 38 euros. Dans le premier cas, le transporteur gagne 13 euros, dans le second, il en perd 25.

On pourrait penser que les chargeurs compenseront les pertes enregistrées d’un côté par les gains réalisés de l’autre. En pratique, cela va dépendre de la localisation de leurs entrepôts et de leurs magasins. Si les chargeurs ne peuvent compenser, comment feront les transporteurs ? Le chargeur estimera, en effet, qu’il n’y a pas de raison qu’il se voie appliquer le forfait si le transporteur a utilisé l’autoroute et n’a donc pas été « écotaxé ». Pourtant, il devra payer les 13 euros. En toute logique, il pensera donc qu’il n’y a pas lieu de donner davantage au transporteur qui a emprunté le réseau soumis à l’écotaxe. Ce dernier n’aura donc que deux solutions : refuser de travailler avec ce chargeur ou accepter les termes de la négociation, quitte à finir par déposer le bilan.

Si un chargeur peut compenser ses pertes et ses profits à l’intérieur de ses coûts, les transporteurs ne peuvent pas le faire entre eux. Tout le problème est là. On a voulu simplifier l’écotaxe à outrance avec ce forfait, et force est de constater que c’est l’inverse qui se produit. Si nous voulons poursuivre dans la voie de l’écotaxe, il faut qu’elle soit simplifiée, afin que les transporteurs puissent comprendre comment elle fonctionne, puis l’expliquer aux chargeurs. En outre, il est fondamental de laisser les professionnels régler cela entre eux. Pour des raisons d’efficacité, la plupart de nos flux sont gérés par des contrats au minimum annuels avec des transporteurs réguliers. Laissons les professionnels faire leur métier !

Vous comprenez donc pourquoi nous ne pouvons accepter l’écotaxe en l’état, et pourquoi nous avions imaginé que la TICPE serait plus juste pour les chargeurs comme pour les transporteurs qui auront à collecter la taxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous avez raison, il y a là une vraie difficulté. Si nous en sommes arrivés à mettre en place la majoration forfaitaire au travers de la loi de mai 2013, c’est parce que le décret du 6 mai 2012 était inapplicable. Un système assez ingénieux a donc été mis en place, dont on ne peut pas dire pour autant qu’il a le mérite de la simplicité. Par ailleurs, je comprends vos interrogations. L’exemple concret que vous avez pris montre qu’il n’existe aucune possibilité d’ajustement. Toutefois, ni les transporteurs ni les autres professionnels ne nous ont proposé d’alternative en-dehors de l’augmentation du taux de la TICPE.

Le dispositif présente certes des inconvénients, puisqu’il existe un taux par région et un taux inter-régional. Le mécanisme de calcul de ces taux a été arrêté à partir d’un cahier des charges, ce qui confère une vraie cohérence – et une certaine pertinence – au dispositif. Néanmoins, le problème que vous soulevez est réel. De manière assez surprenante, le Conseil constitutionnel a validé le mécanisme. Qu’il emprunte un réseau taxé ou un réseau non taxé, le transporteur répercute, en effet, au travers de la majoration forfaitaire, une augmentation en pied de facture. À ce jour, nous n’avons pas trouvé d’autre solution.

Mme Anna Forte. Pour répondre à Mme Errante, le chiffre de 5 % n’est que le reflet de l’écotaxe sur le prix du transport « aval » – c’est-à-dire de nos entrepôts vers nos magasins. Nous n’avons pas d’idée de ce que pourrait être son impact sur le transport « amont » puisque, la plupart du temps, ce dernier est inclus dans le prix du produit et géré par les industriels. C’est le cas de mon enseigne, mais il est vrai que d’autres ont choisi de prendre le transport à leur charge.

Mme Sophie Errante. Je souhaitais simplement savoir comment vous aviez déterminé ce chiffre.

Mme Anna Forte. Nous avons appliqué les majorations forfaitaires à nos coûts de transport, étant entendu que le chiffre de 5 % est une moyenne nationale.

M. Philippe Joguet, directeur du développement durable de la FCD. Pour les enseignes les plus concentrées dans certaines régions comme l’Île-de-France, cela peut aller jusqu’à 7 %.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Il me semble qu’en Languedoc-Roussillon, c’est 2 %.

Mme Anna Forte. Je comprends l’intérêt d’avoir des taux régionaux, mais cela introduit une grande complexité et pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché. Des transporteurs « mal » positionnés ou assurant de « mauvais » flux pourraient ainsi être tentés de se délocaliser dans d’autres régions françaises.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’idée d’avoir un seul taux peut paraître assez séduisante, mais il faut reconnaître qu’elle ne progresse guère.

Mme Anna Forte. Pour ce qui est de la marche à blanc, c’est une excellente idée, car c’est le seul moyen de mesurer réellement l’impact de cette écotaxe, qui est impraticable en l’état. Cette année, j’ai construit quatre budgets, avec ou sans l’écotaxe ; en 2012 et en 2013, je m’étais livrée à plusieurs simulations d’écotaxe. Les résultats sont frappants : en fonction de la manière dont on applique les taux, on obtient des sommes allant de 2,5 à 5,5 points. Une marche à blanc me semble donc indispensable, à la fois pour les chargeurs et les transporteurs.

Mme Sophie Errante. Il nous été dit, lors de précédentes auditions, que des marches à blanc avaient déjà eu lieu. En avez-vous eu des échos ? Nous avons entendu des avis contradictoires sur les résultats qu’elles auraient donnés.

Mme Anna Forte. Je ne peux pas vous parler de la marche à blanc qui a été effectuée, car ce sont les transporteurs qui se sont livrés à ces tests, notamment sur les boîtiers. La plupart nous ont dit que cela fonctionnait plutôt mal. Il semble que les tests ont buté sur des difficultés techniques.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le test à blanc a, en effet, concerné les transporteurs et les sociétés habilitées de télépéages (SHT). Il a notamment porté sur l’installation des équipements électroniques embarqués dans les véhicules. Des difficultés techniques semblent avoir été observées, plus entre les SHT et les transporteurs qu’avec la société Ecomouv’.

L’idée d’une marche à blanc a été avancée par nombre de nos interlocuteurs. À cet égard, au-delà de l’aspect technique, il faut se préoccuper aussi des conséquences de l’écotaxe sur le plan économique et financier, que ce soit pour les transporteurs, pour les chargeurs ou pour les autres filières qui pourraient être concernées. Cela ne simplifie certes pas la tâche, mais c’est un élément important de l’acceptabilité de cette écotaxe.

Je remercie les représentants de la FCD d’avoir accepté notre invitation et d’avoir participé à cet échange. Il a sans doute été un peu vif par moments, mais l’essentiel est que chacun ait pu s’exprimer librement et dans le respect mutuel.

Audition, ouverte à la presse, de représentants
de la Confédération française du commerce interentreprises (CGI) :
M. Marc Hervouët, président, M. Hugues Pouzin, directeur général, accompagnés de M. Cyril Galy-Dejean, chargé des relations institutionnelles, M. Philippe Gruat, directeur général adjoint du groupe Point P,
et M. Philippe Barbier, président du directoire du groupe Pomona

(Séance du mercredi 26 février 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous recevons ce matin M. Marc Hervouët, président de la Confédération française du commerce interentreprises, accompagné de plusieurs membres de la « Commission Transport » créée au sein de son organisation.

La Confédération française du commerce interentreprises, souvent désignée sous l’acronyme CGI, regroupe 56 fédérations professionnelles.

La notion de commerce interentreprises, anciennement commerce de gros, n’est pas immédiatement perçue dans l’opinion. Elle intègre le « B to B » (Business to Business), des activités qui ont enregistré une croissance soutenue du fait de l’élargissement des prestations proposées, comme la maintenance, les livraisons, les services de l’après-vente ou la récupération de produits en fin de vie.

Comme le commerce traditionnel, qui concerne principalement l’achat et la revente de biens en l’état, le commerce interentreprises reste néanmoins très dépendant de la conjoncture économique – 95 % des grossistes-distributeurs sont des PME de moins de 50 salariés. Au total, le commerce interentreprises représente plus de 120 000 entreprises.

Les grossistes-distributeurs possèdent un parc important de véhicules : 50 000 camions de plus de 3,5 tonnes, soit près de 10 % des véhicules assujettis à l’écotaxe. De ce fait, le transport pour compte propre est particulièrement développé dans ces activités.

Monsieur le président, au nom de votre organisation, vous avez assimilé l’écotaxe à une « taxe sur les livraisons » qui viendrait grever vos marges qui, d’ailleurs, seraient déjà particulièrement faibles.

Nous avons connaissance d’un travail d’évaluation, réalisé par la mission ministérielle de tarification, concernant précisément le commerce interentreprises.

Ce document date de janvier 2012. Mais nous savons par ailleurs que votre organisation a pris très tôt contact avec l’administration sur l’écotaxe, dès l’automne 2008. Pour vous, quelle est la valeur de ce travail ? Qu’avez-vous retenu de tels échanges ? Devons-nous vous ranger parmi les opposants irréductibles à l’écotaxe ? Récusez-vous ainsi totalement son principe et ses modalités, ou considérez-vous qu’elle pourrait faire l’objet d’aménagements ? Vos réponses et vos éventuelles propositions intéressent notre mission, d’autant plus si elles traduisent une synthèse actualisée des remontées de terrain émanant des acteurs économiques que vous représentez.

M. Marc Hervouët, président de la Confédération française du commerce interentreprises (CGI). Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner l’occasion d’exposer les inquiétudes très profondes que suscite l’écotaxe poids lourds – actuellement suspendue – pour les entreprises que nous représentons.

Ces inquiétudes, nous les avons fait valoir à chacune des étapes du très long historique de cette taxe, y compris lors de la discussion, au printemps dernier, de la majoration forfaitaire de plein droit. Ces inquiétudes tiennent bien sûr à l’impact prévisible de l’écotaxe sur le modèle économique de nos entreprises, mais également à la persistance d’incertitudes à la fois juridiques et techniques. Elles tiennent aussi à un contexte économique particulièrement difficile et à un niveau global de pression fiscale et de charges administratives qui, sur le terrain, a atteint les limites de l’acceptable.

À cet égard, nous estimons que les réflexions en cours sur le devenir de l’écotaxe ne peuvent être disjointes de celles conduites sur la remise à plat de notre fiscalité et la compétitivité du site France.

Pour caractériser le métier de grossiste-distributeur que je représente, je dirai que nos entreprises assurent la logistique du dernier kilomètre. Elles collectent, vendent et acheminent sur le site d’utilisation finale les produits et marchandises nécessaires à l’activité d’entreprises ou d’établissements publics intervenant dans les champs industriel, alimentaire et non-alimentaire. À titre d’exemple, nous livrons la restauration, individuelle et collective, les cantines scolaires et hospitalières, les crèches, les commerces de proximité, les chantiers du BTP.

La position d’intermédiaire de nos entreprises les rend redevables de l’écotaxe, directement et indirectement, tant sur la partie approvisionnement de leur activité que sur la partie livraison. Je précise, comme beaucoup d’autres l’ont fait avant moi, qu’elles n’ont pas d’autre option que la route pour faire leur métier.

Les livraisons sont réalisées soit en compte propre – la profession compte effectivement 50 000 véhicules de plus de 3,5 tonnes, donc 10 % du parc concerné par l’écotaxe – soit en recourant au service d’un transporteur, parfois les deux. Nos professionnels sont donc également concernés par la majoration forfaitaire de plein droit votée au printemps dernier.

Je précise que nos entreprises n’ont pas attendu l’écotaxe pour optimiser leur modèle logistique, grâce notamment à des logiciels informatiques qui leur permettent au jour le jour d’organiser leurs tournées, ou pour utiliser des camions de plus en plus propres. J’ai d’ailleurs signé avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au début de l’année dernière, une charte comprenant des engagements très précis en ce sens.

Sur le plan comptable, nos entreprises se caractérisent par un chiffre d’affaires très élevé, lié à l’importance des volumes de marchandises échangées, et par un très faible résultat net, lié à la modestie de leurs marges. Dans nos professions, chaque centime compte, ce qui les rend particulièrement sensibles à toute évolution, même marginale, de nature à peser sur les prix. Ces professionnels évoluent par ailleurs dans un environnement concurrentiel que le contexte économique a considérablement tendu et qui les met au contact direct avec des opérateurs vendant les mêmes marchandises sans en assurer la livraison.

Pour toutes ces raisons, nous nous sommes très tôt inquiétés des conséquences qu’aurait pour notre profession la mise en place de l’écotaxe. Malgré la forte pression du terrain en faveur de mouvements plus musclés, nous avons toujours privilégié le dialogue avec les pouvoirs publics.

Ainsi, en 2011, face aux inquiétudes de nos professions, nous avons demandé aux services du ministère des transports de nous aider à cerner de façon plus précise l’impact qu’aurait l’écotaxe sur nos opérations de livraison de proximité.

Il résulte de l’étude d’impact, que nous avons réalisée en partenariat avec la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qu’à défaut de répercussion, l’incidence de l’écotaxe sur le bilan de nos entreprises pourrait représenter, sur la seule partie aval de leur activité, jusqu’à 15 % de leur résultat. Or rien ne garantit que nos entreprises soient en mesure d’assurer cette répercussion. C’est la première des inquiétudes exprimées par nos professionnels.

Apprécier a priori la charge qui résultera de l’utilisation du réseau taxé relèvera, pour les entreprises comme pour les transporteurs, du casse-tête. Et ce casse-tête est aggravé par le modèle logistique de ces entreprises qui est fondé sur une tournée regroupant 15 à 25 clients, ce qui rend impossible l’individualisation de la répercussion.

Autre facteur aggravant, notre activité s’inscrit bien souvent dans le cadre de contrats pluriannuels ou de marchés publics pour lesquels un prix ferme est exigé. Rien n’est prévu dans le code des marchés publics pour assurer la prise en compte de l’écotaxe.

Je rappelle à cet égard que nos entreprises n’ont pas été admises à faire jouer la majoration forfaitaire de plein droit ou à isoler, sur leurs factures, la composante écotaxe. Pour elles, pas de possibilité de « signal-prix » à l’endroit du bénéficiaire de l’opération de livraison, mais un simple « signal-coût » pour l’entreprise la réalisant ou la déléguant.

Au final, le niveau de répercussion de l’écotaxe constituera nécessairement un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel dont nos entreprises les plus fragiles seront les premières victimes.

Autre facteur d’incompréhension sur le terrain : la consistance du réseau taxé. Alors que chez la plupart de nos partenaires européens, ce réseau est essentiellement composé d’autoroutes afin de cibler le transport à longue distance, la France a fait le choix, les autoroutes ayant été concédées, d’appliquer la taxe au réseau secondaire, au risque de pénaliser la distribution locale et l’économie de proximité. Dans le même temps, les véhicules étrangers qui traverseront la France en utilisant le réseau autoroutier n’auront pas à acquitter l’écotaxe.

En outre, l’écotaxe n’est pas indexée sur la valeur du chargement, ce qui est un facteur majeur d’inquiétude. Son impact sera d’autant plus élevé que les marchandises transportées auront une faible valeur – denrées alimentaires, matériaux de construction. Au niveau des relations interentreprises, compte tenu des volumes de produits échangés, l’impact de l’écotaxe, même marginal, aura des conséquences significatives. Dans le cas d’un contrat d’approvisionnement récurrent portant sur des milliers d’unités, le surcoût induit sera loin d’être neutre.

Dernier facteur d’inquiétude : la lourdeur et la complexité technique du dispositif, dont je rappelle, comme d’autres avant moi, que la fiabilité opérationnelle soulève toujours des interrogations. Cette lourdeur occasionnera pour nos entreprises le même surcroît de charges administratives que pour le transport routier, mais ce surcroît ne fera pas l’objet d’une prise en compte légale ! Je rappelle que nous parlons d’un dispositif fiscal qui, pour être opérationnel, coûtera d’emblée plus de 10 millions d’euros à la profession au titre de l’enregistrement des camions auprès d’Ecomouv’.

S’agissant de la majoration de plein droit, les facteurs d’inquiétude ne sont pas moindres. L’extrême variabilité des taux entre régions n’est pas comprise sur le terrain. Pourquoi 7 % en Ile-de-France, quand le taux interrégional est fixé à 5,2 % et que le taux s’établit à 3,6 % dans la région Centre qui est voisine ? Alors que les taux applicables en région PACA et Languedoc-Roussillon sont respectivement de 2,7 % et de 2,1 %, comment justifier que le simple fait de franchir la frontière entre ces deux régions, dans le cadre d’une opération de proximité, entraîne l’application du taux interrégional de 5,2 % ?

Je rappelle que ces taux ont déjà varié à la hausse au moins deux fois depuis le vote de la loi. Nous ne mésestimons pas les difficultés particulières rencontrées par le transport routier, mais nos entreprises n’ont pas vocation à en être la variable d’ajustement, alors même que leur capacité à répercuter à leur tour la majoration n’est pas garantie.

À cet égard, si nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, le caractère forfaitaire de la majoration, qui jouera que le transporteur ait ou non utilisé le réseau taxé, fait l’objet sur le terrain d’une incompréhension majeure. Je précise que cette majoration automatique, à la différence de l’écotaxe, n’est en rien fonction de la qualité environnementale du véhicule.

Une autre difficulté tient aux conditions dans lesquelles la majoration peut être admise à jouer. Le Conseil constitutionnel est venu rappeler qu’il fallait, pour cela, que le véhicule pèse plus de 3,5 tonnes. Or, dès l’été dernier, nombre de nos entreprises ont été saisies de demandes de la part de transporteurs tendant à appliquer la majoration à l’ensemble de leurs opérations de transport, qu’elles soient ou non réalisées avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes !

Je rappelle par ailleurs que la loi impose, sous peine de sanctions pénales, la mention de la majoration sur la facture. Selon quelles modalités pratiques distinguerons-nous les cas où la prestation est réalisée avec un véhicule de plus de 3,5 tonnes ? En cas de contrôle a posteriori, l’enjeu sera loin d’être neutre compte tenu des sanctions financières prévues.

Enfin, l’assiette même sur laquelle la majoration devra être appliquée nous paraît contestable compte tenu du périmètre très large que le ministère des transports a entendu donner à la notion de « prix de la prestation de transport ».

Pour conclure, je veux redire notre conviction que la fiscalité environnementale ne peut constituer une couche supplémentaire du « millefeuille fiscal » auquel nos entreprises sont déjà soumises. Lors du Grenelle de l’environnement, il avait été convenu que la mise en œuvre de l’écotaxe se ferait à pression fiscale constante. C’est pour nous un élément déterminant de l’acceptabilité de cette taxe. Nous considérons que l’écotaxe doit constituer un élément à part entière des discussions en cours sur la remise à plat de la fiscalité des entreprises. Nous regrettons à cet égard que les pouvoirs publics aient fait le choix d’un dispositif aussi lourd. Le fait qu’il ait fallu cinq années pour le mettre en place et que son coût de fonctionnement représente un sixième du produit de la taxe ne joue pas en faveur de son acceptabilité. Des solutions plus simples auraient dû être privilégiées.

Il nous semble par ailleurs que l’écotaxe devrait mieux cibler le transport sur longue distance afin de ne pas pénaliser la distribution locale. Je rappelle que nos véhicules sont déjà lourdement taxés et qu’ils paient la taxe à l’essieu au titre de leur contribution à l’entretien des infrastructures de transport. D’autres pistes devraient être envisagées, comme l’exonération de la distribution de proximité ou le relèvement du seuil de déclenchement de l’écotaxe pour l’aligner sur celui de nos voisins allemands ou britanniques.

En tout état de cause, ne serait-ce que pour des raisons de cohérence et d’égalité devant l’impôt, le transport pour compte propre doit, à l’instar du transport pour compte d’autrui, être autorisé à adresser un signal-prix à raison du paiement de l’écotaxe, par exemple à travers une mention en pied de facture.

Pour ce qui est de la majoration, la distinction doit être mieux assurée entre ce qui relève objectivement du transport longue distance, avec franchissement de plusieurs frontières interrégionales, et ce qui relève de la distribution locale. Par ailleurs, les conditions d’application de la majoration doivent être clarifiées.

On peut au demeurant s’interroger sur son efficience même. Soyons clairs, de même que pour le compte propre le niveau de répercussion de l’écotaxe constituera un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel, rien n’empêchera dans les faits des comportements de même nature du côté des transporteurs. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les acteurs les plus faibles qui en feront les frais.

Quitte à neutraliser l’effet de l’écotaxe sur le transport routier, un mécanisme de type TVA aurait été plus simple et plus compréhensible. Il aurait, en outre, permis de donner corps au signal-prix voulu par le législateur, et ce tout au long de la chaîne de production et de commercialisation.

Je terminerai en insistant sur l’obligation, plus que jamais impérieuse pour les pouvoirs publics, de faire preuve de sincérité compte tenu des crispations suscitées par l’écotaxe sur le terrain.

Justifier l’écotaxe poids lourds par des objectifs de report modal, dont les expériences étrangères démontrent qu’ils sont vains, est une erreur.

Justifier l’écotaxe poids lourds par le financement d’infrastructures alternatives à la route, alors qu’il s’agit surtout d’entretenir des infrastructures existantes et de financer des infrastructures nouvelles, dont beaucoup n’ont rien à voir avec le transport de marchandises, est une erreur.

Justifier la majoration de plein droit par le principe « utilisateur-pollueur », tout en la refusant au transport pour compte propre, est une erreur.

Sans sincérité, pas d’acceptabilité.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie pour le bilan précis que vous avez dressé de la situation de vos entreprises, ainsi que pour les propositions et suggestions que vous avez formulées.

S’agissant du transport pour compte propre, vous souhaitez pouvoir faire apparaître l’écotaxe en pied de facture : nous pouvons entendre cette demande, qui nous a d’ailleurs été présentée par d’autres professionnels.

Quant à la majoration forfaitaire, elle est souhaitée par les organisations professionnelles comme la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), mais il s’agit d’un mécanisme complexe du fait de la coexistence d’un taux de majoration forfaitaire propre à chaque région et d’un taux interrégional. Elle est en outre difficilement compréhensible dans la mesure où elle s’applique que le camion ait emprunté un réseau taxé ou un réseau non taxé. Nous considérons que la disposition serait plus lisible avec un taux unique, mais à ce jour nous n’avons guère convaincu…

Concernant les charges supportées par les entreprises, je rappelle qu’il a été décidé que la taxe à l’essieu – dont le rendement est stabilisé à environ 172 millions d’euros – rapporterait 50 millions d’euros de moins en prévision de la mise en place de l’écotaxe.

Enfin, vous avez évoqué le transport de proximité. À combien de kilomètres par jour évaluez-vous cette proximité ?

M. Marc Hervouët. Une tournée regroupant 25 destinataires est réalisée dans un périmètre de 80 à 100 kilomètres.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. L’instauration d’une franchise journalière est-elle, selon vous, une idée intéressante ?

M. Marc Hervouët. Elle est intéressante en aval pour ce qui a trait à la distribution, mais nous subirons l’écotaxe pour tous nos approvisionnements.

M. Marc Le Fur. Je vous remercie, monsieur Hervouët, pour la clarté de vos explications. Elles démontrent clairement votre opposition à l’écotaxe. Celle-ci frappera spécifiquement le transport de biens de faible valeur – les pondéreux seront les premières victimes d’un impôt forfaitisé sur le transport. Chacun mesure les contraintes qui en résulteront pour les secteurs du bâtiment et de l’alimentation.

Vous soulignez par ailleurs que le système, tel qu’il a été conçu puis renforcé par la loi Cuvillier, crée un clivage aberrant entre le transport pour compte propre et le transport faisant appel à des prestataires extérieurs.

D’autres modes de transport existent pour les distances de plus de 300 kilomètres, mais la distance moyenne des transports en France étant de 115 kilomètres, on ne peut raisonnablement envisager un transfert sur le rail pour vos métiers. Si nous voulons être efficaces et promouvoir d’autres types de transport, il faut donc réserver la pénalisation au transport routier à longue distance, c’est-à-dire à partir de 300 ou 400 kilomètres.

Vous évoquez la mention en pied de facture, c’est-à-dire une répercussion de la taxe sur l’aval, mais pourquoi ne pas utiliser une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont profite essentiellement la grande distribution, afin de financer nos infrastructures ? Cette solution est envisagée par plusieurs groupes politiques et je souhaite, monsieur le président, qu’elle soit étudiée.

Mme Éva Sas. Vous dressez un constat bien noir de l’efficacité de la taxe kilométrique poids lourds, mais les expériences menées en Allemagne et en Suisse en matière de report modal ont donné des résultats intéressants.

Si j’ai bien compris, vous souhaitez un dispositif « répercutable » en pied de facture pour les grossistes-distributeurs, un taux uniforme pour les régions, une exonération des premiers kilomètres et un renchérissement du coût du transport à longue distance. Si tel était le cas, pourriez-vous adhérer à l’écotaxe poids lourds ?

M. Éric Straumann. Je n’ai pas tout à fait compris votre métier : êtes-vous des affréteurs ou des grossistes ? Représentez-vous les centrales d’achat ? Je ne comprends pas non plus pourquoi la majoration forfaitaire, dans le cas du transport en compte propre, vous pose un problème puisque le coût du transport, en fin de compte, est intégré au coût final.

L’idée d’une franchise journalière me paraît séduisante, mais si on fixe la limite à 200 kilomètres, cela ne réglera pas le problème de l’Alsace où les poids lourds allemands circulent sur une centaine de kilomètres.

Enfin, quel sera l’impact de l’écotaxe sur le panier de la ménagère ?

M. Gilles Savary. Je vous remercie, monsieur le président, pour la précision de votre témoignage.

Je peux comprendre votre souhait d’une mention en pied de facture, mais je décèle par ailleurs une contradiction dans vos propos. Vous dites en effet que la majoration forfaitaire est un sujet majeur d’incompréhension pour votre profession, mais vous soulignez aussi qu’il serait impossible d’individualiser la répercussion de la taxe pour les vingt-cinq clients pouvant être concernés par une même tournée. Si nous avons envisagé la majoration forfaitaire, c’est justement pour que le système soit mieux adapté à votre modèle logistique.

S’agissant des seuils, il est extrêmement tentant de vouloir exonérer les petits trajets. Comme M. Le Fur, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions que lui, je ne pense pas que l’écotaxe pourra favoriser un report modal. En effet, dans une large majorité des endroits où elle s’appliquera, il n’existe pas de mode de transport alternatif.

Pour des raisons diverses, le rail ne marche pas dans notre pays, et cette situation n’est pas près de changer. En dépit des sommes considérables qui y ont été investies et du volontarisme dont on a fait preuve, en France et en Europe, rien ne s’est amélioré depuis vingt ans. On observe même une dégradation au profit de la route.

Si on a institué l’écotaxe, c’est pour trouver des ressources nouvelles afin de financer les infrastructures de manière pérenne et avec assez de visibilité, dans un contexte de désengagement budgétaire de l’État. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est un outil fragile. Afin de sécuriser le financement des infrastructures, on a souhaité substituer une taxe utilisateur-payeur à son mode de financement actuel par des recettes affectées, hétérodoxes aux yeux de Bercy. Si l’écotaxe ne devait s’appliquer que sur les longs parcours, les recettes seraient bien moindres. Par ailleurs, le transport routier, très sensible aux effets de seuil, sait comment contourner ces seuils, comme on le voit actuellement dans le domaine du cabotage, aujourd’hui totalement dérégulé en France, les véhicules de moins de 3,5 tonnes n’étant pas concernés par la directive sur le sujet. Si le seuil d’application de l’écotaxe est fixé à 3,5 tonnes, les transporteurs s’équiperont de véhicules utilitaires légers.

Le trajet moyen d’un poids lourd en France, tous types de transport inclus, y compris international, est effectivement de 115 kilomètres. Imaginez quelle serait la perte de recettes si l’écotaxe n’était due que pour les trajets supérieurs à 120 kilomètres par exemple ! Celle-ci n’aurait alors pas grande utilité, car le transport international sur les longues distances ne représente qu’une faible part du transport.

Si l’on exonère de surcroît les trajets inférieurs à 50 kilomètres, on risque de multiplier les effets de seuil. Les transporteurs s’équiperont de véhicules utilitaires d’un tonnage inférieur à 3,5 tonnes et leur feront faire des relais de moins de 50 kilomètres, de façon à échapper à l’écotaxe. Ce double effet de seuil aboutirait paradoxalement à générer du trafic supplémentaire.

M. Jean Grellier. Les secteurs d’activité que vous représentez, messieurs, ont-ils l’expérience des dispositifs similaires ou approchants, aujourd’hui en vigueur en Allemagne, en Autriche ou encore en Suisse ? Si oui, quelles leçons en tirez-vous ?

M. Hugues Pouzin, directeur général de la Confédération française du commerce interentreprises. Madame Sas, on invoque souvent l’expérience allemande. Mais qu’en est-il exactement ? En Allemagne, l’écotaxe s’applique sur les autoroutes, si bien que les usagers concernés ne sont pas du tout les mêmes qu’ils le seraient dans notre pays. Avec le système tel que prévu aujourd’hui, un camion traversant la France pour se rendre de Belgique en Espagne n’acquitterait pas d’un seul centime d’écotaxe. L’objectif parfois invoqué de faire payer les camions étrangers ne serait donc pas atteint.

Parmi les trois principaux objectifs avancés pour justifier l’écotaxe, il y a tout d’abord un argument écologique. Ensuite, a-t-on dit, la taxe devrait favoriser le report modal, mais celui-ci n’a de sens que pour des trajets supérieurs à 300 kilomètres. Or, comme cela vient d’être justement rappelé, le trajet moyen d’un poids lourd en France ne dépasse pas 120 kilomètres. Un dernier argument est que la taxe éviterait que les camions ne circulent à vide. Mais soyez assurés que les professions que nous représentons ont déjà le souci que leurs camions ne roulent pas à vide, car cela coûte cher.

Je laisse Philippe Barbier vous parler plus en détail du commerce B to B.

M. Philippe Barbier, président du directoire du groupe Pomona. En quoi consiste exactement notre métier ? Un grossiste-distributeur est un négociant, qui achète des produits qu’il revend et souvent livre à ses clients. Nous intervenons donc de professionnel à professionnel, B to B. C’est d’ailleurs pourquoi nous ne pouvons évaluer l’impact de l’écotaxe sur le panier de la ménagère. Nous livrons des cantines scolaires, des maisons de retraite, des prisons, des unités de l’armée, des restaurants, des brasseries…

Parce qu’ils achètent pour revendre, nos professionnels sont concernés à double titre. D’une part, en amont, en tant qu’acheteurs qui font appel à des transporteurs. À ce titre-là, leurs réactions se rapprochent de celles des chargeurs et ils ne comprennent pas la majoration qui sera applicable. D’autre part, en aval, et c’est là une particularité de notre profession que nous avons eu beaucoup de mal à faire comprendre, ils assurent du transport pour compte propre en livrant à leurs clients les marchandises achetées. Une des caractéristiques de notre profession est l’atomisation de ses clients. Pomona, qui réalise 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, compte 125 000 clients : ce matin, 1 600 camions Pomona de 16 ou 19 tonnes sont partis pour livrer chacun une quinzaine de clients au cours leur tournée, soit quelque 25 000 à 26 000 livraisons. Il faudrait que nous répercutions autant que possible l’écotaxe payée en amont sur le prix de nos produits, ce qui impacterait non pas le panier de la ménagère, mais nos clients finaux, comme les restaurants ou les cantines – dans ce dernier cas, pour autant que les dispositions du code des marchés publics le permettent, ce qui n’est pas le cas actuellement. Pour l’aval, la difficulté est que notre profession n’ayant pas été considérée comme transporteur, elle n’aurait pas le droit de répercuter l’écotaxe, quand bien même nous trouverions le moyen pratique de le faire. L’individualisation serait en effet un casse-tête insoluble, vu que chacun de nos camions transporte des marchandises destinées à être livrées à une quinzaine de clients différents, le poids livré n’étant bien sûr pas le même pour chacun d’entre eux.

Notre profession, sans doute parce qu’elle est méconnue, a été l’oubliée en cette affaire. Sa position a été comprise lorsque nous l’avons exposée dans les différents ministères, mais on a nous a, hélas, répondu que nous étions une innocente victime collatérale. On nous a même dit une fois que nous avions la malchance d’être « un effet de bord » (side effect) !

M. Philippe Gruat, directeur général adjoint du groupe Point P. Le secteur de la distribution des produits du bâtiment et des travaux publics représente environ 70 milliards d’euros. Notre métier va de la livraison de granulats coûtant trois à quatre euros la tonne jusqu’à celle de produits finaux comme les papiers peints et les peintures. Le groupe Point P, assez caractéristique des métiers du secteur, vend pour un peu plus de 7 milliards d’euros de marchandises, dont la moitié seulement est livrée, l’autre moitié étant enlevée directement par les clients dans les points de vente Point P, mais aussi Cedeo, Brossette, Dispano, Pum Plastiques … Les marchandises livrées sur les chantiers le sont soit par des camions circulant pour notre compte propre – c’est de plus en plus rare –, soit par des transporteurs externes, dont les camions peuvent d’ailleurs porter notre enseigne, mais qui nous facturent la prestation du transport.

Dans les marchés publics ou avec les grandes entreprises, nos prix s’entendent nets, « franco de port ». Il ne nous est pas possible de répercuter les frais de transport de manière séparée, sans compter que nos engagements nous interdisent de les augmenter en cours d’année.

À côté de cette activité « aval », nous avons une logistique « amont » considérable. Nous nous approvisionnons en effet directement auprès des usines pour mettre ensuite à disposition des entreprises de bâtiment et de travaux publics la gamme la plus large possible de produits.

Pour avoir, au cours de ma carrière, travaillé dans d’autres pays d’Europe, notamment en Suisse, je puis témoigner que ce pays a la chance de disposer d’un réseau ferroviaire adapté à proximité des villes, ce qui permet, d’une part d’approvisionner par le rail les chantiers en matériaux lourds, d’autre part de récupérer par ce même moyen de transport les déchets secondaires du bâtiment, et ce avec une remarquable efficacité sur de très courtes distances. En France, lorsque je travaillais pour le groupe Lafarge, 400 péniches naviguaient sur la Seine afin de livrer des granulats pour le compte du groupe. Si ce transport par voie d’eau a rencontré un grand succès en région parisienne, le succès a été moindre en Rhône-Alpes et dans l’Est. Lorsque les infrastructures et le contexte social le permettent, le transport fluvial et le transport ferroviaire peuvent être remarquablement efficaces.

M. Marc Hervouët. À côté des grossistes de l’agro-alimentaire et du bâtiment, il y a aussi des grossistes en produits chimiques ou encore en produits pharmaceutiques, qui doivent répondre au mieux aux attentes de leurs clients. Nous assurons aujourd’hui des services qui étaient autrefois assurés par les services centraux des hôpitaux. Aujourd’hui, un grossiste peut être amené à livrer trois fois dans la même journée des médicaments ou du matériel opératoire à la demande d’un hôpital. En effet, pour les raisons que vous savez, il n’y a plus de stocks dans ces établissements. Et pour que soit garantie la continuité des soins, celui qui désormais effectue le service au moment nécessaire, c’est le grossiste – tout cela bien sûr au détriment du bilan carbone.

Par ailleurs, dans nos métiers, il est exclu qu’un camion de 19 tonnes soit remplacé par six ou sept camions de 3,5 tonnes, car cela aurait un coût exorbitant. Notre intérêt économique est que nos camions soient le plus remplis possible au début de leur tournée.

On ne pourra pas éluder la question de l’objectif véritable de l’écotaxe. Au départ, il devait s’agir d’une taxe écologique. Or, on nous dit aujourd’hui qu’elle est destinée à financer des infrastructures.

M. Gilles Savary. Cela n’engage que moi.

M. Marc Hervouët. À lire la presse, j’ai cru comprendre que non. Si l’objectif de cette taxe n’est pas clair, l’image en sera nécessairement brouillée pour ceux qui y seront assujettis en même temps que le dispositif sera plus complexe. Sans doute existe-t-il d’autres moyens de financer les infrastructures de transport. Comment ne serait-on pas, en tant que professionnel et en tant que citoyen, perplexe à l’égard d’une taxe destinée à financer les infrastructures et dénommée « écotaxe » ?

M. Gilles Savary. Comment pouvez-vous à la fois expliquer combien il serait difficile, voire impossible, de répercuter la taxe pour un trajet comportant 20 ou 25 arrêts correspondant à des livraisons et dire ne pas comprendre le choix qui a été fait de la majoration forfaitaire ? On ne comprend pas bien votre raisonnement.

M. Marc Hervouët. Le plus souvent, nous répondons à des appels d’offre. Nous fournissons des hôpitaux, des cantines scolaires, des bâtiments officiels comme l’Elysée, etc. Les bordereaux de prix unitaire (BPU) des appels d’offre nous lient pour trois ans pendant lesquels il nous est impossible de modifier nos prix. Nous ne pourrions donc pas répercuter l’écotaxe. Par ailleurs, il serait sans doute possible d’en individualiser le coût par quantité fournie à chaque livraison pour les grands groupes, mais cela serait beaucoup plus difficile pour les petites entreprises qui, je le répète, font du commerce et pas du transport, et cela serait beaucoup de travail pour elles. Ce serait indirectement donner une prime aux plus gros.

M. Gilles Savary. C’est pourquoi ce n’est pas l’option qui a été choisie.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avions cru déceler une contradiction dans votre intervention, monsieur Hervouët.

Si je comprends bien, en matière de transport pour compte propre, certaines entreprises pensent être en mesure d’individualiser le montant que représente l’écotaxe pour certains clients et souhaiteraient pouvoir l’indiquer en pied de facture. Pour d’autres, cela paraît difficile. Est-ce bien cela ?

