N° 3782 - Rapport d'information de M. Hervé Mariton déposé en application de l'article 146 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la mise en place de la taxe poids lourds




N° 3782

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2011

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

sur la mise en place de la taxe poids lourds

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Hervé MARITON

Député.

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INTRODUCTION 5

I.– TAXE POIDS LOURDS : UNE MISE EN œUVRE LONGUE ET DIFFICILE 7

A.– UNE IMPOSITION DE TOUTE NATURE 7

B.– CHAMP D’APPLICATION DE LA TAXE 7

1.– Taxe alsacienne 7

2.– Taxe nationale 8

C.– L’EXTERNALISATION DE LA GESTION : LE CHOIX D’UN PRESTATAIRE 10

D.– UN CALENDRIER DE MISE EN œUVRE RETARDÉ PAR UN CONTENTIEUX 11

E.– UNE RECETTE BRUTE ATTENDUE DE 1 200 MILLIONS D’EUROS 14

II.– COMPARAISONS INTERNATIONALES 16

A.– LE CAS ALLEMAND 16

1.– Une recette de près de 4 milliards d’euros sans aucun investissement du Gouvernement 16

2.– Toll collect, un système performant 16

3.– Un contrôle fiable et efficace 17

4.– Conversion écologique : le signal – prix ne suffit pas 17

5.– Un objectif et des résultats de report modal contestés 18

6.– Une acceptabilité conditionnée à la taxation des véhicules étrangers 18

B.– LE CAS SLOVAQUE 18

1.– Le système Sky toll 18

2.– Un système particulièrement adapté à un pays de transit 19

3.– Un dispositif fortement contesté notamment en raison de son coût 19

III.– DES LEÇONS À TIRER DES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES 20

A.– UNE CONCURRENCE PEU TRANSPARENTE MARQUÉE PAR DE NOMBREUX CONTENTIEUX 20

1.– Un retard dans la perception de la taxe que l’État fédéral allemand souhaite récupérer 20

2.– Un actionnariat opaque de Sky Toll source de nombreuses rumeurs 21

3.– Une concurrence faussée ? 23

B.– L’INTEROPÉRABILITÉ : UN ENJEU PAS SUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE 24

1.– Une réglementation européenne laissant une grande marge de manœuvre 24

2.– Interopérabilité technique et interopérabilité commerciale 26

C.– LES CONDITIONS D’UNE ACCEPTABILITÉ : CONTRÔLE NON DISCRIMINATOIRE ET AIDE À L’AMÉLIORATION DE LA PERFORMANCE ÉCOLOGIQUE 26

1.– Le contrôle ne doit pas défavoriser le pavillon français 26

2.– Permettre au transport routier français de gagner en compétitivité 27

a) Le fret ferroviaire ne pourra pas remplacer la route 27

b) Apporter une aide aux transporteurs nationaux 27

D.– TIRER LES CONSÉQUENCES DU REPORT DE TRAFIC INDUIT PAR LA MISE EN PLACE DE LA TAXE POIDS LOURDS 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL 35

INTRODUCTION

Dans un univers mondialisé, la capacité à transporter des marchandises est une condition du développement des économies. Le fret routier, transport fiable, souple et à faible coût, reste le mode de transport principal. Le transport routier qui représentait 70 % du total en France en 1985, en représentait 83 % en 2008. Ce développement s’explique également par le développement des échanges intracommunautaires. La France est incontestablement un pays de transit.

L’usage de la route entraîne cependant un certain nombre d’effets indésirables, qui ne comportent pas de coûts immédiatement chiffrés pour les usagers, et appelés « externalités » : émission de gaz à effet de serre, pollution de l’air, congestion des routes, accidents, bruits. La notion d’internalisation des externalités est donc simple en apparence : il s’agit de faire en sorte que le transport routier supporte l’ensemble de ses coûts. Le même raisonnement est à la base de la taxe poids lourds ; plus généralement, il inspire la plupart des analyses économiques relatives au développement durable.

L’idée sous-jacente à ce raisonnement est d’inspiration libérale, ses promoteurs estiment que le rétablissement des coûts véritables des différents modes de transport – la SNCF faisant observer que les usagers de la route n’acquittent pas de péages pour l’utilisation des infrastructures non autoroutières – conduirait à une concurrence plus loyale et induirait un redéploiement vers les modes de transports les moins polluants.

Il s’agit donc d’une mesure incitative mais qui ne peut trouver sa pleine efficacité qu’accompagnée des investissements nécessaires notamment dans les infrastructures ferroviaires.

Le montant des externalités est toutefois difficile à faire toucher du doigt tant il repose sur des éléments difficilement quantifiables. Leur prise en compte relève alors plus d’un choix politique que d’une mesure technique.

La prise en compte de données peu aisées à quantifier et à individualiser, tel que le coût de congestion, explique que le débat doctrinal en cours reste d’une grande complexité. L’exemple de la taxe carbone est à ce sujet, éclairant. Alors que les « experts » avaient valorisé la tonne de CO2 à 32 euros, le Gouvernement avait fait le choix de la fixer à 17 euros dans le projet de loi de finances pour 2010. L’arbitrage s’effectue donc entre l’efficacité de la mesure et son acceptabilité sociale.

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La mise en place d’une taxe poids lourds est une des mesures adoptées à la suite du Grenelle de l’environnement.

L’Allemagne et la Slovaquie fournissent deux exemples de mise en place d’une taxe sur les poids lourds, comme l’a constaté le rapporteur spécial, lors d’une mission à Berlin et à Bratislava, au cours de laquelle des informations précises ont été collectées auprès des pouvoirs publics, des transporteurs et des industriels chargés de la conception et de la collecte de la taxe.

Ces exemples européens doivent nous aider à apporter des réponses à différentes questions – acceptabilité, contrôle, affectation de la taxe. C’est l’objet du présent rapport.

I.– TAXE POIDS LOURDS : UNE MISE EN œUVRE LONGUE ET DIFFICILE

A.– UNE IMPOSITION DE TOUTE NATURE

Conformément aux conclusions du Grenelle de l’environnement, l’instauration de l’« écotaxe » kilométrique vise à faire payer aux poids lourds, grâce aux techniques modernes du télépéage pour la collecte des données d’assiette, l’usage du réseau routier national non-concédé – actuellement gratuit, et des routes départementales ou communales susceptibles de subir de ce fait un report significatif de trafic. Les objectifs visés sont les suivants :

– réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises, en pesant sur les choix modaux des chargeurs par l’imputation à ce mode de transport des coûts réels ;

– rationaliser à terme le transport routier sur les moyennes et courtes distances – par exemple réduire le nombre de déplacements à vide et augmenter la charge transportée, mieux répartir le trafic entre réseau concédé et non concédé, optimiser les processus de production de biens pour engendrer moins de transport ;

– dégager des ressources pour financer les nouvelles infrastructures nécessaires à la mise en œuvre de la politique durable de transport.

Dans cet esprit, les recettes de la taxe collectée sur le réseau routier national seront affectées à l’Agence de financement des infrastructures de France – AFITF tandis que celles issues des réseaux locaux, déduction faite des coûts de perception, iront aux collectivités territoriales gestionnaires des voiries taxées.

B.– CHAMP D’APPLICATION DE LA TAXE

1.– Taxe alsacienne

Le réseau sur lequel serait appliquée la taxe alsacienne est celui qui subit le report de trafic des autoroutes allemandes, à savoir l’autoroute A35 entre Lauterbourg et Mulhouse et les axes locaux parallèles (RD1083 et RD83), soit 190 kilomètres, dont 135 kilomètres de voies du réseau routier national. Le décret n° 2009-1589 fixant la consistance du réseau soumis à la taxe expérimentale alsacienne, établi sur les bases des délibérations des collectivités de l’été 2007, a été publié le 20 décembre 2009.

