Nicolas, Anne, Théodule Changarnier

1793 - 1877

Informations générales
  • Né le 26 avril 1793 à Autun (Saône-et-Loire - France)
  • Décédé le 14 février 1877 à Paris (Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 4 juin 1848 au 26 mai 1849
Département
Seine
Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale législative
Mandat
Du 13 mai 1849 au 2 décembre 1851
Département
Somme
Régime politique
Assemblée Nationale
Législature
Mandat
Du 8 février 1871 au 7 mars 1876
Département
Somme
Groupe
Union des Droites

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 10 décembre 1875 au 14 février 1877

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative de 1848 et 1849, représentant à l'Assemblée nationale de 1871, sénateur inamovible de 1875 à 1877, né à Autun (Saône-et-Loire), le 26 avril 1793, mort à Paris, le 14 février 1877, il était le fils de Nicolas Changarnier qui avait été membre du Conseil des Cinq-cents et de Marie-Françoise Caillery.

« Culotte de peau et gants gris-perle, moustache de grognard et faux-toupet de Céladon, l'œil d'un Bugeaud et les grâces d'un Vestris, le cheval blanc de Lafayette et les gilets jaunes de Brummel, stick à la haute gomme, épaulettes aux mille fleurs, graine d'épinards à la bergamote. Est-ce un chef de bureau arabe qui part en guerre contre les Bédouins? Est-ce un abonné de l'Opéra qui prépare ses cambrures avant d'entrer au foyer de la danse ? Est-un vieux brave, est-ce un vieux beau? L'un et l'autre, je veux dire cet étonnant phénomène qui s'appelle « modestement » Changarnier en public, et poétiquement Théodule pour l'intimité. » Ainsi s'exprimait en 1875, un biographe parlementaire.

Elève de Saint-Cyr, Changarnier quitta l'école en 1815, avec le brevet de sous-lieutenant. Mais, par suite du licenciement général et de la paix forcée, Louis XVIII s'étant vu dans la nécessité d'utiliser les officiers qui commençaient à devenir trop nombreux, les « gardes du corps » furent rétablis, et le jeune Changarnier fut admis, comme issu de « bonne bourgeoisie » à entrer dans cette compagnie privilégiée. Il passa (janvier 1815) en qualité de lieutenant, au 60e de ligne, formé de la Légion départementale de l'Yonne, prit part à l'expédition d'Espagne en 1823, et revint capitaine au 1er régiment de la garde royale.

La révolution de 1830 le licencia, mais il offrit son épée au gouvernement nouveau et réclama du service. Envoyé en Afrique, il se distingua dans plusieurs affaires, notamment à l'expédition de Mascara, avec le 2e léger, devint chef de bataillon, montra du sang-froid et de la bravoure dans la campagne contre Achmet-Bey, et se signala surtout lors de la retraite de Constantine. Le grade de lieutenant-colonel au 10e de ligne fut sa récompense. Après de nouveaux faits d'armes dans l'expédition des Portes de fer, dans celles de Médéa, du col de Mouzaïa, de Cheliff, etc., il reçut les épaulettes de colonel, de général de brigade et de général de division. Ce dernier grade lui fut conféré, (août 1843), lorsqu'il eut achevé la soumission des tribus des environs de Tenez, qui soutenaient Abd-el-Kader. En 1847, il reçut le commandement de la division d'Alger des mains du duc d'Aumale, gouverneur général de l'Algérie.

Le jour ou la colonie apprit la révolution du 24 février 1848, Changarnier commença par offrir au prince de Joinville et au duc d'Aumale de les ramener d'Alger à Paris à la tête de l'armée. Les deux princes ayant refusé, le général quitta un instant l'épée pour la plume, et écrivit au gouvernement provisoire cette lettre historique:

« Je prie le gouvernement républicain d'utiliser mon dévouement à la France. Je sollicite le commandement de la frontière la plus menacée ; l'habitude de manier des troupes, la confiance qu'elles m'accordent, une expérience éclairée par des études sérieuses, l'amour passionné de la gloire, la volonté et l'habitude de vaincre, me permettront sans doute de remplir avec succès tous les devoirs qui pourront m'être imposés. Dans ce que j'ose dire de moi, ne cherchez pas l'expression d'une vanité puérile, mais le désir ardent de vouer toutes mes forces au salut de la République.
CHANGARNIER ».

