Séance de nuit du 4 septembre 1870

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4 septembre 1870

Corps législatif

Session extraordinaire de 1870

Séance de nuit du 4 septembre 1870

(Nuit du samedi au dimanche)

PRÉSIDENCE DE S. EXC. M. SCHNEIDER.

SOMMAIRE. - Allocution de M. le président. - Communication de M. le ministre de la guerre. - Dépôt d'une proposition par M. Jules Favre.

La séance est ouverte à une heure du matin.

M. le Président Schneider. (Profond silence.) Messieurs les députés, une nouvelle douloureuse m'a été annoncée dans la soirée. Président élu de la Chambre, j'avais un devoir à remplir vis-à-vis d'elle comme vis-à-vis de la nation : j'ai dû vous convoquer, répondant d'ailleurs en cela au voeu que m'avaient formulé un grand nombre de députés appartenant à toutes les fractions de la Chambre.

La seule responsabilité que je n'aurais pas voulu accepter était celle qu'aurait pu entraîner pour moi, devant le pays, tout retard dans cette convocation, qui est conforme aux engagements que j'avais pris vis-à-vis de vous.

Je donne la parole à M. le ministre de la guerre pour faire une déclaration à la Chambre.

Son Exc. M. le comte de Palikao, ministre de la guerre. Messieurs les députés, j'ai la douloureuse mission de vous annoncer ce que mes paroles de ce matin avaient pu vous faire pressentir, ce que j'espérais encore n'être qu'une nouvelle officieuse, et qui, malheureusement, est devenue une nouvelle officielle.

L'armée, après d'héroïques efforts, a été refoulée dans Sedan ; elle a été environnée par une force tellement supérieure qu'une résistance était impossible. L'armée a capitulé et l'Empereur a été fait prisonnier.

Voilà la triste nouvelle que j'avais à vous donner.

En présence de ces événements si graves et si importants, il ne nous serait, pas possible, à nous ministres, d'entamer ici une discussion relative aux conséquences sérieuses qu'ils doivent entraîner. Par conséquent, nous demandons que la discussion soit remise à demain. Vous comprendrez que nous n'avons pas pu nous entendre entre nous, car on est venu m'arracher de mon lit pour m'annoncer qu'il y avait une séance de nuit.

M. le Président Schneider. La Chambre a entendu la proposition de M. le ministre de la guerre : le ministre déclare que le ministère n'est pas actuellement en position de délibérer.

Or, la gravité d'une crise exceptionnelle où toutes les douleurs sont accumulées, les grands devoirs que la Chambre a à remplir et qu'elle remplira dans leur plénitude, l'immense responsabilité qui pèse sur elle lui paraîtront peut-être exiger de mûres délibérations.

Dans cette situation, la Chambre a, dans sa sagesse, à apprécier si elle croit ou ne croit pas devoir remettre la délibération à demain.

Voix nombreuses. Oui ! Oui ! À demain !

M. le Président Schneider. Dans ces conditions, je consulte la Chambre...

M. Gambetta. Ah ! permettez, monsieur le président !

M. le Président Schneider. Je ne demande pas de vote. Je demande seulement à la Chambre, comme c'est mon devoir, ici elle ne croit pas que ce soit une chose sage de remettre la délibération à demain midi.

Un membre à droite. Oui, d'autant plus que plusieurs de nos collègues n'ont pas été prévenus de la séance de cette nuit.

Voix nombreuses. A demain ! à demain !

M. Jules Favre. Je demande la parole pour le dépôt d'une proposition.

M. le Président Schneider. La parole est à M. Jules Favre.

M. Jules Favre. Si la Chambre est d'avis que, dans la situation douloureuse et grave que dessine suffisamment la communication faite par M. le ministre de la guerre, il est sage de remettre la délibération à midi, je n'ai aucun motif pour m'y opposer ; mais, comme nous avons à provoquer ses délibérations sur le parti qu'elle a à prendre dans la vacance de tous les pouvoirs, nous demandons la permission de déposer sur son bureau une proposition que j'aurai l'honneur de lui lire, sans ajouter, quant à présent, aucune observation.

Nous demandons à la Chambre de vouloir bien prendre en considération la motion suivante :

« Art. 1er. - Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie sont déclarés déchus des pouvoirs que leur a conférés la Constitution.

