N° 4428 - Rapport d'information de M. Julien Aubert et Mme Barbara Romagnan déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, en conclusion des travaux d'une mission d'information relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base




N° 4428

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION
relative à la
faisabilité technique et financière du
démantèlement des installations nucléaires de base

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Julien AUBERT,

Président

Mme Barbara ROMAGNAN,

Rapporteure

Députés.

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La mission d’information relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base est composée de : MM. Julien Aubert, Guy Bailliart, Patrice Carvalho, Stéphane Demilly, Jean-Marc Fournel, Jacques Krabal, Mme Marie Le Vern, MM. Gérard Menuel, Philippe Plisson, Mmes Catherine Quéré, Barbara Romagnan et M. Jean-Pierre Vigier.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LE CADRE GÉNÉRAL 15

I. L’ÉTAT DES LIEUX 15

A. QU’EST-CE QUE LE DÉMANTÈLEMENT NUCLÉAIRE ? 15

1. Une définition à géométrie variable 15

2. La remise en état complète des sols s’avère très coûteuse 16

B. LE DÉMANTÈLEMENT : UNE ACTIVITÉ APPELÉE À SE DÉVELOPPER 16

1. Depuis 1988, le nombre de réacteurs en activité diminue en Europe 17

2. La diminution régulière de la consommation électrique 18

3. Les installations en cours ou en attente de démantèlement en France 20

C. LE CAS SPÉCIFIQUE DES RÉACTEURS DE LA MARINE NATIONALE 21

1. Les six premiers réacteurs militaires sont à l’arrêt 21

2. Le démantèlement n’est pas immédiat 21

3. Une filière en cours de création 22

II. LES PRINCIPALES HYPOTHÈSES DE DÉPART 22

A. DES PRINCIPES DE BASE 22

1. Une extrapolation tirée d’un modèle générique : la méthode Dampierre 22

2. Le démantèlement doit être immédiat 23

3. Les sols doivent être décontaminés 23

B. DES PARAMÈTRES CENSÉS RÉDUIRE LES COÛTS 24

1. La mutualisation des tranches serait une source d’économie 24

2. L’effet de série devrait réduire sensiblement les coûts 24

DEUXIÈME PARTIE : UNE FAISABILITÉ TECHNIQUE PAS ENTIÈREMENT ASSURÉE 25

I. LES DIFFICULTÉS D’EDF POUR DÉMANTELER SES PREMIERS RÉACTEURS 25

A. LE DÉMANTÈLEMENT INTERMINABLE DE BRENNILIS 25

1. Dix-huit ans d’exploitation, quarante-sept ans de démantèlement 25

2. Un coût multiplié par vingt ? 26

B. LES REVIREMENTS D’EDF FACE AU GRAPHITE 26

1. Le démantèlement « sous eau » des réacteurs UNGG 26

2. Un changement de stratégie inattendu de la part d’EDF 27

3. L’autorité de régulation enjoint EDF de se justifier 28

4. Une difficulté technique non résolue à l’échelle industrielle 29

C. LE CAS DE SUPERPHÉNIX 30

1. Une opération rendue délicate par la présence du sodium 30

2. EDF épinglée par l’ASN et condamnée par la justice 31

3. Vers un coût de 2 milliards d’euros ? 31

II. LA GESTION DES DÉCHETS CONDITIONNE LARGEMENT LE DÉMANTÈLEMENT 32

A. VERS UNE SATURATION DE CERTAINS CENTRES 32

1. Les déchets à très faible radioactivité (TFA) 33

2. Les déchets à faible ou moyenne radioactivité et vie courte (FMA-VC) 33

3. Les déchets à faible activité mais à vie longue (FA-VL) 34

4. Les déchets à moyenne activité et à vie longue (MA-VL) 34

B. FAUT-IL INSTAURER UN « SEUIL DE LIBÉRATION » EN FRANCE ? 35

1. Une approche historique et politique 35

2. L’absence de seuil de libération n’est pas un gage de protection 36

3. Les limites économiques d'un seuil de libération généralisé 37

4. À défaut de seuil de libération, il est possible d’alléger les contraintes 37

C. LE CAS SPÉCIFIQUE DES DÉCHETS DE LA FILIÈRE GRAPHITE-GAZ 38

1. L’absence de stockage n’est pas le seul facteur de retard 38

2. Vers la création d’un nouveau site de stockage dans l’Aube 39

III. LA SOUS-TRAITANCE AU CœUR DU DÉMANTÈLEMENT 39

A. LA SPÉCIFICITÉ DE LA SOUS-TRAITANCE DANS LE NUCLÉAIRE 40

1. Une réglementation peu contraignante en pratique 40

2. Le recours à la sous-traitance est un choix industriel ancien 40

B. CERTAINES DÉRIVES ONT PU ÊTRE CONSTATÉES 41

1. Des lourdeurs pouvant diluer les responsabilités 41

2. La valeur ajoutée par la sous-traitance reste toutefois modeste 42

3. La nécessité de faire émerger une filière économique 43

TROISIÈME PARTIE : LES PROVISIONS D’EDF 45

I. LES PRINCIPES ET LA MÉTHODE D’ESTIMATION D’EDF 45

A. LE DÉMANTÈLEMENT DOIT ÊTRE FINANCÉ PAR L’EXPLOITANT 45

1. La responsabilité financière et technique de l’exploitant 45

2. L’existence d’actifs dédiés est une spécificité française 46

3. Seuls les deux tiers des provisions sont couverts par des actifs 47

B. L’ESTIMATION DES CHARGES BRUTES DE DÉMANTÈLEMENT 48

1. L’extrapolation d’un modèle générique : Dampierre 09 48

2. L’absence d’étude par réacteur est critiquée 49

II. UNE SOUS-ÉVALUATION VRAISEMBLABLE 50

A. DES HYPOTHÈSES OPTIMISTES 50

1. L’immédiateté de tous les démantèlements sera difficile à assumer 50

2. Des économies d’échelle très controversées 51

3. Une mutualisation qui interroge 52

B. DE NOMBREUSES DÉPENSES NON PROVISIONNÉES 53

1. La remise en état des sites n’est pas prise en compte 53

2. Le paiement des taxes et assurances n’est pas inclus 54

3. EDF ne provisionne pas le retraitement du combustible usagé 55

4. Le coût social du démantèlement n’est pas évoqué 55

C. DES CHARGES DE DÉMANTÈLEMENT SOUS-ÉVALUÉES 56

1. Un taux d’actualisation remis en cause par les marchés ? 57

2. Un taux d’inflation particulièrement faible 58

3. Le périmètre des provisions à couvrir est minimisé 58

4. Une durée d’actualisation identique pour les deux parcs 59

5. La qualité et la liquidité des actifs de couverture en question 59

6. Le prolongement de la durée de vie des réacteurs comme solution ? 61

III. LES COMPARAISONS INSTITUTIONNELLES SONT CONVERGENTES 62

A. LA COUR DES COMPTES SOULIGNE LA FAIBLESSE DES PROVISIONS D’EDF 62

1. L’Allemagne 63

2. Les États-Unis 64

3. La Belgique 65

B. POUR L’OCDE, EDF NE PREND PAS TOUS LES COÛTS EN COMPTE 66

1. Une lecture à géométrie variable du périmètre du démantèlement 66

2. Des comparaisons à manier avec prudence 67

IV. L’EXPÉRIENCE AMÉRICAINE 69

A. UN PROCESSUS LARGEMENT ENGAGÉ 69

1. La NRC, puissante autorité régulatrice du système 69

2. Trois options de démantèlement 70

3. Faute d’exutoire, les combustibles usagés sont disséminés 71

B. LE CALCUL ET LE CONTRÔLE DES PROVISIONS 73

1. Les provisions, calculées par réacteur, sont fréquemment actualisées 73

2. Les provisions sont contrôlées par la NRC et le Congrès 74

3. Prolonger l’exploitation facilite la constitution des provisions 74

C. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE 75

CONCLUSION 77

1. Le démantèlement prendra plus de temps que prévu 77

2. Les hypothèses de départ ne sont pas toutes respectées 77

3. Les provisions sont parmi les plus basses de l’OCDE, sans filet de sécurité en cas d’écart sur les coûts 78

4. La faisabilité technique n’est pas entièrement assurée 78

RECOMMANDATIONS 79

1. Revoir les règles de prévision des coûts du démantèlement 79

2. Établir un agenda prévisionnel des réacteurs à démanteler 79

3. Assouplir les règles relatives aux déchets à très faible activité (TFA) 80

4. Faciliter la mise en concurrence pour démanteler 80

5. Accélérer le démantèlement des réacteurs graphite-gaz (UNGG) 81

EXAMEN EN COMMISSION 83

ANNEXES 107

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 109

LISTE DES DÉPLACEMENTS RÉALISÉS 113

AVERTISSEMENT

Arrivé au terme de sept mois d’enquête, après avoir mené de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements en France comme à l’étranger, le président de la mission d’information se félicite du travail réalisé.

S’il partage globalement les vues et analyses présentées dans ce rapport, quelques points de divergence subsistent avec la rapporteure, Mme Barbara Romagnan, notamment sur des sujets tels que l’évolution de la production d’électricité d’origine nucléaire en France et dans le monde, mais aussi sur le montant des provisions réalisées par EDF ou encore sur la remise en état des sites sur lesquels se trouvaient des installations nucléaires.

C’est la raison pour laquelle, sur les points de désaccords les plus flagrants entre le président et la rapporteure, le point de vue du président sera exposé en contrepoint de celui de la rapporteure.

INTRODUCTION

La création d’une mission d’information relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires a été décidée en juin 2015 sur proposition du Président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, M. Jean-Paul Chanteguet. Présidée par M. Julien Aubert et composée de 12 membres, la mission a procédé pour ses travaux à l’audition de plus de 70 personnes entre juin 2016 et janvier 2017 et s’est déplacée à plusieurs reprises aussi bien pour des visites de sites français qu’aux États-Unis, aux fins de comparaisons internationales. Conformément à son intitulé, la mission s’est donnée pour objet d’évaluer les conditions du démantèlement des installations nucléaires arrivées au terme de leur autorisation d’exploitation, en privilégiant deux axes principaux : d’une part l’état d’avancement des savoir-faire techniques, d’autre part la disponibilité des ressources financières.

Ces deux champs d’investigation soulèvent des questions diverses que la mission a cherché à couvrir en interrogeant aussi bien des exploitants que des acteurs institutionnels et des ONG. Sait-on procéder à des déconstructions en milieu radioactif ? Dispose-t-on des technologies suffisantes – en matière de robotique notamment – pour mener à bien des opérations complexes en limitant l’exposition des personnels à la radioactivité et les risques pour l’environnement ? La main-d’œuvre est-elle disponible en nombre suffisant et formée de manière adéquate à ces opérations spécifiques ? Les exploitants disposent-ils des capacités financières suffisantes ? La méthode qu’ils retiennent pour estimer le coût des opérations est-elle fiable ? Le calendrier des provisions de charge est-il réaliste et respecté ? Les fonds seront-ils immédiatement disponibles ?

Au-delà des questions techniques et financières qui sont évoquées ici, on ne saurait manquer d’évoquer une dimension éthique. En effet, entre 1985 et 2100 – date prévue de la fin du démantèlement des réacteurs graphite-gaz (UNGG) du parc de première génération –, il se sera écoulé près de 120 ans, c’est-à-dire cinq générations. Alors qu’il est courant de parler de solidarité intergénérationnelle dans de nombreux domaines, on ne saurait exempter l’industrie nucléaire d’une telle exigence. C’est par exemple, ce qu’a fait l’Allemagne en 2011 au travers d’un rapport intitulé « Pour une offre d’énergie sûre », établi par des personnalités représentant différentes spécialités scientifiques mais aussi divers courants religieux et philosophique.

La mission d’information a mené ses travaux dans un contexte particulièrement riche en actualité pour la filière nucléaire dans son ensemble. En France tout d’abord, avec l’entrée en vigueur de la loi 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit de réduire de 75 % à 50 % d’ici 2025 la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité et la publication de la première « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE), les débats autour de la fermeture de la centrale de Fessenheim ou les retards dans la livraison de l’EPR de Flamanville, la mise à l’arrêt du tiers des 58 réacteurs en activité pour des opérations de maintenance classique, des incidents ou le contrôle de la résistance des générateurs de vapeur suite à des malfaçons sur certaines pièces, le souhait d’un « Grand carénage » par EDF afin de prolonger la durée de vie des réacteurs les plus anciens tout en décalant de plusieurs décennies les opérations de démantèlement…

En Europe aussi, l’énergie nucléaire interroge. C’est le cas en Allemagne notamment où a été décidé l’arrêt de tous les réacteurs d’ici 2022. À l’inverse, le Royaume-Uni a adopté le projet controversé de construction de deux réacteurs EPR sur le site d’Hinkley Point, pour lequel EDF fait un pari technique et financier lourd. En Suisse, le principe de la sortie du nucléaire est déjà acté, même si les électeurs ont récemment rejeté par 54,2 % des voix l’accélération du processus. La Belgique quant à elle s’interroge sur le niveau de sûreté de son parc nucléaire et l’Ukraine vient d’inaugurer un sarcophage géant pour protéger les vestiges encore hautement radioactifs du réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl. Et dans le monde, l’après-Fukushima recèle encore de nombreuses interrogations.

Dans un tel contexte, il est indispensable de conduire un débat public argumenté et éclairé sur le nucléaire, dans l’ensemble de ses dimensions. Et si la question du démantèlement des installations nucléaires se pose de manière spécifique maintenant, c’est parce qu’une partie importante du parc français arrivera bientôt à la fin de sa durée d’exploitation initialement prévue, soit 40 ans. Ceci concerne au premier chef les réacteurs d’EDF. La mise en place d’une filière nucléaire en France aurait dû avoir comme préalable de prévoir le démantèlement des installations mises à l’arrêt. Cela n’a pas été le cas. Or, à la différence de la production électrique carbonée dont l’abandon peut s’avérer relativement simple du point de vue des infrastructures, le nucléaire, lui, pose la question du devenir de ses installations.

En matière de démantèlement, notre principale certitude réside en ce qu’il est inéluctable : que les majorités à venir décident ou non de poursuivre le développement d’une filière nucléaire en France, l’obligation de démanteler les installations existantes s’impose à tous. Les premiers réacteurs nucléaires ont été construits sur le sol français au cours des années cinquante et les premiers déchets ont été produits, après renseignement pris auprès du CEA, en 1959. Les générations actuelles ont donc hérité de ce sujet qu’elles ont l’obligation de gérer. Par conséquent, l’objet de cette mission n’est pas de se prononcer sur le nucléaire en lui-même, autrement dit sur l’opportunité de maintenir ou non en France une production d’électricité nucléaire, mais bien de réunir la somme d’informations nécessaires à une mise en œuvre optimale du démantèlement.

Toutefois, à l’aune des travaux réalisés et des auditions auxquelles il a été procédé, il apparaît que la filière nucléaire française n’avait pas anticipé le démantèlement du premier parc et qu’implicitement elle s’appuie sur des hypothèses qui lui sont favorables comme la poursuite d’un programme nucléaire. En effet, EDF inquiète lorsqu’il annonce unilatéralement le report à l’horizon 2100 du démantèlement des réacteurs fonctionnant à l’uranium naturel graphite-gaz (UNGG) ou engage des travaux pour l’allongement de la durée de vie de son parc sans l’aval préalable de l’Autorité de sûreté nucléaire. Ces orientations sont en contradiction avec la loi sur la transition énergétique qui modifie le code de l’énergie en prévoyant dans son article 100-4 de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % d’ici 2025 ». Ces choix affectant grandement les conditions du démantèlement, il est impossible de ne pas les aborder ici. Cela nous conduit donc à formuler plusieurs observations visant à souligner selon nous des écueils majeurs, portant notamment sur les coûts, la durée et les techniques.

Autour de nous en effet, d’autres pays se sont engagés dans le démantèlement de leurs centrales ; les retours que nous en avons contredisent assez régulièrement l’optimisme dont fait preuve EDF, tant sur les aspects financiers que sur les aspects techniques du démantèlement.

Tout d’abord, la faisabilité technique que beaucoup d’exploitants considèrent comme maîtrisée n’est pas entièrement assurée. D’une part, on observe le report du démantèlement des derniers réacteurs UNGG « au début du XXIIe siècle », pour reprendre les termes mêmes de l’ASN, en raison de difficultés techniques qui prendront du temps à être surmontées.

D’autre part, il convient de citer le cas des installations particulières comme l’usine de retraitement de la Hague ou certains réacteurs tels que Superphénix à Creys-Malville, un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium. Ces installations ne faisant pas partie d’ensembles standardisés, elles présentent de fait des particularités qui peuvent entraîner des surcoûts difficiles à anticiper.

À ces difficultés s’ajoutent l’engorgement des lieux de stockage des déchets, de même qu’une absence de filière adaptée pour le graphite usagé. Cet engorgement rend nécessaire la construction d’un site de stockage supplémentaire pour les déchets volumineux qui seront issus du démantèlement, sans oublier Cigéo, à Bure, qui doit recevoir, si l’autorisation d’ouverture lui est accordée, à compter de 2035 ses premiers colis moyennement radioactifs et, à compter de 2080, ses déchets hautement radioactifs à vie longue.

Le second obstacle au démantèlement concerne la durée des travaux : contrairement aux premières prévisions réalisées, le démantèlement des installations nucléaires prendra vraisemblablement plus de temps que prévu. Si les résultats observés aux États-Unis confirment en partie les estimations des exploitants pour les réacteurs de type REP, fixées à 15 ou 20 ans, on observe déjà un premier paradoxe en matière de calendrier. En effet, la doctrine du démantèlement immédiat qui prévaut en France est largement mise à mal par la décision d’EDF de repousser à 2100 le démantèlement des plus vieux réacteurs du parc français, les réacteurs dit UNGG. Cette décision, non validée par l’ASN, s’explique par le fait que la faisabilité technique n’est pas acquise pour ces installations anciennes, qui ont été conçues sans la perspective de devoir les démanteler un jour.

Le risque d’allongement de la durée du démantèlement s’explique également par la question du périmètre du démantèlement. En effet, en l’absence d’une définition stricte de ce qui constitue une installation démantelée, comme c’est le cas actuellement, la plupart des exploitants ont pour objectif d’obtenir simplement la déclassification administrative de l’installation nucléaire. Une telle définition ne correspond pas à la remise en l’état du site, que l’on désigne souvent comme le « retour à l’herbe ». En fonction des options retenues concernant l’éventuelle réutilisation du site, les lieux peuvent être déclassés en étant assortis d’une servitude. Mais dans le cas d’un retour à l’herbe, la décontamination doit se poursuivre jusqu’à retrouver un niveau de radioactivité comparable à la radioactivité naturelle. Or exploitants et experts indépendants s’accordent pour dire que l’élimination des derniers becquerels (1) est à la fois la plus coûteuse et celle qui requiert le plus de temps.

La mission formule une troisième alerte, qui concerne la faisabilité financière du démantèlement : le coût du démantèlement risque d’être supérieur aux prévisions. Pour donner des ordres de grandeur, les travaux de la mission ont permis d’établir que les exploitants européens provisionnent généralement entre 900 millions et 1,3 milliard d’euros par réacteur à démanteler quand EDF ne provisionne que 350 millions environ par tranche. Certes, tous les pays n’incluent pas les mêmes opérations dans le démantèlement, et EDF attend des économies d’échelle du fait de la standardisation de son parc, pouvant expliquer en partie ces différences. Néanmoins, quelle que soit la méthode retenue par réacteur ou par Mégawatt, EDF présente toujours les estimations les plus basses. Ces calculs sont faits sur la base d’hypothèses discutées dans ce rapport.

Si l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’Institut de radioprotection et de sûreté sucléaire (IRSN) et la Cour des comptes valident globalement la stratégie retenue par les exploitants, on peut penser que les chiffres annoncés par le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis – pays les plus avancés dans leur démantèlement – s’approchent davantage du coût effectif que les projections faites par les exploitants français, dans la mesure où ces pays ont été confrontés à la réalité du démantèlement.

À la problématique de ces provisions, qui sont les plus basses de l’OCDE, s’ajoute celle de la prise en compte de l’ensemble des charges occasionnées par le démantèlement. L’inquiétude financière porte donc également sur l’existence de charges non provisionnées du fait de l’absence de données précises, ainsi que de la non prise en compte des coûts liés aux taxes et aux assurances, que les exploitants n’incluent pas dans leurs provisions.

Enfin, la dernière remarque découle de la précédente : du fait d’un coût qui pourrait être supérieur aux prévisions, les sommes déjà provisionnées et celles qui devront l’être seraient insuffisantes pour couvrir tous les frais induits par les opérations de démantèlement.

L’un des obstacles à la faisabilité technique de la partie dite uniformisée du parc nucléaire – les réacteurs REP – tient précisément à la relative standardisation des installations, souvent invoquée pour expliquer le coût plus faible du démantèlement en France. En effet, cet élément peut aussi s'avérer problématique car, si une difficulté majeure est rencontrée sur un réacteur, il en sera de même sur les autres. Or les malfaçons découvertes récemment lors de travaux sur les cuves de l’EPR en construction à Flamanville renforcent la probabilité d’un scénario de ce type. Par ailleurs, quand la technicité des gestes est acquise, la difficulté demeure de travailler dans un milieu radioactif qui, en outre, n’a pas toujours été conçu dans l’optique d’un démantèlement qui paraissait alors très lointain. Surtout, la relative homogénéité du parc français s’accompagne de fait d’une mise en service resserrée dans le temps : 80 % des réacteurs ont été mis en service entre 1977 et 1987. Leur démantèlement sera donc aussi rapproché et cette quasi-simultanéité posera des défis techniques en termes de moyens et de main-d’œuvre à mobiliser simultanément en de nombreux points du territoire.

À ce coût potentiellement supérieur s’ajoute en outre un risque avéré de complications, comme cela a été le cas pour la centrale de Brennilis, annoncé comme la vitrine du savoir-faire des exploitants en matière de démantèlement. En 2006, la Cour des comptes a évalué à 482 millions d’euros le coût du démantèlement de Brennilis, soit une multiplication par vingt du coût initialement annoncé par EDF. Or d’autres complications de ce type sont à prévoir, et pourraient augmenter considérablement les coûts globaux.

Par ailleurs, la mission s’interroge sur la nature des actifs dédiés et sur leur caractère « liquide » : EDF a par exemple inscrit au titre des actifs constituant ses provisions de démantèlement sa filiale Réseau de transport d’électricité (RTE). La question d’une éventuelle cession par EDF de sa filiale RTE pour financer le démantèlement a donc été posée.

Pour faire face à des montants importants, la stratégie retenue par EDF en matière de provisions semble être de parier sur un allongement de la durée de vie des installations à 50 voire 60 ans grâce à un vaste programme de travaux de remise en état des centrales : le « Grand carénage ». Le montant de ce projet est estimé par la Cour des comptes à 74 milliards d’euros, un montant sensiblement équivalent à celui estimé par EDF pour le démantèlement de son parc nucléaire. L’allongement de la durée de vie des centrales, acté au 30 juin 2016 par le Conseil d’administration d’EDF, permet en effet d’amoindrir les provisions à réaliser en les étalant sur une durée comptable significativement plus longue. Ce pari d’EDF, déjà acté pour les réacteurs de 900 MW à l’exception de Fessenheim, peut d’autant plus surprendre que toute prolongation de vie d’un réacteur doit d’abord recevoir, après enquête, l’aval technique de l’ASN, mais doit aussi recueillir l’assentiment du pouvoir politique qui, in fine, reste le seul décisionnaire. L’engagement par EDF de sommes de cette nature pour la prolongation de son parc nucléaire, alors même que l’ASN n’a à ce jour pas encore statué sur la question et que le pouvoir politique ne s’est pas prononcé, apparaît à la mission comme une prise de risque pour le moins hasardeuse au vu des défis financiers qui attendent déjà l’entreprise.

*

* *

À l’issue de ces travaux, le présent rapport conclut donc à la nécessité de rediscuter sérieusement la stratégie globale de démantèlement, sur un plan tant technique que financier. Les enjeux à venir sont colossaux, aussi bien du point de vue de la sûreté et de la santé que du point de vue budgétaire. Ce dernier dépasse d’ailleurs largement l’avenir des seuls exploitants, car en cas de défaut de leur part, il est probable que la charge financière du démantèlement reviendrait de fait à l’État, autrement dit aux contribuables. Ce scénario n’est pas sans crédibilité ; il s’est déjà produit au Royaume-Uni, qui au moment des difficultés financières de British Energy a vu disparaître son fonds de démantèlement dont la charge a été reprise par la Nuclear decommissioning authority (NDA) et mobilise de ce fait 95 % du budget du ministère britannique de l’énergie et du changement climatique.

De ce point de vue, la France bénéficie grâce à la loi de juin 2006 d’un mécanisme sécurisé de provisionnement indépendant des entreprises qui l’abondent. Encore faut-il toutefois que les fonds y soient suffisants et disponibles, et la mission d’information souhaite, au terme de ses travaux, souligner le caractère encore trop incertain de nombreux paramètres.

PREMIÈRE PARTIE : LE CADRE GÉNÉRAL

I. L’ÉTAT DES LIEUX

Depuis un quart de siècle, le nombre de réacteurs en service au niveau mondial diminue. Parallèlement, celui des installations à l’arrêt ne cesse de croître, créant de la part des populations une attente en matière de démantèlement de ces installations très particulières et rendant nécessaire, pour les pouvoirs publics, la mise en place d’une filière appropriée dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en la matière.

Compte tenu du nombre relativement restreint des réacteurs nucléaires militaires en attente de démantèlement, de leur petite taille et de leur gestion spécifique par la Direction générale de l’armement (DGA) la mission d’information a choisi de s’intéresser principalement aux réacteurs civils.

A. QU’EST-CE QUE LE DÉMANTÈLEMENT NUCLÉAIRE ?

1. Une définition à géométrie variable

Le démantèlement nucléaire est l’action de déconstruire une installation (2), généralement un réacteur nucléaire, qu’il soit expérimental ou de production d’électricité, et d’assainir les sols qui auraient pu être contaminés. En France, cette opération survient après l’arrêt total et définitif de l’exploitation, après autorisation de l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN) et sur décret. Le démantèlement implique la démolition du réacteur nucléaire et, en principe, celle de l’ensemble des bâtiments.

La spécificité des matières radioactives utilisées par l’industrie nucléaire rend nécessaire des mesures draconiennes de radioprotection pour les personnes intervenant sur le chantier, le confinement, le conditionnement et l’évacuation des déchets radioactifs ou potentiellement dangereux. Outre les éléments directement et normalement contaminés par le fonctionnement de l’installation, il est aussi nécessaire de repérer et de traiter les contaminations accidentelles ayant pu survenir, par exemple, à la suite de fuites.

En théorie et dans les cas les plus favorables, le démantèlement doit permettre la réutilisation sans contrainte des espaces libérés et entièrement décontaminés. On parle alors de « retour à l’herbe », l’image évoquant un retour à l’état de nature. Mais la réalité est plus complexe : la décontamination totale, parfois appelée « au dernier becquerel », étant particulièrement onéreuse, l’ASN peut accepter dans certains cas et à la demande de l’exploitant que le démantèlement n’inclue pas cette contrainte, surtout lorsqu’une réutilisation industrielle du site est envisagée. Compte tenu de l’existence d’une radioactivité naturelle non dangereuse pour l’activité humaine, un faible niveau d’activité ne dépassant pas les rayonnements naturels peut être accepté.

Dans certains pays, notamment aux États-Unis (cf. la troisième partie du présent rapport), il est même admis – même si cela est assez rare et parfois temporaire – que certains vestiges radioactifs puissent être laissés sur place recouverts d’un sarcophage ; dans d’autres cas, les combustibles usagés peuvent être stockés sur des sites de réacteurs démantelés dans des silos étanches. Les Américains parlent alors d’une manière imagée d’un retour à l’herbe brune (« brown field »).

2. La remise en état complète des sols s’avère très coûteuse

En France, les politiques en matière de démantèlement varient selon les exploitants qui soumettent leurs projets à l’ASN, autorité décisionnaire.

Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui parle plus volontiers d’« assainissement-démantèlement », a souhaité retirer toute radioactivité de Siloé, le premier réacteur qu’il a démantelé, à Grenoble. Compte tenu du coût de l’opération, il semblerait que l’option de la décontamination totale ne sera pas retenue pour les autres réacteurs que le Commissariat devra démanteler.

Areva, société qui exploite notamment l’usine de retraitement de la Hague, a souhaité conserver une destination industrielle aux réacteurs démantelés au sein de son usine et n’est donc pas allée jusqu’à un retour complet à l’herbe.