CODE DES DOUANES

Article 285 septies

(Loi nº 2006-10 du 5 janvier 2006 art. 27 Journal Officiel du 6 janvier 2006)

(Loi nº 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 art. 118 Journal Officiel du 31 décembre 2006)

I.– À titre expérimental dans la région Alsace et jusqu'au 31 décembre 2012, les véhicules de transport de marchandises seuls ou tractant une remorque et les ensembles articulés dont le poids total en charge autorisé ou le poids total roulant autorisé est égal ou supérieur à douze tonnes sont soumis, lorsqu'ils empruntent des autoroutes, routes nationales ou portions de routes appartenant à des collectivités territoriales pouvant constituer des itinéraires alternatifs à des axes autoroutiers à péage situés ou non sur le territoire douanier, à une taxe dont le montant est fonction du nombre des essieux du véhicule et de la distance parcourue sur lesdites voies.

Le retard pris dans la mise en œuvre de la taxe et donc de l’expérimentation alsacienne nécessitera une modification législative. En effet, la taxe alsacienne ne devrait pas être mise en place avant le premier trimestre 2013.

2.– Taxe nationale

La généralisation de cette taxe concernera l’ensemble des routes du réseau routier national actuel à l’exception des routes et ouvrages déjà soumis à péage et d’itinéraires à faible trafic ne faisant pas partie du réseau de transport européen, soit environ 10 500 kilomètres. Le décret n° 2009-1588 fixant la liste des itinéraires du réseau national exonérés pour « faible trafic » a été publié le 20 décembre 2009. Les routes des collectivités territoriales qui seraient susceptibles de subir un report significatif de trafic en provenance d’autoroutes à péage ou des routes soumises à cette taxe ou à des taxes analogues en vigueur dans des pays voisins, seront également soumises à la taxe. Ces routes seront définies par décret en Conseil d’État, après avis de leurs assemblées délibérantes.

La prise en compte de certaines routes des collectivités territoriales paraît indispensable parce qu’à défaut, on constaterait inévitablement dans certaines zones des reports de trafic non négligeables à la seule fin d’échapper au paiement de la taxe nationale. La situation de l’Alsace le montre, puisqu’elle subit actuellement un report de trafic important en provenance de l’Allemagne suite à l’instauration d’une taxe kilométrique dans ce pays (dite « LKW Maut »). Pour autant, la question des impacts économiques locaux, qui a occupé la majeure partie du débat parlementaire de fin 2008 conduit le Gouvernement à proposer dans une première étape un linéaire restreint de réseau local soit 2 000 km, le 24 août 2009. En réponse aux demandes de la majorité des conseils généraux, le Gouvernement a proposé le 6 mai 2010 une version actualisée du réseau taxable comprenant environ 15 000 km, dont près de 5 000 km de réseau local. Le décret fixant le réseau local sera adopté d’ici la fin de l’année.

La taxe alsacienne est applicable uniquement aux véhicules de transport de marchandises de 12 tonnes et plus, par symétrie avec le péage mis en place sur les autoroutes allemandes. Ce seuil sera abaissé à 3,5 tonnes dans le cadre de l’extension de la taxe à l’ensemble du réseau routier national, conformément à la directive « Eurovignette » qui l’impose dès 2012.

L’actuelle directive « Eurovignette » impose que le montant de la taxe se fonde sur le principe de la couverture des coûts d’infrastructure. Concrètement, cela signifie que la recette globale en est plafonnée au total des coûts de construction, d’exploitation, d’entretien et de développement du réseau taxable.

La valeur de 12 centimes d’euro par kilomètre est celle actuellement utilisée pour les calculs, sensiblement inférieure au péage sur les autoroutes concédées où la moyenne est de 17 centimes hors taxe.

Les catégories de véhicules en application des principes de la directive « Eurovignette » et donc en lien direct avec les coûts engendrés par chaque type de poids lourds seraient les suivantes :

– 2 essieux de moins de 12 tonnes : 8 centimes / poids lourds kilomètre ;

– 2 essieux de 12 tonnes et plus et 3 essieux : 10 centimes / poids lourds kilomètre ;

– 4 essieux et plus : 14 centimes / poids lourds kilomètre.

Le Conseil d’État a rendu le 20 juillet 2010 un avis favorable sur le projet de décret correspondant.

L’article 275-2 du code des douanes prévoit que les taux kilométriques sont minorés de 25 % pour les régions comportant au moins un département métropolitain classé dans le décile le plus défavorisé selon leur périphéricité au sein de l’espace européen, apprécié au regard de leur éloignement des grandes unités urbaines européennes de plus d’un million d’habitants. Un décret en Conseil d’État doit fixer la liste de ces départements. Le projet correspondant a été présenté au Conseil d’État le 20 juillet 2010 puis définitivement pris en juillet 2011. Il en résulte que les taux kilométriques seront minorés dans les trois régions d’Aquitaine, de Midi-Pyrénées et de Bretagne.

C.– L’EXTERNALISATION DE LA GESTION : LE CHOIX D’UN PRESTATAIRE

L’externalisation de la gestion du projet intervient sur la base d’un contrat de partenariat avec un prestataire qui serait responsable de la conception et de la mise en place de l’infrastructure technique et de sa gestion.

La perception d’une taxe par une personne morale de droit privé nécessite une stricte répartition des compétences entre le prestataire et la puissance publique.

RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LE PRESTATAIRE ET LA
DIRECTION GÉNÉRALE DES DOUANES

Sont confiés au prestataire :

La collecte des informations nécessaires à l’établissement de la taxe : collecte des données relatives aux redevables et aux véhicules assujettis à la taxe, vérification de leur cohérence avec les justificatifs fournis et leur enregistrement dans la base de données, collecte des éléments bruts permettant l’identification du fait générateur de la taxe, détermination à partir de ces données du fait générateur constitué par le franchissement d’un point de tarification, détermination de l’assiette, du taux et des éléments impactant le taux applicable ;

La liquidation du montant de la taxe ;

La communication aux redevables non abonnés ou aux sociétés habilités fournissant un service de télépéage pour le compte de leurs redevables abonnés, du montant de la taxe due : notification des données agrégées et des données détaillées de liquidation par voie électronique, pour les redevables non abonnés, l’impression, à leur demande, sur support papier des avis de paiement et des factures détaillées ;

Le recouvrement de la taxe facturée aux redevables non abonnés ou aux sociétés habilités fournissant un service de télépéage, pour le compte des redevables abonnés, y compris le suivi des procédures collectives ;

L’instruction des demandes en restitution portant sur la taxe facturée : analyse des demandes et émission d’un avis motivé sur les suites à donner au dossier, transmission à l’administration des douanes et des droits indirects de l’avis motivé du Commis et de l’ensemble des éléments constitutifs du dossier de demande en restitution, remboursement du redevable, le cas échéant, après décision de l’administration des douanes ;

La constatation des manquements au regard de la taxe et la notification aux redevables concernés de la taxe forfaitaire, ou au réel, correspondante : collecte des données enregistrées par les dispositifs de contrôles automatiques fixes et déplaçables ou par les dispositifs de la collecte de la taxe, analyse des anomalies, qualification de ces anomalies en manquement, liquidation de la taxe forfaitaire, ou réel, due, l’impression et l’envoi au redevable de la notification de la taxe due au titre du manquement, l’information des corps de contrôle sur les anomalies et manquement constatés, la transmission à l’administration des douanes des dossiers de manquements ;

Le recouvrement de la taxe notifiée à la suite de manquements ;

Le versement au comptable des douanes et des droits indirects compétent, par virement ;

Le traitement des demandes en rectification ou en annulation de la créance notifiée à la suite de manquements : analyse des demandes, information du redevable du rejet ou de l’acceptation de sa requête ;

L’archivage des données relatives à la collecte et au contrôle de la taxe : archivage pour son propre compte et pour le compte de l’administration des douanes et des droits indirects, de l’intégralité des données relatives à la collecte et au contrôle de la taxe, sur un support matériel situé en France métropolitaine ;

L’information nominative délivrée au redevable, relative à la taxe due et aux manquements constatés.