« Art. 2. - Il sera nommé par le Corps législatif une commission de Gouvernement composée de... » - Vous fixerez, messieurs, le nombre de membres que vous jugerez convenable dans votre majorité... qui sera investie de tous les pouvoirs du Gouvernement et qui a pour mission expresse de résister à outrance à l'invasion et de chasser l'ennemi du territoire»

« Art. 3. - M. le général Trochu est maintenu dans ses fonctions de gouverneur général de la ville de Paris.

« Signé : Jules Favre, Crémieux, Barthélemy Saint-Hilaire, Desseaux, Garnier-Pagès. Larrieu, Gagneur, Steenackers, Magnin, Dorian, Ordinaire, Emmanuel Arago, Jules Simon, Eugène Pelletan, Wilson, Ernest Picard, Gambetta, le comte de Kératry, Guyot-Montpayroux, Tachard, Le Cesne, Rampont, Girault, Marion, Léopold Javal, Jules Ferry, Paul Bethmont. »

Je n'ajoute pas un mot. Je livre, messieurs, cette proposition à vos sages méditations, et demain, ou plutôt aujourd'hui dimanche, à midi, nous aurons l'honneur de dire les raisons impérieuses qui nous paraissent commander à tout patriote son adoption. (Mouvements divers.)

M. Pinard (du Nord). Nous pouvons prendre des mesures provisoires ; nous ne pouvons pas prononcer la déchéance.

M. le Président Schneider. La Chambre, je le répète, a maintenant à apprécier, dans les circonstances actuelles, elle doit délibérer immédiatement, ou si, après les paroles de M. le ministre de la guerre, il lui convient de s'ajourner à demain midi.

M. le marquis de Piré. Non pas demain, monsieur le Président, mais aujourd'hui dimanche, à midi, car il est maintenant minuit passé.

M. le Président Schneider. Oui, aujourd'hui, car il est maintenant plus de minuit. Une voix. Il est même plus d'une heure.

M. le Président Schneider. Bien autre chose n'étant à l'ordre du jour, je déclare la séance levée.

(La Chambre se sépare à une heure vingt minutes du matin.)

Le directeur du service sténographique,
CÉLESTIN LAGACHE.

_______________________

Séance de jour du 4 septembre 1870

PRÉSIDENCE DE S. EXC. M. SCHNEIDER.

SOMMAIRE. - Lecture du procès-verbal : MM. Glais-Bizoin, de Jouvencel, Raspail. - Motion d'ordre présentée par M. le comte de Kératry : M. le ministre de la guerre. - Projet de loi, présenté par M. le ministre de la guerre, relatif a l'Institution d'un conseil de gouvernement et de défense nationale : M. Jules Favre. - Proposition de M. Thiers, tendant à nommer une commission de gouvernement et de défense nationale : MM. le ministre de la guerre, Gambetta, Jules Favre. - Déclaration de l'urgence pour le projet de loi du Gouvernement et pour les propositions présentées par MM. Jules Favre et Thiers. - Retrait dans les bureaux. - Suspension de la séance. - Reprise de la séance. MM. Crémieux, Gambetta, le président Schneider et Girault.

La séance est ouverte à une heure et un quart.

M. Peyrusse, l'un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier et de la séance de nuit.

M. Glais Bizoin. Je demande la parole sur le procès-verbal.

M. le Président Schneider. La parole est à M. Glais-Bizoin sur le procès-verbal.

M. Glais Bizoin. C'est pour dire à la Chambre que c'est par erreur que mon nom n'a pas été mis au bas de la proposition de l'honorable M. Jules Favre. Je considère la déchéance, non pas comme notre dernière, mais comme notre première planche de salut.

M. Raspail. Je demande également que mon nom soit inscrit au bas de la proposition de M. Jules Favre.

M. de Jouvencel. Je fais la même demande.

M. Raspail. C'est par un inconcevable oubli que mon nom ne se trouve pas au bas de la proclamation de déchéance. Cette proclamation, c'est la seule ressource qui reste à la France pour se sauver. (Bruits divers. - Assentiment à gauche.)

M. le marquis de Piré. Je proteste contre vous !

M. le Président Schneider. Il n'y a pas d'autre observation sur le procès verbal ?... Le procès-verbal est adopté.

La parole est à M. le ministre de la guerre, qui l'a demandée.

