N° 1713 tome II - Rapport, établi au nom de cet office, sur les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir et utiliser des véhicules écologiques



N° 1713

 

N° 293

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2013 - 2014

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 16 janvier 2014

 

le 16 janvier 2014


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Premier Vice-président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Bruno SIDO, sénateur

Premier Vice-président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Anne GROMMERCH

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

Mme Michèle DEMESSINE

M. Marcel DENEUX

Mme Dominique GILLOT

Mme Chantal JOUANNO

Mme Fabienne KELLER

Mme Virginie KLÈS

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Jean-Claude LENOIR

M. Christian NAMY

M. Jean-Marc PASTOR

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

AUDITION PUBLIQUE DU 14 FÉVRIER 2013 : LES BESOINS DE MOBILITÉ 9

Quels sont les besoins de mobilité ? Comment vont-ils évoluer ? Sous l’influence de quels facteurs ? 13

Quelle est la vision des besoins de mobilité selon l’industrie ? À quels autres besoins répond-elle ? 29

AUDITION PUBLIQUE DU 19 MARS 2013 : ENJEUX TECHNIQUES POUR LA MOBILITÉ DE DEMAIN 59

Le grand enjeu de l’énergie 65

A. Les diverses sources d’énergie 65

B. Gaz à effets de serre et impact sur le climat 75

C. Mobilité et habitation 81

D. Interventions transversales 88

L’enjeu incontournable de la pollution 103

A. Impacts sur la santé 103

B. La vision des constructeurs 114

C. Gaz, pollution, environnement 117

D. Les réflexions des ONG 121

Quelles solutions pratiques proposer aux consommateurs ? Quels sont les freins actuels au développement des carburants alternatifs et d’autres solutions ? 133

A. Le véhicule électrique et son autonomie ; emplacement et accès aux points de recharge 133

B. Les véhicules à pile à combustible 144

C. Le développement de filières pour les agro-carburants, 1ère, 2ème, 3ème générations 152

D. L’adaptation de l’offre aux besoins 165

L’organisation actuelle de la filière automobile permettra-t-elle de répondre aux futures évolutions du marché ? 173

AUDITION PUBLIQUE DU 11 AVRIL 2013 : NOUVEAUX VÉHICULES ET NOUVEAUX SERVICES 221

L’adaptation des véhicules à leur environnement urbain et rural 223

Quels choix sont rendus possibles par l’apparition de nouveaux services ? 241

AUDITION PUBLIQUE DU 5 JUIN 2013 : TYPOLOGIES ET SCENARII 289

Comment élaborer une typologie des besoins et des comportements ? 291

Quelles leçons tirer des prévisions ? 315

AUDITION PUBLIQUE DU 5 DÉCEMBRE 2013 : L’OBJECTIF DE RÉDUCTION DE LA CONSOMMATION À 2 LITRES AUX 100 KM. LA GOUVERNANCE 359

Comment atteindre l’objectif proclamé d’une consommation d’essence réduite à 2 litres aux 100 km ? 361

Faut-il modifier la gouvernance ? 397

Compte rendu de l’audition publique du 14 février 2013

Les besoins de mobilité

PROGRAMME ET INTERVENANTS

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST
M. Jean-Yves le Déaut, député,
premier vice-président de l’OPECST
M. Denis Baupin
, député, co-rapporteur
Mme Fabienne Keller
, sénatrice, co-rapporteure

QUELS SONT LES BESOINS DE MOBILITÉ ? COMMENT VONT-ILS ÉVOLUER ? SOUS L’INFLUENCE DE QUELS FACTEURS ?

Situation actuelle : des nécessités extérieures à des envies individuelles

Facteurs d’évolution : nouvel urbanisme, augmentation du télétravail, nouvelles technologies de l’information, nouveaux comportements générationnels

Typologie : les différences tenant au genre, à l’âge, à l’époque, aux régions, aux catégories socio-professionnelles

M. Bruno Marzloff, sociologue, fondateur de La cité des services, groupe Chronos

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN

Mme Mireille Appel-Muller, déléguée générale de l’Institut pour la ville en mouvement

Mme Dominique Attias, professeur à l’École centrale de Paris, titulaire de la chaire de recherche Armand Peugeot

M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France

M. Morald Chibout, directeur général d’Autolib’

M. Arnaud de David-Beauregard, vice-président en charge des opérations de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions publiques, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën

Mme Louise d’Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires de Renault

M. Jean-Louis Jourdan, directeur développement durable de la SNCF

M. Yves Lasfargue, directeur de l’Obergo (Observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l’ergostressie), inventeur du concept d’ergostressie

M. Alain Meyere, Institut d’aménagement et d’urbanisme, Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU).

M. Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la recherche, de l’innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën

M. Christian Rousseau, expert leader Mobilité et Systèmes de transport, Renault

M. Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques

Mme Patricia Varnaison, chef du département « déplacements durables » du centre d’étude sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU)

Mme Isabelle Van De Walle, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC)

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW

QUELLE EST LA VISION DES BESOINS DE MOBILITÉ SELON L’INDUSTRIE ? À QUELS AUTRES BESOINS RÉPOND-ELLE ?

Une, deux, trois, quatre roues ?

Formes, nouveaux symboles, puissance, vitesse, taille, voiture sans conducteur

À quels besoins l’industrie envisage-t-elle de répondre à travers sa publicité ?
Évolution du marché mondial et stratégies des entreprises
Quelle est l’influence des prévisions sur le pouvoir d’achat ?
Stratégies de prix


M. Bernard Darniche
, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route »
M. Jean-Claude Bocquet
, professeur à l’École centrale de Paris, directeur du Laboratoire de génie industriel

M. Gabriel Dabi-Schwebel, spécialiste du marketing, président directeur général de 1min30

M. François de Charentenay, membre de l’Académie des technologies

Mme Martine Meyer, responsable Environnement et Santé à la direction du plan environnement de Renault

M. Jean-Pierre Orfeuil, Institut pour la ville en mouvement

M. Pascal Ruch, président directeur général de Toyota France

Mme Louise d’Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, Renault

M. Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la Recherche, de l’innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën

M. Morald Chibout, directeur général d’Autolib’

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions publiques, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën

M. Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW

AUDITION PUBLIQUE DU 14 FÉVRIER 2013 :
LES BESOINS DE MOBILITÉ

Propos introductifs

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST. Saisi d’une demande d’étude sur le développement des véhicules écologiques, les rapporteurs ont voulu élargir l’objet de cette étude aux problèmes sociétaux de la mobilité. L’auteur de la saisine a accepté cet élargissement, formulant le vœu que l’analyse de l’évolution de la demande de mobilité n’occulte pas celle de l’offre technologique qui pourrait y répondre. C’est au demeurant le sentiment que l’Office avait exprimé lors de la présentation de l’étude de faisabilité des rapporteurs.

Le déroulé de cette journée semble correspondre à cette lettre de mission. Si le besoin de mobilité a été sous-jacent dans l’histoire des civilisations, une de ses constantes a été sa diversification : que l’on songe à la variété des bateaux, à la fin du dix-neuvième siècle, les clippers anglais, qui étaient chargés de ramener le thé de l’Inde, les bateaux de l’armement nantais, armés pour contourner le cap Horn et ramener le nitrate du Chili, les goélettes paimpolaises des pêcheurs d’Islande, ou les grands paquebots qui traçaient déjà les routes de l’Amérique ou de l’Asie. Qu’on songe aussi à la plus noble conquête de l’homme, qui a vu très rapidement une diversification de sélection entre le cheval de guerre, celui qui tirait la herse, ou le Boulonnais destiné à transporter le marché de la Manche.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale. Une grande partie des besoins liés à la mobilité repose sur l’échange et sont très largement satisfaits par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. On peut aujourd’hui discuter, donner des nouvelles ou en prendre sans pratiquement bouger. Or c’est un fait qu’en dépit de toutes les possibilités que nous offrent les avancées de la science et de la technologie, les besoins de mobilité sont de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifiés. Il s’agit d’un élément à analyser avec précision, dans un contexte beaucoup plus marqué par la durabilité que par le passé.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. L’Office parlementaire est un organisme étrange, le seul bicaméral, comprenant dix-huit députés, autant de sénateurs. Il s’est doté de ses propres règles, avec une alternance tous les trois ans entre Assemblée nationale et Sénat pour sa présidence. Nous sommes les premiers à avoir innové au Parlement, notamment avec des auditions publiques et contradictoires. Celle d’aujourd’hui sera consacrée à l’évolution de l’automobile de manière originale, dans un contexte difficile, en croisant nouvelles mobilités et véhicules écologiques.

L’automobile est en crise. Plusieurs causes sont évidentes : contexte économique maussade, montée en puissance de la concurrence, difficultés croissantes de circulation, notamment en ville. D’autres sont plus diffuses, comme l’évolution des comportements. C’est ainsi que la moyenne d’âge de l’acheteur augmente tous les ans d’un an, atteignant plus de 54 ans. L’image de la voiture n’est plus la même selon les générations. Des évolutions majeures se dessinent. La possession de la voiture n’est plus un objectif en soi pour certaines générations. L’auto-portage, le covoiturage se développent, non seulement à Paris, mais dans plusieurs villes. Le Smartphone, nous dit-on de toute part, devrait révolutionner l’usage de la voiture et de la mobilité.

Les sociologues, les urbanistes, les architectes qui réfléchissent à la ville de demain, et s’intéressent aux signaux faibles sont quasi unanimes : c’est la mobilité qui importe le plus, plus que le moyen de se déplacer. Dans ce contexte, il nous paraît particulièrement important de croiser plusieurs approches : celle des sciences humaines et sociales, celle des sciences de l’ingénieur, celle des prévisionnistes, celle des industriels, sans oublier les équipementiers et, enfin, celle des nouveaux fournisseurs de service.

Telle est la démarche traditionnelle de l’Office, pour créer les bases d’un débat plus nourri, de mettre en évidence tous les aspects d’un même sujet. Les résultats qu’on obtient de cette manière sont toujours intéressants, car ils permettent soit de mettre en évidence des options différentes, soit d’aboutir à des idées nouvelles qui résultent de confrontations d’opinions a priori différentes, mais qui ne sont pas nécessairement contradictoires.

Vous vous êtes engagés dans une réflexion sur le moyen et le long terme, vous projetant non seulement en 2020, mais aussi en 2030 et 2050, soit le temps des grands choix, le rapport devant aborder également la question du mix énergétique et l’utilisation d’énergies nouvelles, telle que l’hydrogène. La situation qui prévaudra en 2020 est déjà largement dessinée. Les véhicules actuels seront modifiés, pour être moins polluants et consommer moins d’hydrocarbures. Les voitures électriques ou utilisant l’air comprimé auront été commercialisées, et l’on saura quelle technique est préférée par les utilisateurs de véhicules. Des solutions hybrides de toutes sortes seront sur le marché. Les échéances de 2030 et de 2050 seront plus difficiles à prévoir, même si elles donnent lieu à des scénarii, à des feuilles de route ou à des projections. Les réflexions de l’ADEME sont à cet égard particulièrement intéressantes. La seule certitude a trait au rôle de l’innovation et à la nécessaire mise en place de coopérations entre recherche et industrie, mais aussi entre public et privé. Le stockage de l’électricité par exemple sera le problème majeur de demain. Il faut que nos chercheurs et nos industriels s’en emparent, les seuls enjeux ne se limitant pas au thème de la mobilité et de la voiture électrique.

L’Office a beaucoup travaillé sur ces thèmes qui façonneront le monde de demain. La valorisation de la recherche, l’appropriation de la recherche publique par les industriels, au même titre que le développement de leur propre recherche – pas suffisante en France – dans leur propre laboratoire sont les clés de la réussite. L’encouragement des chercheurs à déposer des brevets, leur accompagnement dans le montage de start-up, le montage de financements qui leur permet de se développer, la reconnaissance du doctorat sont des mesures indispensables, qui ont fait la preuve de leur efficacité.

Cette preuve a surtout été faite dans d’autres pays que le nôtre. Je souhaite que nous sachions nous inspirer des bonnes pratiques de nos voisins, que les liens se développent entre industriels et laboratoires de recherche sur le transport et la mobilité. Ces liens ne sont pas au niveau qu’ils devraient avoir. Or la situation actuelle de crise et de changement de paradigme impliquent que les industriels soient davantage à l’écoute de ce que pressentent les prévisionnistes, et, de manière plus globale, les chercheurs. Le programme des investissements d’avenir a montré que les chercheurs étaient prêts à définir des projets adaptés à l’industrie, et qu’ils étaient capables de s’adapter dans des consortiums.

Donner la parole à des sociologues permettra d’ouvrir des perspectives nouvelles et de dépasser les approches traditionnelles de l’évolution de la filière automobile. Faire dialoguer des industriels, des universitaires, des observateurs des évolutions de notre société doit permettre de croiser des approches différentes. Je souhaite que ces débats soient fructueux, qu’ils permettent de déboucher sur des propositions d’accompagnement de l’évolution de la mobilité.

Je vous rappelle la règle qui sera suivie pour ces débats : chacun pourra intervenir deux minutes, autant de fois qu’il le souhaite.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l’étude de l’OPECST. Notre idée de départ était de travailler sur la voiture écologique. Progressivement, nous avons élargi la thématique aux véhicules et aux mobilités dans lesquelles ils s’inscrivent, en nous demandant d’abord si nous n’étions pas en face d’un oxymore. À notre sens, l’automobile est dans une phase de nécessaire mutation, avec son versant négatif et positif. Négatif, car le modèle est en crise, ses impacts environnementaux, industriels, économiques et sociaux obligeant à la réflexion. Positif, avec des opportunités qui se dessinent, sujet de l’audition d’aujourd’hui. Quelles opportunités permettent d’apporter des réponses à ces questions, tant du point de vue économique, de l’emploi, de l’accessibilité à la mobilité pour tous et de compatibilité avec l’environnement ? Quelles sont les perspectives à moyen et à long terme, l’ensemble des champs possibles dans le domaine de l’énergie devant être pris en compte pour traiter le sujet de la mobilité individuelle motorisée ? Les potentialités des futures générations d’agro-carburants, on le voit bien, sont nombreuses, comme les nouvelles technologies de communication et d’information autour de la mobilité, sources de mutations très importantes sur le véhicule et le véhicule dans son environnement. Quant aux comportements de nos concitoyens, un changement est en train de s’opérer, qui changera la façon dont on considère la propriété ou l’usage du véhicule.

La sobriété des véhicules est une exigence rappelée par le Premier ministre lors de la conférence environnementale, évoquant un objectif du 2 litres aux 100, perspective qui interroge la puissance, la vitesse et la motorisation d’un tel véhicule. L’encombrement du véhicule est également un vrai sujet, les élus urbains constatant régulièrement un décalage entre la taille des véhicules et celle des rues. Que penser des véhicules pensés pour amener une famille en vacances, mais qui sont utilisés la plupart du temps par une personne seule ? Ce sont toutes ces questions qui seront évoquées dans le rapport, l’objet de la table ronde étant d’ouvrir les champs et les perspectives, sans négliger la complexité du sujet. On ne saurait ainsi, au titre de perspectives de moyen terme, négliger des difficultés de court terme. À l’inverse, ne jamais prendre en compte les enjeux de moyen terme, au motif que le court terme s’imposerait pour prendre des décisions, est une perspective qui a ses limites. Bref, quelles convergences, quelles divergences, quels questionnements, quelles contradictions, l’objectif étant que ce rapport soit le plus utile possible ?

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l’étude de l’OPECST. Nous sommes partis de la voiture électrique pour évoluer vers le véhicule écologique, preuve que notre champ d’étude est vaste, intégrant des modes de propulsion nouveaux jusqu’à des technologies de stockage de l’énergie. Nos premières auditions nous ont encouragés à travailler largement, avec trois grands axes. Le premier porte sur les besoins de mobilité, les besoins des personnes, sujet qui exige qu’on parvienne à discerner des typologies – géographiques, rythme de vie des personnes, etc. Le deuxième porte sur la technique, à savoir les nouveaux modes de propulsion, les moteurs à air comprimé, à hydrogène, point sur lequel il nous faudra essayer de dresser un état de l’art. Comment discerner une technologie directement opérationnelle d’une technologie potentielle, plus aléatoire, tout en ayant le souci de la dimension industrielle ? La troisième entrée, plus pragmatique, concerne les constructeurs et ceux qui inventent les nouveaux véhicules écologiques, sujet sur lequel l’industrie travaille depuis de longues années. Quelles mutations vers de nouveaux véhicules ou de nouvelles formes de propriété des véhicules ? Comment porter l’industrie française ou européenne en pointe dans ces mutations ?

Pour approfondir ces trois axes, la rencontre et le croisement entre des disciplines différentes nous paraissent essentiels. Nous le ferons aujourd’hui, comme lors des prochaines auditions publiques. Une deuxième audition publique aura lieu le 19 mars prochain sur les enjeux techniques pour la mobilité de demain ; une troisième le 11 avril, sur les évolutions techniques, les nouveaux services et les choix qui y sont liés ; une quatrième fin mai-début juin, où l’on abordera le partage des rôles entre les pouvoirs publics et les acteurs de la filière automobile. Le sujet est vaste : nous aurons besoin des contributions de tous pour l’enrichir. J’ajoute que nous sommes en train de mettre au point un blog, sur lequel nous serions très heureux de pouvoir mettre en ligne vos réflexions. N’hésitez donc pas à nous les transmettre, pour partager les regards et les analyses.

PREMIÈRE TABLE RONDE :

QUELS SONT LES BESOINS DE MOBILITÉ ? COMMENT VONT-ILS ÉVOLUER ? SOUS L’INFLUENCE DE QUELS FACTEURS ?

M. Bruno Marzloff, sociologue, fondateur de La cité des services, groupe Chronos. La filière motorisée est aujourd’hui réinterrogée, ses modèles actuels étant très largement contestés. Pour autant, elle est incontournable : la voiture assure encore 80 % des kilomètres parcourus en France, avec de fortes grandes différences d’usage, selon qu’on se situe dans de l’urbain dense, du périphérique ou du rural. Aussi les évolutions dans ces territoires sont-elles extrêmement différenciées. Une étude évoque le chiffre d’un coût de 1 600 euros pour la collectivité, par voiture qui circule – externalité négative qui est un vrai enjeu. Quant aux transports publics qui participent de cette organisation systémique de transports motorisés, ils sont au bord de la saturation, pour ne pas dire plus. Ils ne pourraient pas absorber 10 % de reports des automobilistes. En regard, les possibles sont impressionnants, avec des technologies mâtures, répandues, appropriées de façon massive, la mobilité en constituant le point d’entrée le plus important.

Cela dit, je vois six pistes de travail. Premièrement, une optimisation par la régulation, la réduction et la maîtrise de l’offre, comme ont su le faire les Jeux Olympiques de Londres, qui ont absorbé 20 % de la croissance supplémentaire, notamment par la tarification des usages. Deuxièmement, une optimisation par la consolidation de l’offre : comment jouer des inter-modalités et des multi-modalités pour faire en sorte d’optimiser le système ? Troisièmement, une optimisation par l’autorégulation de la demande, piste particulièrement intéressante : comment les usagers sont-ils capables de réguler leur propre demande ? Quatrièmement, une optimisation par l’intensification des usages de la voiture : covoiturage, voiture collective par l’optimisation du taxi, auto-partage. Cinquièmement, le développement de la voiture automatique, qui est une réalité, pas encore sous contrôle cependant. La sixième piste me paraît la plus intéressante : au lieu de courir toujours avec des infrastructures nouvelles, comme le fait le Grand Paris, pourquoi ne pas réfléchir à une réduction de la demande, en tout cas sa partie imposée – la mobilité subie – ce qui suppose une meilleure organisation ?

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l’étude de l’OPECST. Ne faudrait-il pas aussi une meilleure organisation spatiale, grâce à une politique d’urbanisme ?

M. Bruno Marzloff. Disons une meilleure organisation en général, qui supposera celle du numérique, pour assurer du quotidien à distance, comme le fait déjà le travail à distance ou l’e-commerce. Réduire le déplacement physique en mobilisant la mobilité numérique est une piste à étudier.

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN. La conception du véhicule écologique passe en premier lieu par une meilleure connaissance des attentes des usagers. Aussi le CEA travaille-t-il à mieux comprendre, mesurer et analyser ces usages, pour adapter la gamme des véhicules. Ces usages peuvent aller du petit véhicule au transport en commun, un sujet important étant de savoir comment gérer le plus simplement possible les inter-modalités de la façon la plus pratique et transparente pour les usagers, grâce aux nouvelles technologies de communication. Posséder un véhicule, on le sait, n’est plus essentiel pour les jeunes générations, beaucoup plus attentives au service rendu par différents véhicules pour aller d’un point A à un point B.

L’introduction des nouvelles technologies de communication permet de faciliter le transport, mais aussi de proposer du service pendant le transport. Mais il est aussi important de considérer le véhicule pas simplement comme un mode de transport, mais aussi comme un stockage d’énergie, le véhicule écologique pouvant rendre service dans la gestion de l’énergie dans l’habitat. Un tel véhicule offre non seulement du transport, mais aussi du service et de l’énergie. Tels sont les points sur lequel nous travaillons.

Mme Mireille Appel-Muller, déléguée générale de l’Institut pour la ville en mouvement. Pourquoi se déplace-t-on ? Pourquoi bouge-t-on ? En quoi sommes-nous une société de mobilité ? Dans les faits, on se déplace pour partie pour des raisons professionnelles, familiales, de santé, de loisir, le tourisme, etc. L’évolution des pratiques au fil du temps dépend du rôle que la société dans son ensemble et que des acteurs très divers en son sein assignent aux mobilités.

La liberté de circulation – le droit à la mobilité – date de la Révolution. Avec le dix-neuvième siècle, on a assisté à l’essor des moyens de transport mécanisés – train et automobile – essor qui a concrétisé ce droit à la mobilité sur un champ des possibles de plus en plus étendu. Les politiques publiques de transport se sont saisies de ces opportunités pour développer les infrastructures et rendre possible l’accès à des territoires de plus en plus éloignés, de plus en plus étendus.

Aujourd’hui, on peut dire que cette liberté de circulation a transformé ce droit à la mobilité en devoir. On l’a vu avec le grand commerce, qui a éloigné les lieux d’approvisionnement des consommateurs, les cartes hospitalières et judiciaires qui ont éloigné certains services publics des citoyens. On discute aujourd’hui de la flexibilité du marché du travail, ce qui sous-entend que les personnes – bien souvent les moins qualifiées – devront être amenées à se déplacer de plus en plus loin, sur des territoires de plus en plus étendus. Qu’on songe aussi aux pratiques ambulatoires à l’hôpital et aux parcours de soins, ce qui sous-entend la mobilité du malade. Pour trouver un emploi, un étudiant doit aujourd’hui faire la preuve d’un déplacement à l’étranger.

La mobilité est donc devenue une norme sociale. La mobilité n’est pas qu’une question de transport, mais aussi de société. L’Institut pour la ville en mouvement a travaillé sur cette affirmation du droit à la mobilité pour tous et sur les difficultés que rencontrent certaines catégories de la population dans l’exercice de ce devoir de mobilité.

Mme Dominique Attias, professeur à l’École centrale de Paris, titulaire de la Chaire de recherche Armand Peugeot. La chaire de recherche Armand Peugeot, dont je suis la titulaire, a repris à son compte la notion d’électro-mobilité, notion qui croise un sujet essentiel. Toutes les questions de mobilité, en effet, sont à la fois des questions technologiques, économiques et sociétales. En la matière, une véritable rupture technologique est en cours. Cela dit, cette rupture est-elle acceptée par le client, la valeur créée par l’industriel devant être partagée par le client ? Est-ce que le client trouve de la valeur à de nouvelles formes de mobilité ?

Nous sommes amenés à faire deux constats.

Premier constat : les véhicules hybrides, électriques, ne décollent pas et ne font pas l’objet d’achats massifs. En d’autres termes, les technologies existent, mais ne sont pas encore pleinement acceptées. La question du coût est évidemment importante, comme celle de l’usage et de sa facilité. Une voiture électrique est-elle ainsi adaptée à nos modes de vie, à nos modes de déplacement ? Est-ce qu’elle convient bien ?

Deuxième constat : cette incroyable révolution technologique n’est pas achevée. Bien des choses sont encore à découvrir en matière de véhicules hybrides, et nous travaillons sur des mixités possibles. Cela suppose cependant de tenir compte d’autres facteurs. Les pouvoirs publics soutiendront-ils le mouvement ? À mon sens, les facteurs sont associés les uns aux autres. On ne peut parler de mobilité si l’on ne parle pas à la fois des acteurs publics et des acteurs privés.

M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France. À mon sens, le véhicule électrique décolle. Le marché est certes marginal, mais c’est le seul qui, dans le marasme automobile actuel, est en croissance, celle-ci étant multipliée par deux l’an dernier. Par contre, il faut aller au-delà du véhicule, pour aller jusqu’à l’écosystème. Lorsqu’on veut introduire une nouvelle technologie, il faut traiter la chaîne complète, soit l’écosystème, qui prend en compte le véhicule, l’infrastructure, le service et l’usage, le tout accessible à tous. Le véhicule tout seul ne décollera pas sans infrastructures, sans services et sans l’usage adapté.

À cette fin, nous avons lancé une enquête lors du Mondial de l’automobile de l’an dernier, en posant la question suivante : les Français sont-ils des adeptes de la voiture électrique ou peuvent-ils accéder à la voiture électrique ? Nous avons défini la notion d’électro-mobilisable. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un Français sur trois est électro-mobilisable. Il a l’usage correspondant à un véhicule électrique, l’accès à une prise. Sur la base de 10 000 km par an, un véhicule électrique ne sera pas plus onéreux qu’un véhicule thermique traditionnel.

La voiture électrique a une place à prendre dans notre panorama de mobilité, sans compter qu’elle agrège les grands enjeux de la mobilité : réchauffement climatique, pollution urbaine et efficacité énergétique.

Mme Fabienne Keller. Une analyse plus précise sur les éléments de l’écosystème serait utile, auxquels on pourrait ajouter l’accès prioritaire à des voiries publiques et à des parkings bien placés. Il faut aussi penser aux éléments liés aux politiques publiques.

M. Morald Chibout, directeur général d’Autolib’. Je ferai un constat très simple à la lumière d’Autolib’. En premier lieu, il s’agit d’une révolution sociale. Nous sommes passés d’une logique de possession à une logique d’usage, notre analyse du marché étant de plus en plus probante (le cœur de cible étant le segment 25 ans-35 ans). Cela dit, on constate deux freins importants à la voiture électrique : l’autonomie de la voiture et le nombre de bornes de recharge. Autolib’ propose 250 km d’autonomie et 750 bornes de recharge à Paris.

En deuxième lieu, il s’agit d’une révolution technologique en cours, qui est une réussite. Le groupe Bolloré a fait le choix de la batterie lithium-métal-polymère, qui servira demain dans le stockage d’énergie. Ainsi pourra-t-on utiliser l’énergie solaire, la stocker et la réinjecter dans le réseau.

En troisième lieu, il s’agit d’une réussite commerciale, avec 1,2 million de locations pour 62 000 abonnements vendus. Un vrai marché est donc en émergence.

En quatrième lieu, c’est une véritable révolution digitale, la voiture étant intelligente, à la fois dans l’informatique embarquée, mais aussi dans l’utilisation qu’en font les clients. Près de 80 % des locations et des réservations se font via un système digital, mobile. L’abandonnement se fait en moins de cinq minutes, la prise de location en moins d’une minute.

M. Arnaud de David-Beauregard, vice-président en charge des opérations de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). Je veux souligner le rôle économique et social du traitement de la mobilité. Pour les équipementiers, il s’agit de 17 milliards de chiffre d’affaires, dont plus de la moitié est réalisée à l’exportation. Ils font travailler 82 000 personnes. La mobilité et l’anticipation des tendances futures est une chose essentielle. Les équipementiers y participent largement, en anticipant souvent la conception des voitures et en proposant des fonctions complètes et innovantes aux constructeurs. Il faut ajouter des systèmes désormais répandus, comme le stop and start ou les développements observés sur les batteries.

Le point essentiel est l’innovation. Notre industrie pourra participer positivement au développement de la mobilité durable dans la mesure où elle aura une capacité d’innovation, ce qui suppose un minimum de compétitivité. Il faut donc envisager ce sujet de manière globale, avec l’ensemble de ces aspects, plutôt que de se concentrer sur un modèle supposé résoudre toutes les difficultés.

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions publiques, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën. Le groupe PSA Peugeot Citroën part du constat que notre société est marquée par une très forte boulimie de mobilité. Nos concitoyens veulent pouvoir utiliser un moyen de locomotion au titre de leur attachement à la liberté que confère en particulier l’automobile. En 2010 et 2011, nous avons réalisé une étude, pour dégager une typologie de ces différentes attentes et de ces postures face au besoin de mobilité. On a constaté plusieurs approches différentes, les unes plutôt liées à la possession de l’objet automobile, les autres plutôt liées à des arbitrages compliqués à faire dans la journée. Certains sont militants d’une démarche écocitoyenne. Nos conclusions ? C’est une approche liée à l’hybridation, à la fois des moteurs, des silhouettes et des solutions modales. Le groupe PSA, je veux enfin le rappeler, a été à l’origine de la création de l’Institut pour la ville en mouvement, considérant qu’un groupe automobile devait pouvoir croiser ses approches avec des sociologues, des urbanistes, des architectes, des acteurs de la ville, pour interroger la ville de demain.

Mme Louise d’Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires de Renault. Je souscris pleinement à cette intervention. Cela dit, je veux saluer le travail réalisé par l’Office, et la manière innovante et créative avec laquelle il aborde ce sujet. Comme tous les constructeurs, Renault est attentif à tous les signaux de la société, essaie de les anticiper, pour être au rendez-vous du comportement de ses clients. Un des problèmes clés est le calendrier et l’agenda. Dans quel calendrier se situe-t-on ? Dans le cadre de son alliance avec Nissan, je rappelle que Renault a investi 4 milliards d’euros pour lancer une vraie gamme de véhicules électriques, preuve qu’il ne s’agit pas pour nous d’un choix de niche, mais d’un choix stratégique. Sa réussite dépendra de la coïncidence de notre agenda industriel avec l’agenda du comportement et de l’attente des citoyens, mais aussi de l’accompagnement des politiques publiques qui permettront d’assurer la réussite de ce pari.

Comme tous les groupes mondiaux, on ne se situe pas dans un cadre hexagonal, ni même européen, mais mondial. Aussi votre réflexion doit-elle se situer dans ce cadre, où l’on observe des comportements extraordinairement différents.

M. Jean-Louis Jourdan, directeur développement durable de la SNCF. J’interviendrai comme agrégateur du dernier kilomètre. En la matière, le sujet n’est pas celui de l’innovation mode à mode, mais de l’articulation des innovations. Demain, il faudra utiliser la géolocalisation, notamment le web numérique, pour déstresser les interfaces entre les différents modes et faire des complémentarités intelligentes. Tout cela doit se penser dès la conception des modes de transport.

Le deuxième sujet est celui de la continuité des systèmes d’information. Tout laisse à penser que vont émerger des autorités organisatrices de mobilité durable. Qui organisera et qui gérera la gouvernance des systèmes d’information ?

Troisième sujet : comment encourager le multisolisme ? La SNCF est aussi gestionnaire de places de parking. Comment donner une faveur aux voitures occupées par plusieurs personnes, pour minimiser les coûts de stationnement et de pollution des modes complémentaires ?

Quatrième sujet : comment encourager les mobilités numériques ? Je suis de ceux qui pensent que voyager deux heures par jour dans des RER à quatre personnes par mètre carré ou dans les bouchons franciliens n’est pas un symptôme de la libération des individus. Tout ce qui peut changer les modèles économiques doit être encouragé.

Cinquième et dernier sujet. Près de 40 % de la population résidera en 2030 dans le grand périurbain et les zones diffuses. Elle sera confrontée à des problématiques de fractures énergétiques et de mobilité. Comment penser la mobilité de ces territoires, mobilité qui ne passe pas par des problématiques d’infrastructures de transport collectif ?

M. Yves Lasfargue, directeur de l’Obergo (observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l’ergostressie), inventeur du concept d’ergostressie. L’observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l’ergostressie (OBERGO) que je dirige réalise des études sur les conditions de vie et de travail des télétravailleurs. S’agissant de la mobilité, nous avons trouvé trois caractéristiques. La première est que les télétravailleurs travaillent en moyenne deux jours en télétravail et trois jours au bureau. Aussi ont-ils tendance à prendre plus leur voiture et moins les transports en commun dont les abonnements courent sur cinq jours par semaine ou trente jours par mois. Ce temps partiel dans le télétravail fait que la mobilité, notamment en voiture, est plus grande que ce qu’on pouvait imaginer.

Ensuite, dès lors où l’on télé-travaille, on a tendance à résider dans des lieux plus agréables, nombre de télétravailleurs changeant de résidence en même temps que de façon de travailler. Selon les régions, ce sont de 10 à 20 % de télétravailleurs qui s’éloignent de leur lieu de travail. Plusieurs accords signés par les entreprises interdisent du reste cette mobilité, l’entreprise ayant tendance à ne pas vouloir que ses salariés s’éloignent trop de l’entreprise.

Quant au télétravail en télé-centre, il n’existe pratiquement pas en France pour les salariés. Il existe pour les télé-centres intra-entreprises, comme IBM ou EDF. Les télé-centres ne comptent que des auto-entrepreneurs ou des professions libérales. Pourquoi les télé-centres sont-ils rejetés ? Parce que cette installation n’offre pas le même choix de liberté d’horaires que le télétravail à domicile. J’ajoute enfin que la mobilité des télétravailleurs est très peu étudiée.

Mme Fabienne Keller. Qu’est-ce que l’ergostressie ?

M. Yves Lasfargue. C’est un essai de mesure de la charge de travail dans les métiers de la société de l’information. Ce concept conjugue la fatigue physique, la fatigue mentale, le stress et le plaisir.

M. Alain Meyere, Institut d’aménagement et d’urbanisme, Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU). Le peak-car n’est-il pas derrière nous ? Depuis 2010, la mobilité automobile enregistre une baisse significative. L’automobile n’est plus le mode de transport dominant : la marche est passée en tête. Historiquement, le premier facteur de la croissance de l’usage de l’automobile en ville a été l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Elles ont été utilisatrices de l’automobile comme l’ont été les hommes. Aujourd’hui, la baisse de l’usage de l’automobile par les hommes, qui a débuté dans les années quatre-vingt-dix, est suivie par les femmes. Il s’agit aussi d’un effet générationnel. La mobilité automobile de la plupart des catégories de la population se stabilise et parfois diminue. En revanche, l’usage de la voiture par les retraités ne fait qu’augmenter. Très lié au renouvellement des générations, ce phénomène n’est probablement pas terminé. L’automobile est-elle moins désirée par les jeunes ? Dans les faits, on observe une baisse significative du taux de possession du permis de conduire dans les jeunes générations, phénomène massif s’il en est.

En conclusion, il s’agit d’un phénomène qui met en cause la structuration des politiques de déplacement et qui interroge les politiques et les constructeurs automobiles : faut-il vendre des voitures ou de la mobilité ?

M. Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile. La voiture de demain présente trois enjeux fondamentaux. Le premier est économique. De fait, les automobilistes roulent de moins en moins et conservent leur véhicule de plus en plus longtemps. Pour faire repartir les ventes, il faudra se demander comment les inciter à changer de véhicules plus souvent. La rupture technologique qui permettra à l’automobiliste de réduire sa consommation de carburant et ses coûts d’utilisation sera le meilleur moyen pour inciter celui qui a une voiture de plus de dix ans à changer de véhicule, pour une voiture qui consommera deux litres aux cent.

Le deuxième enjeu est environnemental. Les constructeurs, on oublie souvent de le rappeler, ont réalisé de nombreux progrès en matière de réduction des polluants, qu’il s’agisse de polluants globaux ou locaux. Pour améliorer la qualité de l’air dans les villes, il faudra se pencher sur les véhicules les plus anciens et cibler leur renouvellement, alors qu’un tiers du parc automobile a plus de dix ans.

Le troisième et dernier enjeu, dont on parle très peu, vise la sécurité autoroutière. Les véhicules qui sortent des usines sont aujourd’hui beaucoup plus sûrs, beaucoup mieux équipés.

Pour toutes ces raisons, la voiture écologique est l’enjeu de l’avenir, qui incitera les automobilistes à changer de véhicules plus souvent.

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la recherche, de l’innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën. Selon PSA Peugeot Citroën, le véhicule du futur sera plus respectueux de l’environnement, communiquant et intelligent, et potentiellement autonome. Il sera également plus attractif et susceptible d’être facilement partagé ou intégré dans une chaîne multimodale. Grâce aux technologies de l’information et de la communication, et au véhicule connecté, nous pouvons aller vers de nouvelles mobilités urbaines. La fluidité permettra de moins polluer, de moins émettre d’émissions de CO2. Les nouvelles technologies, les aides à la conduite aideront à trouver plus facilement des places de parking (30 % des véhicules à Paris tournent à la recherche d’une place de parking). Elles renforceront la sécurité, aideront à l’auto-partage et à la gestion des risques urbains. Elles apporteront des informations efficaces sur le trafic en temps réel via des systèmes embarqués, qui permettront d’éviter la congestion et de sécuriser les intersections.

M. Christian Rousseau, expert leader Mobilité et Systèmes de transport, Renault. Je veux revenir sur la notion de système global. Certes, il faut avoir les équipements adéquats pour les voyageurs – aide à la géolocalisation, aide à la navigation, aide à l’optimisation du parcours. Nos véhicules électriques sont ainsi bien équipés d’un système qui gère l’énergie, de façon à garantir à l’usager de pouvoir terminer son trajet. Cela dit, je veux insister sur le « back office », sur tout ce qui prépare cette information, qui est un enjeu considérable. Il s’agit en effet de connecter des systèmes d’information qui n’ont pas l’habitude d’échanger, qui ne sont pas connectables. Un sérieux travail de standardisation doit être effectué, pour que de tels dispositifs puissent se déployer, travail que les constructeurs, les transporteurs publics et l’ensemble des filières doivent prendre en charge.

M. Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques. Le club des voitures écologiques met en avant une complémentarité entre le transport public et la voiture. À notre sens, les élus locaux ont un rôle essentiel, les aides à l’acquisition de véhicules propres ne devant pas être que nationales. Une réflexion doit être engagée sur le stationnement, la tarification adaptée, le quotidien du véhicule étant le stationnement. Nous avons des propositions pour l’instauration d’un crédit de télépéage de 2000 euros sur les autoroutes pour les véhicules propres, chacun devant prendre sa part de l’investissement pour accroître la flotte. L’État, les sociétés privées, les collectivités doivent se mettre autour de la table, étant entendu qu’on ne peut pas tout attendre de l’État. S’agissant du véhicule électrique, nous insistons sur l’accélération de la mise en place des bornes de recharge. Au Japon, on l’a bien vu, il y a parallélisme entre le nombre de bornes et de voitures. Dans l’année qui vient, un effort immense doit être réalisé pour que les constructeurs puissent vendre leur voiture et que le succès soit au rendez-vous.

Mme Patricia Varnaison, chef du département « déplacements durables » du Centre d’étude sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU). Les enquêtes réalisées sur les ménages ont montré que les jeunes générations se déplaçaient moins. Certains l’expliquent par une utilisation plus importante d’internet, les jeunes étant plus attachés à disposer d’une connexion internet qu’une voiture ; d’autres par le fait que les revenus de cette population sont en baisse. Dans un rapport de l’an dernier sur la fracture numérique, le CAS a montré les enjeux très importants pour limiter au maximum cette fracture chez les jeunes. Quant aux séniors d’aujourd’hui, ils utilisent plus la voiture qu’hier et marchent moins. C’est un enjeu de santé publique, car moins on marche, plus on a besoin d’être aidés. Nous sommes même sollicités pour savoir dans quelle mesure des scooters de mobilité électrique pourraient pénétrer dans les transports en commun. Il faut savoir que ces véhicules se développent au Royaume-Uni chez les personnes plus âgées. Il s’agit donc d’un enjeu de prospective important.

Mme Isabelle Van de Walle, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC). Les enquêtes du CREDOC montrent que le développement durable et le souci pour l’environnement deviennent, depuis les années quatre-vingt, une vraie préoccupation pour l’ensemble de la société. Mais lorsqu’on observe les changements de comportement, notamment l’adoption des nouvelles formes de mobilité, on s’aperçoit qu’elles ne sont pas liées à ces aspirations environnementales, mais aux contraintes économiques, à la possibilité de disposer d’une offre très diverse, notamment de transports en commun et de covoiturage, et à la diversification des supports d’information – internet et portable. Cela explique les différences observées chez les jeunes.

Prenons l’exemple de l’approvisionnement alimentaire. Sur ce sujet, on assiste à des évolutions importantes, avec la desserte des centres commerciaux par les tramways, à la suite d’une décision de collectivités territoriales. Des évolutions importantes jouent aussi sur les pratiques et les usages dans l’offre commerciale : la géographie du commerce change, avec un développement de l’offre de proximité. L’offre commerciale est par ailleurs modifiée du fait des nouvelles technologies de l’information et de la livraison à domicile. De telles évolutions ont permis au public d’être moins dépendants de la voiture individuelle, mais il reste de grands clivages entre territoires.

Dans les espaces périurbains et ruraux, les consommateurs peuvent avoir des offres de proximité, mais ne bénéficient pas des offres liées à la livraison à domicile. Ce sont les personnes les plus faibles économiquement et les personnes âgées qui pâtissent du manque de mobilité. On retombe sur la thématique du droit à la mobilité.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW. Le groupe BMW est bien connu pour ses automobiles de sport et de luxe, moins pour avoir engagé depuis quarante ans une politique de développement durable. De réels progrès ont ainsi été réalisés sur l’efficience des moteurs thermiques. Mais la révolution, pour notre groupe, est l’introduction d’une marque, BMWi, qui a vocation à construire des voitures électriques, à proposer des solutions de mobilité avec des concepts tout à fait nouveaux dans l’industrie automobile, comme l’introduction de matériaux en carbone ou aluminium, mais aussi de services. La société investit ainsi beaucoup aux côtés de start up pour développer les services nécessaires à la mobilité urbaine et périurbaine de l’avenir. Cela s’appelle, par exemple, MyCityWay, pour détecter en temps réel, les embouteillages, les places de parking, et gagner en fluidité. Cela peut prendre la forme de l’auto-partage, avec la disponibilité d’une voiture à tous endroits d’une ville, à tout moment, avec un maximum de flexibilité. Mais cela peut aussi s’appeler le partage de parkings privés. On ne travaillera pas que sur la dimension environnementale, sur la sécurité, mais encore sur la fluidité et la mobilité dans les grandes villes et les centres urbains.

Débat

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l’étude de l’OPECST. Le débat est ouvert. J’ai pour ma part été surpris que la question de la forme de l’automobile ait été peu abordée. Plusieurs ont parlé de la fluidité, via le stationnement, via les technologies. Si le transport automobile paraît baisser, on constate aussi que le deux-roues augmente, notamment à Paris. Ce type de véhicules serait plus adapté pour circuler dans des espaces contraints. Quel est le point de vue des constructeurs ?

Mme Louise d’Harcourt. Il s’agit d’un sujet sur lequel Renault a été très attentif, avec la création d’un quadricycle qui répond parfaitement à votre préoccupation : espace réduit, plus grande sécurité et usage intermédiaire entre le véhicule et le deux-roues. Force est pourtant de constater que ce nouveau véhicule rencontre des obstacles réglementaires : sur quelles voies doit-il rouler ? Avec quel type de permis ? Lorsqu’on crée un véhicule de rupture, on est confronté à de nombreux problèmes réglementaires, ce qui est notamment le cas pour Twizy. Quoi qu’il en soit, le véhicule a été lancé, et prend progressivement sa place dans le paysage urbain.

Mme Sandrine Delenne. Chez PSA Peugeot Citroën, nous sommes bien conscients que la chaîne du champ des possibles des objets de mobilité est composée d’objets de deux roues (vélos électriques, scooters, électriques ou non), mais aussi de quatre roues. Entre les deux, il y a une place pour des objets qui relèvent d’autres catégories d’homologation de quadricycles – du type concept car BB1 pour la marque Peugeot, avec 4 moteurs-roues – qui intègrent une conception nouvelle de l’habitacle et de l’architecture, pour limiter l’encombrement. La taille des modèles a été réduite, mais les quadricycles ont des restrictions d’usage.

M. Denis Baupin. Quand sera-t-il commercialisé ?

Mme Sandrine Delenne. Un tel concept car n’est pas commercialisé, mais vise à ouvrir le champ de la réflexion. Ne pas pouvoir circuler sur le périphérique est pour nous une restriction. Comme le tricycle le permet, nous avons présenté un modèle de tricycle, le VéLV, maillon entre le scooter et l’automobile, caréné et totalement électrique, qui peut rouler sur les routes pour automobiles.

Cela dit, au-delà du concept novateur du concept car, le BB1 soulève des questions d’acceptabilité, de conscience par rapport à la sécurité et aux chocs, et de nouveaux usages. Nous sommes partenaires, notamment avec Renault, de l’institut VeDeCoM, l’institut pour le véhicule décarboné, communiquant et sa mobilité, dont on espère la signature imminente. Il comprendra un laboratoire des nouveaux usages, à la fois pour les véhicules électriques, mais aussi pour traiter de l’acceptabilité du véhicule partagé.

Mme Fabienne Keller. Beau sujet… L’agenda industriel de vos propositions, on le voit, doit rencontrer une évolution des comportements. Il renvoie aussi à la question des politiques publiques qui peuvent rendre possible l’usage de tels véhicules. Vous mettez aussi en avant la question de l’agrément des Mines sur les véhicules. Nous n’avons pas encore associé les spécialistes de la réglementation à nos réflexions, ce qu’on pourra faire lors de nos prochaines tables rondes. C’est un sujet compliqué, qui concerne l’agrément des véhicules, la gestion de leur sécurité, mais aussi la compréhension par les usagers de l’espace public de la fragilité de chaque usager. Je suis élue de Strasbourg, où l’automobiliste moyen comprend mieux la difficulté à être cycliste qu’à Paris. Tout cela suppose un vrai travail, en plus du travail réglementaire. Comment rendre possible l’intégration de ces nouveaux véhicules, pour que les industriels continuent à investir, et que les comportements s’adaptent ?

M. Marc Teyssier d’Orfeuil. Bien avant d’avoir créé le club des voitures écologiques, j’avais créé, il y a dix ans, l’association de la place de la petite voiture dans la ville. À l’époque, un seul industriel s’était placé sur ce segment, en l’occurrence une automobile à part entière. Aujourd’hui, de nouveaux petits véhicules quadricycles sont mis au point, tant il est vrai que la voiture doit s’adapter à la ville. À mon sens, la petite voiture est l’adaptation de la voiture à la ville, ce qui n’exclut pas d’en disposer de grandes, pour quitter la ville avec sa famille. Quant à la réglementation, il faudra se mettre autour de la table, pour intégrer des discriminations, notamment en termes de stationnement pour favoriser les petits véhicules de moins de trois mètres pour qu’ils puissent se placer de manière perpendiculaire.

M. Bruno Marzloff, sociologue, fondateur de La cité des services, groupe Chronos. S’il est vrai qu’on a construit une ville pour la voiture, on n’a pas encore construit une ville de la multi-modalité. Ce qui fait le succès du vélo à Copenhague ou à Strasbourg, ce sont aussi les aménagements ad hoc qui ont été pensés à cette fin. Si l’on veut accroître le nombre de cyclistes dans une ville comme Paris, encore faut-il leur donner la possibilité de faire du vélo, comme cela se fait outre-Atlantique, pragmatisme oblige. Des villes comme Chicago ou New-York sont ainsi en train de remodeler leur centre-ville, pour accepter plus de cyclabilité et de marchabilité.

Mme Isabelle Van de Walle. Il faut également développer cette réflexion dans des espaces qui ne sont pas très denses, comme les zones périurbaines. Bien souvent, les gens ne peuvent utiliser le vélo du fait de problèmes de sécurité considérables. Dans dix ans, on arrivera à régler les problèmes de centre-ville. Mais il faut sérieusement penser les autres espaces.

