N° 1584 - Rapport de M. Luc Chatel sur la proposition de loi de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, MM. Luc Chatel et Frédéric Lefebvre et plusieurs de leurs collègues autorisant l'ouverture des commerces la nuit dans des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente (1486)



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N° 1584

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI autorisant l’ouverture des commerces la nuit dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente,

PAR M. Luc CHATEL,

Député.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1486.

SOMMAIRE

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Pages

I. UN RECOURS DÉROGATOIRE AU TRAVAIL DE NUIT AUJOURD’HUI CLAIREMENT INADAPTÉ À CERTAINES ZONES TOURISTIQUES OU D’ANIMATION CULTURELLE MARQUÉES PAR DES MODES DE CONSOMMATION SPÉCIFIQUES 7

A. LES RÈGLES APPLICABLES AU TRAVAIL DE NUIT 8

1. Une mise en place par accord collectif 9

2. À défaut d’accord, une mise en place du travail de nuit sur autorisation de l’inspecteur du travail 10

B. UN CADRE JURIDIQUE INADAPTÉ DANS UN CERTAIN NOMBRE DE SITUATIONS 11

1. Une inadaptation manifeste à la situation actuelle dans de nombreux cas 11

a. Une plus grande souplesse constatée chez la plupart de nos voisins européens 11

b. La nécessité d’être en mesure de faire face aux évolutions contemporaines de la société dans un contexte économique dégradé 13

2. La jurisprudence récente relative aux horaires d’ouverture des commerces 14

II. LA PROPOSITION DE LOI N° 1486 17

A. UN DISPOSITIF CALQUÉ SUR LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE EN MATIÈRE D’OUVERTURE DOMINICALE 18

B. UN DISPOSITIF PROTECTEUR DES DROITS DES TRAVAILLEURS DE NUIT 20

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 21

II. EXAMEN DES ARTICLES 33

Article 1er(Art. L. 3122-32-1 [nouveau] du code du travail) : Autorisation dérogatoire au recours au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente 33

Article 2 (Art. L. 3122-33 du code du travail) : Justification du recours au travail de nuit dans le cadre d’une convention ou d’un accord collectif 37

Article 3 (Art. L. 3122-36-1 [nouveau] du code du travail) : Possibilité de recours dérogatoire au travail de nuit après référendum 38

Article 4 (Art. L. 3122-39-1 [nouveau] du code du travail) : Contreparties accordées aux salariés dans le cadre du recours dérogatoire au travail de nuit 41

ANNEXES 45

ANNEXE 1 : LISTE DES ZONES TOURISTIQUES D’AFFLUENCE EXCEPTIONNELLE OU D’ANIMATION CULTURELLE PERMANENTE AU 31 MARS 2013 45

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 47

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Alors que les commerces de Times Square ferment leurs portes à deux heures du matin, ceux de l’avenue des Champs-Élysées à Paris devraient quant à eux fermer dès vingt et une heures, dès lors que le code du travail français ne permet pas de justifier de la nécessité économique d’une ouverture en soirée pour des commerces de détail. C’est en tout état de cause l’interprétation qui a été donnée des conditions de recours au travail de nuit par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt rendu le 23 septembre dernier au sujet de l’ouverture nocturne du magasin Sephora des Champs-Élysées.

Si le recours au travail de nuit doit bien entendu rester « exceptionnel », comme le prévoit l’article L. 3122-32 du code du travail, les conditions juridiques de mise en place du travail de nuit apparaissent aujourd’hui inadaptées à la situation particulière des commerces de détail, en particulier dans les zones du territoire très fréquentées par des touristes ou qui connaissent des pics de fréquentation de population à certaines périodes de l’année ou de la journée, notamment en raison des migrations pendulaires de la population.

Ces conditions sont en premier lieu inadaptées aux évolutions de nos économies contemporaines, avec une tertiarisation massive de l’économie qui se révèle en décalage avec une rédaction qui, on le voit, s’applique bien plus à l’industrie qu’aux services : la « nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique » renvoie en effet à des activités pour lesquelles l’arrêt des machines la nuit serait plus coûteux que leur fonctionnement en continu.

Elles sont ensuite inadaptées aux nouveaux modes de consommation et de vie de la population. En quarante ans, les Français sont passés d’une heure de coucher estimée à 21 heures en moyenne à une heure moyenne de coucher qui est aujourd’hui autour de 23 heures. D’après l’INSEE, une personne sur deux en France ne dort pas à 23 heures (1). Les populations urbaines, en particulier, connaissent des rythmes de vie quotidienne décalés, avec des activités professionnelles qui commencent plus tard le matin et se terminent donc plus tard le soir. Du point de vue des modes de consommation, le commerce électronique, qui permet de consommer à toute heure du jour et de la nuit, modifie aussi considérablement les attentes de la population.

Les conditions juridiques encadrant l’ouverture des commerces la nuit sont également et particulièrement inadaptées dans ces zones du territoire national, très circonscrites, mais dans lesquelles une fermeture des commerces après 21 heures apparaît encore plus inadéquate, en l’occurrence les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Alors que les touristes affluent sur les Champs-Élysées en soirée, ou que des quartiers de théâtres ou de salles de concerts sont noirs de monde à la sortie des spectacles, il peut légitimement sembler inapproprié que l’ensemble des commerces dans ces rues soient fermés. D’autant que cette fréquentation de soirée se traduit par une consommation d’opportunité : autrement dit, les touristes qui passent devant un commerce fermé le soir ne viendront pas le lendemain matin à l’ouverture du magasin. L’effet de report de l’achat est quasiment inexistant pour ce type de consommateurs.

Enfin, elles sont inadaptées au contexte économique actuel, marqué par des destructions d’emplois massives dans tous les secteurs d’activité, un chômage de masse, une compétitivité à la peine, et une consommation qui se maintient tout juste. Il serait de ce point de vue particulièrement dommageable de ne pas saisir l’opportunité d’une demande pourtant existante de consommation en soirée. Rappelons qu’une majorité de Français se déclare favorable à l’ouverture des magasins au-delà de vingt et une heures. Ils seraient ainsi 64 % à être en faveur d’une telle ouverture nocturne, cette proportion atteignant même 73 % pour les 25-34 ans. Si les 35-49 ans et les plus de 65 ans sont les plus réservés, ils sont néanmoins favorables à une telle ouverture en soirée à 60 % (2).

Il convient d’ailleurs de souligner que les assouplissements nécessaires, que la présente proposition de loi souhaite apporter au code du travail en matière de recours au travail de nuit, restent très exceptionnels et particulièrement encadrés. Il s’agit avant tout de permettre un élargissement de l’amplitude horaire d’ouverture des commerces de détail uniquement dans certaines zones très touristiques. Il ne s’agit pas ensuite de permettre une ouverture sur toute la nuit de ces commerces, mais bien simplement une ouverture prolongée en soirée, jusqu’à vingt-deux heures ou jusqu’à minuit en fonction de la nature des commerces concernés. Enfin, il s’agit bien, dans le cadre d’un tel recours dérogatoire au travail de nuit, d’assurer toute la protection nécessaire aux salariés concernés, à travers notamment la mise en place des contreparties indispensables, en particulier en termes de compensation salariale, celle-ci devant être d’au moins 30 % de plus que la rémunération normalement due pour des horaires équivalents de jour.

Telles sont les raisons, Mesdames, Messieurs, pour lesquelles je vous demande d’adopter la présente proposition de loi.

Le droit actuel applicable au travail de nuit se révèle largement inadapté à la situation particulière de la capitale, mais également des zones touristiques ou d’animation culturelle des grandes villes françaises, caractérisées par une forte affluence nocturne.

Aujourd’hui, de nombreux commerces situés dans ces zones pratiquent des horaire d’ouverture de soirée :

– soit parce qu’ils relèvent d’une convention collective négociée au niveau de la branche qui les autorise à recourir au travail de nuit comme dans la grande distribution ;

– soit parce qu’ils sont couverts par ailleurs par un accord d’entreprise ou d’établissement comme c’est le cas, par exemple pour Marionnaud ou pour Monoprix – jusqu’à la décision du juge de prononcer la nullité de cet accord - ;

– ou encore, comme dans le cas de Sephora, sans être couvert par un accord, la pratique du travail de nuit étant en cours dans cette entreprise depuis 1996, soit depuis une période antérieure à l’obligation légale de négocier par le biais d’un accord collectif la mise en place ou l’extension du travail de nuit.

Ainsi, de nombreux hypermarchés ou supermarchés ouvrent jusqu’à 22 heures, tandis que dans certaines zones très fréquentées en soirée, les commerces non alimentaires ouvrent plus tardivement, parfois jusqu’à minuit dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente.

La jurisprudence en matière de recours au travail de nuit qui prévalait jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 septembre dernier dans l’affaire Sephora consistait, pour le juge, à ne pas se prêter à une interprétation de la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique dès lors que l’entreprise en question était couverte par un accord collectif. Autrement dit, dès lors que le recours au travail de nuit était encadré par un accord collectif, la situation juridique de l’entreprise au regard du travail de nuit était considérée comme valide. C’est précisément cette limite qui est aujourd’hui franchie avec la jurisprudence « Sephora » : qu’il y ait ou non une convention ou un accord collectif, le recours au travail de nuit reste subordonné à la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique. Or, estime le juge, dans le cas d’un commerce de détail, cette condition n’est pas remplie.

Est-ce à dire que l’ensemble des commerces de détail qui ouvrent aujourd’hui après 21 heures sont dans l’illégalité ? C’est précisément pour se prémunir contre une telle hypothèse que la présente proposition de loi souhaite mettre en place un statut dérogatoire pour le recours au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans des zones déterminées, dans lesquelles une ouverture tardive paraît justifiée au regard de l’activité économique des commerces concernés.

Aux termes de l’article L. 3122-29 du code du travail, est considéré comme travail de nuit tout travail effectué entre 21 heures et 6 heures. Cette amplitude horaire est en vigueur depuis la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Avant 2001, l’ancien article L. 213-2 du code du travail fixait le travail de nuit entre 22 heures et 5 heures.

Une autre période de neuf heures consécutives, comprise entre 21 heures et 7 heures, mais incluant en tout état de cause l’intervalle compris entre 24 heures et 5 heures, peut être prévue :

– par convention ou accord collectif étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement ;

– ou, à défaut d’accord et lorsque les caractéristiques particulières de l’entreprise le justifient, sur autorisation de l’inspecteur du travail, après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’il en existe.

Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale (article L. 3122-32 du code du travail).

Le recours au travail de nuit doit s’accompagner de contreparties au bénéfice des salariés concernés, sous la forme de repos compensateur rémunéré et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale (article L. 3122-39). Le travailleur de nuit est en outre soumis à une surveillance médicale particulière avant son affectation sur un poste de nuit et, par la suite, au minimum tous les six mois (article L. 3122-42). On remarquera donc que le principe d’une compensation salariale n’est pas obligatoire dans le cadre du régime du travail de nuit.

Toute mesure de mise en place du travail de nuit ou de modification de son organisation est subordonnée à la consultation du médecin du travail, conformément à l’article L. 3122-38.

L’article L. 3122-31 définit le travailleur de nuit comme le travailleur qui :

– soit accomplit au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de son temps de travail quotidien durant la nuit ;

– soit accomplit, au cours d’une période de référence, un nombre minimal d’heures de travail de nuit, ces données étant fixées par convention ou accord collectif étendu. Il s’agit, à défaut, du salarié qui accomplit au moins 270 heures de travail de nuit sur une période quelconque de douze mois consécutifs (article R. 3122-8).

Aux termes de cette définition, seuls bénéficient donc des protections prévues par le droit du travail les salariés entrant dans la catégorie des « travailleurs de nuit » et non tous les salariés effectuant des heures de travail la nuit, occasionnellement par exemple.

Les articles L. 3122-34 et L. 3122-35 du code du travail fixent les durées maximales, quotidienne et hebdomadaire, qui peuvent être effectuées par les travailleurs de nuit.