M. Philippe Barbier. Il n’est pas possible sur le plan technique de l’individualiser. Chez tous les grossistes et dans tous les secteurs, le prix du transport est inclus dans le prix du produit.

Encore plus que les transporteurs, qui ont plaidé pour une répercussion forfaitaire, les grossistes auraient du mal à procéder à une individualisation, puisqu’ils cherchent à optimiser le chargement de leurs camions, ce qui préserve d’ailleurs l’environnement. Lorsqu’ils disent leur incompréhension de la répercussion forfaitaire prévue par la loi Cuvillier, ils se placent en amont, en tant que chargeurs ayant recours à des transporteurs. En revanche, lorsqu’ils se placent en aval, en tant que transporteurs pour compte propre, ils souhaiteraient pouvoir répercuter la taxe, si l’on parvenait à trouver un moyen le permettant. Mais hélas, la majoration là encore ne pourrait être que forfaitaire.

Au départ, les pouvoirs publics ont expliqué que l’écotaxe visait à favoriser le report modal. Mais pour les 1 600 camions de Pomona, qui ont quitté ce matin quelque 50 entrepôts dans des villes moyennes de province, pour faire chacun une tournée de
70-80 kilomètres, aucun report modal n’est possible. Pas de tramway, pas de train, pas de péniche de substitution !

M. Marc Le Fur. C’est à la demande de la Fédération nationale du transport routier (FNTR) que le forfait a été imaginé. Mais la FNTR ne demande plus de forfaitisation, puisqu’elle refuse maintenant le principe même de l’écotaxe, comme certaines de ses fédérations régionales l’ont déjà fait.

Votre profession, messieurs, est doublement victime. Elle ne peut pas forfaitiser. Son métier est pour l’essentiel de la logistique, sans qu’il y ait assimilation aux transporteurs. Il n’existe pas de mode de transport alternatif pour certains produits du bâtiment, notamment ceux vendus quelques euros la tonne. A-t-on observé ces dernières années une augmentation du fret pour ces pondéreux ?

M. Gilles Savary. Ce n’est pas le sujet !

M. Marc Le Fur. Si. C’en est au contraire le cœur, car on nous a « vendu » l’écotaxe comme le moyen de favoriser les modes de transport alternatifs à la route. Or, le report modal n’est envisageable que pour des trajets dépassant 300 ou 400 kilomètres. Le transport de pondéreux par voie ferroviaire ou fluviale a-t-il progressé ces dernières années ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’admire l’agilité intellectuelle de notre collègue Marc Le Fur !

M. Gilles Savary. Je suis d’accord avec lui sur le report modal. Comment imaginer que des trains pourraient livrer jusqu’au dernier kilomètre ? Seul M. Borloo, lequel soit dit au passage était fort croyant et très peu pratiquant en matière de transports, pouvait y croire.

Mais le problème est financier. Toutes tendances politiques confondues, on s’est félicité en 2004 de la création de l’AFITF, dotée de ressources affectées pérennes pour financer les infrastructures routières, ferroviaires et de transports collectifs.

C’est l’appellation inappropriée d’ « écotaxe » qui est source de confusion. L’État étant conduit à se désengager de manière massive, afin de réaliser les économies budgétaires nécessaires, il faut bien compenser les recettes qu’il n’apportera plus. Tel est l’objectif de cette taxe « utilisateur-payeur ».

M. Marc Le Fur. Les professions que nous auditionnons aujourd’hui n’utilisent pas les tramways. Et pourtant, elles paieront pour !

M. Gilles Savary. L’AFITF finance également des infrastructures routières, comme aujourd’hui la rocade de Marseille.

Si je vous ai bien compris, messieurs, vous êtes défavorables à l’écotaxe, mais si celle-ci était maintenue, vous souhaiteriez que votre profession puisse la répercuter de manière forfaitaire, adaptée à vos contraintes mais sans les lourdeurs bureaucratiques. J’ai entendu vos difficultés à la répercuter dans le cadre de contrats pluriannuels où les prix ne peuvent être modifiés. Nous regarderons si plus de souplesse ne serait pas possible : mise en œuvre progressive de la taxe dans le transport pour compte propre, adaptation des dispositions du code des marchés publics.

M. Hugues Pouzin. Nous serions favorables à une majoration forfaitaire. Mais cela n’est pas possible dans le dispositif tel qu’il est conçu aujourd’hui. Et cette profonde injustice est très mal ressentie. Alors que 90 % des entreprises de commerce de gros comptent moins de vingt salariés, imaginez la complexité administrative qui résulterait de tout cela pour ces PME et les investissements informatiques qu’elles seraient obligées de faire ! Dans notre secteur, les mini-taxes ne cessent de s’accumuler. À chaque fois, nos entreprises doivent revoir tous leurs logiciels, ce qui coûte cher, et adapter leur organisation interne, comme après l’instauration de la contribution écologique sur le mobilier, dite taxe sur les meubles, chaque meuble devant maintenant être pesé. Elles n’en peuvent plus ! Pour que l’écotaxe soit acceptable, il faut revenir à un dispositif plus simple avec, comme certains l’ont proposé, une contribution assise sur une base suffisamment large.

M. Gilles Lurton. Une répercussion forfaitaire est-elle possible pour les produits livrés « franco de port » ?

M. Marc Hervouët. En l’état actuel des textes, non. Il faudrait donc trouver des aménagements.

M. Jean Grellier. Vous n’avez pas répondu à ma question sur votre expérience éventuelle dans les pays voisins où des dispositifs similaires à l’écotaxe sont en vigueur.

M. Marc Hervouët. En tant qu’opérateurs, nous n’avons pas d’expérience à l’international. À l’exception de quelques grands groupes, au demeurant nationaux, la majorité de nos entreprises sont des TPE.

M. Philippe Barbier. Dans les pays voisions où nous intervenons, comme en Suisse et en Espagne, il n’existe pas de taxe analogue sur la distribution de proximité. En Allemagne, ce sont les transports longue distance qui sont taxés. Pour nos professions, la difficulté est triple, parce que nous effectuons pour compte propre de courts trajets de 70 à 80 kilomètres, et pour l’essentiel sans emprunter les autoroutes.

La taxation des trajets sur le périphérique parisien est un exemple de fausse bonne idée. L’effet pervers en sera que les camions auront intérêt à traverser Paris pour ne pas payer l’écotaxe !

M. Gilles Savary. Si le ministère des transports n’a pas accepté que vous puissiez répercuter l’écotaxe, c’est vraisemblablement parce que vous n’êtes pas prestataires de transport et que le prix du transport n’est pas dissociable du prix des produits. L’écotaxe ne pourrait pas figurer en pied de vos factures parce que vous ne facturez pas le transport. Mais ne pourriez-vous pas la répercuter, de manière furtive dirais-je, dans le prix des produits que vous livrez ?

M. Marc Le Fur. Si on se place dans une optique de facturation vers l’aval, pourquoi ne pas imaginer d’autres recettes en aval, comme les 2,5 milliards d’euros de CICE versés à la grande distribution ? Je souhaiterais que notre mission d’information étudie le sujet.

M. Hugues Pouzin. Nos marchés sont très concurrentiels. Notre principale concurrence vient du cash and carry. Le propriétaire d’une brasserie va, par exemple, chercher lui-même ses caisses de boissons. Et, lui, parce qu’il utilisera un véhicule personnel léger, ne paiera pas l’écotaxe. Nous en sommes vraiment au centime près sur le prix final des produits –on nous appelle d’ailleurs les « centimiers » ! Quand bien même nous aurions le droit de répercuter l’écotaxe, les clients le refuseraient. C’est bien pourquoi notre situation est intenable. Et nous ne pouvons pas rogner sur nos marges, déjà très faibles.

M. Gilles Savary. Les utilitaires de moins de 3,5 tonnes de vos clients peuvent en effet faire concurrence à vos camions.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les livraisons par tournée que votre profession assure sont plus vertueuses sur le plan environnemental que le cash and carry. Cela doit nous faire réfléchir.

Comme je l’ai dit au début des travaux de notre mission, pour redonner du sens à l’écotaxe, il faut savoir très précisément quels sont ses objectifs. Il est vrai que si l’objectif était unique, le dispositif serait plus lisible. Mais il y en a plusieurs. Et sur ce point, je partage votre avis : on a trop « vendu » l’écotaxe en expliquant qu’elle visait à favoriser le report modal. C’est une erreur de communication.

Messieurs, nous vous remercions pour la qualité de cette audition qui enrichira nos réflexions sur le sujet.

Table ronde avec les syndicats de salariés du transport routier de marchandises, avec :
MM. Patrice Clos, secrétaire général, Bruno Lefebvre, secrétaire général adjoint et Stéphane Lagedamon, trésorier général de la Fédération nationale des transports et de la logistique FO/UNCP ; MM. Jérôme Vérité, secrétaire général, et Jean-Louis Delaunay, membre du Bureau fédéral, secteur « transports de marchandises » de la Fédération CGT des Transports ; MM. Fabian Tosolini, secrétaire général, Thierry Cordier, secrétaire général de l’Union fédérale « Route » et Denis Schirm, secrétaire général-adjoint de l’Union fédérale « Route » de la FGTE–CFDT ; MM. Frédéric Bérard, président de la Fédération CFE–CGC des Transports, Pascal Bodson, conseiller fédéral et Philippe Queune, conseiller fédéral SNATT CFE–CGC, ainsi que MM. Cyrille Jullien, secrétaire général et Pascal Goument, coordinateur du secteur terrestre de la Fédération générale CFTC des transports

(Séance du mercredi 9 avril 2014)

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Je tiens spécialement à remercier, au nom des membres de la mission d’information, les représentants des organisations syndicales qui ont répondu à notre invitation.

En préalable, je souhaite informer la mission que notre collègue Marc Le Fur m’a adressé une nouvelle lettre exprimant le souhait que Mme Ségolène Royal soit auditionnée. Je lui indique que les propos récents de Mme Royal ont été clairs : elle attend, comme le Premier ministre, les conclusions de notre rapport pour mieux appréhender toutes les incidences du « dossier de l’écotaxe ». Dans ces conditions, on ne peut pas dire que le Parlement n’est pas étroitement associé au travail gouvernemental ! On peut même considérer que, sur ce point précis, l’apport de sa réflexion pourrait être décisif.

Il nous revient donc de poursuivre notre travail en accélérant le pas. C’est pourquoi je vous propose que mercredi 16 avril notre réunion soit consacrée à un échange de vues entre nous sur les pistes d’évolutions du dossier et les propositions qu’il nous revient de faire.

À présent, il s’avère tout à fait nécessaire que nous entendions la voix des salariés du monde du transport routier de marchandises.

Vos métiers, Messieurs, s’exercent dans un secteur sous tension. Certes, le transport est un domaine fortement réglementé. Il n’en est pas moins soumis à une pression permanente de la concurrence, notamment intra-européenne. Le dumping social est l’un des maux qui frappe votre secteur. Face à ce problème, le Gouvernement a affirmé sa détermination : d’abord, en décidant de mieux cibler les contrôles, puis en précisant ce qui est inacceptable s’agissant du travail dit « détaché ». Sur ce point, notre collègue Gilles Savary, qui est d’ailleurs membre de la mission d’information, est à l’origine d’une initiative législative.

Au cours des dernières années, l’emploi salarié a sensiblement fléchi dans le transport routier. Les défaillances d’entreprises se sont multipliées. En 2012, près de 40 % des entreprises françaises du secteur ont enregistré un résultat courant négatif !

Même si les entreprises familiales restent nombreuses, un phénomène de concentration s’est accentué. On croit souvent que le transport routier est caractérisé par une multitude de petites entreprises. Or, moins de 6 000 entreprises représentent désormais plus des deux tiers du chiffre d’affaires et des salariés !

Si la part modale du transport routier est restée stable, à environ 80 %, l’activité, en milliards de tonnes par kilomètre, du transport de marchandises sous pavillon national a baissé de plus de 6 % en 2012.

En outre, les trajets internationaux par le transport routier sous pavillon français ont considérablement décliné : ils ne représentaient plus que 9 % environ du transport total contre près de 20 % en 2000 !

Dans le même temps, la France est devenue le pays le plus « caboté » d’Europe. Les principaux acteurs de ce cabotage sont allemands et espagnols, plus présents encore que les transporteurs venus d’Europe de l’Est. Mais les volumes « cabotés » restent mal connus : des détournements de la réglementation existent et il est difficile d’en contrôler les pratiques.

Sur ce sujet crucial, nous écouterons avec la plus grande attention vos propositions.

Les dirigeants de vos entreprises et les chargeurs ont pu largement s’exprimer devant la mission. Il nous revient aussi de mieux comprendre ce que l’écotaxe pourrait éventuellement avoir pour conséquences sur l’emploi et vos conditions de travail. À cet égard, les salariés ont-ils suivi des formations particulières en vue d’être prêts le moment venu, c’est-à-dire au jour d’entrée en vigueur de l’écotaxe ?

Quelles sont vos observations, vos interrogations, voire vos craintes sur ces points ?

M. Patrice Clos, secrétaire général de la Fédération nationale des transports et de la logistique FO/UNCP. Merci de permettre enfin aux représentants des salariés professionnels des transports de s’exprimer devant les représentants de la nation sur le sujet de l’écotaxe notamment. Je suis accompagné de Stéphane Lagedamon, trésorier général en charge du transport routier « voyageurs, déménagement et sanitaire ».

Force Ouvrière/Union Nationale des Chauffeurs Professionnels (FO/UNCP) est une organisation syndicale de salariés, représentative au sens de la loi d’août 2008 et des décrets de juillet 2013.

Elle adhère à ETF, syndicat des transports européens, et à ITF, syndicat des transports mondiaux. Nous n’allons pas nous attarder sur les aspects techniques de cette écotaxe, car je pense que les fédérations patronales en ont déjà largement débattu avec vous, mais plutôt sur le ressenti de nos adhérents – comment ils perçoivent la taxe et les problématiques qu’elle soulève.

Si, pour les conducteurs, cette mesure est une bonne solution face à la problématique environnementale, ceux-ci plébiscitent une écotaxe européenne avec les mêmes règles et tarifs pour tous. En effet, pour les salariés que nous représentons, il est inconcevable que l’Europe n’arrive pas à s’entendre sur un tel sujet. La première crainte est la distorsion de concurrence entre les pays de l’Union européenne, avec pour principal enjeu, qu’on le veuille ou non, les emplois. La variable d’ajustement ne peut être le social à la française.

L’autre problème est que, quand nous regardons la carte de France, nous nous apercevons que le maillage de routes soumis à l’écotaxe n’est ni égalitaire, ni équitable sur l’ensemble du territoire. Les régions Rhône-Alpes et Sud-Est le montrent par exemple. Peut-être parce que ces régions ont des autoroutes concédées …

Si c’est le cas pour l’Île-de-France et pour de grandes agglomérations, cela n’empêche pas que certains portiques soient aux portes des villes ou à leur périphérie.

Or les chargeurs et les transporteurs ont déjà, dans de nombreux grands groupes, anticipé la mise en place de l’écotaxe avec des logiciels calculant les trajets afin d’éviter au maximum les routes assujetties.

Pourquoi pourront-ils le faire ? Tout simplement par manque de moyens des services de contrôles. Alors que nous devrions être à ce jour à un minimum de 3 % de contrôle avec la directive européenne 2002/15, la France arrive péniblement à moins de 1 %. Le cabotage est devenu une vraie jungle. D’ailleurs, FO avait demandé aux ministres des transports, M. Mariani, puis M. Cuvillier, de se servir des boîtiers écotaxe pour le contrôler. Mais nous avons reçu une fin de non-recevoir de leur part car cela n’était pas prévu dans les textes. Si par l’intermédiaire de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la modernisation de l’action publique (MAP), nous n’avons plus assez de fonctionnaires pour effectuer les contrôles, pourtant indispensables pour que la concurrence soit à peu près loyale entre transporteurs, comment allons-nous faire si ce n’est par un moyen électronique ?

La fonction de l’écotaxe ne peut pas rester qu’environnementale : elle doit pouvoir permettre de révéler les cas de fraude au cabotage et, au-delà, des atteintes à la dignité humaine. Comment accepter, dans un pays comme la France, l’esclavage des temps modernes lié à la directive « détachement » ? Il n’y a qu’à voir dans les dépôts des grands groupes de transport, les zones frontalières et plus encore dans le nord de la France, comment sont traités les salariés du transport européen.

FO remercie le député Savary, qui se bat avec d’autres contre cet esclavage, mais avec un bémol : il serait bien que les professionnels de la route que nous sommes soient entendus par vous, Mesdames et Messieurs les députés, avant que les lois ne soient adoptées. Quant à la loi sur la directive « détachement », elle soulève un vrai problème concernant le repos hebdomadaire. Le conducteur doit rester au maximum près de son camion car il est responsable du véhicule et de la marchandise qu’il transporte : or nous savons qu’en France, il y a peu d’hôtels avec des parkings sécurisés à proximité des grands axes.

Par ailleurs, le boîtier écotaxe pose le problème de la vigilance au volant. En effet, c’est au conducteur de s’assurer que les données ont bien été enregistrées. Pendant qu’il regarde le boîtier en passant sous le portique ou à côté de la borne, il ne regarde pas autre chose, donc la route. Le 7 novembre 2013, nous avons écrit au ministre de l’intérieur pour l’alerter sur le fait que les exigences prescrites par la loi du 28 mai 2013 sont en totale contradiction avec les règles impératives du code de la route, notamment ses articles R 316-1 et R 412-6, qui disposent que « tout conducteur doit veiller à ce que son champ de vision et ses possibilités de manœuvre ne soient pas réduits par les objets transportés » et à « … toujours maintenir un champ de visibilité suffisant ». Or le boîtier est collé au pare-brise. Notre organisation syndicale reste convaincue que la sécurité des usagers sur l’ensemble du réseau national est une préoccupation constante de la représentation nationale.

D’ailleurs, les conducteurs ont des difficultés avec l’informatique embarquée, qui prend de plus en plus de place dans la cabine d’un poids lourd et pose des problèmes liés à l’ergonomie et à la sécurité des postes de conduite.

Pour ces raisons, nous vous demandons de prévoir des ajustements à ce dispositif, d’organiser une formation adaptée dans le cadre de la formation continue obligatoire (FCO) par exemple, de revoir le matériel utilisé et de veiller à ce que celui-ci soit en totale adéquation avec les règles impératives du code de la route. Si rien n’est fait, cela pourrait coûter au conducteur 350 euros d’amende et 3 points en moins sur son permis. Or ce dernier est l’outil de travail des professionnels de la route. D’après les contrôles effectués par le ministère de l’intérieur, 150 000 conducteurs rouleraient sans permis, mais, selon nos sources, ils seraient plus de 300 000, dont 60 000 professionnels de la route.

Si nous ne pouvons accepter de tels comportements, nous ne pouvons condamner aujourd’hui ces professionnels, car ils subissent la triple peine : perte du permis, perte de l’emploi et perte du foyer familial. Depuis 1992 et l’instauration du permis à points, nous avons vu disparaître le permis blanc, les dispositions de la convention collective ou la possibilité de récupération de points. Les représentants des professionnels de la route que nous sommes ne sont même plus écoutés au ministère de l’Intérieur, où seules certaines associations ont le droit de parole.

J’ai personnellement été affecté par la perte d’êtres chers sur la route, mon frère en 1992, deux de mes cousins plus tard et ma nièce qui, le 19 décembre 2002, fut lâchement assassinée à l’arrêt de bus du lycée de Blagnac par un homme qui n’aurait jamais dû avoir le permis de conduire. Mais contrairement à d’autres, ce n’est pas pour cela que je dois en vouloir à tous les automobilistes. Si les résultats de la sécurité routière sont très encourageants, nous devons faire en sorte que les professionnels puissent vivre avec une carte professionnelle de conducteur.

Aujourd’hui, les métiers de la route n’attirent plus les jeunes. En effet, comment construire une vie avec un bout de papier rose et en étant payés au SMIC ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Lorsque le camion passe sous le portique, que devra contrôler le chauffeur ?

M. Patrice Clos. Le passage du feu rouge au vert du voyant sur le dispositif électronique embarqué, pour savoir si les données ont bien été enregistrées.

M. Jérôme Vérité, secrétaire général de la Fédération CGT des transports. Le dumping social et la sous-tarification du transport routier poursuivent effectivement leurs ravages, avec des dizaines de milliers de suppressions d’emplois, à quoi il faut ajouter les effets négatifs sur l’environnement.

Pourtant, les gouvernements successifs ne semblent toujours pas décidés à inverser la tendance. Au contraire, tous les signes et engagements pris ces derniers mois vont complètement à l’encontre des décisions du Grenelle de l’environnement et d’un report modal vers le rail et le fluvial.

Il en est ainsi de la généralisation du 44 tonnes, mais aussi du nouveau report de l’écotaxe poids lourds ou du soutien à la politique du bas coût, qui se généralise dans tous les modes de transport.

Cela explique peut-être pourquoi les transports ont été, malgré les demandes multiples de la CGT, absents des thèmes abordés lors des Conférences environnementales de 2012 et 2013. Jusqu’à quand les gouvernements successifs vont-ils nier l’évidence et céder aux sirènes du capital ? Pourtant, la structuration et l’organisation des transports posent des questions de fond, touchant aux choix économiques et de société, c’est-à-dire au mode de développement – un sujet sans doute trop sensible.

Cela se produit dans un contexte de concurrence exacerbée, de dumping social, d’opposition entre modes de transports ou, à l’intérieur des modes, de mise en concurrence entre les salariés, ne répondant pas aux besoins des usagers ou des populations et allant à l’encontre d’une diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le dernier rapport du GIEC est alarmant et les phénomènes climatiques de ces derniers mois en Europe et dans le monde nous interpellent. Comme le dit le climatologue Jean Jouzel, dans L’Humanité du 12 novembre 2013, « notre crainte, c’est que le réchauffement climatique ne favorise des cyclones de plus en plus violents, provoquant des dégâts de plus en plus graves. Si les événements de ce type continuent à se multiplier, il est probable que – dans le prochain rapport du GIEC – le lien soit fait avec les activités humaines ».

Or les transports sont responsables de près de 30 % des émissions totales de GES. Ils représentent 32 % de la consommation générale d’énergie et concentrent à eux seuls 70 % de la consommation française de pétrole.

En France, ils sont les premiers émetteurs de GES, devant l’agriculture, le résidentiel et l’industrie. Alors que les autres secteurs connaissent une diminution des émissions de C02, celles issues des transports ont augmenté de 36 % depuis 1990. Ils constituent donc un levier essentiel pour toute transition énergétique.

Cela implique une autre régulation que celle du marché et des logiques de concurrence et de flux tendu, permettant d’assurer des transports qui soient économiquement, socialement et écologiquement responsables.

Cela passe notamment par une organisation des transports appropriée à chaque domaine – voyageurs et marchandises.

La multimodalité reconnaît l’utilité de tous les modes de transport et définit leur place pertinente, sans les opposer.

Elle requiert une volonté de maîtrise publique de tout le système de transports. C’est un choix politique fondamental. D’ailleurs, les représentants du capital et le patronat emploient rarement en ce sens ce concept de multimodalité : lui est préférée la logique de concurrence et de profit, y compris dans le cadre d’intermodalités – dont ils ont besoin pour leur business –, aux dépens de l’intérêt général et des besoins sociaux et environnementaux.

Le Gouvernement, en suspendant la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds, vient une nouvelle fois de céder aux pressions du patronat, aux lobbies routiers, condamnant encore un peu plus tout report vers les modes alternatifs que sont le rail ou le fluvial.

Il faut également signaler que le patronat routier sera exonéré de la nouvelle taxe « climat énergie », qui reposera essentiellement sur les ménages et les salariés, ce qui est encore une nouvelle injustice.

L’amalgame scandaleux qui a été mis en avant par les différents protagonistes des mouvements d’il y a quelques mois – allant de la FNTR à la FNSEA, au MEDEF ou à la CGPME, avec le soutien des forces politiques de droite et d’extrême droite – a eu pour unique but de diviser un peu plus les salariés qu’ils exploitent, menacent, licencient à longueur d’année, en prenant appui sur le juste mécontentement de ceux-ci.

Ce renoncement va avoir de lourdes conséquences sur le financement des infrastructures ferroviaires, fluviales et routières, avec le risque d’aller vers de nouvelles concessions routières – de nouvelles privatisations – et la remise en cause du financement des trains d’équilibre du territoire. L’appel à projets « Mobilité durable » pour les transports en commun 2014 a abouti au dépôt de 120 dossiers par les collectivités pour un montant de 6 milliards d’euros. Or l’enveloppe gouvernementale prévue pour abonder ces projets était de 450 millions d’euros – chiffre déjà jugé insuffisant, car le « coup de pouce » moyen permettant de boucler les financements est plutôt estimé à 10 %, contre 7,5 % en l’espèce. Par ailleurs, ce montant devait être financé par une agence publique, l’AFIFT, dont les ressources sont censées être abondées par les recettes de l’écotaxe. Or du fait de la suspension de celle-ci, l’agence a annoncé qu’elle ne prendrait aucun engagement dans son budget 2014, ce qui affecte l’appel à projets mais aussi les contrats de plan 2014-2020 que l’État et les régions sont en train de négocier.

En plus du manque à gagner de 750 millions d’euros pour les infrastructures et 150 millions d’euros pour les territoires, le Gouvernement devra financer le partenariat public-privé (PPP) engagé sous la présidence Sarkozy, qui a été conclu avec le consortium Ecomouv’ pour une période de treize ans et se chiffrera à plusieurs milliards d’euros.

Par ailleurs, un quart de la collecte de l’écotaxe, soit 230 millions d’euros par an, serait consacré au paiement du loyer à cette société. Démonstration est faite – une nouvelle fois – de la nocivité des PPP, à quoi s’ajoute, dans ce cas, une privatisation d’une des missions régaliennes de l’État, qui est de prélever les impôts et taxes.

Les contribuables et les salariés risquent une fois de plus d’être sollicités pour financer le manque à gagner. D’où la nécessité, également, d’une véritable réforme fiscale.

Pour la CGT, la fiscalité de notre pays est injuste et inefficace. Elle repose pour beaucoup sur la TVA, qui est l’impôt le plus injuste qui soit, et sur une faiblesse de l’impôt sur le revenu, notamment pour les riches. Elle taxe en outre plus le travail que le capital. À cela s’ajoute la kyrielle de niches fiscales : exonérations de cotisations, qui représentent plus de 200 milliards d’euros par an de cadeaux faits aux entreprises, sans aucun contrôle de l’utilisation de cet argent. Le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) de 20 milliards d’euros par an en est le plus fragrant exemple, puisqu’il profite essentiellement aux grands groupes de commerce qui ne délocalisent pas.

La fiscalité environnementale doit s’inscrire dans une réforme fiscale d’envergure en faveur du monde du travail. Elle doit s’appuyer sur une autre façon de travailler, de produire et de transporter les marchandises.

Cela pose le problème de savoir comment remettre l’appareil industriel au cœur des enjeux et du débat, œuvrer à la reconquête industrielle et à la relocalisation des productions dans le cadre d’un concept de circuit court territorial. Cela soulève aussi la question du juste coût du transport des marchandises dans les coûts de production, de la complémentarité entre les modes passant par un véritable service public du transport de marchandises par le rail, mais aussi d’un renouveau du fluvial.

Le fret ferroviaire, comme le fluvial, est de plus en plus marginalisé, en raison d’une politique très favorable au mode routier. Outre la généralisation du 44 tonnes, il y a eu la baisse de la taxe à l’essieu, l’exonération de la contribution carbone et la réhabilitation de projets autoroutiers dans les contrats de plan État-régions. Les transporteurs routiers jouissent de multiples privilèges que leur octroie l’État.

Si le transport routier apparaît comme le mode le moins cher, c’est parce que ses coûts externes ne sont pas facturés : usage des infrastructures, nuisances sonores, pollution, congestion routière, accidentologie… Ces coûts restent assumés par la collectivité, les salariés et les contribuables.

En fait, le coût moyen de transport d’une tonne sur 350 kilomètres – coûts externes compris – était en 2011 de 33 euros pour le routier, 27 euros pour le rail, 21 euros pour le fluvial petit gabarit et 15 euros pour le fluvial grand gabarit – sachant que, pour le rail et le fluvial, sont également compris les pré- et post-acheminement.

Il n’y a pas de doute : les coûts externes représentent plus du tiers pour le transport routier. C’est de l’argent public : les collectivités financent ce transport au détriment du report modal et du développement du service public du transport. Ce n’est pas la conception que nous en avons !

Rappelons que l’État a supprimé la tarification routière obligatoire (TRO) en 1986, conduisant à l’absence de prise en compte des coûts externes.

Pourtant, le « juste coût des transports », comme la « multimodalité », est inscrit dans la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), sans être mis en œuvre. De même, n’a jamais été transcrit dans la loi, contrairement aux décisions du Grenelle de l’Environnement, le fait que le développement du fret ferré, maritime et fluvial est déclaré d’intérêt général. C’est pourquoi nous continuons de le revendiquer. Ce n’est ni aux salariés, ni aux populations de payer la note des décisions de ceux qui ont érigé ce système.

Le transport est tellement sous-tarifé qu’il n’est même plus un frein aux délocalisations industrielles. Multipliant les parcours parasites de marchandises, il contribue à vider l’emploi des territoires, conduisant à la fermeture de sites de productions et à des licenciements.

C’est sur la messagerie et l’express que le recul des prix est le plus important : aucune des cinq dernières années n’échappe à la règle, et en cumul, la baisse des prix a été de 10,7 % en cinq ans !

La « route » subit également la pression sur les prix : les reculs de 2009 et 2010 ont été suivis d’un léger rebond en 2011, mais l’érosion a repris en 2012 et 2013. Sur cinq ans, la baisse est de - 8 %.

Les activités logistiques ont vu également leurs prix baisser sur quatre ans, de 2 % pour l’entreposage et 3,1 % pour la manutention.

Or cette déflation des prix du transport routier est profondément nocive du point de vue social et environnemental

Concernant des activités dont les marges sont structurellement faibles, il est clair que cette déflation est une cause essentielle de leurs graves difficultés ; elle est à la source de véritables ravages économiques et sociaux. Les défaillances d’entreprises se sont multipliées : Mory Ducros en est un exemple emblématique. En messagerie, la quasi-totalité des entreprises est en perte et ne survit que par le soutien apporté par les groupes d’appartenance, grâce aux marges qu’ils peuvent dégager sur d’autres activités. L’express international lui-même n’échappe plus aux restructurations, à l’image de TNT Express où des procédures de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) sont engagées. D’autres restructurations menacent à court terme différentes entreprises de transport routier. Les transporteurs et les messagers réagissent également à cette compression de leurs recettes par des pratiques qui affaiblissent et précarisent toujours plus l’emploi en France : ouverture de filiales dans des pays à bas coût salarial et recours accru à une sous-traitance pressurée et flexibilisée au maximum.

La déflation des prix du transport routier en France est un mal non moins profond sur le plan écologique : la baisse quasi continue des prix de la route est un contre-signal évident aux démarches visant à encourager le report d’une partie des trafics vers des modes plus économes en énergie et en carbone – notamment le fer, le transport combiné rail-route et rail-mer, ou le fluvial.

Il est plus que temps de comprendre et de dire haut et fort que cette tendance doit être combattue et inversée. Il convient donc de construire une nouvelle régulation pour contrecarrer cette baisse des prix.

La CGT s’inscrit depuis longtemps dans une démarche visant à faire prévaloir une tarification sociale et environnementale qui considère que le prix du transport doit inclure, d’une part, le coût de conditions de travail et de salaires décents, et d’autre part, des coûts environnementaux externalisés aujourd’hui vers les contribuables et les générations futures.

Elle ne propose pas de revenir à des prix administrés, ni n’ignore le contexte européen. Mais elle n’accepte pas que la concurrence érigée en dogme interdise toute réflexion sur des modes de régulation permettant de sortir de la spirale mortifère de la baisse des prix du transport.

Dans un secteur oligopolistique comme les télécommunications, les autorités nationales et européennes acceptent implicitement qu’une réduction du nombre d’opérateurs puisse se traduire par une meilleure défense des prix et de l’emploi. Dans un secteur comme le transport, où les acteurs sont nombreux et de toutes tailles, pourquoi faudrait-il accepter que la concurrence soit sans limite et que les chargeurs puissent imposer des prix toujours plus bas ?

Le report modal a des impacts sociaux et il faut assumer des reconversions nécessaires des salariés du transport routier vers d’autres modes de transport.

Une internalisation des coûts externes combinée avec une tarification sociale obligatoire en faveur des travailleurs du transport routier constitue le levier pour protéger la collectivité et les salariés des pratiques de dumping.

Dans l’état actuel du dossier, nous considérons qu’il convient de dépasser la simple mise en œuvre de l’écotaxe pour s’attaquer d’une manière plus globale à la tarification du transport de marchandises, qui permette une politique à la fois ambitieuse – tant économiquement que socialement – et soucieuse du développement humain durable.

M. Fabian Tosolini, secrétaire général de la FGTE-CFDT. Nous voici aujourd’hui revenus autour de la table pour parler de l’écotaxe – énième épisode d’un dossier qui a vu le jour à la sortie du Grenelle de l’environnement 1 et qui aujourd’hui est remis en cause, non sur le fond, mais dans sa forme.

La CFDT Transports Environnement a toujours défendu et reste favorable à la mise en place d’une taxe sur le principe du pollueur-payeur.

Ce préalable étant établi, revenons à l’histoire récente de l’écotaxe. Fin octobre 2013, durant un week-end, la mise en place de celle-ci a provoqué en Bretagne de multiples incidents graves et inadmissibles. Rappelons que des milliers de manifestants à l’époque s’étaient rassemblés afin de procéder au démantèlement d’un portique écotaxe dans le Finistère.

La CFDT avait notamment dénoncé fermement la participation de transporteurs routiers à ces agissements, qui ne représentaient finalement qu’une branche du secteur du transport routier.

Cette instrumentalisation de salariés par les patrons consistant à opposer l’écotaxe poids lourds et l’emploi fut indigne de représentants patronaux. Car, pour la CFDT, les enjeux écologiques et de santé publique liés à une crise environnementale, dont nous voyons les effets chaque jour un peu plus, méritent mieux que l’excitation de représentants d’un secteur le plus souvent bien peu regardants à l’égard du bien-être de leurs salariés.

En septembre 2013, lors de la conférence ministérielle pour la relance du transport routier de marchandises, la CFDT avait demandé au ministre des transports la mise en place d’un corps d’inspectorat mobile pouvant appliquer des sanctions adaptées afin de garantir la bonne application de l’écotaxe auprès des transporteurs.

Mais cela paraît maintenant bien prématuré. Les dernières déclarations de la nouvelle ministre en charge du dossier semblent vouloir tracer une nouvelle voie.

La CFDT Transports Environnement exige à cet égard d’être associée à l’ensemble des discussions qui vont à nouveau s’ouvrir sur ce dossier – discussions qui reprendront nécessairement les éléments environnementaux, sociaux, sociétaux et économiques, afin qu’ils ne soient pas une seconde fois les grands oubliés des débats. Il est important de rappeler qu’au moment de la création de l’écotaxe, seules les organisations patronales avaient eu un droit de parole, occultant de fait la vision de ceux qui vivront au quotidien le contrôle.

L’éventuelle remise à plat de l’écotaxe est un très mauvais signe envoyé auprès de l’ensemble des acteurs engagés dans la construction d’un transport pérenne écologiquement responsable et économiquement équilibré. Cette éventualité pose la question du lobbying des chargeurs et de la grande distribution qui pousse les transporteurs à ne pas appliquer le vrai prix du transport.

Pour la CFDT, l’écotaxe doit permettre la prise en compte du coût réel citoyen du transport. Elle doit être gérée, tant pour sa perception que son contrôle, par les services de l’État. Une réflexion devra aussi être menée sur les salariés d’Ecomouv’ qui, sur le plan de l’emploi, se sont retrouvés directement impactés par les tergiversations ministérielles et la pression du populisme.

Je rappelle que les salariés étrangers qui utilisent chaque jour nos routes ont de plus en plus pour consigne de prendre les routes nationales gratuites, dont l’entretien est exclusivement financé par les contribuables.

Quelle solution avons-nous pour arrêter cet état de fait sinon la mise en place d’une taxe visant à faire payer au juste prix ceux qui ne parient pas sur le respect de l’environnement ?

La CFDT reste ouverte au débat sur son mode de calcul et de contrôle. Il convient par exemple de noter qu’aucune réflexion n’a été menée sur la gestion des contrôles, notamment sur le cas d’un routier obligé par son patron de ne pas activer son badge et se retrouvant verbalisé par une patrouille de douane.

La CFDT défend que le système et la méthode de calcul de paiement de l’écotaxe doivent reposer sur une automaticité du dispositif, et non sur le salarié.

La mise en place d’une taxe écologique sur les transports routiers ne peut être une fin en soi. Elle doit être clairement établie dans une réflexion plus globale sur ce que nous voulons créer comme transports de demain, dont les grandes lignes sont d’ores et déjà fixées par le livre blanc des transports européens de mai 2011.

Cela veut dire réfléchir ensemble sur l’avenir de l’énergie fossile, la pertinence des modes de transport et la mise en place d’une tarification européenne de ceux-ci – éléments dont nous pourrions utilement débattre lors de la remise en fonctionnement du Conseil national des transports (CNT).

Certes, l’écotaxe peut être une opportunité de financer de nouvelles infrastructures de transports, mais celles-ci doivent être conçues pour tous, tant pour l’amélioration du quotidien de millions de Français qui utilisent les transports en commun que pour les chargeurs qui parfois, faute de solutions proposées par les autres modes de communication à la suite d’une politique du tout routier depuis 1995, se voient dans l’obligation d’utiliser la route. Cette écotaxe devra retrouver son objectif premier de financement d’innovations d’infrastructures alternatives pour le ferroviaire et la voie d’eau, seule possibilité pour désengorger des infrastructures routières en surcapacité.