Mme Fabienne Keller. Nous avons bien l’intention d’établir une typologie car les réponses ne sont pas les mêmes suivant les besoins. Dans les zones périurbaines, le vélo assisté est très efficace pour rabattre les zones pavillonnaires vers une gare ou les commerces.

Mme Isabelle Van de Walle. Les pistes cyclables ne sont cependant pas suffisamment nombreuses.

Mme Fabienne Keller. Développer le vélo, cela suppose de prendre en compte deux critères : la piste sur laquelle on circule et l’endroit où l’on stocke son vélo, pour être sûr de le retrouver, si possible au sec. Il faut aussi établir des priorités et déterminer les critères qui doivent être hiérarchisés, pour les appliquer aux aménagements et aux choix de parking.

M. Laurent Antoni. En matière de vélo, de nombreuses solutions se développent : utiliser des voies pour bus, ou des pistes cyclables sur chaussée. À mon sens, l’essentiel est la création de vraies pistes cyclables, qui ne soient pas dangereuses pour les piétons, de pistes cyclables aussi le long de nationales ou de départementales, comme en Allemagne.

Mme Alexandra Crosseron. On entend peu parler des questions relatives à l’éducation, à l’acceptabilité sociale de tous ces nouveaux modes de mobilité. Comme utilisatrice du Velib, je suis confrontée à des soucis de circulation, de la part des taxis, dont les conducteurs sont particulièrement inciviques. Comment sensibiliser les plus jeunes à ces nouveaux usages ? C’est une question importante.

M. Hervé Pichon. Un industriel de l’automobile doit fonder son activité sur un modèle économique et la prise en compte de demandes de mobilité qui sont extrêmement diverses. On a parlé des jeunes. Mais il y a aussi des moins jeunes, qui ont un projet familial : leur demande de mobilité n’est pas la même. Beaucoup de nos concitoyens ont en ville une démarche écocitoyenne, tout en étant bien contents que leur véhicule leur permette d’aller voir leur arrière grand tante à Carpentras, lorsqu’ils habitent à Strasbourg. Ce sont tous ces éléments que doivent prendre en compte des industriels de l’automobile, sur la base d’un modèle économique viable. On ne saurait s’abstraire des impératifs de rentabilité et de profitabilité d’une activité industrielle.

M. Denis Baupin. Certes, mais la situation actuelle montre que cet équilibre n’est pas trouvé. L’écroulement des immatriculations, les difficultés financières que vous rencontrez sont sans doute liées au contexte international économique. Encore faut-il souligner qu’une part de la population ne se reconnaît plus dans les véhicules qui sont proposés.

M. Hervé Pichon. En Europe, le marché est mature. On s’interroge, notamment en France, sur la consommation automobile. Mais la situation qu’on observe dans l’univers automobile n’est pas seulement une crise de l’automobile : c’est une crise de l’Europe, d’un continent qui est une zone de très faible croissance, voire de dépression, à laquelle s’ajoute une crise financière de l’Europe du Sud. L’industrie européenne dans son ensemble, c’est un fait, ne trouve plus son modèle économique, car elle est dans une situation de surcapacité. La problématique ne se résume donc pas à la consommation automobile, mais doit intégrer la difficulté actuelle de l’Europe dans la mondialisation.

Mme Louise d’Harcourt. Je veux réagir à la question relative à la formation à la sécurité. Depuis plus de dix ans, Renault a mis en place un programme d’éducation à la sécurité routière, Sécurité pour tous, qu’il développe dans le monde entier, notamment pour les enfants. Cela dit, il faut bien savoir que si les marchés déclinent en Europe, le marché automobile croit de 8 % à l’international. Élargissons donc notre regard, notre réflexion d’industriel étant nécessairement mondiale. Enfin, comme cycliste qui voudrait se rendre tous les jours à son travail de Boulogne à Paris, la question de la sécurité est rédhibitoire.

M. Denis Baupin. À cause de quel type de véhicules ?

Mme Louise d’Harcourt. À cause de l’interaction de tous les véhicules, qui n’est pas organisée. Comment la collectivité publique
organise-t-elle cette coexistence ?

M. Denis Baupin. Je pose le problème en d’autres termes. Comment ceux qui fournissent les véhicules qui circulent sur les routes prennent-ils en compte les autres ? Chacun ne peut attendre systématiquement les solutions de l’autre. L’essentiel, c’est de réfléchir ensemble à la mobilité en ville et à la manière de la faire évoluer. On ne peut pas élargir les trottoirs mais on peut raccourcir les véhicules. On ne saurait dire que le véhicule est une donnée intangible, à laquelle on ne peut pas toucher, sur laquelle les élus devraient s’adapter. Ce propos est quelque peu caricatural, mais je le fais volontairement. Il ne s’agit pas simplement de réfléchir aux problèmes d’embouteillage.

Mme Fabienne Keller. Si chacun faisait un peu de vélo régulièrement, nous changerions de comportement dès lors qu’on reprendrait sa voiture. A Paris, les gens sont soit automobilistes, soit cyclistes. À Strasbourg, par contre, on est cycliste et automobiliste. Dès lors, l’automobiliste a un tout autre regard sur le cycliste. L’introduction sur la voie publique de véhicules variés ne va-t-elle pas contribuer à un regard sur les autres plus respectueux, comme on le voit à Copenhague ?

S’agissant de la stratégie, il faudrait étudier de manière plus approfondie l’entrée de notre industrie automobile dans la production de ces nouveaux véhicules et son articulation avec les politiques publiques, avec la création d’un marché intérieur, français ou européen, qui se substituerait au marché intérieur de l’automobile classique, qui est en stagnation. Comment faire pour que nos constructeurs et équipementiers gardent de l’avance, conservent du savoir-faire, de l’emploi et de la présence sur le territoire ?

M. Christian Rousseau. Certes, mais nous avons un sérieux souci en matière de réglementation : qu’il s’agisse de parkings pour voitures plus courtes ou de l’accès sur certaines voies urbaines rapides. Bien souvent, nous sommes handicapés par la réglementation.

Mme Fabienne Keller. Je vous invite à nous adresser le listing des leviers réglementaires qui permettraient d’introduire ces nouveaux véhicules.

M. Christian Rousseau. Une même voie peut accepter les quadricycles, et un kilomètre plus tard, ne plus les accepter, du fait d’une réglementation locale.

Mme Fabienne Keller. Le levier, c’est bien la continuité.

M. Christian Rousseau. Sur le sujet de la réglementation, nous nous sentons un peu seuls, du moins pas aidés.

Mme Patricia Varnaison. Réfléchir à la multi-modalité est devenu important. Car de plus en plus, les gens ne sont pas utilisateurs d’un seul mode, mais de plusieurs modes. Une grande enquête vient d’être réalisée sur l’auto-partage dans le cadre du PREDIT par France Auto Partage et Cités. Elle montre qu’il est plus important, pour un auto-partageur français, d’habiter à côté d’une station de transport collectif que d’une station d’auto-partage.

Mme Fabienne Keller. Les stations d’auto-partage sont placées à côté des centres de transport collectif.

Mme Patricia Varnaison. L’enquête montre aussi que le passage à l’auto-partage se fait lorsqu’une personne est confrontée à l’achat d’un nouveau véhicule. Acheter, cela suppose d’aller chez un concessionnaire. Pourquoi ne pas imaginer une évolution du métier de vendeur d’automobiles ? Pourquoi ne pas imaginer que les vendeurs puissent vendre un service et une adhésion à l’auto-partage ?

M. Morald Chibout. J’ai travaillé dans le marché des télécoms il y a quelques années, et j’ai pu voir son évolution. L’auto-partage, il faut bien le savoir, touche un segment de plus en plus jeune, segment qui prend rapidement des habitudes. Voyez de quelle manière le marché de la télévision a évolué. Les jeunes ne veulent plus acheter de voitures, mais souhaitent utiliser un véhicule à l’usage, d’une manière spontanée. Un jeune doit faire des arbitrages, entre son loyer, la nourriture et ses loisirs. Aussi, tout laisse à penser que l’achat ou le rachat de voiture risque d’être de plus en plus limité. Le développement d’Autolib’, on le voit bien, amène les gens à se poser la question de l’achat d’une voiture.

M. Bruno Marzloff. Je veux revenir sur la question du modèle industriel, évoqué par les constructeurs automobiles. Ceux-ci nous appellent à élargir la focale au niveau mondial. Le marché automobile en France, je le rappelle, a subi une baisse de 17 % l’an passé, alors que l’économie stagne à 0 %. Dans les pays émergents, la croissance de l’automobile rencontre toute une série de nouveaux obstacles, à Pékin ou Shanghai, obligés de mettre en œuvre des politiques de réduction drastique de la voiture du fait de la pollution ou des encombrements. Dans un temps proche, il faut s’attendre à ce que ces pays connaissent les mêmes évolutions. À mon sens, il ne faut donc pas prendre prétexte de la situation mondiale pour refuser de regarder la situation française. La question est celle de la transformation du modèle. Va-t-on fabriquer de la voiture servicielle ? Ou reste-t-on sur un modèle industriel, qui n’entend construire que des voitures neuves ?

M. Flavien Neuvy. Lorsqu’on imagine l’évolution des besoins de mobilité quotidienne des Français au cours des vingt prochaines années, il est bon de se remémorer la situation des vingt dernières années. On a constaté une fracture entre l’évolution de l’offre de mobilité entre les habitants des grands centres urbains et les autres. Un Parisien peut utiliser les transports en commun, sa voiture, un vélo ou une voiture en libre-service. Celui qui habite en Auvergne, à dix kilomètres de son travail, n’a qu’une solution : sa voiture. Dans dix ans, tout laisse à penser que rien n’aura changé pour cette personne : la place de la voiture restera centrale dans les déplacements quotidiens des Français. Les typologies sont très différentes même si, c’est vrai, certains conseils généraux essaient de développer le covoiturage.

M. Denis Baupin. L’accès à des véhicules plus économes est encore plus important pour la population rurale.

Mme Fabienne Keller. Il faut vraiment faire des typologies pour trouver des solutions moins polluantes, moins dispendieuses, en utilisant éventuellement le covoiturage.

M. Joseph Beretta. On pense souvent que la voiture électrique est une voiture urbaine. Dans les zones périurbaines et rurales, la voiture électrique a son mode d’usage, sans compter que l’accès à une prise électrique est facilité. Or, lorsqu’on veut déployer la voiture électrique dans les centres ville, on est confronté aux problèmes d’infrastructures privées et de copropriétés privées, sans compter que l’Europe édicte ses propres règles, sans tenir compte des évolutions à l’œuvre dans les États. La dernière proposition de directive européenne risque ainsi de bloquer le déploiement des infrastructures en France.

DEUXIÈME TABLE RONDE :

QUELLE EST LA VISION DES BESOINS DE MOBILITÉ SELON L’INDUSTRIE ? À QUELS AUTRES BESOINS RÉPOND-ELLE ?

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route ». Depuis des dizaines d’années, j’essaie de faire prendre conscience à la société que l’automobile et la mobilité sont une préoccupation de premier ordre, tant sur le plan économique que sur celui du développement des individus. On aurait ainsi dû réfléchir depuis très longtemps à la mobilité sereine et durable, et non pas essayer de cristalliser des moyens de mobilité qui se concurrencent, car dirigés par des systèmes et des idéologies différentes. Aussi je veux rendre hommage à Denis Baupin, avec lequel j’avais à l’origine de nombreuses divergences de points de vue, mais qui a finalement préféré parler de mobilités sereines et durables plutôt que de voitures écologiques, notion qui a une connotation politique qui ne me convient pas. Mes auditeurs, tous les matins à la radio, vont dans ce sens : ils veulent bien accepter certaines choses, à condition qu’ils les comprennent et qu’elles soient acceptables dans l’état actuel des choses. La contrainte est une chose, la proposition et l’offre acceptées une autre.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l’étude de l’OPECST. Le dialogue que nous avons su engager nous a en effet permis de rapprocher des points de vue qui à l’origine n’étaient pas convergents. Nous avons su trouver des réponses ensemble, en partant de points de vue différents. Ce rapport vise justement à trouver des réponses, qui nous permettent de dépasser des contradictions qui, pour une part, ne sont pas insolubles.

M. Jean-Claude Bocquet, professeur à l’École centrale de Paris, directeur du Laboratoire de génie industriel. Dans peu de temps, 80 % des gens habiteront dans les villes. Plus de 50 % des conducteurs auront plus de soixante-cinq ans, avec un besoin de mobilité identique. Il faut donc investir sur le long terme, en réfléchissant notamment à des véhicules sans conducteur, homogènes dans une ville. De tels véhicules permettront de régler les problèmes de mobilité intergénérationnelle, ce qui suppose des connexions à l’extérieur des villes. Les technologies sont mûres, dès lors que la population des véhicules est homogène. De fait, on a beaucoup travaillé sur les moteurs, au détriment de la masse. Des véhicules qui pesaient hier une tonne en pèsent près du double, ce qui militerait pour décaler les investissements par rapport à la situation actuelle.

M. Gabriel Dabi-Schwebel, spécialiste du marketing, président directeur général de 1’30. Merci de donner la parole à un homme du marketing. La France est plutôt une nation d’ingénieurs, le rapport Sartorius sur la situation de PSA Peugeot Citroën ne citant pas une seule fois le mot « marketing », et seulement une seule fois le mot « design » et le mot « différenciation ». Sans doute est-ce une des raisons des difficultés que rencontre notre industrie automobile.

Cela dit, comment l’automobile participe-t-elle à l’évolution du marketing ? Philippe Kotler, l’un des gourous du marketing américain, a évoqué trois âges du marketing. Le premier – le marketing 1.0 – autour des produits, où la valeur est fonctionnelle. Un deuxième – le marketing 2.0 – né au début des années soixante-dix, avec une économie de la demande, autour du produit et de la différenciation du client. On évoluerait aujourd’hui vers un troisième âge, celui de la valeur, avec un marketing 3.0. Les valeurs seraient fonctionnelles, émotionnelles, mais aussi spirituelles. L’automobile devrait ainsi porter l’ensemble de ces valeurs, les questions du développement durable, les problématiques liées à la crise économique. Elle devrait ne plus être seulement un produit qui permet de se déplacer, mais aller au-delà, porter les valeurs fonctionnelles de l’automobile, à savoir la mobilité. C’est autour de ces concepts que l’automobile doit se réinventer, en allant vers plus de mobilité et de fonctionnalité. De ce point de vue, les concepts d’Autolib’ et de Blue car portés par le groupe Bolloré sont au cœur des nouvelles réalités. Nous sommes dans l’ère du « co », du co-voiturage, de la colocation, de l’auto-partage. Tous les biens sont mis en commun, situation qui a le mérite d’être très écologique, la seule façon de faire baisser le bilan carbone étant de vivre en communauté. L’auto-partage, du point de vue du marketing de la valeur est une vraie évolution dans l’automobile : moins de propriété, plus d’usage. La voiture sans conducteur a été évoquée, notion qui fait disparaître la dimension machiste de l’automobile – le volant, la pédale d’accélération – sa dimension de puissance, pour n’être que de l’usage et de la mobilité.

M. François de Charentenay, membre de l’Académie des technologies. Je veux revenir sur la notion d’écosystème, évoquée par Joseph Beretta lors de la première table ronde à propos du véhicule électrique. On a annoncé récemment que la Zoé serait interdite de prise électrique ordinaire. Il semble que ce soit une question thermique qui ne permette pas de recharger en 8 heures de suite avec un fil qui aille dans une prise de 16 ampères ordinaire. C’est la preuve qu’on a du mal à prendre en compte un système global. Or, la pénétration du véhicule électrique ne se fera que par deux voies. La première, d’initiation, est celle proposée par Autolib’, qui tend à devenir un vrai système. La deuxième, par la prise domestique, avec recharge lente. On comprend donc que l’infrastructure, l’écosystème de la recharge soit un point crucial, qu’il s’agisse de la normalisation des connexions ou de la gestion du réseau d’alimentation de puissance. Qu’on imagine le passage de 500 000 véhicules électriques en fonctionnement, aux deux millions annoncés pour 2020. Bref, l’approche écosystème devra bien être mise en avant dans le rapport, comme l’a fait l’Académie des technologies dans un travail récent publié sur le véhicule du futur.

M. Denis Baupin. Vous avez parlé de recharge électrique, sujet qui renvoie au débat sur la transition énergétique et la question des smart grids. Il faut absolument intégrer les deux débats, faute de quoi nous ferons fausse route. 

M. François de Charentenay. C’est justement à l’occasion d’un groupe de travail sur la transition énergétique, qui doit prochainement publier son rapport, que nous avons pointé l’importance de la partie électrique, qui doit être examinée de très près.

Mme Martine Meyer, responsable Environnement et Santé à la direction du plan environnement de Renault. Je veux insister sur la notion de mobilité durable pour tous, le « pour tous » renvoyant à la dimension économique. Comme constructeur, nous offrons une gamme de véhicules électriques abordable. C’est un sujet qui a une dimension de compétitivité industrielle, que l’on ne peut atteindre sans rencontre entre les positions publiques et l’industrie. Les besoins d’infrastructures ont été déjà largement soulignés. Cela suppose notamment une réflexion sur le transport de marchandises lors du dernier kilomètre, notion innovante, qu’il faut développer pour faire croître le marché du véhicule électrique, ainsi que des réflexions autour du parking management. Tous ces dispositifs auront des effets sociétaux, le véhicule électrique pouvant apporter des bénéfices sanitaires, notamment en ville. Sa massification, à hauteur de 20 %, permet de réduire des composés comme le dioxyde d’azote de l’ordre de 45 %.

M. Jean-Pierre Orfeuil, Institut pour la ville en mouvement. Je veux vous faire part des réflexions de l’Institut pour la ville en mouvement sur les petits véhicules à forte urbanité, qui contribuent à une mobilité « sereine » ou « attentionnée ». Ces petits véhicules tiennent peu de place, sont peu ou pas émissifs, peu voire très peu consommateurs.

Par rapport à une automobile classique, ils peuvent poser des problèmes de confort. Dans un rayon de trente kilomètres par jour, on pourra imaginer, en Ile-de-France, éviter 30 % des circulations automobiles remplaçables par ce type de véhicules, pour 60 % des utilisateurs.

Y a-t-il une tendance spontanée des gens à se diriger vers des véhicules de petite dimension ? La réponse est clairement affirmative, une partie croissante de la population utilisant le vélo, le scooter et la moto dans les villes. Les gens acceptent donc cette dégradation de confort.

Les constructeurs automobiles vont-ils proposer des véhicules de ce type dans l’avenir ? La réponse, là encore, est positive. On récense ainsi 120 projets, dont 60 à horizon 2015.

Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Si cette question est pour le moment indécidable, on peut être convaincu que la pénétration ne se fera pas toute seule, par les simples mécanismes de marché.

Peut-on faire autrement ? La réponse est affirmative. Les grandes collectivités lancent un appel d’offre auprès des constructeurs, avec un cahier des charges précis. Ils sélectionnent quelques modèles, pour amortir les coûts de recherche et de développement, les collectivités s’engageant à les acheter en masse et à les utiliser pour leur service ou de la location de courte durée. Une telle démarche ne manquera pas de créer un écosystème favorable, écosystème qui doit inclure des limitations de vitesse, mais aussi des formules d’entretien, des priorités au stationnement, y compris dans les parcs de rabattement. Ford, lorsqu’il a construit la Ford T, a simplement imposé un modèle unique, ce que nous avons fait avec le Minitel il y a trente ans. Ajouterai-je qu’Apple fait la même chose sans le dire ?

M. Pascal Ruch, président directeur général de Toyota France. Avant d’évoquer la vision de Toyota en termes de mobilité durable, je souhaite partir du constat environnemental suivant. Lorsque Toyota parle mobilité, c’est à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, le parc automobile compte 800 millions de véhicules. D’ici la fin de la décennie, dans sept ou huit ans, on devrait se rapprocher des 1,2 milliard de véhicules, avec tout ce que cela suppose pour la qualité de l’air, le changement climatique ou la demande énergétique. Tous ces éléments, Toyota les prend en compte dans sa conception de mobilité durable. Pour Toyota, il n’y a pas une seule solution. Il faut travailler de front sur plusieurs chantiers, raison pour laquelle le groupe investit plus de 7 milliards en Recherche et Développement, pour disposer de solutions durables. C’est le plus gros budget de tous les constructeurs automobiles, mais aussi le plus gros budget en 2011 en R&D, toutes entreprises confondues.

Toyota travaille de front sur trois pistes. La première porte sur le 100 % électrique, solution pérenne pour un centre urbain, adaptée à ce contexte. Nous travaillons intensément sur la piste de l’hydrogène, de la pile à combustible rechargeable, qui se concrétisera à partir de 2015 en petite série et de 2020 en grande série. D’ici là, la solution retenue par Toyota est la solution hybride rechargeable, plus de 5 millions de véhicules ayant déjà été vendus. Cet hybride se décline en version rechargeable, solution très adaptée en ville. Il n’existe pas une, mais plusieurs solutions, Toyota estimant qu’il faut travailler de front sur l’ensemble.

Mme Louise d’Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, Renault. Je veux revenir sur vos propos, Mme Keller, lorsque vous avez demandé comment faire coïncider tous les enjeux sociaux de mobilité et les impératifs industriels, notamment en France. À mon sens, le programme de véhicule électrique de Renault illustre bien cette double dimension. La France a un vrai atout en matière de capacités de recherche. Renault dispose de 80 % de ses moyens de recherche et d’innovation en France. Il faut ajouter que nous sommes obligés de placer en France nos véhicules à forte valeur ajoutée, compétitivité oblige. Notre filière véhicule électrique s’est appuyée sur deux piliers. Nous mettons sur le marché des véhicules dont la performance environnementale est reconnue, tout en apportant une réponse au problème de l’emploi, et je pense à nos deux projets à Maubeuge et à Flins.

M. Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques. Une anecdote. En 1947, la ville de Nice a pris une délibération, pour fermer sa ville aux gros véhicules, étroitesse de ses rues oblige. L’idée d’encourager les petits véhicules était déjà présente.

Cela dit, je veux revenir sur l’harmonisation. En matière de stationnement, les collectivités locales ont un levier fort. L’acte III de la décentralisation et l’arrivée des autorités de la mobilité durable doit permettre de sortir du périmètre des villes, pour le périmètre des agglomérations. Comment imaginer, sur le dernier kilomètre de livraison, une ville qui encourage le véhicule électrique, une autre d’autres types de véhicules ? Un livreur doit pouvoir livrer tout le monde dans un même périmètre. Près de 30 % des véhicules qui circulent livrent des marchandises. À mon sens, de vraies pistes s’ouvrent aux petits véhicules électriques, pour répondre au dernier kilomètre industriel. C’est un sujet qu’il faut intégrer dans la réflexion industrielle des personnes et des marchandises.

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN. M. Ruch a parlé des véhicules à hydrogène, ressource qui s’intègre à un écosystème, servant à la fois au transport, mais aussi aux applications stationnaires, à la gestion et au stockage de l’intermittence des énergies renouvelables. Il s’agit donc d’un vecteur énergétique universel, qu’il faut prendre en compte dès maintenant.

M. Bernard Darniche. En vous écoutant, je me dis qu’il nous manque un outil de gouvernance, qui aurait pour définition d’amener à terme ce problème crucial de la mobilité sereine et durable. À force de segmenter les choses, on les oppose. Tant qu’on n’aura pas pris conscience qu’il faut un outil de gouvernance, qui reste à inventer, on n’avancera pas. J’utilise depuis longtemps une voiture électrique. En hiver, cependant, je passe d’une capacité électrique de 80 à 37 km. Comment rouler sans générateur embarqué ? J’utilise aussi une Smart, par conviction citoyenne, pour prendre le moins de place possible. Mais j’attends toujours qu’on me propose des tarifs de stationnement moitié prix, pour une voiture qui présente moitié moins d’encombrement. Un système de gouvernance devrait permettre d’intégrer toutes les demandes et de gérer toutes les offres, donc d’avancer.

M. Denis Baupin. Il faudra en effet faire des propositions dans ce sens. Il est logique que celui qui occupe moitié moins de place paye moitié moins cher.

M. Bernard Darniche. 80 % du temps d’une voiture est du stationnement.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l’étude de l’OPECST. Vous évoquez le sujet du stationnement sur l’espace public. C’est un sujet important au sein des entreprises.

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la recherche, de l’innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën. Les constructeurs automobiles sont force de proposition s’agissant de la mobilité durable, PSA Peugeot Citroën ayant la volonté de proposer un véhicule propre pour chacun. Une innovation, je le rappelle, ne se réduit pas à une invention. Encore faut-elle qu’elle rencontre son marché, des clients, qu’elle soit économiquement viable. Quels leviers actionner ? Réduire les émissions de CO2, c’est travailler sur les chaînes de traction, mais aussi l’allégement, l’aérodynamique, et l’utilisation de matériaux recyclables ou bio-sourcés. Dans les chaînes de traction, nombre de leviers sont à notre disposition – réduction de la cylindrée à puissance équivalente, technologies de stop and start, qui permettent de réduire jusqu’à 15 % les émissions. L’hybridation ? La technologie qu’on propose est puissante, permettant de parcourir de grandes distances. On vient de présenter une technologie inédite, essence et air comprimé, qui s’adresse plutôt à des véhicules type Peugeot 208 ou Citroën C3. Nous travaillons enfin sur l’hybride rechargeable.

Toutes ces innovations doivent rencontrer leur marché, étant entendu que nous sommes force de proposition.

Mme Fabienne Keller. M. Orfeuil a évoqué une soixantaine de véhicules innovants. Vous en décrivez un certain nombre à votre tour. Dispose-t-on d’une monographie de ces véhicules, monographie qui nous permettrait d’éclaircir le champ des possibles ?

M. Morald Chibout, directeur général d’Autolib’. En écoutant certains intervenants, j’ai l’impression que la voiture électrique n’existe pas, pas plus que le nouveau système de mobilité. Dois-je rappeler qu’on enregistrera 3 millions de locations d’ici la fin de l’année dans Paris et quarante-sept communes ? Près de 100 000 personnes auront utilisé une voiture électrique. Autolib’ existe, ne l’oublions pas. Ce système permet également de vous garer comme vous l’entendez. Les gens, chacun le sait, rencontrent de plus en plus de difficultés financières. La recette moyenne pour un client qui utilise Autolib’ pendant un an est de 500 euros, somme pas négligeable. Par ailleurs, chacun sait que le stockage de l’énergie va se poser et qu’il faudra gérer les pointes de capacité. Or, la batterie Borollé existe et n’est pas une utopie. Quant à l’autonomie, Autolib’ arrivera à 250 km, réalité intangible. C’est enfin une voiture propre, sans émission de CO2 et d’odeur. Autolib’ est une réalité, qui marche. Et c’est un groupe français qui emploie beaucoup de personnes.

Mme Fabienne Keller. Belle démonstration de marketing…

M. Gabriel Dabi-Schwebel. Les études mettent rarement en avant les cygnes noirs – les fameux black swans – et les changements. À mon sens, on ne dépassera pas les 1,2 milliard, dans la mesure où la location et l’auto-partage constituent un cygne noir, qui change radicalement le marché de l’automobile. J’ai les moyens de m’acheter une voiture. Cela dit, je ne compte pas en acheter, préférant Autolib’ ou d’autres formules. La voiture sans conducteur et la Google Car, en essai, changeront totalement le rapport à la voiture. Qui aura besoin de s’acheter une voiture alors qu’il pourra prendre en auto-partage une voiture qui se conduit toute seule, déplacer sa famille là où il veut, sans dépendre des horaires de train ? L’automobile doit être totalement repensée sur cette logique de partage et d’utilisation partagée. Les voitures ne doivent plus être pensées pour séduire un consommateur, mais pour être utilisées à plusieurs, comme les transports en commun individuels. La voiture sans conducteur, c’est demain.

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions publiques, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën. Permettez-moi de revenir sur les contraintes d’un constructeur automobile. Celui-ci s’adresse à un marché – un marché vaste – à des clients, à des attentes de mobilité totalement différentes. Il doit construire une offre diversifiée, qui doit répondre à un modèle économique viable. Il est donc normal que ce constructeur prenne en compte les besoins de mobilité d’un certain nombre de clients qui ne sont pas forcément des urbains vivant à Paris, là où existe le meilleur maillage de transports en commun dans le monde. D’autres besoins de mobilité doivent être satisfaits, qui correspondent à une aspiration profonde de nos concitoyens, à savoir la liberté d’aller et venir, la fluidité, les échanges, la rupture d’une certaine fracture sociale, liée à l’isolement. Tous ces éléments forgent la viabilité d’un système économique et industriel. Il n’y a pas que l’auto-partage, l’utilisation de la voiture en ville. J’ajoute que j’ai été très sensible aux propos de M. Darniche : il n’y a pas de guerre entre l’automobile et la société, mais une aspiration commune à une mobilité durable et sereine. Toutes les innovations réalisées en matière d’hybridation doivent permettre une nouvelle culture de la conduite, de la convivialité en ville, de la mobilité et de la capacité d’autonomie.

Mme Fabienne Keller. Nous sommes demandeurs d’études sociologiques ou de typologies qui nous permettraient de mieux cerner les besoins de déplacement.

M. Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile. Si l’on pense la mobilité de demain, on ne peut pas exclure de la réflexion les facteurs qui détermineront le choix des ménages dans leur mobilité quotidienne. Je veux parler du déterminant économique. Cette mobilité se fait sous contrainte économique. Les prévisions à horizon de dix ans montrent que le pouvoir d’achat restera sous tension. Il faut ajouter le poids constant des dépenses contraintes, celles du logement, de l’énergie et de la santé. Dit autrement, les marges de manœuvre que les ménages pourront consacrer à leur mobilité se réduiront au fil du temps. Cette mobilité sous contrainte économique devra donc être prise en compte dans toutes les propositions. Les nouvelles mobilités sereines et durables ? Elles devront être aussi économiques. Les aides publiques pour le véhicule électrique et l’hybride sont certes très importantes. Mais il faut réfléchir plus largement à toutes les autres modes de mobilité. Comment inciter économiquement tous les ménages à adopter des modes de mobilité sereine et durable ?

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW. Il faut éviter les faux débats. À côté des mobilités collective et individuelle, on voit le développement de l’auto-partage et de formes nouvelles d’utilisation de véhicules individuels. Cette évolution n’exclut pas l’usage classique d’un véhicule, sous forme d’achat ou de location. On assiste à l’émergence de nouvelles offres, de nouvelles attentes, étant entendu qu’on ne saurait substituer la notion d’auto-partage à celle de propriété. Imagine-t-on l’auto-partage d’une maison ?

Mme Fabienne Keller. Il y a la colocation des logements, phénomène qui interpelle.

M. Jean-Michel Juchet. Pour en revenir à l’usage de l’automobile, il ne faut pas sous-estimer le potentiel de l’électrique. Il trouvera sa place sur le marché par son attractivité. Une voiture électrique doit être sûre, dynamique, compacte. Elle offre d’ailleurs des possibilités d’architecture extraordinaire, une relation entre un gabarit extérieur et une habilité intérieure, que ne propose pas une voiture thermique. À la fin des fins, c’est l’appétence d’une voiture électrique qui déterminera sa position sur le marché. Mais il faudra aussi lever les freins à l’achat d’une voiture électrique, comme celui de l’autonomie, par adjonction d’un petit moteur thermique, pour étendre son usage au-delà des zones urbaines.

Débat

M. Jean-Pierre Orfeuil. Je veux rappeler quelques ordres de grandeur, pour ne pas en rester à une vision trop centrée sur le septième arrondissement… Au total, 40 % de la population française vit dans des zones peu denses, 40 % dans des zones qui ne sont pas des villes-centres permettant l’émergence de services. Tout ce qui circule au sein d’une agglomération représente 19 % de la circulation automobile, 81 % circulent ailleurs. Les départs en vacances, les grands week-ends ? Ils représentent 35 % du kilométrage en voiture. Un million de locations par an, dit M. Chibout. Mais près de 38 millions de déplacements se font par jour en Ile-de-France. Qui imagine que tous ces actifs iront tous les matins louer une voiture ?... Dans certains territoires, des services pourront se développer rapidement, Autolib’ faisant la preuve que circuler dans une voiture utilisée par d’autres est accepté.

S’agissant du business model, tout le monde appelle une collaboration entre les pouvoirs publics et les constructeurs. L’argent public est toujours lorgné. L’intérêt principal des petits véhicules, ce sont les économies de temps qu’ils font réaliser à leur conducteur et à la société. C’est une source de revenu qu’il ne faut pas oublier. La plupart des gens qui roulent en deux roues à Paris considèrent qu’ils peuvent amortir un véhicule supplémentaire par les gains de temps que leur procure leur véhicule. N’oublions donc pas le temps, le confort et l’argent dans le business model. Améliorer la dimension temps nous dispensera de dépenses publiques supplémentaires.

M. Bernard Darniche. Désir, envie et plaisir : ce sont trois mots fondamentaux dans le modèle économique de notre société. Désir de posséder, envie, plaisir de conduire… Il faut pouvoir en parler. En Allemagne, on ose dire les choses. Que les constructeurs automobiles ne l’oublient pas.

Mme Louise d’Harcourt. Le véhicule sans chauffeur a été évoqué. Ne confondons pas invention et innovation. À mon sens, il est essentiel d’avoir à l’esprit la problématique de la traduction industrielle des voitures de demain. La voiture sans chauffeur est pour demain, a dit un intervenant. Demain ? Soyons très clairs sur les agendas.

Mme Alexandra Crosseron. La jeune génération est beaucoup plus sensibilisée à la question de l’environnement. Elle est très sensible au véhicule électrique, aux nouveaux usages et à leur développement. Mais c’est un fait que la dimension du désir, de l’envie et du plaisir se conjugue mal avec le véhicule électrique, car on n’entend plus le ronronnement du moteur.

M. Bernard Darniche. Je roule dans un véhicule électrique par envie, désir et plaisir. Une fois qu’on a goûté à l’énergie électrique, on ne peut plus s’en passer.

M. Thibaut Moura, Club des voitures écologiques. Le Mondial de l’Automobile, tous les deux ans, rassemble des jeunes générations et des plus anciennes, preuve qu’il y a toujours une envie de l’automobile. Quant aux autoroutes, les véhicules électriques ou hybrides devaient avoir un avantage comparatif lorsqu’ils y circulent.

Mme Mireille Appel-Muller. M. Darniche incarne le plaisir de l’hyper choix. Le plaisir, aujourd’hui, c’est de pouvoir avoir accès à la mobilité adéquate, au moment qui convient. L’Institut pour la ville en mouvement a mené une enquête sur la possession et la location, montrant que les plus gros loueurs sont aussi les plus gros propriétaires. L’idée est d’avoir accès à toutes les modalités. Soit il y a hyperchoix, soit pas le choix (notamment du fait de l’absence de permis de conduire).

Mme Fabienne Keller. C’est-à-dire ?

Mme Mireille Appel-Muller. Celui qui possède le plus de voitures en loue aussi le plus souvent, prend souvent l’avion et utilisera tous les moyens de transport à sa disposition. Il peut choisir ses modes. Il existe donc un marché potentiel, celui d’offrir différents produits, mais aussi différents services. Certains ont les moyens d’avoir une petite voiture en ville, une grosse pour l’autoroute ; d’autres sont assignés à résidence. Il y a aussi le plaisir de la place arrière. Beaucoup auront de plus en plus besoin de ces services de mobilité : les jeunes, les moins jeunes, ceux qui apportent du service à domicile. On est face à une multiplicité d’usages et d’accompagnements. On a parlé des taxis, les premiers services de mobilité en ville. Sans doute gagnerait-on à penser à tous ces différents usages.

M. Gabriel Dabi-Schwebel. Les projets d’auto-partage peuvent aussi se faire à la campagne. J’ai ainsi travaillé avec la Région Alsace sur des projets d’auto-partage entre deux agglomérations. Désir, envie et plaisir : rappelons qu’un des rares succès marketing récents dans l’automobile français est celui de Dacia, qui n’a pas repris les codes classiques de l’automobile, au profit de la fonctionnalité et d’une efficacité en termes de coût. C’est un succès très remarquable.

Mme Fabienne Keller. Quels sont les éléments du succès ?

M. Gabriel Dabi-Schwebel. Les consommateurs qui ont acheté des Dacia ne cherchent pas que le désir, l’envie et le plaisir, mais la fonctionnalité : une voiture qui offre la possibilité de se déplacer en toute liberté, pour un prix raisonnable, sans excès de superflu, en se concentrant sur l’essentiel : un volant, un levier de vitesse, une pédale d’accélération et de la place pour les bagages. C’est ce qu’offre Dacia.

Mme Virginie Boutueil, École des Ponts Paritech. Je suis originaire d’un village de 900 habitants. J’ai passé mon permis de conduire à dix-huit ans, et roulé 20 000 km par an par plaisir, pendant mes premières années. J’habite désormais à Paris : j’ai toujours le même plaisir à conduire une automobile, mais je n’en possède pas. Le plaisir, c’est le choix de ne pas attendre un taxi, d’utiliser une voiture quand on en a besoin, la voiture faisant plus de sens que tous les autres modes de transport, ce qu’offre Autolib’. Dans mon village d’origine, la perception de la voiture a changé : le covoiturage s’organise, le coût du carburant étant devenu prohibitif. Il est donc important de faire des typologies lorsqu’on aborde ce type de sujet.

M. Bernard Darniche. Entrave à la mobilité, dites-vous, qui amène à une assignation à résidence. À force d’avoir cette philosophie de culpabilisation de l’automobile en général et de la mobilité en particulier, on finit par inventer des systèmes fiscaux confiscatoires, culpabilisants intellectuellement, qui amènent à la catastrophe que connaît la France en matière de mobilité.

M. Denis Baupin. Qu’est-ce qui est le plus efficace en ville ? À Paris, l’usage du transport collectif est largement plus performant que l’usage de l’automobile, ce qui m’amène à poser la question de la forme de l’automobile. Je ne cherche pas à culpabiliser l’usager mais j’interpelle les constructeurs : ce qu’on offre aux consommateurs correspond-il à leurs besoins ? La voiture coûte cher, dites-vous, à cause de la facture du carburant. Dès lors que l’on sait que le prix du carburant ne baissera pas, la question de la consommation du véhicule est un élément entre les mains des constructeurs. Du reste, pourquoi continue-t-on à trouver sur le marché des véhicules dont le compteur va jusqu’à 190 km/h et plus, alors même que la vitesse est limitée à 130 km/h et qu’une telle puissance coûte beaucoup plus cher à l’usager ? C’est prendre en otage beaucoup d’automobilistes, obligés de dépenser beaucoup d’argent pour faire tourner un moteur bien trop puissant par rapport à leur besoin. Je prends la défense de ces automobilistes plutôt que de les culpabiliser.

M. Jean-Michel Juchet. La puissance est aussi un facteur de sécurité active : dépassement, manœuvre d’évitement…

M. Jean-Claude Bocquet. C’est moins la puissance qui compte que le couple, qui fera l’agrément de conduite. Le paradoxe est qu’à vouloir diminuer fortement les consommations, on augmente la vitesse maximale. Or, les constructeurs ne recherchent pas la vitesse maximale, mais le confort de conduite. Pourquoi un véhicule électrique est-il agréable en ville ? Parce que le couple à bas régime est très bon, alors que la puissance est moyenne. L’agilité de conduite en ville est excellente.

Mme Emilie Brénot. On nous culpabilise sur la voiture à essence. En matière de voiture électrique, de gros efforts doivent être fait sur l’envie, et non sur le besoin. Le Trophée Andros est un bon exemple.

M. Ismaïl Lahlou. On conduit par plaisir, il ne faut pas l’oublier, pour avoir une sensation de vitesse et de prise de risque.

M. Denis Baupin. Nous approchons de la conclusion. Je suis pour le plaisir. Mais quel est le coût collectif et individuel de la surpuissance et du plaisir ? Le choix n’est pas vraiment donné aux gens. Quel plaisir d’avoir une puissance qu’on ne peut pas utiliser lorsqu’on conduit l’essentiel du temps en ville ? Quel est le coût en matière de pollution, d’accidentologie ? Tous ces éléments devraient être posés, pour faire un choix éclairé. Est-ce uniquement sur la base des enquêtes d’opinion faites par les constructeurs automobiles que les choix doivent être faits ? Doivent-ils être réalisés plus collectivement ? Y a-t-il une diversité des véhicules proposés en fonction des désirs des uns et des autres ? À mon sens, cette diversité n’existe pas sur le marché. Je suis très heureux de l’existence du Twizy. Pourquoi n’occupe-t-il la même place dans l’imaginaire que d’autres types de véhicule ? Bref, comment, sans perdre le plaisir, l’envie et le désir, faire la promotion d’autres types de véhicules, plus compatibles avec l’intérêt collectif ? C’est l’intérêt de notre rapport.

M. Hervé Pichon. Dans les faits, il existe une très grande offre d’automobiles en Europe. L’offre n’est pas restreinte.

M. Denis Baupin. Parmi celles-ci, combien sont bridées à 130 km ? Très peu…

M. Hervé Pichon. C’est un autre débat… N’oubliez pas le marché, la demande des consommateurs.

M. Denis Baupin. L’offre n’est pas riche, mais calquée sur le même modèle. Vos voitures se ressemblent toutes…

Mme Fabienne Keller. Pour conclure, après M. Denis Baupin, je soulignerai que nous avons bien entendu les pistes de régulation évoquées par M. Marzloff, relevé la question du défi industriel, du comportement des citoyens, et les questions d’agenda des politiques publiques. Ce sont trois dimensions qu’il faudra rendre cohérentes si l’on veut avancer. Entre soixante et cent vingt véhicules originaux ont été cités : je propose qu’on en établisse le catalogue en France et ailleurs, les pays qui ont moins de moyens que nous trouvant souvent des solutions plus robustes et économes. On a aussi parlé du droit à la mobilité, idée tout à fait intéressante, vrai sujet d’ouverture de la société. Les questions réglementaires ont été évoquées à plusieurs reprises, point qu’il faudra étudier de près, comme ceux qui touchent au droit des voiries et au parking. Il faudra qu’on approfondisse les enjeux de qualité de l’air et de changement climatique, d’envie, de plaisir et de désir. Nous avons enfin évoqué l’intérêt des centrales de mobilité, ces lieux où l’on ferait converger toute l’information. Bref, voilà une grande palette de sujets, que nous aurons à approfondir dans nos prochaines auditions.

Mesdames et messieurs, je vous remercie.

ANNEXES

ANNEXE 1 :
CONTRIBUTION DE MME DANIELLE ATTIAS,
PROFESSEURE À L’ÉCOLE CENTRALE DE PARIS

Quels sont les besoins en mobilité et comment vont-ils évoluer ?

Sous l’influence de quels facteurs ?

Une certitude : le changement vers l'électro-mobilité sera une véritable révolution.

Penser les besoins de mobilité de demain suppose la prise en compte de nombreux facteurs technologiques, énergétiques, socio-économiques, environnementaux dans un contexte de mutation sociétale qui dépasse largement le champ de l’industrie automobile. Les hypothèses d’évolution de la mobilité sur les vingt prochaines années et la place des véhicules dans le marché sont souvent contradictoires. Au-delà de toutes les incertitudes technologiques et économiques, l’affirmation la plus acceptée est que le développement de l’électro-mobilité va entrainer un bouleversement complet des services de mobilité urbaine pour le déplacement des usagers. La première question posée est celle de la caractérisation de ce changement. S’agit-il d’une évolution du système de la mobilité ? D’un changement de business model technologique et socio-économique ? De l’émergence d’un nouveau paradigme ? À l’évidence, penser la mobilité de demain, c’est penser la ville de demain et le mode de vie futur de ses habitants.

L’analyse des besoins en mobilité doit donc intégrer non seulement la rupture technologique, mais aussi une mutation des usages, des comportements et des positionnements des différents acteurs.

Tout d’abord, parce que le rapport à la voiture change : objet de plaisir et symbole de réussite sociale, la voiture est davantage évaluée aujourd’hui sur son utilité. Ainsi, le budget automobile pèse-t-il de plus en plus lourd pour les ménages (carburant, entretien, assurance) et, dans le même temps, la voiture porte une image négative dans les villes et au regard de l’écologie : encombrement de l’espace, embouteillage, pollution.

Le paradigme industriel défini par les constructeurs de véhicules thermiques destinés, en toute propriété, à des consommateurs de masse, doit être revisité pour mettre en place des stratégies orientées clients. En effet, posséder un véhicule, en particulier dans les grandes villes, n’est plus une nécessité pour se déplacer dans les centres urbains et la périphérie. Des modes alternatifs de mobilité existent (transports en commun, services de co-voiturage, auto-partage, Autolib’, etc.) et sont bien intégrés par différentes catégories socio-professionnelles et différentes classes d’âge.

Des études montrent que l’achat d’un véhicule neuf se fait tardivement (autour de 50 ans) et qu’un seul jeune adulte sur trois est propriétaire d’un moyen de déplacement (voiture ou moto ou vélo) ; une autre étude montre également comment le rapport à des objets de consommation « traditionnels » tels la voiture et la télévision change et que la réussite d’un jeune dans des cycles d’études supérieures est en lien avec un milieu familial qui a fait le choix de n’être propriétaire ni d’une voiture ni d’un téléviseur.

Par ailleurs, les problématiques énergétiques contraignantes et la limitation de ressources disponibles abordables s’imposent à tous. Cette prise de conscience ouvre la voie à des choix « citoyens » que ce soit dans les modes alternatifs de mobilité et à des choix industriels dans la motorisation (par exemple, moteur hybride ou électrique).

Cependant, la question de l’acceptabilité par le client de ce nouveau modèle économique et écologique n’est pas si simple et ceci pour de nombreuses raisons. Le véhicule électrique ou hybride ne décolle pas et interroge les conditions et les contextes d’usage des véhicules par les clients ainsi que la technologie proposée. Faut-il repenser l’offre actuelle de véhicules électriques/hybrides en France qui n’a pas encore trouvé son marché ?

En résumé, l’autonomie de déplacement reste un frein (de l’ordre de 100 à 250 kms) car l’usager n’est pas encore suffisamment assuré de la disponibilité des points de recharge pour son véhicule sur son parcours de déplacement, ce qui suppose la participation active des acteurs publics pour la mise en place et la disponibilité d’un réseau électrique très maillé de puissance significative.

Une autre contrainte forte s’impose à l’usager, celle du temps de la recharge (qui peut atteindre 8 h dans le cadre d’une charge maximale) et de la nécessité de coupler cette fonctionnalité avec un système de communication évolué. Ce type d’innovation offre toutes les informations utiles au client : l’état de charge de sa batterie, le trafic, la disponibilité des bornes de recharge, le temps pour effectuer sa recharge, etc. Or, cette innovation « radicale » en transformant l’interface traditionnelle entre la voiture et son usager crée, dans le même temps, une interaction structurelle et systémique entre la ville, l’énergie et l’information.

ANNEXE 2 :
CONTRIBUTION DE M. JEAN-PIERRE ORFEUIL,
INSTITUT POUR LA VILLE EN MOUVEMENT

Pourquoi faut-il des petits véhicules urbains à forte urbanité ?

Comment les développer ?

La ville est un lieu d’attentes et d’injonctions contradictoires. On souhaite des villes non polluées, aux circulations apaisées, mais aussi des villes denses, vibrantes, multifonctionnelles, lieux de création de richesses et lieux de protection contre le chômage grâce à la diversité des activités et au dynamisme métropolitain. On souhaite diminuer les circulations au nom de l’apaisement ou de consommations d’énergie excessives et faciliter les flux indispensables au dynamisme.

Les travaux de prospective urbaine menés par les étudiants de quinze villes des mondes développé et émergent réunis par l’Institut pour la Ville en mouvement (Urbanisme n° 385) convergent autour d’une attente commune. Ils cherchent à concilier la lenteur et la convivialité (procurée par la domination de modes doux dans l’espace public local) dans des « villages urbains », reliés entre eux par des systèmes plus rapides, la plupart du temps collectifs.