S’agissant de la durée quotidienne de travail, elle ne peut a priori excéder huit heures. Il peut être dérogé de deux manières à cette durée, dans la limite de douze heures :

– soit, aux termes de l’article R. 3122-9, par convention ou accord de branche étendu, d’entreprise ou d’établissement, pour des activités caractérisées par l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail ou entre différents lieux de travail du salarié ; pour des activités de garde, de surveillance et de permanence caractérisées par la nécessité d’assurer la protection des biens et des personnes ; ou encore pour des activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de la production ;

– soit, en cas de circonstances exceptionnelles, sur autorisation de l’inspecteur du travail, donnée après consultation des délégués syndicaux et après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’il en existe.

S’agissant de la durée hebdomadaire de travail, elle ne peut a priori excéder quarante heures sur une période quelconque de douze semaines consécutives. Cette durée peut être fixée à quarante-quatre heures par convention ou accord de branche étendu, d’entreprise ou d’établissement lorsque les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient. Un décret peut également fixer la liste des secteurs pour lesquels cette durée est fixée entre quarante et quarante-quatre heures.

Dans tous les cas, un repos d’une durée équivalente au nombre d’heures accomplies au-delà de la durée maximale quotidienne doit être accordé aux salariés le plus près possible de la période travaillée. Ce repos n’est pas déductible des heures travaillées, ni rémunéré. Enfin, des temps de pause doivent obligatoirement être organisés.

Conformément aux dispositions de l’article L. 3122-32, la mise en place du travail de nuit dans une entreprise ou un établissement, ou son extension à de nouvelles catégories de salariés, sont subordonnées à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de branche étendu, d’entreprise ou d’établissement. Ladite convention ou ledit accord doit comporter les justifications du recours au travail de nuit et définir les types d’emplois susceptibles d’être concernés (circulaire DRT 9 du 5-5-2002). Doivent également être précisées, aux termes de l’article L. 3122-40 :

– les contreparties, déjà évoquées, offertes aux salariés ;

– les mesures destinées à améliorer les conditions de travail des travailleurs de nuit ;

– les mesures destinées à faciliter l’articulation de leur activité nocturne avec l’exercice de responsabilités familiales et sociales, notamment concernant les moyens de transport ;

– les mesures destinées à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment par l’accès à la formation ;

– l’organisation des temps de pause.

À défaut d’accord, l’article L. 3122-36 prévoit que l’autorisation d’affecter des salariés à des postes de nuit peut être demandée par l’employeur à l’inspecteur du travail, sous réserve d’avoir toutefois engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d’un tel accord dans un délai maximum de douze mois précédant cette demande.

Le caractère loyal et sérieux de l’engagement de négociations sur le travail de nuit suppose que l’employeur ait convoqué à la négociation les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise et fixé le lieu et le calendrier des réunions ; leur ait communiqué les informations nécessaires pour les mettre en mesure de négocier en toute connaissance de cause ; et enfin, ait répondu aux éventuelles propositions formulées par les organisations syndicales (article L. 3122-36).

Dans le cas d’une absence d’accord et d’une demande formulée par l’employeur, l’autorisation de l’inspecteur du travail est conditionnée à la vérification par ce dernier :

– des contreparties accordées aux salariés concernés, prévues par l’article L. 3122-39 ;

– et de l’existence de temps de pause.

La demande d’autorisation formulée par l’employeur doit précisément justifier de manière circonstanciée les contraintes propres à la nature de l’activité ou au fonctionnement de l’entreprise rendant nécessaire le travail de nuit, le caractère loyal et sérieux de l’engagement préalable de négociations, l’existence de contreparties et de temps de pause, ainsi que la prise en compte des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Elle doit être accompagnée de l’avis des délégués syndicaux et du comité d’entreprise, ou des délégués du personnel, s’il en existe. À défaut de représentants du personnel, un document attestant une information préalable des salariés doit être joint, qui doit être adressé à l’inspecteur du travail dont relève l’établissement employant les salariés concernés.

Conformément à l’article R. 3124-15, le fait de méconnaître les dispositions relatives au travail de nuit est puni de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe – soit 7 500 euros, voire 15 000 euros en cas de récidive -, prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction.

● Dans la plupart des pays européens, les règles d’ouverture des commerces apparaissent plus souples qu’en France. Sans aller jusqu’à appeler de ses vœux l’exemple de la Suède, où les horaires d’ouverture des commerces de détail sont libres depuis 1971, de nombreux pays européens sont allés dans le sens d’une plus grande amplitude horaire d’ouverture des commerces de détail dans les vingt dernières années. Il s’agit soit d’une règle générale, soit de dérogations pour certaines catégories de commerces en fonction de leur secteur d’activité ou à raison de leur implantation (gares, aéroports, zones touristiques).

La Belgique connaît par exemple un régime plus souple que la France en matière d’ouverture des commerces de détail. Celle-ci y est en effet possible de cinq heures à vingt et une heures le vendredi et les jours ouvrables précédant un jour férié, et de cinq heures à vingt heures les autres jours. Il existe en outre des « magasins de nuit » alimentaires, ouverts entre dix-huit heures et sept heures à l’exclusion de toute ouverture diurne. Enfin, la loi n’impose pas de fermeture dominicale, mais prévoit simplement le principe d’un repos hebdomadaire de vingt-quatre heures, tandis que les commerces situés en zone touristique ainsi que les commerces relevant de certains secteurs d’activité (fleurs, tabacs, kiosques) ne sont pas soumis à l’obligation de fermeture le soir.

Au Royaume-Uni, depuis 1994(3), les commerces de détail ne sont soumis à aucune limitation de fixation de leurs horaires d’ouverture, à l’exception des commerces de plus de 280 m² qui sont soumis à une restriction d’ouverture dominicale entre dix heures et dix-huit heures.

En Espagne, le cadre général est fixé par la loi sur les horaires commerciaux du 21 décembre 2004, qui pose le principe d’un seuil minimal d’ouverture des commerces de 72 heures les jours ouvrables de semaine et de douze dimanches et jours fériés par an. En outre, certains types de commerces (pâtisseries, commerces de vente de plats préparés, presse, fleurs, carburants, entre autres) ainsi que les commerces situés en zone frontalière, dans les gares, ports et aéroports et dans les zones de grande influence touristique, disposent d’une liberté totale pour fixer les jours et heures d’ouverture au public. Sous réserve du respect de ces dispositions, les communautés autonomes peuvent librement adapter les règles d’ouverture et de fermeture des établissements : ainsi, la loi de dynamisation commerciale votée en juillet 2012 par la communauté autonome de Madrid fixe un principe de liberté totale des horaires des commerces de détail, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an, liberté qui était jusqu’alors réservée dans cette région aux commerces de moins de 300 m².

Enfin, depuis le 1er janvier 2012, les commerces de détail ont une liberté totale concernant les jours et les horaires d’ouverture en Italie, en application du plan anti-crise présenté par Mario Monti en décembre 2011 : la régulation du commerce étant une prérogative des régions, celles-ci gardent la possibilité d’encadrer davantage l’ouverture des commerces de détail. En application de ces dispositions, à Rome par exemple, le choix a été fait de laisser les commerçants entièrement libres de choisir les jours et horaires d’ouverture – sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre -, sous réserve que ceux-ci ne présentent pas de nuisances pour le voisinage.

On le voit, la plupart des pays européens sont d’une part, plus libéraux que la France en matière d’horaires d’ouverture des commerces de détail et sont, d’autre part, plus soucieux de tenir compte des spécificités de certains commerces, qu’il s’agisse d’un certain type de commerce ou de certaines zones géographiques spécifiques. Ainsi, nos voisins européens réservent de manière quasi systématique un traitement particulier aux zones situées en milieu urbain touristique ou aux zones de transit, marquées par un flux important de touristes.

La France tient compte, et à juste titre, des spécificités de ces zones dans le cadre de la réglementation applicable à l’ouverture dominicale des commerces, mais non pour l’ouverture nocturne, alors même que ce sujet est sans doute plus problématique en soirée que s’agissant du jour de fermeture hebdomadaire.

● Une autre question concerne la définition de l’amplitude horaire de ce qui est considéré comme du travail de nuit : de ce point de vue encore, la France se révèle très conservatrice par rapport à ses voisins européens. On l’a vu, avant 2001, était considéré comme du travail de nuit le travail effectué entre 22 heures et 5 heures. Alors même que les modes de vie ont profondément évolué dans les dernières décennies, la France, à contre-courant, a élargi la définition du travail nocturne au début du 21ème siècle. S’agissant de l’amplitude horaire du travail de nuit, les autres pays européens sont là aussi généralement plus « libéraux » que la France.

Dans le droit britannique, cette période est fixée entre 23 heures et 6 heures, mais l’employeur et le salarié peuvent convenir d’une période différente dans le contrat de travail pour peu que la période de nuit soit d’au moins sept heures et qu’elle comprenne les heures situées entre minuit et 5 heures. En Allemagne, pays pourtant loin d’être fer de lance en matière d’ouverture nocturne des commerces, la période de travail de nuit couvre la tranche horaire 23 heures – 6 heures, et en Italie, le travail de nuit est considéré comme une période de sept heures consécutives, comprenant obligatoirement l’intervalle entre minuit et cinq heures. De ces quatre pays si l’on y inclut la France, l’Italie est celle qui apparaît au final la plus libérale s’agissant de la définition de l’amplitude horaire du travail.

Outre l’importance de conserver l’attractivité de la France dans certaines zones très touristiques, une amplitude horaire plus grande d’ouverture des commerces de détail permet également de s’adapter aux mutations des habitudes de consommation des Français, en particulier des citadins, qui sont de plus en plus attachés à pouvoir accéder à des commerces ouverts en soirée ou, d’ailleurs, le dimanche.

De ce point de vue, s’agissant des commerces alimentaires, l’amplitude horaire du travail de nuit antérieure à 2001 permettrait de répondre en grande partie à la problématique de ces commerces, dont il n’est évidemment pas question qu’une ouverture toute la nuit soit envisagée. Si la fermeture à minuit de quelques commerces alimentaires de centres-villes ou de quartiers touristiques pourrait être souhaitée, une fermeture à 22 heures de ces commerces permettrait assez largement de répondre aux modes de vie et de consommation des urbains, qui seraient ainsi mis en mesure de faire leurs courses alimentaires à la sortie du travail.

L’essor du commerce en ligne, qui permet désormais à tout un chacun de procéder à des achats vingt-quatre heures sur vingt-quatre, constitue un facteur de concurrence commerciale supplémentaire, les commerces de détail devant être mis en mesure de relever le défi de cette concurrence par la possibilité d’une adaptation et d’une souplesse plus grande de leurs horaires d’ouverture au public.

Enfin, dans le contexte macroéconomique français actuel, où le taux de chômage atteint 10,5 % de la population active au deuxième trimestre 2013, un assouplissement des règles d’ouverture nocturne des commerces serait favorable à l’emploi, tout en permettant de créer de la valeur ajoutée et de participer au soutien de la consommation dans notre pays.

Ainsi, l’obligation de fermeture de l’établissement Sephora des Champs-Élysées représente une perte évaluée à 23 % du chiffre d’affaires de cet établissement, et la mise en danger des emplois de cet établissement, dans lequel une cinquantaine de salariés entraient dans la catégorie des travailleurs de nuit, tandis que plus d’une centaine est concernée de manière épisodique ou régulière par des horaires relevant du travail de nuit.

L’obligation, pour Monoprix, de fermer à 21 heures ses 94 magasins concernés par l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, a également un impact potentiellement très important : si le chiffre d’affaires réalisé après 21 heures par ses magasins ne représente que de l’ordre de 2 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise, 1 500 salariés sont concernés de manière structurelle par le travail de nuit. Ce chiffre atteint 2 500 salariés en incluant ceux qui effectuent épisodiquement des heures de travail en soirée.

A contrario, la réouverture de l’établissement Marionnaud des Champs-Élysées à la faveur de son agrandissement, s’accompagne de l’embauche de 40 salariés supplémentaires, doublant ainsi les effectifs salariés de l’établissement, les heures travaillées la nuit étant rémunérées 25 % de plus pour un magasin qui a vocation à rester ouvert jusqu’à minuit.