Lamartine nomma le général ambassadeur à Berlin. Mais Changarnier, arrivé à Paris, déclina cet honneur en déclarant que son devoir lui commandait de veiller de plus près au salut de la République, et, de lui-même, il se mit, dans la journée du 16 avril, à la tête des forces dont disposait le gouvernement provisoire. Il accepta, pourtant, d'aller remplacer en Algérie, comme gouverneur, le général Cavaignac, qui venait siéger à la Constituante; il y resta seulement quelques semaines.

Elu lui aussi, le 4 juin 1848, grâce à l'appui du comité conservateur « de la rue de Poitiers », représentant de la Seine, par 105,537 voix (248,392 votants et 414,317 inscrits), lors du scrutin complémentaire d'où sortirent avec le sien les noms de Caussidière, Moreau, Goudchaux, Thiers, Pierre Leroux, Hugo, Louis Bonaparte, Lagrange et Proudhon, il reçut bientôt de Cavaignac, devenu chef du pouvoir exécutif, le commandement supérieur de la garde nationale de Paris, qu'il garda après l'élection présidentielle de décembre, et auquel même il joignit à deux reprises (9 janvier et 14 juin 1849) celui des troupes de la capitale, portées au chiffre de 100,000 hommes. Le général Changarnier devint alors une puissance. Favorable personnellement à l'opinion légitimiste, il vota, comme représentant, toujours avec la droite :

- pour le rétablissement du cautionnement et de la contrainte par corps,
- pour les poursuites contre Louis Blanc et Caussidière,
- contre l'abolition de la peine de mort,
- contre l'amendement Grévy,
- contre l'abolition du remplacement militaire,
- pour l'ordre du jour en l'honneur de Cavaignac,
- pour la proposition Rateau,
- pour l'interdiction des clubs,
- pour l'expédition de Rome, etc.

Les « anciens partis », très empressés alors auprès du général Changarnier, se plaisaient à voir en lui le « Monk » qui les débarrasserait de la République au profit de tel ou tel prétendant. Après l'avènement de L.-N. Bonaparte à la présidence, le général parut quelque temps disposé à soutenir, même contre la majorité de l'Assemblée, le pouvoir personnel de l'Elysée, et son attitude dans la journée du 29 janvier 1849 parut étrange au bureau de la Constituante. A l'insu de ce bureau, le général Changarnier avait pris, en raison du licenciement de la garde mobile, des mesures tout à fait exceptionnelles: le questeur Degousée vint se plaindre à la tribune de ce manque d'égards : « C'est avec étonnement, dit-il, que j'ai vu ce matin, l'artillerie et la cavalerie investir complètement le palais et ses abords... » L'affaire n'eut d'ailleurs pas de suites.

Le 13 mai 1849, Changarnier fut réélu représentant à l'Assemblée législative par deux départements : celui de Seine-et-Oise, où il passa le 2e sur 10, avec 55,227 voix (96,950 votants, 139,436 inscrits), et celui de la Somme, où il arriva le 4e sur 12, avec 85,491 voix (106,444 votants, 169,321 inscrits). Il opta pour la Somme. Nommé par les conservateurs, il continua de se montrer, à l'Assemblée et au dehors, l'adversaire des institutions républicaines; mais en faveur de quelle monarchie allait-il se déclarer? « Fin, spirituel, gouailleur, réservé cependant dans ses discours, il jouait, a-t-on dit, le rôle d'un don Juan galonné entre la Charlotte royaliste et la Mathurine orléaniste. »