On a cru trouver une solution en incitant au report de la voiture vers les transports collectifs. Cette solution « marche » quand la performance des transports publics (notamment en termes de temps de parcours) est comparable à celle de la voiture, ce qui est parfois le cas (lorsque les systèmes ne font pas trop de « cabotage ») pour les déplacements à destination des centres, ce qui est rarement le cas pour les déplacements entre banlieues, de plus en plus nombreux. En outre, même à destination des centres, on observe un développement notable d’autres modes, dont les vélos et les deux-roues à moteur lorsque les circulations en voiture et le stationnement deviennent plus difficiles. Leur part dans les déplacements a été multipliée par 5 à Paris en 15 ans, et a presque doublé dans les villes grandes villes en région. Les ventes de vélos à assistance électrique ont plus que doublé en 4 ans, mais notre pays reste loin derrière les Pays-Bas et surtout la Chine (20 millions de ventes annuelles dans ce pays). Le développement de l’usage de ces moyens a l’intérêt de signaler les besoins d’autonomie des individus et un certain détachement à l’égard de la voiture. Si l’on admet que l’action publique réussit d’autant mieux qu’elle surfe sur des attentes ou des vagues comportementales spontanées, on a là des éléments très favorables au développement de véhicules beaucoup plus légers et moins encombrants que des voitures en ville, qui ne présenteraient ni les limites des vélos (adaptés seulement aux déplacements courts), ni celles des scooters et motos (dangereux et nuisants)

Les constructeurs de véhicules sont conscients de cette situation, et une étude de Frost et Sullivan recense pas moins de 135 projets de véhicules adaptés aux « micromobilités » (mobilités urbaines) à horizon 2020, dont 110 chez les grands constructeurs et près de 60 disponibles dès 2015. Ils sont toujours moins encombrants, en circulation et en stationnement, que la voiture, la plupart du temps mus à l’électricité, mais ont de une à quatre roues et des vitesses de pointe assez différenciées. Une étude de mobilité effectuée sur l’Île-de-France (Massot et coll., 2010) visant à identifier les ordres de grandeur des potentiels d’usage de l’automobile substituables par des moyens ayant des caractéristiques proches de celles des scooters électriques, et de portée limitée à 30 km par jour donne par ailleurs des résultats encourageants. Techniquement (c’est-à-dire sans considérations économiques), les deux tiers des automobilistes (à l’origine d’un tiers des circulations automobiles) pourraient réaliser leurs déplacements avec ces véhicules. Par comparaison, les potentiels correspondants pour le vélo sont estimés à 20 % des individus et 5 % des circulations. Les possibilités de substitution des circulations automobiles par des vélos à assistance électrique et des cyclomoteurs électriques se situeraient entre 5 et 30 %, tandis que des véhicules électriques à 3 ou 4 roues, mais toujours de faible largeur, pourraient présenter un potentiel plus élevé car leur portée (limitée pour les véhicules à deux roues par l’inconfort de la situation de conduite) pourrait excéder 30 km par jour. Lorsqu’on intègre des considérations économiques (dont les surcoûts d’amortissement), le potentiel de réduction des circulations chute d’un tiers à un cinquième environ. Il peut être restauré si des politiques de stationnement (certitude d’avoir à payer un ou deux euros de l’heure) et de réparation renchérissent sélectivement le coût d’usage de la voiture.

Malgré ces éléments favorables, ces véhicules ont un autre point commun que n’évoque pas l’étude citée : ils sont condamnés à l’échec commercial, malgré leur intérêt pour les mobilités urbaines, si des politiques publiques ambitieuses ne sont pas mises en œuvre. Quatre raisons au moins expliquent ce pessimisme. La diversité des propositions impliquera le maintien de prix élevés du fait de séries insuffisantes. Ces prix inciteront les ménages à conserver l’usage de voitures généralistes, dont le coût est « rentabilisé » par la superposition d’usages urbains et d’usages à plus longue distance, car les économies de carburant ne suffisent pas à équilibrer les surcoûts liés à un véhicule supplémentaire. Dans ces conditions, les filières d’entretien et de réparation ne s’y intéresseront pas ; enfin, leurs moindres performances en termes de protection de leurs usagers constitueront un facteur dissuasif supplémentaire si des politiques actives de sécurité routière adaptées à ces usagers ne sont pas mises en oeuvre localement par les collectivités.

Ces observations montrent que des offres alléchantes, bien qu’elles soient en phase avec les attentes des usagers et des collectivités publiques, ne suffiront pas à faire émerger un marché autre que de niche. Seule une politique publique ambitieuse dans ses objectifs, tout en restant modérée dans les moyens financiers mis en œuvre, nous paraît pouvoir faire émerger un marché de masse. En nous inspirant de ce qui a été conduit par La Poste, nous l’esquissons
ci-dessous.

Les responsables des grandes villes et grandes régions métropolitaines d’Europe se réunissent pour concevoir le cahier des charges d’un appel d’offre pour des « petits véhicules à forte urbanité », à soumettre aux industriels européens de l’automobile, des motocycles et des cycles. Les caractéristiques de base sont les suivantes : une ou deux places, une largeur et un poids nettement moindres que les citadines classiques, une propulsion électrique, une vitesse de pointe limitée à 60-70 km/h. Des caractéristiques légèrement différentes peuvent être adoptées pour des véhicules adaptés aux livraisons urbaines de proximité, la « logistique du dernier kilomètre ». Le cahier des charges est accompagné de l’énoncé d’une politique d’engagements d’achats annuels, limitée dans le temps, par ces collectivités. Les réponses des constructeurs portent sur les caractéristiques techniques des véhicules, les prix en fonction des volumes d’achat, les engagements en matière de service après-vente. Les collectivités sélectionnent un petit nombre d’offres pour favoriser les effets de série. Les véhicules qu’elles achètent peuvent être utilisés par leurs services, proposés en libre-service à leurs administrés, loués au mois ou en location de longue durée, ou vendus. Elles conçoivent un écosystème favorable à leur usage et à sa sécurité (exploitation routière orientée « circulation apaisée » et stationnement, réseau d’entretien et de réparation) et « sévérisent » progressivement l’usage de la voiture (stationnement par exemple). Elles s’assurent que les grands gestionnaires de parcs de stationnement privé (employeurs, grand commerce, parcs de rabattement) offrent des priorités d’usage, et demandent à l’état un soutien dérivé de celui pour voitures électriques. À cette fin, elles organisent un forum permanent des utilisateurs pour tout ce qui concerne les problèmes techniques liés aux véhicules, et surtout pour adapter la gestion du réseau viaire, notamment du point de vue de la sécurité, à ces nouveaux véhicules.

Références :

- Dossier « La fabrique du mouvement », revue Urbanisme, n° 385, été 2012 ;

- Frost et Sullivan, 20 mars 2012, Passenger Car OEMs to Offer Next-Gen Sustainable Commutes via Micro-Mobility Solutions ;

- Massot M.H., Orfeuil J.P., Proulhac L., 2010, Quels marchés pour quels véhicules urbains, TEC n° 205, 2010.

ANNEXE 3 :

CONTRIBUTION DE M. JEAN-CLAUDE BOCQUET,

PROFESSEUR À L’ÉCOLE CENTRALE DE PARIS

Quelle est la vision des besoins de mobilité selon l’industrie ?

À quels autres besoins répond-elle ?

Deux constats :

Aujourd’hui, 25 % des adultes, des « conducteurs » ont plus de 65 ans (à horizon 2050, ils seront de l’ordre de 50 %).

Bientôt 80 % des personnes habiteront les villes :

- ils consommeront dans les villes (besoin d’approvisionnement croissant des villes) ;

- la disponibilité des surfaces habitables va poser problème (problème d’emprise des surfaces de parking) ;

- l’évolution du prix des parkings suit celui des logements (problème d’accès au logement).

Les besoins en termes de mobilité ne peuvent aller qu’en croissant (principalement dans les villes).

Deux scénarios :

Sur le court terme : continuer à développer l’hybride (y compris hydrogène) pour une autonomie inter villes et un déplacement électrique en ville mais avec un gros effort de recherche sur les structures véhicule pour une réduction drastique des masses (une 405 faisait 1 000 kg, une C5 1 700 kg, aujourd’hui, un moteur moderne et des pneus modernes sur l’équivalent d’une AX d’antan donnerait de suite des consommations inférieures à 2 litres aux 100 km) et une modularité (adaptabilité au besoin : roue intégrée Michelin).

Sur le long terme : développer l’hydrogène (pile à combustible) pour les déplacements inter villes et en parallèle le tout électrique sans conducteur en ville :

Les voitures de ville sans conducteur :

- pourront être appelées par internet en bas de chez soi pour une adresse choisie dans la ville où en périphérie pour prise d’un véhicule inter villes ;

- permettront, durant la mobilité, de ne rien piloter et de contrôler, donc d’être disponible pour toute autre activité à l’intérieur du véhicule ;

- autogèreront leur énergie (rechargement…), leur besoin de maintenance ;

- seront des véhicules ultralégers (de 1 à 4 places, voire d’utilitaires) n’ayant pas à résister à un choc (parc homogène à une ville de véhicules communicants) ;

- auront très peu d’emprise foncière dans la ville (seule occupation des voies de circulation en fonction des flux circulants) ; leur stationnement se fera en périphérie des villes en attente de circulation.

ANNEXE 4 :

CONTRIBUTION DE M. ALAIN MEYERE,

DIRECTEUR DU DEPARTEMENT MOBILITE ET TRANSPORTS

DE L’INSTITUT D’AMENAGEMENT ET D’URBANISME IDF

Automobile et route en Île-de France :

le « peak-car » est-il derrière nous ?

Cette présentation a pour but de mettre en lumière et de quantifier un grand changement de tendance qui s’est opéré récemment dans le domaine de la mobilité : « le peak car ». C’est-à-dire que l’utilisation par individu de l’automobile aurait atteint son maximum et commencerait maintenant à décroître.

Pour quantifier ce changement, il a été choisi de comptabiliser le nombre de déplacements par personne et par jour car cela permet de mieux rendre compte des activités humaines. En effet, le principal intérêt du transport est bien de rendre possible des interactions entre êtres humains : travail, loisir, commerce… On comprend donc que le nombre de déplacement par personne est une variable qu’il faut maximiser pour enrichir la vie des citoyens. Ce n’est pas forcément le cas pour d’autres variables telles que le nombre de kilomètres quotidien et le temps passé dans les transports.


À l’application de cette méthode, un premier constat nous frappe : Depuis 2001, la part modale de la voiture en Ile de France diminue au profit des transports en commun, des deux roues et surtout de la marche. La voiture jusqu’alors en constante progression semble donc en recul. Certains argumenteront que cette diminution d’usage est due principalement aux changements de comportement de quelques franges de la société et ne reflètent pas la réalité d’un certain nombre de citoyens. Nous allons ici prouver le contraire.


Tout d’abord par type d’activité : On constate que la mobilité automobile diminue bien pour la population en générale et pour tous les types à l’exception des retraités. Des jeunes aux actifs seniors, tout le monde semble avoir réduit son utilisation de l’automobile.



L’exception des retraités peut s’expliquer par un effet générationnel. Les personnes âgées font partie d’une génération qui a toujours utilisé l’automobile durant sa période d’activité et ne changera pas ses habitudes une fois à la retraite. À l’inverse, les jeunes semblent moins désireux de conduire une automobile que ne l’étaient les retraités durant leur jeunesse. Il faut néanmoins nuancer cet avis car la plus faible part de jeunes détenant le permis de conduire peut s’expliquer par des difficultés financières, véritable barrière à l’accès au permis.

Enfin, le peak-car n’est pas non plus uniquement dû à des comportements urbains. Nous constatons ici que toutes les zones d’Ile de France voient la part de la voiture se tasser. Le peak-car est donc une réalité qui nous affecte tous : la voiture semble de moins en moins attractive comparée aux autres modes de transports et nos habitudes s’y adaptent.

En conclusion, on peut citer les nombreux projets urbains en cours de réalisation qui témoignent du transfert modal qui s’opère au détriment de la voiture et viennent renforcer l’analyse que nous tirons des chiffres précédents: réaménagement des voies sur berge rive droite, le réaménagement du boulevard circulaire à la défense ou le projet de transformation de l’autoroute A4 en avenue.

Cette transformation profonde et inédite de la manière dont nous nous déplaçons est internationale et doit être prise en compte tant par les constructeurs que par les élus locaux. Les uns devant se poser la question de vendre de la mobilité plutôt que des véhicules et les autres de repenser leurs politiques d’aménagement du territoire.

Compte rendu de l’audition publique du 19 mars 2013

Enjeux techniques pour la mobilité de demain

PROGRAMME ET INTERVENANTS

LE GRAND ENJEU DE L’ÉNERGIE

Les diverses sources d’énergie

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologies Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten à Grenoble (Agro-carburant)

M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France

M. Dominique Herrier, IFP énergies nouvelles

M. Alain Jeanroy, directeur général, Confédération générale des betteraviers

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français du butane et du propane (CFBP)

M. Gérard Planche, responsable de projet véhicules électriques, General Motors France

M. Philippe Schulz, expert-leader Environnement, Énergie et Matières premières, Renault

M. Yann Tremeac, chef de service adjoint du service transport et mobilité, ADEME

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2

Gaz à effet de serre et impact sur le climat

M. Hervé Casterman, directeur Environnement et Climat à la direction Développement durable, GDF-Suez

M. Stephen Kerckhove, délégué général, « Agir pour l’environnement » (APE)

M. Denis Voisin, chargé de mission mobilité durable, Fondation Nicolas Hulot

Mme Lorelei Limousin, chargée de mission Climat-Transports, Réseau-Action-Climat (RAC)

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d’économie des transports (CNRS, Université de Lyon)

Mobilité et habitation

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN

M. Bernard Frois, président du groupe des Représentants des États-membres de l’Union européenne auprès du JTI Hydrogène

Interventions transversales

M. Jean-Claude Bocquet, École Centrale Paris

M. Alexandre Bouchet, directeur associé, E-Cube

M. Alain Dollet, Institut des sciences de l’ingéniérie et des Systèmes (INSIS), CNRS

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell

M. Mohamed Gabsi, ENS-Cachan

M. Sébastien Grellier, chef de département planification et relations extérieures, Toyota France

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l’air, ADEME

M. Robert Gresser, directeur de l’innovation, Solvay Rhodia, projet vitesse²

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën
M. Alain Jeanroy
, directeur général, Confédération générale des betteraviers

L’ENJEU INCONTOURNABLE DE LA POLLUTION

Impacts sur la santé

M. Frédéric Bouvier, Laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA)

M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé

M. Carlos Dora, coordinateur santé publique, département environnement, Organisation mondiale de la santé (OMS)

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l’air, ADEME

M. Bernard Jomier, médecin des quartiers engagé contre la pollution

La vision des constructeurs

M. Sébastien Grellier, chef du département Planification et Relations extérieures, Toyota France

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route »

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France

Gaz, pollution, environnement

M. Gilles Durand, secrétaire général, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV)

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane

Les réflexions des ONG

M. Sébastien Vray, président de Respire

M. Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement (APE)

Débat

Mme Laurence Rouïl, responsable du pôle « Mobilisation environnementale et Décision », INERIS

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France

M. Michel Vilatte, président de la Fédération des Syndicats de la Distribution Automobile (FEDA)

M. Bertrand Hauet, Mov’eo

M. François-Marie Bréon, chercheur, Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement

QUELLES SOLUTIONS PRATIQUES PROPOSER AUX CONSOMMATEURS ? QUELS SONT LES FREINS ACTUELS AU DEVELOPPEMENT DES CARBURANTS ALTERNATIFS ET D’AUTRES SOLUTIONS ?

Le véhicule électrique et son autonomie ; emplacement et accès aux points de recharge

M. Philippe Hirtzman, chargé de mission « Déploiement d’infrastructures de recharge électrique pour les véhicules » (MRP/MEDDE)

M. Daniel Moulene, président directeur général de Lumeneo

M. Eric Fuzeau, responsable commercial de Mia Electric

Mme Elisabeth Windisch, laboratoire Ville-Mobilité-Transport, École des Ponts Paristech

M. Joseph Beretta, président, AVERE-France

M. Chris Orion, chef de projet, Bosch Automotive Service Solutions

M. Thomas Orsini, directeur du business development du véhicule électrique de Renault

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route »
Mme Dominique Dujols
, directrice institutionnelle de l’Union sociale pour l’habitat

Les véhicules à pile à combustible

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN

M. Paul Lucchese, directeur de la recherche scientifique, CEA, et vice-président d’AFHYPAC

M. Bernard Frois, président, Comité des États membres du JTI FCH (expérience européenne de déploiement des infrastructures hydrogène).

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell

Le développement de filières pour les agro-carburants, 1ère, 2ème, 3ème générations

M. Sylvain Demoures, Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA)

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologie Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten (Agro-carburant).

M. Pierre Trami, responsable des activités mobilité durable à la direction de la stratégie et des finances de GrDF (GNV et collectivités locales)

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France

Mme Angélique Michel, directrice adjointe, GNVERT

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d’économie des transports (CNRS, Université de Lyon)

L’adaptation de l’offre aux besoins

M. Georges Amar, ingénieur, écrivain, ancien directeur de la prospective à la RATP

M. Laurent Schmitt, vice-président Stratégie et Innovation, Alstom Grid, membre de Systematic (pôle de compétitivité).

M. Frédéric Storck, directeur gestion de l’énergie, Compagnie nationale du Rhône

M. Chris Orion, chef de projet, Bosch Automative Service Solutions

M. Bernard Julien, ENS-Cachan

M. Claude Ricaud, Schneider Electric

L’ORGANISATION ACTUELLE DE LA FILIERE AUTOMOBILE PERMETTRA-T-ELLE DE REPONDRE AUX FUTURES EVOLUTIONS DU MARCHE ?

M. Franck Cazenave, directeur marketing et innovation, Bosch France

M. Alain Dollet, Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (INSIS), CNRS

M. Jacques Chauvet, directeur général, Mov’eo

M. Guillaume Devauchelle, directeur recherche et développement, Groupe Valeo

M. Christophe Aufrère, directeur de la stratégie des technologies, Faurecia

M. Yves Riou, Fédération des syndicats de la distribution automobile (FEDA)

M. Arnaud de David-Beauregard, vice-président en charge des opérations, Fédération des industries d’équipements de véhicule (FIEV)

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route »

M. Philippe Cholet, délégué affaires commerciales et économiques, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën

M. Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS (IDHE-ENS de Cachan)

M. Daniel Moulène, président directeur général de Lumeneo

Mme Danièle Attias, professeur à l’École centrale Paris, titulaire de la Chaire Armand Peugeot.

CONCLUSION

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur

AUDITION PUBLIQUE DU 19 MARS 2013 :
ENJEUX TECHNIQUES POUR LA MOBILITÉ DE DEMAIN

Propos introductifs

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’Opecst. Mesdames et Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de nos rapporteurs, que je salue, pour cette deuxième audition concernant le véhicule écologique. Nous nous retrouvons pour la deuxième série de quatre auditions publiques consacrées au thème des nouvelles mobilités sereines et durables, dans le cadre du travail de nos collègues Mme Fabienne Keller et M. Denis Baupin.

La première audition s’est déroulée le 14 février dernier, et elle a abordé la question des besoins de mobilité et leurs évolutions possibles à l’avenir. Saisis d’une demande d’étude sur le développement des véhicules écologiques, les rapporteurs ont en effet voulu élargir l’objet de leur travail aux enjeux sociétaux de la mobilité, et permettre ainsi la rencontre entre diverses disciplines susceptibles d’enrichir leur démarche. Je pense que cette ouverture du rapport est une très bonne chose.

L’analyse de l’évolution de la demande de mobilité ne doit toutefois pas occulter celle de l’offre technologique qui pourrait y répondre. C’est pourquoi l’audition d’aujourd'hui est consacrée aux enjeux techniques de la mobilité de demain.

Cette question fait partie des sujets de préoccupation récurrents de l’Office, puisqu’elle avait été traitée, en 2006 déjà, par nos anciens collègues les députés Christian Cabal et Claude Gatignol, dans le cadre d’un rapport sur la définition et les implications du concept de voiture propre. Vous voyez que l’Office parlementaire est toujours en amont des sujets. Ce rapport examinait déjà diverses options susceptibles de rendre le véhicule du futur moins polluant. Ce rapport a fait date, mais la rapidité de l’évolution technologique, et je dois dire les effets de la crise également, et du renchérissement des hydrocarbures, rendent indispensable le réexamen aujourd'hui de cette question.

Comme on le verra, les transports sont indissociables d’un autre enjeu devenu central dans le débat public, celui de l’énergie. En effet, les transports représentent près d’un tiers de la consommation finale d’énergie en France, et cette part a d’ailleurs fortement augmenté en quatre ans. Ce secteur constitue donc un levier essentiel pour répondre aux défis environnementaux et géopolitiques de l’énergie. L’accroissement de la sobriété et de l’efficacité énergétique, le développement de sources d’énergies moins polluantes, y trouvent un terrain d’application primordial.

Les paramètres économiques doivent également être intégrés à la réflexion. Ainsi a-t-on pu lire récemment que la plus grande compagnie ferroviaire des États-Unis envisageait de faire rouler ses locomotives au gaz naturel, ou au gaz de schiste, plutôt qu’au diesel, en raison de la modicité du prix de ce gaz à l’heure actuelle outre-Atlantique.

Au-delà du grand enjeu de l’énergie, les questions qui seront abordées au cours de cette journée seront multiples. Quelles sont les filières les plus prometteuses et à quelle échéance ? Comment inciter à leur développement ? La filière automobile y est-elle préparée ? Enfin, quels sont les défis technologiques et industriels qui restent à affronter à l’avenir ?

Je vais maintenant laisser le soin aux rapporteurs de vous présenter plus en détail cette journée qui s’articulera autour de quatre tables rondes. Je vous remercie.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. Notre réflexion se veut globale, ce qui rend le sujet très vaste. Nous avons l’ambition d’aborder tous les aspects de ce sujet, c'est-à-dire de croiser les évolutions sociétales et l’apparition des nouvelles technologies, mais aussi leurs pratiques, leur appropriation, par nos concitoyens. On ne peut plus parler de ces techniques sans s’intéresser aux nouvelles tendances du marché et aux modifications de comportement.

Ces comportements sont différents selon l’époque, le genre, l’âge, le lieu de résidence, la profession, le rythme de vie. C’est pourquoi je me permets de rappeler ici une piste de travail, et nous sommes très demandeurs d’analyses sur ce sujet, sur la typologie des besoins de déplacement en fonction de ces différents éléments. Où est-ce que j’habite ? Quel est mon rythme de vie ? Quel est mon comportement vis-à-vis des déplacements ?

La première audition publique a mis en évidence de nouveaux besoins : nouvelles formes de mobilité, nouvelles formes de partage du véhicule, besoins d’appropriation de nouveaux services, besoins de services publics et de règles d’usage du véhicule.

Ces besoins, nous avons commencé à les croiser avec les projets des constructeurs, mais nous allons surtout continuer aujourd'hui. C’est la condition du réalisme, d’autant que le contexte auquel est confrontée aujourd'hui la filière automobile nous inquiète, puisque c'est la première industrie française. Et donc, elle est porteuse d’emplois. Cet aspect devra aussi être traité.

Nous avons veillé à donner la parole à tous les constructeurs qui le souhaitaient, et je les remercie d’avoir accepté cette règle du jeu. Mais je voudrais vraiment vous engager, pour aller plus loin, à nous faire des propositions de texte écrites, qui seront affichées sur notre blog, que vous pouvez retrouver sur le site du Sénat, à l’adresse http://blogs.senat.fr/nouvelles_mobilites. Nous vous demandons de petites présentations adaptées au Web, assez brèves, donnant éventuellement un lien vers des descriptions plus complètes, pour que les différents regards puissent être mis en rapport. Pour ceux qui étaient présents la dernière fois, vous avez déjà le texte complet des interventions. Aux côtés de ces comptes rendus exhaustifs, nous vous proposons d’ajouter des éléments plus factuels et plus précis du point de vue de chacun.

Ces nouveaux besoins, que nous allons approfondir aujourd’hui, reposent tant sur de nouvelles prises de conscience que sur le déploiement de nouvelles technologies et de nouveaux services. Nous allons essayer de les aborder à travers quatre tables rondes.

D’abord, concernant la maîtrise de l’énergie, nous écouterons les spécialistes de l’ADEME, des chercheurs du CNRS, de l’École Centrale Paris, de l’École des Ponts Paris Tech, de l’ENS-Cachan, du Laboratoire d’économie des transports, et nous confronterons leurs analyses avec celles des constructeurs, mais aussi avec celles des producteurs d’énergies alternatives, le CEA-Liten pour les piles à combustible, la confédération générales des betteraviers pour les agro-carburants et l’IFP Énergie nouvelles. Nous écouterons également, si elles le souhaitent, les associations préoccupées par le développement durable et l’environnement.

La deuxième table ronde portera sur la question de la pollution, les émissions de CO2, mais aussi d’oxydes d’azote (NOx) et de particules fines. Pour ma part, j’ai produit quatre rapports sur le retard de la France en matière d’application des directives européennes sur ces sujets. Toutes les grandes villes de France sont aujourd'hui sous le coup d’un contentieux auprès de la Cour de Luxembourg. Aujourd'hui, c'est un contentieux sur les particules fines, mais ce qui nous attend, ce sont les NOx.

Au-delà du CO2 qui mobilise beaucoup, il y a toute la question de la contribution à la réduction de la pollution de l’air. Nous sommes engagés dans une démarche de densification de nos villes, de meilleures dessertes par les transports publics, mais il faut dans le même temps travailler sur le cadre de vie. La circulation automobile est bien sûr l’un des contributeurs, mais il y en a d’autres : le chauffage, les activités industrielles et agricoles. Pour ce qui nous concerne ici, cette question de la moindre contribution aux gaz à effet de serre et à la mauvaise qualité de l’air est évidemment stratégique. Questions de bonus-malus, questions de mesures de la qualité de l’air. Sur ce sujet, on mesure remarquablement, mais on agit plus difficilement. Grâce aux Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), on sait parfaitement quelle est la qualité de l’air que nous respirons et quelles seraient les conséquences de l’évolution du parc automobile sur cette qualité. Les modèles sont très au point.

La troisième table ronde portera sur le développement des nouveaux carburants et la recharge des batteries des véhicules électriques. On sera plus technique. Nous sommes là au point d’articulation entre la responsabilité de la puissance publique, qui doit impulser, et des initiatives des centres de recherche, des constructeurs. Nous nous efforcerons là aussi de croiser les approches universitaires avec celles des acteurs économiques et des fournisseurs d’énergies alternatives qui sont présents aujourd'hui.

Dans la quatrième et dernière table ronde, nous réfléchirons à l’adaptation de la filière automobile aux nouveaux défis. Nous écouterons les constructeurs, mais aussi les équipementiers et les sous-traitants, que malheureusement on entend moins souvent. Nous avons invité des constructeurs à plusieurs échelles, et le croisement de leurs regards devrait nous permettre d’avoir une vision du secteur.

Je ne peux que vous redire que nous démarrons un blog. Il ne sera riche que par vos contributions. Contrairement à ce qui se passe à l’école primaire, vous emmènerez un devoir à la maison. Pour la plupart d’entre vous, ces documents sont prêts. La question est de savoir ce qui peut être rendu public. Je vous invite à alimenter ce blog pour qu’il soit vivant. La première étape sera de l’alimenter par des éléments de fond, et assez rapidement, cela pourrait devenir interactif, de par les réactions aux post des uns et des autres intervenants. De cette façon le débat s’établira, entre ceux qui rêvent la ville de demain et ceux qui la rendent possible ou qui y réfléchissent. Je vous remercie.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. Je soulignerai l’état d’esprit qui est le nôtre dans ce rapport, au moment où la filière automobile doit faire face une triple crise.

La première crise est environnementale. Chacun peut l’imaginer, et Fabienne Keller en a évoqué un certain nombre d’aspects les plus préoccupants en ce qui concerne la pollution de l’air et les émissions de gaz à effet de serre. On pourrait y ajouter l’épuisement des ressources pétrolières, en tout cas la moindre production par rapport à la consommation, et donc l’augmentation du prix, et à terme, la question de l’épuisement des ressources fossiles qui se posera.

La deuxième crise est sociale. Justement, à cause de l’augmentation du prix des énergies, une partie de la population a de moins en moins la capacité à remplir son réservoir pour pouvoir utiliser son véhicule. Et donc, c’est le droit à la mobilité qui se pose pour une partie de la population, avec des véhicules très énergivores.

La troisième crise est économique. Chacun peut s’en rendre compte, avec les conséquences que l’on peut voir sur les constructeurs aujourd’hui, les licenciements, les problèmes que cela pose pour les territoires avec les fermetures de sites. Il y a un certain nombre de cas sur le territoire national qui nous préoccupent tous.

Face à cet ensemble de difficultés, de crises que rencontre la filière, notre réflexion consiste à voir comment, à partir des recherches, des réflexions, des contraintes, des besoins, des exemples à l’étranger, on peut tracer des pistes pour contribuer à aller vers ce qu’on a appelé le véhicule écologique. Il doit être pris dans son acception la plus large possible et doit être en capacité à prendre en compte les contraintes environnementales, mais aussi le droit à la mobilité pour tous. Pour nous, c’est une préoccupation qui est également importante dans cette réflexion.

C’est pourquoi, dans la première audition qui a eu lieu il y a quelques semaines, nous avons voulu partir des besoins, en réfléchissant avant tout avec les constructeurs. Nous voulons les associer à l’ensemble du processus, parce qu’on sait bien qu’il ne suffit pas de faire des réflexions en chambre pour avoir des réponses. Il faut que nous ayons des discussions avec ceux qui sont directement les producteurs de ces véhicules. Cette réflexion portait sur le thème suivant : quels sont les besoins d’aujourd'hui et de demain auxquels il faut répondre ?

Aujourd'hui, nous allons aborder plus précisément ces questions sous un angle plus technique, à propos des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions, des différentes sortes de carburants, la liaison entre toutes ces problématiques et l’organisation des filières, de façon à nous éclairer les uns et les autres sur les marges de manœuvre possibles, et en même temps, la façon dont les uns et les autres nous appréhendons les contraintes dans la période.

Quand on fait ce travail, on est en liaison directe avec beaucoup de questions d’actualité. Le président des États-Unis a fait des déclarations il y a quelques jours sur sa volonté d’aider au développement des véhicules propres dans son pays. La Commission européenne réfléchit à de nouvelles normes en matière d’émissions de gaz à effet de serre pour les véhicules. Il ne vous a pas échappé qu’en France, un grand débat a lieu sur la pollution de l’air liée au diesel. Fabienne Keller l’a évoqué. Se posent les questions de politique fiscale et de politique industrielle. Toutes ces questions ne sont pas purement théoriques, au contraire, elles s’inscrivent clairement dans l’actualité. Tous ces débats peuvent nous éclairer, et en même temps, nos réflexions peuvent aussi aider à les enrichir.

PREMIÈRE TABLE RONDE :

LE GRAND ENJEU DE L’ÉNERGIE

A. Les diverses sources d’énergie

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. Voici quelques sujets de cette première table ronde consacrée au grand enjeu de l’énergie. Premier volet : Comment consommer moins d’énergie ? Comment mieux se déplacer, moins gaspiller ? Comment réinterroger les performances ? Deuxième volet : la sécurité énergétique. Comment réduire la dépendance en énergie fossile ? Aller vers des sources renouvelables ? Troisième volet : les gaz à effets de serre, l’impact sur le climat, les engagements européens « 3 fois 20 ». Quatrième volet : mobilité et habitation. Comment stocker les énergies dont la production peut être dépendante de conditions climatiques ?

Chacun s’exprimera en deux minutes.

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologies Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten à Grenoble (Agro-carburant). La biomasse est effectivement une ressource renouvelable qui a des usages très variés dans le domaine de l’énergie. J’ai repris quelques chiffres qui dataient du Grenelle de l’environnement. Quand on regarde les besoins en chaleur, les besoins en électricité par la cogénération, ou les besoins en carburant, à chaque fois on compte la biomasse comme une ressource potentielle. Cela va des poêles à granulés de bois ou des chaudières à cogénération de bois, qui se développent énormément dans notre pays, jusqu'aux biocarburants des différentes générations.

Tout cela pour dire que cette ressource est précieuse. On peut créer beaucoup d’emplois non délocalisables dans l’exploitation de la biomasse de façon durable. Par contre, on doit se poser la question des conflits d’usages et vers quels usages on va orienter l’utilisation de cette biomasse.

Quelques chiffres un peu anciens, mais les ordres de grandeur sont là. En termes de potentiel des biocarburants à l’échelle mondiale, l’ordre de grandeur est à peu près 10 % de la consommation actuelle d’énergie. On pourra faire peut-être un peu plus. Tout dépend des conditions dans lesquelles on exploite cette biomasse. Mais en tous les cas, on ne couvrira pas 50 %, ou plus, de la demande mondiale en énergie avec la biomasse et les biocarburants.

Par exemple, dans l’usage aéronautique, où l’on a moins de solutions de substitution au carburant liquide, le potentiel de croissance de cette consommation s’élève à des ordres de grandeur aux alentours de 500 Mtep qui sont de l’ordre de grandeur du potentiel de biocarburants de deuxième génération.

En quelques mots, je dirais qu’à mon avis, on a intérêt à focaliser l’usage de la biomasse sur des usages pour lesquels il existe moins de solutions de substitution ou d’alternatives. Évidemment, la règle numéro 1, c’est d’économiser toute l’énergie qu’on peut, et développer les filières électriques et hydrogène. Règle numéro 2, regarder comment on peut favoriser le déploiement des biocarburants dans des types de transport qui en ont besoin. Règle numéro 3, développer des modes de conversion à rendement maximal. La biomasse est une ressource renouvelable, mais qu’il faut exploiter de manière durable. Et il faut s’assurer que dans le mode de fabrication des carburants eux-mêmes, on a le rendement de conversion maximal. Et puis après, également avoir un mode de conversion maximal dans le véhicule. Et là, l’hydrogène peut jouer également un rôle en complément des biocarburants.

M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France. L’AVERE-France est l’association pour la mobilité électrique. Je vais vous expliquer comment la mobilité électrique traite les enjeux de l’énergie dans les transports.

L’électricité est un vecteur énergétique et l’on peut effectivement fabriquer et mettre à disposition de l’électricité par tous les moyens qui ont été cités : l’éolien, la biomasse, ou autres. Il faut tenir compte de l’écosystème.

On se projette sur un véhicule qui doit être à 2 litres/100 km, et aujourd'hui, le véhicule électrique, c’est un véhicule à moins de 2 litres/100 km, à moins de 2 euros/100 km, et tout ce qui nous manque, c’est de le rendre accessible à tous. Il va falloir se concentrer sur le grand enjeu de la réduction du coût de ces nouvelles technologies, et donc du coût de l’électrification du véhicule. Parce que la mobilité électrique, ce n’est pas seulement le véhicule électrique à batterie, c’est aussi toutes les déclinaisons hybrides.

Voilà les grands défis de demain. Les véhicules électriques ou à batterie présentent un autre avantage : ils pourront stocker de l’énergie électrique à travers les smart grids, si tout cela se met en place progressivement.

Mme Fabienne Keller. On pourra peut-être aller plus loin sur les smart grids, pour voir si l’investissement vaut le coup.

M. Joseph Beretta. Tout à fait. Il faut y réfléchir prudemment, mais il faut le prendre en compte dès aujourd'hui.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. Pour vous, c’est tout électrique, hybride ?

M. Joseph Beretta. Cela ne peut pas être tout électrique. Dans l’écosystème dont j’ai parlé, il y a aussi l’usage qu’on doit faire de la mobilité. L’électrique est limité par son autonomie. Si l’on veut des usages qui sortent des villes ou des courtes distances, il faut jouer avec l’hybride dans toutes ses déclinaisons. Il faut vraiment adapter la solution technologique à l’énergie disponible et à l’usage.

M. Dominique Herrier, IFP énergies nouvelles. Je représente le secteur Transport de l’IFP. Je souhaite intervenir sur trois points pour rappeler les leviers qui permettront d’améliorer le bilan énergétique des véhicules.

Traditionnellement, on peut penser à la voie technologique, c'est-à-dire les leviers relatifs à la motorisation. En particulier, il faut rappeler que les motorisations conventionnelles ont encore des potentiels d’amélioration très importants.

Un deuxième point important qui vient d’être mentionné, c’est l’électrification du véhicule, avec un potentiel d’amélioration qui est extrêmement intéressant par rapport à ce qui existait jusqu'à présent avec les motorisations conventionnelles. Il faut absolument investir sur ce levier au plan des innovations.

Bien sûr, il y a beaucoup de difficultés à résoudre, que ce soit au niveau du stockage de l’énergie à bord du véhicule ou des différents composants électriques qui seront nécessaires pour alimenter et équiper ces différents véhicules. Il y a beaucoup de travaux dans ce domaine.

Je voulais aussi mentionner les carburants. N’oublions pas les carburants alternatifs « bas carbone », qui ont été mentionnés, notamment les biocarburants de génération 2, mais aussi le gaz naturel et le biogaz qui ont également été précisés. Je pense que le potentiel est conséquent. Par exemple, l’utilisation du gaz naturel sur un véhicule conventionnel représente d’emblée plus de 20 % de gains en termes d’émission de CO2. En le couplant à l’électrification, on peut avoir un gain encore plus important.

Un troisième point me paraît essentiel, c’est l’éco-conduite, ou plus exactement tout ce qui permet d’améliorer non seulement l’utilisation du véhicule, mais aussi la gestion du trafic. Là aussi, cela représente un potentiel conséquent, qu’il ne faut pas oublier, à travers tous les outils qui permettront d’optimiser l’utilisation du véhicule suivant son usage, de façon à améliorer et optimiser l’énergie à bord de ce véhicule et dans son environnement.

Mme Fabienne Keller. Les agro-carburants, M. Jeanroy ?

M. Alain Jeanroy, directeur général, Confédération générale des betteraviers. Je parlerais plutôt des biocarburants, si vous le permettez.

Mme Fabienne Keller. Comme vous voulez.

M. Alain Jeanroy. La politique française en matière de biocarburants a été initiée dans les années 90, je le rappelle, notamment avec la production et l’incorporation d’abord de TPE dans les essences. Elle a ensuite été accélérée à partir de 2005, en écho à la directive « Promotion des biocarburants » qui a été adoptée par l’Union européenne en 2003, fixant des objectifs indicatifs à 5,75 %. Cette politique répondait à deux objectifs : réduire les émissions de gaz à effet de serre et réduire les dépenses énergétiques de l’Union européenne.

Ces objectifs restent pleinement d’actualité – et d’ailleurs les thématiques de cette table ronde l’illustrent –, avec l’adoption du « Paquet Énergie-Climat » en 2009, et notamment la directive européenne sur les énergies renouvelables (ENR) qui établit l’objectif contraignant, d’une part, de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports en 2020, et l’objectif du Grenelle, d’autre part, de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie du pays.

C’est pourquoi il importe de poursuivre l’impulsion donnée voilà maintenant huit ans. Les filières françaises ont répondu en investissant massivement : 1 milliard d’euros par filière, et en créant, ou en maintenant, des milliers d’emplois dans notre pays : 8 900 emplois directs, indirects et induits pour la seule filière éthanol.

La France occupe aujourd'hui les tout premiers rangs européens. En matière de production de bioéthanol, elle est à la première place, loin devant l’Allemagne ou l’Espagne. En matière de production de biodiesel, elle occupe le deuxième rang derrière l’Allemagne.

Le bilan environnemental a été totalement mis à jour en 2010 sous l’égide de l’ADEME, avec des résultats probants, tant en termes de réduction des gaz à effet de serre que d’efficacité énergétique. Depuis 2010, des critères de durabilité ont été imposés par Bruxelles : réduction minimale des gaz à effet de serre, statut des terres utilisées, protection de la biodiversité et des forêts primaires. Le respect de ces critères est effectif, documenté par une certification exemplaire en matière de durabilité.

Reste la question du changement d’affectation des sols indirect, qui est en cours d’instruction à Bruxelles sur la base d’une proposition de directive faite par la Commission européenne en octobre 2012. Malheureusement, vous savez qu’aucun expert international n’a le même avis.

Dès lors, on peut considérer que les biocarburants ont fait la preuve qu’ils répondent en tous points aux objectifs qui leur ont été fixés.

En ce qui concerne la concurrence avec l’alimentation, rappelons ici deux éléments d’importance : la production française d’éthanol nécessite d’y consacrer seulement 1 % de toutes les surfaces agricoles. Chaque hectare apparemment consacré au biocarburant fournit en moyenne l’équivalent d’un demi-hectare pour l’alimentation animale. Il y a donc complémentarité et non pas opposition.

Depuis 2010, l’objectif d’incorporation est fixé à 7 % et il peine à être atteint, en particulier par l’éthanol, alors que tous les moyens sont réunis pour que ce soit le cas. Je vous rappelle qu’il existe un certain nombre de dispositifs visant à rendre obligatoire cette incorporation.

Nous étions prêts à faire des investissements en 2012. Malheureusement, ces investissements dans de nouvelles unités de production, avec des créations d’emplois en zone rurale, ont été arrêtés, du fait de la décision de la France de faire une pause. Jusqu'à quand ? Je ne le sais pas.

La voie des biocarburants est donc à ré-explorer pour permettre d’apporter des réponses aux grands enjeux dans les secteurs des transports. Les objectifs établis pour 2020 doivent bien sûr être préparés dès aujourd'hui. Et j’ajoute qu’il n'y aura pas de deuxième génération sans la première génération. Je pense que ce point est très important. Nous-mêmes, qui avons investi des milliards d’euros dans la production de biocarburants en France, nous sommes dans la deuxième génération.

Un autre point doit également ne pas être oublié. La France pourrait avoir un rôle stratégique à l’avenir, en devenant la productrice de référence de biocarburants en Europe.

Mme Fabienne Keller. Merci pour cette présentation très complète. M. Joël Pedessac ?

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français du butane et du propane (CFBP). Juste une petite présentation des GPL. Je représente les distributeurs de gaz, et en gros les producteurs. Les GPL, ce sont seulement deux molécules parmi plusieurs centaines de molécules dans le gazole et dans l’essence. Ces deux molécules sont le butane et le propane qui sont utilisés indifféremment dans trois domaines : les combustibles pour le chauffage, les usages domestiques ou tertiaires ; le carburant qui représente 10 % des usages au niveau mondial ; la production d’éthylène, c'est-à-dire les matières plastiques dans les vapocraqueurs.

Étant liquides à température ambiante, ces gaz ont tous les avantages et les attraits à la fois des énergies liquides en termes de stockabilité, de transport et de densité énergétique, et des gaz en termes de combustion plus propre, moins de CO2, de NOx et de particules.

Les GPL représentent 2 % de l’énergie primaire au niveau mondial et 1,2 % au niveau français. En France, il y a 10 millions d’utilisateurs, principalement dans les secteurs domestiques et tertiaires, et seulement 200 000 utilisateurs de GPL carburant en France, contre 21 millions dans le monde.

La puissance développée par les installations GPL en France représente l’équivalent de 30 EPR. C’était une petite anecdote.

M. Denis Baupin. Pouvez-vous développer ?

M. Joël Pedessac. Quand on met une bouteille de gaz ou une citerne chez un client, cette installation fournit de l’énergie et de la puissance. Une plaque à gaz représente 2 à 3 kW de puissance. Si vous faites la somme de ces installations chez les 10 millions de consommateurs, la puissance que vous fournissez instantanément, au moment où les gens cuisinent ou allument leur chaudière, représente l’équivalent de 30 EPR en puissance. Pas en production d’énergie.

M. Denis Baupin. En gaz globalement ?

M. Joël Pedessac. En GPL. Justement, le chiffre est étonnant, et c’est pourquoi je l’ai cité.

Mme Fabienne Keller. C'est-à-dire que vous gérez très bien la pointe ?

M. Joël Pedessac. Nous gérons tout à fait la pointe puisque l’énergie est stockée chez les clients. Il n'y a donc pas de problème. Il y a une pointe parce qu’il faut approvisionner quand les gens en ont besoin, mais en général, on approvisionne en amont et non pas au moment où il fait - 20°C.

En termes de ressources, que ce soit au niveau mondial ou français, 60 % des GPL proviennent de l’exploitation du gaz naturel. Les molécules présentes dans le sol à l’état naturel sont du méthane (CH4), du butane et du propane. Quand vous faites l’extraction du pétrole ou du gaz naturel, vous avez naturellement des GPL. Quand vous construisez une raffinerie, vous produisez du gazole, de l’essence, des bitumes, du kérosène, du naphta, mais aussi, et systématiquement, du GPL. C’est ce qu’on appelle des by-product. Ils existent de toute façon, quels que soient les moyens de production.

En matière d’environnement, ce gaz bas carboné est le moins carboné des carburants des énergies liquides. Sur le carburant, c’est 17 % de CO2 en moins que le gazole et 14 % de moins que l’essence.

Contrairement à l’électricité, 90 % du CO2 et des polluants sont émis au moment de l’utilisation au niveau du moteur, 10 % au niveau du transport et de la production. L’enjeu se situe donc au niveau du moteur et de la performance du traitement des gaz.

En termes d’énergies renouvelables, le GPL renouvelable peut exister. Il est à l’état de recherche et développement. Comme on a du gaz naturel issu de la biomasse, pour le GPL c’est aussi possible, bien que cela n’existe pas encore de façon massive.

L’Europe a écrit dans sa stratégie européenne en matière de carburants que l’objectif de 10 % de GPL dans le mix des carburants à l’horizon 2020-30, était possible. La ressource est largement disponible. Nous avons entre 11 et 17 millions d’excédents de GPL disponibles sur le marché européen dans les dix années qui viennent. Tout simplement parce que l’efficacité énergétique dans le secteur du logement fait que ce gaz sera disponible. Et je vous rappelle qu’il est disponible parce que de toute façon, les raffineries le produisent et les champs de gaz et de pétrole le produisent aussi.

M. Gérard Planche, responsable de projet véhicules électriques, General Motors France. En tant que constructeur automobile, bien sûr, nous sommes conscients de ne nous adresser qu’à une partie des besoins de mobilité. Celle-ci commence avec les besoins de télétravail, ensuite la marche, puis avec les transports en commun. Quand j’ai pris ma fonction à Argenteuil en janvier, j’ai décidé de trouver un appartement qui me permettait d’aller à pied au travail. Ce qui évite aussi d’être dévalisé si je prenais la diligence, comme on l’a vu malheureusement ces derniers jours.

Je voudrais mettre en exergue une technologie dont on n’a pas encore parlé, bien qu’on l’ait évoquée de loin. Il s’agit de la technologie électrique à prolongateur d’autonomie. D’après nous, cette technologie répond le mieux aux défis d’aujourd'hui. Nous connaissons tous les désavantages du véhicule électrique. Les avantages sont indéniables, mais le désavantage, c’est son autonomie. Pour avoir plus d’autonomie, on va essayer d’avoir une plus grosse batterie, donc c’est du poids rajouté et du temps de charge. Pour diminuer ce temps de charge, on va vers les charges rapides qui ne sont pas idéales pour lisser l’offre et la demande. Nous aurons donc des pointes. Et également, il y a l’incertitude d’arriver au but. Il y a surtout des différences d’autonomie en hiver et en été.

Les trois quarts des déplacements, en Europe ou aux États-Unis curieusement, ne font pas plus de 60 km/jour. On a donc décidé de construire une batterie permettant de parcourir 60 km et de la compléter par un moteur à combustion. Ce moteur peut consommer aussi bien de l’essence, du diesel, de l’E85, du GPL ou du gaz naturel. Ces deux technologies fonctionnent séparément, contrairement à ce que l’on comprend de l’hybride actuel.

Vous pouvez choisir de partir de la maison en thermique ou en électrique. Par exemple, si j’habite en province ou dans la grande banlieue, je pars en thermique et je me mets en électrique lorsque j’arrive aux portes de la ville. De cette façon, on répond à la lutte contre la pollution des villes.

La moyenne de consommation de nos clients se situe entre 2 et 3 litres/100km. Aux États-Unis, j’ai entendu parler d’un chiffre de moins d’1 litre/100km, ce qui m’étonne beaucoup. Nous allons le contrôler.