Par son arrêt en date du 23 septembre 2013, la Cour d’appel de Paris a ordonné à la société Sephora de cesser d’employer des salariés dans son établissement des Champs-Élysées à Paris entre 21 heures et 6 heures du matin et le dimanche dans son établissement situé Cour Saint-Émilion. La Cour d’appel est ainsi venue confirmer la décision rendue par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris du 6 décembre 2012 concernant l’interdiction d’employer des salariés dans l’établissement de Bercy Village le dimanche, mais a infirmé la décision rendue par la même ordonnance de référé concernant la possibilité d’employer des salariés la nuit dans l’établissement des Champs-Élysées.

S’agissant donc du travail de nuit dans l’établissement Sephora des Champs-Élysées, la Cour d’appel de Paris a jugé que le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit s’apprécie non pas au regard des effectifs de travailleurs de nuit concernés – lesquels sont en effet marginaux -, mais « au regard du secteur d’activité pour lequel le travail de nuit est inhérent ou pour lequel il n’existe pas d’autres possibilités d’aménagement du temps de travail, ce qui n’est pas le cas des commerces de parfumerie ». Si des contreparties sont bien accordées aux salariés travaillant la nuit – sous forme de majoration de salaire, de repos compensateur, de raccompagnement des salariés à leur domicile par taxi à partir de minuit et d’un suivi médical spécifique -, « l’attraction commerciale liée à l’ouverture de nuit de l’établissement, qui n’offre pas des services d’utilité sociale, ne constitue pas une nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique au sens de l’article L. 3122-32 du code du travail ».

A contrario, l’établissement Marionnaud des Champs-Élysées bénéficie pour le moment d’une ouverture sept jours sur sept de dix heures à minuit, sur le fondement d’un accord collectif d’établissement dérogatoire sur les horaires de travail de nuit, conclu en 2001 et amendé en 2002. Cet accord prévoit des contreparties pour les salariés concernés, sous la forme d’une majoration de salaire de 25 %, d’un temps de repos compensateur majoré de 10 % et enfin, d’un raccompagnement des salariés travaillant la nuit à leur domicile en taxi. Cette ouverture nocturne concerne ce seul établissement, dont la clientèle est constituée aux deux tiers de touristes, et qui réalise un cinquième de son chiffre d’affaires après vingt et une heures.

La situation apparaît donc très insatisfaisante, avec d’un côté, pour des activités de vente absolument similaires, une ouverture tardive, et de l’autre, une interdiction d’ouverture. En outre, le raisonnement suivi par la Cour d’appel conduirait en toute logique, toutes choses égales par ailleurs, à une injonction de fermeture de l’établissement Marionnaud des Champs-Élysées en cas de contentieux. En effet, sans préjuger du cas d’espèce, la Cour d’appel de Paris a estimé, s’agissant de l’affaire Sephora, que la question de la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif est « dénuée de pertinence », dans la mesure où les dispositions de l’article L. 3122-32 du code du travail – qui énoncent le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit, l’obligation de prise en compte des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et la justification de la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique – sont d’ordre public et qu’il ne peut donc y être dérogé par convention ou accord collectif. Or, s’agissant de la société Sephora, elle a jugé que les conditions du recours au travail de nuit pour assurer la continuité de l’activité économique de l’entreprise n’étaient pas réunies. Nul doute qu’elles ne le seraient pas davantage dans le cas de la société Marionnaud.

Cette décision de justice, pour laquelle la société Sephora s’est pourvue en cassation, a des conséquences importantes sur le fonctionnement et le rythme d’ouverture du magasin concerné : en effet, la Cour d’appel interdit à Sephora d’employer des salariés entre 21 heures et 6 heures du matin dans son établissement des Champs-Élysées, sous peine d’une astreinte de 80 000 euros par infraction contestée. La cessation de l’activité salariée à 21 heures signifie concrètement la nécessité de fermer le magasin à 20 heures 15, afin de permettre aux salariés de fermer leurs caisses, et l’impossibilité pour de nouveaux clients d’entrer dans le magasin après 20 heures. En effet, les dispositions du code du travail ne concernent pas les heures d’ouverture ou de fermeture des commerces, mais les horaires de travail de nuit des salariés ! La très forte fréquentation de ce magasin – avec de l’ordre de 3,5 millions de visiteurs par an – implique donc d’anticiper largement l’horaire de fermeture.

À la suite de l’arrêt rendu par la Cour d’appel le 23 septembre dernier, une centaine de salariés de l’établissement ont formé un recours en tierce opposition destiné à contester l’intérêt à agir de l’intersyndicale Clic-P à l’origine du contentieux. Si le juge a reconnu en première instance, comme en appel, l’intérêt à agir de l’intersyndicale, une telle contestation montre bien le hiatus qui peut exister entre les salariés d’une part, et les représentants syndicaux d’autre part, a fortiori lorsque ceux-ci sont extérieurs à l’établissement. Dans le cas de Sephora, votre rapporteur a pu constater, lors de ses auditions, un véritable sentiment de « dépossession » des salariés, qui voient une intersyndicale qui n’a pourtant jamais mis les pieds dans leur établissement, parler en leur nom, et prétendument défendre leurs droits sans n’avoir cependant jamais pris la peine de les consulter pour recueillir leur avis sur la question. On peut en outre s’interroger sur les pratiques à l’œuvre au sein d’une intersyndicale dont l’unique activité consiste à former des recours contentieux, qui constituent en réalité son seul « fonds de commerce », loin des autres activités traditionnelles et fondamentales des syndicats : la défense des intérêts des salariés – le contentieux n’en étant qu’une forme particulière, en quelque sorte de dernier ressort ; l’information des salariés ; et enfin, et surtout, la négociation collective et le dialogue social. De cela, il n’est nullement question dans le cas d’espèce !

Plus généralement, sur la question du travail en soirée, il n’est pas rare de voir certains délégués syndicaux se déclarer en faveur du travail en soirée au sein de leur entreprise, en contradiction avec l’opposition exprimée par leur section syndicale, leur union départementale, régionale ou leur fédération. Cette question met clairement en évidence l’intérêt qu’il peut y avoir, en particulier en présence d’un blocage syndical ou du droit d’opposition d’un syndicat majoritaire, à consulter directement les salariés, en particulier lorsque la question du recours au travail de nuit se pose à l’intérieur d’un établissement ou d’une entreprise, et non au niveau de la branche.

Cette problématique est clairement à l’œuvre dans le cas de Monoprix. Cette entreprise est couverte par un accord collectif sur le travail de nuit depuis 2006, celui-ci ayant été modifié par un avenant signé en 2009. Dans une décision rendue en avril dernier, la Cour d’appel de Versailles a prononcé la nullité de l’accord pour vice de forme. Depuis, Monoprix se heurte au droit d’opposition de son syndicat majoritaire pour conclure un nouvel accord collectif permettant le recours au travail de nuit, et ce malgré la signature par trois organisations syndicales, l’été dernier, d’un projet d’accord collectif prévoyant une majoration salariale de 25 % entre 21 heures et 22 heures et de 35 % pour les heures effectuées après 23 heures. Depuis l’échec de ces négociations, Monoprix se voit donc contraint de fermer l’ensemble de ses 94 magasins qui ouvraient en nocturne après 21 heures. L’impossibilité de conclure un accord d’entreprise a conduit la société à envisager de recourir, lorsque cela est possible, à la négociation au niveau de chaque établissement.

Les règles applicables à l’ouverture nocturne des commerces de détail apparaissent aujourd’hui clairement inadaptées dans certaines situations, et la présente proposition de loi entend répondre à cet écueil, en instaurant une possibilité dérogatoire de recours au travail nocturne dans les commerces de détail situés dans des zones strictement délimitées. Elle s’inspire du dispositif de recours dérogatoire au travail dominical mis en place par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 dite loi « Mallié », sur deux points en particulier :

– s’agissant des zones concernées par cette possibilité d’ouverture nocturne dérogatoire, la proposition de loi retient la notion de « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », qui existe déjà dans le cadre du recours dérogatoire au travail dominical, ainsi que les modalités de définition du périmètre de ces zones ;

– s’agissant des conditions du recours dérogatoire au travail nocturne, la proposition de loi reprend les règles applicables en matière de travail dominical dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE), autrement dit, sur la base d’un accord collectif ou, en l’absence d’un tel accord, sur la base d’une décision de l’employeur approuvée par référendum par les salariés.

Il n’est évidemment nullement question de revenir sur le caractère exceptionnel du travail de nuit et, en particulier, sur les règles protectrices des travailleurs de nuit édictées par notre code du travail. Pas plus n’est-il question d’élargir les horaires d’ouverture des commerces la nuit sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien au contraire de circonscrire l’intervention du législateur aux seuls commerces de détail situés dans des zones du territoire qui souffrent actuellement d’une trop grande rigidité dans le recours au travail de nuit alors qu’elles connaissent une fréquentation importante en soirée.

Dans la mesure où il ne s’agit aucunement de rogner un quelconque acquis social, ni de remettre en cause les droits des salariés et, en particulier, la protection dont ceux-ci doivent impérativement continuer à bénéficier en cas d’exercice de leur activité la nuit, le présent texte propose de conditionner le recours au travail de nuit à l’existence d’un accord collectif ou, le cas échéant, à son approbation par référendum auprès des personnels, en prévoyant expressément que la rémunération des travailleurs de nuit est majorée d’au moins 30 % par rapport à la rémunération normalement prévue au contrat.

En premier lieu, la présente proposition de loi s’inspire des dispositions de la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 dite loi « Mallié » en matière de travail dominical pour créer le même type de régime dérogatoire en matière de travail de nuit, autrement dit, par le biais de l’identification de « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », pour lesquelles la nécessité d’assurer à l’avenir une amplitude d’ouverture des commerces de détail plus grande est impérieuse, si la France souhaite demeurer le pôle d’attractivité touristique qu’elle représente aujourd’hui.

Le droit applicable en matière de travail dominical
dans les commerces de détail

Aux termes de l’article L. 3123-3 du code du travail, le jour du repos hebdomadaire correspond, « dans l’intérêt des salariés », au dimanche.

Outre des dérogations à ce principe qui tiennent compte des spécificités de certaines activités marquées par des contraintes de production, d’activité ou qui répondent à des besoins du public, il existe quatre types de dérogations applicables aux commerces de détail.

● En premier lieu, s’agissant des commerces alimentaires, l’article L. 3132-13 du code du travail prévoit que les établissements qui exercent à titre principal ou exclusif la vente de denrées alimentaires au détail peuvent employer des salariés le dimanche matin jusqu’à treize heures, ces derniers bénéficiant alors d’un repos compensateur d’une journée, par roulement et par quinzaine.

● Deuxièmement, s’agissant des autres commerces de détail, l’article L. 3132-25 dispose que les établissements de vente au détail situés dans les communes d’intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel. La liste de ces communes et le périmètre de ces zones sont fixés par arrêté motivé du préfet sur proposition du maire, après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, et des communautés urbaines, de communes ou d’agglomération et des métropoles lorsqu’elles existent. L’article R. 3132-20 précise que pour figurer sur cette liste, les communes ou zones concernées doivent accueillir pendant certaines périodes de l’année une population supplémentaire importante en raison de leurs caractéristiques naturelles, artistiques, culturelles ou historiques ou de l’existence d’installations de loisirs ou thermales à forte fréquentation. Il n’est pas prévu, à défaut d’accord collectif, de compensation en termes de rémunération ou de repos compensateur.

