N° 2780 - Rapport d'information de M. Jean-Paul Chanteguet déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur la réforme du code minier




N
° 
2780

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2015

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

par le groupe de travail
sur
la réforme du code minier

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Paul CHANTEGUET,

Rapporteur

Député.

——

Le groupe de travail sur la réforme du code minier est composé de : M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Chantal Berthelot, Mme Sabine Buis, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, Mme Françoise Dubois, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Bertrand Pancher, M. Martial Saddier.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. L’IMPÉRATIVE RÉFORME DU CODE MINIER 7

1. Un code minier ancien et obsolète 7

2. Une situation insatisfaisante révélée par le débat sur les gaz de schiste 9

3. Les travaux de la commission du développement durable 12

4. La commission Tuot, une œuvre de consensus dans un contexte délicat 13

II. LES DIX CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL ET DE SON RAPPORTEUR 15

1. La réforme ne peut plus attendre 15

2. La commission du développement durable doit jouer un rôle central 16

3. Des ordonnances seront possibles sous certaines conditions 16

4. Le code minier ne doit pas disparaître 17

5. La politique minière doit demeurer une compétence de l’État 17

6. La procédure du groupement momentané d’enquête est prometteuse 18

7. Les titres miniers ne doivent pas se limiter aux matières recherchées 19

8. Le recours au rescrit affermira les procédures 19

9. Droit de suite ou schéma national prescriptif ? 20

10. Un silence valant autorisation ? 20

TRAVAUX EN COMMISSION 23

I. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DU GROUPE DE TRAVAIL 23

1. Audition de M. Thierry Tuot, conseiller d’État (30 octobre 2013) 23

2. Audition de Mmes Catherine Tissot-Colle, présidente, et Claire de Langeron, déléguée générale, et MM. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines, Bruno Rosso, directeur général de Garrot-Chaillac, Didier Driancourt, président d’honneur de Minéraux industriels France, et Nicolas Créon, responsable environnement installations classées de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) (6 novembre 2013) 31

3. Audition de M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE) (6 novembre 2013) 39

4. Audition de M. François Démarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) (13 novembre 2013) 46

5. Audition de Me Arnaud Gossement, avocat (13 novembre 2013) 51

6. Audition de M. Jean-Louis Schilansky, président, de Mme Isabelle Muller, déléguée générale, de M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques et de M. Thierry Monmont, directeur exploration et production de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) (20 novembre 2013) 60

7. Audition de M. Patrick Romeo, président, M. Olivier Gantois, directeur des relations institutionnelles et Mme Domitille Fafin, directrice de la communication, Shell France (27 novembre 2013) 69

8. Audition de M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES) (27 novembre 2013) 77

9. Audition de Me Manuel Gros, avocat, professeur à l’Université de Lille 2 (4 décembre 2013) 81

10. Audition de MM. Olivier Appert, président, et Honoré Le Leuch, conseiller, à l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN) (4 décembre 2013) 88

11. Audition de MM. Franck Heurtebise, président, et Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement, ainsi que Mme Sarah Clisci, déléguée générale du Comité des Salines de France (11 décembre 2013) 95

12. Audition de M. François Jacq, président de l’IFREMER (11 décembre 2013) 102

13. Audition de MM. Jean-Pierre Kucheida, président, et Patrice Delattre, délégué général, Association des communes minières de France (18 décembre 2013) 109

14. Audition de MM. Sébastien Espagne et Claude Taton, membres du collectif Basta! Gaz Alès (18 décembre 2013) 114

15. Audition de M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe et Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy, et M. Lubomir Roglev, avocat (15 janvier 2014) 119

16. Audition de M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public à l’Université Jean Moulin-Lyon 3 (15 janvier 2014) 128

17. Audition de MM. Christian Boissavy, président, et Jean-Jacques Graff, vice-président filière haute énergie, de l’Association Française des Professionnels de la Géothermie (AFPG) (29 janvier 2014) 133

18. Audition de M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (5 février 2014) 139

19. Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer (12 février 2014) 148

20. Audition de M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (18 février 2014) 156

II. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA COMMISSION 167

1. Audition de M. Thierry Tuot (24 avril 2013) 167

2. Audition de M. Thierry Tuot (10 mars 2015) 192

3. Examen du rapport 205

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 217

INTRODUCTION

La réforme du code minier figure de longue date à l’agenda politique à défaut d’apparaître enfin à l’ordre du jour du Parlement. Son impérieuse nécessité s’est imposée à tous les partis quand la vague d’indignation provoquée par la délivrance subreptice de permis exclusifs de recherches de gaz de schiste souleva, en 2011, dans divers territoires de la nation, notamment le Larzac et le couloir rhodanien. Mais le sujet est complexe et met en jeu des intérêts tout aussi légitimes qu’antagonistes, de sorte qu’il a fallu attendre l’année 2015 pour observer le début du processus législatif.

Le 18 mars dernier, les ministres chargés de l’économie et de l’écologie ont conjointement annoncé le début du processus de consultation sur un avant-projet de loi, prélude à une saisine du Conseil d’État et à un dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il n’appartient ni au président de la commission du développement durable, ni au rapporteur de son groupe de travail sur la réforme du code minier, de formuler un sentiment sur cet avant-projet de loi publié sur internet (1). Il ne dispose pour ce faire d’aucun mandat.

Mais ce texte prend grandement appui sur les travaux menés tout au long de l’année 2013 par la commission présidée par M. Thierry Tuot, conseiller d’État missionné en ce sens par le Gouvernement. C’est sur la base de ces travaux que le groupe de travail ad hoc constitué au sein de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, réunissant des représentants de tous les groupes politiques qu’elle compte en son sein, a diligenté une série d’échanges avec les différentes parties prenantes impliquées dans la réforme du code minier. Les débats retranscrits sont donc riches d’informations, de connaissances et d’idées pour l’avenir.

Les députés membres du groupe de travail ont su écarter les divergences d’appréciation pour, toujours, procéder ensemble et se nourrir des réflexions communes. La bonne entente qui a régné au cours des travaux témoigne de l’habitude de la commission du développement durable à rechercher le consensus et le sens de l’intérêt général. Puisse cette atmosphère perdurer lors de l’examen du projet de loi.

I. L’IMPÉRATIVE RÉFORME DU CODE MINIER

1. Un code minier ancien et obsolète

« Le droit minier tel que nous le connaissons est un droit inadapté aux conditions du monde contemporain. Il en est ainsi pour deux raisons essentielles, qui ont des effets convergents, et qui traduisent le vieillissement des idées du XIXe siècle, tant en ce qui concerne la nature juridique de la mine qu’en ce qui a trait aux possibilités d’exploitation. L’optimisme du début de l’ère industrielle avait vu dans les gisements des sources inépuisables et permanentes, semblables dans leur essence à la terre, capable de subvenir indéfiniment aux besoins des hommes (...) De même, il est clair que le droit minier, tel qu’il apparaît à cette période, s’est essentiellement préoccupé de régler les problèmes nés de l’exploitation de la mine et des difficultés auxquelles elle peut donner lieu. (2) »

Alors que le code minier apparaît largement suranné, cette situation n’a pas soulevé de difficulté jusqu’à récemment. La raréfaction des ressources exploitables sur le territoire dans des conditions rentables, la fermeture successive des mines et des puits et le caractère limité de l’activité résiduelle ont mis sous le boisseau l’obsolescence des dispositions régissant la matière. Fondé sur l’effacement des droits du propriétaire privé devant l’intérêt public (royal d’abord, impérial ensuite, national enfin), il procède d’une logique productiviste conforme à l’idéologie de son temps : son évolution a été limitée depuis le Premier Empire.

Si la loi du 28 juillet 1791 relative aux mines, édictée par l’Assemblée législative, proclamait que « les mines sont à la disposition de la nation », elle ménageait grandement le propriétaire en l’autorisant à exploiter son sol jusqu’à une profondeur de cent pieds – soit un peu plus de trente mètres. Considérant qu’il s’agissait là d’une distraction excessive des ressources dont l’État avait besoin, le Premier Consul procéda à une première correction par une loi du 7 juillet 1801, avant que l’Empereur ne réforme totalement la législation par la loi fondatrice du 21 avril 1810 concernant les mines, minières et carrières. Aujourd’hui encore, les principes de ce texte sont à la base de notre droit minier.

Ainsi que le relève Arnaud Gossement (3), le code minier de 1810 a établi les fondements du droit minier : la distinction entre substances de mine et substances de carrière, le libre choix du concessionnaire par l’État, la rémunération de la collectivité par voie de redevance, le contrôle de l’administration par une police spéciale des mines sont autant d’éléments toujours en vigueur après plus de deux siècles. La recherche d’une productivité maximale est la clef-de-voûte de l’édifice car, ainsi que l’estime Léon Duguit au début du XXe siècle, « il y a un intérêt collectif de premier ordre à ne pas laisser inexploitées des richesses minières qui peuvent être considérables (4) ». Le Conseil d’État a soutenu cette lecture en autorisant la déchéance du concessionnaire lorsque « l’exploitation était restreinte ou suspendue de manière à inquiéter la sûreté publique ou les besoins de la consommation ».

Plusieurs corrections ponctuelles sont intervenues pour faire évoluer le droit minier de 1810. Certaines ont apporté des modifications notables – par exemple l’abolition des concessions perpétuelles par une loi du 9 septembre 1919. Le décret n° 56-838 du 16 août 1956, portant code minier, a regroupé les textes épars antérieurs en un code unique, plus pratique et mieux adapté à des temps d’après-guerre où la reconstruction de la France nécessitait une valorisation optimale des ressources du sous-sol. Même s’il ne s’agit pas d’une codification à droit constant comme il est aujourd’hui d’usage, l’évolution reste cependant formelle et non matérielle : le droit minier reste calqué sur une idéologie et une vision du monde du début du siècle précédent.

Les années 1990 marquent un toilettage à travers cinq lois qui font évoluer le code minier :

– la loi n° 93-3 du 4 janvier 1993, relative aux carrières, a placé les exploitations de carrière sous l’empire des dispositions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), même si certaines adaptations ont fait perdurer des spécificités héritées du droit minier ;

– la loi n° 94-588 du 16 juillet 1994, modifiant certaines dispositions du code minier et l’article L. 711-12 du code du travail, procède à quelques modernisations au regard du droit de la concurrence, mais affirme surtout la responsabilité de l’exploitant pour les dommages causés par son activité, sauf en apportant la preuve d’une cause étrangère ;

– la loi n° 95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l’environnement, comportait un article 29 autorisant les préfets à délivrer des droits d’extraction temporaires dans le lit des cours d’eau de montagne en cas de risque d’inondation, mais valait surtout par ses dispositions relatives à la participation du public qui ne s’étendaient pas au secteur minier ;

– la loi n° 98-297 du 21 avril 1998 portant extension partielle et adaptation du code minier aux départements d’outre-mer (5;

– enfin, la loi n° 99-245 du 30 mars 1999, relative à la responsabilité en matière de dommages consécutifs à l’exploitation minière et à la prévention des risques miniers après la fin de l’exploitation, renforce la responsabilité de l’opérateur minier ou du titulaire du titre minier et, à défaut, subroge l’État dans les droits des victimes à l’encontre du fautif. L’arrêt des travaux miniers ne signifie plus la fin des obligations de l’exploitant, qui est contraint de surveiller les sites à risques. Une Agence de prévention et de surveillance des risques miniers est instituée pour superviser les procédures et conserver les documents afférents (6).

Enfin, la dernière évolution de la législation minière est strictement formelle : il s’agit d’une nouvelle codification, agrégeant au précédent code des textes épars qui lui échappaient jusque-là. L’article 92 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures a habilité le Gouvernement à établir les parties législatives de différents codes, parmi lesquels le code minier. Il en a notamment résulté l’ordonnance n° 2011-91 du 20 janvier 2011 portant codification de la partie législative du code minier : cette recodification, réalisée à droit constant, n’a fait évoluer que marginalement le corpus de normes applicables à l’activité minière, alors même que les débats sur l’exploitation des gaz et huile de schiste commençaient à agiter le pays.

Si un projet de loi de ratification a bien été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 11 avril 2011, il n’a jamais été soumis au vote. Le code minier en vigueur à l’heure actuelle demeure donc, pour l’heure, de valeur simplement réglementaire.

2. Une situation insatisfaisante révélée par le débat sur les gaz de schiste

« L’acceptabilité sociale de cette nouvelle ressource énergétique et des effets identifiés et/ou supposés de son mode d’exploitation est loin d’être acquise, en raison d’une application par trop littérale d’un code minier dont la prise en compte des préoccupations environnementales est loin d’être la principale qualité. (7) ».

Il n’est pas question pour votre Rapporteur de revenir ici sur la question des gaz de schiste, et moins encore de discuter au fond l’opportunité de leur exploitation en France. Toutefois, on ne peut faire l’économie d’un bref rappel des éléments de procédure qui conduisirent des dizaines de milliers de Français à manifester, au printemps 2011, contre le développement d’une activité minière sous leurs yeux et surtout dans leur dos.

Trois arrêtés du 1er mars 2010 ont enflammé le débat. Par ces décisions, le ministère de l’Environnement octroyait trois permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux sur de vastes périmètres du sud-est de la France. Les permis dits de Nant, de Montélimar et de Villeneuve-de-Berg allaient cristalliser le mécontentement populaire. Les opérateurs titulaires de ces titres miniers recherchaient ouvertement du gaz de schiste, qui ne pouvait être extrait de la roche-mère que par la technique très contestée de la fracturation hydraulique. D’autres régions se sont ensuite alarmées : le sous-sol du Bassin parisien était concerné pour ses ressources en huile de schiste, comme la Provence et la Lorraine pour le gaz de houille qu’elles recèleraient.

Or, si le principe même d’une production domestique d’hydrocarbures par fracturation hydraulique de la roche suscitait la réticence, les populations comme les élus locaux multipliaient aussi les critiques sur la procédure qui avait présidé à la délivrance des titres miniers. Comment accepter, dans une démocratie, que la loi permette à une administration d’autoriser la conduite d’activités dangereuses pour l’environnement sans jamais consulter les riverains, ni informer les élus locaux, ni même que l’autorité politique puisse apprécier la justesse des options retenues ? Comment tolérer, alors que cette première décision juridique a été prise dans ce qui est ressenti comme une atmosphère de secret, que la logique productiviste du code minier lie exploration et exploitation, de sorte que le succès de la première entraîne presque automatiquement l’autorisation de la seconde ?

En 2011, l’incompréhension était d’autant plus grande, sur les territoires comme parmi les députés, qu’aucune règle de droit n’avait été bafouée. Ainsi que l’analysait le rapport présenté à la commission du développement durable par MM. Philippe Martin et François-Michel Gonnot (8), ces dysfonctionnements « ne sont en rien imputables à une quelconque violation de la réglementation en vigueur par les entreprises ou par l’administration ». La procédure avait été respectée et menée à bien, depuis l’ouverture d’une instruction le 6 décembre 2007 par le dépôt de la demande de permis de Cévennes jusqu’à la signature des arrêtés le 1er mars 2010 – soit plus de 26 mois d’avis juridiques et techniques, délivrés par les administrations centrales et par les services déconcentrés.

L’affaire des gaz de schiste a transcrit, dans les faits, les conséquences de l’action juridique des pouvoirs publics – et du Parlement au premier chef – dans sa modernisation du code minier. La législation a permis de retenir en France les industriels en allégeant toujours davantage les procédures et à encadrer l’après-mine en édictant un régime rigoureux de responsabilité à l’issue de la fin des travaux miniers. S’il résulte du second point une législation exigeante et relativement satisfaisante pour la gestion des sites abandonnés, le premier mouvement a pour effet un contrôle laxiste de la part de services publics insuffisamment confrontés à la matière minière.

Dans la France de la fin du XXe siècle, les mines de charbon ont fermé. Quant aux réserves de gaz et de pétrole, depuis l’épuisement du gisement de Lacq, leur extraction ne couvre qu’une part symbolique de la demande domestique – de l’ordre de 1 %. Le début des années 1990 marque une forte contraction du nombre de forages d’exploration jusqu’à leur quasi-disparition. Ce constat objectif amène une simplification croissante des procédures minières pour permettre la persistance d’une exploration minimale et de la collecte de données scientifiques qui en découle. Ainsi, alors que les permis exclusifs de recherches étaient auparavant soumis à enquête publique minière et octroyés par décret en Conseil d’État, la loi n° 94-588 du 15 juillet 1994 précitée a renoncé à ces garanties et à la consultation du public au cours de la phase exploratoire, sinon par une publication au Journal officiel. En outre, l’article L. 162-10 du code minier prévoyait que l’autorisation préfectorale de travaux miniers laissait place à une simple déclaration pour les recherches d’hydrocarbures. Les procédures n’étaient plus seulement simples, mais simplistes.

Enfin, les débats sur les gaz de schiste ont révélé le défaut de participation des populations locales dans le processus de décision publique en matière minière. Tant les exigences constitutionnelles que les engagements internationaux de la France, c’est-à-dire d’une part l’article 7 de la Charte de l’environnement (9) et, d’autre part, la Convention d’Åarhus du 25 juin 1998, imposent à l’autorité publique de faire en sorte que les citoyens s’investissent dans la protection du milieu naturel et qu’ils prennent part aux décisions le concernant. Or, l’enchaînement rapide entre la demande de permis de recherche et l’entrée en phase de production tient les populations et leurs élus à l’écart. Simplement informés de l’ouverture des travaux d’exploration sans même pouvoir formuler un avis sur leur opportunité, ils n’ont plus le choix, du fait de la loi, qu’entre la soumission et la protestation massive, comme l’ont montré les événements de l’année 2011.

L’épisode des gaz de schiste semble désormais apaisé. Le moratoire décidé en 2011, réaffirmé avec force et conviction par le Président de la République à partir de 2012, a rassuré les citoyens des territoires concernés. La baisse importante des cours du pétrole survenue durant les derniers mois, pour atteindre un prix aux alentours de 50 dollars le baril, semble condamner les perspectives d’exploitation de cette ressource sur le plan économique – à supposer qu’elle soit effectivement présente dans le sous-sol national : même dans les conditions des États-Unis, plus permissives qu’en Europe, les experts estiment le seuil de rentabilité de la production autour de 80 dollars le baril.

Mais les gaz de schiste ont révélé l’obsolescence du code minier, que les interrogations sur l’activité minière en Guyane, aurifère sur le continent et pétrolière au large des côtes (10), n’ont fait que confirmer. Chacun, désormais, est convaincu du caractère impératif d’une réforme.

3. Les travaux de la commission du développement durable

Face aux enjeux soulevés par les défaillances du code minier, le Parlement n’est pas resté inactif et la commission du développement durable de l’Assemblée nationale a toujours joué un rôle déterminant.

Le rapport d’information sur les gaz de schiste, remis le 8 juin 2011 par MM. Philippe Martin et François-Michel Gonnot, a déjà été mentionné. Les difficultés ponctuelles survenues en matière minière ont par ailleurs donné lieu à des réponses législatives, toujours diligentées par la commission du développement durable :

– la nécessaire réponse publique à la question des gaz de schiste avait pris la forme d’une proposition de loi examinée sur le rapport conjoint de MM. Michel Havard et Jean-Paul Chanteguet, laquelle avait abouti à la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique ;

– l’annulation par plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité des modalités de participation du public prévues par le code de l’environnement avait donné l’occasion d’adopter, sur le rapport de Mme Sabine Buis, la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Celle-ci, dans son article 4, renforçait la participation du public dans la procédure d’octroi des titres miniers.

L’investissement de la commission du développement durable en matière de droit minier a été reconnu par la Présidence de l’Assemblée nationale, qui lui a renvoyé les deux textes déposés sur ce thème au cours de la législature :

– la proposition de résolution n° 304 tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’exploitation en France des hydrocarbures de « roche-mère » dits hydrocarbures de « schiste », de M. Christian Estrosi,

– la proposition de loi n° 605 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, de M. François-Michel Lambert.

Depuis le début de l’actuelle législature, la commission du développement durable s’est également investie sur la réforme du code minier en consacrant à ce sujet plusieurs de ses réunions plénières, sous forme de tables rondes ou d’auditions (11). Par ailleurs, de nombreuses questions liées à la politique minière ont été posées lors des auditions des ministres chargés de l’environnement et des responsables des grandes associations environnementales.

Enfin, alors que le Gouvernement missionnait M. Thierry Tuot pour préfigurer la réforme attendue le 14 février 2013, il fut convenu que les parlementaires devaient prendre toute leur part dans la préparation de la procédure législative. Au Sénat, ce suivi a pris la forme d’un « groupe de travail sur la réforme du code minier » réunissant des sénateurs des commissions des affaires économiques et du développement durable (12). À l’Assemblée nationale, ce rôle a entièrement échu à la commission du développement durable et, plus particulièrement, aux dix députés membres du présent groupe de travail qui ont rencontré l’ensemble des parties prenantes du secteur.

4. La commission Tuot, une œuvre de consensus dans un contexte délicat

La réforme du code minier a été annoncée par le Gouvernement dès le printemps 2011. S’il s’agissait avant tout de mettre un terme aux manifestations réclamant l’abrogation des permis exclusifs de recherches de gaz et huile de schiste, le caractère anachronique de la législation avait été sincèrement perçu dès cette date.

Dès le 22 avril 2011, la ministre de l’Écologie, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, commandait à l’avocat Arnaud Gossement un rapport sur la réforme du droit minier. Celui-ci était remis dès le 12 octobre de la même année : intitulé Droit minier et droit de l’environnement – Éléments de réflexion pour une réforme relative à l’évaluation environnementale, à l’information et à la participation du public, il formulait des pistes audacieuses pour un rapprochement avec le code de l’environnement. Toutefois, la sensibilité du sujet et la proximité des échéances électorales renvoyaient le sujet à la législature suivante.

Le 3 juillet 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault confirmait la volonté du nouveau Gouvernement de mener à bien la modernisation du code minier. Afin de donner les meilleures chances à la concertation, il précisait toutefois que la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique ne serait pas fondue dans le périmètre du nouveau code.

Après une première communication en Conseil des ministres, le 5 septembre 2012, le Premier ministre a officieusement désigné M. Thierry Tuot, conseiller d’État, pour organiser la concertation des parties prenantes. Celle-ci s’est déroulée tout au long de l’automne 2012.

Le 6 février 2013, une nouvelle communication en Conseil des ministres délivrée par Mme Delphine Batho, ministre de l’Écologie, a exposé les principes retenus pour la réforme : moderniser le modèle français fondé sur le rôle de l’État concédant, assurer l’application des principes constitutionnels de la Charte de l’environnement, prendre en compte la protection de l’environnement ainsi que la sécurité des travailleurs et la sécurité publique, élaborer une fiscalité plus favorable aux territoires concernés, et mieux prendre en compte les spécificités ultramarines.

Le 14 février 2013, M. Thierry Tuot était à nouveau désigné par le Premier ministre – cette fois au moyen d’une lettre de mission officielle – pour élaborer un projet de code minier conforme aux principes présentés la semaine précédente en Conseil des ministres. Le groupe de travail constitué à cet effet a réuni à plusieurs reprises les parties prenantes afin de soumettre ses idées, de collecter des informations, et de rapprocher des points de vue pourtant apparemment inconciliables.

Il faut saluer le travail remarquable accompli par la commission Tuot. Alors que le dialogue semblait rompu et la tâche insurmontable, ses membres sont parvenus à s’entendre sur un diagnostic partagé en faveur de l’intérêt général et de l’apaisement des conflits. Au-delà des qualités de diplomatie et de synthèse de M. Thierry Tuot, ce sont les différents participants à la consultation – ONG environnementales, syndicats et représentants de l’industrie – qui, sans renier leurs intérêts légitimes et divergents, ont su privilégier les voies de consensus pour livrer au Gouvernement un projet de texte soutenu par tous, le 9 décembre 2013.

C’est sur cet avant-projet que le groupe de travail de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale a mené ses travaux. En effet, malgré le considérable travail accompli et en dépit de l’apaisement du climat politique sur la question, le Gouvernement n’est pas parvenu à inscrire un texte à l’ordre du jour du Parlement, ni même à soumettre un projet au Conseil d’État. Annoncé pour le printemps 2014 par MM. Philippe Martin et Arnaud Montebourg au moment de la remise des conclusions de la commission Tuot en décembre 2013, puis pour l’été 2014 par Mme Ségolène Royal en avril, enfin pour l’automne 2014 par M. Arnaud Montebourg en mai, avant d’être repoussé après le vote de la loi sur la transition énergétique, il semble désormais que le calendrier se stabilise sur l’automne 2015.

L’ouverture des consultations officielles par le Gouvernement, la constitution d’un groupe de travail sur la « mine responsable » auprès du ministre de l’Économie et la publication d’un avant-projet de loi sont, à cet égard, de bon augure pour que la somme de travail engagé jusqu’à présent ne l’ait pas été en vain.

II. LES DIX CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL ET DE SON RAPPORTEUR

Les travaux du groupe de travail se sont déroulés sur plusieurs mois. Ils ont permis aux députés qui y ont pris part de rencontrer les principales organisations et personnalités engagées dans la réforme du code minier, d’échanger pour comprendre les attentes de chacun, et de dialoguer pour respecter l’expression de tous.

Le groupe de travail a mené un large programme d’auditions permettant de recueillir les opinions les plus variées, sans exclusive. Ce sont les comptes rendus de ces réunions, compilés et ordonnés, qui figurent dans le présent rapport. Les débats ont vu se confronter des approches différentes, mais toujours dans le cadre d’un échange constructif. Les désaccords constatés sur des questions précises – relance de la recherche d’hydrocarbures, « droit de suite » entre exploration et exploitation, fiscalité sur l’exploitation – n’ont jamais remis en cause le constat partagé d’une réforme tant nécessaire à la protection de l’environnement qu’à la sécurisation de l’activité minière.

Les dix points de conclusion figurant ci-après ont recueilli un consensus du groupe de travail. Lorsqu’il a senti que tel ne serait pas le cas, votre Rapporteur a fait le choix de laisser la question ouverte afin que la réflexion se poursuive jusqu’au débat dans l’hémicycle.

1. La réforme ne peut plus attendre

Ce point est sans doute celui qui suscitera le moins de discussion au sein du Parlement comme parmi les parties prenantes. Voici quatre années que la ministre de l’Écologie en fonction, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, a publiquement fait part du souhait du Gouvernement d’engager la réforme du code minier. Depuis, deux préfigurateurs de grande qualité, MM. Arnaud Gossement et Thierry Tuot, ont remis des conclusions propres à éclairer la décision publique. Le Gouvernement a accumulé les concertations ; le Parlement a multiplié les auditions d’information. Rarement projet de loi aura bénéficié d’un temps de préparation aussi étendu, d’études d’impact aussi fouillées, de documents préparatoires aussi nombreux.

Mais le temps qui passe a un prix. Frustrante pour les parlementaires, l’attente est aussi excessive pour les auditionnés. Soumis à un code minier bancal et promis à une mise au rebut imminente depuis plus de quatre années, le secteur extractif ne peut arrêter sa stratégie de développement dans une industrie qui, pourtant, privilégie le long terme. Les associations consacrent une part importante de leur activité au suivi d’une réforme interminable alors que leur énergie pourrait être employée à des causes plus immédiates. Les citoyens vigilants, dans les territoires concernés par les permis d’exploration, aspirent à cultiver leur jardin plutôt que leurs connaissances en droit minier. Les contentieux se poursuivent, d’appel en cassation, mobilisant juges et services administratifs.

Le temps est venu de légiférer et de faire avancer cette réforme qui ne peut plus attendre au risque de faire voler en éclat le fragile consensus patiemment construit. Le dépôt du projet de loi doit avoir lieu dans les meilleurs délais.

2. La commission du développement durable doit jouer un rôle central

Les membres de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale travaillent depuis l’origine sur la réforme du code minier. Ils sont les mieux informés et les plus à même de procéder à l’examen du projet de loi dans les meilleurs délais. De surcroît, il semble que le caractère environnemental affirmé de la réforme la dirige naturellement vers la commission compétente en la matière, et vers laquelle ont été renvoyés tous les textes en relation avec le droit minier depuis le début de la législature.

On pourrait cependant admettre que la diversité des sujets qu’aborde le code minier justifie le regard de plusieurs commissions permanentes. L’impact de la réforme sur l’activité du secteur extractif pourrait faire l’objet d’un regard de la commission des affaires économiques. Les règles relatives à la police des mines et la création d’une procédure de rescrit juridictionnel solliciteraient à bon escient l’expertise de la commission des lois. Le droit social des mineurs pourrait être apprécié par la commission des affaires sociales. La commission des affaires étrangères exprimerait sa position sur les conséquences d’une relance, ou d’une mise en sommeil, de l’activité minière sur le territoire national. Enfin, il semble délicat de réformer la fiscalité minière sans solliciter l’expertise de la commission des finances.

La saisine pour avis des différentes commissions permanentes enrichirait à coup sûr la vision de l’Assemblée nationale sur le projet de loi. Elle éclairerait opportunément la réflexion de la commission du développement durable dans son examen du projet de loi.

3. Des ordonnances seront possibles sous certaines conditions

Les ordonnances appartiennent à l’ordre constitutionnel français. Bien que les parlementaires n’apprécient traditionnellement pas la dépossession de leurs prérogatives qu’entraîne le recours à cette procédure, les conclusions de la commission Tuot apparaissent trop ambitieuses et trop massives pour que leur contenu soit intégralement soumis au Parlement suivant la procédure législative classique. Il n’est pas illogique que les simples modernisations, adaptations de cohérence et autres toilettages soient effectués par le Gouvernement habilité à cette fin. Toutefois, la commission du développement durable entend poser des exigences claires avant que des habilitations soient sollicitées.

D’une part, les travaux préparatoires ont fait apparaître le caractère hautement politique des dispositions relatives aux principes du code minier, de la procédure minière, des dispositions applicables outre-mer et de la fiscalité. Il conviendra que ces éléments soient régulièrement adoptés par le Parlement ; ils ne sauraient relever du champ d’une ordonnance.

D’autre part, si le Gouvernement entend obtenir l’aval du Parlement, les projets d’ordonnance rédigés devront être communiqués aux parlementaires avant l’examen de l’habilitation en commission. Les députés pourront ainsi constater que les prescriptions envisagées respectent l’esprit et la lettre du projet de loi, dans une démarche de coopération avec le Gouvernement.

4. Le code minier ne doit pas disparaître

L’opportunité d’un rapprochement entre le code minier et le code de l’environnement, voire d’une absorption du premier par le second, a été évoquée lors des premières réunions du groupe de travail. Il est cependant rapidement apparu qu’un consensus avait été construit en faveur de la préservation de l’autonomie de la législation minière. Les parties prenantes qui n’ont pas défendu cette option ont indiqué n’y voir qu’une question purement formelle, quand les représentants de l’industrie se montrés attachés à un codex distinct.

Il est vrai que le code minier a vocation à réglementer une exploitation quand le code de l’environnement, pour sa part, vise à protéger l’environnement des exploitations tierces. L’objectif poursuivi diverge ce qui, philosophiquement, justifie une séparation.

Le groupe de travail se prononce en faveur d’un maintien du code minier, conscient que son contenu doit appeler l’attention des parlementaires bien davantage que sa simple existence.

5. La politique minière doit demeurer une compétence de l’État

L’affaire des gaz de schiste, en 2011, a provoqué un fort ressentiment envers l’État et le défaut de publicité de ses procédures de décision en matière minière. La crainte de voir se reproduire une telle mésaventure s’est, un temps, alliée à la tendance naturellement favorable à la décentralisation des parlementaires pour envisager de confier, au moins en partie, la compétence minière aux collectivités territoriales. Cette perspective faisait d’autant plus sens que les projets de loi de décentralisation évoqués alors confiaient de larges prérogatives aux régions, qui se voyaient confier également un rôle déterminant dans la mise en œuvre de la transition énergétique.

Cette idée a rapidement été abandonnée : elle faisait, ou peu s’en faut, l’unanimité contre elle. La juste appréciation d’un dossier minier requiert une expertise technique que l’État préserve à grand-peine et qu’il semble illusoire de développer au sein de services locaux. De plus, s’il est admis que les ressources du sous-sol constituent le patrimoine de la nation, il y aurait quelque incohérence à donner aux collectivités une compétence décisionnelle sur leur exploitation et prendre le risque de stratégies contradictoires dans l’approvisionnement du pays en hydrocarbures et en métaux stratégiques. Enfin, le partage de la rente minière semble s’imposer à l’échelle de la nation et non sur un territoire déterminé.

Le souhait du groupe de travail de conserver la compétence minière à l’échelon central ne doit pas être compris comme une défense du statu quo. Comme les populations, les élus locaux vivent sur le territoire. Lorsque des projets ont pour champ leur espace de vie, ces élus doivent être non seulement informés (ce qui n’était pas le cas en 2011) mais également consultés pour déterminer les modalités les plus respectueuses du territoire, voire pour convaincre de l’absence de bien-fondé du dossier. Une succession d’avis négatifs doit être prise en compte, comme l’a montré l’épisode du permis « Limonade » attribué à la société Rexma en Guyane.

6. La procédure du groupement momentané d’enquête est prometteuse

À côté des procédures classiques de participation du public, la commission présidée par M. Thierry Tuot a émis l’idée d’un mécanisme de participation renforcée, le « groupement momentané d’enquête ». Constitué par les différentes parties prenantes locales et doté d’un budget propre abondé par le porteur de projet, cet organe ad hoc pourrait solliciter les expertises et les analyses de son choix pour concourir à la bonne information du public sur les différents volets du dossier qui est soumis à son appréciation.

Le groupe de travail a été très intéressé par les perspectives ouvertes par la procédure du groupement momentané d’enquête. La liberté laissée à ses membres dans l’emploi des fonds mis à sa disposition paraît de nature à lever l’obstacle technique trop fréquemment opposé aux citoyens dans leurs tentatives d’appréhender un projet. Par ailleurs, le fait que cette structure ne soit pas amenée à formuler un avis elle-même, mais seulement à nourrir la réflexion du public, tend à éloigner le risque de luttes de pouvoir en son sein.

Séduit par le principe, le groupe de travail sera attentif aux modalités de constitution et de fonctionnement du groupement momentané d’enquête. Comment, et selon quelle clef de répartition, ses membres seront-ils désignés ? Comment cette procédure renforcée sera-t-elle déclenchée ? Peut-on envisager d’en faire la procédure de droit commun, quitte à conserver un mécanisme de décision allégé pour les décisions administratives les moins conflictuelles (prolongations et cessions de titre par exemple) ?

7. Les titres miniers ne doivent pas se limiter aux matières recherchées

Le groupe de travail n’a pas oublié que les regrettables décisions d’octroi de permis exclusifs de recherches de mars 2010 sont partiellement fondées sur le caractère insatisfaisant des demandes déposées auprès du ministre de l’Écologie. Conformément au code minier en vigueur, ces permis ne faisaient mention que de la matière prospectée (M pour métal, H pour hydrocarbure) sans beaucoup plus de précision.

Le groupe de travail souhaite que les dossiers de demande de permis minier soient désormais plus explicites et que, en conséquence, les permis délivrés le soient pour des produits mieux identifiés. Même si le caractère conventionnel ou non conventionnel d’un hydrocarbure est difficilement définissable en droit, il ne fait aucun doute que l’analyse géologique, la profondeur des puits et la technique d’extraction employée suffisent à déterminer si un opérateur oriente un site vers la production de pétrole classique ou de gaz de schiste. Ce faisceau d’indices a d’ailleurs été employé par le Gouvernement pour décider l’abrogation, le 3 octobre 2011, des permis d’exploration suspectés de rechercher du gaz de schiste, parfois en dépit des dénégations des titulaires.

8. Le recours au rescrit affermira les procédures

Le projet proposé par la commission Tuot comprend un mécanisme astucieux sous la forme d’un rescrit procédural. Historiquement, un rescrit est un texte de l’autorité impériale romaine ayant force exécutive, sous la forme d’une réponse à une question de droit sur laquelle l’empereur était consulté. Un comportement conforme à un rescrit ne peut être ultérieurement sanctionné.

En l’espèce, la procédure serait présentée à la cour administrative d’appel à qui il appartiendrait de juger de la procédure suivie pour l’attribution d’un titre minier. En cas de validation, sa régularité ne peut plus être contestée par voie d’action ni par voie d’exception. En revanche, en cas de constat d’une irrégularité, la cour administrative d’appel n’annule pas la procédure : elle enjoint à l’autorité administrative les mesures à prendre, dans un délai déterminé, pour corriger les fautes relevées.

Le groupe de travail s’est avéré circonspect devant cette intervention du juge administratif dans une procédure de délivrance de titre en cours, qui confine à l’immixtion dans les prérogatives du pouvoir exécutif. Néanmoins, il est certain que la solution envisagée accélérerait et sécuriserait grandement les procédures minières, au bénéfice des citoyens comme des industriels.

9. Droit de suite ou schéma national prescriptif ?

L’une des difficultés du droit minier actuel tient à la délivrance quasi-automatique d’une concession minière à tout détenteur d’un permis exclusif de recherches dont la prospection se révèle fructueuse. Cet enchaînement est difficilement acceptable pour les opposants au projet, souvent issus de la population locale et de ses représentants, qui se trouvent démunis de moyens juridiques pour faire valoir leur point de vue une fois le premier titre juridique détenu par l’opérateur. Certes, le renforcement de la participation du public permettra d’éviter les délivrances « secrètes », semblables à celles qui ont scandalisé les territoires dans l’affaire des gaz de schiste. Mais il est délicat d’expliquer par la qualité d’une étape le caractère symbolique de toutes les autres.

Le point de vue des opérateurs économiques est tout aussi convaincant. Comme le Gouvernement, le groupe de travail souhaite que le nouveau code minier procure un cadre à l’activité extractive, non qu’il multiplie les obstacles pour empêcher son développement. Or, il est hors de doute qu’un entrepreneur n’investira des fonds à la recherche d’un filon que dans la perspective de l’exploiter ; réserver à la puissance publique un droit de veto discrétionnaire postérieur au succès d’une prospection aurait immanquablement pour effet de décourager sans espoir de retour les recherches sur le territoire français.

La solution à ce dilemme pourrait venir d’un schéma national minier qui déterminerait, une fois pour toutes, les zones et les matières ouvertes à la prospection sur le territoire national. Son édiction reviendrait à un choix politique et à des renoncements – car il n’y aurait pas d’intérêt à interdire l’activité uniquement dans les espaces dépourvus de ressources. Sans surprise, les opérateurs économiques sont foncièrement hostiles à cette restriction de leur horizon. L’option est également délicate pour la puissance publique puisqu’elle conduit à protéger des territoires et des populations, et à exposer d’autres territoires et d’autres populations.

Le groupe de travail n’est pas parvenu à effectuer un choix entre droit de suite d’une recherche fructueuse et détermination a priori des modalités acceptables de l’activité extractive. Il conviendra que le rapporteur du futur projet de loi et la commission saisie au fond se déterminent sur cet aspect.

10. Un silence valant autorisation ?

Dans le cadre du « choc de simplification » décidé par le Président de la République, la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens, a renversé un principe longtemps considéré intangible du droit public français : le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut désormais décision d'acceptation. Le projet rédigé par la commission Tuot prévoit d’étendre cette évolution au domaine minier, permettant la délivrance de titres implicites uniquement fondés sur l’absence d’instruction et de réponse de l’administration.

Là encore, les membres du groupe de travail ont été partagés devant cette initiative. Quiconque exerce ou a exercé des fonctions municipales connaît le principe de la décision tacite d’acceptation, qui est le régime en vigueur pour les permis de construire. Il conduit généralement l’administration à ne prêter attention qu’aux dossiers qu’elle estime potentiellement problématiques, et à laisser le flux des demandes sans difficulté se réguler de lui-même. Il est tentant d’imaginer ce mécanisme s’appliquer à l’octroi des titres et des demandes de travaux miniers pour concentrer l’expertise et l’instruction sur les requêtes qui en valent la peine, sans gâcher des moyens en investiguant sur des dossiers dénués d’intérêt. Les représentants de l’industrie extractive ont manifesté leur plus vif soutien à cette perspective, qui leur permettrait de dresser des programmes d’action et de mobiliser utilement des moyens coûteux à l’avance, sans craindre de voir des forages retardés en raison de délais administratifs.

À la réflexion toutefois, de nombreuses objections sont apparues. Les décisions publiques en matière minière ne sont pas binaires ; elles ne se résument pas à autoriser ou à interdire. Elles comportent un encadrement (périmètre du permis exclusif de recherches, durée de la concession d’exploitation, conditions posées à la bonne marche des travaux miniers) qui disparaîtrait dans le régime de la décision tacite d’acceptation. Par ailleurs, concevoir une décision implicite favorable permet à l’autorité politique de délivrer un titre sans en endosser la responsabilité, en incriminant un dysfonctionnement administratif ou une mauvaise appréciation préalable de la requête. Quelle réaction aurait été celle des populations concernées par les permis de gaz de schiste si ceux-ci n’avaient été que des titres implicites ?

Le groupe de travail juge séduisant le principe d’une décision implicite d’acceptation des demandes en matière minière. Néanmoins, en l’absence de précisions quant aux modalités, il convient avant de se prononcer d’attendre la rédaction finalement retenue par le futur projet de loi.

TRAVAUX EN COMMISSION

I. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

1. Audition de M. Thierry Tuot, conseiller d’État (30 octobre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Thierry Tuot, conseiller d’État, qui a piloté les travaux du groupe de réflexion qui s’est réuni au cours des derniers mois pour préparer la réforme du code minier que nous attendons tous. Je lui cède la parole sans tarder pour qu’il en livre une présentation.

M. Thierry Tuot. Le groupe de réflexion a travaillé de façon autonome, en réunissant les différentes parties prenantes, sans solliciter excessivement l’administration. Les modifications du code général des impôts ont été discutées avec la direction générale des finances publiques et avec le cabinet du ministre des Finances. Mais il n’y a eu, en dehors de cela, aucun arbitrage politique : ce sont vraiment les propositions du groupe de réflexion, et seulement les siennes.

Pour sept livres, la rédaction est officieusement achevée et la remise officielle au Gouvernement ne saurait tarder davantage. Seuls restent à rédiger trois livres : le premier sur l’outre-mer, pour lequel nous ne nous sommes pas sentis légitimes pour décider de la répartition des compétences, le deuxième sur la déclinaison des dispositions selon les milieux et les matières, le dernier sur les mesures transitoires destinées à organiser le basculement de l’ancien régime vers le nouveau, pour lequel une habilitation à légiférer par ordonnance me semble incontournable tant la question est technique.

Les livres terminés, que vous pouvez consulter, sont constitués à 90 % de l’ancien code minier. Nous nous sommes bornés à le reclasser pour qu’il « raconte une histoire » : ce que veut la nation, comment l’explorer, comment faire les travaux et comment les achever, comment s’exerce la solidarité nationale, quelle est la fiscalité, quelles spécificités par milieux et par matières, et enfin quelles particularités pour l’outre-mer. La lecture est plus simple, plus linéaire que le texte initial datant de 1810 et régulièrement augmenté depuis.

Les 10 % d’innovation reposent sur quelques considérations axiologiques. La première d’entre elles est le caractère stratégique du sous-sol national, que j’illustre volontiers par l’exemple des terres rares : si demain la Chine décidait de mettre un terme à ses exportations, nous n’aurions plus de téléphones portables en France dans les six mois. Il faut donc que nous sachions ce que renferme le sous-sol afin de tenir un débat économique, social et environnemental à partir de connaissances établies. La préservation de l’environnement, le développement local et l’intérêt national forment un triptyque fondamental à la base de nos réflexions. Je suis certain que son application aux événements de 2011 autour de la question des gaz de schiste aurait donné au débat une autre tenue, même si la décision n’aurait pas forcément été différente.

Le deuxième postulat fondamental est que l’exploitation du sous-sol suppose l’accord des populations. Nous développons des principes de transparence intégrale – sans que le secret industriel soit invocable, ce à quoi les industriels consentent – et d’association immédiate des collectivités territoriales concernées avec une forte incitation à la gestion intercommunale. La participation du public est prévue à tous les stades de la décision. Pour les permis d’exploration, nous préconisons l’application de la « clause-balai » du code de l’environnement : information, recueil d’observations, discussion et décision. Pour l’autorisation d’exploitation, nous recommandons d’utiliser la procédure des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Pour les travaux, enfin, nous proposons l’enquête publique. En outre, pour les cas exceptionnels, la procédure dérogatoire du groupement momentané d’enquête est imaginée : pendant six à douze mois, toutes les parties prenantes sont réunies pour examiner tous les aspects du dossier aux frais du pétitionnaire, avec de larges pouvoirs d’expertise et de débat, pour aboutir à un projet de décision pour l’administration.

Aucune décision ne sera cependant prise à l’échelon local. À ma grande surprise, le groupe de travail est rapidement parvenu à un consensus sur la centralisation des compétences minières, et même sur leur concentration au niveau ministériel. Les préfectures sont jugées trop exposées aux intérêts contraires et trop enclines, de ce fait, à différer les décisions. Seuls les représentants de l’Association des régions de France défendaient une perspective différente. Évidemment, ce schéma ne s’appliquerait pas forcément à l’outre-mer.

Pour plus de simplicité, une décision prise sous l’empire du code minier doit correspondre à toutes les dispositions légales et réglementaires applicables. Cela pose difficulté en raison des compétences des collectivités en matière d’urbanisme, mais la cohérence de l’action publique est à ce prix. Cette unité de la décision garantira aussi l’unité du contentieux, ce qui évitera les pertes de temps et la multiplication des recours.

La conduite des travaux est assouplie tout en assurant la participation du public. À leur achèvement, le projet prévoit que la solidarité nationale s’assure de la totalité des conséquences de l’après-mine, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Son financement serait assis sur un fonds géré par un conseil national minier, abondé par la fiscalité minière et destiné à contracter des polices d’assurance en fonction du niveau de risque mineur, majeur ou d’ampleur nationale. Tous les dommages miniers seraient intégralement compensés. Une prescription claire est fixée pour la responsabilité de l’exploitant, mais l’État pourrait poursuivre toute personne morale dirigeante ou actionnaire de l’opérateur minier.

La fiscalité serait modernisée à niveau constant, en simplifiant la part revenant aux communes pour privilégier celles qui sont effectivement impactées. En effet, il est peu compréhensible d’indemniser une commune simplement parce que le puits est sur son territoire alors qu’une autre, qui subit tous les inconvénients de l’activité, ne perçoit rien. La taxation nationale serait « tunellisée » et ne pourrait varier de plus ou moins 30 % autour des hypothèses économiques initiales – ce qui conduirait à envisager un effondrement ou une envolée des cours en cas de circonstances exceptionnelles.

Afin de sécuriser la procédure et d’éviter les enlisements, nous défendons le principe d’une décision implicite favorable à l’issu d’un silence de l’administration pendant trois mois – après participation du public, bien entendu.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais revenir sur le groupement momentané d’enquête. Est-ce une procédure qui existe déjà par ailleurs ?

M. Thierry Tuot. À ma connaissance, c’est une innovation. De ce fait, je crois qu’il serait prudent, si le Parlement devait retenir l’idée, de commencer par une expérimentation. Nous constatons tous combien les enquêtes publiques sont insatisfaisantes dans leur configuration actuelle : elles durent un temps interminable et ne mobilisent pas grand monde pour toujours aboutir à un avis favorable. Le maire du Havre, qui a siégé dans votre commission du développement durable, me racontait comment son plan local d’urbanisme a été annulé parce que le deuxième journal utilisé pour l’information n’avait pas la diffusion suffisante alors même que le site internet communal recevait cent mille connexions. Le groupement momentané d’enquête laisserait le pouvoir aux gens, avec un budget pour financer leurs initiatives et toute liberté pour poser les termes du débat. Le pari est que la levée des contraintes formelles placera chacun face à ses responsabilités et facilitera l’émergence d’une recommandation consensuelle. Naturellement, ce ne devrait concerner que quelques projets dans l’année, les plus symboliques et les plus importants.

Cette procédure est conçue en complémentarité avec celle du rescrit juridictionnel. Dès lors qu’une décision existe, toute personne intéressée – titulaire, association, collectivité, État – peut saisir la cour administrative d’appel, et non le tribunal administratif afin de dépayser le contentieux, pour examiner la procédure suivie. Son ordonnance, rendue dans un délai de six mois, pourrait décider l’annulation, ou prescrire des mesures complémentaires ou valoir validation. Dans ce dernier cas, les motifs de légalité externe ne seraient plus invocables à l’avenir, seules les objections de fond pourraient être mobilisées. Sans ce rescrit juridictionnel, il faudrait abandonner le groupement momentané d’enquête qui serait porteur, alors, d’incertitudes juridiques trop grandes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans quelle phase de la procédure ce groupement momentané d’enquête pourrait-il être sollicité ?

M. Thierry Tuot. À tout moment, mais plus probablement au stade de l’exploitation. Le cas des gaz de schiste me semble exceptionnel puisque la contestation ne portait ni sur la ressource ni sur les conditions d’activité, mais sur la technologie minière elle-même. La grande majorité des sites de production d’hydrocarbures de France ne suscite aucune difficulté, et les demandes présentées par les industriels – une soixantaine environ chaque année – se limitent bien souvent à des renouvellements ou à des extensions de l’existant.

Je classe à part les projets en mer, au large de la Guyane ou dans le canal du Mozambique, voire en Méditerranée, qui relèvent d’une logique totalement différente. Nous suggérons, dans le livre relatif aux matières et aux milieux, que la totalité des collectivités territoriales de la façade maritime concernée soit impliquée dans l’instruction des demandes.

M. François-Michel Lambert. Le permis d’exploration de « Guyane maritime » serait-il concerné par la procédure du groupement momentané d’enquête ? Je rappelle que le consortium réuni autour de la société Shell investit approximativement un milliard d’euros dans les opérations de recherche. Il est évident qu’une découverte déboucherait forcément, dans ces conditions, sur une exploitation.

M. Thierry Tuot. Les investissements sont tellement lourds que le permis d’exploration doit effectivement emporter la garantie, pour l’inventeur d’une ressource, d’obtenir seul la concession de son exploitation. Le groupement momentané d’enquête est conçu pour être possible pour toutes les décisions, qu’il s’agisse de l’exploration, de l’exploitation, ou même de l’après-mine si la situation le justifie. Sa constitution est décidée discrétionnairement par le ministre chargé des mines, sur la base d’une appréciation strictement politique. Je me répète : c’est une procédure totalement novatrice quand le code minier actuel ne prévoit qu’une enquête publique au moment de la concession d’exploitation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le rescrit juridictionnel a fait l’objet d’articles et de commentaires relativement critiques, il me semble.

M. Thierry Tuot. Comme tout projet novateur, il devra passer les obstacles du Conseil d’État, du Parlement et du Conseil constitutionnel. Les directions juridiques ministérielles et les cinq professeurs de droit qui siégeaient dans le groupe de réflexion sont d’avis que ce système peut fonctionner.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avez-vous envisagé de classer les titres miniers relatifs aux hydrocarbures en deux catégories « conventionnel » et « non conventionnel » ?

M. Thierry Tuot. Il y a eu des débats autour de cette question, notamment sur la possibilité de rédiger un code spécifiquement dédié aux hydrocarbures. Nous avons décidé de couvrir tout ce qui peut se passer sous terre et qui ne relève ni du code de l’aménagement – donc les tunnels – ni de la loi sur l’eau – dont la circulation dans le sous-sol n’a rien à voir avec les activités minières. Si des dispositions spécifiques sont requises, maintenant ou à l’avenir, le code est conçu pour pouvoir les accueillir. Nous avons déjà prévu, dans le projet, des sections réservées aux granulats ou encore aux activités en mer.

Nous avons admis des spécificités uniquement lorsqu’elles nous semblaient évidentes. Par exemple, un stockage gazier diffère assez radicalement des industries extractives : cette activité fait l’objet de dispositions ad hoc. Tous les stockages souterrains seront régis par le code minier sous réserve de leur compatibilité avec la loi sur l’eau.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Est-il souhaitable que les collectivités territoriales disposent de compétences supplémentaires ? Vous indiquiez tout à l’heure que seule l’Association des régions de France avait plaidé en ce sens.

M. Thierry Tuot. Nous avions proposé un siège au sein du groupe de réflexion à l’Association des maires de France, à l’Assemblée des départements de France et à l’Association des régions de France. Seule la dernière a répondu positivement à cette invitation. Mais il est évident que la légitimité de notre groupe de réflexion n’est pas comparable à celle du Parlement, et que la discussion du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat fera sans doute apparaître de nouvelles sollicitations sur un grand nombre de dispositions.

Le projet se borne à faire avancer l’intercommunalité. Quant à la répartition des compétences entre les autres niveaux d’administration, le rôle de l’État a fait consensus, c’est-à-dire que personne n’est d’accord sur tout mais que personne n’a quitté la discussion non plus.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai cru comprendre que vous évoquiez une procédure parlementaire pour le livre premier et un recours aux ordonnances pour les suivants.

M. Thierry Tuot. Le texte qui résulte de nos réflexions est à la fois très technique et très long. Son examen nécessiterait un temps qui me semble difficilement compatible avec ce que la presse rapporte de l’ordre du jour des assemblées. De plus, chaque article pourrait donner lieu à des débats approfondis.

Je pense que l’apport principal du Parlement tient davantage à examiner les innovations qu’à avaliser l’existant. Or ces innovations sont rassemblées dans le livre premier en compagnie des principes fondamentaux qui ont présidé à la rédaction des livres suivants. Ceux-ci pourraient faire l’objet d’une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, d’autant plus légitimement que le projet est déjà presque intégralement rédigé et que les parlementaires pourraient, par conséquent, avoir les ordonnances sous les yeux au moment de voter l’habilitation. Seul le livre sur les mesures transitoires nécessiterait plusieurs mois de travail.

Cette procédure permettrait un débat sur la trentaine d’articles essentiels, notamment relatifs à la mise en conformité de la législation avec les normes constitutionnelles et conventionnelles relatives à la participation du public, tout en laissant aux différentes administrations le temps de s’approprier le texte. Je précise qu’il s’agit d’une opinion strictement personnelle dont j’ai fait part aux cabinets des ministres concernés.

M. François-Michel Lambert. La Guyane a fourni l’expérience malheureuse du permis « Limonade » dans laquelle le pétitionnaire aurait falsifié l’étude d’impact environnementale sur les conséquences de l’exploitation sur les loutres d’Amazonie pour assurer le succès de sa demande. Le schéma que vous proposez permet-il d’éviter les fraudes de cet acabit ?

M. Thierry Tuot. Les principes cardinaux de transparence et de participation placeront les pétitionnaires sous le regard inquisiteur de la société civile. Aujourd’hui, quand quelqu’un demande un permis d’exploration, personne ne le sait et seule l’administration procède au contrôle. Le savoir-faire exceptionnel des universités n’est pas au service du débat public ; il n’est pas mis à la disposition de l’opinion pour donner une base de réflexion solide aux citoyens.

D’ailleurs, nous avons et nous aurons toujours à l’avenir un grave problème de compétence au sein de l’État. Avec l’épuisement de ses ressources de gaz et de charbon, la France est redevenue un territoire neuf en matière minière alors que ce secteur est crucial pour la transition énergétique – pas avec le gaz de schiste mais avec les granulats cruciaux pour la modernisation du parc de logements. Le Bureau de recherche géologique et minière dispose d’un savoir théorique remarquable, mais il doit demeurer un expert public au service de la société. L’IFP-EN est compétent sur les hydrocarbures, moins sur les autres matières. Il y aura donc un enjeu immense de formation et de constitution d’un pôle public d’instruction dans les années à venir.

M. Jacques Krabal. Votre proposition semble engager une réforme en profondeur de la gouvernance publique en matière minière.

M. Thierry Tuot. Les analyses produites à l’occasion du Grenelle de l’environnement n’ont pas suffisamment été transcrites dans les actes. Prenons un domaine extérieur au code minier comme celui du médicament : l’idée d’une décision fondée sur des considérations scientifiques objectives s’est imposée, mais les scandales récents ont montré les défauts du système. Il n’y a pas une expertise mais plusieurs, et rares sont les scientifiques qui se montrent absolument affirmatifs sur une question de santé publique.

La seule façon de sécuriser l’opinion est, je pense, de lui laisser la main dans la réalisation de ces expertises, car les diagnostics formulés par la puissance publique n’inspirent pas confiance : si le Gouvernement dit aux Français de se vacciner, ils décident majoritairement qu’il est urgent d’attendre. Telle est l’idée qui sous-tend le groupement momentané d’enquête. Les experts associatifs seront jugés beaucoup plus crédibles ; il faut simplement s’assurer qu’ils respectent un cahier des charges préétabli en termes de compétence et de transparence.

Je suis attaché à l’exemple du médicament pour avoir travaillé sur l’affaire du sang contaminé où le système a montré toute sa perversion : l’État sait, il garde l’expertise pour lui et, pendant ce temps, des gens meurent. Aujourd’hui, le laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) fait siéger en son conseil d’administration des associations de patients qui ont le pouvoir de solliciter des analyses.

C’est le modèle vers lequel il faut tendre en donnant aux citoyens éduqués et compétents les clefs du débat. La puissance publique doit garantir l’intérêt général et veiller au respect des règles, et non s’arroger une omnipotence dont l’expérience récente indique qu’elle repose sur du sable. La promesse du Grenelle était précisément cette gouvernance à cinq ; le projet de code minier ne fait que poursuivre dans la même veine.

M. Jacques Krabal. N’est-ce pas une remise en cause du rôle de l’État ?

M. Thierry Tuot. Il n’y a aucune remise en cause : la décision finale appartient à l’État. Personne ne peut le faire à sa place ; personne n’a la légitimité pour cela.

Si je reprends l’exemple des hydrocarbures non conventionnels, il me semble que le BRGM a affirmé qu’il n’y en a pas dans le bassin parisien sur le fondement des multiples carottages dont il dispose. Affirmer dès le dépôt des demandes de permis d’exploration d’huile de schiste qu’elles ne seraient pas accordées sur les lieux connus pour ne pas en receler aurait, je pense, immédiatement fait baisser la tension sur le terrain. Je ne connais pas d’industriel de taille significative souhaitant rechercher des hydrocarbures non conventionnels en France – Total du moins a clairement indiqué ne nourrir aucun projet.

M. Jacques Krabal. Et Hess Oil dans l’est parisien ?

M. Thierry Tuot. Le BRGM conserve des carottes très précises des lieux ; il n’y a pas d’exploitation pour des raisons économiques. Le groupe de réflexion propose la création d’un schéma national minier regroupant trois éléments.

En premier lieu, nous préconisons un plan d’exploration du sous-sol par le BRGM, ou sous sa conduite, pour savoir ce qu’il y a sous nos pieds – je parlais précédemment des terres rares, mais on peut penser à la fluorine du Morvan et à la bauxite de l’arrière-pays montpelliérain – dans une perspective de mise à disposition de la connaissance au public. Le Parlement en validerait les orientations stratégiques. Ceci devrait grandement apaiser les craintes des populations sur le terrain, car il n’est pas dit que nous ayons, par exemple, du gaz de schiste dans des conditions de production économiquement soutenables. Le code de l’environnement et la législation du travail me paraissent d’ailleurs s’opposer clairement à une exploitation massive sur le modèle américain.

En deuxième lieu, le conseil national minier serait une sorte de forum public discutant des milieux, des matières et des zones pour formuler des recommandations. Le groupe de réflexion ne s’est pas entendu sur leur caractère prescriptif ou indicatif ; il reviendra au Parlement de trancher. S’il se prononçait en faveur d’une valeur juridique contraignante, je crois que celle-ci devrait être limitée à des zones sensibles limitativement circonscrites.

En troisième et dernier lieu, le schéma contiendrait un recueil intégral des titres miniers délivrés, qui n’existe pas à l’heure actuelle.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il me semble que le Bureau exploration-production des hydrocarbures (BEPH) en dispose.

M. Thierry Tuot. Il y a énormément de sites dont on ne connaît pas le titulaire du titre, ou la date de son expiration, ou son périmètre exact. C’est parfois le cas de sites tout à fait récents. Regardez les marnières !

M. Jacques Krabal. Avez-vous des précisions sur le calendrier de la réforme ?

M. Thierry Tuot. J’ai remis mon rapport aux ministres concernés le 24 juillet. J’ai aussi échangé avec les membres de divers cabinets. Je suppose que la décision du Gouvernement ne saurait tarder. En tout cas, les différents participants au groupe de réflexion, qui ont beaucoup travaillé pour livrer un projet consensuel, l’attendent avec intérêt.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons un vrai travail à accomplir sur ce dossier pour montrer au Gouvernement que le Parlement est prêt à être saisi.

M. François-Michel Lambert. Il est certain que les tensions rencontrées autour de ce dossier témoignent du fait qu’il est temps de tourner la page de l’actuel code minier.

M. Thierry Tuot. Le précédent Gouvernement avait, en effet, émis des doutes sur la conformité du code minier actuel avec la Charte de l’environnement et les conventions internationales. La décision d’une modernisation en découlait logiquement, et c’est l’aboutissement du processus que je suis venu vous présenter aujourd’hui. Persister davantage avec des normes manifestement dépassées pourrait conduire la justice administrative à suspendre des titres délivrés sur leur fondement.

Je ne pense pas que la reprise de l’activité minière génère à elle seule une croissance fulgurante de l’économie nationale. Nos faibles ressources et notre cadre de vie ne le permettraient guère. Mais l’enjeu stratégique est réel, et une exploitation respectueuse de l’environnement et rentable économique n’est pas à exclure dans une France qui reste une puissance industrielle.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de tout le temps que vous avez consacré à ce dossier et à cette audition. C’est maintenant à nous, parlementaires, de faire avancer les choses.

2. Audition de Mmes Catherine Tissot-Colle, présidente, et Claire de Langeron, déléguée générale, et MM. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines, Bruno Rosso, directeur général de Garrot-Chaillac, Didier Driancourt, président d’honneur de Minéraux industriels France, et Nicolas Créon, responsable environnement installations classées de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) (6 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie les représentants de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) d’avoir répondu à l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable sur la réforme du code minier. Tous les groupes politiques de la commission sont représentés ici.

Nous avons reçu la semaine dernière Thierry Tuot, qui a animé le groupe de réflexion installé par le Gouvernement. Il nous a indiqué que le projet était entièrement rédigé à l’exception du livre relatif à l’outre-mer, pour lequel il considère ne pas avoir la légitimité politique suffisante, du livre relatif aux mesures transitoires et des dispositions de nature fiscale. Il a évoqué la possibilité pour le Gouvernement de solliciter une habilitation pour adopter ce nouveau code par ordonnance, eu égard au volume conséquent du projet, ainsi qu’une voie médiane consistant à limiter la procédure parlementaire au livre premier contenant principes directeurs et innovations juridiques pour laisser ensuite une ordonnance transcrire les dispositions les plus techniques. Ce sera à l’exécutif de formuler ses propositions, toutefois je ne crois pas que les parlementaires puissent accepter d’accorder une habilitation globale, ni d’ailleurs de voter une habilitation partielle sans disposer des projets d’ordonnance stabilisés. C’est une position dont j’ai fait part à qui de droit.

Je vous passe maintenant la parole. Nous sommes là pour vous entendre d’abord, pour échanger ensuite.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Je remercie la commission du développement durable de nous auditionner une fois de plus et de témoigner à nouveau, si besoin en était, de l’intérêt qu’elle porte au dossier de la réforme du code minier. Il est important qu’un dialogue se noue avant que le projet de loi ne soit présenté et débattu.

Nous avons répondu en nombre à votre invitation car nous sommes concernés par le sujet sur l’ensemble du cycle des matières extractives. Il y a un lien très clair entre production, transformation et recyclage. Tous attendent cette réforme du code minier car nous pensons que notre filière est promise à un brillant avenir en France, tant sur le continent européen que dans les territoires ultramarins – la Nouvelle-Calédonie et la Guyane notamment. La relance de l’activité minière doit s’opérer dans les meilleures conditions sociales, environnementales et sociétales : cela suppose le débat démocratique le plus large possible pour que le texte final soit représentatif de la volonté profonde de la nation. De fait, nous n’avons aucune légitimité pour affirmer une préférence entre la loi et l’ordonnance, mais nous souhaitons que toute voie susceptible d’être mal interprétée par certaines parties prenantes soit écartée afin de limiter les contestations que nous, exploitants, rencontrerions ensuite sur le terrain dans nos entreprises.

Nous sommes favorables à la réforme, même si nous nous inscrivons en faux contre l’idée reçue d’un code minier remontant à 1810. Les dernières modifications apportées pour l’organisation d’une participation du public l’ont été en 2006 et 2011, ce qui n’est pas antédiluvien. Nous sommes une industrie ancienne autant que vivante et adaptable.

L’impact environnemental et les relations avec les parties prenantes sont les enjeux cruciaux de la modernisation du code minier. Je vais laisser Jack Testard vous les présenter.

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines. La France possède un capital minéral non négligeable : contrairement aux idées reçues, notre sol présente un intérêt géologique certain pour un nombre significatif de métaux – ce qui ne veut pas dire que les gisements abondent.

La procédure d’acquisition d’un titre minier est relativement longue. Il faut compter deux ans pour obtenir un permis d’exploration, puis un certain nombre d’années d’étude pour disposer des données nécessaires à la sollicitation d’une concession d’exploitation. L’exploration peut être assimilée à de la recherche, peu perturbante pour les populations et pour l’environnement à moins qu’elle ne requière une autorisation de travaux miniers. C’est aussi la période de réalisation de toutes les études environnementales nécessaires.

Le code minier actuel pèche par défaut de consultation des populations. Nous sommes favorables à une évolution sur ce point à condition que les exigences soient proportionnées au degré d’avancement du dossier. Solliciter une description de la mine au moment où personne ne sait même si le minéral pressenti est réellement présent, c’est un doux rêve. Celui qui cherche a naturellement l’intention de trouver, mais il trouvera une fois sur dix ou vingt dans un espace relativement bien cartographié comme la France métropolitaine – ailleurs, ce peut être une fois sur cent. Par ailleurs, seul un gisement découvert sur trois peut être mis en exploitation. Les risques courus par les opérateurs sont donc considérables : nous sommes donc une profession qui a coutume de savoir arrêter les investissements. Les dossiers sont complexes et n’ont plus rien à voir avec l’imaginaire collectif. Qui n’a jamais vu une mine moderne s’imagine sûrement des conditions d’exploitation décrites dans Germinal. Le métier n’en est plus là.

La demande de titre minier prend plusieurs mois de préparation et deux ans d’examen par l’administration. Trois à cinq ans seront nécessaires pour procéder aux recherches sur le terrain, et une période comparable s’ensuit pour analyser les résultats obtenus. L’exploitation elle-même s’étendra sur dix, trente ou cinquante ans. Évidemment, ce ne sont que des estimations qui varient en fonction de la nature du sol, d’une exploitation à terre ou en mer, du produit recherché rare ou pondéreux. Le texte doit prendre en compte ces différentes conditions d’extraction.

M. Bruno Rosso, directeur général de Garrot-Chaillac. Je souscris pleinement à ce qui vient d’être dit sur le potentiel minier de la France. Même si ce pays ne sera jamais l’Afrique du Sud ou le Brésil, le sous-sol présente toutes les caractéristiques requises pour une exploitation minière de taille moyenne et de nature stratégique à l’échelle du continent européen.

Les opérateurs se trouvent toujours confrontés à l’incertitude : physique, juridique, politique. En 2012, nous avons obtenu deux titres miniers alors que la France n’en avait pas attribué depuis une vingtaine d’années dans la catégorie en question. Mais le parcours fut très long, en grande partie parce que l’appareil administratif ne dispose plus guère des connaissances requises pour apprécier les demandes. L’un de ces titres, dans le Morvan, concerne la fluorine, une des quatorze matières stratégiques définies par l’Union européenne. Notre étude a démarré en 2006 pour un dépôt de dossier en 2009. L’instruction devait être accomplie en dix-huit mois ; il a fallu aller au contentieux contre des décisions implicites de rejet pour qu’elle soit réalisée en vingt-quatre mois. Une fois le titre acquis, l’industriel ne dispose pas pour autant de la faculté de conduire des travaux : il doit solliciter une autorisation en ce sens. C’est le temps de l’étude d’impact sur quatre saisons et du dimensionnement du site ; il faut donc au moins un an pour constituer le dossier, et l’administration mettra souvent plus de deux ans à répondre. Par conséquent, si je poursuis mon exemple, nous avons commencé nos démarches en 2006 et nous espérons entamer les travaux en 2018 : douze années de préparation pour une activité industrielle qui durera quinze à vingt ans. Les changements dans l’administration et l’évolution du droit, pendant ces douze années, rajoutent de l’incertitude puisque les interlocuteurs et les procédures impératives changent. Pour un investisseur, c’est difficile à tolérer. Le projet de nouveau code minier prévoit des délais administratifs stricts et le principe d’une décision implicite d’acceptation. Nous en sommes très satisfaits.

Notre expérience montre que la meilleure façon de conduire une activité minière consiste à associer le public au plus tôt, d’abord pour information dans le cadre de la demande de titre et ensuite pour concertation dans la perspective d’une autorisation de travaux – puisque c’est dans cette deuxième étape que seront identifiables les impacts sur l’environnement et sur la population. Je ne saurais trop insister sur l’importance de ce phasage, qui perdure dans le projet de Thierry Tuot.

En outre, les procédures actuelles font péricliter des activités viables en compliquant les conditions de leur pérennité. Je voudrais illustrer mon propos en prenant l’exemple de la fluorine, qui a été exploitée en France par Pechiney mais dont la mine s’est épuisée plus rapidement que prévu. L’exploitation s’est arrêtée sans pouvoir se déplacer ailleurs, vers d’autres ressources potentielles, et Arkema, principal acquéreur du minerai, a licencié le personnel de son usine de raffinage pour s’approvisionner à l’étranger en fluorine déjà transformée. Un cas similaire se rencontre avec l’or en Guyane : nous avons déposé en 2008 des demandes conjointes de titre et de travaux miniers dans la perspective d’un épuisement des sites en fonctionnement, que nous prévoyions en 2011. Nous avions donc anticipé de trois ans la pénurie pour perpétuer l’exploitation. Le titre nous a été octroyé en 2013, soit cinq ans après la demande, à la suite de recours en justice. Il a fallu vivre d’expédients pour faire fonctionner le site dans l’intervalle et, pour ajouter aux difficultés, l’administration a mis onze mois à autoriser les travaux miniers sur le fondement d’un permis valable seulement cinq ans. Près de 20 % de la période d’extraction concédée se sont volatilisés dans un délai administratif. Vous pouvez en déduire combien grande est l’incertitude sous l’empire du droit minier français. Un encadrement est nécessaire pour sécuriser l’opérateur, qui consent des investissements non négligeables, et qui ne doit pas demeurer à la merci de tels aléas. Les industriels ne pourront pas travailler s’ils ne peuvent pas savoir quand, comment, et sur quoi.