De son côté, le principal exploitant français, EDF, compte actuellement 58 réacteurs à eau pressurisée (REP) en fonctionnement et neuf réacteurs à l’arrêt : Brennilis (réacteur à eau lourde), Superphénix (réacteur au sodium), six réacteurs de première génération ayant fonctionné au graphite gaz ainsi que le réacteur enterré de Chooz A, le plus ancien REP français.

Quoi qu’il ne le reconnaisse pas explicitement, l’électricien admet qu’il souhaiterait conserver une vocation industrielle à ses sites et, donc, éviter une décontamination totale. C’est la raison pour laquelle la remise en état des sites n’est pas incluse dans sa politique de démantèlement. D’ailleurs les responsables d’EDF n’utilisent pas ce terme, privilégiant celui de « déconstruction », peut-être parce qu’il renvoie simplement à la destruction physique de ce qui est visible.

B. LE DÉMANTÈLEMENT : UNE ACTIVITÉ APPELÉE À SE DÉVELOPPER

Si l’on considère l’ensemble des réacteurs nucléaires fixes (hors navires ou sous-marins), de puissance ou expérimentaux, 140 d’entre eux sont actuellement arrêtés dans le monde. Plus de 60 % de ces réacteurs arrêtés se situent en Europe : 29 sont au Royaume-Uni (pays qui représente à lui seul 20 % des réacteurs à l’arrêt dans le monde), 27 en Allemagne, 12 en France, 4 en Bulgarie, 4 en Italie, 2 en Lituanie, 1 aux Pays-Bas, 3 en Slovaquie, 2 en Espagne et 3 en Suède.

1. Depuis 1988, le nombre de réacteurs en activité diminue en Europe

L’âge d’or du nucléaire civil semble s’être achevé à la fin des années 1980, avec un nombre maximum de réacteurs en exploitation en Europe de 177 en 1988. Depuis, si la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire s’est stabilisée autour de 150 GW grâce à la capacité supérieure des centrales les plus récentes, le nombre de réacteurs en activité a régulièrement diminué. En 2016, leur nombre n’était plus que de 127 : – 28 % en vingt-huit ans.

Source : IAEA-PRIS, MSC, 2016 From WNISR Database, as of 1/12/2016

© Mycle Schneider Consulting

Toutefois, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit dans son rapport World Energy Outlook un doublement à l’horizon 2050 du marché du nucléaire qui passerait de 400 GW à 930 GW, notamment grâce aux réacteurs construits en Chine.

Un examen plus approfondi des chiffres laisse apparaître, après le pic des années 1988 et 1989, une diminution du nombre de réacteurs entrés en service après 1990, la légère remontée enregistrée depuis 2010 étant principalement due à la Chine dont l’expansion économique a nécessité une augmentation importante de la fourniture énergétique. À quelques exceptions près (Flamanville, Olkiluoto en Finlande, Hinkley Point, les Émirats arabes unis…), le reste du monde, pour le moment, ne construit pratiquement plus de nouveaux réacteurs.

Source : IAEA-PRIS, MSC, 2016 From WNISR Database, as of 1/12/2016

© Mycle Schneider Consulting

2. La diminution régulière de la consommation électrique

La baisse du nombre de réacteurs nucléaires en activité résulte de plusieurs facteurs : plus forte puissance des nouveaux réacteurs, demande citoyenne, arbitrages politiques, etc. La diminution de la consommation électrique, lente mais continue, observée en Europe et en France depuis une dizaine d’années participe également de ce mouvement de réduction du nombre de réacteurs nucléaires, ainsi que le montrent les chiffres publiés par EDF et par Eurostat.

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EUROPE : CONSOMMATION FINALE D'ÉLECTRICITÉ (UE À 28)

(en TWh)

Sources : Eurostat

Cette baisse est liée à une rationalisation de la consommation électrique (appareils électroménagers plus économes, meilleure isolation thermique des logements, diminution des industries consommatrices d’énergie…) et n’a pas été remise en cause par la généralisation des téléphones portables et des objets connectés qui doivent être régulièrement rechargés.

Le président de la mission d’information considère toutefois que la consommation électrique pourrait se stabiliser, voire repartir à la hausse en France et en Europe si les véhicules électriques devaient, à l’avenir, s’imposer comme un mode de déplacement de masse mais aussi parce que la priorité de la France est de se dégager de sa dépendance au combustible fossile (66 % du mix énergétique). Même si la part du fossile baisse à 50 %, elle devra être compensée par de l’électrique.

Il relève que si l’énergie nucléaire interroge en Europe, le reste du monde, notamment la Chine, continue à construire des réacteurs nucléaires pour accompagner son développement et que même le Japon n’a pas tiré un trait sur le nucléaire.

Enfin, il considère que les objectifs inscrits dans la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit que soit réduite de 75 % à 50 % la part d’électricité issue du nucléaire, seront amenés à être revus.

3. Les installations en cours ou en attente de démantèlement en France

Le nombre des réacteurs à l’arrêt dans notre pays, en cours ou en attente de démantèlement, est beaucoup plus important qu’on se l’imagine. Si les neuf réacteurs de puissance d’EDF cités plus haut sont relativement connus, il convient de ne pas oublier plusieurs dizaines de réacteurs souvent plus petits et généralement expérimentaux et ayant servi à d’autres opérateurs. Les installations nucléaires de base à l’arrêt en France sont les suivantes :

• Les réacteurs de puissance :

o le réacteur EL4 du site nucléaire de Brennilis (EDF)

o les réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG) :

§ le réacteur nucléaire G1 (Marcoule - CEA)

§ le réacteur nucléaire G2 (Marcoule - CEA)

§ le réacteur nucléaire G3 (Marcoule - CEA)

§ les réacteurs Chinon A1/EDF1, Chinon A2/EDF2 et Chinon A3/EDF3 (centrale nucléaire de Chinon)

§ les réacteurs EDF4 et EDF5 (centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux)

§ le réacteur Bugey 1 (centrale nucléaire du Bugey - EDF)

o le réacteur Chooz A (centrale nucléaire de Chooz - EDF)

o le réacteur Superphénix (site nucléaire de Creys-Malville - EDF)

• Les réacteurs de recherche :

o le réacteur Ulysse (centre CEA de Saclay)

o les réacteurs Celestin I, Celestin II et Phénix (CEA Marcoule)

o les réacteurs Siloette Mélusine et Siloé (CEA Grenoble)

o les réacteurs Harmonie Rapsodie et Phébus (CEA Cadarache)

o le réacteur universitaire de Strasbourg (CEA)

• Les laboratoires et ateliers du CEA :

o l’atelier pilote de retraitement AT1 (usine de retraitement de la Hague)

o l’atelier de fabrication de sources de césium 137 et de strontium 90 (ELAN IIB) (usine de retraitement de la Hague)

o les ATUe (Ateliers de traitement de l'uranium enrichi) (centre de Cadarache)

o le laboratoire de découpage d’assemblages combustibles (LDAC) (centre de Cadarache)

o le laboratoire de chimie du plutonium (LCPu) (centre CEA Fontenay-aux-Roses)

o le laboratoire d’études de combustibles à base de plutonium (centre CEA Fontenay-aux-Roses)

o l’accélérateur Saturne (centre CEA de Saclay)

o l’accélérateur linéaire de Saclay (ALS) (centre CEA de Saclay)

• Autres installations :

o l'usine d'extraction du plutonium de Marcoule (UP1) (Gard)

o l’usine FBFC de Pierrelatte (site nucléaire du Tricastin)

o l’irradiateur de la Société normande de conserve et stérilisation (SNCS) servant à l'irradiation des aliments

o les sites de la Société Industrielle de Combustible Nucléaire (SICN) : Annecy (Haute-Savoie) et Veurey-Voroize (Isère).

C. LE CAS SPÉCIFIQUE DES RÉACTEURS DE LA MARINE NATIONALE

1. Les six premiers réacteurs militaires sont à l’arrêt

Entre les années 1971 et 1985, la France a construit six sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) qui ont été retirés du service entre 1991 et 2008. Tous sont maintenant à Cherbourg où leurs installations nucléaires sont progressivement démantelées sous la maîtrise d’œuvre de la Direction générale de l’armement (DGA).

L’opération se déroule en plusieurs étapes. Lors de la mise à l’arrêt définitif, le dernier combustible usagé est déchargé du réacteur et est refroidi en piscine en attendant d’être pris en charge par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour stockage et/ou retraitement.

Vient ensuite la phase du démantèlement qui comprend plusieurs étapes. Pendant la première, sont débarqués différents matériels de la tranche réacteur. Lors de la deuxième étape, une décontamination poussée est opérée. Tous les fluides sont vidangés et le circuit primaire est asséché. Les traversées de cloison sont soudées par des tapes métalliques qui isolent complètement le compartiment réacteur du reste du navire. Cette opération dure de 10 à 12 mois.

Le navire est ensuite mis au sec grâce à un ascenseur géant. Puis, il est procédé à la découpe de la tranche réacteur (longue de 8 mètres et pesant 700 tonnes), alors parfaitement confinée. Ce tronçon est ensuite transporté vers son lieu d’entreposage. L’avant et l’arrière du sous-marin sont alors repositionnés puis joints par soudage. L’ensemble est remis à l’eau et entreposé le long d’un quai dans l’attente de son démantèlement.

2. Le démantèlement n’est pas immédiat

La tranche réacteur est ensuite entreposée « pour une durée de l’ordre de quelques dizaines d’années » sur une dalle résistante aux séismes, dans l’attente d’une diminution de la radioactivité de certains matériaux métalliques. Elle est protégée des intempéries par une structure adaptée.

Lorsque le moment sera jugé opportun, les tranches réacteurs des anciens SNLE seront entièrement découpées par des entreprises civiles avec lesquelles des marchés ont été passés et les déchets seront conditionnés en fûts afin d’être confiés à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

À ce jour, l’ensemble des six ex-SNLE de première génération ont été débarrassés de leur tranche réacteur. Parmi eux, le premier de la série, le Redoutable, est ouvert au public depuis 2002 dans la Cité de la mer de Cherbourg. Son réacteur nucléaire, entreposé en sécurité depuis 18 ans, refroidit et perd peu à peu de sa radioactivité, dans l’attente de son futur démantèlement.

3. Une filière en cours de création

D’ici quelques années, ce sera au tour de la première génération de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de type Rubis d’être retirée du service. Ce sont six nouveaux réacteurs nucléaires qui devront être traités. Puis, à l’horizon 2040, les deux réacteurs du porte-avions Charles-de-Gaulle seront démantelés à Cherbourg, suivis, après les années 2050, des réacteurs des SNLE de nouvelle génération actuellement en service.

C’est donc toute une filière de démantèlement des réacteurs nucléaires militaires qui se met en place, dotée d’une vision assez précise de l’activité prévisible sur le demi-siècle à venir.

II. LES PRINCIPALES HYPOTHÈSES DE DÉPART

Le calcul du coût du démantèlement sur plusieurs décennies d’un parc de 58 réacteurs est d’une grande complexité et repose sur une multitude d’hypothèses parfois générales, parfois très techniques (prix de l’électricité, quantité de gravats, prix d’évacuation et de stockage des déchets, nombre d’heures de travail nécessaire pour chaque tâche, etc.). S’il est impossible de vérifier la totalité des hypothèses techniques, il est toutefois loisible de rappeler quelques principes de bases et de s’intéresser à quelques hypothèses techniques ou financières.

A. DES PRINCIPES DE BASE

1. Une extrapolation tirée d’un modèle générique : la méthode Dampierre

Pour estimer le coût du démantèlement de son parc de réacteurs à eau pressurisé (REP), EDF a décidé, plutôt que de mener une étude réacteur par réacteur, de s’intéresser à une centrale générique – celle de Dampierre (4 tranches de 900 MW) – et d’extrapoler les résultats à l’ensemble du parc, en multipliant le résultat trouvé par le nombre de réacteurs concernés, sans avoir répertorié les incidents et particularités de chaque réacteur. En effet, l’absence de données précises recensant les incidents survenus sur chaque réacteur interdit pour l’instant une étude plus fine, site par site, du coût du démantèlement.

Une première étude globale a été menée en 1998. Mise à jour en 2009, elle a été baptisée « Dampierre 2009 » ou « DA09 » et sert de référence absolue à EDF, dans l’attente d’une nouvelle actualisation annoncée comme prochaine. Ce modèle a été réalisé avant la catastrophe de Fukushima qui a conduit à un renforcement général des normes de sécurité et à un renchérissement des procédures.

2. Le démantèlement doit être immédiat

Contrairement à certains pays qui peuvent souhaiter attendre une baisse de la radioactivité avant d’entreprendre le démantèlement de leurs installations nucléaires, le principe d’immédiateté du démantèlement est admis dans notre pays par – à peu près – l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire. Il est devenu une règle que l’ASN s’efforce de faire respecter.

En effet, l’article 127 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que « lorsque le fonctionnement d’une installation nucléaire de base ou d’une partie d'une telle installation est arrêté définitivement, son exploitant procède à son démantèlement dans un délai aussi court que possible ».

Ce principe est toutefois relatif dans la mesure où il s’écoule généralement un délai de 5 à 7 ans entre la mise à l’arrêt définitif d’un réacteur et le début proprement dit de son démantèlement. Ce laps de temps est nécessaire pour que l’exploitant soumette un projet industriel de déconstruction à l’autorité régulatrice, l’ASN, pour que celle-ci l’examine, éventuellement le corrige, et pour que le décret d’autorisation de démantèlement soit publié.

Ce délai est mis à profit pour réaliser les opérations préliminaires (destruction des bâtiments conventionnels). Il permet également une baisse de la radioactivité pour les radioéléments à vie courte.

3. Les sols doivent être décontaminés

L’ASN a pour mission de veiller à ce que les sites qui ont accueilli des réacteurs nucléaires soient « remis en état » après le démantèlement des installations nucléaires. L’expression est suffisamment imprécise pour que la porte reste ouverte à plusieurs possibilités, négociables entre l’ASN et l’exploitant.

C’est ainsi qu’un site inséré dans une enceinte industrielle, comme il en existe dans les vastes usines de la Hague, de Cadarache ou de Marcoule, peut faire l’objet d’une décontamination laissant subsister une radioactivité résiduelle équivalente à la radioactivité naturelle. En revanche, sur un site plus ouvert et susceptible d’accueillir des activités voire des logements, une décontamination beaucoup plus poussée sera demandée. La plupart du temps, les sites sont frappés d’une servitude.

Dans tous les cas, l’ASN qui est seul juge peut exiger une décontamination des sols au dernier becquerel. Dans ce cas, on peut parler de « retour à l’herbe ».

B. DES PARAMÈTRES CENSÉS RÉDUIRE LES COÛTS

1. La mutualisation des tranches serait une source d’économie

L’étude Dampierre 09 menée par EDF fait l’hypothèse que les sites sur lesquels se trouvent des réacteurs définitivement arrêtés comportent, pendant toute la durée du démantèlement, une ou deux tranches en service ou en construction à proximité, ce qui permet de mutualiser les services de soutien entre les tranches en production (ou en construction) et celles en démantèlement.

Cette hypothèse est très favorable à l’exploitant puisqu’elle lui permet d’éviter de dupliquer un grand nombre de frais qui ne se limitent pas au gardiennage, mais ont de réelles répercussions sur l’organisation industrielle des chantiers (partage d’outils spécialisés et coûteux, de robots, etc.).

2. L’effet de série devrait réduire sensiblement les coûts

L’élément principal qui permet à EDF d’afficher un coût prévisionnel largement inférieur à celui des autres exploitants est « l’effet de série » : en effet, les 58 réacteurs à eau pressurisée qui constituent l’essentiel de son parc sont relativement homogènes. L’expérience acquise lors du démantèlement des premières installations devrait permettre d’être plus efficace pour les suivants notamment sur les points suivants :

– gain de productivité des agents d’EDF et de ses sous-traitants grâce aux effets d’échelle ;

– gain de productivité en matière d’études et d’ingénierie ;

– possibilité d’utiliser sur plusieurs tranches des équipements spécifiques, tels que des robots.

Toutefois, cet effet de série, controversé quant à son niveau, ne sera possible qu’à condition que soit mis en place un solide retour d’expérience entre l’exploitant et ses sous-traitants. De plus, il ne pourra bénéficier qu’à EDF, le CEA et Areva ne disposant que de réacteurs expérimentaux tous différents les uns des autres.

*

* *

DEUXIÈME PARTIE :
UNE FAISABILITÉ TECHNIQUE PAS ENTIÈREMENT ASSURÉE

Tous les exploitants et spécialistes du nucléaire semblent sûrs que la faisabilité technique du démantèlement des réacteurs à eau pressurisée (REP) est maîtrisée. Les exemples étrangers sont multiples et, en France, EDF semble mener à bien le premier démantèlement d’un REP, celui de Chooz A, même si sa position souterraine et sa plus faible puissance en font un cas un peu particulier.

Le CEA et Areva, qui disposent d’un nombre réduit d’installations expérimentales ou de recherche, ont démontré leur capacité à réussir leurs premiers démantèlements et ne semblent pas éprouver de difficultés particulières, même si la diversité des architectures ne facilite pas leur tâche.

Il n’en demeure pas moins vrai qu’EDF est confrontée à des difficultés pour démanteler les six réacteurs dits « uranium naturel graphite-gaz » (UNGG) qui ont constitué son premier parc, ainsi que Brennilis et Superphénix, réacteurs atypiques dont le long démantèlement se poursuit dans la douleur.

I. LES DIFFICULTÉS D’EDF POUR DÉMANTELER SES PREMIERS RÉACTEURS

Avant de s’intéresser au démantèlement du parc de réacteurs à eau pressurisée (REP) d’EDF, il est nécessaire d’examiner les premières expériences de l’électricien en matière de démantèlement. Celles-ci sont préoccupantes, tant sur le plan technique que sur celui des délais. Il s’agit du réacteur à eau lourde de Brennilis, de Superphénix qui fonctionnait au sodium, ainsi que des six réacteurs fonctionnant au graphite-gaz.

A. LE DÉMANTÈLEMENT INTERMINABLE DE BRENNILIS

1. Dix-huit ans d’exploitation, quarante-sept ans de démantèlement

Mise en exploitation en 1967, cette centrale expérimentale d’une puissance de 70 MW est la seule en France à avoir fonctionné avec un réacteur à eau lourde. Mais le test ne s’est pas avéré concluant. Pendant dix-huit ans, le réacteur a fonctionné par intermittence, avant d'être abandonné au profit d’une technologie jugée plus stable et plus rentable : le réacteur à eau pressurisée.

Après sa fermeture, en 1985, des employés sont restés sur le site, notamment pour mettre à l'arrêt le réacteur et évacuer le combustible. La deuxième phase du démantèlement a débuté en 1997. Mais, en 2007, le Conseil d’État, saisi par le réseau « Sortir du nucléaire », a annulé le décret qui autorisait la procédure de démantèlement, pointant un manque de transparence et exigeant une enquête publique.

Le Conseil d’État soulignait notamment le manque d'information permettant d'évaluer le coût du démantèlement, « ni sur les sommes déjà dépensées, ni sur le coût prévisionnel des opérations à venir ».

L’enquête publique a duré du 27 octobre au 11 décembre 2009, incluant une prolongation de 14 jours décidée au vu de la complexité des dossiers. Entre-temps, EDF avait choisi de confier le démantèlement du cœur du réacteur à l’entreprise privée ONET Technologies.

La déconstruction du réacteur n’a redémarré qu’en 2011. Aujourd’hui, EDF estime que le démantèlement complet pourrait être achevé en 2032, soit quarante-sept ans après la mise à l’arrêt de la centrale.

2. Un coût multiplié par vingt ?

En 2005, avant l’intervention du Conseil d’État, l’enquête publique et les nouveaux retards, la Cour des comptes évaluait le coût du démantèlement de la centrale de Brennilis à 482 millions d’euros (3), soit 20 fois plus que l’estimation que la commission PEON (4),qui est à l’origine du parc nucléaire français actuellement en exploitation, avait publiée en 1985.

Douze ans plus tard, une estimation du coût du démantèlement de ce réacteur reste difficile à obtenir. Interrogé sur ce point, l’électricien n’a pas apporté de réponse à la mission d’information.

B. LES REVIREMENTS D’EDF FACE AU GRAPHITE

1. Le démantèlement « sous eau » des réacteurs UNGG

La principale difficulté du démantèlement des réacteurs UNGG, après enlèvement des éléments combustibles, consiste à traiter les empilements de couches de graphite. Il est procédé à ce traitement par une méthode originale de démantèlement « sous eau » qui consiste à remplir d’eau le caisson de béton afin de protéger les ouvriers de la radioactivité pour procéder à la découpe de la partie haute du caisson avant d’atteindre l’empilement de graphite, l’eau étant en circulation permanente, ce qui permet de la filtrer.

Cette méthode de démantèlement sous eau a été utilisée avec succès lors du démantèlement du réacteur de Fort Saint-Vrain, dans le Colorado, aux États-Unis, qui était un réacteur de la filière dite HTGR (high temperature gaz cooled reactor). Unique en son genre mais présentant des caractéristiques communes avec les réacteurs de la filière UNGG, ce réacteur fonctionnait avec un combustible uranium-thorium et un modérateur graphite. Mis en service en 1976 et arrêté définitivement en 1989, ce réacteur a été définitivement démantelé en 1997, moins de dix ans après la mise à l’arrêt définitive du réacteur, pour un coût de 283 millions de dollars (5). EDF a toutefois indiqué à la mission d’information que des différences matérielles entre le réacteur américain et le modèle français ne permettaient pas d’utiliser la même technique de démantèlement du cœur.

En application du principe d’un « démantèlement immédiat » qui constitue la stratégie française du démantèlement des installations nucléaires (cf. supra), le Centre d’ingénierie, déconstruction et environnement (CIDEN) d’EDF présentait le 14 mars 2013 un programme de démantèlement des réacteurs UNGG à l’arrêt censé se dérouler en trois phases (6:

– la poursuite du démantèlement du réacteur de Bugey 1, entamée en 1994, et l’extraction du graphite entre 2018 et 2033 suivie de la démolition des bâtiments et de la réhabilitation du site jusqu’en 2037 ;

– le démantèlement des réacteurs et l’extraction du graphite des réacteurs de Saint-Laurent A1 et A2 entre 2021 et 2037 ;

– le démantèlement du réacteur et l’extraction du graphite pour les réacteurs de Chinon entre 2025 et 2041.

Pour les réacteurs Chinon A3, Saint-Laurent A et A2 et Bugey, la phase de démantèlement du réacteur et l’extraction du graphite devaient être réalisés suivant la méthode sous-eau, à l’image du démantèlement du réacteur de Fort Saint-Vrain. Pour les réacteurs Chinon A1 et A2, dont la structure est différente des autres UNGG, le démantèlement était d’emblée prévu sous-air et non sous-eau.

2. Un changement de stratégie inattendu de la part d’EDF

Les opérations semblaient se dérouler de façon satisfaisante et conformément au programme de démantèlement des réacteurs UNGG d’EDF selon les termes mêmes du rapport annuel 2015 de l’ASN : « Comme demandé par l’ASN, EDF a transmis une mise à jour de la stratégie de démantèlement de ses réacteurs (…) Ce dossier a été examiné par le groupe permanent d’experts en 2015. L’ASN avait demandé au préalable à EDF d’inclure dans ce dossier une étude des solutions alternatives pour la gestion des déchets de graphite afin de ne pas conditionner davantage le démantèlement des caissons des réacteurs UNGG à la mise en service du centre de stockage des déchets de type faible activité à vie longue (FA-VL)(…) L’ASN considère que le démantèlement du réacteur 1 du site du Bugey se déroule dans des conditions de sûreté globalement satisfaisantes ».

Les travaux de démantèlement en dehors du caisson réacteur se sont poursuivis en 2015, conformément au programme initial qui réservait à la période 2018-2033 la phase la plus délicate d’extraction du graphite.

Un changement notable de stratégie a pourtant été décidé très récemment et unilatéralement par EDF. Il a donné lieu à une note d’information de l’ASN le 2 juin 2016 : « le 29 mars 2016, le collège de l’ASN a, pour la deuxième fois, auditionné EDF sur la stratégie de démantèlement des réacteurs de type uranium naturel graphite gaz (UNGG) […] Au cours de cette audition, EDF a informé l’ASN qu’elle retenait une nouvelle stratégie de démantèlement ; celle-ci modifie significativement la méthode, le rythme des démantèlements et les scénarios associés [Le scénario de démantèlement initialement prévu, celui des caissons « sous-eau », est abandonné au profit d’un démantèlement de tous les réacteurs de type UNGG « sous air », qui s’accompagne d’un changement du réacteur tête de série] (7). […] Cette nouvelle stratégie conduit à décaler de plusieurs décennies le démantèlement de certains réacteurs au regard de la stratégie affichée par EDF en 2001 et mise à jour en 2013. Le collège de l’ASN a pris connaissance de cette nouvelle stratégie et a demandé à EDF de rendre public et de justifier de manière détaillée ce changement, en démontrant le respect des exigences législatives relatives au « démantèlement dans un délai aussi court que possible » de l’ensemble de ses réacteurs UNGG. ».

3. L’autorité de régulation enjoint EDF de se justifier

EDF a indiqué à l’ASN qu’elle présentera, dans les prochaines semaines, cette nouvelle stratégie aux commissions locales d’information (CLI) concernées. Dans une lettre datée du 25 juillet 2016 adressée au président d’EDF, le président de l’ASN écrivait :

« Monsieur le Président,

« […] Lors de l’audition du 29 mars 2016, les représentants d’EDF ont présenté une nouvelle stratégie de démantèlement qui consiste à abandonner le démantèlement « sous eau » des caissons des réacteurs à uranium naturel graphite-gaz (UNGG) pour réaliser un démantèlement « sous air », initialement prévu uniquement pour les réacteurs Chinon A1 et A2 (INB n° 133 et 153). […] le démantèlement du dernier réacteur UNGG doit alors se terminer au début du XXIIe siècle. (…)

« La nouvelle stratégie présentée par EDF indique des durées globales de démantèlement de l’ordre de la centaine d’années après l’arrêt des réacteurs ; […] ces délais sont a priori difficilement compatibles avec le principe […] selon lequel l’exploitant d’une installation nucléaire de base doit procéder à son démantèlement « dans un délai aussi court que possible […] » après son arrêt définitif. Je ne dispose, pour le moment, d’aucun élément justifiant de manière étayée que cette nouvelle stratégie respecte ce principe.

« En outre, ce nouveau scénario et les durées qu’il prévoit ne sont pas compatibles avec les dispositions des décrets de démantèlement des réacteurs de Bugey 1, Chinon A3 et Saint-Laurent A1 et A2. Si vous confirmez votre projet, vous devrez donc déposer des demandes de modification de ces décrets. […] je vous demande de me transmettre avant le 31 mars 2017, un dossier justifiant le respect de l’obligation de l’article L. 593-25 susmentionné. Vous justifierez notamment :

« – l’abandon du démantèlement « sous eau » des caissons des réacteurs Bugey 1, Saint-Laurent A1 et A2 et Chinon A3 et les raisons vous ayant conduit à n’en apprécier l’impossibilité technique qu’après plus de 15 ans d’études,

« – l’augmentation de la durée de démantèlement des caissons « sous air » […] ».

4. Une difficulté technique non résolue à l’échelle industrielle

La justification apportée oralement par EDF à ce récent changement de stratégie de démantèlement tient à la complexité technique du démantèlement sous eau. La découverte de cette impossibilité technique après quinze ans d’études, plus de vingt ans après la fermeture de la dernière unité de production (site du Bugey 1 en 1994) et dix-neuf ans après l’achèvement du démantèlement sous eau du réacteur de Fort Saint-Vrain arrive tardivement pour expliquer l’abandon de la méthode sous eau.

EDF a fourni à la mission d’information l’explication de ce retard : la phase de démantèlement du réacteur et de l’empilement de graphite ne sera pas réalisée directement par l’exploitant, mais par des entreprises sous-traitantes. Ce sont les réponses à l’appel d’offres qui ont convaincu l’électricien de changer de stratégie dans la mesure où l’extraction du graphite demandera – aux dires des sous-traitants – environ quinze ans, contre trois envisagés précédemment. Or laisser sous eau une telle structure pendant une aussi longue durée poserait inévitablement des problèmes de corrosion. C’est la raison pour laquelle un allongement des délais a été décidé, d’autant que l’électricien souhaite valider sa méthode de démantèlement sur un premier réacteur, d’ici à 2060 environ, avant de déconstruire les cinq autres, au cours des quarante années suivantes.