● Troisièmement, l’article L. 3132-25-1 prévoit que dans les unités urbaines de plus d’un million d’habitants, le repos hebdomadaire peut être donné par roulement à tout ou partie du personnel, après autorisation administrative, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel (PUCE), caractérisé par les habitudes de consommation dominicale, l’importance de la clientèle concernée et l’éloignement de celle-ci de ce périmètre. Les unités urbaines aujourd’hui concernées – Paris, Aix-Marseille et Lille – ont été désignées par les préfets de région sur le fondement des résultats du recensement de la population : la région lyonnaise n’est à ce jour pas concernée, en l’absence de mise en évidence d’un usage de consommation dominicale. Les périmètres d’usage de consommation exceptionnel sont quant à eux délimités, conformément à l’article L. 3132-25-2, par le préfet de département sur demande du conseil municipal et après consultation de l’organe délibérant de l’intercommunalité sur laquelle est situé ce périmètre, au vu des circonstances particulières locales et soit d’usages de consommation dominicale, soit de la proximité d’une zone frontalière où il existe un tel usage, compte tenu de la concurrence ainsi produite. Toutefois, pour préserver l’indivisibilité des ensembles commerciaux, lorsque le périmètre sollicité appartient en tout ou partie à un ensemble commercial situé sur leur territoire, le préfet recueille l’avis préalable du conseil municipal de la ou des communes n’ayant pas formulé la demande et n’appartenant pas à l’intercommunalité.

Dans ce cas, l’autorisation d’ouverture est accordée sur arrêté préfectoral pour cinq ans, après avis, rendu dans un délai d’un mois, du conseil municipal, de la chambre de commerce et d’industrie, de la chambre des métiers et des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés de la commune. L’autorisation est donnée à titre individuel ou collectif pour des commerces ou services exerçant la même activité et s’adressant à la même clientèle.

L’article L. 3132-25-3 précise que l’autorisation d’ouverture est accordée au vu d’un accord collectif ou, à défaut, d’une décision unilatérale de l’employeur approuvée par référendum organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical, après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel lorsqu’ils existent. En l’absence d’accord collectif, un repos compensateur est dû au salarié privé de repos du dimanche et sa rémunération pour le dimanche travaillé est au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

Enfin, l’article L. 3132-25-4 dispose que seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d’une telle autorisation. Cet article précise également les règles protectrices applicables aux salariés refusant de travailler le dimanche

● Enfin, conformément à l’article L. 3132-26, dans la limite de cinq dimanches par an, les commerces de détail où le repos hebdomadaire a lieu le dimanche peuvent être autorisés à ouvrir par arrêté municipal – ou à Paris, préfectoral. Le salarié privé de repos dominical a droit à un repos compensateur équivalent en temps, qui est accordé collectivement ou par roulement dans la quinzaine qui précède ou suit la suppression du repos, conformément aux règles fixées par l’arrêté (article L. 3132-27).

La dérogation applicable aux zones touristiques a donc été profondément remaniée par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 dite loi « Mallié », qui est également à l’origine de la mise en place de la dérogation applicable aux périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE).

La loi du 10 août 2009 a modifié le régime applicable à l’ouverture dominicale des commerces de détail dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Sans modifier le périmètre des communes et zones concernées - puisque ces catégories existaient déjà -, la loi de 2009 a autorisé le recours de plein droit au travail dominical dans ces zones, là où, avant la loi de 2009, n’existait qu’une autorisation d’ouverture encadrée par une double limite :

– la limitation à la ou aux périodes d’activités touristiques ;

– et la limitation aux seuls commerces de biens et services destinés à faciliter l’accueil du public ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel.

On rappellera que, saisi de ces dispositions, le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble de ces dispositions législatives, et a en particulier jugé qu’en étendant l’autorisation d’ouverture dominicale à l’ensemble des commerces situés dans ces zones, « le législateur a entendu mettre fin aux difficultés d’application » du critère des commerces en lien avec l’activité touristique, pour le moins malaisée ; « qu’en étendant cette dérogation à l’ensemble de l’année, il a pris en compte l’évolution des modes de vie et de loisirs ; qu’en transformant cette dérogation en une dérogation de droit, il n’a fait que tirer les conséquences de cette double modification ».

Il s’agit, cette fois encore, de prendre en compte l’évolution des modes de vie et de loisirs, pour introduire une disposition dérogatoire au régime d’ouverture nocturne des commerces de détail dans les zones répondant aux mêmes critères que celles prévues pour l’ouverture dérogatoire dominicale, c’est-à-dire dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Tel est l’objet de l’article premier de la présente proposition de loi.

La présente proposition de loi souhaite encadrer le recours au travail de nuit dérogatoire dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Il ne s’agit en effet pas du tout d’ouvrir une possibilité de déroger aux règles protectrices des salariés par la mise en place d’une telle dérogation. C’est pourquoi le dispositif proposé prévoit que :

– comme pour le recours dérogatoire actuel au travail de nuit, la mise en place du travail de nuit dans ces zones touristiques ou d’animation culturelle passe par la conclusion préalable d’un accord collectif, et cela, afin de s’assurer que le recours au travail de nuit fasse bien l’objet d’un consensus dans les établissements ou entreprises concernés. C’est l’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi ;

– à défaut d’accord collectif, le recours au travail de nuit peut être autorisé sur le fondement d’une décision de l’employeur prise après référendum (article 3 de la présente proposition de loi). Il s’agit là de recueillir l’assentiment des salariés, qu’ils soient d’ailleurs directement concernés ou pas par le travail de soirée, et de s’assurer que les salariés sont bien volontaires pour effectuer une partie de leurs activités en nocturne ;

– enfin, l’article 4 de la présente proposition de loi prévoit que dans le cadre dérogatoire applicable dans les zones touristiques ou d’animation culturelle, le recours au travail de nuit passe, pour le salarié, par le versement d’une rémunération au moins supérieure de 30 % à la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission examine, sur le rapport de M. Luc Chatel, la présente proposition de loi au cours de sa première séance du mercredi 27 novembre 2013.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Frédéric Lefebvre, M. Luc Chatel et plusieurs de leurs collègues du groupe UMP autorisant l’ouverture des commerces la nuit dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Le texte est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée du jeudi 5 décembre dans la niche du groupe UMP.

Je rappelle que, le 23 septembre 2013, en interdisant à l’enseigne Sephora d’ouvrir son magasin des Champs-Élysées après 21 heures, la cour d’appel de Paris a fait évoluer la jurisprudence de manière significative. Je souligne que cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Les députés qui siégeaient lors de la précédente législature se souviennent certainement que l’ouverture des commerces le dimanche avait suscité des débats très vifs en juillet 2009.

M. Luc Chatel, rapporteur. La proposition de loi répond effectivement à la décision de la cour d’appel de Paris du 23 septembre, qui a condamné la société Sephora à fermer dès 21 heures son magasin situé sur les Champs-Élysées. Elle est circonscrite au travail nocturne et n’évoque pas le travail dominical, sur lequel Jean-Paul Bailly remettra dans quelques jours un rapport au Gouvernement.

À l’appui de sa décision, la cour d’appel de Paris invoque la « non-justification d’assurer la continuité de l’activité économique » pour ce commerce – alors même que celui-ci réalise 23 % de son chiffre d’affaires en nocturne, en raison des spécificités liées à sa clientèle, principalement touristique et étrangère, et à sa localisation, sur la « plus belle avenue du monde », aussi fréquentée en soirée qu’en journée.

Concrètement, la décision interdit à tout commerce de détail d’ouvrir après 21 heures, début de l’horaire de nuit depuis 2001, car, si la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique n’a pas été reconnue dans le cas du magasin Sephora des Champs-Élysées, il y a peu de chances qu’elle le soit pour d’autres commerces similaires, voire pour des commerces alimentaires. La décision de justice pourrait donc entraîner, par un effet domino, la fermeture de nombreux commerces en soirée.

Précédemment, en cas d’accord collectif, le juge n’estimait pas nécessaire d’évaluer lui-même la continuité de l’activité économique ; mais, dès lors que la cour d’appel de Paris en a jugé autrement et qu’elle considère que la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique n’est pas un enjeu dans le commerce de détail, nous nous trouvons face à un problème de taille : la fermeture potentielle de tous les commerces à 21 heures.

Cette décision de justice pourrait avoir des conséquences désastreuses, notamment pour tous les magasins de centres commerciaux et les supermarchés, qui ouvrent plus tard. À une époque où l’on court après la croissance, où le chômage frappe massivement la population et où la France manque cruellement de compétitivité, il serait absurde de refuser à un commerce situé dans une zone d’affluence touristique nocturne, la possibilité d’ouvrir en soirée, alors même que la quasi-totalité de nos voisins européens a libéralisé les horaires d’ouverture des commerces, voire adapté la définition du travail de nuit. Je vous renvoie à mon rapport, qui contient certaines précisions sur le sujet. À l’heure où se développe plus que jamais le commerce électronique, où Amazon conclut un accord avec la Poste américaine pour organiser ses livraisons la nuit, les règles de notre code du travail paraissent décalées.

C’est pourquoi, avec Mme Kosciusko-Morizet, M. Lefebvre et une partie des députés du groupe UMP, il nous a semblé nécessaire d’agir.

Que nos collègues de l’opposition se rassurent : la proposition de loi ne vise ni à libéraliser intégralement le recours au travail de nuit ni à saper le statut protecteur dont il bénéficie. Au contraire ! Nous avons prévu des garde-fous. Notre propos est seulement de mettre fin à des situations ubuesques, dans lesquelles, bien que situés dans des zones touristiques ou culturelles où l’on constate une importante affluence en soirée, les commerces sont contraints de baisser le rideau à 21 heures – voire plus tôt, car, quand Sephora doit faire cesser le travail de ses salariés à 21 heures dans son magasin des Champs-Élysées, celui-ci ferme en fait à 20 h 15, ce qui interdit d’accueillir de nouveaux clients à partir de 20 heures.

Ce texte vise à instaurer une dérogation dans les seules zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Il paraît logique de reprendre cette notion utilisée pour le travail dominical, parce qu’elle est bien connue et que les périmètres de ces zones sont d’ores et déjà délimités. Ils figurent d’ailleurs dans le projet de rapport que je soumets à la Commission. Dans ces zones, les commerces pourraient rester ouverts après 21 heures, selon la même procédure, autrement dit sur la base d’un arrêté préfectoral et d’une décision administrative. Un décret fixerait les amplitudes maximales d’ouverture puisqu’il ne s’agit nullement d’autoriser des commerces à ouvrir toute la nuit. En toute rigueur, les commerces alimentaires pourraient ouvrir jusqu’à 22 heures et les autres jusqu’à minuit.

Le recours au travail de nuit dans ce cadre resterait soumis aux modalités applicables actuellement, c’est-à-dire à la conclusion d’un accord collectif. À défaut, sa mise en place se ferait par décision de l’employeur approuvée par référendum. Je souligne qu’actuellement, les syndicats représentatifs ne sont pas toujours au diapason des salariés. Ceux de Sephora ont engagé un recours en tierce opposition, jugeant qu’ils ne sont pas représentés par l’intersyndicale qui conteste en leur nom devant la justice les conditions du travail de nuit dans l’établissement. Ce recours est en instance.

Enfin, cette proposition de loi ne visant nullement à déroger aux règles protectrices du droit du travail en faveur des travailleurs de nuit, nous proposons que les salariés perçoivent une compensation salariale au moins égale à 30 % de leur rémunération en journée.

Tel est le contenu de cette proposition de loi, sur laquelle j’ai déposé quelques amendements, à l’issue des auditions que nous avons menées depuis quelques jours.

Je propose de supprimer la condition relative à la « nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique » pour justifier le travail de nuit dans les commerces de détail situés dans les zones touristiques. Il n’y a plus lieu de la maintenir dès lors qu’un juge considère qu’elle n’est pas remplie dans le cas d’un commerce. La rédaction du code du travail correspond davantage à des activités économiques dans lesquelles la continuité de l’activité est liée à un process industriel.

Dans le droit fil de cet amendement, je confirme que ce sera la seule condition à laquelle il sera possible de déroger, et qu’on ne pourra recourir au travail de nuit, de manière dérogatoire, que dans le respect de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Je souhaite ensuite que, sur le fondement de l’arrêté préfectoral qui délimitera les périmètres des zones touristiques et culturelles concernées par la dérogation, l’autorisation individuelle d’ouverture soit confiée au maire.