En résumé, l’écotaxe doit être un élément moteur des nouveaux transports que nous voulons construire. Ces nouveaux transports ne pourront pas être déconnectés de choix d’urbanisation écologiquement responsables favorisant les transports en commun tout en ne perdant pas de vue les choix de consommation des Français consistant à vouloir tout, tout de suite, tout le temps.

La CFDT Transport Environnement ne considère en rien que l’écotaxe soit un alourdissement fiscal à condition que sa conception et son application fassent l’objet d’une réflexion et d’une concertation et tiennent compte de l’intérêt collectif.

La seule question qui se pose donc est de savoir si au sein de la représentation nationale cet avis est partagé.

M. Thierry Cordier, secrétaire général de l’Union fédérale « Route » de la FGTE-CFDT. Merci de nous recevoir. Le dossier de l’écotaxe est l’exemple parfait du paritarisme parcimonieux. S’agissant des transports, on n’entend généralement que les entreprises, rarement les salariés.

Voilà maintenant deux décennies que les gouvernements successifs prônent dans leurs programmes le développement durable et un transport propre. Antoine de Saint-Exupéry disait d’ailleurs que nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, mais l’empruntons à nos enfants.

Sur l’écotaxe, la position de notre organisation n’a pas changé depuis plus de vingt ans. En effet, la CFDT martèle à chaque réunion où le sujet est abordé qu’il est impératif que les principes du pollueur-payeur et consommateur-payeur soient appliqués.

Pour ce faire, il est important de définir trois grands secteurs : les transports de moyenne distance, les transports de longue distance et les transports urbains ou de proximité.

Les demandes n’étant pas les mêmes selon les régions et les grandes agglomérations sur l’ensemble de l’hexagone, le simple principe de l’écotaxe tel que défini aujourd’hui ne répond absolument pas à la problématique, bien au contraire.

Seuls 15 000 kilomètres de chaussées ont été retenus sur les 950 000 kilomètres que comporte le réseau national. Pourquoi ?

La position des portiques sur les axes retenus laisse une totale liberté de les éviter en passant par les routes adjacentes ou parallèles. La seule vertu de ces appareils est de faire ralentir les conducteurs de voitures.

Alors que la sécurité routière est un axe majeur des gouvernements depuis plusieurs décennies, ne risque-t-on pas de voir rapidement des trains routiers sillonner les axes secondaires pour éviter les portiques ?

Dans la réalité des faits, une redevance annuelle, mensuelle ou journalière, comme celle appliquée au Benelux, au Danemark ou en Suède, aurait été beaucoup moins contraignante pour le conducteur et plus difficile à contourner par les entreprises. Il en est de même de la contribution sur le produit comme l’éco-participation. Il n’est pas inacceptable de comprendre qu’à un moment ce soit vraiment le consommateur qui paye au début cette écotaxe.

De plus, certaines activités de transport – transport de fonds, messagerie et courte distance – ne seraient pas concernées par le passage des portiques.

Cela créerait donc une iniquité entre les transporteurs qui respecteraient les trajets normaux et ceux qui n’ont aucune obligation de s’acquitter de cette contribution du fait de leur activité normale de porte à porte.

En conclusion, ce dossier aurait dû être vu sur le fond avec l’ensemble des partenaires pour prendre en compte la totalité des éléments environnementaux, sociétaux et économiques, et non, simplement, avec les organisations professionnelles.

À ce jour, malheureusement, le constat que l’on peut faire est que seul un fort lobby financier obtient gain de cause. Nous prônons l’automaticité du système sans aucune intervention du conducteur dès le premier tour de roue hors péage et des conditions de travail meilleures – le fait de devoir éviter les portiques entraîne du stress pour les conducteurs et une attention moindre sur la route. Nous voulons aussi un doublement des portiques : ceux-ci doivent être un outil de contrôle sur le cabotage.

Sur ce dossier, la réalité est à notre sens bien plus compliquée qu’il n’y parait. En effet, chaque mode de transport ne voyant que son propre intérêt, la pertinence des modes utilisés et le véritable coût d’un transport importent peu. Sa seule raison d’être est de dégager un maximum de profit à moindre coût.

À notre sens, il est aujourd’hui important de réunir l’ensemble des acteurs du transport et de définir, comme l’indique le livre blanc des transports en Europe, une véritable politique des transports durable pour les années à venir.

M. Philippe Queune, conseiller fédéral du SNATT CFE-CGC. La CFE-CGC ne se positionnera que sur le créneau syndical, et non politique. L’impact que nous devons étudier concerne l’interaction entre l’écotaxe et les conséquences pour les salariés. Au premier degré, les conséquences sont doubles : elles portent sur l’emploi et la sécurité.

À plus long terme, il nous faut étudier des politiques favorisant les éco-carburants et la transition énergétique appliquée aux transports.

Nous devrions à cet égard être consultés en amont des travaux parlementaires.

Il existe deux alternatives : le maintien de l’écotaxe ou son abandon.

Si on maintient l’écotaxe, la CFE-CGC préconise d’aller au bout de la logique et d’utiliser l’électronique embarquée pour contrôler la sécurité– notamment celle liée aux temps de conduite ou de repos – et lutter contre le dumping social, qui est important avec l’ouverture aux pays d’Europe de l’Est – avec des effets dramatiques sur l’emploi.

La concurrence déloyale entraîne des pertes importantes de chiffre d’affaire pour les entreprises. L’écotaxe ne doit pas amplifier les problèmes mais servir de correctif face aux entreprises étrangères qui pratiquent le dumping.

À cet égard, la taxe gasoil est très souvent difficile à répercuter pour les petits transporteurs. On pense qu’il en sera de même pour l’écotaxe.

De plus, il faut s’attaquer à la problématique du cabotage, des camions de moins de 3,5 tonnes et des donneurs d’ordres des transporteurs imposant aux chauffeurs d’éviter les portiques et d’utiliser un réseau routier secondaire non adapté à un tel trafic. Cela soulève notamment le problème de la sécurité et de l’usure anormale du réseau routier secondaire, qui n’a pas donné lieu à réflexion.

Par ailleurs, si on abandonne l’écotaxe, il faut trouver d’autres financements pour les infrastructures de transport.

Cela peut se faire par la TVA sociale, qui pourrait être augmentée de quelques points : La CFE-CGC y est favorable.

Une autre solution serait de taxer les produits à un autre moment de leur cycle de vie. Il est vrai qu’un produit est à un moment ou à un autre transporté en camion. Le taxer à ce moment-là n’est pas idiot. Mais la concrétisation de l’écotaxe n’est pas un modèle du genre dans la négociation entre l’État et une société privée.

Le produit pourrait aussi être taxé en fin de vie, au moment de sa destruction ou de son recyclage. Nous sommes outillés pour cela. Des organismes tels que l’ADEME perçoivent déjà par exemple une taxe et refinancent les filières de valorisation. On pourrait imaginer une taxe supplémentaire au profit des structures de transport.

La balance commerciale étant déficitaire, cette surtaxe nous serait favorable car il y a plus de produits fabriqués à l’étranger terminant leur vie en France que de produits élaborés dans notre pays terminant la leur à l’étranger. Reste à régler la question des produits en transit.

M. Cyrille Jullien, secrétaire général de la Fédération générale CFTC des transports. Alors que nous étions d’accord sur le principe de l’écotaxe, on arrive au bout de quatre ans à ce que tout le monde soit en désaccord et que le projet soit plombé – ce qui est une particularité française qui a malheureusement tendance à se répéter.

L’écotaxe est en œuvre puisque, depuis un an, les contrats de transport et les facturations sont gelés, de même que les négociations commerciales. Par ailleurs, les conséquences sur les prix de transport et en matière sociale et de survie des entreprises se font sentir.

La difficulté à laquelle on est aujourd’hui confronté est l’absence de mise en œuvre d’un dispositif n’ayant pas fait l’objet d’une réflexion suffisante, ce qui aboutit à une situation plus que catastrophique pour le secteur et les finances publiques.

Lors des États généraux du transport en 2010, il y avait trois groupes de travail, dont un sur le volet économique. Notre fédération avait fait remarquer, en vain, qu’il aurait été utile de réfléchir sur les dispositifs existants, notamment le dispositif Bosson en matière de facturation de transport, pour inclure une facturation qui ne s’impute pas sur le prix global du transport mais s’ajoute à celui-ci.

Quel que soit le dispositif que retiendra la puissance publique, son application va continuer à poser des problèmes dans les relations commerciales. Si vous ne voulez pas continuer à mettre en péril les entreprises de transport et leurs salariés, il faudra résoudre ce problème.

Nous devons avoir un dispositif sécurisant les engagements commerciaux et qui cesse de constituer une distorsion de concurrence.

La mise en place des portiques et d’un dispositif électronique peut être discutée. Il aurait été beaucoup plus simple d’avoir un système lié au recyclage, avec un prix forfaitaire en fonction des kilomètres parcourus, du tonnage, voire des deux.

Quand on parle d’électronique et d’archivage de données, il faut tenir compte de dispositifs européens et nationaux et de contraintes prévues notamment dans le code du travail ou tenant à la préservation de données informatiques et des libertés individuelles. Si les données électroniques servent au contrôle, il faut déterminer par qui, comment, selon quelles dispositions de sauvegarde et avec quel mode d’imputation. Cela est complexe.

Lors des réunions préparatoires sur l’écotaxe avec le ministère des transports, nous avons signalé la difficulté d’installer un dispositif de contrôle des recettes dans des territoires dans lesquels les détournements sont faciles. On nous a répondu qu’on finirait par équiper aussi les routes départementales. Je ne sais si l’équipement de l’ensemble du réseau routier français d’un tel dispositif a été bien évalué.

Enfin, l’écotaxe va-t-elle s’arrêter au transport routier de marchandises ? On a vu surgir l’idée de taxer l’ensemble des utilisateurs des réseaux de transport, y compris les particuliers. Nous sommes très réservés à une extension généralisée de la facturation. Les conséquences politiques et sociales d’une telle mesure pourraient être néfastes et graves.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. N’y a-t-il pas une confusion entre la fonction du portique, qui est de contrôler si le véhicule a bien l’équipement électronique embarqué adéquat, et le système de taxation, qui repose sur le GPS ? Que certains employeurs conseillent à leurs salariés de contourner les portiques ne remet pas en cause le système de taxation.

Par ailleurs, l’idée d’utiliser l’équipement électronique embarqué pour contrôler le cabotage et le respect de la réglementation sociale mérite l’attention.

Enfin, lors d’un contrôle auquel j’ai assisté porte de Montreuil il y a une dizaine de jours, j’ai noté que nous avons abandonné le chronotachygraphe papier pour un système électronique relativement performant, même s’il est toujours possible de tricher.

M. François-Michel Lambert. J’entends, messieurs, votre volonté de partager la vision collective d’un nécessaire rééquilibrage du mode routier pour permettre notamment le financement de nos infrastructures.

Pourquoi retenir un système de contrôle si compliqué, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) estime d’ailleurs quasiment irrespectueux des libertés individuelles ? Ne peut-on envisager un dispositif reposant sur un boîtier moderne, de type GPS, permettant de vérifier si on passe sur les routes taxées et de déterminer le coût correspondant ? Le contrôle de celui-ci comme de la présence de ce boîtier se ferait comme ceux aujourd’hui réalisés au bord des routes par les forces de l’ordre.

Mme Sylviane Alaux. Mon intervention n’est pas une question mais un point que je tiens à souligner car il me parait essentiel. Cette table ronde constitue le volet le plus important de nos travaux : les salariés qui sont sur la route sont en effet ceux qui connaissent les effets positifs et négatifs du dispositif envisagé.

M. Marc Le Fur. Cette table ronde était en effet indispensable.

Je crois également que le sujet du cabotage doit être remis en avant.

Par ailleurs, les camionneurs me parlent beaucoup d’un sujet n’ayant été abordé par aucun d’entre vous : la disparition des avantages sur les heures supplémentaires. Est-ce un oubli ?

Je suis également surpris de constater une attitude très favorable aux mécanismes de substitution. Mais si on remplace par exemple le transport par camion par le transport par rail, que deviendront les salariés dont les entreprises disparaîtront ? Seront-ils embauchés par la SNCF ?

Si on maintenait l’écotaxe, nous aurions des pertes en ligne importantes en termes de transport et d’emplois. On ne peut être partisan de charges supplémentaires sur le transport sans en admettre les conséquences du point de vue de l’emploi.

En outre, il est surprenant de voir les syndicats alliés objectifs de grandes familles italiennes à l’origine des propositions de loi que vous dénoncez.

Lors des manifestations de Quimper notamment, j’ai été frappé par le grand nombre de salariés des transports présents, sans être tenus par la main par leur patron. Alors que, le même jour, il y avait une autre manifestation à Saint-Brieuc organisée par les syndicats officiels qui a été un échec. Le monde salarié du transport est conscient que son devenir est associé à celui de ses entreprises.

Enfin, si on supprime les portiques, on aura des systèmes de contrôle policiers redoutables pour les conducteurs de poids lourds, qui subissent déjà beaucoup de contrôles.

Mme Sophie Errante. Monsieur Le Fur, ne soyez pas amnésique : la déstructuration des filières agro-industrielles ne résulte pas des vingt derniers mois !

Quelles sont, messieurs, vos préconisations s’agissant du périmètre à retenir ? Toutes les routes devraient-elles être concernées ? Comment devrait s’appliquer le dispositif selon les trois styles de transport évoqués ?

Mme Émilienne Poumirol. Quelles pourraient être les autres solutions, en dehors du dispositif proposé, pour assurer la recette prévue ?

M. Patrice Clos. S’agissant du chronotachygraphe électronique, je précise qu’avec un aimant à deux euros, on peut l’installer.

Il est clair que nous n’avons pas besoin des portiques pour récolter la taxe : les boîtiers GPS suffisent.

On pourrait aussi se servir de ceux-ci pour contrôler le cabotage. Encore faut-il qu’il y ait la volonté politique de le faire.

Monsieur Le Fur, vous ne nous ferez pas dire que nous sommes en faveur des heures supplémentaires détaxées ! Ce type de mesure peut conduire à la fin de la sécurité sociale. Nous l’avons vu il y a peu pour le congé de fin d’activité des routiers.

S’agissant du transport de substitution, on n’a jamais vu des wagons arriver au pied des immeubles ou dans les centres villes ! Il faudra donc toujours des camions.

Il est vrai que des salariés ont participé à des manifestations contre l’écotaxe, tout comme certains ne sont pas venus pour défendre leur congé de fin d’activité. Chacun est libre de penser ce qu’il veut. Cela dit, on ne peut généraliser ce qui s’est dit ou fait en Bretagne à toute la France.

Enfin, concernant le périmètre, on a déjà engagé des techniciens dans les entreprises pour calculer les détours possibles. Cela fait plus d’un an qu’elles sont prêtes sur ce point. Si on doit mettre en place l’écotaxe, il faut que ce soit partout. Sinon, les camions passeront par les départementales et ce seront les habitants de vos villages qui en souffriront. De plus, il n’y a pas grand-chose de prévu dans la partie italienne.

M. Jérôme Vérité. Je partage cet avis. Si on veut une égalité des territoires, il faut mettre en place l’écotaxe sur toutes les routes.

Si on peut surveiller le cabotage avec le dispositif prévu, il faut avoir en tête la stratégie des grands groupes français en matière de transport. Ceux-ci ne perdent, contrairement à ce qu’ils disent, aucune part de marché et ils organisent eux-mêmes la concurrence entre les salariés en faisant venir au travers des filiales qu’ils installent en Europe des personnels payés à moindre coût. Je rappelle que le premier transporteur routier de France est une filiale de la SNCF : il serait bon que l’État soit cohérent avec lui-même à cet égard.

On peut en effet largement simplifier le dispositif proposé en s’appuyant sur le système GPS. Mais il faut aussi travailler sur la facturation du transport entre chargeurs et transporteurs, les négociations commerciales entre eux étant inéquitables. L’écotaxe est une réponse partielle environnementale : or le transport de marchandises souffre aussi d’un dumping social. Nous défendons donc l’idée d’une tarification globale, sociale et environnementale, obligatoire. Je rappelle que des transporteurs n’acceptent même plus la réglementation sociale minimale afin de pouvoir gagner des marchés. D’ailleurs, dans la convention collective, les premiers coefficients sont en dessous du SMIC.

Il faut voir en fin de compte comment rendre plus transparentes les factures entre transporteurs et chargeurs, de manière à vérifier que la législation sociale minimale soit appliquée.

Monsieur Le Fur, nous ne sommes pas non plus en faveur des heures supplémentaires détaxées ! La question du financement de la protection sociale et du salaire socialisé est fondamentale. L’enjeu principal à cet égard est l’affrontement entre le capital et le travail. Il est hors de question pour nous d’entrer dans une logique visant à dédouaner les employeurs de réelles négociations sur la question des salaires au profit d’artifices détériorant la protection sociale. Or si les transporteurs étaient capables de facturer le juste coût du transport, cette question ne se poserait pas.

M. Thierry Cordier. Merci de votre écoute.

La CFDT est pour l’écotaxe. Mais le système des portiques est en effet une usine à gaz et on pourrait lui substituer un dispositif plus simple, fonctionnant dès le premier tour de roue.

S’agissant du cabotage, on aura le monde et la réglementation qu’on mérite. Nous l’admettons dès l’instant où il s’inscrit dans la légalité. Le système du GPS peut être très adapté : il permet de suivre l’écotaxe, l’appareil embarqué et la carte conducteur. À cet égard, les premiers grands groupes français sont les premiers caboteurs d’Europe : c’est notamment le cas de Geodis. Par ailleurs, les chargeurs sont également, avec les transporteurs, destructeurs d’emplois, car ils demandent le moindre coût.

Quant aux heures supplémentaires défiscalisées, nous les avons combattues depuis le début. Avec ce dispositif, vous avez habitué des salariés à avoir une rémunération qu’ils n’ont plus ! Je rappelle qu’il s’agit seulement d’une possibilité pour l’entreprise. Cette mesure va aussi à l’encontre du principe de solidarité.

Par ailleurs, le métier de conducteur routier est en totale évolution et les personnels concernés peuvent se diriger demain vers d’autres métiers, grâce notamment à la formation professionnelle.

Je rappelle que la politique du tout camion existe depuis le début des années 1990. Or le camion est le dernier maillon élémentaire de l’économie française, non le maillon indispensable.

Monsieur Le Fur, il est plus facile d’aller à une manifestation en étant payé qu’avec une amputation de salaire !

Je suis pour que la loi soit appliquée : il faut donc prévoir les moyens d’en contrôler l’application.

Quant au périmètre à retenir, il ne peut s’agir que du réseau non concédé. Au nom du principe d’égalité, le taux doit être le même pour les longues distances comme pour les courtes.

Par ailleurs, l’éco-participation sur le produit est bien acceptée par les citoyens.

L’instance de réflexion sur le taux pourrait être le Comité national du transport, qui est sous la tutelle du ministère des transports et a toute liberté de se saisir des dossiers. Malheureusement, il ne fonctionne plus car on recourt par principe à des commissions ad hoc.

Je rappelle enfin que, dès qu’on entre en Allemagne, on paie au premier tour de roue. Dans un tel système, il vous revient de dire si cela doit être payé par le transporteur ou le produit.

M. Frédéric Bérard, président de la Fédération CFE-CGC des transports. L’intérêt du contournement des portiques est de passer entre les mailles du filet. On pourrait en effet exercer le contrôle par GPS, qui est précis au mètre près, mais il est dommage qu’on se pose la question de l’utilité de ces appareils une fois qu’ils ont été installés, sachant que chacun a coûté un demi-million d’euros !

Si on supprime les portiques, il faudra en effet accroître les contrôles, dont le taux est de 1 %, ce qui est peu. Nous sommes pour cet accroissement ainsi que pour l’apport de moyens supplémentaires. Augmentez le nombre des inspecteurs des transports terrestres et vous verrez que leur salaire sera vite rentabilisé ! Cela permettra aussi de réduire le chômage et de contraindre les transporteurs à se conformer davantage à la réglementation.

Les ingénieurs méthode sont capables d’identifier les plus courts trajets et la façon d’optimiser l’agrémentation de la plateforme logistique.

Quant aux formations, elles ont pour l’instant été suspendues dans la plupart des grandes entreprises dans l’attente de ce que deviendra le projet.

S’agissant de la SNCF, elle est représentée dans notre secteur par le groupe Geodis. Celui-ci ne donnera-t-il pas lieu au prochain grand plan social de la profession, nous avons certains échos qui permettent de s’interroger. ?

Lors de la destruction des portiques, j’ai vu très peu de salariés présents, mais beaucoup de petits patrons. Les salariés sur place étaient à mon avis aux ordres de leur entreprise et payés par elle. Par ailleurs, je ne connais pas d’organisations syndicales ayant donné instruction à leurs militants de détruire les portiques.

En outre, j’observe que la taxation en Rhône-Alpes est inférieure à celle de Basse-Normandie. Il faut donc nous expliquer comment les tarifs ont été élaborés.

Quant au report modal, c’est une arlésienne. Le transport routier de marchandises (TRM) reste une solution de souplesse en temps et en organisation. Il permet aussi l’accès aux lieux de livraison. Un véritable report modal implique de réelles infrastructures. Or, pour l’instant, on est incapable de se passer du TRM : le report modal ne peut être qu’à petite échelle.

M. Cyrille Jullien. Monsieur Le Fur, vous avez été provocateur dans votre propos en élargissant le débat au-delà du sujet du jour. N’imputez pas aux organisations syndicales de salariés des dispositifs sur lesquels ils n’avaient aucun pouvoir et n’ont été consultés qu’a posteriori !

Tous bords politiques confondus, vous étiez d’accord pour l’écotaxe. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, on a sorti en catimini les décrets d’application et le dispositif qui pose aujourd’hui problème. Cela relève de votre responsabilité politique.

S’agissant des heures supplémentaires défiscalisées, j’ai été un peu choqué par les propos tenus. La majorité des dossiers prud’homaux que l’on voit concerne des salariés à temps partiel et des femmes. On ne se pose jamais la question de savoir pourquoi une salariée à temps partiel qui fait des heures complémentaires, et non supplémentaires, ne bénéficie pas d’un dispositif défiscalisé. Par principe, on a introduit un dispositif inégalitaire : je voudrais que la responsabilité politique soit prise en compte.

Ce que l’on va vivre avec l’écotaxe, on le vit aujourd’hui : des salariés font l’objet d’un licenciement économique dans le meilleur des cas, sinon ils sont licenciés par rupture conventionnelle ou, pour la majorité, en leur imputant des fautes graves.

Quant aux portiques, ils ne servent à rien. Il suffisait de modifier les textes en matière de facturation pour permettre une imposition directe sur les contrats de transport.

S’agissant du cabotage, la question ne se pose pas sur les grands axes, en butte au problème du détachement des salariés. Le cabotage se fait en région : il est dès lors difficile d’y remédier avec le dispositif actuel. On ne peut mettre en place celui-ci qu’en l’étendant. Mais où est la cohérence entre le fait de supprimer les panneaux publicitaires à l’entrée des villes et mettre des portiques partout ?

Le vrai sujet est la directive sur le détachement des travailleurs et l’application qu’en font les entreprises de transport. Je rappelle que les organisations syndicales patronales ont approuvé l’ouverture au cabotage sans possibilité de contrôle ou de sanction. Or les entreprises savent elles-mêmes s’autocontrôler grâce à leurs logiciels. Mais on n’est pas capable d’aller chercher dans ceux-ci les infractions relatives au cabotage alors que le texte a été signé en 2003 et que le problème existe principalement depuis 2006.

Et huit ans après, on se pose la question de savoir quels sont les effets des mesures prises et comment y remédier ! On constate en 2013 une baisse du nombre de salariés dans le secteur routier de marchandises : cela est historique, mais ce n’est rien par rapport à ce que l’on aura en 2014…

En outre, sur des trajets tels que Paris-Lyon, Paris-Bordeaux ou Paris-Bayonne, comptez le nombre de plaques d’immatriculation françaises ! D’autant qu’on se trouve face à des situations aberrantes : on peut avoir une plaque d’immatriculation espagnole sur une remorque, un tracteur portugais devant et, au volant, un conducteur brésilien. Où est la cohérence dans le fait d’avoir permis la possibilité d’atteler deux ensembles n’ayant pas la même immatriculation d’origine ? À qui imputer la responsabilité légale d’une remorque plombée par le chargeur avec des documents et des domiciliations fiscales et sociales différentes ?

Revenons à un dispositif plus simple : la question n’est pas de savoir si on va mettre en place l’écotaxe, mais comment.

M. Jean-Louis Delaunay, membre du bureau fédéral, secteur « transports des marchandises », de la Fédération CGT des transports. J’ai été conducteur de camion pendant vingt-neuf ans sur les routes de France et d’Europe.

S’agissant des contrôles routiers, c’est un désastre depuis la disparition des inspecteurs spécifiques ! On ne voit plus de contrôleurs terrestres sur la route. En plus de cinq ans, je n’ai moi-même été contrôlé qu’une seule fois. Dans l’entreprise pour laquelle je travaille, nous avons un système Eliot, qui retransmet toutes les quinze minutes à celle-ci toutes les informations sur mon activité de conducteur – situation de travail, de repos, trajets empruntés… Les portiques ne servent donc à rien.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Merci à tous pour ces échanges. Il était en effet important que nous puissions tenir cette table ronde.

Des mesures politiques et législatives ont été prises par des majorités différentes. La responsabilité des acteurs politiques est donc grande sur ce dossier. Or la situation est difficile : l’écotaxe a, comme vous le savez, été suspendue ; la société Ecomouv’ a signé un partenariat public-privé et des investissements importants ont été réalisés.

Nous sommes par ailleurs confrontés à la mise en œuvre de la directive dite « Eurovignette », et donc à des contraintes à la fois techniques et juridiques.

On pourrait imaginer que l’écotaxe ne soit pas mise en œuvre : j’ai bien noté les propositions alternatives formulées, mais les choix collectifs faits précédemment s’imposent à nous.

Le signal prix peut avoir des conséquences sur le comportement et les choix faits. S’agissant de la fiscalité écologique, on peut parler d’une fiscalité incitative ou de rendement, voire des deux : la première peut s’accompagner du report modal, mais aussi permettre de jauger des comportements tant au niveau des systèmes productifs que logistiques.

On peut certes trouver que ce signal n’est pas suffisant et que les objectifs fixés risquent de ne pas être atteints, mais cela reste un élément important.

Quant au report modal, certains pensaient qu’il pourrait être conséquent si l’éco-redevance était mise en place : on constate qu’il est malgré tout limité.

L’éco-redevance poids lourds est un droit d’usage qui s’appuie sur le principe utilisateur-payeur, tenant en partie compte des impacts environnementaux puisque, dans le calcul de la taxe kilométrique, on prend en compte les normes Euro. Le transporteur ayant un véhicule aux normes Euro 6 paye en effet moins que celui équipé aux normes Euro 1.

Il faudra aussi prendre en compte demain les coûts externes, qu’il s’agisse de la pollution atmosphérique ou de la pollution sonore. À cet égard, l’Autriche, qui cherche à le faire, est confrontée à de véritables difficultés.

Concernant les portiques, dans le cahier des charges qui avait été arrêté, il était indiqué qu’il fallait limiter la fraude à moins de 1 %. De ce chiffre a découlé le système retenu. On peut remplacer les portiques par des douaniers ou des policiers, mais cela suppose des embauches et des infrastructures techniques permettant de faire stationner les véhicules lors des contrôles.

S’agissant du périmètre, la solution idéale aurait été de taxer la totalité du réseau mais ce n’est pas le choix qui a été fait. Ce choix aujourd’hui s’impose à nous pour des raisons financières, techniques et d’urgence.

Nous avons en effet constaté, lors de notre déplacement porte de Montreuil, que les contrôles sont effectivement rares – un transporteur nous a par exemple indiqué qu’il avait été contrôlé une fois en dix ans ! De fait, le nombre de contrôleurs terrestres est de 480, ce qui est très faible et ne permet pas d’assurer un contrôle efficace sur l’ensemble du territoire.

Audition, ouverte à la presse, du Collectif des acteurs économiques bretons, représentés par :
MM. Joël Chéritel, chef de file, président du MEDEF Bretagne,
Frédéric Duval, délégué général du MEDEF Bretagne,
Thierry Coué, président de la FRSEA, Vincent Frostin, vice-président de
la FNTR Bretagne, Jean Bernard Solliec, vice-président de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires et Xavier Roux, administrateur
de Nutrinoë (nutrition animale) chargé de la logistique
et directeur logistique du Gouessant

(Séance du mercredi 9 avril 2014)

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, quatre mois après le début de nos travaux, je me réjouis de voir enfin auditionnés les représentants économiques d’une région particulièrement concernée par l’objet de notre mission d’information.

Un nouveau gouvernement a par ailleurs été constitué, et je comprends parfaitement que cet élément puisse avoir des incidences sur le calendrier de nos travaux. Mais en tout état de cause, il me paraît indispensable d’entendre rapidement la nouvelle ministre de l’écologie, Mme Royal, dont les propos récents sur l’écotaxe poids lourds peuvent être jugés encourageants.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je rappelle que l’Assemblée nationale a suspendu ses travaux pour cinq semaines, pendant lesquelles notre mission n’a pas pu tenir de réunion publique. Pour autant, le calendrier de nos travaux n’est pas du tout modifié par la nomination d’un nouveau gouvernement : le rapport sera comme prévu présenté avant la fin du mois d’avril.

Nous accueillons aujourd’hui une délégation du Collectif des acteurs économiques bretons, conduite par M. Joël Chéritel, le président du MEDEF-Bretagne.

Comme l’indique l’appellation que vous avez choisie, messieurs, le Collectif fédère des organisations professionnelles et syndicales de différents secteurs. Par cette initiative, elles entendent faire valoir auprès des pouvoirs publics les revendications des milieux économiques au sein d’un territoire qui a une forte tradition d’expression publique.

Historiquement, on rappellera qu’au niveau national votre région a déjà su exprimer ses revendications, au travers d’un véritable lobby breton – sans qu’il me vienne à l’idée de donner à cette expression la moindre connotation péjorative.

En effet, à partir de 1950 et durant trois décennies, des responsables économiques et sociaux ont animé, avec des élus, le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons, le CELIB. Celui-ci a joué un grand rôle pour faire avancer l’idée de régionalisation en France, mais aussi pour améliorer l’équipement de votre région, et notamment son réseau routier.

Ce dernier point me permet de faire le lien avec le thème des réflexions de notre mission : l’écotaxe. Je rappelle que le produit de l’écotaxe doit principalement abonder le budget de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, le reste devant être partagé entre les départements. En effet, la modernisation du réseau routier s’inscrit au cœur des missions de cet établissement public national et de ces collectivités territoriales.

Aujourd’hui, de nombreux projets, parfois urgents, sont reportés en raison de la suspension de l’écotaxe qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2014.

Dans un communiqué de presse du 5 février dernier, votre collectif a tenu à réaffirmer sa « totale opposition à toute mise en œuvre de l’écotaxe ».

À notre connaissance, votre région a pourtant fait l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Ainsi, des études consacrées aux impacts de l’écotaxe sur l’économie bretonne ont été conduites par les ministères. De plus, un rabais progressivement porté à 50 % a été consenti à la Bretagne. En conséquence, alors que de premières études évaluaient à 112 millions d’euros le prélèvement annuel sur le réseau taxable breton, il ne serait plus que de 42 millions d’euros dans le cadre réglementaire actuel.

Sans tenter ici d’opposer les régions françaises entre elles, d’autres parties de notre territoire auraient sans doute apprécié de pouvoir bénéficier d’un traitement analogue, au demeurant rare en matière de fiscalité.

Je précise que j’ai rencontré, il y a quinze jours, le président du conseil régional, Pierrick Massiot, et son vice-président en charge des transports, Gérard Lahellec. Il était donc nécessaire d’entendre aussi vos arguments, plus particulièrement ceux concernant une élévation des coûts de commercialisation qui pénaliserait tout spécialement la compétitivité des entreprises bretonnes.

Certains observateurs pensent que l’écotaxe n’a été que le révélateur des difficultés de certaines entreprises, notamment dans l’agroalimentaire, qui représente une part importante de l’économie bretonne. Cette situation s’est conjuguée avec le malaise perceptible depuis plusieurs années chez de nombreux transporteurs au sein d’entreprises familiales, voire de PME.

Votre audition doit permettre de dépasser une présentation des faits qui, nous pouvons le dire, a pu parfois paraître caricaturale ou excessive à certains.

Pour lever les incompréhensions et récuser toute polémique qui n’a pas lieu d’être sur un tel sujet, il nous faut comprendre les causes de votre mécontentement, que nous savons profond, et dont nous ne mettons pas en doute la sincérité.

M. Joël Chéritel, président du MEDEF-Bretagne. Je tiens à vous remercier d’avoir accepté de recevoir le Collectif des acteurs économiques bretons qui, depuis sa création, le 12 janvier 2009, se mobilise sans relâche sur la question cruciale de l’écotaxe.

Permettez-moi de présenter la genèse de ce collectif et de revenir sur ce qui a motivé les événements de l’automne dernier, afin de mieux vous faire comprendre les raisons de notre opposition à l’écotaxe. J’espère que vous percevrez dans mes propos la sincérité, l’expertise, et le respect de nos institutions, à commencer par celle que vous représentez. Nous savons que vous avez débattu de l’opportunité de nous recevoir. Je tiens à préciser que nous avons toujours inscrit notre action dans le cadre des lois de la République. Nous pensons que notre analyse du sujet peut utilement compléter votre connaissance et votre appréciation du dossier : à nous de faire en sorte qu’à la fin de cette audition, vous ne regrettiez pas de l’avoir organisée…

Notre action sur l’écotaxe a débuté à la mi-2008, lorsque nous avons compris qu’une nouvelle taxe poids lourds allait être créée qui aurait pour effet de pénaliser notre économie. En septembre, le MEDEF-Bretagne a écrit au ministre d’État en charge du dossier, sans recevoir de réponse. Nous avons ensuite été reçus, ici même, par plusieurs députés, puis par des sénateurs. Grâce à la mobilisation de plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition, le ministère a commencé à nous entendre. Et, à force de combativité, nous avons obtenu quelques aménagements, dont la minoration de 25 % de l’écotaxe sur les routes finistériennes.

Estimant que cela n’était pas suffisant, nous avons décidé de réunir, le 12 janvier 2009, les présidents des organisations de représentation économique en Bretagne. Notre logistique s’est retrouvée dépassée par le succès : étaient présents tout ce que la région compte de présidents d’organisations professionnelles – représentants du monde agricole, de la pêche, des transporteurs, des entreprises de la métallurgie, présidents des chambres de commerce et d’industrie ou de chambres d’agriculture.

Ce jour-là, nous avons pris trois décisions : créer le Collectif des acteurs économiques bretons contre l’écotaxe ; recourir à une liberté publique, le droit de manifester – d’où la manifestation à La Gravelle, là où les routes cessent d’être payantes ; appeler cette taxe du nom du ministre qui nous avait jusqu’alors traités avec indifférence.

Puis, le 4 février, alors que la Bretagne était sous la neige et le verglas, nous avons maintenu avec succès notre manifestation, qui a réuni environ 2 000 chefs d’entreprise, mais aussi des agriculteurs, des salariés, au point de nous valoir les honneurs de la presse étrangère.

Devant la réussite de cette manifestation, Jean-Louis Borloo s’est dit disposé à discuter. Je dois d’ailleurs souligner qu’il a fait alors preuve d’une grande compréhension et d’une réelle capacité d’ouverture et d’écoute. Grâce à nous, il a en effet véritablement découvert certains aspects de la future taxe.

Le 6 mars, nous avons été reçus à Matignon. Il a ainsi été décidé d’« objectiver » l’impact d’une mise en œuvre de l’écotaxe sur l’économie bretonne, sachant que nous restions totalement opposés à une telle initiative. Un cycle de réunions techniques s’est déroulé au ministère de mars à la fin du mois d’avril, avec une dernière réunion de négociations avec le ministre d’État, le 14 mai 2009.

Nous sommes alors convenus des aménagements suivants : 40 % de minoration de l’écotaxe sur les routes bretonnes – et non pas seulement celles du Finistère ; pas d’écotaxe sur les routes dont le trafic était inférieur à 800 poids lourds par jour avant l’entrée en vigueur ; exonération pour la collecte de lait ; minoration pour abonnement.

Notre collectif a validé ces aménagements, ce qui ne signifie pas qu’il acceptait le principe même de l’écotaxe. En effet, dans le contexte de l’époque, ce compromis paraissait constituer une première reconnaissance de la légitimité de notre combat, le temps que les agriculteurs, les pêcheurs, les chefs d’entreprise prennent conscience du caractère préjudiciable du projet pour notre économie. Les jeux étaient donc loin d’être faits, mais, à ce stade, ce qui était à prendre devait être pris !

Cela m’amène à la raison principale qui a motivé les manifestations de l’automne dernier en Bretagne. Elle tient au fait que cette taxe est avant tout un surcoût, via la majoration forfaitaire obligatoire – sous peine de 15 000 euros d’amende –, pour nos activités de production : agriculture, agroalimentaire, industrie, bâtiment, etc. Or nos agriculteurs, nos artisans, nos chefs d’entreprise perçoivent bien à quel point notre économie de production a perdu en compétitivité, à quel point elle a perdu des parts de marché, à quel point elle se meurt.

L’arrivée de l’écotaxe a coïncidé avec la perte de plusieurs centaines d’emplois dans notre industrie agroalimentaire, particulièrement dans le Finistère. N’est-elle pas le reflet de la perte de compétitivité de l’appareil productif national ?

