Audition du général François LECOINTRE, Chef d’état-major des Armées

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Communiqué de presse 

Communiqué de presse
vendredi 17 juillet 2020

 

Audition du général François LECOINTRE, Chef d’état-major des Armées :

« Accélérateur de la dégradation du contexte international, la crise COVID 19 doit nous inciter à ne pas baisser la garde et à continuer à nous préparer à un engagement majeur. »

 

Le Chef d’état-major des armées, le général François LECOINTRE, a été auditionné à huis clos par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale le jeudi 16 juillet 2020 sur « l’analyse des conséquences stratégiques et militaires de la crise Covid, vision des perspectives qu’elle dessine ». 

Dans ses propos liminaires, la Présidente de la commission, Françoise DUMAS, a d’abord tenu à rendre hommage à l’engagement des armées dans la lutte contre le Covid-19. 

Le Chef d’état-major des armées a d’abord rappelé que, malgré la crise, les armées ont maintenu leur engagement opérationnel sur le territoire national et l’ont même augmenté en opérations extérieures.

L’opération Résilience qui a mobilisé jusqu’à 4200 hommes au plus fort de la crise, a mis en évidence la réactivité des armées et l’efficacité de l’organisation territoriale de la chaîne interarmées de défense. Les armées ont fait preuve de grandes capacités d’adaptation, de réactivité et d’innovation, comme en témoignent la mobilisation sur court préavis d’hélicoptères des armées aptes à l’évacuation sanitaire, une déclinaison du kit Morphée sur l’A400M ou encore le déploiement des Eléments Mobiles de Réanimation. Le dialogue civilo-militaire permanent, conduit à l’échelon zonal ou local a permis d’adapter systématiquement les moyens mis en œuvre par les armées. Parallèlement, les armées ont maintenu leur engagement opérationnel sur le territoire national : opération Sentinelle, postures de protection, posture de dissuasion nucléaire. 

Au niveau international, la crise de la COVID-19 a agi comme un « accélérateur et un révélateur des tensions préexistantes ». Le CEMA s’est dit particulièrement inquiet quant aux développements observés aux portes de l’Europe. Les tensions en Méditerranée, dont l’instabilité politique en Libye constitue le cœur, sont un point d’intérêt croissant. Au Sahel, où la situation politique au Mali est jugée préoccupante, les armées ont su se montrer à la hauteur de l’impulsion donnée au sommet de Pau malgré la COVID-19. Une attention particulière est portée sur les risques de contagion de la menace terroriste. La mise en place de la Task force Takuba et le prolongement du mandat de la MINUSMA montrent que l’action diplomatique et militaire n’a pas faibli. 

L’engagement français au Proche et Moyen-Orient, dans le cadre de l’opération Chammal notamment, permet à la France de jouer un rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme et dans l’appui aux forces irakiennes, et ce alors qu’on assiste à une résurgence de Daech. En Asie-Pacifique enfin, la stratégie d’alliances se met progressivement en place, en réponse à l’attitude de moins en moins complexée de la Chine. 

Pour le général François LECOINTRE, la crise de la COVID-19 permet de tirer certains enseignements stratégiques.

Cette crise a d’abord précipité le déclin du multilatéralisme, qui s’est traduit par une marginalisation de l’Europe et une certaine solitude de la France. La politique du fait accompli est davantage banalisée, comme le montrent les actions récentes de la Turquie dans le nord-est syrien ou en Méditerranée. On assiste à un délitement général de l’architecture de sécurité, avec le risque pour les pays européens d’en être de simples spectateurs. Or, pour le général François LECOINTRE, « le multilatéralisme comme mode de gestion pacifique des conflits ne peut être préservé que si l’Europe en porte la cause ». Dans un tel contexte, la France doit se préparer à l’éventualité d’un conflit de haute intensité.

Cette crise a également accéléré l’extension des champs de la conflictualité : durcissement d’une part, avec des adversaires qui accèdent à des capacités militaires de haute technologie (stratégies de déni d’accès par exemple) et confirmation de nouveaux espaces de confrontation (exo-atmosphérique, cyber et informationnel).

La dimension sanitaire constitue enfin un nouveau facteur de crise globale qui a bouleversé les grands équilibres au sein des Etats et accentué le repli sur soi. Le risque sanitaire a révélé la vulnérabilité des bases arrières des armées, construites, ces dernières décennies, sur un modèle de corps expéditionnaire agissant à partir d’une zone où la sécurité et le fonctionnement normal de l’Etat étaient garantis. 

Le général François LECOINTRE a ensuite évoqué des scénarios possibles au regard des évolutions actuelles. En premier lieu, la possibilité d’un grand conflit ne peut être écartée.

Deux autres scénarios émergent. Le premier est celui d’une dégradation sécuritaire dans les marges européennes, causée par « l’aventurisme nationaliste d’États puissances » ou à cause d’un Etat qui ne parviendrait pas à contenir sa situation interne. Le second est celui d’une multiplication des zones grises et des stratégies hybrides, favorisée par le repli militaire américain et l’exacerbation des tensions avec la Chine, la Russie, l’Iran, la Turquie. Ces scénarios, ou une combinaison des deux, renforcent l’importance de convaincre les partenaires européens de la nécessité de d’une culture stratégique commune et d’une moindre dépendance vis-à-vis d’acteurs tiers. Les armées jouent un rôle majeur dans ce domaine par le biais d’actions de coopération et par la conduite de missions opérationnelles avec les partenaires européens. 

En conclusion, le CEMA a réaffirmé sa vision stratégique qui consiste à « affermir la singularité militaire en modernisant notre outil de défense, vers un modèle d’armées complet apte au combat dans tous les champs, disposant d’une masse suffisante, d’une organisation résiliente, de la complétude des capacités, qui lui permettent d’assumer toutes ses fonctions à la fois dans la guerre et dans la crise. » 

A l’issue de l’audition, Françoise DUMAS a souligné l’importance de construire une Europe de la défense pour consolider la sécurité sur le continent. Elle a indiqué qu’elle prendra des initiatives pour développer une meilleure compréhension entre pays européens et favoriser une culture stratégique commune, notamment avec l’Allemagne. 

 

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