Je propose enfin que la possibilité de recourir au travail de nuit sur la base d’une décision unilatérale de l’employeur approuvée par référendum soit préalablement soumise aux institutions représentatives du personnel (IRP) et comporte le détail des contreparties octroyées aux salariés, ce qui est le cas aujourd’hui pour le recours au travail dominical dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE). Tout accord postérieur à la décision unilatérale de l’employeur se substituera d’emblée à celle-ci, car il est normal que le dialogue social prime, lorsqu’il est possible.

Je conclurai par un point qui m’a beaucoup préoccupé au cours des auditions : le volontariat est difficile à évaluer dans un contexte de chômage de masse, où les salariés ou futurs salariés sont plus contraints qu’en situation de plein-emploi. Afin de s’assurer au mieux qu’ils souhaitent effectivement travailler la nuit, je propose que leur assentiment soit recueilli par écrit. Cette procédure protégera ceux qui voudraient refuser et facilitera le retour au travail en journée de ceux qui, notamment à la suite d’un changement familial, ne souhaiteraient plus exercer leur activité de nuit. Cette procédure existe pour le recours au travail dominical dans les PUCE.

Selon la terminologie consacrée par le code du travail, le travail de nuit est celui qui est effectué entre 21 heures et 6 heures du matin. Rappelons qu’avant 2001, était considéré comme tel celui qui s’effectuait entre 22 heures et 5 heures du matin. Revenir à cette définition résoudrait déjà un grand nombre de situations problématiques, en particulier pour les commerces alimentaires.

Le texte ne concerne en rien une organisation comme le roulement, dans les usines, où le travail se fait toute la nuit en continu. Il s’agit seulement d’ouvrir à titre exceptionnel, dans des zones particulières, les commerces au-delà de 21 heures.

Ces explications me semblaient nécessaires pour éviter que nos collègues de la majorité ne balaient d’un revers de main une proposition de loi, qui doit être étudiée avec précision. Elle correspond en effet à une attente et à un besoin que nous avons identifiés, au moment où notre pays tente coûte que coûte de relancer l’activité économique.

M. Christophe Sirugue. Chacun l’a compris : il s’agit d’un texte conjoncturel, dont la visée, notamment à Paris, est purement électorale, alors que la loi doit éviter le risque conjoncturel ou partisan, et tendre à l’intérêt général.

Cette proposition de loi ouvre dans le code du travail une brèche, que les amendements du rapporteur tentent en vain de colmater. Contrairement à ce qu’il prétend, elle pose la question du travail dominical puisque, telle qu’elle est rédigée, ses dispositions s’appliqueraient tous les jours, y compris le dimanche.

Relisons l’article L. 3122-32 du code du travail : « Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. »

La proposition de loi respecte-t-elle le critère de l’exception ? Nullement, puisque l’article 1er permet d’ouvrir tous les jours tous les commerces bénéficiant d’une dérogation pour faire travailler leurs salariés le dimanche.

Prend-elle en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ? Non. Le rapporteur évoque des garde-fous, mais le texte ne comprend aucun aménagement du temps de travail. Il fixe seulement une valorisation de la rémunération à 30 %, comme si les enjeux sanitaires ou l’organisation de la famille et du temps personnel cédaient devant la question financière. En outre, il suffit pour le mettre en place d’une décision unilatérale de l’employeur. Ceux qui pouvaient encore nourrir des illusions sur la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs sont désormais fixés !

Enfin, ce texte est-il justifié par la nécessité d’assurer la continuité des services d’utilité sociale ou de l’activité économique ? Non. Acheter un baume après rasage ou du rouge à lèvres ne relève manifestement d’aucune utilité sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous demande d’écouter l’orateur, faute de quoi je suspendrai la séance.

M. Christophe Sirugue. Jusqu’à preuve du contraire, chers collègues, je suis encore libre de mes propos ! (Nouvelles exclamations.)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suspends la séance pendant quelques minutes pour vous laisser le temps de retrouver votre calme.

(La séance est suspendue entre dix heures vingt-huit et dix heures trente.)

M. Christophe Sirugue. Si certains veulent bousculer le code du travail au motif que la possibilité d’effectuer des achats soit le seul lien qui unisse les citoyens, ce modèle de société n’est pas le nôtre. En quoi le fait de ne pas pouvoir se procurer certains produits en dehors des heures actuelles d’ouverture remettrait-il en cause l’existence économique des entreprises ? Dans une période où le pouvoir d’achat est contraint, les sommes qui seront dépensées la nuit ne le seront pas pendant la journée : il ne suffit pas d’ouvrir les magasins plus longtemps pour augmenter la consommation.

Autant de raisons pour lesquelles le groupe SRC ne votera pas ce texte.

M. Dominique Tian. Cette proposition de loi est excellente. Est-elle circonstancielle ? Je ne sais, mais des lois de circonstance sont parfois nécessaires. Vous en avez voté certaines. Quoi qu’il en soit, depuis le 23 septembre, la situation menace de devenir dramatique. L’enseigne Sephora, située sur l’avenue la plus fréquentée de la ville la plus touristique du monde, réalisait 23 % de son chiffre d’affaires après 21 heures. Aux termes d’un accord d’entreprise, ses salariés étaient volontaires pour travailler le soir, ce pour quoi ils étaient mieux payés. Nous ne voyons aucune raison de le leur refuser cette possibilité, qui répond manifestement à une demande économique.

Avec 3 millions de chômeurs et 1,5 million de personnes au RSA (revenu de solidarité active), allons-nous remettre en cause une activité économique sous des prétextes tels que la santé au travail ou la rigidité du code du travail ? Dans certaines villes de France – Marseille, capitale européenne de la culture en 2013, Antibes, etc. –, des commerces gagnent de l’argent et créent des emplois, sans que cela pose la moindre difficulté. Si l’on ne maintient pas cette activité, ce sera la mort des centres-villes touristiques. Dans aucun pays du monde de type libéral, on ne remet en cause un modèle économique qui fonctionne. Le texte est peut-être de circonstance, mais il est urgent de le voter.

M. Yannick Favennec. Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans une actualité sociale brûlante. Après les jugements relatifs à Monoprix, à Sephora et aux enseignes de bricolage, un débat s’est installé dans notre pays sur le travail en horaires inhabituels. L’initiative du groupe UMP pointe les insuffisances ou les failles de notre droit social, ainsi que la nécessité de moderniser notre arsenal juridique afin de sécuriser la situation des entreprises et de leurs salariés.

Le groupe UDI se réjouit qu’on ouvre le débat, car le Gouvernement doit légiférer au plus tôt sur le travail le dimanche et la nuit. Mais avant d’autoriser certains magasins à ouvrir après 21 heures, il faut vérifier que la mesure respecte les besoins des habitants, la nature des commerces, la définition précise des zones, la place des élus locaux dans le processus de décision, le dialogue social et les contreparties pour les salariés.

Cette proposition de loi répond à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 septembre, dont les conséquences économiques et sociales pourraient être dangereuses pour nombre d’établissements de vente au détail situés dans des zones urbaines spécifiques. Elle s’inscrit dans une démarche de libération de l’activité économique, qui vise à pallier la rigidité du droit social français. À l’heure où, chez nos principaux voisins, ce débat est dépassé, il est temps de moderniser notre législation.

Pour la définition des périmètres, le texte s’inspire de la loi Mallié de 2009 sur le travail le dimanche, et limite le dispositif aux zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Cette limitation semble suffisamment encadrée et, qui plus est, légitime, au regard de l’animation propre aux secteurs touristiques.

Ce texte respecte la place des élus locaux, puisque le périmètre des zones est établi par le préfet sur proposition du maire. Il prévoit de solliciter l’avis de différents organismes, que nous pourrions élargir aux conseils de quartier issus de la loi Vaillant de 2002, lorsqu’ils existent. Qu’en pense le rapporteur ?

Il privilégie le dialogue social en s’appuyant sur un accord collectif ou, à défaut, sur un référendum. Cette condition nous semble essentielle, car la question relève du champ de la démocratie sociale.

Le texte prévoit des contreparties pour les salariés, dont la rémunération pendant les heures de nuit augmentera de 30 %. Pourquoi ne pas aller jusqu’à 50 %, comme le prévoit le code du travail pour les heures effectuées le dimanche ? Ce taux constituerait-il une menace pour les commerces ?

Le texte apporte une réponse proportionnée à une décision de justice potentiellement dangereuse pour l’économie. En outre, il permettra d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, tout en contribuant au redémarrage de la croissance et de notre attractivité touristique.

Je relève que, loin de se limiter à Paris, il mentionne aussi la Mayenne. J’ai vérifié que le vieux Laval figure parmi les zones concernées.

Enfin, il ne met à mal ni la décentralisation ni le dialogue.

C’est pourquoi les députés de l’UDI y sont favorables.

M. Jean-Louis Roumegas. Comme M. Sirugue, les députés écologistes considèrent que l’adoption du texte constituerait un recul du droit du travail, puisqu’il généraliserait le travail de nuit sur la base d’une décision unilatérale de l’employeur. Dans certaines zones, le travail nocturne s’ajouterait au travail dominical.

Aucune étude d’impact ne prouve qu’une telle mesure fasse augmenter le chiffre d’affaires global non d’une enseigne, ce qui n’est pas à considérer, mais d’un secteur. Elle permettra tout au plus à la consommation de s’étaler sur des plages plus longues, au détriment des petites enseignes.

Cette logique, qui relève du libéralisme économique et de la déréglementation, exacerbera la compétition sans améliorer la situation de l’économie ni de l’emploi, et réduira la protection des salariés. Le travail de nuit doit rester exceptionnel et continuer de relever de mesures purement dérogatoires. C’est pourquoi nous voterons les amendements de suppression du groupe socialiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Je partage l’analyse du groupe écologique et du groupe socialiste. On se demande ce que M. Chatel vient faire dans cette galère ! Il est probable qu’il utilise la voie législative pour préparer les élections municipales à Paris.

Sous l’apparence d’un discours bon enfant, cette proposition de loi vise à déstructurer le droit du travail. Si l’on peut accepter de réfléchir sur un secteur ou une période, il faut toujours garantir le droit du salarié, qui n’est jamais en position d’égalité avec son employeur. Or le texte n’apporte pas suffisamment de garantie à cet égard. En outre, rien ne prouve que l’ouverture nocturne des magasins apporterait le moindre bénéfice économique. Il faut poursuivre la réflexion sur le sujet, qui mérite un débat moins superficiel.

M. Christian Paul. Le texte plaide pour une marchandisation sans limite de la société au nom de fausses évidences économiques, que le groupe UMP invoque depuis des années sans jamais s’interroger sur leur réalité ni sur leurs conséquences humaines. Comment croire que, dans une période où le pouvoir d’achat est contraint, on créera un miracle économique dans certaines zones sans répercussion sur le reste du tissu commercial ? Et comment M. Tian peut-il présenter la santé au travail comme un prétexte ? Qu’il aille plus loin : il prétendra sans doute que la vie de famille, l’éducation des enfants et la cohésion de la société ou des territoires sont elles aussi des prétextes !

Un seul point m’étonne. Aucun des amendements du rapporteur, que j’ai lus attentivement, ne tend à autoriser les bus à circuler dans Paris après 20 heures. La mesure rassurerait pourtant Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, qui voit dans l’absence de transport nocturne un frein au développement économique de la capitale. Nos collègues du groupe UMP ne manqueront pas de réparer cet oubli…

M. Gérard Sebaoun. La liberté de travailler la nuit est purement virtuelle pour la plupart des salariés.

Alors que l’article L.3122-40 énumère le type de contrepartie offerte au travail de nuit, pensez-vous sérieusement qu’une majoration de 30 % de la rémunération suffira à compenser la prise en charge du retour des travailleurs de nuit et de la garde des enfants, particulièrement en Ile-de-France ?

Mme Véronique Besse. Comment les « zones touristiques d’affluence exceptionnelle » sont-elles définies ? Le sont-elles pour toute l’année ou pour certaines périodes seulement ?