Restent de la compétence de la douane :

La décision définitive d’accepter ou de refuser les demandes en restitution, l’enclenchement des éventuels mouvements de fonds vers les Commis, le traitement des contentieux liés aux actions en restitution ;

L’exercice du pouvoir de police : proposition d’arrangement transactionnel suite aux manquements constatés par le contrôle automatique du Commis et aux infractions constatées par les agents des douanes et le traitement liés à l’amende ;

La réalisation des contrôles physiques : contrôle sur route avec les agents de la police ou de la gendarmerie et contrôle en entreprises ;

Le recouvrement forcé en cas de non-paiement par le redevable de la taxe forfaitaire ou au réel suite à un manquement ;

Le traitement des contentieux liés aux actions en annulation ou en rectification de la créance suite à un manquement ;

La rédaction des textes d’application liés à la mise en place de la taxe poids lourds ;

La rédaction des guides de procédures définissant les modalités de mise en œuvre des missions déléguées à destination du Commis ;

Les contrôles et audits du Commis.

D.– UN CALENDRIER DE MISE EN œUVRE RETARDÉ PAR UN CONTENTIEUX

L’avis d’appel public à concurrence a été envoyé le 31 mars 2009 et les dossiers de candidature réceptionnés le 9 juin 2009. Au terme de l’analyse des candidatures, les cinq dossiers déposés ont été jugés acceptables pour engager la procédure de dialogue par décision du Ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer du 28 août 2009. Le dossier de consultation a été adressé aux 5 candidats suivants le 28 août 2009 :

– le groupement réunissant Vinci SA, Deutsche Telekom AG et SOC 29 ;

– le groupement réunissant Sanef SA, la Caisse des dépôts et consignations, Egis Project SA, Atos Worldline SAS et Siemens Project Ventures GMBH ;

– Autostrade per l’Italia SpA ;

– le groupement réunissant France Telecom SA ; CS Système d’Information, ETDE SA, Kapsch TrafficCom AG, FIDEPPP, SEIEF et DIF Infrastructure II BV ;

– Billoo Development BV.

Le 7 janvier 2010, les quatre candidats en lice, après le retrait de Vinci, ont déposé leur proposition initiale, base du dialogue compétitif. Les quatre solutions proposées sont toutes à base de technologie satellitaire.

Suite à la phase de dialogue et à l’aboutissement de ces chantiers, la demande d’offre finale a été remise aux candidats le 12 juillet, pour une remise des offres finales le 29 septembre 2010.

Le classement des offres a été signé le 14 janvier 2011 par Mme Nathalie Kosciuscko-Morizet, ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement et M. Thierry Mariani, secrétaire d’État aux transports.

Il classe la société Autostrade devant le groupement mené par Sanef SA. Le classement est aussitôt contesté par Sanef SA.

LE RECOURS ADMINISTRATIF CONTRE L’APPEL D’OFFRES

1.– En première instance : Ordonnance du 8 mars 2011 du tribunal administratif de Cergy Pontoise

Sanef SA a déposé dès le mois de janvier un recours en référé pré-contractuel devant le tribunal administratif de Pontoise afin d’empêcher la signature du contrat.

Par une ordonnance du 8 mars 2011, le juge administratif a annulé la procédure d’appel d’offre en retenant tous les griefs soulevés par le requérant. La procédure a été annulée pour les motifs suivants :

– « contraire au principe de transparence et au principe d’intangibilité des candidatures ». En effet, au cours de la procédure, Autostrade per Italia a déposé seul son dossier. Or, le classement fait état d’un groupement mené par l’entreprise italienne et dans lequel serait notamment associée la SNCF;

– « L’impartialité des conseils de l’État n’est pas suffisamment établie en l’espèce ». En effet, la société RAPP qui a conseillé l’État durant la procédure a également travaillé pour la société Autostrade sur la mise en place d’une taxe poids lourds en Autriche. Ce grief pose la question de la disparition progressive de l’expertise technique au sein de l’État et de l’obligation qu’a celui-ci de recourir à des experts privés sujets à de nombreuses interrogations quant à leur indépendance vis-à-vis des parties.

2.– Devant le Conseil d’État : CE, 24 juin 2011, ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement et Société Autostrade per l’Italia S.P.A,

Le Conseil d’État était saisi par le ministre chargé de l’Écologie et la société Autostrade per l’Italia d’un pourvoi en cassation contre cette dernière ordonnance.

Le Conseil d’État a commencé par rappeler les principes issus de sa décision SMIRGEOMES (CE, 3 mars 2008, n° 305420) selon laquelle il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si les manquements dans la procédure de passation du marché dont les entreprises qui le saisissent se prévalent sont susceptibles de les avoir lésées en avantageant une entreprise concurrente. Constatant que l’ordonnance litigieuse ne permettait pas de déterminer si le juge du tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait procédé à cette vérification, le Conseil d’État l’a annulée.

Puis, statuant lui-même comme juge du référé, il a écarté l’ensemble des moyens soulevés par les entreprises évincées pour demander l’annulation de la procédure de passation du marché.

Celles-ci mettaient en particulier en cause l’impartialité de cette procédure, au motif que le ministre s’était adjoint le conseil et le concours technique de sociétés filiales à 100 % d’un groupe entretenant des liens commerciaux avec la société Autostrade per l’Italia. Le Conseil d’État a toutefois estimé qu’eu égard, d’une part, au caractère ponctuel de la collaboration entre l’entreprise attributaire et le groupe et, d’autre part, aux précautions prises dans le cadre de la procédure de passation (notamment, existence, indépendamment des sociétés de conseil technique, d’une commission consultative chargée d’émettre un avis sur le choix des candidats, engagements de confidentialité à l’égard des candidats, signés par les sociétés de conseil technique), les éléments relevés par les sociétés requérantes ne suffisaient pas à caractériser un défaut effectif d’impartialité de la procédure.

Quant à l’atteinte au principe d’intangibilité, le Conseil d’État a considéré qu’il résulte de l’instruction que le « Groupement Ecomouv » dont la SOCIETE AUTOSTRADE PER L’ITALIA S.P.A., déclarée attributaire du contrat de partenariat litigieux, a proposé la création dans le cadre de son offre et dont elle devait détenir le contrôle, était destiné, non pas à lui succéder en cours de procédure en tant que candidat à l’attribution du contrat, mais à constituer la future « société de projet » cocontractante de l’État, prévue à l’article 3.2.4 du règlement de la consultation complémentaire n° 4 intitulé « Signature du contrat par l’État avec la société de projet dédiée et notification du contrat ». En conséquence, la société attributaire s’est conformée aux dispositions de l’article 1.1 de l’annexe 4 au règlement de la consultation en précisant « la forme juridique de la société de projet, la composition de l’actionnariat (…) et les éventuels liens capitalistiques entre les actionnaires ». Il a donc estimé que le moyen tiré de ce que le ministre aurait méconnu l’exigence d’intangibilité des candidatures énoncée à l’article 2.9 du règlement de la consultation en attribuant le contrat à un groupement « Ecomouv » dont la candidature aurait succédé à celle de la SOCIETE AUTOSTRADE PER L’ITALIA S.P.A. manque en fait.

À la suite du rétablissement de l’appel d’offres, le ministère chargé des transports estime que le contrat de partenariat public-privé pourrait être signé dans les toutes prochaines semaines. A compter de la date de la signature, le délai contractuel de 21 mois pour mettre en place la taxe nationale commencera à courir.

La taxe poids lourds nationale devrait être mise en place fin juin 2013, précédé de quelques mois par la taxe expérimentale alsacienne.

Par ailleurs, la société Sanef a saisi le service central de la prévention de la corruption (SCPC), service spécialisé du ministère de la justice pour faire part de « faits relevant [selon la direction de Sanef] du délit de favoritisme, de trafic d’influence et d’incitation à la corruption ». La direction affirme que la société Sanef « a été approchée » et qu’ « on lui aurait fait comprendre que le résultat de l’appel d’offre serait fonction de ce qu’elle pourrait accepter de « faire » ou de qui elle pourrait « gratifier » ».

E.– UNE RECETTE BRUTE ATTENDUE DE 1 200 MILLIONS D’EUROS

Sur la base d’un taux moyen de 12 centimes par kilomètre, la recette brute attendue serait de 1 200 millions d’euros. Elle se répartirait comme suit :

– 760 millions d’euros pour l’AFITF ;

– 160 millions d’euros nets pour les collectivités territoriales ;

– 230 millions d’euros hors taxes pour le partenaire privé : déterminé en fonction des performances du dispositif technique – notamment le taux de collecte, le taux de notification erronée et le taux de dossiers complets de manquement – et des volumes – notamment le trafic sur le réseau taxable et le nombre de manquements constatés ;

– 50 millions d’euros de TVA sur la redevance du partenaire privé.