M. Didier Driancourt, président d’honneur de Minéraux industriels France. Les minéraux ne sont pas au cœur du code minier puisque les carrières sont assujetties au code de l’environnement et à la réglementation ICPE. Les questions d’information du public, de protection des milieux, de garanties financières et de responsabilité après l’exploitation sont donc déjà réglées. Il reste qu’une disposition spécifique du code minier, que nous appelons toujours « article 109 » selon la nomenclature de l’ancien code minier bien qu’elle corresponde désormais à l’actuel article L. 321-1, prévoit la constitution de zones spéciales de carrière au sein desquelles des autorisations de recherche peuvent être sollicitées parallèlement à la réglementation ICPE. Cette disposition revêt une grande importance dans l’accès à la ressource car l’autorisation délivrée par la puissance publique permet d’entrer sur la parcelle d’un propriétaire sans son consentement.

Les minéraux industriels sont des substances assez communes mais diverses – argile, quartz, mica, feldspath, kaolin, bicarbonate, gypse, talc, andalousite, etc. Leur abondance sur le territoire national permet un développement industriel de long terme dès lors que leur accès est assuré pour les cent ou deux cents ans à venir. Il ne faut pas obérer cette opportunité de maintenir en France une économie à la source de nombreux produits de la vie courante. La céramique et le verre proviennent à 100 % de minéraux industriels, le papier et la peinture à 50 %. Un véhicule automobile représente à lui seul 150 kilogrammes de minéraux industriels.

La France a la chance de compter sur son territoire des gisements nombreux et remarquables, parfois de classe mondiale. Pour leur valorisation, les zones spéciales de carrière instituées par le code minier sont un atout important, que l’on soit dans l’hypothèse d’un propriétaire réticent ou dans celle d’une parcelle sans maître. En leur absence, les industries qui dépendent de ces matières premières verraient leur approvisionnement menacé. Par conséquent, nous souhaitons le maintien de cette disposition dans le futur code minier.

L’encadrement des délais serait également une grande avancée. Une zone spéciale de carrière est en cours de création en ce moment : l’instruction a commencé en 2004, l’enquête publique s’est achevée en 2007, et le dossier est encore ouvert. Il est inadmissible d’attendre une décennie pour recevoir l’aval de l’administration sachant que tous les acteurs locaux ont formulé leur accord et que quatre industries différentes sont concernées. Par ailleurs, nous comprenons que l’instruction d’une demande de permis – valable dix ans – exige une à trois années, mais pas qu’il faille également jusqu’à trois ans pour un simple renouvellement. Cela nous met en grande difficulté avec la réglementation ICPE sur le phasage d’exploitation.

Je veux conclure en plaidant pour que l’information du public soit aussi le moyen de faire comprendre à la population les enjeux de l’extraction pour le maintien de leur niveau et de leur cadre de vie, et de lui expliquer les évolutions de notre profession.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Vous pouvez constater combien ce secteur compte des opérateurs motivés et ambitieux – au bon sens du terme. Je vais résumer brièvement nos points d’accord avec le projet de texte issu des travaux du groupe Tuot.

Nous soutenons l’encadrement des délais et des procédures, qui doivent permettre la concertation sans éloigner exagérément le terme de la période d’instruction.

Nous défendons aussi la préservation de la distinction entre titres et travaux miniers, car la demande des associations de disposer très en amont des programmes de travaux n’est pas réalisable, comme ceci vous a été expliqué. Nous sommes prêts à jouer le jeu de la transparence, mais nous ne pouvons le faire que sur ce que nous savons à une étape donnée de la procédure.

Le droit exclusif de l’inventeur d’une richesse doit être maintenu, car c’est la seule façon de donner des gages aux investissements consentis pour la recherche. Dans le cas contraire, personne ne souhaitera s’engager.

La sécurisation des projets par un examen anticipé et définitif de la procédure par la cour administrative d’appel nous convient dans son principe. Il reste toutefois à en préciser les modalités et à adapter les délais à l’importance des projets. Cette sécurité juridique ne dispense pas les entreprises de rendre des comptes sur leur activité ; nous ne sommes hostiles ni à un système de commission locale d’information ni à un dialogue continu avec les riverains.

Nous avons également des points d’inquiétude, voire de désaccord. Le schéma minier en est un. Nous comprenons que ce document peut contribuer à répondre aux interrogations légitimes des populations. Un « schéma des potentiels », discuté avec les administrations et éventuellement avec les parlementaires, serait politique au sens noble du terme. S’il devenait complexe, précis et prescriptif, il poserait davantage de problèmes. Nous savons que certaines parties prenantes plaident en ce sens, ce qui serait néfaste à la bonne marche de l’activité.

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines. La carte géologique de la France au cinquante millième est achevée depuis deux ans. Il faudra trente à quarante ans pour acquérir la connaissance des cent premiers mètres. Or les gisements de métaux peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de profondeur. Déterminer à l’avance une cartographie complète de l’ensemble du territoire est donc peu cohérent, même si nous disposons tout d’un même d’un savoir non négligeable. C’est une chose de savoir que le sol français recèle de l’étain, du germanium et du tungstène ; c’est autre chose de pointer précisément où sur une carte. La Nouvelle-Calédonie a dressé son propre schéma minier mais son sous-sol est bien moins composite que celui de l’Europe et de la Guyane ; il est donc beaucoup plus facile d’établir des priorités.

J’aimerais dire un mot des conditions de concurrence. Nous sommes le seul pays au monde où le pétitionnaire est tenu de s’exposer à la concurrence. Le dépôt d’une demande de permis, qui suppose une recherche et des investissements préalables, autorise n’importe qui à formuler une demande concurrente sans avoir procédé aux mêmes investigations. Et pour peu que ce compétiteur présente une assise financière plus solide que le pétitionnaire original, il a toutes les chances d’être sélectionné par l’administration. Plus prosaïquement, quelques hurluberlus peuvent aussi déposer des dossiers concurrents pour proposer ensuite à l’industriel d’acheter leur désistement. Le risque est évident : dès que la loi prête le flanc à ce genre de manipulations, il y aura toujours des margoulins pour s’engouffrer dans la brèche. De plus, la mise en concurrence se passe sur des critères non définis qui laissent la porte ouverte à toutes les mésaventures. En revanche, j’imagine très bien le BRGM identifier une potentialité et lancer un appel d’offres sur le fondement d’un cahier des charges. La concurrence n’a pas le même sens sur un dossier privé que sur une sollicitation publique. Partout dans le monde, le premier demandeur est retenu s’il satisfait aux conditions de fiabilité financière et technique ; on ne le met pas artificiellement en concurrence.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Thierry Tuot a lancé l’idée d’un groupement momentané d’enquête pour organiser la concertation entre les parties prenantes. Nous sommes plutôt favorables à condition que cette procédure ne s’applique qu’à la phase d’exploitation et pour de grands projets. Elle nous semble surdimensionnée pour les petits dossiers et peu utile au stade de l’exploration. La formule proposée prévoit une création à la discrétion du ministre ; nous suggérons de l’objectiver en posant des critères de phase et de taille du projet. C’est une façon de faire gagner l’action publique en efficacité, comme l’a souhaité le Président de la République en lançant le « choc de simplification ».

Nous sommes d’accord pour intégrer dans le code minier des éléments de la réglementation ICPE. Mais le diable est dans les détails, et nous ne sommes pas sûrs que la totalité des procédures ICPE soit adaptée au secteur minier. Nous mettons donc en garde contre une transposition en bloc.

Enfin, et c’est une interrogation pour nous car ce n’est pas ce que nous avions retenu des discussions, le texte prévoit une responsabilité identique pour les explorateurs et pour les exploitants. Nous sommes attachés à la proportionnalité et nous préférerions une adaptation en fonction des circonstances.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de ces informations très claires et très poussées. Il est vrai, et je le déplore, que les hydrocarbures ont tendance à mobiliser toute l’attention au détriment d’autres sujets tout aussi fondamentaux.

La concertation menée par Thierry Tuot est un travail de qualité. Elle permet d’aboutir à un projet rédigé et intéressant. Nous souhaitons maintenant que ce dossier avance ; il est temps de faire progresser cette réforme dont on parlait déjà il y a deux ans. Des réponses innovantes, conformes aux objectifs partagés d’information du public et de protection de l’environnement, sont envisagées. Il faudra aussi aborder le sujet de la fiscalité, qui ne sera pas le plus évident.

Pouvez-vous me confirmer votre soutien au principe d’une compétence étatique et centralisée en matière minière ?

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Oui, sans ambiguïté.

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines. Il s’agit toujours de recherche des produits d’importance stratégique pour la collectivité nationale dans son ensemble, et personne ne peut prétendre mieux l’incarner que l’État.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Quand le nouveau code minier aura été voté, nous serions très favorables à une sorte de clause de revoyure après quelques années d’application. Le dialogue engagé avec la commission Tuot et avec les parlementaires est fructueux ; les entreprises souhaitent le poursuivre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En tant que parlementaires, notre rôle ne s’arrêtera pas à légiférer. Nous aurons certainement aussi à prêter attention aux textes d’application réglementaires.

M. Didier Driancourt, président d’honneur de Minéraux industriels France. Je vous ai parlé tout à l’heure des zones spéciales de carrière. La consultation du public a lieu, d’une part au moment de la création, et d’autre part dans le cadre de l’autorisation ICPE. Or les documents d’urbanisme sont rarement compatibles avec les nouvelles exploitations, ce qui soulève des difficultés. Si les textes futurs pouvaient prévoir que l’enquête publique menée dans le cadre de nos activités permette simultanément la révision du plan local d’urbanisme de la commune concernée, ce serait un gain de temps non négligeable – et une épine considérable retirée du pied des élus !

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). J’aimerais conclure sur un dernier message. Une fois le nouveau code minier adopté, le rôle des parlementaires ne sera pas achevé. Les textes ne sont rien s’ils ne sont pas acceptés sur le terrain, si leur légitimité n’y est pas reconnue par les citoyens. L’implication des élus sera la clef du succès de ce point de vue.

Mme Sabine Buis. Pour une meilleure acceptabilité sur le terrain, n’est-il pas pertinent de prévoir une concertation au plus tôt, alors même que vous recommandiez tout à l’heure de se borner à une information dans la phase d’exploration ?

M. Bruno Rosso, directeur général de Garrot-Chaillac. Lorsque vous demandez un titre minier sur une substance, vous ne savez pas toujours comment la travailler dans l’usine de transformation du minerai associée à la mine elle-même. C’est une fois le titre minier obtenu que les méthodes de valorisation seront envisagées, en fonction de la qualité de la ressource et du cadre géologique local.

Au moment des recherches, ces informations ne sont pas encore connues. Leur détermination permet de choisir la technique adéquate ; elle peut même remettre en cause la faisabilité ou la viabilité économique de l’opération. Il y a trente ans, par exemple, personne ne parlait des terres rares parce que les technologies minières ne permettaient pas leur valorisation. C’est bien pour cette raison que le schéma national doit asseoir la stratégie nationale et non édicter des interdits a priori. On ne peut pas se prononcer au stade initial sur l’ampleur, sur la valeur et sur la faisabilité d’un projet.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Je ne crois pas que le débat existe sur la frontière entre information et concertation. La question tient, pour nous, au contenu de l’information délivrée en fonction de la progression du projet. Nous ne pouvons pas tout dire dès le début, simplement parce que nous ne savons pas. Nous parlons d’une « information » sur des potentialités au moment de l’exploration, mais vous pouvez sans difficulté l’appeler « concertation » si vous actez le fait que le dialogue sera d’autant plus fouillé que l’activité avancera.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La situation vécue lors de l’épisode des gaz de schiste ne pourra pas se reproduire, et c’est un enjeu essentiel.

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières et président de Variscan Mines. Les membres de la société géologique de France et de la société savante de l’industrie minérale pourraient éclairer utilement le débat. Ils ne sont liés ni à des fédérations, ni au BRGM, ni à l’IFREMER, ni au monde universitaire. Vous pourrez peut-être les auditionner en ce sens.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je prends note de votre suggestion. Au nom des membres du groupe de travail de la commission du développement durable, je vous remercie pour cette audition particulièrement instructive.

3. Audition de M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE) (6 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre commission a mis en place un groupe de travail, qui regroupe les différents groupes politiques, pour procéder à un travail préparatoire sur la réforme du code minier. Je pense que nous disposons tous des mêmes documents d’information issus de la commission animée par Thierry Tuot, que nous avons auditionné la semaine dernière. Nous sommes toujours en attente des dispositions transitoires et des articles relatifs à l’outre-mer.

Je vous remercie de vous présenter devant nous pour nous exposer le point de vue de France Nature Environnement.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Je vous remercie, monsieur le président, de cette invitation à vous exposer nos positions. Je précise que, outre les deux livres manquants que vous avez mentionnés, nous n’avons pas non plus eu communication des dispositions de nature fiscale.

La commission Tuot a organisé deux cycles de réunions, le premier d’octobre à décembre 2012 pour définir les grandes orientations de la réforme à venir, et le second au printemps 2013 pour formuler des propositions de rédaction, deuxième phase intense puisque nous nous retrouvions parfois deux fois par semaine. Un projet nous a été communiqué fin juin, qui a permis de lister les points d’accord et de désaccord. Une version améliorée, débarrassée de scories rédactionnelles, nous est parvenue fin juillet.

Je souhaite souligner combien nous avons apprécié cette façon d’écrire les lois. C’était une première : le travail technique a été confié aux parties prenantes, sous la direction de Thierry Tuot qui a veillé au respect du contradictoire et de l’expression de chacun. L’administration, bien que présente, n’a pas participé au débat. Les différentes positions ont pu librement se confronter et, souvent, le bon sens a conduit à arrêter une voie médiane.

Ceci étant dit, nous ne comprenons pas quel est le calendrier du Gouvernement. Comme je vous l’ai indiqué, la dernière version portée à notre connaissance remonte au mois de juillet. Elle devait être présentée aux deux ministres concernés, mais le changement de ministre de l’écologie a compliqué les choses. On a évoqué une remise officielle au Premier ministre en septembre, en présence des membres du groupe de travail pour éventuellement exprimer les points de désaccord. Nous n’avons plus de nouvelle depuis. Ce silence nous inquiète. Même si nous ne sommes pas en plein accord avec le résultat de la concertation, nous redoutons de voir le Gouvernement laisser lettre morte ce travail de qualité. La réforme est rendue impérative par l’obsolescence du code minier actuel, qui continue cependant à encadrer l’activité minière aujourd’hui. Nous pensions que le Gouvernement allait arbitrer les points de dissensus et retenir les dispositions consensuelles. Le retard qui s’accumule est difficilement explicable.

Tout le monde est conscient de la nécessité d’un code minier rénové depuis janvier 2011 : les associations comme les industriels, l’ancien Gouvernement comme le nouveau. Mais après un an de travail et alors qu’un projet « ficelé » existe, nous n’arrivons pas à savoir ce qui manque pour enclencher le processus législatif. Considérer le projet de Thierry Tuot insatisfaisant et inadapté serait déjà une réponse, mais ce n’est pas le cas : nous ne rencontrons qu’un silence persistant.

Le droit minier en vigueur ne permet pas de protéger l’environnement. Il a fallu que le Parlement légifère simplement pour savoir ce qui avait été autorisé au préalable – le président Jean-Paul Chanteguet le sait bien puisqu’il a été rapporteur de ce texte. Ce seul exemple illustre le défaut de maîtrise qu’engendrent les procédures du code actuel. Nous jugeons la loi du 13 juillet 2011 positive ; c’est la raison pour laquelle nous l’avons défendue devant le Conseil constitutionnel, avec succès puisque le représentant du Gouvernement a repris un grand nombre de nos arguments sur la question de la géothermie profonde. On sait désormais que la présence d’une richesse dans le sous-sol n’est pas suffisante pour justifier son extraction, et que le pouvoir politique peut décider de la laisser à sa place. C’est très bien comme cela. Malgré tout, ce texte reste une loi de circonstance qui n’a pas vocation à régler tous les problèmes posés par le code minier. Il faut une réforme complète que nous n’avons que trop attendue.

L’annulation par le Conseil d’État du décret du 2 juin 2006, qui autorisait les forages sous un régime de déclaration administrative – sans étude d’impact et sans enquête publique – pour la production d’hydrocarbures, constitue également un signe du caractère suranné du droit minier. Ce décret a ouvert la porte à plusieurs forages, dans le Bassin parisien et en Lorraine, qui pourraient concerner des hydrocarbures non conventionnels. Nous avons obtenu son annulation, mais la législation minière aurait dû l’empêcher en amont.

Le code minier actuel préserve mal l’environnement. Il ne permet pas non plus la mise en œuvre d’une politique minière que le Gouvernement appelle de ses vœux. Peut-être le sous-sol français mériterait-il d’être un peu mieux connu, un peu mieux exploré et un peu mieux exploité. Mais ce n’est pas dans les conditions actuelles que ce sera possible. Je prends l’exemple de la fiscalité, sujet clivant dans le groupe de concertation : son opacité ne permet pas de développer l’activité minière. L’assiette d’imposition doit être rediscutée tout comme la répartition des produits fiscaux entre l’État et les différents niveaux de collectivité, sans quoi personne ne s’engagera dans l’activité minière.

La délivrance des titres miniers ne s’est pas interrompue avec l’affaire des gaz de schiste, même si je présume que l’administration examine les demandes avec une attention renforcée. En deux ans, on a notamment délivré sept permis de géothermie à haute température, procédé qui suppose la stimulation de la roche à cinq kilomètres de profondeur. Nous connaissons bien le sujet puisque nous avons défendu cette technologie devant le Conseil constitutionnel : c’est un peu moins dangereux que la fracturation hydraulique des compagnies pétrogazières, mais tout de même bien délicat dans l’absolu, et de surcroît nous ne pensons pas que ce soit une énergie renouvelable d’avenir.

La réforme est prête et ne peut plus attendre. La réouverture des mines ne se fera pas forcément dans l’intérêt des territoires, qui auront à gérer les conséquences de l’exploitation. Le droit de l’après-mine doit évoluer pour soulager leur fardeau. De même, la tension de la société civile sur la question minière ne s’apaisera pas sans modernisation de la législation ; la méfiance est d’autant plus grande qu’il s’avère difficile de revenir sur des titres miniers délivrés à tort. Très clairement, les conditions de l’après-mine qu’ont vécues les populations du Mans les poussent à regarder d’un mauvais œil les projets qui concernent aujourd’hui leur territoire.

Je ne pense pas que le retard accumulé dans la réforme profite à quiconque. Toutefois, les autorisations délivrées récemment ont permis aux industriels de bénéficier d’un droit particulièrement peu contraignant. Il est logique de demander des titres miniers au plus vite avec le sentiment que le prochain code minier exclurait leur délivrance. C’est ce qui s’est produit en Île-de-France et en Lorraine pour les forages de gaz non conventionnel. Dans les deux cas, le régime déclaratif prévalait. Le Gouvernement avait profité d’un décret de décembre 2011, réformant l’étude d’impact, pour assujettir à cette formalité les demandes d’autorisation de travaux miniers déposées à compter du 1er juillet 2012. Sans surprise, on a constaté un dépôt massif de dossiers dans les deniers jours du mois de juin. C’est révélateur d’un certain état d’esprit, mais c’est aussi contre-productif dans la restauration de la confiance avec les associations et les populations.

En ce qui concerne le contenu du projet rédigé par Thierry Tuot, il est le fruit d’une concertation. En toute logique, certains aspects nous satisfont, quelques-uns nous semblent devoir être clarifiés, d’autres enfin ne recueillent pas notre adhésion.

Nous soutenons la redéfinition de la notion de titre minier. Aujourd’hui, c’est le droit exclusif d’utiliser le sous-sol pour, dans un périmètre déterminé, aller chercher une substance qu’il recèle ou injecter un produit à fin de stockage. Il y avait une certaine logique à ce que la concession d’exploitation suive automatiquement le permis de recherches. FNE a combattu cette interprétation en considérant qu’un projet minier se définit avant tout par le type de gisement recherché et par la manière de l’appréhender. Ceci implique d’assortir la demande de permis de précisions sur les ambitions de l’opérateur, les technologies envisagées et les conséquences de l’exploitation. Il semble que cette vision ait prévalu.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons entendu des interprétations très différentes.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Je vous invite à consulter la composition du dossier de demande de permis exclusif de recherches. Le pétitionnaire précise ses méthodes et la manière dont il souhaite exploiter le gisement ; il livre une évaluation stratégique de son projet sur le territoire concerné. Plus particulièrement, les articles L. 114-8 et L. 114-9 ouvrent la faculté à l’autorité administrative de faire évoluer le titre minier en fonction des technologies utilisées, voire de solliciter le dépôt d’une nouvelle demande en cas de changements importants. Par ailleurs, les permis indiqueront les prescriptions applicables au projet minier. Si ces modalités avaient prévalu au moment de l’affaire des gaz de schiste, il aurait fallu déclarer préalablement l’intention d’utiliser la fracturation hydraulique et ses conséquences sur l’environnement, à défaut l’administration aurait pu exiger une nouvelle demande de permis. Nous aurions évité de mobiliser le Parlement et le Conseil constitutionnel. C’est aussi mettre fin à l’idée d’une intangibilité des titres miniers : de nouvelles circonstances de droit ou de fait légitiment un changement de position de l’administration.

Cette avancée est liée à la fin de l’octroi automatique d’une concession d’exploitation pour l’inventeur d’une ressource titulaire d’un permis exclusif de recherches. Selon le projet, l’opérateur pourra demander à exploiter, mais il ne sera pas assuré d’obtenir satisfaction. Prenons le cas concret de l’affaire Rexma, du nom de l’opérateur qui disposait d’un permis exclusif de recherches en Guyane et qui en a trouvé : la constitution d’un parc naturel sur le périmètre concerné aurait fondé l’administration à rejeter la demande de concession d’exploitation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il reste alors à indemniser le pétitionnaire.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Je ne crois pas. Je pense que l’indemnisation est limitée au cas où l’État décide de confier l’exploitation du gisement à un opérateur autre que son inventeur, au motif par exemple d’une meilleure maîtrise technique.

L’activité minière est propice aux crises dans la mesure où l’expertise se voit fréquemment contestée au cours des discussions. Le projet de réforme imagine un nouvel instrument juridique : le groupement momentané d’enquête, voué à être constitué en cas de difficulté exceptionnelle et à la discrétion du Gouvernement. Nous jugeons cette solution satisfaisante, même si nous aurions préféré que le groupement puisse travailler une année et non seulement six mois.

Le rapprochement du code minier et des procédures ICPE, que tout le monde connaît et maîtrise, recueille notre soutien. Je vais à nouveau mentionner un cas concret : celui de la géothermie de minime importance. C’est un gisement formidable d’énergie renouvelable, destiné au chauffage d’habitats individuels et de petits collectifs. Cette activité relève du code minier qui lui impose des procédures disproportionnées au regard des enjeux environnementaux, et notamment une déclaration de travaux miniers. La déclaration ICPE, plus souple, nous semble beaucoup mieux adaptée. Il n’y a pas lieu de multiplier les outils si d’autres, adaptés, existent déjà.

Il y a deux domaines que nous souhaiterions améliorer. Le premier point est la gestion de l’après-mine, dont nous approuvons les principes mais dont la rédaction nous semble opaque. Nous demandons une meilleure participation du public et une précision des objectifs poursuivis, à savoir que figure, à côté de la protection des biens et des personnes, la préservation de l’environnement et de la santé. Beaucoup des problèmes d’après-mine menacent les milieux, par exemple en Limousin où les anciens gisements d’uranium polluent toujours les cours d’eau. Nous avons besoin d’une base législative claire pour rappeler les industriels à leurs obligations.

Nous demandons également une correction de la procédure de délivrance des permis, qui prévoit des délais extrêmement courts à la demande des industriels. La rapidité de l’instruction est une bonne chose, mais elle ne doit pas entraver la consultation dans de bonnes conditions des autorités déconcentrées et des administrations centrales. Si le code est conçu pour entrer en vigueur sans décret d’application, il faut qu’il édicte les modalités dans lesquelles ces avis seront délivrés. Seules les administrations locales peuvent apprécier avec justesse l’impact d’un projet sur un cours d’eau ou sa compatibilité avec un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Leur silence priverait le public d’une source d’information irremplaçable.

J’en viens maintenant aux dispositions nouvelles qui suscitent notre opposition. Nous nous inquiétons d’une décision implicite d’acceptation des demandes de titre minier. Le silence de l’administration, qui plus est dans des délais extrêmement courts, ne peut pas fonder les titres miniers. Nous n’avons rien contre l’idée qu’une mine de fluorine exploitée depuis cinquante ans soit implicitement prolongée, en revanche les autorisations initiales nécessitent absolument une décision explicite. FNE se battra pour cela.

En outre, lors des discussions au sein du groupe Tuot, les industriels ont exprimé le souhait de connaître la politique de l’État en matière minière. Ce désir de planification s’incarne dans le schéma national de valorisation du sous-sol. Nous avons soutenu cette demande que nous trouvions légitime. À partir de cette idée de schéma arrêté par décret, qui devait fixer des bornes à l’activité minière, déterminer des zones protégées et identifier les techniques interdites, on en est arrivé à un document fade, qui n’a plus de valeur juridique et qui ne peut plus établir de limite. Ce n’était pas une de nos demandes initiales, mais nous sommes déçus de ce qu’implique ce recul : il ne faut pas entraver l’activité minière, il faut aller chercher tout ce qui se présente.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Un territoire classé au patrimoine mondial de l’UNESCO serait donc exclu par nature des activités extractives ?

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Dans notre esprit, c’est ainsi que les choses doivent se passer. Est-ce vraiment utile de laisser penser aux populations, et même aux industriels, qu’il pourrait y avoir un derrick en plein milieu d’une zone protégée ? À quoi servirait de conduire des études sur ces zones puisque nous pressentons tous qu’aucun projet ne pourra y arriver à son terme ?

Mme Sabine Buis. Les plans de gestion qu’impose l’UNESCO au moment d’un classement au patrimoine mondial sont par nature incompatibles avec des projets miniers. Il est important de savoir quel schéma va s’imposer à l’autre, et on imagine mal que ce soit celui de la valorisation minière.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). L’intérêt d’un schéma est de fixer un cap en toute transparence : le politique prend ses responsabilités, l’industriel agit en connaissance de cause, la population n’est plus en proie à des rumeurs. Nous aurions des débats de meilleure qualité et personne ne se retrouverait devant le fait accompli.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je me souviens d’avoir reçu, en 2011, la société Halliburton. Une des photographies qu’avaient présentées ses représentants montrait un forage en milieu urbain, dans le jardin d’un particulier !

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Je comprends l’effort de communication. Je doute cependant que l’effet atteint soit celui qui était recherché.

La réforme minière est nécessaire car le code actuel ne permet absolument pas la transparence des projets. C’est l’objectif principal à nos yeux. Nous ne sommes pas opposés a priori à l’exploitation minière ; nous souhaitons savoir ce qu’elle implique. Les procédures du code minier doivent le permettre. Organiser la participation du public sur des documents opaques et incomplets aurait peu d’intérêt. C’est pourquoi nous avons besoin d’éléments indiscutables, que le groupement momentané d’enquête permet de soumettre à la contre-expertise à la demande des citoyens.

Mme Sabine Buis. Ce groupement momentané d’enquête serait cependant dérogatoire et discrétionnaire. On peut penser que les associations solliciteront sa création en permanence. Je pense qu’il serait pertinent de mentionner sur quels critères objectifs fonde sa décision de recourir à cette procédure renforcée, ou refuse d’opter en ce sens. En l’état, le dispositif est rassurant sans l’être.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Ces termes que vous citez ne figuraient pas dans la version de juin ; ils sont apparus dans le texte communiqué en juillet. Paradoxalement, FNE et l’UFIP ont eu la même interrogation : cette décision de constitution d’un groupement momentané d’enquête est-elle contestable en justice ? Thierry Tuot considère qu’elle peut faire l’objet d’un recours mais que, dans la mesure où il s’agit d’une prérogative discrétionnaire, aucun juge n’y ouvrira droit. Il est vrai que la décision de s’abstraire des procédures classiques face à une situation exceptionnelle est, par essence, politique plutôt que juridique.

En Ardèche, il existe un fort mouvement de contestation à propos du permis Mouv’oil dont beaucoup craignent qu’il vise du gaz de schiste, ce que l’exploitant dément. Nous avons mis en place une expertise qui n’est rien d’autre qu’un groupement momentané d’enquête, à ceci près que le nouveau code minier prévoira les modalités de désignation de l’expert, de financement de ses travaux, d’expression des opinions. Ce sera donc un progrès, du moins de notre point de vue.

Mme Sabine Buis. Je connais bien l’exemple que vous avez choisi. L’expertise a bien eu lieu, mais elle ne satisfait personne, et la situation ne s’est pas décantée.

M. Olivier Gourbinot, référent code minier de France Nature Environnement (FNE). Nous ne croyons pas en l’indépendance des expertises. Chaque expert agit avec des présupposés. Nous croyons bien plus dans les contre-expertises, qui permettent de confronter les visions. Les groupements momentanés d’enquête devraient disposer de listes d’experts qui permettent de les situer dans les mondes universitaire, industriel ou associatif. On pourra alors organiser un débat contradictoire autour de personnes respectées pour leurs compétences.

Le groupement momentané d’enquête peut être mis en place à n’importe quel moment de la procédure, pour les titres comme pour les travaux miniers. En outre, il peut être maintenu tout au long de la procédure. Ses membres représentent les trois intérêts qui sous-tendent le code minier : la valorisation du sous-sol, la protection de l’environnement et l’utilité sociale pour le territoire. Il peut engager des dépenses, par exemple pour réaliser des expertises ou pour tenir des réunions publiques, sur la proposition de ses membres. Ses travaux se concluent par une délibération qui valide le projet, ou non, éventuellement en l’assortissant de conditions. Il appartient ensuite à l’autorité politique de prendre sa décision sur la base de ces éléments d’information.

L’administration désignera les membres du groupement momentané d’enquête, qui se rapprochera probablement dans son fonctionnement des commissions locales de l’eau. Ce sont des outils qui marchent, plus ou moins bien, sans qu’on dispose de meilleure méthode d’association des citoyens.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de votre intervention qui nous aidera à mieux appréhender le contenu et les enjeux de la réforme.

4. Audition de M. François Démarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) (13 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La commission du développement durable a institué ce groupe de travail, regroupant l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale, pour préparer l’examen prochain de la réforme du code minier par le Parlement. Nous aurions aimé que cette formation soit conjointe avec la commission des affaires économiques, mais cela n’a pas été possible.

Comme d’autres, nous avons pris connaissance des propositions issues du groupe de réflexion dont le Gouvernement avait confié l’animation à M. Thierry Tuot. Sept livres nous ont été remis ; nous savons que les mesures transitoires, le régime fiscal et les dispositions relatives à l’outre-mer restent à déterminer. Nous souhaitions recueillir l’opinion du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur ce projet, étant entendu que la grande majorité des articles consistent en une simple recodification du droit existant.

M. François Démarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Je remercie les députés de cette invitation à m’exprimer devant l’Assemblée nationale au nom de l’établissement public qu’est le BRGM, dont l’objectif principal est la connaissance du sol et du sous-sol.

J’ai été un membre assidu de la commission Tuot, même si je dois vous indiquer, avant d’en commenter les travaux, que je ne suis pas qualifié pour décrire la totalité des dispositions du code minier. Cette législation concerne à la fois les hydrocarbures et les métaux, les milieux terrestre et marin, les stockages souterrains, la géothermie, et bien d’autres choses. Le BRGM abrite essentiellement des géologues ; il n’a pas vocation à parler au nom des juristes, des économistes, des industriels. Nous tenons cependant à faire valoir une expertise sur les éléments du sous-sol. Par exemple, outre les richesses minières traditionnelles, nous travaillons sur des sujets tels que la gestion des eaux souterraines, la séquestration du carbone ou encore le stockage d’air comprimé comme vecteur énergétique.

Le groupe de concertation présidé par Thierry Tuot a dû s’entendre sur la définition de certains termes employés dans le code minier, notamment sur la distinction entre la recherche et l’exploration. J’ai beaucoup plaidé en faveur du second, apparemment avec succès : l’actuelle législation connaît les « permis de recherches » qui, à mon sens, induisent une confusion avec la recherche en tant que connaissance scientifique, laquelle ne se résume pas à la prospection d’une ressource en vue de son exploitation.

Les premières discussions laissaient entrevoir une évolution vers un « code du sous-sol ». C’était beaucoup plus ambitieux, et peut-être même l’était-ce trop. Beaucoup de ressources, au premier chef desquelles l’eau, sont abondamment réglementées par d’autres législations. Or la France a beaucoup progressé depuis les années 1960 et la première loi sur l’eau puisqu’elle est parvenue à unifier les trois régimes juridiques hérités de l’histoire : la police des voies navigables exercée par le corps des ponts et chaussées au sein du ministère de l’équipement, les canaux d’arrosage contrôlés par le ministère de l’agriculture et par les ingénieurs du génie rural, les eaux souterraines administrées par les ingénieurs des mines du ministère de l’industrie. C’était inadapté pour traiter un cycle de l’eau finalement unique. Par conséquent, je ne trouvais pas opportun que le nouveau code minier traite des eaux souterraines : ç’aurait été un retour en arrière. On peut également penser au percement d’un tunnel ferroviaire ou routier, qui ne relève pas du code minier au seul prétexte qu’il implique de creuser la terre. L’étude d’impact, l’enquête publique, et plus largement le droit de l’environnement, apportent des solutions satisfaisantes que la route passe en sous-sol ou en surface.

Le code minier est historiquement destiné à régir l’appropriation par l’État d’un droit spécifique sur des substances stratégiques du sous-sol et des fonds marins. C’est parce qu’elle y voit une importance majeure que la puissance publique s’octroie le droit d’autoriser les extractions, voire qu’elle se réserve la possibilité d’exploiter elle-même les gisements. Les mines de potasse d’Alsace, acquises après le premier conflit mondial, jouissaient ainsi d’un statut domanial, de même que les hydrocarbures de Pechelbronn. L’État pouvait accorder des droits exclusifs et passer outre les droits du propriétaire du sol. Contrairement à la tradition anglo-saxonne, en France, la propriété du fonds emporte celle du tréfonds à l’exception de ces substances concessibles. Par ailleurs, des considérations environnementales et sanitaires ont progressivement conduit à réglementer les travaux engagés en sous-sol. Ce sont là les justifications de l’existence d’une législation minière dans notre pays. L’objectif poursuivi par l’opérateur n’est pas neutre, car il existe peu de différences entre un forage minier et un forage pour de l’eau ; pourtant, la norme applicable sera sensiblement différente.

Le groupe de concertation a été le lieu d’un débat pour déterminer si la recherche – dans son acception scientifique – était libre. L’exploration devait donner lieu à des démarches de type ICPE en fonction de la nature des travaux engagés. Cette distinction me semble sage.

Il y a eu également des discussions autour de la séparation entre les titres et les travaux miniers. Le projet rédigé est clarifié de ce point de vue, et c’est une bonne chose. Le titre minier permet à l’État de confier un droit d’exploration ou d’exploitation, sur un territoire donné, pour une substance donnée, à un opérateur qu’il juge capable de conduire l’extraction dans le respect des intérêts de la collectivité. Sa mise en œuvre suppose des travaux miniers, eux-mêmes soumis à autorisation ou à déclaration.

Le code minier est aussi le véhicule de la politique d’État d’acquisition de connaissances sur la composition de notre sous-sol. La puissance publique a décidé que toute forme de savoir en ce domaine mérite d’être conservée. Tout opérateur est tenu de communiquer à l’administration les informations collectées à l’occasion d’un forage d’une profondeur supérieure à dix mètres. Le BRGM est chargé de collationner et de diffuser ces données : 37 853 sondages sont actuellement conservés dans la banque de données du sous-sol. Plus de six mille nouvelles entrées sont apparues au cours des quatre dernières années ; c’est donc une mission de service public activement menée. Quant aux forages profonds de plusieurs centaines de mètres, nous en avons bancarisé 4 479 sous forme papier et 4 950 sous forme numérisée. Nous conservons aussi les profils sismiques, dont beaucoup sont dus aux prospections pétrolières : en 2012, 10 575 kilomètres ont été ajoutés à nos bases. Tout ceci nous permet de délivrer, sur internet et donc au plus grand nombre, une information aussi complète que possible sur le sous-sol français.

Ce service n’est pas réservé aux prospecteurs miniers : en France, trente mille résidences sont sinistrées chaque année par le gonflement des argiles sous les fondations. Nous avons fait des propositions pour enrichir le chapitre du code minier qui enjoint les opérateurs de remettre les données collectées à l’administration à l’achèvement des travaux. Un simple formulaire en ligne serait un immense progrès – mais je reconnais que ce n’est pas forcément une évolution de nature législative. Quant au financement de ces tâches de conservation des informations, qui est pour l’instant assuré par une subvention publique au BRGM, nous avons suggéré de l’asseoir sur la redevance minière que les industriels acquittent auprès de l’État. Nous avons regretté que le texte issu des travaux de la commission Tuot ne vise pas explicitement l’ensemble des personnes effectuant un forage de plus de dix mètres de profondeur, et qu’il laisse entendre que seuls les opérateurs miniers seraient assujettis.

Le groupe de concertation a largement évoqué le sujet de la concurrence. Dans un certain nombre de pays, celle-ci a lieu au travers d’une mise aux enchères de zones déterminées par le Gouvernement. Ce n’est pas le choix de la France, où le retour à l’État d’une partie des bénéfices de l’activité minière est préétabli par les textes en vigueur. Les demandeurs sont libres de soumettre un dossier quand ils le souhaitent, et c’est au cours de l’instruction de leur demande qu’une mise en concurrence a lieu. Cette tradition n’a pas été remise en question. J’ai cependant le sentiment que son articulation avec le principe de participation du public n’est pas adéquate. La mise en concurrence n’a été historiquement réalisée que sur des critères économiques, sur la base des efforts consentis par l’opérateur pour la mise en valeur de sa concession : de là naît le sentiment d’un code minier essentiellement productiviste. L’irruption des exigences environnementales change la donne : le pétitionnaire est désormais aussi interrogé sur les techniques qu’il souhaite employer et sur l’impact de l’activité sur le milieu, même s’il n’a pas encore procédé à des travaux. La mise en concurrence donne donc lieu à une décision en partie environnementale, qui tombe sous le coup de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Comment faire participer le public ? Les textes en vigueur prévoient de verser dans l’enquête publique les dossiers des opérateurs concurrents – hypothèse peu fréquente mais qui peut survenir. Or le projet de Thierry Tuot prévoit, me semble-t-il, une communication au public du seul dossier retenu par l’autorité administrative à l’issue de la mise en concurrence. J’y vois une faiblesse juridique.

J’en viens maintenant à la question de la géothermie, qui figure principalement dans le dernier livre du projet de rédaction de Thierry Tuot à côté des hydrocarbures, des stockages souterrains, des matériaux prélevés en mer et des dispositions spécifiques à l’outre-mer. Toute la première partie du texte, implicitement, ne traite que des métaux et accessoirement du charbon. C’est un déséquilibre. Il y a plusieurs formes de géothermie qu’il est difficile de traiter avec cohérence par des dispositions communes. Aujourd’hui, la loi Warsmann 2 de simplification administrative prévoit un traitement législatif de trois niveaux : soit on relève du code minier, soit on ne relève pas du code minier, soit on relève du code minier partiellement pour la géothermie dite « de minime importance ». Or, depuis 2011, les décrets d’application ne sont toujours pas publiés. Les normes édictées dans les années 1970 n’étaient conçues que pour la géothermie profonde. La géothermie de surface, apparue dans les années 2000 et très simple d’installation, devrait se trouver délivrée des exigences du code minier. Ce n’est pas encore le cas, du moins pas tant que ces décrets resteront attendus et tant que la rédaction du code n’évoluera pas. Nous avons plaidé pour une procédure simple et déclarative, conforme à la réglementation ICPE, pour permettre aux professionnels d’évoluer dans un cadre clarifié tout en permettant la vérification par l’autorité préfectorale du respect des bonnes pratiques. La délivrance d’un récépissé s’accompagne d’une notification des prescriptions applicables ; elle ouvre l’exercice d’un pouvoir de police pour contrôler la bonne facture des forages – dont l’importance est illustrée par quelques accidents survenus en France comme à l’étranger.

Le projet de réforme du code minier supprime la géothermie de minime importance soumise à une autorisation administrative unique. Or elle concernait notamment la technique employée pour les réseaux de chaleur du Bassin parisien, qui se caractérise par une profondeur notable et par une température peu élevée – de l’ordre de 1 500 mètres et 70 degrés. Cette méthode est dite « de basse température » car elle ne permet pas une production électrique comme les terres volcaniques. Elle requiert une coordination entre projets voisins pour éviter une sollicitation excessive de l’eau souterraine où est puisée la chaleur. Juridiquement, la réforme la ramènerait dans le droit commun de la géothermie « de haute température » qui connaît la distinction classique entre titres et autorisations de travaux.

Nous avions proposé la création d’une redevance communale des mines dans les territoires ultramarins propices à la géothermie de haute température. C’est, je le rappelle, la production électrique la moins chère qui puisse se trouver dans ces zones volcaniques. Il s’agit d’une question de fiscalité locale, donc pas vraiment à sa place dans une réforme du code minier, mais rien n’empêche le Parlement d’en discuter à cette occasion.

La réforme contient des dispositions sur l’après-mine. Je ne me prononcerai pas sur les dispositions relatives à l’indemnisation des dégâts. En revanche, il serait probablement nécessaire d’exiger des exploitants miniers qui cessent leur activité et qui remettent leur exploitation à l’État une meilleure prise en compte des impacts environnementaux. Le droit actuel vise les éboulements, les glissements de terrain, bref les atteintes aux personnes et aux biens, mais guère des incidences sur le milieu. Même la question de l’eau est abordée en termes quantitatifs et non dans une perspective de qualité de la ressource.

De même, on peut s’interroger sur l’opportunité de prévoir une réactivation de la police des mines, sur le modèle de la police des ICPE qui peut être réactivée pendant au moins trente années. En matière minière, elle cesse approximativement au moment de la remise de la concession. Si l’exploitant a dissimulé des atteintes, il serait intéressant de conserver un moyen d’action à son encontre. En outre, la constitution de garanties financières pourrait dépasser la seule hypothèse retenue aujourd’hui d’un stock de déchets pour prévoir, comme dans le régime très proche des carrières, une remise en état des sites.

Quant aux carrières justement, elles font l’objet d’un titre spécifique du code minier qui s’est vu progressivement transféré dans le code de l’environnement. Le projet issu du groupe Tuot fait disparaître cette subdivision, ce qui apporte en clarté, mais les quelques articles qu’elle contenait encore sont supprimés sans être intégrés ailleurs. C’est dommage de perdre ces dispositions relativement utiles aux industriels. Il reviendra au Parlement, je pense, de prévoir une coordination dans le code de l’environnement.

Le stockage de gaz nouveaux – air comprimé, hydrogène – pourrait également être prévu dans le nouveau code minier. Des procédures existent pour le gaz naturel et pour le CO2. Les enjeux sont très similaires, aussi n’y aurait-il pas grande adaptation à prévoir.

Voici les sujets sur lesquels le BRGM s’est concentré. Beaucoup parlaient de rouvrir des mines. C’est un débat.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est un débat sur lequel nous aurons sans doute l’occasion de vous inviter à vous exprimer devant la commission. L’objet de l’audition d’aujourd’hui était de se livrer à un tour d’horizon, ce qui a été fait. Nous avons bien noté les points particuliers sur lesquels vous avez focalisé votre attention.

Mme Florence Delaunay. Si vous en êtes d’accord, nous vous contacterons plus directement pour évoquer des dossiers spécifiques.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est une bonne idée. Le secrétariat communiquera vos coordonnées aux membres du groupe de travail. Nous vous remercions de votre intervention qui permet de mettre les enjeux de la réforme minière en perspective.

5. Audition de Me Arnaud Gossement, avocat (13 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie Arnaud Gossement d’avoir répondu à notre invitation. La réforme du code minier est un moment important de la législature et il sera très intéressant pour les parlementaires de disposer d’un regard expert sur la législation actuelle et sur ses carences. Nous avons pris connaissance, comme beaucoup d’observateurs, de sept des livres qui composent la réforme. Seules les subdivisions relatives à la fiscalité, aux territoires ultramarins et aux dispositions transitoires nous font encore défaut.

Nos travaux se déroulent dans un cadre interne à la commission du développement durable. Chaque groupe politique représenté à l’Assemblée nationale a délégué un ou plusieurs de ses membres pour assister à nos auditions.

Me Arnaud Gossement. Je vous remercie, monsieur le président, de m’accueillir aujourd’hui à propos de la réforme du code minier. Si vous me le permettez, je vais ancrer mon propos liminaire dans le concret et déduire d’un exemple les limites de la législation actuelle.

Parmi les permis exclusifs de recherches délivrés au cours des quinze dernières années, certains ont fait l’objet de transferts multiples de société en société – le code minier appelle ces cessions des « mutations ». Jusqu’à une demi-douzaine de compagnies peuvent détenir successivement le même titre minier. Ce fut notamment le cas de sept permis aujourd’hui revendiqués par la société Hess Oil, principalement dans l’Aisne et en Seine-et-Marne. Ces documents ont échappé à la loi du 13 juillet 2011 car, de mon point de vue, ils auraient dû être abrogés : l’administration les sait aujourd’hui très vraisemblablement voués à la prospection d’huile de schiste par la voie de la fracturation hydraulique. Le 30 avril 2013, la préfète de Seine-et-Marne a publié des arrêtés qui font état d’un risque avéré en ce sens.

Comme vous le savez, la détention d’un titre ne dispense pas l’industriel d’une procédure au moment du lancement des travaux miniers. Je défends la commune de Nonville qui, depuis maintenant un an, conteste devant le tribunal administratif de Melun la déclaration de travaux déposée en préfecture de Seine-et-Marne. Vous comprenez combien importante est la régularité, ou non, du permis exclusif de recherches correspondant.

J’ai appris, fort tard hélas, que la société qui souhaitait reprendre ce permis, auparavant passé de main en main, avait formulé une demande de mutation en ce sens auprès de la ministre de l’écologie de l’époque, Mme Delphine Batho. Celle-ci a gardé le silence pendant quinze mois, ce qui a fait naître une décision implicite de rejet. La société Hess Oil a contesté ce refus devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Cette juridiction a tenu une première audience à laquelle l’État n’était pas représenté – je regrette d’ailleurs fortement que ceci n’arrive jamais lorsque je plaide des dossiers relatifs à l’éolien sur lesquels le Gouvernement, non seulement défend fermement sa position, mais de surcroît se montre prêt à se pourvoir devant le Conseil d’État. Le jugement rendu après cette première audience ordonne à l’État de réexaminer le dossier présenté par la compagnie pétrolière, et non d’ouvrir droit à sa demande. Le Gouvernement est demeuré inactif. Le 26 septembre 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a enjoint une seconde fois le réexamen du dossier. L’ordonnance précise que l’État n’a produit aucun mémoire en défense, n’était pas présent à l’audience, n’a pas formé un pourvoi. Tout ceci est fort inhabituel : l’État a perdu cette affaire sans se défendre.

Il y a quelques jours, le Gouvernement a indiqué par communiqué de presse que le code minier actuel ne permet pas de refuser ces mutations sauf à exposer les pouvoirs publics à de nouveaux contentieux et à des demandes d’indemnités de plusieurs millions d’euros. Il est certain que le juge administratif statue invariablement en fonction des arguments qui lui sont présentés : quand on ne se défend pas devant lui, les chances de succès sont minces. Le silence de l’administration porte bien plus l’inéluctable que tous les mécanismes du code minier. De surcroît, le tribunal ordonne de réexaminer la demande et non d’y ouvrir droit... ce que l’État ne semble toujours pas décidé à faire.

J’avoue mon incompréhension la plus profonde au regard de cette situation. Je prétends devant la Représentation nationale que le ministère de l’écologie n’est aucunement contraint à consentir les mutations en cause. D’une part, il pouvait se pourvoir en cassation comme il le fait dans les autres contentieux. D’autre part, le code minier actuel contient en substance les mêmes règles que le projet de réforme qui vous a été présenté, c’est-à-dire rien : cette modernisation n’est qu’un petit toilettage tout juste agrémenté d’une introduction effectivement ambitieuse, et de fait rien ne régit la mutation des titres dans l’ancienne version comme dans la nouvelle. Malgré tout, la législation commande qu’une mutation concerne un titre initial légal. Il serait pertinent que l’État apprécie cette légalité au lieu de se borner à une consultation des préfets intéressés.

Enfin, en tant qu’avocat, je dois indiquer que les droits de la défense ont été malmenés dans cette affaire. Alors que mon client se trouve en instance contre l’État à propos de la déclaration de travaux devant le tribunal administratif de Melun, personne ne m’a indiqué qu’un contentieux était en cours devant la juridiction de Cergy-Pontoise sur le permis exclusif de recherches qui en était le fondement. L’administration a déposé quantité de mémoires pour rejeter la requête de la collectivité territoriale que j’assiste ; elle n’a pas écrit une ligne pour s’opposer à la demande de la société Hess Oil dont elle a tu l’existence à mes yeux. Je ne comprends pas.

Contrairement à ce que prétend son administration, le ministre pourrait se borner à décider un réexamen de la demande de mutation. Aucune obligation ne lui est faite d’y accéder. Sept permis sont concernés ; ils couvrent des étendues immenses sur lesquelles des déclarations de forage ont déjà été enregistrées. Les opérations pourraient donc reprendre très rapidement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’avais été informé de cette affaire et j’ai d’ailleurs adressé un courrier à son propos au ministre de l’écologie, le 24 octobre. Vous parliez de sept permis concernés. Est-ce qu’il s’agit bien d’entreprises de prospection d’huile de schiste, comme nous l’avions identifié au cours des débats de la précédente législature ?

Me Arnaud Gossement. Ce sont bien des huiles de schiste qui sont systématiquement recherchées. Voici ce qu’écrit dans un arrêté du 30 avril 2013 la préfète de Seine-et-Marne à propos du permis dit « de Nemours » détenu par ZaZa Energy, comme elle l’a écrit pour tous les autres documents concernés : « considérant que le programme de travaux comprend une phase optionnelle de forage horizontal de reconnaissance de la roche-mère du Lias, dont l’exploitation implique, dans l’état actuel des techniques l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique ». C’est un arrêté préfectoral, donc une analyse de l’État.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il me semble que la préfète en question a revu son jugement par la suite.

Me Arnaud Gossement. En effet. Je peux vous communiquer les mémoires produits à l’instance si vous le souhaitez.

La position de l’État sur ce dossier m’apparaît infondée et ubuesque. Je pense important que le ministre soit informé de l’existence d’une issue possible autre que la satisfaction immédiate des demandes de mutation.

Je vous signale également l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011, que les rédacteurs du projet de réforme n’ont hélas pas jugé bon de codifier, qui précise que les permis exclusifs de recherches dont les programmes de travaux prévoient un recours à la fracturation hydraulique font l’objet d’une abrogation. Toutefois, si certaines sociétés se sont dénoncées, d’autres ont gardé le silence et leurs permis sont donc demeurés valides.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les mutations sont un questionnement, la validité des permis en est un autre. Quels sont nos moyens d’intervention sur les seconds nommés ? Suffit-il de réclamer l’application de la loi du 13 juillet 2011 ?

Me Arnaud Gossement. Ce sont des permis parfois anciens, vieux de plus de dix ans et qui ont fait l’objet de plusieurs mutations. L’administration accorde pratiquement toutes les mutations qui lui sont demandées, sans actualiser les connaissances contenues dans le dossier initial. Certains permis mutent donc sur la base d’études diligentées en 2003, quand les hydrocarbures de roche-mère n’intéressaient personne. J’aurais espéré que la réforme du code minier impose d’accompagner les demandes de mutation d’une actualisation du dossier initial. Mais rien n’est prévu en ce sens.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il faudra que les parlementaires y pourvoient.

Me Arnaud Gossement. Par ailleurs, je ne comprends pas que les élus locaux et les associations engagées sur le terrain soient conviés à une discussion au ministère alors que ce même ministère vient de publier un communiqué de presse dans lequel il s’estime pieds et poings liés sur la décision qu’il convient de prendre. Mais pour en revenir à la loi du 13 juillet 2011, rien ne me semble justifier que les permis de la société Schupbach soient abrogés et pas ceux de Lundin Petroleum : il n’y a pas de différence entre les deux.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suppose que le dossier remis à l’administration conformément à la loi ne fait aucune mention d’un recours futur à une fracturation hydraulique.

Me Arnaud Gossement. Il est vrai. Pourtant, l’État a aussi abrogé des permis détenus par la société Total dont les dossiers étaient tout aussi silencieux. La ministre de l’époque avait déclaré devant l’Assemblée nationale savoir pertinemment quelles étaient les intentions dissimulées par l’opérateur.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est juste. Tous les permis qui devaient être pareillement abrogés ne l’ont pas été, principalement dans le Bassin parisien. Le rapport sur la loi du 13 juillet 2011, que j’avais rédigé avec notre ancien collègue Michel Havard, dressait une liste des titres que nous suspections de viser les hydrocarbures non conventionnels. Certains ont échappé aux rigueurs de la loi. L’inaction de l’administration est difficilement compréhensible.

Me Arnaud Gossement. Les permis rachetés ont une valeur, de nature principalement spéculative. Ce sont eux qu’il aurait fallu abroger, dont il aurait fallu refuser la mutation, et au minimum qui auraient dû donner lieu à un réexamen du dossier par le ministère de l’écologie.

Mme Valérie Lacroute. Je connais bien ces dossiers qui concernent mon territoire. Leur complexité découle en partie de l’ancienneté des études qui accompagnent les demandes de mutation. L’administration n’a pas suffisamment œuvré pour parvenir à une solution d’apaisement. Il a fallu que les collectivités locales ouvrent la voie contentieuse pour provoquer une réaction des services de l’État.

J’ai découvert comme vous, il y a quelques jours, le communiqué de presse ministériel, que je juge quelque peu léger. Je vais écrire au Gouvernement pour lui signaler les dysfonctionnements de ce dossier, et il me semble avoir entendu que le président de la commission m’avait devancée. L’investissement de tous donnera le bon exemple et, peut-être, alimentera la prochaine réforme du code minier.

Y a-t-il d’autres permis dans une situation comparable, avec un historique aussi ancien et de multiples cessions successives entre les différents opérateurs ? Je serais rassurée d’apprendre qu’il s’agit d’une exception parfaitement isolée.

Mme Sabine Buis. Je connais bien le permis du Bassin d’Alès, qui me semble dans une situation tout à fait comparable. La loi du 13 juillet 2011 a provoqué l’abrogation de différents permis – Montélimar, Villeneuve-de-Berg ou encore la Plaine d’Alès – tout en laissant subsister d’autres titres miniers relativement similaires. Je suis bien placée pour confirmer que les élus de terrain sont confrontés à toutes les difficultés pour accéder à l’information et à la vérité.

Mme Florence Delaunay. Je serai très intéressée par la note explicative promise par maître Arnaud Gossement. Notre groupe de travail s’est attaché à maîtriser le sujet minier, mais les subtilités juridiques de cette affaire dépassent ce que nous avons l’habitude d’entendre.

M. Jacques Krabal. Je souscris aux propos qui ont été précédemment énoncés. Comme d’autres, ma circonscription est concernée par ce dossier – et particulièrement par le permis de Château-Thierry. Je me suis également rendu à la réunion organisée au ministère pour comprendre la position du Gouvernement. La perspective de subir une astreinte particulièrement lourde assignée par le tribunal administratif semble jouer un grand rôle dans les préconisations de l’administration.

Au-delà de la possibilité de ne pas signer les mutations sans encourir une condamnation, j’ai cru comprendre qu’il n’y aurait pas de débat sur le renouvellement des permis exclusifs de recherches. Ce sont des titres obtenus il y a longtemps, et qui viennent donc prochainement à échéance. Le directeur de cabinet du ministre s’est montré catégorique et totalement résolu à ne pas accorder un énième renouvellement. Y a-t-il lieu de craindre une nouvelle déconvenue juridique qui viendrait remettre en cause cet engagement ?

Me Arnaud Gossement. Lorsque j’ai rencontré le cabinet du ministre, la quasi-certitude de ne pas pouvoir refuser les demandes prévalait. Je le répète : c’est faux. Le tribunal administratif a ordonné au Gouvernement de réexaminer le dossier, pas de lui offrir une issue positive. Or, ces permis entrent en contradiction avec l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011 : ils auraient donc dû être abrogés. Mais l’inertie prévaut au sein de l’État. C’est d’ailleurs très rare, et relativement humiliant, que le juge administratif relève en toutes lettres cette inactivité de l’administration dans son ordonnance de référé. Je pense que l’interprétation de ce silence doit être donnée par des autorités politiques ; en tant que juriste, je me borne à constater que c’est la meilleure façon de perdre ses procès et de se retrouver au pied du mur.

Le renouvellement ne me semble pas un enjeu pour les sociétés pétrolières. Je vais prendre l’exemple du permis de Nonville, qui est celui que je connais le mieux et qui donne lieu au contentieux où je subis le manque de transparence de l’État. Les compagnies sont prêtes à effectuer leurs explorations. Elles n’auront pas besoin de davantage de délais. Je ne crois pas à l’argument rassurant du contrôle des opérations par l’administration : la police des mines ne confère pas des prérogatives à ce point étendues, il faut prévenir l’opérateur à l’avance, il a le droit de se faire assister, etc. Il s’est produit récemment à proximité une pollution limitée d’un cours d’eau à cause d’un autre opérateur, et j’ai pu constater à cette occasion combien la mobilisation des services préfectoraux prend du temps. Il a fallu remonter jusqu’à la direction générale de la prévention des risques pour provoquer une réaction, ce qui m’a d’ailleurs permis d’apprendre qu’un simple message électronique envoyé pendant l’été – naturellement sans étude d’impact – avait permis une extension du site sur lequel le dommage devait survenir. Ainsi donc, les compagnies n’auront pas besoin d’un renouvellement : elles cherchent seulement à valider leurs découvertes pour les présenter à leurs actionnaires.

Les nouveaux permis pourront bien attendre la version future du code minier. D’ailleurs, le communiqué de presse du ministère précise qu’aucun permis ne sera délivré avant l’entrée en vigueur du futur code ; il me semblait avoir compris que le moratoire courait jusqu’à la fin du quinquennat. Plus inquiétant encore : le projet de réforme est désespérément muet sur les gaz et huile de schiste.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est que l’on attend les parlementaires !

Me Arnaud Gossement. Je l’espère. Mais je crains que le Parlement ait été privé du débat auquel il avait droit. Le Gouvernement a fait réaliser le travail juridique en prélude à l’examen politique alors que, en toute logique, les décisions politiques sont prises et ensuite seulement traduites en droit. Il appartient aux élus de faire de la politique, pas aux juristes.

Quant aux mutations, si même j’admets que le code minier actuel ne permet pas de refuser une demande en ce sens, comme accepter que le projet de réforme ne contienne aucune évolution de la procédure sur ce point ?

Mme Valérie Lacroute. L’ordonnance du tribunal administratif ordonne un réexamen du dossier. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie en droit ? L’astreinte journalière fixée par l’ordonnance se monte à 14 000 euros ; je comprends qu’elle serait levée en cas de nouvel examen. Mais quelle forme celui-ci prendrait-il ? Un comité de pilotage ? Une commission ad hoc ?

Me Arnaud Gossement. La demande adressée par Hess Oil se trouve soit sur le bureau du ministre, soit plus probablement sur celui du directeur général de l’énergie et du climat ou sur celui du directeur des affaires juridiques du ministère. Il suffit d’adresser un courrier à la compagnie, signé du ministre en charge des mines, pour lui indiquer que, conformément à la décision de justice, un nouvel examen de son dossier est diligenté. Les pénalités s’interrompront d’elles-mêmes. La procédure normale sera appliquée comme elle le serait pour toute demande initiale, la suspension par le juge de la décision implicite de refus ayant ramené la procédure à son stade initial.

D’ailleurs, l’ordonnance de référé – rendue le 26 septembre – indique que l’astreinte prend effet à compter du 17 octobre. Si le réexamen avait été notifié avant cette date, la France aurait évité une dépense bien inutile. Nous en sommes pratiquement à un mois de retard, soit 420 000 euros qu’il appartiendra à Hess Oil de réclamer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis surpris de ces dysfonctionnements qui affectent l’administration. Quel rôle les parlementaires peuvent-ils jouer pour améliorer la situation ?

Me Arnaud Gossement. Je ne crois pas pouvoir conseiller les parlementaires sur une action politique. Je me borne à souligner les caractéristiques juridiques de cette situation, sans même parler des conséquences qu’aurait ce précédent sur toutes les autres demandes formulées par les compagnies pétrolières. Je ne puis d’ailleurs pas vous dire combien de cas seraient concernés sur l’ensemble du territoire puisque la liste exacte des « permis blancs » – sur lesquels le projet d’une fracturation hydraulique existait – est sujette à caution. La ministre Nicole Bricq avait publié un document contesté par les associations.

Mme Sabine Buis. Il y a effectivement de nombreux permis où l’opérateur n’envisage officiellement pas de recourir à la fracturation hydraulique, mais dont on ne perçoit pas l’intérêt géologique en dehors de cette option.

Me Arnaud Gossement. Consentir aux mutations controversées signifierait, pour le ministre, ne pas leur appliquer la loi du 13 juillet 2011 dans toute sa rigueur. Ce serait un signal désastreux et ressenti comme tel sur le terrain. En outre, une mutation empêcherait le Gouvernement de prononcer une abrogation ultérieurement, puisqu’il aurait implicitement admis la légalité du titre minier.

Le ministre de l’écologie est un bon ministre. Son engagement sur la question des huile et gaz de schiste est indiscutable. Mais son administration lui livre une interprétation juridique qui ne fait pas consensus parmi les juristes en droit de l’environnement – et c’est une litote.

J’aimerais conclure en soulignant que le Conseil d’État a enfin ordonné au Gouvernement de revoir le décret de 2006 qui soumettait les travaux miniers en matière d’hydrocarbures à simple déclaration plutôt qu’à autorisation. Ce n’est jamais qu’une directive communautaire de 1985 qui exigeait d’assortir les forages d’une étude d’impact, et donc de privilégier la voie de l’autorisation. Entre-temps, un décret du 29 décembre 2011 a soumis à étude d’impact tous les travaux miniers à compter du 1er juin 2012. Sans surprise, Hess Oil prétend avoir déposé sa déclaration de forage le 29 mai 2012, soit juste avant le durcissement de la réglementation. Mais paradoxalement, la préfecture n’est pas en mesure de fournir la preuve de l’enregistrement tandis que l’arrêté subséquent vise une demande en date du 8 juin. Où est la vérité ? Le traitement administratif de ces dossiers mériterait singulièrement d’être éclairci.

Je m’aperçois que l’audition touche à sa fin et que j’ai bien plus abordé les failles du droit minier actuel que les perspectives de la réforme à venir. Je vous prie de m’en excuser.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est bien en raison des imperfections d’aujourd’hui que nous travaillons à l’amélioration du droit de demain. Votre présentation de cette affaire soulève de nouvelles questions dont nous chercherons les réponses tout au long de nos travaux.

Quant au projet de réforme, nous disposons des commentaires que vous avez exprimés au moment de sa publication. Vous lire laisse penser que des marges de progrès existent. Considérez-vous que les parlementaires puissent envisager d’amender efficacement le texte ?

Me Arnaud Gossement. Il faudra de très nombreux amendements pour ce faire. Par sa taille, le projet est considérable. Il sera forcément difficile de l’inscrire à l’ordre du jour du Parlement, et plus ardu encore d’éviter des discussions sans fin sur des points de détail.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je me souviens du contexte de l’année 2011 lorsque nous nous sommes saisis de la question des gaz de schiste. Certes, à mesure que le moment du vote approchait, les discussions se sont tendues et les consensus se sont émoussés. Néanmoins, la loi du 13 juillet 2011 a été votée. C’est donc qu’une avancée est possible. Je reste convaincu qu’une majorité peut être réunie sur le sujet des hydrocarbures non conventionnels. C’est une thématique délicate et c’est sans doute pour cela que des retards se sont accumulés. Mais je ne vois pas comment l’Assemblée nationale pourrait abdiquer sa souveraineté sur une question aussi sensible, aussi prégnante sur les territoires. Thierry Tuot a reçu consigne d’écarter ce sujet de sa réflexion ; c’est son honneur de fonctionnaire de s’être exécuté. Les parlementaires ne sont pas soumis aux mêmes commandements.

Me Arnaud Gossement. Il est certain que la loi du 13 juillet 2011, quels que soient ses mérites, ne pourra pas régir les hydrocarbures non conventionnels ad vitam aeternam. Il faut un texte pérenne.

Par ailleurs, j’ai cru lire que le Gouvernement envisageait de solliciter une habilitation à légiférer par ordonnance pour l’ensemble de ce texte.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est vrai. J’ai déjà indiqué à de nombreuses reprises, y compris aux ministres concernés, que ce n’était pas une option envisageable. Les innovations contenues dans le livre Ier du projet feront l’objet d’un projet de loi classique. J’ai conditionné l’acceptation éventuelle d’ordonnances sur les dispositions des autres livres à la communication de leur texte aux députés avant le moment du vote. C’est ma position et je n’en changerai pas. Il y aura un débat à l’Assemblée nationale sur la réforme du code minier. Nous devrons aussi suivre avec attention le volet réglementaire.

Me Arnaud Gossement. Le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) a permis de dépassionner le débat sur les organismes génétiquement modifiés. Mon rapport à Nathalie Kosciusko-Morizet recommandait, sur ce modèle, la création d’un Haut Conseil des Mines. Je regrette que l’architecture prévue par le projet de réforme concentre le débat en amont alors qu’il est plus opportun de le tenir en aval du processus de décision. En outre, rien ne permet d’imaginer son organisation et son fonctionnement : les dispositions qui l’instaurent sont tout à fait sibyllines. Pourquoi ne pas reprendre pour modèle le Haut Conseil des biotechnologies dont le succès est avéré ?

À titre personnel, j’aurais préféré qu’on fusionne les codes des mines et de l’environnement. La persistance d’un code minier rend notamment la législation applicable à la géothermie d’une complexité inouïe. La fusion aurait évité les renvois et généralisé la police des installations classées qui autorise une distinction par technique plutôt que par gîte seulement. La légitimité du code minier dans la France du XXIe siècle est historique, pas juridique.

Le groupement momentané d’enquête est prévu à titre dérogatoire et exceptionnel. C’est la porte ouverte à toutes les suspicions : les associations espèrent sa généralisation, les industriels souhaitent sa désuétude. C’est une véritable usine à gaz. Les pétitionnaires doivent disposer de règles aussi claires que possible pour constituer le dossier, et la loi est fondée à énumérer les pièces obligatoires plus justement qu’un organisme ad hoc.

Mme Sabine Buis. La réforme du code minier revêt une importance telle que solliciter les ministres ne suffit peut-être plus. J’ai eu l’occasion de faire part de notre ambition sur ce dossier au Premier ministre la semaine dernière. L’écologie est autant en cause que l’autorité de la République : il faut à la France un texte moderne.

Nos auditions sont très intéressantes. Peut-on envisager un débat contradictoire entre différents auditionnés pour confronter les points de vue ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans la mesure où Philippe Martin semble être le ministre qui portera la réforme minière devant le Parlement, je persiste à penser qu’il est notre interlocuteur privilégié.

Quant aux débats contradictoires, la commission a déjà organisé des tables rondes sur la réforme du code minier. Rien n’interdit d’en prévoir d’autres s’ils nous apparaissent nécessaires.

M. Jacques Krabal. J’aimerais conclure par une question toute juridique. Existe-t-il un moyen pour l’État de se soustraire aux pénalités qui lui ont été infligées par l’ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ?

Me Arnaud Gossement. Jusqu’à la date d’aujourd’hui, l’État devra payer si la société Hess sollicite la liquidation de l’astreinte. Elle peut choisir d’y renoncer pour des raisons stratégiques. J’attire votre attention sur le fait que la première injonction de réexamen a été délivrée par le tribunal administratif le 25 avril 2013. C’est l’inaction de l’État pendant des mois qui a suscité une seconde ordonnance de référé, celle-ci assortie d’une astreinte, le 26 septembre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour cet échange qui ne manquera pas d’éclairer nos réflexions au moment de l’examen du projet de loi.

6. Audition de M. Jean-Louis Schilansky, président, de Mme Isabelle Muller, déléguée générale, de M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques et de M. Thierry Monmont, directeur exploration et production de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) (20 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais remercier les représentants de l’UFIP d’avoir accepté l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable sur la réforme du code minier. Vos appréciations sur les différents livres auxquels est parvenue la commission Tuot aideront les parlementaires à mieux appréhender les enjeux de la modernisation pour l’industrie pétrolière française. Avant de vous donner la parole, j’aimerais simplement indiquer que nous avons déjà reçu vos homologues de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Sans doute vos commentaires seront-ils complémentaires des leurs. Enfin, nous n’avons pas encore pu prendre connaissance des dispositions de nature fiscale, des articles relatifs à l’outre-mer et des mesures transitoires.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Nous remercions les membres de ce groupe de travail de nous avoir conviés à nous exprimer devant le Parlement. L’UFIP réunit vingt entreprises actives en France dans le secteur pétrolier. La production française d’hydrocarbures a représenté quelque 800 000 tonnes de pétrole et 2 % de la consommation nationale de gaz. On notera probablement une dégradation en 2013, en partie liée à l’attente d’un nouveau code minier : 120 demandes de titre minier sont en instruction depuis le début de l’année, dont 12 subissent manifestement un blocage dans la perspective de la réforme annoncée.