M. le comte de Kératry. J'ai demandé la parole avant le ministre de la guerre.

M. le Président Schneider. Permettez-moi de vous dire ou plutôt de vous rappeler qu'aux termes du règlement, quand un ministre demande la parole, il doit l'obtenir immédiatement.

M. Emmanuel Arago. C'est pour une motion d'ordre, et une motion d'ordre a toujours la priorité.

M. le comte de Kératry. Messieurs, la dignité du pays, la dignité de la Chambre, qui est le seul pouvoir qui représente la nation, veut que nous soyons gardés, non par des gardes de Paris et par des sergents de ville, mais par la garde nationale. (Rumeurs. - Oui ! oui ! à gauche.)

Je m'étonne donc que M. le comte de Palikao, ministre de la guerre, ait donné des ordres contraires à ceux du général Trochu, et, par conséquent, je suis obligé de dire que M. le ministre de la guerre a forfait à ses devoirs. (Vive approbation à gauche.)

Au centre et à droite. Allons donc !

Une voix : A l'ordre !

S. Exc. M. le général comte de Palikao, ministre de la guerre. Messieurs, je désire que personne ne manque à ses devoirs plus que moi, et je vais vous expliquer, monsieur le député, la position qui est faite à M. le général Trochu et celle qui m'est faite à moi.

M. le comte de Kératry. J'ai parlé au nom de l'opposition.

M. le ministre de la guerre. L'opposition !... Je ne connais pas d'opposition dans cette Chambre, je ne connais que des députés.

Au centre. Très bien ! très bien !

M. Le Cesne prononce, au milieu du bruit, des paroles qu'il est impossible de saisir,

M. le Président Schneider. J'avoue que je ne comprendrais pas, au moins dans ce que j'ai entendu, qu'il y ait lieu, pour le Président, d'appliquer ici une observation.

M. le ministre. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une distinction de pouvoirs à établir de M. le général Trochu au ministre de la guerre, distinction de pouvoirs parfaitement reconnue et parfaitement admise par M. le général Trochu lui-même. Tout ce qui concerne la défense de Paris, toutes les troupes qui font partie soit de l'enceinte soit des forts, tout cela est sous la direction du général Trochu, et je lui en laisse la libre disposition. (Interruptions diverses.)

Permettez ! Laissez-moi achever... (Nouvelles interruptions.)

Les interruptions ne me font rien ; elles ne m'empêcheront pas de dire la vérité et ce qui est. (Très bien !)

Les troupes qui sont en dehors de la défense - et tout le monde le comprendra, - restent constamment dans les mains du ministre de la guerre.

Comment pourrait-il en être autrement ? Il y a des opérations de guerre qui sont à faire ; j'ai des troupes, des corps d'armée à qui j'ai une mission secrète à faire remplir, et il faudrait que j'allasse consulter M. le général Trochu pour disposer des troupes qui sont dans mon commandement et dans mon commandement exclusif. Cela n'est pas possible, et M. le général Trochu l'a, encore une fois, parfaitement reconnu lui-même.

Je n'ai pas, je crois, messieurs, à m'expliquer plus longuement sur ce point.

M. Jules Favre. Et la garde nationale ?

M. Esquiros. Nous demandons que la Chambre soit gardée par la garde nationale.

M. Barthélemy Saint-Hilaire. Je demande à dire un mot.

M. le Président Schneider. Tout à l'heure, monsieur Barthélemy Saint-Hilaire. La parole est en ce moment à M. le ministre.

M. Barthélemy Saint-Hilaire. C'est sur l'incident, monsieur le Président. (Bruit.)

M. le Président Schneider. La parole est au ministre, et on ne peut interrompre personne, pas plus un ministre qu'un orateur député, pendant qu'il est à la tribune et qu'il a la parole.

Vous aurez la parole après M. le ministre de la guerre, sur l'incident.

M. le ministre de la guerre. Messieurs, le maintien de l'ordre dans Paris est confié non seulement à M. le générai Trochu, mais à M. le commandant de la place de la première division militaire, qui en rend compte à M. le général Trochu.

Ce n'est donc pas moi qui dispose des troupes à ces destinées, et je n'ai pas à disposer de la garde nationale.