Élue voiture de l’année en 2012, c’est la voiture électrique la plus vendue en Europe. Elle est encore méconnue en France. Pourtant, c’est une technologie qu’il ne faut absolument pas oublier. Ce véhicule électrique vous donne le choix entre l’électrique ou le thermique. Vous utilisez l’électrique quand c’est le plus approprié.

M. Philippe Schulz, expert-leader Environnement, Énergie et Matières premières, Renault. Pour le groupe Renault, je suis en charge de la stratégie liée à l’environnement, à l’énergie et aux matières premières. Mon premier constat va porter sur la consommation énergétique. Il est essentiel de rappeler qu’il y a eu un progrès continu sur ce sujet ces dernières années. Sur les cinq dernières années, la consommation moyenne des véhicules vendus en France a été réduite de 1 litre/100 km sur les véhicules essence, et de 0,8 litre/100 km sur les véhicules diesel. C’est donc un progrès essentiel. Et ce progrès, qui est continu, va se poursuivre. Il alimentera évidemment le plan et l’ambition affichés par le gouvernement d’un véhicule à 2 litres/100 km. Il n'y aura pas une solution miracle qui permettra de répondre à ce programme extrêmement fédérateur. Il va y avoir un ensemble de briques technologiques qui permettront de contribuer individuellement à répondre à des besoins spécifiques en fonction des usages, des moyens, et de la période à laquelle ces véhicules seront utilisés.

Pour Renault, il est clair que l’environnement est au cœur de nos préoccupations. Et ce n’est pas seulement l’environnement. C’est l’environnement avec une approche globale du type cycle de vie. Dès 2007, Renault a mis en place une signature « éco2 », écologique et économique, pour souligner cet aspect de la mobilité accessible pour tous. Elle est basée sur trois critères environnementaux sur chacune des étapes du cycle de vie.

Il nous paraît essentiel d’avoir des outils permettant de différencier l’impact multicritère des différentes filières qui soit établi relativement en amont. Chez Renault, nous allons publier une analyse de cycle de vie sur le véhicule électrique à la fin de ce mois. Nous avons aussi contribué à une étude mise en place par l’ADEME sur le sujet. Ces analyses font l’objet de revues critiques externes. Ce qui est essentiel, c’est de vérifier la validité des données et de les mettre à la disposition de chacun. Et ce qui nous paraît absolument indispensable, c’est d’effectuer ces études très en amont. L’ensemble des industriels de la filière ont besoin d’anticipation. Ce n’est pas en attendant que les véhicules soient sur les routes ou sortent des usines qu’il faudra dire que ce n’était pas le bon choix technologique. Pour avoir cette anticipation, il est absolument indispensable de mettre en place des outils d’évaluation très en amont. Nous sommes évidemment prêts à contribuer à ces études.

M. Yann Tremeac, chef de service adjoint du service transport et mobilité, ADEME. Vous avez parlé d’enjeux technologiques. Derrière le développement du système de transport, il y a de nombreux enjeux technologiques. M. Schulz parlait de briques technologiques. Effectivement, le système de transport ne sera possible qu’au travers de l’intégration de multiples briques technologiques. On a parlé du véhicule électrique, du véhicule hybride. On a également parlé du diesel. Le diesel continue d’exister et de s’améliorer, constamment. Mais il ne faut pas oublier d’autres modes comme le fluvial et le ferroviaire. Les transports en commun sont des briques importantes du système de transport. Toujours en termes d’enjeux technologiques, on parlera encore d’allègement des véhicules. Pour moins consommer, il faut aussi être moins lourd. En découle tout le développement des composites. J’ai entendu le développement des filières électriques et hydrogène, qui sont encore des enjeux pour le futur. On a également parlé de nouveaux modèles de mobilité, du covoiturage, de l’auto-partage.

D’une manière générale, pour mettre en œuvre ces nouveaux systèmes de mobilité, il faut pouvoir optimiser le système entier et proposer des bouquets d’offres cohérents et attractifs sur les territoires. On parlait de technologies de transport, de moyens de transport, mais il n'y a pas seulement ce type de technologies. Il ne faut pas oublier l’ensemble des technologies de l’information. Tout à l'heure, vous parliez, Madame, des différentes typologies d’usages. Les nouvelles organisations requièrent la mise en œuvre de systèmes d’information puissants, des plateformes de mobilité qui vont intervenir comme des outils, notamment pour les Autorités organisatrices de transports (AOT), afin de mieux connaître les déplacements sur leurs territoires. Le développement de ces systèmes d’information associés est un pan fondamental du développement et des enjeux technologiques.

Dans le cadre de la mobilité, il ne faut pas oublier non plus l’intégration des passagers et de la marchandise, notamment dans le cadre de la gestion mix des infrastructures, c'est-à-dire des aires de livraison en ville.

Enfin, et le mot smart grid a été prononcé, on voit se positionner un réel besoin pour l’intégration d’une vision transverse entre l’énergie, le bâtiment et les systèmes de transport, le véhicule électrique étant l’un des nexus de cette intégration.

M. Denis Baupin. Ces questions globales, on les a beaucoup étudiées lors de la première journée d’audition. Aujourd'hui, nous voulons nous concentrer sur des problèmes techniques. Il faut avancer, et non pas répéter à chaque table ronde les mêmes préoccupations. Notre sujet du jour, c’est de réfléchir sur les problèmes d’émission de gaz à effet de serre, de pollution, de motorisation. Nous sommes bien conscients que l’organisation du territoire et de la mobilité sont des questions majeures qui impactent l’ensemble du système, mais à un moment ou un autre, nous devons descendre concrètement. À ce titre, je remercie tous ceux qui sont intervenus sur les différentes motorisations. Cela m’intéresserait de savoir ce que l’ADEME pense de ces différents types de motorisations et quelles perspectives vous y voyez, y compris dans les scénarios que l’ADEME a sortis sur la transition énergétique.

M. Yann Tremeac. Tout à fait. Je voulais aussi mettre en perspective votre question relativement au programme d’investissements d’avenir. L’ADEME est opérateur pour le Commissariat général à l’investissement du programme « Véhicule du futur ». C’est un programme d’aide important, qui met en œuvre à l’horizon 5 ou 10 ans de nouvelles technologies.

Certains sujets sont encore confidentiels. Mais oui, l’amélioration du diesel fera partie du développement futur, en tous cas le thermique en fait encore partie, le véhicule électrique clairement, le véhicule hybride aussi. Le range extender aussi. Ce sont des problématiques qu’on cherche. Il y a aussi les aspects allègement. J’insiste beaucoup sur ces aspects composites et l’intégration de ces éléments dans le véhicule.

Mme Fabienne Keller. En prolongement de la question de Denis Baupin, est-ce qu’aujourd'hui vous avez quelques scenarii à nous proposer pour dessiner le monde vers lequel on s’oriente, selon que les smart grid couvrent 10 % ou 50 % du territoire à échéance de dix ou vingt ans, que les véhicules électriques ou hybrides prennent telle ou telle place ? Quels sont vos scenarii sur l’amélioration des moteurs classiques, l’utilisation des nouvelles énergies, l’organisation de la gestion du stockage de l’énergie… ?

M. Yann Tremeac. L’ADEME a publié des feuilles de route.

Mme Fabienne Keller. On les connaît, mais elles sont très générales et ne s’appuient pas directement sur les technologies mises en œuvre.

M. Yann Tremeac. Tout à fait.

Mme Fabienne Keller. Est-ce que c’est confidentiel ?

M. Yann Tremeac. Relativement, oui. La stratégie mobilité n’est pas publiée. Mais je vais y réfléchir et vous donner une réponse dans le courant de la matinée. Je vous remercie.

Mme Fabienne Keller. La parole est ouverte à tous ceux qui souhaitent la prendre.

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2. Je souhaiterais revenir sur le sujet de l’allègement des véhicules et des matériaux. Ces vingt dernières années, les véhicules ont vu leur poids augmenter de 30 % pour des équipements de sécurité et de confort. Les impacts à l’usage sont les suivants : pour l’automobile, la masse induit 70 % de la dépense énergétique. Pour un train rapide, ce n’est que 10 %, à cause de la liaison métal-métal des roues.

Quels sont les impacts sur la sécurité quand on allège un véhicule ? En cas de choc entre deux véhicules, plus l’écart de masse augmente, plus le risque de dégâts dans le véhicule léger est important. Par contre, pour un véhicule léger seul impliqué dans un accident, les risques pour les personnes sont diminués par rapport à un véhicule lourd.

Voici quelques pistes concrètes pour alléger les véhicules. En ce qui concerne les matériaux de structure, les disciplines scientifiques concernées sont la chimie des solides, la chimie des matériaux, le génie d’élaboration des matériaux, la mécanique, avec l’utilisation de matériaux légers pour des matériaux de meilleure résistance spécifique, des matériaux architecturés, des matériaux revêtus, des matériaux fonctionnels, et aussi des méthodes de conception innovante.

Hors matériaux de structures, l’utilisation croissante de matériaux composites implique l’utilisation de polymères ou de bio-polymères. Il y a les analyses de cycle de vie. Certains matériaux sont plus facilement recyclables, en particulier quand ils sont renforcés par des fibres naturelles. Je crois que ces pistes sont vraiment intéressantes.

Pour terminer, je citerai Colin Chapman, le constructeur des Lotus : « quelle que soit la technologie des propulsions, l’allègement du véhicule est vertueux en termes d’efficacité énergétique. » Et donc l’allègement des matériaux pour les véhicules est extrêmement important, quel que soit le mode de propulsion.

B. Gaz à effets de serre et impact sur le climat

M. Hervé Casterman, directeur Environnement et Climat à la direction Développement durable, GDF-Suez. Le secteur des transports mérite un intérêt particulier dans le débat sur la transition énergétique. Jusqu’à ce jour, beaucoup a été fait sur l’industrie. Sur le bâtiment tertiaire, des plans ambitieux sont en cours (cf. le plan de rénovation thermique). Mais il reste un potentiel extrêmement important sur le transport, que ce soit en termes de diversification énergétique ou de lutte contre le changement climatique et les pollutions.

Lorsqu’on traite des enjeux énergétiques, habituellement on a recours à trois approches combinées. La première, c’est de traiter la question de la maîtrise de l’énergie à travers la sobriété énergétique et l’efficacité énergétique. Dans le secteur des transports, la sobriété se traduit par de l’intermodalité, de l’auto-partage, du covoiturage. L’efficacité énergétique, c’est du downsizing comme on l’a dit, ou de l’optimisation des moteurs. Pour les transports, là aussi, cette approche est pertinente.

La deuxième approche combinée, c’est le recours à des énergies faiblement carbonées, voire non carbonées, c'est-à-dire les énergies renouvelables. Là aussi, il existe des solutions pour le transport. On a parlé des énergies biocarburants ou agro-carburants. Je dirai un mot du biométhane par la suite. Et même l’électricité, lorsqu’elle est produite par des moyens renouvelables, contribue à cet aspect.

La troisième approche à prendre en compte, c’est la gestion des impacts, et en particulier les impacts environnementaux des émissions et pollutions. Là aussi, les carburants plus propres y répondent.

Le Gaz Naturel Véhicule (GNV) répond à ces trois approches. On le confond parfois avec le GPL, comme l’a dit M. Pedessac. C’est une solution tout à fait éprouvée qui connaît une croissance annuelle mondiale de l’ordre de 20 % depuis 2000. Il devrait occuper 9 % du marché mondial en 2020. Il offre, d’une part, de nombreux atouts environnementaux indéniables (CO2, NOx, Particules, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et hydrocarbures non méthaniques (HCNM), bruit…), et d’autre part, des atouts économiques, puisqu’une étude a montré qu’en Europe, on était entre 6 et 38 % moins cher que le diesel, l’essence, le GPL.

L’intérêt du GNV, c’est qu’il ouvre la voie à deux évolutions très intéressantes : celle qui sera permise par l’optimisation des moteurs, spécifiquement pour le GNV, ce qui permettra une réduction supplémentaire des émissions de CO2 de l’ordre de 30 % ; d’autre part, l’introduction progressive du biométhane comme carburant.

Le biométhane est un biogaz qui est épuré, et qu’on peut donc injecter dans le réseau de gaz naturel. Il combine d’indéniables atouts, notamment pour les collectivités territoriales : aux qualités énergétiques du gaz naturel, on peut combiner le caractère renouvelable de la ressource, puisqu’on part de déchets organiques. C’est aussi une boucle locale, qui permet une approche d’écologie industrielle, les déchets devenant carburant pour les flottes de véhicules des collectivités.

Mme Fabienne Keller. Pouvez-nous rappeler ce qu’on relâche lorsqu’on brûle du biométhane dans un moteur ?

M. Hervé Casterman. Le biométhane, c’est du gaz naturel. Par rapport au diesel et à l’essence, les émissions de CO2 sont réduites de l’ordre de 20 à 25 %, les émissions de NOx et de particules sont extrêmement réduites. C’est un point que je vais développer dans la table ronde sur les pollutions.

Mme Fabienne Keller. La digestion des boues qui permettent de produire du méthane et de le réutiliser dans les véhicules des collectivités, c’est un cycle vertueux.

M. Hervé Casterman. Le biogaz, qui est produit par méthanisation à partir des déchets organiques, nécessite une épuration pour devenir ce qu’on appelle du biométhane, qui, lui, est tout à fait comparable au gaz naturel. Il peut être injecté dans les réseaux ou utilisé dans les véhicules. Et donc c’est une façon d’introduire de l’énergie renouvelable dans le secteur des transports en complément des agro-biocarburants ou de l’électricité produite sans CO2.

M. Denis Baupin. Le terme « downsizing » que vous avez utilisé et qu’on entend régulièrement semble vouloir dire que le fait de construire des véhicules adaptés à la taille dont on a besoin correspondrait à une « réduction ». À travers ce mot « downsizing », on a le sentiment qu’il y aurait une bonne taille, et tout d’un coup, une taille réduite. Je trouve que ce mot est particulièrement connoté. Comme si le fait d’avoir la vision de l’adaptation de la taille du véhicule au besoin était une réduction par rapport à une norme - je ne dis pas de votre part, mais globalement, dans la terminologie -, cela dénote assez largement une certaine conception que je trouve pour ma part particulièrement peu engageante.

Mme Fabienne Keller. En anglais, cela veut dire adapter l’échelle, dans le sens de la baisse… Passons la parole maintenant aux ONG et aux associations.

M. Stephen Kerckhove, délégué général, « Agir pour l’environnement » (APE). Merci de nous avoir donné la parole et de nous avoir invités. Le débat national sur la transition énergétique a pour vertu d’inverser ce qui paraissait un peu comme des évidences, à savoir qu’on prenait en compte le point de vue des producteurs et des industriels, et ensuite l’usager s’adaptait. Alors que dans ce débat, on part du principe que la sobriété et l’efficacité sont des données à prendre en compte, et ensuite on adapte le modèle industriel.

J’aimerais que ce soit plus le cas ici, car on a pu entendre beaucoup d’intervenants valoriser ou survaloriser ce qu’on appelle des illusions techniques. On considère que la crise écologique et sociale que traverse l’industrie automobile nous invite à un exercice d’honnêteté. On ne peut pas courir des années durant encore derrière des illusions. Celle des agro-carburants, qui seraient des carburants permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors qu’on constate que ce n’est pas le cas. Ou celle de la voiture électrique, alors qu’on sait très bien qu’aujourd'hui, en fonction du mix énergétique ou de la période, on va charger les batteries, et ce, même si à un problème technologique on rajoute un autre problème technologique, à savoir les smart grids. Une note de RTE et de l’ADEME, qui est restée interne, et qui a été produite dans le cadre du groupe de travail sur la pointe électrique, laissait supposer que 1 ou 2 % de voitures électriques a échéance 2020 auraient un impact de 10 % sur la pointe électrique.

Donc à un moment, il faut remettre en priorité la sobriété, et dans un deuxième temps l’efficacité énergétique. La sobriété, cela passe évidemment par le bridage des moteurs, par la réduction des vitesses, ce qui permet de réduire considérablement les consommations unitaires des véhicules. Et dans un deuxième temps, il faut réfléchir à l’efficacité énergétique des véhicules.

Je prends quelques chiffres extraits du très bon rapport de Jean Syrota, consultant, ancien président de la Commission de régulation de l’énergie, produit pour le Centre d’analyse stratégique. Il indique que l’augmentation de la vitesse de pointe de 10 km/h se traduit par une surconsommation de 0,4 à 0,7 litre/100 km en ville, une accélération de 0 à 100 km/h une seconde de différence, c’est un gain d’un litre et plus aux 100 km. Enfin, la diminution de la vitesse autorisée sur autoroute de 130 à 120 km/h aurait pour vertu d’améliorer l’efficacité énergétique des véhicules de 14 %, soit 1 litre/100 km. Tous ces éléments participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à notre dépendance au pétrole.

On aimerait que l’approche soit systémique et tricéphale. Donc sobriété, efficacité énergétique, et je vais conclure par une autre mobilité – j’espère que l’assistance ne va pas se vaporiser sous ce gros mot, mais faisons un rêve, c’est que ce rapport de l’Office parlementaire conclue à la valorisation d’un outil extrêmement technique et efficace : le vélo.

Mme Fabienne Keller. Merci beaucoup. Le vélo, c’est comme la voiture, c’est quand je veux, où je veux. C’est juste un peu plus fatigant. Et pour le pratiquer beaucoup à Strasbourg, ce n’est pas adapté à toutes les distances, mais c’est une des réponses possibles. Encore faut-il organiser le stockage des vélos pour leur sécurisation, et leur circulation, c'est-à-dire les voies et les parkings aux deux bouts, chez soi, sur son lieu de travail, sur le lieu de loisir ou de formation.

M. Stephen Kerckhove. Si je peux me permettre, une voiture électrique qui tombe en panne au bout de 50 km, c’est beaucoup plus fatigant à pousser.

Mme Fabienne Keller. Ceci dit, le vélo électrique est une hypothèse très intéressante, parce qu’il permet d’allonger les distances, de transporter des personnes peut-être un peu fatiguées, enfin de passer les montagnes sans être en transpiration totale.

M. Denis Baupin. J’ajoute que les deux rapporteurs de ce rapport ne peuvent pas être taxés d’être des adversaires du vélo, mais en l’occurrence, on a considéré qu’il fallait peut-être s’attaquer aux autres modes de déplacements.

M. Denis Voisin, chargé de mission mobilité durable, Fondation Nicolas Hulot. Nous partageons l’approche de M. Kerckhove, en cela qu’il faut commencer par les comportements. Nous soutenons aussi des choses autour des technologies de l’information, pour aller vers du covoiturage, de l’auto-partage. Nous avons deux crises : l’écologie, le coût. Toutes ces nouvelles technologies, auxquelles nous ne sommes pas hostiles a priori, ont aussi un coût, qui augmente, et pour beaucoup de ménages, c’est très compliqué de s’équiper en véhicule neuf. Nous travaillons sur la précarité. Il est important que ces nouveaux véhicules soient aussi utilisés dans le cadre de partage de flotte et de mutualisation des coûts.

De notre point de vue, ces nouveaux véhicules sont surtout un moyen de traiter des territoires dépendants à l’automobile, et de faire du rabattage vers des transports collectifs plus massifs. À ce titre, je soutiens ce qui a été dit par mon collègue de l’ADEME à propos des plateformes. Les plateformes d’éco-mobilité permettent de développer l’inter-modalité et de réduire l’incertitude quand on veut utiliser plusieurs transports successifs.

Quant aux technologies, qui sont plus le sujet du jour, nous sommes là pour agir sur le cadre réglementaire et veiller à ce que les bilans soient faits du puits à la roue, que ces bilans soient transparents. Je salue l’intervention de M. Schulz à propos de la transparence. Si seulement c’était le cas et si les tests au niveau européen étaient fiables ! On a vu plusieurs rapports sortis récemment qui ont remis en cause à la fois les mesures de CO2, mais aussi les mesures d’émissions de polluants et de particules fines. C’est une chose à laquelle il faut faire attention.

Mme Lorelei Limousin, chargée de mission Climat-Transports, Réseau-Action-Climat (RAC). Sur les questions de carburants, le RAC ne fait pas de choix technologique, mais estime que si l’on veut utiliser les carburants les moins polluants, encore faut-il mesurer correctement et précisément l’intensité carbone. Je fais référence aux agro-carburants et aux impacts liés au changement d’affectation des sols indirect, qui rendent les agro-carburants, pour beaucoup, plus émetteurs que les carburants d’origine fossile. Je fais également référence à l’électrique. En effet, une analyse de cycle de vie nous semble indispensable si l’on veut promouvoir ces carburants alternatifs au titre de leur efficacité environnementale.

Par contre, nous sommes très engagés sur l’efficacité énergétique et donc le carburant que l’on ne consommera pas. Vous parliez des normes européennes qui sont en cours de décision. Ce matin même, en commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) au Parlement européen, on est en train de voter sur les limites pour 2020. C’est encore un débat très chaud entre les industriels, les Allemands qui sont producteurs de gros véhicules, et les Français. On ne sait pas trop ce qui va advenir de la proposition, mais en gros, ce qu’elle prévoit, c’est un objectif de 95 grammes de CO2/km en moyenne en 2020. Cette proposition de la Commission européenne ne prévoit pas d’objectif post-2020. Or on s’aperçoit que si l’on veut réduire significativement l’impact des transports, et donc des véhicules particuliers qui représentent 50 % des émissions de gaz à effet dans ce secteur, il faut absolument aller plus loin.

L’un des constructeurs ici présent a précisé que les émissions avaient grandement diminué. C’est grâce à l’objectif 2020. Encore que les émissions officielles ne reflètent pas toujours la réalité. Mais c’est une autre histoire. On voit que ces normes CO2 ont incité, stimulé, les investissements dans l’efficacité énergétique. C’est pourquoi nous pensons que c’est indispensable que la France et l’Union européenne soutiennent des normes ambitieuses.

Une étude est sortie hier sur l’objectif 2020 de 95 grammes. Elle a été menée conjointement avec des industriels, dont l’association européenne des équipementiers automobiles (CLEPA), Eurelectric et Nissan. Cette étude montre qu’un objectif renforcé de 90 grammes en 2020 permettra la création de plus de 400 000 emplois en 2030. On peut voir ici une réponse à la crise économique et sociale.

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d’économie des transports (CNRS, Université de Lyon). Le premier message, en termes de stratégie industrielle et de réglementation sur les véhicules électriques, c’est peut-être de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Comparons la voiture électrique à la voiture classique carburant fossile. Une voiture classique fonctionne à 10 kWh/litre et 2,5 kg de CO2/litre. À 8 litres/100 km, on est à 200 grammes de CO2/km. Si l’on prend ce qui est sur le marché actuel, en moyenne à 5 litres/100 km, on est à 125 g. de CO2/km. Et puis si l’on tend vers le véhicule hybride à 3 litres/100 km, on va vers du 75 g. de CO2/km.

Prenons maintenant la voiture tout électrique (à batteries). Tout dépend évidemment du mix énergétique, du mix CO2 de l’électricité, puisqu’une voiture électrique va consommer 15 kWh/100km. Si l’on prend le mix EDF, avec 50 grammes de CO2/kWh (2005), on est à 7,5 grammes de CO2/km. Mais si l’on se base sur le mix moyen européen, qui est à 350 g. de CO2/kWh (UE 2005), alors on est à 53 grammes de CO2/km. Enfin, si l’on prend le mix du Royaume-Uni, qui est à 500 grammes de CO2/kWh, on est à 75 grammes de CO2/km, équivalant aux véhicules hybrides d’aujourd'hui.

Étant donné l’incertitude sur le contenu en CO2 de l’électricité, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Les améliorations qui peuvent être faites sur le moteur d’une voiture classique, à combustion interne, associé à l’électricité à travers les véhicules hybrides, peuvent faire aussi bien, sinon mieux, que le tout électrique. Tout dépend du mix CO2 de l’électricité.

Mme Fabienne Keller. Et le mix chinois ?

M. Charles Raux. C’est pire.

Mme Fabienne Keller. C'est-à-dire que la production électrique est entièrement carbonée ?

M. Charles Raux. C’est bien pire.

M. Denis Baupin. N’ayez pas une image aussi caricaturale du mix énergétique chinois.

Mme Fabienne Keller. Non, mais cela nous donne une idée des curseurs de haut en bas. C’est pour avoir une idée de l’impact du mix énergétique sur les émissions de CO2, compte tenu de la production électrique.

C. Mobilité et habitation

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN. Je vais rebondir sur la partie production de l’électricité décarbonée. M. Beretta a parlé d’écosystème, et effectivement, si l’on raisonne en termes de transport-mobilité, pour que ça marche et qu’il y ait une réelle intermodalité entre les usages et les différents types de transports, il faut des véhicules communicants. Mais également, si l’on raisonne au niveau de la filière entière des véhicules électriques, il faut pouvoir les recharger. Il faut donc mettre en place une infrastructure de recharge mobilité solaire ou des recharges hydrogène. La recharge peut également se faire au domicile, à partir du réseau actuel, et là on parlera de smart grid.

Je voulais aussi introduire la notion de gestion intelligente de la maison, en introduisant toutes les nouvelles technologies dans l’habitat. À partir de là, on peut connecter le véhicule électrique avec l’habitation. C’est la notion de smart house, sachant que l’ensemble ne fonctionnera que si nous disposons de véhicules communicants, mais également de services d’utilisation pour les usagers.

Arrêtons-nous sur la smart house. On a évoqué ce matin la sobriété énergétique, mais il y aussi la maîtrise de la demande et de la prévision de production de l’énergie. En France, le transport et le bâtiment consomment 75 % de la consommation d’énergie. L’un des moyens pour arriver à une production vertueuse, c’est d’utiliser les énergies renouvelables et d’auto-consommer l’électricité que l’on peut produire chez soi. Si l’on se recharge à partir du solaire fait à la maison, on arrive quasiment à 0 gramme de CO2/km.

L’une des pistes, c’est de favoriser l’autoconsommation par la maîtrise de la demande et le stockage décentralisé d’énergie. Prenons l’exemple d’une maison basse consommation (label BBC de réglementation thermique 2015), c'est-à-dire 50kWh/m2/an, ajoutez-y des panneaux photovoltaïques d’une puissance de 5 kW, cela vous permet, sans stockage d’énergie, d’être autonome à 30 % de votre consommation d’électricité. Rajoutez 6 à 10kWh en batterie, vous arrivez à 70 % d’autonomie en consommation. 6 à 10kWh, c’est moins qu’une batterie de voiture.

Aujourd'hui, les batteries lithium stationnaires sont encore trop chères, mais le véhicule électrique, lui, va pouvoir être la première batterie connectée à la maison, à un prix plus accessible qu’une batterie lithium stationnaire, même s’il est aujourd'hui encore élevé.

On voit bien la convergence entre le transport électrique durable et l’habitation. En favorisant l’autoconsommation, on évitera des pertes en ligne. Il faut rappeler que c’est dans le transport sur les lignes électriques que l’on perd beaucoup en efficacité énergétique.

Pour finir, je vous donne quelques chiffres. Si vous prenez un petit parking de 12 m2, cela vous permet d’avoir entre 2000 et 2200kWh/an. Par rapport à un besoin de 23 km/jour, tous les jours, en véhicule électrique, c’est un peu moins : 1600kWh/an (180 Wh/km). Vous voyez qu’avec 12 m2 de parking photovoltaïque, vous pouvez faire 30 km en moyenne par jour. On a parlé tout à l'heure de 60 km, mais entre 30 et 60, les chiffres peuvent varier.

L’autoconsommation peut se faire via un parking au travail ou chez soi, ou en se connectant directement à la maison. Sachant que le stockage du véhicule permet aussi de réinjecter le surplus dans le réseau, et donc aussi de lisser la faible demande du réseau la nuit, cela favorise une meilleure efficacité énergétique du réseau.

M. Denis Baupin. Selon l’ordre de grandeur que vous indiquez, 12 m2 de panneaux photovoltaïques permettent de fournir l’électricité nécessaire pour faire 23 km par jour.

M. Laurent Antoni. Oui.

M. Denis Baupin. C’est l’ordre de grandeur des technologies d’aujourd'hui.

M. Laurent Antoni. Une place de parking en gros.

M. Denis Baupin. De plus, on va vers quelque chose qui va a priori gagner en efficacité.

Mme Fabienne Keller. Et en hiver, quand il n'y a pas de soleil ?

M. Laurent Antoni. Là aussi, on peut raisonner sur la production annuelle. Le surplus que vous allez produire dans la journée sans l’utiliser, vous le réinjectez dans le réseau. Ensuite, on peut faire des bilans de production « d’électrons verts » au niveau annuel. Ou alors, on peut raisonner en termes de filière de stockage de l’énergie à travers l’hydrogène, pas forcément pour une maison individuelle, mais à plus fort volume. Dans ce cas, quand il fait beau et qu’on a un surplus d’électricité, on utilise le vecteur hydrogène pour faire du stockage saisonnier que vous allez pouvoir justement reconvertir en électricité, ou pour alimenter directement une voiture lorsqu’il n'y a pas assez de soleil ou de vent. In fine, on aura un meilleur rendement au niveau annuel.

M. Denis Baupin. Et vos 23 km, c’est pour quel type de véhicule ?

M. Laurent Antoni. Des véhicules de tourisme classique, dans la catégorie type C.

M. Denis Baupin. Donc on peut encore gagner.

M. Bernard Frois, président du groupe des Représentants des États-membres de l’Union européenne auprès du JTI Hydrogène. Pour l’Allemagne, la question essentielle, c’est d’intégrer les énergies renouvelables, et donc d’utiliser l’hydrogène comme moyen de stockage. Ce principe, qui s’intègre parfaitement avec ce que vient d’exposer M. Antoni, ouvre des perspectives complètement nouvelles, parce que, effectivement, toute la difficulté est de faire du stockage massif. Voici deux exemples.

Le premier exemple est un projet de Total, d’Enertrag et de l’aéroport de Berlin. Attention, c’est un rêve, il faut être bien conscient que ce n’est pas la réalité. Ce projet est simplement un concept qui va être mis en œuvre, et dont on ignore encore quelles seront les perspectives économiques. Alors qu’en France nous nous posons des questions classiques, l’Allemagne essaie d’aller au-delà en recherchant des voies nouvelles.

Le deuxième exemple, ce sont les deniers résultats de l’étude publiée il y a trois mois sur l’hydrogène comme moyen de stockage1. Elle a été financée par l’organisme qui s’occupe du déploiement de l’hydrogène en Allemagne. Ce qu’il faut bien voir, c’est que le problème posé par M. Antoni par rapport aux maisons privées, l’Allemagne se l’est posé par rapport à tout son circuit hydrogène. Le stockage que vous voyez au centre de cette image, c’est un stockage souterrain. Là encore, ce n’est qu’un modèle, mais enfin, le modèle qui est prévu à l’horizon 2030, c’est qu’en utilisant 3 300 heures/an de stockage d’énergie renouvelable, on obtient l’équivalent énergie de 14 centrales nucléaires (14 000 GWh).

Ce modèle est tellement soumis à hypothèses que je ne garantirais pas que c’est là. Mais c’est un complément très intéressant, dans la mesure où l’Allemagne ne cherche pas une solution, mais un portefeuille de solutions. Dans cette étude, il est dit que toute décision doit être prise absolument en 2022 pour atteindre les objectifs de 2030. On réfléchit en Allemagne, on recherche et on prévoit de réaliser ce genre de choses d’ici à 2022. Et en 2022, le gouvernement allemand devra prendre une décision pour savoir si genre de choses est économiquement viable. Dans cette étude, on atteint des prix de l’hydrogène qui sont de l’ordre de 6 euros lorsque tout est intégré, y compris les mesures fiscales.

M. Denis Baupin. Quel est le bilan énergétique lorsqu’on change de vecteur en passant de l’électricité à l’hydrogène ?

M. Bernard Frois. Il est tout inclus. C’est une énergie qui est fatale, c'est-à-dire qu’elle est perdue. Je ne vais pas rentrer dans des chiffres précis, parce que ce sont des modèles. Quelque part, les chiffres ne présentent aucune fiabilité en termes d’efficacité. Tout ce qu’on sait, c’est que l’efficacité est assez faible. On ne cherche pas l’efficacité, on cherche à récupérer ce qu’on peut récupérer dans un cycle qui est vertueux. Après, la question va se poser en termes socio-économiques. On peut se tromper d’un facteur 3, et dans ce cas, l’hydrogène serait très cher.

Ce modèle allemand a coûté cher. Cette agence a étudié cela pendant une année. Tous les chiffres sont disponibles sur Internet. Le but, c’est vraiment de faire une trouée, de récupérer toute l’énergie qui est perdue actuellement. On perd à peu près 50 % des énergies renouvelables aujourd'hui. Cela veut dire qu’il y en a déjà beaucoup trop en Allemagne. Et donc cette question du stockage de l’énergie par l’hydrogène, qui est également à l’agenda européen, est une question actuelle que l’Allemagne se pose et qu’il faut se poser maintenant pour obtenir une réponse.

Mme Fabienne Keller. Pourriez-vous nous donner des idées de rendement entre l’énergie sortie au pied de l’éolienne ou de la cellule photovoltaïque, et après électrolyse transformée en hydrogène ?

M. Bernard Frois. Je vous remercie de cette question, parce qu’elle est stratégique. Où est la stratégie ? C’est l’électrolyseur. D’ailleurs, Siemens se lance à fond dans l’électrolyseur. Vous pouvez demander à M. Bardi qui est le spécialiste de la question. Il vous dira mieux que moi ce qu’il attend de l’électrolyseur.

M. Nicolas Bardi. En électrolyse, on arrive à avoir des rendements assez élevés de l’ordre de 80 à plus de 90 % selon les technologies. Ce n’est pas ce point-là qui est le plus limitant dans l’analyse du cycle de vie. C’est ensuite, dans la partie pile à combustible, où le rendement est inférieur à 50 % dans le véhicule, quoiqu’il est bien meilleur que les moteurs thermiques.

Du puits à la roue, ce cycle est inférieur à 50 %, mais pas de beaucoup, et il est meilleur que sur des solutions fossiles. Par contre, il est moins bon que des solutions purement électriques avec des batteries. En revanche, par rapport aux batteries, il permet de gagner en autonomie. Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients.

Mme Fabienne Keller. De par le caractère stockable indéfiniment de l’hydrogène ?

M. Nicolas Bardi. Tout à fait. Si l’on regarde, non pas la filière hydrogène de l’éolienne ou du panneau solaire jusqu'au véhicule, mais plutôt par rapport aux autres options de stockage de cette électricité renouvelable, on voit bien qu’il n'y a pas de solution véritablement unique. C’est hélas le cas dans tous les débats sur l’énergie.

Certains stockages seront localisés, avec des batteries situées près des sites de production. De toute façon, pour gérer des pointes de production ou de coupure de production dans le solaire, il vaut mieux avoir des batteries. On peut très bien avoir des systèmes hybrides dans lesquels derrière on vient produire cet hydrogène. Le gros intérêt de l’hydrogène, c’est qu’on peut, soit directement l’injecter dans des réseaux de gaz naturel - ce sont des sujets que l’on regarde avec nos partenaires de GDF SUEZ -, soit utiliser des réseaux spécifiques d’hydrogène lorsqu’ils existent, soit stocker directement cet hydrogène localement, au niveau d’une petite région ou typiquement à l’échelle d’un département ou d’une agglomération, et ensuite aller faire de la distribution locale pour des véhicules hydrogène.

C’est donc vraiment un complément par rapport aux grosses capacités de stockage, lesquelles, sinon, sont des technologies de type CAES (stockage d’électricité sous forme d’air comprimé) ou de type remontée de l’eau dans les barrages dont on sait que c’est à un moment limité. Ou alors en multipliant du stockage électrochimique du type batterie avec les différentes voies de batterie. Mais quand on le fait, on stocke de l’électricité, et on la réutilise forcément sous forme électrique, et l’hydrogène amène une flexibilité qui peut être intelligemment couplée aussi avec les réseaux existants de gaz. C’est pourquoi il y a des hybridations et des stratégies progressives qui peuvent utiliser aussi le vecteur gaz comme un élément de transition. Aujourd'hui on a du gaz fossile, on peut rajouter de l’hydrogène, et on peut mettre aussi du biogaz. Tout cela peut servir de stratégie de transformation progressive du mix énergétique, y compris pour l’usage transport.

M. Bernard Frois. Je vais ajouter une chose. Ce qui est important, ce sont les smart grids. Aujourd'hui, les solutions qu’on envisage sont très globales. Finalement on cherche à avoir une réponse totale. Avec les smart grids, on ira probablement vers un système composé de petits îlots spécifiques. L’hydrogène qui est stocké peut permettre justement d’alimenter un certain secteur et d’éviter d’avoir à transporter de l’énergie sur de très grandes distances. L’hydrogène comme moyen de stockage, c'est une flexibilité.

Mme Fabienne Keller. Je repasse la parole à M. Raux.

M. Charles Raux. Je suis désolé, mais n’ayant pas participé aux précédentes tables rondes, je reviens sur l’efficacité comparée des différentes solutions. Mon deuxième message, c’est que la solution n’est pas que technologique.

Voici un tableau comparatif des émissions de gaz à effet de serre des modes de transport public. En Ile-de-France, vous avez le tram, le RER et le métro, qui fonctionnent à l’électricité. Et puis il y a l’immense majorité des Français qui fonctionnent sur trois autres modes : les deux-roues, mais surtout l’autobus et les véhicules particuliers.

L’ADEME, en 2008 a mesuré l’impact du taux d’occupation d’un véhicule. Les petites barres roses de ce graphique le traduisent. Dans un autobus par exemple, qui compte 50 passagers à l’heure de pointe, l’émission de CO2/voyageur/km est de 25 grammes. À une heure creuse en banlieue, avec 5 voyageurs dans le bus, ce taux monte à 200 grammes. Dans une ville comme Lyon, où la moyenne est de 13 passagers dans l’autobus, ce taux est à 100 grammes. Ce sont des pistes d’amélioration. Bien sûr, il ne s’agit pas de mettre du bus partout. Mais par rapport au véhicule électrique, où l’on est aujourd'hui au mieux à 50 grammes de CO2/km, vous voyez que le bus peut faire mieux avec 25 grammes de CO2/km à l’heure de pointe.

Dans un véhicule particulier, en 2008, la moyenne était à 180 grammes de CO2/km dans les conditions de circulation en zone urbaine. Ce taux varie selon le taux d’occupation. Dans un véhicule à 3 litres/100 km, soit 75 grammes de CO2/km, si on le remplit de deux personnes, vous voyez qu’on arrive à diminuer fortement ce taux.

Même si le covoiturage par exemple est une solution difficile à mettre en œuvre dans les agglomérations françaises aujourd'hui, on voit qu’il y a des solutions en termes d’organisation, d’usage des modes, qui présentent des rapports coût/efficacité assez intéressants par rapport aux options purement technologiques et industrielles.

D. Interventions transversales

M. Jean-Claude Bocquet, École Centrale Paris. Nous allons changer d’échelle. Quand on n’a ni soleil ni vent, il nous faut quand même de l’électricité. Je propose donc que nous nous situions au niveau du système complet production-distribution-transport. Cela nécessite une approche systémique et pluridisciplinaire. Nous sommes dix chercheurs à plein temps à travailler sur ces sujets-là dans le cadre d’une grosse chaire Supélec/Centrale financée par EDF.

Réduire la consommation, cela nécessite une évolution technique et une révolution culturelle et sociale, ce que nous appelons « la ré-évolution ». Jusqu’à présent, les systèmes de production et de distribution étaient des opérations passives. Nous avions quelques centres de production, une quinzaine, et puis les flux de distribution vers les clients étaient uniques. Actuellement, rien que pour le photovoltaïque, nous avons 40 000 points de production supplémentaires, qui font que les flux sont bilatéraux, et donc on va restituer de l’énergie. Cela pose énormément de problèmes pour la gestion intelligente de toute cette complexité.

Il y a de la complexité structurelle. Elle est liée à l’hétérogénéité des composants entre photovoltaïque, éolien, etc. La dimensionnalité : 40 000 points de production photovoltaïque. Je ne vous dis pas combien on aura de points quand le véhicule électrique va se déployer à grande échelle. Cela se comptera par centaines de milliers, voire des millions. Avec la stricte nécessité d’avoir couplé les systèmes informatiques temps réel, de disposer des données qui vont bien pour le pilotage de ces outils. C’est tout le problème de la sûreté du fonctionnement lié à ces éléments. Le piratage des données informatiques sera aussi important que la défaillance d’une installation ou d’un composant électrique du réseau. EDF nous dit : aidez-nous pour que nous ne devenions pas le fournisseur de Google, et que ce ne soit pas Google qui dispose de toutes les données nécessaires à la gestion de ces réseaux ainsi qu’à leur sécurité.

Nous devons donc avoir une fiabilité couplée, structurelle et systémique. Et ensuite, il y a de la complexité dynamique opérationnelle. En temps réel, il ne suffit plus de gérer quelques tranches de centrales nucléaires à arrêter ou à mettre en route, mais des millions de points. Nous faisons des recherches sur tous ces sujets. Je pense que le niveau de sécurité de ces systèmes doit au moins être comparable à celui des centrales nucléaires.

M. Denis Baupin. Vous voulez parler de la sécurité de l’approvisionnement, non pas de la sécurité des centrales nucléaires.

M. Jean-Claude Bocquet. Nous parlons de la sûreté, de la sécurité et de la fiabilité des systèmes. Dans le cas de la production régionale, le système des systèmes va dépendre des systèmes en région, qu’il s’agisse de systèmes de santé ou de transport. Nous devons les sécuriser.

Mme Fabienne Keller. Google est-il seul capable de faire de tels liens ?

M. Jean-Claude Bocquet. Non, ils ne sont pas les seuls, mais ce sont eux qui sont les plus avancés et qui mettent le plus de moyens aujourd'hui pour avoir tous les paramètres de la maison. Aujourd'hui, pour faire de la gestion intelligente de l’énergie du bâtiment, on utilise des tas d’applications qui sont des logiciels Google. On aimerait les avoir.

M. Alexandre Bouchet, directeur associé, E-Cube. Mon intervention s’inscrit dans le prolongement de celle de M. Antoni sur les smart grids.

Mme Fabienne Keller. M. Bouchet, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est E-Cube ?

M. Alexandre Bouchet. E-Cube est un cabinet d’études spécialisé dans l’énergie. Mes domaines de prédilection sont plutôt les systèmes électriques, les systèmes énergétiques, pas forcément le transport. Mais nous avons été amenés à travailler pour des constructeurs automobiles et également des grands énergéticiens autour de la problématique du lien entre le transport et les systèmes énergétiques, en particulier sur le lien entre le véhicule électrique et les systèmes électriques.

Je suis un peu mal à l’aise avec l’étude RTE/ADEME qui a été citée, que je ne connais pas, et qui prévoit une augmentation des pics de consommation. Mais du point de vue de la technologie existante et de l’économie, quand on analyse les véhicules électriques par rapport au système électrique, on arrive plutôt à identifier des valeurs pour le système électrique.

Ces valeurs, M. Antoni en a expliqué certaines. La première, c’est la capacité à pouvoir reporter de la consommation électrique d’une maison à un autre moment, en s’appuyant sur la batterie du véhicule électrique pour l’autoconsommation. C’est quelque chose de possible, et pas uniquement avec du photovoltaïque. Dans le cas d’un déplacement travail-domicile, le véhicule, quand il revient au domicile à 18 heures, n’a pas épuisé ses 120 km d’autonomie. Il lui reste encore suffisamment de capacité pour pouvoir éventuellement subvenir, en partie, aux besoins de consommation de la maison, et ainsi effacer la pointe. La valeur d’effacement de pointe sera donc de plus en plus rémunérée, puisque la loi vise à rémunérer davantage les capacités de façon à passer la pointe électrique. Ce service sera de plus en plus rémunéré, et donc plus intéressant à mettre en place.

Deuxièmement, à l’horizon 2020-2025, il se peut qu’en France on dispose d’un million de véhicules électriques ou hybrides qui seraient connectés à une charge de 3 kW. Potentiellement, 3 gW seraient donc mobilisables. Ils ne seraient jamais mobilisables à un instant t, tous en même temps, mais avec des modèles cascado-cycliques, avec le foisonnement, on est capable d’en mobiliser une certaine partie. Et l’on est capable de subvenir à des besoins d’équilibrage en permanence de RTE pour assurer le fonctionnement du système électrique français. Là encore, cela se rémunère, et de nouveau il y a une valeur qu’on pourrait monétiser dès aujourd'hui sur le système électrique français.

La troisième valeur, c’est la deuxième vie de la batterie. Il est prévu d’arrêter la batterie en mode embarqué quand on arrive à un niveau d’efficacité de la charge de la batterie de l’ordre de 80 %. Que va-t-on faire de ces batteries par la suite ? Il y a deux modèles. Cette batterie, on peut la transformer en mode stationnaire, éventuellement en la mettant dans le domicile de la personne qui a acheté le véhicule électrique. Les ordres de grandeur de cette transformation de batterie embarquée en batterie stationnaire sont de l’ordre de 600 à quelques milliers d’euros. Il y a beaucoup de différences sur la valorisation actuelle. Mais si on arrive à faire ce type de transformation, on a de nouveau une valeur qui est liée au stockage décentralisé. Le second modèle, c’est un opérateur qui choisit de reconstituer un stockage centralisé extrêmement important. Pour cela, il connecte l’ensemble des batteries pour constituer une sorte de barrage hydro-électrique mobilisable sur simple demande, et selon le même mode opératoire qu’un barrage, c'est-à-dire en écoulant sa capacité de production au moment où les prix sont les plus chers, et en se chargeant sur le réseau au moment où les prix sont les moins chers.

Mme Fabienne Keller. Je posais la question du rendement.

M. Alexandre Bouchet. Le rendement des batteries aujourd'hui ? 85 %.

Mme Fabienne Keller. Donc on ne perd pas trop.

M. Alexandre Bouchet. On ne perd pas trop, non.

M. Alain Dollet, Institut des sciences de l’ingéniérie et des Systèmes (INSIS), CNRS. Dans le premier volet de mon intervention, je vais revenir sur les questions d’hydrogène qui ont été évoquées, en particulier sur le rendement, la conversion pour le stockage. Puis je vous donnerai un élément plus général de réflexion sur la recherche autour des problèmes liés à l’énergie et à la pluridisciplinarité nécessaire pour aborder toutes ces questions.

Concernant l’hydrogène, on a évoqué la possibilité de le produire par électrolyse, par exemple à partir d’énergies renouvelables. Une expérience, actuellement menée, implique l’une de nos unités mixtes de recherche, l’UMR de l’Université de Corte, le CEA et la société Hélion. Elle consiste à stocker l’énergie solaire sous forme d’hydrogène par électrolyse de l’eau. On récupère l’électricité des panneaux photovoltaïques pour électrolyser l’eau, fabriquer l’hydrogène qu’on va pouvoir restituer à l’aide d’une pile à combustible. En termes de rendement, on obtient à peu près 80 % au stade de l’électrolyse, un peu moins de 50 % sur la pile à combustible. Mais si l’on considère au départ cette voie-là uniquement pour la production d’hydrogène et de fourniture d’électricité, on est handicapé par le rendement photovoltaïque qui, lui, peut s’avérer relativement pénalisant, puisqu’il va être de l’ordre de 15 % sur une centrale. Donc pour les énergies renouvelables, c’est vraiment une solution de stockage, mais qui ne sera pas destinée, je pense, à permettre une production d’hydrogène qui sera éventuellement ensuite utilisé pour un autre usage.

Dans le cadre de nos recherches, nous nous intéressons à d’autres possibilités, sur le long terme, de fabriquer de l’hydrogène de manière très propre, avec en plus des rendements plus intéressants. Il s’agit d’une production directe, qui utilise des cycles thermochimiques à haute température. À partir d’énergie solaire concentrée, et simplement de l’eau comme matière première, on va pouvoir produire de l’hydrogène, avec un rendement meilleur qu’en partant du photovoltaïque électrolyse. Dans un premier temps, l’énergie ne sera pas dégradée, et par ce biais-là, on va pouvoir atteindre des productions tout à fait originales d’hydrogène, avec des rendements plus intéressants et un procédé très propre. Nous sommes sur les zones très ensoleillées et sur le long terme, à l’horizon 2030.