II.– COMPARAISONS INTERNATIONALES

A.– LE CAS ALLEMAND

1.– Une recette de près de 4 milliards d’euros sans aucun investissement du Gouvernement

Entre décembre 1997 et mars 1998, le Bundestag décide le passage d’une redevance calculée en fonction de la durée des parcours effectués à une tarification kilométrique. La loi sur le péage autoroutier pour véhicules utilitaires lourds entre en vigueur le 12 avril 2002. Les textes réglementaires fixant le montant des tarifs et du décret sur le péage autoroutier n’ont été finalisés que le 1er juillet 2004.

Enfin, le 1er janvier 2005, le péage poids lourds est lancé. Les droits de péage pour les poids lourds sont depuis prélevés sur près de 13 000 kilomètres d’autoroutes, soit 28 milliards de kilomètre parcourus par les poids lourds par an, dont 35 % par des véhicules étrangers.

Une spécificité allemande consiste à ne prélever le péage que pour les poids lourds d’un poids supérieur à 12 tonnes – volonté de taxer prioritairement les transports de longue distance, en particulier les camions étrangers, et de préserver les PME qui effectuent de petits transports.

En 2009, le LKW-Maut a permis de collecter près de 4,4 milliards d’euros. Toll Collect, société en charge de la perception de ce péage a été rémunéré à hauteur de 600 millions d’euros. Il s’agit donc d’une ressource budgétaire annuelle de près de 3,8 milliards d’euros, sans que le Gouvernement fédéral n’ait eu à engager le moindre investissement.

2.– Toll collect, un système performant

Toll Collect est la société en charge de la perception de la LKW-Maut en Allemagne, choisie par le Gouvernement après un appel d’offres européen. Ses actionnaires sont Daimler (45 %), Deutsche Telekom (45 %) et Cofiroute, appartenant au groupe Vinci (10 %). Le cahier des charges impose notamment que le système :

– reconnaisse un réseau donné de routes ;

– collecte le péage au kilomètre, en tenant compte de la classe d’émission et du nombre d’essieux ;

– soit sans gare de péage ;

– soit non discriminatoire et permette une collecte automatique et manuelle ;

– remplisse les pré–conditions techniques d’interopérabilité avec d’autres systèmes de péage ;

– soit adaptable aux nouvelles sections de routes, à de nouveaux tarifs ou permettant une modulation tarifaire en fonction du lieu et du moment.

Le choix technologique se structure autour d’une solution satellitaire, assistée par un système GSM. Le système automatique implique l’installation dans le camion, d’un OBU « On-Board Unit », qui est aujourd’hui installé sur près de 90 % des poids lourds d’un poids supérieur à 12 tonnes qui circulent en Allemagne. Un système manuel également par Internet ou par l’inscription sur des bornes automatiques réparties sur le territoire (10 % des recettes). L’OBU est gratuit pour l’utilisateur et reste la propriété de Toll Collect.

3.– Un contrôle fiable et efficace

Toute mise en place d’un système de péage nécessite un système de contrôle fiable et efficace. L’Allemagne a mis en place une brigade de police dédiée, le BAG « Bundesamt für Güterverkehr », chargé du contrôle du péage.

Les moyens de contrôle peuvent être fixes par des portiques installés le long du réseau ou mobiles par des véhicules du BAG interrogeant en temps réel sur les routes les OBU. Si un cas de fraude est décelé, les véhicules sont verbalisés par le BAG qui peut immobiliser le véhicule si le chauffeur n’est pas en mesure de payer l’amende.

Par ailleurs, le BAG a la possibilité d’effectuer des contrôles au sein des entreprises de transports pour vérifier qu’elles sont bien en règle avec le péage.

Aujourd’hui, le taux de fraude est estimé par Toll Collect à 1,5 % du trafic.

4.– Conversion écologique : le signal – prix ne suffit pas

L’Allemagne a choisi de calculer le montant du péage « LKW-Maut » en fonction de deux paramètres : le nombre de kilomètres parcourus et le type de véhicules. La modulation en fonction de la taille du véhicule et de son impact écologique a contribué en 5 ans, à modifier de manière significative le parc de poids lourds circulant en Allemagne. À titre d’exemple, le pourcentage de poids lourds de type Euro 5, les moins polluants, est passé de moins de 1 % en 2005 à 49 % en 2009. À l’inverse, le pourcentage de poids lourds de type Euro 2, plus polluants, est passé de 30 % à 4 % durant la même période.

Cependant, ces résultats n’ont pas été atteints uniquement du fait du signal-prix. D’autres mesures ont été nécessaires. Le Gouvernement fédéral a également mis en place une série de mesures visant à aider les entreprises à acquérir des véhicules moins polluants, à réduire jusqu’au plancher minimum les taxes à l’essieu et à financer la formation initiale et continue des chauffeurs.

En effet, pour être efficace un signal-prix visant à décourager un comportement nuisible à l’environnement doit être accompagné d’aides au changement sous peine d’entraîner un simple renchérissement du transport avec toutes les conséquences économiques que cela entraîne. L’échec de la mise en place de la taxe carbone en France en est une illustration.

5.– Un objectif et des résultats de report modal contestés

Les recettes de la LKW-Maut sont affectées à l’agence fédérale de financement des infrastructures (VIFG : « Verkehrs Infrastruktur Finanzierungs Gesellschaft »). Actuellement, la moitié des recettes de la LKW-Maut sont réinvesties dans les infrastructures routières. 35 % abondent le financement du réseau ferroviaire et 15 % celle du réseau fluvial.

Cet objectif de report modal n’a eu que peu d’effets : la part de la route dans le transport de marchandise est restée stable autour de 70 %, celle du fer à 17 % et du fluvial à 10 %.

Les transporteurs routiers revendiquent une affectation totale de la LKW-Maut au réseau routier et dénoncent une distorsion de concurrence entre de mode de transports.

6.– Une acceptabilité conditionnée à la taxation des véhicules étrangers

La mise en place de la LKW-Maut ne s’est cependant pas faite sans heurts avec les professionnels du transport routier. L’État fédéral a dû mettre en place toute une série de compensations financières spécifiques aux transporteurs allemands afin de faire accepter le projet. Le Gouvernement a mis en avant le premier objectif de ce péage qui est de faire participer les transporteurs étrangers aux infrastructures allemandes.

B.– LE CAS SLOVAQUE

1.– Le système Sky toll

L’appel d’offres a été lancé en octobre 2007 avec un objectif de mise en exploitation en janvier 2009.

Quatre consortiums ont présenté leur offre. En mai 2008, la société des autoroutes Narodna dialnicna spolocnost (NDS) – société par actions détenue à 100% par l’État slovaque – a éliminé trois concurrents pour des motifs techniques et a annoncé que SkyToll – détenue à hauteur de 10% par Sanef – dont l’offre était pourtant la plus élevée, soit 863 millions d’euros, avait remporté l’appel d’offres. Douze recours ont été déposés par les candidats malheureux, sans succès.

L’exploitation du système a débuté le 1er janvier 2010 avec un an de retard sur les prévisions initiales.

Le système de télépéage électronique est applicable sur 2 031 kilomètres dont 397 kilomètres d’autoroutes, 174 kilomètres de voies expresses et 1 460 kilomètres de routes de 1ère classe. Le système est appliqué de la même façon sur le réseau d’autoroutes et de voies expresses exploité par la société autoroutière nationale NDS, sur la partie du réseau de routes de 1ère classe exploité par l’Administration des routes slovaques ainsi que sur les tronçons exploités par des concessionnaires privés.

Le système de péage électronique est basé sur la technologie GPS – GSM. Le système est très flexible afin d’assurer un fonctionnement en cas d’augmentation du volume de transport routier ou de développement du réseau routier.

Le télépéage est applicable pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes et les autobus. Les véhicules du ministère de l’intérieur, de l’armée, de douane, d’urgence sont exonérés de paiement du péage.