Maintenant, messieurs, de quoi vous plaignez-vous ? Que je vous fais la mariée trop belle ? (Exclamations et réclamations à gauche.)

Comment ! je mets autour du Corps législatif un nombre de troupes suffisant pour assurer parfaitement la liberté de la discussion, et vous vous en plaignez ! Si je n'en mettais pas, vous vous plaindriez que je livre le Corps législatif à des pressions extérieures. (Très bien ! très bien ! au centre. - Rumeurs à gauche.)

M. Raspail. Mais la garde nationale !

M. le ministre. Mais l'armée, messieurs, est une troupe nationale. (Oui! oui ! au centre. - Nouvelles rumeurs à M. Ernest Picard. Nos questeurs seuls doivent commander ici.

M. le ministre. Je n'ai pas autre chose à dire.

Quand je suis monté à cette tribune, je ne m'attendais pas à avoir à répondre aux interpellations qui viennent de m'être faites. Je venais, au milieu des circonstances douloureuses dont je vous ai rendu compte hier, - circonstances que l'avenir peut encore aggraver, bien que nous espérions le contraire, - vous dire que le Gouvernement avait cru devoir apporter certaines modifications aux conditions actuelles du gouvernement, et qu'il m'a chargé de vous soumettre un projet de loi ainsi conçu :

« Article 1er. - Un conseil de Gouvernement et de défense nationale est institué. Ce conseil est composé de cinq membres. Chaque membre de ce conseil est nommé à la majorité absolue par le Corps législatif.

« Art. 2. - Les ministres sont nommés sous le contreseing des membres de ce conseil. »

M. Jules Favre. Par qui nommés ?

M. le ministre. Par les membres du conseil.

« Art. 3. - Le général comte de Palikao est nommé lieutenant général de ce conseil.

« Fait au palais des Tuileries... »

Un membre à gauche. Qu'est-ce que cela veut dire ?...

Plusieurs membres. L'urgence.

M. le ministre. Oui, je demande l'urgence.

M. le marquis d'Andelarre. Nous demandons l'urgence et le renvoi immédiat dans les bureaux.

M. Barthélemy Saint-Hilaire. J'avais réclamé la parole sur l'incident.

M. le Président Schneider. M. le ministre de la guerre vient de demander l'urgence sur son projet.

M. Jules Favre. Je demande la parole sur la question d'urgence.

M. le Président Schneider. Une demande d'urgence vient d'être faite ; mais M. Barthélemy Saint-Hilaire avait réclamé la parole sur l'incident.... (Mouvements en sens divers.) Je la lui donne avant de consulter la Chambre sur l'urgence.

M. Barthélemy Saint-Hilaire. J'y renonce ; les circonstances sont trop graves. Discutons le projet.

M. le Président Schneider. Alors la parole est à M. Jules Favre.

M. Jules Favre. Je demande à la Chambre la permission de préciser la situation qui lui est faite par le dépôt du projet de loi soumis par le Gouvernement à ses délibérations.

Dans la séance de cette nuit, nous avons eu l'honneur d'en déposer un sur le même sujet.

Si la Chambre veut voter l'urgence en ce qui concerne le projet de loi du Gouvernement, nous demandons également l'urgence, avec priorité pour notre projet à nous, puisque le dépôt de notre projet a précédé celui du projet du Gouvernement.

Il semble que la logique le veut ainsi à un double titre : d'abord parce que, prévoyant la situation exceptionnelle que reconnaît aujourd'hui après nous le Gouvernement, nous avons déposé notre projet les premiers, et en second lieu, parce que notre projet donne à la Chambre un pouvoir plus étendu que celui qui lui serait conféré par le projet du Gouvernement.

C'est là, messieurs, le double motif qui me fait demander à la Chambre qu'il soit procédé à un vote sur l'urgence de notre projet avant qu'elle soit consultée sur l'urgence du projet de loi du Gouvernement. (Assentiment à gauche.)

Plusieurs membres. Il faut les renvoyer tous deux à la même commission.

M. le Président Schneider. Avant de consulter la Chambre sur l'urgence de l'un ou l'autre de ces deux projets, je crois devoir donner la parole à M. Thiers, qui, je pense, aune autre proposition à soumettre également à la Chambre. (Ecoutez ! écoutez !)