Comment garantir que, dans leur choix, les salariés n’auront à subir de pression ni de leur employeur ni de leurs collègues ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. En dépit des précautions oratoires du rapporteur, je suis très choquée des reculs induits en termes de droit du travail et de protection des salariés. Au-delà des poncifs libéraux caricaturaux sur la rigidité du code du travail ou sur le mal français qui fait primer la protection des travailleurs sur l’activité économique, vous invoquez l’impérieuse nécessité qu’il y aurait à continuer à travailler au-delà de 21 heures dans certaines zones. Mais on ne fait pas une loi pour des raisons strictement conjoncturelles, et la liste des zones concernées soulève bien des questions au sujet de la nécessité qu’il y aurait à y assurer la continuité de l’activité économique. Enfin, votre amendement n’empêchera pas que la décision revienne in fine à l’employeur. À la pseudo-liberté que vous prêtez aux travailleurs qui doivent faire face à la pression des employeurs et à la faiblesse des salaires, nous préférerons toujours le droit du travail et la protection des salariés. Voilà pourquoi nous rejetterons cette proposition de loi.

M. Laurent Marcangeli. Je suis moi aussi choqué, mais par la rudesse des propos tenus par certains membres de la majorité, toujours prompte à brandir la défense des travailleurs qu’elle a pourtant oubliée quand elle a supprimé la défiscalisation des heures supplémentaires.

Je ne m’intéresse pas tant à la consommation qu’à la liberté de travailler la nuit, encore une fois sur la base du volontariat. Cette proposition de loi ne porte pas une atteinte insupportable au droit du travail comme on voudrait nous le faire croire. La loi de 2001 sur le travail de nuit n’est pas suffisamment précise et il est de notre responsabilité de parlementaire de la clarifier tout en en restreignant l’application aux zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle. C’est pour cette raison que le groupe UMP votera avec conviction cette proposition de loi et que je l’ai, pour ma part, cosignée.

M. Denys Robiliard. Sur le principe, il ne me paraît pas souhaitable, pour des raisons tenant à la stabilité de la règle de droit, de répondre par une proposition de loi à un arrêt de cour d’appel alors que la procédure est toujours en cours. De plus, quand vous aviez la majorité, vous avez voté une loi en vertu de laquelle les lois à caractère social seront, préalablement à leur examen par le Parlement, soumises aux partenaires sociaux. Pourquoi n’avoir pas respecté cette prescription ?

Par ailleurs, je ne suis pas sûr du tout qu’en l’état, la proposition de loi soit compatible avec la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993.

Enfin, l’article 3, tel qu’il est rédigé, n’empêcherait pas, malgré un référendum négatif, une décision unilatérale de l’employeur. En outre, il exclut du jeu l’inspecteur du travail qui était le seul contrôleur possible en l’absence d’accord collectif.

M. Jean Leonetti. Il n’est pas de loi sans circonstances. Or, quelles sont-elles ? Indépendamment des élections municipales qui sont tout de même dans six mois – et on ne va pas tout arrêter d’ici-là –, l’e-commerce se développe puisque 20 % des achats de Noël se feront de cette façon ; le taux de chômage continue d’augmenter et nous avons la chance, nous qui sommes la première destination touristique du monde, que le tourisme ne soit pas délocalisable.

Cette proposition de loi ne mérite ni tant d’honneur ni tant d’indignité. Oui, elle répond à un problème tout en protégeant les salariés – c’est l’objet des amendements – et en permettant à des chômeurs de retrouver un emploi salarié. Il suffit de voyager en Europe pour s’apercevoir que les grandes destinations touristiques, avec lesquelles nous sommes en concurrence, ont pris des mesures souvent beaucoup plus libérales.

Je m’étonne que la majorité ne puisse répondre que par un « non » catégorique, coupant court à la discussion. Une fois de plus, le dogmatisme et l’amateurisme l’emportent alors que notre proposition est concrète et utile.

Mme Véronique Massonneau. Je me préoccupe du sort des petits commerces et de celui des femmes qui rencontrent des problèmes de garde d’enfant et de transport. Au Français sur deux qui ne dort pas avant 23 heures, je suggère d’autres activités que le shopping !

M. Bernard Accoyer. À quoi bon être parlementaire si, quand une décision de justice est contraire à l’intérêt de nombreux compatriotes, nous n’essayions pas de résoudre le problème ? En l’occurrence, des syndicalistes ne travaillant pas dans les magasins en question ont saisi la justice qui a rendu une décision qui prive d’emploi ou précarise certains salariés. C’est pour eux que nous sommes mobilisés aujourd'hui.

Il y a, dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, des milliers d’emplois à sauvegarder et à créer puisque nous sommes le n° 1 du tourisme international. Comment osez-vous proclamer que votre première priorité est l’emploi alors que vous vous acharnez à le détruire ou à empêcher d’en créer dans l’un des rares secteurs où la France a encore des atouts ? C’est pour cette raison que, depuis dix-huit mois, le chômage atteint des niveaux record. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Votre préférence pour les emplois aidés conduit à une impasse et c’est un drame pour la France.

M. Jean-Louis Costes. Je préfère des salariés volontaires qui travaillent pour un salaire décent même le soir plutôt que de les voir occuper le jour des emplois aidés rémunérés sur la base de vingt à vingt-cinq heures par semaine.

M. Arnaud Robinet. Je suis fier de cette proposition de loi et je réfute les arguments de la majorité. Le monde évolue, les modes de consommation changent et, pour développer nos centres-villes et favoriser l’emploi, nous devons accompagner ces mutations. On ne peut empêcher les magasins d’élargir leurs plages horaires d’ouverture pour profiter de l’afflux de touristes dans les zones très fréquentées. Pourquoi défendre aux commerces traditionnels de résister à la concurrence acharnée que leur livre Internet en ouvrant plus longtemps ? Surtout, ces commerces contribuent à l’attractivité de nos territoires. Les arguments rétrogrades de la majorité vont à l’encontre du pouvoir d’achat car, après avoir supprimé la défiscalisation des heures supplémentaires, elle va empêcher ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus de le faire. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.) Nous ne vivons pas dans le même siècle.

M. Jean-Pierre Door. Loi de circonstance ? Peut-être, mais le sujet fait le buzz sur les radios populaires. Ouvrir les commerces plus tard dans la soirée répondrait à l’évolution du mode de vie de millions de Français. Autour de vous, les gens ne s’interrogent-ils pas sur l’opportunité de libérer davantage le travail pour relancer l’emploi et s’aligner sur d’autres pays ? Pourquoi ne vous demandez-vous pas si le code du travail autorise à rester ouverts très tard le soir les petits commerces dans les petites villes, et qui vendent notamment de l’alcool, avec les problèmes que cela peut causer ? Pourquoi y aurait-il deux poids deux mesures ? Votre démarche n’est certainement pas celle de millions de Français.

M. le rapporteur. Je regrette que le débat tourne à la confrontation idéologique. Nous avons pourtant limité délibérément la portée du projet de loi et pris en compte seulement l’intérêt convergent des clients, des salariés demandeurs et des entreprises disposées à ouvrir davantage.

Vous nous prêtez des visées électoralistes à Paris. Je vous prends au mot. Pour améliorer l’image des politiques, quoi de mieux que de voir deux candidates aux projets différents s’unir pour défendre les salariés d’un secteur d’activité ?

M. Sirugue notamment dénonce à tort une remise en cause du caractère exceptionnel du travail de nuit. Je le répète, le périmètre est très circonscrit aux zones touristiques.

Plusieurs d’entre vous s’inquiètent des contreparties financières qui, aujourd'hui, en moyenne, consistent en une majoration comprise entre 15 % et 25 %. Nous mettons donc la barre assez haut, la relever à 50 % risquerait de déstabiliser l’ensemble du système. Quant aux autres avantages devant faire l’objet d’un accord aux termes de l’article L. 3122-40 du code du travail, nous ne les remettons nullement en cause. Ils doivent être discutés. Il existe d’ores et déjà des commerçants qui proposent le paiement du retour en taxi ou d’autres contreparties.

L’initiative sera prise par l’employeur mais il ne s’agira pas d’une démarche unilatérale puisque la décision sera soumise à référendum auprès des salariés.

M. Robiliard a relevé l’ambiguïté de l’article 3 et je suis prêt à examiner tout amendement qui préciserait que la décision de l’employeur serait prise après son approbation par référendum.

Vous avez beau contester l’argument économique, il n’en reste pas moins que le magasin condamné par la justice a vu son chiffre d’affaires reculer de 23 %. Vous avancez qu’il s’agirait d’un simple transfert de consommation, mais votre argument ne vaut pas forcément dans les zones touristiques qui sont fréquentées par une clientèle étrangère de passage qui, si elle trouve porte close, ne reviendra pas le lendemain.

Monsieur Favennec, nous proposons que le maire prenne la décision, libre à lui de consulter les conseils de quartier s’il juge pertinent de le faire.

M. Roumegas voit dans ce texte une entorse au droit du travail. Non, puisque les salariés sont consultés. Il n’y a pas non plus de généralisation puisque la proposition de loi circonscrit l’ouverture la nuit à des zones d’activité particulières.

M. Robiliard nous a reproché de ne pas avoir pris l’attache des partenaires sociaux, mais la règle vaut pour les projets de loi, pas pour les propositions de loi où l’initiative d’une consultation revient à la commission.

La proposition de loi ne remet pas en cause le rôle de l’inspecteur du travail dans la décision.

Enfin, au plan européen, plusieurs États membres ont des amplitudes horaires plus larges et autorisent le travail nocturne, même si je suis prêt à me pencher sur le sujet.

À la remarque humoristique de Mme Massonneau, je répondrai que je ne voulais qu’illustrer le changement dans les rythmes de vie et dans le partage du temps, auquel nous devons nous adapter.

Article 1er
(Art. L. 3122-32-1 [nouveau] du code du travail)

Autorisation dérogatoire au recours au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente

À l’image du dispositif de recours dérogatoire au travail dominical dans les commerces de détail situés dans des zones touristiques ou d’animation culturelle, mis en place par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 dite loi « Mallié » et codifié à l’article L. 3132-25 du code du travail, le présent article propose la mise en place d’une autorisation de recours dérogatoire au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », par l’introduction d’un nouvel article L. 3122-32-1 dans le code du travail.

● Le choix d’un zonage existant : les « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente »

On remarquera en premier lieu que contrairement au dispositif dérogatoire de recours au travail dominical, la présente dérogation ne couvre pas les « communes d’intérêt touristique ou thermales ». La dérogation souhaitée se veut en effet circonscrite. Il ne s’agit nullement de généraliser le recours au travail de nuit à l’échelle d’une commune, mais simplement d’identifier les « zones », généralement très urbanisées, du territoire, dans lesquelles l’afflux touristique en période nocturne ou la présence importante d’une population attirée par des événements culturels nocturnes justifie que soit mise en place une telle dérogation.

En revanche, comme pour le travail dominical dans les commerces de détail de ces zones, le périmètre de ces dernières serait établi par le préfet sur proposition du maire, et après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, d’agglomération, des métropoles et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent. La détermination des zones ne doit pas en effet être une source indue de distorsion de concurrence, au sein des communes, entre commerces situés dans des zones limitrophes et entre communes voisines.

La rédaction retenue reprend rigoureusement celle de l’article L. 3132-25 applicable à la délimitation des zones touristiques pour l’ouverture dérogatoire des commerces le dimanche. On peut logiquement considérer que les dénominations étant identiques, le périmètre de ces zones correspondra, pour l’ouverture dérogatoire des commerces de détail en soirée, à celui qui existe aujourd’hui pour ces zones touristiques ou d’animation culturelle. La liste de ces zones est retracée dans l’annexe 1 au présent rapport.

Les zones touristiques d’affluence exceptionnelle
ou d’animation culturelle permanente à Paris

À Paris, à trois reprises en 1994, 2000 et 2005, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, a délimité, sur proposition du Conseil de Paris, les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente.