Les responsables d’EDF ont reconnu être face à une difficulté technique « non résolue à l’échelle industrielle » avant d’ajouter, de manière plus discutable, « nous ne sommes pas en retard, nous restons en avance ».

Dans tous les cas, si la nouvelle stratégie d’EDF était validée par l’ASN, les coûts d’un démantèlement différé seraient sensiblement plus importants que ceux du démantèlement initialement prévu mais l’allongement considérable des opérations dans le temps permettrait, grâce au taux d’actualisation, d’afficher un niveau de provisions nettement inférieur. Dans une telle hypothèse, le report sur plusieurs décennies de ces opérations pourrait opportunément soulager les finances de l’exploitant.

La mission d’information regrette le report à une si longue échéance du démantèlement des réacteurs graphite-gaz, d’autant que cela envoie un mauvais signal sur la faisabilité globale du démantèlement. Elle recommande, à l’instar de l’ASN et conformément à la règlementation, que soient respectés « des délais aussi courts que possibles ».

C. LE CAS DE SUPERPHÉNIX

Situé sur le site de Creys-Malville, en bordure du Rhône, Superphénix est un réacteur nucléaire entré en service en 1985 et arrêté en 1996. C’était à l’origine un prototype de réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium succédant aux réacteurs nucléaires expérimentaux Phénix et Rapsodie. En 1994, un décret a transformé Superphénix en réacteur de recherche et de démonstration, mais ce décret a été invalidé en 1997 par le Conseil d’État.

Le 30 décembre 1998, le réacteur Superphénix faisait l’objet d’un décret de mise à l’arrêt définitif. L’achèvement de son démantèlement, atypique compte tenu de la technologie utilisée, est prévu par EDF à l’horizon 2028, soit trente ans après la décision d’arrêt définitif. Si aucun retard n’est enregistré, la durée du démantèlement sera donc presque trois fois plus longue que celle de son activité : onze ans entre 1985 et 1996.

1. Une opération rendue délicate par la présence du sodium

L’année 1999 fut consacrée aux discussions concernant le démontage du cœur. Le déchargement des éléments combustibles du cœur a duré trois ans. Plusieurs ateliers, nécessaires à la découpe des composants et qui n’avaient pas été prévus à l’origine, ont dû être construits.

Le traitement du sodium constitue une phase très délicate dans la mesure où, à l’état liquide le sodium est un produit qui explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air. Superphénix renfermait au total 4 700 tonnes de ce produit : 3 500 tonnes radioactives du circuit primaire (cuve) et 1 200 tonnes du circuit secondaire des échangeurs de chaleur. Pour le maintenir à l’état liquide, l’ensemble du sodium a dû être chauffé à 180° depuis l’arrêt définitif du réacteur en 1998.

Les premières gouttes de sodium n’ont été traitées, c’est-à-dire transformées en soude, qu’en juillet 2009. La vidange du sodium primaire contenu dans la cuve, commencée fin 2010, a été beaucoup plus longue que prévue dans la mesure où la forme de la cuve n’a pas permis de vidanger immédiatement la totalité du produit. Une partie résiduelle est restée emprisonnée au fond de la cuve.

Ce n’est qu’en décembre 2015 que l’ASN a autorisé EDF à « engager les opérations du traitement du sodium résiduel présent dans la cuve du réacteur ». La démolition du bâtiment réacteur (80 m de haut et 60 m de diamètre) n’interviendra qu’en fin de processus, vers les années 2024 à 2026.

2. EDF épinglée par l’ASN et condamnée par la justice

Sur le chantier de démantèlement du réacteur, 400 personnes travaillent quotidiennement à proximité de substances à risque (matériaux irradiés, sodium). Depuis 2005, la réalisation des travaux de démantèlement a été confiée à un centre d'ingénierie nucléaire d'EDF : le Centre d’ingénierie de déconstruction et environnement (CIDEN).

En septembre 2014, à la suite d’une plainte du réseau « Sortir du nucléaire », le Parquet de Bourgoin-Jallieu a décidé d’engager des poursuites à l’encontre d’EDF et du CIDEN pour négligences. Lors de plusieurs inspections menées en 2012 et 2013, l’Autorité de sûreté nucléaire a mis en évidence que le personnel n’était pas formé aux situations d’urgence et que l’organisation interne ne permettait pas l’intervention efficace des secours.

En novembre 2014, le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu a reconnu EDF coupable de ne pas avoir renforcé les moyens de gestion des situations d’urgence sur le site de Creys-Malville.

3. Vers un coût de 2 milliards d’euros ?

Dans son rapport de janvier 2012 sur les coûts du nucléaire (8), la Cour des comptes estime le coût du démantèlement de Superphénix à 955 millions d’euros2010, somme considérable.

Pourtant, ce montant risque d’être sous-estimé. En effet, la Cour évoque un rapport d’audit interne d’EDF, daté du 31 mars 2011, qui « constate les difficultés techniques et les lourdeurs dans les processus administratifs ». Les magistrats financiers attirent « l’attention sur la consommation plus rapide que prévue des budgets de Chooz A et de Superphénix par rapport à l’avancement des opérations, ce qui signifie que les devis 2012 de ces deux opérations seront probablement supérieurs aux montants des devis actuels, dans des proportions aujourd’hui non chiffrables » (p. 91).

Pour M. Bernard Laponche, de l’association Global Chance, « Il n’est pas déraisonnable de penser que le coût sera plutôt de l’ordre de 2 milliards d’euros. » Interrogé sur le coût du démantèlement de Superphénix, l’électricien n’a pas apporté de réponse à la mission d’information.

II. LA GESTION DES DÉCHETS CONDITIONNE LARGEMENT LE DÉMANTÈLEMENT

Le démantèlement d’une installation nucléaire génère la production de grandes quantités de déchets, certains conventionnels et d’autres radioactifs ou réputés tels, qui doivent être pris en charge de façon spécifique. C’est l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui est chargée de les gérer et qui publie tous les trois ans des prévisions du volume de ces déchets.

Les dernières prévisions datent de 2015 et évaluent le volume des déchets issus du démantèlement à plus de 2 300 000 m3, toutes catégories confondues. Un tableau de classification des différents types de déchets en fonction de leur activité et de leur durée de vie a été adopté dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs :

FILIÈRES DE GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS

 

Vie très courte

Période < 100 jours

Vie courte (VC)

Période ≤ 31 ans

Vie longue (VL)

Période > 31 ans

TFA très faible activité

Gestion par décroissance radioactive

Stockage en surface

Filières de recyclage

FA faible activité

Stockage de surface (centre de stockage de l’Aube) sauf certains déchets tritiés et certaines sources scellées

Stockage en subsurface

à l’étude

MA moyenne activité

Filières à l’étude dans le cadre de l’article 3 de la loi de programme du 28 juin 2006

HA haute activité

Filières à l’étude dans le cadre de l’article 3 de la loi de programme du 28 juin 2006

Source : plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2010-2012

A. VERS UNE SATURATION DE CERTAINS CENTRES

Toutefois, les déchets issus du démantèlement ne représenteront que 60 % des déchets radioactifs qui seront produits dans notre pays d’ici à 2030, les autres provenant du fonctionnement de ces réacteurs, d’activités industrielles ou de recherche non liées à la production d’électricité, d’activités militaires ou encore médicales. Parmi ces déchets, les trois-quarts seront de très faible activité (TFA). Beaucoup ne dégageront aucune radioactivité supérieure à la radioactivité naturelle, mais le simple fait d’être issus de zones spécifiques de certaines centrales obligera les exploitants, les sociétés de démantèlement et l’Andra à les considérer comme des déchets issus du nucléaire et à les gérer de manière spécifique.

1. Les déchets à très faible radioactivité (TFA)

Ces déchets représentent environ 60 % des déchets radioactifs issus du démantèlement. Fin 2015, les déchets de très faible activité représentaient une quantité de près de 450 000 m3. Le démantèlement des réacteurs actuellement en fonctionnement ajoutera près de 1 400 000 m3. Compte tenu, par ailleurs, des déchets très faiblement actifs issus du fonctionnement, le stock de TFA à traiter approchera les 2,2 millions de m3.

Les déchets TFA issus du démantèlement sont principalement des bétons, des ferrailles et des gravats. Ils sont stockés depuis 2003 au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de l’Andra, à Morvilliers, dans l’Aube, dans des alvéoles semi-enterrés creusés dans une couche argileuse.

Cette décharge, d’une capacité de 650 000 m3 arrivera à saturation vers 2025. Une extension de capacité à 900 000 m3 est possible si les services préfectoraux donnent leur accord, ce qui pourrait reporter sa saturation à l’horizon 2030. En tout état de cause, malgré les efforts réalisés en matière de compactage, cette extension restera insuffisante pour traiter la totalité des déchets issus du démantèlement des centrales, tel qu’il est prévu dans les décennies à venir.

L’Andra étudie donc dès à présent la possibilité d’ouvrir un second centre de stockage pour ce type de déchets. Selon son directeur général, ce nouveau centre « pourrait être situé sur le territoire de la communauté de communes de Soulaines, dans l’Aube. Un projet de recherche de site est en cours et des investigations y sont réalisées depuis 2013 ».

2. Les déchets à faible ou moyenne radioactivité et vie courte (FMA-VC)

Fin 2015, le stock de ces déchets était estimé à environ 900 000 m3. Le démantèlement de tous les réacteurs existant augmentera ce stock de près de 800 000 m3. Avec les déchets de même catégorie issus du fonctionnement, le volume total de ces déchets sera porté, à terme, à environ 1 900 000 m3.

Ces déchets sont principalement constitués d’équipements lourds comme des tuyaux ou des pompes situés en périphérie du cœur du réacteur et liés au fonctionnement des installations nucléaires.

Ces déchets vont, depuis 1992, au Centre de stockage de l’Aube (CSA) de l’Andra, à Soulaines-Dhuys, dans l’Aube. Une partie de ces déchets est également stockée à proximité de l’usine Areva de La Hague, dans la Manche. Dans l’Aube, ils sont stockés en surface dans d’immenses ouvrages en béton. Le CSA pourra accueillir 1 000 000 m3. L’Andra estime toutefois que les capacités de ce centre de stockage devraient permettre d’accueillir, moyennant d’importants efforts de densification et de compactage, l’ensemble des déchets FMA-VC d’ici la fin du démantèlement de tout le parc nucléaire français.

3. Les déchets à faible activité mais à vie longue (FA-VL)

Cette catégorie de déchets est plus épineuse puisque sa durée de vie est longue, mais elle est beaucoup moins volumineuse : un peu plus de 100 000 m3 actuellement, répartis sur les sites des centrales en activité ou en cours de démantèlement ou au centre de retraitement d’Areva, à La Hague. À terme, plus de 100 000 m3 de déchets FA-VL issus du démantèlement sont attendues. Il s’agit principalement des graphites qui entouraient le combustible dans les réacteurs des anciennes centrales fonctionnant au graphite gaz (UNGG).

L’Andra réfléchit à la création d’un centre de stockage qui n’existe pas pour l’instant. Compte tenu de la longue durée de nocivité de ces déchets, un stockage souterrain est envisagé.

4. Les déchets à moyenne activité et à vie longue (MA-VL)

Ces déchets MA-VL issus du démantèlement sont principalement des pièces métalliques situées à proximité du cœur du réacteur. Leur volume n’est pas très important, comparativement aux autres déchets : quelques dizaines de milliers de m3, tout au plus. Mais leur dangerosité et leur vie longue ont conduit l’Andra à créer le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), implanté à Bure, dans la Meuse. Sur le site retenu, les déchets MA-VL issus du démantèlement, seront stockés à 500 mètres de profondeur, dans une couche argileuse.

Si l’ouverture du centre est autorisée, sa mise en service pourrait intervenir vers 2025, à titre expérimental, les premiers colis étant attendus vers 2030, pour une exploitation qui pourrait durer plus d’un siècle. La capacité prévisionnelle de Cigéo sera de 73 500 m3 pour les déchets MA-VL issus du démantèlement et de l’exploitation des réacteurs.

À Bure, ces déchets MA-VL côtoieront les combustibles usagés (HA-VL), enterrés sur le même site, mais qui sont issus non du démantèlement des réacteurs, mais de leur fonctionnement et qui, par conséquent, n’entrent pas dans le cadre de la présente étude. Ces matières sont néanmoins prises en compte dans les prévisions de volumes à stocker.

Que produit le démantèlement d’un réacteur nucléaire ?

Les déchets radioactifs représentent moins de 20 % des déchets de démantèlement. Les 80 % restants sont des déchets conventionnels. Pour un réacteur standardisé à eau pressurisé (REP), le démantèlement du réacteur nucléaire représentera environ 80 000 m3 de déchets conventionnels issus de la zone non nucléaire et qui pourront donc être recyclés, 10 000 m3 de déchets très faiblement radioactifs (TFA) issus de la zone nucléaire, 7 000 m3 de déchets faiblement radioactifs à vie courte (FMA-VC) et 100 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL). Le combustible usagé, déchets de haute activité à vie longue (HA-VL), n’est pas considéré comme issu du démantèlement mais du fonctionnement.

B. FAUT-IL INSTAURER UN « SEUIL DE LIBÉRATION » EN FRANCE ?

La gestion des déchets de très faible activité (TFA) relève d’enjeux industriels très différents de ceux liés au stockage des déchets de haute activité (HA) comme les combustibles usagés. Le démantèlement suppose en effet de gérer des volumes énormes de déchets avec des niveaux de radioactivité très faibles, parfois inférieurs à la radioactivité naturelle, elle-même très variable selon les régions (cf. infra carte de l’IRSN et de l’ASN).

Alors que 30 à 50 % des TFA présentent un niveau de radioactivité très faible ou quasi nul et semblent ne nécessiter qu’un faible niveau de radioprotection, on peut se demander si leur stockage dans ces centres spécifiques n’est pas disproportionné au regard du risque réel ?

1. Une approche historique et politique

La quantité importante de déchets TFA s’explique par l’approche française en matière de gestion des déchets radioactifs : contrairement à ce qui se pratique dans la plupart des autres pays, la règlementation française ne prévoit pas de « seuil de libération », c’est-à-dire de niveau de radioactivité en dessous duquel un matériau issu d’une zone nucléaire peut être géré et éliminé (ou recyclé) comme un déchet conventionnel. Seule l’Espagne a suivi la France dans cette logique, mais pour un parc nucléaire bien plus modeste, limité à sept réacteurs.

CARTE DU POTENTIEL RADON DES FORMATIONS GÉOLOGIQUES (2010)

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Conformément à la règlementation française, lorsqu’un déchet est produit dans une zone nucléaire, il est considéré comme radioactif et doit être pris en charge de manière spécifique, même si les contrôles radiologiques ne permettent pas de déceler de radioactivité.

Actuellement, c’est au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de l’Andra, dans l’Aube, que sont stockés les déchets TFA.

Cette pratique a été décidée par l’ASN au milieu des années 1990. Il s’agissait d’une décision politique destinée à régler de manière définitive et consensuelle le sort des déchets les moins radioactifs – mais les plus nombreux – avant d’aborder la question autrement plus épineuse des déchets hautement radioactifs. En outre, les responsables de l’époque considéraient que l’instauration d’un seuil de libération aurait conduit à poser la question de la détermination de ce seuil et aurait risqué de susciter une controverse, ce qui a été évité.

Mais au moment où cette réglementation a été adoptée, la masse des déchets issus de l’activité nucléaire était beaucoup plus faible que ce qu’elle est aujourd’hui, à l’aube du démantèlement des premiers réacteurs. Les démantèlements à venir vont engendrer au cours des prochaines décennies un volume croissant de déchets TFA.

Le Cires, qui les accueille actuellement, arrivera à saturation dans moins de dix ans malgré les efforts d’optimisation et de compactage, malgré l’aménagement d’alvéoles toujours plus profonds et plus grands, malgré un projet d’extension qui ne pourra se faire qu’au détriment des forêts alentours. La question d’une rationalisation du traitement des TFA, et parmi eux, des déchets à radioactivité non détectable, mérite donc d’être posée.

2. L’absence de seuil de libération n’est pas un gage de protection

La plupart des pays qui disposent d’installations nucléaires sur leur sol ont adopté la notion de seuil de libération. En Europe, c’est notamment le cas de l’Allemagne, de la Belgique et de la Suède. Les déchets issus du démantèlement qui ne présentent pas une radioactivité supérieure à la radioactivité naturelle sont recyclés comme des déchets classiques. Ils peuvent être réutilisés à des fins industrielles et entrer dans la fabrication de produits qui sont ensuite exportés et peuvent donc être vendus dans notre pays. L’absence de seuil de libération dans un pays dont l’économie est ouverte n’est donc pas un gage de protection.

Aux États-Unis, la logique est proche, même s’il n’existe pas de seuil de libération à proprement parler. Dans ce pays, tout objet, tout gravat dont la radioactivité n’est pas décelable est considéré comme un déchet classique. Les progrès effectués en matière de détection de la radioactivité permettent un contrôle particulièrement fin de ces déchets qui, une fois recyclés, peuvent donc être exportés et se retrouver en France.

3. Les limites économiques d'un seuil de libération généralisé

Un examen approfondi des caractéristiques des déchets très faiblement radioactifs a conduit l’Andra à estimer que 30 à 50 % de ces déchets ne présentent pas d’enjeu de radioprotection. Une extrapolation aux déchets à produire en appliquant un seuil de libération conduirait à réduire d’autant les besoins en capacités de stockage TFA. Cette extrapolation reste cependant à confirmer et il n’est pas certain que la mise en place d’un seuil de libération conduirait automatiquement à une telle réduction.

En effet, si la réglementation actuelle qui s’applique à la gestion des déchets dans les installations nucléaires de base (INB) conduit à assimiler à des déchets radioactifs des quantités importantes de déchets qui ne présentent pas de réel risque radiologique, elle s’est aussi traduite par des pratiques industrielles qui présentent une certaine pertinence économique en répondant aux exigences de contrôle et de traçabilité des déchets de l’Autorité de sûreté nucléaire. Cette pertinence économique se fonde sur :

– un stockage relativement bon marché des déchets TFA qui résulte de l’efficacité industrielle de l’Andra et du bénéfice d’un amortissement des installations favorisé par les volumes à stocker ;

– un tri relativement sommaire des déchets qui ne nécessite pas d’être poussé très loin. Or plus un niveau d’activité faible doit être évalué, plus sa caractérisation est longue et coûteuse.

La mise en place d’un seuil de libération risquerait donc de se traduire, d’une part, par un renchérissement du coût de stockage TFA, d’autre part, par un coût supplémentaire sur les lieux de production de déchets pour démontrer le caractère libérable de certains déchets. L’Andra fait remarquer qu’à l’étranger, la mise en place d’un seuil de libération répond en général à un coût de stockage beaucoup plus élevé qu’en France. Mais la libération elle-même a un coût : en Allemagne, par exemple, le coût de la procédure de libération peut être estimé à environ deux fois le coût du stockage des TFA en France. Si un seuil de libération était instauré en France, encore faudrait-il ajouter le coût de contrôle par les autorités des procédures de libération mises en œuvre par les exploitants.

4. À défaut de seuil de libération, il est possible d’alléger les contraintes

La mission d’information doute donc que la mise en place d’un seuil de libération optimiserait économiquement la gestion des déchets radioactifs de très faible activité. Elle en réduirait certes le volume et les besoins en capacités de stockage, mais à un coût qui serait probablement supérieur aux coûts de gestion actuels. L’économie du système qui en résulterait reste à étudier.

À cela peuvent s’ajouter d’autres considérations, comme par exemple les réticences des industriels gérant les centres de stockage conventionnels à accepter quelques dizaines de milliers de tonnes de déchets risquant de nuire à leur image.

C’est pourquoi, en accord avec l’Andra, la mission d’information propose d’examiner l’intérêt d’autres options que la simple mise en place d’un seuil de libération. Ces options se fondent d’une part sur une possibilité de contrôle réel et crédible de la nature des déchets, d’autre part sur une exigence forte de traçabilité.

La première de ces options consisterait à créer des stockages simplifiés tant dans leur conception que dans leurs modalités de fonctionnement, sur le plan de l’acceptation des déchets en particulier, de manière à assurer un niveau de sûreté adapté aux caractéristiques des déchets les moins radioactifs, voire à radioactivité nulle, de la catégorie TFA. L’enjeu de cette option serait sa pertinence économique.

La seconde option concerne les déchets métalliques qui ne présentent aucun enjeu de radioprotection, avant ou après traitement de décontamination. Ils représenteraient selon Areva, le CEA et EDF, 15 000 à 20 000 tonnes par an. Il est proposé de développer une filière centralisée de fusion, donc parfaitement contrôlable, permettant de les réutiliser, en particulier à des fins industrielles. La première réutilisation ferait l’objet de traçabilité.

Outre l’enjeu économique, la capacité à leur trouver des débouchés acceptés parmi les 7 à 9 millions de tonnes d’aciers recyclés annuellement ne paraît pas hors de portée.

C. LE CAS SPÉCIFIQUE DES DÉCHETS DE LA FILIÈRE GRAPHITE-GAZ

1. L’absence de stockage n’est pas le seul facteur de retard

Les déchets issus des réacteurs UNGG sont des déchets de graphite, de catégorie FAVL (faible activité à vie longue). Compte tenu de leur inventaire en radionucléides à vie longue (carbone 14, chlore 36), ces déchets ne sont pas acceptables dans les centres de stockage en surface. Néanmoins le faible niveau d’activité de ces déchets ne justifie pas un coûteux stockage au Cigéo de Bure, à 500 m de profondeur.

L’absence de filière est l’un des facteurs qui a contribué à ralentir le lancement des opérations de démantèlement. Néanmoins, l’important retard pris par le démantèlement des réacteurs à uranium naturel graphite-gaz (UNGG) s’explique aussi par des raisons techniques.

Avec des perspectives de démantèlement évoquées par EDF jusqu’à 2070 pour le premier de ses six réacteurs UNGG, au début du XXIIsiècle pour les cinq autres, la mise en place – même lente – d’un exutoire final pour ces déchets n’est clairement pas le principal obstacle au démantèlement.

2. Vers la création d’un nouveau site de stockage dans l’Aube

L’Andra travaille depuis de nombreuses années sur un projet de stockage pour les déchets de faible activité à vie longue, dont font partie les déchets issus de la filière graphite-gaz. La loi du 28 juin 2006 a fixé comme objectif à l’Andra « la mise au point de solutions de stockage pour les déchets de graphite et les déchets radifères ». Après une première démarche lancée en 2008-2009 qui n’a pu aboutir sous la pression d’opposants, l’Andra a remis en 2012 un rapport au Gouvernement proposant de nouvelles pistes de travail, sur la base des recommandations du HCTISN.

Depuis 2013, en accord avec les élus locaux, des investigations géologiques ont été menées au sein de la Communauté de communes de Soulaines, dans l’Aube, qui était candidate et qui accueille déjà les deux centres industriels de l’Andra dans l’Aube : le CSA et le Cires.

En 2015, l’Andra a remis un rapport d’étape au Gouvernement pour faire état de l’avancement du projet. Ce rapport acte notamment les progrès dans la caractérisation de ces déchets. Selon l’ASN, qui a rendu en avril 2016 un avis sur ce projet, le site de Soulaines présente des caractéristiques tout à fait adaptées pour accueillir un stockage à faible profondeur, avec un sol argileux peu perméable et de bonne épaisseur.

Cependant, l’ASN estime que le site ne pourra pas accueillir l’intégralité des déchets FAVL dont les graphites ne représenteront que 42 % du volume total L’autorité a demandé à l’Andra d’étudier avec plus de précisions le comportement et les impacts du chlore 36 et du carbone 14, contenus dans ces déchets. En effet, la présence de ces deux radionucléides est dimensionnante pour le choix du site et la conception du stockage.

Le traitement d’une partie des déchets de graphite permettrait une décontamination quasi-totale en chlore 36 et une décontamination partielle en carbone 14, ce qui conduirait à une diminution de l’impact radiologique. Les études se poursuivent donc à la fois sur le site et sur la connaissance des déchets pour définir lesquels et en quelle quantité pourront être accueillis sur le site à créer. Un nouveau point d’étape est attendu en 2019.

III. LA SOUS-TRAITANCE AU CœUR DU DÉMANTÈLEMENT

La sous-traitance, qui est une pratique classique dans le monde industriel, semble avoir pris des dimensions particulièrement importantes dans les installations nucléaires. De l’aveu même d’EDF, la sous-traitance réaliserait environ 80 % des tâches de maintenance et surveillance des centrales (9). En matière de démantèlement, même s’il est difficile d’obtenir des statistiques précises, l’externalisation semble prédominer. Aucun acteur de la filière ne conteste d’ailleurs le fait que cette tendance se renforcera dès lors que le démantèlement acquerra une dimension industrielle.

A. LA SPÉCIFICITÉ DE LA SOUS-TRAITANCE DANS LE NUCLÉAIRE

Compte tenu des enjeux particuliers de l’énergie nucléaire en matière de sécurité, la sous-traitance est régie par des dispositions spécifiques qui, si elles paraissent contraignantes au premier abord, sont en réalité assez souples.

1. Une réglementation peu contraignante en pratique

Le cadre juridique actuel prévoit que l’exploitant est investi d’une responsabilité opérationnelle non délégable tant pour les opérations de maintenance-surveillance que pour la conduite des opérations de démantèlement des installations nucléaires.

Le décret n° 2016-846 du 28 juin 2016pris en application de l’article 127 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance vertemodifie rénove le cadre juridique applicable au recours à la sous-traitance dans le secteur nucléaire sur les points suivants : il confirme la possibilité pour l’exploitant de recourir à des prestataires extérieurs pour la réalisation d’activités présentant une importance particulière pour les intérêts protégés par la législation sur les installations nucléaires « sous réserve de conserver la capacité d’assurer la maîtrise de ces activités et l’exploitation de l’installation » ; il pose un principe de limitation de la sous-traitance à trois niveaux en matière de maintenance surveillance comme en matière de démantèlement des installations nucléaires pour éviter les phénomènes de sous-traitance en cascade à l’origine d’une dilution des responsabilités dans un secteur sensible et il interdit aux exploitants de confier la totalité de l’exploitation d’une installation nucléaire à un prestataire extérieur.

L’article L. 63-4-I du décret précité aménage des dérogations importantes, relativisant la portée contraignante de l’encadrement récent. Ainsi, lorsque l’exploitant n’est pas en mesure de respecter le principe de limitation à trois niveaux de sous-traitants, il lui suffit d’en informer l’ASN : « en cas d’événement imprévisible (…) l’exploitant peut autoriser un intervenant extérieur à recourir à un sous-traitant de rang supérieur à deux. Il en informe préalablement l’Autorité de sûreté nucléaire ».

2. Le recours à la sous-traitance est un choix industriel ancien

Si un réacteur nucléaire fonctionne en continu, il est nécessaire de l’arrêter tous les 12 à 18 mois, pour recharger son combustible et réaliser l’entretien des installations. Depuis le démarrage de son parc nucléaire, EDF a choisi de confier la majorité de cette activité de maintenance à des partenaires sous-traitants.

En 2014, 23 000 salariés extérieurs ont été mobilisés pour ces arrêts de tranches contre 10 800 agents d’EDF. Les entreprises prestataires ont assuré en 2014 près de 80 % des activités de maintenance des centrales nucléaires (10).

Selon l’électricien, ce recours massif et ancien à la sous-traitance est justifié par un triple besoin : disposer de compétences spécifiques, celle de disposer d’une main-d’œuvre abondante pour des arrêts de tranche comme pour des motifs économiques.

Six grands groupes français réalisent 60 % du chiffre d’affaires de la maintenance sous-traitée : Alstom, Areva, Suez, Vinci, Onet et Spie. De grandes entreprises étrangères comme Westinghouse et Siemens interviennent également sur le parc nucléaire national. Selon l’exploitant, la durée moyenne des contrats attribués aux entreprises extérieures est aujourd’hui supérieure à cinq ans. Toutefois, chaque arrêt de tranche d’une durée de 3 à 6 semaines semble donner lieu à un contrat propre, de très courte durée.

Pour les contrats de sous-traitance à forte composante de main-d’œuvre, la part donnée à la mieux-disance (la qualité) dans l’attribution des marchés n’est toutefois que de 20 %, la décision d’attribuer un marché se fondant à 80 % sur des critères financiers. Ainsi, un retour d’expérience négatif avec un prestataire ne semble pas rédhibitoire dans la décision de renouer un contrat (11).

