Compte-rendu analytique de la séance du 4 septembre 1870 (après le départ du Président du Corps législatif)

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4 septembre 1870

Corps Législatif

Session extraordinaire de 1870

Compte-rendu analytique de la séance du 4 septembre 1870
(après le départ du Président du Corps législatif)

par M. Maurel-Dupeyré, Chef des Secrétaires-Rédacteurs.

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Journée du 4 septembre 1870

(Envahissement du Corps Législatif)

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Suite inédite de la séance.

Le compte-rendu analytique de la Séance du 4 septembre, publié le lendemain, dans tous les journaux, avec ma signature, comme à l'origine, se terminant ainsi :

(A trois heures, la salle est tout à coup envahie par la porte du fond, qui fait face à la tribune des orateurs. Des députés, présents dans la salle, se lèvent et essaient de s'opposer à cet envahissement ; mais leurs efforts, qui retiennent un moment la foule, sont bientôt impuissants, et la salle est complètement envahie, d'une manière tumultueuse. Des cris de : Vive la République ! se font entendre).

M. le président. - Toute délibération étant impossible dans ces conditions, je déclare la séance levée.

Il est trois heures.

(M. le président quitte le fauteuil ; la foule couvre le bureau, se presse à la tribune et remplit complètement la salle.)

Le chef des secrétaires-rédacteurs,

(1) MAUREL-DUPEYRE

(1) Le petit Journal officiel, en reproduisant le Compte-rendu analytique de la Séance, le lendemain, en a altéré, comme suit, un passage tout en y laissant ma signature : 

(A 3 heures, la salle est tout à coup envahie par la porte du fond, qui fait face à la tribune des orateurs. Des députés, présents dans la salle, se lèvent et essayent de s'opposer à cet envahissement ; devant leurs observations, la foule s'arrête et se maintient aux portes de l'assemblée).

M. le président Schneider. Toute délibération étant impossible dans ces conditions, je déclare la séance levée.

Il est trois heures.

(M. le président quitte le fauteuil ; la foule couvre le bureau, se presse à la tribune et remplit complètement la salle.)

Le chef des secrétaires-rédacteurs,

(1) MAUREL-DUPEYRE

(1) Resté à ma place au Bureau, au milieu de la foule, longtemps après le départ de M. le Président Schneider et jusqu'au départ des Députés de Paris pour l'Hôtel de Ville, j'ai continué à prendre note des paroles qui ont été prononcées à la tribune lorsque la Séance était officiellement levée. Voici cette partie inédite du Compte-rendu, telle que je l'ai rédigé le lendemain matin : ) 

[Version manuscrite : Document 1 - Document 2] 

Une grande agitation succède au départ du Président.

Il ne reste dans la salle que quelques députés, presque tous de l'extrême gauche.

M. Gambetta, à la tribune, et s'adressant à la foule : Citoyen, attendu que la patrie est en danger ; que nous avons donné tout le temps nécessaire à la représentation nationale pour délibérer sur la déchéance ; que nous constituons le seul pouvoir régulier, issu du suffrage universel : - je déclare que Louis Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé d'exercer les pouvoirs qui lui avaient été conférés (applaudissement dans la salle et dans les tribunes ; cris de : Vive la République !

M. Lefébure, député, au milieu du bruit : C'est à la nation seule qu'il appartient de décider.

Voix dans la foule : Le peuple demande la République ! (oui ! oui ! - Bruits)

(Des gardes nationaux, avec leurs fusils, entrent par les couloirs dans la salle. Plusieurs se placent debout autour du fauteuil vide du Président).

M. Jules Favre se présente à la tribune.

Cris : - Laissez parler Gambetta ! Vive Gambetta !

Autres voix. Parlez ! Parlez ! (Bruits)

M. Jules Favre. Citoyens, vous ne voulez pas la guerre civile ? (non ! non !) Et bien ! un gouvernement provisoire va aller à l'Hôtel de Ville. Il prendra en mains les destinées du pays, il combattra l'étranger, il marchera avec vous, et chacun de ses membres se fera tuer, jusqu'au dernier, pour repousser l'invasion (applaudissements).

Voix dans la foule. Proclamez la République ! (agitation bruyante. La tribune est envahie par cinq ou six personnes à la fois qui se la disputent sans pouvoir s'y maintenir. Le bureau est couvert de gardes nationaux et de citoyens, la plupart armés. M. Gambetta et d'autres personnes s'efforcent de contenir la foule.)

M. Jules Favre, toujours à la tribune : Je vous en conjure, ne provoquez pas de scènes sanglantes (non ! non !). Ne forcez pas de braves soldats, qui pourraient être égarés par leurs chefs, à tourner contre vous des armes qui ne doivent être employées que contre l'étranger. Restons unis dans la pensée de la démocratie. Nous ne pouvons pas proclamer la République ici ... (si ! si ! - Il faut la proclamer ! - agitation.) Mais elle est proclamée de fait ... (Vive la République !

Cris nombreux : à l'Hôtel de Ville ! (Un certain nombre de personnes quittent la Salle, mais la foule y augmente, loin de diminuer, le courant de ceux qui entrent toujours comblant, et au-delà, les vides.)

M. Jules Favre, continuant dans le bruit : Nous consulterons le peuple, et quand le peuple aura été consulté, la République sera proclamée ... Le gouvernement provisoire va se rendre à l'Hôtel de Ville ...

De toute parts. A l'Hôtel de Ville ! Vive la République !

M. Gambetta. La République ! Et à l'Hôtel de Ville ! (oui ! oui ! - applaudissements.)

Plusieurs voix. On ira à l'Hôtel de Ville après. Qu'on la proclame d'abord ici !

(Un écriteau portant les mots : à l'Hôtel de Ville ! - est attaché à une baïonnette et élevé en l'air. Les cris : à l'Hôtel de Ville ! augmentent ; une partie de la foule s'écoule au dehors, mais la Salle des Séances reste encore pleine et tumultueuse. On jette hors des pupitres les papiers des députés.

Le Président avait quitté le fauteuil à 3 heures. A 5 heures, la situation est encore à peu près la même. Un grand nombre de gardes nationaux, leurs fusils entre les jambes, sont assis sur les banquettes des députés.

Jusqu'à onze heures du soir, l'occupation de la salle par la foule, hommes, femmes, gardes nationaux en uniforme, continue. On fume partout, on mange. Cette foule, malgré toutes les invitations qui lui sont adressées par des employés de l'administration du Corps législatif, refuse de sortir ; elle croit que les députés vont essayer de se réunir de nouveau dans la Salle, si elle est évacuée. Ils étaient alors réunis dans la Salle à manger de l'hôtel de la Présidence. A onze heures, M. Glais-Bizoin vient annoncer qu'un gouvernement est formé à l'Hôtel de Ville, que le Corps législatif est dissous et qu'il ne peut plus se réunir. Alors seulement la foule se décide à se retirer, et la Salle des Séances est fermée.

Le Chef des Secrétaires-rédacteurs.

Maurel-Dupeyré