Cette même voie permettrait d’ailleurs de valoriser le CO2, puisqu’avec le même type de cycle, on pourrait produire du CO qui permettrait de faire des carburants de synthèse, toujours avec les mêmes avantages de ce procédé, c'est-à-dire un procédé propre avec des rendements intéressants. C’est une filière à long terme.

J’arrive au deuxième volet de mon intervention. J’ai entendu la complexité des choix en matière d’énergie et de véhicules. Plusieurs options s’offrent à nous : véhicule électrique ou hybride. Sur ces questions très pluridisciplinaires, il s’agit d’avoir des approches pragmatiques. Au-delà de la solution technologique, il faut se poser la question des ressources disponibles, des enjeux environnementaux bien sûr, et des enjeux sociétaux, pas seulement en termes d’acceptabilité, mais également en réfléchissant à la manière d’associer les citoyens au débat public et aux décisions qui sont prises. C’est quelque chose de très important. Je pense que dans tout le travail qu’on doit faire, nous devons intégrer cette dimension-là.

On disait sobriété et efficacité énergétique. Bien sûr, c’est indispensable. Mais pour me rendre au Japon prochainement, ce sera difficile pour moi d’utiliser le vélo. Et même si c’est quelque chose qu’il faut absolument développer, ce ne sera pas suffisant. Aujourd'hui, il faut vraiment regarder le problème dans toute sa complexité. Par exemple, s’agissant des véhicules aujourd'hui et de leur efficacité, il faut regarder les questions d’allègement du véhicule, et pas seulement de propulsion et de diminution de l’impact CO2, qui sont importantes. Il faut regarder les questions de biocarburants qu’il ne faut pas du tout écarter. Et puis concernant l’électrification du véhicule, M. Raux l’a dit, si on fait des véhicules électriques et que l’électricité est d’origine fossile, on n’aura pas gagné grand-chose. Et quand on fera l’analyse du puits à la roue, et une analyse plus complète de l’impact environnemental, on s’apercevra que le résultat est décevant. Aujourd'hui, les technologies hybrides font partie des solutions à envisager.

M. Denis Baupin. C’est bien que vous parliez de l’acceptabilité des énergies en parlant du Japon. La question principale pour les Japonais aujourd'hui en matière d’acceptabilité et de choix énergétique n’est pas forcément comment on y va, en vélo ou en avion.

M. Laurent Antoni. Je voudrais rebondir sur la fin de votre propos selon lequel la production d’électricité, si ce n’est pas à partir de renouvelable, ne nous fera pas gagner pas grand-chose par rapport aux véhicules thermiques. Il faut quand même faire la distinction entre le véhicule thermique, qui émet du CO2 de manière totalement dispersée, et une production d’électricité centralisée, qui permet de faire de la captation de CO2. Cela ne veut pas dire qu’on n’est pas sans CO2, mais qu’on le produit de manière moins diffuse, donc moins difficile à capter, et à recycler.

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell. Je fais ici partie du groupuscule des gens qui pensent que l’hydrogène est une bonne solution. Nous proposons des solutions basées sur des piles à hydrogène pour des véhicules. Comme nous sommes une petite structure, nous cherchons des solutions pour aujourd'hui, accessibles tout de suite sur le marché, et qui ont déjà des clients intéressés à des solutions vertueuses par rapport à l’environnement.

Nous nous attaquons au sujet de la livraison en centre-ville. Nous pensons que l’hydrogène est la seule solution viable pour le centre-ville. Évidemment, on sait livrer avec des petits vélos électriques, mais dès qu’on va faire de la grosse livraison pour les supermarchés ou le e-commerce, je pense en particulier à tous les camions qui circulent en ville, on a besoin d’autonomie, de beaucoup d’énergie embarquée. Et aujourd'hui, on arrive aux limites de ce que sait faire une batterie. Donc la seule solution qui permet de venir en centre-ville sans aucune pollution, c’est l’hydrogène. Je rappelle que la pile à combustible est une réaction électrochimique très simple qui ne fait que de l’eau pure (H20). Cette solution résout cette problématique de santé publique, puisqu’on ne va plus dégager de polluants.

Et elle résout une autre problématique qui me paraît très importante. On a parlé de sécurité énergétique. Il faut savoir qu’aujourd'hui 99% des transports dépendent des énergies fossiles. On peut réduire la consommation des moteurs à travers différentes solutions dont on a parlé, mais si on veut vraiment s’affranchir des énergies fossiles au niveau des livraisons, là aussi, il faut bien mettre un vecteur énergétique qui ne dépende pas de ces énergies.

On a parlé de l’électricité stockable à bord du véhicule par la batterie. L’hydrogène, c’est la deuxième solution pour venir stocker de l’électricité dans des véhicules.

On a parlé d’électrolyse. L’hydrogène peut être produit à partir d’électrolyse. Aujourd'hui, il y a beaucoup d’hydrogène fatale qui est produite à partir de cette électrolyse, et qu’on peut venir stocker à bord des véhicules.

Nous cherchons des solutions qui soient intéressantes pour les clients. Aujourd'hui, ce qu’ils viennent chercher, ce sont des valeurs écologiques, mais aussi de l’augmentation d’usage. À partir du moment où l’on est capable d’avoir une solution électrique pour faire de la livraison, cela ouvre l’accès à des livraisons de nuit parce que peu bruyantes. Et dans ce cas-là, on va moins se heurter à l’encombrement des centres villes, et donc améliorer la livraison. Le gain n’est pas uniquement sur l’image. Il est aussi sur l’économie du système. C’est très important.

Dans ce cadre-là, nous développons des solutions pour des flottes captives, ce qui évite d’avoir à attendre des infrastructures hydrogène. Notre produit est un kit qui vient s’installer sur les véhicules existants et qui permet de doubler leur autonomie.

M. Mohamed Gabsi, ENS-Cachan. J’ai entendu beaucoup de choses intéressantes. Ma réflexion personnelle, c’est que les solutions qu’on cherche sont difficiles à trouver, difficiles à mettre en œuvre, difficiles à faire et à défaire. Ma spécialité, c’est la motorisation électrique de l’automobile. Pour moi, électrifier l’automobile, cela nécessite déjà d’avoir la formation qui va avec, pour faire, et aussi pour défaire après. Pour tout ce qui est batterie, il y a un problème de recyclage qu’il faut penser en amont.

Je dirais qu’il faut y aller d’une façon progressive, sans précipitation, parce que tout ce que nous faisons est complexe. À chaque fois, cela peut avoir des conséquences négatives. Alors que nous pensions résoudre le problème de la pollution, on va en créer d’autres. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de cette évolution. Nous ne sommes pas en train de faire des téléphones portables. Les véhicules, les moyens de transport, c’est compliqué.

Il y a un problème sociétal et un problème technique. Par rapport à la vertu du vélo, j’ajouterais qu’on apprend à l’électrifier, à le réparer aussi, et donc on prépare la société à vivre avec l’électricité dans nos moyens de transport.

En ce qui concerne les véhicules électriques, chez General Motors on a évoqué la prolongation d’autonomie. Je pense à la prolongation d’autonomie et à l’hybridation. Enfin, l’électricité partielle dans les moyens de transport, c’est sage, c’est progressif, on apprend. Je suis allé en Chine quelquefois, et j’ai été impressionné de voir le nombre de deux-roues électrifiés. Je pense qu’ils vont apprendre à les mettre en œuvre, à les recycler, et à les traiter d’un point de vue sociétal.

Aujourd'hui, tout le monde sait qu’en France il n'y a plus de réparation de machines électriques à grande échelle. Elles vont être l’organe de motorisation de nos véhicules. Et si un jour, le véhicule électrique tombe en panne, va-t-on le jeter ? Ce n’est pas du jetable. Ce n’est pas comme du téléphone portable. Il faut savoir le réparer.

Un autre mot clé, c’est la sûreté. La sûreté de fonctionnement de l’ensemble, parce qu’on peut faire fuir l’utilisateur devant des véhicules qui tombent en panne, qu’on ne sait pas réparer. Il faut y penser dès le début.

Mme Fabienne Keller. Merci beaucoup pour votre approche très intégrative.

M. Sébastien Grellier, chef de département planification et relations extérieures, Toyota France. Je vais traiter d’une question qui a été abordée rapidement par MM. Pourcelly et Schulz. Effectivement, quand on parle de réduction et d’enjeux énergétiques, nous pensons, au sein du groupe, qu’il faut une analyse du cycle de vie. Ce matin, nous avons beaucoup parlé des véhicules et de leur efficacité énergétique, mais je pense que l’analyse globale du cycle de vie, qui prend en compte la conception, la production, l’utilisation et également le recyclage, est une donnée clé. Nous la faisons au sein du groupe depuis plusieurs années. L’analyse de cycle de vie est systémique et systématisée pour l’ensemble de la conception de tous les véhicules, qu’ils soient hybrides ou thermiques.

Je vais vous donner les deux résultats principaux que ces analyses nous permettent d’avoir systématiquement. Le premier concerne l’allègement des pièces. M. Baupin parle beaucoup d’adaptation de la taille des véhicules en fonction des usages. C’est effectivement un enjeu de la mobilité de demain, et l’allègement fait partie de ces questions. Par exemple, pour la Yaris hybride, qui est produite en France, cette analyse du cycle de vie a permis, par rapport à la Prius qui était le premier véhicule hybride, de réduire de 17 % le poids des composants hybrides, et de 25 % en taille. Cela a permis de mettre cette technologie hybride dans un véhicule plus petit de type Yaris.

Le deuxième élément, tout aussi important, se pose en termes de production. L’un des enjeux pour l’instant des constructeurs, c’est de travailler aussi au niveau des usines. Vous savez que nous avons la chance d’avoir l’usine de Valenciennes, et cette usine fait partie, parmi les 59 usines Toyota à travers le monde, des cinq plus vertueuses en termes d’environnement. Et je donnerai un dernier chiffre. Par véhicule produit, l’usine de Valenciennes a réussi à réduire de plus de 30 % la consommation énergétique nécessaire à la production d’un véhicule. Au-delà des émissions de CO2, c’est aussi l’un des enjeux de la production, et il aura un impact global.

M. Denis Baupin. Quand vous parlez de recyclage des véhicules, cela vous a conduit à faire quel type de choix sur la conception des véhicules pour favoriser le recyclage ?

M. Sébastien Grellier. Cela a notamment permis, soit d’utiliser des matériaux recyclés, soit de développer de nouveaux plastiques. Et Toyota a développé le « Toyota Olefin super polymère ». Ce nouveau type de plastique permet d’être recyclable et recyclé plusieurs fois. Aujourd'hui, on équipe sur toute la partie insonorisation du véhicule environ 6 kilos de ces matières. Elles permettent d’aller un peu plus loin en termes de recyclage, et notamment de répondre à la future norme européenne d’ici 2015, qui veut que 95 % de l’ensemble du véhicule soit valorisable ou réutilisable.

Mme Fabienne Keller. Existe-t-il une filière de recyclage de ce plastique formidable ?

M. Sébastien Grellier. Bien sûr. La filière de recyclage, c’est aussi l’un des enjeux des différents constructeurs aujourd'hui. Et là aussi, la France est en train de rattraper son retard et de s’adapter aux directives européennes, à travers toute la mise en place des centres de véhicules hors d’usage. On travaille beaucoup avec cette filière pour atteindre ces fameux 95 %.

Mme Fabienne Keller. Essayez-vous de récupérer ce plastique dans ces centres de recyclage, ou est-ce que c’est le marché qui s’en occupe ?

M. Sébastien Grellier. C’est récupéré par les acteurs de la filière de recyclage.

Mme Fabienne Keller. La filière classique.

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l’air, ADEME. Nous n’avions pas prévu de nous exprimer sur les questions que vous avez posées tout à l'heure. L’ADEME a fait un scénario énergétique 2020-2030, et à l’occasion, nous avons regardé l’évolution en 2020 et en 2030 à la fois des technologies et des carburants pour les véhicules neufs.

Pour vous éclairer, je peux vous dire que pour nous, il y avait trois drivers importants qui vont guider les technologies. Le premier porte sur les contraintes environnementales et sociétales. Notamment, on prévoit une érosion des ventes de diesel, compte tenu de son image, du coût de sa dépollution et certainement aussi du resserrement de la fiscalité essence-diesel. Deuxièmement, sur les contraintes CO2-coût de l’énergie, on voit bien qu’on va vers une poussée de l’électrification des véhicules. Et d’autre part, par rapport aux chiffres que je vais donner tout à l'heure, on voit un taux d’équipement des ménages qui est en baisse, avec un âge moyen d’achat de véhicules neufs qui s’allonge, et puis des jeunes qui sont plus poussés par l’achat de téléphones mobiles que par le passage du permis de conduire. Tout cela, ce sont des éléments que l’on a pris en compte.

Par rapport à ce qui a été dit, pour nous, aujourd'hui, le décollage du GNV, c'est encore un marché de niche qui est réservé aux poids lourds. Deuxièmement, sur les biocarburants, ce qu’on ne voit pas, c’est une vraie émergence des véhicules FlexFuel. Et ensuite, sur l’hydrogène, c’est une technologie qui n’est pas encore mature, et les coûts d’investissement des infrastructures de distribution sont très élevés.

Compte tenu de ces éléments, voici les grandes tendances sur lesquelles nous avons basé nos projections. Nous voyons une diminution du diesel de 72 % aujourd'hui à 15 % en 2030. Les véhicules hybrides seront en augmentation de 0 aujourd'hui à 10 % en 2030. Les véhicules rechargeables passeront de 1 à 2 % aujourd'hui à 22 % à 2030.

Mme Fabienne Keller. Nous sommes vraiment demandeurs d’éléments écrits sur la dernière partie de votre intervention, c'est-à-dire le scénario central, et peut-être des variantes. Pour que peut-être on puisse retravailler, lors d’une prochaine table ronde, sur ce que signifie un scénario ou l’autre.

Mme Joëlle Colosio. Ensuite, nous avons découpé le flux de voyageurs en trois parties : le flux urbain, le flux périurbain et le flux longue distance. Sur les véhicules individuels, on voit qu’entre 2010 et 2030, on aura une baisse de 20 % sur les déplacements urbains, qui vont être pris plus par du covoiturage ou de l’auto-partage, en augmentation de 10 %. Sur le périurbain, on voit également une baisse de 20 % et également sur la longue distance, avec des rééquilibrages véhicule individuel – auto-partage – covoiturage – transports collectifs – transports ferrés également. Et puis la part du vélo et du deux-roues électrique pour de l’urbain et de l’interurbain. On vous fera passer tous ces éléments.

Mme Fabienne Keller. Merci beaucoup. On se réjouit d’avoir tous ces éléments et de les rendre accessibles à tous sur le site.

M. Robert Gresser, directeur de l’innovation, Solvay Rhodia, projet vitesse². Je voulais vous parler d’un projet vitesse qu’on a construit avec des partenaires français, Air Liquide, le CEA, Veolia, RTF, RTE, des universités françaises, Strasbourg et Nancy. Ce projet repose sur la vision qui est de créer une nouvelle filière de carburants à partir de deux problèmes. Le premier problème, c’est d’absorber de l’énergie électrique avec le développement des renouvelables, donc de l’énergie décarbonée. Le deuxième problème, c’est d’absorber le CO2 qui se dégage. Et l’idée finalement, c’est de convertir cette électricité en hydrogène, et là je rejoins la filière hydrogène, mais de valoriser ensuite cet hydrogène sous forme d’un carburant par réaction avec le CO2. Le projet est dans sa deuxième année, soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), et il avance bien.

Cette filière n’est pas une utopie. Ce peut être une réalité dans les trois ans à venir. Aujourd'hui, la technologie est déjà au point. Les premiers prototypes existent. On serait en mesure de monter des unités industrielles dans les cinq ans sans doute. Le défi qui reste à régler, c’est principalement la partie économique, l’acceptabilité économique. Nous pensons que dans le cadre des nouvelles réglementations européennes, ce type de carburant pourrait avoir sa place en complément des agro-carburants, en attendant l’éthanol cellulosique de deuxième génération. Ce type de filière pourrait être indépendant et nous souhaitons le pousser avec l’ensemble de nos partenaires.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui a déjà été traité la dernière fois et ce matin sur les évolutions de la motorisation dans l’industrie automobile, que ce soit le thermique, l’hybridation ou l’électrique. Pour notre groupe, ils doivent nous amener, dans la période 1995 à 2020, à réduire de 50 % les émissions de CO2.

De même, nous travaillons beaucoup sur l’ensemble de la chaîne de création de valeur, sur la production vertueuse, propre, en économisant les ressources fossiles, que ce soit l’électricité ou l’eau.

Un autre aspect vraiment intéressant à développer, et l’on revient à ce qu’a évoqué M. Kerckhove, c’est l’interaction homme-machine-service. Pour cela, nous avons un système qui s’appelle « Eco Pro ». Sur l’aspect machine, il paramètre le fonctionnement du moteur et la transmission. Il gère aussi le système de navigation pour rechercher l’itinéraire le plus efficient pour aller d’un point A à un point B, pas forcément le plus court ni le plus long, mais le plus efficient. Il gère aussi la capacité d’énergie de la voiture, que ce soit en thermique, et plus encore en hybride ou en électrique, pour optimiser la consommation. Il gère le conducteur lui-même. À travers des mesures extrêmement simples, comme des stages d’éco-conduite, l’homme peut avoir un comportement de conduite qui va lui-même générer de grosses économies.

Le charme de ce sujet, c’est que ça fonctionne aujourd'hui, ça fonctionnera demain, et ça fonctionne indépendamment de toutes sortes de technologies qui sont le mix d’aujourd'hui et de demain sur la circulation routière. Toutes choses étant égales par ailleurs, je dirais même qu’à vitesse moyenne équivalente, on peut arriver facilement à réduire de 20 à 25 % encore la consommation d’énergie. Ce point est utile à rappeler aux côtés de tous les développements technologiques et énergétiques.

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën. Je suis responsable de la conception des moteurs essence et diesel chez PSA Peugeot Citroën. Je voudrais ne pas paraphraser tous mes collègues en disant que ce n’est qu’une multiplicité de technologies. Je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’il faut travailler sur l’efficacité énergétique.

Par contre, je voudrais appuyer sur un point qui est l’acceptabilité par le client de la solution technique. Il faut donner des solutions techniques qui soient en rapport avec l’usage et acceptables. Par exemple, une personne qui va rouler beaucoup en ville fera peu de kilomètres au total et aura besoin d’un petit moteur essence downsizé. Ça veut dire petit, mais pas forcément mauvais. Au contraire, il tourne en permanence dans un régime où énergétiquement parlant il est plus efficace. C’est une bonne solution couplée avec un système d’hybridation simple stop and start, qui arrête le moteur lorsque le véhicule est à l’arrêt et qu’il n’a pas besoin de tourner.

Une famille aura besoin d’un véhicule plus mix, plus grand. Là il faut garder un système qui sera plus complexe, peut-être hybride couplé avec du diesel. Et puis si l’on veut faire des véhicules 2 litres/100 km qui soient acceptables pour beaucoup de monde, il faut réfléchir à des solutions d’hybridation qui soient accessibles, moins chères.

On a beaucoup parlé d’hybride électrique, c'est-à-dire le couplage d’un moteur thermique avec un moteur électrique. On commence à parler d’autres solutions d’hybridation. PSA a récemment parlé d’une hybridation qu’on appelle Hybridair, où l’on fait de la récupération d’énergie avec un système d’air comprimé, une chaîne de traction hydraulique qui permet d’avoir des systèmes qui seront probablement plus acceptables en termes de coûts. Je veux vraiment insister sur cette acceptabilité en termes de coûts pour le client et le client final, avec une optimisation, ce qui se traduit chez nous par un véhicule adapté à chaque usage.

M. Denis Baupin. Cette question de l’acceptabilité du coût est évidemment essentielle. La calculez-vous sur le coût d’achat du véhicule ou sur le coût et l’usage ? L’expérience que l’on peut avoir sur le diesel en France montre bien qu’il y a eu une pensée, en tout cas de la part des usagers, qu’ils allaient se rattraper à l’usage par rapport au surcoût du véhicule, lequel est d’ailleurs loin d’être démontré pour une bonne partie d’entre eux. Mais en tout cas, c’est un élément de choix qui n’intervient pas que sur le facteur d’achat.

M. Pierre Macaudière. Oui, tout à fait. On parle vraiment de coûts à l’usage. Dans le jargon des véhicules de flotte, c’est ce qu’on appelle le Total Cost of Ownership (TCO), incluant le coût du véhicule à l’achat, le prix de revente, mais également le côté consommation de carburant, la maintenance et ainsi de suite. C’est bien dans ce système-là qu’on parle de coûts à l’usage pour le client.

Mme Fabienne Keller. Comme on est tous multiples, parfois on fait des courses en ville, d’autres fois on fait de longues distances en famille. Le fait que vous analysiez l’acceptabilité pour le client suggère qu’on lisse aussi bien la propriété et l’usage ?

M. Pierre Macaudière. C’est une solution. Malheureusement, je ne suis pas un spécialiste du domaine, je suis vraiment technique. Mais c’est vrai qu’on peut imaginer que, malheureusement, il y ait certains usages où tout le monde va avoir envie d’une voiture en même temps. Et donc il faut en tenir compte dans les modèles. Par exemple, si tout le monde veut partir en vacances en même temps, si vous cherchez tous un véhicule familial à ce moment-là, vous allez avoir quelques problèmes. De mon point de vue, il y a donc bien la notion d’utilisation du véhicule en moyenne par la personne et puis la notion du type « petit véhicule urbain qui ne fait que ça ». C’est un type de véhicule, et c’est comme ça qu’il faut regarder.

M. Alain Jeanroy, directeur général, Confédération générale des betteraviers. On a beaucoup parlé de biocarburants autour de cette table. Je rappelle que le bioéthanol produit en France diminue les émissions de CO2 de 50 % et qu’il a un rapport de 1 à 2 en termes d’énergie consommée par rapport à l’énergie produite. C’est le rapport de l’ADEME qui l’indique, ce n’est pas moi.

M. Denis Baupin. L’ADEME ?

Mme Joëlle Colosio. Je n’ai pas le rapport sous les yeux, mais ce que j’ai oublié de dire tout à l'heure, c’est que l’ADEME était en train de finaliser une analyse de cycle de vie (ACV) sur les véhicules électriques. On ne peut pas en parler aujourd'hui, parce que les travaux sont en cours de finalisation, mais elle sera très prochainement rendue publique.

M. Alain Jeanroy. Enfin là, on parlait des agro-carburants. Je vous donnerai les références du rapport de l’ADEME. Il n'y a aucun problème là-dessus. Ce que nous souhaitons, c’est une généralisation de la distribution du SP95-E10 (sans plomb 95 contenant 10 % de bioéthanol). Actuellement, il n’est distribué que dans 37 % des stations-service en France. Il y a eu une bonne montée en puissance en 2012, on est passé de 27 à 37 %. Mais nous sommes très en deçà de ce que nous devrions atteindre comme objectif, c'est-à-dire la généralisation du SP95-E10, qui sera le carburant de référence européen.

La deuxième solution que nous préconisons, c’est le développement du superéthanol E85, c'est-à-dire à 85 % d’éthanol. Actuellement, il y a 310 pompes-service qui le distribuent pour les véhicules FlexFuel. Ces véhicules FlexFuel fonctionnent indistinctement entre essence – SP95 et SP98 – et SP95 et E85. Donc sur ce point-là, nous souhaitons que les gammes soient développées. Dacia a une gamme très développée là-dessus. Nous sommes à peu près en ce moment 30 000 véhicules.

Deuxième point, c’est le nombre de pompes qu’il faut développer, bien évidemment. Et troisièmement, c’est l’homologation des kits qui peuvent se monter sur des voitures normales pour les transformer à l’E85. Et d’autre part, c’est de l’hybridation bien sûr, trois voies, c'est-à-dire que lorsqu’on parle de véhicules électriques essence-électricité, nous souhaitons que ce soit FlexFuel-électricité. Ainsi le véhicule pourrait fonctionner à l’essence, à l’électricité et au E85.

M. Denis Baupin. Excusez-moi, mais vous faites bien votre lobbying sur les revendications que vous avez sur les différents carburants. Mais ce n’est pas exactement le lieu…

M. Alain Jeanroy. Non, ce sont des pistes de développement pour baisser les émissions de CO2 des véhicules et du transport automobile.

M. Denis Baupin. Si l’on suit votre raisonnement selon lequel ces agro-carburants sont moins émetteurs de gaz à effet de serre que…

M. Alain Jeanroy. Bien évidemment.

M. Denis Baupin. Vous avez vous-même indiqué tout à l'heure qu’en matière d’usage des terres, il y avait des controverses, et vous avez conclu : donc il y a controverse, donc il n'y a pas de problèmes, ce qui était un peu rapide, mais qui peut être votre point de vue. Mais sur ce sujet, j’ai l’impression que les études de l’ADEME et les études menées aujourd'hui par la Commission européenne montrent que c’est un peu plus complexe.

M. Alain Jeanroy. Simplement, ce que je voudrais dire, c’est que les éthanols qui sont produits en France n’ont pas de problème de changement d’affectation des sols. Ça, c’est un point important. Et d’autre part, ils ont des critères de performance, de durabilité, d’émissions de CO2, et de bilan énergétique, qui sont répertoriés par l’ADEME et qui sont ceux que j’ai indiqués. Donc là, il s’agit bien de bioéthanol produit en France et en Europe.

On a des produits qui sont certainement différents, des bioéthanols qui peuvent être produits dans d’autres pays au monde où, effectivement, il peut y avoir des problèmes de changement d’affectation indirecte des sols.

Encore une fois, sur cette question de changement d’affectation des sols indirect, vous savez que la Commission européenne a préconisé éventuellement d’augmenter ou de prendre en compte des émissions de CO2 plus importantes. En ce qui nous concerne, nous avons les chiffres, des propositions. Cela ne nous empêcherait pas de rester dans les objectifs de diminution de 50 % des émissions de CO2.

Encore une fois, les propositions que je faisais s’inscrivent totalement dans ce qui se passe actuellement en France, dans la politique qui a été mise en place en 2005, et bien sûr elles doivent respecter les objectifs d’émissions de CO2 et les objectifs qui nous sont préconisés.

Mme Fabienne Keller. M. Jeanroy, est-ce que je peux vous proposer, pour clarifier un peu le débat, que vous nous fassiez transmettre par écrit un document présentant vos chiffrages ?

M. Alain Jeanroy. Pas de problème. Ce seront des sources ADEME bien évidemment.

Mme Fabienne Keller. Et que le débat s’organise autour de l’efficacité de l’éthanol, de la question des terres, de la question peut-être du bilan énergétique global. Peut-être l’ADEME a-t-elle fourni un travail sur ces thèmes et les agro-biocarburants. Que l’on puisse les mettre en regard et peut-être factualiser un peu le débat. Ce qui nous semble utile, mais aussi vous permettra de donner votre point de vue sur la difficulté que vous avez à distribuer ces nouveaux carburants. J’ai compris que la Dacia était votre idéal de véhicule, mais il y a sûrement mieux, et d’autres véhicules aussi qui peuvent se servir de vos carburants.

DEUXIÈME TABLE RONDE :

L’ENJEU INCONTOURNABLE DE LA POLLUTION

A. Impacts sur la santé

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. Après une première table ronde sur les questions énergétiques et gaz à effet de serre, nous allons nous concentrer un peu plus sur les questions de santé publique et de pollution de l’air. Ce sont d’autres enjeux environnementaux. Nous demandons des interventions courtes de deux minutes qui permettent d’avoir des réponses dans le débat. Je propose qu’on démarre avec des intervenants qui ne se sont pas encore exprimés.

M. Frédéric Bouvier, Laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA). Je vais vous parler de la qualité de l’air en France aujourd'hui, avec le dispositif français qui permet de répondre aux directives européennes et donc de surveiller la qualité de l’air. Aujourd'hui, nous avons des problèmes en termes de qualité de l’air sur deux directives. L’une, qui est bien connue, et qui fait souvent la une des journaux, concerne les directives Qualité de l’air de 2004 et 2008, avec des problèmes sur deux polluants majoritairement : les particules et les oxydes d’azote. L’autre, c’est la directive « Plafond », qui pose également des problèmes de qualité de l’air pour la France, car nous devons respecter un maximum total d’émissions.

En ce qui concerne les particules en suspension, nous avons aujourd'hui un pré-contentieux qui est engagé avec l’Europe, qui concerne sept régions. Il faut savoir que depuis le début de cette année, le contentieux a été renforcé par un deuxième grief qui concerne le manque de plans d’actions pour améliorer la qualité de l’air. Le deuxième polluant, ce sont les oxydes d’azote, pour lesquels nous avons aussi un précontentieux en cours, qui devrait aboutir potentiellement à des problèmes pour la France.

Cela aboutit à ce que le dispositif français sur la qualité de l’air, avec d’un côté les Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), et de l’autre le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA), évolue dans sa logique, d’une logique de thermomètre, pour connaître la situation, vers une logique d’appui aux pouvoirs publics. Nous avons donc mis en place des dispositifs pour mieux connaître la problématique de la pollution, à travers des travaux notamment sur la composition chimique des particules, et puis des logiques sur la prévision.

Aujourd'hui, au niveau des différents polluants qui posent problème, différentes sources sont concernées. Sur les particules, ces sources sont l’industrie, le chauffage – notamment le chauffage au bois – et les transports. Par contre, sur les oxydes d’azote, c’est majoritairement le transport qui est en cause, puisque 70% des émissions sont liées au transport routier.

Sur la carte de France, sont concernées par le contentieux et les problèmes de non-respect des valeurs limites, les grandes régions des façades Nord et Est de la France, depuis le Nord-Pas-de-Calais, l’Ile-de-France, l’Alsace, Rhône-Alpes, jusqu'à PACA. Par contre, les oxydes d’azote, qui sont très liés au trafic et aux déplacements, vont concerner beaucoup plus de régions en France, plus de la moitié des régions françaises.

La mobilité aujourd'hui et les émissions qui sont liées à la mobilité sont problématiques aujourd'hui pour deux polluants en France : les particules, sachant qu’il y a d’autres sources sur lesquelles il faut également agir, et les oxydes d’azote, pour lesquelles c’est principalement le trafic qui est en cause et sur lequel des actions sont engagées. L’État a mis en place à la fois des Schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) et des Plans de protections de l’atmosphère (PPA). Je pourrai revenir sur le sujet s’il y a des questions plus précises.

M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. Cette réflexion sur la mobilité mêle traditionnellement les questions de la crise climatique et de la crise énergétique, et elle doit intégrer la question de la crise sanitaire. L’expression « crise sanitaire » n’est pas encore passée dans les mœurs, néanmoins il faut caractériser de cette façon la croissance des maladies chroniques, non seulement dans les pays développés, mais sur l’ensemble de la planète.

En France, cette crise sanitaire se manifeste par le fait que 83 % des dépenses de santé sont liées aux maladies chroniques : cancer, maladies cardiovasculaires, maladies métaboliques, maladies respiratoires principalement. 25 millions de personnes sont concernées directement par ces maladies chroniques. Et si l’on regarde les Affections de longue durée (ALD), d’après les chiffres du régime général, 63 % des dépenses de santé sont liées à ces maladies chroniques qui concernent 9 millions de personnes, avec une progression de 4 à 5 % par an.

La crise sanitaire est donc majeure. Elle a pour conséquence de faire imploser le système de santé aujourd'hui. Si l’on compare les dépenses pour ces ALD en 2009 par rapport à 2003 pour ces trois grandes catégories de maladies, on est à 10 milliards d’euros, c'est-à-dire dans l’ordre du déficit de l’assurance maladie.

Alors tout n’est pas lié au transport. Mais nous disposons aujourd'hui d’éléments qui permettent de penser que le transport est important, principalement à travers l’étude Aphekom, pilotée en France par l’Institut national de veille sanitaire (INVS), qui évalue le coût sanitaire sur 25 villes totalisant 39 millions d’habitants, dont 9 villes françaises totalisant 12 millions d’habitants. Les niveaux de coûts liés aux particules PM2.5 sont en moyenne dans une ville comme Marseille à 18,5, à Paris à 16,4. En termes de maladies chroniques, le coût, pour les personnes de +65 ans, est composé à 32 % de maladies coronariennes, 25 % de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et 18 % d’asthme. Ces aspects ne sont pas du tout marginaux. Ils sont majeurs.

Selon le calcul fait par Aphekom sur l’ensemble des 25 villes, le respect de la norme à 10 microgrammes/m3 (10 µg/m3) de PM2.5 permettrait d’éviter 19 000 décès, dont 15 000 causés par des maladies cardiovasculaires. Le bénéfice économique associé au respect de cette valeur est estimé à 31,5 milliards d’euros par an. Cette estimation sur 25 villes nous donne une idée du coût à l’échelle de la France, où à peu près la moitié de la population vit en zone urbaine.

Autre élément important à prendre en considération, c’est l’espérance de vie. Selon le discours dominant, elle progresse. Effectivement, l’espérance de vie des générations anciennes continue à progresser. Mais les générations suivantes n’auront vraisemblablement pas la même espérance de vie. Un premier signe, c’est que l’espérance de vie diminue en France. Selon l’étude Aphekom, pour un Marseillais de 30 ans, l’espérance de vie baisse de 7,5 mois à cause de la pollution particulaire. Pour Paris et Lille, cette baisse est de 5,8 mois. À titre de comparaison, à Londres, la baisse est de 2,5 mois. On doit certainement pouvoir se fixer comme objectif la situation londonienne.

M. Carlos Dora, coordinateur santé publique, département environnement, Organisation mondiale de la santé (OMS). Je vous remercie de cette invitation. Ce thème est très intéressant. Nous disposons d’expériences internationales. Selon une nouvelle estimation qui vient d’être publiée, 7 millions de décès seraient attribués aux pollutions de l’air. Cette étude repose sur de nouvelles recherches sur les maladies cardiovasculaires.

Je vais aborder trois points. Le premier concerne les nouvelles technologies. Dès lors qu’on développe de nouvelles solutions, il est nécessaire de mettre en place une évaluation des risques, y compris des risques sur la santé, comme on le fait pour n’importe quel investissement. Par exemple, sur la question des biocarburants, nous ne disposons pas d’évaluation des risques sur la santé. On ne sait pas ce qui peut arriver.

Le deuxième point concerne les exercices de prospective. Dans ces scénarii, il faudrait considérer aussi l’éco-bénéfice, et non pas uniquement les risques, que ce soit par rapport à la qualité de l’air, mais aussi au bruit qui est associé aux transports, ou aux accidents de la route. Dans les maladies cardiovasculaires, la prévention, à travers l’exercice physique, est un paramètre très important. Et je suis absolument d’accord avec ce qui vient d’être dit. Les maladies cardiovasculaires représentent des coûts sociaux très importants.

Troisièmement, si l’on fait le grand écart entre toute la gamme des risques et des bénéfices, on peut aboutir à des stratégies et des solutions. Ce sont ces scénarios-là qui seraient pertinents. Est-ce que ça touche à l’emploi ? Quel est l’impact sur le coût sanitaire ? Et il faut impliquer d’autres groupes d’intérêt. Par exemple, les assurances maladie, elles aussi, ont intérêt à disposer de ces solutions complexes.

Je crois que ce sont surtout les villes qui sont en mesure de mettre en place ces planifications stratégiques. Mettre la santé dans la perspective stratégique d’une ville, c’est l’intégrer dans la politique d’aménagement du territoire, des transports et de l’énergie.

Pour finir, je dirai que la pollution de l’air ne s’arrête pas aux frontières. Les particules voyagent à des milliers de kilomètres. Les solutions sont a minima régionales, et parfois globales. Dans l’hémisphère nord par exemple, on observe de grands échanges de polluants. En Europe, on a cette expérience des relations transports-environnement-santé. Un groupe de travail a été mis en place il y a une dizaine d’années. C’est un bon modèle pour étudier les échanges à un niveau global. Mais il faut réfléchir aussi avec la Chine et d’autres pays émergents.

M. Denis Baupin. Quel est le point de vue de l’ADEME sur ces questions de la pollution de l’air liée aux véhicules ?

Mme Joëlle Colosio, chef du service Qualité de l’air, ADEME. En introduction, je dirais que les différences entre CO2, gaz à effet de serre et polluants atmosphériques reposent sur une échelle de temps et de stabilité de ces composés. Le CO2 est un composé très stable, qui va avoir un impact sur le climat, et donc les actions à mener aujourd'hui sont pour demain et après-demain.

Les polluants atmosphériques sont très réactifs dans l’air et rapidement oxydés, et donc, les actions à mener pour les réduire sont à conduire rapidement pour avoir une efficacité immédiate. On peut citer le plomb. Lorsqu’on a éliminé le plomb dans les essences, les résultats ont été immédiats en termes de réduction des émissions et de réduction de l’impact. Les plombs émis, notamment sur les enfants aux États-Unis, ont immédiatement été diminués.

Sur les polluants atmosphériques, aujourd'hui les effets sont sanitaires et à court terme. On doit parler bien évidemment des particules et des oxydes d’azote. L’ADEME voudrait aussi indiquer les polluants secondaires. On en parle peu aujourd'hui, parce qu’ils ne sont pas directement émis, mais produits dans l’atmosphère par réaction chimique. Ce sont des composés à double effet, sur le climat à long terme, et sur le plan sanitaire, parce que ce sont des oxydants puissants. Ils pourraient poser des problèmes.

Il faut aussi se préoccuper des polluants primaires que sont les composés organiques volatils (COV), qui sont notamment émis par les véhicules.

Effectivement, les AASQA sont de très bons thermomètres aujourd'hui. Nous avons une bonne évaluation de l’état de la qualité de l’air, voire des prévisions. Il faut encore travailler sur la modélisation, de façon à avoir des prévisions encore plus en amont si c’est possible. Par contre, en termes d’actions, c’est vrai qu’on accumule, de notre point de vue, un certain retard. D’une part, il faut agir à très court terme pour réduire ces émissions qui posent problème aujourd'hui, notamment les émissions de particules et de CO2. Pour l’ADEME, l’enjeu est d’allier et de combiner les actions en termes d’efficacité énergétique et de polluants atmosphériques, c'est-à-dire réduire les émissions de CO2, sans dégrader la qualité de l’air.

Pour nous, il y a donc deux niveaux d’actions vis-à-vis des polluants atmosphériques. Premièrement : les réduire rapidement. Je vais m’appuyer sur l’avis que l’ADEME a émis sur le diesel. Les problématiques aujourd'hui des particules fines et des oxydes d’azote reposent notamment, vis-à-vis du trafic, sur la circulation des véhicules les plus polluants, c'est-à-dire les véhicules anciens. On peut les résumer : ce sont tous les véhicules qui ne sont pas équipés de filtre à particules qui posent aujourd'hui problème. Et l’on voit, à travers nos évaluations, que si ces véhicules ne circulent plus dans les centres villes, là où il y a de la population, les niveaux de qualité de l’air s’améliorent.

M. Denis Baupin. Beaucoup ?

Mme Joëlle Colosio. En termes d’émissions, oui ils s’améliorent beaucoup. En termes de qualité de l’air, un petit peu moins, compte tenu des réactions. Il faut bien voir aussi qu’il n'y a pas que les émissions au pot qui génèrent de la pollution. Il faut prendre aussi en considération les frottements, le freinage, et la remise en suspension de ce qui est déjà déposé sur la chaussée, d’où la difficulté.

M. Denis Baupin. D’après les études que l’on a pu effectuer en Ile-de-France, globalement les véhicules les plus anciens sont ceux qui roulent le moins. De fait, on peut se demander si le fait de s’attaquer uniquement aux véhicules anciens aurait un impact significatif sur la pollution de l’air aux particules fines. Je vous interroge pour savoir quelle est l’évaluation de l’ADEME par rapport à cela ou si le problème est un peu plus global.

Mme Joëlle Colosio. Les véhicules diésélisés de dernière génération émettent trente fois moins de particules que les véhicules Euro 1 ou Euro 2.

M. Denis Baupin. Toutes les catégories de particules, y compris les plus petites ?

Mme Joëlle Colosio. Certaines particules ultra fines sont produites directement, et d’autres sont produites en émission secondaire. Voilà ce qu’on peut dire aujourd'hui. Je peux m’appuyer sur ce que l’on voit à l’étranger, chez nos voisins allemands, anglais, qui ont mis en place ces mesures, de manière graduelle, et pas uniquement sur les véhicules particuliers, mais aussi principalement sur les poids lourds, sur les bus, et d’autres véhicules. Les véhicules particuliers roulent moins, mais les véhicules utilitaires ou les bus roulent plus. Et l’on voit une diminution, notamment à Londres et à Berlin, et donc un impact sur la qualité de l’air. Dans les données, l’écart entre émission et concentration est de 10 à 30. C’est là où se situe la difficulté, c'est-à-dire qu’il ne faut pas seulement agir au niveau local.

Ce n’est pas en réduisant uniquement la circulation locale qu’on obtiendra un maximum de résultats en termes de pollution de l’air, mais c’est aussi en agissant au niveau européen, puisque les véhicules se déplacent, et que les masses d’air se déplacent. Suivant les phénomènes atmosphériques auxquels on est soumis suivant les saisons, les strates de pollution varient plus ou moins. Et là où l’on peut jouer au niveau local, c’est sur la dernière strate. De notre point de vue, il ne faut pas agir uniquement au niveau local ou uniquement au niveau européen.

Pour terminer, je dirai que si on agit rapidement sur les véhicules diesel, de notre point de vue, il ne faut pas remplacer du diesel par de l’essence, parce qu’on peut avoir d’autres problèmes. Il faut arriver à évaluer les risques, les anticiper. Développer la mobilité active. Nous avons fait une étude avec l’ORS Ile-de-France qui montre que la mobilité active, même en situation de polluant, est favorable à la santé. Il ne faut donc pas opposer ces sujets-là.

D’autre part, il nous semble important d’adapter les moyens de mobilité aux besoins. 30 km/h en ville, c’est positif en termes de bruit, de santé et de sécurité. Mais en termes de pollution, cela pose problème aujourd'hui parce que les véhicules ne sont pas optimisés pour rouler à 30 km/h. Et donc en termes de pollution atmosphérique, c’est là qu’on va émettre le maximum de polluants. Rouler à 30 km/h, c’est intéressant sur plein de facteurs, mais pas sur celui de la pollution, parce que les véhicules ne sont pas adaptés.

M. Denis Baupin. Ce n’est pas ce que disent les études allemandes. Les véhicules sont très mal adaptés en effet, ce qui dit beaucoup de choses sur les véhicules. Si à la vitesse où ils sont censés rouler ils ne sont pas efficaces, c’est gênant. Mais indépendamment de cela, les études allemandes nous montraient que, malgré tout, parce que vous remettez moins de poussières en suspension par le frottement, et moins d’accélérations et de ralentissement, à 30 km/h, vous aviez quand même une efficacité plus grande qu’à 50 km/h.

Mme Joëlle Colosio. Vous avez tout à fait raison. Il faut des conditions bien particulières avec les véhicules d’aujourd'hui, c'est-à-dire une fluidité. Et malheureusement, les derniers travaux, notamment allemands, montrent que dès que cette fluidité est rompue, par des à-coups moteurs, ou tous les systèmes de ralentisseur, l’on maximise souvent les émissions de polluants entre 0 et 30 km/h. Et souvent cette fluidité est de court terme, parce que dès que les automobilistes aperçoivent une voie fluide, cela engendre beaucoup plus de trafic, et donc c’est tout un travail sur la régulation du trafic qui doit être mis en place pour garder cette fluidité.

Par ailleurs, je tenais à montrer toute la difficulté qu’il y a pour agir de manière efficace, et que ce n’est pas en passant d’un type de carburant à un autre, ou d’un type de véhicule à un autre, qu’on va éliminer tous les problèmes.

Voici quelques images (texte en anglais).

Ce que vous voyez sur cette image, c’est un petit véhicule essence sur un banc. À gauche, il y a une chambre dans laquelle on va envoyer ces gaz, qu’on va laisser vieillir. Sur l’image suivante, la vignette bleue à gauche du graphique décrit les polluants qui sont émis directement en sortie d’émission. Ensuite, on va rentrer ces émissions dans la chambre, qui va reconstituer l’air ambiant, et on va laisser vieillir ce qui est sorti du pot d’échappement. En bas, vous voyez les émissions primaires, et puis l’on voit, sous l’effet de la lumière et du radical hydroxyle OH, la formation de composés secondaires. Et ce sont ces composés secondaires, ces aérosols organiques secondaires, qui vont être à l’origine de la formation de particules secondaires. Ces composés ne sont pas émis directement, mais ils vont se former dans le temps. Et là vous êtes au bout de trois heures.

On peut avoir des surprises en faisant des tests. Certains travaux sont d’ailleurs publiés. On a comparé le taux d’émissions de particules entre un véhicule essence et un camion diesel Euro 5.

À l’émission, on voit que le véhicule essence émet environ 30 fois moins de particules que le camion. Et là vous allez voir l’évolution.

Légende de la Figure : (a) composition globale de la phase gazeuse telle que vue par le PTR-MS pour les émissions primaires du véhicule léger essence Euro 5 (Fiat 500) et du camion Euro 5, (b) vieillissement comparé de l’aérosol émis par le véhicule léger essence Euro 5 et le camion Euro 5 Diesel – le code couleur représente la quantité intégrée d’exposition à OH : les émissions du véhicule essence sont très réactives (consommation importante de OH), les émissions du véhicule Diesel sont moins réactives (consommation plus faible des OH)

Commentaire de la figure : Ces résultats, ici regroupés en deux grandes familles chimiques, montrent l’importance des composés organiques aromatiques et des alcanes dans les émissions primaires de COV pour le véhicule essence, alors que ces deux familles sont totalement minoritaires pour le véhicule diesel (exception faite de l'utilisation en mode GPL). Les émissions du véhicule diesel sont dominées par des composés azotés (très majoritairement l’acide nitrique), les composés carbonylés et les acides organiques, soit des espèces déjà très oxydées.

Ceci illustre le concept que comparer les facteurs d’émission entre véhicules avec un objectif de limitation des concentrations de PM en atmosphère ambiante n’a sans doute de véritable sens que si l’on considère le potentiel de formation de particules secondaires de ces émissions. Ces résultats de première importance sont en cours de validation pour d’autres véhicules et dans différentes conditions environnementales dans le cadre de travaux auxquels l’ADEME contribue avec plusieurs partenaires européens et conduits par un consortium scientifique européen constitué de l’IES, JRC-ISPRA, du Paul Scherrer Institute et du LCE (Aix-Marseille Université).

Nous sommes dans la chambre. L’aérosol a vieilli, et l’on voit ceci : pour les carburants diesel, on a une stabilité des émissions des particules primaires, pratiquement pas de formation de particules secondaires, parce que les gasoils ne produisent pratiquement pas d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ; alors que pour l’essence, certains composés organiques volatils vont évoluer et produire des particules secondaires. C’était juste pour vous montrer toute la difficulté et la complexité que posent ces composés.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. Vous êtes en train de nous changer le paradigme sur le diesel. Si j’ai bien compris, le camion est resté en bas.

Mme Joëlle Colosio. Oui.

Mme Fabienne Keller. Et la Fiat 500, elle crée plein de polluants secondaires ?

Mme Joëlle Colosio. Oui. Ce sont de premiers travaux qui ont été publiés, par Platt notamment2, et qui sont à confirmer sur d’autres véhicules. Mais il ne faut pas penser qu’en passant du tout diesel au tout essence, on va régler tous les problèmes.

Mme Fabienne Keller. C’est très embêtant par rapport au débat, plus politique, qui est en cours.

M. Denis Baupin. À quoi correspondent vos couleurs ?

Mme Joëlle Colosio. Le temps à droite, et puis la quantité et les concentrations.

M. Denis Baupin. Les différentes couleurs illustrent les différentes tailles de particules, c’est bien cela ?

Mme Joëlle Colosio. Oui, tout à fait.

M. Denis Baupin. Et donc lesquelles sont les plus grosses ? Rouges ou violettes ?

Mme Joëlle Colosio. Rouges.

M. Denis Baupin. Les rouges sont les plus grosses ?

Mme Joëlle Colosio. Oui.

Mme Fabienne Keller. Pourrez-vous nous confirmer le 11 avril que cette étude est validée ?