Le contrôle du trafic de véhicules sur le réseau est assuré par 46 portiques et 30 voitures de la « Police de péage » gérés mutuellement par Sky Toll et par la police Slovaque.

Comme en Allemagne, les tarifs sur autoroute sont fonction du poids total, du nombre d’essieux et de la classe d’émission EURO du véhicule et varient de 0,08 euro/kilomètre pour les poids lourds de 3,5 à 12 tonnes les moins polluants à 0,11 euro/kilomètre pour les autobus de plus de 12 tonnes les plus polluants. Tandis que les tarifs sont élevés sur le réseau de routes de 1ère classe : de 0,06 euro/kilomètre à 0,08 euro/kilomètre.

2.– Un système particulièrement adapté à un pays de transit

Après deux mois d’exploitation,

139 482 véhicules ont été enregistrés dont 60 % étaient des véhicules étrangers parmi lesquels 22 596 véhicules polonais, 19 393 tchèques et 15 772 hongrois.

Sur les 139 482 véhicules, 132 405 s’étaient munis d’un OBU.

3.– Un dispositif fortement contesté notamment en raison de son coût

Le produit brut de la taxe poids lourds en 2010 s’est élevé à 141,4 millions d’euros contre 50,6 millions d’euros en 2009 avec le système de la vignette. Cependant, la rémunération de Sky Toll a amputé le produit de 110,2 millions d’euros ramenant le produit net à 31,2 millions d’euros soit 19,4 millions d’euros de moins que l’année précédente alors que le péage peut désormais atteindre 15 % des coûts d’une société de transport.

Par conséquent, une campagne d’information et de pétitions a été organisée par l’Union des transporteurs slovaques UNAS. Les objectifs de l’UNAS visent à :

– abaisser les droits d’accises sur les combustibles pour l’ajuster au niveau de celui pratiqué dans les pays voisins ;

– réduire la taxe routière pour compenser les coûts liés au télépéage comme l’ont fait d’autres pays ;

– mettre fin au péage sur les routes de 1ère classe sauf sur les tronçons indispensables parallèles aux autoroutes et aux voies expresses ;

– réduire la taille des tronçons de réseau soumis à péage afin de mieux refléter les distances réellement parcourues avec une tolérance de moins de 10 mètres ;

– clairement signaler les tronçons à péage par des panneaux de signalisation installés en début et en fin de tronçon.

Après un blocage des entrées de Brastislava par les transporteurs, le ministre a accepté un certain nombre de revendications :

– la baisse du droit d’accise sur le gasoil de 0,48 euro/litre à 0,36 euro/litre ;

– le redécoupage des tronçons de 800 environ à plus de 1 000 ;

– le marquage de tous les tronçons par une meilleure signalisation en début et en fin de tronçon ;

– une baisse de l’amende pour la circulation avec un OBU mal réglé de 1 655 euros à 120 euros.

Malgré ces ajustements, le coût du dispositif et l’opacité de l’actionnariat de Sky Toll continuent à être fortement décriés dans le pays.

III.– DES LEÇONS À TIRER DES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES

A.– UNE CONCURRENCE PEU TRANSPARENTE MARQUÉE PAR DE NOMBREUX CONTENTIEUX

1.– Un retard dans la perception de la taxe que l’État fédéral allemand souhaite récupérer

Un retard de plus d’un an dans la mise en œuvre du dispositif, occasionnant une perte sèche de recettes considérable a donné lieu en 2004 à des réclamations de l’État fédéral devant un tribunal arbitral pour des dommages et intérêts s'élevant en 2008 à 5 milliards d’euros – 3,3 milliards d’euros de manque à gagner et 1,7 milliard d’euros de pénalités contractuelles hors intérêts – et à une contre-attaque du consortium Toll Collect en 2007.

Le tribunal arbitral a commencé en juin 2008 ses auditions. Aucune décision arbitrale n’a été prise sur les réclamations. La Cour d'arbitrage a ordonné à chaque partie de préparer une déclaration écrite fin novembre 2008 sur les questions juridiques abordées durant les auditions à laquelle l’autre partie a pu répondre avant le 3 avril 2009. La question n’a pas été tranchée à ce jour.

À partir de juin 2006, la République fédérale d'Allemagne a commencé à réduire les paiements mensuels à Toll Collect GmbH de 8 millions d’euros en compensation partielle des montants réclamés dans la procédure d'arbitrage.

2.– Un actionnariat opaque de Sky Toll source de nombreuses rumeurs

Le dispositif de télépéage a été mis au point par SkyToll, dans le cadre d'un contrat d'un montant total de 852,1 millions d'euros pour une durée d'exploitation de 13 ans, après un an de conception – déploiement.

Le marché a été attribué à l'issue d'une procédure dans laquelle tous les autres candidats ont été éliminés alors qu'ils avaient fait des offres moins chères. Les recettes peuvent être estimées à un ordre de grandeur de 150 millions d'euros par an. Le coût de collecte ramené à la recette serait ainsi de l'ordre de 40 %.

Le contrat a été signé le 13 janvier 2009, au terme d'un processus complexe, après deux lancements avortés, trois candidats éliminés, et avec près d'une douzaine de recours et deux enquêtes de la commission européenne en cours au moment de la signature.

Les candidats principaux du dernier tour étaient, sur 8 candidats initiaux :

Ibertax – SanToll, auquel participe SANEF, annoncé vainqueur en mai 2008, avec une offre d'un montant de 852,1 millions d'euros.

Slovakpass, conduit par Autostrade, a fait une offre de 630,9 millions d'euros.

ToSy, un groupement helvético-slovaque a fait une offre de 651,3 millions d'euros.

Kapsch a fait une offre de 749,2 millions d'euros.

Le critère de coût était pondéré à 60 %, le second critère était la performance de la collecte, pour laquelle un niveau minimum de 95 % était exigé par l'État slovaque.

En ce qui concerne les premiers contentieux, jugés en Slovaquie et déposés après l'élimination de trois des quatre candidats en mai 2008, il est intéressant de noter les principaux griefs mis en avant. Ainsi, Slovakpass (Autostrade) a introduit les motifs suivants :

– qualifications ou expérience professionnelle insuffisantes des membres de la commission d'analyse des offres ;

– manque d'indépendance d'un des conseils (qui aurait eu des liens étroits avec Siemens, principal fournisseur du gagnant SkyToll) de la commission d'analyse des offres ;

– flou sur l'actionnariat du candidat retenu – Ibertax en l'occurrence, considérée comme une coquille vide et semblant appartenir à des actionnaires chypriotes.

Kapsch a accusé d'autres candidats d'avoir fourni de fausses informations sur la performance de leur système. Cette accusation a été repoussée par le tribunal des affaires publiques (UVO).

Le tribunal des affaires publiques (UVO) a rendu sur ces points un jugement définitif le 8 décembre 2008, permettant la signature du contrat qui est intervenue le 13 janvier 2009.

La société titulaire du contrat, nommée SkyToll et créée par le consortium candidat SanToll-Ibertax a deux principaux fournisseurs : Q-Free et Siemens. Siemens a été choisi juste après la signature du marché principal et détient un contrat de 81 millions d'euros avec SkyToll pour la fourniture des équipements embarqués. Q-Free est en charge de la réalisation du système central. Ces contrats ont été signés en janvier 2009.

Suite à cette décision, le contentieux s'est placé au niveau européen, avec plusieurs échanges entre la commission et l'État slovaque. Le 14 mai 2009, la commission adresse une lettre de mise en demeure indiquant : « Dans cette affaire, le pouvoir adjudicateur slovaque a exclu trois soumissionnaires de la procédure d'adjudication. D'après les informations dont dispose la Commission, les autorités slovaques pourraient avoir violé les principes d'égalité de traitement et de non-discrimination établis dans la directive 2004/18/CE sur les marchés publics et dans le traité CE. La demande formelle en question prend la forme d'une « lettre de mise en demeure », qui constitue la première étape de la procédure d’infraction prévue à l’article 226 du traité CE. »

Une lettre aurait été de nouveau adressée par la commission le 18 mai 2010, précisant ses interrogations et ses motivations, en particulier sur les risques que font peser sur les procédures toutes modifications des contrats pour leur signature. Le responsable de la représentation européenne en Slovaquie, Andrea Elscheková-Matisová, aurait indiqué que les évolutions entre le contrat signé et les conditions originelles apparaissaient significatives.