Ce texte revêt une importance décisive pour l’activité pétrolière en France, et nous nous réjouissons d’avoir l’occasion de présenter nos arguments aux députés. Nous sommes face à une alternative simple que je vais formuler brutalement. Si les pouvoirs publics cherchent à produire une législation qui permette d’exercer une activité minière dans des conditions normales, nous participerons à la réflexion commune avec la bonne volonté dont nous avons fait montre tout au long des travaux de la commission présidée par Thierry Tuot. Mais si l’objectif est de décourager, pour des raisons diverses, l’exploration et la production d’hydrocarbures, qu’on nous le dise clairement : nous en prendrons acte et nous consacrerons notre énergie à des tâches plus utiles. Nous percevons aujourd’hui une forme d’ambiguïté dans la construction de cette réforme. L’incertitude qui prévaut en matière de politique minière envoie un très mauvais signal aux entreprises étrangères qui ont fait le choix d’investir sur le territoire français. Chacun gagnerait à une clarification de cet environnement.

Nous souhaitons que la réforme du code minier soit menée à son terme aussi rapidement que possible. Elle permettra un assainissement de la situation ; elle offrira à chacun un cadre juridique stable à partir duquel il redeviendra possible de définir des orientations de long terme. C’est la raison pour laquelle nous avons participé très activement aux réunions de la commission Tuot. Par conséquent, c’est aussi à l’aune de cet investissement que nous déplorons le flou qui règne en ce moment sur l’avenir de la réforme. Le président Chanteguet a fait mention de différents livres : en ce qui nous concerne, aucun texte définitif ne nous a été présenté. Nous n’avons pas non plus entendu Thierry Tuot dresser une liste des points de consensus et des divergences d’opinion entre les parties prenantes du groupe de travail. Nous ne savons pas rien de l’avancement de la rédaction du texte. C’est peut-être habituel dans le travail législatif, mais je tenais à le mentionner.

Nous espérons particulièrement que la réforme aboutisse sur quatre questions précises. En premier lieu, nous jugeons nécessaire de poursuivre la valorisation du sous-sol national en encourageant l’exploration et la production d’hydrocarbures et en assurant l’attractivité et l’équilibre économique des investissements. On ne change pas les règles du permis de conduire pour empêcher de conduire, mais pour permettre de conduire mieux : c’est exactement cette logique que nous défendons dans la discussion sur la réforme du code minier.

En outre, nous demandons qu’un équilibre soit trouvé entre la participation du public, qui est désormais indispensable à la bonne marche de l’activité, et la visibilité des opérateurs sur les procédures comme sur les délais. Nous pensons que ces derniers doivent être strictement encadrés. À ce titre, nous n’avons pas compris qu’une loi sur la participation du public ait été votée en décembre 2012 alors même que les débats sur la réforme minière étaient en cours, sans que l’on sache vraiment quels seront les effets de la première sur la seconde.

Par ailleurs, nous partageons l’objectif de simplification des normes formulé par le Président de la République. Il convient de réformer le code minier en évitant d’empiler les règles les unes sur les autres.

Enfin, et c’est une ambition qui rejoint la précédente, nous espérons que la réforme minière permettra de limiter au maximum les situations d’insécurité juridique.

J’en viens maintenant aux propositions de Thierry Tuot. Certaines nous apparaissent positives, d’autres malvenues, et d’autres encore nous laissent dubitatifs.

Nous sommes favorables au maintien d’un code minier autonome. L’activité minière nous semble suffisamment spécifique pour justifier l’existence de procédures distinctes du droit commun de l’environnement. Nous soutenons également l’idée de Thierry Tuot de fixer des délais de réponse à l’administration pour éviter que les procédures traînent en longueur. De même, nous sommes prêts à favoriser l’appropriation – vocable que nous préférons au terme « acceptabilité » – des projets miniers par la population à travers l’outil intéressant du groupement momentané d’enquête. La persistance d’un phasage entre exploration et exploitation nous agrée à condition que les explorateurs heureux bénéficient d’un droit de suite pour solliciter des concessions d’exploitation, tout en conditionnant le début des travaux à une autorisation administrative comme c’est actuellement le cas.

La perspective d’un schéma national minier prescriptif nous préoccupe car une interdiction a priori dans certaines zones plutôt que dans d’autres ne nous semble guère pertinente. Un tel document aurait, en revanche, toute sa raison d’être s’il demeurait indicatif. L’alignement de la réglementation des travaux miniers sur le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) nous paraît faire dangereusement fi des spécificités de l’activité minière. Enfin, nous jugeons excessive la responsabilité des opérateurs qu’imagine le projet de réforme en matière d’après-mine : c’est un domaine sur lequel le droit commun prévoit des mécanismes adaptés.

Si nous soutenons le principe du groupement momentané d’enquête, la circonspection prévaut devant le peu de détails que formule le projet de réforme sur ses conditions de constitution, sa composition et son fonctionnement. Comme les parlementaires, nous attendons de connaître les options retenues par le Gouvernement sur la fiscalité minière et sur le régime applicable aux territoires d’outre-mer : ce sont donc des sujets sur lesquels nous serions bien en peine de prendre position, mais que nous jugeons incontournables. Vous savez que l’industrie pétrolière a subi une déception au large de la Guyane, mais cette mésaventure ne ferme pas la porte à la présence d’hydrocarbures dans les eaux sur lesquelles la France exerce des droits souverains.

Il y a bien d’autres points sur lesquels nous pouvons échanger si vous le désirez. J’ai préféré concentrer mon propos liminaire sur les points les plus significatifs. Nous souhaitons avant tout que cette réforme du code minier aboutisse. Par ailleurs, la forme juridique de son édiction – projet de loi ou ordonnance – relève d’un choix politique sur lequel les industriels que nous sommes n’ont pas à exprimer une préférence.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de votre concision qui laisse à l’échange un temps important autour des priorités que vous avez exprimées. Il n’y a plus guère de débat sur l’identité du code minier : elle perdurera et ne sera pas dissoute dans le code de l’environnement.

Vous êtes sensible à des délais d’instruction administrative courts et clairs. Je le comprends bien. La proposition de Thierry Tuot est relativement novatrice et il est possible qu’elle soit peu appréciée par la haute administration. Il reste à l’expertiser en profondeur.

Le groupement momentané d’enquête est également une proposition originale propre à susciter le débat. Lors de son audition, Thierry Tuot avait suggéré de procéder à une expérimentation du mécanisme avant sa généralisation. C’est une piste judicieuse.

Je sais que vous êtes sensible au droit de suite entre exploration et exploitation. Nous avons entendu plusieurs arguments en faveur de son maintien, dont il faut reconnaître la pertinence. Je ne sais pas comment évoluera le Gouvernement sur le sujet, mais soyez sûr que nous sommes conscients de son importance.

Mme Sabine Buis. Il est important de s’entendre sur l’essentiel pour permettre au débat d’avancer. Vous avez formulé dès le début de votre intervention une alternative entre, disiez-vous, des conditions normales d’activité et une volonté de décourager les opérateurs. Je ne me situe ni dans la première option, ni dans la seconde. Tout l’intérêt de ce groupe de travail est de définir une troisième voie.

La participation du public doit-elle consister en une prise en compte des sentiments exprimés sur les territoires pouvant aller jusqu’à un renoncement au projet envisagé, ou bien s’agit-il d’une consultation formelle, perpétuellement vouée à émettre un avis favorable à toute demande de permis ? Je soutiens évidemment la première option.

Juste avant notre réunion, je m’entretenais avec le directeur du parc national nigérien du W, largement préservé puisque classé au patrimoine mondial de l’humanité : il me confiait combien la pression des compagnies pétrolières chinoises en faveur d’une exploitation était forte et combien il luttait pour garder son territoire inviolé. Son combat pour l’environnement s’inscrit dans la même logique que le nôtre. Or j’ai entendu votre jugement sur l’excessivité du régime de responsabilité de l’après-mine. C’est un point sur lequel nous sommes attendus : nous savons suffisamment ce qui a pu se produire par le passé pour formuler des exigences fortes dans le prochain code minier.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Vous soulevez un point central en matière d’information du public. Cette problématique déborde largement le code minier : elle surgit devant chaque projet d’infrastructure. La section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, que je préside, a d’ailleurs lancé une étude pour mieux en cerner les contours. Je suis sensible à votre ambition d’une voie de faisabilité. Mais je ne peux pas vous donner une réponse toute faite sur le degré de pouvoir que doit détenir le public dans les procédures de participation. L’approche proactive qui était traditionnellement la nôtre a beaucoup évolué dans le sens d’une ouverture au dialogue, mais cela n’empêche pas de se trouver confronté à des réactions irréalistes ou non-économiques. Il est difficile de concilier les contraires, et c’est peut-être sur ce point qu’une expérimentation serait le plus utile : pour fixer les limites nécessaires à toute discussion. J’ignore s’il s’agit d’un aspect législatif sur lequel le Parlement devra se prononcer, mais c’est manifestement le cœur de la réforme. En outre, tous les opérateurs n’agissent pas avec le même esprit de négociation.

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’UFIP. De quelle participation parle-t-on, à quel moment et pour quel type de projet ? Nos entreprises mènent déjà des consultations depuis de longues années, et chacun admettra que la réaction des territoires n’est pas partout identique. La participation peut légitimement être vécue comme une notion fourre-tout entre information, concertation, consultation et débat public. Il faudrait établir des nuances entre ces différentes formes de participation.

En ce qui concerne la loi sur laquelle votre commission avait confié à Sabine Buis le soin d’écrire le rapport, nous aimerions que ses prescriptions en matière minière soient maintenant effectivement mises en œuvre en ce qui concerne les permis d’exploration. Nous étions certes, à l’époque, favorables à attendre la réforme du code minier. Mais une fois la loi votée, qu’un processus permette de recueillir l’appréciation du public avant la décision d’octroi des permis, que cette décision fasse l’objet d’une communication assise sur la synthèse des observations formulées, tout ceci aurait permis de clarifier les choses. Or ce n’est pas vraiment le cas à l’heure actuelle.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Quand j’ai indiqué que nous préférions parler d’appropriation et non d’acceptabilité, certains ont pu penser que l’intention demeurait identique. C’est juste : cette intention est de développer, de travailler, de créer de l’activité économique. Mais la façon de faire est différente. Nous avons abandonné l’idée selon laquelle la participation du public n’était que le moyen de « faire passer » les projets. C’est un véritable changement de culture.

Mme Florence Delaunay. Quelle contribution l’UFIP apporte-t-elle à la connaissance du sous-sol ? Vos entreprises connaissent bien le sous-sol de certains territoires. Leur savoir pourrait enrichir le schéma national minier.

J’aimerais aussi apprendre quelle est votre définition d’un explorateur minier.

Enfin, vous avez avancé que la spécificité de l’activité minière empêcherait son assujettissement aux procédures ICPE. Pouvez-vous développer votre jugement ?

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Un explorateur est d’abord et avant tout quelqu’un qui prend un risque, qui consent un investissement sans certitude de retour. En Guyane, il a fallu des centaines de millions d’euros pour déterminer si le sous-sol recelait, ou non, des ressources commercialement exploitables. Les installations de forage coûtent cher, mais rien ne peut leur être substitué : aucune étude théorique ne peut les remplacer. Il faut beaucoup d’argent et beaucoup de volonté pour exercer ce métier. De fait, à partir du moment où l’explorateur trouve, il entend exploiter – en se conformant aux prescriptions des autorisations de travaux naturellement. S’il peut être privé des fruits de sa découverte, son investissement perd son sens.

M. Thierry Monmont, directeur exploration et production de l’UFIP. L’activité pétrolière est fondamentalement une activité à risque – politique comme technologique. C’est pourquoi, dans un océan d’incertitude, la loi doit pourvoir un îlot de stabilité sans lequel aucune entreprise n’acceptera de s’engager.

La connaissance du sous-sol est détenue par tous les professionnels dont le métier est de creuser la terre. Les pétroliers en détiennent une partie, tout comme les spécialistes de la mine métallique ou les sociétés de géothermie. Certaines régions sont très bien connues en raison de leur passé minier : les Bassins aquitain et parisien, le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine. Dans le seul Bassin parisien, deux mille puits ont été forés et toutes les données ont été remises à l’État conformément à la réglementation. Des organismes publics très performants, comme le BRGM et l’IFP-EN, supervisent la compilation des données ainsi recueillies. Mieux les couches souterraines sont connues, plus l’activité pétrolière est facilitée : si les États-Unis ont pu s’engager si rapidement dans les hydrocarbures de schiste, c’est que le territoire a été cartographié à travers les centaines de milliers de puits creusés dans tout le pays au cours des deux derniers siècles.

D’autres territoires sont beaucoup moins bien connus, comme par exemple le sud-est. Peu de puits y ont été forés – moins d’une centaine. La géologie locale est particulièrement complexe, bien plus tourmentée que celle des environs de Paris.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. C’est la principale raison pour laquelle un schéma national minier opposable n’est pas raisonnable. Comment formuler des interdictions sur la base de données aussi lacunaires ?

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’UFIP. Le schéma descriptif constituant un inventaire aurait sa logique. Plusieurs administrations se sont prononcées pour que la France dispose d’un tel outil, qui serait d’ailleurs plus favorable aux industriels spécialisés dans la mine métallique qu’aux entreprises pétrolières. Déterminer qu’une région regorge de terres rares ne peut qu’accompagner la relance de la politique minière à laquelle le ministère du redressement production s’emploie. Mais donner au schéma une valeur juridique poserait la question de sa compatibilité avec les différents documents de planification existant à l’échelon central et dans les collectivités. Ce serait aller à rebours du choc de simplification.

L’existence d’un code minier n’exonère pas les opérateurs des obligations formulées par le code de l’environnement. Les dispositions pertinentes de ce dernier trouvent déjà à s’appliquer aux activités minières. Les autorisations de travaux sont ainsi accompagnées d’études d’impact, d’enquêtes publiques et d’études de danger. Il n’est donc pas question de se dispenser des rigueurs de la loi en matière environnementale. Cependant, nous estimons que les procédures du code minier – éventuellement complétées ponctuellement – satisfont déjà ces objectifs. Nous tenons surtout à prévenir le risque d’une confusion des nomenclatures entre les mines et les installations classées. Or l’activité minière n’est pas réductible à des autorisations ICPE : parce que sa durée est exceptionnellement longue, parce que les travaux engagés peuvent s’effectuer sur tout le périmètre du titre minier. Un site de forage est déjà soumis au régime ICPE sur des points précis, comme par exemple le stockage de brut à proximité des installations, ce qui est tout à fait normal. Mais tout ce que font les pétroliers ne se résume pas à des procédures de type ICPE.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En ce qui concerne l’évolution de la fiscalité minière, y a-t-il des éléments auxquels vous êtes particulièrement attaché, ou des lignes rouges que vous ne souhaitez pas voir dépassées ?

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’UFIP. La réforme doit apporter stabilité, attractivité et équilibre économique. La fiscalité joue un rôle important sur ces trois points. Nous souhaitons la plus grande lisibilité possible pour que les entreprises puissent se projeter dans l’avenir.

Si les redevances actuelles devaient être modifiées pour tenir compte de certaines perspectives, nous demanderions principalement que ces changements ne pénalisent pas les opérations actuelles. La loi ne doit disposer que pour l’avenir, sinon des concessions pourraient être déséquilibrées. Les règles du jeu peuvent changer avant le début de la partie, pas une fois que celle-ci a commencé.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. La transformation de la fiscalité nationale en redevances locales irait dans la bonne direction. Les populations bénéficieraient de retombées directes ; elles identifieraient mieux les avantages d’une exploitation à leur proximité.

Mme Florence Delaunay. Les partisans d’une exploitation des gaz de schiste en France vantent souvent l’exemple américain. Mais quel serait le modèle économique d’une telle activité ? De quel montant annuel de richesses potentielles parle-t-on ?

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Je crois qu’il faut vraiment dissocier la réforme du code minier des interrogations sur les hydrocarbures non conventionnels. L’industrie a besoin d’un corpus de règles renouvelées qui lui permette de fonctionner normalement. La question du gaz de schiste est réglée en France. Les discussions à ce propos demeurent strictement théoriques.

L’intérêt économique des gaz de schiste est double. D’abord, la France trouverait avantage à produire des hydrocarbures sur le territoire national au lieu de les importer – en supposant leur présence effective dans le sous-sol, ce qui n’est que conjecture en l’absence d’exploration. La facture pétrolière et gazière atteint approximativement 68 milliards d’euros chaque année. C’est donc un enjeu important pour les opérateurs, les citoyens et les collectivités publiques.

Ensuite, on pourrait constater un effet-prix bénéfique aux consommateurs. Toutefois, les marchés européens ont une structuration des prix très différente de l’espace nord-américain, où la surproduction de gaz a fait s’effondrer les prix à un niveau inférieur des deux tiers à ce que nous connaissons sur le Vieux Continent. Les États-Unis sont un marché à la fois considérable et clos. Ce n’est pas le cas de l’Europe où une extraction limitée de gaz de schiste n’aurait pas d’incidence sur le prix du gaz, largement déterminé par les offres de la Russie et des pays arabes. Pour provoquer une inflexion sensible des tarifs, il faudrait une production issue de tous les pays de l’Union européenne suffisamment massive pour créer une concurrence à l’offre traditionnelle. Je ne vous cache pas qu’il s’agit d’une perspective plus aléatoire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Votre discours est cohérent avec vos précédentes déclarations. Il est vrai que nous avons du mal à estimer les ressources de notre sous-sol et que, par conséquent, nous nous engluons peut-être parfois dans des débats qui n’ont pas lieu d’être. On ne peut effectivement imaginer une baisse du prix du gaz du fait des hydrocarbures non conventionnels qu’à la condition d’une production considérable à l’échelle continentale.

L’octroi de permis exclusifs de recherches dans la plus grande opacité a provoqué les réactions que l’on sait en 2011, et sans doute les réflexions sont-elles en partie biaisées depuis cet épisode. Je pense que chacun en conviendra.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Je le reconnais volontiers. Précisons toutefois que, si le cadre juridique de l’époque était inadapté aux nouvelles exigences de la société, les pétitionnaires s’étaient scrupuleusement attachés au respect des prescriptions légales. Le manque de transparence et le défaut de participation du public ont provoqué un rejet franc et sans appel.

Mme Françoise Dubois. La plus grande inquiétude des citoyens et des élus locaux résulte précisément de cette opacité. Du point de vue de l’association des populations, certaines compagnies ne se sont pas bien comportées et certaines sont arrivées sur les territoires comme des « cow-boys ». J’entends que vous faites état d’un changement de mentalité, toutefois la vigilance des habitants ne se dément pas : chaque fois qu’un permis est accordé, nous constatons qu’un comité de surveillance ne tarde pas à se structurer.

Je crois le Gouvernement parfaitement conscient des enjeux économiques attachés aux activités pétrolières. Le blocage des demandes de permis dans l’attente de la réforme du code minier ne procède certainement pas d’une quelconque mauvaise volonté, mais de l’ambition d’établir des règles claires avant de concéder des droits. Il ne faut pas y voir une défiance envers l’industrie, même si nous partageons votre agacement devant les retards accumulés sur ce dossier.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. Il faut trouver une solution, c’est indiscutable. Ceci étant, la situation que le Gouvernement français a créée en matière de titres miniers n’est vraiment pas réjouissante. Être condamné sous astreinte par la justice administrative, et néanmoins continuer à tergiverser, n’est pas de bonne politique. On n’aboutit qu’à entretenir la défiance. Il existe des procédures et des façons de faire. Laisser croire que les titulaires des permis se lanceront ensuite dans des activités interdites à la dérobée est inacceptable. Le Parlement a banni la fracturation hydraulique sur le territoire français. Aucun opérateur ne prendrait le moindre risque de contrevenir à cette interdiction. Prétendre le contraire n’est pas juste. Les autorités de l’État sont tout à fait qualifiées pour mener tous les contrôles qu’elles estiment nécessaires afin de s’assurer que les industriels respectent le droit, mais on ne peut accepter cette suspicion que rien ne vient étayer. J’ose espérer que le Gouvernement fera le nécessaire au plus vite pour que cette situation cesse.

M. Thierry Monmont, directeur exploration et production de l’UFIP. Il existe beaucoup plus de compagnies sérieuses qui travaillent sur le territoire français que de canards boiteux. Ne condamnez pas tout le troupeau pour un unique mouton noir qui communique mal ou qui ne concerte pas.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. De toute façon, toutes les compagnies respectent la loi. C’est un aspect qui n’est pas négociable.

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’UFIP. Depuis 2012, l’administration a mis en place un certain nombre d’outils pour garantir la transparence de nos activités sur le sous-sol – et pas de celles des autres secteurs économiques, oserai-je rappeler. Un site internet régulièrement mis à jour fait état des permis accordés et des demandes en cours d’instruction.

Nous rencontrons une difficulté pour associer les populations en raison de la surface des permis exclusifs de recherches, qui peuvent s’étendre sur plus de mille kilomètres carrés. Certains titres miniers recouvrent le territoire d’une centaine de communes. Comment mener un dialogue réel avec les habitants sur de telles échelles ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le groupement momentané d’enquête est une tentative de réponse. Je comprends qu’un effet de superficie nécessite de structurer la concertation dans un cadre rassurant et prédéfini. Si on ne parvient pas à instituer un organe qui dispose à la fois d’une légitimité et d’une forme d’autorité, il sera difficile d’éviter les réactions désordonnées et, dans le meilleur des cas, les manifestations de rue.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l’UFIP. L’UFIP est prête à effectuer ce travail avec les autorités locales et avec les élus.

7. Audition de M. Patrick Romeo, président, M. Olivier Gantois, directeur des relations institutionnelles et Mme Domitille Fafin, directrice de la communication, Shell France (27 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie les représentants de Shell France d’avoir répondu à l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable sur la réforme du code minier. Nous avons inauguré nos travaux en recevant M. Thierry Tuot, qui a animé le groupe de réflexion installé par le Gouvernement. Il nous a indiqué que le projet était entièrement rédigé à l’exception du livre relatif à l’outre-mer, des mesures transitoires et des dispositions de nature fiscale.

Les députés souhaitent connaître la vision d’un grand opérateur international particulièrement investi en France dans les forages en mer. Votre expérience vous permettra de pointer les aspects positifs du code minier actuel, qu’il conviendra de préserver, et les procédures malvenues, que nous aurons à cœur de redéfinir. Je vous passe la parole. Nous sommes là pour vous entendre d’abord, pour échanger ensuite.

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Je remercie la commission du développement durable de son investissement dans la préparation de la réforme du code minier. Je vais tenter de vous présenter la vision d’un industriel en charge d’un gros projet d’exploration pétrolière, puisque Shell joue le rôle d’opérateur du consortium qui travaille sur le permis de Guyane maritime. Nous avons diligenté cinq opérations de forage en mer profonde pour un montant cumulé qui place cette campagne d’exploration en tête des plus gros investissements pétroliers sur le territoire national : le coût d’un forage en mer est effectivement significatif et celui des recherches sismiques associées l’est plus encore. Nous en avons déduit un certain nombre de points qui pourraient évoluer pour renforcer l’attractivité de la France et la valorisation de son patrimoine minier.

En ce qui concerne le projet lui-même, les cinq puits réalisés sur une période assez courte ont mobilisé une plateforme et, pour les quatre derniers, un navire de forage. Nous n’avons pas annoncé de découverte commerciale : le pétrole découvert repose en quantité insuffisante au développement d’une activité. C’est dommage car, dans le cas contraire, nous aurions commencé la procédure de sollicitation d’une concession d’exploitation et la construction d’un très gros projet industriel dans l’outre-mer français. L’évaluation des données recueillies fait l’objet d’analyses pour déterminer l’opportunité d’une seconde campagne d’exploration. Le cas échéant, cette nouvelle opération aurait lieu dans un environnement réglementaire très différent de la première.

Comme nous nous trouvons devant la commission du développement durable, je me permets une légère digression sur la politique de gestion des risques environnementaux que Shell a mis en œuvre au cours de l’exploration. Nous avons déclaré que nous emploierions les meilleures techniques disponibles, ce qu’un rapport indépendant a confirmé. Des scientifiques ont été sollicités pour effectuer un « état zéro » de la zone avant le début des opérations, ce qui a permis de contrôler strictement les impacts environnementaux. L’ensemble des résultats recueillis à ce jour démontre l’absence de conséquence mesurable de la campagne sur les ressources halieutiques et sur le milieu marin. J’ajoute que la performance en matière de sécurité et de maîtrise des actions nous est apparue très satisfaisante. Il est donc possible de réaliser des forages importants en France sans générer un quelconque impact négatif sur l’espace naturel.

Certains se demandent à quoi rime cette activité de recherche pétrolière, à l’heure de la transition énergétique où les capitaux trouveraient une meilleure orientation vers les nouvelles sources d’énergie. Je me bornerai à indiquer que même les scénarios les plus optimistes quant à la réduction des besoins d’hydrocarbures dans les décennies prochaines ne permettent pas d’envisager la vie sans pétrole à l’horizon 2060. Il y a toujours une consommation incompressible, et j’aimerais autant que la France le produise au lieu de l’importer. Rechercher du pétrole ne revient pas à rejeter la transition énergétique, mais à acter la certitude d’un besoin tout en cherchant à valoriser le patrimoine national et à réduire la contrainte extérieure. Notre analyse rejoint la politique de l’État puisque le permis de Guyane maritime a été accordé et prolongé.

J’ai participé aux premières discussions sur la réforme du code minier. Je considère fondamental le « droit de suite » selon lequel une découverte doit faire naître un droit de concession. Imaginer de déconnecter l’exploration du développement n’est pas réaliste. Nous avons diligenté une campagne très onéreuse qui n’a pas abouti. Nous assumons la perte financière qui découle de cet échec, qui n’est pas supportée par le contribuable. En contrepartie, nous jugeons légitime qu’un succès confère le droit d’exploiter le champ mis au jour : c’est la récompense du risque et du travail. L’exploitation pétrolière est incertaine par nature puisque quatre prospections sur cinq, en moyenne, se concluent par des revers, comme en Guyane où un seul forage sur cinq s’est révélé positif. La rémunération de l’industriel s’attache intégralement à la perspective d’un succès et à l’octroi d’une concession par la puissance publique. Si l’exploration et l’exploitation étaient disjointes, pourquoi diable irions-nous investir dans un programme de prospection alors même que la collectivité impose – à raison – des contraintes très lourdes à cette activité ? Celui qui attend des entreprises un engagement financier, stratégique et même émotionnel tout en se ménageant la possibilité de confier à d’autres les bénéfices d’une découverte n’enregistrera pas beaucoup de candidatures.

La grande difficulté que nous avons rencontrée, qui est probablement accrue dans les forages en mer profonde, tient à la durée et à la stabilité des procédures réglementaires. On ne peut pas investir dans un contexte d’incertitude juridique. Le Stena Icemax, notre navire de forage, est arrivé sur zone pratiquement à la minute où le Gouvernement a retiré une autorisation de travaux pourtant régulièrement obtenue. C’est durement acceptable : personne n’apprécie de travailler sous la contrainte et sous le chantage du temps. Un navire immobilisé coûte beaucoup d’argent ; ce n’est pas le moment pour une autorité publique d’exprimer des exigences nouvelles. Dans ces conditions, la relation avec l’État cesse d’être saine pour s’inscrire dans un rapport de force particulièrement dissuasif aux yeux des investisseurs étrangers.

Il faut que des règlements clairs et intelligibles soient édictés pour conférer des droits certains à ceux qui s’y conforment. Nous n’avons aucune objection à ce que la loi oblige une information du public approfondie. En Guyane, nous avons d’ailleurs largement dépassé les prescriptions légales. Toutefois, cette enquête publique doit être encadrée dans des délais prédéfinis. La certitude d’une réponse à l’heure dite, fût-elle négative, est préférable à l’hypothèse d’une réponse positive sans date fixe : une entreprise ne mobilise pas ses moyens et son énergie dans un flou généralisé. Mieux vaut un refus clair et massif qui permet de s’orienter vers d’autres projets.

Je vais reprendre l’exemple guyanais. La prochaine autorisation de forage, en incluant les diverses procédures, nous sera délivrée dans un délai extrêmement variable. D’une part, la réforme du code minier est en cours et nul ne connaît les dispositions qui prévaudront à l’avenir. D’autre part, bien que l’on puisse imaginer que l’ancien code s’applique tant que le nouveau n’est pas promulgué, l’administration se montre rétive à prendre des décisions dans le contexte politique ambiant. En supposant toutefois que la législation actuellement en vigueur soit appliquée, les dispositifs de participation du public prévus par le code de l’environnement manquent de clarté. Ils sont conçus pour un projet conduit sur le territoire d’une commune ou de plusieurs, pas pour des forages dans la zone économique exclusive au large des côtes. Devons-nous organiser la consultation à Cayenne, qui est le chef-lieu, ou dans toutes les communes littorales, ou auprès de toute la population du département ? La loi est muette et nous le déplorons. La même incertitude règne sur la question des délais dans le projet de réforme : si on ne connaît pas encore la durée maximale des procédures en Europe, on sait déjà qu’elle sera différente outre-mer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous confirme qu’un livre dérogatoire est prévu pour les activités minières outre-mer.

M. Patrick Romeo, président de Shell France. C’est tout à fait vrai, mais ça ne nous apprend guère plus. Nous supposons que les délais varieront entre neuf mois pour l’hypothèse la plus optimiste et quinze mois pour la plus pessimiste. Mais en vérité, nous n’en savons rien.

La prudence voudrait qu’on ne prévoie aucune action avant de disposer des autorisations requises. Mais les forages en mer ont pour particularité de mobiliser des moyens coûteux et des instruments très spécifiques. Il faut pratiquement réserver une année à l’avance le navire de forage, son équipage, ses bateaux de soutien, et les matériels adaptés comme les têtes de forage. Si j’ajoute aux neuf à quinze mois de procédures les douze mois nécessaires à la mobilisation des moyens, nous en sommes pratiquement arrivés à l’expiration du permis en 2016. Je ne suis donc même pas sûr de pouvoir commander une seconde campagne de forage dans le temps de validité de mon titre minier. C’est problématique puisque nous avons déjà sollicité les deux prolongations autorisées par le code. Peut-être pourrons-nous plaider les changements réglementaires intervenus tout au long de la durée de validité du permis pour obtenir une extension supplémentaire, mais cet espoir est encore une incertitude de plus.

De plus, la législation minière n’est pas le seul texte en cours de révision. C’est aussi le cas du décret de 2006 sur les forages pétroliers, de la transposition de la directive off-shore et de la refonte de la partie réglementaire du code minier. Tous ces dossiers s’entrechoquent.

Pour les raisons que je viens d’exposer, les délais très stricts proposés par le groupe de travail présidé par Thierry Tuot me semblent pertinents, d’autant plus qu’ils sont associés au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation. L’opérateur n’a pas à être la victime d’une administration qui ne parvient pas à prendre une décision dans un temps raisonnable.

La stabilité normative et fiscale importe beaucoup dans l’activité pétrolière. Les investissements pour des forages en mer profonde atteignent des milliards d’euros quand l’équivalent à terre se compte en millions d’euros. Le développement d’un champ pétrolifère marin mobiliserait entre cinq et quinze milliards d’euros pour satisfaire les objectifs techniques de production. Débourser de tels montants suppose une visibilité fiscale dont nous manquons : j’ai moi-même connu quatre évolutions majeures de la fiscalité sur nos activités en trois ans. Ça n’empêche pas de lancer des projets de petite taille ; c’est rédhibitoire lorsqu’il s’agit de mettre quinze milliards d’euros sur la table. On peut concevoir un changement sur la base de circonstances nouvelles qui augmentent la valeur de la ressource exploitée, mais pas pour réduire le bénéfice de l’activité alors que le modèle d’investissement a été dessiné sur des bases déterminées. Tous les grands projets pétroliers dans le monde sont régis par des accords fiscaux particuliers qui tiennent compte du volume et de la qualité du gisement ainsi que des modalités d’extraction. Des forages en Guyane ne sont pas comparables à des puits en Méditerranée : chaque champ est spécifique, nous pensons qu’il doit relever d’une fiscalité spécifique dont les critères de révision seraient définis à l’avance en cas d’aubaine – par exemple si le cours du pétrole devait soudainement tripler.

Ce sont les principes auxquels nous sommes attachés : concession garantie à l’inventeur de la ressource, maîtrise des délais et stabilité de la fiscalité. Ils ne sont guère révolutionnaires.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vos préconisations recoupent des points de vue qui nous ont déjà été exposés. Les investissements très lourds de la phase exploratoire ne peuvent effectivement se rémunérer qu’à travers le bénéfice d’une concession en cas de succès. En ce qui concerne les délais, je pense que les propositions de Thierry Tuot répondent à votre interrogation. Un système de décision implicite d’acceptation existe déjà dans le droit français pour, par exemple, les demandes de permis de construire dont seules les plus sensibles font l’objet d’une instruction. Le mécanisme existe donc déjà. On ne peut néanmoins le concevoir qu’en présence de délais suffisamment longs pour garantir une surveillance effective de l’administration. Quant à la question de la fiscalité, nous entendons naturellement votre position.

J’avais indiqué en vous accueillant que des mesures transitoires, permettant de passer de l’ancienne législation à la nouvelle, devaient être édictées. La situation actuelle n’est pas satisfaisante puisque l’application du code minier, toujours valide en droit, est neutralisée par l’administration qui ne souhaite pas contrevenir aux principes de la réforme. Des demandes déposées ne sont pas instruites et, en pratique, elles subissent un blocage. Je considère cela anormal : la loi doit s’appliquer même si le Parlement est sur le point de la changer.

Vous avez indiqué qu’une éventuelle seconde campagne exploratoire en Guyane ne pouvait avoir lieu qu’avant l’été 2016. Vous y préparez-vous ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. C’est le projet. Vu l’ampleur des sommes jeu, vous comprendrez que nous souhaitons retirer un maximum de certitudes des analyses géologiques avant de prendre une décision ferme. Si ces études scientifiques sont positives, nous déposerons une demande en début d’année prochaine.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous avez sans doute des contacts réguliers avec l’administration compétente. Quel est le sentiment qui prévaut à propos de votre projet guyanais ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Nous avons le bonheur d’être soutenus par la collectivité guyanaise et par le Gouvernement. Nous n’avons décelé aucun a priori négatif. Mais l’incertitude ralentit les projets et certains ministres ne tiennent pas à apparaître dans la presse comme les signataires d’une autorisation de travaux présentée comme opaque. Certains interlocuteurs font montre d’une grande prudence de ce point de vue, qui ne contribue pas à entraîner une dynamique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il faut se souvenir que votre dossier a déjà coûté leur poste à certains. Je le dis avec le sourire et ce n’est pas de votre fait, mais il est probable que des précédents de cette nature et leurs conséquences sur la composition du Gouvernement incitent à la prudence.

Développez-vous d’autres projets sur le territoire français, que ce soit sur terre ou dans l’espace maritime ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Nous avions un très gros projet terrestre autour de gisements non conventionnels. L’interdiction de travailler dans ce domaine nous a conduits à réorienter nos investissements. J’y vois une opportunité ratée, des recrutements et des investissements considérables ajournés sine die alors même que nous travaillons régulièrement dans ces activités depuis les années 1940. Le citoyen français que je suis le déplore. Nos ambitions européennes se sont redéployées sur l’Ukraine.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le texte du projet de réforme rédigé par Thierry Tuot vous est sans doute parvenu. Suscite-t-il des remarques de votre part ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Non, le projet nous satisfait globalement. Mais au-delà de la législation, je crois qu’il faut aussi s’attacher à une approche pragmatique. Laissez-moi vous raconter une anecdote. Nous avons conçu des fluides synthétiques de forage, qui sont un progrès considérable par rapport aux premiers forages creusés à l’eau qui généraient des risques significatifs pour la sécurité des biens et des personnes. Dès lors, nous avons tourné le dos à la technologie originale à base d’eau, qui revenait à percer une plaque de béton avec une mèche à bois. Il faut avoir une démarche cohérente : faire du bon travail suppose d’employer les bons outils. Mais alors même que nous avons obtenu l’autorisation de créer ces fluides, l’administration a édicté des règles d’usage qui rendaient leur utilisation impossible en pratique.

Cette volonté d’exemplarité malvenue se retrouve systématiquement. Quand un règlement américain fixe une valeur plafond, vous pouvez être certains que la France ordonnera que cette limite sur son territoire soit dix fois moindre pour montrer au reste du monde qu’elle fait les choses mieux que les autres. Ça suppose que ces autres font toujours moins bien que nous, ce qui est assez présomptueux, d’autant plus que notre pays n’a pas grande expérience en matière d’hydrocarbures. Nous sommes dans la position du petit dernier qui n’a jamais joué au football et qui prétend dicter la stratégie de l’équipe. Pour moi qui représente la France dans un groupe international, c’est une attitude insupportable. J’espère que la réforme du code minier sera l’occasion de rompre avec cette tradition : instaurons une cohérence entre ce que nous voulons faire et ce que les technologies permettent de faire, dans le respect des personnes et de l’environnement. Le non-spécialiste qui impose des standards aboutit immanquablement à créer des règles insensées.

Le code minier, le code de l’environnement, le règlement général des industries extractives, la réglementation sur les installations classées (ICPE), le droit du travail peuvent tous tour à tour imposer des contraintes sans justification. Par exemple, le dernier nommé proscrit le travail le dimanche, ce qui est fort légitime à terre, mais parfaitement malvenu pour celui qui se trouve sur une plateforme de forage en pleine mer. J’appelle le Parlement à ne pas généraliser les règles de la vie quotidienne à l’activité au large. Seule une expérience vécue peut insuffler de la cohérence dans les règlements pour éviter qu’ils neutralisent les autorisations ouvertes par la loi.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il est vrai que l’expérience pétrolière française est bien moindre que celle d’autres grands pays occidentaux, même si l’exploitation conventionnelle sur le territoire est vieille de plus d’un demi-siècle.

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Je me souviens d’une discussion autour d’une des premières directives européennes en matière minière. La France s’opposait à la position conjointe des Pays-Bas, du Royaume-Uni, du Danemark et de la Norvège. Elle est finalement rentrée dans le rang, mais la confrontation des expériences respectives avait quelque chose d’étonnant.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Revenons au permis de Guyane maritime. Je crois savoir qu’il a été délivré par l’État alors que la loi prévoit une compétence régionale, mais que les décrets d’application ne sont jamais sortis. Quel doit être selon vous l’échelon pertinent pour instruire les demandes de titres miniers sur les territoires ultramarins ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. C’est effectivement l’État qui a signé le permis exclusif de recherches sur lequel nous avons opéré, pour les raisons que vous indiquez.

En ce qui concerne une éventuelle décentralisation de la compétence minière aux collectivités ultramarines, je ne peux livrer qu’une opinion personnelle. En premier lieu, il s’agit d’une ressource nationale ; la décision de l’État me semble donc légitime.

En second lieu – et c’est à mon sens valable sur l’ensemble du territoire national –, il faut que les populations environnantes retirent un bénéfice de l’activité pétrolière diligentée sur leur territoire. L’absence de redistribution locale provoque immanquablement des tensions. On l’a constaté, par exemple, dans l’histoire nigériane ainsi que dans les conflits du Golfe persique. Chacun doit bénéficier des fruits d’une exploitation selon une clef de répartition acceptée à l’avance. C’est aussi une façon de susciter l’adhésion locale. Pour le permis de Guyane maritime, je pense que cet aspect a été géré correctement et avec pragmatisme.

Enfin, nous parlions du manque de tradition pétrolière de la France, mais c’est plus vrai encore pour les collectivités ultramarines. Je ne vois pas comment la Guyane aurait pu acquérir dans un délai acceptable le matériel et l’expertise qui lui auraient permis d’instruire notre demande de titre minier. Il faut bien recourir à l’État pour trouver l’un et l’autre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. On voit mal, en effet, comment un autre que l’État pourrait procéder à l’instruction technique des dossiers. Ce constat n’exclut d’ailleurs pas une consultation de la collectivité sur l’opportunité politique d’accéder, ou non, à la demande de titre minier.

M. Patrick Romeo, président de Shell France. Bien sûr, je le répète, ce n’était qu’une opinion personnelle. En tant que compagnie, nous n’avons pas à porter une appréciation sur le degré de décentralisation privilégié par les pouvoirs publics. Dès lors qu’il apporte stabilité et visibilité, le dispositif retenu nous conviendra.

Mme Sabine Buis. Dans le cas d’une activité pétrolière en mer, comment se passent les relations avec les populations voisines ? Comment la société Shell suscite-t-elle « l’adhésion locale », pour reprendre l’expression que vous venez d’employer tout à l’heure ?

M. Patrick Romeo, président de Shell France. L’exploration est une activité éphémère : après deux ans de forages exploratoires et de campagnes sismiques, tout peut s’arrêter. Ce n’est pas comparable à un champ d’exploitation sur plusieurs décennies, où la dynamique est naturellement bien plus forte. Mais beaucoup exigent des retombées économiques avant même la moindre extraction de richesse du sous-sol. Il est difficile, pour la compagnie, de faire la part des choses, entre sa volonté d’être d’emblée bien accueillie et l’impossibilité de s’engager à long terme avant de détenir la certitude de la pérennité de sa présence. En Guyane, nous avons pris des engagements de formation et de financement. J’en suis satisfait car, malgré l’échec de la prospection, former des personnels qualifiés à Cayenne est un bon investissement. Mais ce n’est pas toujours facile à gérer, et nous voulons éviter les espérances déçues.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission. Il existe très peu d’opérateurs français ayant l’expérience particulière du milieu marin, et vos appréciations nous seront précieuses au moment de l’examen du projet de loi.

8. Audition de M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES) (27 novembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions d’avoir accepté cette invitation. La commission du développement durable a mis en place un groupe de travail, qui regroupe les différentes sensibilités politiques, pour procéder à un travail préparatoire sur la réforme du code minier. Nous disposons des documents issus de la commission animée par Thierry Tuot, que nous avons auditionné au début de nos travaux. Nous sommes toujours en attente des dispositions transitoires, du livre fiscal et des articles relatifs à l’outre-mer. Votre éclairage nous sera précieux dans notre approche du sujet minier, et je vous passe donc sans attendre la parole.

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). Je remercie les députés de leur invitation. J’ai participé aux réflexions du groupe de travail de Thierry Tuot pour y inclure une vision liée à la problématique des métaux stratégiques. Il existe naturellement bien d’autres enjeux à la réforme du code minier, mais je suis sûr que d’autres seront reçus après moi qui sauront vous les présenter. Je suis également ingénieur des mines et membre du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies. J’y exerce un rôle de référent pour les matières premières ainsi que la responsabilité de la rédaction des avis sur les demandes de titre minier.

La gestion des métaux stratégiques ne se limite pas – et de loin – à une satisfaction des besoins par les ressources extraites sur le territoire. L’enjeu prioritaire tient plus probablement à la sensibilisation des entreprises au risque que constituent ces métaux pour la pérennisation de leur activité, ainsi que la sécurisation des approvisionnements correspondants. Le recyclage, les économies de matière, les substitutions complètent évidemment les flux de métaux primaires produits en France ou importés.

Le caractère stratégique d’un métal est forcément subjectif. Il dépend de choix économiques et politiques propres à une entreprise et à une nation : ce qui est stratégique pour l’une ne le sera pas pour une autre. L’Union européenne a dressé une liste qui permet de se faire une idée. L’acception la plus commune désigne les substances nécessaires aux industries de haute technologie, disponibles en petite quantité au niveau mondial et produites dans un nombre de pays restreints. Une distinction s’opère entre les métaux exploités en propre – terres rares, tungstène, platine – et ceux qui ne se rencontrent que comme sous-produit d’autres minerais – l’indium et le germanium liés au zinc, le gallium lié à la bauxite.

La France a exploité des gisements miniers variés dans les siècles passés. Il y a eu des mines françaises de tungstène, d’antimoine, de zinc coproduisant du germanium, ou encore de fluorine. On a compté également, quoiqu’à titre anecdotique en raison de la faiblesse de la production, des exploitations de tantale et de niobium. Les conditions géologiques laissent supposer que des richesses demeurent enfouies dans notre sous-sol, et peut-être même des gisements économiquement exploitables. Tout ceci ne concerne pas que la métropole : les territoires ultramarins et les fonds marins recèlent également des métaux en nombre, même si l’exploitation de ces derniers reste à l’état prospectif.

Dès les édits royaux du XVe siècle, l’État a identifié des métaux stratégiques sur lesquels il s’est arrogé un droit souverain, principalement afin de battre monnaie. La loi de 1810 a défini à son tour une liste des substances concessibles, liste étendue en 1956 et pratiquement inchangée depuis. Il n’y a cependant pas d’équivalent à ce que l’Union européenne et, au niveau national, le COMES, considèrent stratégiques. La notion de « minerai stratégique » n’apparaît qu’une fois dans le code minier actuel : dans les dispositions relatives à la Polynésie française, où elle désigne les hydrocarbures et les matières radioactives.

Les métaux stratégiques d’aujourd’hui ne seront produits en France que si nous parvenons à convaincre les investisseurs de notre attractivité. L’information géologique mise à disposition par les organismes publics est un atout important dans cette perspective. Quant aux conditions juridiques et fiscales, elles supposent un traitement de bon niveau des exigences environnementales, ce qui est garanti par le code minier actuel, ainsi que l’affirmation par l’État d’une volonté de valorisation du sous-sol national. La clarté et la stabilité normatives comptent évidemment beaucoup.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pensez-vous que la proposition d’un schéma national minier puisse être de nature à conforter l’attractivité de la France ?

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). C’est un instrument délicat dans la mesure où l’inventaire des ressources du sous-sol n’est pas comparable à un inventaire commercial. Les objets sont peu ou mal définis ; on ne connaît pas l’espace dans sa continuité. Le BRGM publie déjà une carte de tous les sites connus par métal, que j’ai apportée avec moi. Si vous l’observez, vous constatez qu’il y a du zinc partout sur le territoire national. Cette information n’a pas de sens : on n’ouvrira pas des mines de zinc partout, et ce n’est pas parce que des indices de présence sont relevés qu’un gisement attend le premier prospecteur. Ces données ne sont qu’une base de travail pour des explorations plus poussées.

De quoi se prive-t-on si on interdit les recherches sur une fraction du territoire ? Personne ne peut répondre en l’absence d’exploration. Un schéma national serait donc un inventaire des opportunités, non de la réalité. Du reste, dans les espaces ultramarins bien moins connus que le territoire européen, rien n’interdit d’imaginer qu’on puisse inventer des gisements où rien ne les laisse présager.

L’exploitation pétrolière du Bassin parisien a commencé dans les années 1950, elle a donné lieu à 1 500 ou 2 000 forages, et pourtant certains diligentent encore des explorations de ces espaces. De la même façon, au Chili, on a mis au jour des gisements de cuivre dans des zones déjà bien connues. On ne sait donc jamais vraiment ce que le sous-sol abrite : un schéma ne livrera jamais que des présomptions plus ou moins sûres.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si les métaux stratégiques présents dans le sous-sol français ne sont plus exploités aujourd’hui, est-ce à cause du code minier ?

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). Les exploitations minières françaises se sont arrêtées pour des raisons essentiellement économiques. Chacun sait que les dernières mines de charbon ont fermé, il y a quinze ans, parce que leur production n’était pas compétitive. Pourtant, il reste des centaines de millions de tonnes de charbon en Lorraine et dans le Nord-Pas-de-Calais.

La même situation explique l’arrêt des mines de fer de Lorraine : leur minerai de fer à 30 % ne pouvait résister aux mines brésiliennes, australiennes et mauritaniennes dont la qualité s’établit au-dessus de 60 %. La France les a d’abord maintenues grâce à des efforts de productivité, mais le différentiel économique était trop important. La fermeture de la mine locale a précipité la désindustrialisation, puisque l’importation massive de minerai exigeait le transfert des sidérurgies à proximité des installations portuaires.

Mme Françoise Dubois. Lorsque l’exploitation a cessé par défaut de rentabilité, peut-on envisager de les relancer grâce à des techniques nouvelles ?

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). Les données historiques et géologiques permettent de cartographier l’ensemble des ressources du territoire national – pas seulement les métaux, mais aussi les substances de carrière. Les anciennes exploitations contribuent à cette information comme d’autres sources, notamment l’inventaire minier diligenté par le BRGM tout au long des années 1980.

La réponse à votre question dépend du métal auquel on se réfère. Les mines françaises de tungstène ont été condamnées en leur temps par une baisse importante des cours qui a été provoquée par une surproduction chinoise dans les années 1980 et 1990. Dans les conditions économiques contemporaines, on peut sans doute imaginer une relance de l’exploitation. En parallèle, la connaissance géologique des gisements a progressé grâce à des analogies avec d’autres gisements ailleurs dans le monde. De son côté, la géophysique permet une détection plus fine. Toutefois, les chances de succès dans une campagne d’exploration atteignent, dans les meilleures circonstances, un taux maximal de 5 %. C’est très important par rapport au taux moyen, qui doit être moitié inférieur, mais cela reste très faible dans l’absolu.

Si on pense au germanium, jadis exploité notamment à Saint-Salvy dans l’Albigeois, on peut avancer sur la base de traitements mathématiques. Mais comme il s’agit d’un coproduit, il faudra montrer qu’une mine de zinc peut être rentable car l’installation ne sera jamais économiquement soutenable grâce au seul germanium.

M. François-Michel Lambert. L’idée d’un schéma national minier ne semble pas vous convaincre. Quelle approche alternative permettrait, à votre avis, une maîtrise politique des orientations minières françaises ?

Nombre de déchets miniers recèlent encore un grand nombre de matériaux qui pourraient être exploités facilement. Je pense notamment aux terrils, mais aussi aux boues rouges de la région de Gardanne. Ces ressources doivent-elles être régies par le code minier ou trouveraient-elles davantage leur place dans une réglementation de type carrière ?

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). J’ai commencé ma carrière dans le charbon à Gardanne, je suis donc sensible à la question. Le Nord-Pas-de-Calais nous a montré qu’il était possible de réexploiter des terrils charbonniers à des fins énergétiques et dans le cadre de produits routiers. Je n’ai pas de religion sur la nature « minière » ou « carrière » de la réglementation. Tout est concevable dès lors que les conditions environnementales sont drastiquement établies pour éviter une pollution par les rejets ultimes.

Quant à votre première question, la meilleure manière de gouverner passe probablement par la fourniture d’une information précise qui orientera les investisseurs vers des zones et des productions identifiées. Faut-il pour autant parler de schéma ? Je n’en suis pas sûr. La politique norvégienne des substances minérales passe par une carte des substances exploitées et par une proclamation selon laquelle la valorisation du sous-sol constitue un atout important pour le territoire.

Mme Françoise Dubois. Vous disiez dans votre propos liminaire que les métaux stratégiques ne faisaient pas l’objet d’un traitement spécifique dans le code minier. Pensez-vous que ce serait souhaitable ?

M. Alain Liger, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES). Je n’en suis pas sûr. Les modes de gisement sont très similaires à ceux des autres métaux, alors pourquoi créer une distinction ? On pourrait être provocateur et reprendre la politique de Louis XI en ne soumettant au code minier que les métaux stratégiques, et en restaurant le droit commun de la propriété du sol pour toutes les autres substances. Mais je doute qu’il soit possible de procéder de cette façon.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de cette audition. C’est un angle tout à fait particulier que le vôtre, qui nous a permis de nous concentrer sur la proposition d’un schéma national minier.

9. Audition de Me Manuel Gros, avocat, professeur à l’Université de Lille 2 (4 décembre 2013)

Mme Sabine Buis. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable sur la réforme du code minier. Votre point de vue juridique sur les différents livres issus du travail préparatoire mené par M. Thierry Tuot permettra de nourrir la réflexion des parlementaires au moment de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale. Nous avons déjà eu l’occasion d’entendre des industriels et des professionnels. Vous êtes le second juriste que nous rencontrons sur le sujet. Je vous laisse la parole pour une intervention liminaire au cours de laquelle vous pourrez, à votre convenance, livrer votre opinion sur l’esprit du projet de réforme ou vous concentrer sur des points particuliers.

Me Manuel Gros. Je remercie le Parlement de son invitation à m’exprimer devant les députés de l’Assemblée nationale.

Je ne suis pas un observateur totalement neutre en matière minière, même si mes fonctions de professeur d’université tendraient en ce sens : bien que j’aie créé un master de droit de l’environnement, je suis, depuis une quinzaine d’années, avocat des communes minières en France. À ce titre, j’ai plaidé dans la plupart des grands contentieux miniers. J’ai fait annuler la première sortie historique du statut de concession en France, la concession d’Aniche dans le Nord-Pas-de-Calais, ce qui a eu un fort impact sur la composition des dossiers postérieurs. Je me suis également impliqué que le dossier de la mine d’or de Salsigne, dans l’Aude, où la justice a donné raison à la commune en décidant l’annulation de l’arrêté préfectoral.

Récemment, des contentieux dans l’est de la France ont provoqué l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État. Même s’il n’y a pas eu de transmission au Conseil constitutionnel, cette démarche a permis la formulation d’une réserve d’interprétation par laquelle la haute juridiction, implicitement, reconnaît l’obligation d’intégrer le principe de précaution au code minier. C’est assez intéressant dans la mesure où c’est un des aspects manquants de la réforme.

Le collectif Après-mine m’a demandé de rédiger des propositions de réforme du code minier avant la publication du texte issu des travaux de la commission présidée par Thierry Tuot. J’ai eu le plaisir de retrouver presque littéralement un certain nombre de mes suggestions. Ma vision est axée sur la défense des territoires et des populations ; ma lecture du code minier vous semblera sûrement divergente de celle des industriels. La législation du XIXe siècle est conçue comme un verrou juridique au bénéfice de l’exploitant. C’est un mouvement inverse qui s’amorce, puisque le pouvoir politique cherche désormais une meilleure protection des personnes et des milieux.

Je vais commencer par un recensement rapide des aspects qui me semblent satisfaisants, et qui sont nombreux. L’intégration d’une prescription trentenaire, que nous avions proposée, se retrouve à l’article L. 331-10. C’est une très bonne chose puisque la prescription de droit commun se limite à dix ans, ce qui est un délai insuffisant en termes d’exploitation minière.

Nous réclamions de longue date une extension de la définition des substances de mine au profit d’une définition fonctionnelle. Autrefois, la logique était purement juridique : la substance de mine est celle qui relève du code minier. Aujourd’hui, la définition fonctionnelle prévaut, c’est-à-dire que la substance est le résultat ou la conséquence d’une exploitation minière.

La définition du dommage minier provoque la même satisfaction. L’exploitant se dissimulait fréquemment derrière une argutie juridique : parce que le dommage, quoique non contesté, n’était pas de nature minière, il dégageait sa responsabilité. C’était incompréhensible pour la population, qui ne peut décemment pas accepter l’idée qu’un terril n’ait rien à voir avec l’activité minière, mais c’était juridiquement fondé. La réforme évolue vers une nouvelle définition fonctionnelle, selon laquelle est de nature minière un dommage qui ne se serait pas produit sans exploitation de la mine. C’est simple et cohérent.

Autre évolution très positive : le texte révolutionne l’indemnisation en cas d’expropriation pour risque minier. On y trouve le principe de réparation intégrale des préjudices, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le code minier de 1999 prévoyait de se fonder sur les estimations domaniales. Il existait des systèmes d’indemnisation ridicules, surtout dans les cités minières. La réparation intégrale du préjudice moral et la valeur de remplacement sont une très grande avancée. J’espère que le Gouvernement ne s’y opposera pas.

La création d’un fonds spécial d’indemnisation des mines était attendue puisque c’était une revendication des élus locaux. Il se substitue aux défaillances de l’exploitant. Dans l’affaire de Salsigne, le dernier exploitant était un groupe australien dont on imagine combien la responsabilité était délicate à mettre en jeu. Par ailleurs, ce fonds prévoit le versement d’avances, ce qui est intéressant pour les victimes. Tels sont les cinq aspects du projet de réforme dont je me réjouis sans réserve.

On rencontre également dans le texte diffusé à l’issue des travaux de la commission présidée par Thierry Tuot des avancées insuffisantes, des réformes positives non exemptes des risques potentiels. L’article L. 111-1 vise trois sortes d’enjeux à prendre en compte : l’environnement, la santé publique et l’intérêt des populations. Sur ce point-là, le texte est suffisamment large pour protéger l’essentiel. Il reste cependant cantonné aux deux notions de danger et d’inconvénient : la première est très relative et délicate à cerner, notamment par rapport aux biens et aux immeubles, quant à la seconde, elle apparaît beaucoup plus large et plus facilement invocable par le juge administratif. Nous pensions que le code minier aurait pu renvoyer ces dispositions au code de l’environnement. Au contraire, l’article L. 312-4 indique que le code minier déroge au code de l’environnement. C’est étonnant puisque les exigences des deux codes sont dissociées, notamment pour ce que l’on entend par « remise en l’état ». Mieux aurait valu, pour une meilleure protection des populations et des territoires, faire systématiquement prévaloir la version du code de l’environnement. Ce n’est pas le cas.

Le projet de réforme intègre le principe d’information et de participation du public issu de la conférence de Rio. Reconnu et sanctionné par la jurisprudence, notamment par le Conseil d’État dans le célèbre arrêt Commune d’Annecy, cet article 7 de la Charte de l’environnement reçoit une application : sa violation fonde l’annulation d’actes administratifs. Nous avions suggéré un renvoi intégral à l’ensemble de la Charte constitutionnelle. Ce n’est pas le cas et, si la réforme intègre à bon escient le principe de proportionnalité prévu à l’article L. 111-4, on néglige toujours le principe de précaution.

Je note une avancée que les praticiens demandaient depuis un certain temps : la création d’une procédure d’urgence en matière minière. Le référé-suspension, procédure de droit commun, suppose deux conditions que sont l’urgence et un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. L’article L. 122-2, tel qu’issu des travaux de la commission Tuot, prévoit un recours spécifique libéré de cette condition d’urgence, ce qui est fondamental puisque l’exploitant avait beau jeu de plaider que les conséquences de son activité ne se révèleraient que dans les décennies futures, et que la justice avait tout le temps d’examiner le recours au fond.

Ce que je ne comprends pas, c’est que le critère de « doute sérieux sur la légalité » propre au référé-suspension disparaît au profit d’une exigence issue de l’actuel référé-liberté, « l’atteinte grave et difficilement remédiable » aux intérêts défendus par le code minier. Le référé-liberté est conçu pour protéger les libertés fondamentales dans une instance tenue en quelques heures : on peut comprendre que le juge intervienne avec un maximum de précautions. Pourquoi calquer ce système sur les décisions minières ? La « gravité » constitue déjà une qualification restrictive qui permet au juge de valider les irrégularités légères, mais les termes « difficilement remédiable » ramènent aux vieux débats entre professeurs de droit dans l’ancienne procédure d’exécution. Le fait est que, en argent, tout est réparable et tout est remédiable. Il pourrait donc être pratiquement impossible de satisfaire cette exigence. J’aimerais savoir pourquoi les rédacteurs de cette proposition ont choisi cette option restrictive alors qu’ils auraient pu s’aligner sur le droit commun du référé-suspension en levant la condition d’urgence. Cette solution aurait été d’autant plus justifiée que les recours en matière minière émanent rarement de particuliers. Ce sont souvent des recours de collectivités territoriales qui défendent des intérêts généraux et collectifs. Par conséquent, cela ne paraît pas incohérent de présumer l’urgence.

Il existe des points de déception de mon point de vue de juriste. En premier lieu, je m’étonne de l’apparition d’un système de décision implicite d’acceptation en matière minière. J’ai appris qu’une loi du 12 novembre 2013 annonce la généralisation de ce principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation. C’est un régime juridique confortable pour l’administration : il lui suffit de se taire pour que quelque chose se passe. Mais c’est surtout très dangereux parce que l’inertie, le dossier oublié, l’absence de réaction conduit alors à donner un aval. Or il s’agit là de titres miniers, donc de dossiers importants en termes de financements et d’impact environnemental. On saisit donc mal l’intérêt de ce revirement, hormis pour l’exploitant.

Le projet de réforme néglige l’article 72-2 de la Constitution qui porte le principe, très important en matière minière, en vertu duquel un transfert de charges de l’État aux collectivités territoriales nécessite un transfert de ressources en contrepartie. Je regrette que le projet n’en fasse pas mention.

Le sujet des stations de relevage des eaux reste d’actualité. Les collectivités territoriales en récupèrent la propriété contre quelques subventions pendant dix ans, mais au-delà ? Dans le Nord-Pas-de-Calais et en Lorraine, c’est un problème important. On pourrait également évoquer le foncier des houillères, qui écherra à des collectivités territoriales qui n’ont pas les moyens d’en assurer l’entretien. Par le passé, l’exploitant sur le départ cédait aux communes ses terrains pour le franc symbolique, ce qui ne permettait pas de dépolluer les dizaines d’hectares correspondants. La gestion de ce qui reste de l’après-mine coûte très cher, et il ne revient pas aux collectivités territoriales de tout assumer – même si le fonds de solidarité constitue un début de réponse.

Je pense que la commission du développement durable est sensible à la question des plans de prévention des risques miniers (PPRM). En 1999, ces documents ont été créés sans explication, sur la base d’un renvoi intégral au droit commun des plans de prévention des risques naturels. Toutes les parties prenantes ont combattu ce système : en matière minière, les risques sont moins naturels qu’anthropiques. C’est l’exploitation par l’homme qui suscite des périls. Il en découle le sujet connu de la non-indemnisation des servitudes minières. Dans le cadre d’un PPRM, comme dans celui d’un plan de prévention des risques naturels, les servitudes – par exemple de non-constructibilité – ne sont pas compensées. C’est logique lorsque c’est la conséquence d’un événement naturel ; c’est incompréhensible quand le risque résulte directement d’une activité industrielle. Ce serait une grande victoire pour les collectivités territoriales d’obtenir l’indemnisation des servitudes minières. J’ai lancé quelques procédures contentieuses sur cette question pour le compte de communes ; certaines ont déjà été gagnées. Mais le législateur pourrait utilement trancher le débat.

Il y a un deuxième point important par rapport aux PPRM. Ces documents supposent deux décisions préfectorales. Par la première, le préfet décide l’élaboration d’un PPRM sur un périmètre déterminé. Cet acte n’est pas attaquable sur le plan contentieux car il s’agit d’une mesure préparatoire. Seule la seconde décision, qui approuve le plan plusieurs années plus tard, peut faire l’objet d’un recours administratif. Or, pendant le temps de la procédure, tout le périmètre est gelé : à Decazeville par exemple, c’est l’impossibilité de se développer économiquement et de créer des zones d’activité. Un terrain situé dans la zone concernée devient inconstructible et incessible. On voit bien que la première des deux décisions fait grief : il serait bon de l’inscrire dans la loi pour permettre aux gens de se défendre sans attendre.

Enfin, j’ai déjà indiqué que je déplorais l’oubli du principe de précaution dans le projet de réforme. Le principe de prévention est cité quarante ou cinquante fois dans l’actuel code minier alors que le principe de précaution – qui a la même importance et la même valeur – n’apparaît jamais. Or, en matière minière, on est typiquement dans des situations qui gagneraient à l’appliquer. Par exemple, on ne sait pas évaluer le temps que met l’eau pour remonter d’un puits à la surface. C’est un sujet sur lequel tout peut être dit et son contraire. Je sais la Lorraine confrontée à cette question : que va-t-il se passer dans les décennies futures ? Sans doute quelque chose, mais quoi ? En l’occurrence, les enjeux pour les populations sont importants et l’intérêt économique en jeu n’est pas colossal, pas comparable en tout cas avec la discussion sur les antennes-relais de téléphonie mobile dont j’ai cru lire que votre commission aurait bientôt à connaître. Je pense que ce serait une grande victoire d’intégrer au code minier, peut-être au même endroit que le principe de participation, ce principe de précaution.

J’en ai terminé avec mon exposé liminaire. J’avais noté quelques autres détails, mais peut-être souhaitez-vous que nous entamions la phase des questions-réponses ?

Mme Sabine Buis. Votre propos est très intéressant. Je vous prie de poursuivre.

Me Manuel Gros. L’article L. 113-2 du projet de réforme répète l’erreur de la liste limitative de ce qui relève du régime légal des mines. Or, il y a certainement des substances qui seront extraites dans les années à venir qu’on ne connaît pas encore et qui ne sont pas dénombrées. Je plaide en faveur de l’inclusion d’un « notamment » qui priverait la liste de son caractère figé. Cette rédaction a une incidence directe sur les contentieux de responsabilité : un exploitant attaqué se défend souvent en se fondant sur les limitations prévues par le code minier. Juridiquement, par exemple, un terril devenu une ICPE n’est pas soumis à la responsabilité minière.

On peut également s’interroger sur l’utilité de l’article L. 113-13. Il existe sans doute une raison de faire échapper au code minier les opérations de construction et d’aménagement du sous-sol ainsi que les affouillements pour les soumettre aux codes de la construction et de l’urbanisme. Mais j’avoue qu’elle m’échappe. C’est d’autant plus ennuyeux que le code minier prévoit une obligation de remise en état absente du code de la construction.

En tant que professeur de contentieux administratif, l’article L. 121-1 m’interroge. Il institue une procédure spéciale devant les cours administratives d’appel en premier ressort. Cela signifie que le justiciable voit s’évanouir la garantie apportée par le double degré de juridiction. La logique veut que les cours administratives d’appel statuent en appel. Ce recours innovant permettrait une validation de l’instruction du dossier, donc uniquement un contrôle de procédure. Aller directement devant les cours administratives d’appel fait gagner du temps, mais pas davantage que saisir le tribunal administratif en formation de juge unique sous le contrôle en cassation du Conseil d’État. L’affaire serait jugée en neuf mois maximum. De plus, priver les parties des arguments de validité externe n’est pas totalement innocent. Il faut manier cette idée avec précaution.

Voilà ce que les documents issus de la commission présidée par Thierry Tuot m’ont inspiré. Je le répète : il y a des dispositions tout à fait formidables et que le monde minier attend depuis longtemps. Mais on peut sans doute améliorer le texte. La question est de savoir s’il sera adopté en l’état par voie d’ordonnance ou si le Parlement aura l’opportunité de le modifier.

Mme Sabine Buis. Pour ma part, j’espère très sincèrement que la réforme du code minier sera adoptée au Parlement le plus rapidement possible. Si les députés ont commencé les auditions si tôt, c’est parce que nous entendons jouer tout notre rôle dans l’écriture de la loi. Il est exclu de se contenter du projet qui sera finalement rédigé par le Gouvernement.

Le projet de réforme prévoit un schéma national minier dont votre exposé n’a pas fait mention. Est-ce à dire que vous n’avez pas d’opinion à son sujet ?

Me Manuel Gros. La question est de savoir quelle serait sa valeur juridique. Dresser un schéma est sûrement une bonne idée, mais il faut s’entendre sur l’objectif poursuivi. Est-ce une revendication des industriels ?

Mme Sabine Buis. Oui et non, en fonction justement de la valeur juridique du document.

Me Manuel Gros. La controverse autour du code minier a débuté avec l’affaire des gaz de schiste. Il est clair que c’est une ressource très localisée. Un schéma national qui viserait la zone concernée, dans un sens ou dans l’autre, soulèverait immanquablement des réactions. L’exploitation minière n’est pas qu’une question d’aménagement du territoire comme le prévoient les schémas d’urbanisme, elle est liée à la nature du sous-sol. La géologie commande l’activité. En Ardèche, où il y a des gaz de schiste…

Mme Sabine Buis. Je vous arrête tout de suite : rien n’est acquis sur ce point. Certains veulent explorer le territoire, mais rien ne dit que des gisements soient effectivement présents.

Me Manuel Gros. C’est vrai. L’important, pour moi, sera de déterminer clairement les rapports normatifs entre les différents échelons. Il existe trois types de rapports juridiques entre les normes : la conformité, la compatibilité et la prise en compte. « Prise en compte » signifie que le document n’est pas contraignant mais qu’il faut l’avoir regardé, comme un enfant sollicitant de l’argent de poche à qui les parents répondent que la demande, bien prise en compte, est rejetée. Cette logique n’aurait pas grand intérêt dans le cas du schéma national minier. Une règle de conformité ou de compatibilité serait plus pertinente, puisqu’elle pourrait aboutir à sanctuariser des espaces.

Mme Sabine Buis. Pouvez-vous revenir sur la procédure renforcée d’information et de participation du public, et nous donner votre point de vue sur cette question ?

Me Manuel Gros. C’est une excellente innovation qui s’inscrit dans la suite logique des grandes conférences internationales organisées en France par la loi Barnier et, ensuite, par la Charte environnementale de 2005. Parmi les principes environnementaux, à la surprise de la doctrine, c’est la participation qui a été consacrée par le Conseil d’État dans l’arrêt Commune d’Annecy. Aujourd’hui, l’obligation d’organiser une consultation, une information, prévaut. Le problème est de déterminer à quel moment et jusqu’où va cette participation. Si elle a lieu pendant le processus, cela n’a pas d’intérêt et l’administration s’y oppose fermement.

Mme Sabine Buis. En vérité, j’ai parfois le sentiment que l’administration s’oppose avant, pendant et après.

Me Manuel Gros. Il y a des réticences, c’est vrai. Il est très difficile, pour les collectivités territoriales et les victimes d’une exploitation minière, d’avoir accès à l’information technique. Longtemps, l’exploitant faisait valoir son autorité par une expertise scientifique. On lui rétorquait qu’il ne fournissait aucune information en retour. Un accès à l’information technique peut être intéressant, ainsi qu’un peu plus de participation.