Le président de la République estima bientôt qu'il n'avait plus besoin de son appui, et, le 2 janvier 1851, un journal ami de l'Elysée attaqua le général et chercha à exciter contre lui la majorité parlementaire. Un cousin du président, M. Jérôme Bonaparte, dénonça à la tribune l'attitude équivoque du commandant de la garde nationale, et proposa un ordre du jour de blâme contre lui. Le général se justifia aisément, et l'Assemblée, sans attendre les explications promises par le ministre de la guerre, adopta un ordre du jour de confiance. Il en résulta que le ministre de la guerre et, après lui, tous ses collègues, donnèrent leur démission. Peu de jours après, le double commandement du général Changarnier était divisé : l'armée de Paris était confiée au général Baraguey-d'Hilliers, et le commandement de la garde nationale donné au général Perrot (10 janvier 1851). Ce coup d'autorité souleva à l'Assemblée un violent débat. Baroche, parlant au nom du gouvernement, déclara la guerre à la majorité, et la conclusion fut un ordre du jour par lequel l'Assemblée refusait sa confiance au cabinet (18 janvier). Le cabinet se retira, et le Président n'en pouvant prendre un autre ni dans la majorité ni dans la minorité, composa un ministère « d'affaires » (24 janvier). L'Assemblée songea alors, pour sa propre sécurité, à confier au général sacrifié le commandement éventuel des troupes destinées à la protéger ; mais la proposition « des questeurs », destinée à donner à son président le droit de requérir la force armée, échoua, et Changarnier, qui avait jeté du haut de la tribune un défi au Coup d'Etat, déclarant « que l'on ne trouverait pas un bataillon, pas une compagnie pour inaugurer l'ère des Césars », et qui avait terminé par la célèbre apostrophe : « Mandataires de la France, délibérez en paix ! » ne put rien pour prévenir ni pour empêcher l'acte du 2 Décembre.

Au matin de cette journée, il fut enlevé de son entresol de la rue Saint-Honoré, et conduit à Mazas, où il passa quelques jours. Banni par un décret du 9 janvier 1852, le général résida en Belgique, à Malines. Un décret de mai 1852 ayant imposé le serment à tous les fonctionnaires et à tous les militaires, le général Changarnier adressa, le 10 mai, au ministre de la guerre, une lettre curieuse, dans laquelle il relatait ses états de service, et ajoutait : « J'ai donné ma main à Louis-Napoléon pour en faire un président, non un empereur; il a tenté bien souvent de me faire dévier de la ligne droite que je m'étais tracée... tous les genres de séduction ont été impuissants. Le serment que le parjure qui n'a pu me corrompre prétend exiger de moi, je le refuse. »

Il rentra en France à l'amnistie de 1859, et se retira dans ses propriétés de Saône-et-Loire. Lors de la campagne de 1870, il offrit de nouveau ses services, et demanda au gouvernement impérial un commandement en chef qui ne lui fut pas accordé. Il se contenta alors d'un rôle militaire tout platonique, celui de conseiller. Napoléon III l'ayant appelé, le 8 août, à son quartier général de Metz, il s'y rendit, resta auprès de Bazaine quand ce dernier eut pris la direction des opérations, assista aux combats autour de la ville, et prit part à toutes les négociations qui précédèrent la capitulation du 27 octobre.

Prisonnier de guerre en Allemagne, Changarnier revint après l'armistice, et fut élu le 8 février 1871, représentant à l'Assemblée nationale par trois départements : la Gironde (99,198 voix sur 132,349 votants et 207,101 inscrits), le Nord (138,145 voix sur 262,927 votants, 326,440 inscrits) et Saône-et-Loire (69,519 voix). Il opta pour Saône-et-Loire, alla siéger à la droite de l'Assemblée, et reprit un rôle politique assez actif. Il vota avec la majorité conservatrice:

