Léon Gambetta (5 avril 1870)

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Léon Gambetta (1870) : Contre le plébiscite (5 avril 1870)

Léon Gambetta, qui proclama la République le 4 septembre 1870, est le père fondateur de la IIIe République. Né en 1838, il manifeste très tôt un don d'éloquence. Avocat, opposé au régime impérial, il est remarqué en octobre 1868 dans le procès de Charles Delescluze par sa facilité d'élocution et la puissance de sa voix. Il est élu député de Belleville autour du programme radical qui porte le nom de cet arrondissement de Paris. Assis à gauche du Corps législatif, il prend une part active aux débats parlementaires. Le 7 février 1870, il proteste contre l'arrestation d'Henri Rochefort. Il présente peu après un projet de loi sur l'admission dans les maisons d'aliénés. Le 5 avril, il prononce contre le plébiscite un discours retentissant.

   

        

Qu'est-ce que c'est que la souveraineté nationale ? Bien des gouvernements qui ne sont pas la République, bien des politiques qui appartiennent à des écoles différentes, ont dit, ont affirmé, ont prétendu qu'ils représentaient la souveraineté nationale ; qu'y avait-il de fondé dans leurs prétentions ?

Il n'y a moyen de se rendre compte de la légitimité de leurs prétentions qu'en examinant le fond même de l'idée de la souveraineté nationale. Pour moi, je la définis d'une façon expérimentale et je dis : la souveraineté nationale n'existe, n'est reconnue, n'est pratiquée dans un pays que là où le parlement nommé par la participation de tous les citoyens possède la direction et le dernier mot dans le traitement des affaires politiques. (Très bien ! à gauche.) S'il existe dans les constitutions, quelles qu'elles soient, qui ont la prétention de satisfaire le principe de la souveraineté nationale, un pouvoir quelconque qui puisse tenir le parlement en échec, la souveraineté nationale est violée. (Vif assentiment à gauche.) Ou bien il faut dire que le suffrage universel est en vérité bien gênant, il faut dire que l'on ne peut pas gouverner avec un pays où tous ont la prétention de se connaître aux affaires publiques, de s'y mêler et d'y peser pour leur part individuelle de souveraineté, quel que soit le degré de leurs lumières et de leur intelligence. En vérité, la politique va devenir tout à fait impossible ; et il se trouve pas mal d'hommes d'État assez enclins à prendre leur très réelle compétence, leur très vaste intelligence comme une fin de non-recevoir contre la participation du plus humble au droit et à la souveraineté politiques. (À gauche : très bien !)

Cela est vrai, mais cela est la négation de la souveraineté nationale. Eh ! bien, je vous dis que dans toute monarchie parlementaire et dans toute monarchie quelle qu'elle soit, même celles qui font semblant d'accepter le suffrage universel, la vérité, c'est qu'on ruse avec le suffrage universel, qu'on ne peut pas vivre directement avec lui, qu'on est obligé de l'enlacer, de l'entraver, de le diriger, de le corrompre, de l'exploiter, et que c'est là le moyen à l'aide duquel on vit ; mais il ne s'agit point des conditions de vie pour un gouvernement, il s'agit de souveraineté et de liberté pour les peuples. (Approbation à gauche.)