Mme Joëlle Colosio. Oui. Des travaux sont publiés, Ils ont été présentés aux dernières journées sur les aérosols au niveau international.

M. Denis Baupin. Nous allons poursuivre sur ces questions de santé.

M. Bernard Jomier, médecin des quartiers engagé contre la pollution. Ce qui a motivé l’engagement des médecins cliniciens sur ces questions de pollution récemment, c’est qu’on assiste à la fin de la controverse scientifique sur ces questions. Pour ceux qui suivent ces questions depuis un certain nombre d’années, il y a encore une demi-douzaine d’années, le monde scientifique était divisé sur les impacts de la pollution sur la santé. Comme vous l’avez souligné, la mise en évidence des effets respiratoires a été très précoce. Plus récente a été celle des effets cardiovasculaires. Et maintenant, les études se multiplient sur les effets neurologiques, et elles sont inquiétantes. Aujourd'hui, il n'y a plus aucun scientifique ou de médecin sérieux qui nient l’importance et la force du lien entre la pollution de l’air et les effets sur la santé humaine.

La question se pose toujours de la quantification précise. André Cicolella a cité l’étude Aphekom, qui est l’une des meilleures en termes de méthodologie. Ce qu’on peut noter, c’est qu’au fur et à mesure des actualisations, le lien est de plus en plus important et quantifié de façon de plus en plus précise. Quel que soit le niveau du curseur, il est indéniable que l’atteinte à la santé des populations est un phénomène en train de s’accroître.

Ce qui nous a motivé pour prendre la parole ces dernières semaines, nous les médecins parisiens et les médecins cliniciens au contact de la population, c’est un premier constat qu’on fait d’une inadéquation entre les données scientifiques actuelles sur la pollution de l’air et les choix politiques, les choix publics, qui sont faits en la matière. Le décalage est devenu insupportable pour la population.

Je vais prendre un exemple. Plusieurs intervenants ont parlé des particules fines. Il y a une dizaine d’année, les études en parlaient déjà mais assez peu. Maintenant, la littérature est abondante sur ce sujet. Même les particules les plus fines, les PM2.5, deviennent très étudiées dans la littérature scientifique. Mais en termes de réglementation, on est très en retard. Où est la réglementation française sur les PM2.5 ?

Mme Fabienne Keller. Sur laquelle nous sommes en contentieux d’ailleurs.

M. Bernard Jomier. Cette réglementation sur les PM2.5 est absente. Il y a un décalage, elle est tout à fait en retard par rapport à ce qui existe sur les PM10 par exemple. Or les données scientifiques ont beaucoup progressé sur ces particules plus fines.

Par ailleurs, il y a un défaut d’effectivité de la réglementation existante. Si l’on prend l’exemple de la ville de Paris, l’année dernière en 2012, nous étions à 145 jours de dépassement des seuils réglementaires, donc bien au-delà de ce qui est autorisé. Il y a donc ce double constat d’une non-application de la réglementation et d’un retard de la réglementation sur les données scientifiques.

Le deuxième point qui nous paraît important, et qui va faire écho à votre exposé, c’est qu’il n’y a de solution valable que globale. Car il ne faudrait pas penser qu’en luttant contre un polluant, on va résoudre la situation générale en termes de santé. Et il serait dommage de s’attaquer aux particules fines en laissant de côté le problème des NOx dérivés ou de l’ozone, dont les effets sur la santé seraient peut-être certes légèrement différents, mais pas moins graves. Pour nous, ce qui est important, c’est que l’ensemble des polluants de l’air, nocifs en termes de santé pour la population, soit attaqué et résolu, et pas seulement la polarisation sur un seul des toxiques.

B. La vision des constructeurs

M. Denis Baupin. Nous allons donner la parole à un certain nombre de constructeurs pour avoir leur point de vue.

M. Sébastien Grellier, chef du département Planification et Relations extérieures, Toyota France. Le groupe Toyota a fait depuis quinze ans le choix de privilégier, même si ce n’est pas la seule technologie, l’hybride essence. L’intérêt de cette technologie, en termes d’émissions de particules, c’est que, comme toute motorisation essence, on est sur des niveaux bien moindres que sur des motorisations diesel. Et son deuxième avantage, en termes d’émission de NOx, par exemple sur la Yaris hybride, c’est qu’on est sur des niveaux de rejet de 6 mg/km, qui sont d’ores et déjà dix fois inférieurs aux futures normes Euro 6, lesquelles entreront en application à partir de 2014.

Au côté de cette technologie, il y a le 100 % électrique bien entendu, et la pile à combustible à hydrogène, à une échéance un peu plus lointaine, qui sera certainement l’une des meilleures technologies d’avenir pour tendre vers l’éco-voiture utile.

Ensuite, se posera toujours la question, un peu comme l’électricité, de savoir comment est produite cette énergie à la base. Je fais le lien avec la discussion de la première table ronde sur l’ensemble du puits à la roue.

M. Pierre Macaudière, responsable moteur à la direction de la recherche et du développement, PSA Peugeot Citroën. Concernant les émissions de particules, je vais revenir sur le fait que PSA a travaillé en pionnier depuis une vingtaine d’années sur les filtres à particules. Nous avons commencé à équiper nos véhicules en première mondiale en 2000. Ce qui veut dire qu’on avait travaillé bien avant. Et je tiens à préciser que les diesel filtrés sont efficaces sur toutes les particules, de toutes tailles et dans toutes les conditions d’utilisation du véhicule, que vous soyez au ralenti, à vitesse rapide, que le filtre soit chargé ou que votre moteur soit froid ou chaud. Cette filtration est mécanique et très efficace. Pour nous, le problème des particules est considéré comme réglé.

M. Denis Baupin. C’est une évaluation qui a été faite par qui ?

M. Pierre Macaudière. Cette évaluation est faite par nos laboratoires, mais également par tous les laboratoires qui mesurent des véhicules filtrés. Des travaux ont été faits à l’ADEME, chez des organismes d’évaluation indépendants. Les filtres à particules sont très efficaces.

Et je vais être un peu provocateur. L’air qui entre dans le moteur est plus chargé en particules que les gaz d’échappement qui sortent. Et je peux même affirmer, on a fait des mesures, que sur un diesel filtré, on est en dessous des niveaux d’une pièce propre aux alentours de 4 000 particules par cm3. Donc pour nous, le problème des particules est réglé. Le problème se situe plutôt sur les vieux véhicules dans le parc.

Le deuxième point sur lequel je veux insister, ce sont effectivement les oxydes d’azote qui deviennent le deuxième polluant qu’il faut ramener au niveau de l’essence. Là, nous avons des travaux en cours. Parmi les technologies, on peut parler de systèmes comme la réduction sélective catalytique, ou de pièges à NOx, qui vont ramener les émissions de NOx issues de moteurs diesel au niveau des moteurs essence. Toutes ces évolutions technologiques vont rendre ce diesel plus vertueux en matière d’environnement, et lui conserver son avantage qui a été souligné lors de la première table ronde, qui est de l’ordre de 10 à 15 % d’émission de CO2 pour environ 25 % de consommation en moins. Voilà tout le travail en cours chez PSA Peugeot Citroën.

Et pour revenir sur la remarque de l’ADEME, j’affirme même qu’un véhicule diesel filtré, en termes d’émissions, est inférieur au meilleur des moteurs essence. Ça marche très bien sur les particules.

M. Denis Baupin. Si j’ai bien compris, vous purifiez l’air…

M. Pierre Macaudière. Vous faites une confusion, assez fréquente. Je n’ai pas parlé d’air, je parle des gaz d’échappement qui sont moins chargés en particules que l’air entrant dans le moteur.

M. Denis Baupin. Vous avez dit qu’il y avait moins de particules.

M. Pierre Macaudière. Je parle bien des gaz d’échappement qui sont moins chargés en particules que l’air qui rentre. Je ne parle pas des autres polluants. Je vais même faire un parallèle. Respirez de l’air en sortie d’un moteur essence, vous avez 0 % d’oxygène si on travaille bien. Ce n’est pas respirable. L’air en sortie d’un moteur diesel à 10 % d’oxygène, ce n’est pas respirable.

M. Denis Baupin. Vous avez dit que c’était plus pur.

M. Pierre Macaudière. Non, j’ai parlé en termes de particules. Vous voyez, vous faites un peu l’amalgame.

M. Denis Baupin. Et les particules qui sont déjà dans l’air qui rentre, elles viennent d’où ?

M. Pierre Macaudière. Elles sont éliminées sur le filtre à particules. C’est pour cela que, lorsque vous roulez en ville, dans une artère à Paris, à cause de la remise en suspension de ce qui est déjà déposé sur la chaussée, vous êtes aux alentours de 80 000 particules /cm3, en sortie de filtre vous serez à 3 000 particules/cm3.

Mme Fabienne Keller. Quelle est la proportion du parc automobile filtré aujourd'hui ?

M. Pierre Macaudière. C’est une bonne question. On estime qu’il y a environ 17 millions de véhicules particuliers. Actuellement, tous les véhicules diesel sont obligatoirement filtrés depuis 2011. PSA a commencé à équiper à partir de 2000, progressivement en 2008 et en 2009 l’ensemble de nos véhicules diesel. Alors je n’ai pas les chiffres exacts. Je vais dire une bêtise. Je dirais de l’ordre de 4 à 5 millions de véhicules doivent être équipés actuellement d’un filtre à particules. Au global, ça je connais bien. PSA a équipé depuis qu’on fait des moteurs Hdi. On en a vendu 18 millions à peu près. Actuellement, nous avons entre 7 et 8 millions de véhicules qui sont déjà équipés de filtre.

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route ». Au travers de tout ce que j’ai entendu, il y a beaucoup d’incertitudes au niveau des études. Madame Colosio, de l’ADEME, le disait, c’est très compliqué, très complexe. Il y a aussi beaucoup de travaux qui ont été faits. On pourrait imaginer, et c’est vous-même qui l’avez dit, notre système à l’horizon 2030-2040. Moi, je me pose des questions simples. Pourquoi en est-on là aujourd'hui et pourquoi des organismes comme le vôtre n’ont-ils pas été entendus avant pour arriver jusqu'à ce point de non-retour où nous sommes aujourd'hui ?

Par rapport aux contrôles, j’ai une énorme inquiétude. Vous savez, je sors d’un système où j’ai été contrôlé toute ma vie. Je suis un ancien pilote de course, et au-delà, un sportif de haut niveau. Et on a la démonstration aujourd'hui que les contrôles sont manifestement soumis à suspicion. Le meilleur des cas, c’est le cycliste américain. On sait très bien aujourd'hui, et je le sais, parce que je l’ai constaté dans mon métier de pilote de course, que le travail principal des ingénieurs, c’est de passer au contrôle. Après, comme on dit, la caravane passe.

S’il y a autant d’incertitudes dans tous ces contrôles, si les sujets sur lesquels nous sommes donnent autant d’incertitudes, pour moi, l’une des raisons simples, c’est la segmentation des énergies que nous avons à disposition. Qu’elles soient équilibrées d’une façon intelligente. Et qu’on ne soit pas dans ce système français, purement français, ou c’est blanc, ou c’est noir. On a l’énergie de l’avenir, ça va être cette énergie-là. Non, je crois qu’on a autant de réponses qu’il peut y avoir de systèmes de transport. Et je crois que si on veut rester sur le sujet d’aujourd'hui, qui m’intéresse, « la mobilité sereine et durable », d’abord il faut prendre en compte un paramètre que je n’ai jamais entendu, c’est la notion de temps de déplacement. Parce que le bien le plus précieux que l’homme a à sa disposition, c’est son temps sur la terre, et à chaque fois que dans un système de mobilité on me fait perdre du temps, « on me bouffe ma vie ».

M. Denis Baupin. C’était plutôt le sujet de la première audition.

M. Bernard Darniche. Je ne peux pas l’occulter.

M. Denis Baupin. J’entends bien. On avait plutôt demandé aujourd'hui de se concentrer sur les motorisations et les pollutions.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication et des affaires publiques, BMW France. Mon intervention ne sera pas très originale par rapport à ce que l’on vient d’entendre. Les solutions à motorisation thermique doivent évoluer. Et effectivement sur le diesel, nous faisons un effort considérable sur l’introduction des normes Euro 6, bien avant l’heure d’ailleurs de l’obligation. Aujourd'hui 60 modèles passent les normes Euro 6 dans notre gamme en série, 30 autres en option. Et nous sommes conscients qu’il s’agit là d’un enjeu considérable.

Au-delà de l’actualité immédiate, nous allons multiplier les offres en termes d’hybride rechargeable et d’électrique. L’électrique, en fait, nous le voyons plus universel que pour un usage strictement urbain ou périurbain, puisque, comme on l’entendait avec nos collègues de General Motors, on peut lui adjoindre ce qu’on appelle l’étendeur d’autonomie, et lui donner beaucoup plus de flexibilité d’emploi que l’électrique pur. Nous avons aussi beaucoup d’ambition sur les motorisations électriques pour résoudre ce type de question.

C. Gaz, pollution, environnement

M. Gilles Durand, secrétaire général, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV). Je vous remercie d’accueillir notre association. Elle regroupe l’industrie du gaz naturel carburant, mais également les collectivités locales qui font usage de ce carburant alternatif, ainsi que des sociétés de transport de marchandises ou de transport collectif.

Le gaz naturel, c’est un carburant qui concerne tous les véhicules terrestres et maritimes. Aujourd'hui, dans le monde il y a 18 millions de véhicules qui fonctionnent au gaz naturel, et en 2020 il devrait y en avoir 65 millions, d’après les prévisions de l’Organisation internationale du gaz. D’ailleurs l’ADEME, dont on citait les scénarii prospectifs, prévoit qu’en France, en 2050 je crois, 46 % des transports terrestres fonctionneront au gaz naturel ou au biogaz, puisqu’une grande partie de ce gaz sera issue du biogaz. Nous pensons que c’est un carburant d’avenir.

Pourquoi ? Nous avons parlé des particules. Je pense que les meilleures particules pour la santé, ce sont celles qu’on ne produit pas. Et le carburant gaz naturel produit très peu de particules. Et donc, quand on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire deux moteurs de même génération, en l’occurrence Euro 5 avec l’un de nos adhérents Iveco, on voit que l’on produit 85 % d’oxydes d’azote en moins, 90 % de particules fines et de la pollution sonore, sujet que nous n’avons pas encore abordé.

En ce qui concerne les émissions de CO2, l’agence allemande de l’énergie nous dit qu’il y a 20 % de moins d’émission de CO2 avec le gaz naturel qu’avec le diesel, et jusqu'à 90 % d’émission de CO2 en moins avec le biogaz.

Pour terminer, je dirai que l’usage du biogaz le plus vertueux pour l’environnement, c’est l’usage carburant. Tous ces éléments figurent sur le blog. Le biogaz, on commence à rouler avec. À Lille, la moitié des bus fonctionnent au biogaz. À Morsbach, près de Forbach en Moselle, l’usine de méthanisation est la plus importante à ce jour. Elle sera suivie prochainement par une usine de méthanisation en Bretagne centrale, à Locminé, où seront traités les déchets de l’industrie agroalimentaire. Avec ce biogaz, on a donc un effet vertueux avec la production d’énergie locale.

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane. Sur le thème GPL et pollution, rappelons qu’un moteur GPL, c’est avant tout un moteur thermique qui est conçu pour fonctionner au départ à l’essence, et qui a été adapté pour fonctionner au GPL. Monter sur un véhicule cette « adaptation » coûte autour de 400 euros. On va venir à l’économie du véhicule. 400 euros d’équipement pour qu’un véhicule essence produit en série puisse rouler au GPL, c’est réduire de 12 à 14 % les émissions de CO2, de 30 à 40 % les polluants conventionnels normés. Un véhicule GPL n’émet pratiquement pas de particules, un peu comme les véhicules GNV (Gaz naturel pour véhicule) sans filtration.

J’ai retenu dans l’intervention de l’ADEME la problématique des COV. Une étude ADEME de 2004, qui avait été coordonnée au niveau international, montrait aussi que dans les émissions de polluants, il fallait prendre en compte la problématique du benzène, des formaldéhydes, sur lesquels le GPL est plutôt bien positionné.

Sur le plan technologique, nous sommes sur des moteurs essence qui ont été adaptés au GPL. Dans cette performance, il faut prendre en compte le potentiel d’amélioration de la technologie des moteurs essence. Ces améliorations portent sur le fonctionnement, le rendement et les émissions. Tout ce potentiel peut bénéficier au GPL. Un exemple, c’est Renault qui l’a fait en 1995, sur une Clio Euro 0 conçue pour l’essence. Ils l’ont envoyée en Californie pour passer les tests ZEV (zero-emission vehicle), et avec une légère modification de ce véhicule transformé au GPL, cette Renault Clio de 1995 les a passés allègrement. Je laisserai à Renault le soin d’en parler peut-être plus en détail.

Si le moteur à l’origine était désigné spécifiquement pour le GPL, on améliorerait encore les émissions de ces véhicules. Aujourd'hui, on a plutôt des moteurs essence qui sont adaptés au GPL.

Il y a 36 millions de véhicules en France, dont 5 millions de véhicules lourds, 32 millions de véhicules légers, 15 millions de véhicules essence. Le parc existant, fortement diésélisé, est celui qui pollue, et c’est notamment le parc ancien. Sur les 15 millions de véhicules essence, une partie pourrait être équipée au GPL. La transformation de ces véhicules essence, comme 95 % du marché mondial le fait, pourrait améliorer significativement les émissions du parc existant, et ce, pour un coût qui est relativement modeste. Dans les pays où cette transformation se fait à grande échelle, le coût de la transformation du véhicule essence au GPL est de 1 500 à 1 800 euros. Il permet de réduire les émissions de CO2, de NOx et autres COV.

En conclusion, compte tenu du coût de traitement, de la possibilité avec le GPL de traiter une partie du parc essence existant, mais aussi, et là c’est un peu plus expérimental, une partie du parc diesel, en injectant 20 à 30 % d’air comburant à du GPL, on peut abaisser le niveau d’émission des oxydes d’azote, semble-t-il, et aussi des particules, mais c’est plutôt expérimental, et je ne m’avancerai pas plus loin sur ce point. Je laisse aux motoristes la confirmation de cette information. Ma conclusion, c’est qu’avec le GPL, il y a bien sûr des perspectives d’amélioration pour lutter contre la pollution des véhicules neufs, mais il y a surtout une bonne perspective de traiter le parc existant, en transformant une partie du parc essence, qui est la plus simple à réaliser.

M. Denis Baupin. J’insiste sur cette question du diesel. Vous modifiez le moteur ou le carburant uniquement ?

M. Joël Pedessac. C’est le moteur qui est modifié. Le carburant, c’est du gazole que vous injectez dans le système d’injection gazole, et vous rajoutez une part de gaz qui est mélangé avec l’air qui va servir à la combustion du gazole. J’ai assisté à des rapports sur cette technologie, produits par des Américains, des Anglais, des Japonais. Ils montraient qu’il y avait un gain significatif sur les émissions d’oxydes d’azote et de particules de ces moteurs, à enfiltration. Avec la préfiltration, c’est encore mieux.

M. Denis Baupin. Mais vous n’avez pas une idée du coût qu’engendre cette modification sur le moteur ? C’est un sujet important pour les véhicules anciens.

M. Joël Pedessac. Le coût de mise en œuvre. C’est donc un réservoir GPL, avec un petit système d’injection dans la veine d’air. C’est quelque chose qui n’a rien à voir avec le traitement des NOx par exemple sur un moteur diesel pour Euro 6. Les coûts sont inférieurs à 1 000 euros par véhicule si l’on fait du retrofit, c'est-à-dire si l’on équipe du parc existant. Il y aura bien sûr une perte de productivité qui est liée au fait qu’on ne fait pas de la série.

Maintenant, en série, si c’est réaliste et réalisable, si les motoristes confirment que cela a un intérêt, les coûts sont beaucoup plus faibles. Encore une fois, monter en série un équipement GPL sur un véhicule Euro 5 ou Euro 6, c’est en gros moins de 500 euros par rapport à la base essence, et pour amener tout le potentiel d’un carburant gazeux.

M. Denis Baupin. Vous avez lancé la balle à Renault, mais nous n’avons pas de représentant.

M. Joël Pedessac. Je voulais juste citer une étude du Boston consulting group intitulée « Powering Autos to 2020 : the era of the electric car ? » (BCG, 2011). Je trouve qu’il y a des informations très intéressantes sur la notion de « willingness to pay a premium », la capacité des nouveaux consommateurs à payer en fonction des technologies des moteurs. Cette étude porte sur la technologie, l’efficacité des systèmes, le coût des systèmes dans une projection à 2020. C’est téléchargeable sur leur site et je n’ai aucun intérêt chez BCG.

M. Denis Baupin. Nous allons donner la parole aux ONG.

D. Les réflexions des ONG

M. Sébastien Vray, président de Respire. Pour commencer, outre l’abus de langage de cette table ronde sur les véhicules écologiques, qui n’existent pas, je souhaiterais que le débat soit autant porté sur les conditions pour favoriser les nouvelles mobilités, et donc sur la modification des usages. Comment réduire les polluants ? On parle de tout technologique, on entend beaucoup de résolutions par le tout technologique. Comment fait-on pour éviter une pollution ? En l’évitant. Parce que ça coûte moins cher de prévenir que de réparer une pollution.

M. Denis Baupin. Je m’excuse de vous interrompre, mais comme on l’a dit au début de la table ronde ce matin, nous sommes sur une deuxième journée d’audition. Dans la première journée d’audition, on a parlé justement des besoins de mobilité. C’est volontairement qu’on aborde aujourd'hui les technologies. Je ne voudrais pas que les intervenants auxquels on a demandé de s’exprimer principalement sur les technologies se sentent accusés d’avoir parlé de technologies. C’était la commande.

M. Sébastien Vray. C’était une introduction. Si on doit parler plus de l’aval et de la prévention des risques, il y a un point essentiel qui est l’information du consommateur. Le Conseil d’analyse économique (CAE) a rendu un rapport en novembre 2012, que je vous lis très rapidement : « En pratique, le consommateur ne se comporte pas nécessairement comme le suppose l’analyse microéconomique des manuels. Car l’information à sa disposition est loin d’être complète et transparente, et elle est même susceptible de manipulation par les producteurs ou les distributeurs. Car le consommateur est loin d’exhiber la rationalité postulée par la théorie microéconomique traditionnelle. » Ce qui veut dire que « l’information imparfaite et la rationalité limitée », pour ne pas dire qu’on est tous des ânes, ne peuvent suffire à faire changer les usages et les pratiques.

L’association Respire porte pour le moment ses efforts sur l’application de la directive 1999/94/CE sur l’affichage environnemental du CO2 et de la consommation de carburant dans la publicité automobile. Elle doit être facilement lisible, et au moins aussi visible que l’information principale de la publicité. Or 95 % des publicités automobiles ne font pas mention de cette lisibilité et de cette visibilité. Cette directive, qui devrait déjà être appliquée, pourrait être ensuite complétée, modifiée, puisqu’il y a un décret d’application en France, en y intégrant, puisqu’il y aura une grande place maintenant pour ces informations, les informations sur les particules fines et le dioxyde d’azote.

Actuellement, nous menons un travail de recherche avec l’Université Paris-Dauphine, que nous vous transmettrons. Il suppose que cette information et cette lisibilité de l’information soient optimisées par l’affichage de la réglette, les codes couleurs. Ces codes couleurs, qui sont déjà exhibés dans les concessions automobiles, devraient l’être sur la publicité, sachant que le troisième annonceur publicitaire en France, c’est le secteur automobile.

Il faut donc simplement modifier ce décret. D’ailleurs il demande à l’ADEME de faire un classement des véhicules les moins polluants. Mais il n’est basé que sur les émissions de CO2 et pas sur les émissions de particules fines et de dioxyde d’azote.

M. Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement (APE). À entendre les constructeurs, ou en tout cas un constructeur automobile, on aurait un problème avec les vieux diesel, si j’ai bien compris. J’espère que Mme Berthelin-Geoffroy qui a maintenant un peu plus de temps à consacrer, ne va pas se tourner vers les anciens responsables de Peugeot notamment, qui vendaient ces vieux diesels il y a vingt ans, et qui maintenant portent la responsabilité de ces morts et de ces vies écourtées. Je rappelle que toutes les douze minutes, une personne voit sa vie écourtée à cause du diesel. Ce sont les données de l’OMS et il faut le rappeler pour avoir conscience des enjeux.

Je pense que le diesel est le symptôme ou l’illustration parfaite des errements d’une certaine industrie à la française qui investit massivement dans une technologie. On le voit dans l’électricité, c’est le nucléaire, dans le transport, c’est le diesel. C’est une sorte de monolithisme peu résiliant. Et pour le coup, si j’ai bien compris le scénario à 2030 de l’ADEME, en 17 ans, on passerait de 72 à 15 % de diesel, cela veut dire que ce n’est plus un changement, c’est une mutation profonde de la stratégie des constructeurs automobiles qui est demandée.

Qui va payer l’addition ? On entend toujours que c’est en gros la personne qui a peu de revenus, qui a acheté un diesel, et qui va supporter le renchérissement potentiel du prix du gasoil. On a regardé un peu. Ce qu’on constate, c’est que 40 à 50 % de la flotte de véhicules est utilisée par des professionnels. Sur ces 40 à 50 % de professionnels, 95% utilisent du diesel, ce qui signifie que 63 % des véhicules diesel qui circulent en France sont la propriété de professionnels.

Cela veut dire que la difficulté ou la transition va devoir être supportée par les PME, par les professionnels. Est-ce que l’aide aux entreprises doit prendre la forme d’un bonus au diesel ou est-ce qu’on a la possibilité d’aider les PME d’une autre façon ? Afin qu’ils puissent avoir un impact moins important sur la santé et sur l’environnement ? Nous le pensons. Le scénario de l’ADEME passe de 72 % à 15 % d’ici 2030, c’est donc 17 ans, et le différentiel est de 17 centimes. Je vous laisse faire le calcul. Et pour la montée en puissance, on peut imaginer une augmentation d’1 centime du diesel sur cette période.

Débat

Mme Laurence Rouïl, responsable du pôle « Mobilisation environnementale et Décision », INERIS. Je souhaiterais revenir sur l’importance de développer des politiques réellement synergiques entre la problématique Climat et la problématique Qualité de l’air. En effet, il y a un réel problème de pollution atmosphérique. Nous sommes épinglés en France par Bruxelles sur les questions des oxydes d’azote et des particules. La question de l’ozone est très loin d’être réglée. Toutes les projections à l’horizon 2020-2030-2050, montrent que les niveaux d’ozone en Europe et en Europe méridionale vont augmenter, ce qui pose un problème sanitaire certain. Elles vont augmenter également sous l’effet du changement climatique. Et donc là, on a une combinaison d’effets, une combinaison des responsabilités, une combinaison des sources également. Et toutes les études prouvent, que ce soit en termes d’impact, mais également en termes de coûts, de coûts économiques, de stratégie, de contrôle des problématiques du changement climatique et de qualité de l’air, toutes les études montrent l’effet positif de combiner. Ce n’est pas toujours facile. Il y a également des antagonismes. Certains sont bien connus, tels que la combustion du bois. On pourrait également parler des biocarburants. Il y a là des études et une attention particulière à apporter à cette problématique.

Monsieur Vray parlait du contrôle. En effet, pourquoi on en arrive-t-on là ? Parce que justement, il y a dix ou vingt ans, lorsqu’on a mis en place des mesures de réduction des émissions de polluants atmosphériques, on espérait que ça irait mieux vingt ans plus tard. On s’aperçoit que malheureusement les niveaux de pollution n’ont pas diminué en proportion de ce qui était imaginable lorsqu’on a décidé de certaines réductions. Pourquoi ? Parce que, justement, on avait oublié certains paramètres qui sont la pénalité climatique, l’impact du transport tout simplement sur la pollution à grande distance et l’effet background. En effet, la France émet des polluants dans ses villes, elle se pollue, mais elle pollue aussi les pays voisins, et la France est polluée par les pays voisins. D’où l’importance également de combiner des stratégies de contrôle local au niveau de nos villes, à travers les Plans de protection de l'atmosphère (PPA), mais également d’agir en concertation avec des politiques sectorielles qui vont impacter par exemple le secteur de l’automobile dont on discute aujourd'hui, aux niveaux national et européen. Il n'y aura pas d’effets positifs, et on se perdra dans les projections, si l’on ne tient pas compte de ces imbrications dans les phénomènes que l’on cherche à neutraliser.

M. Denis Baupin. Je ne veux pas négliger le phénomène de la pollution qui se déplace, mais enfin, quand je regarde Paris, ce sont les capteurs du périphérique qui, systématiquement, sont les premiers à signaler les alertes. Donc cela veut bien dire que la dominante dans le niveau de pollution, c’est la proximité. Les émissions ont une part très significative.

Mme Laurence Rouïl. En particulier pour les oxydes d’azote. En fait, cela va dépendre des polluants que l’on considère. Pour les oxydes d’azote, c’est indéniable. Pour les particules, c’est un peu moins clair du fait de réactions chimiques dans l’atmosphère qui impliquent de longs pas de temps et des échelles spatiales plus grandes.

M. Denis Baupin. Je regrette qu’Airparif n’ait pas pu venir ce matin, mais franchement, pour avoir suivi ce dossier pendant une dizaine d’années, il me semble que c’est assez clair.

M. Sébastien Vray. Je vais abonder dans votre sens. Depuis le 28 février, ce sont les capteurs de l’autoroute A1 Saint-Denis qui sont en dépassement. On est déjà à plus de 47 jours de dépassement sur des particules fines, donc on est bien à proximité du trafic. Et pour le périphérique parisien, on arrive au dépassement du 35ème jour. Si on part, comme l’année dernière, sur les mêmes solutions, on ne changera pas. Les particules fines sont bien la raison s’il y a proximité du trafic.

Mme Fabienne Keller. Il se trouve qu’en tant que sénatrice, j’ai fait un travail sur le retard de la France en matière d’application des directives européennes. Et j’en ai comparé plusieurs. Tout cela s’est déclenché suite à l’affaire des petits poissons, « les merluchons », puisqu’on s’est rendu compte que la France devait payer quand elle ne respectait pas une norme européenne. En l’occurrence, c’était dans le domaine de la pêche, et pour la première fois la France a dû payer. Et c’est la première fois d’ailleurs que le ministère des finances s’est intéressé à l’application des normes environnementales. C’était une belle démonstration. J’ai fait quatre éditions.

Dans mon dernier rapport, j’ai étudié la non-application, puisqu’on ne les applique pas, des directives dans le domaine de l’air, qui est la déclinaison, M. le représentant de l’OMS, des critères de l’OMS. Les seuils, instantanés, sur x jours par an, tout ce qui été évoqué pour les poussières, pour les NOx, et d’autres polluants encore, c’est extraordinaire, on mesure tout ! Je vous invite à ne pas poursuivre le débat sur : « est-ce que c’est l’autoroute ou ailleurs qui est pollué ? » Vous avez tout sur les sites des AASQA. Et si vous vous intéressez à l’impact du changement de l’un des facteurs, ils sont capables de vous simuler à peu près tout : changement du système de chauffage, de la nature des moteurs qui circulent sur votre périphérique ou dans votre ville, sur les apports des masses d’air étrangères, sur la contribution de l’agriculture, puisque j’ai en tête que les poussières sont aussi liées aux pratiques agraires. On l’imagine assez bien, cela crée, à certains moments, des masses de poussières.

Le cœur du sujet, c’est la gouvernance. On a tous écrit des plans. Qui est-ce qui les suit ? Comment les met-on en œuvre et comment mettre les acteurs autour de la table, ce que nous faisons d’ailleurs aujourd'hui ? Et le deuxième sujet, c’est : qui paie quoi ? Où est la ressource pour infléchir les modes de chauffage, les modes de transport, les pratiques agricoles et les pratiques industrielles ? Et alors, ce qui est très frappant – parce que quand j’ai fait ce travail, j’ai étudié la contribution de l’industrie – c’est que la contribution de l’industrie à la pollution de l’air s’est effondrée, de moitié parce que l’industrie a reculé, et l’autre moitié parce que c’est probablement le secteur qui a fait le plus d’efforts. Le nombre d’acteurs est limité, et ils ont eu une pression des DRIRE devenues aujourd'hui DREAL, enfin il y a eu un travail de normalisation et il a été suivi d’effet.

Le sujet de la qualité de l’air est magnifique. Je pense qu’il faut que tous agissent, et qu’il faut un lieu de gouvernance. J’ai fait un exercice de comparaison avec l’eau, qui n’est pas un secteur idéal, mais où au moins, on a un lieu de gouvernance, les comités de bassin, où tous les acteurs, industriels, associations de l’environnement, administrations, collectivités locales, sont réunis. Et deuxièmement, il y a une ressource financière fléchée sur l’amélioration de l’eau, la qualité de l’eau, c’est la redevance des comités de bassin.

Sur le sujet de la qualité de l’air, je pense que chacun doit se sentir responsable de sa contribution, mais j’ai entendu ce matin qu’il n'y avait pas de consensus. Je suis complètement perturbée sur le diesel. On vient de nous annoncer politiquement qu’une taxe sur le diesel va beaucoup améliorer les choses en matière de pollution. On vient d’apprendre qu’il y aurait des polluants secondaires sur l’essence, qui pourraient être presque aussi importants que sur le diesel. Ne faut-il pas construire un consensus sur ce sujet et travailler ? Parce que c’est quand même embêtant qu’on n’identifie pas proprement les leviers d’action, si déjà on n’a pas les lieux de gouvernance et pas les moyens financiers.

Pardonnez-moi ce cri du cœur, mais dans nos villes, on respire mal. On a rappelé les études remarquables Aphekom qui démontrent l’impact. Mais nous regardons tous impuissants cette dégradation du cadre de vie de nos concitoyens. Et ce n’est plus au centre de nos villes que l’on respire mal, c’est aux entrées de ville et autour des périphériques effectivement. Les cartes des AASQA le montrent parfaitement.

M. Denis Baupin. Juste une précision. Je crois que personne n’a parlé de taxe sur le diesel, mais de suppression de subvention au diesel. Ce qui est un peu différent. Rien n’a été démontré ici qu’il y aurait une pertinence à donner un avantage fiscal au diesel.

Mme Fabienne Keller. Alors je reformule. C’est la transformation de la taxe carbone, qui était un magnifique sujet, en une petite suppression de taxe sur le diesel.

M. Denis Baupin. J’espère que ce n’est pas l’un ou l’autre. Personne n’a jamais présupposé que c’était l’un ou l’autre.

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France. Je représente Iveco pour la France, partie camion. Je n’étais pas dans le premier tour des constructeurs. Ce qui nous différencie des autres, c’est qu’on n’a pas eu de monoculture. On a développé toutes les technologies. On a fait beaucoup évoluer le diesel, qui va rester important. On a fait de l’hybride, de l’électrique, et notre particularité, c’est d’avoir développé plus qu’aucun autre en Europe le GNV. Nous sommes assez contents d’avoir fait ce choix, parce que nous pensons que c’est la solution qui pourra apporter le plus de bénéfices aujourd'hui.

Cette solution est au niveau Euro 6 en particules, et même inférieure à Euro 6 en particules, depuis qu’on l’a créé, c'est-à-dire à la fin des années 90, 1997 pour les bus, 1999 pour les poids lourds, 2000 pour les utilitaires. Ces moteurs sont inférieurs à la norme Euro 5 poids lourds depuis 2001 et inférieurs à Euro 6 depuis 2007. Leur avantage aussi, c’est qu’ils sont polyvalents. On peut faire de la distribution urbaine légère ou lourde, du tracteur routier 44 tonnes, des bus. Ces véhicules font la plupart de missions. Cette technologie est mature. On peut la déployer aujourd'hui, puisqu’on a des centaines de modèles disponibles, et qu’on les produit, qu’on les couvre de la même manière que les diesel.

Cette solution répond aussi aux deux problématiques en même temps. D’une part, celle de la qualité de l’air, puisqu’on est inférieur à Euro 6 en émissions de NOx et de particules de manière sensible. C’est d’autant plus vrai quand on regarde des cycles courts, à basse température, de type livraison urbaine : j’arrête mon moteur plus souvent, et je chauffe beaucoup plus vite avec un gaz, donc je contrôle mes émissions beaucoup plus vite.

D’autre part, le GNV répond aussi, grâce au biométhane, à la problématique du CO2. Il va y répondre deux fois. Avec du gaz naturel, comme cela a été dit, notamment sur des missions interurbaines où l’on va gagner jusqu’à 15 % par rapport au diesel, puisque la référence dans le monde du poids lourds, c’est du diesel. Avec le biométhane, on va gagner jusqu'à 100 %, comme à Forbach, Paris ou Claye-Souilly, où cinq de nos véhicules sont alimentés par l’une des plus grosses décharges en France.

C’est donc une solution qui est capable de donner des réponses à la plupart des problématiques : la pollution, c'est-à-dire les oxydes d’azote et les particules ; le bruit puisqu’il est typiquement deux fois plus silencieux ; et aussi le réchauffement climatique, en réponse à la recherche de l’INERIS. Cette solution peut également donner du revenu agricole, puisque les déchets utilisés sont d’origine ménagère ou agricole. Enfin, elle peut donner de l’indépendance énergétique.

Ce secteur est très important en France, où nous avons trois usines. Nous fabriquons tous nos bus en France et nous les exportons. Notre production de moteurs est également française. Nous l’exportons à 97 %.

M. Sébastien Vray. Je voulais répondre à M. Macaudière, qui disait que l’air en sortie du pot d’échappement était plus propre. Il y a une chose qu’il n’a pas dite, c’est que l’air qui rentre dans le moteur est propre à la vie, et l’air qui est donc brûlé en passant dans un moteur est impropre à la vie. Dans le jargon écolo on appelle ça un « biocide ».

M. Pierre Macaudière. Je n’ai pas parlé de l’air qui sort des pots d’échappement. Je parle des gaz d’échappement. C’est donc complètement différent. Tout moteur à combustion interne produit ce genre de problème, comme vous le précisez. Et quand je dis moteur à combustion interne, cela englobe le chauffage au bois de cheminée, le barbecue, la cuisson des aliments chez vous. Vous faites de la combustion, vous faites des particules et ainsi de suite.

Je vais aussi compléter les données qui ont été présentées. Et c’est le CITEPA (Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique) qui le dit, ce n’est pas nous. D’après les chiffres du rapport SECTEN publié en avril 2012, l’automobile, au niveau national, c’est 12 % des émissions de particules. Effectivement, c’est un peu plus dans la région parisienne où cela peut atteindre 27 %.

M. Denis Baupin. 27 % sur la région, mais qu’en est-il de la proximité du périphérique ?

M. Pierre Macaudière. Oui, sur la région parisienne. Localement, je suis d’accord avec vous. Mais n’oublions pas qu’au niveau national 12 % des particules sont transmises par le transport routier.

M. Denis Baupin. En l’occurrence, nous parlons ici de santé publique, et donc on doit se poser les questions par rapport au lieu où l’on habite. Une moyenne nationale n’a pas une valeur très intéressante par rapport aux problèmes de santé publique.

M. Pierre Macaudière. Je suis d’accord, d’une manière générale. Mais n’oublions pas quand même que sur Paris, même quand vous êtes proche des axes routiers, et cela a été mentionné, une grande partie des particules sont simplement soulevées par le trafic et ne sont pas émises par les véhicules roulants. C’est une des choses qu’il faut avoir en tête et qui a été mentionnée à plusieurs reprises. Et si vous analysez les rapports d’Airparif ou du CITEPA, ils estiment que de l’ordre de 50 à 60 % des particules mesurées en bordure de trafic sont simplement des particules remises en suspension, quels que soient le type de véhicule.

M. Denis Baupin. J’avais une question en direction des constructeurs. L’ADEME nous disait qu’à 30 km/h, les véhicules n’étaient pas les plus efficaces en matière de pollution. Or la vitesse est limitée à 50 km/h en ville, et en général, on roule en dessous. Est-ce qu’on peut imaginer un jour de construire des véhicules qui seraient pertinents par rapport à la vitesse à laquelle on les utilise ? C’est une question un peu progressiste, mais qui devrait apparaître comme logique, puisque, de fait, on a des véhicules qui sont pertinents et performants à 90 km/h alors que l’essentiel des déplacements se fait à des vitesses moins importantes.

M. Bernard Darniche. Cela s’appelle un tramway. Oui, cela s’appelle un tramway. Je voudrais revenir sur l’intervention de M. Chandon pour le gaz naturel. J’ai eu l’occasion de travailler beaucoup sur ce dossier il y a une dizaine d’années, car j’ai été démarché auprès de Gaz de France et je suis devenu l’ambassadeur de l’arrivée de cette énergie qui est pour le moins honorable. D’une manière absolue, elle n’est pas honorable en tant que telle, mais elle l’est aujourd'hui par rapport à toutes les offres.

Il y a un paramètre que vous avez oublié. Comme la valeur énergétique de ce gaz naturel est très forte, à savoir l’équivalent de 130 octanes, on peut très facilement diminuer la consommation énergétique d’un moteur au gaz naturel de 40% s’il est optimisé et uniquement réservé au gaz naturel. C’est très important, parce qu’en termes écologiques, on peut imaginer des diminutions très significatives de carburation, et par voie de conséquence de pollution.

M. Michel Vilatte, président de la Fédération des Syndicats de la Distribution Automobile (FEDA). Je souhaite apporter une contribution qui s’inscrit dans la mesure n° 18 du plan sur la qualité de l’air. Elle est un peu différente, et surtout complémentaire à tout ce qui a été évoqué et qui sera encore évoqué.

Cette contribution concerne les 36 millions de véhicules qui circulent tous les jours en France. Ils ont été bien ou mal conçus, mais quoi qu’il en soit, ils sont là. Le taux de remplacement étant d’environ 2 millions de véhicules par an, le parc sera complètement renouvelé d’ici 15 à 18 ans.

Nous n’avons pas cherché à trouver les réponses que vous êtes en train de construire les uns et les autres. On s’est demandé ce qu’on pouvait faire sur ce parc. Théoriquement, les véhicules émettent telles ou telles particules ou autres polluants, mais la réalité est tout à fait différente. En circulant, le véhicule dévie, en fonction de son âge, du kilométrage et surtout de l’environnement dans lequel on l’utilise. Et cette déviation se traduit par des émissions largement supérieures à celles qui sont nominalement définies pour ce type d’engin.

Nous sommes partis d’un postulat. D’abord, un véhicule plus propre, c’est un véhicule bien entretenu. Et deuxièmement, on ne peut corriger que ce qu’on est capable de mesurer, et surtout d’interpréter. Malheureusement aujourd'hui, dans le contrôle technique obligatoire, et même dans les ateliers, avec les outils dont on dispose, très sincèrement, surtout sur les véhicules diesel, on ne mesure pas grand-chose, et donc on ne corrige pas grand-chose.

Notre démarche avait été initialisée en 2007 avec le Grenelle de l’environnement. On l’avait validée avec l'UTAC (Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle) pour savoir si c’était cohérent, et ensuite, à partir de 2010, on a monté un véritable dossier complet, avec l’ADEME et l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux). Les résultats sont tombés maintenant.

À titre indicatif, nous nous sommes focalisés sur des véhicules diesel de plus de 4 ans d’âge, c'est-à-dire ceux qui passent au contrôle technique. Et dans l’extrapolation - mesures faites sur les formulations de l’ADEME -, cet éco-diagnostic et cet éco-entretien seraient capables d’éviter, sur l’ensemble du territoire en année pleine, les émissions de 550 000 tonnes de CO2, 13 000 tonnes de NOx et 700 tonnes de particules. Ce n’est pas un miracle, mais c’est quand même assez significatif.

En quoi consistent cet éco-diagnostic et cet éco-entretien ? Le diagnostic est fait sur les émissions à l’échappement du véhicule, interprétées en termes de dysfonctionnement. Parce que si le véhicule émet plus qu’il ne devrait émettre, c’est qu’il y a un dysfonctionnement qui est lié encore une fois à l’usage, à l’âge, à l’entretien du véhicule. Donc la première chose importante, c’est d’identifier les dysfonctionnements, les causes de ces dysfonctionnements. Et ensuite, l’éco-entretien consiste à corriger ces dysfonctionnements.

Cette démarche présente plusieurs avantages. D’abord je remarque que quel que soit l’âge, le kilométrage, ou le niveau Euro du véhicule, on trouve des dysfonctionnements. Aujourd'hui, nous avons dans les mains des véhicules Euro 5, et qui malgré tout, malgré un kilométrage faible, parce qu’ils sont utilisés dans des conditions qui ne sont pas idéales, dysfonctionnent et émettent anormalement.

Deuxième chose importante, ces types de diagnostic et d’entretien sont immédiatement accessibles. On n’a pas besoin de faire des investissements énormes, on n’a pas besoin de subvention. Il y a simplement des équipements à mettre en place dans l’ensemble des milliers d’ateliers d’entretien en France.

Cette mesure peut être efficace. Son efficacité a été mesurée dans ce dossier. Et encore une fois, cela n’a pas la prétention de régler fondamentalement des choses qui ont été mal conçues ou qui sont encore aujourd'hui mal conçues, mais c’est de traiter ce qui existe. Cela nous paraît facile à mettre en œuvre, immédiatement possible, et ce serait déjà une première contribution.

M. Bertrand Hauet, Mov’eo. Je vous remercie d’avoir invité un pôle de compétitivité, et notamment Mov’eo, qui est l’un des premiers pôles de compétitivité lié à l’automobile et à la mobilité. L’un de ses domaines d’activité stratégique est lié aux chaînes de traction thermique. Je ne vais pas vous faire un discours partisan sur une technologie ou une filière énergétique, mais je vais vous parler de recherche collaborative de la filière.

Quelques chiffres pour commencer. De 1993, date d’Euro 1, à Euro 5, les niveaux de polluants réglementés ont été baissés d’à peu près 90 % tous types de polluants confondus.

M. Denis Baupin. À l’émission des véhicules ?

M. Bertrand Hauet. Oui, à l’émission des véhicules. Euro 6 va voir arriver la convergence vers ce qu’on appelle le neutral fuel. Entre un moteur essence, un moteur diesel ou un moteur à carburant alternatif, ce qui sort de l’échappement est le plus important par rapport à la qualité de l’air. Donc quelles que soient la motorisation et le carburant utilisé, il y a obligation de respecter des niveaux de rejet dans l’atmosphère. Et c’est cela qui est le plus important pour la qualité de l’air. Avec Euro 7, il y aura la convergence totale, quel que soit le type de carburant. Ces choses ont des impacts très positifs sur ce qui va se passer dans le futur, et c’est un élément important qui a été évoqué ce matin.

Ensuite, on peut parler effectivement des vieilles motorisations, des dérives, des contrôles. Je vais revenir sur le contrôle, et également sur un point qui a créé une petite polémique, à savoir le caractère un peu provocant de considérer que ce qui rentre dans le moteur va être purifié en sortie. Là je vais reprendre ma casquette d’expert en matière de mesure. Il faut savoir que quand on fait des mesures de polluants, on fait une référence par rapport à l’air ambiant. Et donc aujourd'hui, on est arrivé à des niveaux de mesure pour les normes qui sont tels que les écarts entre les composés dans l’air ambiant et ce que l’on doit mesurer à la sortie des lignes d’échappement est pratiquement du même ordre de grandeur. À un moment donné, on peut toujours descendre le niveau réglementaire.

Quelque chose s’est passé au niveau réglementaire, qui est extrêmement important pour la qualité de l’air, c’est l’introduction du diagnostic embarqué. C'est-à-dire qu’il ne suffit plus d’avoir un véhicule qui ne pollue pas lorsqu’il sort et qu’il est neuf, mais il doit avoir une durabilité. Et pour cela, la réglementation a mis en place, d’abord sur les moteurs à essence, et ensuite sur les moteurs diesel, le diagnostic embarqué.

Il y a un autre élément par rapport à la dérive. Le constructeur ou le vendeur du véhicule a une obligation de préserver un certain niveau d’émissions par le contrôle in-use. Et là, effectivement, on pourrait limiter les dérives en faisant des contrôles plus périodiques. Mais en tout cas, le constructeur est lui-même responsable, en cas d’anomalies et de dérives constatées sur un véhicule, du rappel de tous les véhicules de la même façon. Les enjeux économiques sont tels qu’effectivement tous les efforts sont mis sur la durabilité.