M. Thiers. Je demande, messieurs, que la proposition que je vais avoir l'honneur de vous lire soit traitée comme le seront celle de M. Jules Favre et celle du Gouvernement.

Mes préférences personnelles étaient pour le projet présenté par mes honorables collègues de la gauche, parce que, à mon avis, il posait nettement la question, dans un moment où le pays a besoin d'une très grande clarté dans la situation...

A gauche. C'est vrai ! - Très bien ! Très bien !

M. Thiers. Mais comme je mets au-dessus de mes opinions personnelles le grand intérêt de l'union qui, au milieu du grave péril où nous sommes placés, peut seul améliorer notre situation... (Très bien ! très bien !), peut seul nous donner, devant l'ennemi qui s'approche, l'attitude qu'il convient que nous ayons.... (Très bien !), j'ai fait abstraction de mes préférences, et, quoiqu'il ne me soit jamais arrivé de faire des propositions, j'en ai aujourd'hui formulé une dont j'ai soumis la rédaction à plusieurs membres pris dans toutes les nuances de cette Chambre, - la lecture des noms vous le prouvera. - La rédaction que j'ai préparée, et qui est appuyée, autant que je puis en juger au premier coup d'oeil, par quarante-six ou quarante-sept députés de toutes les parties de la Chambre, cette rédaction, la voici :

« Vu les circonstances, la Chambre nomme une commission de gouvernement et de défense nationale.

« Une Constituante sera convoquée dès que les circonstances le permettront.

« Signé : Thiers, de Guiraud, Lefèvre-Pontalis, marquis d'Andelarre, Gévelot, Millet, Josseau, baron de Benoist, Martel, Mangini, Bournat, Baboin, duc de Marinier, Johnston, Le Joindre, vicomte Monier de la Sizeranne, Chadenet, Goërg, Quesné, Houssard, comte de Durfort de Civrac, de la Monneraye, Mathieu (Corrèze), Chagot, baron Alquier, baron d'Yvoire, Terme, Boduin, Dessaignes, Paulmier, baron Lesperut, Carré Kérisouët, Monjaret de Kerjégu, Rolle, Roy de Loulay, Viellard-Migeon, Germain, Le Clerc d'Osmonviile, Pinart... »

M. Pinard (du Nord). Pinart, du Pas-de-Calais !

M. Glais Bizoin. Oh ! pas vous, nous le savons !

M. Thiers, continuant... Perrier, Guillaumin, Calmètes, Planat, Buisson, baron Eschasseriaux, Durand, baron de Barante, Descours.

M. de Guiraud. Monsieur le président, je demande la priorité pour cette proposition.

M. Glais Bizoin. Non, non ! elle porte : « Vu les circonstances... », au lieu de prononcer formellement la déchéance.

M. le Président Schneider. La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre. Je n'ai qu'un mot à dire : c'est que le Gouvernement admet parfaitement que le pays sera consulté lorsque nous serons sortis des embarras pour lesquels nous devons réunir tous nos efforts. (Mouvements divers.)

M. le Président Schneider. Trois propositions sont soumises à la Chambre, qui toutes trois ont trait aux circonstances actuelles. Elles ont au moins cela de commun que, sur les unes et sur les autres, l'urgence est demandée, et je crois devoir consulter la Chambre successivement sur l'urgence des trois. (Interruptions sur quelques bancs.)

M. Gambetta. Non ! non ! Je demande la parole sur la position de la question.

M. le Président Schneider. Permettez, monsieur Gambetta ! Je craindrais qu'il n'y eût confusion, et si le président laissait s'établir cette confusion, il manquerait à son devoir.

Il est évident que la Chambre doit être consultée successivement sur chacune des propositions...

M. Gambetta. Je demande la parole sur la position de la question.

M. le Président Schneider. Vous avez la parole sur la position de la question.

M. Gambetta. Il est certain que la proposition que nous avons eu l'honneur de déposer hier sur le bureau de la Chambre, qui est la proposition de déchéance pure et simple, ne saurait, sans un véritable déni de justice et de surprise parlementaire, manquer d'être admise, au même titre que les deux autres propositions, à la déclaration d'urgence. (Mouvements en sens divers.)