L’insuffisant encadrement de la sous-traitance a été mis en évidence par le rapport annuel 2011 « sûreté et radioprotection » de l’ASN. Les conclusions de l’ASN, reprises sur le site internet de l’exploitant, soulignent les limites du cadre juridique pour le secteur nucléaire : « Il a été remarqué lors des inspections que la surveillance d’EDF était parfois absente (…) les inspections ont permis d’observer que la vérification, de la part d’EDF, de la surveillance des prestataires envers les sous-traitants, était en générale lacunaire ou parfois inexistante » (12).

B. CERTAINES DÉRIVES ONT PU ÊTRE CONSTATÉES

1. Des lourdeurs pouvant diluer les responsabilités

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, délégation commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, publiait dès juin 2011 un rapport (13) qui alertait sur les risques liés à la sous-traitance dans le secteur nucléaire, notamment dans la perspective du démantèlement.

Selon les parlementaires, la division des opérations de démantèlement en marchés indépendants amoindrit structurellement le contrôle de sûreté d’ensemble « Une procédure de ce type offre, en général, peu de marges de manœuvre au donneur d’ordres. Elle peut le contraindre à diviser une opération en plusieurs marchés indépendants, susceptibles de poser des problèmes de coordination, voire à retenir une entreprise dans laquelle il n’aurait pas une grande confiance. ».

L’externalisation peut générer des problèmes de coordination ainsi que des dérives de coûts et de délais : « L’opacité de procédures de mise en concurrence peut également conduire à des cascades de sous-traitants : un prestataire retenu sur appel d’offres, alors même qu’il ne dispose pas des effectifs nécessaires, peut être tenté, dans l’urgence, de faire appel aux personnels de l’un de ses confrères. (…) dans certains cas extrêmes, jusqu’à huit niveaux de sous-traitants peuvent ainsi se superposer. Une telle situation s’avère particulièrement préoccupante, en termes de sûreté, puisqu’elle conduit à une dilution extrême des responsabilités et s'avère difficile à identifier. » (p. 110).

Cette caractéristique semble internationale. Ainsi, au Japon, il a été rapporté six niveaux de sous-traitance sur le chantier de démantèlement de la centrale de Fukushima (14).

2. La valeur ajoutée par la sous-traitance reste toutefois modeste

La commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux coûts de l’énergie nucléaire en France (dite « Brottes – Baupin »)(15) s’est également intéressée en 2014 à la problématique spécifique de la sous-traitance nucléaire. Pour les auteurs, le marché du démantèlement produit une valeur ajoutée insuffisamment visible : « l’activité de démantèlement produit quelque 7 % de la valeur ajoutée de la filière nucléaire française, ce qui représente une activité annuelle d’environ 800 millions d’euros, dont une part importante est réalisée dans les installations du cycle du combustible (…) le marché du démantèlement [reste] un marché extrêmement difficile, en raison de son manque de visibilité. On met en avant des chiffres d’affaires potentiels extrêmement élevés, mais la réalité économique est tout autre, car ces chiffres couvrent l’intégralité de l’activité sur la totalité de sa durée, et non ce qui est réellement ouvert au marché » (p. 112).

Reprenant les chiffres avancés par EDF, les auteurs estimaient que la sous-traitance ne concernerait qu’une faible partie des opérations de démantèlement : « la part restante sous-traitée aux industriels ne correspond en réalité qu’à 20 à 30 % du total ». Cette affirmation est en contradiction avec les propos de certains sous-traitants auditionnés qui considèrent que la part du démantèlement des réacteurs nucléaires confiée à des sous-traitants est supérieure à 50 %.

La pertinence du recours à la sous-traitance décidé par l’exploitant reste à démontrer pour le démantèlement. L’« effet série » et les économies d’échelles mises en avant par l’exploitant ne seront-ils pas amoindris par l’émiettement des entreprises sous-traitantes dont chacune ne se verra confier qu’un nombre réduit de marchés ?

Par ailleurs, le rapport relève également les difficultés financières des sous-traitants : « les opérations ont tendance à « glisser » dans le temps, en raison de procédures administratives (…), parce que l’on travaille sur des installations contaminées et que la caractérisation nucléaire réserve parfois des « surprises » (…). La rentabilité de l’activité est à renforcer : les industriels estiment que les marges sont trop faibles. (…). Il s’agit d’un marché restreint, très concurrentiel, avec des coûts élevés ». (p. 113).

3. La nécessité de faire émerger une filière économique

Alors que le recours à des prestataires extérieurs et à des sous-traitants pour les opérations de maintenance comme de démantèlement des centrales nucléaires se justifie de longue date par des raisons de gains de performance technique, de compétence et d’abondance de la main-d’œuvre, mais surtout d’économies réalisées, la réalité de la sous-traitance dans le secteur nucléaire semble démentir ces justifications théoriques.

La sous-traitance dans ce secteur est à la fois très concurrentielle en raison de la fréquence de contrats de courte durée (pour les arrêts de tranche) et se caractérise par des coûts fixes importants (équipements lourds). Elle dispose d’une faible visibilité de moyen terme quant à l’évolution du marché, en l’absence de calendrier clair des démantèlements à venir. Il en résulte un partage du marché entre quelques grands groupes qui se livrent à une rude concurrence par les prix, dégradant, selon l’ASN, le suivi qualité des opérations et restreignant l’arrivée de nouveaux acteurs et de solutions innovantes qui permettraient d’éventuels gains de productivité dans les opérations à venir.

L’enchevêtrement des acteurs qui résulte de ce recours croissant à la sous-traitance est à l’origine de dérives de délais et, mécaniquement, de coûts des opérations. Outre l’argument économique et de performance technique qui n’emporte guère la conviction pour justifier l’importance prise par la sous-traitance dans le secteur, l’argument tenant aux compétences des personnels reste à démontrer au regard des maigres formations à la sûreté et la radioprotection (quelques heures) mises en avant par les sous-traitants comme gage de leur expertise en matière nucléaire.

Sans encadrement législatif plus clair et contraignant de la sous-traitance dans le secteur, aucune filière française du démantèlement des centrales nucléaires ne pourra se constituer. L’émergence d’une filière du démantèlement apparaît pourtant comme une condition nécessaire à la faisabilité technique du démantèlement du parc français en raison de la simultanéité des démantèlements d’un grand nombre de centrales (80 % d’entre elles ayant été mises en service entre 1977 et 1987).

L’absence de cadre législatif réellement contraignant en matière de recours à la sous-traitance dans le secteur empêche à l’heure actuelle à la fois la structuration de cette filière et de réels gains d’efficacité comme d’efficience des opérations de démantèlement. En d’autres termes, sans filière structurée du démantèlement, il semble peu probable que l’on puisse compter sur un véritable retour d’expérience permettant de gagner en efficacité au fil des démantèlements successifs, ni que des économies d’échelles (réutilisation d’équipements lourds, de robots) soient possibles si le marché reste éclaté entre différents prestataires.

*

* *

TROISIÈME PARTIE : LES PROVISIONS D’EDF

Pour faire face aux coûts futurs du démantèlement de ses réacteurs nucléaires, l’exploitant est juridiquement tenu d’estimer le coût global des opérations de démantèlement qui doivent faire l’objet de provisions. Ces dernières doivent être couvertes par des actifs qui attestent que l’exploitant disposera, le moment venu, des ressources nécessaires pour financer le démantèlement. L’estimation des provisions nécessaires et la composition des actifs dédiés constituent dès lors un point très sensible dans la faisabilité du démantèlement.

I. LES PRINCIPES ET LA MÉTHODE D’ESTIMATION D’EDF

L’exploitant est légalement responsable des opérations de démantèlement. C’est lui qui doit établir un devis global des opérations de déconstruction et provisionner les sommes nécessaires pendant l’exploitation de ses centrales. Mais la méthode d’estimation du coût par EDF, qui ne prend pas en compte les spécificités de chaque réacteur, pourrait conduire à une appréciation incorrecte de la facture réelle du démantèlement.

A. LE DÉMANTÈLEMENT DOIT ÊTRE FINANCÉ PAR L’EXPLOITANT

1. La responsabilité financière et technique de l’exploitant

Le financement du démantèlement incombe à l’exploitant. Cette exigence est inscrite à l’article 20 de la loi de programme n° 2006-739 du 28 juin 2006 0de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, prévoyant que les exploitants nucléaires doivent créer et maintenir des fonds ou des garanties financières à cette fin. Cette loi fait obligation aux exploitants de financer les charges nucléaires de long terme via la constitution d’un portefeuille d’actifs dédiés. Elle prévoit en outre qu’un contrôle est effectué par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie, dotés par la loi de pouvoirs de prescription et de sanction.

Cette loi impose en outre à l’exploitant de transmettre des rapports triennaux et des notes annuelles d’actualisation décrivant les principales hypothèses retenues, le montant des provisions, la composition des actifs de couverture etc. Il est également prévu de recueillir sur ces rapports l’avis systématique de l’ASN, l’autorité administrative pouvant toujours solliciter l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR), concernant les hypothèses économiques et financières servant de base aux calculs.

L’exploitant estime les charges brutes et en déduit des provisions. Après l’arrêt définitif d’une installation nucléaire de base, il n’y a plus de ressources d’exploitation pour financer les éventuelles charges futures ce qui signifie que, sauf à faire supporter ces charges par une autre installation nucléaire en exploitation – ce qui enfreindrait le principe du pollueur-payeur (16) –, seuls des fonds dédiés seront disponibles de façon certaine pour financer le démantèlement. En application du principe des fonds internes cantonnés, les fonds dédiés – ou actifs dédiés –, bien que gérés par l’exploitant lui-même et inscrits dans ses comptes, ne peuvent être affectés à d’autres dépenses que celles liées aux charges de démantèlement et ce, même en cas de faillite de l’exploitant.

En pratique l’exploitant estime globalement les coûts futurs – les charges brutes de démantèlement de l’ensemble du parc – et leurs dates prévisionnelles de paiement : un échéancier fondé sur la durée d’exploitation des installations nucléaires, en principe 40 ans à compter de leur mise en service.

Le fait que les charges brutes provisionnées pour le démantèlement du parc ne soient exigibles qu’à échéance, à l’issue de la mise à l’arrêt définitif, justifie que seule une fraction de l’enveloppe globale des charges brutes de démantèlement soit provisionnée. Ces provisions constituées pour charges brutes de démantèlement sont inscrites au passif de l’exploitant à la mise en service de l’installation nucléaire ou à la première irradiation du combustible.

2. L’existence d’actifs dédiés est une spécificité française

La constitution de provisions est une obligation tirée de la réglementation comptable selon laquelle toute charge future dont le paiement est incertain doit être comptabilisée comme un passif. On parle de provision si son montant ou sa date sont incertains. Conformément à l’article L. 123-20 du code de commerce, l’estimation de cette charge future doit être prudente, ce qui justifie le recours à des marges de sécurité par rapport à leur estimation.

L’article 20 de la loi de programme précitée dispose que « Les exploitants d’installations nucléaires de base évaluent, de manière prudente, les charges de démantèlement. Les exploitants d'installations nucléaires de base constituent les provisions afférentes aux charges de démantèlement et affectent à titre exclusif à la couverture de ces provisions les actifs nécessaires. Ils comptabilisent de façon distincte ces actifs qui doivent présenter un degré de sécurité et de liquidité suffisant pour répondre à leur objet (…) ».

Inscrite dans le code de l’environnement, le principe de la couverture des provisions par des actifs dédiés est une spécificité juridique française qu’il convient de souligner et dont se félicite la mission d’information.

Les provisions pour charges brutes de démantèlement sont couvertes par des actifs dédiés qui, placés, offrent un rendement croissant avec la durée d’exploitation. La différence entre le montant estimé par EDF des charges brutes de démantèlement de son parc et le passif provisionné est couverte par le taux d’actualisation (X euros2006 équivalent à yX euros2016 au moment où les financements seront exigibles). Ce sont les exploitants qui déterminent le taux d’actualisation, lequel ne peut toutefois dépasser un plafond fixé par la réglementation.

L’actualisation dont résultent ces provisions prend en compte différents paramètres, évalués de diverses manières selon les opérateurs : un taux d’inflation qui tient compte de l’évolution des coûts jusqu’au jour de la dépense ; un taux d’actualisation qui est calculé d’après le taux attendu de rémunération des actifs dédiés concernés jusqu’à la dépense ; une durée d’actualisation correspondant à la période restant à courir jusqu’au jour de la dépense.

3. Seuls les deux tiers des provisions sont couverts par des actifs

Aux termes de la loi du 28 juin 2006 précitée, les provisions pour charge de démantèlement d’EDF n’ont pas à être intégralement couvertes par des actifs dédiés. En effet, certaines charges permettent de récupérer des matières valorisables, potentiellement utilisables pour produire ultérieurement de l’électricité nucléaire. Ces coûts sont donc financés en théorie par les produits d’exploitation valorisés après retraitement : il s’agit principalement de la gestion du combustible usé dit « UOX », traité à l’usine de la Hague.

Seule EDF est concernée par ces dispositions législatives avantageuses, ce qui explique que seulement les deux tiers des montants provisionnés pour charges de démantèlement sont couverts par des actifs dédiés.

Ainsi, la lecture des comptes consolidés d’EDF au 31 décembre 2015 confirme que, sur les 75 milliards d’euros de charges brutes estimées pour le démantèlement de l’ensemble de son parc nucléaire, 36 milliards d’euros de provisions ont été, pour l’instant, constituées. Mais sur cette somme, seuls 23 milliards d’euros étaient couverts par des actifs dédiés. Cette somme est comparable à celle affectée au poste des « provisions pour avantages du personnel » (17).

À titre de comparaison, le programme « Grand carénage » qui doit permettre la mise aux normes de sécurité des centrales afin de permettre une poursuite de l’exploitation du parc de REP au-delà de 40 ans, nécessitera un investissement de 74,7 milliards d’euros2013 sur la période 2014-2030. Cette somme est donc équivalente à celle envisagée pour le démantèlement des deux parcs : celui déjà à l’arrêt (9 réacteurs) et celui encore en exploitation (58 réacteurs). La Cour des comptes estime en outre les dépenses afférentes à l’exploitation des centrales sur la même période à 25,16 milliards d’euros 2013, davantage donc que le montant des actifs dédiés à la couverture des provisions pour charge de démantèlement.

SYNTHÈSE DES PRINCIPAUX CHIFFRES DES EXPLOITANTS AU 31 DÉCEMBRE 2015

(en millions d’euros)

 

EDF

Areva

CEA

Andra

Charges brutes

75 554

13 452

22 025

97

Provisions

36 131

6 761

13 306

56

Actifs dédiés

23 480

6 433

13 363

63

Taux de couverture (1)

98,9 %

95,2 %

100,3 %

112,5 %

Taux d’actualisation

4,5 %

4,5 %

4,5 %

3,5 %

Taux d’inflation

1,6 %

1,75 %

1,75 %

2 ou 3 %

(1) Contrairement aux autres exploitants, EDF ne calcule pas le taux de couverture de la totalité de ses provisions mais en déduit le combustible usagé qui, après retraitement, peut être réutilisé.

Source : ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer (DGEC), 2016

B. L’ESTIMATION DES CHARGES BRUTES DE DÉMANTÈLEMENT

1. L’extrapolation d’un modèle générique : Dampierre 09

En 2009, EDF a réalisé une étude (« DA09 ») des coûts de déconstruction de son parc de réacteur à eau pressurisé (REP) en se fondant sur le site de Dampierre (4 réacteurs de 900 MW) qui avait déjà fait l’objet, en 1998, d’une étude détaillée (« DA98 »).

L’étude DA09 procède à une simulation selon les étapes suivantes :

– estimation des coûts de déconstruction et d’assainissement du site de Dampierre tenant compte des exigences réglementaires, des retours d’expérience de la déconstruction des centrales à l’arrêt et des recommandations de l’ASN ;

– examen de la planification dans le temps des opérations de déconstruction, la durée totale du démantèlement étant estimée à 15 ans après son arrêt définitif ;

– détermination des règles permettant l’extrapolation de l’évaluation des coûts à l’ensemble du parc REP en exploitation.

Réalisée deux ans avant la catastrophe de Fukushima, l’étude DA09 ne semble pas prendre en compte le coût du durcissement des normes de sécurité qui en est résulté.

L’étude DA09 n’a pas abouti à une modification des charges brutes de démantèlement estimées sur la base de la méthode du coût de référence. En effet l’estimation du démantèlement d’une tranche de Dampierre était de 309 €/KWe en valeur actualisée 2013. Rapporté à la puissance installée de l’ensemble du parc, le démantèlement des 58 tranches REP, en charge actualisée 2013, s’élève à 19 milliards d’euros. La différence entre ces 19 milliards d’euros et le montant total des actifs dédiés correspond au démantèlement des 9 réacteurs du parc de première génération qui n’entre pas dans le périmètre de l’étude Dampierre 09.

Pour l’estimation du coût du démantèlement de ses autres réacteurs déjà à l’arrêt (parc dit de « première génération » : les six UNGG, Brennilis, Chooz A, Superphénix et quelques installations annexes), EDF a réalisé des devis spécifiques régulièrement revus. Au 30 juin 2016, les provisions s’établissaient à 2,98 milliards d’euros pour le parc de première génération et à 10,7 milliards d’euros pour le parc de deuxième génération.

ÉTAT DES PROVISIONS CONSTITUÉES PAR EDF
POUR LE DÉMANTÈLEMENT DE SES CENTRALES NUCLÉAIRES

(millions d’euros)

Provisions EDF

31 décembre 2015

Démantèlement du parc de première génération

2 986

Démantèlement du parc de deuxième génération

11 945

Gestion du combustible usagé (1)

10 391

Provisions pour derniers cœurs part amont (1)

2 093

Provisions pour derniers cœurs part aval

462

Gestion à long terme des déchets radioactifs

8 254

TOTAL

36 131

(1) Postes n’ayant pas à être couverts par des actifs dédiés, ce qui explique que sur les 36,1 milliards d’euros de provisions, seuls les deux tiers environ étaient réellement couverts par des actifs dédiés au 31 décembre 2015.

Source : ministère de l’environnement, DGEC, 2016

2. L’absence d’étude par réacteur est critiquée

Le postulat de départ selon lequel le démantèlement de l’ensemble du parc sera homogène est remis en cause par certains spécialistes qui arguent que chaque réacteur a une histoire particulière avec des incidents différents survenus au cours de son histoire. Tous ces éléments, qui peuvent faire varier le coût du démantèlement d’un site à un autre, n’ont pas été pris en compte dans les calculs d’EDF car ils ne semblent pas être répertoriés. Le ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer confirme que « cette analyse n’existe pas à l’heure actuelle, mais EDF a mis en place un projet dit « DOC A DEC » qui doit rassembler l’ensemble des informations sur les évènements en exploitation qui sont utiles au démantèlement (et notamment les incidents susceptibles d’influer sur le démantèlement) ».

La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui dépend de ce ministère, recommande que les incidents principaux soient pris en compte « a minima de façon macroscopique et sous forme d’analyse de risques pour éviter que le coût de démantèlement des réacteurs qui ont connu des contaminations significatives ne soit sous-estimé ».

Cette méthode d’extrapolation des coûts à partir d’un modèle générique ne satisfait pas plus le ministère que les cabinets d’audit (18) qui se sont penchés sur le sujet. Ces derniers soulignent que « selon cette hypothèse conventionnelle retenue, EDF ne prend pas en compte ni les éventuelles difficultés à déconstruire plusieurs sites en même temps, ni les optimisations possibles en termes de mobilisation de ressources industrielles et financières » (p. 29). Le rapport souligne qu’« une analyse site par site n’a pas été possible dans le cadre de cet audit mais pourrait conduire à des résultats différents » (p. 38). En conséquence de quoi, le rapport rappelle qu’ « une approche plus détaillée reste à établir » (p. 41).

Interrogée sur ce point, EDF a indiqué qu’une étude plus détaillée, menée réacteur par réacteur, avait été réalisée courant 2016, dans le but de réactualiser « Dampierre 09 ». Les résultats de cette étude, qui n’ont pas été communiqués à la mission d’information, seront intégrés à l’état financier au 31 décembre 2016 qui doit faire l’objet d’une présentation le 14 février 2017.

II. UNE SOUS-ÉVALUATION VRAISEMBLABLE

Compte tenu des sommes en jeu et de la durée importante des opérations liées au nucléaire, toute approximation peut se traduire, le moment venu, par des écarts importants entre les sommes provisionnées et la réalité des besoins.

Les hypothèses optimistes sur lesquelles EDF a bâti ses prévisions, de même qu’un certain nombre de dépenses lourdes négligées, conduisent à s’interroger sur la validité des prévisions, d’autant que dans le même temps, certaines charges semblent sous-évaluées.

A. DES HYPOTHÈSES OPTIMISTES

1. L’immédiateté de tous les démantèlements sera difficile à assumer

Ce principe d’immédiateté, que la mission espère voir appliqué aux 58 réacteurs EDF à eau pressurisée devant être démantelés au cours des décennies à venir, a déjà subi plusieurs exceptions :

– le réacteur à eau lourde de Brennilis, certes atypique, est loin d’être démantelé, 31 ans après sa mise à l’arrêt définitif ;

– le démantèlement des réacteurs ayant fonctionné à l’uranium naturel graphite-gaz (UNGG) est reporté à l’horizon 2100 ;

– vingt ans après son arrêt définitif, en 1997, le réacteur expérimental Superphénix n’est toujours pas démantelé. L’horizon 2024 est évoqué ;

– la Direction générale de l’armement (DGA) s’affranchit de ce principe d’immédiateté et n’envisage pas de démanteler les réacteurs nucléaires des unités de la marine nationale avant plusieurs décennies.

Enfin, la plupart des 58 REP d’EDF ayant été construit dans des délais très rapprochés, entre 1977 et 1987, leur mise à l’arrêt devrait logiquement être également rapprochée. Les exploitants et leurs sous-traitants auront-ils alors les capacités humaines et industrielles de démanteler de manière quasi-simultanée un aussi grand nombre d’installations ? La main-d’œuvre est-elle disponible en nombre suffisant et formée de manière adéquate à ces opérations spécifiques ? Ne sera-t-il pas tentant (ou nécessaire) d’étaler la charge de travail dans la durée ? Le rapport d’audit des cabinets Ricol-Lasteyrie et Nuc Advisor le souligne : « les éventuelles difficultés à déconstruire plusieurs sites en même temps (…) ne sont pas prises en compte dans cette analyse » (p. 38).

2. Des économies d’échelle très controversées

C’est l’effet de série – l’existence d’un grand nombre de réacteurs quasi identiques à démanteler – qu’EDF met en avant pour justifier des économies d’échelle et donc un moindre niveau de provisions. L’existence même de cet effet de série est toutefois remise en cause, ou tout au moins minimisée, par certains observateurs qui avancent la diversité de situations et les efforts à accomplir pour conserver la mémoire du savoir-faire.

Toute la difficulté consiste, par conséquent, à déterminer le gain qui sera obtenu par cet effet d’échelle. Certains observateurs évoquent 25 % à 30 % d’économie, tout en insistant sur la difficulté de la prévision. Le cabinet AlphaValue, société dont l’objet est d’analyser la valeur des entreprises cotées en bourse et qui a récemment publié un rapport sur EDF (19), dit intégrer une inévitable dérive des coûts et se montre plus pessimiste. Ce cabinet table sur une économie de 10,5 % seulement. De son côté, EDF préfère ne pas avancer de chiffre. Toutefois, les éléments que l’électricien a fournis à la mission d’information laissent entendre qu’EDF escompte un gain compris entre 30 % et 40 %, entre le démantèlement de la première unité et le coût moyen de la série.

L’existence même des économies d’échelles est parfois remise en cause. « Il n’y aura pas d’effet de série car chaque réacteur a son histoire, ses incidents » doute un représentant syndical siégeant au CSFN, écornant au passage le modèle Dampierre 09 qui extrapole, à partir d’un exemple générique, le coût de démantèlement de l’ensemble du parc, sans tenir compte des spécificités des différents réacteurs.

L’un de ses collègues nuance le propos en précisant qu’un effet série est possible « mais sous réserve d’un retour d’expérience qui nécessite un travail de fond ». Ce représentant syndical explique la nécessité de réaliser, pour le démantèlement, l’équivalent d’un RCC (règles de conception et de construction), ces codes qui décrivent précisément les règles à appliquer pour la construction d’un réacteur nucléaire.

Ces réactions mettent en évidence la nécessité qu’il y aura à conserver la mémoire des sites pendant le démantèlement, et cela, plusieurs années, voire plusieurs décennies après la fin de l’exploitation. Elle pose également la question de l’importance de la place prise par la sous-traitance, qui réalise la majorité des opérations et dont la rotation des effectifs et des entreprises ne contribue pas à la conservation de la mémoire et ne favorise donc pas l’effet de série (cf. supra).

3. Une mutualisation qui interroge

Toutefois, compte tenu du fait que la plupart des réacteurs actuels d’une même centrale ont été construits à des intervalles très rapprochés, il est difficilement imaginable qu’un réacteur puisse fonctionner 20 ou 25 ans (la durée du démantèlement, tous délais inclus) après l’arrêt de son jumeau. En tout état de cause, cette éventuelle mutualisation ne pourrait pas concerner le dernier réacteur de la centrale.

La clé de cette hypothèse, peu claire au premier abord, est fournie par l’autorité administrative : « EDF considère qu’il y aura un réacteur en construction ou en exploitation sur tous les sites. Il s’agira la plupart du temps de nouveaux réacteurs dont la construction n’est actuellement pas décidée ». Ainsi, EDF considère que le programme nucléaire français va se poursuivre comme par le passé, sans tenir compte de la loi de transition énergétique (20) qui limite à 50 % la part de nucléaire dans d’électricité produite en France.

Cette hypothèse n’a pas été remise en cause par les cabinets d’audit qui ont considéré qu’il ne relevait pas de leur mission de le faire. EDF semble reconnaître implicitement que le principe du renouvellement du parc de réacteurs REP est bien envisagé, même si aucun projet concret, hors Flamanville, n’est encore divulgué. En revanche, l’autorité administrative a demandé à EDF de corriger ce point car cette hypothèse n’est réalisée qu’à Flamanville et, comme le rappelle la DGEC, « les normes comptables comme le principe de prudence ne permettent pas de tenir compte d’évènements futurs incertains comme le nombre de réacteurs qui seront construits ou leur localisation dans les 40 ou 50 prochaines années ».

Comme l’a fait remarquer M. André-Claude Lacoste, ancien président de l’ASN que la mission a entendu, « l’idéal pour tout grand électricien serait de disposer, sur un même site, d’un réacteur en construction, d’un autre en exploitation et d’un troisième en cours de démantèlement ».

B. DE NOMBREUSES DÉPENSES NON PROVISIONNÉES

1. La remise en état des sites n’est pas prise en compte

L’une des informations découvertes par la mission au cours de ses travaux est l’abandon du principe de retour à l’herbe qui semblait pourtant aquis comme l’une des hypothèses de base du démantèlement et qui avait été réalisé notamment par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur son site de Grenoble.

Mais EDF a d’autres projets. Ainsi que le constate le rapport d’audit, « le scénario qui sous-tend l’évaluation prévoit qu’à l’issue des derniers travaux de déconstruction, les sites seront remis en état de manière à ce que les terrains puissent être réutilisés pour un usage industriel » (p. 9).

EDF n’envisage ni ne provisionne la remise en état des sols dans la mesure où elle estime que les sites en question ont une vocation industrielle. Cette position renvoie à l’hypothèse de mutualisation qui s’inscrit dans un scénario circulaire dans lequel les réacteurs démantelés seraient remplacés par de nouveaux réacteurs et jouxteraient des unités en construction ou en exploitation, sans tenir compte de l’évolution du marché ou de la société.

La stratégie de l’électricien apparaît contraire à l’article 29 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire qui prévoit que l’exploitant doit « couvrir les dépenses de démantèlement de l’installation et de remise en état, de surveillance et d’entretien de son lieu d’implantation».

Les cabinets d’audit constatent que « Les provisions pour démantèlement des 58 réacteurs d’EDF en cours d’exploitation n’intègrent pas de dépense pour la remise en état des sites après déconstruction (…) Le groupement recommande toutefois de prendre en compte un surcoût lié à l’incertitude sur l’état de déclassement des sites et la réhabilitation des sols sur la base d’une analyse détaillée » (p. 42) qui, visiblement, reste à mener.

Le rapport d’audit évoque, en page 23, le chiffre de 83,3 millions d’euros2013 ; EDF, dans son droit de réponse, admet la lacune.

La DGEC reconnaît l’absence de réalisme de cette hypothèse de non remise en état des sols et juge à demi-mot sous-estimée l’évaluation de l’audit, « face aux exigences de l’ASN et à d’autres retours d’expériences nationaux, notamment du CEA ». Selon le CEA, la décontamination complète au dernier becquerel du radier du réacteur Siloé aurait représenté 25 % du coût total du démantèlement.