Le rapport Gallois du 5 novembre 2012 contient à cet égard des phrases très fortes : « Toutes les analyses récentes convergent vers un même constat : l’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique au-delà duquel elle est menacée de déstructuration » ; « L’affaiblissement de l’industrie française se traduit par des pertes de parts de marché considérables à l’exportation » ; « Les drames industriels, que la presse évoque tous les jours, émeuvent à juste titre l’opinion publique et lui donnent le sentiment que l’industrie “fout le camp” et, pire, que c’est irrémédiable ». M. Louis Gallois rappelle d’ailleurs que la France a perdu 2 millions d’emplois en trente ans, c’est-à-dire 700 000 tous les dix ans.

Cette perte est d’autant plus accentuée que nous ne pouvons plus procéder aux dévaluations compétitives depuis que la France a décidé de ratifier le Traité de Maastricht portant création de l’euro.

Notre pays a-t-il pris, à l’instar d’autres comme l’Allemagne, les dispositions nécessaires pour rendre ses entreprises compétitives et leur permettre d’aborder dans des conditions satisfaisantes la concurrence liée à la monnaie unique ? La réponse est non. Comme l’écrit Monsieur Gallois, nos coûts de production ont augmenté plus rapidement que ceux de nos concurrents qui vendent avec la même monnaie. Les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises françaises sont de 300 milliards d’euros, contre 200 milliards pour les entreprises allemandes ! C’est une situation intenable dans la mesure où nous sommes en concurrence frontale sur 85 % de nos produits.

C’est pour cette raison que le Président de la République a proposé le Pacte de responsabilité, fondé sur un principe simple, celui d’alléger les charges des entreprises, de réduire les contraintes sur leurs activités. « Pourquoi ce pacte ? », demandait-il. « Parce que le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Oui, je dis bien sa production. Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. » De toute évidence, l’écotaxe est incompatible avec de tels propos empreints de réalisme.

Nos marges sont aujourd’hui de 40 % inférieures à celles des entreprises allemandes. Pour compenser, nos entreprises se sont lourdement endettées : leur taux d’endettement moyen est de 140 %, contre 80 % en Allemagne. En outre, l’excédent commercial allemand est de 190 milliards d’euros, tandis que notre déficit commercial est de 69 milliards d’euros. Nous pourrions continuer à aligner ainsi les statistiques. Et c’est dans un tel contexte qu’il faudrait infliger aux entreprises l’écotaxe et la majoration de prix qu’elle entraîne ?

Nos chefs d’entreprise, nos agriculteurs perçoivent chaque jour que nos lois et règlements ne leur permettent plus de lutter à armes égales : excès d’impôts, de taxes, de cotisations sociales, de contraintes administratives etc. L’écotaxe concentre tous ces travers, jusque dans la comparaison avec l’Allemagne. Avant que nos autoroutes soient privatisées, il existait en effet en France une écotaxe comparable à celle qui est appliquée en Allemagne, puisque le produit des péages payés par les poids lourds était alors affecté à l’AFITF. Faute d’avoir réclamé le versement d’une redevance annuelle à l’Agence, le gouvernement de l’époque a privé cette dernière de ressources pérennes.

Il a ensuite été décidé de créer une taxe sur le réseau infra-autoroutier non concédé. Si elle était mise en œuvre, le linéaire français à péage poids lourds, cumulant péages autoroutiers et écotaxe, aurait une longueur sans précédent et sans équivalent, bien supérieur au réseau taxable allemand.

Entre 1980 et 2013, notre endettement public est passé de 20 % à 93,5 % du PIB
– de 70 milliards à 1 925 milliards d’euros en valeur. Dans le contexte de l’euro, et compte tenu du mandat de la BCE, Banque centrale européenne, notre perte de compétitivité, doublée de déficits structurels excessifs et d’un endettement public abyssal, place la France dans une situation grave et dangereuse. Voilà ce que ressentent pleinement ceux qui se sont mobilisés en Bretagne à l’automne. L’écotaxe est au confluent de ces échecs collectifs, à la fois économiques et sociaux. Comme l’a dit un intervenant au cours d’une audition précédente, « le plus grave, dans l’écotaxe, c’est qu’elle décourage la production en France ».

Les transporteurs français perdent sans cesse des parts de marché sur leurs concurrents. Leur résultat représente au mieux 1 % de leur chiffre d’affaires, contre 5 % pour l’écotaxe. On comprend dès lors le danger qu’elle constitue pour eux. Ils ont l’obligation de la répercuter, sous peine d’une amende de 15 000 euros, ce qui signifie majorer le prix de leur facture de 5,2 % pour tout transport interrégional et de 2,1 à 7 % pour les transports intrarégionaux. Dès lors, le prix de tout transport, qu’il transite ou non par une route soumise à la taxe, sera majoré de 5,2 % en moyenne.

En ce qui concerne la Bretagne, le linéaire routier taxable représente 10 % du réseau national, alors que la région ne réalise que 4,3 % du PIB français. En ce sens, la minoration de 50 % ne fait que ramener la Bretagne dans la moyenne.

Nous avons par ailleurs été très surpris de constater une forte augmentation entre les taux de majoration forfaitaire annexés au projet de loi du printemps 2013 et ceux fixés par le décret de fin juillet 2013. Cette hausse concerne toutes les régions : le taux applicable à la région de Champagne-Ardenne est passé de 3,7 % à 5,1 %, celui de la Basse-Normandie de 3,2 à 4,3 %, et celui des Pays-de-la-Loire de 2,6 à 3,6 %. En moyenne, l’augmentation va de 34 à 38 % ! Alors que le ministère nous avait assuré que les taux avaient été calculés avec justesse, nous ne comprenons pas qu’ils aient pu connaître un tel bond en quelques mois. Il ne s’agit pas ici de contester la demande d’équivalence écotaxe, majoration dont les transporteurs ont besoin, mais la variabilité d’un calcul annoncé d’abord comme juste avant d’être substantiellement modifié par la suite.

Au passage, vous observerez qu’avec un taux de majoration de 3,7 %, la Bretagne est loin d’être la mieux lotie : elle paye même 80 % de plus que la région la moins pénalisée. Son taux de majoration se situe entre ceux des régions Centre et Auvergne : est-ce juste, compte tenu du caractère périphérique de notre région, en l’espèce reconnu par la loi ?

Un autre point capital est le coût que représente l’écotaxe pour notre économie de production. Elle est censée rapporter 800 millions d’euros à l’AFITF et 130 millions aux collectivités locales, soit un total de 930 millions d’euros. Comme cela a été indiqué lors d’auditions précédentes, il est attendu un report de trafic vers les autoroutes à péage estimé par l’État à au moins 300 millions d’euros. Une majoration forfaitaire de 0,3 point – soit 70 milliards d’euros – doit compenser les lourdeurs et les complications administratives qui pèseront sur les transporteurs du fait de l’application de l’écotaxe. Le montant de la rémunération annuelle d’Ecomouv’ est de 240 millions d’euros. Enfin, il convient d’ajouter à tout cela les 130 agents publics qui ont rejoint l’administration des douanes et seront affectés au traitement de l’écotaxe, ainsi que les 170 agents destinés à contrôler les véhicules taxés : ils coûteraient 18 millions d’euros.

Au total, l’écotaxe conduit donc à un surcoût de 1,558 milliard d’euros pour notre économie de production, pour seulement 930 millions de recettes. Cela représente un rendement de l’ordre de 60 %, quand la plupart des impôts français atteignent 97 % ! Dans un contexte de faible compétitivité de nos activités de production, une telle mesure apparaît suicidaire.

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier sur le Pacte de responsabilité, le Président de la République disait ceci : « Ma volonté, c’est une modernisation de la fiscalité sur les sociétés et une diminution du nombre des taxes – qui coûtent d’ailleurs parfois plus cher à être recouvrées que ce qu’elles peuvent rapporter –, avec deux exigences : l’investissement et l’emploi. » J’en déduis que le Président condamnerait lui-même l’écotaxe s’il en connaissait tous les aspects. Cette taxe est d’autant plus mal vécue dans une région périphérique où elle tendrait à dégrader la compétitivité des productions excentrées.

Courant 2013, nous avons présenté le dispositif dans nos quatre départements bretons. Nous l’avons fait de façon objective, descriptive, factuelle. Les agriculteurs, artisans, chefs d’entreprise que nous avons rencontrés étaient dépités par le surcoût de production induit par la taxe, la complexité du système – avec portiques, bornes mobiles et pistolets de contrôle –, la redevance versée par Ecomouv’, le recrutement par ce dernier de 300 personnes pour gérer le dispositif – sans parler des agents publics précédemment évoqués –, le faible rendement de la taxe. Nous assistions ainsi à l’opposition de deux France : l’une qui produit, mais se sent incomprise et menacée ; l’autre capable d’inventer un système menaçant l’emploi, complexe et d’un coût exorbitant.

Nous avons écouté toutes les auditions précédentes. À plusieurs reprises, il a été dit qu’aucun report modal n’était attendu, compte tenu de l’expérience des pays étrangers. Rappelons que la performance économique – et donc sociale – de notre économie repose sur la rapidité, la réactivité, l’absence de stocks. Ainsi, la grande distribution commande le matin pour une livraison le soir. Même Hénaff, fabricant du célèbre pâté, dont la durée de conservation est d’environ neuf mois, doit livrer des points de vente de la grande distribution six fois par semaine ! De même, les usines de l’industrie automobile fonctionnent en flux tendus. Les sièges des Peugeot 508 sont acheminés à Rennes une heure avant d’être installés dans les véhicules en fabrication. Le camion permet cette souplesse, et l’économie profite de sa capacité à livrer à l’adresse souhaitée.

Pourtant, les entreprises bretonnes n’ont pas attendu le projet d’écotaxe pour développer les modes de transport alternatifs à la route. Depuis 15 ans, notamment, les entreprises bretonnes spécialisées dans la nutrition animale – dont le représentant, Xavier Roux, fait partie de notre délégation – acheminent plus de la moitié de leurs besoins extérieurs en céréales par le transport ferroviaire. Les transporteurs routiers, avec quelques chargeurs, ont créé en Bretagne la société Combiwest pour développer le transport ferroviaire des produits de leurs clients. Un intervenant a d’ailleurs rappelé qu’en 1975, le rail représentait 60 % du fret, contre seulement 11 % aujourd’hui – un résultat qu’il attribuait aux défaillances de l’opérateur historique.

Certains vont nous rétorquer que ces camions dégradent les routes et qu’ils doivent payer. Mais le transport routier est un service groupé et mutualisé qui profite à tous, y compris aux consommateurs et aux salariés. Ne détruisons pas cet atout. En outre, une étude d’un célèbre économiste des transports, Rémy Prud’homme, démontre que les entreprises génèrent des coûts d’usure des routes et de pollution bien inférieurs à ce qu’elles paient en impôts spécifiques liés à l’activité de transport. Plutôt donc que de mettre en place une écotaxe qui réduirait une fois de plus les marges des entreprises et empêcherait tout nouvel investissement, y compris dans la logistique alternative à la route, il serait préférable d’améliorer la performance du transport ferroviaire.

D’autres veulent taxer le transit et faire contribuer ces camions étrangers qui ne paieraient rien en France – telle était d’ailleurs la préoccupation à l’origine de l’idée d’écotaxe. Alors que nous avons construit l’Union européenne pour faciliter la circulation des personnes et des biens, une telle stigmatisation de l’étranger peut paraître quelque peu surprenante. Soyons cohérents : lorsque nous avons fait entrer dans l’Europe des pays tels que l’Espagne et le Portugal, nous savions que leurs marchandises circuleraient sur les routes de France.

Faut-il par ailleurs taxer 15 000 kilomètres de routes françaises et accroître nos coûts de production de plus d’un milliard et demi d’euros pour répondre au problème posé par le passage des camions étrangers en Alsace ? Ne vaudrait-il pas mieux imaginer un système de péage dans cette région, victime sans doute plus que d’autres de reports de trafic ?

En ce qui concerne l’environnement, nous avons été sensibles aux propos des professionnels de la construction automobile. La solution, en matière de pollution, nous semble résider dans la norme Euro 6, laquelle conduit les véhicules neufs à polluer 95 fois moins, en termes de particules émises, que ceux des années 1990 – au point que certaines voitures de cette époque polluent plus que des camions respectant la nouvelle norme.

Les professionnels vous l’ont dit : le barème de l’écotaxe n’est pas suffisant pour passer à l’acte, si bien que le renouvellement du parc de véhicules passe par l’adoption de mesures d’accompagnement. Celles-ci pourraient être prises sans que la nouvelle taxe ne soit appliquée.

Les auditions ont par ailleurs révélé à ceux qui en doutaient l’extrême fragilité économique de nos entreprises de transport. Or, contrairement à ce qu’affirment certains, l’écotaxe n’aurait pas un effet neutre selon qu’elle s’appliquerait aux entreprises françaises ou étrangères. En effet, la situation de ces dernières est bien meilleure. Leurs marges sont nettement supérieures. Elles pourront donc facilement neutraliser la majoration forfaitaire en réduisant le prix de base du transport, contrairement à leurs concurrentes françaises. L’écotaxe portera ainsi le coup de grâce au pavillon français, déjà dans une situation critique.

Selon un autre raisonnement largement diffusé, l’augmentation de coût induite par l’écotaxe sur le produit final sera faible, et donc sans conséquence. L’affirmation paraît séduisante mais manque cruellement de réalisme économique. En effet, nos entreprises sont soumises d’une part aux contraintes du pouvoir d’achat des consommateurs et, d’autre part, à une concurrence mondiale forte. Qui peut penser que l’augmentation des coûts de production sera répercutée sans difficulté sur la grande distribution ? Que les acheteurs finaux ou intermédiaires privilégieront un produit français rendu encore plus cher ? Personne. Tout coût supplémentaire, même minime, encourage l’achat de produits concurrents. Le nier, c’est nier tout raisonnement économique.

Concernant le renouvellement des infrastructures et leur financement, il manquerait donc 800 millions d’euros pour l’AFITF. Or la dépense publique a atteint en France un record de 57 % du PIB – 11 % et 220 milliards d’euros de plus qu’en Allemagne –, alors que nous sommes en concurrence frontale avec ce pays qui est à la fois notre premier fournisseur et notre premier client. Ne conviendrait-il pas de réaliser de vraies réformes structurelles pour trouver l’argent nécessaire au financement des infrastructures de transport ?

Nous avons procédé à un calcul très simple, consistant à majorer, pour les entreprises n’ayant pas de véhicule en propre, de 5,2 % leur facture de transport interrégional et de 3,7 % celle de transport intrarégional. Je signale au passage que les producteurs de produits agricoles et agroalimentaires transportés tous les jours vers Rungis vont payer une majoration forfaitaire sur l’intégralité du parcours. Ils cumuleront donc le péage autoroutier et la majoration obligatoire du prix de transport.

Nous avons sollicité une dizaine d’entreprises de l’industrie métallurgique et de l’agroalimentaire, sans effectuer un tri destiné à mettre en évidence les cas les plus extrêmes. Force est de constater que leurs chiffres sont cohérents, convergents et surtout éloquents. En effet, selon les cas, l’écotaxe ou la majoration de prix représente entre 30 et 100 % du montant du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – qui leur est attribué. Ainsi, la mesure majeure de reconquête de la compétitivité de notre industrie serait amputée en moyenne de 50 % de ses effets. C’est un paradoxe, alors que le rapport Gallois, qui a inspiré la création du CICE, portait justement sur l’industrie.

L’écotaxe est véritablement un condensé de ce qu’il ne faut pas faire : renoncer à des recettes récurrentes en privatisant les autoroutes ; accroître, pour obtenir de faibles gains, les coûts de production d’un appareil productif déjà très dégradé ; créer une taxe au profit d’infrastructures que l’on est désormais incapable de financer – malgré les 1 150 milliards d’euros de dépenses publiques ; créer un système d’une complexité inouïe, requérant 300 agents publics dédiés pour un rendement de seulement 60 %.

L’un d’entre vous, lors d’une audition, a d’ailleurs prononcé les mots suivants : « Plus je vous entends, plus je me demande dans quels draps nous nous sommes mis. J’ai un peu honte d’avoir voté la taxe ».

Avant d’être une mesure environnementale, l’écotaxe est une mesure récessive : elle augmente les coûts de production de plus de 1,5 milliard d’euros. Notre nouvelle ministre de l’environnement l’a quant à elle qualifiée, il y a seulement quelques jours, de « punitive ». Nous nous demandons combien d’emplois elle nous fera perdre …

Par écotaxe, il ne faut donc pas entendre « taxe pour l’écologie », mais bien « taxe contre l’économie ».

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. En vous écoutant, ce que j’ai fait avec beaucoup d’intérêt, je me suis demandé si vous exprimiez la position des transporteurs routiers, celle des chargeurs, ou celle du secteur agroalimentaire, voire celle des consommateurs. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour le faire, mais, si l’on devait reprendre votre argumentaire point par point, on pourrait certes tomber d’accord sur certains aspects, mais aussi montrer en quoi certaines de vos analyses ne sont pas nécessairement justes. En tout état de cause, je suis un peu surpris par le contenu de votre intervention car, pour l’essentiel, elle relevait du discours politique, comparable à celui qu’un élu aurait pu tenir.

Mme Isabelle Le Callennec. Je n’ai pas la même lecture que notre président des propos que nous venons d’entendre, et dont la conclusion pourrait être : CQFD. M. Chéritel nous a présenté dans le détail les arguments du collectif, appuyés par des chiffres. J’apprécie de le voir proposer des pistes alternatives, et je constate qu’il a suivi attentivement les travaux de notre mission d’information, ce qui lui permet de répondre point par point aux arguments présentés lors des réunions précédentes.

Vous avez bien montré, Monsieur Chéritel, le drame que représenterait pour la Bretagne la mise en œuvre de l’écotaxe. En préambule, le président a affirmé que le prélèvement, dans cette région, serait de 42 millions d’euros. Que pensez-vous de ce chiffre ? Pour ma part, j’ai le sentiment qu’il reste sous-évalué.

En ce qui concerne le report modal, et malgré les initiatives de Combiwest, vous avez insisté sur la nécessité d’améliorer la performance du fret ferroviaire, dont la place s’est réduite dans notre pays. Je ne suis pas certaine que l’écotaxe soit en mesure de changer la situation.

Vous avez aussi rappelé les raisons de la création de votre collectif, dont je suis les activités depuis le début. Vous avez d’abord accepté de travailler sur des aménagements au dispositif, mais aujourd’hui, vous réclamez l’abrogation pure et simple de l’écotaxe. Je peux le comprendre, mais le Pacte d’avenir pour la Bretagne, présenté par le préfet de la région, ne contient-il pas des éléments qui pourraient vous satisfaire ?

Monsieur le président, nous avons appris que vous aviez organisé des rencontres non publiques pendant la suspension des travaux de notre assemblée, recevant notamment le président du conseil régional de Bretagne, M. Massiot, et le vice-président chargé des transports, M. Lahellec. Nous aurions aimé les entendre également. Que pensez-vous des propositions formulées par le président de la région ? Figureront-elles dans le rapport de la mission d’information ? Pourrons-nous entendre la nouvelle ministre de l’environnement et, le cas échéant, le ministre délégué ou le secrétaire d’État chargé des transports dont la nomination pourrait être annoncée cet après-midi même ?

M. François André. Selon vous, monsieur Chéritel, l’objectivation des effets de l’écotaxe sur l’économie bretonne a conduit à appliquer un abattement spécifique au bénéfice de la région, fixé d’abord à 40 %, puis porté à 50 % après une discussion avec un certain nombre de parlementaires de la majorité. Or, s’agissant de l’écotaxe, on cite souvent des chiffres globaux. Sauf erreur de ma part, il n’existe pas de simulation permettant d’en apprécier les effets par branche, voire par type de production. Les chiffres que vous avez mentionnés – entre 30 et 100 % du CICE – ne concernent qu’un échantillon d’entreprises. Ils ne manquent d’ailleurs pas de surprendre, même si je ne les conteste pas. Le CICE représente 20 milliards d’euros en année pleine, l’écotaxe seulement un milliard : les proportions ne sont donc pas du tout les mêmes. Quoi qu’il en soit, disposez-vous d’études permettant de mesurer l’effet de la taxe sur les coûts par type de production ?

Par ailleurs, le président du conseil régional M. Pierrick Massiot a en effet formulé des propositions alternatives à l’écotaxe pour financer les infrastructures régionales de transport – comme la majoration de certaines taxes pétrolières. Quelle est la position du Collectif à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Gorges. À l’instar de notre président, j’ai été surpris par votre intervention. Pour une fois, nous étions parvenus à nous mettre d’accord sur la création d’une taxe destinée à financer les infrastructures. Et il faudrait l’appliquer différemment dans une partie de la France ?

J’ai moi-même des origines bretonnes, que j’assume. Mais, avant d’être breton, je suis député de la Nation. J’observe au passage que la région est en effet dans une situation anormale : elle a bénéficié d’infrastructures que d’autres n’ont pas. Mon département est loin de disposer d’équipements comparables, et risque de ne rien obtenir, faute d’argent.

Le principe de l’écotaxe, c’est que c’est l’utilisateur qui paie, ce qui devrait la norme. Je pense d’ailleurs que la gauche a eu du mal à l’accepter, même si l’initiative tend à transcender les clivages politiques.

La solution technique n’est peut-être pas adaptée, et il reste sûrement des choses à améliorer. Mais il est nécessaire de trouver le moyen de financer les infrastructures afin de permettre à notre pays de poursuivre son développement. Et je ne crois pas souhaitable qu’une région puisse à elle seule remettre tout le système en question, sous peine de graves conséquences. Après la Bretagne, d’autres régions pourraient réclamer un traitement exceptionnel.

Dans ma ville, j’ai fait construire un parc de stationnement. Mais les commerçants, qui le réclamaient, se plaignent parce qu’il est payant. Or il a coûté 30 millions d’euros ! Qui doit payer ? Ni les communes, ni le département, ni la région ne peuvent financer de tels équipements. Il me paraît donc normal que les utilisateurs le fassent. À cet égard, le principe de l’écotaxe relève de la justice sociale.

Certes, l’économie doit fonctionner. Mais en définitive, il faut bien quelqu’un pour financer ces routes. Quelqu’un sera privé d’une partie de son pouvoir d’achat pour cette raison. L’économie ne peut pas être vue par ce que j’appelle « le petit bout de la lorgnette ».

L’agglomération que je préside est traversée par une nationale empruntée par de nombreux poids lourds. Régulièrement, il y a de la casse. Et qui paye ?

Je m’étonne de vos propos. On ne peut accepter qu’une région refuse d’apporter sa contribution, faute de quoi elle devrait fonctionner de manière autarcique et renoncer à tout ce que lui apporte le reste du pays. Cela étant, je veux bien reconnaître que le système n’a pas été très bien conçu et que l’on aurait pu faire des choix très différents.

De toute façon, à terme, les outils tels que l’écotaxe devraient conduire les régions – et particulièrement la Bretagne – à organiser différemment l’économie. Quand la distance entre le producteur et le consommateur est excessive, il faut se poser des questions, organiser les choses autrement. Une fiscalité intelligente peut avoir cet effet. Beaucoup de marchandises, en effet, n’ont rien à faire sur les routes.

Pour toutes ces raisons, je n’entends pas bien votre discours.

M. Gilles Lurton. Pour ma part, je souscris aux propos de Mme Le Callennec. Et je ne crois pas que la Bretagne cherche à imposer sa position au reste de la France. Certes, cette région a exprimé très fortement ses revendications, mais elle a été suivie dans une bonne partie du pays.

L’écotaxe a été instituée en 2008 et appliquée en 2013. Or, en cinq ans, la situation économique s’est fortement dégradée. Le rapport Gallois, qui a été cité, le montre bien : la création d’une nouvelle taxe, en augmentant la charge des entreprises – et notamment des entreprises de transport –, risque de compromettre gravement leur santé.

En évoquant une remise à plat de l’écotaxe et en affirmant que l’écologie ne devait pas avoir un caractère punitif, la nouvelle ministre semble appuyer les propos tenus par les représentants du Collectif des entrepreneurs bretons. « On ne doit pas taxer des gens qui n’ont pas la possibilité de choisir des transports propres », dit-elle. Il me semble que c’est précisément le cas de la Bretagne.

Enfin, monsieur le président, comme ma collègue, j’aimerais prendre connaissance du compte rendu de l’audition du président du conseil régional de Bretagne. Je crois d’ailleurs savoir qu’il s’est lui-même prononcé contre l’écotaxe et a proposé des solutions alternatives.

M. Éric Straumann. Il est vrai que l’idée de cette taxe est née vers 2004 en Alsace, car la mise en place de la LKW Maut en Allemagne a entraîné un report de trafic très important sur le fossé rhénan. C’est pourquoi les déclarations de la ministre de l’écologie nous laissent dubitatifs, la perspective d’abandonner cette taxe étant très mal perçue dans la région. La solution du péage physique que vous suggérez me semble compliquée à mettre en place. Pour répondre à un problème particulièrement aigu au niveau local, il serait préférable d’en revenir à la proposition lancée il y a une dizaine d’années : étendre vers l’Alsace le système allemand et reverser aux collectivités locales alsaciennes la redevance ainsi collectée.

M. Marc Le Fur. Comme mes collègues, monsieur le président, j’ai du mal à comprendre que vous ayez pu aborder avec le président de la région Bretagne le sujet qui nous intéresse tous sans que cette rencontre ne soit publique. Il convient d’en finir avec l’ambiguïté et de le recevoir collectivement afin de connaître le point de vue de la majorité régionale.

Quant aux propos de M. Chéritel, je les ai trouvés remarquables. Nous aurions d’ailleurs dû l’auditionner bien plus tôt. Comme vous, monsieur le président, notre collègue André, partisan reconnu de l’écotaxe, affirme que ses propos contiennent des éléments erronés. Mais quels sont-ils ? Tout me semble parfaitement précis et argumenté !

L’intérêt de l’intervention du président Chéritel est d’avoir posé les problèmes sous l’angle économique, en s’intéressant aux effets de l’écotaxe à l’échelle nationale, et non pas seulement à la situation spécifique de la Bretagne.

Monsieur André juge non pertinente la comparaison entre l’écotaxe et le CICE en raison du décalage entre les ordres de grandeur. C’est oublier que, sur les 20 milliards d’euros du CICE, un milliard va aux banques et aux assurances, qui ne sont pas concernées par l’écotaxe, et 2,5 milliards d’euros à la grande distribution – je sais que la majorité n’aime pas m’entendre répéter ce chiffre –, qui n’est concernée que marginalement. En outre, le secteur agroalimentaire, principale filière concernée par l’écotaxe, ne se voit attribuer que 700 millions d’euros, d’autant que les coopératives, en dépit de nos efforts, ne bénéficient toujours pas du CICE, alors qu’elles ont perdu l’équivalent de 4 % de leur masse salariale l’an dernier et de 6 % cette année, et qu’elles vont être directement frappées par l’écotaxe. Les sommes prises d’un côté et soi-disant données de l’autre sont donc comparables.

Par ailleurs, on fait constamment à la Bretagne le même procès, en affirmant que la région aurait été gâtée, que la construction de son réseau routier a été aidée par le reste de la Nation. Je regrette, monsieur le président, que vous ayez d’emblée présenté les choses sous cet angle. En effet, la forte densité de la région – plus de 100 habitants au kilomètre carré, soit bien plus que l’Indre – justifie l’aménagement de ces routes. Et s’il est vrai que la Nation, il y a longtemps – à l’époque du général de Gaulle et du président Georges Pompidou –, a consenti un effort en faveur de leur financement, ces routes sont aujourd’hui payées pour moitié par le contribuable breton depuis l’invention des contrats de plan, soit depuis les années 1980.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur Le Fur, je n’ai jamais évoqué ce point. Je vous prie donc de vous abstenir d’évoquer l’Indre, même si je suis attaché à ce département.

M. Jean-Pierre Gorges. Vous avez confondu avec mon intervention.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, pardonnez-moi.

En tout état de cause, ces routes sont déjà globalement payées par les Bretons. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait les faire payer une deuxième fois, fût-ce au nom du principe pollueur-payeur. Celui-ci ne peut s’appliquer qu’à des ouvrages nouveaux, pas aux routes existantes ! Quant à l’entretien, il n’exige pas des sommes aussi élevées que celles qui ont été évoquées.

Le vrai problème est que notre économie est dans une situation hautement concurrentielle. Le transport de biens physiques, en particulier, est dans une situation délicate par rapport à d’autres secteurs économiques plus abstraits comme la banque ou l’assurance. Or c’est sur cette économie très concrète que l’on veut faire peser l’écotaxe. Et, au-delà de l’économie, c’est l’emploi qui est menacé, non seulement pour cette région particulièrement atteinte, mais aussi dans toutes les autres.

M. Philippe Duron. Dans le cadre de la commission « Mobilité 21 », nous avons auditionné l’ensemble des grandes organisations patronales : le MEDEF, la Fédération nationale des travaux publics, etc. Toutes ont souligné à quel point notre pays avait besoin d’infrastructures afin d’améliorer et de renforcer sa compétitivité économique. Nous avons également reçu les élus bretons de toutes les sensibilités. Ils ont rappelé que la région n’avait pas achevé son équipement : prolongation de la ligne à grande vitesse jusqu’à Brest, nouvelles lignes ferroviaires, infrastructures routières renforcées, etc. Ils ont appelé à ce que la Nation fasse les efforts nécessaires pour compenser les effets du caractère périphérique de la Bretagne.

C’est pourquoi vos propos suscitent mon inquiétude. Certes, nous rencontrons des problèmes économiques que vous avez eu raison de souligner. Et il est vrai que le poids de la fiscalité est important : le Premier ministre l’a d’ailleurs admis lors de son discours d’investiture. Mais nous connaissons aussi un problème de répartition de l’effort demandé entre le contribuable et l’usager. Or nos besoins en équipements ne pourront être satisfaits que si nous parvenons à trouver un bon équilibre entre ces deux catégories.

Pensez-vous, Messieurs, qu’il sera durablement possible que la Bretagne s’exonère d’une participation équitable – je souligne le mot, car je suis conscient de sa situation périphérique – au financement de ses infrastructures ? Peut-il y avoir, dans le cadre de la République, une exception bretonne dans ce domaine ? C’est une question importante, même si on peut reconnaître la nécessité d’adapter le dispositif de l’écotaxe.

M. Joël Chéritel. La délégation ici présente n’a pas vocation à défendre l’une ou l’autre catégorie d’acteurs économiques ; elle représente l’ensemble des activités qui existent en Bretagne comme sans doute dans toutes les régions de France. Nous sommes seulement venus rappeler la nécessité d’évaluer les effets sur l’économie de cet impôt nouveau.

Depuis le début, nous sommes opposés à l’écotaxe. Si, dans un premier temps, nous avons accepté certains aménagements, c’est parce que nos interlocuteurs au gouvernement nous ont clairement fait comprendre que l’abandon de ce projet n’était pas une option. Nous avons dû rechercher des compromis, mais notre position a toujours été de considérer l’écotaxe comme une taxe de trop, proposée au pire moment. C’était déjà vrai dès 2009, et la suite l’a confirmé. Un ministre n’a-t-il pas lui-même parlé de « ras-le-bol fiscal » ?

M. André est étonné d’entendre que 30 à 50 % du bénéfice du CICE pourrait être annulé par l’application de l’écotaxe. Cette estimation est le fruit de calculs effectués au sein des entreprises elles-mêmes. Il n’existe pas d’étude macroéconomique permettant d’évaluer, dans une région et par branche d’activité, l’impact de la taxe au regard du CICE. Mais lorsque nous avons demandé aux entrepreneurs de calculer l’effet d’une majoration de leurs frais de transport, et de le comparer avec le bénéfice attendu du CICE, certains, devant les résultats obtenus, nous ont fait part de leur incrédulité : ils ne pouvaient croire qu’on leur réclamerait une telle somme. C’est pourtant une réalité.

Le président de l’AFITF a rappelé le souci du MEDEF de voir la France se doter de nouvelles infrastructures, ce que je veux bien croire. Mais je doute qu’il en ait conclu à la nécessité de créer une écotaxe pour les financer !

M. Philippe Duron. À l’époque, Pierre Gattaz n’était pas encore élu à la présidence du MEDEF, mais telle était bien la logique défendue par votre organisation.

M. Joël Chéritel. Pour en avoir parlé récemment avec Pierre Gattaz, je peux vous assurer qu’il ne croit pas du tout à la nécessité d’instituer cette taxe pour financer les infrastructures !

M. Philippe Duron. Cela signifie que la position de l’organisation a changé.

M. Joël Chéritel. D’ailleurs, quelles infrastructures serait-on capable de financer grâce aux 800 millions d’euros attendus de l’écotaxe ? L’AFITF ne finance en effet qu’une petite partie des besoins, le reste étant apporté par les collectivités locales ou par l’État.

Un grand quotidien national a publié la carte des projets qui ne seraient pas réalisés faute d’appliquer l’écotaxe. Mais pensez-vous que le projet de téléphérique destiné à relier Recouvrance à la rue de Siam soit vraiment utile à l’économie brestoise ? Pour ma part, j’en doute. De toute façon, si les Brestois pensent le contraire, et s’il ne manque que 10 % pour boucler le financement, ils sauront où bien trouver l’argent. Il faut donc relativiser les conséquences du manque à gagner résultant de l’abandon de cette taxe, surtout lorsque l’on considère la faiblesse de son rendement.

M. Frédéric Duval, délégué général du MEDEF-Bretagne. Nous souhaitons apporter le témoignage des « vrais gens », c’est-à-dire de personnes en prise directe avec l’économie, confrontées aux aléas de l’économie de marché et à la dureté de la concurrence au sein de la zone euro.

Cette concurrence est d’autant plus rude qu’elle est inéquitable pour nos entreprises : les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elles atteignent 300 milliards d’euros, contre 200 milliards pour les entreprises allemandes. Le CICE permet de compenser partiellement cet écart, mais ne faisons pas machine arrière !

Monsieur André, vous n’avez pas bien compris notre affirmation selon laquelle, en moyenne, 50 % du bénéfice du CICE est annulé par l’effet de l’écotaxe. Mais comme vous le savez, l’industrie représente 12 % du PIB, et l’agriculture 3 %. Seuls 15 % du bénéfice du CICE est donc affecté à l’économie de production, soit environ 3 milliards d’euros, ce qui est environ le double du surcoût que représente pour l’économie l’application de l’écotaxe. Les chiffres macroéconomiques et microéconomiques semblent donc converger.

Il est vrai que la Bretagne est en première ligne sur ce dossier. Pour autant, elle ne plaide pas pour elle-même, mais pour la production française tout entière. Nous considérons que le travail d’expertise sur l’écotaxe a été insuffisamment réalisé dans les autres régions. Les industriels ont-ils vraiment conscience du fait que leurs factures de transport seront majorées de 5,2 %, voire de 6,9 % pour le fret intrarégional ?

J’en viens au financement des infrastructures. Les gens qui se battent tous les jours pour créer de la valeur et maintenir l’emploi ne comprennent pas que la réponse à tout problème de financement public soit la création d’une taxe. Nous connaissons un niveau record de dépenses publiques : 57 % du PIB, soit 1 150 milliards d’euros, 220 milliards de plus qu’en Allemagne. N’est-il pas possible de réaliser 800 millions d’euros d’économies pour financer les routes ?

Monsieur Gorges, j’ai lu, dans le compte rendu d’une audition, qu’une route de votre circonscription et les canalisations qu’elle recouvre étaient régulièrement abîmées par le passage des poids lourds, et que l’on vous avait promis le concours de l’État pour financer de nouvelles infrastructures dans le cas où l’écotaxe permettrait d’abonder le budget de l’AFITF. On peut donc comprendre que vous soyez préoccupé par la suspension du projet.

Mais nous tenons un discours économique d’intérêt général. Dans la ligne du rapport Gallois, nous estimons que, si la chute de la production française se poursuit, notre modèle social s’effondrera. En outre, l’existence de l’euro rend nécessaire une convergence des prélèvements obligatoires, et donc des dépenses publiques. Faute de réaliser des réformes structurelles fondamentales, notre économie va continuer de diverger par rapport à celle de nos voisins, comme c’est le cas depuis l’introduction de l’euro.

L’été dernier, j’ai été amené à présenter le projet de l’écotaxe à des responsables d’entreprises. Ils ont été sidérés par sa complexité. Et encore, nous n’avions pas connaissance du rôle joué par les 300 agents publics, que, comme vous, nous avons découvert à la faveur de l’audition de la directrice générale des douanes.

Il existe un véritable fossé culturel au sein de la société française qui ne doit pas nous laisser indifférents. C’est pourquoi nous sommes venus porter une parole d’intérêt général – et pas seulement d’intérêt régional – en demandant l’abrogation de l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je ne veux pas me lancer dans une bataille de chiffres, mais les douanes n’ont recruté que 132 salariés.

M. Frédéric Duval. Il faut y ajouter les 170 agents chargés des contrôles.

M. Jean-Pierre Gorges. Lorsque je siège à l’Assemblée nationale, je ne raisonne jamais en termes locaux. Je suis député-maire, mais je sais faire la différence entre ces deux fonctions. Mais il est vrai que l’exemple que j’ai cité lors d’une précédente réunion est intéressant.

M. Chéritel laisse entendre que 800 millions d’euros ne sont qu’une goutte d’eau dans le budget de l’État. Mais un pays connaissant un déficit structurel de 80 milliards d’euros et une dette de 2 000 milliards ne peut plus investir un euro, puisqu’il ne parvient pas à financer son fonctionnement. Dans ces conditions, 800 millions d’euros représentent une somme énorme si elle est affectée.