Sept zones ont ainsi été délimitées :

– la rue de Rivoli dans sa section comprise entre la rue de l’Amiral Coligny et la place de la Concorde à Paris 1er ;

– la place des Vosges et la rue des Franc-Bourgeois à Paris 3ème et 4ème ;

– la rue d’Arcole à Paris 4ème ;

– l’avenue des Champs-Élysées à Paris 8ème ;

– le viaduc des Arts de l’avenue Daumesnil entre le passage des Quinze-Vingts et la rue de Rambouillet à Paris 12ème ;

– le boulevard Saint-Germain dans sa partie comprise entre la rue des Saints Pères et la place Saint-Germain-des-Prés à Paris 6ème ;

– le quartier de la Butte Montmartre à Paris 18ème, en partie (secteur du Bas Montmartre, secteur haut de la rue Lepic, le Vieux Village).

Conformément à l’article R. 3132-20 du code du travail, ces zones sont caractérisées par leur caractère touristique et l’affluence exceptionnelle qu’elles suscitent ou par l’animation culturelle permanente qu’elles offrent. Elles doivent accueillir pendant certaines périodes de l’année une population supplémentaire importante en raison de leurs caractéristiques naturelles, artistiques ou historiques ou de l’existence d’installations de loisir à forte fréquentation. Pour mesurer l’affluence suscitée, la fréquentation des équipements et des différentes manifestations, la desserte en moyens de transport, le nombre de places de stationnement automobile disponibles peuvent notamment être pris en considération.

On remarquera que l’initiative de la mesure appartient exclusivement au maire, le préfet ne pouvant de lui-même se saisir de cette question. En outre, le préfet ayant reçu une proposition du maire délimitant le secteur géographique concerné sur le territoire municipal ne peut que s’y conformer ou la refuser, mais ne peut en aucun cas la modifier. Au reçu de la proposition du maire, accompagnée de toutes les pièces et avis justifiant la demande, le préfet statue, après avoir recueilli l’ensemble des avis déjà évoqués, par arrêt motivé, celui-ci devant préciser les considérations de fait et de droit qui justifient la décision.

À l’image toujours du dispositif retenu dans le cadre du recours dérogatoire au travail dominical dans les zones touristiques, le nouvel article L. 3122-32-1 du code du travail renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les modalités d’application de cette autorisation dérogatoire. S’agissant du travail dominical, le décret n° 2009-1134 du 21 septembre 2009 est venu préciser les critères, déjà évoqués, pris en compte pour définir les zones touristiques ou d’animation culturelle visées par la dérogation, codifiés à l’article R. 3132-20. Dans le cadre du recours dérogatoire au travail de nuit prévu par le présent article, le décret en Conseil d’État renverrait vraisemblablement aux critères déjà existants pour définir les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ; il doit en outre fixer l’amplitude maximale des horaires d’ouverture de ces établissements : en effet, il ne s’agit nullement d’envisager une autorisation d’ouverture permanente la nuit des commerces de détail situés dans ces zones. Au cours des auditions menées par votre rapporteur, il est d’ailleurs apparu qu’une ouverture jusqu’à vingt-deux heures des commerces de détail alimentaire et jusqu’à minuit pour les commerces de détail davantage liés à la consommation touristique, serait amplement suffisante.

● Une deuxième condition : l’autorisation administrative expresse

Contrairement cette fois au dispositif dérogatoire de recours au travail dominical dans les zones touristiques qui est de plein droit à l’intérieur des périmètres délimités, le présent article prévoit que les commerces de détail situés dans ces zones, préalablement définies par l’autorité préfectorale sur proposition du maire, « peuvent être autorisés à avoir recours au travail de nuit ». Autrement dit, une fois le périmètre de ces zones défini, le recours au travail de nuit devra-t-il encore être expressément autorisé.

Une telle autorisation expresse est aujourd’hui requise pour le recours au travail dominical dans deux cas de figure : dans le cas d’un établissement pour lequel une fermeture dominicale « serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement » – et il s’agit alors d’une autorisation individuelle – et dans le cas des commerces de détail situés dans des périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE), – auquel cas il peut s’agir d’une autorisation individuelle ou collective, pour des commerces ou services exerçant la même activité et s’adressant à la même clientèle.

En l’état, le texte ne précise pas les modalités de cette autorisation : il serait de ce point de vue souhaitable, à l’image des « cinq dimanches du maire », que cette responsabilité soit confiée au maire.

● La condition de « continuité de l’activité économique »

Enfin, le nouvel article L. 3122-32-1 prévoit que l’autorisation d’ouverture nocturne des commerces de détail dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente est soumise à la condition, qui existe déjà dans le droit commun du recours dérogatoire au travail de nuit prévue à l’article L. 3122-32, de justifier de l’objectif « d’assurer la continuité de l’activité économique ». La présente proposition de loi souhaite en effet que cette dérogation soit encadrée au maximum ; cette rédaction ne conduit toutefois pas à l’instauration d’un système dérogatoire dans les faits.

Le recours dérogatoire au travail de nuit mis en place par la présente proposition de loi doit en effet être strictement encadré, d’où le choix de retenir cette condition. Il apparaît toutefois que la jurisprudence récente ne reconnaît pas aux commerces de détail la possibilité de recourir au travail de nuit, estimant que cette condition n’est pas remplie dans leur cas. Autrement dit, cette condition fait échec à la possibilité pour les commerces de détail de recourir à une ouverture prolongée en soirée.

En effet, dès lors que la Cour d’appel estime que la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique, dans le cas de Sephora, n’est pas établie, « l’attraction commerciale liée à l’ouverture de nuit de l’établissement (….) ne constitu[ant] pas une nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique » , la présence d’une telle condition ne permet pas de répondre au problème spécifique rencontré par les commerces de détail situés dans des zones touristiques ou drainant un flux massif de population en soirée. La suppression de cette condition est donc indispensable pour rendre le dispositif opérant.

Votre rapporteur présente donc un amendement en ce sens, afin que les commerces de détail situés en zone touristique puissent recourir à une ouverture prolongée en soirée, de manière dérogatoire, sans pour autant que le recours au travail de nuit dans ce cadre ne déroge aux règles protectrices des droits de salariés qui sont par ailleurs posées par le code du travail. Autrement dit, « les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs », énoncés par l’article L. 3122-32, doivent de toute évidence demeurer une condition sine qua non au recours au travail de nuit, y compris dans ce cadre dérogatoire.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS1 de suppression de l’article, de M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Cet article, qui circonscrit l’ouverture la nuit à des zones spécifiques et en limite ipso facto l’intérêt pour les salariés, fait tout de même courir le risque que ce qui est exceptionnel finisse par se banaliser, à rebours du code du travail. C’est pourquoi je propose de le supprimer.

M. le rapporteur. Avis défavorable, en soulignant que l’argumentation de M. Sirugue est paradoxale. Oui, la proposition de loi est circonscrite aux zones où les comportements de consommation ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, où l’attractivité économique est en jeu.

M. Dominique Tian. Le sujet mérite mieux que la provocation systématique. Si vous êtes si hostile au travail de nuit, pourquoi le Parlement y recourt-il autant ? Être la première destination touristique du monde ne justifie-t-elle pas une exception ?

La Commission adopte l’amendement AS1.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS5 et AS6 deviennent sans objet.

Article 2
(Art. L. 3122-33 du code du travail)

Justification du recours au travail de nuit dans le cadre d’une convention ou d’un accord collectif

Le présent article tire les conséquences de l’instauration, par le nouvel article L. 3122-32-1 du code du travail, d’une modalité dérogatoire de recours au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente.

L’article L. 3122-33 du code du travail pose le principe de la mise en place négociée du travail de nuit ou de son extension à de nouvelles catégories de salariés, en les subordonnant à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement.

Le second alinéa de l’article L. 3122-33 dispose que « cette convention ou cet accord collectif comporte les justifications du recours au travail de nuit mentionnées à l’article L. 3122-32 », autrement dit, dans le droit actuel, « de la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ».

En conséquence de la mise en place, par un nouvel article L. 3122-32-1, d’une modalité de recours dérogatoire au travail de nuit dans les commerces de détail situés dans des zones touristiques ou d’animation culturelle, le présent article propose que la convention ou l’accord collectif qui préside à la mise en place du travail de nuit dans ce cas comporte également les justifications du recours au travail de nuit.

Quand bien même la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ne serait pas exigée dans ce cas, conformément à l’amendement présenté par votre rapporteur à l’article premier de la présente proposition de loi, il n’en demeure pas moins essentiel que les commerces de détail qui seraient, dans ces zones, autorisés à ouvrir en nocturne, justifient en interne les raisons qui les amènent à mettre en place une nouvelle amplitude horaire. Il semble légitime que ces raisons fassent l’objet d’un consensus au sein de la branche, de l’entreprise ou de l’établissement, dans le cadre approprié de la négociation collective.

*

Contre l’avis défavorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement AS2 de suppression de l’article, de M. Christophe Sirugue.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Article 3
(Art. L. 3122-36-1 [nouveau] du code du travail)

Possibilité de recours dérogatoire au travail de nuit après référendum

Le présent article insère un nouvel article L. 3122-36-1 dans le code du travail, prévoyant que dans le cas des commerces de détail situés dans des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, le recours au travail de nuit puisse être autorisé le cas échéant après approbation des salariés, par référendum, d’une décision unilatérale de l’employeur.

Cette voie de recours au travail de nuit est aménagée par dérogation aux deux modalités actuelles de mise en place du travail de nuit, autrement dit, par la voie négociée (article L. 3122-33) ou, en cas d’échec, sur autorisation de l’inspecteur du travail. Dans ce second cas, l’inspecteur du travail s’assure au préalable que l’employeur a sérieusement et loyalement engagé des négociations pour la mise en place d’un tel accord et vérifie les contreparties accordées aux salariés sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale.

Le présent article prévoit que dans le cas des commerces de détail situés en zone touristique ou d’animation culturelle dont le périmètre est fixé par arrêté préfectoral, l’autorisation d’ouverture puisse être demandée sur le fondement d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum. Cette procédure s’inspire de celle qui a été mise en place par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 dans le cadre du recours dérogatoire au travail dominical dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE) ou dans le cas d’une autorisation préfectorale d’ouverture prise en raison du caractère préjudiciable au public de la fermeture le dimanche ou d’une fermeture qui compromettrait le fonctionnement normal de l’établissement.

L’exemple du référendum d’approbation de la décision unilatérale de l’employeur
de recourir au travail dominical

Dans le cas d’une autorisation préfectorale d’ouverture dominicale d’un établissement dont la fermeture serait préjudiciable au public ou qui compromettrait le fonctionnement normal dudit établissement d’une part, dans le cas d’une ouverture dominicale prise par un commerce de détail situé dans une commune touristique ou thermale ou dans une zone touristique ou d’animation culturelle d’autre part, l’article L. 3132-25-3 du code du travail prévoit que l’autorisation d’ouverture est accordée au vu d’un accord collectif ou, à défaut, d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum.

Cette modalité a été aménagée en 2009 dans l’hypothèse où aucun accord collectif ne peut être envisagé, quelles qu’en soient les raisons : soit en raison de l’absence d’accord des représentants des employeurs et des salariés pour engager une telle négociation, soit en raison de l’échec de la négociation éventuellement engagée, soit parce que la conclusion d’un accord de niveau supérieur se révèle inapplicable dans l’entreprise ou l’établissement concerné, soit en raison de difficultés propres à un établissement de petite taille pour mener à bien un processus de négociation collective, etc.

Cet article soumet une telle décision unilatérale de l’employeur à des règles de forme et de fond :

– s’agissant de la forme, cette décision doit être précédée de l’avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu’ils existent, puis être approuvée par un référendum qui aura été organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical ;

– s’agissant du fond, la décision de l’employeur approuvée par référendum doit fixer à la fois les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d’emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

De manière à laisser ouverte la possibilité de la conclusion d’un accord collectif dans toutes les hypothèses, le dernier alinéa de cet article L. 3132-25-3 prévoit que, dans la situation où un accord collectif régulièrement négocié interviendrait postérieurement à la décision unilatérale de l’employeur prise selon la procédure précitée, cet accord s’appliquera dès sa signature en lieu et place des contreparties prévues par cette décision.