La mission d’information considère que la remise en état des sites de démantèlement est une exigence légale élémentaire et que, contrairement à la position d’EDF, elle doit être incluse dans les prévisions de coût. La mission n’exclut pas qu’une partie des terrains libérés par le démantèlement des installations nucléaires puisse conserver une vocation industrielle. Pour autant, conformément à la loi, ces parcelles devront, comme les autres, être nettoyées de toute contamination dans la mesure où des personnels seront amenés à y travailler.

L’estimation de 83,3 millions d’euros, avancée sans conviction par l’audit, paraît à la mission, ainsi qu’à l’autorité de tutelle, particulièrement sous-estimée.

Le président de la mission d’information considère, pour sa part, que les sites qui conserveront une vocation industrielle, ou tout au moins nucléaire, pourront ne pas être totalement remis en état, dans la mesure où ils ne seront pas ouverts au public. Cela pourrait permettre de stocker sur place des déchets de très faible activité (TFA) issus du démantèlement pour éviter de coûteux et inutiles trajets vers les sites de stockage de l’Andra.

Ainsi, un niveau de radioactivité similaire à celui de la radioactivité naturelle moyenne locale pourrait être toléré.

Cela nécessite que l’avenir de chaque site soit clairement anticipé, de manière à ce que la stratégie du démantèlement soit adaptée au cas par cas.

2. Le paiement des taxes et assurances n’est pas inclus

L’audit relève en outre que « les taxes INB, IRSN et les assurances RCN ne sont pas incluses dans les provisions pour démantèlement d’EDF alors qu’elles le sont dans celles du CEA et d’Areva » (p. 42). EDF fait valoir que ces frais ne sont pas liés au démantèlement mais sont dus, que le réacteur soit en service ou non. L’audit préconise néanmoins qu’un « traitement comptable homogène soit mis en place entre les trois exploitants nucléaires français, compte tenu de l’impact potentiel significatif sur le montant de la provision ».

« Inclure ces éléments augmente significativement les charges brutes et les provisions » reconnaît le ministère de l’environnement et de l’énergie. En effet, selon la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) de ce ministère, « la somme des taxes IBN payées pendant le démantèlement représenterait 30 % du coût de démantèlement estimé par EDF ». Et face à EDF qui justifie la non prise en compte de cette taxe par son caractère permanent, le ministère de l’environnement d’ajouter : « Il est rappelé qu’aucun produit d’exploitation du réacteur ne sera disponible pour faire face à ces charges qui seront dues de façon certaine jusqu’au déclassement des INB ».

Ce seul élément, en apparence anodin et rarement évoqué par les différents acteurs du démantèlement, renchérit considérablement les coûts estimés par EDF, même si la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 a réduit de 50 % le niveau de cette taxe pour les installations nucléaires à l’arrêt, satisfaisant un souhait de l’électricien. La mission d’information recommande que cette taxe, même si son poids est désormais réduit, soit prise en compte, ainsi que les assurances, et que les provisions d’EDF soient revues en conséquence.

3. EDF ne provisionne pas le retraitement du combustible usagé

De la même manière, les auditeurs notent que « les frais d’évacuation du combustible usé en phase MAD/DEM [mise à l’arrêt définitif et démantèlement] ne sont pas pris en compte dans les charges de démantèlement mais comptabilisées en charge d’exploitation, ce qui n’est pas le cas chez Areva et au CEA » (p. 42). Toujours dans un souci d’homogénéité et de transparence, le rapport recommande que cette dépense soit intégrée au coût du démantèlement.

Le ministère de l’environnement et de l’énergie abonde dans ce sens : « l’autorité administrative a demandé à EDF de tenir compte de ces frais dans le calcul des provisions ». La mission d’information souscrit pleinement à cette demande qui renchérit – dans des proportions difficiles à déterminer mais non négligeables – le coût global du démantèlement.

4. Le coût social du démantèlement n’est pas évoqué

Contrairement aux exploitants de réacteurs nucléaires dans les pays voisins de la France, EDF ne prend pas en compte dans ses provisions l’aspect social du coût du démantèlement. Le raisonnement de l’électricien est simple : contrairement à l’Allemagne où l’arrêt de la production d’électricité nucléaire a été décidé brutalement, le démantèlement français se fera dans la durée, ce qui laissera le temps aux agents EDF concernés par la fermeture d’un réacteur de retrouver d’autres emplois dans d’autres centrales. Toutefois, comme la plupart des réacteurs sont entrés en service dans un laps de temps limité à une vingtaine d’années, leur mise à l’arrêt définitive devrait logiquement intervenir également de manière assez rapprochée. Or, lorsqu’un réacteur est définitivement arrêté, ce sont 80 % à 90 % des emplois qui disparaissent, le gardiennage des installations en cours de refroidissement ne nécessitant qu’un nombre d’agents très réduit.

Le raisonnement implicite d’EDF est celui de la poursuite du programme nucléaire français sur le long terme. De la sorte, les employés qui perdront leur poste sur une centrale mise à l’arrêt en retrouveront un sur un réacteur nouvellement construit.

Ce raisonnement est dangereux car la construction de nouveaux réacteurs français n’est pas assurée, et surtout pas en nombre égal à ceux actuellement en activité, et cela pour plusieurs raisons :

– la demande en énergie électrique diminue à peu près partout en Europe en raison de la rationalisation de la consommation (remplacement des équipements les plus énergivores par des appareils plus économes, amélioration de l’isolation thermique…). À tire d’exemple, au Royaume-Uni, la consommation électrique a diminué de 6 % au cours des cinq dernières années ;

– la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables augmente plus vite que prévu sous l’effet des subventions publiques et d’une volonté affirmée de lutter contre le changement climatique ;

– l’électricité d’origine nucléaire devient de moins en moins rentable en raison du faible coût de production de l’électricité produite par des énergies fossiles (charbon, gaz naturel ou gaz de schiste selon les pays) et du caractère de plus en plus contraignant et coûteux des normes de sécurité ;

– le coût de construction des réacteurs de nouvelle génération est de plus en plus élevé : Flamanville, Olkiluoto en Finlande, Hinkley Point… ;

– enfin, aucun exploitant n’est à l’abri d’une décision politique de cessation ou de réduction sensible de la production d’énergie nucléaire : décision d’arrêt total en Allemagne, décision de réduction de 75 % à 50 % en France, décision d’arrêter la centrale de Fessenheim…

Pour toutes ces raisons, considérer que la mise à l’arrêt et le démantèlement d’un réacteur seront toujours compensés, en termes d’emplois, par la construction d’un autre réacteur est un pari risqué. La mission d’information considère qu’EDF devrait prendre en considération, dans son calcul, l’aspect social du démantèlement. Ce coût sera sensiblement inférieur à celui de nos voisins allemands dans la mesure où la réduction de la production d’électricité d’origine nucléaire sera d’évidence plus progressive ; pour autant, il conviendrait de calculer le coût social en tenant compte des possibilités de reclassement et de la spécificité du statut des agents EDF pour mesurer son impact sur le niveau des provisions.

C. DES CHARGES DE DÉMANTÈLEMENT SOUS-ÉVALUÉES

Au-delà de la question du réalisme de l’estimation des charges brutes de démantèlement de son parc par EDF, se posent des questions méthodologiques liées à la constitution des provisions de démantèlement. Ces limites touchent à la fois à la quantité des provisions et à la qualité des actifs de couverture qui laissent entrevoir un sous-provisionnement manifeste de la part EDF.

La sous-évaluation des charges brutes constatée précédemment conduit mathématiquement à une sous-évaluation du niveau des provisions qui est obtenu par construction sur la base du niveau de charges brutes :

charges brutes = provisions * taux d’actualisation/ durée d’amortissement

1. Un taux d’actualisation remis en cause par les marchés ?

Le taux d’actualisation appliqué au portefeuille d’actifs dédiés revêt une importance considérable dans la mesure où c’est lui qui permet aux actifs d’aujourd’hui de couvrir demain l’ensemble des charges brutes de démantèlement.

Source : Cour des comptes, Les coûts de la filière électronucléaire, janvier 2012

Il peut sembler dans l’intérêt immédiat de l’exploitant de jouer sur le taux d’actualisation et la durée d’amortissement comptable afin de réduire au maximum le niveau des provisions qui, comptabilisées comme un passif, grèvent d’autant son résultat net. Or, aux termes de la loi du 28 juin 2006 précitée, c’est à l’exploitant qu’il revient de déterminer à la fois le niveau des provisions, le taux d’actualisation (toutefois plafonné réglementairement) et la durée d’amortissement comptable.

Alors que dans la majorité des pays le plafond réglementaire du taux d’actualisation est fixé par le régulateur, c’est l’État qui le détermine en France. Il semble qu’en dépit des précautions prises, le taux d’actualisation soit réellement surévalué au regard du rendement réel du portefeuille d’actifs.

L’Agence des participations de l’État (APE), qui dépend du ministère de l’économie, explique que « ce taux, qui était historiquement de 5 % depuis 2006, a commencé à baisser régulièrement depuis 2012. Il s’établit à ce jour à 4,5 % mais le mouvement de baisse devrait se poursuivre ». Depuis le 30 juin 2016, ce taux a été ramené par EDF à 4,4 %.

En Suisse, ce taux d’actualisation s’élevait à 3,5 % en 2015. En Suède, un objectif de taux d’actualisation final a été fixé à 4,2 %, mais les services de l’OCDE font remarquer que le taux moyen réel « sera plus proche de 2 % à 2,5 % ».

Le 13 décembre 2016, le régulateur belge a demandé à son exploitant, Engie, d’abaisser son taux d’actualisation de 4,8 % à 3,5 %. Cette décision, qui laisse apparaître un chiffre qui semble plus conforme à la réalité des marchés du moment, devrait logiquement influencer les autres exploitants, régis par une même logique et les mêmes mécanismes. Engie a donc été contraint de rehausser le montant de ses provisions pour le démantèlement et la gestion de l’aval du cycle du combustible de 1,8 milliard d’euros. Les provisions pour le démantèlement des centrales nucléaires et le stockage à long terme des déchets radioactifs en Belgique qui atteignaient 8 milliards d’euros à la fin de l’année dernière passeront à 9,2 milliards en 2017 (21).

Selon le cabinet AlphaValue, si une décision similaire était imposée à EDF, l’électricien devrait provisionner 6 milliards d’euros supplémentaires.

2. Un taux d’inflation particulièrement faible

Le taux d’inflation retenu par les exploitants dans leurs estimations des coûts futurs du démantèlement ne correspond pas au taux d’inflation économique et est laissé à l’appréciation de chaque exploitant. Ce taux est censé représenter, pour chaque exploitant, son exposition à la hausse des prix des biens futurs qu’il devra acquérir pour la conduite des opérations de démantèlement. Ce taux dépend donc à la fois de l’inflation économique future et des types de biens qu’il aura à acquérir.

Si les exploitants allemands RWE et E.ON ont établi des hypothèses similaires situées respectivement à 3,6 % et 3,7 %. Les entreprises françaises ont fait preuve de plus d’optimisme : pendant longtemps, EDF s’est appuyée sur le chiffre de 1,6 %. Au 30 juin 2016, à un moment où, paradoxalement les observateurs notent une reprise de l’inflation en Europe, l’électricien a réduit sa prévision à 1,5 %. À peine plus prudentes, Areva et le CEA ont prévu un niveau de 1,75 %. De son côté, Engie (qui exploite les sept réacteurs belges) a fixé sa prévision à 2 % plus proche des 2 à 3 % prévus par l’Andra.

En pratique, plus l’hypothèse d’inflation est basse, plus l’exploitant mise sur une stabilité des prix futurs des biens qu’il aura à acquérir pour la conduite des opérations de démantèlement ; plus elle est haute, plus l’exploitant anticipe le risque d’un renchérissement de ces biens. Cette fois encore, EDF privilégie l’hypothèse qui lui est la plus favorable. Les entreprises de démantèlement des réacteurs nucléaires étant transnationales, il est difficile de soutenir que les taux d’inflation seront si différents d’une entreprise à l’autre.

3. Le périmètre des provisions à couvrir est minimisé

L’article 20 de la loi de programme du 28 juin 2006 précitée impose aux exploitants de garantir un taux de couverture de leurs provisions par des actifs dédiés d’au moins 100 %. Toutefois, certaines de ces provisions n’ont pas à être couvertes par des actifs dédiés. Cette exception, dont EDF est seule à bénéficier, n’est pas négligeable car elle représente environ le tiers du total des provisions (soit entre 12 et 13 milliards d’euros).

Ces provisions non couvertes correspondent à des dépenses financées par les produits d’exploitation. En pratique il s’agit principalement de dépenses liées à la gestion du combustible usagé (UOX ou uranium oxyde) qui est un passif mais qui peut être réutilisé après retraitement par Areva dans son usine de la Hague et devient alors un actif comptable puisqu’il s’agit d’un produit d’exploitation.

L’uranium issu du retraitement est, à l’heure actuelle, entreposé et non réutilisé en raison de l’attractivité plus forte des prix sur le marché par rapport au coût du retraitement – ce que votre rapporteure a appris incidemment lors de sa visite du site de la Hague. En l’absence d’information plus détaillées sur le niveau des stocks et de visibilité sur les cours futurs du marché de l’uranium, on peut donc s’interroger sur la validité de ce schéma comptable, surtout si l’on considère qu’il y a peu de chances pour que l’ensemble des réacteurs mis à l’arrêt soient remplacés nombre pour nombre par de nouveaux réacteurs qui consommeraient l’intégralité du combustible recyclé. Dès lors, ce combustible usagé ne pourrait pas être considéré comme un produit d’exploitation pour de nouveaux réacteurs.

4. Une durée d’actualisation identique pour les deux parcs

Même s’ils font l’objet de deux lignes comptables distinctes, il semble que les actifs dédiés au démantèlement du parc de première et de deuxième génération soient considérés de manière globale. Rien n’indique actuellement que l’électricien retienne une durée d’actualisation distincte pour les deux catégories d’actifs. Or, le fait d’appliquer le même taux et la même durée d’actualisation (en l’absence d’indication contraire) à des dépenses portant théoriquement sur des durées différentes va à l’encontre du principe de démantèlement immédiat.

Le démantèlement de la première génération de réacteurs devant en toute logique intervenir avant le démantèlement de la seconde, les actifs dédiés au démantèlement du premier parc devraient être consommés avant que les actifs dédiés au démantèlement du second arrivent à maturité. En appliquant la même durée d’actualisation à ces deux catégories d’actifs, EDF indique implicitement qu’il ne procédera pas au démantèlement du premier parc avant que le portefeuille d’actifs dévolus au démantèlement du second soit arrivé à maturité.

La décision d’EDF de reporter à l’horizon 2100 le démantèlement de ses centrales UNGG semble facilitée par le fait que la durée d’actualisation des provisions ne semble pas différente pour les deux parcs.

5. La qualité et la liquidité des actifs de couverture en question

Le portefeuille d’actifs dédiés est composé de titres d’investissement dans des fonds obligataires ou dans des fonds en actions. EDF dispose en son sein d’une cellule qui se consacre spécifiquement à la valorisation de ces actifs.

Avant 2010, ce portefeuille d’actifs était investi pour moitié en actions et pour moitié en obligations : lorsqu’EDF souhaitait augmenter ses provisions, l’entreprise émettait de la dette sur les marchés internationaux auprès d’investisseurs obligataires et réinvestissait ensuite 50 % de cette levée dans des fonds obligataires, notamment ceux qui avaient souscrit la dette d’EDF (22), ce qui revenait en pratique à transformer par des mécanismes financiers de la dette en actifs.

Le portefeuille d’actifs dédiés d’EDF se compose de trois types d’actifs :

– un portefeuille financier composé de titres qui devront être vendus pour assurer le financement du démantèlement. D’une valeur de 3,8 milliards d’euros au 30 juin 2016, ce portefeuille comprend un compartiment « infrastructures » qui inclut 50 % des titres de sa filiale Réseau de transport d’électricité (RTE) et 20 % des titres de Transport et infrastructure gaz France (TGIF), un réseau racheté à Total en 2013 ;

– la créance qu’EDF détient sur l’État au titre du déficit de contribution au service public de l’électricité (CSPE), pour une valeur de 5,9 milliards d’euros au 31 décembre 2015 (23). L’État doit achever de rembourser sa dette à l’électricien au 31 décembre 2018 (24) ;

– des actifs de trésorerie. Comme toute entreprise, EDF dispose d’une trésorerie constituée par ses actifs les plus liquides ; cette trésorerie est estimée à 14,3 milliards d’euros au 30 juin 2016 (25).

La bonne performance du portefeuille d’actifs était indéniable il y a quelques années encore. Elle s’est élevée à 9,4 % en 2013 et à 5,8 % par an en moyenne sur la période 2003-2013, ce qui représente un rendement largement supérieur au taux d’actualisation. Mais ces trois dernières années, les taux d’intérêt ont drastiquement baissé et, au cours du premier semestre 2016, la performance du portefeuille n’était plus que de 0,7 %.

Par ailleurs, l’affectation de 50 % des titres de RTE et de 20 % des titres de TGIF au portefeuille d’actifs dédiés pose également question dans la mesure où l’article 20 de la loi de 2006 précitée impose à l’exploitant d’affecter au portefeuille des actifs suffisamment liquides : « Les exploitants d'installations nucléaires de base constituent les provisions afférentes aux charges de démantèlement et affectent à titre exclusif à la couverture de ces provisions les actifs nécessaires. Ils comptabilisent de façon distincte ces actifs qui doivent présenter un degré de sécurité et de liquidité suffisant pour répondre à leur objet (…) ».

Si la sécurité des actifs RTE et TGIF n’appelle pas de remarque particulière, il en va différemment de l’appréciation de leur liquidité toute relative. Lors de leur seconde audition, les responsables d’EDF ont indiqué qu’il n’entrait pas dans leurs intentions de se séparer d’une partie du capital de leurs filiales, mais que ces dernières pourraient servir, le moment venu, à garantir les emprunts qui financeront le démantèlement.

6. Le prolongement de la durée de vie des réacteurs comme solution ?

Confronté à des dépenses non provisionnées et à une vraisemblable sous-évaluation des charges de démantèlement, l’électricien parie clairement sur un allongement de la durée d’exploitation de son parc de réacteurs nucléaires pour retarder l’échéance du démantèlement et permettre à ses provisions d’atteindre le niveau requis.

C’est ainsi que, dès 2009, EDF a fait part à l’autorité de sûreté nucléaire de sa volonté « d’étendre la durée de fonctionnement significativement au-delà de quarante ans » et de « maintenir ouverte l’option d’une durée de fonctionnement de 60 ans pour l’ensemble des réacteurs » (26). S’inscrivant dans cette logique et sans attendre les autorisations de l’ASN, le conseil d’administration de l’électricien a, en juin 2016, comptablement porté à 50 ans la durée d’exploitation de 17 réacteurs de 900 MW dont l’amortissement était auparavant calculé sur 40 ans. Il est probable que, d’ici quelques années, EDF procèdera de la même manière avec ses autres réacteurs, à l’exception de ceux de Fessenheim dont la fermeture sera décidée au sommet de l’État.

Il ne restera plus à l’exploitant qu’à gérer la contradiction entre son souhait de prolonger au maximum la durée de vie de ses réacteurs, pour retarder leur démantèlement, et les dispositions législatives précitées qui prévoient, d’ici 2025, une diminution de la part de l’électricité d’origine nucléaire à 50 % contre 75 % aujourd’hui.

Le président de la mission d’information est en désaccord avec la tonalité générale et le titre de cette sous-partie « II. Une sous-évaluation vraisemblable » qui ne doit pas laisser à penser que les compte de l’électricien sont insincères. Une telle interprétation erronée ferait courir un risque injustifié à la valorisation de l’entreprise, ce qui n’est pas souhaitable

Le niveau de provisions présenté par EDF est certes le plus bas des pays de l’OCDE, mais l’électricien bénéficiera, lors du démantèlement des 58 REP, d’un effet de série qui lui fera réaliser des économies d’échelles que personne n’est capable, à l’heure actuelle, d’évaluer avec précision ni dans un sens ni dans l’autre, même si tout le monde s’accorde pour dire qu’il existe.

Le paramètre de l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs, qui peut aider l’exploitant à atteindre le niveau nécessaire de provisions est entre les mains de l’État, par l’intermédiaire de l’ASN, qui autorise ou non les demandes d’autorisation de prorogation d’activité.

Enfin, si les évaluation d’EDF sont généralement inférieures à celles d’exploitants d’autres pays, des différences de périmètre rendent hasardeuses les comparaisons internationales. L’analyse du tableau « Prévision du coût de démantèlement de quelques réacteurs » (cf. infra) montre que les 344 millions d’euros prévus pour le démantèlement d’un réacteur REP se situent dans une fourchette médiane des coûts constatés et que ces derniers ne dépendant pas de la puissance du réacteur.

III. LES COMPARAISONS INSTITUTIONNELLES SONT CONVERGENTES

Les comparaisons internationales « objectives » menées par de grandes institutions reconnues sont rares, tant le sujet est épineux et les périmètres variables. La Cour des comptes françaises et l’OCDE, par l’intermédiaire de son Agence à l’énergie nucléaire (AEN), mettent en évidence la faiblesse des chiffres d’EDF comparativement à ceux des autres exploitants.

A. LA COUR DES COMPTES SOULIGNE LA FAIBLESSE DES PROVISIONS D’EDF

Un réflexe naturel consiste à comparer les prévisions de coût publiées par EDF avec celles réalisées à l’étranger, sur des centrales déjà démantelées ou sur des démantèlements programmés. La difficulté des comparaisons internationales tient au fait que les périmètres pris en compte ne sont jamais exactement les mêmes. Des tendances peuvent toutefois être dégagées.

La Cour des comptes a effectué, dans son rapport de 2012, un travail de fond en établissant des comparaisons entre les évaluations des charges de démantèlement de six pays : Allemagne, Belgique, Japon, Royaume-Uni, Suède et États-Unis, avec parfois plusieurs évaluations disponibles par pays. « Les grandes disparités de périmètre ont été corrigées dans la mesure des informations disponibles et, lorsqu’elles ne l’étaient pas, la Cour a fait le choix, arbitraire, de s’appuyer sur les données disponibles, à savoir celles d’EDF pour corriger les périmètres ».

À partir de ces données, la Cour des comptes a calculé le coût du démantèlement par kilowatt/heure dans chacun de ces pays et a extrapolé à ce que coûterait le démantèlement du parc d’EDF en fonction des résultats obtenus par les différents pays.

EXTRAPOLATION DU COÛT DU DÉMANTÈLEMENT DU PARC FRANÇAIS ACTUEL

(en milliards d’euros)

Prévisions d’EDF

Suède

Belgique

Japon

États-Unis

(3 évaluations)

Royaume-Uni

Allemagne

(4 évaluations)

18,1

20

24,4

38,9

27,3

33,4

34,2

46

25,8

34,6

44

62

Source : Tableau réalisé en 2016 par M. Bernard Laponche de l’association Global Chance à partir des données du rapport de la Cour des comptes publié en 2012

Les valeurs calculées à partir des données étrangères sont toutes supérieures à celle avancées par EDF. Les deux pays les plus intéressants sont l’Allemagne et les États-Unis, car ils ont une expérience du démantèlement de réacteurs de puissance de la même filière REP que les centrales EDF du parc actuel. L’étude de la Belgique est également instructive dans la mesure où les réacteurs en activité, d’un modèle proche des REP français, sont exploités par la société Engie, qui possède également des parts dans certains réacteurs français exploités par EDF.

1. L’Allemagne

Trois évaluations sont possibles dans le cas allemand. Les montants disponibles ont été ramenés à un coût de référence par MW. La base retenue pour la puissance est celle des 17 réacteurs du parc nucléaire allemand encore en exploitation, mais qui ont été arrêtés après Fukushima (8 réacteurs) ou devraient l’être à l’horizon 2022 d’après la loi de sortie du nucléaire de 2011 (9 réacteurs), soit une puissance cumulée de 20 464 MW, et en moyenne, 1 203 MW.

De façon générale, et jusqu’il y a peu de temps, le coût du démantèlement d’un réacteur REP, était évalué en Allemagne, par les exploitants EnBW, E.ON, RWE et Vattenfall, à 500 millions d’euros, hors gestion des déchets et du combustible usé, notamment hors construction de bâtiments d’entreposage temporaire sur site, et sans calendrier précis de démantèlement. Le coût de référence s’élèverait alors à 415 €/kW.

La Cour des comptes précise que « depuis la décision de sortir du nucléaire prise après Fukushima, E.ON a revu très largement à la hausse ses devis et annonce, quelle que soit la technologie des réacteurs, un montant de 1,1 Md€ par réacteur, mais y compris le coût de la gestion du combustible usé », contrairement à ce que fait EDF.

La Cour des comptes contourne l’obstacle : « Pour corriger cette différence, un calcul grossier consistant à rapporter le coût de gestion du combustible usé d’EDF (14,38 Md€2010) à un réacteur REP, soit 248 M€, permettrait la comparaison. Le coût allemand à comparer à l’évaluation d’EDF serait alors de 852 M€2010. Le coût de référence s’élèverait alors à 707 €/kW.

« Par ailleurs, le coût global du démantèlement des 17 réacteurs a été estimé par le cabinet de conseil Arthur D. Little en septembre 2011 à 18 Mds €, et, pour un réacteur, entre 670 M€ et 1,2 Md€, en fonction de l’installation et sans tenir compte du stockage définitif des déchets. Le coût de référence se situerait alors dans une fourchette de 556 €/kW à 996 €/kW. Rapportées au parc EDF, les charges brutes de démantèlement seraient les suivantes : »

APPLICATION DES RÉSULTATS DES ÉTUDES ALLEMANDES AU PARC D’EDF

(en milliards d’euros 2010)

 

Application aux 58 réacteurs d’EDF des résultats de

L’évaluation EDF au coût de référence

La première évaluation des exploitants allemands

La seconde évaluation

L’étude du cabinet

Arthur D. Little

18,1

25,8

44

34,6 à 62

Source : Cour des comptes (Rapport public thématique sur les coûts de la filière électronucléaire, janvier 2012, page 355)

Si l’on applique au parc français la valeur déduite de la deuxième évaluation d’E.ON (44 milliards d’euros, un peu inférieure à la moyenne de la fourchette d’évaluation d’Arthur D. Little, soit 48,3 milliards d’euros), on constate que le coût global de démantèlement du parc français pourrait être 2,4 fois supérieur à l’estimation fournie par EDF.

2. Les États-Unis

Pour ce pays, la Cour des comptes ne s’est intéressée qu’à un seul réacteur, celui de Maine Yankee, dont le coût de démantèlement a fait l’objet de trois évaluations réalisées par des cabinets différentes : TLG Services, FERC et EPRI. Selon sa méthode, la Cour a d’abord calculé le coût du démantèlement par kilowatt/heure : « la fourchette des coûts de démantèlement du réacteur REP de Maine Yankee, d’une puissance de 830 MW est estimée avec un bon niveau de précision grâce à trois évaluations disponibles (…) les coûts de référence correspondant s’élèveraient donc à respectivement 439,7 €/kW, 537,8 €/kW et 550 €/kW ».

La Cour a ensuite extrapolé et calculé ce que coûterait le démantèlement du parc d’EDF au coût unitaire obtenu. « Rapportées au parc EDF, les charges brutes de démantèlement seraient les suivantes : »

APPLICATION DES RÉSULTATS DES ÉTUDES AMÉRICAINES AU PARC D’EDF

(en milliards d’euros 2010)

 

Application aux 58 réacteurs d’EDF des résultats de

L’évaluation EDF au coût de référence

TLG Services

FERC

EPRI

18,1

27,3

33,4

34,2

Source : Cour des comptes (Rapport public thématique sur les coûts de la filière électronucléaire, janvier 2012, page 358)

Même si la mission d’information s’interroge sur le choix par la Cour des Comptes d’un seul réacteur de référence, elle note, comme pour l’Allemagne, que les chiffres obtenus sont tous largement supérieurs à ceux avancés par EDF qui présente le coût de démantèlement le plus bas de toute l’étude.

La mission d’information, qui s’est rendue à Washington pour y rencontrer les autorités américaines, présente ci-après de manière détaillée la problématique du démantèlement aux États-Unis.

3. La Belgique

La Cour des comptes a également examiné le cas de la Belgique : « Le parc des réacteurs belges en exploitation est constitué de sept tranches de technologie REP réparties sur les sites de Tihange et de Doel, exploitées par Electrabel du groupe GDF-Suez pour une puissance cumulée de 5 926 MW.