Les collectivités territoriales sont extrêmement regardantes désormais, ce qui n’était pas le cas à l’époque de la grande exploitation minière où l’exploitant faisait taire les oppositions en offrant des équipements collectifs et en finançant les études des enfants de la commune. Il y avait une prise en charge totale par l’employeur, que certains trouvaient d’ailleurs très bien. Cela permettait de se passer de la consultation des collectivités territoriales. Les regards ont changé : il n’y a plus d’exploitation, les populations et les collectivités demeurent quand l’industriel, lui, peut quitter le territoire.

Une autre bonne idée consiste à prévoir une proportionnalité de la procédure. L’information et la participation sur un petit dossier peuvent se résumer à un tract. Quand il s’agit d’une exploitation minière, l’information doit être beaucoup plus grande.

Mme Sabine Buis. Nous retenons que vous portez une appréciation positive sur le projet de réforme, même si vous exprimez certaines réserves. Je tiens à vous remercier d’avoir répondu favorablement à l’invitation de la commission.

10. Audition de MM. Olivier Appert, président, et Honoré Le Leuch, conseiller, à l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN) (4 décembre 2013)

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie les représentants de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles d’avoir répondu favorablement à l’invitation de ce groupe de travail. Les députés qui le composent sont en nombre restreint, mais ils sont ceux qui, à l’Assemblée nationale, examinent avec assiduité la future réforme du code minier en attendant le dépôt du projet de loi correspondant par le Gouvernement.

Nous avons commencé nos auditions, depuis quelques semaines, en recevant les représentants des organismes membres du groupe de réflexion constitué à la demande des ministres. Son président, Thierry Tuot, a été notre premier invité. Nous souhaitons recueillir votre appréciation sur les documents qui circulent aujourd’hui, même si manquent encore les livres sur l’outre-mer, sur la fiscalité minière et sur les dispositions transitoires.

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). Je remercie le président du groupe de travail de son invitation. Honoré Le Leuch et moi avons participé, comme vous l’avez indiqué, à quasiment toutes les réunions du groupe de réflexion présidé par Thierry Tuot. Nos commentaires porteront sur le texte transmis aux membres du groupe en date du 23 juillet, qui est le dernier document discuté. Je commencerai par formuler quelques remarques.

Premièrement, je regrette que le processus de réflexion ait été engagé sans véritable retour d’expérience préalable. On a demandé à Thierry Tuot de préparer un document portant sur la réforme du code minier alors même qu’aucune analyse approfondie des blocages qui ont pu apparaître au cours des dernières années n’a été diligentée.

Deuxièmement, on n’a pas jugé utile de prendre en compte les expériences étrangères et les meilleures pratiques internationales : nous sommes partis du code minier français tel qu’il était, ou tel qu’on pensait qu’il était, et nous l’avons pris pour base de nos réflexions. Je mets à la disposition des députés un document réalisé par Honoré Le Leuch : il porte sur les enseignements à tirer des expériences des États étrangers. Ce texte reste valable et indispensable. N’oublions pas que nous sommes dans un contexte globalisé : comment, en matière énergie et d’environnement, négliger l’étude des options retenues et mises en œuvre par nos partenaires, qui sont aussi parfois nos concurrents ?

Troisièmement, au cours des discussions, la complexité du code minier est apparue : sa connaissance et sa maîtrise n’étaient pas véritablement partagées par l’ensemble des membres du groupe. En fait, et quoi qu’on ait pu en dire, le code minier a beaucoup évolué. Certains ont popularisé l’image d’un code napoléonien, édicté en 1810 et qui n’aurait pas été modernisé depuis. Ce fut exact pendant à peu près un siècle mais, depuis notamment la loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, des modifications très nombreuses ont eu lieu – aussi bien dans la partie législative que dans la partie réglementaire. Une recodification législative a été effectuée par ordonnance ; le projet de loi de ratification subséquent est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale depuis janvier 2011. Un travail de codification réglementaire est également entamé, mais la réforme annoncée jette le trouble sur son avenir.

Vous me permettrez également d’exprimer un certain nombre d’opinions au regard du processus actuel.

En premier lieu, il serait bon de clarifier les objectifs poursuivis. Au sein du groupe présidé par Thierry Tuot, un certain nombre d’ambitions ont été avancées. S’agit-il de valoriser le domaine minier, de protéger l’environnement, de lever les blocages constatés par les opérateurs, de simplifier des procédures trop complexes dans un contexte de choc de simplification, d’améliorer la transparence, d’accélérer les décisions, ou d’encourager les investissements ? Or, on peut redouter des raisonnements tranchés considérant que ces volontés s’excluent l’une l’autre. L’expérience des réglementations minières internationales montre au contraire combien il faut permettre à la fois la valorisation du domaine minier, la création d’emplois et la protection de l’environnement. Il ne faut pas aborder le sujet de façon manichéenne, mais rechercher le meilleur compromis.

Deuxièmement, il me paraît clair que le droit minier relève de l’autorité des États au sein de l’Union européenne. Par conséquent, chaque pays de l’Union européenne est souverain pour promulguer son code minier. Attendre des choix arrêtés au niveau continental revient à atermoyer.

Le troisième point rejoint en partie le premier : il s’agit de justifier la persistance d’un code minier séparé du code de l’environnement. La concertation orchestrée par Thierry Tuot a permis un dialogue de qualité entre les parties prenantes. Certaines voix ont plaidé pour une suppression du code minier au bénéfice d’une intégration de ses prescriptions dans le code de l’environnement. Or les deux codes répondent à des visées tout à fait différentes. Les objectifs du code minier sont multiples même si, bien entendu, une cohérence doit exister entre ses dispositions, qui attribuent des droits, et le code de l’environnement, qui organise la protection des milieux. Mais je crois que toutes les évolutions du code minier depuis 1956, date de la première modification importante, aussi bien législatives que réglementaires, visaient justement à assurer cette cohérence.

Quatrièmement, les débats ont longuement porté sur les principes devant régenter le droit minier. Un consensus existe sur la nécessité d’une transparence des informations, indispensable à la décision administrative comme à l’information préalable du public. Le principe est acté ; les modalités restent à préciser. Parmi elles, la création du groupement momentané d’enquête a suscité de nombreuses discussions : la solution peut se révéler intéressante à la condition indispensable d’en encadrer strictement les délais pour éviter, dans un souci d’allégement des procédures, que cette nouvelle structure vienne systématiquement s’ajouter aux procédures existantes. Un débat voisin porte sur le fait que le silence de l’administration ait valeur d’acceptation de la demande de permis ; il sera sûrement discuté. Enfin, nous avons débattu de la création d’un Haut Conseil des mines et d’un schéma national minier évolutif. Un accord s’est dessiné en faveur d’un Haut Conseil associant l’ensemble des parties prenantes. Quant au schéma national minier, évolutif mais non prescriptif, il m’a semblé rallier tous les suffrages.

Thierry Tuot a souhaité élaborer un texte qui ne nécessite pas de mesures d’application. Il en résulte un projet extrêmement lourd comportant un certain nombre d’éléments qui ne relèvent pas de façon évidente du domaine de la loi. Ayant une certaine expérience du travail parlementaire, je n’imagine pas que six cents articles puissent être facilement débattus par l’Assemblée nationale. À mon avis, le bon sens impose une distinction en trois points : ce qui relève impérativement de la loi, ce qui a un caractère législatif mais qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance, et enfin ce qui entre dans la compétence du pouvoir réglementaire.

L’articulation entre les dispositions du code minier et du code de l’environnement – j’y reviens – a fait l’objet d’âpres débats. Il est clair que la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) n’est adaptée ni à la procédure d’attribution de titres miniers, ni aux explorations. En revanche, dès lors que des droits ont été délivrés, les travaux miniers diligentés par l’opérateur peuvent tout à fait suivre une réglementation et des procédures inspirées des ICPE. D’ailleurs, la pratique des administrations locales en matière minière rejoint grandement les procédures ICPE. Je distingue différents types de travaux miniers pour lesquels cette réglementation devrait pouvoir être adaptée. Il y a d’abord les règles sismiques. Il y a ensuite les forages d’exploration – après leur réalisation, un plan de développement inclut des forages d’exploitation, des installations de surface, et enfin un plan d’abandon. Il y a enfin l’étude d’impact et l’évaluation environnementale : une usine demeure au même endroit pendant plusieurs décennies alors que les installations minières portent sur des surfaces plus importantes mais aussi, souvent, plus précaires. Un forage d’exploration peut durer seulement deux mois avant que l’opérateur décide d’engager la remise en état du site.

Nous défendons l’idée d’une évaluation environnementale stratégique préalable des zones qui seraient ouvertes à l’exploration-production. C’est une idée qui pourra être commentée si les parlementaires le souhaitent.

J’en viens maintenant à un sujet qui me préoccupe. Je crois absolument indispensable que les décisions soient prises au bon niveau territorial, c’est-à-dire au niveau où réside le savoir-faire nécessaire à une bonne compréhension des dossiers. Notre recensement des bonnes pratiques mises en œuvre à l’étranger montre que cette compétence est généralement l’apanage des administrations centrales, parce que celles-ci disposent du poids critique en termes de maîtrise technique. Dans l’organisation française actuelle, je suis frappé de constater une dispersion des compétences entre de multiples administrations, en particulier des administrations centrales. Je pense que ceci nuit à la qualité de l’instruction des dossiers, et qu’il serait judicieux de créer un service à compétence nationale, qui pourra relever de deux ministères, pour centraliser cette activité : cette instance examinerait les titres miniers dans leur composante énergétique comme dans leur dimension environnementale.

Dans toutes les réglementations minières, l’État dispose d’un pouvoir discrétionnaire, mais ce pouvoir discrétionnaire doit être clairement encadré dans un souci de transparence et d’efficacité. Le Gouvernement peut se prononcer comme il l’entend, mais c’est une question qui, au-delà de l’aspect minier, soulève le problème de la crédibilité et de la stabilité des régimes miniers en France. Quand on observe comment sont élaborées les réglementations minières dans les pays dont on pourrait suivre l’exemple, le code minier a été préparé après la définition d’une claire politique minière. Or je crois, comme je le disais, que la réforme du code minier a été lancée, en France, sur une base uniquement juridique. La désignation de Thierry Tuot, qui est un très bon spécialiste du secteur, en atteste. Mais cette approche juridique est-elle au service d’une stratégie ? Quelle est la politique minière que l’on entend mener ? Le projet de Thierry Tuot prévoit un schéma national minier : est-il indicatif ou prescriptif, ou encore géographique ? C’est une zone d’ombre, comme d’autres, préjudiciable à la bonne réception de la réforme minière.

Je conclurai en rappelant l’expérience de l’inventaire minier français. Le schéma national minier nécessite un important travail en amont pour couvrir un grand nombre de substances. Je mesure bien l’ampleur de la tâche puisque les inventaires des ressources pétrolières et gazières rentrent dans notre métier et qu’une de nos filiales intervient dans ce domaine en tant que consultant dans un certain nombre de pays. C’est un travail important à ne pas sous-estimer. En outre, il ne faudra en aucun cas que les autorités administratives attendent la publication du schéma national pour finaliser l’instruction des demandes. Il en résulterait une rupture dans l’activité des professionnels : les mesures transitoires évoquées tout à l’heure par le président Chanteguet seront ici indispensables.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie le président Appert de la densité de son exposé. Nous retrouvons dans votre analyse des points déjà évoqués par d’autres acteurs des différents secteurs.

Vous disiez le projet rédigé par Thierry Tuot si massif qu’il contraindrait probablement le Parlement à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance. C’est un point évoqué par Thierry Tuot lui-même et par des membres de cabinet ministériel. En tant que parlementaires, la perspective d’être dessaisis de nos prérogatives de législateurs nous réjouit rarement. Néanmoins, il faudra bien trouver des solutions pour faire face à la tâche qui nous est promise avec la plus grande efficacité. Il est certain que si le Gouvernement communiquait ses projets d’ordonnances en même temps que le projet de loi lui-même, pour que nous puissions examiner la cohérence de l’architecture dans son ensemble, les choses seraient plus faciles à accepter. Ça n’est pas forcément un point de blocage, mais c’est une difficulté supplémentaire. Il ne faut pas se le cacher.

Nous attendons tous la réforme du code minier depuis très longtemps, et je crois qu’il y a urgence. Certains disent qu’on peut peut-être encore attendre ; je n’en suis pas sûr. J’ai cru comprendre qu’un certain nombre de demandes étaient bloquées. Je pense même que quelques freins s’exercent assez naturellement. Or personne ne souhaite paralyser tout un secteur économique en laissant prévaloir un flou juridique instable.

Je reviens sur une de vos remarques : le projet de réforme du code minier n’a pas été préparé sur la base d’une stratégie minière comme dans le cas de nombreux pays. J’ai pourtant retenu – mais cela n’interdit pas de poursuivre la réflexion dans le sens que vous évoquiez – que la communication au Conseil des ministres de Delphine Batho, au moment où elle a lancé ce groupe de réflexion animé par Thierry Tuot, formulait des orientations. Je les rappelle : l’adaptation de la législation minière au droit de l’environnement et en particulier à la Charte de l’environnement, la nécessité de dispositions particulières voire spécifiques pour l’outre-mer, le constat d’une nécessaire révision de la législation minière et une interrogation sur les procédures ICPE. Cela n’épuise évidemment pas le sujet, mais c’est de l’avis général une bonne base de départ.

Quant à votre commentaire sur le rôle des administrations centrales, il soulève la question de la Guyane. Si un décret d’application avait été pris comme le Parlement l’avait commandé, le permis exclusif de recherches dit de « Guyane maritime » aurait été instruit par la collectivité régionale et signé par son président. Je considère, en particulier parce qu’il faut disposer de moyens techniques d’examen, qu’à la fois l’instruction et la décision relèvent du niveau central. Même si on peut envisager demain des dispositions spécifiques pour l’outre-mer, je pense qu’on ne peut pas s’orienter vers une décentralisation en raison du défaut de compétences techniques sur les territoires. Mais faut-il créer une administration spécifique ? N’est-ce pas la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) qui instruit les dossiers aujourd’hui ?

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). En fait, il y a trois directions générales concernées au sein du ministère. Il se trouve que j’ai été directeur des hydrocarbures entre 1989 et 1994. À cette époque-là, la direction générale de l’énergie et des matières premières avait la pleine responsabilité de l’instruction des permis M. et des permis H – c’est-à-dire des permis relatifs aux mines métalliques et aux hydrocarbures. Toutefois la situation des substances de carrière était moins nette, par exemple pour les granulats. Aujourd’hui, on se trouve dans une situation où trois directions générales différentes ont leur mot à dire. De l’extérieur, je ne sais pas très bien qui fait quoi.

Mme Sabine Buis. Sauf erreur, il y a la DGEC, la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), et la direction générale de la prévention des risques (DGPR).

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). C’est exact, et il me semble – je parle ici sous le contrôle d’Honoré Le Leuch qui connaît mieux l’organisation dans les autres pays – que c’est une architecture assez exceptionnelle.

M. Honoré Le Leuch, conseiller à l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). Je le confirme volontiers. En examinant les pays de l’OCDE, on s’aperçoit que les compétences particulières du secteur minier ou du secteur des hydrocarbures nécessitent une administration centrale en charge de ces dossiers. Prenez le cas, par exemple, d’un forage en mer : son approbation nécessite une étude très poussée. Or on ne peut pas décupler ce type de compétences, même dans les pays de tradition pétrolière comme la Norvège et le Royaume-Uni. Ces deux États ont donc des administrations centralisées.

Quant au sujet particulier des forages en mers, j’invite à s’inspirer de pays comme l’Australie : là-bas, tout ce qui excède les douze milles des eaux territoriales est géré par une autorité centrale. Les États-Unis font de même. C’est un aspect qui résulte de la nécessité, pour le secteur minier, de prendre en compte à la fois la dimension politique décidée par le Gouvernement central et les aspects techniques nécessaires à la sécurité. Une décision requiert un certain nombre de vérifications techniques. C’est la véritable protection de l’environnement : garantir que les meilleures techniques seront utilisées par l’opérateur, que ce soit à l’occasion d’un forage d’exploration, du développement d’un gisement ou de la mise en exploitation d’une mine.

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). Le sujet de la Guyane, malheureusement, est moins d’actualité depuis deux ou trois ans puisque les forages exploratoires ne confirment pas les espérances initiales. Quand j’étais directeur des hydrocarbures, des programmes d’exploration en mer avaient été diligentés au large de la Bretagne. C’était en 1980-1983 sur la mer d’Iroise. Il y avait un centre de compétences à Bordeaux. Le responsable de ce centre est parti en retraite et n’a pas été remplacé. On se retrouve maintenant à devoir instruire des forages de Guyane à 2000 mètres de profondeur d’eau dans des conditions compliquées, et les compétences n’existent plus dans l’administration. Quelques compétences subsistent à l’IFP-EN ; j’avais donc fait des offres de service. Nous avions pris des contacts également avec les autorités guyanaises sur les aspects relatifs à la formation. Dans des projets complexes, il y a un risque : une dispersion des centres de décision, qui se traduit de facto par une dispersion des compétences, me paraît quelque chose d’inquiétant.

Mme Sabine Buis. En Allemagne, cette compétence relève des Länder, non de l’État fédéral.

M. Honoré Le Leuch, conseiller à l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). L’Allemagne a une tradition fédérale extrêmement forte ; elle a peut-être pu se doter de compétences. Ce qui est important pour notre pays, c’est de redonner confiance aux citoyens dans ces activités. Je crois qu’une manière de le faire est d’insister sur le fait que le pays mettra en place une organisation avec toutes les compétences techniques nécessaires en s’appuyant sur des organismes comme l’IFP-EN. C’est ce que font les Britanniques, qui sollicitent des sociétés de conseil. On doit être certain d’utiliser les meilleures techniques au monde. Les meilleures techniques sont celles qui permettent de faire diminuer les éventuels risques pour l’environnement. Or protéger l’environnement est un objectif capital. On peut le faire avec une exigence maximale.

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). La comparaison avec les autres pays montre qu’ils ont mis en place des procédures claires avec des délais encadrés. L’activité minière s’exerce dans une concurrence internationale. Un effort reste à faire en matière de simplification dans ce domaine, car je ne pense pas qu’un enchevêtrement de réglementations permette d’assurer la sécurité et la protection de l’environnement. Je crois qu’il vaut mieux des choses claires, simples et facilement explicables à l’opinion publique.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. On ne peut qu’être d’accord avec vous sur ce point. Il faut simplifier. Le principe d’une décision implicite d’acceptation va dans ce sens. Vous avez attiré notre attention sur les risques. Là aussi, il faut être très prudent. Mais je reconnais l’intérêt de la chose.

M. Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). La non-réponse valant acceptation n’est présentable vis-à-vis de l’opinion publique que si, effectivement, l’administration a les moyens d’instruire. Rien ne serait pire que des dossiers validés par défaut simplement parce que l’administration est débordée.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je suis d’accord avec vous.

M. Honoré Le Leuch, conseiller à l’Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN). Dans les anciennes colonies francophones, suite à leur indépendance, était utilisé un code minier modernisé dans les années 1960, pour montrer que des efforts de simplification avaient été faits. L’un des avantages de ces codes a été une simplification. C’était déjà un effort intéressant. Un autre exemple que j’aime mentionner est le cas des Pays-Bas, qui ont utilisé le code Napoléon pour des raisons historiques pendant très longtemps, et qui n’ont rédigé leur propre code minier qu’en 2003. Ce pays a fait un code relativement simple à partir de ses expériences nombreuses dans les domaines minier et pétrolier.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de cet échange particulièrement intéressant.

11. Audition de MM. Franck Heurtebise, président, et Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement, ainsi que Mme Sarah Clisci, déléguée générale du Comité des Salines de France (11 décembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir répondu favorablement à l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable sur la réforme du code minier. Il était souhaitable que nous auditionnions la filière saline sur la réforme du code minier, même si ce n’est pas votre activité qui a braqué les feux de l’actualité sur ce dossier. Je précise aux parlementaires présents que vous avez participé au groupe de réflexion présidé par Thierry Tuot, et que vous avez donc une bonne connaissance des propositions qui en sont issues. Je vous passe la parole.

M. Franck Heurtebise, président du Comité des salines de France (CSF). Je remercie le président Chanteguet de nous recevoir pour présenter à l’Assemblée nationale notre vision de la réforme du code minier. Le CSF rassemble l’ensemble des producteurs de sels miniers établis en France. Pourquoi nous intéresser à la mine au nom du monde du sel ? Parce que c’est la principale substance soumise au code minier en France et même, depuis la décision de la fermeture de la mine d’ardoise de Trélazé dans le Maine-et-Loire, la dernière substance minière extraite sur le sol métropolitain. La dernière installation est celle de Varangéville, située près de Nancy. Les adhérents du CSF sont très sensibilisés et concernés par la réforme du code minier. Elle concernera deux cents concessions minières en France, dont vingt sont exploitées, et neuf usines de transformation aval. Le sel est une matière très répandue dans notre sol mais aussi dans les pays voisins, et elle n’est guère onéreuse : la valeur ajoutée provient essentiellement des usines qui sont installées près des sites d’extraction. La réforme du code minier est donc au centre de nos préoccupations car elle détermine l’avenir de la politique minière en France, donc l’avenir de l’industrie du sel en France.

Trois branches d’activités sont représentées par notre comité. Il y a d’abord les producteurs de sel cristallisé – le sel que l’on utilise communément – qui sont les compagnies des Salins du Midi et des Salines de l’Est, ainsi que les producteurs de sel de mer, les sociétés Esco France et Saline d’Einville. La deuxième branche regroupe les industries de la chimie, productrices de sel en dissolution, destiné à la fabrication de bicarbonate de sodium : Solvay et Novacarb. La troisième branche concerne les stockeurs souterrains : Storengy et la Société salinière de Provence, qui entreposent des gaz et hydrocarbures liquides. L’ensemble des adhérents regroupe 4 500 emplois et couvre 70 % des besoins de la France – le reste provenant du sel de mer et des importations. Le sel, même minier, provient originellement de la mer. La production française de sel cristallisé est estimée à 2,7 mégatonnes en 2011, et à 4,2 mégatonnes pour le sel en dissolution.

Le sel est une matière bon marché : un kilogramme de sel de déneigement se négocie à 4 centimes, quand le sac de 25 kilogrammes de sel alimentaire revient à 2,5 euros. L’essentiel de la production est concentré sur l’axe Rhin-Rhône – Lorraine, Franche-Comté, et on trouve des activités de stockage jusqu’à Manosque – ainsi qu’à Vauvert pour la chimie. Il y a également une production dans les Pyrénées-Atlantiques et dans les Landes.

Concernant la technique minière, l’exploitation de Varangéville emploie celle des « piliers et chambres abandonnées » : des piliers de sel assurent le soutènement. La mine est à 160 mètres sous terre, et l’exploitation se fait sur moins de 5 mètres. Elle produit essentiellement du sel de déneigement. L’autre technologie est l’utilisation du sel en dissolution : dans un gisement, on envoie de l’eau douce qui dissout le sel, crée des cavités, génère de l’espace de stockage et une saumure, qui sera exploitée dans une usine de transformation aval.

Le sel a de très nombreux usages – un adage en dénombre quatorze mille. Le sel alimentaire représente 10 % de la consommation en France. Le principal débouché reste la chimie, qui l’utilise pour fabriquer du chlore, de la soude, ou du carbonate et bicarbonate de sodium. On en utilise aussi pour la fabrication de toutes sortes de produits, mais aussi pour le déneigement pour assurer la continuité économique du pays en hiver et la circulation en général. Enfin il peut y avoir d’autres usages en agriculture, comme le traitement de l’eau pour l’alimentation animale.

Les cavités salines servent au stockage de gaz et d’hydrocarbures pour la constitution des stocks stratégiques de la France. Une cavité fait la hauteur de la tour Eiffel et la largeur de l’Arc de Triomphe, ce qui serait impossible dans un stockage aérien. De plus, la conservation est totale car le sel est parfaitement imperméable.

Il y a donc trois familles d’usage : les produits commerciaux, la matière première en chimie, et le coproduit issue de l’activité de stockage.

M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement pour le CSF. Les chiffres avancés expliquent pourquoi le CSF est partie prenante au processus de concertation conduit par Thierry Tuot. Le cadre réglementaire des activités de nos adhérents fait l’objet de toute notre attention, compte tenu du nombre de concessions et du caractère structurant de l’activité. Une concession mobilise un investissement très important, similaire à celui de l’industrie lourde, avec un temps d’amortissement très long : jusqu’à 35 ans pour une saline, et plus de 50 ans pour l’industrie chimique.

En ce qui nous concerne, nous craignons de voir les activités d’exploitation de sel victimes de la polarisation du débat de la réforme minière sur le gaz de schiste et les hydrocarbures non-conventionnels. Leur exploitation est certes actuellement interdite, mais de nombreuses propositions apparaissent dans les débats pour anticiper une légalisation future. Cette préoccupation est sensible dans le processus d’enquête et de concertation ainsi que sur les questions de fiscalité. Beaucoup mentionnent l’existence d’une rente minière à partager, qui n’existe tout simplement pas dans l’extraction de sel. Au contraire, nous évoluons dans un environnement extrêmement concurrentiel, où toute augmentation de la pression fiscale équivaut à une baisse de la compétitivité. L’hiver, la ville de Paris déneige désormais ses rues avec du sel marocain, Rouen avec du sel australien. Une compétitivité amoindrie pénalise la région lorraine car, il y a quinze ans, le sel qu’utilisait Paris venait de Varangéville. Le CSF souhaite s’assurer que la représentation nationale, dans sa légitime volonté de réformer et de moderniser le code minier, ne néglige pas qu’une activité minière existe encore en France dans un cadre économique très contraignant. Toutes les réflexions ne doivent pas se fonder sur les promesses de la mine métallique ou sur la perspective de gisements d’hydrocarbures.

Sur la question de l’information et de la participation du public, qui est l’un des points fondateurs de la réforme projetée, le CSF adhère aux propositions formulées par le groupe de réflexion présidé par Thierry Tuot. Elles semblent tout à fait adaptées. Nos membres ont anticipé certaines évolutions en matière de concertation et de transparence. Notre industrie, ancienne, dispose de suffisamment d’expérience pour savoir qu’il est impossible de se développer, économiquement et durablement, sans une synthèse et une forme d’osmose avec l’ensemble des parties prenantes. Il est déjà arrivé au CSF, pour des projets qui n’étaient pas astreints à l’obligation d’information et de participation du public, d’organiser sur les territoires des réunions de concertation avec les populations et de présentation préalable aux élus locaux, dans l’esprit de la Charte de l’environnement.

En ce qui concerne la procédure d’information renforcée et le groupement momentané d’enquête, nous comprenons tout l’intérêt de cette innovation. Des questions subsistent sur les critères d’éligibilité pour que la procédure renforcée ne devienne pas la règle de principe. Il est important que ces critères soient précisés avec soin pour éviter une forme nouvelle d’incertitude juridique, laquelle ne manquerait pas de freiner les opérateurs au moment de lancer un projet industriel. Suivant la version provisoire communiquée aux membres du groupe de réflexion, la procédure ordinaire peut commencer et, jusqu’à la prise de décision, la possibilité demeure de basculer vers la procédure renforcée. Il faut un encadrement pour que l’opérateur pétitionnaire puisse anticiper les délais de réalisation du projet.

Il a été question de rapprocher le code minier du code de l’environnement et de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La position du CSF consiste à rappeler le caractère particulier de l’activité minière par rapport aux ICPE, notamment en raison des autorisations délivrées et de la nature de l’articulation juridique de ces autorisations. Nous ne sommes pas hostiles au rapprochement des formalités et des délais, ce qui ne soulève pas d’obstacle. Mais au regard du fond de l’activité, il n’est pas envisageable que le code minier soit fondu dans le code de l’environnement. Par nature, l’activité minière entraîne un changement du milieu puisque l’objet de l’exploitation est d’en retirer la substance concédée. Une situation comparable n’existe en ICPE que pour le secteur des carrières ; dans tous les autres domaines, seuls comptent les critères d’impact et de risque.

L’activité minière connaît deux niveaux juridiques. En premier lieu, il y a la concession, titre qui octroie un droit potentiel à l’exploitation – et qui serait remplacé par un permis d’exploitation – mais qui le limite à une zone et à une matière. On a un peu de mal à le désigner : autrefois qualifié de « patrimonial » quand il était possible d’hypothéquer les concessions, il est plus volontiers aujourd’hui d’un droit « régalien », concédé par l’État seul maître des substances minières. Mais ce droit potentiel ne peut être concrètement exercé que s’il est accompagné d’une autorisation d’ouverture de travaux, deuxième étape qui se rapproche volontiers de l’autorisation de type ICPE. Ce double niveau d’autorisation, au moment de la délivrance du titre puis à l’ouverture des travaux, est extrêmement important : il justifie à nos yeux un code minier séparé du code de l’environnement.

Telles sont les principales remarques que nous formulons sur le projet de réforme du code minier en l’état. Nous sommes à la disposition des parlementaires pour répondre à d’éventuelles questions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour cet exposé très complet. Maintenant que le rapport a été officiellement remis aux ministres concernés, avez-vous eu des informations sur un éventuel recours à des ordonnances ? Certains ont évoqué cette perspective et, bien entendu, le Parlement y est foncièrement réticent.

M. Franck Heurtebise, président du CSF. Nous assistions hier à la réunion de remise du rapport au Gouvernement. À aucun moment il n’a été question d’ordonnances.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je ne suis qu’à moitié rassuré, car la décision a pu être prise à un autre moment. Nous resterons vigilants à ce sujet car il s’agit de refondre totalement le code minier ; il ne semble pas envisageable que le Parlement se dessaisisse de cette compétence essentielle.

Mme Florence Delaunay. Je souhaite revenir sur l’abondance du sel et la mettre en relation avec la perspective d’un schéma minier, sur laquelle il me semble que vous êtes circonspects. Y a-t-il un lien entre ces deux faits ?

Je voulais aussi vous interroger sur le cadre juridique : lorsque l’on passe de l’extraction du sel au stockage d’hydrocarbures, comment s’articulent le code minier et le code de l’environnement ?

M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement pour le CSF. Vous avez bien compris notre réticence sur le schéma national minier : la substance sel est tellement abondante en France qu’il nous semble malvenu d’engager des moyens publics importants pour la caractériser davantage. Aujourd’hui, la France a des ressources en sel considérables, exploitées et connues pour les plus anciennes depuis 2 500 ans, dans la vallée de la Seille en Lorraine. Louis XIV a combattu pour la prise de Salins-les-Bains où s’est édifiée la Saline royale d’Arc-et-Senans afin de mettre en valeur le gisement de sel.

Nos ressources identifiées excèdent les besoins de la France pour des horizons plus que millénaires. À titre d’exemple, la mine de Varangéville exploite à 160 mètres sous terre le sel lorrain, qui dans cette partie-là est à l’affleurement puisqu’en toit de gisement à 100 mètres de la surface. Mais la veine parcourt plus de 230 kilomètres entre Lunéville et une zone comprise entre Paris et Mailly-le-Camp en Champagne. Sous le bassin parisien, elle est à plus de 2 kilomètres de profondeur. Nous le savons, mais c’est une connaissance inutile : aucun salinier ne peut avoir un intérêt économique à exploiter à 2 kilomètres de profondeur à Paris lorsqu’il existe un gisement à 100 mètres de profondeur en Lorraine ou à 250 mètres de profondeur dans les Landes. Pour cette raison, la position du CSF consiste à réserver le schéma national minier au développement de ressources rares pour lesquelles la France subit une dépendance envers l’étranger. Ces substances stratégiques, d’autres qui présentent des enjeux en termes d’occupation de l’espace ou de risque environnemental, nous semblent devoir intéresser la puissance publique bien davantage que le sel.

Votre deuxième question est épineuse puisque les stockages de gaz sont effectivement soumis aux deux législations, minière et environnementale. Pour ce qui est de la création du réservoir souterrain, le code minier s’applique. Le sel extrait par le lessivage est un coproduit de l’activité de stockage. Ensuite, lorsque le réservoir est utilisé à des fins de stockage, l’activité est soumise à la réglementation ICPE. La même situation se retrouve chez les autres utilisateurs de sel gemme souterrain, saliniers et chimistes : le sel, une fois extrait, est soit cristallisé dans une usine en surface – une saline –, soit transformé en carbonate ou bicarbonate de sodium dans une usine chimique. Tous les adhérents du CSF disposent de sites à la fois soumis à la législation minière pour la partie extraction, et à la réglementation ICPE pour la partie transformation, cristallisation et stockage. Ils ne voient donc pas d’un mauvais œil le rapprochement des procédures minières et des logiques ICPE : au contraire, ce serait une source de simplification et de limitation des erreurs de procédure toujours possibles dans ce type de dossier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je reviens sur le premier point abordé dans votre intervention liminaire : le risque de préemption de la réforme du code minier par le débat sur les gaz de schiste. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur vos craintes ? Car pour nous, députés qui travaillons sur le sujet, il n’y a aucun débat.

M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement pour le CSF. Je suis ravi de vous entendre ! C’est simplement un sentiment : nous avons bien noté que l’exploitation était actuellement interdite et, par conséquent, que la question ne se posait pas. Mais les dispositions introduites et débattues en concertation nous ont laissé l’impression qu’un certain nombre d’innovations ne faisaient sens que dans l’optique de créer un cadre permettant des exploitations futures d’hydrocarbures non conventionnels. Tel est le cas du groupement momentané d’enquête avec un niveau de concertation locale extrêmement fort, ce qui a été un des reproches adressés aux permis d’exploration délivrés par le passé.

Les discussions autour de la fiscalité furent également propices à l’évocation d’une rente de l’activité minière qu’il y aurait lieu de partager, ce qui ne correspond absolument pas à notre situation. L’activité existante est soumise à une fiscalité minière. Or la production est ancienne et pour l’instant compétitive en France car l’une des caractéristiques du sel, compte tenu de son très faible prix, tient à l’impact rapidement prohibitif du transport sur la facture acquittée par l’acheteur. On considère que le coût du transport dépasse celui du produit au-delà de 300 kilomètres d’acheminement routier. Ce n’est pas tout à fait le cas par voie maritime, ce qui fait qu’aujourd’hui le sel de Lorraine n’est pas compétitif face à des productions d’Afrique du Nord. Jusqu’à Paris, on trouve donc du sel d’importation meilleur marché que la production nationale. La moindre augmentation de la fiscalité pourrait totalement déplacer le marché. Les discussions sur les redevances minières nous ont donné le sentiment qu’il pouvait y avoir, au moins chez un certain nombre de participants parmi lesquels probablement des entreprises intéressées par l’exploitation d’hydrocarbures non-conventionnels, l’idée que la promesse de rentrées fiscales nouvelles pouvait servir de levier pour l’évolution de la réglementation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est un vrai sujet. Je crois qu’on pourrait envisager de définir dans le nouveau code minier ce que l’on entend par hydrocarbures conventionnels et non-conventionnels. Ce n’est pas le cas à ce jour : il n’y a pas de distinction ; tous les hydrocarbures relèvent d’un même régime. On pourrait imaginer – vous y avez fait allusion – que la procédure d’information renforcée et la mise en place du groupement momentané d’enquête soient destinées à certaines recherches, à certaines exploitations, à certaines substances de mine.

Je ne vois pas pourquoi les choses se passeraient comme vous le craignez, mais vous faites bien d’attirer l’attention des parlementaires sur ce point. Certains ne voient – et ce n’est pas une critique – la réforme du code minier qu’au travers de l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Mais il n’y a pas que ça : vous avez évoqué le sel, nous connaissons les enjeux spécifiques de l’outre-mer, on pourrait aussi évoquer les métaux et les terres rares. La puissance publique doit être capable d’identifier les activités qui sont les vôtres et de retenir des dispositions cohérentes avec les réalités de l’exploitation du sel en France, en particulier sur le plan économique et financier.

Néanmoins, en ce qui concerne le débat sur les hydrocarbures non-conventionnels, il faudra que les choses soient remises à plat. Je n’imagine pas un instant que l’on réforme le code minier sans aborder cette question. Même si la loi du 13 juillet 2011 a été validée par le Conseil constitutionnel, nous savons qu’elle n’est pas dénuée de limites. D’ailleurs, le Gouvernement semble un peu en difficulté sur certains dossiers, par exemple les demandes de mutation présentées sur des permis exclusifs de recherche en Seine-et-Marne par la société Hess Oil.

Mme Françoise Dubois. J’ai appris beaucoup de chose sur l’activité d’exploitation du sel. C’est un domaine d’activité que je ne connais pas du tout ; il n’y a pas de sel dans la Sarthe à ma connaissance. Vous avez indiqué que vos adhérents disposent de 200 concessions en France dont 20 sont exploitées. Qu’advient-il des 180 autres ?

M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement pour le CSF. C’est une situation un peu surprenante quand on la découvre, effectivement. Sur ces 180 concessions, une vingtaine de sites sont des réserves potentielles pour des projets de développement, sachant que notre activité requiert une visibilité de trente à quarante ans pour ses investissements.

Quant aux autres concessions, elles sont un héritage de l’histoire. Sous l’empire du code minier napoléonien, les concessions minières étaient illimitées : on considérait qu’elles conféraient au concessionnaire un droit de propriété sur la substance et sur la surface concédée. Ce régime a existé jusqu’en 1994. Une modernisation du code a rétroactivement limité, à partir de 1993, toutes ces concessions à une durée de 25 ans. Elles arriveront donc à échéance en 2018, mais elles seront renouvelables de plein droit : on est sorti de l’idée d’une quasi-propriété sans arriver à une situation d’arrêt des travaux et de restitution. Entre 1994 et 1999, un certain nombre de sinistres miniers se sont produits en relation avec les exploitations charbonnières et ferrifères arrêtées en Lorraine et dans le Nord-Pas-de-Calais. En 1999, une nouvelle réforme a précisé les procédures de fin des travaux pour organiser le retour à l’État de sites sécurisés. Toutefois, l’arrêt des travaux de concessions vieilles d’un siècle et demi est extrêmement lourd, pour les exploitants miniers comme pour les services de l’État en charge de l’instruction de ces concessions. Aujourd’hui, les membres du CSF ont renoncé à 20 % de leurs concessions – puisqu’après l’arrêt des travaux doit être suivi d’une procédure de renonciation pour faire disparaître le titre minier.

Mme Françoise Dubois. Votre explication signifie-t-elle que le redémarrage de ces sites pourrait parfaitement avoir lieu sans nouvelles autorisations ?

M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement pour le CSF. Absolument pas ! Pour certains de ces sites qui ont été concédés sous le Second Empire, aucune exploitation n’a été entamée. Pour d’autres, l’activité a cessé à la fin du XIXe siècle ou début du XXe. Il y a encore d’autres anomalies juridiques : comme la Lorraine, en particulier la Moselle, était une région salinière importante, les exploitants miniers qui détenaient des titres français avant 1870 ont sollicité des titres allemands après l’annexion : on a des concessions de droit français et de droit allemand qui subsistent aujourd’hui sur les mêmes périmètres.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est un sujet passionnant, qui nous montre que la réforme à venir devra aussi servir à liquider des bizarreries héritées du passé. Je vous remercie très sincèrement pour la qualité de vos interventions.

12. Audition de M. François Jacq, président de l’IFREMER (11 décembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’accueille avec plaisir François Jacq, que la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a reçu à plusieurs reprises en sa précédente qualité de président de Météo-France. Nous sommes heureux de vous entendre cette fois en tant que président de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) dans le cadre de la réforme du code minier. C’est un dossier important et exigeant, non seulement pour le Gouvernement mais aussi pour les parlementaires que nous sommes, qui demain auront à travailler sur le projet de loi en cours d’élaboration par les ministres de l’Écologie et du Redressement productif.

Thierry Tuot, Conseiller d’État chargé d’animer un groupe de réflexion réunissant l’ensemble des parties prenantes, a remis son rapport au Gouvernement hier. Il convient maintenant que ce projet soit relu, peut être en partie réécrit, sans doute par endroit affiné, avant d’être transmis au Parlement. Mais l’Assemblée nationale a décidé de commencer d’ores et déjà ses travaux sur le sujet : la Commission du développement durable a constitué pour ce faire ce groupe de travail actif depuis octobre. Je vous passe la parole pour que vous nous livriez votre sentiment sur les préconisations issues du groupe de réflexion auquel vous avez pris part.

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Je remercie le président du groupe de travail pour son invitation tout en sollicitant son indulgence : je renoue avec la géologie depuis peu et je n’ai aucunement prétention à être spécialiste du code de minier. Je me bornerai donc à exposer le point de vue de l’Ifremer, forcément particulier puisque limité aux considérations marines. Je vais balayer les sujets sur lesquels l’Ifremer pourrait intervenir et commenter brièvement les propositions de Thierry Tuot qui portent sur le domaine de la mer.

L’Ifremer agit sur un spectre élargi. Celui-ci commence avec la recherche : de la connaissance fondamentale, c’est-à-dire la connaissance des processus qui ont abouti à la présence des minerais au fond des océans, et de la minéralisation, à l’étude des écosystèmes, des habitats, de la faune et de la flore marines. L’Ifremer concentre les compétences françaises dans ces domaines, sans pour autant aspirer à une connaissance parfaite naturellement. Par ailleurs, nous fournissons un appui à la puissance publique dans une mission d’expertise, soit à la suite de sollicitations spécifiques, soit sur le fondement de textes qui prévoient des consultations obligatoires sur un certain nombre de sujets. Enfin, et c’est un troisième volet de notre activité, il est du ressort de l’Ifremer de valoriser économiquement le fruit de ses recherches, éventuellement avec des partenariats industriels. On peut alors s’orienter vers du développement technologique.

Il en résulte une difficulté : quand on exerce sur chacun de ces secteurs, il faut être soigneux et méticuleux d’un point de vue déontologique et éthique. Certaines dispositions qui, j’ai cru comprendre, figurent dans le code minier, sont de nature à nous interpeller. Si, comme c’est le cas sur un certain nombre de sujets, on demande à l’Ifremer de concourir à la stratégie de l’État par la voie du partenariat public-privé, et que par conséquent l’Ifremer se trouve moteur dans des activités économiques qui ont un impact sur l’environnement, et si d’un autre côté la puissance publique sollicite une expertise technique qui est celle de l’Ifremer, la situation sera rapidement celle d’un conflit d’intérêts. Le code minier doit prévenir ce danger.

Une attention majeure se porte actuellement sur les ressources minérales des profondeurs océaniques. La rareté des métaux, leurs cours élevés, le caractère encore insatisfaisant des techniques vouées à les économiser et à les recycler, incitent tout naturellement à la recherche de ressources nouvelles. Il en existe de très vastes dans les fonds marins. Chacun a déjà entendu parler des nodules, qui ne sont d’ailleurs pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant et qui ont déçu des espoirs très forts dans les années 1960 et 1970. Un peu plus récemment, la science a identifié et caractérisé les sulfures à proximité de sources hydrothermales, ce que l’on appelle des encroûtements cobaltifères ou manganifères. Ces ressources, si le contexte économique s’y prête et si la demande est présente, vont devenir importantes. Le récent rapport sur l’innovation remis par Anne Lauvergeon au chef de l’État identifie les richesses de la mer comme l’une des sept ambitions que la France doit s’assigner. On comprend pourquoi les tensions s’accroissent : c’est une ressource qui peut se trouver au cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques.

Ces ressources peuvent reposer dans la zone économique exclusive française ou dans des eaux internationales. Dans ce dernier cas, les États cherchent à obtenir de l’Autorité internationale des fonds marins des autorisations d’exploration et d’exploitation. Une concurrence féroce règne lorsqu’il s’agit de décrocher des permis, et il y aurait certainement des moyens à mobiliser et des procédures à renforcer pour améliorer la position de la France. Cela nous éloigne un peu du sujet de la réforme du code minier puisque, par définition, le droit français n’a pas vocation à régenter l’activité extractive dans les eaux internationales. Mais je tenais à rappeler que le débat s’inscrit dans une problématique générale.

Autre élément important à garder à l’esprit : beaucoup des ressources potentielles se trouvent au large de territoires ultra-marins qui disposent statutairement de la compétence minière. Je pense en particulier aux cas de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Wallis-et-Futuna est dans une situation intermédiaire, et par ailleurs compte parmi les zones les plus prometteuses.

À côté de l’expertise et de l’appui à la puissance publique, je pense qu’on peut s’interroger sur le rôle de l’Ifremer comme bras armé de l’État dans les questions d’extraction en mer. Est-ce qu’on va demander – parce qu’on le demande ! – à l’Ifremer de solliciter des permis, de porter les dossiers de demande à l’international, non pas pour devenir opérateur minier mais pour obtenir ces autorisations au nom de la France ? Honnêtement, ce rôle n’est vraiment pas très simple pour un organisme qui est fondamentalement un institut de recherche et qui multiplie les casquettes dans le secteur économique.

Notre vision du futur code minier correspond à plusieurs types d’intérêts. En tant qu’organisme de recherche, nous espérons que la législation nouvelle n’imposera aucun frein à la recherche scientifique, qu’elle permettra la liberté d’acquérir des données, et qu’elle limitera au maximum les informations couvertes par le secret pour faciliter leur circulation. Par ailleurs, et j’ai conscience qu’il s’agit d’un sujet étroit mais il est fondamental pour l’Ifremer, nous souhaiterions qu’un cadre clair soit posé pour délimiter nos missions, notre champ d’intervention et la façon dont nous serions sollicités. Évidemment, la dimension budgétaire n’est pas absente de cette demande. Par exemple, pour tout ce qui est prélèvement de granulats marins, l’Ifremer est régulièrement appelé à formuler un avis de tiers sur les dossiers : nous le faisons, mais ce n’est pas la raison d’être de nos équipes scientifiques, qui ont d’autres recherches à diligenter. L’État utilise les outils à sa disposition, et c’est légitime, mais c’est aussi particulièrement frustrant.

Je compléterai mon propos par un dernier élément : dès lors que le code minier doit permettre l’association et l’information des parties prenantes, à travers un certain nombre de procédures et de règles, nous considérons que la contribution au débat des scientifiques en sera améliorée. Il sera particulièrement opportun de disposer d’un cadre clair et consolidé si les projets que j’évoquais précédemment, notamment outre-mer, venaient à se concrétiser.

Je vous prie d’excuser cet exposé quelque peu décousu ; je compléterai naturellement les points sur lesquels vous souhaiteriez des précisions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les ressources naturelles marines, comme l’a souligné le rapport d’Anne Lauvergeon, sont un enjeu essentiel pour l’avenir. Faut-il identifier dans le code minier tout ce qui les concernerait ? Suggérez-vous la création d’une subdivision particulière pour ce faire ? Comme nous l’évoquions dans une précédente audition, une distinction pourrait s’opérer entre hydrocarbures conventionnels et non-conventionnels. Plaidez-vous en faveur d’une démarche similaire pour les ressources minérales marines ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Il y a toute une série de principes généraux que le code minier peut édicter dans ses premiers articles. Qu’une section soit dédiée aux aspects marins me semblerait une bonne idée tant l’activité y est différente de ce qui se fait sur la terre ferme. La reconnaissance des particularités du milieu marin et la pertinence d’un encadrement spécial seraient déjà des principes généraux utilement formulés. Un problème supplémentaire existe dans les activités ultra-marines, typiquement au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie : ce sont des zones toujours incertaines en termes de partage de compétences. Toute clarification serait accueillie avec joie !

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pourriez-vous nous dresser rapidement l’état des recherches en cours ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Il y a deux volets distincts. En matière de métallogénie, c’est-à-dire en termes de matières que l’on pourrait récupérer, les chercheurs peuvent s’appuyer sur des connaissances relativement anciennes sur les nodules des plaines abyssales, qui sont bien caractérisés. Les sources hydrothermales et les « fumeurs » sont moins bien connus ; ce sont des recherches qui remontent seulement au début des années 1980. On a identifié ces phénomènes nouveaux, on les connaît, on sait les caractériser. Ça ne signifie pas que nous disposons d’un inventaire mondial – loin s’en faut. Il reste à avancer sur les processus structuraux et sur les hypothèses explicatives des émergences. La cartographie doit aussi être précisée.

L’autre volet de recherche concerne certaines zones, dans certains habitats, dans certains fonds marins. Le fond abyssal est riche en biodiversité, mais les zones hydrothermales représentent des écosystèmes extrêmement complexes abritant des espèces rares. La difficulté des explorations explique que les chercheurs aient longtemps attendu avant de se concentrer sur ces domaines : il faut lancer des campagnes océanographiques, mobiliser la flotte, et utiliser des engins perfectionnés destinés à la plongée en profondeur. C’est donc extrêmement délicat et, en toute honnêteté, la recherche reste en devenir. Nous sommes en train d’explorer la dorsale médio-atlantique, une zone qui n’est pas en territoire français et qui a donc nécessité une autorisation de l’Autorité internationale des fonds marins. En 2014 aura lieu une campagne à vocation scientifique, non pour une caractérisation du gisement, mais pour une meilleure connaissance du milieu, des habitats, et de l’écosystème.

Le besoin de caractérisation et de compréhension des fonds marins est indiscutable. L’acquisition de connaissance est une étape préalable à toute exploitation, car alors seulement on peut se poser la question de la préservation du milieu. Il existe une très grande diversité marine qui soulève la question d’éventuelles zones témoins : commencer une extraction en gardant inviolé un espace de référence permet d’évaluer au mieux l’impact d’une activité. Cette recherche a un prix important : pour resituer les ordres de grandeur, le temps de campagne en mer des navires hauturiers de la flotte française approche les 350 jours par an, sans compter les navires de recherche halieutique. Le travail ne manque pas !

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie pour toutes ces informations. Ma question a trait à la place de l’Ifremer dans les campagnes d’exploration minière sur les gisements d’hydrocarbures en très grande profondeur. Je pense notamment aux prospections de Guyane, mais aussi au permis « Rhône maritime » au large de Toulon. Qu’est-ce que l’Ifremer apporte aujourd’hui ? Comment devrait-il être intégré dans les demandes de permis d’exploration dans ce type d’espaces marins à proximité de nos côtes ?

Mme Françoise Dubois. Avez-vous un avis sur l’éventuelle extension du plateau continental ? Par ailleurs, comment organiser la consultation du public dans la zone économique exclusive ou dans les eaux internationales, pour éviter que la concertation devienne difficile et ses méthodes contestables ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Je réalise n’avoir évoqué que les minéraux marins et non les forages d’hydrocarbures en mer. Vous me pardonnerez d’avoir privilégié l’activité la plus traditionnelle de l’Ifremer. Dans le domaine pétrolier, nous analysons les zones intermédiaires, entre côtes et grands fonds, à la recherche d’indices pour comprendre comment ont pu se former un certain nombre de réservoirs. Nous agissons en collaboration avec des entreprises pétrolières, Total par exemple : il y aura des campagnes océanographiques en 2014 dans le canal du Mozambique. Au large du Brésil, nous coopérons avec la compagnie pétrolière brésilienne. Les entreprises – pas seulement françaises donc – recherchent notre expertise et nos compétences. C’est une expertise d’identification, de caractérisation, pour évaluer les chances de découvrir un gisement. Nous sommes beaucoup moins présents dans la phase d’exploitation pour une raison simple : les compagnies pétrolières connaissent leur métier ; elles n’ont pas besoin de l’Ifremer pour l’exercer. En revanche, nos compétences techniques sur la compréhension des structures marines sont très valorisées.

Nous pouvons contribuer à une meilleure évaluation de l’impact des activités extractives. L’Ifremer participe aujourd’hui à la mise en œuvre des deux directives-cadres européennes sur l’eau et sur les milieux marins. Nous coordonnons un certain nombre de stratégies pour le compte du ministère de l’Écologie, notamment lorsqu’il s’agit de prendre des mesures et de décrire des états écologiques. Des équipes spécialisées dans la compréhension des écosystèmes, principalement sur les quatre façades identifiées par les directives, pourraient même se renforcer si le temps et le financement adéquats leur étaient alloués. Une même équipe donnant un avis à la fois sur un projet industriel et sur son impact environnemental permettrait une accélération des procédures, en évitant que des géologues calculent la taille probable du réservoir sans échanger avec les spécialistes de la faune et de la flore qui évaluent l’impact d’une activité. Notre implication pourrait donc être renforcée, mais je rappelle combien nous subissons l’inflation de la demande d’expertise et d’appui : l’Institut est sollicité à l’excès alors que la compétence scientifique et technique se compte à l’unité. Cela soulève de graves problèmes de ressources humaines, surtout lorsqu’il faut faire face à des départs en retraite.

En ce qui concerne l’extension du plateau continental, des critères existent. Un certain nombre de campagnes supplémentaires renforcerait évidemment nos dossiers, mais la question reste toujours la même : quel effort, humain et financier, est-on prêt à consentir à cette fin ? Les moyens, outils et compétences doivent logiquement croître au même rythme que les ambitions.

Quant à la concertation, je vais vous livrer une anecdote. Avant l’Ifremer et Météo-France, j’étais en charge des questions de radioactivité et notamment de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). J’essayais de contribuer au débat sur le site de Bure dans les années 2000 : des modalités ont été définies, mais la Commission du développement durable est bien placée pour savoir combien les échanges restent vifs. À proximité des côtes, le conflit d’usage touche principalement le plaisancier et le pêcheur ; on peut répertorier les parties prenantes même si on n’arrive pas à les faire débattre. Au grand large, il n’y a aucune réponse miraculeuse : l’Autorité internationale des fonds marins procède moins à une concertation qu’au respect de procédures prédéfinies qui diluent le débat public dans la sphère scientifique. Quant à la zone économique exclusive, nous sommes dans le flou. Par exemple, lors de la campagne de Wallis-et-Futuna autour des amas sulfurés, nous nous sommes limités à une caractérisation sans objectif d’exploitation. Si demain des industriels sont intéressés, aucun encadrement réglementaire ou légal ne permet d’appréhender le sujet. Il faudrait prévoir une démarche, mais je n’ai pas de suggestion particulière à apporter.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. N’y aura-t-il pas, demain, des organisations non gouvernementales intéressées par ces problématiques ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. On peut évidemment le supposer.

Mme Françoise Dubois. Le nouveau code minier donnera une grande importance à la consultation du public. On peut considérer, au vu des débats, que c’est un fait. Toutefois, en pleine mer, les scientifiques et les associations remplaceront le public : il n’y a pas d’autre solution. Qui pourrait-on bien concerter alors que les impacts concerneront la faune, les habitats, des choses invisibles qui risquent de bousculer le milieu marin, mais aucune population humaine ? Je pense à toutes les installations éoliennes en mer que l’on va installer à proximité des côtes ; elles vont sûrement déranger les poissons par leurs vibrations. Il en va de même des forages, que ce soit près du littoral et en haute mer, et seuls des pêcheurs pourraient être touchés. Pouvez-vous nous proposer une alternative ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Il faut d’abord se poser la question de la connaissance disponible : a-t-elle été acquise dans les règles de l’art ? S’en assurer revient à la communauté scientifique. Offrir la vision la plus juste possible des impacts est très compliqué, et d’ailleurs souvent lacunaire. Un consensus international doit émerger sur la manière de piloter ces expertises : seule une assurance partagée, fondée sur des procédures robustes approuvées par la communauté scientifique, empêchera que prévalent les égoïsmes et les intérêts locaux. C’est une base de travail irremplaçable.

L’étape suivante devient épouvantablement compliquée : on peut toujours identifier des parties prenantes, dans le cas de l’éolien en mer par exemple, mais qui est le représentant légitime des poissons ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Peut-on imaginer que ce soient des scientifiques ?

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Les scientifiques n’ont que la légitimité de l’expertise, de la connaissance. Ils ne peuvent pas porter un jugement objectif. Sur quels critères ? Sur quelle échelle de valeur ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous avez raison : c’est au pouvoir politique de prendre ses responsabilités. Je trouve que, conceptuellement, le groupement momentané d’enquête imaginé par Thierry Tuot est intéressant car, sur un sujet précis, il permet d’établir une liste de partenaires et de sortir des procédures classiques, qui manquent de pertinence et d’adaptabilité.

M. François Jacq, président de l’Ifremer. Je crains que tout cela demeure compliqué une fois à 200 miles des côtes. Je reprends l’exemple de Wallis-et-Futuna : à moins de 200 miles, on peut considérer les populations locales intéressées car sujettes à un impact éventuel, mais on peine déjà à caractériser l’impact de l’activité sur leur vie quotidienne.

J’aimerais dire quelques mots sur l’extraction des granulats marins. Nous sommes sollicités lorsqu’une carrière se met en place. La procédure commande au pétitionnaire de fournir un dossier dont nous évaluons la pertinence. C’est compliqué : il y des projets où l’on a même du mal à faire comprendre à l’opérateur le type de données qu’il devrait produire. Quant à l’impact de cette activité, il dépend des conditions locales : zones de pêches, courants marins, etc… Il est, à mon avis, tout à fait possible d’extraire des granulats marins sans conséquences dramatiques sur l’environnement. Cela dépend de la méthode, du gisement et des caractéristiques hydrologiques du milieu. Il s’avère parfois difficile d’obtenir les informations sur le site et les pratiques du pétitionnaire qui permettraient d’apprécier au mieux la situation. Nous communiquons alors un dossier d’expertise au préfet pour lui indiquer que les données transmises ne nous autorisent pas à statuer. Si les demandes d’extraction devaient se multiplier, il faudrait une évolution de notre organisation car nos équipes ne sont pas destinées à piloter des expertises de cet ordre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour toutes ces informations.

13. Audition de MM. Jean-Pierre Kucheida, président, et Patrice Delattre, délégué général, Association des communes minières de France (18 décembre 2013)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais souhaiter la bienvenue devant le groupe de travail aux représentants de l’Association des communes minières de France. Nous avons résolu de procéder à une série d’auditions des différents acteurs du monde minier pour préparer la réforme du code dont sera bientôt saisi le Parlement. Je ne détaillerai pas plus avant le fonctionnement de nos travaux, car je gage que vous en avez une bonne connaissance. Je vous cède donc sans tarder la parole.

M. Jean-Pierre Kucheida, président de l’Association des communes minières de France. Je remercie la commission du développement durable de son initiative et je me réjouis d’être entendu par le groupe de travail. Ce sera d’ailleurs la première fois sur ce dossier puisque la commission présidée par Thierry Tuot n’a pas jugé bon de me solliciter alors même que je suis les dossiers miniers depuis près de quarante ans. Je regrette que les trois cents maires de communes minières que je représente aient été ainsi méprisés.

C’est la première fois, de mémoire d’homme, qu’une telle réforme du code minier est entreprise. Jusqu’à présent, nous n’avions vécu que deux moments importants : d’une part, la loi du 15 juillet 1994 qui visait à faciliter les recherches pétrolières dans la mer d’Iroise et dont nous avions profité pour réformer le régime de la responsabilité minière en l’imputant à ceux qui avaient causé les dégâts, et d’autre part, la loi du 30 mars 1999 – unanimement votée dans les deux assemblées – faisant suite aux dommages provoqués par l’ennoiement des mines de fer de Lorraine sur les habitations environnantes. Nous avions correctement échangé avec les ministres compétents, Gérard Longuet et Christian Pierret respectivement. Mais nous avons toujours considéré que les choses ne devraient pas en rester là et que toute évolution législative devait être l’occasion d’une avancée.

La volonté de réforme du code minier a pris forme dans le projet imaginé par Thierry Tuot. Mais, si l’Assemblée nationale a l’ambition de lui donner un véritable contenu, je crains que les députés ne soient contraints de faire pleuvoir les amendements ! Par ailleurs, je recommande que les parlementaires prennent la même précaution que leurs prédécesseurs de 1994 et de 1999, et qu’ils obtiennent du ministre chargé des mines l’assurance d’être associés à la rédaction des décrets d’application. Il a fallu jusqu’à trois ans pour publier le dernier règlement, mais nous avons eu la certitude qu’une intervention administrative ne perturberait pas la volonté politique.

Je suis assez amusé que le projet de réforme mis à la disposition du public depuis quelques semaines consacre ses deux premières pages à définir ce qu’est une mine. Le code de 1810 ne le précisait pas, et ceci n’a jamais empêché les contemporains de savoir de quoi il s’agissait sur tous les continents. Tout le monde sait ce qu’est une mine, et il n’y a sans doute pas un seul pays sur la planète qui n’en abrite au moins une. Il est vrai que la France ne compte pratiquement plus de mines aujourd’hui sur le territoire métropolitain, si l’on excepte les sites salins, les ardoisières et, je crois, une exploitation aurifère dans l’ouest du pays. L’uranium, le zinc, le fer et le charbon ne sont plus extraits de notre sol.

Le projet de réforme pérennise la législation actuelle. Il a au moins l’avantage de rouvrir le débat sur le contenu de la politique et du droit miniers. Il renforce l’encadrement légal et réglementaire de l’ouverture et de l’exploitation des mines, d’une manière si drastique que son adoption en l’état condamnerait probablement toute velléité d’ouverture d’un site en France dans les prochaines années. Les contraintes envisagées sont colossales et nous passerions à côté de beaucoup d’opportunités. Par exemple, dans le bassin charbonnier du Nord-Pas-de-Calais que je connais bien, un dixième seulement des ressources a été exploité. Il en reste donc 90 %, qui ne devront certainement pas être extraites dans les conditions d’hier et d’avant-hier puisqu’elles se situent entre 1 000 et 2 500 mètres de profondeur où la chaleur et le laminage des couches rendent l’accès difficile, mais dont les géologues pensent l’exploitation envisageable. Des richesses se trouvent également en Franche-Comté et dans le Morvan, pour ne parler que du charbon.

Je note, au passage, que l’Allemagne ne se prive pas d’exploiter ses propres mines de charbon, qui ne sont pourtant pas d’une qualité exceptionnelle, et que les dangers liés aux émissions de gaz carbonique ne la freinent guère. Dans la région de Cologne, ce sont des villages entiers qui ont été déplacés pour suivre des veines dont la durée de vie est estimée à trois cents ans. On peut douter que les Allemands renoncent spontanément à cette manne énergétique dans un avenir proche.

En ce qui concerne les permis d’exploration et d’exploitation, le projet de code minier se rapproche de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Cette convergence ne va pas dans le sens d’une simplification du droit car l’articulation des législations restera à définir. Une meilleure consultation du public est également garantie, ce qui peut ouvrir la porte à toutes les démagogies. Les habitants qui ne souhaitent pas d’ennui sont prêts à répondre n’importe quoi pour qu’on les laisse tranquilles ; il convient donc de s’entourer de toutes les garanties et d’une solide expertise. Il y a quelques années, des élus du sud-est m’avaient confié avoir renoncé à la construction du tronçon autoroutier reliant Grenoble à Sisteron en raison des procédures byzantines qui leur étaient imposées. Les enjeux économiques et les possibilités de développement sont pourtant considérables, comme ils le sont dans les dossiers miniers, et l’accumulation d’études d’impact et d’enquêtes publiques ne facilite pas l’action.

Le projet présenté ménage les différentes parties prenantes. Mais sa complexité alourdit les différentes procédures administratives. La création d’un schéma national minier de valorisation et de préservation du sous-sol doit être précisée pour prévenir les contentieux, sans quoi les industriels ne se risqueront pas à élaborer et à financer un projet. La procédure renforcée de consultation et de participation du public, de même, doit être détaillée car, en l’état, on comprend mal quelles seraient les conséquences de sa création.

L’institution d’un Haut Conseil des Mines fait écho à l’agence spécialisée que nous avions souhaité créer, sans succès, en 1994. C’est sans doute quelque chose qui peut être intéressant mais qu’il faudra expliciter.

Le Fonds national de l’après-mine serait financé par la redevance des mines. Laquelle ? L’actuelle redevance génère très peu de revenus, ce qui est logique puisque très peu de mines sont en activité. J’admets volontiers qu’il faut changer le système abracadabrant de l’indemnisation, qui est beaucoup trop compliqué dans sa version actuelle, mais une architecture solide doit lui succéder. L’État, qui octroie les permis, doit assumer ses responsabilités, et pas à travers d’invraisemblables usines à gaz.

Le délai requis pour l’élaboration du projet rend étonnant la persistance de tant d’imprécision dans le texte finalement publié. Je prends un exemple : pour les dommages de l’après-mine, il est fait référence à la « solidarité nationale » et à la « collectivité nationale ». De quoi s’agit-il exactement et quelle différence entre les deux expressions, s’il y en a une ? Nous ne savons pas.

Enfin, le texte publié n’aborde pas les départements et territoires d’outre-mer. Faut-il y voir une volonté d’étouffer l’activité minière en Europe et de la laisser se développer sans contrôle au-delà des mers ? L’or de Guyane et les champs pétroliers en mer sont pourtant des sujets à ne pas négliger. Les découvertes vont se succéder aux embouchures des grands fleuves : c’est fait pour le Congo, rien ne permet de l’exclure pour l’Amazone.

Si la France n’avait pas été un grand pays minier au siècle précédent, elle n’occuperait pas le rang qui est le sien parmi les nations. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, se sont élevés au statut de grande puissance en allant rechercher les richesses de leur sous-sol. C’est une dette que nous avons contractée envers les mineurs ; c’est aussi une leçon à méditer pour l’avenir.

M. Bertrand Pancher. La lourdeur des démarches administratives que généralise le projet publié est une réalité. Toutefois, il me semble que les perspectives d’une exploitation d’hydrocarbures de schiste justifient un maximum de précautions. Nous avons vu combien les citoyens accordent d’importance à ce sujet. N’aurions-nous pas eu intérêt à durcir les conditions d’exploitation de certains produits, gaz et huile de schiste au premier chef, et à aménager un cadre plus conciliant pour d’autres matières ? Mon département est voisin des mines de sel de Lorraine : je vois bien que ce ne sont pas exactement les mêmes problématiques. Quel est votre point de vue là-dessus ?

En ce qui concerne les indemnisations, je suis frappé par la réaction des populations face à la possibilité d’un stockage de gaz dans leur sous-sol. Aucune redevance ne vient compenser les risques qu’acceptent les collectivités locales. Ne faudrait-il pas innover dans cette direction ?

M. Jean-Pierre Kucheida, président de l’Association des communes minières de France. J’ai toujours eu une attitude sans ambiguïté sur les gaz de schiste. Je considère que l’état actuel de la connaissance ne permet pas leur exploitation dans de bonnes conditions en France. Toutefois, et je m’en étais ouvert à Jean-Paul Chanteguet quand j’étais encore parlementaire, je déplore qu’on arrête la recherche sur cette ressource. Quant au gaz de couche que j’évoquais tout à l’heure, qui n’est pas le gaz de houille qui s’échappe naturellement des anciennes installations et que nous devons extraire absolument pour des raisons de sécurité…

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pour ce gaz naturellement exhalé par les anciennes mines, nous préférons la dénomination de « gaz de mine ».

M. Jean-Pierre Kucheida, président de l’Association des communes minières de France. Je me range volontiers à votre vocabulaire, l’essentiel étant de bien définir ce dont nous parlons. Quant au gaz de couche, donc, qui repose dans les veines de charbon les plus profondes, sa problématique est très différente de celle des gaz de schiste. Le charbon est naturellement fracturé ; il n’y a pas lieu de procéder à une fracturation hydraulique. Je ne vois donc pas d’obstacle à une exploitation de cette richesse considérable que recèle notre sous-sol alors que 80 % du déficit de la balance commerciale découle des achats d’énergie. L’alternative consiste en un colossal investissement en direction des énergies nouvelles, mais je peine à identifier les capitaux qui pourraient jouer ce rôle. J’ai subventionné le solaire thermique ou photovoltaïque en tant que maire, mais les collectivités ont des moyens limités et je vois mal, en économie de marché, quel opérateur privé accepterait de s’engager avec suffisamment de force.

Pour ce qui concerne le gaz de schiste, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques devrait être à même d’informer l’Assemblée nationale sur la réalité du débat. Je comprends que la population s’inquiète quand la télévision montre des robinets qui s’enflamment à proximité des puits de forage américains. Les quantités phénoménales d’eau nécessaire à la fracturation et l’emploi d’adjuvants chimiques potentiellement toxiques sont également de nature à inciter à la prudence.

Vous avez évoqué l’indemnisation des collectivités qui acceptent d’abriter un stockage de gaz. Je n’ai jamais entendu parler d’un tel mécanisme, que je n’exclus pas absolument, mais il me semble que la fiscalité professionnelle ainsi que la taxe foncière bâtie sont déjà des formes de compensation financière dont bénéficient les communes hôtes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les grands groupes qui travaillent sur les hydrocarbures non conventionnels continuent à diligenter des recherches, certes pour beaucoup en laboratoire. C’est ainsi que l’on parle maintenant de fracturation par arc électrique ou par injection de propane. La connaissance avance, et tant mieux !

La fracturation hydraulique n’est pas nécessaire à l’exploitation du gaz de houille. J’ai rencontré une société présente dans les anciennes mines du Nord qui m’indiquait qu’un simple pompage serait suffisant. Les impacts environnementaux seraient donc très réduits.

M. Jean-Pierre Kucheida, président de l’Association des communes minières de France. C’est possible. Il faudra tout de même voir de quoi il retourne sur le terrain, et non simplement dans les approches théoriques.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est une remarque de bon sens. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation du groupe de travail.

14. Audition de MM. Sébastien Espagne et Claude Taton, membres du collectif Basta! Gaz Alès (18 décembre 2013)

M. Bertrand Pancher. Je remercie nos deux auditionnés d’avoir répondu favorablement à l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable dans le cadre de ses travaux préparatoires à la réforme du code minier. Je vous laisse immédiatement la parole afin que vous nous indiquiez votre sentiment sur le projet récemment communiqué au grand public.

M. Sébastien Espagne, membre du collectif Basta! Gaz Alès. Nous sommes tous deux de simples citoyens et nous tenons à remercier le groupe de travail de la commission du développement durable de prendre le temps de nous auditionner aujourd’hui. Notre engagement a commencé dans les collectifs spontanément constitués à la suite de la délivrance de permis exclusifs de recherches de gaz et d’huile de schiste à l’hiver 2011. Lorsque le Gouvernement a fait part de son intention d’orchestrer une réforme ambitieuse de la législation minière, nous nous sommes rapprochés d’associations voisines pour constituer une « commission code minier » afin de suivre la progression des travaux et de contribuer à la réflexion nationale. Nous ne sommes ni des experts, ni des juristes de formation. Notre « expertise citoyenne » se fonde sur l’expérience accumulée depuis 2011, sur nos discussions avec les autres collectifs français et internationaux, et sur l’adhésion massive des populations à notre engagement. En conséquence de ce qui précède, le regard que nous portons sur le projet de code minier privilégie les enjeux liés au gaz de schiste. Nous avons été marqués par les délivrances réalisées sans aucune consultation du public, dans le mépris des populations comme des élus locaux.