Le 28 septembre 2010, c'est le Commissaire en charge du marché intérieur et des services, Michel Barnier, qui a indiqué que la commission enquêtait sur le respect des règles de constitution et de fonctionnement de la commission d'analyse des offres.

« Le 27 septembre 2007, la Compagnie nationale des autoroutes slovaque a lancé un appel d'offres relatif à la sélection d'un opérateur de système de télépéage. La valeur du marché était d'environ 664 millions d'euros. Sur les quatre offres soumises, trois ont été rejetées par la Compagnie nationale des autoroutes pour non-conformité au cahier des charges. Après la signature du contrat le 13 janvier 2009, plusieurs conditions contractuelles ont fait l'objet de modifications substantielles. Si ces modifications avaient été apportées et signalées au début de la procédure, l'offre présentée par les soumissionnaires aurait pu être différente et les candidats auraient pu être plus nombreux.

La Commission européenne estime que, en excluant certains candidats pour des motifs injustifiés et en modifiant le contrat de manière substantielle après sa signature, la Compagnie nationale des autoroutes a enfreint le principe de non-discrimination consacré par la législation de l'UE. Cela a eu pour effet de fausser la concurrence et peut avoir entraîné un gaspillage des deniers publics. »

3.– Une concurrence faussée ?

La technologie développée par Toll Collect est la même que celle qui sera mise en place en France. Son expérience aurait dû lui conférer un avantage comparatif certain vis-à-vis de ses concurrents potentiels pour la mise en place de la taxe poids lourds en France.

Il peut paraître surprenant que Toll Collect ait retiré sa candidature de l’appel d’offres français. Le rapporteur n’a obtenu d’explications, ni du ministère allemand des transports qui était déçu de ce retrait, ni de la société Cofiroute elle-même.

Le rapporteur regrette ce manque de transparence sur un marché qui est par essence européen.

B.– L’INTEROPÉRABILITÉ : UN ENJEU PAS SUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE

1.– Une réglementation européenne laissant une grande marge de manœuvre

DIRECTIVE 2006/38/CE EUROVIGNETTE

La directive s'applique aux taxes sur les véhicules, aux péages et aux droits d'usage imposés aux véhicules destinés au transport de marchandises par route et ayant un poids total en charge autorisé d'au moins 12 tonnes. Elle s’appliquera à compter de 2012 aux véhicules à partir de 3,5 tonnes.

Taxes sur les véhicules

La directive précise, pays par pays, quelles sont les taxes visées. Chaque État membre arrête les procédures de perception et de recouvrement de ces taxes. De plus, ces taxes sont perçues par l'État membre dans lequel le véhicule est immatriculé.

Les États membres ne peuvent fixer des taux de taxes sur les véhicules inférieurs aux taux minimaux définis dans la directive. La directive prévoit également la possibilité pour tous les États membres d'appliquer, dans certains cas et sous certaines conditions, des taux réduits ou des exonérations.

Péages et droits d'usage

La directive énumère les conditions que doivent remplir les États membres afin de pouvoir introduire et/ou maintenir des péages ou introduire des droits d'usage. Ces conditions sont les suivantes :

– la perception concerne exclusivement l'utilisation d'autoroutes ou de routes analogues, de ponts, de tunnels et de routes de montagne franchissant des cols ;

– l’application du principe de non-discrimination en raison de la nationalité du transporteur ou de l'origine ou de la destination du transport ;

– l’absence de contrôle aux frontières intérieures ;

– le réexamen des taux maxima des droits d'usage au 1er juillet 2002, puis tous les deux ans ;

– l’application du principe de proportionnalité des taux des droits d'usage en fonction de la durée de l'utilisation des infrastructures ;

– la possibilité de variation des taux en fonction des catégories d'émissions des véhicules et/ou du moment de la journée ;

– la possibilité pour deux ou plusieurs États membres de coopérer pour instaurer un système commun de droits d'usage, moyennant le respect de certaines conditions telles que la répartition équitable des recettes entre les États membres.

– des taxes ou des droits perçus lors de l'immatriculation du véhicule ou frappant les véhicules ou les chargements dont le poids ou les dimensions sont hors normes ;

– des taxes de stationnement et des taxes spécifiques applicables au trafic urbain ;

– des droits destinés à combattre la congestion routière.

En plus des taxes prévues par la directive, les États membres peuvent appliquer :

– des taxes ou des droits perçus lors de l'immatriculation du véhicule ou frappant les véhicules ou les chargements dont le poids ou les dimensions sont hors normes ;

– des taxes de stationnement et des taxes spécifiques applicables au trafic urbain ;

– des droits destinés à combattre la congestion routière.

Les États membres qui mettent en place des systèmes électroniques de perception des péages font en sorte que leurs systèmes soient compatibles.

Révision de la directive de 2006

La directive 2006/38/CE du 17 mai 2006 modifie une précédente directive en vue d’instaurer un nouveau cadre communautaire relatif à la tarification de l'usage des infrastructures routières. Cela permet d’augmenter l’efficacité du système des transports routiers et d'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. La directive met en place des règles pour le prélèvement par les États membres des péages ou des droits d’usage pour l’utilisation de routes, y compris les routes du réseau transeuropéen et les routes dans les régions montagneuses.

Les États membres ont la possibilité de différentier les péages en fonction du type de véhicule, sa catégorie d’émissions (classification « EURO »), le degré de dommages qu’il occasionne aux routes, ainsi que le lieu, le moment et le niveau de l’encombrement. Cela permet de lutter contre les problèmes causés par la congestion du trafic, y compris les dommages causés à l’environnement sur la base des principes de « l’utilisateur payeur » et de « pollueur payeur ».

Proposition de révision en vue d’internaliser les coûts externes

La proposition de directive modifiant la directive 1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation des certaines infrastructures doit permettre aux États membres d’internaliser les coûts liés à la pollution et aux encombrements causés par les poids lourds. Ce montant variera en fonction de la catégorie d’émission EURO, de la distance parcourue, du lieu et du moment d’utilisation des routes.

La modification n’a pas à ce jour été adoptée. En effet, il subsiste une divergence entre le Conseil et le Parlement européen sur l’affectation de la taxe. Le Parlement souhaite que le produit de la taxe soit affecté à des projets liés au développement durable des transports tandis que le Conseil souhaite en rester à la lettre du traité de Lisbonne qui fait de la fiscalité – et donc de l’affectation ou non d’une taxe – une compétence exclusive des États membres.

En effet, le rapporteur rappelle que si la France a décidé d’affecter le produit de la taxe poids lourds à l’AFITF, il s’agit d’une décision du Parlement national qui peut être éventuellement modifiée par le même Parlement national.

En définitive, la directive Eurovignette laisse la possibilité aux États membres de définir l’assiette, de fixer et moduler le taux et de décider ou non de l’affectation de la recette. De plus, elle laisse aux États membres la faculté de recourir ou non aux dispositifs.

Le rapporteur estime en revanche que le Parlement européen devrait se concentrer sur sa mission première : approfondir et développer le marché intérieur. Pour cela, l’interopérabilité entre les systèmes est essentiel.

2.– Interopérabilité technique et interopérabilité commerciale

Au cours des auditions effectuées, l’interopérabilité aussi bien technique que commerciale ne fut pas une préoccupation majeure des différents interlocuteurs.

En conséquence, il existe un risque de voir un poids lourd devant traverser l’Europe doté d’un nombre important d’OBU correspondant à chaque système national.

De plus, du fait des différents systèmes de paiements – abonnement ou ticket – la perte de temps risque d’être importante.

