N° 2988 - Proposition de loi de M. Édouard Courtial visant à concilier lutte contre le tabagisme passif et maintien d'un tissu économique local




 

N° 2988

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à concilier lutte contre le tabagisme passif
et
maintien d'un tissu économique local,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Édouard COURTIAL

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi a pour objet de renforcer la prévention et la lutte contre le tabagisme passif, qui ferait, selon les estimations, 3 à 5 000 victimes par an dans notre pays, tout en prenant en considération les impératifs économiques et sociaux liés à l'existence d'un réseau sur tout notre territoire de cafés, hôtels, restaurants et bars-tabac.

C'est la raison pour laquelle elle pose tout d'abord le principe d'une interdiction totale de fumer dans tous les lieux fermés et couverts affectés à un usage collectif, ainsi que dans l'enceinte des établissements d'enseignement scolaire et d'éducation.

La France rejoindrait ainsi le concert des pays européens, qui ont déjà adopté une telle législation (Espagne, Irlande, Italie, Norvège, etc.) ou sont en train de le faire (Angleterre, etc.).

Du point de vue du droit comparé, on notera cependant qu'aucun de ces pays, hormis l'Irlande et la Norvège, n'a érigé d'interdiction totale et absolue de fumer dans les lieux publics, cette interdiction comportant quelques aménagements. Par exemple, l'Italie a opté pour des salles réservées aux fumeurs séparées physiquement des espaces accueillant des non-fumeurs dans les cafés ou restaurants. L'Espagne a, quant à elle, fixé, pour ces mêmes cafés et restaurants, un seuil de 100 m2 qui permet de déterminer si l'établissement en cause peut choisir un régime dérogatoire.

Ces aménagements soulignent l'absence de solution unique pour lutter efficacement contre les dangers du tabagisme passif. Ils témoignent aussi du fait que le législateur peut tenir compte des enjeux de santé publique, tout en étant pragmatique, et se montrer alors proportionné dans les mesures qu'il adopte.

Par rapport à la loi EVIN n° 91-32 du 10 janvier 1991, la présente proposition de loi est plus précise car elle caractérise mieux les lieux, en l'occurrence couverts et fermés, affectés à un usage collectif où il serait totalement interdit de fumer. En outre, elle rend « non fumeur » l'ensemble des bâtiments scolaires (dont les salles des professeurs) et tout lieu situé à l'intérieur d'une enceinte scolaire, ce qui recouvre notamment les préaux et cours de récréation. Les bâtiments ayant une finalité d'éducation, comme les centres de loisirs, et l'enceinte qui les abrite, seraient aussi concernés par l'interdiction totale de fumer.

Il reste que la prévention et la lutte contre le tabagisme passif ne doivent pas être l'occasion de promouvoir une loi contre les fumeurs ou les cafés, hôtels, restaurants et bars-tabac, mais bien une loi de santé publique.

À cet égard, s'il faut insister sur la protection des non-fumeurs contre les dangers du tabagisme passif, le législateur doit également être vigilant à la protection de la santé des personnels travaillant dans les établissements où sont servies des denrées alimentaires ou des boissons. De plus, il doit être attentif à ne pas créer des déséquilibres qui seraient préjudiciables tant du point de vue de la concorde civile (un quart des Français adultes fume) qu'au regard de la stabilité d'un secteur économique majeur dans notre pays, qui compte 180 000 établissements et 800 000 emplois.

Dans cet esprit, la présente proposition de loi n'exclut pas l'aménagement d'espaces réservés aux fumeurs dans les cafés, hôtels, restaurants, discothèques et bars-tabac, mais sous réserve que des conditions précises et strictement définies soient préalablement et cumulativement respectées par ces établissements.

Première condition : les salariés appelés à travailler dans les espaces réservés aux fumeurs doivent donner leur accord exprès et individuel. Il serait en effet contraire aux objectifs de santé publique que de les contraindre à travailler dans des espaces réservés fumeurs.

Seconde condition : ces espaces doivent couvrir une superficie inférieure à 30 p. cent de la surface totale mise à la disposition de la clientèle. Il s'agit là de la solution retenue en Espagne.

Troisième condition : les espaces réservés aux fumeurs ne sauraient être des lieux de passage obligé pour les autres clients de l'établissement. Cette condition est inspirée du modèle italien.

Quatrième condition : les espaces « fumeurs » doivent être séparés des autres espaces mis à la disposition de la clientèle, équipés d'un système d'aération ou d'extraction aux nonnes en vigueur et signalés de manière visible. L'installation d'une cloison physique entre fumeurs et non-fumeurs est prévue par la loi italienne. Selon un sondage réalisé par l'IFOP du 16 au 17 février 2006 pour l'UMIH (Union des Métiers des Industries Hôtelières), premier et principal syndicat de la profession, 87 % des personnes fréquentant les cafés/bars, restaurants et brasseries sont favorables à une telle séparation physique entre fumeurs et non-fumeurs.