À partir de l’actuel code minier, nous avons formalisé trente-trois propositions que nous soumettons régulièrement à des parlementaires, individuellement ou à l’occasion d’auditions organisées par différents groupes de l’Assemblée nationale.

Les procédures actuelles d’octroi de titres miniers sont aberrantes, en complet décalage avec les attentes des acteurs locaux qui voient leur projet de développement socio-économique bouleversé sans le moindre débat par ces permis délivrés depuis Paris. La réforme doit permettre de recréer une harmonie entre la nation et les territoires à propos de la politique minière, dans une logique de développement durable et dans le respect de la transition énergétique. Quels choix opérer, quelles options retenir, quelles ressources exploiter, sont autant de questions auxquelles le code minier doit apporter un début de réponse.

La législation actuelle nous semble obsolète au regard des technologies employées par les industriels, en évolution perpétuelle, et en matière de respect de l’environnement, préoccupation légitime des populations apparue au cours des dernières années. Rien ne justifie l’absence de distinction entre les permis relatifs à des hydrocarbures conventionnels et ceux visant des hydrocarbures classiques. Suivant la matière recherchée, les techniques d’extraction employées et les impacts environnementaux varient du tout au tout. Or les travaux préparatoires issus de la commission présidée par Thierry Tuot ne prévoient toujours pas d’approche différenciée pour les explorations et les exploitations non conventionnelles. Aucun collectif citoyen ne pourra soutenir un projet de réforme porteur d’une telle lacune, alors que parmi les 115 demandes de titre minier d’hydrocarbures que nous dénombrons sur le territoire national, 97 nous paraissent concerner des gisements non conventionnels. En outre, 59 dossiers de permis exclusifs de recherche sont manifestement « à l’arrêt », dans l’attente du nouveau code minier.

Nous demandons l’intégration dans le code minier des objectifs proclamés par la Charte de l’environnement ainsi que sa conformité aux engagements internationaux de la France en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre. La protection des sols, des eaux et de la biodiversité doit devenir une ambition cardinale.

En ce qui concerne la méthode de concertation mise en œuvre par la commission présidée par Thierry Tuot, nous déplorons n’avoir jamais été conviés à prendre part à la réflexion commune. Malgré les sollicitations ministérielles en faveur de notre audition, la commission n’a jamais accepté de nous recevoir. En toute logique, le projet qu’elle a produit nous semble fort éloigné des principes qui guident notre action : je ne reviendrai pas sur la faible protection de l’environnement ou sur l’insuffisance des dossiers de demande de permis pour évaluer correctement l’impact économique et écologique d’une exploitation. Il nous semble pourtant que celui qui requiert un permis doit savoir un minimum comment il compte procéder, et qu’il est difficile d’évaluer la compatibilité de l’installation extractive avec l’économie du territoire en l’absence d’informations précises sur ce point.

Enfin, l’encadrement de l’après-mine et la responsabilité de l’exploitant une fois les opérations achevées doivent faire l’objet d’une réflexion. Nous venons d’Alès-en-Cévennes, qui est un ancien bassin minier. Ces problématiques nous sont donc familières ; nous savons qu’il incombe trop souvent aux collectivités territoriales de gérer les conséquences de l’après-mine, un demi-siècle après le départ des industriels.

M. Claude Taton, membre du collectif Basta! Gaz Alès. Nous pensons que la réforme doit procéder d’une évolution radicale des fondements du droit minier, qui repose pour le moment sur une logique productiviste, sur une économie linéaire, sur la consommation des ressources naturelles et sur le rejet exponentiel de déchets. Il faut prendre en compte le caractère fini des matières premières et organiser l’activité conformément aux principes du développement durable.

Nous avons identifié quatre axes fondamentaux de la réforme minière : les impacts environnementaux, la consultation du public, le schéma national de préservation et de valorisation du sous-sol, et la fiscalité.

En ce qui concerne la limitation des impacts de l’activité minière sur l’environnement, nous espérons des avancées réelles à l’occasion de la réforme. La prévention des risques écologiques et sanitaires ne peut être sérieusement recherchée qu’à la condition d’imprégner l’ensemble du processus de décision, dès l’instruction des demandes de permis d’exploration, au moyen d’une enquête publique et d’une étude d’impact détaillée. Ce n’est pas le cas dans le texte présenté par la commission Tuot. Nous sommes inquiets de ne lire nulle part l’obligation de solliciter l’avis des administrations compétentes en matière de protection de la santé publique et de l’environnement : comment le public peut-il être correctement informé dans ces conditions, et pourquoi les exploitants s’astreindraient-ils eux-mêmes au respect de contraintes qui affecteraient leur performance financière ? De la même façon, nous sommes frappés de constater de nombreux manques dans le dossier de demande de permis, qui ne contient par exemple aucun bilan d’émission de gaz à effet de serre. Or si ces demandes restent pratiquement aussi « muettes » qu’aujourd’hui, sur la base de quels critères l’administration choisira-t-elle de délivrer, ou de ne pas délivrer, les titres demandés ?

La participation du public, que nous espérons la plus complète et la plus en amont possible, doit comporter un aspect décisionnel. Elle ne doit pas se borner à assurer l’aval des populations à tous les projets, mais permettre de réellement prendre en compte les avis exprimés. Or les modalités prévues dans la procédure de délivrance des permis d’exploration se bornent à une simple consultation. Le projet issu de la commission Tuot s’inspire largement de la loi du 27 décembre 2012 mettant en œuvre la participation du public. Il crée certes une procédure renforcée d’information et de participation du public qui permet de suspendre l’instruction des demandes, de recourir à des contre-expertises et de garantir l’accès aux informations. Mais la lecture du projet laisse entendre que cette innovation n’aurait qu’un caractère exceptionnel et qu’elle serait décidée de façon discrétionnaire par l’autorité administrative. C’est une façon de vider cette innovation de son intérêt. Nous souhaiterions, au contraire, que l’exception devienne la règle et que toute délivrance de titre et toute autorisation de travaux entraîne la constitution d’un groupement momentané d’enquête. Par ailleurs, nous aimerions que le nouveau Haut Conseil des Mines soit associé à l’instruction des demandes et que des associations citoyennes représentent les populations en son sein.

Le schéma national minier de valorisation et de préservation du sous-sol définira bien plus la politique minière du pays que le code minier lui-même, qui ne regroupera jamais que des règles et des procédures. Le schéma déterminera les techniques utilisables et celles qui ne le seront pas, les matières exploitables et celles qui ne le seront pas, les zones de prospection et celles où l’industrie minière ne sera pas la bienvenue. C’est un document essentiel dès lors qu’il possède une valeur prescriptive, ce que nous souhaitons : s’il est opposable aux titres miniers, il pourra valablement définir les conditions d’exploration et d’exploitation sur le territoire national. Au contraire, une planification indicative serait dépourvue d’intérêt. Dans l’état actuel du texte, nous ne sommes pas certains que le code minier soumette l’industrie extractive aux considérations relatives à la biodiversité, à l’aménagement du territoire et à la protection de la santé publique.

J’en viens à la thématique fiscale. Nous ne pouvons pas accepter que les redevances aient pour seul objectif de garantir l’acceptabilité sociale des projets par la distribution de revenus aux communes concernées. Un dommage éventuel doit être réparé, mais par l’engagement de la responsabilité du fautif et non à travers le produit de la fiscalité minière. Le projet présenté transfère aux collectivités territoriales une fraction des ressources fiscales prélevées, d’ailleurs pour partie convenues avec l’opérateur minier par voie conventionnelle. Cette logique d’incitation financière ne nous satisfait pas. Les ressources minières sont un bien national ; la rente économique qui découle de leur exploitation devrait être entièrement dévolue à l’État. Les recettes collectées pourraient servir au développement de l’économie circulaire, et plus encore si le niveau dissuasif des prélèvements pouvait conduire l’industrie à se pencher sur l’existant au lieu de privilégier sans cesse de nouvelles extractions. Nous préserverions ainsi les ressources rares pour les générations futures tout en générant des moyens pour une compensation écologique à l’échelle des territoires.

Nous sommes maintenant à la disposition des parlementaires pour toutes les questions qu’ils voudraient poser.

M. Bertrand Pancher. Il serait bon que le dossier de demande de permis mentionne la nature, conventionnelle ou non conventionnelle, des hydrocarbures recherchés. Toutefois, nous avons entendu des entreprises spécialisées dans la prospection qui ont souligné que le propre de la recherche est d’ignorer le plus souvent ce que l’on va trouver. La frontière entre conventionnel et non conventionnel est parfois ténue. Est-ce vraiment envisageable de définir a priori la nature des hydrocarbures recherchés ?

Votre approche de la réforme, vous l’avez dit, est influencée par le prisme de lecture des gaz de schiste. Mais le code minier concerne de nombreuses matières minérales pour lesquelles les problématiques sont sensiblement différentes. Pensez-vous que vos préconisations sont également pertinentes, par exemple, pour les mines métalliques ?

Je pense que le projet dont nous discutons a une ambition plus limitée que celle que vous lui prêtez. Il consiste à réformer le code minier, non à redéfinir la politique énergétique de la France. Espérer que cette loi réponde à l’ensemble de vos espérances relève peut-être du vœu pieux. En revanche, le renforcement de la participation du public est bien l’un des objectifs poursuivis, sans toutefois en venir à des mécanismes de démocratie directe. La société civile doit être concertée, non décisionnaire. La procédure du groupement momentané d’enquête, qui permet de recourir à des contre-expertises, me séduit tout autant que vous. Mais souhaitez-vous vraiment y recourir pour la totalité des demandes à l’instruction ? Est-ce vraiment toujours nécessaire et utile ?

Enfin, je retiens des remarques relatives à la composition du Haut Conseil des Mines et à la force juridique du schéma national minier. Ce sont de véritables sujets. En faveur de quel équilibre plaidez-vous dans l’attribution des sièges aux différentes parties prenantes au sein du Haut Conseil ? Comment pensez-vous possible de dresser un schéma prescriptif qui prévoit à l’avance les usages autorisés du sous-sol alors même que ledit sous-sol nous reste en grande partie inconnu à l’heure actuelle ; n’est-ce pas prendre le risque de figer la situation alors que le projet élaboré aurait plutôt vocation à ouvrir le jeu ?

M. Sébastien Espagne, membre du collectif Basta! Gaz Alès. Je suis surpris que les industriels du pétrole vous aient fait part de doutes sur le caractère conventionnel ou non conventionnel des gisements qu’ils prospectent. Les géologues savent parfaitement déterminer, en fonction des profondeurs des forages et des sites exploités, la nature de la matière qui sera extraite. Les entreprises laissent perdurer un flou qui leur sert d’argument, mais dont la véracité me semble contestable. Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, auquel je me réfère le moins possible car je ne partage pas ses conclusions, a le mérite de nommer les choses : un hydrocarbure non conventionnel est un hydrocarbure qui ne peut être extrait par simple pompage. Je crois difficile de concevoir un code minier, en 2014, qui fasse l’impasse sur cette définition. Cette faille juridique profite excessivement aux industriels pour éviter d’appliquer la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire la fracturation hydraulique.

Un schéma national minier permettrait l’articulation des politiques énergétique et minière. Tel qu’imaginé par la commission présidée par Thierry Tuot, il présente le mérite de poser la question de l’usage que nous souhaitons faire des ressources de notre sous-sol : où les exploiter, comment les exploiter et pourquoi les exploiter. Je doute qu’il revienne finalement au Parlement de le voter, comme il en était question il y a quelques mois, mais c’est important de concilier les priorités dans un document-cadre. On se rendrait compte, alors, qu’il est difficile de plaider en même temps pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour l’investissement de sommes considérables dans l’extraction de ressources fossiles.

M. Claude Taton, membre du collectif Basta! Gaz Alès. Nous ne souhaitons pas la création de mécanismes de démocratie directe dans le code minier, qui verraient les citoyens décider des projets à soutenir ou à bannir. Nous nous sommes mal compris : notre demande se limite à la recherche d’une véritable association des populations à la décision des pouvoirs publics. Tout projet minier a un impact sur l’environnement des personnes, sur leur cadre de vie et sur l’aménagement du territoire. Dans les Cévennes, en Ardèche, en Provence, les orientations retenues par les élus locaux pour le développement de l’économie locale, qui font souvent une part importante au tourisme et à la protection des sites, s’accommoderaient fort difficilement de l’installation d’équipements d’exploitation de gaz de schiste. Les gens auraient, à tout le moins, leur mot à dire.

Or le projet qui nous est soumis prévoit simplement, pour le droit commun des permis de recherche, une consultation du public par voie électronique. C’est naturellement insuffisant dans la mesure où l’exploitation suivra presque automatiquement en cas de succès de la prospection. La procédure renforcée n’aura pas pour effet de bloquer les choses ; elle permettra surtout d’apporter une autre lecture que celle des opérateurs à la disposition du public. Garantir la transparence est la meilleure façon de dissiper les craintes instinctives.

Les enjeux environnementaux et d’information du public sont bien présents dans un dossier actuel. À Tritteling-Redlach, en Moselle, la société EGL recherche en ce moment du gaz de couche. Les travaux ont été interrompus sans que l’on en sache la raison et, plus grave, personne ne connaît la destination des effluents et des boues de forage. Personne n’est capable de dire où elles sont acheminées et comment elles sont traitées alors que des riverains ont questionné les services de l’État. L’absence de réponse est anxiogène. C’est notre principale préoccupation : comment communiquer l’information, comment renseigner les populations. Il n’est pas question d’entraver la marche de l’industrie ou de figer la situation dans ce cas concret.

En ce qui concerne le Haut Conseil des Mines, sa composition devra naturellement être équitable. Tous les acteurs concernés devront être présents : collectivités territoriales, parlementaires, associations de protection de l’environnement et de la santé, syndicats, scientifiques, opérateurs… Nous demandons simplement à être considérés à l’égal des autres, ni plus ni moins. Solliciter l’intervention du Haut Conseil des Mines dans la procédure nous semble pertinent dans une démarche sincère de participation du public. À l’aune de l’expérience des gaz de schiste à Alès, où une véritable expertise scientifique a pu être mobilisée pour vérifier les dires de la société détentrice du permis, nous sommes convaincus du bien-fondé de nos préconisations.

M. Bertrand Pancher. Je vous remercie de cet exposé très complet, qui figurera au compte rendu de nos travaux. Je précise que vos documents écrits seront transmis aux membres du groupe de travail par le secrétariat de la commission du développement durable.

15. Audition de M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe et Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy, et M. Lubomir Roglev, avocat (15 janvier 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais remercier les représentants de Vermilion Energy d’avoir accepté l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la réforme du code minier. Je crois savoir que vous avez été associés aux réflexions de la commission préparatoire présidée par M. Thierry Tuot, qui a désormais officiellement remis aux ministres chargés de l’écologie et du redressement productif les sept livres constituant le projet de réforme élaboré par ses soins. Je ne sais pas si les dispositions relatives à la fiscalité et à l’outre-mer ont également été présentées, nous n’en avons en tous les cas pas encore été rendus destinataires.

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Je me réjouis d’avoir l’occasion de présenter à l’Assemblée nationale le regard que jette la société Vermilion sur le projet de réforme du code minier proposé par la commission Tuot. Je m’astreindrai à une présentation liminaire relativement brève pour ménager un maximum de temps aux échanges entre nous.

Vermilion est une entreprise créée il y a vingt ans dans l’Ouest canadien. Elle est aujourd’hui toujours présente au Canada, mais son activité s’est étendue à l’Europe et notamment à la France, aux Pays-Bas, à l’Irlande et prochainement à l’Allemagne. Nous opérons également en Australie. Le total de notre production dans tous ces pays atteint approximativement 40 000 barils quotidiens de pétrole et de gaz. Le rachat de certains actifs d’Esso, en 1997, a marqué le début de la croissance de la compagnie sur le territoire français, principalement en Aquitaine et en région parisienne. Nos actifs en France produisent désormais 12 000 barils de pétrole par jour et un peu de gaz, ce qui correspond à 30 % de l’activité internationale du groupe. Depuis 2006, nous sommes le premier producteur de pétrole de France ; depuis 2012, nous sommes aussi le second producteur de gaz – et même sans doute le premier depuis l’automne dernier et la réduction de l’activité du site de Lacq.

Nous sommes donc particulièrement exposés aux évolutions du marché français, et nous sommes également importants pour le secteur français des hydrocarbures puisque nos vingt-six concessions constituent le tiers des concessions en fonctionnement sur le territoire – il faut encore y ajouter cinq permis exclusifs de recherches. Tout ceci mobilise un peu plus de 700 personnes dont 170 salariés de Vermilion et un demi-millier d’employés dans des sociétés sous-traitantes. Jusqu’en 2009, nos experts en géologie et en géophysique étaient basés au Canada ; depuis lors, cette équipe de quarante spécialistes a été installée en France pour développer des projets sur nos concessions dans le pays.

Nous avons repris des sites d’Esso et de Total découverts dans les années 1940 et 1950. Notre modèle économique consiste à prolonger la durée de vie de ces gisements dits « matures » qui présentent encore un fort potentiel adapté aux moyens d’une société de notre taille – les majors préfèrent se départir de ce type d’actifs pour affecter leurs équipes et leurs experts au développement de projets correspondant à leur dimension. Depuis 1997, nous avons investi plus d’un milliard d’euros en France, pour plus de cinquante forages et quelque 1 500 interventions sur les puits, afin de maintenir opérationnels les gisements dont nous disposons. Du point de vue fiscal, nous allons contribuer à hauteur de 75 millions d’euros en 2013, dont 12 millions d’euros de redevances locales.

Depuis notre arrivée en France, nous nous attachons à tisser des liens sur les territoires où nous intervenons, tant avec les élus locaux qu’avec le monde associatif et les médias. Notre métier est d’autant mieux accepté que nous le faisons connaître. Cela passe par différents partenariats, par exemple à Parentis-en-Born, dans les Landes, où l’eau chaude générée par notre activité permet à un cultivateur de tomates de chauffer entièrement ses serres. Cela représente un investissement de 12 millions d’euros et la création de 150 emplois. Nous sommes heureux de valoriser ainsi les calories géothermiques qui étaient autrefois perdues, et nous espérons prochainement pouvoir utiliser le gaz que nous devons pour le moment passer à la torchère. Nous chauffons aussi un éco-quartier de 450 logements dans le bassin d’Arcachon ; nous prévoyons l’installation de serres à proximité de nos puits de Seine-et-Marne pour fournir à très faible coût aux agriculteurs locaux la chaleur dont ils ont besoin. Quant à nos actions sociales, elles mobilisent 100 000 euros de soutien à des associations caritatives et à des jardins d’insertion. Partout où nous travaillons, dans les six départements de l’Essonne, du Loiret, de la Seine-et-Marne, de la Gironde, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, nous attachons une grande importance à notre bonne insertion dans la communauté.

Parce que la France est un élément fondamental de la stratégie du groupe, parce que nous y avons investi 30 millions d’euros en 2012 et 80 millions d’euros en 2013, Vermilion est très concerné par l’évolution de la politique et de la législation minières. Le blocage des permis de recherches à la suite de la crise de 2011 a eu un impact sur les activités de la société. Nous avons quinze demandes de permis d’exploration qui tardent en phase d’instruction, dont un dossier que nous savons clairement menacé. Or nous avons besoin de découvrir de nouvelles réserves pour prolonger notre activité.

Nous identifions quatre objectifs majeurs que doit satisfaire la réforme. En premier lieu, toutes les parties prenantes doivent trouver des réponses à leurs interrogations. Ensuite, il convient de concilier les impératifs d’équilibre économique et de protection de l’environnement. Les procédures et les délais doivent être modernisés. Enfin, il faut assurer la stabilité et la prévisibilité du droit applicable comme de la fiscalité. On ne part pas de rien puisque la filière minière s’appuie sur une expérience de quelque soixante-dix années sur le territoire. L’histoire n’est pas terminée : nos investissements croissants en témoignent ; ils devraient atteindre 100 millions d’euros en 2014 et susciter vingt recrutements supplémentaires. Notre plan stratégique à l’horizon 2020 prévoit d’ailleurs une enveloppe globale de 100 millions d’euros pour notre activité française.

La commission présidée par M. Thierry Tuot a travaillé avec beaucoup de sérieux pour rendre ses conclusions en décembre dernier. Je vais rapidement dénombrer les éléments qui nous satisfont avant d’en venir aux dispositions dont le bien-fondé ne nous paraît pas des plus évidents. Nous jugeons positivement le maintien à 80 % du code minier actuel dans la nouvelle version, de même que le rapprochement du régime des mines avec ceux de l’urbanisme et de l’environnement, l’encadrement des délais procéduraux ou encore le principe d’accord tacite en cas de silence de l’administration.

Quatre points soulèvent nos interrogations. Nous regrettons que le développement économique et la création d’emploi n’entrent pas dans la définition de l’intérêt général portée par le code minier aux côtés de la protection de l’environnement, des impératifs de sécurité et des préoccupations de santé publique. C’est la condition d’une valorisation effective des ressources du sous-sol.

En ce qui concerne les procédures, second point d’inquiétude, nous appliquons en toute sécurité le code minier actuel depuis seize ans sans rencontrer de difficultés. L’organisation d’une convergence entre les autorisations de travaux miniers et celles du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) nous semble porter davantage de complications que de simplicité en faisant table rase des règlements patiemment élaborés depuis soixante-dix ans et de l’expérience accumulée par les opérateurs de terrain. Nous ne sommes pas hostiles à un rapprochement, mais nous doutons fortement de l’opportunité d’une fusion pure et simple.

Il en va de même du schéma national minier qui pourrait avoir valeur prescriptive : nous interprétons ces prescriptions comme des réductions qui pourraient remettre en cause les concessions que nous détenons et que nous exploitons aujourd’hui. Certains de nos sites se trouvent à proximité d’un lac, d’un cours d’eau, d’une forêt ou d’une grande ville. Faudra-t-il les fermer si le schéma les écarte ? Nous préférerions, pour éviter toute menace d’ordre juridique et réglementaire, un document de portée indicative. Enfin, la détention d’une concession dispense de l’octroi d’une déclaration d’utilité publique sur des aménagements significatifs devant être menés : nous souhaiterions voir perdurer cette équivalence afin d’éviter de nouvelles procédures forcément sujettes à contentieux.

Dans le domaine fiscal, M. Thierry Tuot a proposé de maintenir la redevance communale et départementale des mines en permettant une révision périodique de son taux, ce qui menacerait la visibilité de nos activités. Il suggère également que cette redevance tienne compte des impacts sur l’environnement local et qu’elle soit partiellement négociée entre le détenteur du titre minier et, dans un premier temps, un syndicat de communes puis, dans un second temps, la région. Les six départements dans lesquels nous sommes présents doivent abriter approximativement 400 communes. Je laisse à chacun imaginer le temps et les efforts que mobiliserait la signature d’autant de contrats préalables, alors même que les nuisances locales se concentrent sur les quarante jours nécessaires au forage des puits. Ces deux propositions sont donc inacceptables de notre point de vue, et nous militons en faveur d’un statu quo en ce qui concerne la fiscalité des sites existants.

Nos investissements pour le développement de nos concessions ont été calculés selon des conditions financières données, qu’une évolution des modalités de calcul des redevances minières viendrait forcément bouleverser. En revanche, si cette modification ne concernait que de nouvelles installations, elle serait plus facilement gérable pour nous dès lors que les contraintes administratives afférentes resteraient raisonnables. Par ailleurs, nous constatons un retard considérable dans la distribution des fruits des redevances aux collectivités locales : notre production de l’année 2013 donnera lieu à un paiement en 2014 qui ne sera versé par l’État aux communes concernées qu’en 2015. Quand nous forons cinq puits, comme cette année, en Seine-et-Marne, qui accroissent notre production de 2 000 barils quotidiens, le maire du territoire n’en touchera les bénéfices que deux ans plus tard. Nous pensons que le système pourrait être amélioré pour mieux rétribuer les collectivités territoriales qui accueillent nos activités.

Il est prévu que les détenteurs de titre minier présentent des garanties financières pour toutes leurs installations extractives. Ce n’est pas impératif aujourd’hui, et nous souhaiterions que cette situation perdure. Il revient à l’administration de vérifier que les concessionnaires disposent bien des moyens d’assumer un éventuel accident ou une remise en état du site après l’exploitation, en fonction des risques encourus.

Enfin, la réforme propose une responsabilité de l’exploitant pendant cinquante ans pour l’après-mine, avec vingt années de surveillance de droit commun et trente années additionnelles en cas de risque avéré. C’est excessif et l’investissement en serait grandement freiné, peut-être au point de provoquer chez certains opérateurs l’abandon de leurs opérations sur le territoire français.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de cette présentation très complète. Vous avez évoqué les demandes de permis actuellement en cours d’instruction, dont un serait bloqué. Quel est le type d’hydrocarbures concerné ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Les quinze dossiers sont relatifs à des gisements de pétrole et de gaz conventionnels. Ils se situent dans des territoires (Seine-et-Marne, Marne et Essonne) où des puits fonctionnent déjà. Il ne devrait donc pas y avoir de grosse difficulté en termes d’acceptabilité. Nous prévoyons d’investir 34 millions d’euros dans ces projets.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Comment, alors, expliquer le blocage ? Est-ce lié au climat de suspicion provoqué par les débats autour du gaz de schiste ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Il y a un peu de cela. Je crois aussi que les différentes parties prenantes souhaitent parvenir à une transparence accrue dans les conditions d’attribution des titres miniers. Nous avons eu la chance de voir des dossiers aboutir au cours des douze derniers mois, mais il s’agissait principalement de demandes de prolongation de nos concessions d’Aquitaine. La situation en Île-de-France a l’air plus sensible.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Est-ce lié à la réforme imminente du code minier, qui conduirait l’administration à attendre les nouvelles règles au lieu d’appliquer celles vouées à évoluer ? Pensez-vous qu’une accélération de la procédure législative serait en mesure de faciliter le cheminement de vos dossiers ?

Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy. C’est ce que l’on entend aujourd’hui. Toutefois, la procédure d’attribution des permis exclusifs de recherches a fait l’objet d’une loi destinée à régulariser les conditions de la participation du public en 2012. Un des dossiers bloqués a d’ailleurs fait l’objet d’une publication par voie électronique et d’un recueil des opinions du public pendant 90 jours. Les instruments juridiques existent et fonctionnent. Par conséquent, le blocage est d’une autre nature.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Êtes-vous inquiets de l’aboutissement de ces dossiers ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Nous sommes plutôt confiants : la situation ne peut que s’améliorer et notre engagement en faveur de l’activité pétrolière n’a jamais été pris en défaut au cours de nos seize années de pratique. Depuis deux ans, nous nous sommes soumis à une dizaine d’enquêtes publiques que nous doublons fréquemment d’une communication dans les médias pour une information optimale des populations et une transparence à même d’apaiser. Nous sommes donc dans l’attente, tout au plus espérons-nous une finalisation de la procédure dans des délais raisonnables.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Seriez-vous favorables à ce que le code minier établisse une distinction entre les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Nous produisons un peu de pétrole de roche-mère en Seine-et-Marne depuis 2010, et il est impossible de le distinguer d’un pétrole conventionnel sur la base de ses propriétés physiques. Inscrire une différenciation dans la législation compliquerait l’évaluation des potentialités des gisements à l’avenir.

Il revient au pouvoir politique de décider s’il convient, ou non, d’explorer le sous-sol à la recherche d’hydrocarbures non conventionnels exploitables dans de bonnes conditions de sécurité et de rentabilité – question à laquelle personne ne peut aujourd’hui répondre en France. Nous savons que la Seine-et-Marne en recèle, par exemple, mais il faut prévoir dix à quinze ans de travaux suivant les territoires pour déterminer si une extraction est économiquement et techniquement envisageable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ce n’était pas une question-piège. Comme vous le savez, plusieurs permis exclusifs de recherches ont été annulés à la suite de la loi du 13 juillet 2011. Je vous crois volontiers quand vous indiquez ne pas pouvoir différencier les deux types d’hydrocarbures, mais les méthodes d’exploration et d’exploitation ne sont pas les mêmes. Elles légitiment l’existence de procédures différentes pour répondre à des enjeux et à des impacts significativement différents.

Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy. C’est effectivement la méthode d’extraction qui change, et non la substance. Par conséquent, il semble plus logique d’interdire la méthode que la substance elle-même. Je pense qu’il serait très compliqué de décrire dans le code minier les caractéristiques physiques d’une matière ou d’un réservoir géologique.

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. J’ajoute que, depuis 2009, Vermilion réalise en Alberta des forages horizontaux suivis de fracturations hydrauliques, dans le respect des prescriptions réglementaires provinciales. Nous essayons de réduire l’incidence de cette activité sur l’environnement, notamment en limitant les quantités d’eau utilisées, en recourant à des stocks non potables et à des additifs biodégradables. Nos relations avec l’administration et les parties prenantes se déroulent en toute transparence.

Mme Florence Delaunay. Je vous remercie des informations que vous nous apportez. Vous avez regretté l’absence du développement économique et de la création d’emplois parmi les objectifs affichés du projet de code minier. Si j’en crois votre expérience sur le territoire aquitain, vous avez repris des puits qu’Esso et Total ne jugeaient plus rentables et que vous parvenez pourtant à exploiter dans de bonnes conditions financières. Comment expliquer cette différence, et quelles conséquences en tirer dans la législation ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Nous constatons que le projet de code minier ajoute des procédures administratives et des contraintes financières. Si l’engagement en faveur de l’économie et de l’emploi était mis en avant, nous considérons qu’ils remettraient en perspective ces nouvelles complexités. C’est un élément qui entre dans nos calculs au moment d’arrêter le montant de nos investissements en France.

Nous avons effectivement repris des gisements anciens, et fréquemment redémarré des puits arrêtés depuis quinze ou vingt ans. Le code minier actuel nous permet de travailler de manière organisée et prévisible. Il nous donne satisfaction mais nous comprenons l’intérêt d’une réforme pour apporter davantage de transparence et de consultation du public. Ce sont des objectifs que nous soutenons. Toutefois, nous voudrions sentir une volonté d’améliorer l’architecture juridique présider aux réflexions et non, seulement, celle d’entraver le développement de notre industrie.

Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy. Tout le projet de code minier est articulé autour de la notion d’intérêt général, qui doit guider l’administration dans son instruction des dossiers. Si cette notion ne contient ni dimension économique ni volet social, ne perdureront que les considérations environnementales et sanitaires. Or elles sont nécessaires mais pas suffisantes !

M. Lubomir Roglev, avocat. Je me permets de brièvement intervenir pour rappeler que le développement économique est bien distinct de la question de la rentabilité. Ce qui n’est pas rentable pour quelqu’un peut l’être pour quelqu’un d’autre. En l’occurrence, nous souhaitons que l’administration fonde sa décision, en partie du moins, sur l’élévation du bien-être économique de la collectivité que provoque l’ouverture d’une installation minière.

Mme Sabine Buis. J’ai du mal à adhérer à votre raisonnement. Le fait même de maintenir un code minier autonome et de ne pas le fondre dans le code de l’environnement, comme il en a été question il y a quelques mois, montre que l’État n’occulte pas l’objectif de développement économique derrière un parti-pris exclusivement écologique. Ce développement économique, par ailleurs, ne passe pas forcément sur l’extraction d’hydrocarbures. Il existe d’autres opportunités dans les énergies renouvelables, d’autres formes de création de richesse. Je comprends qu’il existe une industrie pétrolière et qu’elle ne doit pas disparaître du jour au lendemain. Je crois à une transition dans l’avenir, je crois qu’il ne faut pas rester cantonné dans des visions passéistes, mais cela prendra du temps.

J’ai rapporté la loi de 2012 que vous avez évoquée sur la participation du public. Elle a suscité des réticences qui se sont retrouvées dans vos propos, et on sent bien que ses prescriptions ne sont pas toujours mises en œuvre de grand cœur. Vous avez fait part de votre hostilité à l’extension à cinquante ans de la responsabilité des opérateurs miniers une fois l’exploitation fermée. Mais quand on est transparent et responsable, on assume les conséquences de ses actes dans la durée. Ce serait une vraie preuve de responsabilité d’accompagner cette évolution.

J’entends votre discours, qui est légitime puisque vous défendez votre activité. Mais du point de vue philosophique, j’aurais tendance à adopter une autre perspective.

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Vermilion s’attache à systématiquement respecter les règles qui gouvernent notre activité, voire à les dépasser. Dans ces conditions, l’abandon des puits et la remise en état des sites permettent de gérer les risques. Cinquante années de responsabilité après la fermeture nous semblent à la fois long et contraignant dans le calcul de risque des investissements.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Connaissez-vous les prescriptions de la législation canadienne en matière d’après-mine ?

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Je n’ai pas le délai en tête, mais l’encadrement est très précis. L’administration locale diligente de très nombreux contrôles avant de délivrer son quitus. Je suis toutefois persuadé que l’engagement est bien en-deçà de cinquante ans.

M. Lubomir Roglev, avocat. Cinquante ans, c’est extrêmement dérogatoire au droit commun de la responsabilité. Je n’ai jamais vu ça de mes yeux de juriste ! Plus problématique, cette longue durée laisse présager des confusions de responsabilité car il est probable que le site sera à nouveau occupé par un opérateur économique avant l’expiration du délai. Comment imputer justement à l’un et à l’autre ce qui relève bien de l’un et de l’autre ?

Mme Françoise Dubois. J’ai été surprise de vous entendre parler des problèmes que pourrait rencontrer l’exploitant au moment de remettre les sites en état. S’il y a des incidents, si l’opérateur manque de capacités financières, cela ne doit pas équivaloir à une exonération de responsabilité.

Il y a dans ma circonscription un site fermé depuis vingt ans et abandonné par son exploitant dans un état lamentable. Vingt ans, c’est finalement peu à l’échelle d’un territoire. Les contentieux sont toujours en cours malgré les sommations du préfet. Cinquante années ne me semblent pas déraisonnables.

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. En ce qui concerne les capacités financières de l’exploitant, l’administration exige qu’elles soient démontrées au moment de la demande de titre minier. Elle procède aussi à un contrôle annuel sur chaque détenteur de titre minier en cours de validité.

En outre, nous devons présenter des garanties qui, pour nous, sont assurées par notre maison-mère depuis 1997. Si nous étions défaillants en tant que filiale française, c’est la société canadienne qui honorerait ses engagements. L’exigence de garanties complémentaires que prévoit la réforme nous paraît donc exagérée : si le travail de l’administration est correctement réalisé, aucun dérapage ne peut avoir lieu.

Je ne connais pas l’exemple auquel vous faites référence ; je peux simplement vous affirmer qu’il ne serait pas reproductible sur les sites de Vermilion. C’est d’autant plus important que la qualité de notre travail en France constitue notre « carte de visite » au moment de solliciter des titres miniers dans des pays étrangers – en Allemagne notamment.

M. Lubomir Roglev, avocat. J’ajoute que si l’entreprise est défaillante et si la société-mère est également défaillante, les garanties financières ne garantiront pas grand-chose. Les précautions doivent être prises a priori, au moment de l’examen des dossiers et des contrôles annuels. Cumuler les garanties fera augmenter les coûts de production, mais n’apportera aucune sécurité supplémentaire. Quant à l’hypothèse d’un opérateur de mauvaise volonté, là encore, alourdir les procédures ne résout pas le problème.

M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe de Vermilion Energy. Nous gérons sept dépôts pétroliers sous le régime du code minier. Un autre, en Gironde, est soumis au code de l’environnement dans le cadre ICPE : la garantie financière associée correspond à 2,5 millions d’euros. Si les sept autres sites rejoignaient cette réglementation, nous devrions immobiliser 15 à 20 millions d’euros. Nous préférons investir ces sommes sur le territoire que les laisser dormir en banque.

Quant à la remise en état, nos états financiers français font apparaître notre engagement à hauteur de 200 à 250 millions d’euros. Ce chiffre a été approuvé par l’administration. Il est inclus dans notre bilan. Nous pouvons donc assumer nos responsabilités dans le futur, et tout le monde peut s’en assurer.

Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental, de Vermilion Energy. La réglementation de l’après-mine s’est fortement renforcée au cours des dernières années. Peut-être le site abandonné mentionné tout à l’heure à titre d’exemple était-il soumis aux prescriptions antérieures, plus permissives ? Depuis 1999, on ne peut plus laisser un site orphelin sans que des travaux de remise en état soient ordonnés.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation car cette audition a été très instructive. Je signale aux membres du groupe de travail que les documents que vous laissez à leur disposition leur seront communiqués par le secrétariat de la commission du développement durable.

16. Audition de M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public à l’Université Jean Moulin-Lyon 3 (15 janvier 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir accepté l’invitation du groupe de travail de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la réforme du code minier. Votre lecture du projet présenté par la commission présidée par Thierry Tuot sera intéressante pour apprécier, d’un point de vue juridique, les novations qu’il contient.

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. Je crains de décevoir le groupe de travail car je n’ai pas eu à ma disposition le projet de la commission Tuot dans sa version finale. Néanmoins, je pense qu’il reviendra pratiquement au même de pointer les dysfonctionnements du code actuel et de formuler quelques commentaires sur les moyens de les résorber.

Les enjeux d’une réforme dépassent les seules demandes de renforcement de la participation du public, c’est-à-dire de la suppression de la dichotomie entre les régimes déclaratif et d’autorisation. Rien ne me semble justifier la différence de traitement entre les matières extractibles. Dans le régime des ICPE, les différentes procédures se justifient par une dangerosité différente en fonction des quantités et des qualités des installations. Dans le code minier, je ne vois pas ce qui distingue la délivrance d’un permis de type H (hydrocarbures) de celle d’un permis de type M (autres matières). Je sais pourquoi cette facilité existe : parce qu’on a voulu alléger la procédure au moment où l’activité pétrolière désertait le territoire. Mais je peine à saisir les bienfaits de cette évolution, coûteuse en termes de transparence et donc d’acceptabilité.

La directive européenne sur les permis miniers autorise les États à requérir une évaluation environnementale simplifiée plutôt qu’une étude d’impact de droit commun. Les risques induits par l’activité minière ne sont pourtant pas moindres, simplement différents. Uniformiser le régime de l’étude d’impact me paraîtrait assez souhaitable.

En ce qui concerne l’alignement du code minier et du régime des installations classées, j’essaie d’en mesurer les avantages et les inconvénients. A-t-on intérêt, à terme, à ce que toutes les autorisations administratives rejoignent le modèle des ICPE ? Si on rapproche le droit minier, pourquoi pas demain les réacteurs nucléaires comme hier les éoliennes ? Les enjeux financiers sont élevés et encouragent à accélérer le temps de l’administration, mais un mois d’enquête de plus ou de moins retarde-t-il fondamentalement l’industrie quand on parle de concessions octroyées pour vingt ans ?

L’histoire explique la juxtaposition d’une législation minière et d’une réglementation ICPE, et je pense qu’il ne faut pas aller plus loin pour expliquer la coexistence de ces deux cadres aujourd’hui. Le décret de 1810 sur les établissements dangereux, incommodes et insalubres a été adopté la même année que la loi sur les mines, mais sans que soit recherchée une quelconque concordance entre les deux. Les préoccupations de l’époque n’étaient pas celles d’aujourd’hui : pour un texte, il fallait permettre aux manufactures de fonctionner dans un contexte de voisinage sans se soucier des inquiétudes du voisinage et de l’autorité municipale de police ; pour l’autre texte, la France souhaitait renforcer ses capacités d’extraction de matière première alors qu’elle soutenait une guerre contre la moitié de l’Europe. Par ailleurs, les autorités de la Révolution avaient libéralisé la recherche jusqu’à cent pieds ; tout le monde commençait à creuser n’importe où sans contrôle public. Il y a aussi une différence d’approche fondamentale : on peut toujours éloigner une usine de son voisinage alors qu’un gisement doit être exploité sur place. Enfin, la place éminente du corps des mines dans l’appareil d’État explique certainement en partie le choix de laisser perdurer un régime dérogatoire.

Dès lors que la réglementation ICPE ne fonctionne plus seulement sur une logique d’éloignement, je ne vois plus d’obstacle à un rapprochement avec le droit minier. Que se passerait-il dans cette hypothèse ? La présence d’éléments communs faciliterait une fusion : des sanctions administratives sont prévues dans les deux cas ; le contrôle administratif après la fermeture de l’exploitation existe dans les deux cas – même si le droit minier admet des durées beaucoup plus longues ; les régimes de délivrance sont à peu près similaires…

En outre, les installations de surface de l’industrie minière relèvent déjà de la réglementation ICPE, de même que le droit des carrières. Or en quoi une carrière souterraine est-elle fondamentalement différente d’une mine souterraine, et une carrière à ciel ouvert d’une mine à ciel ouvert ? Le code minier concerne des matières présentant un intérêt stratégique, mais c’est une considération politique ; elle n’est ni juridique ni technique. En outre, le code minier fait obligation à l’exploitant de porter le site à son plus haut niveau de productivité à peine de se voir retirer sa concession, ce qui n’existe pas en matière de carrières.

Le sort réservé à l’inventeur de ressources minières dépourvu de permis exclusif de recherches est intéressant. Il n’est indemnisé qu’à raison de l’ensemble des travaux réalisés pour identifier les ressources. La valeur de la découverte n’entre pas dans l’équation. L’État sera libre de reprendre l’exploitation à son compte ou de la concéder au tiers le plus à même de la valoriser. Cette approche productiviste distingue nettement le code minier de la règlementation applicable aux carrières.

Les garanties financières sont élevées dans le domaine minier en raison des très grands risques que fait courir cette activité à son voisinage. Certes le code prévoit un retour de la mine à l’État, mais les conséquences sont telles qu’une responsabilité de long terme est prévue depuis la fin des années 1990. Les éoliennes ne suivent pas exactement le régime ICPE en ce qui concerne les obligations de démantèlement. On pourrait envisager de suivre la même voie pour les sites miniers. Seule la taille des périmètres des sites miniers diffère assez nettement de la logique des ICPE, ce qui pourrait poser une difficulté, sauf donc à imaginer une dérogation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais évoquer le schéma national minier de valorisation et de préservation du sous-sol. Cette idée portée par le ministre Arnaud Montebourg vous paraît-elle pertinente au regard de la connaissance du territoire qui est la nôtre ?

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. La seule question à se poser est celle de l’objectif poursuivi. S’il s’agit simplement d’un inventaire, l’idée remonte au moins au XVIe siècle. Mais la fermeture des dernières mines a fait perdre une partie des mémoires et des savoirs dans ce domaine. Un document de gestion, sur le modèle de ce qui existe pour les déchets, me semblerait plus adéquat. Fixer des objectifs par rapport à l’existant et délivrer des permis en fonction de ces objectifs, voilà qui permettrait une véritable planification. Si l’objectif de la France est d’accroître son indépendance énergétique en mettant à profit les richesses que recèle son sous-sol, cette approche dynamique me semble plus prometteuse qu’un schéma voué à présenter une situation figée.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’approche est séduisante, d’autant plus que notre connaissance effective du sous-sol au-delà de dix mètres de profondeur semble plutôt aléatoire.

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. La connaissance est effectivement lacunaire, ce qui est le fondement de l’existence des permis d’exploration. Toutefois, la science géologique a fait de grands progrès. Un permis exclusif de recherches sert-il aujourd’hui, comme autrefois, à rechercher une matière, ou plus précisément à caractériser du point de vue économique le potentiel d’un gisement dont on pressent par avance la localisation ? J’incline volontiers pour la seconde réponse.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pensez-vous que le schéma national, ou le document de gestion que vous préférez, devrait être opposable et juridiquement contraignant ?

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. Il ne faudrait pas qu’une société qui diligente des recherches sur le fondement de ce plan aille d’échec en échec pour la seule raison d’un contenu erroné. Mais je réagis peut-être excessivement en juriste en imaginant que la responsabilité de l’État pourrait être engagée… Ce ne serait probablement pas le cas.

Je constate que des schémas de ce type existaient par le passé et qu’ils ont été délaissés par manque de rentabilité. La cartographie de l’Antarctique a été abandonnée parce que les technologies employées coûtaient trop cher, mais la croissance ininterrompue des prix de l’énergie restaure la compétitivité de ces ressources. On voit aujourd’hui l’exploitation de terrils miniers qui, dans le temps, n’étaient pas considérés valorisables. Nous devrions encore disposer des données relatives à ces activités passées : ce sont autant d’indications précieuses pour la confection d’un schéma pour l’avenir.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Quelle est votre opinion sur l’octroi des titres miniers sur la base de décisions implicites une fois le délai d’instruction dépassé, comme l’envisage le projet de réforme ?

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. Je ne crois jamais que l’administration envisage innocemment de nouvelles procédures. C’est, par exemple, parce que la main-d’œuvre se raréfiait dans les laboratoires publics que sont apparus les agréments de laboratoires privés : pour assurer que l’expertise sollicitée par l’autorité administrative dans ses fonctions de contrôle des activités économiques soit de bonne qualité.

Je suis toutefois gêné par le souvenir du Président de la République qui, lorsqu’il engageait le choc de simplification, formulait toujours une réserve relative aux aspects environnementaux. Or les enjeux écologiques d’une décision minière sont colossaux. Qui dit décision implicite d’acceptation dit absence d’instruction, du moins incomplétude de l’instruction.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En réalité, nous disposons sur ce point de l’expérience acquise pour la délivrance des permis de construire. Dans la mesure où les effectifs administratifs sont désormais insuffisants, les dossiers entrants sont répartis en trois piles : ce qui ne pose pas de problème, ce qui soulève quelques difficultés et ce qui attire fortement l’attention. Laisser passer les délais pour générer une décision tacite permet de ne pas perdre de temps à accepter les dossiers de la première pile. Ce n’est qu’une réponse procédurale au manque de personnel.

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. Il y a toutefois des cas où le permis de construire ne peut jamais être implicite : en cas de risque d’une atteinte au patrimoine. On pourrait imaginer un mécanisme comparable pour les titres miniers en cas de danger d’atteinte à l’environnement ou à la santé publique. Je ne suis pas qualifié, cependant, pour juger si des exploitations minières peuvent être valablement considérées comme sans danger de ces deux points de vue.

Je suis tout de même gêné par la perspective de décisions implicites, d’abord parce qu’en tant que publiciste j’ai foi dans l’administration pour l’instruction des dossiers de demande. Ensuite, en cas de décision tacite, comment seront formulées les prescriptions particulières ? Faudra-t-il la compléter par voie d’arrêté postérieur ? Ce point devra être précisé.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Envisagez-vous opportun d’abolir purement et simplement le code minier et de transférer les dispositions relatives aux mines dans le code de l’environnement, comme le préconise Arnaud Gossement ?

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public. On a bien séparé la police de l’eau entre le code de l’environnement, pour la protection de la ressource, et le code de l’énergie, pour la production hydroélectrique. La vieille loi du 16 octobre 1919 sur l’utilisation de l’énergie hydraulique aurait tout aussi bien pu être codifiée dans le code de l’environnement, qui aurait réuni en son sein la totalité du sujet. Mais hélas, le droit de l’environnement apparaît souvent comme un obstacle à l’activité économique : c’est un recueil voué à protéger et non à exploiter, même s’il s’agit de parvenir à terme à une conciliation des priorités. La logique de tous les codes miniers est inverse depuis la Rome antique : extraire avec la plus grande productivité possible. La loi américaine sur les mines de 1872, qui libéralise les forages, n’a qu’une justification : coloniser l’Ouest et récompenser les premiers colons.

De plus, hormis le code civil et quelques autres, les codes législatifs sont avant tout des instruments voués à afficher le pré carré d’une administration face au monde extérieur. C’est le cas pour le code minier au moins autant que pour les autres. Pour cette raison, je ne crois guère à une absorption.

Intellectuellement, il ne serait pas illogique de ramener dans le code de l’environnement les dispositions relatives à l’après-mine et aux déchets miniers, comme s’y trouvent déjà les prescriptions sur les résidus nucléaires et le contrôle des radiations. Mais j’avoue ne jamais m’être posé la question. Je reste convaincu qu’un code révèle une culture : le code de l’environnement est un code de protection ; le code minier est un code d’exploitation. Tout ce qui organise l’exploitation de l’environnement figure dans le code de l’énergie et dans le code minier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie d’avoir accepté cette audition devant le groupe de travail. Notre discussion a été très instructive puisque nous avons abordé l’esprit du projet de réforme à défaut de sa lettre.

17. Audition de MM. Christian Boissavy, président, et Jean-Jacques Graff, vice-président filière haute énergie, de l’Association Française des Professionnels de la Géothermie (AFPG) (29 janvier 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais remercier les représentants de l’Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) de leur présence devant ce groupe de travail réunissant toutes les sensibilités représentées au sein de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. Nous nous sommes donné pour mission de réfléchir aux conditions et aux objectifs de la future réforme du code minier. De nombreuses personnalités se sont succédé devant nous depuis l’automne, à commencer par M. Thierry Tuot qui nous a livré un commentaire des propositions qu’il a remises au Gouvernement. Des différents livres du futur code minier, seules nous restent encore inconnues les dispositions fiscales, les mesures transitoires et les prescriptions relatives à l’outre-mer.

Nous souhaitons recueillir vos impressions et votre sentiment sur les aspects déjà publiés de ce projet. Je précise que nous considérons que l’ensemble peut être discuté, y compris les pans pour lesquels le Gouvernement pourrait solliciter une habilitation à légiférer par ordonnance. Encore récemment, j’ai signifié à qui de droit le peu d’appétence des députés pour cette procédure, en précisant bien que la communication aux députés des projets stabilisés d’ordonnances était un préalable indiscutable à un accord.

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. Je remercie à mon tour les députés présents, et plus largement la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, de se mobiliser sur ce dossier si important. Si vous en êtes d’accord, je présenterai brièvement la géothermie française avant d’en venir à nos positions quant au projet de réforme.

Nous représentons des technologies très diverses. Les ressources du sous-sol peuvent permettre de produire de l’électricité : c’est le cas à Bouillante en Guadeloupe, où est exploitée la chaleur liée à l’activité volcanique, et à Soultz-sous-Forêts dans le Bas-Rhin, où l’injection à grande profondeur – plus de 2 500 mètres – permet de retrouver des températures supérieures à 150 °C dans un bassin sédimentaire. Naturellement, travailler sur un terrain volcanique limite les coûts liés au forage, mais l’expérience menée en Alsace tend à montrer que la production géothermique reste possible partout. C’est une technologie émergente, qui a délivré de l’électricité pour la première fois il y a seulement trois ou quatre ans, pour lesquels la concurrence est rude avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore les États-Unis. La France n’est qu’une nation parmi d’autres à s’engager sur ce terrain. D’ailleurs, les demandes de permis miniers se multiplient pour ouvrir de nouvelles installations, que ce soit en Alsace, dans le Piémont aquitain ou dans la vallée du Rhône. Même si de nombreux sites devraient apparaître dans les dix ou quinze prochaines années, ce n’est jamais pour l’heure que 5 % du chiffre d’affaires de la filière géothermique française.

Les autres types de géothermie permettent de produire du froid ou de la chaleur – besoins qui correspondent à un peu moins de la moitié de la consommation française totale d’énergie. On peut aller chercher la chaleur du sous-sol pour la convoyer vers une habitation : c’est la technologie la plus traditionnelle, connue pour équiper massivement des territoires comme l’Islande, et relativement répandue en Île-de-France où un peu moins d’un million de personnes se chauffent grâce à elle. J’oserai dire que nous, Français, sommes prédominants sur ce secteur au niveau mondial. Ces ressources géologiques, dites « à 80° C », ne se trouvent hélas pas partout. Les zones sédimentaires propices, en France, correspondent aux bassins parisien et aquitain, à l’espace rhénan, au voisinage de Clermont-Ferrand et au couloir rhodanien, soit approximativement 40 % du territoire. J’estimerais son poids dans le chiffre d’affaires de la filière française à un peu moins d’un tiers.

Une autre technologie, plus simple et qui plonge seulement jusqu’à 300 mètres de profondeur, utilise une plus basse température – de 10° C à 20° C. Elle n’est utile qu’à la condition d’un couplage avec une pompe à chaleur. Cette géothermie, qui est mature depuis une dizaine d’années et qui vient d’Europe du Nord, est pratiquée soit sur des nappes phréatiques souterraines, soit sur des sols secs. Elle présente l’immense avantage de fonctionner sur la quasi-totalité du territoire national. C’est donc 60 % du marché de la géothermie. Mais même si nous faisons jeu égal avec nos concurrents dans la compétition mondiale, nous pâtissons de la faiblesse de notre marché intérieur : 6 000 équipements ont été installés en France en 2013 contre 15 000 pour la Suisse et 20 000 pour l’Allemagne. Alors que nous maîtrisons parfaitement la technologie et que des opérateurs performants sont présents sur le territoire, la demande stagne voire régresse. C’est assez décourageant car, il y a trois ans, nous suivions un rythme similaire à celui de nos voisins allemands.

J’en ai terminé avec ce bref rappel général que je considère important, car il montre bien que le mot « géothermie » regroupe des réalités très diverses, répond à des besoins très différents, et mobilise des outils technologiques et juridiques très différents.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de ces précisions effectivement utiles. Nous constatons bien que les enjeux auxquels devra répondre le futur code minier sont très différents. En ce qui concerne la géothermie à très haute température, quelles sont les problématiques particulières et quelles sont les raisons qui expliquent la faiblesse de la production d’électricité par voie géothermique ?

M. Jean-Jacques Graff, vice-président, filière haute énergie, de l’Association française des professionnels de la géothermie. Les projets de géothermie « en bassin d’effondrement fracturé » (en anglais EGS pour Enhanced Geothermal Systems) sont effectivement récents, même si le pilote développé à Soultz est lui-même assez ancien : ouvert en 1985, il visait jusqu’en 2003 la création artificielle d’un réservoir par fracturation hydraulique, avec tous les problèmes de sismicité que cela implique. Depuis cette date, on privilégie là-bas une géothermie plus classique, au moyen d’un réservoir existant préalablement mis au jour. Le projet continue malgré son ancienneté dans la mesure où l’eau a bien été découverte en sous-sol, certes avec une mauvaise connexion avec le puits foré qui a nécessité de nombreux travaux d’amélioration en collaboration avec des professionnels du secteur pétrolier.

L’activité menée à Soultz a provoqué une sismicité de l’ordre de 2,9 sur l’échelle de Richter, ce qui a suscité quelques émois bien compréhensibles. Les scientifiques étaient satisfaits de leurs résultats, mais ces effets étaient inacceptables pour la population. C’est la raison pour laquelle la réorientation de 2003 a été décidée. Les travaux consécutifs ont été similaires, quoique réalisés à grande profondeur, à ce que fait tout foreur d’eau lorsqu’il achève un puits : il nettoie, il dissout les sédiments, il utilise des acides pour augmenter la productivité. Seule l’échelle était différente, plus industrielle. Le progrès technologique aidant, nous travaillons maintenant avec des acides alimentaires dérivés du glutamate et totalement inoffensifs.

La productivité s’est accrue et nous entamerons un second forage en mars prochain. C’est assez long, mais c’est le prix de notre prudence dans l’acquisition de la connaissance. Nous n’avons provoqué aucune nouvelle sismicité ressentie ; c’est très important à nos yeux pour garantir l’acceptabilité sociale du projet et l’avenir de ce type de géothermie. Les actionnaires l’ont bien compris : ce projet ambitieux, de 50 millions d’euros, est en avance même si on fera plus probablement de la chaleur industrielle que de l’électricité à grande échelle.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est important, pour nous, d’entendre parler de « fracturation hydraulique » dans le cadre d’une activité de géothermie, car c’est un vocabulaire que l’on a beaucoup utilisé au moment du débat sur les gaz de schiste. Vous parlez, quant à vous, de « stimulation » parce que, si j’ai bien compris, vous ne créez pas de nouvelle faille.

M. Jean-Jacques Graff, vice-président, filière haute énergie, de l’Association française des professionnels de la géothermie. C’est tout à fait vrai, et je comprends que les discussions autour des gaz de schiste aient évoqué l’expérience de Soultz-sous-Forêts. Mais nous ne faisons plus de fracturation : la stimulation se limite au nettoyage des failles existantes. Elle n’est réalisée qu’au moment de la connexion du puits et du réservoir. Nous ne touchons plus à rien une fois la productivité acquise et la circulation permise. Dans l’exploitation des gaz de schiste, il y a plusieurs puits et une action répétée pour libérer les hydrocarbures. Ceci étant, je n’ai pas de commentaire particulier à émettre sur cette activité qui n’est pas la mienne. Notre vocabulaire est parfois commun, mais nos activités diffèrent fortement.

J’en viens au code minier et à son influence sur notre activité. Les deux décrets du 2 juin 2006, relatifs aux titres et aux travaux miniers, ont apporté des précisions très utiles. Le seul point qui nous préoccupe tient à la diligence des administrations dans l’instruction des demandes. Pour le reste, la législation française et son conservatisme ont pour effet positif de prévenir les démarches spéculatives que l’on observe outre-Rhin, où les demandes de permis se multiplient pour sécuriser et revendre les gisements les plus prometteurs. Le code minier soumet la délivrance de titres à des conditions techniques et financières, si bien que les dossiers avancent lentement mais sûrement.

Peut-être pourrait-on lever le seuil des 150 °C, qui entraîne un changement de réglementation et qu’il est difficile de respecter en travaillant à 2 500 mètres de profondeur ? De même, peut-être serait-il judicieux de réduire les périmètres dans la constitution des dossiers, étant donné que l’activité géothermique à grande profondeur requiert finalement peu de terrain ? Ce sont mes seules suggestions, et elles ne sont qu’interrogatives. C’est dire combien le cadre actuel donne satisfaction.

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. C’est le discours que nous avons toujours tenu à Thierry Tuot au cours de ses consultations : tout le monde juge le code minier obsolète, parfois à juste titre, mais son chapitre relatif à la géothermie est adapté aux enjeux. Les exigences sont rigoureuses ; nous estimons que c’est normal. Le développement de la filière n’en a jamais été pénalisé. Nous n’avons à déplorer que la lenteur des services administratifs à appliquer la réglementation, et non le contenu de cette réglementation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suppose que les dispositions imaginées pour encadrer les délais vous intéressent donc particulièrement.

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. C’est tout à fait exact. Nous jugeons qu’une instruction longue d’une année retarde d’autant l’engagement de projets très capitalistiques. Procéder à deux forages coûte au bas mot 15 millions d’euros. Intégrer les retards de l’administration apporte une incertitude parfois préjudiciable. C’est notre seul sujet d’inquiétude, sachant par ailleurs que les directions fréquemment confrontées aux dossiers de géothermie, comme en Alsace, sont aguerries et se prononcent plus rapidement. En revanche, si un dossier est déposé tous les dix ans, son traitement sera ralenti par le défaut d’expérience et d’expertise des services locaux.

Nos adhérents soutiennent un statu quo du code minier dans ses dispositions relatives à la géothermie de haute et de très haute température. Nous souhaitons nous montrer responsables. Les forages réalisés en ce moment en Île-de-France dureront quarante ans. Ils sont effectués dans un diamètre suffisant pour autoriser, le moment venu, un changement de tubage qui permettra un fonctionnement pour quarante années supplémentaires. Nous construisons pour l’avenir ; la durée de vie allongée améliore d’autant l’amortissement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous parlez de l’Île-de-France, donc bien de production de chaleur ?

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. Oui. Il sera peut-être possible de produire de l’électricité par géothermie aux alentours de Paris dans vingt-cinq ans, mais à l’heure actuelle un tel projet relèverait de la science-fiction. Les projets électriques coûtent très cher. Toutefois, les modèles et les analyses effectués il y a plusieurs décennies n’ont jamais été démentis puisque les conditions géologiques restent stables. Le progrès technique fera évoluer les technologies et leurs applications.

En attendant, nous sommes satisfaits du projet élaboré sous la direction de Thierry Tuot pour tout ce qui concerne la géothermie profonde. Les choses se compliquent quand on s’approche de la surface. La France dispose de l’immense avantage d’avoir cartographié avec précision son sous-sol. Il suffit d’y adjoindre un cadre réglementaire correct, qui jusqu’à présent a fait défaut. Les dispositions relatives aux pompes à chaleur, auxquelles il faut avoir recours, sont relativement instables et en cours de redéfinition. Dans un avenir proche, c’est le code minier qui évoluera. C’est difficile de s’adapter à ces changements en cascade.

Nous essayons de travailler avec le Gouvernement pour aménager au mieux le futur décret relatif à la géothermie de minime importance. Son objet principal consisterait à écarter le code minier, trop exigent pour des opérations si simples : personne ne constituera un dossier de 50 000 euros pour un investissement de la même somme. Ce décret devrait être publié sous peu. Il déterminerait des zones vertes où la géothermie de minime importance serait possible après simple déclaration, des zones oranges qui nécessiteraient une expertise préalable, et des zones rouges d’exclusion de l’activité. En toute logique, le surcoût induit par les procédures supplémentaires devrait limiter la géothermie de minime importance aux zones vertes. Les deux tiers du territoire national devraient être éligibles, mais nous sommes relativement ennuyés par la concentration des populations à proximité des cours d’eau, et donc des problématiques particulières. Ainsi, les premières cartes établies inscrivent en rouge la totalité du département de Seine-Saint-Denis, pourtant très peuplé et déjà bien équipé en géothermie. Il faut poursuivre les discussions pour faire évoluer les perspectives.

Mme Florence Delaunay. Vous avez indiqué que le marché des particuliers subissait un recul. Les nouvelles normes de construction en sont-elles responsables ? Ressentez-vous une forme de concurrence avec les autres modes de chauffage avec lesquels les artisans et les promoteurs sont peut-être plus familiers ?

Dans le département des Landes, on constate une demande croissante d’eau chaude de la part des industries et des artisans. J’ai visité cette semaine une culture de spiruline, cyanobactérie qui se reproduit dans une eau tiède. L’installation fonctionne avec des serres solaires, ce qui correspond à six ou sept mois d’activité, contre une dizaine sur la côte méditerranéenne. La géothermie pourrait-elle apporter une solution, et à quel prix ?

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. Les particuliers rencontrent un problème simple : la crise économique. L’année 2012 a vu un recul de 25 % du nombre de dépôts de permis de construire, et l’année 2013 a accusé une nouvelle baisse de 15 %. C’est déjà une réduction de moitié du marché qui n’est pas liée aux spécificités de la géothermie. C’est d’autant plus vrai que, pour les installations collectives, les chiffres ont faiblement augmenté. Le Fonds chaleur de l’ADEME a permis un financement efficace des projets dont la filière géothermique a bénéficié. Toutefois, nous sommes dubitatifs quant à la nouvelle réglementation thermique (RT 2012) qui favorise les importations de gaz naturel et la biomasse plutôt que notre activité. Nous avons communiqué nos observations au Gouvernement et au Parlement ; nous espérons être entendus.

L’agriculteur qui cultive la spiruline est tout désigné pour recourir à la géothermie, particulièrement dans les Landes où le potentiel géologique est présent et où les conflits d’usage des eaux sont très limités. Je vous recommande, si vous ne l’avez déjà faite, la visite d’une installation géothermique utilisée dans la production de tomates à Parentis-en-Born, dans le même département. On peut aussi s’adosser à des puits d’hydrocarbures car la production pétrolière fournit toujours de l’eau chaude. D’ailleurs, sur ce point, nous développons de multiples projets sur les champs pétroliers en « fin de vie » de la région parisienne, qui génèrent 2 % de pétrole et 98 % d’eau : sans doute pourrions-nous utiliser efficacement la ressource ! Pour en revenir aux Landes, les premières installations ont eu lieu il y a vingt-cinq ans et, après une période de stagnation, les nouvelles applications industrielles se multiplient pour des temps de retour systématiquement inférieurs à dix ans. Des économies rapides sont à attendre dans un avenir proche.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La géothermie de minime importance, dont vous avez détaillé le fonctionnement et qui représente 60 % de votre activité, est-elle finalement concernée par la réforme du code minier ?

M. Christian Boissavy, président de l’Association française des professionnels de la géothermie. A priori, si on en croit les projets qui circulent, ce ne serait pas le cas. La géothermie de minime importance échapperait complètement à la réforme, sinon par un effet regrettable : nous redoutons que le Gouvernement attende de finaliser la réforme minière pour publier le décret déjà rédigé. Hormis cet impact indirect, rien ne nous répugne dans le projet élaboré par Thierry Tuot, qui a beaucoup travaillé pour rapprocher les points de vue de chacun.

Nous n’avons pas évoqué certains points potentiellement problématiques, comme la participation des citoyens aux décisions relatives aux projets en haute-mer ou les royalties que pourraient toucher certaines collectivités territoriales sur la production des installations installées sur leur territoire. Mais il s’agit de discussions générales qui dépassent de beaucoup le strict sujet de la géothermie, et nous avons préféré nous concentrer sur des thématiques spécifiques à notre secteur.

Je ne veux pas conclure ma dernière prise de parole sans inviter les parlementaires du groupe de travail qui le désirent à se rendre sur un site géothermique, à Soultz-sous-Forêts bien sûr, mais aussi en région parisienne s’il convient d’organiser un déplacement plus court.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les préoccupations que vous évoquez relèvent effectivement du droit commun ; elles ne nous ont pas échappé au cours de nos auditions successives. Je vous remercie de votre présence devant le groupe de travail et de votre aimable invitation.

18. Audition de M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (5 février 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre groupe de travail arrive à la fin de ses travaux, commencés à l’automne dernier par l’audition au cours de laquelle M. Thierry Tuot avait présenté les conclusions de la commission dont il avait présidé les activités. Nous disposons des projets de rédaction de sept livres du futur code minier – principes, exploration et exploitation, travaux miniers, police et responsabilité, santé et sécurité du travail, milieux et usages, fiscalité – ; manquent les mesures transitoires et les dispositions relatives à l’outre-mer que, je pense, le ministre Victorin Lurel nous présentera plus longuement dès la semaine prochaine.

Le projet issu des réflexions de Thierry Tuot se compose d’une fraction de mesures nouvelles et d’une recodification des dispositions actuellement en vigueur. Certaines innovations proposées sont particulièrement intéressantes : je pense au groupement momentané d’enquête, au schéma national minier ou encore au Haut Conseil des mines.

Je passe désormais la parole à Arnaud Montebourg, que je remercie d’avoir accepté notre invitation, pour commenter ce projet de réforme que toutes les parties prenantes attendent maintenant depuis déjà longtemps.

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. C’est moi qui remercie les parlementaires d’avoir formulé cette invitation. Comme ministre des mines, j’ai fait le choix d’un renouveau minier. La France a abandonné, non pas son savoir-faire qui demeure au sein du BRGM, mais ses activités extractives à des acteurs mondialisés qui se retrouvent en position de contrôler notre industrie et nos matières premières. C’est donc notre compétitivité et notre souveraineté qui sont en jeu à travers les questions d’approvisionnement et de fixation des prix. Je note d’ailleurs avec intérêt que tous les États n’ont pas été aussi libéraux : le gouvernement brésilien conserve une participation dans Vale tandis que Rio Tinto, avec le rachat d’Alcan, dispose du soutien de l’État canadien. Or la France a déserté le secteur minier au point que le BRGM, qui disposait de concessions, s’en est défait. Je considère malheureux d’avoir renoncé ainsi à des instruments de souveraineté, d’autant plus que nous disposons d’une bonne connaissance du sous-sol grâce aux campagnes exploratoires des années 1960, y compris d’ailleurs hors de France sur le continent africain.

Le pari du renouveau minier suppose de clarifier notre politique minière avant de projeter nos ambitions au-delà de nos frontières. La réforme du code minier s’impose avec évidence. Chacun s’accorde à le juger peu protecteur de l’environnement, peu démocratique car il n’associe pas les populations, et peu efficace pour attirer les investisseurs : il transforme l’or en plomb quand nous aimerions faire le contraire. Il faut renverser ce paradigme pour attirer les industries extractives tout en associant les citoyens à la définition des projets mieux que ne le font les mécanismes existants d’enquête publique : avec leur lot de contentieux interminables, elles se résument à des manœuvres dilatoires à la source de très rares annulations, car davantage conçues pour décourager les investisseurs que pour prévaloir sur le strict plan du droit. Ce n’est pas toujours facile de concilier des principes antagonistes d’efficacité et de dialogue, mais nous nous y attacherons au mieux. Le Gouvernement suivra en grande partie les recommandations exprimées par Thierry Tuot et son groupe de travail.

Nous considérons les enquêtes publiques fictives ; nous voulons les rendre « réelles », c’est-à-dire faire en sorte que la population soit réellement associée et que les initiateurs d’un projet puissent en discuter avec les riverains et les organismes de protection de l’environnement dès l’origine, et non a posteriori devant une Cour de Justice pour mécontenter finalement l’industriel, qui a perdu du temps, et les habitants, qui n’ont pas été écoutés. L’amour des paysages et l’intérêt environnemental existent ; ils doivent pouvoir être entendus. Notre objectif est simple : réunir les parties prenantes dans une discussion préalable qui puisse amener le pétitionnaire à modifier son projet, idéalement pour trouver un point d’équilibre, à tout le moins pour échanger des arguments.

Je ne suis pas très convaincu par la proposition d’un « groupement momentané d’enquête » qui donne le sentiment d’une structure ad hoc : il me semble que la loi a vocation à déterminer précisément qui doit prendre place autour de la table, sous le contrôle du préfet chargé de présider les débats. Tout ceci devra être débattu avec vous devant la commission, mais le Gouvernement considère que certains interlocuteurs doivent obligatoirement être présents. C’est d’abord le cas pour le pétitionnaire, bien sûr. L’affaire Rexma, en Guyane, a montré le dramatique déficit de discussion avec les élus locaux : leur légitimité me paraît également indiscutable. Les ONG doivent être entendues dans le cadre d’un processus institutionnel et ne pas être réduites à procéder par pétitions et par actions judiciaires : leur point de vue est important car, en tant que ministre des mines et alors même que je suis favorable à la relance de cette activité, je suis revenu sur des autorisations en découvrant des éléments inacceptables que l’enquête publique n’avait pas mis au jour. Je crois aussi que le groupe devra convenir, sous l’autorité du préfet, de la nomination d’experts reconnus, rémunérés aux frais du pétitionnaire, dont les analyses dissiperont les craintes infondées ou, à l’inverse, révèleront des risques sous-estimés. Enfin, je souhaite fortement que les forces économiques et sociales soient représentées : comme la question de l’emploi est toujours mise en balance avec la protection de l’environnement, il faut pouvoir obtenir des engagements précis en la matière. J’insiste sur le fait que l’économie et l’environnement ne s’opposent pas, qu’il nous revient de les arbitrer.