- pour la paix,
- pour les prières publiques,
- pour l'abrogation des lois d'exil,
- pour le pouvoir constituant de l'Assemblée, etc.,

soutint le gouvernement du 24 mai, et combattit l'établissement définitif de la République. Dans la séance du 29 mai 1871, à propos d'une pétition relative à la capitulation de Metz, il pria ses collègues « de ne pas laisser un odieux soupçon peser sur des hommes qui furent de glorieux généraux. » Plus tard, il se rallia, cependant, au projet d'enquête sur la capitulation. A l'occasion des poursuites contre les députés journalistes qui avaient publié des articles que la majorité de l'Assemblée jugeait injurieux pour elle, il réclama à leur égard « l'amnistie du dédain ». L'ordre du jour qu'il proposa, et qui contenait ce mot, fut adopté le 11 mars 1872. Son témoignage dans le procès en diffamation intenté par le général Trochu au Figaro fit quelque bruit vers la même époque. Dans les premiers temps de la législature, le général passait fréquemment ses soirées chez le chef du pouvoir exécutif, son ami de vingt ans; mais s'étant avisé de lui demander le maréchalat, il s'attira de la part de Thiers un refus qu'il ne lui pardonna pas. Thiers allégua les tristesses de notre situation militaire, la difficulté de créer de nouveaux dignitaires; puis, en face de sollicitations plus pressantes, produisit une délibération négative du conseil des ministres. « Le bâton de maréchal, impitoyablement refusé, fut, écrivit plaisamment un biographe, une des causes déterminantes du 24 mai et du bon tour que joua le général Théodule à son vieil ami Adolphe, « le tour du bâton. » Après avoir été mêlé à un violent incident de la discussion de la loi sur l'armée, où il reprocha à Denfert-Rochereau d'avoir habité une casemate de Belfort pendant le siège de la place, et où il échangea avec le colonel d'amères paroles (29 mai 1872), Changarnier figura au nombre des délégués de la droite chargés de signifier à Thiers leur mise en demeure (20 juin); puis il interpella le gouvernement sur le discours de Gambetta à Grenoble, et attaqua directement le chef du pouvoir (novembre). Ce fut encore à son initiative que l'on dut l'interpellation (mai 1873) signée par 330 députés de la droite sur la récente formation d'un ministère qui inclinait vers le centre gauche : cette interpellation amena la chute de Thiers, le 24. Tout dévoué à la politique « de combat » suivie par M. de Broglie, il l'appuya de son mieux, et s'occupa en même temps avec zèle des préparatifs de fusion ainsi que du projet de constitution monarchique élaboré par les chefs de la droite, en attendant le succès définitif de leurs espérances : M. Changarnier était membre du comité des Neuf. En présence du refus nettement exprimé par le comte de Chambord d'adhérer aux transactions qui lui étaient soumises, le général Changarnier proposa de confier pendant dix ans le pouvoir exécutif à M. de Mac-Mahon, puis il se rallia à la combinaison du Septennat (novembre 1873). Il remporta son dernier triomphe oratoire en décidant ses collègues à prendre des vacances de quatre mois : dans un langage bucolique, il leur rappelait la douceur des frais ombrages et des plages tièdes, et citait, avec une légère inexactitude, le vers du poète latin : Ducere sollicitae jucunda otia (sic) vitae.
Changarnier vota contre les lois constitutionnelles. Le 10 décembre 1875, il fut élu sénateur inamovible par l'Assemblée nationale avec 365 voix sur 690 votants. Il fit partie jusqu'à sa mort de la droite du Sénat, et manifesta une dernière fois son éloignement pour les idées démocratiques en présidant le comité central conservateur qui combattit, d'ailleurs sans succès, les candidatures républicaines aux élections législatives de 1876. Il succomba (février 1877) à une attaque d'apoplexie séreuse. Ses obsèques furent célébrées aux Invalides. Retraité avec le grade de général de division, le 4 août 1852, il était, en outre, depuis le 5 avril 1849, grand officier de la Légion d'honneur.