Par conséquent, ce que je demande à la Chambre, c'est de prononcer l'urgence en bloc sur les trois propositions.

Voix nombreuses. Oui ! oui !

M. le Président Schneider. Du moment que, par son assentiment, la Chambre , consent à être consultée sur les trois propositions simultanément, la responsabilité du Président est dégagée, et, dès lors, il peut consulter la Chambre sur l'urgence des trois propositions par un seul vote. (Très bien ! très bien !)

M. Jules Favre. Je demande à faire une observation. (Bruit.)

M. le Président Schneider. M. Jules Favre a la parole.

M. Jules Favre. Voici l'observation que je voulais faire, et je suis sûr qu'elle est conforme au sentiment de la Chambre.

Ce n'est pas seulement sur l'urgence que je demande que la Chambre soit consultée, mais sur le renvoi collectif aux bureaux... (Approbation.)

M. le Président Schneider. C'est une question qui sera posée comme conclusion du vote sur l'urgence.

Je consulte la Chambre sur l'urgence.

(La Chambre, consultée, prononce l'urgence des trois propositions).

M. le Président Schneider. Je consulte maintenant la Chambre pour le renvoi collectif des trois propositions dans les bureaux.

Un membre à gauche. A la même commission ?

M. le Président Schneider. Sans doute, à la même commission, puisque j'ai dit le renvoi collectif.

(La Chambre, consultée, prononce le renvoi des trois propositions aux bureaux à fin de renvoi à une même commission)

Un membre. De combien de membres sera la commission ?

M. le Président Schneider. Je crois qu'il y a lieu, à raison de l'urgence, de nommer une commission de neuf membres... (Oui ! oui !), et je propose à la Chambre de se réunir immédiatement dans les bureaux.

La séance publique sera reprise aussitôt que le Président aura été informé que la commission a terminé son travail. (Marques générales d'assentiment.)

La séance est suspendue.

(Il est une heure quarante minutes.)

REPRISE DE LA SÉANCE

Dans l'intervalle de la suspension, la foule, stationnant sur le pont de la Concorde et devant la façade du Palais-Bourbon, envahit la cour, les couloirs et les escaliers de la Chambre, et se précipite dans les tribunes publiques en poussant le cri : « La déchéance ! » mêlé aux Cris : « Vive la France ! Vive la république ! »

Il est deux heures et demie passées.

Douze ou quinze députés seulement sont dans la salle.

M. le comte de Palikao, ministre de la guerre, est au banc du Gouvernement.

M. le président Schneider monte au fauteuil et s'y tient longtemps debout en attendant que le calme et le silence s'établissent dans les tribunes.

M. Crémieux, s'adressant au public des tribunes. Mes chers et bons amis, j'espère que vous me connaissez tous, ou qu'au moins il y en a parmi vous qui peuvent dire aux autres que c'est le citoyen Crémieux qui est devant vous.

Eh bien, nous nous sommes, nous, les députés de la gauche... (Bruit.) Nous nous sommes, les membres de la gauche et moi, engagés, vis-à-vis de la majorité...

M. le marquis de Grammont. La majorité, elle est aveugle !

M. Crémieux. ... vis-à-vis de la Chambre, à faire respecter la liberté de ses délibérations. (Interruptions et cris indistincts.)

Voix dans les tribunes. Vive la république !

M. Gambetta se présente à la tribune à côté de M. Crémieux, dont la voix ne parvient pas à dominer le bruit qui se fait dans les galeries.

Cris redoublés. La déchéance ! Vive la République !

M. Gambetta. Citoyens......, (Silence ! silence !) dans le cours de l'allocution que je vous ai adressée tout à l'heure durant la suspension de la séance, nous sommes tombés d'accord qu'une des conditions premières de l'émancipation d'un peuple, c'est l'ordre et la régularité. Voulez-vous tenir ce contrat ?... (Oui ! oui !) Voulez-vous que nous fassions des choses régulières ? (Oui ! oui !)

Puisque ce sont là les choses que vous voulez, puisque ce sont là les choses qu'il faut que la France veuille avec nous... (Oui ! oui !), il y a un engagement solennel qu'il vous faut prendre envers nous et qu'il vous faut prendre avec la résolution de ne pas le violer à l'instant même : cet engagement, c'est de laisser la délibération qui va avoir lieu se poursuivre en pleine liberté.