C.– LES CONDITIONS D’UNE ACCEPTABILITÉ : CONTRÔLE NON DISCRIMINATOIRE ET AIDE À L’AMÉLIORATION DE LA PERFORMANCE ÉCOLOGIQUE

1.– Le contrôle ne doit pas défavoriser le pavillon français

La taxe kilométrique poids lourds n’a pas fait l’objet d’une opposition frontale chez les transporteurs. En effet, si elle renchérit le coût global du transport routier de marchandises, elle ne défavorise pas le pavillon français. Au contraire, elle permettra de faire régler par tous leurs coûts d’usage, notamment pour certains transporteurs étrangers n’effectuant aucun approvisionnement de carburant en France. La part des poids lourds étrangers est estimée – à trafic constant – à 30 % du total.

Pour cela, il est nécessaire que le contrôle soit efficace notamment à l’égard des transporteurs étrangers. Comme pour le contrôle sanction automatisé (radar), l’acceptabilité de la taxe poids lourds est largement conditionnée par l’efficacité des contrôles des véhicules étrangers. Il serait en effet paradoxal que la taxe poids lourds engendre une discrimination envers les nationaux.

2.– Permettre au transport routier français de gagner en compétitivité

a) Le fret ferroviaire ne pourra pas remplacer la route

Les recettes collectées sur le réseau national seront affectées à l’agence de financement des infrastructures de France (AFITF), qui contribue à mettre en œuvre la politique de report modal en consacrant d’ores et déjà deux tiers de ses dépenses aux modes autres que routiers.

Le fret ferroviaire n’a cependant pas vocation à faire disparaître les camions des routes. Une géographie industrielle multipolaire et des bassins de vie et de consommation éclatés sur l’ensemble du territoire national rendent le poids lourd indispensable.

En conséquence, il est impératif de soutenir le secteur du transport routier à maintenir ses parts de marché mais aussi à entamer sa conversion écologique. La mise en place de la taxe poids lourds peut en être l’occasion.

b) Apporter une aide aux transporteurs nationaux

En 2007, la Commission européenne a autorisé le régime d’aide allemand, visant à promouvoir l’utilisation de poids lourds respectueux de l’environnement en incitant notamment les entrepreneurs de transport à acheter des poids lourds plus performants en termes d’émissions.

Les mesures de soutien au secteur des transports routiers ont permis à l’Allemagne dont les coûts sont équivalents au pavillon français de maintenir ses positions sur le marché européen malgré sa proximité immédiate avec les pays d’Europe centrale et orientale.

La France ne doit pas hésiter, par le biais de l’AFITF, à prendre des mesures équivalentes en faveur de ses transporteurs. La taxe poids lourds, si elle est accompagnée de telles mesures, peut avoir les mêmes effets qu’une TVA sociale.

D.– TIRER LES CONSÉQUENCES DU REPORT DE TRAFIC INDUIT PAR LA MISE EN PLACE DE LA TAXE POIDS LOURDS

L’augmentation globale du trafic poids lourds total sur le réseau concédé liée à l’entrée en vigueur de la taxe poids lourds est évaluée ex ante par le ministère chargé des transports entre 15 et 20 %. La recette supplémentaire correspondante est donc estimée à environ 400 millions d’euros par an sur la base actuelle de 2 500 millions d’euros de recettes poids lourds.

Considérant ces éléments, la question de l’application des dispositions contractuelles relatives à l’équilibre économique des concessions autoroutières est posée. Le travail à conduire consistera à évaluer de façon documentée l’effet de report de trafic en termes de recettes complémentaires sur les différentes sections de réseau et à en apprécier l’impact sur chaque concession.

Cette évaluation juridique et économique servira de point de départ à une négociation relative à la récupération éventuelle de cet « effet d’aubaine » par le biais d’une revalorisation de la taxe domaniale acquittée par les sociétés d’autoroutes.

La mise en place de la taxe poids lourds devrait avoir également pour effet de clore ce « feuilleton » et de pérenniser le financement de l’AFITF pour autant que l’État garantisse la cohérence des moyens et des objectifs.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission procède à l’examen d’un rapport d’information de M. Hervé Mariton, rapporteur spécial, sur la mise en place de la taxe poids lourds.

M. Jérôme Cahuzac, président de la Commission. Chers collègues, notre Rapporteur spécial pour les transports routiers, ferroviaires, fluviaux et maritimes, Hervé Mariton, a souhaité faire devant notre Commission le point sur la mise en place de la taxe poids lourds.

L’année 2012 aurait dû être celle de la mise en œuvre de cette taxe, prévue à la suite du Grenelle de l’environnement et de la directive dite « Eurovignette ». Mais le projet a connu divers retards ; c’est ainsi que l’expérimentation en Alsace pourrait ne voir le jour qu’au début de l’année 2013, quelques mois à peine avant l’application pour la France entière. Dans son rapport spécial de l’an dernier, Hervé Mariton avait constaté que la réflexion sur les modalités et sur l’impact de cette éco-taxe méritait d’être approfondie.

Pour contribuer à cette réflexion, monsieur le Rapporteur spécial, vous avez réalisé des auditions et vous vous êtes rendu dans d’autres pays qui ont mis en place une taxe poids lourds.

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial. Je viens effectivement vous rendre compte des conditions de la préparation de la mise en œuvre de la taxe poids lourds en France.

Cette taxe était prévue dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Le choix a été fait de confier la conception, la mise en place de l’infrastructure et sa gestion à un partenaire privé. Cette taxe poids lourds a pour vocation de financer de façon pérenne l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Ce financement est estimé à un peu moins d’un milliard d’euros.

Il s’agit également de corriger les conditions de concurrence entre les modes de transports, fret ferroviaire et fret routier, notamment en faisant payer au fret routier une part des externalités qu’il génère en circulant sur le réseau national gratuit. Il s’agit là de l’idée de départ. Il est apparu au cours de mes travaux que non seulement les routes nationales pouvaient faire l’objet d’une perception de la taxe poids lourds, mais également un certain nombre de voiries départementales, voire municipales. Certains départements sont en effet très demandeurs.

Mes travaux ont également et assez rapidement mis en évidence le contentieux relatif à l’appel d’offre pour choisir le prestataire. Ce contentieux est né du recours de la SANEF, entreprise qui n’a pas été retenue. Il a retardé de plusieurs mois la mise en œuvre de la taxe poids lourds dans notre pays. En effet, la SANEF avait obtenu le 8 mars 2011, en première instance, par une ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l’annulation de la procédure d’appel d’offre avant que le Conseil d’État ne donne raison, le 24 juin 2011, au ministère de l’Écologie et du développement durable ainsi qu’à la société Autostrade Per l’Italia, lauréate de l’appel d’offre.

La mise en œuvre de la taxe poids lourds est maintenant prévue au milieu de l’année 2013, au mieux. Ce retard avait été évoqué quand nous avions examiné les perspectives du Schéma national des infrastructures de transports (SNIT). Il a de sérieuses conséquences – partiellement compensées par des dotations budgétaires – sur le financement de l’AFITF et du SNIT.

Par ailleurs, la comparaison internationale menée au cours de mes travaux est intéressante sur différents aspects.

Tout d’abord, en Allemagne comme en Slovaquie, les deux pays observés, il convient de noter que des contentieux importants sont apparus. Les procédures sont de fait assez innovantes et les enjeux financiers ne sont pas négligeables, en ce qui concerne tant l’importance du processus industriel que les sommes attendues. Les contentieux sont de natures différentes, mais pèsent, dans les deux cas, sur la manière dont la taxe poids lourds est mise en œuvre.

En Allemagne, la recette attendue est supérieure à la nôtre : 4,4 milliards d’euros. Mais les allemands prospèrent en cette affaire sur un réseau autoroutier sans péage. La taxe poids lourds allemande intègre ainsi une part de ce qui correspond aux péages autoroutiers chez nous. Le rendement de cette taxe est donc élevé. Elle a notamment permis, par des incitations décidées par l’État allemand au profit des transporteurs routiers, de modifier sensiblement la structure du parc de poids lourds en Allemagne. Cette taxe, discriminée selon le caractère plus ou moins polluant du camion, a envoyé un signal parfaitement compris par les transporteurs routiers qui ont adapté leur flotte de camions en conséquence. En Allemagne, on observe donc que deux objectifs sont atteints : la collecte et l’évolution du parc routier.