La subvention d’équilibre accordée par l’État permet de financer la moitié du coût d’une autoroute. Le reste est apporté par les collectivités locales : départements, régions, agglomérations. Mais en définitive, qui va payer ? Les entreprises, via leur cotisation foncière. En tant que responsable d’agglomération, je ne dispose d’aucun autre outil. Si bien que ce que vous vous refusez à payer d’un côté, d’une façon ou d’une autre, on vous le prendra de l’autre. L’économie est un jeu à somme nulle. Or, aujourd’hui, les entreprises qui ne sont pas implantées sur notre territoire peuvent bénéficier des infrastructures françaises sans participer à leur financement.

Si l’écotaxe est nuisible à l’économie, comment comprendre qu’un pays comme l’Allemagne, qui a aujourd’hui la meilleure économie d’Europe, l’ait instituée depuis si longtemps – comme d’ailleurs l’Autriche et d’autres pays dont l’économie fonctionne de façon tout à fait satisfaisante ? C’est une question de juste équilibre. Certes, il faut trouver des solutions pour soutenir l’économie bretonne, mais pas en s’en prenant à cet outil. Les chiffres vont contre vous : ce que vous ne payez pas aujourd’hui, un autre impôt vous le prendra. La France n’étant plus en mesure de financer ses équipements, le principe utilisateur-payeur paraît le meilleur moyen de lui permettre de poursuivre son développement.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je tiens à le rappeler : le projet dont nous parlons n’est pas une taxe, mais un droit d’usage de la route. À cet égard, la dénomination retenue est mauvaise : nous proposerons de ne plus parler d’écotaxe, mais d’éco-redevance poids lourds.

En outre, sur les 1,2 milliard d’euros que rapportera l’écotaxe, on estime à 350 millions d’euros la part qui sera payée par les transporteurs étrangers.

Par ailleurs, on a l’impression, à vous entendre, que le coût de l’éco-redevance poids lourds serait supporté soit par le transporteur, soit par le chargeur. Je considère que c’est une erreur d’interprétation. En réalité, nous le savons bien, c’est le consommateur qui paiera.

Cela étant, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Vous avez voulu faire porter cet échange sur des problèmes dépassant le seul cas de la Bretagne, car votre argumentation se veut valable pour l’ensemble du territoire national. C’est un choix que je respecte, mais il fallait le souligner.

M. Frédéric Duval. Permettez-moi de vous répondre sur un point. Vous affirmez qu’en dernier ressort, c’est le consommateur qui paiera. Ce serait vrai si nos entreprises n’étaient pas en concurrence avec les entreprises étrangères. Mais nous ne sommes pas dans un système fermé. Les agriculteurs le disent : si l’écotaxe est appliquée, nous perdrons des parts de marché, car les entreprises étrangères disposent de meilleures marges et seront en mesure d’assumer le surcoût.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. C’est votre analyse, et je la respecte. Mais cette concurrence existe déjà.

En tout état de cause, les propositions qui seront présentées dans le rapport de la mission d’information prendront en compte certaines des analyses exprimées au cours des auditions.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Cade, président de Coop de France Nutrition animale, de Mme Rachel Blumel, directrice du département « chaîne alimentaire durable » de Coop de France
et de M. Yves-Marie Laurent, directeur général
de Vivescia Transport/Agriliance

(Séance du jeudi 10 avril 2014)

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Mesdames et messieurs, avant de procéder à nos auditions, je passe la parole à Marc Le Fur, qui souhaite faire un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Je souhaiterais en effet que notre mission d’information auditionne Mme Royal, désormais en charge de l’écologie au Gouvernement. Cela me paraît d’autant plus indispensable que M. Cuvillier, fervent défenseur de l’écotaxe, vient d’être reconduit à la tête du secrétariat d’État aux transports. Il faut clarifier les choses.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous accueillons, ce matin, les représentants de Coop de France, une organisation qui rassemble de nombreuses fédérations d’entreprises du secteur coopératif. Coop de France représente de grand groupes, souvent exportateurs, mais aussi de plus petites entités, qui n’en sont pas moins dynamiques. Il convient de rappeler que les coopératives et leurs filiales assurent, à elles seules, près de 40 % des activités agroalimentaires françaises.

Vos activités intéressent particulièrement notre mission : elles relèvent tout à la fois des mondes de la production, de la transformation, de la logistique et de la distribution. Les entreprises qui sont vos adhérentes ont pour caractéristique d’être fortement utilisatrices du transport routier, souvent en compte propre mais aussi en compte d’autrui.

Les questions tenant à la répercussion sur les chargeurs et de la majoration forfaitaire semblent les plus sensibles. Vous allez donc nous expliquer en quoi leurs modalités impacteraient trop fortement vos activités, voire vos résultats. Disposez-vous d’évaluations précises sur ces points ? Je rappelle que, dans l’esprit de ceux qui ont conçu ces dispositifs, prévalait la recherche de leur plus grande neutralité possible.

Il nous importe également de connaître votre appréciation sur le fonctionnement d’Ecomouv’, donc sur les relations de vos membres avec cet opérateur et aussi avec les sociétés habilitées au télépéage (SHT), notre mission d’information ayant conscience de l’importance du rôle de ces sociétés commerciales dans les procédures de perception de l’écotaxe pour les redevables abonnés. Plus généralement, votre organisation a tenu à souligner, dans ses communiqués, ce qu’elle appelle, je cite, « les effets pervers » de l’écotaxe, s’agissant notamment des modalités de sa perception.

Nous allons vous écouter avec attention sur ces points, en souhaitant que vous nous donniez des exemples précis sur ce qui constituerait, selon vous, ces « effets pervers ».

M. Jean-Luc Cade, président de Coop de France Nutrition animale. Quatre chiffres me permettront de présenter Coop de France : 2 850 coopératives, 83 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 40 % de l’agroalimentaire national et 160 000 emplois.

Les coopératives ont pour spécificité d’être implantées en zone rurale et sont, dans certaines zones – la montagne, notamment – les seuls acteurs économiques agricoles. Elles utilisent de ce fait principalement le réseau routier secondaire, les alternatives modales étant extrêmement limitées.

La coopération agricole a pour fonction vitale d’assurer l’activité de ses adhérents sur deux points essentiels : d’une part la collecte – grains, fruits, légumes, lait ou animaux –, d’autre part l’approvisionnement nécessaire au développement de l’activité – engrais ou aliments pour le bétail, par exemple.

L’essentiel de nos transports se réalise sur courtes distances, une même filière s’organisant souvent autour d’une multiplicité de petits trajets consécutifs.

Le contexte économique dans lequel se développent les coopératives s’est considérablement dégradé depuis 2008. Je renvoie ici au rapport Gallois, qui indique que l’industrie française a atteint un seuil critique. Nous perdons des parts de marché non seulement à l’exportation mais également sur le marché intérieur.

On sait toutes les difficultés qu’engendre cette perte de compétitivité structurelle, notamment en termes d’emploi. Ces difficultés ne pourraient qu’être aggravées par l’écotaxe, dont le coût pour l’industrie et l’agriculture françaises est estimé à 1,2 milliard d’euros, ce qui représenterait, d’après nos études, une augmentation de charges pour les coopératives comprise entre 30 et 50 % de leur résultat net. Cela aurait pour conséquence immédiate de limiter leur capacité d’investissement et leur effort d’innovation. Il y a donc un risque majeur de décrochage de nos productions nationales par rapport aux produits importés.

Nous nous sommes donc opposés à l’écotaxe, considérant non seulement qu’elle augmenterait considérablement nos charges mais qu’il s’agit également d’un système punitif, coercitif et nullement incitatif, raison pour laquelle nous sommes défavorables à un aménagement du dispositif actuel. Aucune piste en ce sens n’est d’ailleurs parvenue à faire consensus. Nous restons néanmoins ouverts à toute réflexion sur l’amélioration des infrastructures dédiées, qui permettrait de renforcer la compétitivité de nos filières.

M Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Selon les secteurs d’activité, l’impact de l’écotaxe est apprécié tantôt par rapport au prix, tantôt par rapport à la masse salariale, tantôt par rapport au résultat net des entreprises, ce qui complique notre analyse et rend les comparaisons difficiles. Cela tient sans doute au fait qu’il n’y a pas eu de véritable étude d’impact.

Vous dites être défavorables à des aménagements de l’écotaxe. S’agit-il d’une position ferme et définitive ?

M. Jean-Luc Cade. Si nous sommes opposés à l’écotaxe au moins dans sa version actuelle, c’est que nous refusons d’avoir à supporter de nouveaux coûts, impossibles à répercuter. En revanche, nous sommes prêts à envisager toutes les pistes qui permettraient de répondre correctement aux enjeux environnementaux et aux problèmes relatifs aux infrastructures sans compromettre notre compétitivité, voire en l’améliorant.

Mme Rachel Blumel, directrice du département « chaîne alimentaire durable » de Coop de France. Si nous raisonnons en termes de résultat net, c’est que nous travaillons sur des produits à faible valeur ajoutée, pour lesquels l’impact en termes de coût est énorme par rapport à d’autres produits.

Je tiens par ailleurs à préciser que, compte tenu de nos relations avec les distributeurs, en aval de la filière, il est impensable pour nos adhérents de songer à répercuter le montant de l’écotaxe, qui pèsera donc sur un secteur déjà fragilisé et dont la rentabilité est très faible – entre 0,5 et 1,5 %.

Pour ce qui concerne les aménagements possibles du dispositif actuel, nous avons participé en janvier dernier à un groupe de travail interministériel, dont aucune des propositions n’a répondu à nos attentes. Confrontés à une modification en profondeur des flux logistiques de produits alimentaires, nous avons besoin d’une réflexion globale sur les infrastructures, à l’échelle nationale.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La mise en place de l’écotaxe doit s’accompagner de deux mécanismes de répercussion des coûts : une majoration forfaitaire – inscrite dans la loi de 2013 – pour les transports pour compte d’autrui ; la possibilité de figurer en bas de facture le montant de l’écotaxe pour les transports en compte propre. Cela répond-il à vos préoccupations ?

Mme Rachel Blumel. Malheureusement non. La majoration forfaitaire du coût de transport est au contraire le plus gros problème de ce dispositif, puisque son calcul est déconnecté de la collecte de la taxe sur les 15 000 kilomètres du réseau soumis à l’écotaxe. Nous avons évalué à 1 % en moyenne la marge supplémentaire qui en résulterait pour les transporteurs. La répercussion au réel quant à elle, si elle n’est pas parfaite, nous semble un mécanisme moins injuste. Nous sommes bien conscients de la vulnérabilité des transporteurs car grands utilisateurs des petites sociétés de transport, nous souhaitons leur maintien sous pavillon français, mais le système de majoration nous pose problème.

Pour ce qui concerne les transports en compte propre, je rappelle qu’une mention en pied de facture – purement informative – ne garantit pas juridiquement une répercussion de la taxe. Par ailleurs, les tensions avec la distribution sont telles et les conditions de négociations commerciales à ce point déséquilibrées que, même dans le cas d’une hausse de la TVA, qui est pourtant une ligne de facture, celle-ci n’est pas toujours répercutée. Cette mention ne répond donc pas à nos attentes. Elle n’empêchera pas les filières de devoir absorber le surcoût avant la fixation du prix de vente au consommateur.

M. Marc Le Fur. Aux difficultés liées à l’écotaxe s’ajoute pour les coopératives le fait qu’elles sont exclues du bénéfice du CICE, ce qui représente pour elles, en termes de masse salariale, un manque à gagner par rapport à leurs concurrents du secteur marchand privé, manque à gagner estimé à 4 % pour l’an dernier et à 6 % pour cette année. C’est d’autant plus paradoxal que la majorité a fait part de sa volonté de soutenir l’économie sociale et solidaire.

Cela étant, je souhaiterais que vous fournissiez à notre mission d’information des exemples précis et concrets des incidences de l’écotaxe sur les flux de transport.

Mme Rachel Blumel. Nous avons effectué deux enquêtes, réalisées à partir de 131 coopératives. Ces enquêtes sont destinées à mesurer les impacts réels de l’écotaxe. Elles figurent dans le dossier que nous vous avons distribué. La première nous permet d’affirmer que 74 % des transports de la coopération s’effectuent sur une distance inférieure à 200 kilomètres. Elle révèle également que 17 % des coopératives utilisent le report modal, pour transporter en moyenne 23 % de leur volume de marchandise. La seconde a pour objet de démontrer la complexité de nos schémas logistiques, qui induit une complexité toute aussi grande des effets pervers de l’écotaxe.

M. Yves-Marie Laurent, directeur général de Vivescia Transport/AgrilianceLe document intitulé « L’impact de l’écotaxe à l’échelle des coopératives agricoles et agroalimentaires » présente dans un premier temps la complexité des flux dans nos différentes filières. Que ce soit dans la filière végétale, la filière laitière, la filière bétail et viande ou la filière animale, nos schémas logistiques nécessitent, de l’exploitation agricole – champ ou élevage – jusqu’à l’usine de transformation, de nombreuses ruptures de charge et beaucoup de transports intermédiaires réalisés sur de très courtes distances – inférieures à 150 kilomètres –, ce qui interdit le report modal, d’une part parce que les infrastructures sont inexistantes, d’autre part parce que le report modal n’est pas rentable sur de très courtes distances.

Le schéma consacré à la filière animale montre ainsi la multiplicité des transports intermédiaires qui s’effectuent depuis le reproducteur et l’élevage jusqu’aux clients, en passant par les étapes de transformation successives – abattage, découpe, viande fraîche et produits élaborés. En amont et en aval, s’ajoutent tous les transports complémentaires liés à l’approvisionnement en produits d’élevage – amendements, engrais, produits phytosanitaires – et de conditionnement. Sur l’ensemble de ces flux, trois seulement peuvent faire l’objet d’un report modal.

L’étude nous a également permis de mettre en lumière six cas concrets qui illustrent les effets pervers de l’écotaxe.

Le cas n° 1 illustre la distorsion entre le coût réel de l’écotaxe supportée par le transporteur et la majoration forfaitaire : une coopérative du sud de la France livrant ses fruits et légumes à Paris acquittera une majoration forfaitaire d’environ 50 euros pour un montant réel d’écotaxe acquitté par le transporteur de 28 euros. Ce surcoût est naturellement préjudiciable à la compétitivité de la filière.

Le cas n° 2 illustre les effets contreproductifs de l’écotaxe sur un schéma de transport vertueux : il s’agit d’une coopérative de Montluçon s’approvisionnant depuis Fos-sur-Mer par barges, via la Saône, jusqu’à Mâcon, puis par camion via Moulins. Ce dernier axe étant désormais « écotaxé », la coopérative va opter pour un transport intégral par route, de Sète à Montluçon.

Le cas n° 3 montre l’impact négatif de l’écotaxe sur la compétitivité et l’emploi : pour une coopérative bretonne qui s’approvisionne dans la France entière et livre ses produits finis sur l’ensemble du territoire, le surcoût induit par l’écotaxe détériore son résultat opérationnel et grève ses capacités d’investissement.

Le cas n° 4 illustre comment l’écotaxe peut être défavorable aux produits nationaux : tandis qu’un produit importé par cargo ne sera taxé que de 2,5 euros entre Le Havre et Rouen, un producteur basé à Orléans acquittera, lui, une écotaxe de 30 euros pour transporter sa marchandise jusqu’à Rouen, somme à laquelle il faut également ajouter le montant des taxes qui pèsent sur l’ensemble des flux logistiques en amont de la livraison.

Le cas n° 5 concerne l’Eure-et-Loir mais vaut pour d’autres départements où ont été édictées des restrictions de circulation visant à éviter les reports de circulation sur des routes non taxées. C’est une double punition pour les transporteurs, qui doivent non seulement s’acquitter de l’écotaxe mais aussi emprunter des itinéraires beaucoup plus longs que les itinéraires originaux.

Le cas n° 6 enfin illustre l’impact négatif de l’écotaxe sur la filière « bio », qui dispose d’un maillage territorial beaucoup plus distendu que celui des cultures conventionnelles. Les points de stockage étant ainsi plus éloignés des zones de production, cela augmente le rayon moyen de collecte et donc le poids de l’écotaxe sur une filière que chacun pourtant souhaite voir se développer.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Comment se répartissent les flux des coopératives entre transport en compte propre et transport pour compte d’autrui ?

M. Yves-Marie Laurent. Cela varie selon les coopératives, mais on peut considérer que, globalement, 30 à 40 % des transports s’effectuent pour compte propre et 60 à 70 % pour compte d’autrui, c’est-à-dire en sous-traitance.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pour en revenir à la majoration forfaitaire, en vertu de la loi de mai 2013, elle s’applique, dans le cas du transport pour compte d’autrui, que l’on emprunte le réseau taxé ou non. Monsieur Frédéric Cuvillier a annoncé la mise en place d’un observatoire, mais les différentes simulations opérées à ce jour font d’ores et déjà apparaître que, pour certaines entreprises, il existe une forte distorsion entre cette majoration forfaitaire et le montant effectif de l’écotaxe, ce qui n’est pas le cas pour d’autres. Il y a là, j’en conviens, une vraie difficulté.

M. Olivier Faure. Vous êtes certes là pour dénoncer les effets négatifs d’une écotaxe que vous condamnez, mais j’aurais souhaité que vous nous présentiez le cas où l’écotaxe améliore la compétitivité de vos coopératives. Je pense notamment à vos concurrents étrangers qui circulent aujourd’hui gratuitement sur notre réseau mais devront désormais s’acquitter d’une taxe.

Mme Rachel Blumel. Le transit longue distance se fait essentiellement sur les autoroutes et n’est donc pas soumis à l’écotaxe. Quant à la majoration forfaitaire, c’est une disposition purement nationale, qui ne s’applique pas obligatoirement aux étrangers. Il n’y a donc aucune situation dans laquelle nous soyons gagnants en termes de compétitivité. Au contraire, nos entreprises, handicapées par un schéma logistique caractérisé par le cumul de courtes distances risquent de décrocher par rapport aux fournisseurs qui pratiquent le transit en une seule ligne – sur autoroute, qui plus est – avec moins de manipulation des produits et donc une prestation transport moins coûteuse.

Nous avons du mal à faire entendre à nos coopératives que non seulement nous ne sommes pas éligibles au CICE mais que, de surcroît, alors que nous créons des emplois et garantissons la traçabilité de nos produits, nous ne disposons d’aucune aide. Il aurait fallu envisager un dispositif qui s’applique, comme en Allemagne, à l’autoroute ou qui, comme en Suisse et bientôt au Royaume-Uni, consiste en un droit d’entrée acquitté pour utiliser l’ensemble du réseau routier.

M. Olivier Faure. Doit-on comprendre que vous proposez à la fois d’étendre le réseau taxé aux autoroutes, de détaxer les trajets courts et d’étendre le CICE aux coopératives ?

Mme Rachel Blumel. Oui. J’ajoute que nous demandons également un plan de modernisation des infrastructures extrêmement précis et doté d’un échéancier. C’est à nos yeux une solution qui rendrait acceptable la taxation autoroutière et permettrait de garantir un régime plus favorable à la production nationale.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La directive « Eurovignette » nous interdit d’appliquer l’écotaxe aux autoroutes déjà soumises à des péages.

Pourriez-vous nous indiquer ce que vous entendez par courtes distances ? S’agit-il de distances calculées sur un mois ou sur une journée ?

M. Yves-Marie Laurent. Il s’agit de distances correspondant à un trajet unique, donc de distances journalières. Ce que nous appelons courte distance, c’est un flux unique, inférieur ou égal à 200 kilomètres.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Selon les statistiques qui nous ont été communiquées, un véhicule parcourt en moyenne sur le réseau « écotaxé » 37 kilomètres par jour. Nous ne pouvons donc pas considérer que 200 kilomètres constituent une courte distance…

Pour rebondir enfin sur les propos de notre collègue Olivier Faure, je précise que, sur les quelque 1,2 milliard d’euros attendus de l’écotaxe, 350 millions d’euros seront acquittés par les transporteurs étrangers, ce qui n’est pas neutre.

M. Marc Le Fur. Certes, les produits importés seront taxés entre la frontière et leur lieu de consommation, mais cette dépense ne doit être comparée qu’à l’ultime phase de transport de nos produits fabriqués en France, laquelle ne représente que 15 % des flux de transport qui s’opèrent sur l’ensemble de la chaîne de fabrication. On voit donc que la comparaison est défavorable à la production française.

Quant à détaxer les courts trajets, le président du groupe écologiste préconise d’exonérer les trajets inférieurs à 100 kilomètres ; je recommanderai, pour ma part, de les exonérer jusqu’à 200 kilomètres, distance à partir de laquelle le report modal devient envisageable.

Vous avez enfin évoqué les dommages causés à la filière « bio ». Cela concerne, plus généralement, l’ensemble des productions de niches dans lesquelles les circuits de collecte sont jusqu’à trois fois plus longs que pour l’agriculture conventionnelle. On pénalise ainsi des filières que l’on voulait soutenir, car elles ont, paradoxalement, une très forte empreinte carbone. Je rappelle qu’un circuit de collecte de lait, c’est en moyenne 150 kilomètres.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous nous avez indiqué que les courtes distances dont vous parliez étaient calculées sur une base journalière. Se pose, dès lors, la question de savoir combien de jours par mois roule un véhicule chargé, par exemple, d’approvisionner une centrale d’achat : il n’est pas indifférent qu’il couvre une distance de 200 kilomètres trois fois ou vingt fois dans le mois.

M. Yves-Marie Laurent. Les textes qui réglementent les autorisations de circulation pour les véhicules de collecte font référence à un rayon de 150 kilomètres ou à des déplacements circonscrits à la région ou aux départements limitrophes, ce qui explique que nous retenions cet ordre de grandeur pour désigner une courte distance.

Quant au nombre de kilomètres effectivement parcourus, cela dépend des organisations. Certaines coopératives, notamment dans le domaine de l’alimentation du bétail, arrivent à faire tourner des véhicules en trois huit, six jours par semaine, et parcourront plus de vingt mille kilomètres par mois. Pour notre part, avec une flotte de plus de cent cinquante véhicules, nous parcourons jusqu’à huit ou dix mille kilomètres par mois, soit entre trois cents et cinq cents kilomètres par jour, selon le type de transport et de prestations.

Mme Rachel Blumel. Le produit de l’écotaxe sur les véhicules étrangers a été évalué à 350 millions d’euros. Mais les étrangers n’auront pas l’obligation de majorer leurs coûts de transport, et je m’étonne que les transporteurs français n’aient pas identifié cette faille dans le dispositif, qui risque de les fragiliser, puisqu’elle pourrait inciter certains opérateurs économiques nationaux à avoir recours à des transporteurs étrangers.

En ce qui concerne la sortie de la collecte laitière du dispositif, le nombre de véhicules concernés est, selon nos calculs, inférieur à 3 %. Ce n’est donc pas un aménagement satisfaisant à nos yeux.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La majoration forfaitaire s’applique dès lors que le contrat est un contrat de droit français.

M. Yves-Marie Laurent. Je conclurai par un mot sur nos relations avec Ecomouv’ et notre SHT, la société Total GR. La mise en place du dispositif a été extrêmement lourde, nous obligeant à avoir recours à plusieurs intérimaires pour la constitution des dossiers – plusieurs kilos de carton au total. Assurer le suivi de son fonctionnement au quotidien peut également se révéler complexe, notamment en cas de panne de boîtier. Enfin, il faut ajouter à toutes les charges déjà mentionnées les coûts indirects induits par la modification de nos systèmes d’information, qui doivent désormais renseigner pour chaque trajet les caractéristiques du transporteur – norme Euro, nombre d’essieux – et la nature de la relation. Cette complexité pénalise la vie des entreprises et leurs performances.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nos différentes auditions nous ont en effet confirmé que les transporteurs rencontraient de réelles difficultés pour enregistrer leurs véhicules. Nous avons identifié avec Ecomouv’ et la direction générale des Douanes un certain nombre de problèmes. Nous ferons des propositions de simplification – éventuellement grâce à des dispositions législatives. Il nous a été indiqué qu’à ce jour, 200 000 véhicules étaient déjà enregistrés, l’objectif étant d’en avoir à terme de 600 000 à 800 000.

Il me reste à vous remercier d’avoir participé à cette audition.

Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Degouy, directeur des affaires publiques de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA),
de Mme Vanessa Quéré, responsable « Économie » de l’ANIA,
de M. Lionel Deloingce, vice-président
de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF)
et de M. Nicolas Perardel, chargé de mission de l’ANMF

(Séance du jeudi 10 avril 2014)

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Mes chers collègues, nous accueillons à présent les représentants de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et ceux de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF).

Les activités agroalimentaires représentent le premier secteur industriel français avec près de 495 000 salariés, un chiffre d’affaires supérieur à 160 milliards d’euros et un solde constamment positif en termes de commerce extérieur.

Les membres de la mission connaissent bien vos entreprises.

Nous savons que certaines d’entre elles sont exposées à une forte concurrence, notamment intra-européenne, et qu’elles restent souvent très dépendantes de la grande distribution sur le marché national.

Nous venons de recevoir des représentants de Coop de France qui, dans les activités agroalimentaires, fédère également de nombreuses entreprises.

Concernant l’écotaxe, il nous importe de connaître votre position sur les modalités retenues pour sa mise en œuvre, telle qu’elles étaient prévues jusqu’à la décision gouvernementale de suspension. Je pense notamment au principe de sa répercussion sur les chargeurs conjugué au mécanisme de la majoration forfaitaire.

Plus généralement, estimez-vous possible de procéder à certains ajustements, voire de modifier plus profondément le cadre réglementaire de l’écotaxe, avec pour objectif sa possible relance conditionnée à une meilleure acceptabilité de la part des milieux économiques ?

Autre question : bien que l’ANIA soit une organisation à vocation nationale, considérez-vous que l’écotaxe pose un problème spécifique de compétitivité aux entreprises bretonnes, en comparaison de la situation d’autres entreprises de l’agroalimentaire, tout autant localisées dans des régions éloignées des centres de commercialisation ?

Il existe un grand nombre d’études savantes qui sont parfois trop théoriques sur le transport routier. En fait, les schémas productifs et logistiques de nombreuses activités demeurent assez mal connus. À cet égard, on peut penser qu’une véritable « marche à blanc » nationale sur plusieurs mois permettrait de mieux mettre à jour certaines spécificités.

Les quelques expérimentations conduites au cours de l’automne 2013 n’ont pas permis d’envisager des rectifications probantes. Dans mon esprit, il ne s’agissait pas de véritables « marches à blanc » : elles ne concernaient que très peu d’entreprises et ne visaient principalement qu’à valider, du seul point de vue technique, le système de facturation.

Après vous avoir écouté au titre d’un exposé liminaire, les membres de la mission d’information vous poseront des questions afin d’engager un dialogue que nous souhaitons évidemment le plus constructif possible.

M. Alexis Degouy, directeur des affaires publiques de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA). Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, les industries alimentaires constituent le premier secteur industriel en termes d’emplois et de chiffre d’affaires. Ce secteur est aussi un des plus présents sur le territoire : son maillage couvre tous les départements, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’impact de l’écotaxe. Les salariés sont nombreux dans les postes de production des usines, même dans des bassins d’emploi sinistrés, comme en Bretagne, en Picardie ou dans la région Champagne-Ardenne.

M. Deloingce qui est vice-président de la Meunerie française, pourra vous apporter un exemple tout à fait concret de l’impact de l’écotaxe sur une branche de l’industrie alimentaire française.

Mme Vanessa Quéré, responsable « Économie » de l’ANIA. L’industrie agroalimentaire française rassemble quelque 12 000 entreprises réparties sur tout le territoire, dont 97 % de PME. Ces entreprises de moins de 250 salariés emploient 50 % des effectifs du secteur.

Si l’agroalimentaire reste un secteur fort en France et s’il résiste mieux que d’autres à la désindustrialisation du territoire, sa situation économique est toutefois inquiétante en raison de la forte volatilité du prix des matières premières depuis 2008 et des relations très tendues que cette volatilité induit avec nos principaux clients que sont les distributeurs : l’industrie agroalimentaire leur sert en effet d’amortisseur et de variable d’ajustement. Entre 2008 et la fin de 2012, la marge brute des entreprises du secteur s’est dégradée de 14 %, et leur trésorerie a été fragilisée : en 2013, le secteur a enregistré 316 défaillances – un nouveau record –, qui se sont traduites par la perte de 4 824 pertes d’emplois. Depuis le début de l’année 2014, 1 000 emplois demeurent sous tension sur l’ensemble du territoire national.

Dans un tel contexte, le dispositif de l’écotaxe pose de nombreuses difficultés à nos entreprises car il fragilise, je le répète, leur position dans des relations commerciales déjà tendues.

M. Lionel Deloingce, vice-président de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF). La meunerie française est une industrie agroalimentaire de première transformation, composée de 441 unités de production réparties sur l’ensemble du territoire, qui transforment 5,5 millions de tonnes de blé pour 2,15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Elle représente 6 000 emplois directs.

La meunerie française, dont l’activité est principalement régionale, approvisionne quotidiennement toutes les boulangeries françaises. Le fait que les volumes transportés soient souvent inégaux n’est pas sans conséquence sur les coûts de production et donc sur le calcul des prix de revient. Une taxe supplémentaire pèserait lourdement sur des coûts de production déjà fortement affectés depuis 2008 par la forte volatilité du prix des matières premières.

Notre secteur a subi une forte dégradation de sa rentabilité. Il lui est par ailleurs difficile d’imaginer des modes de transport substituables, dans la mesure où son activité est très locale.

Les rythmes de livraison sont soutenus et si les volumes transportés sont inégaux – je tiens à le répéter –, c’est qu’ils nous sont imposés par nos clients, aux demandes desquels nous sommes dans l’obligation de nous adapter.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pouvez-vous nous donner des précisions sur votre organisation logistique et votre système de production ?

M. Lionel Deloingce. L’organisation logistique comprend deux parties : l’approvisionnement et la distribution.

Notre seule matière première est le blé, que nous transformons en farine.

L’approvisionnement se fait par transport pour compte d’autrui sur des zones aussi locales que possibles, afin de diminuer les coûts de transport qui représentent généralement une charge importante pour les entreprises. Il convient évidemment de tenir compte de l’implantation des bassins de production de blé : les entreprises de meunerie éloignées d’un bassin de production ont des coûts de transport plus importants.

La distribution, quant à elle, se fait par transport pour compte propre : nous disposons de nos propres flottes de camions. Nos livraisons sont quotidiennes, en fonction de la demande de nos clients, ce qui peut entraîner des coûts logistiques importants, puisque nous ne choisissons pas les volumes transportés. De plus, la plupart de nos farines étant livrées dans des citernes-vrac spécifiques à la farine, les retours sont systématiquement effectués à vide. C’est pourquoi l’écotaxe, telle qu’elle a été imaginée, représenterait une double peine pour la meunerie française : selon les projections que nous avons établies, elle pèserait pour moitié sur le résultat courant avant impôt des entreprises du secteur.

Si, en tant qu’utilisateurs, nous ne contestons pas la nécessité de devoir participer à l’entretien du réseau routier, nous pensons toutefois qu’il convient de rester dans l’esprit du développement économique de nos régions. Comme l’a souligné M. Degouy, il est nécessaire, pour favoriser le développement régional, de repenser complètement les principes qui ont présidé à la mise en place de l’écotaxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur Combien de kilomètres effectuent mensuellement, d’une part, un camion qui approvisionne une unité de production de farine et, d’autre part, un camion qui distribue cette farine chez le boulanger ?

M. Lionel Deloingce. Établir une moyenne est difficile, car elle dépend de l’emplacement des entreprises.

En termes d’approvisionnement, l’éloignement des bassins de production de blé est inférieur à 150 kilomètres. S’agissant de la distribution, le rayon oscille entre 200 et 220 kilomètres. Je le répète : ce sont les retours à vide qui pèseront particulièrement sur les entreprises si l’écotaxe est appliquée selon les modalités prévues. Nos camions, pour des raisons de sécurité alimentaire, ne peuvent prévoir aucun affrètement supplémentaire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vous n’avez pas répondu à ma question, que je renouvelle : combien de kilomètres effectuent mensuellement, d’une part, un camion qui approvisionne une unité de production de farine et, d’autre part, un camion qui distribue cette farine chez le boulanger ?

M. Lionel Deloingce. Je prendrai l’exemple de mon entreprise.

Je ne saurais vous répondre pour la part approvisionnement, puisque nous faisons appel à des transporteurs extérieurs. S’agissant de la distribution, nos camions effectuent entre 7 000 et 10 000 kilomètres par mois.

M. Marc Le Fur. La logique de l’écotaxe est de faire payer l’aval. Or l’aval est à l’heure actuelle plus fragile qu’il ne l’était lorsque la mesure a été adoptée. Les périodes de grande prospérité qu’ont connues les boulangers sont maintenant terminées : aujourd’hui, des boulangeries déposent le bilan. Quant au pouvoir d’achat du consommateur, il baisse.

Si la France est un grand pays producteur de blé, le blé panifiable n’est produit que dans quelques départements et doit donc parfois être transporté assez loin de son lieu de production. Quelle est la part du rail dans le transport de blé ? Augmente-t-elle ? Selon mes informations, le rail serait totalement déconnecté des besoins de la meunerie.

Une réflexion pour terminer : vous avez évoqué la question des transports spécialisés, qui ne peuvent prévoir de fret au retour. Or elle ne se pose pas seulement pour la meunerie : elle se pose pour tous les transports agroalimentaires, qui ne peuvent transporter aucun produit au retour pour payer ne serait-ce que les frais d’essence – ce problème concerne particulièrement le gigantesque trafic agroalimentaire du grand Ouest vers la région parisienne. Or les transporteurs devront payer l’écotaxe, même lorsqu’ils rentreront à vide, ce qui est aberrant, puisqu’ils devront payer un impôt sur le transport alors qu’ils ne transporteront rien !

M. Lionel Deloingce. Je confirme que la boulangerie est un secteur d’activité qui connaît des défaillances plus nombreuses aujourd’hui que par le passé. Nos encours en boulangerie sont très importants et les risques de défaillances également.

Vous avez raison, monsieur le député : le blé panifiable est produit principalement en Beauce. Pour les meuniers qui sont les plus éloignés de ce bassin de production, les frais de transport sont plus importants que pour les autres. Dans le transport du blé, la part du rail s’élève aujourd’hui à 8 % et concerne des meuneries situées non loin d’embranchements ferroviaires : or elles sont rares. Il faut en effet savoir que les unités de production sont historiquement implantées près des cours d’eau, parce que la meunerie, qui est aujourd’hui électrifiée, utilisait par le passé la force hydraulique. Le déplacement des unités de production engendrerait des coûts insupportables pour leur trésorerie, compte tenu de leur faible rentabilité actuelle.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, sur la question de l’alternative au transport routier, il conviendrait d’auditionner M. Guillaume Pepy, et ce à double titre : en tant que responsable du fret ferroviaire et en tant qu’actionnaire d’Ecomouv’. Il serait tout de même intéressant de savoir pourquoi la SNCF a investi dans Ecomouv’.

M. Lionel Deloingce. Si la part du ferroviaire ne représente que 8 % du total, c’est aussi parce que les unités de transports de la meunerie sont bien inférieures aux propositions du rail, qui sont effectivement décalées par rapport aux besoins de notre secteur d’activité.

M. Gilles Savary. Je tiens tout d’abord à rappeler que l’objectif n’est pas de mettre en place une taxe punitive mais de financer les infrastructures routières. Compte tenu du retrait de la subvention publique générale, qui s’inscrit dans la politique d’assainissement des finances publiques et de lutte contre l’endettement, il est nécessaire d’instaurer une recette d’affectation spéciale. L’écotaxe est donc une recette d’« utilisateurs payeurs ».

Si elle est kilométrique, c’est afin de taxer les camions étrangers, qui trop souvent aujourd’hui ne font même pas le plein de carburant en France lorsqu’ils traversent le territoire.

Vous avez affirmé que l’écotaxe représenterait la moitié du résultat courant : cela signifie à la fois que celui-ci est très faible et que c’est le transport qui représente l’essentiel de la production de valeur de votre activité, et non la transformation ou le packaging.

M. Lionel Deloingce. Depuis 2008, le résultat courant de nos entreprises s’est fortement dégradé en raison notamment de la diminution de nos marges due à la forte volatilité des matières premières. En effet, nos acheteurs exercent sur nous des pressions pour nous contraindre à répercuter partiellement les hausses mais intégralement les baisses. Je ne sache pas, du reste, que le consommateur en profite ! Les variations pouvant aller de 15 euros à 20 euros la tonne dans la même semaine, juger de l’opportunité d’acheter nous est impossible, si bien que des entreprises peuvent se retrouver dans des situations financières délicates et doivent entamer leur trésorerie de sécurité. Le résultat des entreprises de meunerie représente aujourd’hui 1 % du chiffre d’affaires. Le transport a donc pris une part beaucoup plus importante que par le passé dans le calcul du prix de revient de nos produits : l’écotaxe, telle qu’elle a été imaginée, pèserait lourdement sur les résultats.

Je le répète : nous avons le souci de l’entretien du réseau routier et serions à l’écoute de solutions de substitution si on nous en proposait. Or on nous en propose peu, pour ce type de transport régional effectué sur de très courtes distances, avec des fréquences importantes et des volumes transportés aléatoires, si bien que nous craignons de devoir subir un système de double peine préjudiciable à la pérennité de nos entreprises.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. À combien estimez-vous l’impact de l’écotaxe sur le prix de la farine que vous livrez aux boulangers ?

M. Lionel Deloingce. L’impact serait de dix à douze euros la tonne, soit 15 % à 20 % du prix de la farine.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les chiffres qui nous sont habituellement donnés par le ministère sont les suivants : la part du transport dans le coût du produit étant de 10 % et celle de l’éco-redevance de 4 % à 5 % du prix du transport, l’impact de la mesure sur le prix du produit oscillerait de 0,3 % à 0,5 %. Vos chiffres, que je ne conteste pas, sont bien supérieurs.