Si ces discussions préalables avaient pu se tenir dans l’affaire Rexma, je suis convaincu que le pétitionnaire aurait réduit le périmètre de son projet, voire qu’il y aurait renoncé de lui-même. Le fait que le maire s’oppose, non à la demande de permis elle-même, mais à son empiétement sur une zone aménagée pour recevoir des touristes, était déjà annonciateur d’une levée de boucliers. Tenter d’amadouer la population en promettant un aéroport ne pouvait qu’envenimer la situation. Ces pratiques inacceptables doivent disparaître ; la nouvelle procédure y concourra.

J’ai l’avantage de recevoir sur mon bureau les demandes de permis dont l’instruction est finalisée. Après cinq ans de procédures, les avis favorables s’empilent. J’ai tendance à regarder ce qui s’est dit dans l’enquête publique, pour tenter de saisir l’opinion des habitants face à l’évolution qui leur est proposée. Et très souvent, seule une poignée de personnes se sont exprimées : un scientifique favorable, quelques riverains hostiles, et les élus locaux qui réservent leur jugement. J’ose espérer que mes successeurs seront mieux renseignés à travers la nouvelle procédure dans laquelle les gens, s’ils s’entendront parfois, se parleront toujours.

Le projet gouvernemental prévoit une deuxième innovation. Les diverses autorisations relevant des différents codes seront fusionnées pour aboutir à un document unique. Cette simplification relève du simple bon sens : le pouvoir politique se prononcera par une décision unique de rang ministériel.

L’arrêté ministériel octroyant un permis pourra être directement attaqué devant la cour administrative d’appel. C’est la troisième innovation, qui permettra de raccourcir les délais contentieux de manière drastique. Le juge procédera à un contrôle d’opportunité avec la capacité de réformer la décision administrative. C’est une grande nouveauté juridique. Jusqu’à la décision de la cour administrative d’appel, tout peut bouger ; une fois son jugement rendu, seul un recours en cassation restera possible devant le Conseil d’État. Ce système s’inspire de celui qui se rencontre en droit de la concurrence, dans lequel la cour d’appel de Paris constitue le degré d’appel de l’Autorité de la concurrence et corrige ses décisions.

Nous estimons que la réforme permettra une discussion de meilleure qualité dans un délai plus court, que nous fixons à six mois. Le préfet pourra renouveler cette concertation préalable une fois pour six nouveaux mois. Le groupe de discussion s’organise donc comme il le souhaite pendant au plus une année, à l’issue de laquelle l’administration se prononce dans un délai de trois mois.

Nous souhaitons que le silence de l’administration pendant trois mois équivaille à une décision implicite d’acceptation. C’est un point ouvert au débat parlementaire qu’il vous reviendra de trancher, mais nous estimons sain que l’autorité publique soit tenue de prendre une position explicite et motivée sur les dossiers qui lui sont soumis. Aujourd’hui, l’administration a tendance à ne jamais dire « non » pour éviter les recours contentieux, et à demander fréquemment des pièces complémentaires pour rouvrir les délais, ce qui ralentit considérablement les instructions. C’est d’ailleurs une évolution souhaitée en toutes matières par le Président de la République dans le cadre du « choc de simplification ». Obliger le ministre à prendre une décision explicite formalisera sa responsabilité ; ce sera aussi le moyen de limiter les prétentions exprimées par le pétitionnaire le cas échéant.

Tels sont les principaux apports de la réforme en préparation. J’aimerais en mentionner rapidement deux autres. En premier lieu, nous voulons faire évoluer la fiscalité et sortir du régime des redevances au poids pour privilégier une imposition sur le chiffre d’affaires dont le produit serait réparti entre les différents niveaux de collectivité territoriale. En second lieu, la responsabilité de l’après-mine sera étendue aux maisons-mères pour éviter les disparitions de filiales fort opportunes pour laisser à l’abandon des sites endommagés et pollués.

Je vous ai présenté les nouveautés envisagées à ce stade. Tout le reste se résume à une codification de l’existant sur quelque quatre cents articles. Nous proposons que le Parlement discute d’un projet de loi contenant les dispositions novatrices et que l’inchangé fasse l’objet d’une ordonnance. Je comprendrais que le groupe de travail souhaite exercer ses pouvoirs d’amendement sur certaines dispositions existantes : les périmètres de la loi et de l’ordonnance peuvent tout à fait être discutés ; la répartition entre la loi et l’habilitation sera à votre convenance. Toutefois, nous subissons une contrainte : parce qu’un projet de loi massif mobiliserait un nombre excessif de séances dans les deux assemblées et aboutirait immanquablement à retarder encore davantage cette réforme minière attendue, il ne sera pas possible de vider l’ordonnance de son contenu.

Enfin, chacun aura compris que la réforme du code minier est déconnectée de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste – même si je suis naturellement prêt à répondre à d’éventuelles questions sur ce sujet. Ce n’est pas un sujet tabou.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ce n’est pas un sujet tabou, mais ce n’est pas non plus le nôtre aujourd’hui, et votre présentation très précise appelle un débat riche dans un temps, hélas, limité.

Je trouve séduisante l’idée du groupement momentané d’enquête. Quelle est la logique de la saisine de la cour administrative d’appel ? L’objectif est-il de purger des recours ?

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Le droit administratif est aujourd’hui un droit rigide. Un titre administratif attaqué peut s’effondrer sur un vice de forme de minime importance. Dans cette hypothèse, tout le monde est perdant : le pétitionnaire qui a perdu un temps précieux, les opposants parce que le projet se fait de toute façon un peu plus tard, et la société qui mobilise son énergie plus que nécessaire à dénouer le conflit.

Nous envisageons de donner au tribunal un pouvoir d’appréciation des décisions ministérielles, au lieu de rester enfermé dans une alternative entre validation et annulation. La cour administrative d’appel pourra juger que les principes cardinaux de l’action publique ont été imparfaitement conciliés et se substituer au pouvoir administratif dans cette conciliation. Ce sera aussi une voie de régularisation des imperfections formelles sans gravité pour la régularité de l’ensemble de la procédure. Nous y gagnerons un ultime espace de négociation entre parties prenantes antagonistes, après le groupe de dialogue préliminaire et le temps de la décision politique. Je compare cette évolution à la fin des plaidoiries sur la forme in limine litis en cour d’assises, auxquelles les jurés populaires ne comprenaient rien et qui pouvaient reporter le procès pour plusieurs années avant même l’évocation du fond. Le législateur a fait le choix de confier ce contentieux aux chambres de l’instruction, qui contrôlent les procédures avant l’ouverture du procès, pour que la cour d’assises ait à trancher uniquement sur la culpabilité et, le cas échéant, sur la peine.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’intervention de la cour administrative d’appel est-elle donc sur la forme de la décision administrative ou sur fond et forme confondus ?

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Sur l’ensemble : tant sur les vices de forme que sur les erreurs d’appréciation du ministre. Je concède que c’est innovant et, d’ailleurs, cette piste de réflexion suscite chez les juges administratifs un enthousiasme modéré.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il va effectivement falloir que nous y réfléchissions. La proposition formulée par Thierry Tuot me semblait limitée à une purge des recours abusifs, non à un contrôle d’opportunité. C’est beaucoup plus qui paraît envisagé désormais.

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Notez que la plupart des recours abusifs n’ont qu’un objectif d’atermoiement. Tout ceci sera terminé puisque dix-huit mois suffiront à conduire l’instruction à son terme. La limitation des délais apportera la sécurité juridique dont les investisseurs ont besoin.

M. Bertrand Pancher. Ces propositions sont réellement astucieuses à condition de leur apporter les précautions adéquates. L’encadrement des délais et la limitation des recours supposent une association accrue des parties prenantes en amont de la décision. Quelle est l’opinion des ONG sur ces pistes de réforme ?

L’instruction des dossiers est-elle possible dans des délais contraints alors que les services de l’État disposent d’effectifs réduits ? Je connais des installations classées pour la protection de l’environnement qui souffrent de disponibilités insuffisantes des services instructeurs.

L’accélération des procédures peut-elle passer par une adaptation réglementaire sur le plan local ? Le consensus est parfois possible et ne se brise que sur les procédures imposées par la législation.

L’après-mine est un enjeu important. C’est bien de rechercher la responsabilité des anciens propriétaires, mais le moment viendra forcément où il ne sera plus possible de les retrouver. Est-il prévu, dans ces cas précis, de recourir à des mécanismes d’assurance ou de solidarité ?

Mme Sabine Buis. Le groupement momentané d’enquête est, dans les propositions de Thierry Tuot, une alternative dérogatoire et exceptionnelle à la procédure classique d’information du public. Qu’est-ce qui fondera l’exception et la dérogation ?

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Je vous réponds tout de suite : nous souhaitons que la procédure de concertation soit systématique, comme l’information par internet d’ailleurs.

Mme Sabine Buis. C’est une évolution importante et bienvenue. Toutefois, l’expérience des gaz de schiste a montré que l’association du public est trop tardive pour apaiser les tensions. Sur mon territoire, face à un permis jugé « nébuleux », nous avons réuni un semblant de groupement momentané d’enquête avant l’heure sous l’égide du préfet. Mais tout le monde est resté sur sa position en considérant que la décision pouvait être confirmée ou rapportée, mais pas amendée. Vingt-quatre mois se sont écoulés, gagnés ou perdus suivant les points de vue, sans que rien n’évolue sur le terrain. Il aurait été pertinent que chacun puisse se faire entendre en amont, quand la discussion était peut-être encore possible.

En ce qui concerne le schéma national minier, comment serait-il articulé avec les documents de planification existants à l’échelle régionale ? Serait-il indicatif ou prescriptif ?

Les retards de ce projet de loi sont extrêmement préjudiciables. Il était déjà attendu en 2013. Pouvez-vous avancer une date ?

Enfin, pourriez-vous préciser la marge de manœuvre dont nous disposerons pour arbitrer les contenus du projet de loi et de l’ordonnance, de façon à garantir la qualité du débat parlementaire ?

M. François-Michel Lambert. Vous avez mentionné le cas du permis Rexma sur lequel je vous alertais il y a un an. Toutes les administrations s’étaient prononcées défavorablement ; pourtant, il a fallu une enquête journalistique démontrant les malversations du pétitionnaire – dans l’évaluation de l’impact de son projet sur les populations de loutres d’Amazonie – pour finalement retirer le titre minier.

Le débat public permet aux associations et aux élus locaux de disposer de moyens pour solliciter des expertises et pour mieux comprendre les enjeux. Ces moyens seront-ils préservés dans le nouveau dispositif ?

Quel serait l’impact de la réforme sur l’activité de la juridiction administrative ? Sa charge de travail se trouverait-elle allégée ou alourdie ? Par ailleurs, si les juges administratifs sont amenés à se prononcer sur le fond, sur quelle expertise et sur quelle légitimité assiéront-ils leurs décisions ? Enfin, si une modification du permis est possible, pouvez-vous me confirmer que ce sera dans le périmètre demandé ou dans un périmètre moindre ?

Mme Françoise Dubois. J’espère que vous saurez répondre à une question que j’ai souvent posée, et toujours en vain. Il y a sur mon territoire une exploration minière menée depuis octobre dernier, qui pourrait déboucher sur une exploitation. Le nouveau régime de l’après-mine s’appliquerait-il à cette opération ou bien, les travaux miniers entamés, l’ensemble du site demeurera-t-il régi par l’ancienne législation ?

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Nous prévoyons d’instituer un fonds de garantie pour l’après-mine, destiné à pallier les défaillances. Mais je ne suis pas capable pour le moment de préciser si les exploitations en cours seront concernées ou non par le nouveau régime : le président a justement rappelé en début d’audition que le livre des mesures transitoires restait à écrire. Je peux simplement indiquer que les exploitations achevées ne pourront pas être concernées ; ce serait une décision rétroactive et irrégulière. En ce qui concerne les sites en cours de fonctionnement, nous étudions les options qui s’offrent à nous sans avoir tranché encore.

En ce qui concerne l’enquête publique, nous ne sommes pas favorables au système excessivement lourd de la loi Barnier. Nous souhaitons de la souplesse et que les gens se parlent. Les expertises seront financées par le pétitionnaire, pas par les associations ni par les collectivités ; les demandes recevables – non dilatoires, vouées à éclairer le débat – seront diligentées pour éclairer plus tard le ministre et, éventuellement, la cour administrative d’appel. Je pense que chacun prendra part à la discussion car son délai limité à six mois ou à un an ne permettra guère d’atermoyer, et il sera difficile de commander des actes d’expertise hors de cette fenêtre d’instruction. Nous ne voulons pas que ce lieu de discussion devienne un organe de harcèlement : tout le monde devra être de bonne foi. Tous les éléments portés au débat éclaireront le ministre et concourront à l’équilibre de sa décision. Rien n’interdit, en outre, de détacher un ingénieur des mines pour organiser le fonctionnement du groupe.

Le ministre devra assumer ses options politiques sous le contrôle de la cour administrative d’appel : si le débat est très dur entre opposants et partisans du projet, il lui reviendra de concilier les contraires et de faire un choix motivé propre à convaincre le juge de son bien-fondé. Ce dernier point est fondamental et novateur, car les décisions minières ne sont pas motivées sous l’empire du code minier actuel, qui s’attache seulement au respect de la procédure et qui permet de faire n’importe quoi sur le fond.

L’affaire Rexma en témoigne : les élus étaient hostiles comme les associations, personne ne se parlait, et c’est l’ouverture d’une action par le procureur de la République qui a conduit à retirer le permis. La procédure que nous envisageons se fonde sur la bonne foi : si le projet est polluant, il faut l’acter ; s’il ne l’est pas, il faut l’acter également. Nous avons besoin de dialogue, pas de guerres de tranchée – et surtout pas en ce moment.

La cour administrative d’appel coiffe le ministre et contrôle sa décision ; elle les soumet aux principes inscrits dans la loi. Elle n’a pas vocation à refaire le débat et à relancer les expertises. Elle n’aura pas, non plus, à édicter une politique minière à la place du Gouvernement responsable devant le Parlement. Seuls les excès et les abus tomberont sous sa juridiction. J’assume mon choix politique de renouveau minier, je suis prêt à en débattre ici, mais un tribunal n’a pas à se prononcer sur ce point.

Le schéma se compose des éléments d’information sur ce que recèle le sous-sol. Nous ne souhaitons pas qu’il soit prescriptif. Son contenu ira croissant au fur et à mesure des investigations du BRGM, qui a d’ailleurs besoin de capitaux pour agir plus et mieux.

Quant au calendrier, nous souhaiterions nous accorder avec le groupe de travail pour arriver devant la commission dans de bonnes conditions. Nous pouvons discuter avec vous, avec tous les groupes ; je suis prêt à revenir s’il le faut. C’est la première fois que nous donnons nos positions sur les conclusions de Thierry Tuot. Le projet de loi n’est pas encore rédigé : nous pouvons donc convenir d’une base politique équilibrée. Si vous avez des sujets de prédilection pour des amendements, faites-les connaître. Parce que le projet est innovant, il faut se donner les moyens de le maîtriser dans le temps et dans son aboutissement, et éviter des batailles d’amendement qui échapperaient à votre petit groupe de « sachants » qui travaille le sujet depuis plusieurs mois. Convenir de nos accords, acter préalablement nos désaccords, préviendra l’enlisement des quatre cents articles dans la procédure législative.

M. Bertrand Pancher. Ce sera important de s’entendre entre groupes politiques. Ce sera tout aussi fondamental de concerter les parties prenantes pour éviter que des pressions ne s’exercent de toutes parts sur les parlementaires qui se sont peu investis sur le sujet.

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Grâce à la concertation menée par Thierry Tuot, il y a déjà une sorte de « pacte de non-agression » autour de la réforme minière que respectent toutes les parties intéressées. C’est une bonne base de départ. Mais je suis certain qu’il y aura, de toute façon, des amendements déposés de part et d’autre pour renforcer l’aspect environnemental du projet de loi ou pour diminuer les responsabilités des opérateurs. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais, au préalable, qu’un consensus émerge dans votre groupe de travail et qu’il emporte l’adhésion de l’Assemblée nationale. Sans quoi, le jusqu’au-boutisme engendrera immanquablement le statu quo.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Thierry Tuot a réussi à faire discuter ensemble les différents acteurs. C’est un résultat reconnu par tous tout au long de nos auditions. C’est un acquis. Dès lors que les propositions du Gouvernement reprennent largement ses préconisations, je pense possible de trouver des accords avec les différents acteurs. J’en suis persuadé. Notre rôle est aussi d’organiser ce dialogue pour éviter les dérives et les excès. Nos auditions y ont déjà contribué.

L’habilitation à légiférer par ordonnance est un instrument que le Gouvernement doit solliciter avec grande précaution. Nous n’y consentirons, sur certains titres, que si nous disposons des ordonnances rédigées au moment du vote. C’est un point important et, je crois, consensuel dans le groupe de travail.

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. L’organisation de la concertation est de la responsabilité du Parlement. Mais qu’il soit clair que le Gouvernement ne recommencera pas le travail accompli par Thierry Tuot : nous sommes arrivés à un équilibre sérieux, progressiste, documenté, dans lequel tout le monde peut se retrouver. Nous nous y tiendrons pour l’essentiel, ce qui n’exclut pas des évolutions à la marge, par exemple pour éliminer le caractère discrétionnaire du groupement momentané d’enquête.

Quant aux ordonnances, que je critiquais comme parlementaire, je ne les imposerai pas par la force comme ministre. Je propose qu’elles ne concernent que la codification de l’existant, soit les trois quarts du nouveau code minier. On ne demandera d’habilitation que pour ce qui est technique et pour tirer les conséquences de vos votes. Le projet de loi de ratification sera déposé, ensuite, dans les meilleurs délais.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les projets de loi de ratification sont toujours déposés et rarement inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, puisque la Constitution permet de se dispenser de leur examen.

M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. C’est vrai. Nous allons essayer de répondre à votre demande.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie le ministre du Redressement productif de nous avoir consacré du temps et d’avoir montré la considération qu’il porte à notre groupe de travail. Je rappelle que nous entendrons la semaine prochaine Victorin Lurel, ministre des Outre-Mer, et que nos travaux s’achèveront dans quinze jours avec l’audition de Philippe Martin, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.

19. Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer (12 février 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre groupe de travail a commencé ses travaux à l’automne avec l’audition de M. Thierry Tuot, qui avait présenté les conclusions de la commission dont il avait exercé la présidence à la demande du Gouvernement. Nous disposons des projets de rédaction de sept livres du futur code minier – principes, exploration et exploitation, travaux miniers, police et responsabilité, santé et sécurité du travail, milieux et usages, fiscalité. Les mesures transitoires restent à définir ainsi que les dispositions relatives à l’outre-mer. Ces dernières revêtent à nos yeux une grande importance car il sera nécessaire d’adapter le droit commun aux spécificités ultramarines. C’est la raison pour laquelle nous avons sollicité votre audition, monsieur le ministre, et nous vous remercions d’avoir accepté de vous exprimer devant nous.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. C’est moi qui remercie la commission du développement durable pour son invitation. La réforme du code minier est effectivement un chantier important pour lequel nous espérons pouvoir compter sur l’aide des parlementaires pour améliorer le projet de loi et pour parvenir au meilleur équilibre possible sur le calendrier comme sur les options privilégiées.

J’ai eu connaissance de la présentation effectuée devant vous par Arnaud Montebourg la semaine dernière, et je le soutiens. Je suis d’accord sur la nécessité d’une nouvelle philosophie, d’une ambition renouvelée et d’un retour de l’État dans les activités minières. Elles ont une importance stratégique ; la puissance publique doit conserver des leviers d’action et préserver ses liens avec des opérateurs comme le font de grands pays étrangers pour exister sur la scène internationale.

Cela suppose un code minier modernisé. Le Gouvernement s’est attelé à cette tâche et, comme l’a souligné le président Chanteguet en m’accueillant, les outre-mer prennent toute leur place dans les travaux en cours : c’est sur ces territoires que se trouve la très grande majorité de la richesse minière de la France. Le code minier modernisé que nous appelons de nos vœux s’appliquera donc prioritairement outre-mer, où les potentialités de développement sont considérables.

Dans le Pacifique, l’ensemble des eaux territoriales contiennent des nodules polymétalliques et des amas sulfurés. C’est vrai en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, où la compétence minière est transférée aux territoires, mais aussi à Wallis-et-Futuna. L’enjeu dépasse donc le seul nickel calédonien, qui constitue d’ailleurs un bel exemple d’implication des acteurs locaux dans le développement minier et dans la coproduction des richesses économiques. Certes, ces ressources sont difficiles d’accès et imparfaitement connues, mais elles seront bientôt essentielles à l’approvisionnement de la France en terres rares et en métaux stratégiques.

Dans l’océan Indien, les promesses résident principalement dans les gisements d’hydrocarbures à grande profondeur du canal du Mozambique : ils sont identifiés autour de Juan de Nova, et supposés autour des îles d’Europa et de Bassas da India, voire peut-être à proximité des Glorieuses et de Mayotte. Il est aussi probable que La Réunion présente un potentiel géothermique, basse ou haute température, qui reste à évaluer.

Aux Antilles, les potentialités résident principalement dans la géothermie à haute enthalpie. La présence de gisement d’hydrocarbures n’est pas à exclure, dans la mesure où des permis exclusifs de recherches ont été délivrés par le passé au large de la Martinique. De nouvelles recherches pourraient également permettre de découvrir des richesses sous-marines à Saint-Pierre-et-Miquelon où le sous-sol est potentiellement riche en gaz et en pétrole.

Enfin, et j’achève ce tour d’horizon par le territoire le plus prometteur, la Guyane est vouée à demeurer au centre de nos attentions pour ses richesses aurifères et pétrolifères, que certains d’entre vous connaissent bien puisque votre commission a envoyé une délégation en mission sur place il y a un peu plus d’un an.

Sans préempter le débat qui nous attend, il me semble nécessaire de vous présenter ma vision et celle de mon ministère. Sur ce sujet comme sur d’autres, comme la biodiversité et la protection des ressources phytogénétiques, mon objectif consiste à rechercher l’équilibre entre le progrès humain, qui appelle le développement économique et la création d’emplois, et la préservation des milieux naturels, qui engage l’avenir des générations futures. C’est toute la difficulté ; c’est sur ces points que nous devons essayer d’avancer. Nos territoires ne peuvent se priver d’une meilleure exploitation des ressources de leurs sous-sols et de leurs fonds marins. Le taux de chômage élevé et la croissance démographique parfois soutenue, comme en Guyane et à Mayotte, nous imposent de rechercher des stratégies de développement économique efficace. En même temps, l’exiguïté de la plupart de ces territoires et leur grande richesse faunistique, floristique et écosystémique, à la fois impliquent une grande fragilité vis-à-vis des événements climatiques et des activités anthropiques, et nous confèrent une grande responsabilité envers la planète tout entière. Nous devons donc exploiter plus, mais exploiter mieux, durablement, et respectueusement nos richesses minières.

Cette ambition suppose une planification de l’activité, dans le temps comme dans l’espace, à l’échelle nationale comme régionale. Elle passe aussi par l’organisation et la professionnalisation de la filière, depuis les acteurs artisanaux jusqu’aux multinationales. Elle suppose l’évaluation exhaustive des impacts des activités minières dans la transparence et la collégialité, ce que prévoit le projet de code avec l’information et la consultation des populations. Il faut imposer les méthodes et techniques respectueuses de l’environnement, avec la même exigence de transparence. À toutes les étapes des projets, l’association des populations, des acteurs économiques et des collectivités locales est un impératif absolu sur lequel les conclusions remises en décembre dernier peuvent encore être améliorées. Enfin, la fiscalité minière doit être, simultanément, attractive pour les entrepreneurs et à même de restituer une partie du bénéfice – lié à l’utilisation de biens communs – à la collectivité nationale ainsi qu’aux territoires.

Telles sont les ambitions que je porte au travers de la réforme du code minier, en parfait accord avec mes collègues Arnaud Montebourg et Philippe Martin, sans que la convergence interdise toute forme de nuance. Le travail préparatoire réalisé par M. Thierry Tuot a été remarquable. Si son rapport final a mis explicitement à part le sujet ultramarin pour le renvoyer à un traitement sur mesure par ordonnance – ce dont nous reparlerons –, une consultation approfondie a été menée avec les acteurs ultramarins du secteur sous la forme d’un collège outre-mer, que j’ai ardemment souhaité et auquel certains d’entre vous ont participé. Le processus d’élaboration se poursuit et je conduirai une concertation sur le volet outre-mer du texte.

Surchargé, le calendrier parlementaire nous impose de vous proposer un projet de loi concis. C’est pourquoi a été retenu le principe d’un texte d’une trentaine d’articles assorti d’habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances pour la déclinaison des principes fondamentaux. Ce choix n’a pas manqué de faire débat.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Toujours ! Et, rassurez-vous, cela fait débat ici aussi.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je le comprends volontiers. J’étais moi-même réticent sur le principe des ordonnances appliqué à cette réforme. Mais une procédure classique sur l’intégralité du projet occuperait durablement le Parlement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. On n’hésite pas à le faire à d’autres occasions, monsieur le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Il est plus simple de présenter les nouveautés dans un projet de loi ramassé, et que les quelque quatre cents articles qui constituent l’existant se trouvent dans une ordonnance, pour éviter d’accumuler les retards sur cette réforme du code minier. Pour autant, je ne veux pas voir les élus dessaisis du débat sur les outre-mer. Je sais combien lourde est la rédaction d’une ordonnance ou d’un décret ; je préfère une discussion dans l’enceinte du Parlement. Le ministre que je suis – sans doute est-ce l’ancien parlementaire en moi – n’apprécie guère les ordonnances ; je l’ai fait savoir à qui de droit, et je continue de rechercher un éventuel meilleur véhicule législatif.

En ce qui concerne les outre-mer je souhaite que les articles du projet de loi comprennent a minima la reconnaissance de la richesse minière des outre-mer et de la nécessité de définir des cadres juridiques, économiques, techniques et financiers ajustés aux contraintes et réalités locales. Devront également être possibles la confirmation et l’amodiation des titres miniers spécifiques aux outre-mer tels qu’ils existent déjà dans le code actuel. Enfin, et c’est un vrai sujet, les régions et les collectivités uniques qui le souhaitent doivent pouvoir instruire et délivrer certains titres, par exemple les autorisations aux artisans et les permis aux PME, à l’exclusion des concessions, sur un périmètre comprenant les terres et la mer territoriale – mais pas la zone économique exclusive.

Je crois à la décentralisation tout en reconnaissant que la nation doit être présente dans la décision minière. Arnaud Montebourg, Philippe Martin et moi en avons beaucoup discuté. Prenons le cas de la Guyane, territoire d’une richesse minière aussi colossale que diversifiée en métaux comme en hydrocarbures : la collectivité ne sait rien de la procédure de délivrance d’un permis exclusif de recherches, et pas davantage de l’octroi d’une concession. Il y a un véritable contentieux avec l’État autour du schéma départemental d’orientation minière (SDOM) et du schéma d’aménagement régional (SAR) ; l’État vient de gagner en justice devant le Conseil d’État, mais cela ne fait pas disparaître le problème politique.

Comment associer les collectivités, en subsidiarité, à l’exercice du pouvoir ? De ce point de vue, l’avant-projet me semble encore un peu trop centralisé. Nous avions trouvé une formule permettant aux régions, dans une procédure bien établie, d’instruire et de délivrer les permis exclusifs de recherche en association avec les services de l’État. L’octroi d’une concession d’exploitation, qui nécessite une expertise poussée que seul l’État peut détenir, resterait une compétence nationale assortie d’un avis des élus des locaux. La réflexion s’est poursuivie avec l’hypothèse d’une société nationale disposant de monopoles d’exploitation, ce qui semble plus délicat que prévu. Cela change les données du problème.

Je souhaite que, dans le cadre de la préparation de l’ordonnance, nous ayons avec les élus de cette commission un débat approfondi sur la répartition du pouvoir en matière minière. La question ne se pose plus pour la Nouvelle-Calédonie, que la réforme de son statut organique dote d’un contrôle sur l’ensemble des ressources minières locales – à l’exception des matières nucléaires qui demeurent sous la responsabilité de l’État. Une situation voisine prévaut en Polynésie française. Les autres collectivités ultramarines sont très attentives à ces évolutions. Nous devons concilier l’impératif d’unité de l’État, car nous n’existerons pas sur les marchés internationaux en l’absence de champions nationaux, et la nécessaire association des instances décentralisées. J’aimerais que la concertation se poursuive sur ce point dans la rédaction de l’ordonnance.

Je n’ai pas encore eu le temps de recueillir le sentiment des élus locaux quant à la répartition des compétences en fonction de la taille et du lieu de l’exploitation. La position des représentants guyanais sera particulièrement importante, et je veux profiter de l’occasion pour rappeler les principes qui ont guidé notre action lors de la campagne de recherche d’hydrocarbures en mer au large de Cayenne : transparence des études, des autorisations et des activités industrielles, association continue de tous les acteurs locaux, et formation des jeunes guyanais dans le développement de l’économie d’avitaillement.

Voici en quelques mots ma philosophie sur cette réforme à venir du code minier. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, et je reviendrai volontiers devant vous une fois que la rédaction de l’ordonnance aura progressé.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie de cette présentation exhaustive des enjeux ultramarins de la réforme du code minier. Il est vrai que l’ordre du jour de l’Assemblée nationale est particulièrement encombré. C’est la raison avancée pour justifier le recours aux ordonnances. Je comprends que le nouveau code regroupera, suivant l’estimation de Thierry Tuot, trois quarts de dispositions anciennes pour, au plus, un quart d’innovations. Je peux admettre qu’on utilise l’outil des ordonnances pour les premières.

J’ai indiqué au cabinet du Premier ministre, comme à Arnaud Montebourg la semaine dernière, que nous n’accepterions pas de voter des habilitations sans disposer des ordonnances préalablement rédigées. Il faut que les projets soient portés à notre connaissance. Il paraît que certaines parties sont déjà bien avancées ; cela ne devrait donc pas poser de difficulté insoluble.

Quant aux articles qui nous seront soumis et qui introduiront dans la législation des dispositions nouvelles, nous ne savons pas exactement à quoi ils correspondraient. Est-ce l’équivalent du livre premier relatif aux principes ou va-t-on au-delà ? Vous avez parlé d’une ordonnance sur les dispositions concernant l’outre-mer. Compte tenu des spécificités ultramarines et des évolutions qu’il faudrait peut-être introduire, je ne pense pas que tout ceci devrait passer par une ordonnance. Ce serait une erreur car, si je vous ai bien entendu, les articles du futur code minier sur l’activité outre-mer seront probablement novateurs. Ils devraient donc figurer dans le projet de loi, a fortiori parce qu’une décentralisation au bénéfice des collectivités d’outre-mer, ou une modification de la répartition des produits de la fiscalité minière, me semble mériter un débat au Parlement.

Les députés et les sénateurs doivent pouvoir s’exprimer sur ces enjeux. Dans mon esprit, ce qui relève de l’outre-mer ne doit pas être édicté par ordonnance. Ceux qui ont travaillé sur cette réforme du code minier savent que l’outre-mer nécessite plus qu’une adaptation formelle. L’équilibre entre rôle de l’État et compétence des collectivités, dont vous parliez au début de votre intervention, doit être fixé au premier chef par les parlementaires. C’est d’autant plus vrai que nous savons que le projet de loi de ratification de l’ordonnance ne sera vraisemblablement pas l’occasion d’un débat, puisque l’inscription à l’ordre du jour de ces textes est plus qu’improbable dans un contexte d’agenda chargé.

J’ai demandé à disposer d’une répartition entre ce qui pourrait figurer dans le projet de loi et ce qui ferait l’objet d’une ordonnance. Je n’ai pas encore eu d’information, mais j’insisterai pour que les articles relatifs à l’outre-mer trouvent leur place dans le premier plutôt que dans la seconde.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je prends acte de votre position. Je ne manquerai pas d’en faire part au Premier ministre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Eu égard au rôle qu’assument les collectivités territoriales, au précédent néo-calédonien, au pouvoir réglementaire dont disposent les territoires ultramarins et aux richesses que recèle leur sous-sol, il me semble que c’est une position de bon sens.

Mme Françoise Dubois. Je soutiens pleinement les propos et les exigences de notre président. La discussion avec les parlementaires m’apparaît incontournable.

La réforme se caractérise par un renforcement de la concertation avec les populations locales et leurs élus. L’expérience récente nous conduit à privilégier l’information de tous pour éviter les tentatives de manipulation où certains font miroiter un développement économique parfois illusoire.

Que pensez-vous du moratoire actuellement imposé aux demandes de permis en cours d’instruction ? Est-il pertinent de les bloquer dans l’attente de l’entrée en vigueur des prochaines prescriptions législatives ? La préservation de l’environnement s’impose face à des titres miniers qui pourraient, comme d’autres par le passé, être concédés un peu n’importe comment.

Le rapport de Thierry Tuot a proposé l’internationalisation des autorisations minières, dans le sens où les pouvoirs publics mettraient les pétitionnaires en concurrence avec des opérateurs étrangers. Jugez-vous cette option applicable ?

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je ne suis pas maître de la procédure, mais je répète que ma préférence personnelle quant à l’adoption de la réforme minière va à la discussion parlementaire. Le président Chanteguet a évoqué une voie moyenne consistant à mettre les ordonnances à la disposition des députés au moment du vote sur l’habilitation. Cela me paraît une solution acceptable. Il faut avoir une vue globale sur les dispositions proposées pour émettre un vote réfléchi. Je plaiderai en ce sens sitôt sorti de votre commission auprès du Premier ministre.

Je suis partisan de la mise en concurrence des titres miniers. C’est lutter contre l’opacité ; c’est un élément de la transparence. On voit parfois, après plusieurs années d’inaction dans l’instruction des dossiers, des autorisations délivrées en rafale. C’est un peu curieux. Il faudra simplement continuer à veiller à la préservation des intérêts nationaux.

M. François-Michel Lambert. Je veux soutenir votre vision : retour de l’État, planification, professionnalisation, évaluation en amont des différents impacts, respect des territoires et des personnes. L’outre-mer présente une variété qui doit nous conduire à y appréhender le développement économique autrement qu’en Europe.

Vous avez mentionné la possibilité d’une régionalisation partielle de la compétence minière. Je voudrais approfondir la réflexion sur ce point, sur la base de l’expérience du dossier Rexma en Guyane. Nombre d’administrations avaient alerté sur les aspects négatifs du permis dit Limonade, mais l’imperfection de la procédure a pratiquement permis au pétitionnaire d’obtenir l’autorisation d’exploiter. Heureusement, la falsification de l’étude sur l’impact de l’activité d’extraction sur les populations de loutres d’Amazonie a donné aux pouvoirs publics l’opportunité juridique d’une réaction. Mais le coup est passé près. Alors oui, il faut donner davantage de pouvoir aux régions, et plus encore aux régions d’outre-mer, pour déterminer la voie de leur développement économique et humain. Mais ce sont des territoires où existent des failles face à l’action des entreprises. Comment faire en sorte que l’État garantisse l’intérêt général, qu’il joue un rôle de protecteur des hommes et des femmes qui vivent sur les lieux face aux ambitions de quelques-uns ?

J’apporte un soutien total à la position du président Chanteguet : les dispositions relatives à l’outre-mer doivent faire l’objet d’un débat législatif plein et entier à l’Assemblée nationale. Je pense à nos collègues ultramarins, qui doivent avoir voix au chapitre, mais aussi à ce que nous pourrions tous apporter à cette discussion. Choisir l’ordonnance, c’est passer au-dessus d’une pluralité de regards, d’une diversité d’opinions, et c’est dommage.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je vous remercie de vos propos et, également, de votre soutien passé à l’occasion d’un conflit récent qui nous a opposés à une firme multinationale qui voulait décider à la place des élus. Le retour de l’État est aussi l’affirmation de la souveraineté démocratique – sans pour autant vouloir contraindre le marché. La publicité du débat démocratique est une garantie de transparence. Mettre à disposition du Parlement le texte de l’ordonnance serait une voie médiane : nous allons travailler plus vite pour qu’elle puisse être rendue disponible ; il reviendra ensuite au Premier ministre de faire un choix parmi les procédures à sa disposition.

L’affaire Rexma est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Une discussion préalable avec les élus s’impose comme une évidence. On n’aurait pas découvert au dernier moment qu’une entreprise voulait creuser pratiquement au milieu du bourg – en fait à quelques kilomètres – et la réponse administrative n’aurait pas attendu une mobilisation associative et journalistique pour se formaliser. La consultation en amont sera garantie par la réforme.

Nous ne sommes pas naïfs. J’ai parlé avec Arnaud Montebourg et Philippe Martin comme, auparavant, avec Thierry Tuot. Décentraliser est une option, mais l’exercice de la police des mines par l’État n’est pas négociable. Lui seul est en mesure de garantir l’intérêt général et l’expertise indépendante si, d’aventure, la puissance de quelque grande firme venait à impressionner les décideurs locaux. C’est la raison pour laquelle je pense que l’État doit conserver aussi l’octroi des concessions d’exploitation, de façon à pouvoir contrôler l’intégralité de la procédure passée et à sanctionner d’éventuelles violations. Les collectivités n’ont pas les moyens de le faire à l’heure actuelle.

Ce partage du pouvoir de décision ne contrevient pas à la généralisation de l’intervention. Il est insensé que des maires apprennent la délivrance de permis de recherches sur le périmètre de leur commune en lisant le journal. Cela s’est produit dans ma commune natale, Vieux-Habitants en Guadeloupe : la commune voisine de Bouillante abrite un site géothermique sur lequel un permis a été délivré il y a quelques années sans que personne ne juge utile d’informer les élus, de leur indiquer où et quand les travaux seraient exécutés. On a réussi à faire descendre la population dans la rue pour manifester contre l’énergie géothermique, la plus propre qui soit. Alors président de région, j’ai dû personnellement aller devant des foules pour les appeler au calme, pour défendre l’intérêt stratégique du projet totalement occulté par ces manières de faire. Management déplorable, mauvaise procédure, absence de concertation : c’est la recette de l’échec.

Le texte en préparation prévoit de partager la redevance minière entre l’État (30 %), la commune (30 %), la région (30 %) et le département (10 %) – soit 40 % pour les collectivités uniques de Martinique et de Guyane. Des adaptations seront apportées pour les cas wallisien et polynésiens, où les statuts sont différents, ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon dans la perspective de l’accord de libre-échange euro-américain. Je me répète : ces problématiques particulières demandent un débat parlementaire. Je ne partage pas la crainte d’un effet d’imitation qui verrait les régions métropolitaines réclamer les compétences décentralisées outre-mer. Il y a déjà une plus grande décentralisation, et même une plus grande déconcentration au bénéfice des préfets installés sur ces territoires, sans que personne n’y ait trouvé à redire. Je suis attaché au rôle de l’État, mais il ne se confond pas avec la recherche obsessionnelle du statu quo. Je n’ai pas le sentiment que le projet de réforme minière soit totalement arrêté sur la question de la subsidiarité ; cet équilibre reste à affiner.

Mme Françoise Dubois. Le projet Tuot prévoit de mieux encadrer les projets d’exploitation en mer. C’est important car l’éloignement des populations ne doit pas conduire à en sous-estimer les dangers pour les écosystèmes. C’est un sujet qui concerne particulièrement les territoires ultramarins.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. C’est vrai. C’est pour cette raison que je comprends volontiers que la compétence minière reste centralisée au-delà des douze miles nautiques, avec une police spéciale des mines. Là aussi, il faut une information préalable, ne serait-ce que pour obtenir un aval des marins-pêcheurs. La démocratie prend toujours un peu plus de temps, mais elle permet de cristalliser une adhésion. Si l’instruction du permis Rexma avait été démocratique et respectueuse de ces grands principes, je suis convaincu que nous aurions évité un psychodrame.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il nous reste à remercier Victorin Lurel pour ses explications. Je suis certain que nous nous reverrons prochainement sur ce sujet important de la réforme du code minier. L’audition de Philippe Martin, la semaine prochaine, viendra clôturer les investigations préparatoires de notre groupe de travail.

20. Audition de M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (18 février 2014)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite la bienvenue à Philippe Martin pour la dernière audition au programme de notre groupe de travail. Parce que nous estimons importante la réforme du code minier, la commission du développement durable a désigné dix de ses membres afin d’entendre les positions de tous et de préparer en amont l’examen parlementaire des propositions gouvernementales. Nous avons commencé nos travaux à l’automne en recevant M. Thierry Tuot, qui avait alors présenté les conclusions de la commission qu’il animait à la demande du Gouvernement. Nous avons eu communication de sept livres du futur code minier. Il nous manque encore les mesures relatives à la fiscalité, les dispositions transitoires et les articles spécifiques à l’activité minière outre-mer.

Nos précédentes auditions nous ont permis d’acquérir un certain nombre de convictions, en particulier sur le souhait du Gouvernement de recourir à la procédure de l’article 38 de la Constitution. Nous comprenons parfaitement la difficulté pour l’Assemblée nationale et pour le Sénat que constituerait un texte de plusieurs centaines d’articles, dont la grande majorité n’effectuerait d’ailleurs rien de plus qu’une recodification de l’existant. De ce point de vue, le choix des ordonnances ne manque pas de légitimité. Néanmoins, je veux formuler deux positions que je crois consensuelles parmi les différents groupes politiques. En premier lieu, la mise à notre disposition des ordonnances rédigées au moment du vote d’habilitation nous apparaît indispensable. En second lieu, le livre sur l’outre-mer doit être discuté par le Parlement selon la procédure législative classique : Compte tenu de ce que représentent ces territoires en termes de richesses minières, l’inverse ne pourrait être interprété que comme un manque de respect. Le ministre des Outre-mer, qui s’est présenté devant nous la semaine dernière, est informé de cette exigence.

Nous aurons l’occasion d’échanger ensemble sur ces différents sujets. Je vous cède préalablement la parole pour une intervention liminaire, non sans vous avoir remercié, monsieur le ministre, d’avoir accepté notre invitation.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. C’est toujours pour moi un plaisir de retrouver cette salle de commission que je connais bien. Le sujet du code minier mérite effectivement toute notre attention. Le Gouvernement se trouve, actuellement, dans une phase de validation des propositions issues du groupe de travail animé par Thierry Tuot. C’est donc un bon moment pour se rencontrer, c’est-à-dire pour que je vous communique les orientations retenues à ce stade et mes positions en tant que ministre de l’écologie et de l’énergie, mais surtout pour que vous me fassiez part de vos opinions sur le futur projet comme le président Chanteguet vient de le faire à l’instant.

Je porterai cette réforme devant le Parlement avec conviction. Son objectif est d’intégrer dans le code minier les exigences de participation du public et de protection de l’environnement. La législation actuelle ne permet pas de les satisfaire convenablement. L’année 2011 a vu naître un sentiment de grande méfiance populaire envers le code minier et les règles qu’il contient, que la loi dite Jacob n’a pu dissiper entièrement. Nous devons répondre à cette méfiance par la démocratie environnementale : la loi du 13 juillet 2011, quels que soient ses mérites – au premier rang desquels la validation par le Conseil constitutionnel le 10 octobre dernier de l’interdiction de la fracturation hydraulique –, n’a fait évoluer ni les procédures d’instruction, ni les principes directeurs du code minier. Nous souhaitons placer leur réforme sous le signe de la transparence et du dialogue.

La phase de concertation, qui s’est déroulée tout au long de l’année 2013, a été saluée par tous. C’est, d’ores et déjà, un acquis de la réforme, dont nous devons prolonger la dynamique tout en respectant les conclusions du groupe de travail animé par Thierry Tuot. Ce dernier avait souhaité pouvoir travailler sans aucune interférence gouvernementale. Cette règle de fonctionnement, respectée par tous, lui a permis de se livrer à un exercice novateur, de réflexion et d’écriture simultanées. Il nous appartiendra de préserver les équilibres atteints, sous réserve naturellement des prérogatives du Parlement.

En ce qui concerne le calendrier de la réforme, le projet de loi sera prêt au mois de mai pour un dépôt devant le Parlement à la fin du printemps. J’espère que le débat pourra commencer au cours de l’été. Je préciserai cet agenda demain dans une communication au Conseil des ministres relative aux lettres de cadrage de la transition écologique.

La discussion parlementaire peut prendre trois formes. La première option consiste en une procédure législative classique sur l’ensemble des sept cents articles, dont cent seulement traduisent de véritables innovations. Le deuxième choix serait celui, traditionnel pour une codification, d’une habilitation générale à légiférer par ordonnance – à ceci près que nous ne serions pas à droit constant. Enfin, une troisième voie, médiane, verrait coexister un projet de loi limité à la substance de la réforme et une ordonnance de mise en conformité du code actuel avec les innovations introduites par le Parlement.

Je vais répondre sans attendre aux demandes formulées par votre président. Je prends, d’ores et déjà, l’engagement que vous puissiez disposer du projet d’ordonnance en même temps que du projet de loi, si c’est finalement l’option retenue par le Premier ministre. Je crois même que le Parlement doit pouvoir, dans le projet de loi, introduire des dispositions qui nécessiteront d’adapter le projet d’ordonnance. Ce sera un exercice innovant et intéressant.

Je vais maintenant exprimer quelques-unes des idées-forces qui doivent sous-tendre la réforme que nous ambitionnons.

Premièrement, cette réforme confirme le modèle minier français, par opposition aux législations anglo-saxonnes. L’État conserve la compétence de délivrance des titres miniers car le sous-sol, exploitable, appartient à la puissance publique. Nous préférons un code unique, alors que d’autres pays ont des réglementations différentes en fonction des matières extraites, et nous avons écarté l’idée d’une fusion complète avec le code de l’environnement.

Deuxièmement, les décisions minières relèvent du niveau ministériel. Les autorisations accordées aujourd’hui par les préfets de département seront reconcentrées. Je suis d’accord avec cette proposition du groupe de travail animé par Thierry Tuot, à ceci près que je souhaite que le ministre puisse se concentrer sur les décisions les plus importantes et que cette reconcentration n’alourdisse pas les procédures et les délais.

Troisièmement, l’expérience a montré que la France manque d’un lieu de débat serein et ouvert. Un Haut Conseil des mines serait institué pour discuter de toutes les questions relatives à la politique et à la réglementation minières, sur saisine du ministre.

Quatrièmement, l’élaboration d’un schéma national minier de valorisation et de préservation du sous-sol est retenue dans son principe par le Gouvernement. Toutefois, je souhaite recueillir l’opinion des parlementaires pour décider de sa portée juridique : le schéma peut être soit prescriptif, soit descriptif. La religion du Gouvernement n’est pas faite en la matière. J’insiste toutefois sur un point : la loi du 13 juillet 2011 est un texte autonome que le nouveau code minier n’a pas vocation à altérer. Je ne parlerai donc pas des gaz de schiste, mais je gage que d’autres l’ont fait avant moi au cours de vos travaux.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Eh non !

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. C’est donc, cher président, que vous aurez veillé au grain !

Cinquièmement, l’information et la participation du public représentent sûrement les avancées les plus attendues de cette réforme. La crise de 2011 est née de la découverte qu’un ministre avait pu octroyer des titres miniers, au mieux « à l’insu de son plein gré », et quoi qu’il en soit dans la plus totale opacité, hors du regard des citoyens et des élus concernés. Le groupe de travail de Thierry Tuot pose un principe clair auquel j’adhère pleinement : toutes les décisions minières feront l’objet d’une évaluation environnementale et, par voie de conséquence, d’une procédure de consultation du public.

Sixièmement – et c’est un sujet très voisin du précédent –, les élus locaux ne seront plus tenus dans l’ignorance des décisions minières qui concernent leurs territoires. La découverte d’autorisations délivrées par-dessus leur tête a été vécue par eux comme un abaissement et une véritable vexation : ces élus ont été, dans leurs communes, sollicités par leurs concitoyens auxquels ils n’ont pas pu répondre, tout simplement parce qu’ils ne savaient pas ce qui se passait. Leur intégration aux procédures permettra à la fois un apaisement des débats et un renforcement de la démocratie locale.

Septièmement, une procédure renforcée de participation du public réunira les parties prenantes qui pourront commander des expertises indépendantes et formuler des avis auprès de l’autorité administrative : c’est ce que le groupe de travail animé par Thierry Tuot appelle un « groupement momentané d’enquête ». Pour nous conformer au mieux à la Charte de l’environnement et à la convention d’Aarhus, il me semble nécessaire que la constitution de ce groupement intervienne très en amont de la décision, à un moment où toutes les options sont ouvertes. Cette procédure doit-elle être systématique ? Obligatoire seulement pour certaines décisions comme les délivrances de permis ? Son déclenchement doit-il demeurer à la discrétion de l’autorité compétente ? Là encore, le Gouvernement écoutera avec intérêt les opinions des parlementaires avant de faire son choix. Pour ma part, je ne suis pas sûr qu’il faille systématiser cette procédure qui devrait être réservée aux décisions les plus importantes, comme les délivrances de titre. Le mécanisme doit rester souple sans devenir pour autant discrétionnaire : il faudra donc préciser qui peut en décider.

Huitièmement, le rapport remis par Thierry Tuot préconise que le droit du public à avoir accès aux informations relatives aux substances utilisées à l’occasion des travaux miniers ne puisse être mis en échec ni par le secret industriel, ni par la protection de la propriété intellectuelle. C’est une proposition très novatrice. De grands groupes internationaux avaient fait montre, il y a quelques années, de fortes réticences à communiquer la liste des produits employés pour des activités de forages. D’ailleurs, je signale que cette proposition n’a pas recueilli un consensus des parties prenantes au sein du groupe de travail. Le Gouvernement devra donc prendre position. Comme ministre de l’écologie et de l’énergie, je défendrai cette avancée sur le chemin de la transparence.

Neuvièmement, les délais d’instruction sont aujourd’hui d’une longueur excessive. Quinze mois sont nécessaires à l’instruction d’une prolongation de permis et deux ans à celle de délivrance d’un nouveau titre. J’estime ces délais anormaux. Rien ne justifie qu’il faille quatre mois pour décider qu’un dossier est complet. Le point de vue des industriels doit être entendu sur ce point. Faut-il, pour y répondre, introduire un mécanisme d’approbation tacite des demandes ? Je sais que le ministre du redressement productif s’est déclaré favorable à cette mesure, en accord avec le « choc de simplification » engagé par le Président de la République. Je dois cependant exprimer ma réticence. Une décision implicite, acquise après quelques mois de silence de l’administration, me semble contradictoire avec la volonté de transparence et de participation du public qui anime cette réforme. En revanche, je suis ouvert à une procédure raccourcie pour les extensions et les renonciations, voire les prolongations. Sachons manier avec circonspection l’outil de l’approbation tacite.

Dixièmement, les travaux miniers seront soumis à la réglementation applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). C’est une simplification majeure qui préserve toutes les garanties environnementales.

Onzièmement, les pétitionnaires devraient accompagner leurs demandes de permis de recherches d’un engagement portant sur la nature des travaux qu’ils comptent engager, de sorte que les titres miniers puissent être délivrés, aussi, au regard de la nature des travaux. Cette proposition s’efforce de répondre à l’une des difficultés posées par le code minier. Actuellement, les enjeux environnementaux ne sont pas examinés au moment de la délivrance du titre car on estime que les travaux ne sont alors pas encore définis. Les enjeux environnementaux ne sont évalués qu’au moment où les opérateurs, qui possèdent un titre, déposent une demande d’autorisation de travaux. Ce hiatus ne peut être complètement comblé : il est vrai que les programmes de travaux peuvent évoluer. Mais il serait tout de même plus cohérent et, pour les populations concernées, plus rassurant, que l’on puisse se fonder sur des programmes définis aussi précisément que possible. À quoi sert de délivrer un titre si l’on est conduit ensuite à refuser les travaux ? Le groupe conduit par Thierry Tuot suggère que soit précisée la manière d’explorer au moment du dépôt de la demande de permis. Il rappelle à cette occasion qu’il s’agit là d’une disposition contenue dans la directive européenne du 30 mai 1994 sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures. Cette proposition doit être expertisée très sérieusement.

Douzièmement, le projet institue une nouvelle procédure juridictionnelle de « rescrit procédural ». Le mécanisme envisagé permettrait à l’opérateur de soumettre au juge – en l’occurrence à la cour administrative d’appel – les difficultés qu’aurait soulevées la procédure avant la phase de délivrance de l’autorisation : l’instruction pourrait alors être rectifiée avant la décision administrative et, une fois validée, ne saurait plus être contestée en justice à l’occasion de recours ultérieurs. Toutefois, il resterait possible d’introduire de nouvelles actions contre le titre minier, au fond cette fois, c’est-à-dire contre son opportunité, car le droit au recours est une composante de l’État de droit. J’ajoute qu’il ne s’agit pas de prévenir de prétendus recours abusifs pour la bonne et simple raison que, en matière d’environnement, aucun recours n’est abusif. Mais la validation une fois pour toutes de la procédure d’instruction apportera un supplément de sécurité juridique appréciable pour les opérateurs.

Treizièmement, la réforme aborde également la question de la responsabilité des opérateurs dans la gestion des dégâts de l’après-mine. Thierry Tuot avance une proposition conforme aux souhaits des communes minières concernées : l’exploitant demeure responsable de ses actions mais, s’il vient à manquer, il devient possible de rechercher la responsabilité du bénéficiaire de l’extraction ou de celui qui en a assuré la conduite effective. Les entrepreneurs indélicats ne pourront plus se réfugier derrière une filiale disparue, et ils pourront être rappelés à leurs devoirs même s’ils se trouvent au-delà de nos frontières. C’est une proposition à expertiser, mais qui est séduisante au premier regard. Un fonds national de l’après-mine, alimenté par les produits de la fiscalité minière, me semble également une innovation bienvenue.

J’en ai terminé avec les points fondamentaux, à mes yeux, de la réforme du code minier. J’attends désormais vos questions et, surtout, vos avis.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le débat sur le caractère prescriptif, ou non, du schéma national de valorisation minière est effectivement important. Les associations que nous avons reçues plaident en faveur d’un document opposable quand les industriels développent une approche différente. C’est un point sur lequel les enjeux devront être précisés.

Le groupement momentané d’enquête aurait-il vocation à exister pour tous les dossiers, et donc à s’inscrire dans le droit commun, ou à se limiter aux dossiers les plus importants justifiant une procédure d’information renforcée ? Nous avons entendu le ministre du redressement productif opter pour une généralisation de cet instrument.

Vous avez expliqué votre vision du rescrit procédural, que je vais reprendre sous votre contrôle : il s’agit donc de saisir la cour administrative d’appel pour qu’elle statue sur la procédure, les recours au fond demeurant possibles selon les règles de droit commun. Ce dernier point m’apparaît fondamental.

Quant à la décision implicite d’acceptation une fois passé un délai fixé, j’aimerais que vous précisiez votre position.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Avant cela, je m’aperçois que je n’ai pas répondu à votre interrogation sur les dispositions relatives aux outre-mer. Je suis d’accord avec vous sur la nécessité de respecter ces collectivités, et nos concitoyens qui y vivent, en leur offrant la possibilité d’un débat national. Le recours à une ordonnance, solution retenue par le groupe de travail de Thierry Tuot pour des raisons de calendrier et non de fond, les en priverait. Le projet de loi devrait contenir des dispositions spécifiques, à propos notamment de la répartition des compétences et du respect de l’environnement. La richesse ultramarine tient autant aux ressources minières qu’à la biodiversité : j’approuve donc votre demande d’un débat législatif sur ces questions.

Thierry Tuot a conçu le groupement momentané d’enquête comme un instrument exceptionnel, réservé aux cas les plus complexes et comportant les enjeux les forts. C’est une approche novatrice, et l’expérience récente a montré tout l’intérêt de prendre un peu de temps pour réunir les parties prenantes et clarifier les incompréhensions. Même pour le pétitionnaire, la chose peut avoir son intérêt. Le ministre du redressement productif propose de la systématiser. Pour autant, je ne souhaite pas allonger démesurément toutes les procédures.

En ce qui concerne la décision implicite d’acceptation, je voudrais rappeler que la réforme est destinée à protéger l’environnement et à informer le public, mais aussi à sécuriser les investisseurs et les entrepreneurs. C’est un point d’accord entre le ministre du redressement productif et moi-même, sans doute parce que les demandes aboutissent sur nos deux bureaux : la situation actuelle n’est pas satisfaisante du point de vue économique. Cependant, je ne veux pas que l’approbation silencieuse se substitue à la responsabilité politique. C’est la raison pour laquelle je suis réservé sur ce point.

M. Patrice Carvalho. Le projet de loi de réforme du code minier sera soumis au Parlement au printemps. Ce n’est pas du luxe puisque ce texte vieux de deux siècles détonne dans la France moderne, tant pour la participation du public que pour la protection de l’environnement. L’intention du Gouvernement de légiférer par ordonnance ne sera pas soutenue par mon groupe : la modernisation du code minier mérite un véritable débat devant la Représentation nationale, au moins sur les dispositions novatrices.

Je voudrais saluer la réaffirmation du modèle minier français, fondé sur l’État et non sur l’entière liberté du propriétaire du sol. Le schéma national, le Haut Conseil des mines, l’information du public, l’extension de la réglementation ICPE, la clarification du régime de responsabilité après l’exploitation sont autant de points positifs.

J’aimerais toutefois formuler quelques interrogations. L’exploitation des gaz de schiste est bannie par la loi du 13 juillet 2011 qui prohibe la fracturation hydraulique. Je comprends cette décision, mais je suis beaucoup plus réservé sur le choix d’abroger, au nom du principe de précaution, les permis de recherches précédemment délivrés. Si une perspective d’exploitation acceptable devait apparaître, il faudrait préalablement la rechercher. Je ne vois pas de raison de nous en priver. Je partage l’idée d’une alternative aux énergies carbonées mais, comme il n’en existe aucune qui soit fiable et convaincante à ce jour, nous ne pouvons pas repousser d’un même mouvement le gaz de schiste et la réduction de la facture énergétique de dix milliards d’euros. C’est un sujet qui doit trouver sa place dans la réforme du code minier.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. J’ai été suffisamment longtemps parlementaire pour être attentif au respect des droits des assemblées : je ne suis donc guère amateur des ordonnances. La présence dans le projet d’un grand nombre de dispositions existantes et vouées à demeurer inchangées peut nous permettre de gagner du temps sans rogner les prérogatives du Parlement. Je ne suis pas favorable à un débat parlementaire mené à la va-vite. Quand j’étais député d’opposition, j’ai trop souhaité une réforme du code minier – avec Jean-Paul Chanteguet d’ailleurs – pour me satisfaire de conditions de débat dégradées. Les projets de loi et d’ordonnance devront être communiqués ensemble, et la dernière doit pouvoir évoluer en fonction du débat parlementaire.

En ce qui concerne les hydrocarbures non conventionnels, je rappelle qu’ils ne sont pas dans le champ de la réforme minière entreprise par le Gouvernement. Je ne ferai, par conséquent, aucun commentaire.

Mme Sabine Buis. Il y a donc une question que j’avais prévu de poser et qui n’aura pas de réponse.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. En vérité, ma réponse est connue de longue date.

Mme Sabine Buis. Certes, mais elle est toujours agréable à entendre. Si je vous ai bien suivi, le calendrier de la réforme sera précisé demain en Conseil des ministres. Est-ce exact ?

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je prononce demain devant le Conseil des ministres une communication sur la politique écologique de l’année à venir. J’évoquerai, à cette occasion, les trois projets de loi que je serai chargé de porter cette année : le projet de loi relatif à la biodiversité, le projet de loi relatif à la transition énergétique et le projet de loi réformant le code minier. Je prévois un dépôt de ce dernier fin mai. Le calendrier précis d’examen dépend de l’ordre du jour des assemblées, de la longueur des sessions extraordinaires, et des sollicitations du ministre des relations avec le Parlement. Je vous ai donné, à grands traits, mes objectifs.

Mme Sabine Buis. L’épisode des gaz de schiste a fait naître une grande espérance pour la réforme du code minier, supposée apporter une réponse aux mobilisations constatées sur le terrain. Je manque parfois de mots pour expliquer désormais en quoi cette réforme apportera un terme heureux aux combats menés depuis trois ans.

Je crois important que le schéma national minier ait une valeur juridique, prescriptive et opposable. Il faut pouvoir l’intégrer dans les autres documents de planification nationaux, régionaux et locaux. C’est aussi la seule façon de lui donner du sens.

Le groupement momentané d’enquête est créé à titre dérogatoire et exceptionnel, si j’en crois le projet rédigé par Thierry Tuot, ce qui amène à s’interroger sur les critères sur lesquels l’administration le constituerait ou non. D’autres estiment qu’il doit être permanent et organiser la concertation dans tous les cas de figure. Comment concevez-vous son rôle ? Comment sera-t-il composé ? C’est une prescription que le Parlement devra pouvoir édicter.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En complément de la première remarque, puis-je vous demander votre position sur l’opportunité de définir dans le code minier les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ? Ils ne sont, pour l’heure, qu’une seule et même catégorie.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Le groupement momentané d’enquête est destiné à permettre de croiser les expertises. Le ministre ne dispose souvent que d’un seul regard au moment de prendre sa décision, et des études complémentaires menées par des associations ou par des collectivités locales peuvent compléter utilement la vision du dossier. Institutionnaliser l’expertise dans le groupement momentané d’enquête, dans le respect du contradictoire, enrichira une instruction.

Les permis en cours seront soumis à des dispositions transitoires, qui formeront le chapitre final de la réforme du code minier.

Quant au caractère prescriptif du schéma national, je prends acte de votre position dans le débat. Mais ce schéma serait déjà important même sans valeur impérative. Ce serait déjà une avancée notable que de disposer de données accessibles et mises à jour sur la géologie et les richesses connues de notre sous-sol, sur les techniques utilisées et leur analyse par des revues scientifiques et technologiques.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le débat est important car c’est un point de désaccord entre associations et industriels.

Mme Sabine Buis. J’ai du mal à concevoir le rôle du Haut Conseil des mines tel qu’il nous a été présenté. Il sera saisi par l’administration pour dresser le schéma national. C’est un peu court.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Ce sera surtout un lieu d’orientation et de concertation, comme le Haut Conseil de l’eau ou celui des déchets, pour organiser les échanges sur toutes les questions relatives à l’activité minière. Quant à sa composition et aux modalités de son fonctionnement, sans doute est-ce trop tôt pour l’évoquer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’aimerais revenir sur l’autorisation tacite une fois les délais d’instruction des dossiers expirés. L’enjeu fondamental est de réduire ce temps administratif de traitement des demandes. Il est excessivement long aujourd’hui, mais l’étrécissement des administrations y est pour quelque chose. La révision générale des politiques publiques (RGPP) est passée par là ; moins de fonctionnaires signifie forcément des instructions plus lentes.

Mme Françoise Dubois. Le président Chanteguet vient d’exprimer ma préoccupation : c’est très bien de raccourcir les délais de traitement administratif, mais pas au prix d’un examen de moindre qualité. Les procédures demandent du temps ; il ne faut pas qu’elles soient escamotées sous le paravent d’une décision implicite d’acceptation.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je perçois effectivement une contradiction entre la recherche de la transparence et la possibilité d’une autorisation tacite. Comment concilier les deux ? Je considère le raccourcissement des délais comme une obligation envers les pétitionnaires, qui ne devraient pas avoir à attendre des années pour voir aboutir un dossier. Toutefois, la simplification des procédures n’équivaut pas à la réduction des exigences. De plus, je n’interprète pas la participation du public comme une perte de temps ; je pense même que sa bonne réalisation permet de parvenir à une décision sans avoir besoin d’une décision implicite.

Il faut poser un postulat important : la réforme minière n’est pas destinée à empêcher l’activité extractive dans notre pays, bien au contraire. Elle existe ; elle est légale ; elle doit pouvoir se dérouler dans les meilleures conditions. C’était d’ailleurs une position consensuelle dans le groupe de travail animé par Thierry Tuot.

M. François-Michel Lambert. Le groupement momentané d’enquête pourrait-il bénéficier de l’expérience de la commission nationale du débat public (CNDP) avec laquelle il semblerait partager beaucoup de points communs ?

L’affaire Rexma, en Guyane, me pousse à nourrir des doutes sur la création d’un rescrit procédural. Ce mécanisme aurait-il permis de mettre un terme au parcours administratif d’un dossier dans lequel l’étude d’impact avait été falsifiée quant au devenir de la loutre d’Amazonie ?

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Sur le dossier Rexma, je me réjouis que le ministre du redressement productif ait pris la décision que vous évoquez, en grande partie parce que certains – dont vous, monsieur le député – avaient alerté sur les graves irrégularités de la demande. Je veux croire qu’un rescrit procédural aurait permis d’aboutir à cette issue heureuse ! Je ne sais pas si cette proposition du groupe Tuot, lourde de conséquences sur l’organisation de la juridiction administrative, sera retenue sous cette forme. J’en comprends l’esprit, la volonté de sécuriser les pétitionnaires et de faciliter leur dialogue avec les acteurs locaux.

Je retiens votre suggestion sur la mobilisation de l’expérience de la CNDP. Il faut déterminer ce qui est transposable au groupement momentané d’enquête.

M. François-Michel Lambert. J’ai la crainte qu’un pétitionnaire nanti d’un rescrit en bonne et due forme voie ses falsifications couvertes contre des poursuites futures.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Le cas d’une falsification est particulier et je ne crois pas que l’on puisse en tirer des enseignements sur l’utilité du rescrit proposé par Thierry Tuot. L’administration a été, en l’espèce, trompée ; le juge administratif aurait pu l’être aussi bien. Mais cela n’empêcherait pas la procédure de tomber finalement puisque la falsification relève du tribunal correctionnel. Le juge pénal dispose, comme vous le savez, de la plénitude de juridiction. Il n’est donc jamais tenu par les décisions prises par le juge administratif, a fortiori quand il y a eu tromperie. Le rescrit ne ferme aucunement la voie pénale et laisse, comme je l’ai dit, ouverte la possibilité d’un recours administratif au fond. Il vise simplement à sécuriser la délivrance d’un titre minier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation. Je remercie également chacun des membres du groupe de travail pour sa contribution à l’enrichissement de nos travaux. Nous attendons maintenant impatiemment la suite de la procédure législative.

II. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA COMMISSION

1. Audition de M. Thierry Tuot (24 avril 2013)

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Thierry Tuot, conseiller d’État, sur la réforme du code minier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet.  J’accueille, au nom de la commission, M. Thierry Tuot, conseiller d’État, que Mme Delphine Bathot et M. Arnaud Montebourg ont chargé d’animer un groupe de travail sur la réforme, dont on parle depuis longtemps déjà, du code minier. Ce groupe de travail rassemble des industriels, des associations de protection de l’environnement, des organisations syndicales de salariés, des élus ainsi que des experts juridiques et scientifiques. Il a commencé à se réunir depuis plusieurs mois. J’ai eu le plaisir de recevoir M. Thierry Tuot il y a quelques mois. Je sais qu’il a été auditionné, au mois de décembre, par la commission des affaires économiques et la commission du développement durable du Sénat, et qu’il a déjà fait valider certaines orientations et propositions par les deux ministres. Le moment est donc venu pour notre commission de l’entendre à son tour.

M. Thierry Tuot. Je vous remercie de m’accueillir pour me permettre de vous présenter l’état des travaux que je conduis depuis la fin du mois d’août sur la refonte du code minier. Depuis l’adoption de la Charte constitutionnelle de l’environnement, ce code pose en effet un problème structurel qui réside dans la non-conformité aux exigences de participation du public des modalités conduisant aux décisions d’exploitation et de gestion des mines. La difficulté avait été soulevée par la Commission supérieure de codification à la suite d’une opération de modernisation à droit constant du code minier, et signalée comme susceptible de nous exposer à des embarras juridiques de grande ampleur.

Les trois ministres intéressés – écologie, industrie et outre-mer – avaient souhaité, dans un premier temps, qu’un groupe de concertation examine les enjeux de la modernisation du code minier. Le groupe constitué est un échantillon de parties prenantes ; il ne vise pas la représentativité mais s’efforce d’entendre tous les secteurs de la vie publique intéressés : syndicats de salariés, organisations patronales, associations environnementales, experts, scientifiques, juristes mais aussi collectivités territoriales et principales administrations concernées.

Très vite, nous nous sommes rendu compte que, au-delà de la question de la participation du public qui n’aurait nécessité qu’un toilettage mineur, nous étions devant un instrument juridique qui reflétait un passé depuis longtemps révolu et ne répondait en rien aux exigences contemporaines. Si bon nombre de ses dispositions, datant de 1810, sont parfaites pour permettre à un maître de forge d’exploiter du charbon dans l’est de la France, elles sont très insuffisantes sur les plans technique et économique, tant en matière de valorisation du sous-sol et d’accès à des ressources dont on n’imaginait pas l’exploitation au moment de son écriture – par exemple, l’utilisation des cavités du sous-sol pour le stockage d’hydrocarbures ou de gaz ou l’exploitation des terres rares ou d’autres matières – que dans la recherche d’un équilibre entre le droit environnemental profondément modernisé, les exigences beaucoup plus importantes de la société et celles des collectivités territoriales depuis la décentralisation. Nous nous sommes donc engagés peu à peu vers des propositions de refonte, dans l’idée d’écrire un code accessible décrivant de façon claire selon quelle procédure on peut exploiter les richesses du sous-sol, qu’il s’agisse d’extraire, d’utiliser ou d’injecter, dans des conditions satisfaisantes de participation, de protection de l’environnement et de respect des intérêts des populations et des territoires.