Les vrais enjeux de la recherche collaborative du futur se placent sur différents axes. Le premier axe, c’est la diversité énergétique. Il ne faut pas croire qu’on fera du tout essence, ou du tout diesel ou du tout biocarburants ou du tout hydrogène. Les chaînes de traction et les motorisations des véhicules du futur devront être compatibles avec l’ensemble de ces filières énergétiques qui vont être très diversifiées. Le second axe, c’est le traitement de la pollution de l’air. Le traitement est à la fois global et local, avec des difficultés particulières d’un point de vue local. La diversification des technologies qui vont arriver, comme la présence de véhicules électriques, avec des filières électriques, vont pouvoir résoudre des missions en local. L’hybridation, et également tous types d’hybridations intermédiaires, vont être aussi adaptés aux usages.

Je voudrais citer, pour la filière automobile et les pôles de compétitivité, la mise en œuvre de l’Institut d'excellence sur les énergies décarbonées (IEED) VeDeCoM. Il s’attaque à trois axes principaux : le côté frugal en dépenses énergétiques des véhicules pour la mobilité, l’impact de la connectivité et de l’automatisation des véhicules, lequel peut avoir un rôle pour maintenir des véhicules à la vitesse de 30 km/h ou plus si c’est adapté, et enfin le troisième axe lié aux nouveaux services de la mobilité et le lien avec les infrastructures.

M. François-Marie Bréon, chercheur, Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement. Je suis chercheur en climatologie dans un laboratoire public de la région parisienne et je participe à la rédaction du prochain rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui fera un état des lieux des connaissances sur le climat et les changements climatiques. Je pense que mes compétences auraient été plus adaptées à la première table ronde de ce matin, mais je me permets d’utiliser le temps de parole qui m’est donné.

Il me paraît clair que le problème de l’effet de serre dû à un changement climatique, et la nécessité de lutter contre les émissions de dioxyde de carbone ont bien été comprises par les intervenants de cette table ronde. Cela me rassure un peu, car je n’ai pas toujours ce sentiment au regard des décisions qui sont prises au niveau de l’État.

Par contre, je ne suis pas certain que tout le monde réalise la difficulté des objectifs. J’ai entendu parler de solutions technologiques permettant de réduire les émissions de quelques dizaines de pourcent, voire même parfois d’un facteur 2 dans des conditions vraiment optimistes. Je rappelle que le besoin, en France, pour vraiment lutter contre le changement climatique et stabiliser le climat au niveau où il est actuellement, c’est de diminuer l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre d’un facteur typiquement 4, et ce, en tenant compte de l’augmentation de la population qui conduit mécaniquement à une augmentation des émissions à niveau constant. Il faut donc bien réaliser que les efforts sont énormes. Et ce n’est pas en diminuant les émissions de 10, 20 à 30 % qu’on va résoudre le problème.

J’ai aussi entendu beaucoup parler des agro-carburants. C’est vrai que cette solution peut sembler prometteuse. Mais au-delà des problèmes de disponibilité des territoires, qui ne sont pas de ma compétence, je rappelle que les agro-carburants nécessitent souvent l’emploi d’engrais azotés qui conduisent à des productions importantes de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre, au même titre que le dioxyde de carbone. Sur les aspects climat, il faut veiller, en fait, à gagner sur les émissions de dioxyde de carbone, mais aussi à ce que ces gains réels ne soient pas perdus par les émissions de protoxyde d’azote.

Je termine par un court point sur le transport aérien. Je suis bien conscient que ce n’est pas le sujet du jour, mais peu de gens réalisent l’importance des émissions qui sont liées au transport aérien. Pour la plupart des gens qui sont dans cette salle, leurs émissions propres liées à leurs déplacements aériens sont beaucoup plus importantes que les émissions liées à leurs déplacements terrestres. La poursuite du transport aérien au niveau actuel est complètement incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et certainement incompatibles avec les perspectives d’augmentation du transport aérien qui semblent souhaitables pour beaucoup de gens.

M. Denis Baupin. En effet, ce n’est pas complètement le sujet. On fera un deuxième rapport sur le transport aérien, la création de nouveaux aéroports. Cet après-midi, on reprendra avec deux tables rondes, l’une sur les questions des différents carburants et de leur distribution, l’autre sur l’organisation de la filière automobile. Merci beaucoup.

TROISIÈME TABLE RONDE :

QUELLES SOLUTIONS PRATIQUES PROPOSER AUX CONSOMMATEURS ?
QUELS SONT LES FREINS ACTUELS AU DÉVELOPPEMENT DES CARBURANTS ALTERNATIFS ET D’AUTRES SOLUTIONS ?

A. Le véhicule électrique et son autonomie ;
emplacement et accès aux points de recharge

M. Philippe Hirtzman, chargé de mission « Déploiement d’infrastructures de recharge électrique pour les véhicules » (MRP/MEDDE). Je suis ingénieur général des Mines. Je suis à Bercy, au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, et je suis ici au nom d’une mission que m’ont confiée M. Montebourg et Mme Batho fin juillet 2012 pour faciliter le déploiement des infrastructures publiques et privées de recharges pour véhicules électriques et hybrides rechargeables. Cela s’est fait dans un contexte où il y avait un élément facilitant : les bonus qui ont été décidés fin juillet au bénéfice des véhicules électriques. Toute cette gamme sur laquelle je n’ai pas prise est un élément de contexte complètement décisif pour inciter à l’acquisition de véhicules à motricité électrique.

Cette mission comporte deux aspects. Premièrement, faire le tour de piste des freins et des difficultés qui pourraient s’appliquer aux niveaux réglementaires et législatifs dans la montée en régime des décisions des parties prenantes, qu’elles soient publiques ou privées. Deuxièmement, faire un tour de piste de tous les acteurs, pour essayer de donner envie et de décider d’investir dans ce domaine.

En France, on est parti sur un schéma où, depuis la loi de Grenelle 2, on privilégie, sans le rendre obligatoire, le rôle des villes, et d’une manière générale, le rôle des collectivités locales, pour gérer la partie infrastructures qui ont vocation à être publiques. Cette partie est minoritaire. En gros, 10 % des charges se feront sur des infrastructures publiques, 90 % relevant du domaine privé. Celui qui possède un véhicule électrique compte le recharger soit pendant qu’il dort, soit pendant qu’il travaille. Mais nous traitons également cet aspect, pour lequel tous les textes sont en place, bien qu’ils se heurtent à quelques difficultés d’application.

Nous allons dérouler notre action sur trois volets. Premièrement « l’État exemplaire », mis en place en juillet 2012 : les bonus ouverts aux véhicules particuliers ont été pour la première fois accessibles aux flottes d’entreprise et aux véhicules d’État. Une circulaire du Premier ministre du 3 décembre 2012 a encadré tout un programme donnant des obligations aux ministères et aux administrations déconcentrées de l’État, aux préfectures, aux services extérieurs. Ce programme est en cours de déroulement aux niveaux de l’acquisition de véhicules, soit hybrides, soit électriques, et de l’équipement en infrastructures, avec un calendrier assez serré.

Deuxième action, les modifications de type réglementaire et législatif. Je n’en citerai qu’une, celle de la remise à niveau du système d’aides publiques. Jusqu'à présent, nous étions sur un système où le dispositif d’aide aux collectivités était fondé sur le Grand emprunt, avec un système assez complexe qui a donc été revu sous la forme d’une présentation beaucoup plus succincte. C’est une fusée à deux étages. Premièrement, on aide toutes les collectivités à hauteur d’environ 50 %. Un Appel à Manifestation d’Intérêt de l’ADEME est paru au Journal officiel début janvier 2013. Et nous sommes en train de traiter le même dispositif au bénéfice des entreprises privées sous concession ou hors concession, fondamentales pour nous, parce que nous touchons les chaînes hôtelières, les grandes surfaces, la restauration rapide, les parkings souterrains, les stations-service indépendantes, autant de relais fondamentaux dans la diffusion des infrastructures de charge électrique. Ce deuxième stade a été décalé, parce qu’il pose un problème d’euro-compatibilité dans la mesure où nous touchons le secteur concurrentiel.

Le troisième volet concerne ce qu’on pourrait qualifier de manière familière « le démarchage » : moi et ma petite équipe faisons le tour de toutes les collectivités, c'est-à-dire les grandes agglomérations (Paris, Lyon, Grand Lyon, Marseille, Bordeaux), des parties prenantes (par exemple Bolloré qui a une démarche intéressante au niveau de l’auto-partage), des départements, de ceux qui veulent bien se présenter à nous au niveau des syndicats d’électrification rurale, pour essayer d’accompagner, de motiver ou de présenter le dispositif de l’État à ceux qui sont déjà spontanément partis sur ce type de sujet.

Je termine par une note d’ambiance. Le travail est encore devant nous, mais on sent que l’offre de véhicules est partie de façon substantielle, avec un événement en 2013, la sortie de Zoé. On sent bien qu’il y a beaucoup de velléités, notamment au niveau des collectivités et de certains acteurs privés, comme le groupe Leclerc par exemple, pour ne citer que lui.

Par ailleurs, en termes de mobilité électrique, on pense trop souvent spontanément aux phénomènes milieu urbain – grande banlieue, les gens qui font l’aller-retour entre le domicile et le lieu de travail, avec en arrière-fond les problèmes de pollution et de nuisances urbaines au niveau du bruit et des émissions atmosphériques. À notre heureuse surprise, et nous avons complètement intégré cet aspect-là, nous avons découvert qu’en France, il y a aussi beaucoup d’initiatives territoriales au niveau des villes moyennes et des départements ruraux. Ce sont des endroits où les gens font beaucoup de kilomètres, ils sont peut-être moins sensibles à la pollution urbaine, mais sont très sensibles à l’évolution prévisible de leur facture de carburant. Et donc il y a beaucoup d’initiatives, comme en Vendée, dans les Deux-Sèvres, dans le Calvados, dans le Loir-et-Cher, dans l’Indre-et-Loire. Des collectivités, départements ou syndicats intercommunaux sont partis spontanément sur le thème de la mobilité électrique, et nous cherchons à les accompagner pour faciliter les choses.

M. Daniel Moulene, président directeur général de Lumeneo. Nous avons choisi de faire des véhicules petits, puisqu’à 80 % du temps on est seul dans son véhicule, en proposant des véhicules à une, deux, trois, quatre places éventuellement, avec une très faible consommation, à partir d’une prise normale 16 ampères, 220 volts. Nous attendons que les normes soient totalement figées pour passer à des charges rapides, quand au moins, il y aura une certaine hétérogénéité en Europe.

M. Eric Fuzeau, responsable commercial de Mia Electric. Avec M. Daniel Moulene, nous avons un peu la même vision, à savoir des véhicules adaptés à la mobilité de tous les jours, un véhicule tel qu’on l’entend aujourd'hui, c'est-à-dire trois à quatre places, et avec lequel on se déplace au quotidien.

Quelques chiffres sur notre véhicule : trois à quatre places maximum, 850 kg de PTAC (poids total autorisé en charge), ce qui implique des autonomies de 80 à 120 km avec de petites batteries qui font 8 ou 12 kWh. Là aussi, ce qu’on a cherché à faire, c’est aller vers le client et connaître son besoin, plutôt que l’inverse. On a d’abord défini notre véhicule suivant les besoins. Et ensuite, on a essayé de boucler un cercle vertueux, même si ce n’est pas tout à fait possible. Notre véhicule est à 95 % recyclable, avec des matériaux comme de l’ABS (acrylonitrile butadiène styrène), de l’acier ou autre. Et le rechargeable, pour revenir à votre question, c’est sur une prise 220 volts, 16 ampères, en 3 ou 5 heures selon le type de batterie. On peut à tout moment faire du biberonnage, ce qui permet d’augmenter les autonomies, de les doubler.

La Mia a la consommation d’un chauffe-eau électrique. Pas plus. Il y a plein de choses qui se disent, mais je pense que tout n’est pas forcément vrai. On peut recharger un véhicule électrique, on peut se déplacer au quotidien, en utilisant un véhicule sur 80 à 100 km tous les jours, avec une charge de 10 kWh maximum.

Mme Elisabeth Windisch, laboratoire Ville-Mobilité-Transport, École des Ponts ParisTech. Nous travaillons depuis plusieurs années sur le potentiel de véhicules électriques batterie en France. Je vais vous parler en particulier du potentiel auprès des ménages.

Les ménages français représentent environ 60% du marché des voitures particulières neuves. Si l’on vise un marché de masse pour les voitures électriques, il est primordial de s’assurer que les ménages sont à même de s’équiper avec ces technologies. Il y a trois freins principaux à l’achat privé de voitures électriques : l’autonomie restreinte, les besoins d’infrastructures de rechargeables et de parkings et les coûts d’achat élevés.

D’après les résultats de l’enquête nationale transport et déplacements 2007-2008 (ENTD), au niveau des ménages, on peut constater que l’autonomie restreinte est un frein moins important que ce qu’on pense. En effet, 70 % des ménages français motorisés n’ont pas besoin d’une autonomie supérieure à 120 kilomètres, y compris pour se déplacer en vacances. 60% de ces ménages sont multi-motorisés, ils peuvent avoir recours à leur deuxième voiture pour des déplacements longs. Dans les régions denses, où les ménages sont moins multi-motorisés, ce chiffre baisse. À Paris, seulement 35 % des ménages motorisés ne seraient pas gênés par l’autonomie restreinte. Afin de limiter les problèmes liés à l’autonomie, il suffit, dans un premier temps, de s’assurer que ces ménages comprennent leurs vrais besoins en termes de mobilité. Dans un deuxième temps, il convient d’assurer un accès pratique et facile aux véhicules partagés, loués, pour répondre aux besoins en déplacements longs qui sont le plus souvent occasionnels.

Une fois que les besoins réels en autonomie sont cernés, il reste à s’assurer que les voitures peuvent être rechargées à leur place de parking principal, c'est-à-dire dans le lieu de résidence. L’enquête ENTD montre que 60 % des ménages motorisés ont accès à une place de parking où une infrastructure de recharge peut être installée. À Paris, ce pourcentage monte à 70 %, ce qui montre que les ménages à Paris sont mieux pourvus en termes de places de parking privé qu’ailleurs. Mais comme ces places de parking se trouvent en général dans les copropriétés, l’infrastructure de recharge sur ces places de parking reste très peu probable pour l’instant. Et même s’il existe un droit à la prise, qui donne le droit d’installation, celle-ci se fait aux frais de l’usager, et donc ce droit ne sera probablement pas suffisant pour s’assurer qu’il y a vraiment des places de parking privé dans ce type de logement. Cela explique pourquoi, dans les régions denses, l’adoption des voitures électriques est très problématique. Il reste à envisager des infrastructures de parking et de recharge publique avec accès exclusifs réservés aux usagers de voitures électriques. C’est un levier possible dans les villes denses.

En ce qui concerne le frein économique, le coût total TCO (Total Cost of Ownership) dont on a parlé ce matin, montre que grâce aux politiques actuelles, notamment à la subvention à l’achat de 7 000 euros, une voiture électrique avec location de batterie est aujourd'hui tout à fait compétitive par rapport à une voiture thermique comparable, même si l’on tient compte du kilométrage annuel et tous types d’usages courants en France. Il est donc primordial que les politiques publiques s’assurent que les gens s’approprient vraiment ces TCO avant de prendre leur décision d’achat.

M. Joseph Beretta, président, AVERE-France. AVERE-France est une association pour la mobilité électrique. Nous avons abordé beaucoup de choses ce matin, mais si l’on veut proposer des solutions pratiques au consommateur, il faut commencer par s’interroger sur ses attentes. Si l’on ne part pas des attentes du consommateur, on va dans un mur.

Quelles peuvent être ces attentes ? Il faut se poser les bonnes questions. Si je remplace un véhicule classique, qui est la référence aujourd'hui, par une autre énergie, et là je vais vous parler d’électricité, il faut se demander : quel est le service rendu par le véhicule ? Comment se positionne-t-il par rapport à la référence aujourd'hui ? Ensuite, quelle est l’acceptance du client vis-à-vis de cette nouvelle énergie : est-ce qu’elle est dangereuse, facile à manipuler ? Est-ce qu’elle a les mêmes avantages que l’énergie que je vais remplacer ? Et après, il faut se poser la question du bénéfice client de cette nouvelle solution, du bénéfice de la collectivité et du bénéfice général.

Si je prends la mobilité électrique, l’hybride par exemple, je remplis très bien la partie service rendu par le véhicule qui est pratiquement identique. Je peux faire le même usage du véhicule, j’ai effectivement quelques petits freins qui sont les prix de ces technologies, mais j’ai un gain pour le client vis-à-vis de la consommation du véhicule, et un gain pour la collectivité vis-à-vis des émissions de polluants et de CO2. Donc là, je n’ai pas de changement drastique dans l’acceptance de ce véhicule.

Si je prends le véhicule électrique, à batterie pure, il faut vraiment se demander quel est l’usage qui correspond à la prestation de ce véhicule. Il est lié à son autonomie réduite. Les études montrent qu’on touche un certain volume de clients, c’est encourageant. À côté de cela, il faut essayer de lever les freins que sont l’acceptance du client, la peur de la panne. Cela passe par les infrastructures, clairement, que ce soit à la maison, où il s’agit de les rendre facilement accessibles et de pouvoir les installer facilement, mais aussi sur la voie publique ou au travers de bornes rapides pour faire de la réassurance. Il est clair qu’il y a aussi un bénéfice pour le client, en termes d’usage, de consommation, et un bénéfice économique aussi, s’il fait suffisamment de kilomètres, ainsi qu’un bénéfice pour la collectivité. Voilà, il faut se poser les bonnes questions avant de faire les bons choix.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure. J’imagine que vous avez beaucoup de réponses à toutes ces questions. Pourriez-vous nous adresser une note synthétique ?

M. Joseph Beretta. Oui. Je mettrai sur votre base documentaire tous les éléments que l’AVERE a eus l’occasion de travailler à travers ses prises de position pour favoriser le déploiement.

M. Chris Orion, chef de projet, Bosch Automotive Service Solutions. Bosch fabrique des micros pour l’Assemblée nationale, mais pas seulement. Avec 50 milliards d’euros de chiffre d'affaires et près de 300 000 salariés, nous réalisons 60 % de notre chiffre d'affaires dans le secteur automobile. Le véhicule électrique, nous y croyons. Pour nous, il n'y a pratiquement plus de freins. Nous voyons arriver sur le marché de véritables véhicules. Des voitures particulières, avec des prix maintenant compétitifs grâce aux aides gouvernementales. On a une autonomie de 150 km. Une recharge de plus en plus rapide et sûre avec le mode 3. On a des aides gouvernementales pour l’installation des infrastructures. Et l’on parle actuellement beaucoup d’écologie. Je rappelle que ce sont des voitures zéro émission et zéro bruit. Dans la perspective des élections l’année prochaine, il est toujours politiquement correct de promouvoir l’écologie et le green à cette période-là. Nous avons transformé en opportunités les standards type 3 et type 2, dans la mesure où nous sommes capables de fabriquer des bornes de type 2 et type 3 en cohérence avec le projet Chrome.

Depuis le début, et sur ce marché, nous avons commencé à installer, équiper, et gérer des bornes à Singapour, avec Bosch Software Innovations. Nous sommes en train de travailler avec de grandes métropoles européennes, y compris sur des projets de développement importants avec la principauté de Monaco. Plus récemment, Bosch a acheté la société américaine SPX Service Solutions, et nous avons trouvé dans le panier de la mariée un certain nombre de projets de distribution et d’installation de bornes pour véhicules électriques chez les concessionnaires : Chevrolet, Daimler pour la Smart et Vito, et nous sommes à la veille d’annoncer un nouvel accord européen avec un grand fabricant européen. Notre coopération est donc opérationnelle.

Enfin, et cela fera plaisir à M. Montebourg, nous avons décidé de localiser nos productions dans notre usine de La Ferté-Bernard, près du Mans. Elle va devenir notre centre d’excellence pour le véhicule électrique, qui nous permettra de répondre à d’autres demandes émanant des clients que nous avons pu rencontrer, municipalités, conseils régionaux et autres. Nous sommes donc capables de fournir ces différents types de clients, à des prix compétitifs.

Pour terminer, nous serons présents pour lancer notre nouvelle borne dans quelques jours au rallye de Monte-Carlo des énergies nouvelles, puis au salon Franchise Expo Paris. Par ailleurs, nous préparons l’ultime borne de recharge via panneaux photovoltaïques. C’est aussi une technologie que maîtrise Bosch. C’est quand même la borne ultime que celle qui est rechargée par le soleil. Et je ne parle pas de nos vélos électriques. Notre message est donc clair : il n'y a plus de freins, nous y allons en France, en Europe et dans le monde.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. En ce qui concerne les bornes de recharge, on nous a expliqué que leur installation posait de gros problèmes. Dans l’espace public, je peux comprendre qu’il y a des difficultés d’occupation de l’espace. Mais, en revanche, dans les copropriétés, quelle est la difficulté ?

Mme Elisabeth Windisch. Souvent dans les copropriétés, les places de parking ne sont tout simplement pas reliées à l’électricité, ce qui nécessite des travaux.

M. Denis Baupin. Et ça coûte combien ?

Mme Elisabeth Windisch. Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve. Quelques milliers d’euros pour un usage privé.

M. Denis Baupin. Mais étant donné que l’électricité coûte tellement moins cher que le pétrole, je pense que l’investissement est très largement rentabilisé.

Mme Elisabeth Windisch. Environ 30 % des ménages français ne subissent aucun des trois freins que j’ai mentionnés : ni le frein de l’autonomie, ni le frein économique, ni le frein par rapport à l’infrastructure de recharge à la place du parking à domicile. Mais ils se basent sur un calcul TCO qui inclut le bonus de 7 000 euros. Ces résultats sont très sensibles. Dès qu’on baisse un peu le bonus à l’achat, par exemple à 5 000 euros, ce potentiel de 30 % baisse aussi. Si maintenant, on doit rajouter quelques milliers d’euros de plus pour avoir une infrastructure de recharge à la place de parking à domicile, tous les résultats basculent.

M. Thomas Orsini, directeur du business development du véhicule électrique de Renault. Je souhaitais apporter ma contribution et répondre aussi à la question de la propriété. Les freins, on en a tous beaucoup parlé. Il y a le frein économique et le frein de l’autonomie qui sont bien connus. Nous pensons aujourd'hui que ces freins disparaissent avec les produits qui arrivent sur le marché. La Zoé arrive à un prix inférieur à son équivalent diesel. Et donc les calculs TCO, hors infrastructures, montrent qu’il est plus intéressant, dès lors que vous faites plus de 12 000 kilomètres, de rouler en Zoé qu’en véhicule diesel équivalent. L’autonomie, on l’a dit, avec 150 km d’autonomie assurés, ce n’est plus un problème pour la majorité des usages. Par contre, il reste le problème de la charge, avec les deux problèmes qui ont été mentionnés.

Il existe aujourd'hui des solutions commercialisées pour les recharges dans les bureaux, dans les parkings, chez les artisans, ou chez les gens dans les pavillons. Mais dans la copropriété, même si les solutions techniques existent, cela devient financièrement très compliqué. D’après notre expérience, dès que vous faites un peu de travaux, vous arrivez assez vite à des coûts de l’ordre de 10 000 à 15 000 euros, quand il faut apporter l’électricité, refaire le tableau, etc. Si ce coût porte sur le premier demandeur de la copropriété, c’est insupportable pour lui. Ça double le prix de la voiture ! Et en plus, les délais sont très importants, dès lors que vous devez passer par l’assemblée générale de copropriété. Même si on a un droit d’aboutir, les délais ne seront pas raccourcis pour autant. Et avant d’avoir obtenu tous ces accords, ces délais peuvent être longs. On a eu pas mal d’expériences de clients pour qui ces travaux ont pris six à douze mois, alors que, au final, tout le monde était d’accord. C’est donc un point important qu’il faut soulever.

Le deuxième élément, c’est la recharge publique. Après le coût et l’autonomie, systématiquement le besoin de la recharge publique arrive en troisième position. Pas uniquement pour des besoins de réassurance. Les études ont montré que dans les endroits où il y avait de la recharge publique, normale ou accélérée, les utilisateurs de véhicules électriques roulaient plus. C’est ce qui a été montré au Japon. Nissan a fait des études qui montrent que les utilisateurs font plus de kilomètres dès lors qu’ils ont plus de recharges publiques dans le voisinage, et donc qu’ils utilisent pour augmenter leur autonomie. La réassurance, il en faut donc un minimum. Et là-dessus, évidemment, nous soutenons toutes les initiatives.

Mme Fabienne Keller. La réassurance, c’est la certitude de pouvoir recharger son véhicule ?

M. Thomas Orsini. La réassurance, c’est la roue de secours. Par exemple, vous êtes en milieu d’autonomie, vous savez que vous avez largement de quoi rouler du domicile au travail, mais si à midi au travail vous voulez faire une course chez Ikea, vous n’êtes pas très sûr, et vous n’allez pas la faire. Alors que si vous avez la borne chez Ikea, vous allez faire la course, vous allez revenir, et il n'y aura pas de problème. C’est un type de raisonnement qui a lieu avant l’achat. Avant l’achat, vous allez effectivement vous demander si vous pouvez fonctionner, et si vous ne voyez pas de borne autour de vous, vous n’achetez pas de voiture.

Mme Fabienne Keller. Pouvez-vous nous présenter le plan de vente de Zoé ?

M. Thomas Orsini. Zoé est lancée, en France en tout cas. Le week-end dernier a eu lieu le premier week-end portes-ouvertes. Depuis une semaine, elle est commercialisée en France dans tout le réseau primaire qui compte 400 points de vente. Je ne pense pas qu’on ait communiqué encore de chiffres très précis, et donc je ne vous en donnerai pas ici. Mais ça se présente très bien, sachant qu’on avait déjà pris un certain nombre de commandes au Salon de l’Auto à Paris. On a déjà plus de 2 000 commandes sur Zoé qui vient juste d’être commercialisée en France. D’ici la fin du premier semestre, Zoé sera progressivement commercialisée dans tous les pays d’Europe.

M. Denis Baupin. Vos chaînes de production en produisent combien par mois ?

M. Thomas Orsini. Actuellement, je ne pourrais pas vous dire, mais on se prépare à ces commandes. On est en croissance de production. Je ne connais pas les chiffres de production au jour le jour.

M. Denis Baupin. Le rythme de croisière est prévu à combien ?

M. Thomas Orsini. Cela peut être très variable. Les capacités installées à l’usine de Flins peuvent monter jusqu'à 100 000 voitures par an, mais on ne les prévoit pas la première année.

M. Denis Baupin. C’est pour avoir un ordre de grandeur. D’un côté, je vois la mise en place d’un service industriel de grande envergure
– 100 000 véhicules –, et d’un autre côté, les problèmes de recharge qui ne sont pas assurés. Vous nous dites qu’il faut attendre entre six et douze mois dans une copropriété pour installer une recharge. Je pense qu’on n’a pas découvert ces problèmes-là du jour au lendemain. Il y a là quelque chose que je ne saisis pas, au moment où Renault se lance là-dedans. Cela fait quand même quelques décennies qu’on nous parle du véhicule électrique. En tant qu’élu local, on a fait installer des bornes publiques. Elles étaient utilisées à peu près soixante fois par an. Évidemment, au bout d’un moment, on arrête. Et puis maintenant, tout d’un coup, le véhicule sort enfin, mais rien n’a été réamorcé en temps utile. Il y a quelque chose que je ne saisis pas dans la démarche, d’autant plus que quand Renault s’est lancé, c’était avec le soutien des pouvoirs publics. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Mme Fabienne Keller. M. Darniche, une question ?

M. Bernard Darniche, journaliste, président de l’association « Les citoyens de la route ». Je voudrais faire une remarque. Bien sûr, nous sommes tous ici pour trouver des solutions. Nous sommes dans une logique de la bonne parole. Mais je voudrais d’abord qu’on mette les choses au point en termes d’utilisation réelle d’une voiture électrique. S’agissant d’une voiture thermique, tout le monde sait que le constructeur nous trompe sur la consommation réelle en cycle urbain. On devrait plus parler en temps de fonctionnement qu’en kilométrage réel. On sait tous qu’on est trompé à ce niveau-là. Pour une voiture thermique, ce n’est pas grave. On n’a plus de pétrole, on s’arrête, on en met.

S’agissant d’une voiture électrique, si l’on reste sur la logique du kilométrage, on va directement amener les gens à comprendre qu’on nous a trompés. Et je parle en connaissance de cause. Moi, je roule en Opel Ampera, et Dieu merci, j’ai un range extender. Autrement, je ne pourrais pas m’en servir aujourd'hui. Je suis passé de 80 kilomètres d’autonomie à 37 kilomètres aujourd'hui et, ça, je le constate au quotidien. 37 kilomètres aujourd'hui, cela signifie que si je n’avais pas de range extender, je ne pourrais pas m’en servir aujourd’hui dans la fonction que j’avais imaginée au départ. Donc, on m’a trompé de moitié sur l’autonomie. Parce que je ne suis pas en cycle de kilométrage, mais en cycle urbain et en temps de fonctionnement.

Mme Fabienne Keller. Donc il vous faut la réassurance.

M. Bernard Darniche. Il faut éclairer les gens. Et il faut une réassurance. Il suffit du moindre frein en termes de marketing pour que l’acte d’achat soit reporté, ou totalement zappé. Pendant les deux jours de neige, si nous avions eu des voitures électriques, elles seraient toutes tombées en panne sur les périphériques et sur les autoroutes ! C’est la vérité.

M. Thomas Orsini. Je vous remercie de cette intervention parce que cela me permet de préciser des choses sur l’autonomie. Je ne connais pas les caractéristiques de l’Opel Ampera, mais je connais celles de Zoé. L'autonomie homologuée de Zoé en cycle mixte NEDC (New European Driving Cycle) est de 210 kilomètres. Donc 210 kilomètres sur un cycle normalisé. Mais ce n’est pas ce sur quoi Renault communique vis-à-vis de ses clients. Renault dit à ses clients : avec une Zoé, vous allez faire 150 kilomètres dans les conditions normales de température et de pression, c'est-à-dire dans des températures tempérées avec un fonctionnement normal. Vous allez faire au minimum 100 kilomètres dans un environnement sévère, c'est-à-dire en dessous de 0°C et une utilisation agressive. C’est ce qui se fait vraiment de mieux sur le marché aujourd'hui pour un véhicule de grande série. C’est bien meilleur que ce que vous avez décrit sur le véhicule concurrent, qui est un hybride. D’ailleurs il n’a pas besoin de cette autonomie. Et c’est bien cela qu’on dit au client. On ne lui fait rien miroiter. On lui dit : c’est entre 100 et 150 kilomètres. Donc pour vos usages, effectivement, domicile-travail, tant que vous êtes en dessous de 100 kilomètres, vous arriverez à faire cet aller-retour tous les jours, été comme hiver.

M. Bernard Darniche. Mais puisque c’est une voiture urbaine, pourquoi vous ne le dites pas en temps de fonctionnement, en minutes ou en heures ? C’est tellement plus simple. C’est un éclairage réaliste.

M. Thomas Orsini. On peut le dire, mais il se trouve que dans les véhicules électriques, plus que dans les véhicules thermiques, quand vous êtes à l’arrêt et pour peu que vous n’ayez pas besoin de chauffage …

M. Bernard Darniche. On en a besoin en ce moment, non ?

M. Thomas Orsini. Oui, en ce moment peut-être, mais vous consommez beaucoup moins. C’est 1 ou 2 kWh, et ça ne va jamais vider la batterie. Et si vous raisonnez en temps de fonctionnement, sur une Zoé, vous avez raison, on a fait le travail, et les résultats sont au contraire très rassurants. Parce qu’en cycle urbain, vous ne faites pas beaucoup de kilomètres, et vous allez vous rendre compte que pour vider la batterie, en faisant du 30 à 50 kilomètres en ville, il va falloir passer 3 à 4 heures dans la voiture. C’est tout à fait rassurant.

Alors effectivement, dans des conditions extrêmes, si vous êtes bloqué sur l’autoroute à - 10°C pendant 3 à 4 heures, il y aura un problème. Je ne le nie pas. Mais ce sont des conditions très extrêmes.

M. Bernard Darniche. C’est ce que les Franciliens vivent tous les jours le matin et le soir.

M. Thomas Orsini. Non. Pas 4 heures, coincé à -10°C sans pouvoir bouger.

Mme Fabienne Keller. La question a été entendue, la réponse a été presque apportée, mais M. Darniche n’est pas convaincu. Je passe la parole à Mme Dominique Dujols.

Mme Dominique Dujols, directrice institutionnelle de l’Union sociale pour l’habitat. Je représente l’Union sociale pour l’habitat, la maison HLM pour dire les choses rapidement. Et je suppose que notre légitimité à intervenir concerne la question du stationnement des véhicules, du moins je m’en tiendrai à ce domaine. J’ai bien compris que j’étais au milieu de spécialistes, très savants, et je viens pour apprendre sur le véhicule électrique.

Sur la question du stationnement, nous n’avons pas les mêmes difficultés qu’en copropriété. J’ai entendu dire que, certes, il y a un investissement, mais qu’on le récupérait sur les économies de carburant. La question du modèle économique se pose en ces termes : qui réalise l’investissement ? Qui paie ? Comment le récupère-t-on ? Et qui bénéficie de l’économie ? Parce que ce qui est vrai au niveau macroéconomique de la collectivité nationale ne l’est pas au niveau des choix individuels d’acteurs. Je rappelle que nous devons équilibrer notre production et notre gestion sans dispositions spécifiques.

Pour nous, faire des places de stationnement qui seraient destinées aux véhicules électriques, cela ne nous pose pas de problème de principe, à condition que ce soit à la place d’autres places de parking, et pas en plus. À chaque fois qu’on fait des choses en plus, ce sont des coûts en plus et c’est de l’exclusion potentielle de ménages. Malheureusement, nos loyers, avec l’évolution des coûts de construction, sont de plus en plus élevés. Et naturellement, il faut que nous puissions accueillir des ménages à revenus modestes ou très modestes. Donc si c’est à la place d’autres places de parking, cela ne nous pose pas de problème en termes d’espace.

Ensuite, se pose la question de l’équipement, notamment de l’équipement de recharge, de son fonctionnement et de son entretien. Et là, évidemment, pour l’instant, les choses ne sont pas précisées. Il est évident que cela poserait des problèmes de récupération de charges. La loi Grenelle ouvre des moyens de faire, en faisant appel à un concessionnaire d’infrastructure. Mais nous n’en avons pas vu se présenter spontanément comme étant intéressés, peut-être parce que le modèle n’est pas encore absolument clair dans son fonctionnement. Cela pose donc le problème de l’équipement de la recharge et de son entretien dans la durée, et bien sûr, du paiement des consommations. A priori, on ne peut pas imaginer répercuter sur l’ensemble des locataires un équipement qui ne bénéficierait qu’aux seuls propriétaires de véhicules.

C’est la principale remarque que je voulais faire. Oui, pourquoi ne pas aller vers le véhicule électrique ? Le monde HLM a toujours accompagné les progrès qui pouvaient bénéficier à tout le monde, et donc, les évolutions énergétiques ne nous posent pas de problème. Ensuite, il faut trouver un modèle qui s’équilibre.

Je ne sais pas s’il en a été débattu, mais je mets de côté l’enjeu de sécurité. Nous avons compris qu’il ne suffisait pas, dans un parking souterrain par exemple, d’avoir une borne, encore faut-il des dispositifs associés. Je ne sais pas si aujourd'hui les batteries sont totalement sécurisées. Je n’ai que les informations grand public sur Internet. Mais je pense que serait un équipement supplémentaire qu’il faudrait prendre en charge. Se poserait alors la question de l’équilibre.

Enfin, je voulais faire une remarque un peu générale à propos du stationnement. En France, on a fait le choix historique d’associer les obligations de stationnement à la production de bâtiments. J’ai cru comprendre que dans d’autres pays, notamment certaines villes allemandes, le choix est différent. La question du stationnement est gérée à l’occasion de la remise de la carte grise, c'est-à-dire que l’automobiliste doit justifier d’un mode de stationnement pour obtenir sa carte grise, ce qui aboutit à d’avantage de solutions de stationnement collectif, voire – horreur ! – à quelques centaines de mètres pour rejoindre son parking, parce que ce n’est pas forcément inclus dans la construction du logement. Certes, certains logements ont leur parking souterrain, mais c’est une affaire de choix, voire de standing.

Alors j’ai bien conscience que cette remarque n’est pas propre à la question du véhicule électrique, mais c’est peut-être aussi une évolution à laquelle il mérite qu’on réfléchisse, aussi bien pour les véhicules électriques que pour les autres d’ailleurs. Cela permettrait d’éviter le débat lancinant sur la question de savoir, par exemple dans le logement social, s’il faut avoir une seule place obligatoire ou deux, au motif que les gens sont loin de leur emploi, ou si la question du stationnement est plutôt liée à la détention du véhicule. C’est ma seule remarque générale.

Mme Fabienne Keller. Je vous propose de passer à un autre combustible que sont les piles à combustible.

B. Les véhicules à pile à combustible

M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports au CEA LITEN. Je vais vous présenter un comparatif des différentes technologies. Il est extrait d’un rapport publié fin 2010 qui réunit une trentaine d’industriels européens, producteurs de véhicules ou gaziers. Il compare les émissions de CO2 pour différents types de motorisation : la pile à combustible, la batterie, l’hybride électrique, le moteur à combustion, de la vision en 2010 jusqu'en 2050 en termes d’évolution des performances.

Si l’on compare les différentes technologies, oui, il y a un problème d’autonomie, mais on voit bien que ce sont les différentes motorisations qui permettront de répondre à l’ensemble des besoins d’autonomie, et c’est bien l’application qui va conduire à l’utilisation plutôt de tel ou tel type de chaîne de traction. Toujours est-il que ce que nous voyons, c’est qu’à la fois les véhicules à batterie et à pile à combustible sont les seuls à vraiment pouvoir générer très peu d’émissions de CO2, en faisant l’hypothèse ici qu’on produit l’hydrogène à partir d’énergies renouvelables. Par rapport à notre discussion de ce matin, ce sont aussi les deux seules technologies qui seront zéro émission de particules et zéro émission de NOx.

Ce matin, on a évoqué le terme TCO. Dans cette même étude, on voit qu’à partir de 2025, quel que soit le type de chaîne de traction, on a une convergence vers ce coût de possession, c'est-à-dire l’investissement, l’usage, et la fin de vie.

M. Denis Baupin. Je voudrais comprendre. Vous nous dites que les coûts de possession TCO convergent et tout converge vers zéro.

M. Laurent Antoni. Non. Là, on converge à peu près vers 20 centimes d’euro/km.

M. Denis Baupin. En 2030, y compris pour les véhicules à essence ?

M. Laurent Antoni. Oui. L’étude montre une stabilité, parce qu’on va aussi vers une amélioration de la performance des véhicules à combustion interne. On va consommer moins pour aller plus loin.

Mme Fabienne Keller. Donc le TCO, c’est consommation annuelle incluse ?

M. Laurent Antoni. Oui, il englobe l’achat, l’exploitation, la durée de vie du véhicule, l’entretien et le combustible.

Et ensuite, en termes d’infrastructures, on propose de soutenir la proposition de directive européenne de la DG Transport (24/01/13). On sait que pour les batteries, il n’y a pas de prise, pour l’hydrogène, il n'y a pas de station. Cette directive va permettre de briser, d’une certaine façon, le syndrome de la poule et de l’œuf, car elle va imposer un certain nombre de bornes de recharges électriques. Ce qui est proposé en France, à l’horizon 2020, c’est quasiment 1 million de bornes de recharge, dont 10 % dans le domaine public. Et puis elle va imposer, d’ici 2020, une densité minimale de stations hydrogène, en l’occurrence une distance minimale de 300 km entre deux stations. Sachant que ces véhicules à hydrogène vont avoir une autonomie de 400 à 500 kilomètres.

Mme Fabienne Keller. Nous sommes très inquiets tous les deux, parce qu’on n’aime pas que les directives résolvent les problèmes.

M. Laurent Antoni. Non, mais ça incite.

Mme Fabienne Keller. Et franchement, une borne bien placée en vaut dix mal placées.

M. Laurent Antoni. Nous sommes bien d’accord. Mais dans ce cas, le nombre de bornes a été établi en fonction des projections du nombre de véhicules qui vont être déployés à cet horizon-là.

M. Denis Baupin. Ce qui m’amusait, c’était de vous entendre dire que le problème sera résolu parce qu’il y aura une directive. Je caricature.

M. Laurent Antoni. C’est une incitation. Si on n’encourage pas très fortement des changements, des ruptures, on attendra toujours d’être au pied du mur pour le voir.

Mme Fabienne Keller. Ce n’est pas une incitation, c’est une obligation.

M. Laurent Antoni. Si elle passe.

Mme Fabienne Keller. Et deuxièmement, on en parlait ce matin, la France a quand même l’habitude de ne pas appliquer certaines directives. Donc cela ne remplace en aucun cas la gouvernance, c'est-à-dire la prise en main du sujet par les acteurs, pour se poser les questions : où met-on les outils ? Qui les finance ? Comment fait-on les travaux ? Comment transforme-t-on ce qui pourrait être perçu comme une obligation par quelque chose d’intelligent et de structurant ?

M. Laurent Antoni. Mais au moins, cela donne une argumentation de poids que de demander à ce que cela soit respecté.

Je finirai sur un dernier point concernant l’hydrogène, et qui n’est pas dans la directive. Je pense qu’un soutien de la DREAL est nécessaire pour faciliter l’installation de ces stations hydrogène. Ce n’est pas évident, c’est un peu l’un des points bloquants dans le débat actuel. Il s’agit d’avoir les autorisations pour pouvoir installer les stations hydrogène dans le domaine public. Elles sont classées ICPE (Installation classée pour la protection de l'environnement). Aujourd'hui, l’hydrogène n’est pas forcément dans les mœurs, c’est difficile, et certains projets de déploiement sont bloqués aujourd'hui à cause de cela.

M. Denis Baupin. C’est plus dangereux ?

M. Laurent Antoni. Il s’agit d’avoir un regard bienveillant, sans bien sûr négliger la sécurité, en le regardant autrement que comme on a l’habitude de le voir, c'est-à-dire comme un gaz dangereux.

M. Paul Lucchese, directeur de la recherche scientifique, CEA, et vice-président d’AFHYPAC. Je travaille au CEA et je suis vice-président de l’association française de l’hydrogène. Je suis également membre du comité national d’experts dans le débat sur la transition énergétique. À ce titre, on retrouve un peu les mêmes problématiques dans notre comité que ce qu’on évoque ici.

Cette étude, je la connais bien, et j’ai essayé de l’appliquer aussi à la France, afin de voir quels étaient les obstacles qui restaient en France pour déployer l’ensemble des technologies, batterie, véhicules plug-in ou véhicules à hydrogène. Finalement, ce sont des véhicules électriques. Comme le dit Laurent Antoni, ce sont ces trois familles qui vont permettre de décarboner à quasiment 100% en 2050 le parc automobile français.

Je vais plutôt insister sur l’aspect des infrastructures, puisque Laurent Antoni a déjà expliqué la partie voitures. Le modèle économique de l’infrastructure hydrogène est rentable à terme, mais le problème se situe au niveau de son introduction. Comme au départ il y aura très peu de véhicules, on peut comprendre aisément que le business est à perte pendant dix à quinze ans, le temps d’arriver à un niveau de production suffisant et à un parc existant.

Je vais donner des ordres de grandeur, sur la base d’études très précises qui ont été faites en Allemagne et en Angleterre. On démarre avec probablement quelques milliers de véhicules entre 2015 et 2020. Et l’on arrive, dans ces deux pays qui sont comparables à la France, à une production d’environ 300 000 à l’horizon 2030. C’est très progressif, comme n’importe quelle transition. Mais au départ, l’infrastructure est installée, il faut assurer la production et bien sûr la distribution, et le business est déficitaire. La question centrale est de savoir comment financer cette première période d’introduction de l’infrastructure. La solution est comparable à celle de l’infrastructure électrique. C’est un mélange de financements publics et de prise en charge par les industriels.

En Allemagne et en Angleterre, un plan de déploiement des infrastructures est déjà prêt. En France, que se passe-t-il ? C’est justement l’une des priorités de l’association AFHYPAC. On lance en ce moment une étude « H2 Mobilité France » qui s’interroge sur la manière dont on pourrait déployer un plan de déploiement d’infrastructures, en supposant qu’on ait les financements. Cette étude démarre maintenant et donnera des résultats en 2014. Concrètement, si on doit déployer les premières dizaines de stations, on saura, grâce à ce plan, où on va les mettre, comment elles vont être approvisionnées. Cette étude donnera toutes les données techniques en prévision du jour où l’on sera prêt à avoir le financement, et donc le feu vert des autorités.

Il y a deux volets. Le volet infrastructure qui est déficitaire et le volet du surcoût initial, comme dans le cas de la voiture électrique à batterie. Et donc on a forcément une aide de l’État sur les véhicules, qui peut être jusqu’à 7 000 euros dans le cas des véhicules électriques. Ce schéma peut également s’appliquer à la voiture à hydrogène. Le seul problème, c’est que les budgets publics sont limités. Ne serait-ce que 7 000 euros sur 1 million de véhicules, on arrive à 7 milliards. Va-t-on arriver, au niveau industriel, au coût du marché, que ce soit pour un véhicule à batterie ou à hydrogène, à 100 000, 200 000 ou 300 000 voitures ? Cet équilibre va être très délicat.

M. Denis Baupin. Vous dites que c’est à perte pendant un certain nombre d’années, le temps de développer les réseaux et que ce soit rentable. En matière de transition, avez-vous réfléchi à quelque chose qui soit de l’ordre de l’hybride aussi, avec un véhicule qui serait à la fois hydrogène et autre chose, dont le carburant est disponible et qui permet de monter en puissance ? Cette vision est peut-être totalement farfelue.

M. Paul Lucchese. Les coûts seront encore plus élevés si on met des motorisations. Par contre, ce qui est intéressant, c’est de voir quelle est la meilleure combinaison entre un véhicule à batterie et un véhicule à pile à combustible. D’un côté, vous avez le véhicule à pile à combustible pur, full power, de l’autre, vous avez le véhicule à batterie. Et si vous arrivez à combiner les deux, en ayant une batterie de moyenne puissance qui va permettre de passer les pics de puissance et une pile à combustible de moyenne puissance, on peut avoir un optimum de coût pour lequel on aurait une espèce de pile à combustible plug-in
– mais ça, personne ne peut le dire actuellement, il faut faire pas mal d’études – qui permettrait peut-être d’optimiser les coûts et d’optimiser l’infrastructure. Parce que si vous avez moins de puissance sur la pile à combustible, vous aurez moins besoin d’hydrogène. Donc l’infrastructure s’en ressentira. C’est plutôt dans ce sens-là qu’on va regarder.

M. Bernard Frois, président, Comité des États membres du JTI FCH (expérience européenne de déploiement des infrastructures hydrogène). L’hydrogène, c’est un sujet vraiment très amusant, parce qu’en France, on voit tout de suite qu’on est sur un terrain qui n’est pas du tout sûr. Quand on en parle, on se demande si on va se faire fusiller ou si on est pris pour un rigolo. Je vous dis cela, maintenant que dans la grande presse, on sait que Toyota va sortir ses véhicules en 2015, et on commence à savoir qu’au Japon il y a 30 000 installations domestiques à hydrogène.

L’hydrogène est maintenant une réalité. En tant que parlementaires, vous savez très bien que le problème est économique. C’est un problème de poule et de l’œuf. Comment est-ce que cela va démarrer ? La Commission européenne se place dans un horizon différent, en soutenant une préparation du futur à long terme, tout en voyant quand même que l’hydrogène, c’est quelque chose qui peut aider dans les questions du climat et de la santé.