M. Hervé Pellois. S’agissant de l’agroalimentaire, il faudrait pouvoir établir la part de l’écotaxe en fonction des marges réalisées pour chaque produit transporté – elles sont très différentes selon les produits.

La meunerie a su changer : certaines farines permettent de réaliser des plus-values plus importantes que la farine classique. J’ai pu observer au cours de la visite d’une meunerie les efforts de recherche réalisés en la matière. Comment est-il possible qu’une telle diversification n’améliore pas vos marges ?

M. Lionel Deloingce. Il est vrai que la meunerie a évolué et ne se contente plus de transformer le blé. Les industriels du secteur ont développé des outils de marketing, qui restent souvent de l’habillage, mais permettent à l’entreprise d’améliorer la valeur ajoutée. L’outil de production étant excédentaire – les capacités de production sont bien plus élevées que la consommation –, les effets de concurrence sont de plus en plus importants et les meuniers ont dû se tourner vers des activités de service. Nous avons toutefois face à nous des acheteurs avisés qui pèsent largement et les investissements en produits « marketés » sont supérieurs aux prix de vente, compte tenu de l’importance de la concurrence. Il convient d’ajouter à cela la baisse générale de la consommation de pain en France, qui est de moins en moins considéré comme un aliment de base et de plus en plus consommé pour le plaisir. D’autres produits se sont substitués à sa consommation. C’est pourquoi un grand nombre de boulangeries sont vouées à disparaître.

La conjonction de tous ces facteurs fait de la meunerie un secteur d’activité de plus en plus concurrentiel qui voit sa rentabilité remise en cause.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. La répercussion de l’écotaxe sur le prix de la farine risquerait-elle de poser de vrais problèmes aux boulangers en termes de rentabilité et de peser à terme sur le nombre de boulangeries ?

M. Lionel Deloingce. Si les boulangers acceptent le principe de la répercussion, ils seront obligés d’augmenter en conséquence le prix de leurs produits, ce qui affectera le pouvoir d’achat des consommateurs. Ces derniers sont-ils prêts à payer plus cher encore un aliment qu’ils estiment déjà coûteux ?

Initialement, les transporteurs pour compte propre avaient la liberté de répercuter ou non l’écotaxe sur leurs clients, ce qui faisait de celle-ci un outil de distorsion de concurrence. Le meunier qui décidait de ne pas la répercuter aurait contraint son concurrent à faire de même. En revanche, s’agissant de l’approvisionnement, seules les opérations de transport routier réalisées pour compte d’autrui étant concernées par le dispositif de la majoration forfaitaire, nous étions dans l’obligation d’en assumer la charge.

M. Alexis Degouy. Monsieur le président, il est difficile d’établir des moyennes en raison de la très grande complexité de l’industrie agroalimentaire : il conviendrait de réaliser une étude d’impact secteur par secteur. Certains sont beaucoup plus affectés par le facteur transport que d’autres.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que, d’une part, la répartition sur l’ensemble du territoire des entreprises agroalimentaires s’explique par le fait qu’elles transforment 70 % de la production agricole française, et que, d’autre part, si elles utilisent la route, c’est parce que ce moyen de transport n’est pas substituable – c’est évident pour le secteur laitier ou la meunerie. Or, comme ces entreprises ne pourront pas répercuter dans le prix final l’augmentation du coût du transport, cette nouvelle taxe affectera leurs marges et, par-delà, leur capacité à investir dans leur outil de production.

Pour résumer, si l’écotaxe était appliquée selon les modalités prévues avant sa suspension, les entreprises agroalimentaires seraient victimes de leur propre tissu industriel.

M. Lionel Deloingce. Je tiens à signaler une erreur de virgule : l’impact de l’écotaxe représenterait 1,5 % et non 15 % du prix de la farine.

M.  Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je prends bonne note de cette rectification.

M. Lionel Deloingce. Ce chiffre demeure bien supérieur à celui évoqué par le ministère. Je précise que le résultat courant avant impôt se situe entre 1 % et 3 %.

M. Gilles Savary. Pourrions-nous disposer de comptes de branche sur la formation de la valeur ? Pour les uns, l’écotaxe causerait un sinistre économique généralisé tandis que pour le ministère comme pour certains acteurs de l’industrie lourde – ils me l’ont dit – son impact serait homéopathique. Nous ne pouvons pas en rester à des impressions. L’écotaxe ne doit pas être instrumentalisée dans le cadre d’une stratégie de bouc émissaire.

Par ailleurs, d’autres puissances agroalimentaires – l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse par exemple – ont mis en place une taxe similaire. Son instauration a-t-elle eu dans ces pays des effets dévastateurs ? Je me suis rendu récemment en Suisse, qui a instauré une taxe universelle – tout le réseau routier est touché au premier kilomètre sans qu’aucune répercussion ait été prévue : les Suisses ont laissé faire le marché. Quelle est votre appréciation ? Il faut savoir que la répercussion forfaitaire, prévue en France, n’interdit pas aux chargeurs d’exercer des pressions sur les transporteurs.

M. Alexis Degouy. Nous connaissons ces initiatives mais ne les avons pas étudiées dans le détail. Leurs effets ont été inégaux.

Ce qui est spécifique à la taxe française est la possibilité pour les industriels de répercuter son coût. Or cette possibilité pèse sur les relations entre les industriels du secteur et leurs partenaires commerciaux. Si chaque partenaire de la chaîne s’accordait à financer l’entretien du réseau routier, la taxe serait répartie entre tous. Or, tel n’est pas le cas. Les industriels de l’agroalimentaire ont déjà vu leurs marges affectées par la hausse du prix des matières premières que leurs partenaires commerciaux ont refusé de répercuter sur le prix de vente final du produit et ils savent que ces derniers refuseront également de répercuter le coût de l’écotaxe. Nos voisins européens ne sont pas confrontés à la même problématique. Je le répète : les entreprises agroalimentaires seront finalement victimes de leur répartition sur l’ensemble du territoire national. Telle est la raison profonde de l’opposition de l’ANIA à l’écotaxe, que nos industriels ne pourront pas répercuter.

Je tiens à rappeler que les grandes surfaces exigent également des livraisons de plus en plus fréquentes, dont le rythme interdit de pouvoir remplir le camion. Cette problématique s’ajoute à celle des retours à vide.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous avons tendance à raisonner comme s’il n’existait pas déjà des routes taxées en France. Or il en existe : ce sont les autoroutes pour leur plus grande part. Avec l’écotaxe, il s’agit donc de passer non pas d’un réseau non taxé à un réseau totalement taxé mais d’un réseau en partie taxé à un réseau plus amplement taxé– 15 000 kilomètres supplémentaires. Tous les transports ne s’effectueront donc pas demain sur un réseau entièrement « écotaxé ».

M. Lionel Deloingce. Ce que vous dites est vrai, monsieur le président, mais il convient d’y apporter un élément de pondération : l’emplacement géographique des entreprises. Un des sites de production de mon entreprise de meunerie, situé à Pontoise, réalise 80 % de son activité à Paris et dans la région parisienne, dont le réseau, vous le savez, a été largement pourvu de portiques. L’activité de ce site de production sera très affectée par ce maillage.

Le fonctionnement régional de l’écotaxe créerait de grosses distorsions de concurrences entre les entreprises en fonction de leur implantation. Qu’elles se situent d’un côté de la limite du département ou de l’autre côté, l’impact sera différent. Dans un monde idéal, la répercussion des prix devrait aller du producteur au consommateur final. Or la chaîne est inversée. La distribution définit d’abord le prix que devra payer le consommateur puis fait pression sur les industries amont qui, en cas de refus du prix demandé, peuvent se retrouver dans de graves difficultés.

L’écotaxe, notamment en raison de la majoration forfaitaire, aurait un impact considérable sur les industries de première transformation que sont les meuneries, en raison de l’importance tant de la fréquence des livraisons que des charges pondérales.

Mme Émilienne Poumirol. Les auditions successives nous révèlent l’importance de la pression exercée par la grande distribution sur les industriels non seulement en termes de prix mais également de fréquence des livraisons, exigences qui augmentent le prix de revient du produit. Dans un monde idéal, ne faudrait-il pas agir sur la grande distribution ?

Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt prévoit d’inscrire dans la loi le rôle et les missions du Médiateur des relations commerciales agricoles afin de garantir notamment aux producteurs le prix du lait. Ne conviendrait-il pas d’étendre les pouvoirs de ce médiateur pour lui permettre d’exercer une pression sur la grande distribution, qui a déjà bénéficié du CICE, en termes de prix ou de fréquence de livraison, fréquence qui a de plus un impact écologique ? Certes, ses représentants nous ont dépeint leur situation sous les couleurs les plus sombres …

M. Alexis Degouy. La loi relative à la consommation va déjà dans le bon sens : toutefois elle ne saurait régler le déséquilibre existant entre 12 000 entreprises agroalimentaires et sept grands distributeurs.

La production et la transformation d’un côté et la distribution de l’autre sont deux grands secteurs qui font vivre les territoires avec de nombreux emplois à la clé. C’est donc ensemble qu’ils doivent trouver une solution. Les négociations commerciales ont été particulièrement difficiles cette année en matière de répercussion. Nous sommes engagés dans une inquiétante spirale déflationniste. L’inflation des prix alimentaires due notamment à la hausse des matières premières s’est élevée à 3,7 % en Allemagne en 2013 contre 1,2 % en France, la différence étant prise sur les marges des industriels, dont le tissu finit par se déliter. Comment dans ces conditions investir dans l’outil de production et innover pour rester concurrentiel au plan international ? Il appartient au Parlement et au Gouvernement de trouver des solutions pour instaurer une logique responsable, de l’amont à l’aval jusqu’à la distribution, et enrayer une spirale déflationniste qui n’est bonne pour personne.

La médiation est un outil qui a fait ses preuves. Nous avons rencontré le Médiateur inter-entreprises et le Médiateur des relations commerciales agricoles, dont les démarches vont dans le sens d’une responsabilité partagée tout au long de la chaîne : malheureusement, nous n’y sommes pas encore parvenus.

Monsieur le président, s’il est vrai que tous les axes routiers ne seront pas taxés, les industriels du secteur agroalimentaire sont toutefois opposés à l’écotaxe parce qu’ils savent qu’ils finiront par la payer. Ils seront, je le répète à nouveau, pénalisés de leur présence sur tout le territoire, laquelle se traduit par l’obligation d’effectuer, à la demande de leurs clients, des livraisons courtes, avec souvent des chargements incomplets, ou encore par celle de se rendre dans des zones reculées, notamment pour aller chercher deux fois par jour le lait dans les fermes.

L’écotaxe telle qu’elle est prévue suscite chez les industriels du secteur agroalimentaire un profond sentiment d’injustice.

M. Lionel Deloingce. J’ai dans ma clientèle une grande enseigne de distribution dont je rencontre les responsables une ou deux fois par an, pour les renégociations, à des dates qu’ils décident et qui ne sont pas forcément les plus opportunes en termes de prix d’achat des matières premières. Je suis néanmoins dans l’obligation de faire une proposition de prix indexée sur le marché du blé du moment. Ce prix est unique pour l’ensemble des magasins qui me seront attribués, qu’ils se situent à quarante kilomètres ou à 120 kilomètres de mon site de production. En plus, ma remise de prix doit prendre en compte tous les impondérables, tels que la fréquence de livraison – je dois me soumettre aux exigences du directeur de chaque magasin en la matière – ou les coûts induits par le temps d’attente lors de la livraison. Je dois tout prendre à ma charge.

Si nous ne remettons pas en cause le bien-fondé de l’entretien du réseau routier, nous sommes incapables de supporter le poids de l’écotaxe dans sa forme actuelle, compte tenu des pressions exercées par nos acheteurs.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Madame, Messieurs, je vous remercie.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal,
ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(Séance du mercredi 30 avril 2014)

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous recevons ce matin Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
– pour une audition dont c’est peu dire, madame la ministre, qu’elle était très attendue !

Depuis sa création par la Conférence des présidents, notre mission d’information poursuit un objectif de clarification. Notre préoccupation est d’établir un état des lieux, en cherchant à lever certaines incompréhensions et en réfutant ce que l’on doit bien appeler quelques éléments de désinformation.

Pour ma part, j’ai considéré qu’il revenait à la représentation nationale de refonder la légitimité de l’écotaxe, à laquelle il serait plus judicieux de rendre son appellation initiale d’« éco-redevance poids lourds ».

Autre rappel d’importance, le principe de cette redevance d’usage a été approuvé à une très large majorité – pour ne pas dire à la quasi-unanimité – du Parlement dans le cadre de la loi de programmation, dite Grenelle 1, du 3 août 2009. Les dispositions alors adoptées prévoyaient, d’une part, que ce prélèvement interviendrait à compter de 2011 et, d’autre part, qu’il serait neutre pour les transporteurs car « répercuté sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises », c’est-à-dire sur les affréteurs et sur les chargeurs.

La même loi « Grenelle 1 » organisait la répartition et l’affectation du produit de cette « écotaxe » ou « éco-redevance », le principe étant d’abonder majoritairement le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, et de doter les départements d’une autre partie de ce produit. L’AFITF et les départements sont en effet confrontés à un problème majeur : financer l’entretien, la modernisation et le développement des réseaux de transport, nécessaires à la compétitivité de notre économie dans son ensemble, par une recette programmable, donc pérenne.

Interrogé ici même par notre mission, votre collègue Bernard Cazeneuve, alors ministre en charge du budget, avait souligné que la trajectoire de financement de la politique des transports était construite selon un schéma prévoyant une entrée en vigueur de l’écotaxe au 1er janvier 2014. Il ne nous avait pas caché qu’à défaut, l’impasse budgétaire serait difficilement surmontable, compromettant le financement des volets « Mobilité » des contrats de projets entre l’État et les régions, qui mobilisent en moyenne 950 millions d’euros par an.

Dans sa réflexion, la mission n’a pu faire abstraction du double cadre qui s’imposait naturellement à elle : d’une part, les directives européennes dites « Eurovignette » et « Interopérabilité » ; d’autre part, le contrat de partenariat public-privé qui a abouti à la désignation d’un prestataire commissionné de l’État pour la liquidation et la collecte de l’éco-redevance. Ce partenariat a été conclu en janvier 2011, au terme d’un appel à projets comportant de longues phases de discussion avec les candidats, période dite de « dialogue compétitif ».

Le choix s’est porté sur le consortium Ecomouv’ qui a été chargé de bâtir un système sur la base des prescriptions de l’État. Je rappelle qu’Ecomouv’ n’est pas une société étrangère même si son principal actionnaire est Autostrade per l’Italia. En effet, de grands groupes français participent à son capital. Ils ont construit le système dans ce cadre et ils exercent, en outre, des responsabilités importantes en termes de sous-traitance. Il s’agit de Thales, de la SNCF, de Steria et de SFR.

Aujourd’hui, l’État se trouve lourdement engagé, tant vis-à-vis de l’Union européenne que du partenaire et des acteurs choisis et impliqués dans le système par ses soins, sans oublier les personnels qu’ils ont recrutés. Est-il possible de tout « remettre à plat » dans ces conditions ?

Nous nous interrogeons sur les voies et moyens qui permettraient d’effacer purement et simplement un choix aussi lourd de conséquences. Au-delà de la question de la crédibilité de la parole et de la signature des pouvoirs publics, disposons-nous aujourd’hui des moyens financiers de dédommager le prestataire et de vouer à l’inutilité des centaines de millions d’euros d’investissements, puis de relancer la machine pour bâtir à neuf un cadre et des modalités totalement différents ? Cela reporterait d’une année, voire de plusieurs, toute perspective de ressources pourtant indispensables au financement de nos infrastructures. Je ne vous cache pas nos inquiétudes à ce sujet, madame la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, ma préoccupation aujourd’hui est de rechercher avec vous les moyens de sortir de la situation complexe dont nous héritons. Nous avons en effet l’obligation de dégager les solutions les plus consensuelles afin de pouvoir engager au plus vite, notamment en signant le volet « Mobilité » des contrats de plan État-régions, les investissements d’infrastructures que nos territoires attendent – pour le développement des transports urbains, pour l’entretien du réseau routier et du réseau ferroviaire, etc. Tous ces travaux d’infrastructures nécessitent des moyens et créeront de l’activité, des emplois et du travail pour nos entreprises de travaux publics. Là est donc mon objectif principal.

L’affaire de l’écotaxe confirme ce que tous les élus de terrain savent d’expérience : les meilleures intentions du monde – au cas d’espèce parfaitement consensuelles au surplus, puisque la loi avait été votée à l’unanimité – peuvent se heurter à des réalités humaines, sociologiques ou géographiques bien différentes de ce à quoi on pouvait s’attendre, et c’est un euphémisme pour décrire ce qui s’est passé en Bretagne. C’est pourquoi j’ai cherché d’emblée à comprendre les raisons pour lesquelles cette région s’était si vivement opposée à l’écotaxe.

J’observe d’abord que le dispositif a été voté il y a six ans déjà, dans le cadre de la loi Grenelle, son principe ayant été accepté dès la Conférence environnementale de 2007. Le contrat avec le prestataire a été signé en 2011. Enfin, le 6 mai 2012, soit dans la dernière semaine du quinquennat précédent, un décret en a précisé les modalités d’application. C’est à partir de là que le mot « écotaxe » a cessé de convenir au dispositif mis en place. En effet, une véritable fiscalité écologique a comme premier objectif d’inciter les acteurs à adopter des comportements plus respectueux de l’environnement. Or on sait que, dans l’état actuel de nos infrastructures, les chargeurs n’ont pas la possibilité d’arbitrer en faveur du réseau ferroviaire, étant donné les très faibles capacités en fret de celui-ci. D’autre part, à partir du moment où l’on a pour objectif de financer des travaux d’infrastructures, il faut l’assumer politiquement. Il est très important, vis-à-vis de l’opinion et de nos interlocuteurs, que nous soyons clairs quant aux concepts que nous utilisons et quant à nos objectifs politiques. Or l’idée qui sous-tendait la création du dispositif était simple : il s’agissait de faire payer l’entretien des routes par ceux qui les utilisent, c’est-à-dire par les entreprises de camionnage, et d’étendre ainsi aux routes le principe du péage auquel l’usage du réseau autoroutier est déjà soumis. Pour cela, on a jugé qu’il suffisait d’installer des portiques sur les routes. Le problème, c’est qu’il est beaucoup plus difficile d’imposer des impôts nouveaux en période de crise économique, que ce soit aux entreprises de transport, qui ont déjà des marges très faibles, ou aux chargeurs, c’est-à-dire aux producteurs, sur lesquels cette aggravation de charges a été répercutée en vertu du décret du 6 mai 2012. Dans la situation économique que nous connaissons, l’hostilité très vive rencontrée par cette nouvelle taxation des entreprises est parfaitement compréhensible.

Avant le décret du 6 mai 2012, le dispositif reposait dans ses grandes lignes sur une répercussion au réel, qui nécessitait des calculs a priori de l’écotaxe générée par la prestation de transport, puis des calculs a posteriori de l’écotaxe réellement générée par cette prestation en fonction des trajets réellement entrepris, avec des règles de partage pour les transports impliquant plusieurs clients. Ce dispositif avait été considéré par les transporteurs comme très complexe, très insécurisant et fragilisant leurs relations commerciales, puisque nécessitant de modifier a posteriori le coût de la prestation de transport.

Le décret a fait prévaloir d’autres principes. Premièrement, devait être calculé pour chaque région le montant total de l’écotaxe généré par tous les transports effectués sur son territoire. Deuxièmement, ce montant était rapporté au montant cumulé de ces transports afin de déterminer le taux unique dans la région concernée. Troisièmement, toutes les prestations de transport dans la région, quel que soit le réseau utilisé, étaient affectées d’une majoration sur la base du taux ainsi calculé. En Bretagne, par exemple, il avait été estimé, en intégrant l’abattement de 50 % dont bénéficie la région, que l’écotaxe générée représentait 45 millions d’euros cependant que l’ensemble des prestations de transport se montait à 1 200 millions d’euros. Il en résultait que l’écotaxe représentait en moyenne 3,7 % des prestations de transport. On a donc décidé que tous les chargeurs paieraient pour tous les transports qu’ils commanderaient, y compris pour ceux dont le parcours s’achèverait sur le rail, une majoration de leur facture égale à 3,7 % de la prestation commandée. En conséquence, pour une entreprise bretonne, l’écotaxe devait se traduire – très douloureusement – par une majoration uniforme de 3,7 % de son budget transport. Les chargeurs y ont donc vu une simple taxe sur les prestations de transport, comme si un taux majoré de TVA avait été institué sur cette activité.

On comprend par cet exemple que le dispositif, déjà extrêmement complexe, était devenu, en outre, totalement incompréhensible sur le plan des principes, en particulier pour une région périphérique. Tout le monde étant assujetti, et ce quel que soit le mode de transport, il avait perdu tout caractère d’incitation à adopter des comportements écologiquement vertueux. Or, pour qu’un dispositif de ce type soit accepté, il faut qu’il soit clair, que ses objectifs soient précis et qu’on puisse démontrer qu’il permet de les atteindre.

D’autres points m’ont posé question. Je précise qu’à ce stade, je me contente de vous faire part de mes interrogations et que le Gouvernement attendra les conclusions de votre mission d’information et celles de la commission d’enquête sénatoriale pour prendre des décisions. Je rappelle qu’après que le gouvernement Ayrault a suspendu la mise en œuvre de l’écotaxe, Ecomouv’ a accepté de s’engager dans une négociation amiable, à laquelle participe un conciliateur que j’ai mandaté à cet effet, M. Pierre-François Racine, dans le cadre d’un comité présidé par M. Daniel Labetoulle. Pour l’heure, je me contente de poser sur ce dossier un regard neuf, loin de toute considération partisane. Mon but est de comprendre ce qui s’est passé et surtout de trouver les moyens pratiques et si possible consensuels de sortir de la situation actuelle, sans avoir à passer par des textes législatifs ou réglementaires.

Cela étant, les termes du contrat liant l’État à Ecomouv’ ont de quoi surprendre. Ainsi les capitaux propres de cette société sont rémunérés à hauteur de 17 %, ce qui est très rare, surtout dans une activité sans risque. En outre, le coût de la collecte représente 25 % de son montant, soit au minimum 270 millions d’euros pour une recette de 1,15 milliard d’euros. C’est un coût extrêmement élevé. D’autres points posent question, comme l’engagement d’assurer un taux de recouvrement supérieur à 99,8 %. Par ailleurs, l’exécution de certaines prestations par l’entreprise a connu des retards.

J’entends dire aussi – mais ce point est à vérifier – que les technologies mises en œuvre ne sont pas forcément les plus efficaces ni les plus récentes. Je pense notamment aux portiques. Dans certaines communes, les habitants et les maires ont mal vécu le fait qu’ils aient pu être installés sans permis de construire alors même qu’ils agressent le regard plus que bien des aménagements soumis à cette contrainte. En outre, ayant eu la curiosité de visiter une entreprise de transport, j’ai constaté qu’elle parvenait très bien à suivre l’itinéraire de ses camions sans avoir besoin de tels équipements. Ceux-ci pourraient enfin poser problème à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans la mesure où ils permettent de contrôler les déplacements de tous les véhicules sans distinction.

À ceux qui m’objectent qu’une dénonciation du contrat d’Ecomouv’ entraînerait des frais d’indemnisation élevés pour l’État – certains parlent de 800, voire de 900 millions d’euros –, je réponds que l’État aussi a subi des préjudices, en raison notamment des retards dans l’exécution du contrat ou de certains engagements mirobolants de l’entreprise quant aux performances techniques des installations. Il ne s’agit pas pour moi d’entrer dans une logique contentieuse, qui n’est pas souhaitable en ce qu’elle ralentirait encore la prise de décision ; je veux simplement indiquer qu’il y a un espace de négociation qui permettra à toutes les parties prenantes, si on trouve un dispositif plus astucieux, de se mettre autour de la table pour discuter. Je pense que nous sommes entre protagonistes intelligents, capables de remettre à plat les choses dans le respect des intérêts de chacun. La mission qui est la nôtre, comme elle est celle de la Représentation nationale, est de défendre prioritairement l’intérêt général, d’assurer la protection des entreprises en période de crise économique et de faire en sorte que les travaux d’infrastructures soient rapidement engagés.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Vos réserves quant aux performances d’Ecomouv’ ne risquent-elles pas d’apparaître comme une mise en cause des sociétés françaises qui ont mis au point les technologies utilisées, comme Thales ou Steria ? Je rappelle que les portiques ne sont pas là pour assurer la tarification ; ils sont là pour contrôler si les véhicules sont correctement équipés. Quant à la CNIL, elle a considéré, s’agissant du système de contrôle, que la solution mise en œuvre était conforme. Les rapports de passage sont automatiquement détruits en local dans l’équipement de contrôle automatique pour les véhicules non assujettis ou en situation régulière.

Mme la ministre. Je n’ai pas mis en cause telle ou telle société : j’ai fait état d’interrogations que j’ai entendues et dont j’ai bien précisé qu’elles devaient être vérifiées. Si on devait découvrir après coup des choses dont je n’aurais pas fait état devant la mission d’information, je m’en voudrais. Mon intention est de contribuer à la réflexion collective en vous livrant, je le répète, des interrogations qu’on m’a soumises.

Mme Eva Sas. Je voudrais rappeler en préambule l’attachement des écologistes aux principes à l’origine de la création de la taxe poids lourds : assurer le financement des transports collectifs, à hauteur de 760 millions d’euros pour l’AFITF et de 160 millions d’euros pour les collectivités territoriales, et ce par l’application du principe pollueur-payeur. L’abandon de l’écotaxe signifierait, soit l’abandon des projets de transports collectifs, ce qui est déjà le cas avec le report sine die du troisième appel à projets « Transports collectifs et mobilité durable », soit leur financement par le contribuable.

Je me réjouis de vous entendre dire que vous attendez les conclusions de la mission pour prendre des décisions. Or l’objectif de notre mission d’information est de trouver des aménagements de l’écotaxe qui permettraient d’assurer sa mise en œuvre. Le vôtre est-il bien de remettre en place une éco-redevance sur les poids lourds ?

Deuxième question : les perspectives financières que j’ai rappelées sont-elles maintenues ? Pouvez-vous garantir que nous pourrons dès 2015 dégager les ressources nécessaires pour le troisième appel à projets « Transports collectifs », soit 450 millions d’euros ? Je me demande si les pistes que vous avez évoquées par voie de presse permettront d’atteindre le niveau de financement attendu. Ainsi une taxation des seuls camions étrangers ne toucherait que 250 000 véhicules, au lieu des 800 000 susceptibles d’être assujettis à la taxe poids lourds. Quant à la taxation des bénéfices des sociétés d’autoroutes, les députés écologistes ne peuvent qu’y être favorables, puisque nous avons proposé d’augmenter la redevance domaniale dans le cadre de la loi de finances. Mais cette proposition s’est heurtée à des contraintes juridiques, notamment contractuelles, qui n’ont permis d’augmenter cette redevance que de cent millions d’euros.

M. Olivier Marleix. Vous venez d’annoncer que vous comptiez attendre, non seulement les conclusions de la mission d’information de l’Assemblée, mais également celles de la commission d’enquête du Sénat, ce dont il n’avait jamais été question. L’objectif de cette commission étant d’enquêter sur les conditions de la conclusion du contrat, et non de préparer l’avenir, je crains là une manœuvre dilatoire du Gouvernement, visant à repousser après les élections européennes l’annonce de sa décision. Quel est donc votre calendrier ?

Deuxièmement, votre proposition séduisante de ne faire payer que les camions étrangers ne contrevient-elle pas au droit communautaire, qui prohibe toute discrimination de cet ordre à l’intérieur de l’Union européenne ? Je vous rappelle, par ailleurs, que le mécanisme de répercussion, que vous jugez à juste titre déconnecté de la réalité des entreprises, a été mis en place à l’initiative de M. Cuvillier, qui est aujourd’hui votre secrétaire d’État. Je voudrais souligner enfin que le financement de transports urbains est un détournement de l’objectif initial de l’écotaxe, censée favoriser le report du transport de fret vers le train. Seriez-vous favorable à ce que le produit de l’éco-redevance soit exclusivement affecté aux projets contribuant au report modal ?

M. Éric Straumann. Votre proposition de taxer les poids lourds étrangers montre que vous avez parfaitement compris ce qui a motivé la mise en place de l’écotaxe. Je rappelle que ce sont les élus alsaciens, notamment notre ancien collègue Yves Bur, qui ont les premiers demandé l’instauration d’un tel système en France via un amendement présenté en 2005 contre l’avis du Gouvernement et de l’administration. En effet, la même année, la mise en place de la LKW Maut en Allemagne avait provoqué un report du trafic de 1 500 poids lourds sur les routes d’Alsace. Cette proposition a ensuite été reprise dans le cadre du Grenelle de l’environnement, d’autant plus volontiers que nous étions alors à la recherche de nouvelles sources de financement dans un contexte budgétaire déjà difficile.

Si l’écotaxe est abandonnée, le problème alsacien ne sera pas réglé. Nous, élus alsaciens, nous demandons depuis 2005 que ce dispositif fasse l’objet d’une expérimentation dans notre région, l’affectation du produit de la taxe devant être dans ce cas régionalisée.

Je pense aussi que le Gouvernement pourrait envisager une solution européenne. Ne pourrait-on, en effet, imaginer l’instauration de règles et de techniques uniformes dans l’ensemble de l’Union européenne ? D’autre part, il faut savoir que le niveau élevé des frais de collecte, que vous avez légitimement critiqué, est dû à la faiblesse de la base fiscale en France, à la différence de l’Allemagne où la quasi-intégralité du réseau routier est taxée. Pourquoi ne pas conventionner avec l’entreprise chargée de la collecte de l’écotaxe allemande, qui est d’ailleurs française, afin d’étendre cette collecte à notre pays ?

Je voudrais enfin rappeler que les portiques ne sont pas un moyen de perception, mais un moyen de contrôle, de sorte que leur suppression s’accompagnerait immanquablement d’une explosion de la fraude.

M. Philippe Bies. L’Alsace est certes toujours prête à accueillir une telle expérimentation ; encore faut-il que le système soit au point.

Tout au long de son travail, madame la ministre, notre mission d’information a passé en revue l’ensemble des questions soulevées par la mise en œuvre de l’écotaxe, mais s’est penchée aussi sur celle que posent les engagements pris par l’État dans le cadre du contrat passé avec la société Ecomouv’. Aujourd’hui, alors que vous n’excluez pas de « renverser la table », il paraît indispensable de maintenir les objectifs qui ont présidé à la création de l’écotaxe : un objectif d’aménagement du territoire, via le financement de l’AFITF, après la vente bradée de notre réseau autoroutier, et un objectif environnemental, qui est de lutter contre la pollution atmosphérique due aux poids lourds, mais que l’on pourrait étendre à la lutte contre la pollution due au parc automobile vieillissant. Ces deux ambitions conjuguées ont trouvé leur formalisation dans la notion de « pollutaxe », en vertu de laquelle ceux qui polluent et détériorent le réseau doivent être les premiers contributeurs à sa remise en état et à sa modernisation.

Pour atteindre ces buts tout en sortant comme vous semblez le souhaiter du dispositif actuel, que penseriez-vous d’instaurer un dispositif qui concernerait, outre les poids lourds, les automobiles, selon un barème prenant en compte la puissance et le niveau de pollution des véhicules ?

M. Joël Giraud. Il faut dire avant tout que le système était vicié dès l’origine, par le fait que la détermination du réseau routier retenu comme base de taxation ne reposait sur aucune logique d’itinéraire, mais sur un simple classement administratif, et exonérait les autoroutes au motif qu’elles sont sous concession et que l’Union européenne s’opposerait à ce que l’écotaxe leur soit étendue. Pourtant, tous les pays d’Europe qui ont adopté un dispositif comparable y ont assujetti l’ensemble de leur réseau autoroutier, fût-il à gabarit réduit et soumis à un régime assimilable à la concession, comme en Autriche avec le système dit de l’usufruit, et cela sans que l’Union y trouve à objecter.

D’autre part, ces pays soumettent à une taxation maximale le trafic international, de manière à rétablir l’équité pour les poids lourds nationaux quand ceux-ci sont soumis à une taxe auquel les poids lourds étrangers échappent – en Autriche et en Suisse, il s’agit d’une taxe à l’essieu. Enfin, ils ont instauré un malus écologique, sous forme d’une taxe différenciée suivant le niveau de pollution du camion. Le système autrichien, d’ailleurs mis en place par Autostrade per l’Italia, est le plus élaboré en ce qu’il cumule logique d’itinéraire, taxation de la pollution et taxe à l’essieu.

J’ai apporté une carte du réseau taxable du massif alpin pour vous montrer les aberrations du système adopté en France. Alors qu’il n’y a aucune taxation à la frontière suisse ou italienne, deux routes seulement sont taxées sans qu’on sache pourquoi : l’une de 25 km desservant la Tarentaise et l’autre, reliant Grenoble et Gap, sur laquelle il ne passe pratiquement pas de poids lourds si ce n’est quelques camions de pommes remontant sur Grenoble. En revanche, alors que les trafics est-ouest s’intensifient entre la péninsule ibérique et l’Italie – et, de là, vers l’Europe centrale et orientale –, un poids lourd pourrait ainsi aller de Barcelone à Turin sans rien payer grâce à l’écotaxe à la française !

Dans la population de cette région envahie par les poids lourds, tout dispositif visant à pénaliser leur trafic bénéficie évidemment d’une acceptabilité très forte. Soit on aménage le dispositif en mettant en place un système similaire à celui que Autostrade per l’Italia a élaboré pour l’Autriche, ce qui éviterait tout paiement de dédit à Ecomouv’ – mais impliquerait de passer avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes des conventions leur permettant de percevoir l’écotaxe pour le compte de l’État, ce qui n’est pas du tout incompatible avec le droit européen –, soit on met en place à l’entrée du territoire français une vignette prenant en compte le niveau de pollution et le nombre d’essieux, auquel cas l’État devrait dédommager Ecomouv’.

En tout état de cause, l’écotaxe poids lourds devrait, comme la LKW Maut allemande, concerner tout le réseau autoroutier et routier principal, y compris les départementales relevant de la nomenclature européenne, et privilégier la taxation des poids lourds à itinéraire international – à la différence donc du système actuel, qui revient à taxer les transports locaux à courte distance mais non les transports internationaux. Je précise que la logique d’itinéraire que je défends est évidemment incompatible avec toute régionalisation de la taxe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le système français est le même que celui qui est en vigueur en Autriche.

M. Marc Le Fur. Madame la ministre, je voudrais saluer votre intuition politique et vous remercier d’avoir compris combien la Bretagne a été blessée par cette affaire. Je voudrais également saluer le courage avec lequel vous osez remettre en cause des principes sacro-saints aux yeux de certains. J’espère que vous aurez l’autorité requise pour aller jusqu’au bout de votre démarche.

J’apporterai quelques éléments qui vont dans le sens de votre propos. D’abord, les Français ne comprendraient pas qu’un gouvernement qui a affirmé son refus de tout nouvel impôt en crée un en restaurant l’écotaxe ! (Exclamations parmi les commissaires du groupe SRC.)

Deuxièmement, la situation économique actuelle n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était lorsque l’écotaxe a été conçue. La priorité aujourd’hui est de ne pas pénaliser la production. Or on sait toute la part qu’y prennent la logistique et les transports. Cet impôt ne pèserait que sur la circulation de pondéreux, c’est-à-dire sur l’agriculture et sur l’industrie, alors qu’il épargnerait des secteurs comme la banque ou l’assurance.

Troisièmement, l’écotaxe n’a plus de fondement théorique. Le report vers d’autres modes de transport n’a pas été vérifié dans les pays où un système similaire a été mis en place. Quant au paiement par l’usager, il n’a pas de sens dans ce cas, les routes ayant déjà été payées par le contribuable.

Quatrièmement, je suis convaincu que les travaux réalisés par Ecomouv’ ne peuvent pas en l’état être réceptionnés : des transporteurs ayant participé à la marche à blanc nous ont indiqué très clairement que celle-ci n’avait pas démontré que le système fonctionnait. Or l’État ne doit rien tant qu’il n’a pas réceptionné les travaux. Vous êtes donc en position de force dans vos négociations avec la société Ecomouv’.

Je voudrais dire, en conclusion, que l’objectif assigné à notre mission – trouver le moyen de rendre l’écotaxe applicable – nous a toujours semblé erroné. Nous considérons en effet qu’il faut rechercher une solution radicalement autre, afin de trouver des sources de financement sans pénaliser l’activité économique déjà en grande difficulté.

M. Gilles Savary. Comme d’habitude, monsieur Le Fur, vous ne voyez pas au-delà de votre électorat breton ! Vous en oubliez que votre camp, hier, a jugé insuffisants les cinquante milliards d’économies du pacte de stabilité.

Le fondement théorique de l’écotaxe est assez simple : il s’agit de trouver une ressource suffisamment durable pour se substituer à l’impôt dans le financement de ce qui constitue le premier atout de compétitivité de la France, à savoir la qualité de ses infrastructures. Aujourd’hui, nous n’avons aucune solution pour financer ces infrastructures, notamment routières. En effet, s’il est vrai que le contribuable a payé leur construction, il reste à financer leur entretien. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’une rébellion de « Bonnets rouges » bretons qui considèrent que tout doit être gratuit pour eux, on laisse nos routes se dégrader comme vous avez laissé se dégrader le réseau ferroviaire.

Ce dont nous avons besoin, madame la ministre, c’est d’abord que vous nous garantissiez d’une façon ou d’une autre une ressource de 1,2 milliard d’euros en année pleine, et ce le plus rapidement possible. Je le dis avec gravité, car je crains qu’à défaut, le secteur des travaux publics ne connaisse à la rentrée de graves difficultés.