Les propriétaires des établissements dont la superficie mise à la disposition de la clientèle est inférieure à 100 m2 seraient autorisés à choisir de faire de leurs locaux des lieux non fumeur ou fumeur, suivant en cela la solution retenue en Espagne. Selon le même sondage de l'IFOP pour l'UMIH, 68 % des personnes fréquentant les cafés/bars, restaurants et brasseries se déclarent favorables à un tel dispositif.

Dans les faits, avec ce seuil de 100 m2, il s'agit de laisser le choix aux propriétaires d'établissements, notamment ceux situés dans les zones rurales, afin qu'ils puissent décider de la politique qu'ils appliqueront, en fonction de la nature des activités exercées. Rappelons que les cafés, restaurants et bars-tabac dans les villages et centres-bourgs sont des lieux essentiels de vie et de convivialité, de liberté aussi. Une loi d'interdiction totale pourrait menacer bon nombre de ces commerces de proximité, qui jouent aussi, par leur maillage du territoire, un rôle essentiel de l'aménagement des territoires de l'espace rural.

En ce qui concerne les salariés des entreprises, il est suggéré que ces entreprises puissent se doter d'un espace séparé et fermé, réservé aux fumeurs, équipé d'un système d'aération ou d'extraction aux normes en vigueur, à la condition qu'aucun salarié ne soit tenu d'y travailler. En effet, il ne semble pas anormal, compte tenu de la proportion de fumeurs adultes dans la population française, de prévoir dans les entreprises l'aménagement de salles pour les fumeurs, dans des conditions qui permettent aux non-fumeurs de respirer un air pur, et évitent de contraindre les fumeurs à « s'exiler » sur les trottoirs.

Afin que tous les acteurs concernés aient le temps de se préparer à l'application de la nouvelle législation, il est proposé, comme dans la loi italienne, d'en différer l'entrée en vigueur de 18 mois suivant sa publication. Ce temps serait notamment mis à profit par le gouvernement et les professionnels pour mettre en œuvre une vaste campagne d'information auprès du public sur l'application prochaine de l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics, et permettre aux cafés, hôtels, restaurants et bars-tabac de prendre les dispositions nécessaires.

Une évaluation du dispositif serait effectuée par le gouvernement, qui, au terme de trois ans d'application, remettrait au Parlement un rapport sur le bilan de la loi.

Pour ces raisons, il vous est proposé d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article L. 3511-7 du code de santé publique est ainsi rédigé :

« Il est interdit de fumer dans tous les lieux fermés et couverts affectés à un usage collectif, ainsi que dans l'enceinte des établissements d'enseignement scolaire et d'éducation.

« Dans les locaux commerciaux où sont consommés sur place des denrées alimentaires ou des boissons, des espaces réservés aux fumeurs peuvent toutefois être aménagés, sous réserve que :

« - L'accord exprès et individuel des salariés travaillant dans ces espaces ait été préalablement recueilli ;

« - La surface de ces espaces soit limitée à 30 % de la surface totale mise à disposition de la clientèle ;

« - Ces espaces ne constituent pas des lieux de passage obligé pour les autres clients ;

« - Ils soient séparés des autres espaces mis à la disposition de la clientèle, équipés d'un système d'aération ou d'extraction aux normes en vigueur et signalés de manière visible.

« Les propriétaires de locaux commerciaux d'une surface totale mise à disposition de la clientèle inférieure à 100 mètres carrés qui souhaiteraient que leur établissement soit "fumeur" sont dispensés de la limitation mentionnée au quatrième alinéa, sous réserve que soit apposée à l'entrée de l'établissement, une signalisation précisée par décret, informant la clientèle que le lieu est totalement fumeur.

« Les entreprises peuvent se doter d'un espace séparé et fermé, réservé aux salariés fumeurs, équipé d'un système d'aération ou d'extraction aux normes en vigueur, à la condition qu'aucun salarié ne soit tenu d'y travailler. »

Article 2

La présente loi entre en vigueur dix-huit mois après sa publication.

Article 3

Le gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi un rapport relatif à l'application des dispositions prévues à l'article 1er, analysant leurs conséquences sur la prévention et la lutte contre le tabagisme passif. Ce rapport présente, en tant que de besoin, les adaptations paraissant nécessaires.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121050-1
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2988 - Proposition de loi visant à concilier lutte contre le tabagisme passif et maintien d'un tissu économique local (M. Edouard Courtial)


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