Les coûts de démantèlement de trois réacteurs REP de la centrale de Tihange sont évalués par l’exploitant à 1 069 M€2006, soit 1 139 M€2010 et ceux des quatre réacteurs de la centrale de Doel s’élèvent, selon l’ONDRAF (hors installations liées à la gestion des déchets) à 1 182 M€2009, soit 1 191,6 M€2010.

Le coût de référence s’élèverait donc à 393,2 €/kW et rapporté au parc EDF, les charges brutes de démantèlement s’élèveraient à 24,4 Md€2010. »

Auditionnés en novembre 2016, les responsables de la société Engie, qui exploite les sept réacteurs belges, affirment que leur société a provisionné 7,9 milliards d’euros pour l’ensemble du démantèlement des sept réacteurs, soit une somme de 1,128 milliard d’euros par réacteur à démanteler. Ces provisions sont régulièrement actualisées sous le contrôle de la Commission des provisions nucléaires (CNN), l’autorité belge de régulation dans laquelle siège notamment le gouverneur de la Banque de Belgique.

Cette somme inclut, comme dans la plupart des pays à l’exception notable de la France, le coût du traitement aval et du stockage du combustible usagé, qui représente 25 % du coût du démantèlement, soit près de 2 milliards d’euros, le démantèlement proprement dit représentant un peu moins de 6 milliards d’euros (75 %), somme qui, rapportée au nombre de réacteurs, reste largement supérieure à ce qu’EDF a l’intention de provisionner pour le démantèlement du parc français.

B. POUR L’OCDE, EDF NE PREND PAS TOUS LES COÛTS EN COMPTE

L’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE a publié en 2016 un rapport consacré aux coûts de démantèlement des centrales nucléaires (27). L’agence, qui a collationné des données dans plusieurs pays membres de l’organisation, insiste sur la nécessaire prudence en matière de comparaison dans ce domaine.

1. Une lecture à géométrie variable du périmètre du démantèlement

L’AEN a identifié quinze postes de dépense dans le démantèlement complet d’un réacteur nucléaire. La difficulté vient du fait que, si certains pays, comme la Slovaquie, incluent la totalité des dépenses dans leur estimation, certains autres n’en comptabilisent qu’une partie : 12 postes au Royaume-Uni, 11 en Suisse, 9 en Espagne, etc. EDF, de son côté, ne prend en compte que 6 de ces quinze postes de dépenses.

C’est ainsi que l’électricien français ne prend en compte ni le traitement des structures souterraines, ni la remise en état des sols contaminés.

L’étude de l’AEN aurait pu inclure d’autres postes qui ne sont pas matériellement liés au démantèlement mais qui auront toutefois une incidence sur les dépenses des exploitants pendant la phase de démantèlement : les frais de gardiennage des sites, les taxes et assurances qui sont fort élevées et dues jusqu’au déclassement du site, le coût social du reclassement des salariés dont l’outil de travail est mis à l’arrêt, etc.

ÉLÉMENTS INCLUS (OU NON) DANS LES ESTIMATIONS DES COÛTS DE DÉMANTÈLEMENT

Éléments inclus dans les estimations des coûts de démantèlement

Finlande

France

Slovaquie

Espagne

Suède

Suisse

Royaume-Uni

Déchargement du combustible usagé

Oui

Non

Oui

Non

Non

Oui

Non

Entreposage sur site du combustible usagé

Non

Non

Oui

Non

Non

Non

Non

Entreposage sur site des déchets radioactifs issus du démantèlement

Oui

Non

Oui

Non

Non

Non

Non

Entreposage sur site des déchets radioactifs d’exploitation

Non

Non

Oui

Non

Non

Non

Oui

Récupération et conditionnement des déchets issus de l’exploitation

Non

Non

Oui

Non

Non

Oui

Oui

Déconstruction du bâtiment du réacteur

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Déconstruction des bâtiments conventionnels

Non

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Déconstruction des structures non radioactives de surface

Non

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Déconstruction des structures non radioactives souterraines

Non

Non

Oui

Oui

Non

Oui

Oui

Transport et stockage des déchets radioactifs

Oui

Non

Oui

Non

Non

Oui

Oui

Stockage ou recyclage des déchets non radioactifs

Non

Non

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Traitement des sols contaminés

Non

Non

Oui

Oui

Oui

Non

Oui

Restauration des sites

Non

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Caractérisation finale des sites

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Déclassement administratif des sites

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Source : OCDE (AEN)

2. Des comparaisons à manier avec prudence

L’agence a identifié 11 postes de dépenses liés au démantèlement d’un réacteur nucléaire : les opérations préliminaires, les opérations liées à l’arrêt définitif, le gardiennage, le démantèlement proprement dit, la gestion des déchets, la gestion des personnels, la remise en état du site, le management, la recherche et le développement, la gestion du combustible usagé et les opérations diverses.

PRÉVISION DU COÛT DE DÉMANTÈLEMENT DE QUELQUES RÉACTEURS

Pays

Réacteur

Type (*)

Puissance

Prévisions de coût en millions de dollars

Prévision de coût en millions d’euros

Espagne

José Cabrera

REP

160 MW

340,6

321,3

Espagne

générique

REP

1 066 MW

417,5

393,9

Suisse

générique

REP

1 000 MW

1 200,6

1132,6

France

générique

REP

900 MW

365,0

344,3

Espagne

SM Garona

REB

466 MW

323,6

305,3

Espagne

générique

REB

1 092 MW

424,8

400,8

Finlande

Loviisa

VVER

488 MW

236,9

223,5

Slovaquie

Bohunice

VVER

440 MW

753,0

710,4

(*) REP : réacteur à eau pressurisée ; REB : réacteur à eau bouillante ; VVER : réacteur à eau pressurisée de conception soviétique.

Source : AEN (OCDE) 2013

Le premier enseignement de cette étude est que l’on ne décèle pas de lien direct entre le coût total d’un démantèlement et la puissance du réacteur. Ainsi, le démantèlement du petit réacteur espagnol José Cabrera (160 MW) est compris dans la moyenne des coûts, malgré une puissance très faible.

Les chiffres totaux suisse et finlandais se démarquent des autres. Dans le cas suisse, le coût élevé provient essentiellement de l’inclusion de très importants coûts d’arrêt que les autres exploitants comptabilisent habituellement en coûts d’exploitation et non comme coûts de démantèlement. À l’opposé, le coût finlandais est assez bas parce que la cuve du réacteur ne sera pas découpée, mais gérée comme déchet en entier.

L’AEN a également travaillé sur les centrales américaines. Mais en raison de méthodes de calcul différentes, elle a préféré ne pas inclure les réacteurs américains dans le tableau précédent.

Il ressort toutefois de cette étude que le coût de démantèlement de la centrale d’Haddam Neck est très élevé en raison de la faillite d’un contractant extérieur, ce qui a obligé l’exploitant à reprendre lui-même toutes les activités, avec des surcoûts importants. À l’opposé, le coût de démantèlement du réacteur de la centrale Trojan est quant à lui très bas, parce que, comme pour le cas finlandais, la cuve n’a pas été découpée et que le site de stockage définitif des déchets est tout proche de la centrale.

Bien que l’AEN dispose de données chiffrées relatives au démantèlement des réacteurs américains, elle a décidé de ne pas les divulguer. « En effet les divergences d’hypothèses et d’approches sont telles qu’une telle consolidation n’est pas scientifiquement justifiable à ce jour ».

« Cependant, si quelqu’un essayait de tirer un chiffre global d’estimation de coûts de démantèlement par réacteur (sur un site d’au moins deux réacteurs), on se trouverait entre 400 (Europe) et 600 millions de dollars (États-Unis), pour les trois grands postes de dépenses. Ceci ne rend pas caducs les chiffres que l’on entend circuler par ailleurs ». L’AEN insiste sur le fait que ces chiffres sont partiels et n’incluent pas la gestion à long terme des combustibles usés et/ou des déchets vitrifiés issus du retraitement.

IV. L’EXPÉRIENCE AMÉRICAINE

Les États-Unis sont le pays le plus nucléarisé au monde : 100 réacteurs sont actuellement exploités par 26 exploitants différents dans 30 États. Le parc est composé de 65 REP (réacteurs à eau pressurisée) et de 35 REB (réacteur à eau bouillante). La capacité totale de production s’élève à 99,6 Gigawatts. 4 réacteurs à eau pressurisée AP 1000 de Westinghouse sont, par ailleurs, en construction.

La production nucléaire américaine représente 19 % de l’ensemble de l’électricité produite, les centrales fonctionnant au gaz de schiste ayant une place prépondérante. La production américaine constitue pourtant 30 % de la production nucléaire mondiale. Le nucléaire représente aux États-Unis la première source d’énergie zéro carbone (63 %).

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce pays compte déjà un certain nombre d’opérations concrètes de démantèlement : 7 réacteurs de production d’électricité ont déjà été déconstruits et 20 sont en cours de démantèlement. Des fermetures de réacteurs étant prévisibles dans les années à venir, le nombre de chantiers devrait rapidement croître. Sur les projets achevés, les coûts constatés varient entre 390 et 931 millions de dollars par réacteur, suivant sa nature, sa puissance, la stratégie adoptée ou les contraintes règlementaires locales.

A. UN PROCESSUS LARGEMENT ENGAGÉ

1. La NRC, puissante autorité régulatrice du système

Avant de procéder au démantèlement effectif, l’exploitant doit tout d’abord procéder à l’arrêt définitif du réacteur, retirer le combustible usagé pour l’entreposer, tout en continuant à assurer la sûreté de l’installation. Le plan pour le démantèlement doit être transmis à la Nuclear Regulatory Commission (NRC, équivalent de l’ASN française) dans les trente jours qui suivent la fin de l’exploitation.

Un autre rapport doit être soumis à l’autorité de sûreté une fois que tout le combustible usé a été retiré du cœur, ce qui délivre l’exploitant d’un certain nombre de contraintes. L’ensemble de ce processus dure généralement deux ans et permet de faire diminuer les niveaux de radioactivité dans la centrale. L’exploitant doit alors fournir un agenda précis des opérations à venir ainsi qu’une estimation du coût.

Ce n’est qu’après que la NRC donne son autorisation et publie une note attestant de la fermeture de la centrale. Il rend publiques ses conclusions quant à la poursuite des opérations.

2. Trois options de démantèlement

Vient ensuite le démantèlement proprement dit. Celui-ci peut commencer dans les 90 jours qui suivent la réception par la NRC du plan de démantèlement. Lorsqu’il arrête un réacteur, l’exploitant doit choisir entre trois stratégies possibles :

– l’option DECON : c’est la solution du démantèlement immédiat de la centrale. Toutes les parties sont assainies aussi vite que la sûreté le permet au regard des normes relatives à l’exposition des salariés et de la protection du public et de l’environnement ;

– l’option SAFSTOR : le démantèlement est différé. Une fois le combustible usé extrait, l’installation est mise sous cocon afin de permettre une décroissance de la radioactivité qui facilitera les opérations d’assainissement et de démantèlement qui seront menées ultérieurement, mais qui devront être achevées au plus tard 60 ans après l’arrêt du réacteur. C’est l’option la plus fréquemment choisie ;

– l’option ENTOMB : c’est la mise sous sarcophage de l’installation ; cette stratégie n’a jamais été mise en œuvre pour aucun réacteur du parc de production d’électricité, mais a été utilisée pour des installations expérimentales.

En général, les exploitants combinent les deux premières options. Ils démantèlent immédiatement les circuits secondaires et laissent les installations primaires sous l’option SAFSTOR, le temps que la radioactivité descende à un niveau acceptable. Ce délai leur permet aussi de laisser croître leurs fonds pour en couvrir le financement De l’aveu même de la NRC, l’arbitrage entre les deux premières options dépend aussi de la pression exercée par les autorités et les populations locales. Les petits exploitants, qui parfois ne possèdent qu’un seul réacteur, souhaitant rapidement tourner la page du nucléaire adoptent la stratégie de démantèlement immédiat.

Contrairement aux pratiques adoptées pour les réacteurs du parc, le ministère de l’énergie (DoE) a choisi l’option ENTOMB (bétonnage sur site après retrait du combustible) pour deux de ses réacteurs, se prévalant d’une risk based acceptance, une « acceptation de risque raisonnée ».

Selon un avis partagé par l’Environmental Protection Agency, il a, en effet, été démontré que le bénéficie au plan environnemental d’une telle solution était supérieur aux opérations de démantèlement classiques qui auraient produit des déchets radioactifs à évacuer pour stockage sur des milliers de kilomètres. C’est ainsi que le DoE, dont les installations ne sont pas régulées par la NRC, considère que « conserver les déchets sur place fait économiser du CO2 », dans la mesure où il n’est pas nécessaire de les faire voyager en camion ou en train à travers tout le pays.

Dans tous les cas, l’exploitant doit avoir fini l’ensemble du démantèlement au plus tard 60 ans après la fin des opérations d’exploitation.

3. Faute d’exutoire, les combustibles usagés sont disséminés

Depuis que l’administration a interrompu le projet d’enfouissement profond des combustibles usés de Yucca Mountain (Nevada), le ministère de l’énergie (DoE) est incapable, contrairement à ce que prévoit la loi, de prendre en charge ces combustibles particulièrement radioactifs qui sont donc entreposés sur site.

Si bien que, malgré un théorique « retour à l’herbe » (green field) il subsiste sur certains de ces sites des silos d’entreposage (« dry storage » ou stockage à sec) des combustibles irradiés qui attendent un exutoire final. Dans ce cas les sites sont qualifiés de « brown fields ». Cette situation semble, selon la NRC, assez bien acceptée aux États-Unis par les populations riveraines qui bénéficient de mesures fiscales d’accompagnement. Mais les brown fields font l’objet de nombreuses contraintes : il est interdit d’y creuser, d’y construire des logements ou, a fortiori, des écoles, de boire l’eau qui s’y trouve…

LISTE DES RÉACTEURS DÉMANTELÉS

Nom

Type (*)

Puissance (MW)

Localisation

Coût

M$

M€

Big Rock Point

REB

75

Charlevoix, MI

390

371

Connecticut yankee

REP

560

Haddam Neck, CT

931

887

Fort St Vrain

UNGG

330

Platteville, CO

283

270

Maine Yankee

REP

860

Bailey Peninsula, ME

500

476

Rancho Seco

REP

913

Clay Station, CA

518

493

Trojan

REP

1180

Rainier, OR

300

286

Yankee Rowe

REP

167

Rowe, MA

750

714

Le taux de conversion utilisé est de 1 € = 1,05 $, en vigueur en décembre 2016

(*) REP : réacteur à eau pressurisée ; REB : réacteur à eau bouillante ; UNGG : réacteur à uranium naturel graphite-gaz.

Fin 2016, environ 78 000 tonnes de combustible usé étaient entreposées sur des sites provisoires, cette quantité augmentant de 2 000 tonnes chaque année. À ce jour, 75 sites d’entreposage sont répertoriés dans 33 États : 65 sur des sites de réacteurs en fonctionnement, 7 sur des sites de réacteurs en cours de démantèlement et 3 sur des sites de réacteurs démantelés.

LISTE DES RÉACTEURS EN COURS DE DÉMANTÈLEMENT

Nom

Type

Localisation

Crystal River – Unit 3

REP

Crystal River, FL

Dresden – Unit 1

REB

Morris, IL

Fermi – Unit 1

autre

Newport, MI

Humboldt Bay

REB

Eureka, CA

Indian Point – Unit 1

REP

Buchanan, NY

Kewaunee

REP

Kewaunee, WI

LaCrosse Boiling Water Reactor

REB

Genoa, WI

Millstone – Unit 1

REB

Waterford, CT

Peach Bottom – Unit 1

UNGG

Delta, PA

San Onofre – Unit 1

REP

San Clemente, CA

San Onofre – Unit 2

REP

San Clemente, CA

Three Mile Island – Units 2 & 3

REP

Middletown, PA

General Electric Co. – Vallecitos Experimental Superheat Reactor

REP

Sunol, CA

General Electric Co. – Vallecitos Boiling Water Reactor

REB

Sunol, CA

Vermont Yankee

REB

Vernon, VT

Zion – Units 1 & 2

REP

Zion, IL

Les centrales ayant utilisé un plan DECON sont : Big Rock Point, Elk River, Fort St Vrain, Haddam Neck, Maine Yankee, Pathfinder, Rancho Seco, San Onofre 1, Saxton, Shippingport, Shoreham, Trojan et Yankee Rowe. DECON en cours à Fermi 1, Humboldt Bay 3, LaCrosse, Zion 1&2.

Les centrales ayant utilisé un plan SAFSTOR sont : Crystal River 3, Dresden 1, Fermi 1, Indian Point 1, LaCrosse, Kewaunee, Millstone 1, Peach Bottom 1, San Onofre 2&3, Vermont Yankee.

Les centrales ayant utilisé un plan ENTOMB sont de petits réacteurs expérimentaux : Bonus BWR à Puerto Rico, Piqua organic-moderated reactor dans Ohio, Hallam graphite-moderated sodium-cooled reactor dans le Nebraska, et, en, 2015, EBR-2.

Tous les acteurs de la filière nucléaire considèrent qu’il est nécessaire de relancer les études de stockage final – à Yucca Mountain ou ailleurs – et que dans l’immédiat le lancement d’un projet d’entreposage centralisé provisoire des combustibles usagés permettrait de libérer totalement les sites. De l’avis général, l’arrivée au pouvoir d’une administration républicaine, s’appuyant sur un Congrès de même sensibilité, pourrait permettre de débloquer la situation.

L’évacuation et le stockage des déchets de faible ou moyenne activité représentent l’un des premiers postes de dépense des opérations de démantèlement, soit 100 à 150 millions de dollars par réacteur. Il existe actuellement deux centres de stockage privés pour ces déchets, l’un au Texas, l’autre dans l’Utah.

Enfin, s’il n’existe pas, à proprement parler de « seuil de libération » aux États-Unis, les déchets dont la radioactivité n’est pas détectable ne sont pas considérés comme radioactifs, ce qui simplifie grandement leur traitement et leur stockage.

B. LE CALCUL ET LE CONTRÔLE DES PROVISIONS

1. Les provisions, calculées par réacteur, sont fréquemment actualisées

Le démantèlement est à la charge des exploitants et la NRC veille régulièrement à ce que les fonds, constitués installation par installation et gérés de manière indépendante, soient suffisamment abondés pour permettre le financement des opérations. À l’exception des combustibles usés, les coûts de gestion des autres déchets sont inclus dans ces fonds dédiés.

Tout exploitant d’une centrale nucléaire est tenu de provisionner tout au long de la vie de la centrale une somme nécessaire au démantèlement futur. Tous les deux ans, l’exploitant doit rendre compte à la NRC de l’avancement de cette provision financière, et cela pour chaque réacteur en cours d’exploitation. Ce compte rendu devient annuel cinq ans avant le début du démantèlement jusqu’à la fin des opérations.

La NRC recommande habituellement que ce fonds s’élève à une somme comprise entre 300 et 800 millions de dollars selon le cas, pour un démantèlement total de l’installation. Cette recommandation s’appuie sur le bilan des opérations déjà achevées (cf. tableau supra), qui atteste en effet que le démantèlement d’un réacteur coûte entre 300 et 931 millions de dollars (286 à 887 millions d’euros) selon les cas.

Dans certains cas, ces chiffres peuvent être largement dépassés. Il en est ainsi de la centrale de San Onofre, en Californie, dont les réacteurs sont coincés entre l’océan, une voie ferrée et une autoroute. Compte tenu de la configuration particulière du terrain, le seul démantèlement des réacteurs de cette centrale coûtera plus d’un milliard de dollars pièce.

Il est à noter que ces chiffres n’incluent jamais l’évacuation du combustible pour une double raison : d’une part, cette évacuation est considérée comme faisant partie du cycle d’exploitation et non des opérations de démantèlement ; d’autre part, ainsi que nous l’avons vu, en l’absence d’exutoire, ce combustible usagé est le plus souvent laissé sur place.

Dans le cas de San Onofre, si l’on ajoute au démantèlement le coût de la gestion des combustibles usagés (623 à 653 millions de dollars) et la remise en état des sites (424 à 600 millions de dollars), la facture totale sera comprise entre 2,1 et 2,3 milliards de dollars (2 et 2,2 milliards d’euros) par réacteur.

2. Les provisions sont contrôlées par la NRC et le Congrès

Pour l’évaluation des fonds à provisionner jusqu’à la fin des opérations de démantèlement, la NRC s’appuie sur une Minimum Decommissioning Fund Formula qui prend en compte divers paramètres (nature et puissance du réacteur, historique des incidents survenus pendant l’exploitation, particularités du site…) ainsi qu’une actualisation en fonction des coûts de la main-d’œuvre, de l’énergie et de la gestion des déchets.

Selon les experts de la NRC que la mission d’information a rencontrés, cette évaluation conduit à des montants généralement compris entre 600 et 900 millions de dollars (571 à 857 millions d’euros) pour des réacteurs à eau pressurisée de type Westinghouse, très proche de ceux qu’exploite EDF en France. Même en appliquant un bénéfice de 25 % à 30 % lié à l’effet de série, la NRC considère qu’il sera difficile de se situer en deçà d’une fourchette comprise entre 450 et 700 millions de dollars (428 et 667 millions d’euros), globalement supérieure à celle retenue par l’exploitant français.

La NRC précise en outre que, par expérience, les provisions ne correspondent qu’à 75 % – 80 % du coût réel des opérations. La flexibilité accordée lors du démantèlement de basculer d’une procédure DECON à une procédure SAFSTOR permet à l’exploitant de faire croître son fond pour atteindre le montant nécessaire.

Aux États-Unis, le taux d’actualisation appliqué aux provisions pour démantèlement est fixé à 2 %, chiffre beaucoup plus prudent que le taux d’actualisation français fixé à 4,5 %.

Au-delà de la NRC, le Congressional Research Service (CRS, jouant le rôle de notre OPECST) et le Government Accountability Office (GAO, équivalent de notre Cour des comptes), qui travaillent toutes deux pour le Congrès, suivent aussi ce sujet avec attention, apportant leur propre éclairage sur l’analyse technique et les évaluations de coûts.

Le GAO, qui avance des chiffres proches de ceux de la NRC, considère que les provisions des exploitants se situent généralement dans une fourchette de 75 % à 84 % des besoins avérés. Pour les experts financiers du Congrès, « la bonne politique ne consiste pas à imposer une formule identique pour chaque réacteur mais, au contraire, à personnaliser les provisions réacteur par réacteur, en fonction des circonstances locales ».

3. Prolonger l’exploitation facilite la constitution des provisions

Aux États-Unis comme ailleurs, prolonger la durée de vie des réacteurs permet d’étaler dans le temps la constitution des provisions et de les laisser fructifier ce qui, d’une certaine manière, rend plus indolore l’aspect financier du démantèlement.

Sur les 100 réacteurs en fonctionnement, 81 ont déjà obtenu une extension de 20 ans de leur permis d’exploitation. Dans ce pays, l’extension est attribuée pour vingt ans, ce qui signifie que les réacteurs en question sont considérés comme aptes à fonctionner 60 ans sans danger. 11 autres demandes de prolongation à 60 ans sont en cours d’examen tandis que 7 nouvelles demandes seront déposées d’ici à 2022. On peut donc considérer que la quasi-totalité du parc sera probablement autorisé à fonctionner pendant au moins 60 ans, soit 50 % de plus que ce qui était prévu à l’origine.

Enfin, les premières demandes de prolongation d’activité au-delà de 60 ans, sont attendues à partir de 2018.

Il reste que la rentabilité de l’électricité d’origine nucléaire a fortement diminué ces dernières années avec l’émergence de centrales thermiques utilisant le gaz de schiste. Certains analystes considèrent par conséquent que les extensions de permis d’exploitation ne seront pas toutes entièrement utilisées et que 5 à 10 réacteurs pourraient fermer prématurément dans la décennie à venir.

C. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE

Début novembre 2016, le géant américain de la démolition NorthStar a annoncé avoir trouvé un accord avec Entergy, l’exploitant de la centrale Vermont Yankee (BWR de 604 MW arrêtée fin 2014), pour le rachat de la centrale afin d’en mener le démantèlement. Ce rachat devrait être effectif d’ici fin 2018 et s’accompagnera du transfert du fonds de démantèlement à l’industriel, qui prendra vis-à-vis de la NRC la responsabilité de mener les opérations à bien. Pour ce faire il a annoncé s’être adjoint les services de partenaires spécialisés reconnus tels qu’Areva Inc. (segmentation de la cuve et des internes), WCS (stockage des déchets hors combustible usagé) et Burns&McDonnell (ingénierie).

De l’avis du Nuclear Energy Institute (NEI, le groupement de tous les industriels du nucléaire), cette évolution est tout à fait justifiée et ce business model va tout à fait dans le sens d’une meilleure efficacité : démanteler un réacteur fait appel à des qualités, à une mentalité et à une approche culturelle totalement différentes de celles qu’on trouve chez les exploitants de centrale nucléaire. L’approche conservative de l’exploitant n’est pas adaptée à l’approche commerciale et pragmatique qui doit animer l’industriel du démantèlement.

Dans le cadre du démantèlement de la centrale de Vermont Yankee, NorthStar s’est engagée à démanteler le réacteur à un coût inférieur à celui provisionné par son exploitant. Dans le cadre de l’accord signé, 55 % des crédits provisionnés non utilisés reviendront à l’État du Vermont et 45 % à l’exploitant.

Pour autant, la « mémoire » de la vie du réacteur et de ses éventuels incidents n’est pas perdue dans la mesure où les agents de l’exploitant qui sont les plus utiles au démantèlement sont repris par les nouveaux propriétaires du réacteur.

CONCLUSION

Le nucléaire s’inscrit dans le temps long. Entre le moment où est posée la première pierre d’un réacteur nucléaire et le moment où le site est libéré, il peut se passer plus d’un siècle. Plusieurs générations se seront succédé pour gérer la construction, l’exploitation et le démantèlement de l’installation nucléaire, ce qui ne facilite pas, comme nous l’ont fait remarquer plusieurs de nos interlocuteurs, les acteurs du nucléaire à se projeter dans le futur. Il en résulte bien souvent le sentiment de la part des politiques de devoir gérer les conséquences du manque d’anticipation de générations d’ingénieurs.

De ce point de vue, la mission d’information s’interroge sur le rôle de l’État actionnaire, qui détient 85,6 % du capital de l’électricien. Car si la République exerce sa tutelle sur EDF par le biais du ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, d’une part, et contrôle sa politique nucléaire par l’intermédiaire de l’ASN, d’autre part, c’est aussi la République qui est censée définir la politique de l’entreprise par le biais de sa participation largement majoritaire.

*

Arrivée au terme de ses travaux, la mission d’information a abouti à un certain nombre de conclusions qui tempèrent fortement l’optimisme des responsables d’EDF qu’elle a pu rencontrer.

1. Le démantèlement prendra plus de temps que prévu

Malgré l’adoption du principe d’immédiateté, un chantier de démantèlement ne commence jamais avec la mise à l’arrêt définitif, un délai de 5 à 7 ans étant nécessaire pour déposer le dossier technique auprès de l’ASN et obtenir l’autorisation de cette autorité pour entamer le processus . En outre, le grand nombre de réacteurs à démanteler au cours des décennies à venir ralentira nécessairement le processus.

La tentation sera donc grande pour l’électricien d’étaler le démantèlement dans le temps pour compenser la faiblesse des provisions.

2. Les hypothèses de départ ne sont pas toutes respectées

– la mutualisation des services pose problème car EDF se fonde sur l’hypothèse que tous les réacteurs seront remplacés, ce qui n’est pas le plus vraisemblable au regard de la loi de transition énergétique et pour la croissance verte précitée et de la puissance toujours plus importante des nouveaux réacteurs.

– l’immédiateté du démantèlement n’a pas été respectée pour le premier parc d’EDF, notamment pour les UNGG. Même si la technologie des REP semble poser moins de difficultés techniques, le grand nombre de réacteurs à traiter de manière quasi simultanée rendra très difficile le respect de ce principe ;

– l’effet d’échelle semble globalement apprécié de manière trop optimiste, surtout compte tenu de la rotation des sous-traitants.