En France, il convient de rappeler que le Grenelle de l’environnement et la taxe poids lourds fixent deux objectifs un peu différents : le financement de l’AFITF et ensuite, de par ce financement et le renchérissement du coût du transport routier, la correction des termes de la concurrence entre le transport routier et le fret ferroviaire. Il y a donc là une volonté de basculement modal. Celui-ci n’est pas une priorité des autorités allemandes : de leur point de vue, la taxe poids lourds ne peut pas être sollicitée pour répondre à tous ces objectifs à la fois.

Le cas slovaque est intéressant à plusieurs égards. D’une part parce que l’entreprise SANEF est présente (à hauteur de 10 % en termes de capital, mais de manière beaucoup plus prégnante sur les aspects opérationnels) dans le groupement Sky Toll qui gère la taxe en Slovaquie. Je rappelle que SANEF était le requérant contre Autostrade et l’État dans la configuration française.

La mise en œuvre de la taxe est très décriée en Slovaquie, tant en raison des conditions opérationnelles qu’en raison de l’opacité du tour de table de Sky Toll, hormis la participation de SANEF. Il s’agit des suites de difficultés d’analyse et de polémiques liées aux conditions de la privatisation de grandes entreprises en Slovaquie.

Un point important et préoccupant mérite d’être soulevé : l’enjeu de l’interopérabilité n’a été que très peu pris en compte jusqu’à présent. Le risque est que pour traverser les frontières, il y ait besoin d’autant de systèmes de taxe poids lourds à bord des camions que de pays. Il s’agirait là d’une réalité physique inquiétante. Le contexte européen aurait dû permettre d’assurer une meilleure interopérabilité : ce n’est manifestement pas le cas.

Le rapport examine enfin les conditions d’acceptabilité de la taxe, qui soulèvent deux problèmes : le contrôle non discriminatoire et l’aide à l’amélioration de la performance écologique.

Le sujet du contrôle non discriminatoire est le suivant : la taxe poids lourds s’apparente à une TVA sociale dans certains de ces effets. Il s’agit d’une taxation de la production des transporteurs français, mais aussi de la taxation de la production en France de transporteurs venant d’autres États. Elle améliore la compétitivité relative des transporteurs routiers français. C’est une des raisons pour lesquelles, au début du processus, ces derniers ne se sont pas opposés violemment à la mise en œuvre de cette taxe nouvelle. Cet impôt nouveau était jugé proportionnellement plus pénalisant pour les transporteurs étrangers.

Reste que cette disposition, pour sympathique qu’elle soit aux yeux de nos transporteurs, se doit d’être suivie d’effets dans la réalité. Or force est de constater qu’en ce qui concerne la poursuite des contrevenants, la capacité réelle de poursuivre efficacement les routiers étrangers n’acquittant pas normalement la taxe due est loin d’être avérée. Ce point n’est pas résolu et si l’on se réfère aux difficultés constatées sur les contrôles et sanctions automatiques dans le domaine des radars, il s’agit là d’une difficulté réelle.

Enfin, il conviendra de mieux développer en France des mesures d’encouragement à l’évolution du parc de camions, à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne. Il s’agit d’une dimension qui n’est pas présente dans le projet actuel.

Cependant, au regard des difficultés rencontrées, il convient néanmoins de se satisfaire de la mise en œuvre à la mi 2013 de la taxe poids lourds dans notre pays. Le retard constaté pourra être mis à profit pour améliorer le dispositif dans le sens que je viens de définir.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Je souhaiterais vous poser deux questions.

J’observe d’abord que le produit de la taxe doit être affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France. Or la Cour des comptes et notre Commission se sont interrogées à plusieurs reprises sur l’utilité de l’AFITF. Ne pensez-vous pas, monsieur le Rapporteur spécial, qu’il aurait été préférable de renoncer à l’affectation à l’Agence, et de s’en tenir à l’idée de sa suppression ?

Ma deuxième question concerne la date prévue pour la mise en application effective de la taxe poids lourds. Voyez-vous des risques pour que le rendez-vous de 2013 soit encore retardé ?

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial. L’échéance de 2013 semble raisonnable. Le contentieux n’a pas empêché les entreprises retenues d’avancer dans la mise en œuvre du dispositif. Cependant, cette mise en œuvre est délicate, les systèmes d’informations à mettre au point sont complexes et conduisent nécessairement à une certaine prudence.

Mon appréciation politique sur l’AFITF est la suivante : si une volonté existe sur le développement d’infrastructures, point n’est besoin d’une agence. Certes, l’AFITF n’a pas un coût de fonctionnement considérable. On risque cependant de voir ce coût de fonctionnement augmenter si l’agence change de format et de capacité décisionnelle. Il faut également soulever un problème de responsabilité politique : il ne peut y avoir plusieurs politiques différentes de transport au niveau de l’État ! Je ne suis clairement pas un enthousiaste de l’existence de l’AFITF. Cela ne me paraîtrait pas choquant, l’AFITF n’existant pas, que la taxe poids lourds alimente directement le budget de l’État.

M. le Président Jérôme Cahuzac. La différence de rendement de ce que sera cette taxe en France et de ce qu’elle est en Allemagne tient-elle essentiellement à la gratuité des autoroutes en Allemagne quand en France, ce type de réseau est soumis à péages ?

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial. Les coûts de fonctionnement par rapport au rendement de la taxe seront nettement inférieurs en France à ce qu’ils sont en Slovaquie.

Le coût de collecte de l’impôt est cependant élevé en France. Nous devons avoir pour objectif de progresser à ce sujet. Le coût de 230 millions d'euros hors taxes pour le partenaire privé est connu. Il correspond à un système neuf et complexe. Les coûts fixes sont élevés au regard d’un réseau qui est moins étendu que le réseau allemand.

Cela rapporte plus en Allemagne car les autoroutes y sont concernées. Il est tout à fait envisageable de prévoir, dans une deuxième étape, l’extension à l’ensemble du réseau autoroutier français de la taxe poids lourds. Mme Kosciusko-Morizet l’avait d’ailleurs évoqué ici, lors de son audition du 22 juin dernier.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Quel pourrait être le rôle de la douane dans la collecte de cette taxe, aujourd’hui confiée à des prestataires privés ?

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial. La douane exerce le pouvoir de police, la réalisation des contrôles physiques, le recouvrement forcé et le traitement des contentieux.

La Commission autorise ensuite la publication du rapport d’information en application de l’article 146 du Règlement de l’Assemblée nationale.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

À PARIS

Ministère de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire

– M. Daniel Burseaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer – DGITM

Ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l'État

– M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et droits indirects – DGDDI

Cour des comptes

– M. Christian Deeschemaeker, président de la 7ème chambre

SNCF

– M. Hervé Le Caignec, directeur des grands projets internationaux

À BERLIN

DIHK – Association des chambres de l’industrie et du commerce allemandes

– Dr. Patrick Thiele, Secteur Services, Infrastructure, Politique régionale, Bureau Transports et Politique en matière de transports

Verkehrsclub Deutschland e. V. – VCD, Club automobile allemand

– M. Michael Müller-Görnert, chargé de mission Propreté de l’air et Protection de l‘environnement ;

– Mme Heidi Tischmann, chargée de mission Industrie ferroviaire et transport de marchandises

Toll Collect

– M. Alain Estiot, Chief Quality Officer et Président du Bureau de la Section Allemagne des CCEF – Conseillers du commerce extérieur de la France

Ministère fédéral des Transports

– Mme Petra Winkler Maitre, responsable des relations franco-allemandes

Deutsches Verkehsforum – Forum allemand des transports

– M. Thomas Hailer, président ;

– M. Florian Eck, vice-président

À BRATISLAVA

Ministère du Transport

– M. Arpád Érsek, secrétaire d’État

Národná diaľničná spoločnosť, a.s – Société nationale des autoroutes

– M. Ivan Sekerka, directeur de la section du paiement des infrastructures, membre de la Présidence

Union des transporteurs de la Slovaquie – UNAS

M. Polacek, Président et M. Pales, vice-Président

Skytoll

– M. Matej Okali, directeur général ;

– M. Benoît Rossi, directeur des Affaires internationales (SANEF) ;

– M. Jérôme Couzineau, Directeur pôle Toll Solutions International (SANEF)


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