Pendant quatre mois, à raison d’une séance de travail par semaine, nous avons essayé de dégager des orientations communes, que nous avons ensuite exposées, au cours d’une réunion particulière au ministère de l’outre-mer, à des représentants nationaux et locaux des territoires et collectivités d’outre-mer concernés. Sur la base de ces travaux, j’ai proposé au Gouvernement des orientations de travail dont le Premier ministre, par une lettre de mission du début du mois de février, m’a demandé d’écrire les dispositions législatives correspondantes dans le cadre du même groupe de travail. Avec un petit groupe de rédacteurs issus à la fois du Conseil d’État, de la direction des affaires juridiques du ministère chargé de l’écologie et de la direction des affaires juridiques du ministère du redressement productif, nous avons commencé à rédiger le nouveau code dont près de 80 % des articles seront conservés. Sur les 20 % de dispositions novatrices, je peux maintenant vous donner quelques indications et de contenu et de calendrier.

La philosophie générale du code est inchangée : il s’agit de régir la totalité des usages du sous-sol, hors aménagement, car, bien évidemment, la construction de parkings souterrains relèvera toujours du code de l’urbanisme. Sont visées les activités minières au sens large tel qu’il est entendu aujourd’hui, qui recouvre à la fois les matières qu’on peut extraire, celles qu’on peut injecter mais aussi les usages qu’on peut faire du sous-sol, notamment de ses cavités et de la chaleur qui s’y trouve, en vue de l’exploitation à des fins de stockage ou de géothermie. C’en est fini de l’image du chevalet de mine et de l’extraction du charbon.

De façon générale, le code est envisagé comme un instrument permettant à la nation de décider de l’utilisation de son sous-sol dans des conditions assurant à la fois une parfaite participation de l’ensemble des parties prenantes et un bon équilibre entre l’intérêt économique et les exigences environnementales et de développement territorial, tenant compte de l’intérêt des populations. Nous nous efforçons d’atteindre cet équilibre en proposant un certain nombre d’évolutions. Sans rentrer dans les détails, j’en donnerai quelques exemples qui, pour l’instant, font consensus. Toutefois, le diable se niche dans les détails, et nous ne parviendrons pas à trouver un équilibre partout. Au final, c’est au politique qu’il incombera de trancher entre les différentes versions qui seront soumises à son examen.

D’abord, nous proposons que la nation réfléchisse à l’orientation générale qu’elle souhaite donner à l’utilisation de son sous-sol, autrement dit qu’elle élabore un schéma national minier. Pour cette opération, il faudrait avant tout reprendre le travail de recensement de nos richesses, délaissé depuis 1980 et effectué aujourd’hui pour à peine un tiers du territoire et, la plupart du temps, pour des matières ou des usages extrêmement limités. Ainsi, les fameuses terres rares, dont vous savez combien nous dépendons sur un plan stratégique, ne font l’objet d’aucun recensement. Nous ne savons pas si notre sous-sol en recèle, donc si nous pourrions recourir ou pas, et dans quelles conditions, à la ressource nationale en cas de crise. Un plan d’exploration, à la fois public et privé, est donc à dresser pour mettre à la disposition du public des connaissances scientifiques aujourd’hui inexistantes ou mal exploitées.

Le schéma national devrait aussi être l’occasion d’ouvrir des débats sur les techniques et les modalités d’exploitation des différentes matières, de façon à ce que, à mesure de l’avancée des découvertes et du savoir, on puisse se prononcer au niveau national sur ce qui paraît acceptable, ce qui l’est moins et ce qui est complètement exclu. Comme pour l’amiante, dont nous savons aujourd’hui qu’il ne doit pas être exploité, il serait bon d’établir une cartographie claire de ce que l’on veut ou pas exploiter, et comment.

Dernière vocation possible du schéma national, le recensement des titres miniers délivrés, qui n’a jamais été fait. Aujourd’hui, nous ne savons pas où sont et quels sont les titres miniers délivrés par le passé, ce qui pose, pour la gestion de l’après-mine, des difficultés tout à fait considérables. Une bibliothèque universelle des titres miniers délivrés permettrait d’assumer dans de bonnes conditions la responsabilité et le suivi des titres antérieurement octroyés.

Nous proposons, ensuite un deuxième type d’innovation qui concerne les principales autorisations. En plus des permis de recherche et des permis d’exploitation, les fameux titres miniers, qui existent actuellement, serait créée une nouvelle catégorie de titres visant la recherche purement académique sans vocation à l’exploration. Écho de la nécessité de recenser les richesses, cette autorisation permettra de conduire des travaux sans finalité économique définie, l’identification des richesses du sous-sol par la recherche scientifique pouvant conduire à débattre du principe de l’exploitation avant de confier à quelque demandeur privé le soin de rechercher à titre exclusif.

Nous proposons également que la totalité des décisions soient prises à l’issue d’une procédure d’évaluation environnementale, donc de participation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Dans l’esprit du groupe de concertation, cet enrichissement des garanties environnementales doit être complété par une plus grande sécurité et une plus grande rapidité des procédures. À l’heure actuelle, de très nombreuses procédures sont totalement opaques, pour les demandeurs comme pour les populations. Les élus locaux parmi vous savent qu’un élu local n’est jamais informé d’une demande de titre, qu’il la découvre au hasard des informations qu’on veut bien lui donner. Beaucoup de titres sont donnés sans enquête, lesdites enquêtes intervenant soit prématurément, soit, au contraire, trop tardivement. Nous proposons donc une remise en ordre générale, avec des procédures à délais fixes, transparentes et donnant lieu à une information. Nous posons le principe, au niveau législatif, de la transparence absolue. Toutes les données devront être sur la table à tout instant, sous réserve du secret industriel et commercial, et dans les limites posées par la loi de 1978. C’est donc un principe d’accès extrêmement large et d’information à la fois précoce et constante pour l’ensemble des populations et des parties intéressées. En contrepartie, les procédures seront ramenées à des délais plus raisonnables et toujours fermés. Aujourd’hui, beaucoup de procédures sont à délai ouvert et le fait de ne pas en connaître le terme rend toute contestation impossible.

Pour ne pas ajouter à la complexité d’un droit environnemental que, par ailleurs, le Gouvernement a annoncé vouloir simplifier, nous proposons de calquer, par défaut, toutes les procédures du code minier sur la procédure des installations classées. Celle-ci a l’avantage d’être connue de tous les industriels et de toutes les associations de défense de l’environnement, d’être parfaitement rôdée, moins coûteuse que beaucoup d’autres, et d’être enserrée dans des délais et des pratiques fixés par la jurisprudence de façon extrêmement simple. Toutefois, nous sommes aussi en train de travailler à une procédure spéciale, beaucoup plus ouverte, destinée à ne pas enfermer les grands débats dans des exigences de moyens qui camouflent le fond : il s’agirait d’une procédure à la fois plus ouverte, plus souple et plus courte, assortie de garanties juridictionnelles plus exigeantes. Nous envisageons notamment la possibilité de purger les procédures de leur vice de forme par un recours juridictionnel volontaire. Cela permettrait, dès lors qu’un titre a été délivré, de s’assurer très vite devant un juge de sa validité et d’éviter ainsi ces annulations qui interviennent quelquefois dix années plus tard en déstabilisant, aussi bien économiquement que socialement, les conditions d’une exploitation.

Nous proposons de consacrer un livre entier du nouveau code à l’après-mine, en rassemblant les dispositions éparses nées au gré des circonstances et des difficultés survenues, notamment en Lorraine et dans les départements du Nord, de façon à mettre en place un régime de solidarité nationale très clair. Celui-ci poserait le principe que l’après-mine doit être géré et que la responsabilité en incombe à l’exploitant. Des systèmes très encadrés permettraient à ce dernier d’assumer cette responsabilité, par le biais d’assurances notamment, et de s’en dégager dans des conditions également de transparence complète. La levée de la police minière serait ainsi considérée, elle aussi, comme une procédure de participation transparente. Par ailleurs, la création d’un fonds national de solidarité minière, alimenté par la fiscalité de l’exploitation minière, permettrait de suppléer les carences ou les défauts de l’exploitant, y compris lorsqu’il n’y a plus d’exploitant de bonne foi. Nous proposons notamment, pour assurer la responsabilité de l’exploitant, une clause dite Metaleurop, qui a l’assentiment des industriels et qui permet de rechercher la responsabilité, à défaut de l’exploitant, de celui qui a bénéficié de l’exploitation ou qui en assuré la conduite effective. Le cas échéant, nous pourrons remonter aux actionnaires des actionnaires, comme on le fait de façon très classique en matière fiscale. Ce n’est pas là une très grande novation juridique.

Le Gouvernement serait favorable à ce que ce régime d’après-mine soit élargi. À l’heure actuelle, seule la propriété de la résidence principale peut être indemnisée. Nous proposerons d’élargir l’indemnisation, conformément aux exigences constitutionnelles, à l’ensemble des propriétés. Bien que cela n’incombe pas aux rédacteurs du code minier, nous ferons également des propositions pour régler définitivement l’après-mine de la période antérieure à 1994, à l’origine de situations humaines extrêmement douloureuses qu’un effort financier très modeste permettrait de traiter. Je précise que deux associations défendent, dans le groupe de travail, les intérêts des titulaires de l’après-mine.

Voilà, brossées à très grands traits, les innovations auxquelles nous travaillons. Nous espérons avoir achevé nos travaux avant l’été, ce qui devrait permettre au Gouvernement, s’il se prononce rapidement sur nos choix, de transmettre le dossier au Conseil d’État en vue d’un examen que j’espère rapide. Le projet de texte du Gouvernement, à la place duquel je ne suis pas censé m’exprimer, pourrait alors être transmis au Parlement durant l’été.

Je précise, mais ne le répétez pas au vice-président du Conseil d’État, que nous nous efforçons de rédiger un code qui ne comporterait que des dispositions législatives. N’appelant pas de mesures d’exécution réglementaire pour entrer en vigueur, il pourrait donc être applicable dès le lendemain du vote, à quelques exceptions près. Nous proposerons au Gouvernement que vous puissiez l’habiliter à prendre par voie d’ordonnance les mesures de transition nécessaires pendant une période de quelques années. De très nombreuses situations d’exploitation ou d’après-mine relèvent encore de l’ancien univers et appelleront des mesures de transition pour basculer dans le niveau système. Il faudra les régler pratiquement exploitant par exploitant, territoire par territoire, ce qu’il paraît plus facile d’opérer par ordonnance.

L’outre-mer n’est pas à proprement parler dans mon mandat, mais c’est un point tout à fait central. Dans les cas de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, nous n’aurons rien à dire puisque la loi organique a déjà prévu un transfert complet des compétences au profit des collectivités. Dans d’autres cas, les enjeux miniers sont tout à fait essentiels : en Guyane, à la fois sur le territoire continental, avec l’or, et sur le domaine maritime, avec les hypothèses de ressources pétrolières ; aux Antilles, avec la géothermie. D’autres collectivités ou territoires d’outre-mer pourraient être concernés. Nous avons retenu comme méthode de travail d’écrire le tronc commun de notre code et de laisser au ministre de l’outre-mer le soin de discuter avec chacune des collectivités de la façon de tenir compte de leurs spécificités. C’est un travail qui dépasse les responsabilités d’un fonctionnaire puisque le ministre devra veiller, tout en respectant les nécessités de la décentralisation, à ne pas mettre ces collectivités dans une situation où elles devraient assumer les responsabilités de police ou de surveillance, d’indemnisation et de protection de l’environnement sans en avoir les moyens, comme c’est le cas aujourd’hui. Il devra trouver un équilibre entre les compétences de l’État et celles de ces collectivités, et le négocier avec chacune d’entre elles.

Voilà, en quelques mots et à titre d’introduction, l’état de nos réflexions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet.  Vous avez parlé de la possibilité de « purger » les recours abusifs à travers la mise en place d’un groupement momentané d’enquête. Cette proposition nous paraît tout à fait originale et particulièrement intéressante. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la mise en place de tels groupements ?

Aujourd’hui, un industriel qui dispose d’un permis exclusif de recherche bénéficie d’un droit de suite qui lui assure, s’il souhaite exploiter, de devenir automatiquement titulaire de titres d’exploitation. Que va devenir ce droit de suite ?

Mme Chantal Berthelot. J’ai eu l’occasion d’assister à quelques réunions de votre groupe de travail dédiées à l’outre-mer. La refonte du code minier est considérée comme urgente depuis l’ancienne mandature ; en tout cas, il est nécessaire de l’adapter au droit de l’environnement et à l’évolution de notre société.

Au mois de février, les ministres ont rappelé comme premier principe que la richesse du sous-sol est la richesse de la nation. Dans les outre-mer aussi, la nation a du sens, même si le ministre de l’outre-mer va procéder à des adaptations en fonction des territoires.

La refonte du code obéit à la nécessité de mettre le droit minier en conformité avec le droit de l’environnement et le respect des populations et des territoires qui doivent bénéficier de la valorisation des ressources. Le premier enjeu est la participation du public, prévue par la loi de 2012. Les associations souhaitent que la consultation intervienne dès l’exploration jusqu’à l’après-mine. De leur côté, les industriels y voient un possible point de blocage. Pour vous qui êtes en lien avec les deux parties, une participation du public à chaque étape semble-t-elle vraiment de nature à ralentir les processus ?

Quelles peuvent être les déclinaisons concrètes d’une redevance destinée à compenser les impacts sur l’environnement ? Le monde industriel souhaite plus de visibilité sur ce sujet. Interrogés lors d’une table ronde, ses représentants se sont montrés plus que prudents. Êtes-vous allés plus loin dans votre groupe de concertation ?

Le schéma national est innovant et fait débat. Parfois, l’outre-mer innove : la Guyane a déjà son schéma départemental d’orientation minière. Même s’il reviendra au Gouvernement de trancher, jusqu’où estimez-vous qu’on peut aller sur le schéma national ?

En matière d’études d’impact, vous avez parlé surtout pour l’après-mine. Pour ma part, je souhaiterais qu’on puisse évaluer l’impact de l’orpaillage illégal sur le tourisme  ainsi que l’impact d’une exploration pétrolière sur la ressource halieutique. Comment envisager cette procédure de manière équilibrée ?

Sur un sujet touchant plus particulièrement la Guyane, à savoir l’exploration et la production de pétrole offshore, êtes-vous favorable à une législation spécifique à l’activité pétrolière ?

Enfin, permettez-moi de vous « titiller » un peu pour connaître votre sentiment sur le permis « Limonade » à Saül.

M. Martial Saddier. La refonte du code minier, que l’apparition de nouvelles technologies et de nouvelles potentialités d’exploitation de richesses du sous-sol avait rendu désuet, a été lancée en 2011 par la majorité précédente. Qui plus est, la Charte constitutionnelle de l’environnement exigeait que le public soit associé en amont à toute décision impliquant un impact sur l’environnement. À l’époque, nous avions expliqué que la procédure serait longue et complexe, ne serait-ce qu’à cause de la longue période pendant laquelle ce code minier était resté intouché. La majorité actuelle a repris ces travaux et se rend compte, à son tour, de la lourdeur et de la complexité du sujet. Alors qu’on nous avait reproché un manque de rapidité au sein de cette commission, nous n’en ferons pas aujourd’hui le procès sachant de quoi il retourne. Pouvez-vous néanmoins être un peu plus précis s’agissant du calendrier ? Depuis dix mois, plus nous auditionnons, en particulier Mme Delphine Batho et M. Arnaud Montebourg, plus nous recevons d’informations, plus les délais se prolongent. Peut-on espérer voir se préciser une date de sortie pour ce nouveau code minier ?

Nous sommes attachés à ce que la mine reste un bien sans maître. Il appartient donc à l’État de déterminer les grandes orientations. C’est, je pense, le fil conducteur de vos travaux. Vous n’en avez pas parlé, mais nous souhaitons que le code minier clarifie la différence entre la recherche et l’exploitation. En particulier, vous n’avez pas fait référence à la fracturation hydraulique que notre pays a interdite. Ma collègue vous a titillé avec le permis « Limonade », permettez-moi d’en faire autant avec la fracturation hydraulique.

L’eau est un bien qui circule. Y aura-t-il une articulation claire entre la loi sur l’eau et le futur code minier ?

Le délai d’instruction des dossiers est, à l’heure actuelle, d’environ huit ans. À l’issue de vos travaux, s’ils étaient suivis par le Parlement, à quelle durée moyenne pourrait être ramenée la procédure ?

Dans l’ancien système, les collectivités territoriales étaient quasiment absentes de la procédure. Nous souhaitons que, dorénavant, elles soient, avec les citoyens, au cœur des procédures dès l’amont, mais aussi autour de la table pour la répartition de la richesse créée par les territoires qui porteront les futures infrastructures.

Quant à la création d’un fonds national, je n’en fais pas non plus procès à l’actuelle majorité mais, depuis des décennies, tous les fonds créés, la main sur le cœur, par toutes les majorités pour une bonne cause, ont fini par servir à beaucoup de choses sauf à ce qui avait justifié leur création. Nous sommes donc circonspects sur ce sujet. Nous souhaiterions que la péréquation de la richesse se fasse sur un échelon beaucoup plus local.

M. Bertrand Pancher. J’ai quatre questions à poser à M. Thierry Tuot. La première concerne les consensus et dissensus qui ont pu s’exprimer au cours des nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé. J’ai été frappé par les réactions très diverses : pour Maryse Arditi de France Nature Environnement, la plus grosse faiblesse du projet est le maintien en l’état du code minier qu’elle souhaite voir disparaître ; Olivier Gourbinot, de FNE également, considère que le futur code minier doit garantir la transparence des projets miniers et promouvoir les procédures de participation ambitieuses ; Anne-Gaëlle Verdier de WWF regrette l’oubli d’un code minier spécifique aux enjeux marins, même si des dispositions sur l’offshore seraient prévues ; Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières, pose la question de l’exclusivité de la recherche jusqu’à l’exploitation. Malgré la volonté d’avancer et les consensus exprimés, on sent bien que ce texte soulève aussi beaucoup de dissensus. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Ma deuxième question concerne la participation du public. La concertation est déjà prévue par la loi du 27 décembre 2012, dans le cadre de l’organisation de procédures de participation pour les permis exclusifs de recherche. J’imagine qu’il va y avoir un lien direct avec cette loi. Au mois d’octobre, nous avons reçu Maître Arnaud Gossement pour qui les mesures consistant à soumettre certains titres à évaluation environnementale et participation du public semblaient très vagues. Y a-t-il un texte plus précis sur le champ de la concertation ?

La troisième question a trait au calendrier. Au sein de cette commission, l’opposition est de plus en plus agacée de voir les projets de textes législatifs sans cesse repoussés. C’est aussi le cas pour celui-ci : le Gouvernement avait annoncé qu’il serait présenté à la fin de l’année dernière ; aujourd’hui, on parle de l’adopter à l’automne 2013. Est-ce une date ferme et définitive ? Quand le projet de loi sera-t-il déposé ?

Quatrième question, vous n’avez pas mentionné la place de l’expérimentation, mais j’imagine que vous y avez travaillé. Il est frappant de constater que les oppositions frontales en France sont liées à l’insuffisance, dans le passé, de procédures de concertation structurées. Dès qu’on veut s’engager dans l’exploitation minière, le gaz de schiste en est un exemple, des blocages se mettent systématiquement en place partout. Malgré quelques belles déclarations et propositions sur le sujet, jamais, dans notre pays, on ne s’est appuyé sur l’expérimentation. Ne serait-il pas nécessaire d’engager solidement l’expérimentation, de façon à démontrer à nos concitoyens que tester ne signifie pas forcément généraliser des procédures ?

M. François-Michel Lambert. Dans ma circonscription, la mine a été fermée rapidement, mais aujourd’hui une histoire de plâtre empoisonne nos territoires, que des menaces d’éboulement nous empêchent de développer. L’après-mine m’intéresse donc particulièrement, d’autant que j’ai la chance d’accueillir à Gardanne la section du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dédiée à cette question. En matière de mine, les choix faits ont un impact sur plusieurs décennies, voire à l’échelle séculaire.

Chacun s’accorde à reconnaître que la réforme du code minier est nécessaire, excepté ceux qui bénéficient des failles du système actuel, comme la société Rexma qui jouit aujourd’hui d’un permis au cœur d’un parc naturel national en Guyane ! Cette réforme doit procéder d’une vision préalablement définie. Plutôt que de continuer dans une logique d’économie linéaire qui presse pour toujours plus de prélèvements, pourquoi ne pas se tourner vers l’économie circulaire, où le prélèvement des ressources naturelles est limité au maximum et complète un cycle de réutilisation et de recyclage ?

J’ai pleinement conscience que les industriels ont besoin d’une visibilité du droit, d’une stabilité des règles, c’est pourquoi j’insiste pour que les politiques industrielles nationales soient bien en lien avec ce code minier à venir. Un changement de vision conduirait à modifier le comportement des sociétés d’exploitation, qui devraient abandonner la frénésie d’extraction au profit d’un schéma économique d’extraction-réutilisation-recyclage, approche indispensable pour s’inscrire dans un développement soutenable. Mme la ministre Delphine Batho nous a parlé d’une loi-cadre sur l’économie circulaire, qui portera une attaque frontale au modèle de l’économie linéaire. Le code minier, qui accompagne ce modèle d’extraction-consommation-rejet, doit s’adapter. Comment avez-vous intégré cette nécessité ?

Dans d’autres domaines, la même vision de préservation de la ressource doit s’imposer. Comment parvenir à découpler exploration et exploitation, aujourd’hui intimement liées, l’une faisant suite à l’autre et les deux étant confiées au privé ? Dans ce cadre, quelle est la place de nos établissements publics, en particulier de l’Ifremer et du BRGM ? De même, quelle sera la place du BRGM par rapport aux acteurs privés dans le schéma national minier qui reste à établir,  ainsi que dans l’après-mine ? Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour réparer les erreurs du passé et éventuellement en retirer des gains ?

Quels grands enseignements vos consultations vous ont-elles permis de tirer ? Quelle a été la nature des débats entre la conservation du code minier et sa suppression ? De quelle façon la consultation publique a-t-elle été abordée et comment la voyez-vous ?

L’interdiction légale de l’hydrofracturation a-t-elle donné lieu à débats ? La tendance est-elle à rester sur l’abandon de cette voie pour en ouvrir d’autres ?

Enfin, vous n’avez pas parlé de la recherche et de la veille sur le stockage du CO2.

M. Patrice Carvalho. Permettez-moi, avant d’interroger M. Thierry Tuot, de remercier tous ceux de mes collègues, de droite comme de gauche, qui m’ont adressé leurs vœux de rétablissement. J’en ai été très touché.

Le code minier ne peut pas se concevoir autrement qu’en rapport direct avec la satisfaction des besoins. Nous ne pouvons pas fonctionner comme les Allemands aujourd’hui : depuis qu’ils ont décidé de fermer toutes leurs centrales nucléaires, ce sont des cortèges de bateaux de plusieurs milliers de tonnes qui défilent sur le Rhin pour aller alimenter les différentes centrales électriques avec du charbon provenant de pays où l’on exploite le sous-sol sans se poser trop de questions. Pour satisfaire nos besoins en verre, par exemple, nous avons besoin d’ouvrir des carrières de sable, de dolomie, de phonolite, de phosphate. Ne comptons pas sur les autres pour le faire. Il faut savoir que les matières premières, notamment les cailloux, nécessaires à la construction de nos routes viennent de Belgique. Les carrières sont situées à quelques kilomètres de la frontière, elles sont exploitées à ciel ouvert, jusqu’à 300 mètres de profondeur, et s’intègrent assez bien dans l’environnement. N’est-il pas un peu « faux-cul » de refuser d’ouvrir des carrières en France tout en nous fournissant auprès de celles qui fonctionnent si près de chez nous ?

L’essentiel est de satisfaire d’abord nos besoins. Ainsi, le quartz est fabriqué en France par une seule usine du côté de Grenoble. La matière première vient de Chine, seul endroit du monde où on le trouve aujourd’hui. Comment être plus dépendant pour une matière d’avenir, qui sert en médecine, dans le spatial et dans bien d’autres industries ?

Nous devons nous servir des erreurs du passé, ne pas renouveler l’expérience de l’amiante, désormais interdit d’exploitation. En passant, ne plus exploiter mais ne pas reconnaître que l’amiante est à l’origine de certains cancers est quelque peu contradictoire. Toute mise en exploitation nouvelle doit s’accompagner de la garantie que cette exploitation n’aura pas de conséquences sur la nature ou sur les humains. S’agissant du gaz de schiste, je ne suis pas opposé a priori, à condition de suivre une procédure assurant l’absence de risque.

L’après-mine me laisse sceptique. La plupart du temps, l’abandon d’exploitation résulte de banqueroutes ; les familles ont disparu, laissant des friches utilisées comme dépotoirs, parfois comme lieux de stockage anonymes. Bien sûr, la situation est compliquée et il faut trouver des solutions. À cet égard, je rejoins Martial Saddier sur la nécessité de s’assurer que l’argent prélevé à cet effet servira vraiment à traiter ce problème. Il n’y a qu’à voir le nombre de stations-services abandonnées le long de nos routes, où seule l’enseigne a été retirée. Si nous ne sommes pas capables de régler cela, je doute qu’on puisse le faire pour des mines.

M. Jacques Krabal. On voudrait toujours que les choses aillent plus vite. Il est vrai qu’on aurait pu se pencher plus tôt sur les difficultés que présentait le code minier. Pour le groupe RRDP, la révision profonde de ce code doit s’inscrire dans une réflexion plus globale du point de vue économique. Les conséquences d’un mode de vie mondialisé, fondé sur la gestion irrationnelle de nos ressources, avec tous les gaspillages que nous connaissons, font passer au rouge tous les indicateurs économiques, sociaux et environnementaux. Nous sommes contraints de fondre, dans le creuset du présent, deux siècles d’expérience pour l’avenir. La protection de l’environnement n’interdit en rien de prendre une initiative économique de production. Il suffit de penser l’organisation de cette activité de façon rationnelle et responsable.

Le principe de précaution n’est pas seulement un frein à l’innovation industrielle ou technologique, c’est un atout pour un développement à la fois économique, social et humain. Il nous apparaît que le code minier doit aussi prendre en compte l’échelle du temps pour comparer de façon globale les gains et les coûts d’une activité minière.

Nous avions posé quelques principes que vous avez mentionnés : la transparence d’une information exhaustive vérifiable et adressée tant aux citoyens qu’à leurs représentants ; la concertation, gage de démocratie, qui implique un dialogue entre toutes les parties, l’autorité administrative et les responsables publics tenant compte des observations des citoyens, ce qui n’a jamais été le cas, pour motiver leur décision ; l’équilibre entre l’État et les collectivités territoriales face au processus décisionnel ; la répartition équitable des richesses issues de l’exploitation des ressources nationales ; une fiscalité spécifique préparant l’après-mine, qui sera sans doute difficile mais toujours mieux que l’absence de contrainte actuelle, et la réparation des altérations qui passe par la souscription de l’opérateur à un fonds dédié de garantie contre les catastrophes environnementales à effet retard.

J’ai été très surpris d’entendre qu’il n’y avait pas de schéma national minier. L’inventaire dont vous avez parlé dans ce cadre est-il exhaustif et accessible ?

En matière d’autorisations, comment remédier à l’opacité des procédures ?

S’agissant des gaz et huile de schiste, on voit sur le terrain que les permis d’exploitation et les permis d’exploration évoluent, sans doute dans la perspective de la réforme du code minier qui active les pétroliers. Certes, on ne peut pas imposer un moratoire à la science, mais ne pourrait-on pas en appliquer un aux demandes concernant gaz et huile de schiste ?

La moralisation de l’économie est inscrite à l’ordre du jour du Parlement européen. Les États membres ont voté des textes sur la transparence des industries extractives afin de renforcer, entre autres, la lutte contre la corruption. Vous inspirez-vous également de ces travaux pour modifier le code minier ?

M. Philippe Plisson. Notre civilisation est fortement dépendante des nouvelles technologies qui utilisent, tant dans le secteur high-tech que dans les énergies vertes, les terres rares dont les ressources sont finies sur terre. La filière du recyclage de cette matière première n’étant encore portée par aucune nation respectant un contrat social et environnemental de par le monde, quelles dispositions peuvent être prises dans le code minier sur ce sujet ?

De nombreuses craintes entourent encore la réforme dudit code au sein même des territoires, qui souhaiteraient voir les collectivités locales impliquées dans la réforme. Comment voyez-vous cette implication et à quelle hauteur ?

M. Jean-Pierre Vigier.  Avant que le Premier ministre ne vous confie cette mission, vous aviez déjà, à la demande de Jean-Louis Borloo, abordé le thème du code minier dans un rapport lié au Grenelle de l’environnement. C’est donc un sujet que vous maîtrisez parfaitement. Plusieurs codes sont concernés par cette réforme, notamment le code de l’environnement auquel il n’est plus possible d’échapper et, bien évidemment, le code minier. Comment pensez-vous concilier les deux codes, dont les dispositions peuvent être contradictoires en raison de leurs objectifs très différents ? Comment associer préservation de l’environnement et exploitation des richesses du sous-sol, source de pollution ?

M. Yannick Favennec. Selon quelles modalités le schéma national minier serait-il mis en place et quel en serait le calendrier ? Je suppose que ce schéma aura vocation à évoluer, mais selon quels critères et quelles modalités ?

Mme Françoise Dubois. Trop souvent, le public est consulté sans avoir reçu suffisamment d’informations. Il ne dispose donc pas des critères lui permettant de juger du bienfondé de l’exploration ou de l’exploitation d’une mine. Une information précise du public ainsi que des élus concernés sera-t-elle prévue dans le nouveau code minier ?

La multiplication des intervenants inquiète la population. Les garanties seront-elles les mêmes qu’il s’agisse de la société qui a reçu l’autorisation d’exploration ou de la société qu’elle aura mandatée pour la suite des opérations ?

Si l’intérêt économique de l’exploitation des mines ne fait pas de doute, il faut néanmoins s’attacher à la protection de l’environnement et aux conséquences que cette exploitation pourrait avoir.

Ce n’est pas sans réticence qu’on envisage un fonds d’indemnisation. Pourvu qu’il soit mis en place correctement et qu’il serve bien aux indemnisations, comme prévu !

Le nouveau code minier s’appliquera-t-il aux dossiers déposés antérieurement, dont les autorisations seront délivrées dans les mois qui viennent ?

M. Charles Ange Ginésy. Des permis d’explorer ont été délivrés. Aujourd’hui, on attend de la recherche qu’elle autorise ou non l’exploitation. Comment la recherche sera-t-elle traitée dans le nouveau code minier ? Restera-t-elle une déclaration d’intention ou y aura-t-il de vrais moyens ? Pouvez-vous en dire un peu plus sur la redevance territorialisée, notamment s’agissant de sa compensation au niveau national et de sa redistribution qui inquiète tant Martial Saddier ?

Mme Geneviève Gaillard. En 1810 comme en 1956, la protection de l’environnement et de la biodiversité ne faisait pas partie des préoccupations. Comment les atteintes à la biodiversité seront-elles prises en compte ? Un critère de service rendu par la nature sera-t-il intégré dans le calcul des compensations au cas où l’exploitation porterait atteinte aux écosystèmes, à la faune ou à la flore ? Prévoyez-vous une évaluation ante et post-exploitation permettant d’évaluer une compensation ? Celle-ci entrera-t-elle dans le cadre du fonds d’indemnisation que vous avez mentionné ?

M. Olivier Marleix. Comment intégrez-vous l’objectif du choc de simplification assigné par le Président de la République ? Vous avez parlé de l’alignement sur le régime unique des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Pouvez-vous en dire un peu plus ?

Dans votre esprit, le schéma national est-il indicatif ou prescriptif ? S’il était prescriptif, ne craignez-vous pas qu’il agisse comme un frein ou une contrainte vis-à-vis de la recherche et de l’investissement, dans un contexte où l’évaluation du potentiel de la ressource minière évolue rapidement. Il y a dix ans, le gaz de schiste n’était pas un sujet.

Les titres miniers ont une valeur patrimoniale pour les entreprises. La réforme confirmera-t-elle l’existence de ces titres : permis et concessions, d’un côté, autorisations de travaux, de l’autre ?

M. Vincent Burroni. Une réforme du code minier, à tout le moins une coordination entre pays frontaliers, est-elle envisagée au niveau européen ?

Entre redevance, qui dépendrait du code minier, et fiscalité, qui doit figurer dans une loi de finances, où en est le débat ? Une piste est-elle privilégiée ?

M. Christophe Priou. L’appellation « code minier » a quelque chose de suranné et de localisé dans quelques régions de France. Or, aujourd’hui, il trouverait à s’appliquer bien au-delà de la métropole, outre-mer et sur diverses activités. Pourrait-on envisager de changer son nom ?

Sur l’espace marin, aujourd’hui, c’est l’État qui gère les permis d’exploitation pour les granulats marins et, même si cela ne concerne pas le code minier, l’éolien en mer. Qu’en sera-t-il demain avec la décentralisation ? Je vois que l’éolien en mer pose l’épineuse question des redevances et des répartitions territoriales entre régions, départements, communes. J’entrevois la même complexité, sans parler du domaine public maritime, de la zone des douze milles, des zones internationales à forts enjeux, notamment au large des DOM-TOM et en Guyane. Le domaine maritime est donc particulièrement important et pourrait contenir beaucoup de ressources d’avenir. Qui sait si l’on n’est pas à la veille de la découverte d’autres exploitations possibles ?

Mme Corinne Erhel. La problématique de l’extraction de sable coquillier en mer recouvre plusieurs aspects : la nécessité d’obtenir une autorisation d’exploitation ; le respect de l’équilibre entre un écosystème fragile et une activité économique impactante ; la prise en compte de l’avis des collectivités, des élus, des associations. Ce dernier point n’est pas du tout illustré par le projet d’extraction, au large de la baie de Lannion, dans les Côtes-d’Armor, de 600 000 tonnes de sable sur vingt ans à raison de 345 tonnes par an, sur un périmètre de 4 kilomètres carrés situé entre deux zones Natura 2000, distantes respectivement de 1 et 1,5 kilomètre. Les acteurs locaux, alors qu’ils dénoncent des conflits d’usage, ont le sentiment de ne pas être entendus. La refonte du code minier doit absolument prévoir des dispositions tendant à mieux prendre en compte l’avis des premiers concernés et les éventuels conflits d’usage.

M. Jean-Marie Sermier. La refonte du code minier doit servir les intérêts du développement économique et l’emploi. Au fil des années, on n’a cessé d’ajouter des contraintes à tous les étages administratifs. Aujourd’hui, au cours du traitement d’une demande d’ouverture ou d’extension d’une carrière ou d’une mine, chacun s’emploie à trouver le moyen de retarder le dossier. Il est impératif que vous trouviez des solutions permettant de préserver nos emplois. Un seul exemple pour vous en convaincre, celui du Jura qui est un département de calcaire. Pour faire des routes, on a besoin de gravier dur, notamment de porphyre que l’on n’extrait que dans la carrière de Moissey. Or on y a fait arrêter la production en raison de la proximité de chauve-souris que l’on trouve en d’autres endroits. Aujourd’hui, on ne vit que sur les stocks existants. Comment faire reprendre cette exploitation et préserver l’emploi d’une quinzaine de salariés ?

M. Fabrice Verdier. Je me félicite que vos propositions de réforme du code minier tendent vers une transparence absolue. C’était une attente forte des élus notamment.

S’agissant du traitement des principales autorisations déjà délivrées, vous proposez que la recherche académique puisse être conduite sans finalité économique. Pensez-vous que ce troisième titre pourrait s’appliquer dès le vote de la loi à la question des gaz de schiste ?

Envisagez-vous que les critères environnementaux, sanitaires et territoriaux soient pris en compte, dans le processus de délivrance d’un permis d’exploitation, au même titre que les seuls enjeux économiques ? Selon vous, qui devrait délivrer ces permis ?

M. Guillaume Chevrollier. La refonte du code minier fait consensus. Il est, en effet, dans l’intérêt du redressement économique de notre pays de pouvoir mieux valoriser ses ressources minières. Vos travaux, sous-tendus par la nécessité de trouver le point d’équilibre entre l’exploitation, l’environnement, la démocratie locale, la transparence et la fiscalité, sont bien engagés.

Dans le cadre du schéma national minier, recenser le potentiel de nos ressources est effectivement essentiel, mais c’est un travail de longue haleine. Attendra-t-on son achèvement pour sortir le nouveau code, dont les évolutions sont attendues par les professionnels ? Autant dire que cela constituerait un frein au développement économique.

La protection de l’environnement pourrait se voir appliquer des procédures calées sur celles des installations classées, avez-vous dit. Avez-vous connaissance des recours les plus fréquemment utilisés dans ce type de procédure pour entraver les mises en exploitation ? Il faut des procédures, certes, mais des procédures simples afin de ne pas ajouter à l’hystérie normative que nos compatriotes ne supportent plus.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Comment est envisagée la répartition des éventuelles recettes issues d’exploitations minières entre l’État et les collectivités ? Vous l’avez mentionné pour l’outre-mer mais pas pour la métropole. Pour l’instant, la recette est essentiellement nationale puisque le sous-sol appartient à l’État. Quel bénéfice financier les territoires pourront-ils retirer ? Quelle sera la rédaction de l’article 1er du code minier ?

Depuis une trentaine d’années et le changement profond en matière d’exploitation minière opéré en France, nous souffrons d’un déficit d’accompagnement par l’État. Vous avez avancé l’idée d’un fonds d’indemnisation pour le suivi à venir. Ce fonds se substituera-t-il d’emblée aux exploitants en place ou à leurs héritiers par une logique de taxe, ou bien faudra-t-il attendre un certain délai, par exemple cinquante ans, avant qu’il ne soit effectif, la solidarité nationale ne se substituant pas de fait au devoir d’intervention du secteur exploitant ?

Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris si seraient également concernées par le code minier les carrières et gravières de surface, y compris celles qui se situent dans les fleuves et les lits fluviaux. La question n’est pas anodine, car elle recouvre beaucoup de choses.

La notion de responsabilité de l’État ou de la puissance publique est-elle définie comme une responsabilité de moyen, d’information, de publicité ou de suivi ?

Mme Sophie Rohfritsch. À l’évidence, nous allons éprouver de grandes difficultés à concilier développement économique, aménagement du territoire et préservation des ressources. Nombreux sont les pays qui réfléchissent à la refonte de leur code minier, qui pour aller vers plus de développement économique, qui pour mieux associer le public. Pourquoi ne pas nous inspirer de ce qui est fait ailleurs ? La Chine, par exemple, a mis en place, à l’instar de ce que préconisait François-Michel Lambert, une refonte sur la base de l’économie circulaire obligeant l’exploitant à s’adosser à une industrie de recyclage. D’autres pays ne s’orientent pas vers un fonds d’indemnisation mais demandent, dès les permis d’exploration puis d’exploitation, la consignation des sommes à engager lors de l’abandon de la mine. Pourquoi ne pas proposer une telle consignation, par exemple à la Caisse des dépôts et consignations, comme cela avait été le cas à un moment ?

M. Michel Liebgott. Je remercie, d’abord, M. Thierry Tuot de l’accueil qu’il a réservé au collectif de défense des communes minières de Lorraine, qui comprend à la fois des élus et des associations et dont je suis un des vice-présidents. Je confirme ici que nous souhaitons l’abandon de la procédure d’expropriation lorsqu’il y a danger pour certaines maisons, car les indemnisations ne sont jamais à la hauteur. Nous nous félicitons de la constitution d’un fonds de convergence de l’ensemble des dispositifs afin d’éviter les différences entre « clausés » et « non clausés ». Je me félicite également que vous envisagiez de prendre en compte les habitants de Landres et Piennes dont les dégâts sont antérieurs à 1998. Il est bon que l’on entre dans un dispositif conforme à celui des installations classées, sachant néanmoins qu’il sera difficile de poursuivre certains exploitants même s’ils en ont les moyens. Je pense en particulier à ArcelorMittal.

Nous avons des richesses à ne pas négliger et que les collectivités publiques doivent pouvoir continuer à maîtriser. Je pense aux réserves d’eau qui ont servi à noyer 40 000 kilomètres de galerie et à l’exploitation possible sans fragmentation du gaz de houille dans le bassin houiller.

Je salue l’effort qui serait fait en direction des collectivités territoriales et des professionnels en général. Concernant les plans de prévention des risques miniers (PPRM), il me semble nécessaire de pouvoir attaquer les arrêtés simples de prescription et pas seulement les décisions préfectorales.

Mme Marie-Lou Marcel. La gestion d’après-mine est compliquée par les difficultés liées aux incohérences des PPRM et aux travaux revenant à la charge des maîtres d’ouvrage. Je suis élue du bassin industriel et minier de Decazeville-Aubin, dans l’Aveyron, qui est le plus impacté du territoire national, car l’exploitation s’y est faite à faible profondeur et en grande partie sous des zones urbanisées. Il est d’ailleurs classé en première position sur le tableau national des sites à risque. Des fonds d’indemnisation interviennent actuellement après dégâts, mettant en évidence la nécessité d’anticiper à travers un programme pluriannuel, voire interministériel, qui s’articulerait entre logement, voiries, réseaux et prévention des risques.

En matière de solidarité, quel système de compensation pourrait être envisagé, d’une part, pour couvrir les surcoûts induits par les études géotechniques et les fondations spéciales dans les zones à projet, infligeant une double peine aux collectivités, d’autre part, pour les biens des habitants inclus dans les secteurs d’aléas moyens et forts ?

Mme Valérie Lacroute. Les pétroliers auraient déposé une question prioritaire de constitutionnalité sur la loi dite Jacob, qui interdit la fracturation hydraulique sauf pour la géothermie. Que penser de l’utilisation de cette technique dans le cadre de la géothermie ? Quel pourrait être l’impact de cette QPC sur l’interdiction de la fracturation hydraulique ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La technique employée dans la géothermie n’est pas la fracturation hydraulique mais la stimulation hydraulique. Ce n’est pas la même chose.

Les substances de mines constituent le bien commun de la nation. Pouvons-nous envisager, demain, que des titres miniers d’exploration ou d’exploitation soient délivrés par une autre autorité que l’État ?

La fiscalité minière est un vrai problème entre l’État et les collectivités territoriales. Ne pourrait-on pas envisager qu’une partie de cette fiscalité vienne alimenter un fonds régional afin d’éviter que le lien direct qui existera avec les collectivités d’accueil d’installations minières puisse conduire à certaines déviations, la répartition intervenant ensuite dans des conditions qui restent à déterminer ?

M. Thierry Tuot. En préambule, je rappelle que, en tant que fonctionnaire, le Gouvernement ne m’a, à aucun moment, demandé de me prononcer pour ou contre l’exploitation du sous-sol, pour ou contre la défense de l’environnement, et sur la façon de choisir entre les deux. Je suis chargé de trouver un consensus sur la fabrication d’un nouvel outil, sans préjuger de la façon dont on utilisera cet outil ni des objectifs qu’on cherchera à atteindre en le maniant. Officiellement, je n’ai pas le moindre avis sur telle ou telle exploitation.

Mon objet est d’entourer une exploitation - que le Gouvernement déciderait - des conditions répondant à des exigences juridiques, sociales et politiques. Ce n’est pas la décision prise qui doit être satisfaisante mais la procédure au terme de laquelle elle a été prise, qui ne doit être ni excessivement formaliste ni trop instable et qui doit donner suffisamment de sécurité et de satisfaction à l’ensemble des intérêts. C’est dans cet esprit que nous travaillons, dans la recherche permanente d’un compromis entre la poursuite qui peut parfois apparaître nécessaire d’une exploitation et les exigences de protection de l’environnement et des populations. Nous essayons de donner un nouvel équilibre à cette conciliation, pas de préempter les décisions qui seront prises ultérieurement. Je réponds donc d’emblée aux questions particulières au permis « Limonade », à l’extraction de sable coquillier en baie de Lannion ou autre que, personnellement, je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire. (Sourires)

S’agissant de la participation du public, l’idée est de la rendre générale, c’est-à-dire qu’il y ait une information et une participation pour toutes les décisions. Afin que cela n’apparaisse pas comme la réitération permanente d’une procédure longue et compliquée, nous proposons de fonder cette participation sur plusieurs principes.

Premier principe, la proportionnalité. Un géologue qui veut regarder le paysage n’a pas besoin d’autorisation ; il n’y a donc pas non plus de participation. S’il veut se livrer à une recherche académique sans finalité d’exploitation, il n’y a aucune raison d’ouvrir un débat sur l’intérêt de l’exploitation. À chaque cas, sur la base d’une transparence totale – qui fait quoi à quel moment, qui veut demander quoi à qui –, il faut pouvoir proportionner l’effort d’information, d’expertise, de débat et de participation. Il va de soi que la délivrance d’un permis de recherche exclusif, qui emporte naturellement le droit exclusif de demander à exploiter, devra entraîner l’examen de l’opportunité d’exploitation à ce moment-là. Il va de soi aussi que, à ce stade, on sera incapable de dire où on va exploiter, en quelles quantités et à quelles fins. Ces points ne seront donc discutés que plus tard.

D’où le deuxième principe, que, pour l’instant et faute de mieux, nous appelons d’incrémentation, selon lequel à chaque fois qu’on délivre une autorisation, on tient compte de la précédente et on ne va pas plus loin que ce qui est demandé. Cela veut dire que, à chaque instant, on tient le débat nécessaire dans la mesure des connaissances disponibles. Pour des autorisations extrêmement longues de vingt-cinq ou cinquante ans, par exemple pour des stockages, on pose le principe de leur durée et de leur réévaluation permanente. À chaque occasion de réalisation de nouveaux travaux, de modification d’un périmètre, une procédure proportionnée devra être lancée, tenant compte des précédents mais renouvelant le débat.

Dans cette perspective, le schéma national minier doit jouer un rôle de réducteur d’incertitudes. Si l’évolution des cours mondiaux, dans la manipulation desquels certains pays comme la Chine ont une grande pratique, conduisait à envisager l’exploitation de la fluorine en France, il faudrait pouvoir se référer à ce schéma national minier. Celui-ci pourrait indiquer que l’exploitation de la fluorine est considérée, en principe, comme satisfaisante en France sans donner de précision de lieu ou de technique. Cela éviterait de refaire la bataille de Gravelotte à chaque fois que quelqu’un voudrait ouvrir une exploitation de fluorine, et au moins un principe serait acquis.

Le schéma national minier ne doit être que ceci : un document partiel à horizon glissant, en permanence actualisé au gré des techniques, des découvertes, de l’acquisition de savoirs et soumis à une participation. Document de planification, il doit non pas être contraignant mais donner des orientations stratégiques, des vœux que le Gouvernement aura soumis à validation par une participation du public et dans lesquels il aura impliqué le Parlement selon des modalités qu’il aura choisies – communication, association, validation, débat, évaluation impliquant votre office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces choix seront discutés au sein du groupe mais ne feront pas l’objet de recommandations à proprement parler parce qu’ils relèvent vraiment de l’organisation politique. Il s’agit bien, dans notre idée, d’avoir un document réducteur d’incertitudes, non pas un instrument de limitation des activités ou normatif sur les territoires, ce qui priverait de tout sens la notion même de participation territoriale ; un document qui donne de grandes orientations et qui valide des choix collectifs quant aux ressources, quant aux usages.

S’agissant de la fiscalité, nous n’avons pas encore travaillé sur les dispositions, mais notre idée est de les mettre toutes dans le code minier d’abord, même si certaines iront dans le code général des impôts qui sera un code dit suiveur. En lisant le code minier, on saura tout sur l’équilibre économique et financier. Nous proposons comme principe de base de bien distinguer entre redevances et fiscalité. La fiscalité n’est pas un instrument de compensation des dommages ou de réparation, c’est un instrument de financement du budget de l’État et des collectivités territoriales. Tout ce qui est lié au financement des conséquences et des impacts doit être versé sous forme de redevance. Il nous faut donc imaginer des redevances couvrant l’ensemble des conséquences et se fondant sur une évaluation des conséquences de l’exploitation, des externalités positives et négatives comme des coûts et des dommages, qui s’attache à prendre en considération non seulement ce qui se passe sur le territoire communal d’assiette, mais aussi sur l’ensemble du bassin de population et des infrastructures impactées.

Il faut avoir plusieurs mailles d’examen territorial : communale, intercommunale, départementale, régionale et plus quand il s’agira d’offshore, où la notion de collectivités intéressées couvrira des façades ou des collectivités riveraines d’un bassin. L’examen doit être adapté, les redevances également. Par exemple, en cas de conséquences sur des charges de formation professionnelle pour une région, c’est une redevance qui y sera attachée plutôt qu’une fiscalité compensatoire dont on finit par oublier pourquoi on l’a créée.

Il appartiendra au Gouvernement de déterminer comment il alloue les revenus fiscaux entre l’État et les collectivités territoriales. Nous proposons que les titres miniers soient délivrés en fonction d’un équilibre économique de l’exploitation, dont il serait tenu compte pour la fixation des redevances et l’évolution de la fiscalité. Ainsi, dans un contexte d’effondrement des cours mondiaux, on ne maintiendrait pas une fiscalité élevée mais, inversement, tout effet d’aubaine dû à des envolées de cours donnerait lieu à la révision des prélèvements de fiscalité ou de redevances. L’idée est d’assortir les titres miniers d’une trajectoire fiscale variable à la hausse ou à la baisse permettant de conserver un équilibre économique. C’est relativement facile à décrire, un peu plus difficile à écrire.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la France est un pays minier jeune, pas ancien. Un pays minier jeune doit avoir une fiscalité minière modérée pour permettre la mise en exploitation. Tous les pays miniers très anciens, comme le Canada ou l’Australie, ont des fiscalités relativement élevées ; tous les pays qui ne sont pas encore matures ont des fiscalités qui accompagnent et facilitent la recherche et, le cas échéant, le début de l’exploitation. Il faudra en tenir compte au moment de la fixation des niveaux de pression fiscale, qui relèvera de la loi de finances et non pas du code minier, conformément à la Constitution.

Pour orienter la recherche de l’équilibre entre l’économie et le social, nous proposons d’introduire, dès le début du nouveau code minier, une définition de l’intérêt général reposant sur trois piliers : l’obligation de l’État de préserver et de valoriser le sous-sol comme richesse nationale dans le respect des principes du code civil – le sous-sol appartient au propriétaire du dessus et l’État intervient au titre des autorisations administratives ; les exigences environnementales ; les exigences du développement territorial et des populations. L’intérêt général sera entendu comme la conciliation de ces trois exigences ; l’équilibre des décisions tiendra à la prise en compte des trois piliers à la fois. Nous tentons par-là de ramener l’intérêt général à trois points clairs plutôt qu’à la liste infinie que l’on trouve aujourd’hui dans le code de l’urbanisme, qui ne constitue pas un instrument permettant de trouver le bon équilibre.

Dans le domaine de l’exploitation en mer, nous avons choisi de décliner les dispositions débordant du tronc commun du code minier, technique par technique, milieu par milieu, matière par matière. La géothermie a des besoins qui ne sont pas les mêmes que ceux du stockage de gaz souterrain, eux-mêmes différents de ceux de l’exploitation de granulats. Chaque industrie se verra dédier un chapitre qui en indiquera les spécificités, de même que chaque territoire ou collectivité d’outre-mer et chaque milieu. Il y aura donc un chapitre offshore. Chaque chapitre décrira ce que l’on doit entendre par collectivité intéressée pour la procédure d’enquête, ou par infrastructure impactée par le développement en matière de choix économique, ou par autorité environnementale pour l’appréciation de l’impact sur le milieu, en l’adaptant à chaque fois, notamment pour l’offshore qui est un problème  tout à fait particulier.

S’agissant du calendrier, je ne suis pas habilité à vous dire quoi que ce soit sur ce que le Gouvernement fera. Je peux seulement vous indiquer qu’on m’a demandé de remettre la copie à la fin du mois de mai. Pour la suite, les délais m’échappent. Je continuerai à tenir votre président informé de l’avancée de mes travaux et reviendrai devant vous dès que vous le souhaiterez. Nous avons tous à cœur de trouver le bon compromis entre la vitesse d’exécution, la rapidité de mise en œuvre et la nécessité de construire quelque chose qui tienne debout. Aujourd’hui, le groupe de concertation proteste plutôt de ce que nous allons trop vite.

J’aurais dû commencer par vous le dire, le gaz de schiste ne figure pas dans mon mandat. Que les choses soient claires, je n’ai pas le droit d’en parler et je n’ai pas d’avis sur la question. (Murmures)

Bien entendu, l’ombre portée des gaz de schiste plane sur nos travaux, mais le débat politique a déjà eu lieu et ce n’est pas à une commission de fonctionnaires de le remettre en cause.

M. Martial Saddier. Et qu’est-ce que cela cache ?

M. Thierry Tuot. Rien ! C’est un autre débat politique. Évidemment, nous travaillons forts de l’expérience acquise dans les débats ou l’absence de débat sur le sujet du gaz de schiste. Nous réfléchissons à un déroulement de réflexion pour la prochaine substance qui suscitera à la fois des inquiétudes quant aux modes d’exploitation et des espérances quant aux retombées : notre sous-sol en recèle-t-il ? Si oui, comment l’exploiter ? Si nous exploitons, quelles seront les conséquences et quels seront les rapports ? Au sein de notre groupe de travail, il n’y a pas une intervention qui ne regrette que le nouveau code minier n’ait pas été en vigueur au moment où le débat sur le gaz de schiste s’est ouvert.

Les membres de la commission ont une totale liberté de parole, à l’intérieur comme à l’extérieur. Chacun est libre de prendre une position, et les dissensus sont nombreux. Néanmoins, je constate, après quelque huit mois de travaux, que France Nature Environnement, les Amis de la Terre et WWF continuent de parler avec l’Union française des industries pétrolières, Total, Shell, BP, Vermilion et monsieur Schilansky. Le consensus de fond semble donc plus important que les revendications des uns et des autres. Ce consensus est assez simple : tout le monde a compris, du côté des industriels, qu’on ne ferait plus de trou sans l’accord des populations et, du côté des associations, qu’on n’arriverait pas à faire prendre en compte l’environnement avec une attitude de refus pur et simple. En échange de vraies responsabilités pour les associations dans la prise de décision, la possibilité est ouverte de reprendre des exploitations maîtrisées répondant aux exigences d’un développement soutenable. C’est là que réside le principal consensus, même si, au moment de la rédaction des articles, de nombreux désaccords retrouvent à s’exprimer.

Nous ne touchons pas au rôle des grands établissements. Nous prévoyons la possibilité de permis de recherche académique qui laisseront une place, le cas échéant, à une expérimentation. Je ne sais pas si cela pourra s’appliquer ou non au gaz de schiste puisque, à l’heure actuelle, les gaz de schiste sont traités par la loi de 2011 et pas par le code minier.

Sous l’effet de la transparence, tout sera accessible, y compris le schéma minier et ses inventaires. De mon point de vue, outre la morale publique, c’est essentiellement cette transparence, notamment en matière financière et fiscale, qui apportera la réponse aux risques de corruption. Aujourd’hui, en matière environnementale, il est facile pour un opérateur puissant de proposer des travaux ou la compensation de dommages auprès d’une collectivité territoriale dans la plus totale opacité. Notre idée est de faire en sorte que, désormais, cette discussion financière ait lieu ouvertement et qu’elle porte sur une répartition très claire de l’ensemble des compensations sous forme de redevances. C’est la meilleure garantie qu’on puisse trouver.

L’implication des collectivités territoriales dans la réforme est totale : non seulement elles participent à la réflexion à travers leurs associations représentatives, mais elles interviendront dans la mise en œuvre ultérieure, au niveau du pilotage local des procédures de concertation et d’enquête, voire au niveau de la décision.

L’information accrue et complète du public passera par l’application du principe de transparence ainsi que par le recours à plusieurs domaines d’expertise, l’adaptation des études d’impact et un contrôle permanent sur l’ensemble des étapes. Notamment, en cas de pluralité d’intervenants et de sous-traitants, des mécanismes d’information et d’agrément devront être mis en place.

Le fonds d’indemnisation n’est pas du tout destiné à boucher les trous des dispositifs publics. Nous sommes partis de l’idée que la responsabilité de l’après-mine incombe à l’exploitant, à défaut à ses actionnaires que l’on doit pouvoir aller chercher jusqu’au fond de la mine si nécessaire. Or, s’il n’y a pas d’exploitant, il faut quand même pouvoir indemniser nos concitoyens qui subissent un préjudice. C’est l’objet du fonds qui pourrait intervenir dans deux types de situation. D’une part, lors d’un problème d’après-mine engendrant des situations humaines douloureuses. Une avance de trésorerie immédiate serait effectuée par le fonds, qui serait subrogé dans le droit des victimes et pourrait, sous forme de class action maîtrisée, se retourner et agir au nom et pour le compte des personnes indemnisées. D’autre part, dans des cas où la bonne foi et l’honnêteté des exploitants ne sont pas en cause mais où l’on se trouve néanmoins devant des situations imprévisibles et imprévues, telles l’effondrement de mines exploitées du temps des Romains ou de marnières pour lesquelles il n’y a ni titre minier ni exploitant. Dans ces cas-là aussi, la solidarité nationale doit pouvoir s’exercer.

Pour abonder un fonds, rien de plus facile que de recourir à l’impôt. Or on sait bien que, deux ans après, il alimentera la sécurité sociale. (Sourires) Plutôt que d’exposer à préemption ou au mieux d’immobiliser de l’argent non utilisé, nous avons opté pour une logique assurantielle : le fonds souscrirait une police d’assurance qu’il ferait jouer en cas d’accident. Ce serait un fonds dormant qui ne serait activé qu’en cas de besoin. De la sorte, il ne faudrait financer qu’une police d’assurance et pas une trésorerie pérenne inemployée. Je ne décris là, encore une fois, que le projet, mais nous nous efforcerons de le détailler plus amplement dans les textes.

Dès le début, nous avons pris le choc de simplification en considération. L’idée de faire un code entièrement législatif est une simplification considérable, de même qu’une procédure de droit commun applicable à la participation du public. Nous souhaitons également que les décisions délivrées sur le fondement du code minier valent autorisation sur le fondement de tous les autres codes applicables, par exemple qu’une autorisation de travaux vaille également permis de construire, permis d’aménager, permis de défricher. Cela éviterait les procédures en série aujourd’hui en vigueur, nécessitant chacune enquête d’expertise, étude d’impact et autorisation diverses, et demandant des délais d’instruction très longs. Ainsi faut-il compter douze ans pour le renouvellement d’un stockage gazier, ce qui le rend quasi illégal en permanence. Dans l’état du droit positif aujourd’hui, on ne peut plus avoir un stockage gazier légal, ce qui est problématique. Nous comptons réduire considérablement les délais en mettant ainsi en parallèle les autorisations et les procédures, et en faisant en sorte qu’une seule procédure collective de participation soit valable à tous les stades de la décision administrative, même si, là aussi, cela suppose des réglages assez compliqués.

Bien entendu, toutes les exigences environnementales, en particulier la biodiversité, seront prises en compte, notamment dans les externalités positives ou négatives qui permettront de fixer l’intérêt général.

Nous ne touchons pas à la valeur patrimoniale des titres, qui continueront à être immobilisés. Nous avons même l’ambition de simplifier leur régime fiscal de façon à clarifier leur mode d’amortissement, de cession et de transmission ainsi que les droits qui peuvent être perçus à cette occasion.

J’aurais aimé vous dire que nous prenons en compte les exigences européennes. Si nous le faisons, c’est de façon passive, par rapport aux normes qui s’imposent, mais un code européen serait bien préférable. Cela fait partie des ambitions de la construction européenne qui dépassent très légèrement les capacités de mon groupe de travail.

La totalité des membres du groupe s’accorde pour dire que l’autorité de délivrance doit être recentrée sur l’État, au niveau ministériel. C’est l’une de mes surprises. Alors que je m’attendais à des discussions opposant décentralisation et préfet, la plupart des parties – syndicats, industriels, associations – préfèrent déterritorialiser les dossiers pour qu’ils soient examinés au niveau national, pensant que préfet comme élus locaux sont soumis à des pressions et qu’il est préférable de remonter au niveau ministériel. Je me ferai l’écho auprès du Gouvernement de cette aspiration qui pose la question de la décentralisation et de la responsabilité d’une nouvelle façon. Inutile de vous dire que les associations des conseils généraux, des régions de France et des maires de France ne sont pas tout à fait sur la même ligne, a fortiori pour l’outre-mer pour lequel le choix de décentralisation me paraît plus nettement ancré. Il y a une vraie difficulté au regard de la nature de la prise de décision. Peut-on laisser la décision à l’État tout en mettant, grâce à une meilleure information et à une plus grande implication dans la procédure, des pouvoirs beaucoup plus importants dans les mains des collectivités territoriales ? C’est l’une des questions politiques totalement ouvertes devant laquelle nous sommes.

La prévention des contentieux fait aussi partie de nos préoccupations. En la matière, nous proposerons des limitations, non pas au droit de recours, mais à la possibilité de faire valoir des recours de façon complètement décalée par rapport à l’équilibre atteint.

En matière d’après-mine, nous essayerons de faire des suggestions qui prennent en compte les surcoûts du passé, bien qu’il s’agisse plutôt là d’éléments de politique publique sortant quelque peu du cadre du code minier.

Je ne me prononcerai évidemment pas sur la question prioritaire de constitutionnalité sur les gaz de schiste, qui repose sur le principe d’égalité et qui est en cours d’examen, non plus que sur l’interprétation de la loi de 2011 au regard de la géothermie. Une juridiction étant saisie, vous comprendrez que je n’en dise rien.

Je terminerai, comme vous l’attendiez tous, sur les chauves-souris pour rappeler qu’elles sont protégées par la convention de Londres et que l’article 55 de la Constitution nous fait obligation d’appliquer le droit international en la matière.

M. François-Michel Lambert. Très bien !

M. Thierry Tuot. Ce sujet est très révélateur de la nécessité de procéder à un aggiornamento collectif sur la façon de prendre en compte l’environnement autrement que par un biais anecdotique. Il faut reprendre ce débat sur le fond au sein des collectivités territoriales, appeler les syndicats de salariés, les habitants, les associations environnementales et les exploitants à apprécier le bon équilibre entre biodiversité, services fonctionnels environnementaux, développement durable et nécessités stratégiques, parfois d’intérêt national, de croissance, d’emploi et d’exploitation des ressources. C’est ce que nous essayons de faire dans ce nouveau code. J’ai bien conscience que nous ne vous présenterons qu’une copie imparfaite et souvent des choix cornéliens, devant lesquels je suis heureux de n’être qu’un fonctionnaire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous n’avez répondu, ni sur le caractère prescriptif ou non du schéma national minier, ni sur le droit de suite. Aujourd’hui, un industriel qui est titulaire d’un permis d’exploration a automatiquement un droit de suite, c’est-à-dire que s’il y a exploitation, le titre lui en est attribué.

M. Édouard Philippe. Le contentieux qui peut naître d’une autorisation a pour effet de rendre moins sûr le titre accordé et aussi d’allonger le délai de purge au terme duquel on peut commencer l’exploitation. Une instruction et une délivrance d’autorisation au niveau ministériel auraient-elles un impact sur l’autorité juridictionnelle chargée de se prononcer sur un éventuel contentieux ? Cela entraînerait-il une transmission complète du contentieux à Paris ? Quel type d’instance en serait alors saisie ?

M. Thierry Tuot. Nous découplons complètement l’autorité de délivrance du recours, dont la chaîne normale commencerait par le tribunal administratif local du lieu d’exploitation. Afin, toutefois, de raccourcir les délais de la procédure spéciale de participation reposant sur les groupements momentanés d’enquête, nous envisageons une compétence directe de la cour administrative d’appel, ce qui est prévu par le code de justice administrative. Ce serait une façon aussi, lorsque cette procédure vise à traiter des cas socialement délicats, qui suscitent beaucoup d’opposition et de conflits, de dépayser le jugement de l’affaire et de faciliter son règlement.

Pour le moment, la rédaction de compromis – qui ne manquera pas d’être contestée, nous le savons – définit le schéma national minier comme un document indicatif en matière d’informations et de choix, mais aussi comme un document de référence pour les décisions administratives lorsqu’il fixe des priorités. Cela lui donne une valeur qui le rapproche des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), mais pas autant qu’un plan local d’urbanisme. Il s’articule d’ailleurs complètement avec la loi sur l’eau, que nous respectons intégralement pour ne pas remettre en cause des équilibres tout à fait essentiels, l’eau étant le principal vecteur de pollution du sous-sol.

J’en viens au droit de suite. Le permis de recherche dit exclusif réserve à son titulaire le droit de demander un titre minier. En aucun cas, il ne lui accorde un titre minier ; il ne lui donne que le droit d’être le seul à le demander. Nous proposons deux éléments de clarification. D’abord, un appel automatique à la concurrence dès le dépôt d’une demande de permis de recherche exclusif. Publicité sera faite au niveau européen que quelqu’un demande à fouiller quelque chose quelque part. Toute personne disposera d’un délai de deux mois pour faire la même demande. Au terme d’une procédure compétitive, l’État décidera à qui il donne le droit. Il y aura donc possibilité de contestation. Ensuite, une limitation du temps pendant lequel le titulaire du permis de recherche exclusif aura le droit de demander un titre minier, titre qui, bien entendu, devra faire l’objet d’une procédure de participation du public et d’évaluation environnementale. Il n’y a toujours pas de droit acquis au titre. Il est indispensable de conserver cet équilibre, qui existe dans tous les pays miniers, car s’il n’y a pas de permis de recherche exclusif, il n’y aura pas de recherche du tout. Sur ce point, les industriels sont extrêmement clairs.

Nous introduisons deux autres éléments très importants. D’une part, à la demande de tiers intéressés, notamment des collectivités territoriales, un permis de recherche exclusif en déshérence pourra être frappé de déchéance. Ainsi, celui qui a obtenu un permis de recherche exclusif à seule fin de stériliser un territoire et qui ne demande pas de titre minier pour exploiter pourra en être déchu au profit d’un d’autre. C’est un point important alors que sont mises en œuvre aujourd’hui des stratégies de préemption du territoire qui empêchent sa valorisation. D’autre part, nous prévoyons le même système pour le titre minier, tout titre délivré devant faire l’objet d’une mise en œuvre effective, faute de quoi il fera l’objet d’une déchéance entraînant le régime de l’après-mine pour les travaux commencés et non poursuivis.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Au nom de la commission, je vous remercie, monsieur Thierry Tuot, pour toutes les précisions que vous avez apportées.

2. Audition de M. Thierry Tuot (10 mars 2015)

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Thierry Tuot, conseiller d’État, sur la réforme du code minier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai souhaité que notre Commission auditionne M. Thierry Tuot, conseiller d’État, que nous avions reçu le 24 avril 2013, car l’annonce par M. Emmanuel Macron d’un projet de loi portant réforme du code minier relance l’actualité sur ce dossier que nous suivons depuis deux ans.

Notre Commission a créé un groupe de travail sur la réforme du code minier, regroupant toutes les sensibilités politiques de notre Assemblée. Je présenterai d’ailleurs prochainement une synthèse de nos travaux. Outre M. Thierry Tuot, nous avions auditionné les ministres concernés à l’époque, M. Arnaud Montebourg, M. Victorin Lurel et M. Philippe Martin.

Je laisse sans plus tarder la parole à M. Thierry Tuot, qui a de bonnes nouvelles à nous annoncer.

M. Thierry Tuot. À la suite de la remise, au ministre à l’automne 2013, des conclusions du groupe de travail que j’ai animé, les administrations compétentes ont commencé à travailler sur nos propositions, ainsi que sur les deux questions que nous avions soulevées, à savoir l’adaptation des dispositions à l’outre-mer et la fiscalité.

Le ministre de l’économie a indiqué envisager le dépôt d’un projet de loi. Je ne suis pas chargé de vous préciser un calendrier, mais je puis vous détailler les orientations sur lesquelles les administrations ont travaillé et la façon dont les services envisagent de proposer au Gouvernement l’utilisation de nos travaux.

Mon groupe de travail avait soutenu l’idée qu’un débat public sur les quelque centaines d’articles du code minier n’était pas une façon optimale d’utiliser le temps parlementaire, sachant qu’une large partie des dispositions législatives en vigueur doit être maintenue. Nous pensons intéressant que le Parlement se concentre sur les grands principes et les grandes innovations. Quant aux autres aspects de la réforme, nous proposons qu’une ordonnance prévoie, d’une part, la reprise des dispositions existantes sous forme de recodification à droit constant, 80 % du code minier ne demandant pas d’évolution particulière, et, d’autre part, des adaptations en fonction des innovations.

La plupart des innovations sur lesquelles notre groupe a travaillé me paraissent pouvoir être reprises par le Gouvernement.

D’abord, de nombreuses mesures de clarification et de simplification de la procédure administrative visent à faciliter un traitement plus rapide et plus transparent de l’ensemble des autorisations administratives. Il s’agit de resserrer les délais dans lesquels les administrations doivent statuer. En effet, à l’heure actuelle, les délais sont parfois ouverts, ce qui pose problème du fait de l’absence de décision implicite.

Il convient ensuite de faire en sorte que les décisions fassent l’objet d’une information plus systématique, notamment auprès des élus locaux. Actuellement, l’instruction de certains titres est possible sans que les élus locaux ni même les préfets ne soient informés des procédures en cours.

Est également suggérée la possibilité de décisions implicites ou explicites dans des délais beaucoup plus brefs.

Nous proposons en outre une convergence des procédures avec celles du code de l’environnement. Cela suppose un système d’enregistrement, plutôt que d’autorisation expresse, pour les décisions d’importance moindre ; des niveaux de décision différents à partir d’une nomenclature des types de travaux, sur le modèle de la nomenclature environnementale ; et une police minière réaffirmée, mais alignée sur les sanctions pénales du code l’environnement.

Cette simplification administrative, cette transparence accrue, cette convergence des procédures administratives sont la marque d’une clarification respectueuse de l’équilibre, atteint dans le groupe de travail, entre les exigences des industriels – rapidité, transparence, clarté, simplicité, unicité des autorisations – et les exigences des élus locaux et du tissu associatif – transparence, qualité de l’information, participation du public.