3. Les provisions sont parmi les plus basses de l’OCDE, sans filet de sécurité en cas d’écart sur les coûts

Des incertitudes demeurent :

– parce que le coût du démantèlement est sous-évalué si l’on intègre un certain nombre d’éléments non pris en compte : remise en état des sols, évacuation des combustibles, taxes et assurances, coût social… ;

– en raison d’un taux d’actualisation de 4,4 %, trop optimiste au regard de la situation financière internationale actuelle ;

– parce que l’expérience montre, comme le soulignent notamment la Cour des comptes et l’Agence pour l’énergie nucléaire, que les démantèlements étrangers sont tous plus onéreux ;

Il apparaît à la mission d’information qu’EDF compte implicitement sur l’allongement de la durée d’exploitation, si possible jusqu’à 60 ans, du plus grand nombre possible de ses réacteurs pour augmenter progressivement le niveau de ses provisions et compenser les coûts.

4. La faisabilité technique n’est pas entièrement assurée

– de toute évidence, d’importantes difficultés techniques retardent de près d’un siècle le démantèlement des six réacteurs graphite-gaz (UNGG) ;

– bien que très avancé, le démantèlement de Superphénix n’est pas encore totalement assuré sur le plan technique ;

– l’engorgement des exutoires pour certains types de déchets faiblement ou très faiblement radioactifs risque de ralentir le processus de démantèlement.

RECOMMANDATIONS

1. Revoir les règles de prévision des coûts du démantèlement

– Établir des provisions par réacteur, et sortir du schéma globalisé des provisions basées sur la règle de multiplication des coûts de Dampierre, en tenant compte de l’historique de chacun : incidents d’exploitation, présence ou non d’autres réacteurs en exploitation pendant la durée du démantèlement, destination finale du site, etc.

– prendre en compte les frais de remise en état des sites, ainsi que le recommandent les cabinets d’audit et le ministère de l’environnement ;

– prendre en compte dans le coût du démantèlement les taxes et assurances qui seront dues par l’exploitant, et notamment la taxe sur les installations nucléaires de base (INB). Sur ce point, une divergence persiste avec le président de la mission d’information qui estime, à la différence de la rapporteure, qu’une solution peut être trouvée avec le ministère des finances ;

– prendre en compte le coût d’évacuation et de traitement du combustible usagé comme le font Areva et le CEA, comme le font les exploitants étrangers, comme le recommandent les cabinets d’audit, l’ASN et le ministère de l’environnement ;

– évaluer et prendre en compte le coût social du démantèlement, à l’instar de ce que font les exploitants de réacteurs des autres pays, en tenant compte des spécificités du parc français et du statut des agents.

2. Établir un agenda prévisionnel des réacteurs à démanteler

L’objectif consiste à donner une meilleure visibilité à l’ensemble des entreprises impliquées par l’activité du démantèlement, de manière à faciliter le travail des sous-traitants et à permettre la mise en place d’une filière pérenne et solide du démantèlement.

Cet agenda pourrait être couplé à une cartographie de l’avenir des sites nucléaires dans le cadre des programmes pluriannuels de l’énergie, donnant de la visibilité sur chaque réacteur : démantèlement ou prolongation. En sus de ces informations par réacteur, la cartographie devra préciser l'avenir du site : sites destinés à un retour à l’herbe (démantèlement de tous les réacteurs, pas de reconstruction prévue) ou sites destinés à demeurer des actifs stratégiques pour accueillir d’éventuels futurs réacteurs.

En l’absence de visibilité, notre pays ne réussira pas à constituer une filière industrielle cohérente du démantèlement et celle-ci risque d’être supplantée par des entreprises étrangères.

3. Assouplir les règles relatives aux déchets à très faible activité (TFA)

Sans aller jusqu’à instaurer un seuil de libération, comme cela existe pourtant dans la plupart des autres pays, l’ASN pourrait avantageusement assouplir les règles de stockage des déchets dont la radioactivité naturelle est soit non détectable, soit inférieure à la radioactivité naturelle.

Les métaux entrant dans cette catégorie doivent, sous réserve de traçabilité stricte pour le premier réemploi, pouvoir être réutilisés pour un usage industriel, ainsi que cela se pratique à l’étranger. En effet, l’ouverture de notre économie aux importations rend impossible toute velléité de protection dans ce domaine.

4. Faciliter la mise en concurrence pour démanteler

Comme aux États-Unis, il pourrait être envisagé d’autoriser l’exploitant à céder les réacteurs dont la mise à l’arrêt est définitive, lorsqu’une entreprise s’engage à réaliser le démantèlement à moindre coût et dans les meilleurs délais, dans le plus strict respect des règles de sécurité.

Cette proposition sous-entend qu’il est nécessaire de calculer précisément le coût de démantèlement de chaque réacteur de manière à permettre une contre-expertise de la part des candidats au rachat.

Le lancement de l’appel d’offres pourrait être organisé dans l’année qui précède ou qui suit la mise à l’arrêt définitif du réacteur, sous le contrôle de l’ASN, sous des conditions strictes de sécurité, de coût et de délai. EDF garderait la possibilité de transférer la responsabilité du démantèlement à une société tierce ou de la réaliser elle-même.

Si une entreprise mieux-disante est retenue, les bénéfices entre le coût réel et la provision réalisée pourraient être partagés entre les collectivités locales, l’exploitant et l’entreprise qui démantèle. Si aucune entreprise ne propose de projet meilleur que celui de l’exploitant, c’est ce dernier qui réaliserait le démantèlement.

Le démantèlement devrait être lancé dans l’année suivant l’arrêt définitif de l’installation nucléaire, avec un calendrier précis assorti de sanctions financières en cas de non-respect.

Dans tous les cas, l’exploitant mettrait à disposition des candidats la totalité des documents techniques et financiers nécessaires à l’évaluation du coût et des délais du démantèlement de chaque réacteur soumis à l’appel d’offres.

5. Accélérer le démantèlement des réacteurs graphite-gaz (UNGG)

Le report par EDF du démantèlement des réacteurs graphite-gaz, à l’horizon 2100 n’est pas acceptable car il revient à faire reporter la charge du démantèlement aux générations futures, ce qui est en contradiction avec les principes adoptés en matière nucléaire et, notamment, avec le principe de l’immédiateté du démantèlement.

La mission d’information demande à EDF de publier un calendrier aussi précis que possible à l’échelle d’une génération et, en tout état de cause, antérieur au « début du XXIIe siècle », pour reprendre les termes du président de l’ASN.

La mission d’information recommande, pour accélérer le démantèlement de ces réacteurs, le lancement d’un appel d’offres basé sur le prix et les délais, dans un strict respect des normes de sûreté et de sécurité.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 1er février 2017, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport d’information de Mme Barbara Romagnan relatif à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre commission examine ce matin le rapport de la mission d’information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires, que nous avons mise en place en mai 2016.

Cette mission, présidée par M. Julien Aubert, a nommé Mme Barbara Romagnan rapporteure. Elle a procédé à de nombreuses auditions – plus de soixante-dix personnes – et a effectué un certain nombre de déplacements, notamment aux États-Unis en novembre dernier.

À la fin de notre réunion, je mettrai aux voix non pas le contenu du rapport lui-même, mais le principe de sa publication.

M. Julien Aubert, président de la mission d’information. Nous sommes très heureux de vous présenter les résultats de cette mission d’information qui a travaillé pendant environ six mois. Nous avons organisé de nombreuses auditions, non seulement de représentants de l’industrie nucléaire, mais aussi d’experts, dont certains ont été très critiques. Nous avons notamment essayé d’établir des comparaisons internationales.

Notre premier problème a été de définir le périmètre de notre mission : qu’est-ce qu’une infrastructure nucléaire ? Qu’est-ce que le démantèlement nucléaire ? Comment appréhender l’aspect financier du démantèlement ? Au cours de nos travaux, nous sommes parvenus progressivement – Mme le rapporteur s’y est attelée avec l’énergie qui est la sienne – à sérier un certain nombre de problématiques : premièrement, la nature des provisions prévues par Areva, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Électricité de France (EDF) pour le démantèlement de ces infrastructures ; deuxièmement, les éventuelles différences de coût ou de faisabilité technique en fonction de la technologie ou de la puissance, sachant que le parc nucléaire est composé non seulement de réacteurs à eau pressurisée (REP), mais aussi de réacteurs à l’uranium naturel graphite-gaz (UNGG), auxquels s’ajoutent les installations d’Areva, les laboratoires expérimentaux et les prototypes du CEA ; troisièmement, la stratégie du démantèlement.

Peut-on considérer que la France a une stratégie de démantèlement ? Lors de notre déplacement aux États-Unis, nous nous sommes rendu compte que les Américains n’avaient pas de stratégie pour le stockage des déchets ; en d’autres termes, il n’existe pas d’équivalents américains du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) ou de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – je le dis pour faire plaisir à notre collègue Christophe Bouillon. Mais, dans le même temps, les Américains sont plus avancés que nous en matière de démantèlement : d’après ce qu’ils nous ont expliqué, ils ont des stratégies de démantèlement très codifiées, qui vont du stockage sur place de type « mausolée » au « retour à l’herbe » total. A contrario, la France est beaucoup plus avancée que les États-Unis pour le stockage des déchets les plus radioactifs, grâce à Cigéo, mais, en matière de démantèlement, nous faisons en quelque sorte du vélo ou, pour le dire autrement, nous sommes « en marche » sans forcément réfléchir à l’objectif ! (Sourires.)

Je tiens à souligner que la mission d’information a travaillé dans une ambiance très cordiale et constructive. Mme le rapporteur ou Mme la rapporteure – cela dépend des positions politiques (Exclamations de plusieurs commissaires de la majorité) – et moi-même avons formé un binôme efficace, avec le soutien de l’équipe administrative. Certains membres de la mission ont été très actifs, en particulier Guy Bailliart, qui a participé à de nombreuses auditions.

Je partage en grande partie les conclusions du rapport, mais il existe une divergence réelle quant à la manière dont on analyse subjectivement le problème. La filière nucléaire est à un tournant décisif de son existence ; elle est même en crise, confrontée à des problèmes industriels et financiers. Il faut donc faire attention aux termes que l’on utilise. Dans le rapport, il est question de « provisions sous-estimées », ce qui, pour le magistrat de la Cour des comptes que je suis à l’origine, a une véritable signification comptable : parler de provisions sous-évaluées revient à critiquer la sincérité des comptes et, partant, la manière dont l’entreprise est gérée.

Après avoir écouté les arguments des uns et de autres, je pense, de très bonne foi, qu’il est possible de dire que les provisions calculées par EDF sont effectivement parmi les plus basses au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – c’est un fait –, mais que les comparaisons avec les autres pays sont très difficiles à établir. Tout d’abord, il existe dans chaque pays une certaine opacité sur le sujet – on ne peut pas dire que l’information soit directement accessible. Ensuite, les périmètres sont différents, et chacun regroupe sous le thème du démantèlement des éléments parfois très hétérogènes, par exemple le coût social, ou encore le stade qu’il s’agit d’atteindre, « retour à l’herbe » ou nouvelle vocation industrielle. Toute une série de paramètres entrent en ligne de compte : l’évaluation des coûts, le taux d’actualisation des provisions, etc.

Dès lors, tous ceux qui ont tenté d’établir des comparaisons internationales, tant l’OCDE que les critiques les plus acerbes du nucléaire, s’accordent à dire que les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie basse de la fourchette, voire les plus bas, notamment par rapport à l’Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais que, en réalité, il est impossible de dire avec certitude que, à périmètre constant, ils sont effectivement inférieurs aux autres. Le tableau qui figure à la page 68 du rapport montre que l’évaluation par EDF du coût de démantèlement des REP n’est pas particulièrement choquante au regard des coûts de démantèlement constatés. On s’aperçoit que chaque réacteur est différent et qu’il n’y a pas de corrélation entre le coût et la technologie, ni de lien de proportionnalité entre le coût et la puissance du réacteur. Si l’on fait abstraction de ces paramètres, les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie médiane de la fourchette. En tout cas, leur singularité ne saute pas aux yeux.

Certes, il existe des incertitudes sur les coûts, mais l’État actionnaire peut décider de modifier sa stratégie en ce qui concerne une partie de ces coûts. Ainsi, certaines taxes ne sont pas prises en compte dans les provisions, mais l’État pourrait très bien décider de ne pas percevoir la taxe sur les installations nucléaires de base pendant les opérations de démantèlement.

Un paramètre joue un rôle très important pour les provisions : la durée de vie des centrales. Les provisions ont été calculées par rapport à une durée de vie de quarante ans. Or, si l’on prolonge la durée de vie des centrales de vingt ans, les provisions vont fructifier pendant cette durée supplémentaire, et leur niveau actualisé sera donc, par définition, plus élevé. Nous disposons donc de leviers.

Il y a, là encore, une divergence. Je reconnais bien volontiers que, avec les provisions actuelles, nous sommes mal partis pour atteindre l’objectif d’un retour de la part de l’énergie nucléaire à 50 % en dix ans, fixé par la loi relative à la transition énergétique. Mais j’estime pour ma part que les objectifs de cette loi sont irréalisables et seront amenés à évoluer de toute manière : il n’est pas du tout certain que l’on parvienne à réduire la part du nucléaire à 50 %. C’est pourquoi nous ne faisons pas le même diagnostic sur la question des provisions.

Il n’en reste pas moins – j’essaie d’être le plus objectif possible – qu’il faut conseiller la prudence à EDF. Au cœur du débat, il y a l’affirmation par EDF que ses coûts seront moindres que ceux des exploitants des pays voisins dans la mesure où elle est l’opérateur unique d’un parc de cinquante-huit réacteurs, ce qui est source d’économies d’échelles grâce à la mutualisation de certaines dépenses, notamment de l’utilisation des machines. Tout le monde s’accorde à dire que cet effet de série existe, mais personne n’est d’accord sur sa quantification : les plus critiques estiment que cela réduira les coûts de 10 à 15 % au plus, les plus optimistes de 40 à 50 %. Notre mission a cherché un expert qui puisse nous fournir des chiffres précis, sur la base de comparaisons internationales ou d’effets de série constatés dans d’autres domaines industriels tels que la démolition des immeubles, mais personne n’a été en mesure de le faire. Sur ce point, je souscris donc à la conclusion du rapport : les hypothèses d’EDF étant plutôt optimistes et ses provisions étant basses, il faut lui donner un conseil de prudence, en l’invitant notamment à évaluer le coût du démantèlement réacteur par réacteur, alors qu’elle calcule aujourd’hui un coût global.

En définitive, je suis en désaccord avec la formulation, qui va, selon moi, trop loin, car elle met en doute la sincérité des comptes d’EDF. Je ne suis pas convaincu par cet aspect du rapport. En revanche, ce rapport a au moins deux mérites à mes yeux : il clarifie le débat et adresse un message de prudence à l’industrie nucléaire.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Au cours de ses travaux, la mission a auditionné environ soixante-dix personnes. Nous nous sommes déplacés non seulement en France, mais aussi aux États-Unis, car ce pays possède le parc nucléaire le plus important au monde, et les réacteurs américains sont comparables aux nôtres. L’objet de notre mission était, je le rappelle, de faire le point sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires. Ces questions se posent précisément maintenant pour deux raisons essentielles : d’une part, 80 % du parc nucléaire français arrive au terme de sa durée d’exploitation initialement prévue, soit quarante ans ; d’autre part, nous avons voté en 2015 la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit une réduction de 75 à 50 % de la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité en France d’ici à 2025.

Ainsi que le président de la mission l’a rappelé, il a souvent été difficile d’obtenir des informations certaines. Il n’y a qu’une seule certitude : le démantèlement aura forcément lieu ; il s’impose à tous, que l’on soit favorable ou non à la poursuite d’une filière nucléaire en France, question qui n’était d’ailleurs pas l’objet de notre mission. Nous devons donc montrer dans tous les cas que nous sommes en mesure de réaliser ce démantèlement. Or il apparaît que la filière nucléaire française n’avait pas anticipé ce démantèlement ou l’avait très mal fait, en tout cas en ce qui concerne le premier parc.

J’aborderai successivement la faisabilité technique et la faisabilité financière.

S’agissant de la faisabilité technique, il convient de distinguer les deux parcs d’EDF. Le premier parc, le plus ancien, est composé de neuf réacteurs, tous à l’arrêt. Il s’agit des six réacteurs UNGG, du réacteur à eau lourde de Brennilis, en Bretagne, de Superphénix et du réacteur de Chooz A, petit REP souterrain de 300 mégawatts. Le deuxième parc, plus récent, assez homogène, comprend cinquante-huit REP, construits pour la plupart entre 1977 et 1987, tous en fonctionnement. L’EPR de Flamanville, seul réacteur en construction actuellement, n’est pas inclus dans ce deuxième parc.

En ce qui concerne le premier parc, rien ne s’est passé comme prévu ou, du moins, comme il aurait fallu, sauf pour le réacteur de Chooz A, dont le démantèlement est presque terminé. Les réacteurs UNGG sont tous à l’arrêt depuis la fin des années 1990. En 2016, EDF a annoncé qu’elle reportait la fin prévue de leur démantèlement de 2041 à 2100 en raison de difficultés techniques, reconnues d’ailleurs en termes très simples par M. Sylvain Granger, responsable du démantèlement chez EDF : « Nous sommes face à une difficulté technique non résolue à l’échelle industrielle. »

Nous avons tous été un peu intrigués, voire interloqués, par le fait que ce problème de faisabilité n’a été découvert que très récemment : alors même que le dernier réacteur de la filière a été arrêté il y a déjà vingt ans, que le réacteur américain de Fort Saint-Vrain, qui présente des caractéristiques assez semblables à celles de nos UNGG, a été démantelé il y a déjà dix-neuf ans, qu’EDF a réalisé des études sur cette question pendant quinze ans et que sa stratégie de démantèlement a été validée par l’Agence de sûreté nucléaire (ASN), on s’est rendu compte qu’il ne serait pas possible de réaliser le démantèlement dans les conditions prévues et qu’il allait falloir le reporter « au début du XXIIe siècle », pour reprendre les termes de l’ASN. Autrement dit, il faudra plus d’un siècle pour démanteler ces réacteurs !

Selon les prévisions d’EDF, le démantèlement de la vieille centrale de Brennilis, constituée d’un petit réacteur à eau lourde de 70 mégawatts, devrait être achevé, si tout se passe bien, en 2032. Il aura donc fallu, si tout se passe bien, quarante-sept ans pour démanteler un réacteur exploité pendant dix-huit ans.

Enfin, Superphénix, qui a été arrêté il y a vingt ans, en 1997, pose des problèmes particuliers en raison des difficultés qu’il y a à évacuer le sodium : à l’état liquide, celui-ci explose au contact de l’eau et prend feu au contact de l’air.

Rappelons que les installations du premier parc ne sont pas standardisées : chacune d’entre elles présente des particularités qui peuvent entraîner des surcoûts difficiles à anticiper. EDF n’a pas été en mesure de nous fournir – ou n’a pas souhaité le faire – le montant déjà dépensé ou prévu pour leur démantèlement. Nous ne disposons que d’une seule donnée : en 2006, la Cour des comptes a évalué le coût de démantèlement de la centrale de Brennilis à 482 millions d’euros, soit vingt fois le coût initialement prévu.

En ce qui concerne le deuxième parc, à savoir les cinquante-huit REP actuellement en fonctionnement, au vu des réponses de la plupart de nos interlocuteurs, nous n’avons pas de raison de douter a priori qu’EDF sera bien en mesure de réaliser leur démantèlement du point de vue technique. Restent les difficultés liées au travail dans un milieu radioactif : si EDF a anticipé, en mettant au point des robots évitant aux individus d’aller eux-mêmes dans des zones trop fortement radioactives, les centrales n’ont pas vraiment été conçues, au moment de leur construction, pour être démantelées. Il faut pouvoir introduire ces robots dans les endroits à démanteler, et il faut qu’ils disposent de suffisamment d’espace pour évoluer.

La standardisation du deuxième parc est généralement invoquée comme un avantage. Celui-ci est réel : dans la mesure où ces réacteurs sont sensiblement les mêmes, l’expérience acquise lors du démantèlement de l’un d’entre eux servira lors du démantèlement des autres. Cependant, dans la mesure où ils ont été construits pour l’essentiel à peu près au même moment, entre 1977 et 1987, on peut supposer que leur démantelèrent interviendra au cours de la même période. Dès lors, disposera-t-on du personnel et du matériel suffisants pour réaliser simultanément tous ces démantèlements ? En outre, si l’on est confronté à une difficulté sur un réacteur, ne risque-t-on pas de la rencontrer sur les autres réacteurs du parc ?

À ces difficultés s’ajoutent l’engorgement des lieux de stockage et l’absence, à ce stade, de filière adaptée pour le graphite usagé. Ces éléments étaient en marge de notre travail, mais il faut en tenir compte pour la faisabilité technique.

En définitive, nous considérons que la faisabilité technique du démantèlement n’est pas entièrement assurée.

S’agissant de la faisabilité financière, même si nous sommes d’accord sur l’essentiel, le président de la mission et moi-même ne faisons pas tout à fait la même interprétation : pour ma part, je considère que les charges de démantèlement sont vraisemblablement sous-évaluées et, par conséquent, sous-provisionnées.

Je vous donne d’abord quelques chiffres. Le coût global final du démantèlement est estimé par EDF à 75,5 milliards d’euros. Cette somme sera décaissée progressivement, au fur et à mesure des démantèlements. La somme qui doit être provisionnée s’élève à 36,1 milliards ; il s’agit d’une simple écriture comptable. Conformément à une spécificité de la loi française, heureuse à notre sens, les deux tiers de ces provisions, soit 23,5 milliards, doivent être couverts par des actifs dédiés.

Nous avons essayé de comparer ces estimations de coûts avec celles qui ont été faites dans d’autres pays. Les exploitants étrangers ont tous prévu des provisions supérieures à celles d’EDF. Ainsi que le président de la mission l’a relevé, deux facteurs peuvent l’expliquer : d’une part, les exploitants ne prennent pas forcément en compte les mêmes opérations ; d’autre part, l’importance et la standardisation du parc d’EDF peuvent laisser espérer un certain nombre d’économies d’échelle, qui ne sont pas envisageables dans les mêmes proportions ailleurs.

Toutefois, les chiffres annoncés par d’autres pays, notamment par le Royaume-Uni et les États-Unis, sont vraisemblablement plus proches de la réalité, car ils se basent sur des démantèlements qui ont été effectivement réalisés. Rappelons que, à ce stade, EDF n’a mené aucun démantèlement jusqu’à son terme.

À mon sens, un certain nombre de charges sont objectivement non provisionnées.

Ainsi, les taxes et assurances ne sont pas prises en compte. Le président de la mission a indiqué tout à l’heure que l’État pourrait finalement décider de ne pas demander le paiement de la taxe sur les installations nucléaires de base pour les opérations de démantèlement. Certes, cette taxe a été abaissée dans le cadre du dernier collectif budgétaire, mais elle existe toujours, et il faut donc la budgéter.

L’évacuation des combustibles usagés n’est pas prise en compte non plus, par principe, car elle est considérée non pas comme un coût de démantèlement, mais comme un coût d’exploitation. Reste qu’il faudra bien la financer à un moment donné.

La remise en état des sols n’est pas prévue, car EDF envisage la plupart du temps de construire de nouveaux réacteurs sur les sites concernés.

De plus, EDF mise sur une mutualisation qui repose sur l’hypothèse, à mon sens optimiste, de la construction de nouveaux réacteurs sur ces sites. Dans le cas de deux réacteurs situés côte à côte, si l’on en démantèle un pendant que l’autre reste en fonctionnement, un certain nombre de dépenses – gardiennage, utilisation des machines, etc. – peuvent servir pour les deux. En revanche, pour que cette mutualisation fonctionne pour le deuxième réacteur, cela suppose qu’un nouveau réacteur soit en construction. Certes, ce n’est pas exclu, mais il s’agit d’une vision optimiste de l’avenir du point de vue du financeur, car, à ce stade, les décisions en ce sens n’ont pas été prises.

Enfin, le taux d’actualisation retenu – c’est-à-dire, grosso modo, le taux d’intérêt appliqué aux provisions – est le plus élevé d’Europe, donc le plus favorable, ce qui nous paraît optimiste.

En outre, nous ne disposons pas de données précises – sans doute n’est-il pas possible d’en produire – sur le gain résultant de l’effet de série.

À mon sens, la méthode de calcul du coût global, appelée « Dampierre 2009 », donne elle aussi matière à discussion. Elle a consisté à estimer, en 2009, le coût du démantèlement d’un réacteur type de 900 mégawatts, celui de Dampierre, et à le multiplier par cinquante-huit. Or il y a deux limites à cette façon d’évaluer le coût global. Premièrement, on ne prend pas en compte l’historique de chacun des réacteurs ; certes, ils sont sensiblement identiques, notamment en termes de conception, mais ils ont connu des événements différents. Deuxièmement, entre 2009 et 2017, les exigences de sécurité ont été renforcées à la suite de l’accident de Fukushima. EDF, que nous avons interrogée à ce propos, indique en avoir tenu compte et affirme que cela ne modifie pas les coûts de manière sensible. Je suis disposée, le cas échéant, à adhérer à cette idée, mais, à ce jour, nous n’avons pas reçu les éléments chiffrés qu’EDF devait nous envoyer.

Autre coût qu’EDF n’envisage pas : le coût social. Aujourd’hui, on estime qu’une centrale nucléaire équivaut en moyenne à 1 000 emplois directs. EDF, que nous avons interrogée, a indiqué que, compte tenu de l’importance de son parc, des salariés qui ne pourraient plus travailler sur un site pourraient être embauchés sur un autre. Cette hypothèse n’est pas invraisemblable, mais il existe, à un moment donné, une limite, car il n’est pas absolument certain que chaque réacteur soit remplacé par un autre réacteur. Et, quand bien même on s’engagerait dans la construction de nouveaux réacteurs, ceux-ci seront plus puissants que ceux qui sont en service actuellement. Il n’y aurait donc vraisemblablement pas autant de réacteurs qu’aujourd’hui.

Enfin, une dernière interrogation porte sur la nature des actifs dédiés aux provisions et sur leur caractère liquide. EDF a notamment inscrit, au titre de ces actifs, sa filiale Réseau de transport d’électricité (RTE). Nous avons donc demandé aux responsables d’EDF si cela signifiait qu’ils envisageaient de vendre RTE si besoin en était. Ils nous ont répondu que non. Soit, mais alors, un problème de liquidité peut se poser. Si tel était le cas, comment s’y prendrait-on ?

Pour faire face à ces montants importants, la stratégie qu’EDF semble avoir retenue est de parier sur un allongement de la durée de vie des centrales nucléaires grâce au programme de « grand carénage ». Le montant de cet investissement est évalué à 74 milliards d’euros, ce qui équivaut au coût total du démantèlement estimé par EDF. Cette stratégie aurait trois conséquences favorables pour l’électricien : permettre aux provisions d’augmenter avec le temps ; étaler le démantèlement pour éviter l’ « effet falaise », c’est-à-dire le fait de devoir réaliser simultanément un grand nombre de démantèlements ; ralentir l’engorgement des exutoires. Cela pose cependant un problème réel au regard des citoyens que nous représentons : c’est une façon de s’asseoir sur la loi relative à la transition énergétique que nous venons de voter !

Ce pari nous semble d’autant plus surprenant et audacieux que, pour l’instant, l’électricien n’a pas reçu l’aval technique de l’ASN pour le prolongement de la durée de vie de la plupart de ses centrales.

Donc, nous concluons, dans notre rapport, qu’il est nécessaire de discuter beaucoup plus largement de cette stratégie de démantèlement. Les enjeux économiques, financiers, mais aussi, potentiellement, sanitaires sont extrêmement importants. D’autant que, si EDF n’est pas en mesure de financer le démantèlement dans les conditions prévues, cela signifie que l’État, c’est-à-dire, in fine, le contribuable, devra se substituer à elle.

Le nucléaire s’inscrit dans le temps long. D’où une difficulté à se projeter, y compris pour les opérateurs : il peut s’écouler un siècle, voire davantage, entre le moment où l’on pose la première pierre d’une centrale et celui où le site est totalement démantelé et assaini. Cela nous conduit à nous interroger sur le rôle de l’État actionnaire, qui détient 85 % du capital de l’électricien. Car si la République exerce sa tutelle sur EDF au travers du ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, d’une part, et effectue un contrôle par le biais de l’ASN, d’autre part, c’est aussi la République et, donc, nous tous qui sommes censés définir la politique de l’entreprise via la participation détenue par l’État.

Je souligne l’intérêt et le plaisir que j’ai eus à réaliser ce travail, avec l’assistance de nos collaborateurs et des administrateurs de l’Assemblée nationale. Je remercie les membres de la mission d’information, en particulier Guy Bailliart, qui a été particulièrement présent. J’ai le sentiment, avec toutes les limites que cela comporte, d’avoir contribué à la réflexion et d’avoir fait œuvre utile. Je remercie le président Jean-Paul Chanteguet d’avoir permis le déroulement de cette mission.