Dans les tribunes. Oui ! Oui !

(De nouveaux groupes pénètrent dans les tribunes du premier rang et notamment dans celle des sénateurs.)

Un drapeau tricolore portant l'inscription : « 73e bataillon, 6e compagnie, 12e arrondissement, » est arboré et agité par un des nouveaux venus.)

M. Gambetta. Citoyens, un peu de calme !

Dans les circonstances actuelles...

Quelques voix. La République ! la République !

M. Gambetta. Dans les circonstances actuelles, il faut que ce soit chacun de vous qui fasse l'ordre, il faut que dans chaque tribune chaque citoyen surveille son voisin. (Bruit.)

Vous pouvez donner un grand spectacle et une grande leçon. Le voulez-vous ? Voulez-vous que l'on puisse attester que vous êtes à la fois le peuple le plus pénétrant et le plus li­bre ? (Oui ! oui ! - Vive la République !)

Eh bien, si vous le voulez, je vous adjure d'accueillir ma recommandation. Que, dans chaque tribune, il y ait un groupe qui assure l'ordre pendant nos délibérations. (Bravos et applaudissements dans presque toutes les tribunes.)

Le travail de la commission chargé de l'examen des propositions de déchéance et de constitution provisoire du Gouvernement s'apprête, et la Chambre va en délibérer dans quelques Instants.

Un citoyen dans une des tribunes. Le Président est à son poste ; il est étrange que les députés ne soient pas au leur. (Bruit. - Ecoutons ! écoutons !)

M. le Président Schneider. Messieurs, M. Gambetta, qui ne peut être suspect à aucun de vous, et que je tiens, quant à moi, pour an des hommes les plus patriotes de notre pays, vient de vous adresser des exhortations au nom des Intérêts sacrés de la patrie. Permettez-moi de vous faire, en termes moins éloquents, les mêmes adjurations.

Croyez-moi, en ce moment la Chambre est appelée à délibérer sur la situation la plus grave. Elle ne peut que le faire dans un esprit conforme aux nécessités de la situation, et, s'il en était autrement, M. Gambetta ne serait pas venu vous demander de lui prêter l'appui de votre attitude. (Approbation mêlée de rumeurs dans les tribunes.)

M. Gambetta. Et j'y compte, citoyens !

M. le Président Schneider. Si je n'ai pas, quant à moi, la même notoriété de libéralisme que M. Gambetta, je crois cependant pouvoir dire que j'ai donné à la liberté assez de gages pour qu'il me soit permis de vous adresser, du haut de ce fauteuil, les mêmes recommandations que M. Gambetta. Comme lui, je ne saurais trop vous dire qu'il n'y a de liberté vraie que celle qui est accompagnée de l'ordre... (Très bien ! - Rumeurs nouvelles dans les tribunes.)

Je n'ai pas la prétention de prononcer ici des paroles qui conviennent à tout le monde...

Une voix dans les tribunes. On vous connaît !

M. le Président Schneider... mais j'accomplis un devoir de citoyen... (Interruption), en vous conjurant de respecter l'ordre dans l'intérêt même de la liberté qui doit présider à nos discussions. (Assentiment dans plusieurs tribunes. - Exclamations et bruit dans d'autres. - Interruption prolongée.)

Un député. Si vous ne pouvez obtenir le silence des tribunes, suspendez la séance, monsieur le Président!

(En ce moment, M. le comte de Palikao, ministre de la guerre, se lève et quitte la salle.)

Plusieurs députés, qui étaient rentrés en séance, imitent son exemple et sortent par le couloir de droite.

M. le Président Schneider se couvre et se retire du fauteuil sans quitter le palier auquel aboutissent les deux escaliers du bureau.

M. Glais Bizoin, se tournant vers les tribunes. Messieurs, on va prononcer la déchéance. Prenez patience ! attendez !

M. Girault. Je demande à dire deux mots. (Tumulte dans les tribunes.)

Vous ne me connaissez pas ? Je m'appelle Girault (du Cher). Personne n'a le droit de me tenir en suspicion. Je demande qu'il n'y ait aucune tyrannie. Le pays a sa volonté, il l'a manifestée. Ses représentants viennent de s'entendre ; ils sont d'accord avec lui. Laissez-les délibérer. Vous verrez que le pays sera content.