Le présent article s’inspire de cette démarche pour instaurer une modalité dérogatoire de mise en place du travail de nuit dans un commerce de détail situé en zone touristique : en l’absence d’accord collectif lorsque la conclusion d’un tel accord n’est pas possible, l’autorisation préfectorale d’ouverture pourrait être accordée sur le fondement d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum. Si la rédaction proposée ne détaille pas les règles précises encadrant cette prise de décision, il serait logique qu’elles soient peu ou prou les mêmes que celles qui prévalent aujourd’hui dans le cadre du recours au travail dominical, autrement dit, que la décision de l’employeur soit précédée de l’avis des institutions représentatives du personnel et qu’elle comporte les contreparties accordées aux salariés appelés à travailler sur des horaires de nuit, que ce soit ponctuellement ou régulièrement.

S’agissant de la question de savoir si le référendum doit être organisé auprès de l’ensemble des salariés de l’établissement ou de l’entreprise ou des seuls salariés concernés, la première option semble devoir être privilégiée, contrairement au dispositif qui prévaut dans le cadre du recours au travail dominical, où le référendum est organisé auprès des seuls salariés concernés. Lors des auditions menées par votre rapporteur, plusieurs interlocuteurs ont en effet soulevé les difficultés qu’il y a à organiser un référendum auprès d’une partie seulement des salariés, en l’occurrence, de ceux qui seraient concernés par le travail de nuit.

Pour des raisons pratiques tout d’abord : il n’est pas évident que les salariés en question soient identifiés en amont. En effet, la mise en place du travail de nuit s’effectue dans la plupart des cas à partir d’un appel à volontariat des salariés ; or, il peut sembler discutable de ne consulter que les salariés qui se seraient a priori manifestés comme étant volontaires.

Ensuite, le recours au travail de nuit dans une entreprise ou un établissement est, pourrait-on dire, « l’affaire de tous » : il modifie en profondeur le mode de fonctionnement de l’entreprise, son organisation, et de ce point de vue là, on peut légitimement considérer qu’il concerne tous les salariés, et pas seulement les salariés qui seront amenés à travailler en soirée.

La consultation de l’ensemble des salariés semble donc, pour ces raisons, plus cohérente.

On rétorquera que cela revient à laisser décider l’ensemble des salariés, qui ne seront pas tous concernés par des changements d’horaires, pour les salariés directement touchés par ces changements : néanmoins, tel est également le cas dans le cadre de la négociation d’un accord. On ne négocie jamais avec une partie seulement des représentants des salariés, mais avec l’ensemble de leurs représentants.

Le recours à une consultation directe des salariés présente néanmoins l’avantage de permettre un éventuel recours à une ouverture tardive, en dépit par exemple de l’opposition d’une organisation syndicale majoritaire dans l’entreprise, si et dans la mesure où, une telle opposition ne refléterait pas l’opinion majoritaire des salariés sur cette question précise. Nul doute qu’un tel cas puisse se rencontrer dans les faits…

*

La Commission examine l’amendement AS3 de suppression de l’article, de M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. La proposition de loi remet en cause un des fondements du code du travail, selon lequel le recours au travail de nuit est subordonné à la conclusion préalable d’un accord collectif.

M. Dominique Tian. Le vote de la Commission ne menace-t-il pas tous les commerces de détail – et les emplois qu’ils représentent – qui restent ouverts la nuit et contribuent globalement à la sécurité de nos quartiers ?

M. Christophe Sirugue. Un commerce tenu par le commerçant lui-même est libre d’ouvrir comme bon lui semble. Il n’y aura aucun changement.

M. le rapporteur. Il n’y a pas de restriction à l’ouverture de commerces n’employant pas de salarié, en effet, mais il y a des supérettes et des supermarchés qui restent ouverts après 21 heures et que l’arrêt de la cour d’appel fragilisent. Le risque d’effet domino existe donc bel et bien. Avis défavorable.

M. Dominique Tian. Comment prétendre qu’une seule personne suffit pour ouvrir de 6 heures du matin à 11 heures du soir ? Vous poussez objectivement ces commerces à faire appel au travail au noir. Attention à ne pas mettre en péril ces commerces qui représentent des milliers d’emplois, qui facilitent en outre l’intégration des communautés.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé et les amendements AS7 et AS8 tombent.

Article 4
(Art. L. 3122-39-1 [nouveau] du code du travail)

Contreparties accordées aux salariés dans le cadre du recours dérogatoire
au travail de nuit

Le présent article insère un nouvel article L. 3122-39-1 dans le code du travail, pour prévoir la mise en place dans le cadre du recours dérogatoire au travail de nuit dans les commerces de détail situés en zone touristique, de contreparties au bénéfice des salariés : les commerces qui seraient dans ce cadre autorisés à ouvrir tardivement seraient tenus d’offrir aux salariés effectuant des horaires de soirée ou de nuit un complément de rémunération au moins égal à 30 % de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

Il s’agit là de répondre au souci de la protection des travailleurs amenés à effectuer des horaires de nuit. En effet, dans le droit actuel, le recours au travail de nuit ne fait pas l’objet d’une compensation salariale obligatoire : l’article L. 3122-39 dispose que les contreparties dont bénéficient obligatoirement les travailleurs de nuit prennent la forme d’un repos compensateur et, « le cas échéant », d’une compensation salariale qui peut être soit prévue par la convention ou l’accord collectif, soit offerte par l’employeur dès lors que la mise en place du travail de nuit se fait sur autorisation de l’inspection du travail.

Dès lors qu’est mise en place une dérogation au recours au travail de nuit dans les commerces de détail situés en zone touristique ou d’animation culturelle, il est légitime de prévoir la mise en place d’une compensation salariale obligatoire. Cette disposition s’inspire de celle qui prévaut dans le cadre du recours au travail dominical autorisé par arrêté préfectoral soit dans les périmètres à usage de consommation exceptionnel (PUCE), soit dans le cadre d’une fermeture qui serait préjudiciable au public ou qui compromettrait le fonctionnement normal d’un établissement, sur le fondement d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum. Dès lors qu’il n’existe pas d’accord collectif, la loi a prévu qu’en présence d’une décision unilatérale de l’employeur approuvée par les salariés, ceux-ci bénéficient de droit d’un repos compensateur et perçoivent, pour ce jour travaillé, une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

Le présent article s’inscrit dans la même logique s’agissant du recours dérogatoire au travail de nuit, en prévoyant que les salariés effectuant des horaires de nuit perçoivent un complément de rémunération au moins égal à 30 % de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

Dans la plupart des cas, la majoration de salaire aujourd’hui offerte à un salarié au titre des heures effectuées la nuit est comprise entre 15 % et 25 % du salaire horaire de jour.

Les dispositions prévues par le présent article sont en outre très volontaristes, ce point étant clairement apparu au cours des auditions menées par votre rapporteur. Rappelons en effet que dans le droit actuel, seuls bénéficient de contreparties sous forme de repos compensateur et seulement le cas échéant, sous forme de compensation salariale, les travailleurs de nuit au sens de l’article L. 3122-31 du code du travail, autrement dit les salariés qui accomplissent soit au moins deux fois par semaine trois heures de travail sur des horaires de nuit, soit les salariés qui accomplissent plus de 270 heures de travail par an sur des horaires de nuit. Ces contreparties ne concernent pas les salariés qui travaillent occasionnellement la nuit ou de manière épisodique : or, c’est le cas de nombreux commerces qui recourent au travail de nuit, celui-ci étant la plupart du temps organisé sur la base du volontariat, et par roulement.

En appliquant cette contrepartie salariale à l’ensemble des salariés dans le cadre du recours au travail de nuit dérogatoire dans les zones touristiques ou d’animation culturelle, le présent article entend confirmer le souci résolu d’encadrement qui anime la proposition de loi, par des mesures de contreparties fortes au bénéfice des salariés concernés.

*

La Commission est saisie d’un amendement de suppression de l’article, de M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. S’en tenir à des contreparties purement financières est une réponse insuffisante, surtout à un complément de rémunération de 30 % quand on sait que, lorsqu’il y a des condamnations, les structures intéressées se sont acquittées sans difficulté des amendes qui leur ont été infligées.

M. le rapporteur. Je m’étonne de voir le groupe socialiste, grand défenseur des avancées sociales, refuser un article qui, s’il était voté sans le reste de la proposition de loi, représenterait un réel progrès pour les salariés puisque la seule contrepartie au travail de nuit prévue par le code du travail est le repos compensateur, outre que cette rétribution ne se substituerait pas aux accords d’entreprise sur d’autres contreparties éventuelles. Avis défavorable.

M. Denys Robiliard. L’amendement de M. Sirugue est de conséquence puisque l’article L. 3122-39-1 renvoie à l’article L. 3122-32-1 qui vient d’être supprimé.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est supprimé et l’amendement AS9 devient sans objet.

Article additionnel après l’article 4

La Commission est saisie d’un amendement AS10 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement propose de compléter la proposition de loi par un volet renforçant les garanties des salariés, puisqu’il prévoit de recueillir l’assentiment écrit des salariés travaillant de nuit et de protéger ceux qui refuseraient de le faire.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La totalité des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, il n’y a pas lieu de mettre celle-ci aux voix.

ANNEXES

ANNEXE 1 : LISTE DES ZONES TOURISTIQUES D’AFFLUENCE EXCEPTIONNELLE OU D’ANIMATION CULTURELLE PERMANENTE
AU 31 MARS 2013

Source : ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie.

ANNEXE 2 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø Sephora France – Mme Marie-Christine Marchives, directrice générale France, Mme Marie-Agnès Penchaud, directrice des ressources humaines France, et M. Jean-Charles Blanchetot, directeur du magasin Sephora des Champs-Élysées

Ø Marionnaud – M. William Guillaume Koeberlé, directeur général

Ø Monoprix – M. Stéphane Maquaire, président du directoire, et Mme Cécile Cloarec, directrice des ressources humaines, de la communication et du développement durable

Ø Clic-P – Comité de liaison intersyndical du commerce parisien – M. Karl Ghazi, secrétaire général de l’union syndicale CGT commerce et services de Paris, M. Eric Scherrer, président du syndicat SECI-UNSA, Mme Kareen Soullier, secrétaire politique du syndicat SCID-CFDT, M. Willem Samson, secrétaire général adjoint du syndicat Sud commerces et services IDF, M. Sylvain Alias, secrétaire adjoint du syndicat Sud commerces et services IDF, M. Alexandre Torgomian, secrétaire général du syndicat SCID-CFDT et, Mme Françoise Mazalto, secrétaire adjointe du syndicat SCID-CFDT

Ø Audition commune des organisations syndicales :

– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Hervé Garnier, secrétaire national, et M. Thierry Trefert, secrétaire confédéral

– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Joseph Thouvenel ; vice-président en charge du dossier Emploi

– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Marie-Laurence Bertrand, membre du bureau confédéral, et Mme Michèle Chay, membre de la direction confédérale, secrétaire générale de la fédération du commerce et des services

Ø Audition commune des organisations patronales :

– Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), responsable des questions dominicales et nocturnes au Medef, Mme Dorothée Pineau, directrice générale adjointe en charge des pôles prospective, entrepreneuriat et croissance, sphère publique et droit de l’entreprise, et Mme Ophélie Dujarric, chargée de mission à la direction des affaires publiques

Ø Union du grand commerce de centre-ville (UCV) – M. Claude Boulle, président exécutif

Ø Représentants du personnel –  Sephora – M. Guillaume Martin, manager du magasin Sephora des Champs-Élysées, membre CFTC, M. Loïc Dusapin, manager caisse du magasin Sephora des Champs-Élysées, membre CFTC et élu CHSCT, et Mme Sandra Da Costa, employée de Sephora, déléguée syndicale nationale CFTC, membre du CE et déléguée du personnel

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