On sait que ce qui est rentable dans l’automobile, c’est 1 million de véhicules, 100 000 par an. L’hydrogène n’est pas du tout dans cette optique. L’hydrogène est dans un processus de démarrage. Je vous rappelle qu’il y a un tas de technologies qui ont démarré il y a cent ans et l’on ne s’est pas arrêté à des concepts en disant : c’est infaisable. La question est donc : Comment est-ce que cela va démarrer ?

La Commission européenne met au point un nouveau programme cadre qui va démarrer l’année prochaine. L’hydrogène est inclus dans la partie Énergie et Transport. Donc c’est ciblé. On va renouveler la plateforme technologique hydrogène, qui est une organisation externe à la Commission et qui fonctionne par appel à projets.

Le projet de directive déclenche assez les passions. Tous les États-membres sont d’accord pour qu’il y ait une directive, mais la question est de savoir qui paie et qui gouverne. Vous l’avez parfaitement vu. À Bruxelles, c’est vu comme un élément visant à déclencher chez les gens un intérêt pour la question. Nous sentons bien que, quelque part, il y a des moments où l’on part en avant sans avoir assuré ses arrières. On sait que l’intendance doit suivre, et là, la Commission se préoccupe de poser la question aux États : comment est-ce que vous mettez en place des recharges électriques et des stations hydrogène ?

Pour l’hydrogène, c’est beaucoup moins compliqué, étant donné que le parcours d’un véhicule hydrogène est beaucoup moins limité. Aujourd'hui une voiture standard à hydrogène a une autonomie de 400 kilomètres. On a moins besoin de points de recharges. Et ce qui est prévu par la Commission, c’est de l’ordre d’une centaine de stations en Europe. Ce n’est donc pas très contraignant. C’est une incitation.

Vu de Bruxelles, le soutien des États membres et des élus est extrêmement important, parce que c’est un élément fondamental de décision. Autrement dit, je m’adresse aux parlementaires que vous êtes, c’est vraiment là que sera prise la décision. Est-ce qu’on y va ou pas ? Le Parlement européen se prononcera. Le problème s’annonce politique. Il n'y a pas de discussion au niveau du déploiement. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les pays nordiques, comme l’a dit mon collègue Paul Lucchese, sont déjà partis. L’Allemagne met quand même 1,4 milliard d’euros jusqu’en 2016 pour financer des études, des déploiements. Et je pense que de ce point de vue-là, il n'y a pas de problème, l’industrie part. Elle part, qu’on soit avec elle ou sans elle. L’endroit où elle va se déployer va dépendre de qui l’accompagne. Pour ne pas la nommer, Toyota mise sur l’Allemagne et sur l’Angleterre, parce que ce sont des pays amis de l’hydrogène.

La France est bien placée, parce que nous avons des acteurs qui techniquement sont bien placés : Air Liquide, Areva, le CEA, le CNRS, SymbioFCell, McAfee, Solvay,… Ce sont des industriels ou des instituts de recherche qui sont très qualifiés et très bien vus à Bruxelles. Quel est le problème ? C’est un souhait. À Bruxelles, on souhaiterait que la France, dans un domaine innovant, soit présente aux cotés des grands de l’innovation, parce qu’à trop regarder les risques, on ne s’avance pas, et on attend que les autres s’installent. Et ça, c’est un problème philosophique, ce n’est pas du tout un problème économique. Il y a une certaine déception de ne pas voir la France à certains endroits où on l’attend.

M. Gerald Pourcelly, Université de Montpellier 2. Je vais rebondir sur ce qu’a dit Bernard Frois. Je représente le groupe de recherche pile à combustible au niveau de la recherche publique. Et j’ai eu l’occasion de travailler sur le solaire thermique il y a une trentaine d’années. À l’époque, la France avait cinq ans d’avance au niveau de la recherche publique. Et les recherches ont été abandonnées. Aujourd'hui, on a pratiquement cinq ans de retard par rapport à l’Allemagne et à l’Espagne. Il ne faudrait pas qu’on se trouve à ce niveau pour la pile à combustible et les batteries.

On a entendu évoquer des véhicules à batterie avec une autonomie qui commence à être intéressante. Mme Keller, vous avez dit que des véhicules hybrides étaient peut-être la solution. Effectivement, l’intérêt du véhicule pile à combustible-batterie, c’est de moins charger l’hydrogène, et d’autre part, cela permet d’utiliser le véhicule, non pas dans une flotte ou dans un environnement géographiquement limité, mais d’aller plus loin.

Il ne faudrait pas que la recherche publique en France baisse la garde au niveau de tout ce qui concerne la qualité des batteries et des piles à combustible. Nous avons d’excellents laboratoires de recherche, au niveau du CNRS, du CEA, de toutes sortes d’organismes de type EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial) ou EPST (Établissement public à caractère scientifique et technologique). La recherche publique doit continuer dans ce domaine. Les enjeux sont considérables.

M. Fabio Ferrari, président directeur général de SymbioFCell. M. Paul Lucchese a parlé des problèmes, nous essayons d’apporter des solutions. Notre solution est basée sur un range extender, c'est-à-dire un complément pile à hydrogène sur un véhicule batterie existant. Nous équipons des Kangoo Z.E. Et l’on démontre à nos clients, dans certains cas d’usages un peu compliqués où l’on a des problématiques de froid ou d’arrêts fréquents des véhicules, que l’on est au même prix que le diesel. C’est un point important. Aujourd'hui, on est capable de démontrer qu’un véhicule hydrogène, dans des cas de livraison en centre-ville en particulier, a le même TCO qu’un véhicule diesel. Ce n’est malheureusement pas encore vrai pour le véhicule grand public. Et il n'y a pas encore d’infrastructures de recharge pour les véhicules hydrogène. Il est clair qu’il faut trouver un moyen pour y aller, et commencer par les flottes captives, c’est un bon moyen. Cela permet de faire des investissements très massifs, d’avoir un retour d’expérience, d’utiliser la R&D française – en l’occurrence, nous sommes basés sur la R&D du CEA pour le faire –, et d’aller de l’avant pour démontrer à tout le monde que cette solution fonctionne.

C. Le développement de filières pour les agro-carburants,
1ère, 2ème, 3ème générations

M. Sylvain Demoures, Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). On parle des biocarburants, car la biomasse permet de produire les carburants, qu’elle soit d’origine marine, agricole, forestière ou de déchets. Les biocarburants sont aujourd'hui une réalité en France. Plus de 6,5 % des énergies fossiles ont été remplacées dans les carburants par des biocarburants que l’on consomme quasiment sans s’en rendre compte. Dans le diesel, vous avez 7 % de biodiesel, et dans toutes les essences vous avez un peu d’éthanol, entre 5 % et jusqu'à 10 % dans les SP95-E10.

C'est une réalité. Ces carburants progressent. Aujourd'hui, pour l’éthanol, le remplacement est plus faible que pour le biodiesel. 5 % environ de l’essence est remplacée par le bioéthanol. Et les marches de progrès sont en train d’être acquises par le développement de ce carburant SP95-E10 qui se vend aujourd'hui plus que le Sans Plomb 98. On a également du super-éthanol E85 à 85 % d’éthanol, dont les progressions sont très fortes : plus de 40 % par an.

Quels sont les freins au développement de ces carburants ? Ils bénéficient déjà d’infrastructures, donc ils n’ont pas les freins des autres énergies dont on vient de parler. Les infrastructures existantes, les stations-service, de même que les moteurs, sont capables d’utiliser ces biocarburants en mélange avec les carburants fossiles. La limite que nous avons, c’est que dans un certain nombre de cas, le carburant n’est pas compatible avec la totalité du parc. Par exemple, dans le cas du SP95-E10, c’est 90 % du parc qui aujourd'hui peut fonctionner avec ce carburant.

Pour cela, il est important d’accompagner le consommateur. On l’a dit, on part du consommateur, de son besoin. Un client a besoin de savoir si le carburant qu’on lui propose convient à son véhicule en particulier. Nous avons mis en place un accompagnement avec les distributeurs de façon à ce que, à la pompe, le consommateur puisse savoir quel carburant prendre. Nous avons fait gérer notre partie du travail. Dans les freins qui restent, il nous semble que l’État pourrait aider à la diffusion de cette information à travers par exemple les centres techniques ou les sites Internet sur le prix des carburants. Aujourd'hui ces sites ne diffusent malheureusement pas ces informations. Nous disposons donc d’un SP95-E10 qui finira par atteindre la totalité de son marché.

Un mot sur les freins concernant le super-éthanol. Le super-éthanol fonctionne avec des véhicules FlexFuel qui sont des véhicules adaptés spécifiques. Ils sont peu diffusés en France actuellement. Il faudrait que cette commercialisation de véhicules FlexFuel soit plus importante et que certains obstacles techniques temporaires soient levés pour qu’ils continuent à progresser.

M. Nicolas Bardi, chef du département des Technologie Biomasse et Hydrogène, CEA-Liten (Agro-carburant). Il y a plusieurs générations de carburants qui se distinguent par la ressource primaire qui est utilisée pour les faire. La première génération, ce sont des matières qui permettent de faire de l’huile ou du sucre pour faire de l’alcool. La deuxième génération, ce sont des matières ligno-cellulosiques, c'est-à-dire les parties de la plante non utilisées pour l’alimentation, les arbres, les déchets, urbains ou agricoles. La troisième génération est une production spécifique à partir de micro-organismes qui sont des micro-algues et qui métabolisent le carbone pour faire des carburants.

Au niveau du CEA, on ne travaille pas sur les carburants de première génération. Sur la deuxième génération, il y a deux grandes voies de fabrication de ces carburants : la voie biochimique sur laquelle nous travaillons de façon marginale et une voie thermochimique dans laquelle on va craquer ces matières qui contiennent de l’hydrogène, du carbone et de l’oxygène. On fait un gaz de synthèse, à partir duquel on peut refabriquer un carburant gazeux ou liquide. Nous travaillons sur les deux familles de synthèse, soit pour aller vers du biodiesel liquide, soit pour aller vers du gaz naturel de synthèse, notamment dans le cadre du projet Gaya, avec GDF SUEZ.

Ces projets qui sont mis en place au niveau français sont un peu des projets de démonstration. Ce qu’il faut bien voir sur les biocarburants, c’est que finalement, on n’a pas les problèmes de distribution dont on a beaucoup parlé à l’instant à propos du véhicule électrique et du véhicule hydrogène. Par contre, on a le problème de la transformation, la fabrication du carburant à partir de la ressource.

En termes de prix, on a étudié toutes les études parues ces dernières années sur le biodiesel 2ème génération. Il y a une grande diversité d’analyses de coûts. On a essayé de les renormer avec les mêmes hypothèses, et en gros, on arrive à produire 1 litre de biodiesel pour 1 à 1,20 euro sur ces procédés à l’horizon de quelques années. Les plus optimistes diront 2017-2018. Ce sera plus probablement aux alentours de 2020. Cela fait un vrai écart de prix par rapport au carburant fossile existant, puisque là, on parle d’un prix hors taxes. Cela veut dire que des progrès restent à faire au niveau de la technologie et des rendements de conversion. Il faut également des systèmes d’incitation fiscale pour que ces carburants puissent être compétitifs au niveau des utilisateurs.

Ces développements coûtent cher et prennent du temps. Une usine de biocarburants demande des investissements à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros, frisant même le milliard d’euros pour de grosses installations. Cela implique une prise de risque en matière d’investissements, qui demande une garantie et une stabilité réglementaires sur le long terme pour que les industriels puissent prendre ces décisions d’investissement. Ces usines ne seront rentables qu’avec des capacités de traitement de biomasse assez importantes. Au préalable de ces décisions d’investissement sur des usines de grande taille, il faut avoir la preuve de la robustesse de la technologie à une échelle plus petite. C’est typiquement les projets de démonstrateurs dont j’ai parlé. Ils s’étalent sur une période de 5 à 7 ans, et en ordre de grandeur, leur budget s’élève à une centaine de millions d’euros.

C’est beaucoup d’argent, qui peut être déployé, à condition d’avoir une feuille de route assez claire, et encore une fois, un cadre réglementaire clair sur la longue durée. En parallèle, il faut investir en R&D technologique, car en France, nous avons une grande difficulté. Comme nous avons démarré plus tard que nos voisins allemands et d’Europe du nord, aujourd'hui les démonstrateurs financés par le contribuable français utilisent pour plus de la moitié des briques technologiques des fournisseurs de technologies européens non français. Je suis très européen, donc ça ne me pose pas un problème métaphysique, mais il faut quand même y réfléchir pour la politique industrielle et les emplois créés en France. Je pense que dans cette filière, le défi est d’arriver à réduire le coût de ces technologies pour avoir des installations de plus petite taille, mieux intégrables sur le territoire. Du coup, ce n’est pas de la démonstration, c’est vraiment du développement technologique sur lequel les laboratoires de recherche peuvent apporter des solutions, à condition que les industriels investissent. Et pour qu’ils investissent, il faut qu’ils aient l’espérance d’un déploiement de ces filières, avec des cadres réglementaires les plus clairs possibles.

Au sujet de la biomasse 3ème génération, je dirai un mot très rapide. Aujourd'hui, ce sont des technologies beaucoup plus prospectives. Cela nous amuse beaucoup en termes de développeurs de technologies, parce qu’il y a à peu près tout à réinventer. Le principe de la création de carburant à partir de micro-algues existe. Aujourd’hui, on est très loin des coûts qu’il serait nécessaire d’obtenir pour ce soit économiquement rentable. Cela veut dire qu’il faut travailler sur la technologie. C’est une aventure que nous sommes en train d’ouvrir, mais ce sera pour une prochaine génération.

Si je peux me permettre une incise sur l’hydrogène, on peut faire une solution à partir de deux problèmes. C’est le cas ici. On a le problème des stations-service hydrogène et on a aussi le problème du stockage des énergies renouvelables. Si l’on produit de l’hydrogène à partir d’électrolyse et qu’on le stocke, ensuite on peut choisir de réinjecter cette énergie sur le réseau électrique, et on est dans une solution de stockage de l’énergie électrique. Si une voiture passe et veut se recharger, on a un site où il y a de l’hydrogène qui est stocké, et où l’on peut aussi avoir un système qui permet de recharger les premiers véhicules. Le coût serait relativement faible, puisqu’il n’y aurait que la partie distribution à ajouter.

L’idée serait de mailler le territoire de solutions qui serviraient à la fois à faire du stockage/déstockage d’énergies renouvelables et des premiers points de distribution d’hydrogène pour les premiers véhicules. Cela me semblerait être une stratégie pertinente dans le domaine.

M. Denis Baupin. À propos des agro-carburants de 2ème génération, vous avez évoqué la piste du diesel. Pourquoi aller vers le diesel ?

M. Nicolas Bardi. Biodiesel, c’est un terme un peu générique et trompeur. En fait, il y a des synthèses chimiques qui partent du gaz de synthèse hydrogène SCO (synthetic crude oil) pour faire des fuels plus ou moins lourds. En réalité, une des cibles principales de ces carburants va être plutôt le kérosène. Comme je l’ai dit ce matin, dans le domaine de l’aéronautique, on a peu de solutions de substitution.

Je travaille plus sur la biomasse et sa gazéification que sur la synthèse des carburants. Il faudrait plutôt interroger mes collègues de l’Institut du pétrole de l’IFPEN. On peut régler et synthétiser différents carburants à partir de ce gaz de synthèse. On peut très bien aussi aller à l’éthanol ou à des combustibles plus légers, comme le méthane, qui peut être aussi une solution intéressante d’un point de vue énergétique pour l’usage de la biomasse. Reste la question des véhicules gaz dont on a un peu parlé ce matin et dont on va reparler cet après-midi.

M. Denis Baupin. Ce matin, j’ai été surpris. Vous avez dit que la biomasse pouvait faire à peu près 10 % de nos capacités énergétiques. Cela me paraît un chiffre faible par rapport à ce que j’ai entendu dire sur la part de la biomasse en matière énergétique, déjà aujourd'hui en France.

M. Nicolas Bardi. C’était la part biocarburants à l’échelle mondiale, en étant assez prudent sur les hypothèses d’utilisation de la ressource pour les carburants.

M. Denis Baupin. À l’échelle mondiale, c’est vrai, j’ai fait une confusion.

M. Sylvain Demoures. Un dernier point. Il y a une voie plus simple concernant l’éthanol qui est de transformer la cellulose du bois ou de la paille en sucres par des procédés enzymatiques. Une fois qu’on a des sucres, on a le substrat avec lequel on fabrique de l’éthanol et l’on transforme ce substrat dans les usines de première génération. Et donc c’est encore plus simple. C’est la voie biochimique classique.

Mme Fabienne Keller. C’est intéressant l’idée qu’à partir d’un process on puisse produire différents types de combustibles.

M. Pierre Trami, responsable des activités mobilité durable à la direction de la stratégie et des finances de GrDF (GNV et collectivités locales). Je vais présenter le biométhane. On a quatre phases. On a la possibilité de collecter un ensemble de résidus, agricoles, domestiques ou agroalimentaires. On arrive à porter ces ressources fatales dans un digesteur. Ensuite, une phase d’épuration permet d’obtenir les mêmes propriétés physico-chimiques que le gaz naturel, de façon à injecter le produit obtenu sur le réseau de gaz naturel. Cela signifie que des sites de production peuvent être décorrélés des lieux d’utilisation.

Ensuite, sur la valorisation en distribution, ce sont les mêmes valorisations que sur l’usage du gaz, auxquels s’ajoute la valorisation sur l’usage carburant et sur le biocarburant. Aujourd'hui le potentiel technique qui est mesuré en France sur l’ensemble de la valorisation du biométhane est de l’ordre de 300 TWh, soit 20 millions de véhicules si l’on focalise toute l’attention sur l’usage du biocarburant.

Mme Fabienne Keller. En collectant les sous-produits industriels, tous les produits ménagers, enfin la partie putrescible des déchets ménagers ?

M. Pierre Trami. Oui.

M. Denis Baupin. 20 millions de véhicules. Donc tous les véhicules français.

M. Pierre Trami. On est à 31 millions de véhicules.

M. Denis Baupin. Nous parlons d’un ordre de grandeur…

M. Pierre Trami. En tout cas, le schéma prospectif de l’ADEME 2030-2050 estime qu’il y aura une diminution de 31 millions à 21 millions de véhicules particuliers, dont 45 % seront des véhicules hybrides bio GNV.

À travers ce procédé, on constate que le dispositif réglementaire mis en place permet de valoriser ces projets. Le temps de latence des projets est d’environ 4 ans. Aujourd'hui, à GrDF, nous avons 310 projets qui ont été collectés sur le territoire national et qui ont fait l’objet d’une étude de préfaisabilité. Leur faisabilité technique est donc établie. À terme, à l’horizon 2020, nous avons au moins une capacité de 9 TWh qui peuvent être réinjectés sur le réseau.

Il nous reste à valoriser la partie carburant. Aujourd'hui ce procédé donne la possibilité d’avoir l’équivalent de 12 000 emplois pérennes en France non délocalisables, la pertinence d’un rendement sur la combustion de 5 grammes de CO2/km (étude de la DENA, l’ADEME allemande) et une réduction significative à la fois sur les émissions d’oxydes d’azote et sur les particules fines, puisqu’il y aura une absence de particules d’azote et une diminution de 95 % des dioxydes d’azote.

Mme Fabienne Keller. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait avant si c’est tellement performant ?

M. Pierre Trami. On rejoint toujours la même histoire de la poule et de l’œuf.

Mme Fabienne Keller. C’est la lourdeur des investissements ?

M. Pierre Trami. Oui, pour partie. En France, c’est plutôt le GPL qui a été poussé sur la solution gazeuse. La partie biométhane a été un peu délaissée. Depuis un an à GrDF, nous nous intéressons à ce sujet, en tant qu’opérateur de réseau. Nous ne vendons ni stations, ni véhicules, mais par contre nous adressons des messages à la filière pour leur dire que ce produit existe, qu’il est pertinent, facilement réalisable et économiquement viable.

Mme Fabienne Keller. C’est vrai qu’en Alsace, depuis très longtemps nous voyons les exploitations agricoles de nos voisins allemands méthaniser leur lisier. Et se servir du méthane à l’échelle de l’exploitation.

M. Pierre Trami. À tel point, je crois, que dans les procédés d’élevages porcins, c’est même dénaturé, puisqu’ils ont tellement valorisé le biométhane que du coup les Allemands se sont mis à faire de l’élevage porcin.

Mme Fabienne Keller. Ça fait partie de l’équilibre financier, avec un prix de l’énergie un peu supérieur.

M. Clément Chandon, directeur, Iveco France. Pourquoi est-ce qu’on ne l’a pas fait ? Là, il y a une anecdote un peu douloureuse. En 1997, à Marquette-les-Lille, on produisait du biométhane très pur à 99 % à partir d’une station d’épuration qui faisait fonctionner trois bus Renault à l’époque. Les Suédois sont venus voir comment ça fonctionnait. C’était très moderne à l’époque, presque unique. Et aujourd'hui en Suède, vous avez plus de véhicules GNV alimentés en biométhane que de véhicules alimentés au gaz naturel. C’est un pays très proche de nous, qui ressemble au nôtre, et qui a supplanté pour son transport le gaz naturel par le biométhane. Les Allemands ont 3 000 méthaniseurs. Mais la France heureusement est en train de d’avancer. On a parlé de Forbach ce matin. On en a à Paris.

On a tous les types de véhicules. Quand on fait un véhicule électrique - je ne parle que des alternatives au diesel -, on a la problématique, non des moindres, des déchets nucléaires. Quand on utilise un biodiesel de première génération pur, cela pose pas mal de difficultés au niveau du moteur. Et le fait d’utiliser une partie de la plante qui a une valeur alimentaire est aussi une problématique. Quand on utilise de l’hydrogène, on peut se demander d’où il vient. Mais quand on utilise nos déchets, on a vraiment la solution parfaite, parce que la plupart de nos déchets ne sont pas valorisés. Et quand on en extrait du biométhane, ce qui correspond à environ 10 % de la masse de nos déchets, on n’a fait qu’une des valorisations des déchets. On a aussi créé des engrais liquides et solides, qui sont des apports à la terre extrêmement importants. C’est une chaîne vertueuse. Et tous les véhicules existent. On peut faire 80% des transports routiers.

Vous allez en avoir un exemple bientôt à Paris, où un grand groupe de livraison de matériaux présentera sa flotte de véhicules de 3,5 tonnes, 26 tonnes et 44 tonnes qui fonctionneront tous au GNV, et qui sans rien changer, pourront fonctionner au biométhane. C’est le seul biocarburant de deuxième génération nettement moins coûteux et moins énergivore que les biodiesel de deuxième génération. Il peut disposer du jour au lendemain d’un parc installé assez important. Si en France on n’a pas beaucoup de véhicules GNV, il y a essentiellement des véhicules lourds, qui consomment 30 à 50 tonnes de gazole par an en équivalence. Quand ils passent au bio-GNV, du jour au lendemain, ils vont faire économiser 80, 100, 150 tonnes de CO2 par an, en plus d’être silencieux et Euro 6.

M. Denis Baupin. Mais alors, je reprends la question de Fabienne Keller, pourquoi le monde du gaz en France a-t-il tellement résisté au développement ? Je connais l’histoire de Lille et leurs difficultés pour que du côté de GDF et de GrDf on accepte leur gaz. N’y a-t-il pas une petite erreur historique ?

M. Pierre Trami. Je pense qu’on doit tous évoluer. C’est probablement une erreur historique. On était peut-être sur une logique de mix énergétique. Le process engagé par GDF à l’époque était plutôt celui-là. Mais il faut encore rappeler que le leader de l’énergie en France n’a jamais été GDF. C’est EDF. GDF n’a été qu’une variable d’ajustement d’un process énergétique français choisi au lendemain de la crise pétrolière des années 70.

M. Denis Baupin. C’est la faute d’EDF.

M. Pierre Trami. Pas du tout. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je dis simplement que ce sont des réalités économiques, des choix énergétiques qui ont été faits. Aujourd'hui on voit que la logique du biométhane et de sa faisabilité, dans des contraintes économiques et sociétales acceptables, fait jour. Ce n’était pas vrai il y a vingt ans.

Mme Fabienne Keller. En Allemagne, c’est probablement parce qu’ils ont une vision très décentralisée de la gestion des sources d’énergie et des systèmes qu’ils sont arrivés à cette solution de méthanisation en proximité. Peut-être qu’en France, à force d’être dans des grands systèmes, on finit par étouffer les solutions émergentes.

M. Pierre Trami. Tout à fait. C’est pourquoi on parle d’énergie circulaire. Aujourd'hui, nous avons environ 310 projets qui sont réalisables. Que s’est-il opéré ? On a vu des territoires qui se sont emparés de ce sujet, un peu à l’instar de ce qui s’est fait en Allemagne. En France, en un an et demi, les stations de biométhane sont passées de 50 à près de 240 normo mètre cubeurs. On voit bien que c’est l’union des projets à la maille territoriale qui fait plutôt sens.

Je rappelle qu’aujourd'hui, le réseau tel qu’il est installé en France alimente en gaz naturel 9 700 communes. Nous avons 310 projets dans les tuyaux, ce qui nous donne une marge de manœuvre pour accélérer le processus de véritables projets territoriaux.

M. Daniel Moulene. Concernant les émissions toxiques du biométhane, par rapport à l’essence, est-ce que c’est bien meilleur ?

M. Clément Chandon. Le méthane en lui-même, comme vous le savez sans doute, n’est pas toxique. Le moteur, lui, qui fonctionne au gaz naturel et au biométhane, ce qui est la même chose, a des émissions Euro 6 depuis 2007, je l’ai dit ce matin, et mieux qu’Euro 5 depuis 2000. On a pu le démontrer en 2001 quand on a fait les premiers tests qui incluaient les particules. D’ailleurs, dans les zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA), ces véhicules ne pouvaient jamais être arrêtés, et ils sont aussi valorisés, fort heureusement, dans l’écotaxe au meilleur niveau. Aujourd'hui, on en compte 550 à Paris. Certains ont 14 ans. En émissions de particules, ils sont meilleurs que la limite fixée par la norme Euro 6. En NOx, il leur a fallu attendre 2001 pour avoir des émissions quasiment du niveau Euro 6.

Mme Angélique Michel, directrice adjointe, GNVERT (concepteur de station de service). Pour corroborer les propos qui viennent d’être tenus, j’ai le plaisir de vous présenter GNVERT, une filiale du groupe GDF SUEZ. GNVERT est l’acteur majeur du gaz naturel en France. C’est l’opérateur de mobilité durable du groupe. Depuis près de 15 ans, il fournit des solutions de mobilité durable aux collectivités territoriales et aux entreprises avec une stratégie BtoB au travers de quatre segments : le transport de personnes (14% des bus en France roulent au GNV) ; la propreté urbaine (15% des bennes à ordures et autres véhicules de collecte) ; le dernier kilomètre propre (environ 200 poids lourds et acteurs sont engagés : Carrefour, Point P, Monoprix et bien d’autres à venir) ; les flottes vertes (10 000 VUL, véhicules utilitaire légers, se ravitaillent chaque jour sur 140 de nos stations sur le territoire national).

Pour mémoire, dans le monde, il y a 20 700 stations pour 14,5 millions de véhicules GNV. En Europe, il y a 4 000 stations pour 1,5 million de véhicules GNV. En France, 177 stations pour 13 500 véhicules GNV.

GNVERT construit, conçoit, finance et distribue du gaz naturel, du biométhane carburant et demain du gaz naturel liquéfié, offrant un spectre de mobilité très large allant de l’urbain à l’inter urbain, en passant par le transport routier moyen et longue distance, avec une autonomie allant de 400 kilomètres à plus de 1000 kilomètres en fonction du type de véhicule et du carburant choisi.

Dans le cadre des enjeux et des défis à relever en matière de qualité de l’air, je suis tentée de vous rappeler le bilan environnemental exemplaire du gaz naturel qui a été fait ce matin. Dans le cadre de la transition énergétique, GNVERT est aussi le leader de l’innovation, à travers deux innovations majeures dont on vient de parler : l’inauguration en octobre 2012 de la première station publique biométhane carburant issus des déchets ménagers du Syndicat mixte des ordures ménagères de Moselle Est, le Sydeme à Morsbach ; et nous avons réalisé, en partenariat avec Iveco, les premiers tests GNL en France sur un tracteur dual fuel et un poids lourd. Cette dernière innovation est l’alternative la plus pertinente au tout gasoil, au grand dam de M. Macaudiere. Elle attend avec impatience l’homologation des réservoirs afin qu’on puisse se ravitailler sur notre première station GNL du port de Gennevilliers, qui sera inaugurée, je l’espère, très prochainement.

M. Bernard Darniche. Je connais bien le dossier. J’ai travaillé dessus avec GDF. J’en étais l’ambassadeur. Il y a dix ans, une offre avait été développée. Même si techniquement la réponse n’était pas idéale, il était prévu qu’une offre packagée soit distribuée par Carrefour, pour inclure le remplissage à domicile. Dieu sait si quasiment toute la France a le gaz naturel à domicile. Cette offre incluait le coût de la station de remplissage et le coût du carburant, avec un petit compteur à part. Et cette initiative a été tuée dans l’œuf. Cet échec, il est très lourd pour moi. J’ai quand même été l’ambassadeur de cette énergie pendant cinq ans. Je pense que nous cherchons très loin des lobbyings et des contreparties stratégiques, alors que si on va au fond des choses, ce sont simplement deux personnes qui se sont très mal entendues, pour rester politiquement correct, et qui ont tué le système dans l’œuf. Dans un pays comme la France, je trouve que c’est fort regrettable.

Mme Fabienne Keller. De quelles personnes parlez-vous ?

M. Bernard Darniche. … à la présidence de GDF et à la direction commerciale de GDF à l’époque.

Mme Fabienne Keller. Une dernière intervention technique, avant de passer au thème de l’adaptation de l’offre aux besoins.

M. Joël Pedessac, directeur général, Comité français butane propane. En ce qui concerne la distribution de carburant en France, il y a environ 10 000 stations-service dans lesquelles les automobilistes ont l’habitude de faire leur plein, sachant que la grande distribution a 4 500 points de vente. Le maillage de la France, avec ces 4 500 stations, permettrait d’approvisionner une grande partie du territoire. Le GPL a peut-être l’avantage, par rapport à l’hydrogène et aux autres énergies, d’être un carburant facile à mettre en œuvre dans une station-service. Le modèle économique est parfaitement connu en France et dans le monde. 1 litre de GPL, contenu dans le double de cette bouteille d’eau, est vendu environ 70 centimes / litre hors taxes, coûts de distribution et de station inclus. C’est une force vis-à-vis du consommateur final, parce que dans le modèle économique, les stations-service y sont déjà. En fait, la distribution des carburants liquides est assez facile à mettre en œuvre. Une station GPL coûte entre 60 000 et 100 000 euros.

À propos des freins, je voudrais dire qu’en France nos distributeurs - les pétroliers, la grande distribution et les distributeurs de GPL - ont investi environ 200 millions d’euros entre 1996 et 2001 pour construire 2 000 stations. 150 ont fermé depuis, car chaque année il s’en ferme, et pas uniquement des stations GPL. Ces 200 millions d’euros en GPL ne s’amortissent que si 1 million de véhicules roulent avec ce gaz. Malheureusement, on n’a jamais dépassé les 200 000 véhicules en quinze ans. En 2013, on compte 180 000 véhicules GPL.

Nos freins ne se situent donc pas au niveau de la construction de stations-service. L’Allemagne a maillé tout le territoire en 5 ans en construisant 6 000 stations-service GPL, et le marché est en forte croissance. L’Italie est l’un des plus gros marchés de GPL, avec 2 200 stations-service. En France, avec 2 200 stations-service, le maillage serait convenable. L’autonomie d’un véhicule GPL est de 500 kilomètres, ce qui est comparable à l’hydrogène, et c’est ce qui dimensionne la taille d’un réseau.

Pour nous, il est clair que la diésélisation du parc français, et donc l’intérêt de vendre du diesel pour les constructeurs, est l’un des freins importants. Pour les consommateurs, c’est beaucoup plus simple, et l’on sait que la simplicité d’achat d’un véhicule diesel – voire essence –, est déterminante par rapport à tous les autres choix.

Acheter un véhicule GPL, même si c’est relativement simple quand il y en a dans les concessions, cela reste une façon de rouler différemment et donc nécessite un effort. Il n'y a pas de stations partout, il n'y a pas 11 000 stations-service qui le distribuent. Quand on se positionne sur un marché grand public, la distribution est un enjeu clé. Pourtant, avec 2 000 points de vente en France sur un territoire national de 550 000 km2, des véhicules GPL qui ont 550 kilomètres d’autonomie peuvent répondre aux usages de personnes qui partent au travail, en week-end ou en vacances.

Le frein malheureusement se situe plus dans la visibilité que nous donnent les réglementations et les lois sur les investissements. Sur les quinze dernières années, il y a eu cinq modèles. Il y en a un qui a bien marché, c’est le bonus-malus en 2008. Mais comme je l’avais expliqué au cabinet de M. Borloo, mettre un bonus de 2 000 euros pour l’achat de véhicules GPL, cela risquait de coûter très cher, parce que les véhicules GPL existent déjà sur le marché et ce n’est pas une technologie à développer. La preuve, c’est que plusieurs constructeurs se sont engouffrés là-dessus en voyant dans ce bonus une opportunité. Il s’est vendu 75 000 véhicules GPL en 2010. Cela a coûté 150 millions d’euros dans le système bonus-malus qui était normalement prévu jusqu’à fin 2012. Le ministère des finances a vu ces chiffres et a décidé, dès octobre 2010, la suppression de ce bonus au 1er janvier 2011. Le marché est passé de 8 000 véhicules GPL vendus par mois par les constructeurs automobiles à 1 500 par an, l’année dernière.

Ce cadre fiscal est bien sûr déterminant pour les acteurs. Et je ne parle pas d’une constante de la visibilité. Si l’on nous dit que ça va changer dans cinq ans, c’est notre rôle d’acteur économique de nous assurer que le modèle économique peut être viable et qu’il aura dépassé son niveau de point mort à un certain moment. Pour le GPL, le point mort par rapport à la taille du réseau est à 1 million de véhicules. On en est à 200 000 aujourd'hui. Notre réseau est structuré. Toute notre supply-chain est construite pour alimenter plus d’un million de véhicules. On a la place pour en accueillir 800 000 nouveaux avant de réinvestir dans des stations.

Concernant le bonus écologique, s’il est maintenu, il est clair que pour les énergies alternatives il faut envoyer un signal pour savoir s’il y aura un nouveau bonus GPL. En août dernier, quand le bonus sur les véhicules hybrides a été fixé à 3 500 euros, le texte du décret a spécifié uniquement les véhicules hybrides diesel et essence, ce qui exclut toutes les autres énergies alternatives. Un hybride peut aussi être électrique, GNV, biocarburants, E85 et GPL.

Par ailleurs, on peut utiliser la parole publique « gratuite » pour dire quelles sont les solutions qui existent. Il est évident que lorsque le Premier ministre ou le président de la République déclarent que le carburant c’est cher, le gazole et l’essence, c'est cher, ils doivent pourvoir dire qu’il existe du GNV, du GPL, de l’électrique ou des systèmes hybrides pour rouler différemment. C’est engageant politiquement, mais ce n’est pas très coûteux. Ensuite, il y a la fiscalité des carburants. Je pense que des comités vont travailler sur le sujet.

En conclusion, je dirai que pour le GPL, la visibilité du système doit être maintenue au travers du bonus-malus, et qu’il sorte du seul critère d’émissions de CO2. Il faut prendre en compte le système des hybrides, la parole publique, et puis stabiliser peut-être dans le temps le différentiel entre la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) du GPL et celle de l’essence et du gasoil.

M. Charles Raux, directeur du Laboratoire d’économie des transports (CNRS, Université de Lyon). Un commentaire sur les incitations. On a beaucoup parlé de poule et d’œuf. Je voudrais donner deux exemples qui ont marché à l’étranger. Ils sont plus de l’ordre de l’incitation et de l’aiguillon. Ce sont des péages urbains à forte visée environnementale.

Le premier exemple concerne le péage de Stockholm, un péage de cordon qui fonctionne depuis 2006 sur le centre de Stockholm dans une zone de 30 km². Le prix du péage varie de 1 à 3 euros aux heures de pointe, mais il y a une exemption des véhicules dits propres, c'est-à-dire les véhicules agro-carburants FlexFuel et hybrides. Les effets se traduisent par de multiples dividendes : 10 à 15 % de baisse de circulation à l’intérieur du cordon ; baisse de 10 à 14 % des émissions polluantes (2-3 % à l’échelle de la métropole d’environ 2 millions d’habitants) ; baisse de 30 à 50 % du temps perdu en embouteillage ; hausse de 3 à 6 % de la fréquentation des bus.

L’effet se mesure aussi en nombre de passages de véhicules propres (véhicules agro-carburant FlexFuel et hybrides), avec une augmentation des passages de 2 % en 2006 à 14 % en 2008. Les analystes suédois ont fait une analyse économique assez poussée, puisqu’ils ont mesuré le taux d’exemption au péage, la détaxe du carburant au niveau national et le parking résidentiel gratuit. Ils ont montré que le premier effet, c’était l’exemption du péage pour les véhicules propres.

Le deuxième exemple, c’est le péage de Milan, sur une petite zone de 8 km², la zone historique autour de la cathédrale de Milan. Même dans les pays latins, on peut mettre un péage environnemental. Depuis 2008, le tarif varie en fonction de la classe Euro du véhicule. Le péage est gratuit pour les véhicules essence Euro 2000, diesel Euro 2005, les hybrides et GPL. Pour les autres, vous paierez de 2 à 10 euros selon classe du véhicule. Vous avez le droit de circuler dans un véhicule très polluant, mais vous devrez payer 10 euros pour entrer.

En conséquence, on a constaté une très forte évolution du parc automobile : après 9 mois, une baisse de 14 % du nombre de véhicules entrants, une forte réduction des véhicules taxés (- 19 400), une augmentation des véhicules exemptés (+ 2 900), sur un total de 68 500 véhicules. Les émissions de polluants ont baissé de 15 à 23 %. Récemment, le péage a été modifié et simplifié, parce que les objectifs avaient été atteints. Il n'y avait plus que des véhicules dits propres qui circulaient, et la circulation automobile avait remonté. Par conséquent un péage à 5 euros a été maintenu pour les véhicules dits propres, et les véhicules les plus polluants sont interdits.

On peut donc avoir un effet incitatif très fort à partir de ce type d’instrument. En effet, tous ces ménages qui ont changé de véhicules, les utilisent aussi pour d’autres mobilités, d’autres destinations que celle de la zone à péage.

M. Clément Chandon. Ce dernier exemple est intéressant. Pour ceux qui connaissent le marché italien, cela s’est passé dans une période incroyablement déprimée. Les gens ont acheté des voitures neuves alors que personne n’en achetait.

D. L’adaptation de l’offre aux besoins

M. Georges Amar, ingénieur, écrivain, ancien directeur de la prospective à la RATP. Je m’occupe de prospective en matière de mobilité. En quelques mots, la prospective telle que je la pratique ne consiste pas seulement à s’intéresser aux évolutions probables, mais plutôt à s’intéresser aux ruptures conceptuelles invisibles. On pourrait dire aussi que la prospective s’intéresse au continuum de l’innovation, du plus connu au moins connu et au plus inconnu, et c’est le plus inconnu qui est le plus intéressant. C’est là où il faut creuser pour trouver des solutions vraiment nouvelles pour demain.

Sur la question de l’automobile, la première rupture conceptuelle, qui a émergé dans notre discussion cet après-midi, c’est que l’automobile elle-même n’est pas un objet suffisant de réflexion. On doit l’élargir à la question du logement, des territoires et des villes. Pour s’intéresser au futur de l’automobile, il ne faut pas s’arrêter à l’objet de l’automobile. Dans ma réflexion prospectiviste, le bon objet de réflexion est « l’auto-mobilité ». Ce petit jeu de mot interroge la fonction de l’automobile. À quoi ça sert ? Il faut replonger l’automobile dans une fonction de mobilité, entendue précisément comme phénomène social, économique, comportemental, civilisationnel.

Je vais vous proposer une petite grille temporelle de l’automobile, à travers une gradation de trois stades d’évolution, trois niveaux d’innovation, qui eux-mêmes renvoient à trois concepts de l’automobile. On croit que l’automobile est un imaginaire alors qu’il est en train de changer.

Le premier stade considère l’automobile comme un outil de transport. C’est une définition standard si je puis dire. Le transport, c’est aller d’un point A à un point B le mieux possible, c'est-à-dire vite, bien, pas cher, en sécurité. Le premier niveau d’innovation est donc l’optimisation de l’automobile comme outil de transport. On peut l’optimiser de plusieurs façons : plus rapide, moins cher, moins polluant. Cette gamme d’innovation est aujourd'hui extrêmement large, mais elle consiste à faire la même chose, en mieux, c'est-à-dire se déplacer efficacement.

Le deuxième stade considère l’automobile comme un outil de mobilité intelligente. On est passé du concept de transport au concept de mobilité. Et l’on a rajouté la mobilité intelligente. La façon la plus évidente de l’interpréter, ou la plus matérielle, c’est de bourrer l’automobile d’électronique, d’intelligence à bord. Cette intelligence modifie en profondeur les finalités de l’auto-mobilité. Elle ouvre ce champ énorme du partage, du covoiturage. Ces dimensions d’usages partagés, collectifs ou semi-collectifs, changent profondément le concept d’automobile. En particulier, elles transgressent la frontière traditionnelle entre transport public et transport individuel. On entre dans le TPI, le transport public individuel. C’est cela qu’ouvre la mobilité intelligente.

Par rapport à nos débats, on a vu que les freins au déploiement de la voiture électrique par exemple étaient moindres ou qu’ils avaient disparu. Pour un prospectiviste, la voiture électrique, c’est déjà fait, même s’il y a beaucoup de problèmes. La question n’est donc pas de favoriser la voiture électrique, c’est plutôt de savoir comment elle va aider à transformer la mobilité.

Le troisième stade vise à replacer l’automobile dans le monde de la vie mobile. L’automobile n’est plus cet outil de la mobilité, pour aller quelque part de manière intelligente, mais elle doit passer au stade supérieur de la vie mobile. En vérité, nous sommes déjà dans la société de la vie mobile, où la mobilité transforme toutes les choses de la vie. Le travail devient travail mobile, la mobilité transformant complètement la nature même du travail, mais aussi l’enseignement et l’éducation, la distraction et la culture, toutes les choses de la vie deviennent mobiles, ou du moins sont réinterprétées et transformées par la mobilité.

Que signifie l’automobile dans le monde de la vie mobile ? Tout cela ne date pas d’aujourd'hui. Renault avait déjà anticipé il y a quelques années en inventant la voiture à vivre, bien que cela restait encore assez marginal. Aujourd'hui, non seulement la voiture, mais tout l’ensemble des systèmes de mobilité, deviennent des ingrédients de la vie mobile. Cela change complètement les critères de performance. On ne se demandera plus seulement comment aller efficacement d’un point à un autre, mais également comment cela va transformer sa santé, son travail, sa relation à autrui, sa relation à l’environnement. Le terme de vie mobile recode en profondeur la voiture, il la réinterprète.

Qu'est-ce que la voiture électrique apporte à la vie mobile ? Cette question est très importante en termes de valeur. Pour répondre à la question de la poule et de l’œuf, il faudra imaginer une voiture à valeur ajoutée si je puis dire. Je prends toujours l’exemple de l’iPhone. Sa valeur n’est pas dans le fait qu’il permet ou non de téléphoner efficacement. D’ailleurs c’est ça qui fait la valeur d’Apple. De la même manière, comment la voiture va-t-elle créer de la valeur, non pas pour aller d’un point à un autre, mais d’autres valeurs ? Cela va transformer le travail, l’amour, le sommeil, la relaxation. Qu'est-ce qu’une voiture qui nous relaxe ? Vous voyez, ce sont aussi des valeurs potentiellement économiques. La voiture à valeur ajoutée, c’est le cadre conceptuel nouveau, parce que précisément on entre dans un état de la société économique et sociale qui est la vie mobile, le territoire mobile.

Le quatrième stade est très prospectif. Il considère la mobilité comme une sorte d’art. Mieux qu’un mode de vie, il considère la mobilité comme un des beaux-arts. Une mobilité élégante, avec économie de moyens, comme un danseur. Que sera une mobilité économe de ses moyens ? Que serait une mobilité expressive, élégante, belle ? Après tout, la voiture l’a connue. C’était un objet de beauté, enfin qui exprime quelque chose. L’automobile, la mobilité en général, retrouvera des valeurs d’expressivité. C’est peut-être le stade suprême, mais il faut commencer à y penser.

En cela, la voiture électrique est intéressante. Elle est silencieuse. On n’en parle pas beaucoup. Qu'est-ce que le silence ? Quel est le rapport au son ? Quelle est la sensorialité de l’automobile ? Il faudra intégrer toutes ces valeurs. Car pour avoir un modèle économique, il faut voir les valeurs ajoutées. Sinon on retombe dans la question de la poule et de l’œuf, ce qui signifie que vous n’avez pas trouvé de valeur ajoutée, que vous n’avez pas clairement détecté des valeurs ajoutées qui seront valorisables. Si vous vendez une voiture pour autre chose que de la mobilité, alors là vous allez pouvoir changer de modèle économique.

Cette grille conceptuelle n’est pas très détaillée, mais je pense qu’on aura intérêt à resituer les raisonnements, y compris très techniques, dans un cadre conceptuel où l’on commence à voir l’évolution générale de l’innovation en matière automobile.

M. Laurent Schmitt, vice-président Stratégie et Innovation, Alstom Grid, membre de Systematic (pôle de compétitivité). Chez Alstom, on utilise déjà des véhicules électriques dans nos flottes. En tant qu’utilisateur de la Renault Fluence, je confirme que la Fluence marche mieux que l’Opel Ampera au vu des commentaires qui ont été faits. J’ai fait 33 000 kilomètres en treize mois et le véhicule marche très bien.

De notre point de vue, il faut faire évoluer l’offre à trois échelles différentes. Première échelle, être capable d’informer l’utilisateur du véhicule des bornes disponibles en temps réel. Il ne suffit pas d’installer une borne et d’être capable de la connecter au véhicule, il faut aussi savoir si la place de parking n’est pas occupée par un véhicule thermique, ce qui est le cas dans 50 % des parkings parisiens. Il faut aussi savoir si finalement la borne fonctionne. À ce propos, j’ai rencontré des cas où je pensais qu’il y avait des bornes, mais en réalité, trois véhicules étaient déjà connectés. Cette situation est très angoissante pour un conducteur de véhicule électrique. Il y a donc une offre à développer autour de l’infrastructure de charge qui est la connectivité temps réel avec le conducteur du véhicule. Une borne de charge n’est pas un objet tout seul dans un parking, il a aussi besoin de parler avec le conducteur du véhicule.

Deuxième échelle, il y a des parkings qui sont plus importants que d’autres. Alstom fournit notamment des démonstrateurs d’éco-quartier, avec des tramways. On pense que les parkings autour des infrastructures de métro, de tramway et de train à grande vitesse, sont des infrastructures particulièrement intéressantes pour utiliser de l’éco-partage et pour aller dans des concepts d’inter-modalité. C’est par exemple dommage de ne toujours pas trouver de borne de charge aux aéroports de Paris. Il faut prioriser nos investissements de ce point de vue. On a vraiment l’impression en tant qu’usager que cette priorisation n’a pas eu lieu.

La troisième échelle est plus prospective. C’est l’interaction du réseau intelligent avec le véhicule électrique. Ce sujet est éminemment important, puisqu’il faut que l’électricité qui est consommée par le véhicule soit d’origine écologique, sans quoi on n’est pas efficace. Et comme chacun le sait, dans le réseau électrique, l’origine de l’électricité écologique varie en temps réel toutes les minutes. Il faut donc une inter-connectivité intelligente entre le véhicule, la manière dont il charge et le réseau. Cela nous semble un critère important, sinon on va surinvestir dans le réseau, surinvestir dans des capacités de production, et on aura une mobilité de bout en bout qui n’est pas écologique.

1 Techno-economic analysis of large wind-hydrogen plants in Gemany, IPHE-Workshop, 15-16 nov. 2012, Seville/Spain.

2 Sources des études citées : Platt et al, EAC,2012. Prevot et al, AAAR, 2012.


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