Ce sera la nation tout entière se donnant la main... Le voulez-vous ? Je vais les aller chercher ; ils vont venir, et le pays tout entier ne fera qu'un.

Il ne faut plus de partis politiques devant l'ennemi qui s'approche. Il faut qu'il n'y ait aujourd'hui qu'une politique, qu'une France, qui repousse l'invasion et qui garde sa souveraineté. Voilà ce que je demande. (M. Girault descend de la tribune qui reste inoccupée durant quelques minutes. - L'agitation et le tumulte vont croissant dans les galeries, où la foule se presse et se condense de plus en plus. La plupart des spectateurs sont debout et se hissent sur les banquettes.

MM. Steenackers et Horace de Choiseul montent auprès de M. le Président et s'entretiennent quelques instants avec lui.

MM. Gambetta et de Kératry paraissent en même temps à la tribune.

Plusieurs députés, MM. Glais-Bizoin, Planat, le comte d'Hesecques, Marion, le duc de Marmier, le comte Le Hon, Wilson, etc., quittent leurs places et, du pourtour, s'adressent aux citoyens qui sont dans les galeries. Quelques voix. Ecoutons Gambetta !

M. Gambetta. Citoyens... (Bruit), il est nécessaire que tous les députés présents dans les couloirs et sortant de leurs bureaux, où ils ont délibéré sur la mesure de la déchéance, aient repris place à leurs bancs et soient à leur poste pour pouvoir la prononcer.

Il faut aussi que vous, citoyens, vous attendiez, dans la modération et dans la dignité du calme, la venue de vos représentants à leur place, un est allé les chercher ; je vous prie de garder un silence solennel jusqu'à ce qu'ils rentrent. (Oui ! oui !) Ce ne sera pas long. (Applaudissements prolongés. - Pause de quelques instants.)

M. le comte de Palikao, ministre de la guerre, reparaît dans la salle et va se rasseoir au banc des ministres.

M. Gambetta. Citoyens, vous avez compris que l'ordre est la plus grande des forces. Je vous prie de continuer à rester silencieux. Il y va de la bonne réputation de la cité de Paris. On délibère et on va vous apporter le résultat de la délibération préparatoire.

Il va sans dire que nous ne sortirons pas d'ici sans avoir obtenu un résultat affirmatif. (Bravos et acclamations.)

(En ce moment, - il est trois heures, - irruption dans la salle d'un certain nombre de personnes qui forcent la porte du milieu et du haut de l'amphithéâtre, faisant face au bureau. Des députés essayent en vain de les refouler. La salle est envahie. On crie : Vive la République ! - Le tumulte est à son comble.)

M. le marquis de Piré, assis depuis quelques instants à l'un des bancs qui bordent l'hémicycle, se lève et se dirige vers la tribune en s'appuyant d'une main sur sa canne et en saisissant vivement de l'autre la rampe de l'escalier de gauche. Il est retenu par plusieurs de ses collègues, - M. le marquis de Grammont entre autres, -- qui s'efforcent de le faire renoncer à prendre la parole. L'honorable député d'Ille-et-Vilaine ne cède qu'après une assez vive résistance et qu'après s'être écrié : « J'avais un devoir à remplir. Je voulais protester contre ce qui se passe ! »

De nouveau M. le ministre de la guerre quitte le banc du Gouvernement et sort par le couloir de droite.

M. le Président Schneider. Toute délibération dans ces conditions étant impossible, je déclare la séance levée.

(Un grand nombre de gardes nationaux en uniforme ou sans uniforme entrent, l'arme au bras, dans la salle par les couloirs de droite et de gauche et par les portes du pourtour de l'amphithéâtre. Une foule bruyante et agitée s'y précipite en même temps, occupe tous les bancs, remplit tous les couloirs de travées et descend dans l'hémicycle, entourant la table des secrétaires-rédacteurs ainsi que les pupitres des sténographes, et criant : La déchéance ! la déchéance ! Vive la République !)

M. le Président Schneider quitte le fauteuil, descend lentement l'escalier de gauche du bureau et sort de la salle.

(Il est trois heures et quelques minutes.)

Le directeur du service sténographique,
Célestin Lagache.