Que le fonctionnement du dispositif d’écotaxe consomme 20 % du produit de la collecte, contre 4 % en Suisse, s’explique probablement par le fait qu’on a recherché la perfection technique à la française, comme pour le TGV ou pour le Rafale, mais, comme vient de le rappeler Autostrade per l’Italia, une rupture unilatérale du contrat avec Ecomouv’ nous exposerait à une demande de dédommagement coûteuse pour le contribuable. En outre, ce dédit serait autant de perdu pour le financement de nos infrastructures. Notre mission d’information s’était donc donné comme objectif de réfléchir à des aménagements du dispositif afin d’écarter un tel risque. S’il apparaît qu’on peut « basculer » le contrat, il faut nous le dire.

Je souhaite enfin qu’on n’abandonne pas le choix de la taxation kilométrique, qui a prouvé son efficacité dans d’autres pays, qui ne va pas contre la directive « Eurovignette » et qui n’est pas récusée en tant que telle par les fédérations de transporteurs routiers. Surtout ce mode de taxation est le plus apte à assurer l’égalité de traitement entre transporteurs nationaux et transporteurs étrangers, dont le trafic encombre les routes de régions comme l’Aquitaine. J’aimerais donc savoir si ce choix sera maintenu ou si l’on envisage d’autres modes de taxation, qui devraient en tout état de cause faire contribuer le trafic international à l’entretien de nos infrastructures.

Mme Sylviane Alaux. Au moment même où nous parlons, des manifestations ont lieu dans de nombreuses villes pour réclamer une mise en œuvre rapide de la « pollutaxe ». Nous avons conscience de la difficulté de gérer ce que vous avez en d’autres lieux qualifié de « patate chaude », mais serait-il légitime d’aligner toute notre politique en la matière sur les revendications des Bonnets rouges, alors même que cette fronde a bien d’autres causes ? Ce que nous entendons s’exprimer sur le terrain, c’est la crainte que nous ne cédions aux lobbies du transport routier, au détriment du fret ferroviaire. En outre, beaucoup réclament un dispositif propre à améliorer la qualité de l’environnement tandis que les contribuables s’inquiètent du coût qu’aurait pour eux la dénonciation du contrat d’Ecomouv’. Le feu qui s’est allumé un peu partout dans notre pays n’est donc pas près de s’éteindre.

En conséquence, madame la ministre, j’aimerais que vous nous indiquiez au plus tôt un calendrier.

Mme la ministre. Madame Sas, je le redis une fois pour toutes : il faut prendre garde au vocabulaire qu’on emploie. Je ne veux pas que l’écologie soit une punition, surtout quand elle devient un prétexte pour créer un impôt qui n’a plus rien à voir avec la réorientation écologique des comportements. En conséquence, quelle que soit la solution finalement retenue, le mot « écologie » ne sera pas accolé à des mots tels que « taxe » ou « impôt ». Si on veut réussir la transition écologique, il faut en donner une idée positive aux acteurs économiques et sociaux. Il faut que l’écologie soit un « plus » en termes d’activités, d’innovation, de recherche et de développement économique, et nous devons pour cela miser avant tout sur des solutions consensuelles.

Vous évoquez les déclarations que j’ai faites devant la commission d’enquête du Sénat, en particulier sur la question du trafic des camions étrangers : je crois n’avoir fait que formuler des remarques de bon sens. Nous pouvons nous accorder à reconnaître que le principal problème réside dans la traversée de notre pays par des camions venus de l’étranger – et qui sont donc bien des camions majoritairement étrangers. Ce problème est, comme vos interventions en témoignent, particulièrement sensible dans les zones frontalières depuis que certains voisins européens ont mis en place l’Eurovignette. Je n’ai pas de réponse toute faite à ce problème et j’aimerais que ma contribution à la réflexion ne soit pas caricaturée. Il me semble simplement que le bon sens nous commande de rechercher une solution du côté de l’instauration d’un péage de transit à nos frontières.

Il n’est pas normal que des camions puissent traverser la France sans rien payer – pas même leur gazole dont ils font le plein en Espagne ou en Belgique – en évitant le réseau autoroutier et en saturant nos routes. Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité ou pour limiter la pollution, on pourrait prendre des mesures ciblées pour reporter ce trafic sur les autoroutes quand cela est possible. C’était d’ailleurs l’objectif de l’écotaxe, qui devait aboutir à faire payer à peu près le même prix que les camions empruntent la route ou l’autoroute. Si on atteint le même résultat sans avoir à supporter le coût de l’installation de portiques, ce sera tout bénéfice, puisque nous pourrons consacrer aux travaux d’infrastructures ce qui ne passera plus dans les frais de collecte, dont je rappelle qu’ils absorbent 25 % du rendement de la taxe.

Ma proposition concernant les sociétés d’autoroutes est, elle aussi, de bon sens. Je ne reviendrai pas sur le prix auquel les autoroutes ont été vendues parce que je ne veux pas verser dans la polémique partisane, mais ces sociétés reconnaissent que leur valeur s’en est trouvée considérablement accrue et, de fait, elles dégagent deux milliards de bénéfices grâce à des péages qui, en définitive, sont assimilables aux portiques. Avec la moitié seulement de cette somme, nous couvririons le coût des travaux d’infrastructures auquel nous devons faire face. Un tel prélèvement serait d’autant plus légitime que, si on parvient à reporter une part du trafic des poids lourds vers les autoroutes, le chiffre d’affaires de ces sociétés s’en trouvera accru. En tout état de cause, ce serait du « gagnant-gagnant », puisque les grands groupes de travaux publics qui sont leurs actionnaires bénéficieront des travaux prévus dans le cadre des contrats de projets État-régions et des grands projets de transports collectifs. Il me semble qu’il y a là une voie de négociation avec ces entreprises. J’ai d’ailleurs confié à M. Francis Rol-Tanguy, ici présent, le soin d’engager des discussions en ce sens Il me semble que s’ouvrent là des perspectives intéressantes, même si j’ignore encore si la démarche aboutira.

La voie contractuelle et la recherche du consensus me paraissent préférables à une multiplication des textes et des prélèvements ou encore à un bras de fer avec les entreprises de travaux publics. Nous devons tous ensemble privilégier l’intérêt général de notre pays, qui peut d’ailleurs coïncider avec l’intérêt particulier des entreprises de travaux publics et servir l’aménagement du territoire.

Pour ma part – et je le redirai lors du débat sur la transition énergétique –, je crois beaucoup à la politique contractuelle. Je ne veux plus qu’on accumule les normes et les contraintes. Face à une norme nouvelle, aussi fondée qu’elle soit, la première réaction est d’essayer de la contourner. Je n’ai pas envie que les acteurs économiques gaspillent leur intelligence à ce jeu et nous la nôtre à les contrer : j’ai envie de les impliquer dans des actions positives. C’est pourquoi mon ministère donnera la priorité aux politiques contractuelles, notamment en matière de transition énergétique. Il s’agira de mutualiser les bonnes pratiques des entreprises et des territoires qui ont déjà anticipé cette transition. Nous progresserons beaucoup plus vite en entraînant nos concitoyens vers un horizon positif qu’en les assommant de règles imposées d’en haut.

Il en va de même dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui. Il y a d’un côté des régions, des villes, des départements qui ont besoin d’infrastructures et des entreprises qui ont besoin de commandes publiques, d’un autre côté des Français qui ne veulent plus d’impôts nouveaux et, d’un autre côté encore, des camions étrangers qui ne paient rien. Peut-être qu’en mettant bout à bout toutes ces données, on va finir par trouver une solution …

Il n’est pas question de manœuvre dilatoire, monsieur Marleix. J’aurais préféré que ce problème soit réglé avant mon arrivée au ministère, mais les échéances sont déjà fixées : votre mission fera connaître ses conclusions le 15 mai et la commission d’enquête du Sénat
– présidée par une parlementaire UMP – fera de même le 27 mai. Il faudra donc trancher en juin. Que ce soit après les élections européennes me réjouit plutôt : il sera ainsi possible de prendre des décisions courageuses en évitant toute instrumentalisation dans un but électoral.

Les difficultés que vous avez évoquées, monsieur Straumann, se retrouvent dans toutes les zones frontalières et l’institution d’un péage de transit me semble susceptible d’y remédier.

À ce stade, monsieur Bies, j’ouvre des pistes et je recherche en toute transparence les solutions les plus acceptables, sans me préoccuper pour l’instant de leurs modalités techniques – tâche qui revient plutôt à votre mission.

Une des raisons du caractère un peu baroque de la carte du réseau taxable, monsieur Giraud, est que certains départements ont demandé que leur réseau routier soit soumis à l’écotaxe. Mais vous avez raison de mettre en garde contre les dangers d’une régionalisation de ce dispositif : notre pays souffre déjà d’inégalités territoriales et ce n’est donc pas le moment que l’État se désengage. Sous réserve d’un examen plus approfondi tenant compte de la situation particulière des régions frontalières, il me semble que mieux vaut généraliser un système équitable.

Je salue votre honnêteté intellectuelle, monsieur Le Fur : vous avez dressé un véritable réquisitoire contre l’écotaxe pourtant inventée par le gouvernement que vous souteniez ! La réaction de la Bretagne est tout à fait légitime, voire saine s’agissant d’une région périphérique, et devrait nous inciter à prendre en compte l’identité géographique. Une zone périphérique n’est pas dans la même situation qu’une zone frontalière qui subit, elle, la pression forte des camions, et je ne suis pas du tout choquée qu’une région mette en avant sa spécificité. C’est aussi cela la diversité et la richesse de la France.

Il ne faut pas opposer les régions les unes aux autres, monsieur Savary. En revanche, je suis d’accord avec vous sur la nécessité de trouver un système qui mette à contribution le trafic étranger.

Je le redis, madame Alaux : j’attendrai les conclusions de la mission d’information et de la commission d’enquête sénatoriale et les décisions interviendront au mois de juin. J’espère que nous parviendrons à faire émerger des solutions consensuelles qui permettront de mettre en mouvement toutes les forces vives et de lancer au plus tôt les appels d’offres pour les grandes infrastructures que notre pays attend.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. À l’intention de M. Giraud qui a évoqué des dispositions uniquement applicables aux véhicules de moins de 3,5 tonnes, je précise que le dispositif qui nous occupe ne concerne que les véhicules dépassant ce gabarit.

Pour le coût de gestion de la collecte, il me paraît utile d’indiquer un ratio dont on n’a pas fait état jusqu’ici : ce coût s’établit à 0,22 ou 0,23 centime d’euro par véhicule-kilomètre en France, contre 0,26 ou 0,27 en Suisse et en Allemagne.

M. Jean-Pierre Gorges. Madame la ministre, je pense que vous auriez pu attendre de rencontrer les parlementaires avant de vous exprimer sur l’écotaxe dans la presse. En agissant ainsi, vous avez perturbé les travaux de notre mission d’information, dont l’objectif était à l’origine de rechercher des aménagements pour assurer une mise en œuvre de l’écotaxe telle qu’elle a été conçue, comme Mme Sas vous l’a fait remarquer. Je me réjouis que vous ayez maintenant décidé de donner du temps au temps, mais sachez que notre mission a très bien travaillé et que nous avons soulevé toutes les questions que vous vous posez.

Sur le principe, tout le monde est d’accord. Il y a sans doute méprise quand on parle encore de taxe écologique, mais chacun reconnaît que nous avons besoin de ressources pour entretenir nos infrastructures. Tous les acteurs que nous avons auditionnés nous ont dit aussi que le dispositif était prêt à fonctionner ; c’est uniquement pour des raisons politiques, par peur d’ajouter au rejet de l’impôt, qu’il n’a pas été mis en place. Il n’est sans doute pas parfait, mais faut-il vraiment jeter à la poubelle ce qui a demandé six ans de préparation ou faut-il le mettre en œuvre, quitte à l’améliorer au fur et à mesure ? Si on l’arrête brutalement, je vous prédis qu’une commission d’enquête sera constituée dans cinq ans pour en déterminer la raison. Votre rôle n’est-il pas de dire qu’il est temps d’« appuyer sur le bouton » et de le mettre en marche, tout en se préoccupant des modifications à apporter par la suite pour le rendre pleinement opérant ? À défaut, vous devrez nous garantir que la perte de recettes sera compensée sans tarder par d’autres sources de financement.

À la suite de notre président, je rappelle que les portiques ne jouent aucun rôle dans la facturation. Il s’agit de systèmes automatiques pour contrôler l’équipement des véhicules, mais ce contrôle pourrait aussi bien être assuré par la gendarmerie

Mme Corinne Erhel. Je vous sais gré, madame la ministre, de votre souci d’explorer des pistes sans a priori. Il faut maintenant évaluer ces propositions en tenant compte du fait que nous sommes dans un calendrier contraint.

Vous avez souligné que toute politique doit être comprise pour être acceptée par nos concitoyens. Cela peut expliquer ce qui s’est passé en Bretagne. L’audition de la directrice générale des douanes et droits indirects, le 12 février, a mis en évidence la complexité d’un dispositif que l’évolution technologique a peut-être déjà rendu obsolète, d’ailleurs. Mais il semble que ce soit surtout le mécanisme de répercussion forfaitaire qui ait surtout suscité l’opposition, la prestation de transport étant taxée quelle que soit la route empruntée.

Enfin, si M. le président a donné la position de la CNIL quant à la propriété et à la destination des données collectées par Ecomouv’, la question de la propriété des données transmises aux sociétés habilitées de télépéage, les SHT, reste entière. Nous aurions donc besoin d’éclaircissements sur ce point.

M. Thierry Benoit. Vous avez fait, madame la ministre, un excellent diagnostic de la situation, parce que vous avez su être attentive à la fronde partie de Bretagne. Vous avez, dans vos premières déclarations, évoqué la nécessité d’une remise à plat. C’est l’avantage des remaniements ministériels que de permettre de telles révisions sans avoir à renier ses prédécesseurs. De même que M. Hamon a su avec élégance proposer un assouplissement de la réforme des rythmes scolaires, et tout en reconnaissant que la mise au point des portiques par Thales et Steria a représenté une prouesse technologique, je pense qu’il va vous falloir annoncer la disparition de l’écotaxe. Mais cela ne réglera pas pour autant le problème posé.

Vous avez, dans votre propos liminaire, distingué l’urgence de la perspective à long terme. L’urgence, c’est de financer le volet « Mobilité » des contrats de projets État-régions, ce pour quoi il serait irresponsable de renoncer à se procurer des ressources nouvelles. La perspective à long terme, c’est celle de la mutation écologique des comportements. À ce propos, je déplore l’agressivité manifestée par certains collègues à l’égard des professionnels du transport routier. De même que le Premier ministre a admis qu’il s’était trompé sur la réforme du scrutin cantonal, il faut reconnaître l’erreur commise avec le décret du 6 mai 2012, inspiré par une conception punitive de l’écologie alors que c’est une écologie incitative qu’il faut mettre en œuvre, en partenariat avec les acteurs de la filière transport, logistique et fret et en reconnaissant que la route est créatrice de richesses. C’est ce volet partenarial que vous seriez donc bien avisée de développer, en collaboration avec M. Montebourg, car il manque à l’éco-redevance.

M. Jean-Marie Sermier. L’écotaxe est victime d’un affreux malentendu, et j’ai ce matin perdu tout espoir d’assister un jour au report du fret de la route sur le rail – je rappelle que l’objectif initial de l’écotaxe était de contribuer à limiter les émissions de CO2. Ce n’est pas le décret de mai 2012 qui a brisé cette idée généreuse, mais la loi du 26 mai 2013, qui a étendu la taxation à l’ensemble des véhicules de transport de marchandises, même quand ils ne peuvent faire autrement qu’emprunter le réseau routier.

Aujourd’hui, madame la ministre, il faut répondre à une question simple : l’écotaxe est-elle un impôt supplémentaire visant à accroître les recettes de l’État afin de financer des projets d’infrastructures, ou est-ce une redevance dont l’objet est d’assurer le report vers d’autres modes de transport que le transport routier, afin de limiter les émissions de CO2 et d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement ? Si nous sommes bien dans ce dernier cas, alors il faut exonérer toutes les prestations de transport qui ne peuvent se faire que par route, surtout si c’est sur de courtes distances.

M. François-Michel Lambert. L’objectif de l’éco-redevance telle que les écologistes la défendent depuis plus de dix ans est de faire payer aux transports routiers inutiles et nocifs pour l’environnement la charge de la transition vers des transports propres, mais aussi de financer l’amélioration du système logistique français. Des experts de ce secteur, auditionnés il y a un peu plus d’un an, nous ont en effet expliqué que rendre ce système plus efficace procurerait à nos entreprises une plus-value de 20 à 60 milliards d’euros ! Gilles Savary, avec mon soutien, a donc fait adopter, précisément dans la loi instituant l’éco-redevance, un amendement instituant un schéma national directeur de la logistique. L’expérience de la Suisse, de l’Autriche et de l’Allemagne le démontre en effet : éco-redevance et efficacité logistique sont indissociables, participant ensemble d’un bon aménagement du territoire.

Mais tout cela ne peut se faire en quinze jours, non plus que venir à bout de cette « usine à gaz Ecomouv’ ». J’ai posé sur les portiques des questions écrites qui sont restées sans réponse. Selon le président du consortium lui-même, auditionné le 29 janvier, ces installations ne servent qu’à contrôler les poids lourds. Coûteuses, elles cristallisent le « ras-le-bol fiscal » et sont attentatoires aux libertés individuelles. Les représentants des salariés du transport, entendus le 9 avril, nous ont dit qu’au surplus, elles n’avaient pas d’utilité réelle et pouvaient tout à fait être remplacées par des contrôles de la police et de la gendarmerie. Quant à la CNIL, elle a, dans un avis du 14 février 2013, demandé la suspension immédiate du dispositif dans la mesure où il enregistrait le passage de tous les véhicules sans distinction. Peut-être a-t-elle changé d’avis, mais je pense, monsieur le président, qu’il serait judicieux de l’auditionner pour le vérifier.

En réalité, la technologie utilisée par Ecomouv’ me semble archaïque. Il en existe aujourd’hui de bien plus avancées, telle Alertgasoil, technologie brevetée proposée par une start-up de ma circonscription, Avenir-Développement durable, et qui, grâce à une sonde embarquée, garantit la géolocalisation des véhicules en temps réel et mesure de plus la consommation de gazole, permettant de réduire de 10 % l’émission de CO2. Je serais très étonné qu’elle ne permette pas de connaître les itinéraires empruntés.

Peut-être la décision de certains de ne pas participer au bureau de la mission y est-elle pour quelque chose, mais nous sommes restés enfermés dans le modèle Ecomouv’, ce qui nous a empêchés de réfléchir comme il conviendrait à ce que doit être l’éco-redevance et à son articulation avec le schéma national de la logistique, dans le cadre de choix politiques assumés. Avez-vous, madame la ministre, une idée de la façon dont nous pourrions nous donner le délai économique nous permettant de nous procurer le milliard d’euros et quelque nécessaire, en mettant à contribution le transport routier inutile, grâce à la juste écotaxe telle que je viens de la définir ?

M. Gilles Lurton. Comme mes collègues bretons, je salue le courage et la lucidité de vos propos, madame la ministre. Les déclarations que vous avez faites dès votre arrivée au ministère ont été accueillies avec un immense soulagement, particulièrement en Bretagne. Aujourd’hui, dans un contexte économique bien différent de ce qu’il était quand ce dispositif a été conçu, relancer ce projet d’écotaxe serait transformer notre pays – et pas seulement la Bretagne – en poudrière. À l’issue de cette audition, je me demande s’il ne faudrait pas réorienter nos travaux vers la recherche de solutions susceptibles de recueillir l’adhésion de toutes les parties prenantes.

M. Philippe Duron. Madame la ministre, je salue votre volonté d’écoute et je me réjouis de votre défense de la contractualisation, mais je voudrais insister sur deux points : l’ampleur du besoin d’infrastructures dans notre pays et l’urgence de trouver des ressources pour le couvrir.

En 2003, constatant que le budget de la Nation ne pouvait plus couvrir la réalisation des projets d’infrastructures nécessaires, le comité interministériel de l’aménagement et du développement du territoire, le CIADT, a fixé le principe de leur financement par des recettes affectées provenant principalement de la route, qu’il s’agisse des dividendes versés par les sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroute, les SEMCA, de la taxe d’aménagement du territoire, de la redevance domaniale ou des amendes au titre des radar, complétées par une subvention d’équilibre de l’État. Cependant, les besoins répertoriés dans le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) à partir des demandes des élus dépassaient un montant de deux cents milliards d’euros. Avec la commission « Mobilité 21 », on est revenu à une estimation plus raisonnable, soit 2,1 milliards par an, dans l’hypothèse la plus basse, pour les projets considérés comme prioritaires. Le scénario finalement retenu par le précédent Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, supposait d’engager trente milliards d’euros avant 2030, ce qui exigeait que l’AFITF dispose de 2,5 milliards d’euros par an, pour financer tant les projets lancés par la précédente majorité, dont les quatre lignes à grande vitesse, que les projets à venir.

La suspension de l’écotaxe a rendu ce besoin de financement urgent. L’AFITF n’est parvenue à établir qu’un budget d’attente, voire « de crise » comme je l’ai dit lors de mon audition par la mission d’information. Nous n’avons pu inscrire que 1 milliard 813 millions d’euros de crédits de paiement. Nous avons été contraints de consommer le fonds de roulement de l’agence et de lisser le financement de certains projets tels que des lignes à grande vitesse. Enfin, nous n’avons pu inscrire en autorisations d’engagement ni les contrats de projet ni le troisième appel à projets. Nous ne pourrons pas l’année prochaine continuer à financer les travaux d’infrastructures déjà engagés et ceux qui sont en attente.

Faites-vous vôtre le scénario de financement de l’AFITF de 2,5 milliards d’euros par an, qui avait été retenu par Jean-Marc Ayrault ? Pensez-vous possible aujourd’hui de trouver une source de financement suffisamment robuste pour que l’AFITF puisse construire un budget pour l’année 2015 ?

M. Éric Straumann. Je voudrais redire à l’adresse de M. Lambert que les portiques ne sont pas un outil de perception, mais de contrôle. Les camions étant équipés de GPS, on peut à la limite les supprimer.

Mme la ministre. Si j’ai perturbé les travaux de la mission, monsieur Gorges, je vous prie de m’en excuser. Il s’agissait seulement pour moi d’évoquer des pistes, et non d’aller contre vos prérogatives. Je mesure parfaitement la qualité du travail que vous avez accompli à travers vos auditions. Mais vous m’invitez à « appuyer sur le bouton » : si c’est pour tout faire sauter, j’espère que nous trouverons d’autres solutions ! Ce n’est peut-être pas le moment de mettre un impôt supplémentaire à la charge des PME de transport ou des chargeurs. Nous devons faire preuve de sens des responsabilités compte tenu de la situation économique du pays.

Je partage vos observations, madame Erhel, et je vous remercie de votre contribution.

Puisque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait suspendu la mise en œuvre de l’écotaxe, monsieur Benoit, il était de ma responsabilité ministérielle de travailler à la « remise à plat » que vous évoquez. Vous me demandez si c’est la fin de l’écotaxe : en tout état de cause, le mot est condamné. Je ne reprendrai pas cette terminologie, car je refuse d’associer le terme « écologie » à celui de taxe. C’est aussi une question d’honnêteté intellectuelle à l’égard des Français et, spécialement, de ceux qui n’ont pas la possibilité d’arbitrer en faveur d’un comportement écologiquement vertueux.

Une fiscalité écologique doit d’abord être positive, c’est-à-dire créer de l’emploi en réorientant les comportements. Ainsi, quand on incite à l’amélioration énergétique des bâtiments grâce à des déductions fiscales, on crée à la fois des emplois dans la filière du bâtiment et du bien-être pour les ménages, et on protège l’environnement. Chacune des décisions que je prendrai à la tête de ce ministère devra satisfaire à ces trois critères : contribuer au développement économique ; accroître le bien-être ou le pouvoir d’achat de nos concitoyens ; contribuer à la protection de l’environnement.

Vous avez raison de souligner l’importance de la filière logistique : ce sont des milliers d’emplois et d’entreprises. Le vrai problème aujourd’hui, c’est celui des « stocks roulants », qui permettent de faire prendre en charge par la dépense publique ce qui devrait relever de la dépense privée. De ce point de vue, les flux de transit constituent de véritables détournements de fonds publics. Il faut, en effet, donner consistance à un schéma national directeur de la logistique, monsieur Lambert, si on veut placer les entreprises devant leurs responsabilités et calculer le coût économique de ces prises en charge indues.

Monsieur Lurton, c’est à ses membres qu’il revient de définir le champ d’investigation de la mission d’information. Pour ma part, je viens simplement apporter, en toute transparence et en toute sincérité, ma contribution à la recherche de solutions intelligentes.

Ayant signé, en tant que présidente de région, le volet « Mobilité » du contrat de projets État-région, je suis parfaitement consciente, monsieur Duron, qu’il est urgent de trouver rapidement des moyens de financement. Conformément au principe de la continuité de l’État, il n’y a aucune remise en cause de l’objectif de financement des projets retenus par la commission « Mobilité 21 » de 2,5 milliards par an. C’est précisément la raison pour laquelle nous cherchons des solutions telles que celles que j’ai évoquées.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Madame la ministre, il me reste à vous remercier chaleureusement au nom des membres de la mission d’information,

Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Sapin,
ministre des finances et des comptes publics

(Séance du mardi 6 mai 2014)

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous recevons ce soir M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics.

Auditionné le 15 janvier dernier, son prédécesseur, M. Bernard Cazeneuve, ne nous avait pas caché que la trajectoire financière construite pour la politique des transports reposait sur la mise en œuvre de l’écotaxe à compter du 1er janvier 2014. Cette entrée en vigueur n’a pas eu lieu et 800 millions d’euros au moins font donc défaut sur le montant de 1,2 milliard attendu de ce prélèvement, en recettes brutes et en année pleine.

À ce jour, nous ne savons toujours pas comment sera bouclé le financement du volet « Transports » des contrats de plan entre l’État et les régions. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, n’a pu adopter son budget pour 2014 qu’au prix d’une consommation de sa trésorerie et elle se trouve aujourd’hui contrainte à des solutions périlleuses pour honorer certains appels de fonds concernant de grands investissements en cours de réalisation. Quant aux perspectives de financement d’autres projets de transports collectifs, elles sont hypothéquées par le « vide » qu’a créé la décision, prise le 29 octobre 2013, de suspendre sine die l’écotaxe.

Pour sa part, la mission d’information a travaillé conformément à l’orientation fixée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, s’attachant à élaborer des observations et des propositions dont le Gouvernement tiendrait compte pour décider le plus rapidement possible, après la publication de notre rapport, d’une relance de l’écotaxe, sans doute revue et corrigée. De nombreuses déclarations ministérielles attestaient en effet que la suspension de l’écotaxe ne signifiait pas sa disparition pure et simple.

Mais, après les premières déclarations de Mme Ségolène Royal, je ne vous cache pas que certaines perspectives troublantes, voire particulièrement inquiétantes, ont suscité au sein de notre mission bien des interrogations, que l’audition de la ministre mercredi dernier n’a pas toutes levées.

En tant que président et rapporteur de la mission, j’ai tenu à ce que des pistes de « relégitimation » de l’écotaxe puissent être ouvertes.

Le dossier a souffert de trop de confusions, souvent délibérément entretenues par ceux qui, sous couvert de lutter contre l’écotaxe, relayaient complaisamment la désinformation pour mieux défendre leurs intérêts.

Nous attendons donc de votre audition des éléments concrets et si possible chiffrés, monsieur le ministre.

Qu’en est-il, par exemple, du risque financier encouru par l’État s’il entendait effectivement prononcer la déchéance ou la résiliation pour motif d’intérêt général du partenariat public-privé conclu avec Ecomouv’ ? Mme Royal nous a confirmé, la semaine passée, que des conciliateurs avaient été désignés pour faire des propositions. Là encore, une clarification s’impose : puisqu’il semble que l’État s’engage sur la voie de la conciliation, faut-il en conclure qu’il n’est pas dans ses intentions de tout casser, ce à quoi équivaudrait pourtant une déchéance ou une résiliation ?

Je pense que vos services suivent désormais de très près les discussions en cours. Nous comprenons qu’il ne vous sera sans doute pas possible de tout nous dire sur cette question, dont les termes peuvent d’ailleurs évoluer de jour en jour, peut-être même d’une heure à l’autre. Nous sommes toutefois désireux de savoir où en est exactement le Gouvernement dans le suivi de ce dossier, certes complexe mais qu’il convient de ne pas chaque jour compliquer davantage. L’opinion est aujourd’hui en droit d’exiger des réponses qui n’ont que trop tardé. Par exemple, une réflexion est-elle véritablement engagée sur la mise en œuvre, à titre de complément ou de substitution à l’écotaxe, d’une taxe ou vignette de transit à nos frontières, sachant qu’il ne saurait être question qu’elle touche les seuls transporteurs étrangers, comme on l’avait laissé dire il y a peu ?

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Merci, monsieur le président, pour le réalisme avec lequel vous avez introduit ce débat : il me sera en effet difficile, à ce stade, d’être beaucoup plus précis que l’ont été d’autres ministres. Nous sommes encore dans le temps de la réflexion, et il serait au surplus inconvenant de vous soumettre des décisions avant même d’avoir pris connaissance de vos propositions.

Je sais que votre mission d’information a engagé un travail prospectif, se concentrant sur le devenir de l’écotaxe poids lourds. Mais, avant d’aborder l’avenir, permettez-moi de revenir un instant sur les origines de cette taxe.

Elle a été conçue comme une nouvelle composante de la fiscalité écologique dans notre pays. Elle trouve son origine dans les travaux du Grenelle de l’environnement et a été adoptée par le Parlement de façon transpartisane, ce qui souligne le caractère fédérateur de ce projet tel qu’imaginé au départ.

La portée écologique de cette écotaxe est double. C’est d’abord une taxe comportementale : même avec un taux relativement faible – 13 centimes d’euro par kilomètre, soit un tarif nettement inférieur à celui pratiqué en Allemagne ou en Suisse –, elle a été conçue pour favoriser un usage plus rationnel du réseau routier, en encourageant le report modal, notamment au profit de modes de transport moins carbonés, et en décourageant, parallèlement, la circulation des camions à vide.

Mais c’est aussi une taxe de rendement, censée donner un prix à l’usage par les poids lourds, y compris étrangers, des routes nationales et départementales dont l’entretien est aujourd’hui financé par le contribuable. Son produit – 1,15 milliard en année pleine –, devait servir à abonder le budget de l’AFITF pour 750 millions d’euros, afin de lui permettre de réaliser des investissements, notamment dans des modes de transport plus écologiques.

L’écotaxe poids lourds a donc été conçue comme une « taxe Pigou », visant, d’une part, à renchérir une activité polluante et, d’autre part, à développer des solutions alternatives à cette activité, en finançant les infrastructures de transport. Ce dernier aspect est important dans la réflexion sur l’avenir de la taxe puisqu’il a, bien sûr, des implications budgétaires. En effet, une baisse de rendement occasionnée par une modification des paramètres de la taxe, et donc une baisse des ressources dévolues aux infrastructures de transports à travers l’AFITF, devrait logiquement nous conduire à revoir nos ambitions en la matière, à moins que ne soit trouvée une recette de substitution équivalente.

C’est d’ailleurs à partir du produit escompté de l’écotaxe que Philippe Duron et la commission qu’il a présidée ont redessiné les priorités de la politique des transports du pays pour les décennies à venir. Et c’est en partant de cette même hypothèse que le Gouvernement précédent avait demandé aux préfets d’engager des discussions sur les contrats de plan État-régions et sur les projets d’infrastructures nécessaires au développement des territoires.

Ce préalable étant posé, permettez-moi d’en venir à la question de l’avenir de l’écotaxe et du contrat Ecomouv’. Plusieurs options sont bien sûr ouvertes sur le premier point. Certaines sont bien connues : il s’agit notamment des possibilités d’exemption qui restent ouvertes au titre de la directive « Eurovignette », par exemple en faveur du transport d’animaux ou des transports agricoles de proximité.

Mais il est également normal et sain que le nouveau Gouvernement se saisisse du dossier et pose un œil neuf sur le sujet. C’est ce qu’a fait ma collègue Ségolène Royal, qui a évoqué des pistes de travail, comme la reconfiguration de la taxe en « péage de transit », se concentrant sur les grands axes de flux internationaux. Il nous faudra pleinement expertiser ces pistes avant de prendre une décision définitive, sachant que la directive européenne nous impose un certain nombre de limites juridiques. Je tiens ici à réaffirmer tout l’intérêt que le Gouvernement portera, dans cet exercice, aux conclusions de votre mission d’information.

Dans tous les cas, mon souhait, en tant que ministre en charge des comptes publics, est que soit privilégiée une option permettant de limiter les coûts et de conserver un rendement acceptable.

Redéployer la taxe en préservant à la fois le dispositif de recouvrement et, éventuellement sous réserve d’un avenant, le contrat Ecomouv’, est sans doute à cet égard la solution la moins coûteuse techniquement et budgétairement. Vous connaissez en effet le coût approximatif d’une éventuelle rupture du contrat : elle pourrait entraîner le versement à Ecomouv’ d’une indemnité allant jusqu’à 850 millions d’euros, à laquelle il conviendrait probablement d’ajouter des indemnités de rupture de contrat ainsi que certains frais financiers.

Vous pourrez juger ce montant excessif et il est vrai que la mission d’appui aux partenariats public-privé avait, lors de l’examen du contrat, émis des réserves sur le coût d’une résiliation éventuelle. Mais c’est ainsi ; nous avons hérité de ce contrat et des dispositifs mis en œuvre pour son application – je pense notamment aux services douaniers déployés à Metz.

Ces considérations expliquent que le Gouvernement ait cherché à maintenir le dialogue avec Ecomouv’. Vous savez que la suspension de la taxe a créé une situation de vide juridique, puisqu’elle n’était pas prévue dans le contrat. Cette situation a ouvert un espace de discussion avec Ecomouv’, discussion qui se poursuit à présent dans le cadre d’une procédure de conciliation contractuellement prévue. Dans ce cadre, le Gouvernement entend, avec bonne foi mais avec la plus grande fermeté, faire valoir les intérêts publics. C’est avec ces intérêts en tête que Mme Ségolène Royal fixera, en tenant compte des conclusions de votre mission d’information et de la commission d’enquête du Sénat, le mandat donné au conciliateur désigné par l’État, M. Pierre-François Racine.

Mme Isabelle Le Callennec. La semaine dernière, Mme Royal nous a déclaré qu’à ses yeux l’écotaxe n’était pas une taxe écologique, dans la mesure où l’objectif qui lui était assigné de réorienter le trafic routier vers le rail ne pouvait être atteint dans certaines régions.

Vous avez parlé de recettes de substitution. Quelles pourraient-elles être selon vous ?

Je ne doute pas qu’en tant qu’ancien ministre du travail vous soyez sensible aux arguments défendus par le collectif des acteurs économiques bretons, qui ont évalué très concrètement le coût de l’écotaxe pour leur région. Vous savez également combien nos entreprises misent sur une diminution du coût du travail. En tant que ministre des comptes publics, vous insistez sur la nécessité de limiter les coûts et de préserver un rendement acceptable pour l’État. Une fois nos conclusions rendues, il vous faudra donc procéder à des arbitrages, d’autant plus difficiles que le Gouvernement risque de devoir faire le grand écart entre vos positions et celles défendues par la ministre de l’écologie.

M. Bertrand Pancher. Que peut-on faire pour éviter ce qui est en train de devenir le plus gros scandale administratif et financier de la Ve République, sachant que l’abandon de l’écotaxe, obligeant à revenir sur un appel d’offres dont personne ne conteste la régularité, aura un coût de 700 millions d’euros pour l’État ? On comprend que la majorité ait choisi de reporter sa décision après les élections municipales – nous aurions sans doute fait de même –, mais doit-on désormais attendre le résultat des élections européennes ?

Le budget de l’AFITF est aujourd’hui dans une situation catastrophique. Rien ne compense les 800 millions d’euros censés financer les contrats de projets État-régions, et le troisième appel d’offres pour les transports en site propre devrait, s’il était lancé, se mettre en place sans aucun soutien financier aux collectivités. C’est tout le travail de révision des priorités en matière d’infrastructures de transport que nous avons effectué à la demande du Gouvernement qui tombe ainsi à l’eau.

Ségolène Royal a fait, à trois semaines d’intervalle, deux propositions différentes. Le 15 avril 2014, elle proposait de faire payer uniquement les transporteurs étrangers, en les obligeant à emprunter les autoroutes et à acquitter une vignette comme en Suisse, toutes mesures qui ne sont pas « eurocompatibles ». Le 5 mai 2014, elle a donc émis l’idée de ponctionner 50 % des bénéfices des sociétés d’exploitation d’autoroutes pour les affecter au financement des infrastructures. Vous semblez indiquer, monsieur le ministre, que le Gouvernement s’appuiera sur les conclusions de notre mission pour prendre ses décisions. Pouvez-vous nous le confirmer ? Cela nous rassurerait.

M. Philippe Bies. Je m’étonne que ceux-là même qui n’ont pas été capables de mettre en place cette écotaxe quand ils étaient au pouvoir dénoncent aujourd’hui ce qui constituerait selon eux le plus gros scandale administratif et financier de la Ve République. Ce sont d’ailleurs les mêmes donneurs de leçons qui ont bradé les autoroutes, réduisant ainsi considérablement nos marges de manœuvre.

Vous avez rappelé que l’écotaxe devait rapporter 750 millions d’euros à l’État et près de 200 millions aux collectivités locales. Elle devait permettre à l’AFITF de financer près de cent vingt projets, représentant quelque six milliards d’euros d’investissements. Son abandon provisoire ou sa modification substantielle porterait donc un coup fatal à l’investissement dans les transports.