Au titre de la participation, est confirmée la possibilité de recourir à des procédures alternatives, qui seront peut-être expérimentales : le groupement momentané d’enquête, le groupe de travail à l’échelon local apte à conduire lui-même l’ensemble des procédures de concertation sans autre contrainte procédurale que la transparence et la bonne information du public. Ce processus sera financé par les industriels. Pour suivre les travaux miniers, qui se déroulent sur vingt-cinq ou cinquante ans, il sera également possible de créer des commissions de suivi participatives spéciales, sur le modèle des comités locaux d'information et de surveillance (CLIS), qui bénéficieront d’un droit à l’information et seraient consultées sur la gestion du site.

L’ensemble des propositions que nous avions formulées sur la gestion de l’après-mine sont également reprises. Il s’agit d’abord de la création d’un fonds national, dont le statut reste à déterminer. Il s’agit ensuite de la reconnaissance de la responsabilité générale des exploitants, avec le suivi de leur responsabilité et la garantie financière dans le cadre du code de l’environnement, et de l’affirmation du rôle prééminent de l’État. Cela signifie l’implication de l’État et de l’ancien exploitant dans la surveillance des sites, avec des obligations réciproques et financées.

Le modèle minier français est, pour l’essentiel, réaffirmé dans ses spécificités, mais il est simplifié et clarifié.

Au titre des institutions nationales, il est envisagé de créer un haut conseil du secteur minier, afin de pérenniser l’équilibre de la concertation conduite ces deux dernières années. Il permettra aux pouvoirs publics de bénéficier, sur le modèle du Conseil supérieur de l’énergie, d’un lieu de concertation, notamment sur les intérêts des travailleurs du secteur minier. Le groupe de travail avait en effet proposé la réaffirmation des spécificités du droit du travail minier et, à ma connaissance, cette orientation serait entièrement reprise par le projet que les services vont proposer au ministre. Ce haut conseil des mines serait chargé de l’élaboration d’un schéma national. Nous avions eu un débat pour savoir si ce schéma national devait être un nouveau plan normatif ou un schéma indiquant les meilleures pratiques ; je crois savoir que cette seconde solution aurait les faveurs des services et serait proposée au Gouvernement.

L’essentiel est que ce haut conseil du secteur minier permette un débat national sur la politique minière, notamment sur ses priorités, et que le schéma national traduise la capacité à énoncer, au travers du consensus national, les bonnes pratiques en matière minière, ce qui aujourd’hui fait défaut sur divers sujets – stockage gazier, exploitation des carrières de granulats, reprise d’exploitation des anciens sites. En la matière, nous manquons d’éléments scientifiques objectifs pour alimenter le débat public, aussi bien local que national. Ainsi, l’élaboration de ce schéma national minier permettrait d’élaborer un savoir-faire collectif sur les pratiques, les sites, les matières, les usages, les matériels, les techniques, et il serait mis à la disposition de la collectivité nationale.

S’agissant de l’outre-mer, le groupe de travail avait rappelé au Gouvernement que l’exploitation minière n’était pas la simple déclinaison d’un code minier national assorti de variantes « tropicales ». L’enjeu est celui du développement de chacun des territoires des outre-mer, qui dépend essentiellement de leur statut. Pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, la compétence a été entièrement transférée ; la Guyane est dans une situation particulière à la fois en termes de richesses, de potentiel environnemental et de statut ; et des difficultés autres existent pour les Antilles, la Réunion, Mayotte, mais aussi pour les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour lesquelles des permis d’exploration ont été délivrés en leur nom. Pour la Guyane et les Antilles, l’enjeu est avant tout celui de l’équilibrage du développement territorial dans sa dimension d’exploitation minière.

Notre recommandation a été de ne pas donner aux collectivités des responsabilités assorties de devoirs qu’elles n’auraient pas les moyens d’assumer en termes de protection environnementale, de police, de lutte contre la pollution. Il convient donc trouver un équilibre entre la métropole et la collectivité sur la sécurité environnementale, la lutte contre les pollutions, la préservation des ressources contre le pillage, le profit à retirer d’une exploitation là où elle est possible et souhaitable, sachant que cette exploitation présente des aspects significatifs – en termes de développement des capacités portuaires, industrielles, de transformation – qui échappent au code minier et dépassent le champ du groupe de travail que j’ai animé. Aussi les services ont-ils recommandé aux ministres, qui y ont été sensibles, de traiter l’outre-mer comme une question à part entière, et non comme une sorte d’appendice du code minier.

Enfin, pour ce qui concerne la fiscalité, notre message était simple : il ne faut pas tomber dans le mythe de l’eldorado. La France est un pays minier jeune : elle a un passé minier achevé et elle recommence une aventure minière, ce qui suppose une fiscalité légère – ce sont les pays matures, dans une phase d’exploitation très avancée, qui peuvent avoir une fiscalité développée. Si nous estimons possible et souhaitable de reprendre une exploitation raisonnable et mesurée des ressources, sur le territoire et en mer, à des fins économiques et environnementales, nous devons prendre en considération le fait que l’investissement est risqué et coûteux, et que le rendement pour l’industriel et donc pour la collectivité sera lointain.

Dans l’immédiat, la fiscalité minière ne peut être massivement productrice de richesses : il serait naïf de penser qu’elle permettrait de combler le déficit budgétaire, voire de désamorcer les critiques locales qui seraient noyées sous les revenus de l’exploitation. Il est souhaitable de réfléchir à une utilisation territoriale de la fiscalité minière, au profit des intercommunalités, des départements et des régions, plutôt que des seules communes. Pour l’offshore, il faut raisonner en termes de façade, et non en termes de port ou de commune où résident les mineurs, critère actuel du code minier. Nous recommandons une fiscalité modeste, disponible pour les collectivités territoriales et pour le financement de la solidarité nationale, grâce notamment au fonds de solidarité destiné à gérer l’après-mine. Pour cela, nous proposons de prévoir des clauses qui, dans l’hypothèse où le pactole finirait par arriver, permettraient à la collectivité nationale d’en profiter dans des conditions à définir – mais cet horizon est nécessairement lointain en l’état actuel du développement minier du pays.

Voilà, en quelques mots, l’état de ma connaissance du dossier. Si les ministres valident nos idées, une concertation pourrait avoir lieu prochainement avec l’ensemble des parties prenantes qui avaient été associées au groupe de travail. Un projet de loi pourrait alors être rédigé et soumis au Conseil d’État avant la fin de l’année, voire à l’été – mais ce sont là des espoirs de fonctionnaire, pas des annonces.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Une partie de cette réforme pourrait être mise en œuvre dans le cadre d’ordonnances de recodification, sachant que 80 % du code minier environ ne seraient pas modifiés. Quels livres devraient relever du débat législatif, selon vous ? Les livres portant sur les principes, l’outre-mer et la fiscalité devraient-ils être débattus par le Parlement ?

Je donne la parole aux représentants des groupes.

Mme Françoise Dubois. Monsieur le conseiller d’État, les parlementaires socialistes expriment depuis longtemps leurs attentes sur cette réforme. Le sujet est complexe et le chantier législatif, immense. Les problématiques sont importantes, nombreuses et différentes en fonction des territoires : protection de l’environnement, protection des territoires et des populations, attentes croissantes de la société civile et des habitants.

Le groupe de travail avait été mis en place dès la rentrée 2012 et un projet de loi annoncé pour fin 2012 ; Arnaud Montebourg avait ensuite annoncé ce texte pour fin 2014 ; on nous dit aujourd’hui fin 2015 ; j’espère que ce texte va enfin aboutir. Le Gouvernement a opté, non pour la suppression, mais pour la conservation du code minier, suivie d'un transfert dans le code de l’environnement des règles relatives à l’activité minière. Nous nous dirigeons donc vers une recodification partielle, avec un recours conséquent aux ordonnances. Précédemment, le choix avait fait de maintenir un code minier, et non de procéder à une intégration dans le code de l’environnement. Pour autant, il est probable que le processus législatif aboutira à un équilibre acceptable entre, d’une part, un niveau de protection élevé des populations, des territoires et de l’environnement, en amont comme en aval, et, d’autre part, la sécurisation des procédures liées à l’activité minière.

Un des points positifs retenant l’attention de plusieurs parlementaires, directement concernés par l’activité minière passée ou future, est la volonté du Gouvernement de mettre l’accent sur l’après-mine avec la prise en compte des dégâts miniers. Sur ce sujet, comme sur celui de la responsabilité de l’exploitant ou du bénéficiaire, ou encore celui de l’information et de la participation du public, il est évident que le législateur est attendu au tournant par nos concitoyens.

Pouvez-vous nous dire quelles évolutions sont envisagées quant à l’encadrement de cette responsabilité ? La disparition ou la défaillance du responsable de l’activité minière, ce qui est le cas sur mon territoire, n’est-elle prise en compte que sur le plan de l’indemnisation, via le fonds national de l’après-mine ? Je pense à la question des poursuites, qui n’est sans doute pas uniquement liée au code minier, mais qui pourrait être éventuellement traitée dans la partie consacrée aux principes.

Enfin, le responsable de l’activité minière peut-il toujours s’exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une cause étrangère ? Et si oui, est-il possible que le fonds national de l’après-mine intervienne là aussi ?

M. Guillaume Chevrollier. Je ne m’appesantirai pas sur le calendrier du projet de refonte du code minier ; votre présence prouve qu’il n’est pas totalement enterré (Sourires). Cependant, les nouvelles rigidités qui pourraient naître de cette réforme suscitent les inquiétudes du groupe UMP, tant le droit environnemental se pare de contraintes et d’exigences de plus en plus lourdes et diverses. Un équilibre doit être trouvé pour concilier activité économique et préservation de l’environnement.

La Guyane est concernée par deux problèmes distincts, l’exploitation aurifère et la recherche de pétrole offshore. L’État restera-t-il seul compétent pour l’exploitation offshore ? Il convient de rappeler la volonté de la population locale de bénéficier, elle aussi, des contreparties minières, souhait que l’on peut considérer comme tout à fait légitime. Est-il prévu que des ressources fiscales lui soient affectées ? Et si oui, dans quelle proportion et avec quelle affectation ?

Actuellement, plus de 150 demandes de renouvellement de permis de recherche, de concession d’exploitation ou d’attribution de nouveaux titres miniers d’hydrocarbures, sont au ralenti, et plus d’une dizaine de demandes sont en souffrance dans les ministères dans l’attente d’une stabilisation de la réglementation. Cette situation de blocage est préjudiciable au secteur minier et, plus généralement, à l’économie du pays, sans compter qu’elle est source de contentieux et d’insécurité juridique. Quelle est votre position sur cet état de fait ?

M. Yannick Favennec. Merci, monsieur le conseiller d’État, de votre intervention. Le groupe UDI, qui soutient une écologie de progrès et de développement, souhaite la poursuite de l’exploitation de nos ressources naturelles sous réserve de ne pas appauvrir la nature ni de générer des dommages irréversibles.

L’évolution du droit minier va devoir répondre aux enjeux liés à l’énergie, en particulier la production d’énergies renouvelables. Notre sous-sol abrite des énergies fossiles, mais il faut également, grâce à la géothermie, exploiter la chaleur à des fins énergétiques.

Une réforme du code minier s’impose, et nous ne pouvons que nous féliciter des principes édictés à l’origine par le Gouvernement et que vous avez confirmés dans votre propos liminaire : l’information, la transparence et la prise en compte des enjeux environnementaux.

Annoncée et différée à plusieurs reprises, la réforme semble être à nouveau à l’ordre du jour, le ministre de l’économie ayant annoncé qu’il se prononcerait à ce sujet. D’après vos informations et celles de Bercy, les consultations devraient démarrer en vue d’un projet de loi. Vous ne maîtrisez pas le calendrier, mais savez-vous s’il existe encore des points de blocage ? Et si oui, lesquels ?

M. Gabriel Serville. Monsieur Thierry Tuot, j’ai exprimé à de multiples reprises le souhait de vous rencontrer pour discuter de la situation très particulière de la Guyane, ce que le calendrier n’a jamais permis. Je suis donc très heureux de votre venue aujourd’hui.

Dans le cadre de questions, écrites et orales, et d’interventions en commission, j’ai très souvent évoqué l’exploitation aurifère et l’exploitation d’hydrocarbure au large de la Guyane. Le groupe GDR a abordé à de nombreuses reprises le pillage des ressources de la Guyane, la question d’une fiscalité propre adaptée à la configuration guyanaise et permettant à nos collectivités locales de bénéficier de ressources supplémentaires, et la possibilité de remettre à plat le régime d’autorisation des recherches offshore pour transférer cette compétence aux collectivités d’outre-mer, tel que le prévoit la loi d’orientation pour l’outre-mer (LOOM) de 2000.

Le dispositif que vous avez présenté préfigure des progrès très intéressants. Néanmoins, vous l’avez dit vous-même, l’enjeu de l’équilibrage économique est toujours d’actualité. Or nous n’avons pas jusqu’ici entendu de réponses de nature à apaiser les inquiétudes en la matière.

Nonobstant les efforts réalisés par l’État, via la préfecture de Guyane, pour juguler ce pillage des ressources, la situation est de plus en plus tendue. Le document de référence pourrait-il identifier les moyens capables de mieux contrôler ce qui se passe sur le territoire national, qui se fait piller sans que la représentation nationale ne réagisse aussi fortement qu’on le souhaiterait ? Vous faites preuve de prudence en indiquant qu’il faut aller à petit pas, éviter de sombrer à nouveau dans le mythe de l’eldorado. Or nos voisins brésiliens voient dans la Guyane un véritable eldorado et ne se posent pas la question de savoir comment s’organiser pour venir extraire nos richesses. J’espère que nous arriverons, au travers du texte, à trouver les éléments de cadrage qui permettent de rassurer nos collectivités et les habitants de la Guyane.

Nous avons également abordé la possibilité de nous inspirer de ce qui se passe en Grande-Bretagne ou au Brésil au travers de la mise aux enchères des concessions. Depuis les autorisations d’exploration au large de la Guyane, une multitude de concessions est apparue au large des côtes brésiliennes, quasiment sur la même latitude que la Guyane. Nous sommes un pays neuf, mais n’est-il pas intéressant de s’inspirer de ce qui marche bien ailleurs en permettant des retombées fiscales significatives ?

M. Jean-Louis Bricout. Je voudrais évoquer le renforcement de l’information du public, sur lequel votre rapport avait fait des propositions.

Une première proposition est très importante, celle selon laquelle ni le secret industriel et commercial ni le droit de propriété intellectuelle ne seraient opposables au droit du public de consulter ou d’obtenir communication des informations relatives aux substances susceptibles d’être émises dans le sous-sol.

Ensuite, le groupement momentané d’enquête résulterait de la procédure renforcée d’information, de participation et de consultation du public ; il s’agirait d’une procédure préalable à l’octroi éventuel d’un titre minier ou d’une autorisation de travaux miniers, dont la mise en œuvre serait laissée à la libre appréciation du préfet. Concrètement, serait mise en œuvre, avec des moyens financiers, une sorte de contre-expertise citoyenne, comme l’ont appelée de leurs vœux les associations et les collectifs opposés aux hydrocarbures non conventionnels.

Monsieur le conseiller d’État, quelle sera la place des collectivités territoriales au sein de ce futur groupement ?

M. Jean-Pierre Vigier. La réforme du code minier annoncée en juillet 2012 par le Premier ministre avait pour objectif de mettre le code minier en conformité avec la Charte de l’environnement et d’assurer aux activités minières le niveau de sécurité juridique qu’elles requièrent. D’emblée, il avait décidé que la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique demeure autonome par rapport au périmètre de ce nouveau code. Or aujourd’hui ce projet semble avorté et le flou entoure le sujet. En parallèle, les déclarations de Mme la ministre de l’écologie sur les techniques d’extraction « non dangereuses » interrogent sur la réouverture des discussions sur l’exploitation des gaz de schiste. Ma question est simple et sans ambiguïté : l’épineux sujet de l’exploitation des gaz de schiste et de la fracture hydraulique aurait-il eu raison du code minier ?

M. Jean-Marc Fournel. Monsieur le conseiller d’État, merci de votre synthèse.

En tant qu’élu de Lorraine, je voudrais vous interroger sur l’après-mine, qui suscite des attentes fortes des sinistrés et des collectivités locales. Dans ma circonscription, un dossier datant de 1998 n’est toujours pas clos et les décisions toujours pas arbitrées. Il y a donc beaucoup d’interrogations sur cette réforme.

Il faut d’abord dédommager les sinistrés du traumatisme et de la perte du bien, tout en s’assurant que le fonds de garantie le permettra, sachant que nombre d’entreprises ont disparu, ce qui place l’État au cœur de ce dispositif. Il faut en outre prendre en compte les dégâts collatéraux, ceux causés aux collectivités locales dont le développement a été mis à mal en raison de plans de prévention très stricts et qui sont aujourd’hui confrontées à de nombreux désagréments pour la distribution de l’eau ou l’assainissement. Au regard de ces exigences, quelle sera demain la définition précise du sinistre ou du dégât minier ?

M. Laurent Furst. Monsieur le conseiller d’État, je voudrais vous dire mon admiration car vous avez cité les TAAF. Personne ne cite jamais les TAAF à l’Assemblée nationale, à part la mission de 16 députés qui se penchent sur le sujet (Sourires). Sur les 11,5 millions de kilomètres carrés de ZEE français, 2,5 millions relèvent de l’administration des TAAF où, à part un peu d’exploration gazière dans le canal du Mozambique, l’État français souhaite réaffirmer leur dimension environnementale originelle en retirant ce que l’homme y avait implanté.

Pourquoi avez-vous cité les TAAF ? Les cinq districts présentent-ils un véritable potentiel économique pour la Nation ? Les terres rares sous-marines ne sont-elles pas la solution face à la maîtrise quasi-totale de la production des terres rares par la Chine ?

M. Fabrice Verdier. Monsieur le conseiller d’État, le travail que vous avez effectué est important et la réforme, très attendue. Elle doit passer par le Parlement car c’est aux élus de la Nation de définir en toute transparence les conditions d’exploration et d’exploitation des substances minières au regard de leurs conséquences sur l’aménagement du territoire, la préservation de l’environnement et le respect des populations.

Ma question portera sur le projet de délivrance d’un permis minier ou d’une autorisation de travaux miniers de manière automatique si l’autorité administrative ne répond pas dans un délai de trois mois. À mon sens, ce délai est trop court, car il n’offre pas le temps nécessaire aux ministères concernés et au public de travailler correctement. Ne serait-il pas plus opportun que chaque étape de l’instruction d’un permis minier ou d’une autorisation de travaux fasse l’objet d’une décision explicite de la part de l’administration ?

M. Michel Heinrich. Monsieur le conseiller d’État, vous avez abordé la fiscalité, et une question a été posée sur la fracturation hydraulique ; je n’y reviens donc pas. Je voudrais vous interroger sur l’après-mine.

Vous avez parlé de rapidité et de simplification. Dans ma circonscription, une grosse papeterie souhaite enfouir dans les mines de Lorraine, à Faulquemont notamment, les centaines de tonnes de cendres qu’elle produit chaque année. Or cet industriel n’a toujours pas obtenu de réponse à sa demande déposée il y a plus de cinq ans, si bien qu’il transporte ses cendres de papeterie outre-Rhin pour les enfouir dans des mines allemandes…

M. Jean-Marie Sermier. Le code minier date, pour l’essentiel, de 1956. L’exploitation à grande échelle du gaz de schiste par fracturation hydraulique, au début des années 2000, a bousculé l’échiquier mondial de l’énergie. Une grande incertitude s’est alors exprimée, et nous avons voté la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, au nom du principe de précaution face à une méthode encore méconnue. Aujourd’hui, l’expertise des scientifiques s’est améliorée, et il importe d’avancer sur la réforme du code minier, maintes fois reportée et qui risque d’être enterrée.

Monsieur le conseiller d’État, quel est votre sentiment sur cette réforme ? Le Parlement peut-il s’attendre à être saisi d’un texte de loi, ou cette réforme fera-t-elle uniquement l’objet d’ordonnances ?

Mme Valérie Lacroute. Monsieur le conseiller d’État, je suis élue de Seine-et-Marne, département très prisé des grandes compagnies pétrolières, puisque sept autorisations de travaux miniers pour l’exploration du gaz de schiste ont été délivrées. Dans ce département où les zones agricoles sont importantes, les élus et la population sont très inquiets quant aux conséquences des travaux de reconnaissance et des moyens qui seront utilisés.

Le volet participation du public, avec le respect des intérêts des populations et des territoires, interpelle au plus haut point. Il s’agit aujourd’hui de garantir la transparence des projets en amont, de la phase de recherche à la phase des nouveaux gisements, et d’y associer le public. Il est important que chaque étape de l’instruction d’un permis minier ou d’une autorisation de travaux fasse l’objet d’une décision explicite de la part de l’administration. Ce n'est pas forcément le cas aujourd’hui, puisqu’une autorisation de travaux est automatique si l’administration ne répond pas dans les trois mois. Ne vous semble-t-il pas important de renforcer les procédures ?

Concernant l’information transparente et la prévention des risques environnementaux et sanitaires, les dispositions actuelles n’indiquent pas, dès la demande du titre minier, que les techniques possibles ou envisagées pour l’exploration ou l’exploitation doivent être clairement présentées. Ne pensez-vous nécessaire de prendre en compte les impacts de l’activité extractive, particulièrement des hydrocarbures qui présentent un fort potentiel à effet de serre ?

M. Thierry Tuot. Merci de toutes ces questions ; elles confirment ma conviction que seul le débat public permettra de reprendre un chemin minier soutenable. Comme l’ont montré nos échanges avec les industriels, les associations, les collectivités territoriales, les administrations et les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, notre pays doit se doter d’une stratégie nationale minière. Cela nécessite de mettre les choses à plat, en considérant objectivement les réels enjeux à l’aune d’une connaissance approfondie.

Pour commencer le débat, vous avez besoin d’une expertise collective. La loi de transition énergétique décline une stratégie nationale de recherche, et j’ai rappelé au cabinet des deux ministres mon souhait que le pays se dote, aussi, d’une stratégie nationale sur la mine, car une connaissance actualisée de notre sous-sol est indispensable. À l’heure actuelle, nous ne savons pas si notre sous-sol recèle des terres rares, car nous ne les avons jamais cherchées ! Le dernier plan général de prospection n’incluait pas les terres rares, car nous n’en connaissions pas encore l’usage, notamment en informatique, en téléphonie et en radiologie. Toutes ces discussions sur les gaz de schiste, alors qu’il n’y en a pas ou très peu, montrent que les choses tournent à l’envers dans le pays de Descartes ! Nous recommençons à exploiter l’argile médicale, la bauxite médicale, la fluorine, y compris pour échapper aux manipulations de cours des pays qui dominent le marché. Nous devons donc savoir de quoi nous parlons ! En la matière, il appartient aux établissements publics d’État et aux universités au niveau européen – les expertises européennes sont davantage prises en compte que les expertises nationales – d’élaborer un savoir partagé en matière de techniques de recherche, de techniques et de lieux d’exploitation. J’y vois le préalable aux choix majeurs que vous devrez faire en termes d’équilibrage entre reprise d’un développement économique minier soutenable et préservation d’un environnement durablement protégé.

Monsieur le président, j’ignore quels livres doivent relever de l’ordonnance, à l’exception du livre Ier. Au regard de la réaffirmation du modèle minier français, des intérêts des travailleurs, du rôle des collectivités territoriales, de la participation, de la convergence avec le code de l’environnement, de la garantie de la solidarité nationale pour l’après-mine, ce livre – qui est politique – sera la garantie que le juge pourra se référer à des principes. Il est essentiel de procéder à ces réaffirmations de principe.

Je crois ensuite nécessaire, et il me semble que c’est la logique sur laquelle travaillent les services, d’identifier pour chaque livre les inflexions majeures qui méritent que le Parlement se prononce, en matière d’information, de participation, de nomenclature, de sanctions pénales, de solidarité, sachant que l’ordonnance adaptera les procédures existantes. Je pense que c’est la seule façon de procéder. Cela suppose tout de même un projet de loi de quarante à soixante articles, avec l’affirmation nouvelle de principes majeurs, mais aussi d’évolutions radicales.

Les principes de l’après-mine sont simples. Il faut d’abord que la Nation reconnaisse le rôle qu’ont joué les mineurs et les communes minières. Il faut affirmer la reconnaissance de cette contribution à la croissance, la reconnaissance des drames humains – économiques et personnels – et la solidarité. Si on ne le fait pas par exigence morale, on doit le faire de façon cynique parce que, sans cela, la reprise de l’exploitation minière ne pourra se faire – l’opinion n’acceptera pas que l’on ne nettoie pas le passé. Il ne coûte pas très cher – quelques millions d’euros – de mettre fin définitivement aux cas les plus choquants, et cela coûtera de moins en moins cher au fur et à mesure du temps (Murmures divers). La garantie absolue de l’État que, quoi qu’il arrive, si les choses tournent mal, la solidarité nationale s’exprimera, est la condition préalable à l’exploitation. En disant cela, je crois avoir le soutien des industriels comme des associations.

Il faut, ensuite, moderniser les instruments. L’une des mesures importantes que nous avions proposées et que le Gouvernement est prêt à reprendre, appelée « clause Metaleurop », est la possibilité de traverser les écrans que nous opposent les personnes morales. Elle prévoit, si l’exploitant ne peut être retrouvé, de retenir la responsabilité de celui ou de ceux qui ont dirigé l’exploitation ou qui en ont bénéficié. Cette pratique existe en matière fiscale ; en matière minière, elle sera la condition essentielle de la confiance, dans le respect des autorisations.

Autre élément essentiel : le droit de suivi, notamment grâce aux commissions de suivi participatives spéciales. On ne peut pas imposer à l’État, au moment où il délivre un permis d’exploration, de prendre en considération vingt-cinq années d’exploitation ; et il serait absurde de demander à l’exploitant de dire quelle substance, quelle technique, quelle étendue il envisage, puisque personne n’en sait rien. Mais il ne faut pas se servir de cette ignorance de départ pour empêcher, ensuite, la collectivité de mener des contrôles à chaque étape et en toute transparence. Il faut trouver un juste équilibre, et c’est pourquoi je plaide pour les commissions dans lesquelles figurent toutes les parties prenantes, notamment le groupement momentané d’enquête, que le Gouvernement est prêt à reprendre. Par « juste équilibre », j’entends la rencontre des intérêts économiques, des intérêts sociaux – associations environnementales et syndicats de salariés –, des collectivités territoriales – l’intercommunalité étant le bon niveau, mais les départements et les régions doivent jouer un rôle au regard de l’impact sur les infrastructures –, de tous les experts et, enfin, des intérêts professionnels – commerciaux, touristiques, agricoles.

Seule l’association de toutes les parties prenantes dans la concertation pour élaborer un consensus permettra de desserrer la contrainte procédurale. En tant que juge, ce que je sais faire avec une déclaration d’utilité publique (DUP), c’est l’annuler, car il suffit d’un délai non respecté ou d’un défaut de publication pour qu’elle devienne illégale ! Il a fallu douze ans pour le renouvellement des stockages gaziers ! Ce luxe procédural frustre tout le monde et il faut inventer autre chose. Transparence, participation, prise en main de la responsabilité par les intérêts qui élaborent eux-mêmes un consensus local, expertise technique indépendante au niveau national, tout cela constitue des possibilités, qu’il faudrait peut-être expérimenter, mais qui, je crois, vont être reprises.

Pour finir sur l’après-mine, les faits exonératoires dans le cadre de la responsabilité environnementale pourront concerner l’exploitant de bonne foi. Des évolutions géologiques ou techniques imprévisibles, qui n’entraient pas dans l’équilibre de l’autorisation, ne doivent sans doute pas pouvoir être opposées, car on sortirait alors du droit de la responsabilité traditionnelle. Pour autant, cela ne doit pas exonérer l’État de son devoir d’intervenir, ce qui est la condition de la restauration de la confiance de nos concitoyens envers l’exploitation minière.

J’en viens à l’outre-mer. J’ignore quel est le bon équilibre entre l’État et les collectivités territoriales d’outre-mer, mais je crois que l’élan vers l’autonomie des collectivités d’outre-mer ne peut être stoppé. Cependant, si demain une tête de puits au large de la Guyane casse, ce n’est pas la marine guyanaise qui ira sécuriser le site. Par conséquent, nous ne devons pas transférer une responsabilité sans apporter les moyens de l’exercer et les garanties de la solidarité nationale. Si les moyens et la garantie de la solidarité sont assurés, un équilibre doit alors être trouvé entre un développement autocentré, avec des décisions locales, et le rôle de l’État en termes d’avis, de conseil, de veto, de solidarité. Ce débat doit être mené pour chacune des collectivités, en écoutant d’abord les intérêts locaux, mais aussi en prenant en considération les exemples voisins, les bons comme les mauvais – nous l’avons fait en étudiant les pratiques des grands pays miniers comme le Maroc, l’Australie, le Canada.

Cependant, cette question dépasse largement le code minier ; s’agissant de l’or, par exemple, son traitement, sa transformation, son exploitation posent autant de questions relevant de choix politiques. Faut-il créer un opérateur national exclusif ? Faut-il imposer une participation systématique de la Guyane comme collectivité majoritaire dans toutes les entreprises exploitantes ? Faut-il imposer des règles de droit du travail interdisant le travail étranger ? Nous allons devoir affronter ces questions ; de mon point de vue, c’est un choix guyanais pour les Guyanais au sein de la collectivité nationale. Il ne s’agit en aucun cas de plaquer le code minier comme à l’époque du législateur colonial.

Par ailleurs, à ma connaissance, il n’existe pas de points de blocage entre les ministères. Les consultations ou les réflexions auxquelles j’ai été associé m’ont permis de constater une entente entre tous les ministères concernés à un degré que je n'avais pas trouvé auparavant. Je suis donc redevenu plutôt optimiste quant à la possibilité d’un accord et de l’adoption d’un projet de loi. Mais ce n’est pas à moi qu’il incombe de vous indiquer des délais.

S’agissant de la fracturation hydraulique, le groupe de travail que j’ai animé n’a jamais abordé les gaz de schiste. À aucun moment nous n’avons soulevé la question de leur exploitation ou de la nécessité de revenir sur la loi de 2011. De toute façon, il nous avait été demandé de ne pas le faire : nous avons donc respecté le mandat sur ce sujet qui avait, au demeurant, atteint pendant nos travaux un degré d’incandescence extrême. Il faut un projet de loi, la nécessité s’aggrave d’heure en heure. Avec le nouveau code minier, notre ambition est de rendre possible un débat pacifié et transparent sur les techniques de fracturation hydraulique applicables aussi bien à la géothermie qu’au gaz de schiste ou encore sur les ressources en hydrocarbures françaises.

Concernant les TAAF, les opérateurs ont demandé des permis dans le canal du Mozambique. Ces terres, où il n’y a pas d’électeurs, mais des enjeux de sécurité internationaux liés aux limites des zones géographiques, sont un cas d’école : les ressources naturelles pourraient y être pillées sans que l’économie française en profite et avec un risque environnemental très élevé. Voilà un bon laboratoire de réflexion sur divers sujets : fiscalité propre, procédures en milieu international, sécurité de l’exploitation, sécurité des milieux. Je sais que l’administrateur des TAAF s’y intéresse beaucoup, et c’est un des sujets importants qu’il faudra aborder.

Je termine par la question de l’opposabilité du secret industriel et commercial et sur celle des décisions implicites – deux points sur lesquels les travaux des administrations ont permis de revenir sur notre enthousiasme « révolutionnaire ». Nous voulions ouvrir le débat de façon violente, en justifiant la nécessité d’aller jusqu’au bout par l’absence de transparence. Il est clair que la transparence totale en matière de substance injectée dans le sous-sol n’est aujourd’hui pas possible : non seulement elle est impossible au moment de la demande d’autorisation, mais elle pourrait être attentatoire au secret industriel et commercial, protégé par la loi. Néanmoins, une plus grande transparence sur les procédés techniques, y compris en cours d’exploitation – c’est-à-dire ne pas considérer l’autorisation initiale comme un blanc-seing – est sans doute l’un des résultats auquel notre poussée du balancier à l’extrême permettra de revenir de façon raisonnable.

De même, avant que le Président de la République en émette l’idée, le groupe de travail avait pensé à une décision implicite automatique partout. Mais je vous rassure : nous pensions à une décision implicite après les procédures de participation, c’est-à-dire une fois le dossier complet – avec avis techniques, consultations, participation du public, enquête. L’orientation prise par le Gouvernement, qui me paraît raisonnable, est de poser d’abord le principe des délais partout ; il n’y aurait donc plus de procédures ouvertes. Au bout de trois, six mois ou neuf mois, la décision serait soit positive, soit négative – le Parlement en décidera – en cas de silence gardé, avec possibilité ou non de revenir par décret sur le sens de la décision, ce qui est l’orientation générale de la loi de 2011.

J’en ai terminé, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour toutes ces précisions qui permettent de renforcer notre information, monsieur le conseiller d’État. Nous attendons avec impatience le dépôt du projet de loi.

3. Examen du rapport

Lors de sa réunion du 20 mai 2015, la commission a procédé à l’examen du rapport d’information de M. Jean-Paul Chanteguet, en conclusion des travaux du groupe de travail sur la réforme du code minier.

M. le président Jean-Paul Chanteguet, rapporteur. C’est en 2011, lorsque la délivrance subreptice de permis exclusifs de recherches de gaz de schiste provoqua une vague d’indignation et souleva plusieurs territoires, dont le plateau du Larzac et le couloir rhodanien, que s’est imposée à tous l’impérieuse nécessité de réformer le code minier. Dès le 22 avril, la ministre de l’écologie Nathalie Kosciusko-Morizet commandait à l’avocat Arnaud Gossement un rapport en ce sens. Le 5 septembre 2012, le conseiller d’État Thierry Tuot était saisi officieusement par Jean-Marc Ayrault de l’organisation de la concertation des parties prenantes, puis, le 14 février 2013, il était officiellement missionné pour élaborer un projet de code minier conforme aux orientations retenues en conseil des ministres : modernisation du modèle français fondé sur le rôle de l’État concédant ; application des principes constitutionnels de la Charte de l’environnement ; protection de l’environnement et garantie de la sécurité des travailleurs et de la sécurité publique ; fiscalité plus favorable aux territoires concernés ; prise en compte des spécificités ultramarines. Le 9 décembre 2013, le groupe de travail, comprenant ONG environnementales, syndicats et représentants de l’industrie, livra au Gouvernement un projet de texte soutenu par tous.

Face aux enjeux soulevés par les défaillances du code minier, le Parlement n’est pas resté inactif et la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale a toujours joué un rôle déterminant à travers des travaux tels que le rapport d’information sur les gaz de schiste de Philippe Martin et François-Michel Gonnot, la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique, la loi relative à la mise en œuvre du principe de participation du public, dont Sabine Buis était rapporteure et qui, dans son article 4, renforçait la participation du public dans la procédure d’octroi des titres miniers. Fin 2013, nous avons pris la décision de constituer un groupe de travail sur la réforme du code minier réunissant des représentants de tous les groupes. Celui-ci, sur la base des conclusions du groupe de Thierry Tuot, a auditionné les principales organisations et personnalités engagées dans cette réforme.

Si nos débats ont vu se confronter des approches différentes, les désaccords constatés sur des questions précises – relance de la recherche d’hydrocarbures, droit de suite entre exploration et exploitation, fiscalité sur l’exploitation –, n’ont jamais remis en cause le constat partagé d’une réforme nécessaire autant à la protection de l’environnement qu’à la sécurisation de l’activité minière. Dix points de conclusion ont retenu notre attention, et pour ceux ne faisant pas l’objet d’un consensus, j’ai fait le choix de laisser la question ouverte.

Rarement projet de loi n’aura bénéficié d’un temps de préparation aussi étendu, d’études d’impact aussi fouillées, de document préparatoires aussi nombreux. Soumise à un code minier obsolète, l’industrie extractive, dont l’activité est assise sur le long terme, ne peut arrêter sa stratégie de développement. Le temps est venu de légiférer ; un projet de loi doit être déposé dans les meilleurs délais. Eu égard à l’investissement de ses membres depuis l’origine de la réforme du code minier, notre commission du développement durable doit jouer un rôle central. Le caractère environnemental affirmé de cette réforme lui en donne naturellement la compétence, et c’est d’ailleurs vers elle qu’ont été renvoyés tous les textes parlementaires en relation avec le droit minier depuis le début de la législature.

Le recours aux ordonnances envisagé par le Gouvernement n’est pas illogique pour les simples modernisations, adaptations de cohérence et autres toilettages. Toutefois, les membres du groupe de travail ont considéré que devaient être sorties de ce champ les dispositions hautement politiques touchant aux principes du code minier, à la procédure minière, à l’outre-mer et à la fiscalité.

L’opportunité d’un rapprochement entre le code minier et le code de l’environnement n’a pas fait consensus. Le premier ayant vocation à réglementer une exploitation et le second à protéger l’environnement, la divergence des objectifs justifie une séparation.

L’idée, issue de la tendance à la décentralisation, de confier la compétence minière aux collectivités territoriales a rapidement été abandonnée, à l’unanimité ou peu s’en faut. S’il est admis que les ressources du sous-sol constituent le patrimoine de la nation, il y aurait quelque incohérence à donner aux collectivités une compétence décisionnelle sur leur exploitation. La politique minière doit demeurer une compétence de l’État.

Le groupe de travail a été très intéressé par la proposition de Thierry Tuot de recourir, dans certains cas, au groupement momentané d’enquête (GME), une procédure innovante visant à renforcer l’information et la participation du public.

Les difficultés rencontrées en 2010, lors de la délivrance de permis exclusifs de recherches, ont révélé le caractère insatisfaisant des demandes déposées auprès du ministre de l’écologie. Conformément au code minier en vigueur, celles-ci ne faisaient mention que de la matière prospectée : M pour métal, H pour hydrocarbures, sans beaucoup plus de précision. Le groupe de travail souhaite que les dossiers de demande de permis minier soient désormais plus explicites et que, en conséquence, les permis soient délivrés pour des produits mieux identifiés.

Proposé par la commission Tuot, le recours au rescrit lors de l’attribution d’un titre minier, qui conduirait la cour administrative d’appel à juger de la procédure suivie, accélérerait et sécuriserait grandement les procédures minières au bénéfice des citoyens comme des industriels. Néanmoins, nous devons nous interroger sur l’immixtion du juge administratif dans les prérogatives du pouvoir exécutif.

L’une des difficultés du droit minier actuel tient à la délivrance quasi automatique d’une concession minière à tout détenteur d’un permis exclusif de recherches dont la prospection se révèle fructueuse. Si, aujourd’hui, certains considèrent que ce droit de suite ne doit pas perdurer, les opérateurs économiques comme le groupe de travail attendent du nouveau code minier qu’il procure un cadre à l’activité extractive, non qu’il multiplie les obstacles à son développement.

Enfin, doit-on, dans la logique du choc de simplification décidé par le Président de la République, accepter qu’au bout de deux mois, le silence de l’autorité administrative vaille acceptation, comme le propose la commission Tuot ? Adviendrait alors la délivrance de titres implicite, uniquement fondée sur l’absence d’instruction et de réponse de l’administration. Si le groupe de travail a jugé séduisant ce principe, il a préféré attendre la rédaction finale du projet de loi pour se prononcer.

Je conclus en disant ma satisfaction – j’espère qu’elle ne sera pas déçue – que l’examen de cette réforme se stabilise sur l’automne 2015. En effet, le 18 mars dernier, les ministres chargés de l’économie et de l’écologie ont conjointement annoncé le début du processus de consultation sur un avant-projet de loi, prélude à une saisine du Conseil d’État et à un dépôt sur le Bureau de l’Assemblée pour la rentrée prochaine.

Mme Françoise Dubois. Je tiens à rendre hommage à la ténacité de notre président qui a conduit le groupe de travail. Ce dernier, constitué au mois de juillet 2012, a démarré ses travaux dès le début de l’année 2013, procédant à de nombreuses auditions. Le projet de rapport présenté aujourd’hui tient compte de toutes les positions exprimées en son sein.

Le texte proposé est plus lisible que le précédent. Il prévoit des procédures simplifiées ainsi que des dispositions spécifiques pour l’information et la participation du public dès le stade de la demande du permis d’exploration. Il propose la création, à l’initiative du préfet, d’une commission spéciale de suivi ainsi que la rénovation du dispositif national de l’après-mine, principalement par la constitution d’une mission d’indemnisation. Il tend à soumettre les travaux miniers aux mêmes règles de protection environnementales que les installations classées. Il soutient la création d’un espace de débat national, avec l’institution d’un Haut Conseil des mines et l’élaboration d’un schéma national minier.

Les principales avancées de ce projet ont trait au meilleur encadrement de l’activité actuelle, qui doit se dérouler dans des conditions environnementales, sociétales et économiques acceptables. Il ressort des débats du groupe de concertation présidé par Thierry Tuot qu’il faut conserver un code minier distinct du code de l’environnement, chacun ayant sa propre finalité. Quant à la fiscalité minière, elle devra être rénovée pour parvenir à une meilleure répartition des produits fiscaux entre l’État et les collectivités. Enfin, le nouveau code minier prendra mieux en compte les spécificités ultramarines, avec le maintien des autorisations d’exploitations de petite taille et l’introduction d’une consultation systématique du conseil régional ou de la collectivité unique avant la délivrance des titres.

M. Martial Saddier. À mon tour, je salue l’action de notre président qui a su conduire la mission à un consensus sur un sujet complexe et délicat. La réforme du code minier a occupé deux majorités, le processus ayant été lancé par Nathalie Kosciusko-Morizet et poursuivi par Jean-Marc Ayrault. Tel qu’il existe aujourd’hui, le code minier est obsolète puisque certaines de ses références datent de 1810 et 1919. Le groupe UMP est, lui aussi, d’avis qu’il est urgent de le réformer, mais qu’il convient de le conserver comme un code spécifique. Sous l’impulsion de Christian Jacob, à la fin de la précédente législature, un texte avait été élaboré afin d’interdire la fracturation hydraulique. Nous souhaitons à présent qu’un projet de loi nous soit soumis selon un calendrier précis et que la Commission du développement durable en soit saisie au fond. À cet égard, je vous remercie, monsieur le président, pour le combat que vous menez.

En plus de régler le sujet de la fracturation hydraulique, la réforme doit contribuer à combler un vide juridique qui permet, dans certaines régions, de multiplier les permis de recherches géothermiques à haute et basse température dont nous n’avons pas toujours les moyens techniques de vérifier la pertinence.

Enfin, considérant que la richesse du sous-sol fait partie du patrimoine national, nous rappelons, en bons législateurs, que nous sommes toujours aussi enthousiastes au sujet des ordonnances. (Sourires) Si nous comprenons qu’elles puissent concerner une partie très technique du texte, nous souhaiterions, compte tenu des délais dont la préparation de ce texte a bénéficié, qu’elles fassent, avant leur adoption, l’objet d’une présentation devant les parlementaires.

M. Bertrand Pancher. Nous sommes tous d’accord sur l’impérieuse nécessité qu’il y a de réformer le code minier. Si un avant-projet de loi nous a été présenté le 18 mars dernier, l’avenir du texte reste incertain : depuis trois ans qu’on nous le promet, il est sans cesse repoussé. Emmanuel Macron l’a annoncé devant le Parlement pour l’automne. Sachant que cette période est occupée par la discussion du budget, autant dire que ce sera l’année prochaine. C’est ainsi que quatre ans auront été perdus.

Par ailleurs, on ne peut que s’alarmer du large recours aux ordonnances. Selon Arnaud Gossement, il ressort de la lecture attentive de l’article 46 du projet de loi que c’est la totalité de la partie législative du code minier qui sera rédigée par voie d’ordonnance. Ce serait un comble que les parlementaires n’aient pas voix au chapitre sur les aspects les plus politiques et législatifs, tel le principe de participation et d’information du public, alors même que le rapport célèbre les nombreuses auditions et études d’impact qui ont permis sa préparation dans une réelle concertation.

L’article 28 porte sur la constitution d’un groupement participatif d’information et de concertation regroupant toutes les parties prenantes ; pour sa part, le rapport Tuot préconisait un regroupement momentané d’enquête, ce qui n’est pas la même chose. Notre rapport souligne le flou de la définition de ce GME, mais cela vaut aussi pour le groupement participatif : quel en sera le fonctionnement exact ? Pourquoi, comme le souligne Me Arnaud Gossement, cette structure vient-elle se superposer à la Commission nationale du débat public (CNDP) ? Ne va-t-on pas encore ajouter au millefeuille d’instances consultatives au risque d’être contre-productif ?

L’avant-projet de loi n’aborde pas l’épineuse question du droit de suite, qui consiste à délivrer de façon quasi automatique une concession minière à tout détenteur d’un permis exclusif de recherches dont la prospection se révèle fructueuse. France nature environnement (FNE) en demande instamment la suppression.

J’appelle l’attention sur le dernier alinéa de l’article 7, qui signifie que l’on pourrait mener des opérations d’exploration sans aucun titre, c’est-à-dire sans information ni consultation du public. Il y a de quoi s’en inquiéter si l’on songe que c’est l’absence totale d’information sur les premières études du potentiel de notre sous-sol en matière d’hydrocarbures non conventionnels qui a déclenché tout le « bazar ». Procédons encore de la sorte et cela continuera.

Enfin, FNE a souligné que l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 47 visant à protéger l’environnement est repoussée à l’adoption d’une seconde loi de ratification, autant dire aux calendes grecques. C’est inacceptable ! Nous souhaitons que ce texte voie le jour très rapidement et dans de bonnes conditions.

M. Jacques Krabal. Je ne peux que saluer la présentation du projet de rapport d’information, bienvenu sur un sujet aussi délicat et difficile. Un des faits qui a motivé la réforme du code minier a été l’attribution d’un permis d’exploration dans la ville de Château-Thierry, dont je suis le maire, sans que les élus en aient été informés. Nous pouvons tout particulièrement remercier Thierry Tuot, qui n’a jamais baissé la garde dans ce dossier et à qui nous devons l’avant-projet de loi portant réforme du code minier. Pour votre part, monsieur le président, vous nous avez un peu rassurés au sujet du calendrier, cependant, nous aimerions avoir plus de certitudes.

Je partage les conclusions 2 et 3 du rapport d’information. Or, le 1er avril dernier, le ministre de l’économie a installé le groupe de travail « Mine responsable ». Comment allons-nous travailler avec lui, et quels seront les rôles respectifs de chacun des organismes concernés ?

En ce qui concerne la transparence et la proposition de Thierry Tuot d’instituer une procédure de groupement momentané d’enquête, j’aimerais savoir selon quelles modalités fonctionnera cette méthode de participation du public et comment s’organisera la concertation qui, à nos yeux, constitue la pierre angulaire de la réforme.

La conclusion 7 porte sur l’obligation d’information des dossiers. Je souhaite, là encore, que nos concitoyens ne soient pas floués. À cet égard, je regrette que le rapport ne reprenne pas la proposition de stratégie nationale sur la mine avancée par Thierry Tuot.

Enfin, les propositions visant la fiscalité minière sont intéressantes, encore faut-il détailler le partage entre l’État et les collectivités territoriales. Êtes-vous en mesure de nous apporter des précisions ?

J’attends avec impatience le dépôt du projet de loi, qui ne manquera pas, j’en suis certain, de reprendre l’ensemble de vos propositions, monsieur le président.

M. François-Michel Lambert. Je vous félicite, monsieur le président, pour votre persévérance et votre exigence au sujet de la réforme du code minier, dont la nécessité a été révélée par la découverte du processus qui conduisait à attribuer des permis d’exploration en matière de gaz de schiste. Le permis dit de Gardanne, par exemple, a été délivré sans qu’aucune structure locale, aucun élu local ou responsable politique n’y ait été associé. Aujourd’hui, ce permis n’est ni suspendu ni prolongé. Un tel vide juridique est préjudiciable aux acteurs économiques, certes, mais aussi aux décideurs locaux qui n’ont pas de visibilité pour développer leurs territoires. Au XXIe siècle, une telle situation n’est pas acceptable.

La Commission s’est saisie de ce dossier après que le Gouvernement a fait part de sa volonté de réformer le code minier qui, datant de 1810, est singulièrement inadapté aux circonstances actuelles. Grâce à Thierry Tuot, qui s’est vu confier le pilotage du groupe de travail en 2013 par le ministère de l’écologie, un avant-projet a été présenté à l’été 2014 et nous pouvons aujourd’hui avancer dans le dossier. Que ce document comporte plus de sept cents articles illustre la nécessité de la réforme, notamment au regard de l’intégration des principes de la Charte de l’environnement, de l’amélioration de la sécurité publique et juridique des travailleurs, de la démocratisation des processus et de la meilleure transparence de la mise en marche des exploitations minières. En mars 2015, Mme Royal et M. Macron ont installé un comité de pilotage dit « Mine responsable » associant l’ensemble des parties prenantes ainsi que certains députés. Avec tout cela, nous espérons un projet de loi avant la fin de l’année, à tout le moins de la présente législature, car il n’est pas envisageable qu’en cinq ans, la France ne parvienne pas à réformer son code minier : cela constituerait une faillite politique.

Dans l’absolu, les écologistes préconisent la sortie de l’activité minière, mais ils savent que notre modèle économique, structuré sur une base linéaire, ne va pas muter vers une économie circulaire en quelques années. S’ils acceptent l’extraction des ressources minières, elle ne peut qu’être conduite dans des conditions strictes et développée en France. Au nom de la solidarité internationale, mieux vaut extraire des ressources dans des conditions d’emploi et d’environnement que l’on peut maîtriser afin de préserver notre indépendance économique tout en sécurisant notre approvisionnement en ressources. C’est là un des principes de base des écologistes.

Nos inquiétudes portent sur les points clés de la réforme, qui doivent être débattus à l’Assemblée nationale, sans faire l’objet d’un recours abusif aux ordonnances. Le projet de loi ne doit pas empêcher la transition vers l’économie circulaire et le respect des objectifs climatiques internationaux. Il doit être cohérent avec le code de l’environnement, garantir la transparence, la concertation et la protection des territoires concernés. Je pense particulièrement à l’outre-mer qui recèle un formidable potentiel ainsi qu’un espace de biodiversité remarquable.

La géothermie doit être encouragée et réglementée par le seul code minier. Toute tentative d’instituer une décision implicite d’autorisation doit être abandonnée ; le fameux droit de suite n’est pas acceptable. Si la Compagnie nationale des mines, proposée en son temps par M. Arnaud Montebourg, demeure d’actualité, elle doit avoir pour seul objet la prospection et l’exploitation du sous-sol de la France. En aucun cas, elle ne doit s’orienter vers l’exploitation du gaz de schiste qui est une aberration.

Le XXIe siècle doit être celui de la responsabilisation des différents acteurs, notamment des citoyens, qui doivent être associés aux choix politiques et de développement des territoires. Il faut sortir d’un modèle niant toute idée de démocratie.

M. Patrice Carvalho. À mon tour, je salue le travail de réflexion accompli par le groupe constitué au sein de notre commission du développement durable sur l’avant-projet de loi élaboré par la commission Tuot. Son rapport fait état de dix préconisations que je partage pour l’essentiel. L’épisode du gaz de schiste a montré l’urgence de procéder à la réforme du code minier, qu’il faut rapprocher du code de l’environnement sans toutefois l’y faire disparaître. Il est tout aussi souhaitable d’affirmer que notre commission a un rôle central à jouer et que la politique minière doit demeurer une compétence de l’État.

Quelques points me laissent perplexe, s’agissant notamment des procédures de consultation du public, telle l’idée avancée par la commission Tuot d’un groupement momentané d’enquête disposant d’un budget et pouvant conduire des expertises. Des zones d’ombre subsistent, qui concernent particulièrement l’indemnisation de ses membres et le déclenchement du processus. J’ai également des doutes au sujet du principe du rescrit et de l’intervention du juge administratif dans la procédure d’attribution d’un titre minier.

Je suis, bien entendu, opposé au recours aux ordonnances. On ne peut, dans le même temps, affirmer que notre commission a un rôle à jouer et nous dessaisir de notre pouvoir législatif.

M. Jacques Kossowski. Je m’interroge devant le manque d’encadrement de la fermeture des sites miniers existants, pour laquelle il conviendrait de définir des règles précises propres à garantir la prévention et la réparation des atteintes environnementales ou sanitaires. Malheureusement, les antécédents ne manquent pas : uranium dans le Limousin, arsenic dans l’Aude, mercure dans le Gard, or dans la Sarthe, charbon en Lorraine.

Maryse Arditi, responsable du réseau énergie de France nature environnement, a récemment déclaré : « Dans un contexte où les ministères de l’environnement et de l’économie souhaitent développer la démarche dite des mines responsables, et alors que certains territoires paraissent encore extrêmement marqués par les pollutions liées aux exploitations minières passées, l’absence de dispositions relatives à l’après-mine est intolérable ». J’aimerais, monsieur le président, avoir votre avis à ce sujet.

M. Yannick Favennec. La réforme du code minier va accompagner une éventuelle relance de l’exploitation de nos ressources naturelles en conciliant deux exigences : rendre l’exploitation des mines compatible avec des règles de protection de l’environnement de plus en plus contraignantes, et assurer une meilleure sécurité juridique aux entreprises minières. À mon tour, je remercie le président Jean-Paul Chanteguet ainsi que nos collègues qui y ont participé, pour le travail accompli, qui nous éclaire sur ce sujet très complexe. Je me félicite que les dix points de conclusion aient recueilli l’assentiment général des membres du groupe de travail.

Quelques questions restent en suspens, notamment la mise en place ou non d’un schéma national minier. Sur ce point en particulier, je serais partisan d’un droit de suite, car cette réforme a pour objectif de donner un cadre à l’exploitation de nos ressources et non pas de multiplier les obstacles. Reste maintenant à examiner le projet de loi, et je forme le vœu que celui-ci soit inscrit à l’ordre du jour de nos travaux dans les meilleurs délais.

M. Guillaume Chevrollier. L’examen du rapport d’information sur la réforme du code minier laisse espérer un calendrier pour l’examen de ce texte qui est un véritable serpent de mer. Deux nouvelles entités semblent s’imposer : le groupement momentané d’enquête et le schéma national minier. L’autorité administrative sera-t-elle liée par les conclusions du GME ou pourra-t-elle, au nom de l’intérêt général, émettre une décision contraire ? Quant au schéma national minier, quelle sera sa portée juridique ? Sera-t-il considéré comme un inventaire des ressources minières ou y aura-t-il obligation de respecter ses prescriptions ?

Ces questions sont lourdes de conséquences, et il me semble important qu’elles fassent l’objet d’un débat au sein de la représentation nationale, dans notre commission, et non pas d’ordonnances, comme cela semble devoir être le cas.

M. Jean-Pierre Vigier. Annoncée par le Premier ministre au mois de juillet 2012, la réforme du code minier a pour objet de mettre celui-ci en conformité avec la Charte de l’environnement et d’assurer aux activités minières la sécurité juridique qu’elles requièrent. À plusieurs reprises, ce projet a semblé avorter. Ce texte verra-t-il enfin le jour ?

Le cas échéant, quels seraient les éléments susceptibles de favoriser la mise en œuvre de cette réforme, qui semble difficile ?

M. Christophe Priou. Si, comme pourrait le dire Jacques Krabal, adepte des citations de La Fontaine, « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » (Sourires), pour le monde économique, la patience a ses limites, celles-ci conduisant à saisir la justice. C’est ainsi que, le mardi 12 mai dernier, le tribunal administratif de Nantes a donné raison à deux sociétés d’extraction de sable sous-marin de la région, qui, en novembre 2011, avaient contesté, en le déduisant de son silence, le refus implicite de l’administration de leur accorder une concession sur le site de Cairnstrath. Suivant les conclusions du rapporteur public, la magistrate a préconisé la condamnation de l’État à verser 1 500 euros de frais de justice aux sociétés plaignantes. Avec le calendrier très glissant de la réforme, on peut craindre que les contestations de décisions – ou plutôt de non-décisions – de l’État ne se multiplient.

Mme Valérie Lacroute. Clarifier et simplifier le code minier était bien nécessaire, c’est pourquoi j’ai souhaité me joindre au groupe de travail, cela d’autant plus que ma circonscription est très concernée par ce sujet sensible.

Aujourd’hui, c’est une uniformisation ponctuée d’une accélération qui nous est proposée, avec une multitude de décrets pris en Conseil d’État. Cela signifie que notre rôle de parlementaires sera probablement limité puisque nous ne pourrons amender qu’à la marge. On peut aussi se demander si ce projet de loi ne fera pas doublon avec le code actuel, tant ses articles réaffirment le modèle minier français. Il faut attendre l’article 46 pour trouver l’élément majeur de ce texte qui autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Or il me semble que certains sujets, notamment relatifs à la police des mines, au régime de la responsabilité ou à la concertation publique auraient mérité de faire l’objet d’un débat de fond. Cela aurait certes pris du temps, mais les ordonnances ne donneront que l’illusion d’en gagner. Espérons que cela n’altérera pas la qualité du texte ni sa stabilité juridique.

M. Jean-Marie Sermier. La réforme du code minier est un long serpent de mer qu’un certain nombre d’entre nous a vu arriver puis repartir pour revenir aujourd’hui.

C’est l’affaire du gaz de schiste qui a mis le feu aux poudres, si j’ose dire, car l’absence de consultation du public a été vécue localement comme une provocation. Or, comme le précise le rapport de Philippe Martin et François-Michel Gonnot, il n’y a pas eu dysfonctionnement dans le processus d’autorisation. Cela met en évidence la nécessité d’une consultation régulière pratiquée sur le terrain.

De cet exemple à méditer, on ne pourra que conclure qu’une loi sur le code minier ne peut être écrite que par les parlementaires et qu’il serait catastrophique de recourir à des ordonnances en trop grand nombre. Il est, par ailleurs, évident que notre commission doit être celle qui va examiner au fond ce projet de loi, ayant donné la preuve de sa capacité à dérouler des débats sereins. Les députés de l’UMP vous aideront, monsieur le président, à faire en sorte que notre commission soit saisie et que l’ensemble du travail revienne au Parlement.

Mme Sabine Buis. Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour avoir fait en sorte que notre sujet reste toujours d’actualité, même si nous avons rencontré des difficultés pour faire avancer le projet de réforme du code minier. Je suis persuadée que le travail du groupe dont nous examinons aujourd’hui le rapport pèse sur les choix du Gouvernement et qu’il a motivé celui-ci pour nous donner une date d’examen dont nous espérons qu’elle sera respectée.

Parmi les dix conclusions du rapport, auxquelles, en tant que membre du groupe de travail, j’adhère sans réserve, je souhaite revenir sur la troisième qui fait référence au recours aux ordonnances. La question est la garantie que doivent avoir les élus de participer à la rédaction de la loi, sans être cantonnés à la seule habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances.

De fait, le cœur de la réforme se trouve à l’article 46 qui renvoie aux ordonnances sur des thèmes importants, tel que celui de la participation du public qui me tient particulièrement à cœur. Nous ne pouvons pas nous permettre, même dans le cadre d’un échange avec le Gouvernement et des institutionnels, de confier ce débat à d’autres. C’est pourquoi j’ai lancé hier un groupe de travail sur le dialogue environnemental dont les travaux devraient aboutir prochainement à une proposition de loi.

Je salue, par ailleurs, l’initiative prise par le ministre de l’économie d’installer le groupe de travail « Mine responsable », tout en souhaitant que celui-ci ne devienne pas une source d’alimentation pour d’éventuelles ordonnances. De fait, les travaux de ce groupe ne portent pas sur les hydrocarbures et seraient insuffisants pour nourrir la réflexion du Gouvernement. Qui plus est, ils ne seront pas le fruit de débats comparables à ceux qui se déroulent au Parlement. Il n’en reste pas moins que la constitution de ce groupe reste bienvenue, car je constate à quel point industriels et ONG acceptent de se parler et s’accordent sur la nécessité d’accélérer la réforme du code minier. Il permet d’avancer sur des sujets tels que la responsabilité et nous devrions peut-être le rencontrer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet, rapporteur. Tous ensemble nous cheminons. Avec vous, je me bats pour que la Commission du développement durable puisse examiner au fond les textes qui lui reviennent – hier, la proposition de loi sur le droit humain à l’eau, aujourd’hui, la réforme du code minier. Notre commission doit être saisie au fond, car l’orientation majeure du texte est l’adaptation de la législation minière au droit de l’environnement et à la Charte de l’environnement. Ce combat est permanent et nous avons eu le bon réflexe, à la suite de la remise des travaux de Thierry Tuot, de créer ce groupe de travail. Nous avons conduit de nombreuses auditions et entendu les ONG, les industriels et les professionnels, mais aussi les trois ministres concernés à l’époque : Victorin Lurel, Arnaud Montebourg et Philippe Martin.

Le travail de fond réalisé par Thierry Tuot dans un grand esprit de concertation doit constituer pour nous une richesse et une force. Lui-même a dit que ses propositions de réforme n’apportent qu’un tiers de dispositions nouvelles, les deux autres tiers demeurant inchangés. Dès lors, nous ne pouvons pas réécrire tout le code minier, et il faut donc autoriser le Gouvernement à recourir aux ordonnances. Néanmoins, je suis d’accord avec ce que j’ai entendu ce matin, et, lorsque je lis l’article 46 qui autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances, je me dis que nous ne pouvons pas l’accepter sous cette forme. (Applaudissements)

Nous allons dresser la liste des thèmes qui ressortent de nos échanges comme fondamentaux et je les porterai à la connaissance des deux ministres de l’écologie et de l’économie. En particulier, s’agissant des dispositions relatives à la participation du public aux décisions, nous ne pouvons pas admettre qu’elles sont prises uniquement par ordonnance, ou alors, celles-ci devront nous être remises au moment de l’examen du texte dans l’hémicycle. Je ne vois pas d’autre solution. J’entends votre message et, bien entendu, je le porterai.

L’avant-projet de loi du Gouvernement reprend certaines propositions novatrices faites par Thierry Tuot : le groupement momentané d’enquête – sous un autre nom –, le schéma national minier, le Haut Conseil des mines, et des dispositions concernant l’outre-mer. Toutefois, force est de constater des déperditions par rapport au pré-projet remis au ministre. Nous devons les identifier et être particulièrement vigilants.

Certaines propositions méritent débat, particulièrement celles concernant le droit de suite, le rescrit ou le silence valant accord. On peut trouver un terrain d’entente avec les parties prenantes et le Gouvernement, mais faut-il encore que nous en ayons la possibilité, c’est-à-dire que nous ne soyons pas privés de ce débat par le recours systématique aux ordonnances. Puisque, m’a-t-on assuré, notre commission sera saisie au fond de ce texte, je me battrai pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour dans les meilleurs délais.

Quant à l’argument selon lequel, sans ordonnances, le temps nécessaire ne sera pas disponible pour la discussion dans l’hémicycle, je ne peux ni ne veux l’entendre. On trouve bien le temps pour d’autres textes… (Approbations sur tous les bancs) La réforme du code minier doit être traitée à l’aune des enjeux économiques et environnementaux qu’elle emporte.

Il n’est pas inutile de faire un peu d’histoire, en revenant quelques années en arrière, lorsque des citoyens et des élus ont découvert que des permis exclusifs de recherches avaient été attribués dans la plus grande opacité. Ces permis, rappelons-le, étaient muets, ils n’indiquaient pas ce qui était recherché : gaz ou huile de schiste, huile ou gaz conventionnels, pétrole… Et ces autorisations portaient sur des surfaces immenses, par exemple dans les régions de Villeneuve de Berg, Montélimar, et Nant. Les parlementaires ont alors pris leurs responsabilités. L’UPM, avec à sa tête Christian Jacob, et le groupe SRC ont déposé deux propositions de loi quasi identiques ; Serge Grouard s’est battu pour qu’il y ait deux co-rapporteurs, Michel Havard et moi-même.

Le Parlement est souvent critiqué, mais la loi interdisant la fracturation hydraulique est le résultat du travail parlementaire. Nous avons su apporter une réponse aux questions des collectivités territoriales, des élus et des citoyens, et je sais que nous continuerons d’assumer nos responsabilités dans le cadre de l’examen de ce texte.

Il est urgent et nécessaire que nous réformions le code minier dans les meilleures conditions et le plus rapidement possible. Je vous remercie du soutien que vous apportez. Nous avons été réactifs et continuerons à l’être. À la fin de ce mois, je rencontrerai le cabinet du ministre de l’économie pour évoquer ces différents sujets. Je sais qu’un certain nombre d’organisations, dont FNE, ont commencé à réagir, et les accords obtenus grâce à Thierry Tuot doivent être portés le plus loin possible dans notre réflexion comme dans le cadre du débat. La note que j’ai évoquée plus haut, faisant le point sur nos échanges, sera transmise dans les meilleurs délais à Ségolène Royal et à Emmanuel Macron.

(Applaudissements nourris sur tous les blancs)

La Commission autorise alors la publication du rapport d’information.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ministères

Ministère du Redressement productif

– M. Arnaud Montebourg, ministre

Ministère des Outre-mer

– M. Victorin Lurel, ministre

Ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie

– M. Philippe Martin, ministre

Association 22 septembre sud - Commission code minier

– M. Sébastien Espagne, membre du collectif Basta! Gaz Alès (30 Gard)

– M. Claude Taton, membre du collectif Basta! Gaz Alès (30 Gard)

Association des communes minières de France

– M. Jean-Pierre Kucheida, président

– M. Patrice Delattre, délégué général

Association Française des Professionnels de la Géothermie (AFPG)

– M. Christian Boissavy, président

– M. Jean-Jacques Graff, vice-président filière haute énergie

Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

– M. François Démarcq, directeur général délégué

Comité des Salines de France

– M. Franck Heurtebise, président

– M. Christophe Sarda, conseil juridique droit minier et droit de l’environnement du Comité des Salines de France

– Mme Sarah Clisci, déléguée générale

– Mme Aude Crusson, consultante relations institutionnelles du Comité des Salines de France, cabinet Interel

Comité pour les métaux stratégiques

– M. Alain Liger, secrétaire général

Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM)

– Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la FEDEM

– M. Jack Testard, président de la Chambre Syndicale des Industries Minières et président de Variscan Mines

– M. Bruno Rosso, directeur général de Garrot-Chaillac

– M. Didier Driancourt, président d’honneur,

– M. Nicolas Créon, responsable environnement, installations classées de la FEDEM

– Mme Claire de Langeron, déléguée générale

France Nature Environnement (FNE)

– M. Olivier Gourbinot, référent code minier

– Mme Adeline Mathien, chargée de mission énergie

IFREMER

– M. François Jacq, président

Institut français du pétrole – Énergies nouvelles (IFPEN)

– M. Olivier Appert, président

Shell France

– M. Patrick Romeo, président

– M. Olivier Gantois, directeur des relations institutionnelles

– Mlle Domitille Fafin, directrice de la communication

– M. Guillaume Labbez, cabinet Boury

Union française des industries pétrolières (UFIP)

– M. Jean-Louis Schilansky, président

– Mme Isabelle Muller, déléguée générale

– M. Thierry Monmont, directeur exploration et production

– M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques

Vermilion Energy

– M. Jean-Pascal Simard, directeur des relations publiques Europe

– Mme Pantxika Etcheverry, ingénieur environnemental

– M. Lubomir Roglev, avocat

Personnalités

– M. Thierry Tuot, conseiller d’État

– Maître Arnaud Gossement, avocat

– Maître Manuel Gros, professeur à l’Université de Lille2

– M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public (Université Jean Moulin Lyon 3), directeur de l’Institut de droit de l’environnement de Lyon (EDPL-EA 666)

1 () http://www.economie.gouv.fr/files/code_minier_pjl_modif-suite-rim26012015_v4_3_loiprincipessca.pdf

2 () Pr. Denis Levy, Évolution et problèmes actuels du droit minier, Revue de droit public 1982, p. 5.

3 () Me Arnaud Gossement, Rapport sur le droit minier, 31 octobre 2011.

4 () Pr. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, cité par Me Arnaud Gossement, op. cit., p. 44.

5 () Chacun relèvera avec intérêt que les dispositions ultramarines avaient alors fait l’objet d’une loi en bonne et due forme, et non d’une ordonnance.

6 () Créée à l’article 4 de la loi du 30 mars 1999, l’Agence ne sera mise en place que par le décret n° 2002-353 du 15 mars 2002, et finalement supprimée à l’article 112 de la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007.

7 () Pr. Philippe Billet, Quand le droit fait grise mine, Revue Environnement et Développement durable n° 5, mai 2011.

8 () Philippe Martin et François-Michel Gonnot, Rapport de la mission d’information sur les gaz et huile de schiste, n° 3517, 8 juin 2011.

9 () « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

10 () La loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 relative à l’exploration du plateau continental et à l’exploitation de ses ressources naturelles, fondamentale pour les activités de mine et de carrière en mer, reste d’ailleurs un texte autonome alors que ses dispositions trouveraient toute leur place dans le code minier.

11 () Citons notamment :

- Table ronde sur la réforme minière, le 23 janvier 2013, avec M. Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM), M. François Demarcq, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minières (BRMG), M. Yves Fouquet, chef du laboratoire géochimie et métallogénie de l’Institut français de recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER). http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/12-13/c1213031.asp#P2_84

- Audition, le 19 février 2013, de M. Arnaud Montebourg ministre du redressement productif, sur la politique minière. http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/12-13/c1213037.asp#P2_84

- Table ronde, le 20 mars 2013, sur le thème « environnement et droit minier » avec Mme Sophie Bringuy, de l’Association des régions de France (ARF), M. Olivier Gourbinot et Mme Morgane Piederrière, de France Nature Environnement (FNE), Mme Emmanuelle Guilmault-Fanchini et M. Michael Weber, de la Fédération des Parcs naturels régionaux de France (FPNRF), et Mme Anne-Gaëlle Verdier, du WWF. http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/12-13/c1213046.asp#P2_84

- Auditions de M. Thierry Tuot, Conseiller d’État, sur la réforme du code minier les 24 avril 2013 et 10 mars 2015 (cf p. 167 et 192).

12 () Il semble cependant que ce groupe de travail, après quelques auditions, ait décidé de suspendre ses travaux. Le site internet du Sénat n’en fait aucune mention, et son effectif n’a apparemment pas été renouvelé après les élections sénatoriales de septembre 2014.


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