Le président Jean-Paul Chanteguet s’est beaucoup démené pour animer cette mission, y compris pendant la suspension des travaux parlementaires. Il a conduit nos travaux dans une perspective budgétaire strictement contrainte par la situation de nos finances publiques. Nous voudrions savoir aujourd’hui, alors que se déroule notre dernière audition, si la Mission est autorisée, pour rendre ses conclusions, à sortir de ce cadre budgétaire et à remettre en cause le contrat avec Ecomouv’, ce qui aurait pour l’État un coût non négligeable.

Mme Corinne Erhel. Contrairement à ce que dit Bertrand Pancher, il n’est pas illégitime de s’interroger sur le contrat conclu entre l’État et Ecomouv’. Tant que la commission d’enquête du Sénat n’a pas rendu ses conclusions, la rupture de ce contrat reste une piste envisageable.

D’autre part, j’ai déjà souligné à plusieurs reprises la complexité juridique du dispositif, avec les difficultés que cela entraîne pour sa mise en œuvre, mais me pose surtout question le mécanisme de répercussion forfaitaire, qui s’applique à toutes les prestations de transport, qu’elles passent ou non par des routes « écotaxées ». C’est une mesure qui a exacerbé les oppositions, notamment dans les régions périphériques, et de même que je l’ai demandé à Bernard Cazeneuve, j’aimerais connaître votre position sur le sujet, monsieur le ministre.

Enfin, qu’il s’agisse des solutions proposées par Ségolène Royal ou des propositions que fera notre mission, nous devons nous interroger sur leur eurocompatibilité : la vignette, la taxe à l’essieu, la taxe additionnelle sur le gazole, la taxation des sociétés autoroutières sont-elles conformes au droit européen ?

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre, vous évoquez la dette de l’État à l’égard d’Ecomouv’. Mais, pour qu’il y ait une dette, il faut qu’il y ait réception du marché et, pour cela, il faut que le système fonctionne. Or tel n’est pas le cas…

M. le ministre. Avec des portiques à terre…

M. Marc Le Fur. Les transporteurs que nous avons auditionnés et qui ont participé à la marche à blanc ont fourni des éléments très précis prouvant que le système ne fonctionnait pas. Je souhaiterais par conséquent que nous auditionnions les sociétés habilitées de télépéage, les SHT, afin de démontrer qu’il n’y a pas lieu de réceptionner le marché et que l’État n’a dès lors pas de dette à l’égard d’Ecomouv’.

Nos travaux ont au moins permis d’établir un point, à savoir que l’écotaxe a perdu toute justification théorique. Si l’on pouvait concevoir à l’origine qu’elle concoure à faire évoluer les modes de transport, démonstration a été faite qu’en réalité le transport routier se fait souvent sur de petites distances – 115 kilomètres en moyenne – pour lesquelles il n’y a pas de solution de substitution, ferroviaire ou fluviale. Les exemples étrangers, dont je regrette d’ailleurs que nous ne les ayons pas réellement étudiés, ne permettent pas davantage d’établir l’efficacité des mesures fiscales pour encourager le report modal.

De même, s’il paraît intellectuellement raisonnable de faire en sorte que le transporteur concoure à payer la route qu’il utilise, il s’avère qu’en réalité le produit de l’écotaxe doit servir à financer le rail et les transports urbains. Au reste, les routes ayant déjà été payées par le contribuable, il ne s’agirait plus que de participer à leur entretien, ce qui représente un coût négligeable (Exclamations.)

Que pensez-vous de la proposition de Mme Royal de faire payer les véhicules étrangers, sachant qu’ils n’acquittent pas la taxe à l’essieu ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Rappelons tout de même que, dans tous les pays européens – la directive « Eurovignette » en donne la liste –, les transporteurs nationaux acquittent une contribution comparable à la taxe à l’essieu.

M. Marc Le Fur. Soit. Mais, du fait de l’évolution des règles relatives au cabotage, les transporteurs étrangers effectuent aujourd’hui une grosse partie de leur activité en France, où ils n’acquittent pas de taxe à l’essieu.

Ségolène Royal a également évoqué la possibilité d’obliger les transporteurs étrangers qui empruntent nos routes entre le Benelux et l’Espagne à utiliser les autoroutes. Cette mesure de type réglementaire est-elle envisageable ?

Que penser enfin d’autres hypothèses comme la taxation des sociétés d’autoroutes ou le recours au CICE évoqué par notre mission ? Ne serait-il pas possible de distraire une toute petite partie des 20 milliards d’euros concédés dans ce dernier cadre aux entreprises, dont 2,5 milliards à la grande distribution, pour financer nos infrastructures ?

Les députés de la majorité ont jusqu’à présent travaillé au sein de cette mission dans le souci de rendre supportable un dispositif fiscal dont ils ne mettaient pas en cause les fondements. Or, il semble qu’on doive désormais imaginer des solutions alternatives à l’écotaxe pour financer nos infrastructures. Il va nous falloir pour cela faire preuve d’une imagination que nous nous sommes interdite jusqu’à présent.

M. Gilles Savary. Nos collègues de l’opposition sont à la recherche de dispositions qui feront advenir le scandale qu’ils dénoncent après en avoir préparé tous les éléments !

J’ignore ce qu’il en est de l’écotaxe, mais la directive « Eurovignette », qui en est le fondement juridique, est bien une « taxe Pigou » ?

M. le ministre. Arthur Cecil Pigou est celui à qui fut dédiée la Théorie générale de Keynes.

M. Olivier Marleix. Pour Keynes, il fut en effet son maître, contre lequel il s’est d’ailleurs rebellé. Il avait, lui, des solutions pour inverser la courbe du chômage …

M. Gilles Savary. Théoricien des externalités, Pigou n’a jamais dit qu’il fallait à tout prix faire du transfert modal mais qu’il fallait faire payer aux agents économiques la totalité des coûts engagés, y compris les coûts externes. De ce point de vue, il n’est pas scandaleux de faire payer aux camions leur usage de la route et la pollution qu’ils produisent, quand bien même il n’existe pas de mode de transport alternatif.

Toutes les organisations de transporteurs routiers consultées nous ont d’ailleurs fait des contre-propositions, ce qui prouve qu’elles n’ont pas d’hostilité de principe à un dispositif comme il en existe dans la plupart des pays européens, destiné à financer par une recette durable et robuste le développement et la maintenance de nos infrastructures.

La vraie question est donc de savoir dans quelle mesure nos propositions devront respecter le cahier des charges consistant à faire le moins de dégâts possible sur le budget de l’État. Je rappelle d’autre part que, si la directive « Eurovignette » autorise les États membres à taxer les transporteurs, reste proscrite toute fiscalité visant à « internaliser » des coûts externes qui ne frapperait que les étrangers. Dans la mesure où le transit étranger n’excède pas 10 % de notre trafic global, le rendement d’une telle fiscalité serait au demeurant extrêmement faible.

Dans ces conditions, le Gouvernement envisage-t-il, au cas où il renoncerait à l’écotaxe, de lui substituer une ressource du même ordre et aussi durable pour financer nos investissements publics ?

La ministre de l’écologie parle de taxer les sociétés d’autoroutes : des négociations sont-elles en cours avec celles-ci et est-il envisageable de mettre la main sur tout ou partie des 2 milliards de bénéfices qu’elles réalisent aujourd’hui ?

Enfin, ne serait-il pas utile de mettre en perspective la future écotaxe avec la réforme de la décentralisation ? La disparition des départements va sans doute conduire à transférer aux régions le réseau de routes départementales. Dès lors, ne serait-il pas opportun d’envisager un dispositif fiscal partagé entre l’État et les régions, de manière à responsabiliser ces dernières tout en les laissant libres de ne pas instaurer de prélèvement si elles considèrent que l’usure de la chaussée ne le justifie pas. Cela empêcherait en tout cas certaines régions de considérer que, chez elles, tout est gratuit et que ce sont les autres qui doivent payer.

M. Jean-Pierre Gorges. Nous nous accordons à peu près tous sur le fait que l’écotaxe n’est pas une taxe écologique et qu’il convient d’appliquer un principe d’« utilisateur-payeur ». Avez-vous échangé avec la ministre de l’écologie sur ce sujet et êtes-vous d’accord sur ce principe fondamental ?

Vous a-t-on demandé de réfléchir à des solutions de substitution pour dégager le milliard nécessaire au financement de nos infrastructures ?

Je ne suis pas d’accord avec Marc Le Fur : toutes les personnes que nous avons auditionnées nous ont confirmé que le système fonctionnait. Certains portiques sont certes à terre, mais je rappelle qu’il s’agit, non d’outils servant à la facturation et au péage, mais d’installations permettant de vérifier la présence des équipements embarqués. Dans ces conditions, relancer l’écotaxe en dépit de quelques portiques hors d’état diminuerait certes les recettes de quelques centaines de millions d’euros, mais procurerait un argent dont nous avons besoin. Mieux vaut perdre une main que le bras !

En d’autres termes, sachant que l’arrêt du dispositif était uniquement motivé par des raisons politiques, et non techniques ou administratives, il est temps de le remettre en route. La ministre de l’écologie ou le ministre des finances auront-ils donc le courage d’appuyer sur le bouton, quitte à ce que nous réfléchissions aussitôt après à une version améliorée de l’écotaxe ?

M. Philippe Duron. Les transports, la mobilité et les infrastructures ont longtemps étaient subventionnés par la puissance publique – l’État et les collectivités territoriales – jusqu’à ce que l’on se rende compte que celle-ci n’était plus en mesure de répondre à tous les besoins et qu’il apparaisse indispensable, pour des raisons d’efficacité économique, de répartir l’effort entre les contribuables et les usagers. Telle est l’origine de cette écotaxe, que l’on aurait sans doute mieux fait d’appeler redevance, et ce principe, appliqué aujourd’hui à la route, a sans doute vocation à s’étendre à la tarification du transport ferroviaire et des transports urbains, compte tenu des ratios entre recettes et dépenses. Quoi qu’il en soit, approuvez-vous, monsieur le ministre, ce principe d’une tarification des usages en matière de mobilité et celui d’une meilleure répartition des coûts entre l’usager et le contribuable ?

Votre ministère a-t-il effectué des simulations sur les différents systèmes de perception susceptibles de fournir un rendement permettant de couvrir nos besoins d’infrastructures ?

Ma dernière question concerne le budget de l’AFITF : dans le cas où le Gouvernement déciderait de ne pas redonner sa chance à l’écotaxe, comment voyez-vous le financement des engagements de l’État à court et moyen termes ?

M. Jean-Yves Caullet. Si l’on passait d’un outil de financement des infrastructures de transport à une taxe sur l’usage de ces dernières, ne faudrait-il pas faire prévaloir une logique d’itinéraire ? Le système initialement retenu était fondé sur la taxation d’un nombre restreint de trajets ; ne pourrait-on pas appliquer des taux plus faibles, mais sur un réseau plus étendu ?

Dans la mesure où une telle redevance d’usage s’ajouterait à d’autres prélèvements, comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), serait-il imaginable de pratiquer une forme de neutralisation fiscale, afin de ne pas faire payer et le contribuable et l’usager pour le même service ?

Toujours dans cette hypothèse, pensez-vous qu’il serait possible de moduler l’affectation des recettes en fonction du taux applicable ?

Tous ces points ont déjà été débattus, mais peut-être cela permettrait-il de dégager des marges de manœuvre, ce qui est l’objet de notre mission d’information. Qu’il est dommage, chers collègues de l’opposition, que vous n’ayez pas souhaité participer à son bureau : cela aurait donné plus de poids à vos remarques !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pour être précis, mon cher collègue, nos collègues de l’opposition n’ont pas souhaité assumer la présidence de la mission.

M. Jean-Yves Caullet. Ce qui a pour conséquence que notre rapporteur est aussi le président : il aurait été plus utile que nous travaillions ensemble !

M. François-Michel Lambert. Je voudrais rappeler à M. Le Fur que l’objectif initial de l’éco-redevance poids lourds était de rééquilibrer la charge du transport routier
– notamment lorsqu’il peut être évité –, en en faisant supporter les coûts externes par ceux qui y ont recours : ce n’est pas totalement déconnecté de la réalité. Il était en outre prévu que le produit de cette taxe, de l’ordre de 1 milliard d’euros, soit fléché et réparti entre l’AFITF et les régions.

Ce sont les préalables sur lesquels nous devons nous accorder. À défaut, on va s’éloigner de l’objectif premier et des divergences très fortes risquent d’apparaître. Il vous faudra alors les assumer, chers collègues !

Aujourd’hui, la seule solution qui nous est proposée est le système conçu par Ecomouv’, avec ses portiques. Peut-on imaginer de reprendre les négociations avec ce partenaire sur une base simplifiée, en renonçant aux portiques, qui n’apportent pas grand-chose si ce n’est – et encore, ce n’est pas certain – qu’ils permettent de limiter le taux de fraude ? On gagnerait ainsi sur la rémunération d’Ecomouv’ – qui, je le rappelle, est de 230 à 250 millions d’euros par an – ce qui serait perdu du fait de la fraude. Cela enverrait en outre à nos concitoyens le message que l’argent collecté via cette taxe sera utilisé pour accroître la performance de nos infrastructures, et non celle des actionnaires d’Ecomouv’.

La technologie retenue par Ecomouv’ n’est pas des plus modernes alors qu’on est censé l’utiliser pendant une durée de dix ans. Il est inquiétant d’y avoir recours alors que n’importe quelle entreprise de transport moderne est capable à tout instant de localiser chacun de ses camions, au centimètre près ! Ne pourrait-on pas se donner un an pour revoir l’intégralité du système, en compensant le manque à gagner par l’affectation d’une recette exceptionnelle ?

Enfin, la réforme territoriale – que le groupe écologiste soutient – a été évoquée de nouveau ce matin par le Président de la République. C’est pour très bientôt : janvier 2017. Il s’agit, au-delà d’un simple redécoupage des régions, d’accorder à celles-ci plus de responsabilités, tant en matière de recettes fiscales que de modes de développement. Comment s’y prendra-t-on pour intégrer cette nouvelle réalité au système conçu par Ecomouv’ ? Cette question ne faisait pas partie à l’origine du périmètre de nos travaux, mais je crois que nous pouvons difficilement faire l’impasse dessus.

M. le ministre. Même si elles peuvent parfois sembler redondantes, vos questions sont révélatrices des difficultés auxquelles nous nous heurtons. En effet, si un constat s’impose, c’est bien qu’il y a un problème : dans le cas contraire, l’entrée en vigueur du dispositif n’aurait jamais été repoussée, et elle serait même devenue effective sans attendre le changement de président de la République. Et je ne doute pas, monsieur Le Fur, que vous auriez alors mené les mêmes combats !

Reste qu’il faut avancer, qu’il faut bien qu’à un moment donné, quelqu’un essaie de régler le problème. Nous aurions pu nous arranger pour que ce moment arrive plus tard, mais il est possible que nous soyons alors toujours au pouvoir… (Sourires.)

Donc, comment faire ? L’objet de votre mission d’information est de contribuer à trouver une solution, et le Gouvernement a effectivement le même objectif, de même que chacun de ses membres. Mais, s’il doit bien y avoir au bout du compte une position gouvernementale unique, chaque ministre peut avoir des préoccupations qui lui sont propres, en fonction de son domaine de compétence. En ce qui me concerne, en tant que ministre des finances et des comptes publics, il est de ma responsabilité de rappeler qu’on aura beau prendre les choses dans tous les sens, il n’y aura pas d’argent supplémentaire disponible dans les caisses : on ne pourra pas trouver ailleurs les sommes manquantes – ou alors ce serait au prix d’un arbitrage. Il faut donc trouver une solution qui ne passe ni par un accroissement des impôts, taxes ou redevances, ni par une augmentation de la dépense publique ; une solution qui soit conciliable avec le pacte de responsabilité, dont le plan de 50 milliards d’euros d’économies n’est pas simple à mettre en œuvre. Cela étant, on dispose, à l’intérieur de ce cadre, d’une certaine liberté.

Mme Le Callennec cherche à m’entraîner sur un terrain quelque peu glissant en m’interrogeant sur la nature plus ou moins « écologique » de la taxe. Il me semble, madame, qu’une redevance visant à provoquer un changement « comportemental » en incitant les affréteurs et les chargeurs à utiliser d’autres moyens de transport que le transport routier est, en soi, une bonne chose ; même si ce mécanisme ne peut avoir partout le résultat souhaité, faute de gares, il est prévu que le produit de la taxe serve au financement par l’AFITF d’autres modes de transport qui émettent moins de CO2 : cela me paraît plutôt vertueux. Sur le fond, il me semble donc que l’intérêt du dispositif ne peut être contesté.

Il reste que, quelles que soient ses qualités intrinsèques, un dispositif qui n’est pas accepté ou qui se révélerait inapplicable n’est pas une solution idéale. Il faut aussi qu’il soit réaliste.

Quelles sont les solutions possibles ?

La première serait de conserver le dispositif retenu tout en essayant de remédier à ses inconvénients. On pourrait ainsi accorder un traitement particulier à certains types de transport, comme le transport agricole, qui pourrait être exonéré de redevance. On pourrait aussi faire payer dans les zones périphériques une redevance moins élevée, voire aller jusqu’à une exonération totale – sous réserve que ce soit juridiquement possible.

On pourrait également envisager de se passer des portiques en changeant de technologie – mais j’ignore si c’est possible. Dans ce cas de figure, il faudrait probablement confier à des personnels la tâche de vérifier que le dispositif de localisation est bien installé à l’intérieur de la cabine. J’ai le pressentiment que cela coûterait plus cher.

M. François-Michel Lambert. Ça, c’est à voir !

M. le ministre. En tout cas, je ne sais pas si beaucoup parmi vous seraient prêts à augmenter en conséquence le nombre de fonctionnaires, car il faudrait 5 000 douaniers supplémentaires. La tendance actuelle est plutôt à la rationalisation, ce qui se traduit par une diminution du nombre de fonctionnaires travaillant pour le ministère des finances et pour les douanes. En outre, à titre personnel, il me semble préférable qu’un travail aussi ingrat soit réalisé par un système automatisé plutôt que par des personnes.

Une autre possibilité serait de ne conserver qu’une partie des portiques, sur certaines routes. Mais la conséquence, c’est que cela rapporterait moins : il faudrait donc nécessairement trouver une recette de substitution.

On peut aussi tout arrêter et chercher une autre solution pour récupérer les 800 millions d’euros manquants ; il reste qu’au bout du compte, il faudra nécessairement trouver quelque chose. L’imagination peut être au pouvoir, mais elle a des limites.

On peut chercher du côté des sociétés d’autoroutes. Un système qui leur permet de gagner 2 milliards d’euros, c’est tentant ; si cette somme entrait comme naguère dans les caisses de l’État, nous n’aurions pas de difficultés pour abonder l’AFITF ! Mais le réseau autoroutier a été privatisé, dans des conditions discutables – au point que je préférerais voir le terme de la concession se rapprocher plutôt que s’éloigner. L’État est en effet lié aux sociétés gestionnaires par des contrats de délégation de service public, régis par la loi dite « Sapin » – au respect des dispositions de laquelle vous me permettrez d’être vigilant ! (Sourires.) Un contrat est fait pour être respecté ; dans le cas contraire, on doit en assumer les conséquences. Ainsi, le contrat prévoit que si l’on décide d’augmenter la redevance domaniale ou si l’on crée une fiscalité particulière sur les sociétés autoroutières, cela devra être compensé, soit par une élévation des péages, soit par un report de la fin de concession. On a déjà eu recours à cette possibilité à plusieurs reprises, mais, comme je viens de le dire, au regard de la valeur de la concession, je n’y suis pas favorable. De surcroît, la Commission européenne y est plutôt hostile, car cela retarderait la mise en concurrence.

De même, nous avons passé un contrat avec Ecomouv’ et, dette ou pas, si nous ne le respectons pas, il est évident que cela aura un coût – même si l’on peut toujours discuter de son montant et des responsabilités de chacun dans l’affaire. L’État fera tout pour défendre l’intérêt public et débourser le moins d’argent possible. Mais s’il y avait un jugement : tout le monde a le droit d’être défendu, même une société italienne qui avait été chargée d’une mission par l’État français. Eh oui, nous sommes dans un État de droit !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Précisons que la société Ecomouv’ est aussi un peu française…

M. le ministre. Bref, quelles que soient les voies que l’on explore, on se heurte à des contraintes, qu’elles soient juridiques, budgétaires, logiques ou politiques.

Alors oui, vous avez raison, madame Le Callennec : il va falloir arbitrer – mais il semblerait que vous ayez aussi à arbitrer entre vous, élus de l’opposition, car entre celui qui dénonce, peut-être à juste titre, un scandale d’État et celui qui commente avec bienveillance le fait que les portiques ont été mis à terre, il y a un gouffre !

Si les choses étaient simples, il y a longtemps que l’on aurait procédé aux arbitrages ; or il s’agit d’un sujet extrêmement délicat, et cela à tous points de vue : pour les régions concernées – on a vu ce qui s’est passé en Bretagne, qui peut survenir ailleurs –, mais aussi pour certaines professions, pour le budget de l’État et pour le financement de travaux indispensables.

Si l’AFITF va s’en sortir cette année, c’est parce qu’elle a un président exceptionnel (sourires) qui, avec l’aide de l’État, a réussi à trouver des solutions pour qu’elle puisse faire face à ses obligations en 2014. Mais dès l’année prochaine, le problème deviendra insoluble. On ne va pas stopper d’un coup les travaux, qu’ils aient été engagés au niveau de l’État, des contrats de projets État-régions ou dans tout autre cadre institutionnel ! Il faut donc impérativement trouver de l’argent donc une issue respectueuse du droit – quand bien même il y aurait la perspective d’une réforme institutionnelle de grande ampleur.

Je vous rappelle que nulle région n’a le droit d’inventer un impôt qui lui serait propre : depuis la Révolution, le pouvoir de fixer l’impôt vous appartient, mesdames et messieurs les députés, et un impôt doit, dans son principe, s’appliquer à l’ensemble du territoire national, même si vous avez parfaitement le droit de décider qu’il fera l’objet de taux différenciés et que les modalités de sa mise en œuvre seront déléguées à la commune, au département ou à la région – ce qui pourrait être une solution intelligente.

Je terminerai en confirmant à M. Pancher que le Gouvernement n’a pas encore fait son choix et qu’il attendra les conclusions de votre mission pour prendre une décision – et je vous prie de croire qu’il n’y a là aucune arrière-pensée électorale. D’abord, nous souhaitons respecter le mandat qui vous a été confié par le Parlement. Ensuite, sur un sujet aussi délicat, il convient de faire appel à toutes les intelligences ; vos propositions nous aideront à trouver la meilleure solution – ou la moins mauvaise.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
PAR LE PRÉSIDENT ET RAPPORTEUR

1. PERSONNES ENTENDUES LORS DES DÉPLACEMENTS

Bruxelles (20 février 2014)

Représentation Permanente de la France auprès de l’Union européenne :

M. Francesco GAETA, conseiller en charge des transports.

Parlement européen :

M. Dominique RIQUET, vice-président de la commission des transports (PPE – France).

Direction générale des transports et de la mobilité (DG MOVE) :

M. Fotis KARAMITSOS, directeur général adjoint, et MM. Frederik RASMUSSEN et Jan SZULCZYK.

Direction générale de la concurrence (DG COMP) :

M. Manuel MARTINEZ LOPEZ, chef d’unité adjoint (Unité « Aides d’État »), Mme Beata SASINOWSKA, MM. John CLARK et Loïc ROCHAS.

Union internationale des transporteurs routiers (IRU) :

M. Marc BILLIET, responsable « Transport de marchandises dans l’Union européenne ».

Vienne (18 mars 2014)

S.E.M. Stéphane GOMPERTZ, Ambassadeur de France ;

Mme Catherine CALOTHY, Première Conseillère ;

Mme Suzanne MAYNHARDT (Service économique de l’Ambassade) ;

M. Stefan EBNER (Chambre fédérale d’Economie) ;

Mmes. Elisabeth FREITAG-RIGLER et Margareta STUBENRAUCH, MM. Peter WIEDERKEHR et Stefan WESSELY (Ministère de l’Environnement) ;

Mme Karin STANGER-HEROK et M. Friedrich SCHWARTZ-HERDA (Ministère des Transports) ;

MM. Bernd DATLER, directeur général et Klaus SCHIERHACKL, directeur financier d’ASFINAG (Société de gestion des autoroutes et voies rapides).

Bratislava (19 mars 2014)

S.E.M. Didier LOPINOT, Ambassadeur de France ;

MM. Patrice DAUTEL et Adam LBERCAN (Service économique de l’Ambassade) ;

M. Jan HUDACKY, président de la commission des Affaires économiques du Conseil national de la République slovaque ;

M. Vicktor STOMCEK, secrétaire d’État en charge des Transports ;

M. Igor CHOMA, député-maire de Zillina ;

M. Pavol REICH, secrétaire général de l’association des transporteurs routiers – CESMAD-) ;

MM. Milan GAJDOS, directeur général et Milan RACZ (département taxation et TI) de la Compagnie nationale des autoroutes ;

M. Matej OKALI, directeur général et Miroslav BOBOSIK, responsable « Stratégie et marketing » de la société de collecte SKYTOLL ;

M. Milin KANUSCAK (société KAMI Profit,s.r.o.).

Contrôle routier de poids lourds effectué Porte de Montreuil à Paris
(26 mars 2014)

Mme Odile SEGUIN, adjointe à la sous-direction des transports routiers à la Direction des services de transport de la DGITM ;

M. Michel LAMALLE, adjoint au DRIEA, chef du service sécurité des transports ;

M. Patrick FILY, chef du département régulation du transport routier.

2. PERSONNES ENTENDUES LORS D’ENTRETIENS

État et collectivités territoriales

Mme Marylise LEBRANCHU, ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique.

M. Guillaume GAROT, ancien ministre délégué auprès du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, chargé de l’agroalimentaire.

M. Gilles CARREZ, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Cabinet de M. Frédéric CUVILLIER, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

M. Emmanuel KESLER, directeur de cabinet ;

M. Raphaël CHAMBON, directeur adjoint du cabinet ;

Mme Radia OUARTI, conseillère technique « transports routiers, transports urbains ».

Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) :

M. Daniel BURSAUX directeur général ;

MM. Antoine MAUCORPS et Olivier QUOY (Mission de tarification).

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) :

Mme Anny CORAIL, chef de la mission Taxe poids lourds ;

M. Jean-François HEURION, adjoint à la mission.

Conseil régional de Bretagne :

M. Pierrick MASSIOT, président du conseil régional de Bretagne ;

M. Gérard LAHELLEC, vice-président en charge de la mobilité et des transports ;

M. Pierre JOLIVET, directeur général adjoint en charge de la mobilité et des transports.

Organisations professionnelles

Association des sociétés françaises d’autoroute (ASFA) :

M. Pierre COPPEY, président ;

M. Jean MESQUI, délégué général.

Chambre nationale de l’artisanat des travaux publics et du paysage (CNATP) :

Mme Françoise DESPRET, présidente ;

M. Francis BOULLARD, secrétaire général et Mme Dominique DRENERI, secrétaire.

Chambre syndicale du déménagement (CSD) :

M. Yannick COLLEN, président

Mme Laurence LECHAPTOIS, déléguée générale,

M. Philippe L’HERROU, président du groupement régional Bretagne Pays de la Loire

Collectif de défense du transport français (« Collectif Spinelli »):

M. Alain SPINELLI, président ;

M. Yann VIGUIE, secrétaire ;

M. Christophe CARON, représentant du « Collectif Spinelli Nord ».

Confédération paysanne :

Mme Marie-Noëlle ORAIN, secrétaire générale ;

M. Jean CABARET, porte-parole de la Confédération paysanne de Bretagne.

Coop de France :

M. Jean-Luc CADE, président de Coop de France Nutrition Animale ;

M. Yves-Marie LAURENT, directeur général de Vivescia Transport ;

Mme Rachel BLUMEL, directrice de la Chaîne alimentaire durable ;

Mme Irène de BRETTEVILLE, responsable des relations parlementaires.

Coordination rurale :

M. François LUCAS, premier vice-président.

EP France (association regroupant les sociétés habilitées de télépéage) :

M. Philippe DUTHOIT, président d’EP France, directeur général d’eurotoll ;

M. Grégoire NATTA, directeur des opérations cartes Europe de Total Marketing Services ;

M. Jérôme LEJEUNE, président d’Axxès ;

Mme Daniela SCIPIONI, relationship manager de Telepass.

Fédération française du bâtiment (FFB) :

M. Didier RIDORET, président

M. Jean-Luc MERMILLON, directeur fiscal

M. Benoît VANSTAVEL, directeur des relations institutionnelles (25)

Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) (1) :

M. Remy GUGUEN, président fédéral ;

M. Alain DUFETEL, vice-président ;

M. Frédéric PLAN, délégué général.

Fédération du commerce agricole et agroalimentaire (FC2A) :

M. Sébastien PICARDAT, directeur général ;

M. Hugues BEYLER, directeur de la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB).

Fédération nationale des distributeurs, loueurs et réparateurs de matériels de bâtiment, de travaux publics et de manutention (DLR) (1):

Mme Sonia DUBES, présidente ;

M. Stéphane HENON, directeur général de la société LOXAM.

Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) :

M. Xavier BEULIN, président ;

M. Antoine SUAU, Affaires économiques et internationales ;

Mme Nadine NORMAND, attachée parlementaire.

Fédération nationale des transports routiers (FNTR) :

M. Nicolas PAULISSEN, délégué général ;

Mme Florence BERTHELOT, déléguée générale adjointe.

Groupement national des transports combinés (GNTC) :

M. Gérard PERRIN, président ;

M. Jean-Yves PLISSON, délégué général.

Interprofession détail et viandes (INTERBEV) :

M. Dominique LANGLOIS, président ;

M. Yves BERGER, directeur général ;

Mme Marine COLLI, chargée des relations avec le Parlement.

Jeunes Agriculteurs (1):

M. Antoine DAURELLE, administrateur, responsable du dossier fiscal / social ;

M. Romain QUESNEL, juriste.

Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) :

M. Raymond GIRARDI, secrétaire général.

Organisation des transports routiers européens (OTRE) :

Mme Aline MESPLES, présidente ;

M. Gilles MATHELIE-GUINLET, secrétaire général.

Légumes de France :

M. Denis DIGEL, secrétaire général, maraîcher à Sélestat ;

Mme Audrey PAPON, chargée de mission à l’animation du réseau.

Syndicat des industries françaises des coproduits d’animaux (SIFCO) :

M. Jean-Louis HUREL, président ;

Mme Oriane BOULLEVEAU, secrétaire générale adjointe.

Syndicat Solidaires I.D.D. :

M. Guy GUIVARCH, chargé du dossier des fonctionnaires du contrôle du transport, accompagné par MM. Patrice LONGE et Jean-Pierre FRILEUX.

Union TFL (Entreprises de transport et de logistique de France) 

M. Yves FARGUES, président de l’Union TFL ;

M. Pascal VANDALLE, directeur délégué au Conseil de métiers « Terrestre ».

Union des transporteurs du Centre Val de Loire (UTCVP) :

M. Bruno ROBERT, président ;

Mme Isabelle BRETEAU, déléguée régionale ;

M. Jean-Luc COUTANT (SARL Jean-Luc Coutant, Aiffres).

Entreprises

MM. François GILLARD, abatteur à Mérigny, et Jacques MELEY, abatteur à Feurs.

Ecomouv’ :

M. Michel CORNIL, vice-président ;

M. Jean-Christophe DAMEZ-FONTAINE, directeur « Systèmes et intégration » ;

M. Michelangelo DAMASCO, directeur des affaires juridiques d’Autostrade per Italia.

Groupe Thales :

M. Jean-Bernard LEVY, président ;

M. Pierre CUNEO, directeur « Stratégie, recherche et technologie ».

Entreprises membres de l’Union française de l’Express (UFEX) :

Mme Christelle MECKLER (DHL);

M. Edouard BARREIRO (UPS);

M. Christophe LAMY (FEDEX).

Société nationale des chemins de fer français (SNCF) :

M. Stéphane VOLANT, secrétaire général ;

M. Jean-Vincent CLOAREC, responsable du pôle Etudes et projets, administrateur d’Ecomouv’ ;

Mme Karine GROSSETÊTE, conseillère parlementaire (26).

Réseau ferré de France (RFF) :

M. Jacques RAPOPORT, président ;

M. Julien LEVEQUE, chef du service du contrôle financier ;

Mme Marie-Reine DU BOURG, responsable affaires publiques et relations parlementaires (1).

Société des transports Le Gal :

Mme Céline DUBECQ, gérante.

Rencontre sur la situation économique en Bretagne :

M. Claude RAULT, président de la société de Transports RAULT ;

M. Michel BOULAIRE, président-directeur général de la S.A Bernard-Jean Floc’h ;

M. Xavier ROUX, directeur de la logistique de la Coopérative du Gouessant ;

M. Christian PERROT, directeur général de la société Provialys ;

M. Hervé PAVAGEAU, directeur du site CELVIA.

Autres entretiens

Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) :

M. Philippe BONNEVIE, délégué général ;

M. Christian ROSE, délégué général.

Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) :

M. Jean SIVARDIERE, président ;

M. Bernard GOBITZ, vice-président.

Réseau « Action Climat » France et Agir pour l’environnement :

Mme Lorelei LIMOUSIN, chargée de mission « Climat & Transport » ;

M. Stéphen KERCKHOVE, délégué général d’Agir pour l’Environnement (27).

M. Philippe MANGEARD, président d’European TK Blue Agency.

M. Fabrice ACCARY, ingénieur.

M. Thierry BODARD et M. Dominique VILLEMOT.

1 () La directive « Eurovignette 3 » oblige les États membres à différencier les tarifs des péages en fonction de la classe Euro des poids lourds, et ouvre la possibilité (sans obligation) de moduler ces tarifs en fonction de la congestion.

2 () Pour la France, les taxes sur les véhicules citées sont la « taxe spéciale sur certains véhicules routiers » (TSVR), dite « taxe à l’essieu », et la « taxe différentielle sur les véhicules à moteur ».

3 () « Supporting study to the Impact Assessments of the European Commission’s internalisation strategy, to establish an inventory of measures for internalising external costs in all modes of transport », CE Delft et al., 2012

4 () Le réseau routier transeuropéen a été défini en 1996 (cartes annexées à la décision n°1692/96/CE du Parlement européen et du Conseil)

5 () On peut noter que, en ce qui concerne la France, cette obligation s’impose non seulement pour la « taxe poids lourds », mais également pour les péages autoroutiers sur les autoroutes concédées, puisque l’article 7 octies prévoit expressément que « les contrats de concession existants sont dispensés de cette obligation jusqu’à leur renouvellement. »

6 () “Commission staff working document – Ex-post evaluation of Directive 1999/62/EC, as amended, on the charging of heavy goods vehicles for the use of certain infrastructures” – SWD(2013)1 final – 10 janvier 2013

7 () La décision du 6 octobre 2009 définit « l’équipement embarqué » comme « l’ensemble complet de composants matériels et logiciels nécessaires pour fournir le SET, qui est installé à bord d’un véhicule afin de recueillir, stocker, traiter et recevoir/transmettre des données à distance ».

8 () Communication de la Commission européenne sur la mise en œuvre du service européen de télépéage
– COM(2012) 474 final – 30 août 2012

9 () Voir la présentation du système allemand et d’autres systèmes étrangers en annexe au présent rapport.

10 () Commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l’environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds, mise en place par le Sénat en décembre 2013.

11 () Une carte du réseau routier taxable est disponible sur le site Internet du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie : http://cartelie.application.developpement-durable.gouv.fr
/cartelie/voir.do?carte=Bande_Decret_ScanIGN&service=DGITM

12 () Voir le compte-rendu de l’audition de M. Claudy Lebreton, président de l’Association des départements de France (ADF), et le compte-rendu de l’audition de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) annexés au présent rapport.

13 () L’application d’une notion de « périphéricité », bien que définie par la situation géographique d’un département « au sein de l’espace européen », n’est pas prévue par les directives européennes relatives aux péages et droits d’usage. Elle n’a pas été utilisée dans les systèmes étrangers étudiés par votre Rapporteur.

14 () La liste du règlement de 2006 prévoyait cette exonération pour un rayon de 50 kilomètres autour du lieu d’établissement ; le champ de cette exonération a été élargi à un rayon de 100 kilomètres par le règlement (UE) n° 165/2014 du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 relatif aux tachygraphes dans les transports routiers.

15 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=0F95F786A7EFE7C66ECE345FDBB87E89.tpdjo07v_3?idArticle=LEGIARTI000026949833&cidTexte=LEGITEXT000020000009&dateTexte=20140318

16 Amendement n° 212 au projet de loi n°1127 - http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1127/1127C0212.asp

17 http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2008-2009/20090055.asp#P4383_0193

18 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025804707&dateTexte=&categorieLien=id

19 Amendement n° II-68 au projet de loi n°1395 - http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1395C/AN/68.asp.

20 Proposition de loi n° 1492 du 23 octobre 2013 - http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1492.asp

21 Rémy Prud’homme : La taxe poids lourds : 20 Floranges – Les Échos du 19 février 2013

22 Rémy Prud’homme : Trois (mauvais) arguments des défenseurs de l’écotaxe – Les Echos du 6 novembre 2013.

23 Rémy Prud’homme : Les camions paient-ils bien tous leurs couts ? – Etude réalisée pour la FNTR - http://www.rprudhomme.com/resources/2013+$2815.10$29+Cou$CC$82ts+camions.pdf

24 Sans compter les 70 millions d’euros de frais d’administrations à la charge des entreprises

25 () Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

26 () Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

27 () Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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