Pour conclure, on peut s’étonner qu’on ne s’intéresse à cette question que maintenant, alors même que les réacteurs atteignent tous le terme de leur durée de vie initialement prévue, à savoir quarante ans – ce qui ne signifie pas que celle-ci ne peut pas être prolongée.

M. Christophe Bouillon. Je salue la qualité du travail effectué par le président et la rapporteure de cette mission d’information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires. Il est important de rappeler l’importance de voir des parlementaires de la majorité et de l’opposition travailler ensemble sur un sujet donné : cela se traduit par des propositions qui intéressent l’ensemble de la représentation nationale.

Je salue également le travail des douze membres de la mission dans leur diversité – qui, en dépit de leur nombre, ne sont pas devenus les apôtres du nucléaire, mais des experts que l’on écoute avec intérêt.

Vous avez abordé ce travail dans toutes ses dimensions, à la fois technologiques, techniques, financières et éthiques, ce qui est la bonne façon d’aborder un sujet aussi complexe, et formulé des propositions fortes. Il est important que la représentation nationale puisse se pencher sur la question du nucléaire en France, qui nécessite de la constance – puisque c’est un sujet de temps long –, mais aussi de poser des jalons et d’interroger régulièrement les acteurs de la filière.

Il a souvent été dit que la France pourrait, compte tenu de la quantité d’installations qu’elle va devoir démanteler, faire de cette activité une filière d’excellence dont les acteurs seraient considérés comme des experts. Disposez-vous sur ce point d’une projection en termes d’emplois ? L’expertise acquise en la matière serait-elle exportable aux États-Unis ou dans d’autres pays appelés à être prochainement confrontés aux mêmes enjeux que nous ? La loi de transition énergétique, notamment la programmation pluriannuelle de l’énergie, agit-elle sur le rythme du démantèlement ? Dans l’hypothèse où elle induit une accélération du processus, sommes-nous prêts à absorber cette accélération ?

La nouvelle configuration d’Areva a-t-elle un impact sur le démantèlement ?

La question du seuil de libération, déjà évoquée dans le cadre d’autres missions ainsi que dans celui de notre commission, est essentielle. Si l’IRSN a, très tôt, cherché à engager le débat à ce sujet, l’ASN a, elle, toujours maintenu la même position de principe, à la fois éthique et politique. Selon vous, comment pourrait-on faire en sorte que les différents acteurs concernés ne restent pas figés indéfiniment dans la même posture ?

Pour ce qui est des provisions constituées par EDF, inférieures à celles faites par les opérateurs d’autres pays européens, j’aimerais savoir quels sont les moyens d’action du Parlement en la matière. La question n’est pas sans importance car il est évident qu’elle a une incidence sur la situation d’EDF, qui fait partie d’un marché ouvert sur le monde. Par ailleurs, on sait que le domaine du nucléaire est fortement capitalistique et exige de disposer de gros moyens financiers ; dès lors, la question des provisions influe sur la capacité, pour un acteur tel qu’EDF, à mener à bien l’ensemble des projets qu’il porte.

M. Stéphane Demilly. Sur un sujet aussi technique que celui-ci, qui concerne bien le démantèlement des infrastructures nucléaires et non la question de l’opportunité de recourir ou non au nucléaire comme énergie – comme cela est d’ailleurs précisé dès les premières pages du rapport –, nous pourrions nous attendre à ce qu’un consensus se dégage des travaux de notre mission d’information.

Ce n’est pourtant pas le cas, comme en atteste l’avertissement figurant au début de ce rapport, qui souligne le désaccord entre le président de la mission et la rapporteure sur un certain nombre de points – un désaccord d’ailleurs rappelé, tout au long du rapport, par des encarts du président de la mission soulignant telle ou telle divergence de vue avec la rapporteure. Cela montre bien, une fois de plus, que la question du nucléaire est extrêmement sensible et que, quel que soit l’angle adopté pour l’aborder, des questions stratégiques, et donc des questions d’appréciation politique, se posent.

L’un de ces points de désaccord porte sur une question centrale du rapport, celle de la « sous-estimation vraisemblable » – c’est le titre du II de la troisième partie du rapport – par EDF du coût du démantèlement de ses centrales. Il s’agit là d’un sujet lourd de conséquence pour EDF, et qui incite à s’interroger sur la faisabilité financière du démantèlement des infrastructures nucléaires à courte échéance. Ce point m’inspire plusieurs questions.

Premièrement, est-il sérieux et raisonnable d’envisager un prolongement de la durée de vie des réacteurs de façon à étaler dans le temps la constitution des provisions qui serviront au démantèlement ? C’est le pari que semble faire EDF à l’instar de ce qui se fait dans certains pays, selon une méthode qui place le principe de réalité économique et financière avant toute volonté de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité.

Deuxièmement, l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de faire passer d’ici à 2025 – c’est-à-dire demain – la part de l’électricité d’origine nucléaire à 50 % contre 75 % aujourd’hui est-il réaliste ? À la lecture du rapport, on a l’impression qu’EDF aurait décidé de s’affranchir de cet objectif.

Troisièmement, le rapport souligne que l’hypothèse de la constitution, dans notre pays, d’une véritable filière de démantèlement des infrastructures nucléaires, est impossible en l’absence de visibilité et d’un agenda clair. Si je partage en partie l’analyse développée dans le rapport à ce sujet, je considère cependant que nous devons explorer toutes les pistes de façon que le marché du démantèlement puisse revenir à des entreprises qui créent de l’emploi sur notre sol. Il serait tout de même incroyable que la France, deuxième producteur mondial d’électricité nucléaire, ne parvienne pas à organiser sa filière de démantèlement. Je souhaite donc connaître l’avis de nos collègues à ce sujet.

Enfin, pour conclure mon propos, je pense qu’il serait très utile que notre commission puisse auditionner les dirigeants d’EDF – dont l’État est actionnaire à hauteur de 85,6 % –, afin de leur permettre de s’exprimer devant nous au sujet de ce rapport particulièrement inquiétant.

M. Jacques Krabal. Rien ne pèse tant qu’un secret, comme le disait Jean de La Fontaine dans sa fable Les Femmes et le secret. J’ai entendu le président de notre Commission dire qu’il fallait sortir de l’opacité, et je voudrais saluer la volonté de transparence des auteurs de ce rapport d’information, car je suis convaincu que la transparence et la science nous seront nécessaires pour nous affranchir des passions qui entourent les débats sur le nucléaire.

La question du démantèlement des installations nucléaires est infiniment complexe pour ceux qui ne sont pas experts en ce domaine – je ne le suis pas et j’imagine que peu de mes collègues le sont –, et je pense que cette question doit être abordée avec humilité et lucidité, quelles que soient nos convictions en la matière.

Je remercie la rapporteure et le président de la mission, qui ont accompli un travail de fond portant sur de multiples points précis et sous-problématiques sur lesquels même les spécialistes ne savent pas tout. Les nombreuses comparaisons qu’établit le rapport avec les autres pays confrontés aux mêmes défis, et connaissant des réussites et des échecs, nous montrent la difficulté du chemin, mais elles sont indispensables pour le débat et pour décider du temps, de la méthode et des perspectives pour la France.

Comme dans d’autres domaines, notre unique boussole doit être scientifique. Les considérations idéologiques et les emportements irrationnels, d’un côté comme de l’autre, ne favorisent pas le débat serein et éclairé dont nous avons besoin. À ce sujet, nous avons encore des progrès à faire, mais nous en avons fait déjà beaucoup, et la situation actuelle n’a plus rien à voir avec celle d’il y a vingt-cinq ou trente ans.

Je veux de nouveau saluer le rôle et les travaux remarquables de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’ASN, je crois que nous pouvons être unanimes pour dire que c’est une chance pour la France que de disposer d’institutions de si haut niveau : quand on a cette chance, on se doit de ne pas la gâcher et d’essayer de l’optimiser. Ces autorités doivent être renforcées – je l’ai souvent dit, mais le rapport qui nous est présenté me donne une nouvelle occasion d’insister sur ce point.

Le Grenelle de l’environnement avait évité d’aborder le nucléaire, ce qui était peut-être une condition nécessaire à sa réussite, mais notre majorité peut être fière d’avoir réussi une belle loi sur la transition énergétique au sein de laquelle le nucléaire n’était pas tabou.

Sur les conclusions et les recommandations du rapport, nous constatons à nouveau que, concernant le nucléaire, les coûts initialement affichés ne correspondent en rien aux coûts réels, et que les investissements proposés par EDF apparaissent insuffisants. Même si nous peinons à obtenir des chiffres précis, donc à mesurer l’ampleur du delta entre prévisions et réalité, il n’y a aucun doute sur le fait qu’il est immense.

Ce rapport – comme d’autres qui suivront – tente de faire la lumière sur ce point essentiel, mais ce n’est pas suffisant : compte tenu de l’importance de la question du coût du nucléaire, nous devrions avoir en France des outils améliorés pour le calculer, un groupe, une structure indépendante réunissant les meilleurs experts scientifiques associés à nos meilleurs comptables – je pense à la Cour des comptes pour ce qui est des aspects financiers.

Les exemples de sortie progressive du nucléaire de nombreux voisins et les démantèlements en cours au Japon, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays baltes, en Bulgarie, en Slovaquie, en Suisse et en Belgique, nous montrent, me semble-t-il, que nous avons fait le bon choix en décidant d’une baisse de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique.

S’il est difficile d’avoir une conviction définitive sur le sujet, je crois intuitivement que le nucléaire ne fait pas partie des énergies d’avenir sur lesquelles nous devrions massivement investir.

M. Guy Bailliart. Je remercie la rapporteure et le président de cette mission, aux travaux desquels j’ai participé autant que je le pouvais.

Nous avons visité plusieurs sites nucléaires et rencontré un grand nombre de personnes travaillant dans ce domaine, ce qui nous a permis de vérifier que notre pays dispose d’une expertise de haut niveau en la matière, ce qui est une richesse. Nous avons également constaté que les personnes travaillant dans le nucléaire ont une grande confiance en leur industrie – contrairement aux personnes étrangères à ce secteur qui continuent, elles, à avoir des craintes.

Pour ma part, j’ai souvent eu l’impression, au cours des auditions, d’avoir pour interlocuteur l’un de ces magasins qui promettent de vous rembourser la différence si vous trouvez ailleurs que chez eux le même produit vendu moins cher : le problème, c’est que vous ne trouvez jamais exactement le même produit. Il en est de même en matière de nucléaire où, à chaque fois que l’on voudrait établir des comparaisons entre la France et un autre pays, on ne dispose jamais d’éléments présentant une similarité suffisante pour permettre l’établissement d’une comparaison détaillée. C’est incontestablement un élément de faiblesse dans l’argumentation d’EDF qui, en ne fournissant pas d’éléments de comparaison probants, contribue à entretenir la confusion.

Par ailleurs, je regrette, pour plusieurs raisons, que nous ne disposions pas d’un agenda du démantèlement. Premièrement, cela nous prive de toute certitude sur le fait que les opérations de démantèlement donneront lieu à un effet de série. Comme nous l’a expliqué un sous-traitant potentiel, il n’y aura aucun effet de série si toutes les opérations sont effectuées simultanément : pour bénéficier de cet effet, il faut que les opérations soient successives.

Deuxièmement, l’absence d’agenda nous conduit à nous interroger au sujet du vieillissement des installations. Quoi qu’en dise EDF, qui se veut toujours rassurante, les centrales vieillissent et, ce faisant, deviennent plus fragiles et de moins en moins sûres, ce qui rendra leurs réparations à la fois plus compliquées et plus urgentes.

Troisièmement, sans agenda, rien ne nous garantit contre l’effet de falaise. Si le démantèlement n’est envisagé que comme une échéance lointaine, les opérateurs sont forcément tentés de se dire qu’ils sont tranquilles pendant quinze ou vingt ans : à l’issue de ce délai, ce sera l’effet de falaise, qu’un étalement des opérations programmé sur plusieurs années, centrale par centrale, aurait permis d’éviter.

Quatrièmement, en matière de finances, le fait de ne pas disposer d’un agenda nous prive également de l’effet d’actualisation permettant de doubler les provisions. En effet, pour bénéficier de l’effet d’actualisation, il faut pouvoir disposer des fonds – or, dès lors qu’on commence à démanteler, on dépense ces fonds, ce qui empêche d’actualiser.

Je conclurai sur la question des déchets de très faible et moyenne activité, qui représentent une masse importante et pour lesquels on n’a pas vraiment de solution pour le moment.

M. Jacques Kossowski. En parcourant cet excellent rapport, on prend conscience de l’extrême complexité d’éventuelles opérations de démantèlement des sites nucléaires. Comme vous le montrez, les difficultés sont à la fois d’ordre technique et financier. À mon sens, elles sont également d’ordre économique et social.

En effet, les démantèlements auront forcément un impact négatif sur l’emploi et l’économie des bassins concernés. A-t-on élaboré des évaluations sur ces deux points en fonction des différents scénarios de démantèlement ?

Par ailleurs, un accompagnement d’EDF et de la puissance publique se révèle indispensable pour aider à la création de nouvelles activités locales et éviter ainsi des phénomènes de désertification des sites concernés. Une réflexion est-elle en cours sur cette question ?

Vous évoquez le développement d’une activité industrielle liée au démantèlement des installations nucléaires. Si c’est effectivement un point positif, a-t-on chiffré ce que cette nouvelle filière pourrait engendrer, notamment en termes d’emploi et de création de richesses ?

Enfin, une reconversion des emplois liés à la production nucléaire au profit de la filière de démantèlement, qui supposerait des programmes spécifiques de formation du personnel technique existant, est-elle envisageable ?

Mme Geneviève Gaillard. Je remercie sincèrement le président de notre Commission, mais aussi le président et la rapporteure de la mission d’information, pour ce rapport extrêmement intéressant, mais dont les conclusions sont un peu effrayantes, aussi bien en ce qui concerne l’organisation du démantèlement que ses aspects financiers et les incertitudes portant sur la compatibilité de sa mise en œuvre avec celle de la loi de transition énergétique.

Si j’ai bien compris, chaque démantèlement est un cas particulier, ce qui explique que le déroulement du processus global soit si difficile à anticiper. À lui seul, cet aspect est inquiétant, car il pourrait être tentant de laisser les installations en l’état plutôt que de se lancer dans des opérations lourdes et incertaines. Quelle est votre position sur ce point ? Votre vision initiale du nucléaire s’est-elle trouvée modifiée à l’issue de vos travaux ?

Estimez-vous qu’EDF provisionne suffisamment ? Dans la négative, le rôle de l’État sera important : comment se positionnera-t-il face à la perspective de devoir régler des sommes considérables ?

Quelles conséquences la prise en compte du coût du traitement des déchets va-t-elle avoir sur la facture du démantèlement ? Ce coût est-il intégré dès le départ, ou reste-t-il une inconnue ?

Comme M. Jacques Krabal, je pense que le nucléaire n’est pas une technologie d’avenir et qu’il faut se diriger progressivement, mais sans tarder, vers l’arrêt de cette source d’énergie, plutôt que de continuer l’actuelle fuite en avant, qui freine notre capacité à innover et nous empêche de développer d’autres énergies.

M. Yannick Favennec. La France n’est pas le seul pays à se trouver confronté aux incertitudes liées à la faisabilité technique et financière du démantèlement de nos infrastructures nucléaires, notamment en termes de coût. À cet égard, le cas de l’Allemagne est intéressant, puisque sept centrales y ont été fermées après Fukushima et neuf autres devraient l’être d’ici à 2022. Or, l’Allemagne est dans une incertitude totale concernant les coûts à venir car, pas plus que d’autres, ce pays ne possède d’expérience très avancée en matière de démantèlement. Ce qui est certain, c’est que si les montants provisionnés ne sont pas suffisants, c’est sur le contribuable que le surcoût se répercutera, en Allemagne comme en France. Si, grâce au nucléaire, les Français ont disposé durant des années de l’électricité la moins chère d’Europe, il n’est pas certain qu’il en soit de même à l’avenir. Quelle est votre position sur ce point ?

M. Gérard Menuel. Je salue la qualité du travail réalisé sur un sujet sensible et aux enjeux considérables. L’approche du coût du démantèlement de 58 réacteurs, qui comporte de nombreuses incertitudes, a été réalisée avec un soin particulier. Les coûts pour la France sont difficilement comparables à ceux d’autres pays, du fait que les méthodes mises en œuvre ne sont pas forcément les mêmes. Ils diffèrent également selon que l’on bénéficie ou non d’un effet de série, et que l’on fasse jouer ou non la concurrence entre EDF et d’autres sociétés.

Le démantèlement comporte également des contraintes réglementaires en matière de traitement des déchets. Faut-il avoir une approche différenciée en fonction de la destination des matériaux ? Dans une centrale, de nombreux matériaux de construction ne sont jamais en contact avec des éléments radioactifs et pourraient donc être récupérés pour d’autres usages : le béton ne pourrait-il être broyé et les métaux ferreux, recyclés, ce qui permettrait de réaliser d’importantes économies ?

Par ailleurs, peut-on démanteler et stocker sur place, là encore afin de réduire les coûts ?

Mme Catherine Beaubatie. Monsieur le président de la Commission, monsieur le président de la mission, madame la rapporteure, le rapport d’information qui nous est présenté ce matin a pour but de mesurer les besoins et les impacts du démantèlement des installations nucléaires. Ce sujet intéresse un grand nombre de nos concitoyens et aura, ne l’oublions pas, des conséquences à très long terme pour nombre d’entre eux.

Le travail mené par nos collègues est très fourni et mérite d’être apprécié à sa juste valeur, car il a pris en compte un grand nombre de données en France, mais s’appuie aussi sur les expériences d’autres pays confrontés aux mêmes enjeux.

Comme il est écrit dans ce rapport, le nucléaire s’inscrit dans le temps long et il en sera de même pour son démantèlement, quelles que soient les annonces que nous pouvons entendre à ce sujet. Nous paierons dans les deux sens du terme les conséquences de la vision peu ou pas assez prospective d’anciens acteurs du nucléaire.

Dans notre pays, l’État est l’actionnaire largement majoritaire de l’électricien. Il est donc aussi de sa responsabilité de prévoir l’héritage qu’il laissera aux générations à venir. Afin de relever ce défi, nous ne pouvons pas ignorer les coûts d’un tel processus. Je veux parler bien sûr des coûts réels, et non d’estimations d’ores et déjà jugées sous-estimées.

Aussi, même si la faisabilité technique n’est aujourd’hui pas assurée, ne faudrait-il pas qu’un organisme indépendant puisse évaluer le plus finement possible les coûts directs et induits du démantèlement, afin de répondre à l’exigence éthique en la matière ?

M. Jean-Marie Sermier. Je salue le travail effectué par le président et la rapporteure de la mission d’information, qui nous ont présenté un excellent rapport.

Il convient de rappeler que nous avons des obligations, résultant de l’Accord de Paris, en termes de diminution des rejets de carbone dans l’atmosphère au cours des années à venir. Pour être en mesure de tenir ces engagements, il faudra pouvoir disposer en quantité suffisante d’une production d’électricité décarbonée et, pour cela, travailler sur les énergies nouvelles – notamment l’énergie hydroélectrique –, mais aussi encourager la production d’électricité d’origine nucléaire, une filière d’excellence en France.

Pour cela, quatre points doivent être privilégiés : il faut continuer la recherche sur les combustibles, développer les nouvelles technologies de combustion – fission et fusion –, faire en sorte que Cigéo mette au point des solutions fiables et pérennes pour le stockage des déchets, enfin assurer la technologie et le financement du démantèlement.

Il me semble qu’une question n’a pas été abordée, celle du nombre d’emplois supprimés à chaque fois que l’on démantèle un réacteur – or, cette question est d’importance : on annonce ainsi la suppression de 2 000 emplois à Fessenheim. Quelles mesures d’accompagnement visant à la création de nouveaux emplois préconisez-vous de mettre en œuvre lors de chaque fermeture de réacteur nucléaire ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Je remercie le président et la rapporteure de la mission d’information, qui ont su mettre en évidence la complexité du sujet traité, mais aussi l’absence de stratégie à long terme de la part d’EDF – ce qui n’est pas que de la responsabilité de l’opérateur, car on voit bien qu’ici même, il n’y a pas de consensus politique sur cette question –, alors même qu’il est indispensable de disposer d’une telle stratégie. Le rapport aborde également d’autres sujets extrêmement importants, notamment celui du stockage des déchets.

Vous mettez en évidence le fait qu’il n’existe pas actuellement de filière – économique, notamment – de démantèlement. Une réflexion sur les métiers du démantèlement a-t-elle été engagée ? Dans la mesure où nous disposons d’une certaine expérience en matière de démantèlement des installations nucléaires militaires, et où une filière semble avoir commencé à se constituer, pensez-vous que certains aspects de cette expérience puissent être récupérés au profit du démantèlement des installations nucléaires civiles ?

Enfin, quelle place les opérations de démantèlement et l’activité économique qu’elles génèrent peuvent-elles trouver au sein des bassins de vie ?

M. Guillaume Chevrollier. Je remercie le président et la rapporteure de la mission pour leur travail très éclairant.

Votre rapport ne passe sous silence aucune des difficultés soulevées par la vaste question du démantèlement nucléaire, que ces difficultés soient d’ordre technique, liées au temps – car les opérations envisagées s’étaleront sur plusieurs dizaines d’années –, ou encore au coût des opérations. L’estimation du coût global est d’autant plus difficile que personne ne connaît précisément celui d’une seule opération.

L’une des recommandations de votre rapport consiste à assouplir les règles relatives aux déchets de très faible activité (TFA). Dans ce secteur comme dans beaucoup d’autres en France, les normes imposées sont très contraignantes et lourdes de conséquences en termes de coût. Or, comme vous le dites, il serait souhaitable que les déchets TFA soient réutilisés pour un usage industriel, comme cela se fait dans de nombreux pays.

De même, pourquoi imposer systématiquement une remise en état des sites allant jusqu’à un « retour à l’herbe », quand certains sites ont clairement vocation à rester de type industriel ? Quelles normes et contraintes pourrait-on envisager de revisiter en la matière ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avant de redonner la parole aux auteurs du rapport, j’ajouterai deux questions.

Premièrement, alors que la moitié des actifs de RTE sont actuellement placés dans un fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires, on peut lire dans la presse qu’EDF s’apprête à céder l’autre moitié de sa filiale. Si cette cession se confirmait, ne pensez-vous pas que l’on se trouverait dans une situation pour le moins étrange à la veille d’engager le processus de démantèlement ?

Deuxièmement – cette question-là n’appelle pas forcément une réponse de votre part –, alors que le coût du démantèlement est actuellement estimé à 75 milliards d’euros, le directeur général d’EDF a fait part de sa volonté d’engager un programme de construction de nouvelles centrales EPR. Il est permis de se demander si EDF sera en mesure de supporter simultanément ces deux dépenses.

Mme la rapporteure. Merci à tous de votre intérêt pour le rapport et de vos questions, qui vont me donner l’occasion de vous parler aussi de nos recommandations.

En ce qui concerne l’idée que le démantèlement pourrait constituer une filière d’excellence en France étant donné notre expertise en matière nucléaire, il y a en effet de quoi être surpris et déçu, aujourd’hui en tout cas. Il y a bien là un créneau d’avenir pour notre pays et particulièrement pour EDF : que l’on choisisse ou non, en France et dans le reste du monde, de conserver le nucléaire, le démantèlement est inévitable et indispensable. Les opérateurs susceptibles de construire cette filière se plaignent d’ailleurs de manquer de la visibilité requise. C’est une véritable limite. Il est difficile de comprendre pourquoi le secteur ne s’est pas davantage saisi de ce dossier.

S’agissant de l’emploi, les opérateurs considèrent que les personnels nécessaires au démantèlement représentent 10 % de ceux qui œuvrent actuellement à l’exploitation. Cette question fait l’objet d’un débat avec l’ASN, car le nombre de personnes qui resteront travailler sur les sites engage des enjeux de sécurité. Mais nous avons finalement assez peu d’éléments, en dehors du pourcentage que je viens de citer.

Sommes-nous prêts à une accélération du démantèlement ? À mon sens, non : c’est assez clair.

Concernant Areva, il y a peu à démanteler, les structures étant souvent petites et le processus ayant déjà débuté.

J’en viens à la question du seuil de libération. Étant donné nos difficultés en matière de stockage des déchets et le fait que la France est le seul pays à ne pas avoir fixé un tel seuil, ne devrait-on pas y réfléchir s’agissant des déchets très faiblement radioactifs – au point que leur radioactivité n’est pas toujours décelable ? D’autant que l’absence de seuil de libération ne nous préserve pas de l’exposition à des matériaux fabriqués avec des déchets dont l’utilisation résulte de l’application de ce seuil, par exemple lorsque nous importons des produits d’Allemagne.

Nous avons interrogé les acteurs concernés sur ce point. L’ASN juge qu’aucun problème sanitaire ou de radioprotection ne se pose, mais juge important de maintenir l’absence de seuil de libération, pour les raisons qui ont présidé jusqu’alors à ce choix : aucune discussion ni remise en cause ne doit être possible concernant ces déchets très faiblement radioactifs si l’on ne veut pas créer un brouillage qui compliquera ou empêchera le débat sur les déchets radioactifs. L’autre argument, économique, émane de l’ANDRA. Nous ne nous y attendions pas, mais il apparaît que, même du point de vue économique, la fixation d’un seuil ne serait pas la meilleure solution car nous savons maintenant bien manier ces déchets, que leur grand nombre nous a appris à gérer sur un mode industriel, alors que le coût de la détection d’une très faible radioactivité est considérable. Au total, nous y serions perdants, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’autres pays où la quantité de déchets est bien moindre.

Nous ne remettons donc pas en cause l’absence de seuil de libération. Nous envisageons simplement, le cas échéant, une forme d’aménagement : ces déchets seraient toujours traités comme des déchets nucléaires, mais – pour le dire d’une manière un peu triviale dont j’espère qu’elle n’est pas caricaturale – pourraient n’être emballés que deux fois au lieu de trois. Ce mode de stockage, plus simple, serait peut-être un peu moins coûteux.

En ce qui concerne la marge de manœuvre du Parlement vis-à-vis des provisions, il me semble que nous l’avons utilisée en appelant l’attention sur le problème, l’État étant l’actionnaire. Il me paraît important que nous le fassions.

J’en viens au désaccord entre le président de la mission d’information et moi-même concernant l’expression « sous-évaluation vraisemblable ». Nous en avons beaucoup discuté. Cette expression ne me paraît pas exagérée : « vraisemblable » ne signifie pas « absolument certaine », et il existe objectivement – même s’il est difficile de savoir dans quelle mesure – des coûts qui ne sont pas pris en compte par EDF. Mettons de côté les comparaisons internationales, délicates car elles mettent en relation des éléments non comparables : restent les taxes et les frais d’assurance. De même, la remise en état des sols, bien que l’on discute du fait que son ampleur peut varier selon les sites, est prévue par la loi ; en outre, c’est une exigence éthique que de rendre les sols les plus propres possibles.

On peut discuter davantage à propos des hypothèses que j’ai dites « optimistes » : ce n’est pas parce qu’elles sont optimistes qu’elles ne se vérifieront pas. Mais les évaluations restent les plus faibles de toute l’Europe. Par ailleurs, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une expérience française de démantèlement mené jusqu’à son terme moyennant un coût comparable aux prévisions. Nous avons donc peu d’éléments pour nous rassurer.

Il convient certes de distinguer les deux parcs : le premier, le plus ancien, a été encore moins conçu pour être démantelé que le second et le caractère particulier de chaque installation complique l’extrapolation à partir de l’expérience acquise ailleurs, ainsi que l’estimation des coûts, qui, jusqu’alors, se sont toujours révélés supérieurs aux prévisions. Peut-être tout se passera-t-il donc bien concernant les 58 réacteurs à eau pressurisée toujours en fonctionnement. Mais il incombe aussi à l’opérateur de procéder au démantèlement du parc plus ancien. Or il a décidé il y a moins de six mois de revenir sur la fin du démantèlement des réacteurs graphite-gaz.

Il n’est guère rassurant de découvrir que le démantèlement est impossible plus de vingt ans après la fermeture du dernier réacteur, dix-neuf ans après la fin du démantèlement du réacteur américain qui, sans être rigoureusement identique aux nôtres, a longtemps été considéré comme celui qui leur était le plus comparable, quinze ans après le début des études conduites par EDF et après la validation de la stratégie proposée par EDF à l’ASN. Le report à 2100 de la fin du démantèlement pose aussi des problèmes éthiques.

Je souscris pleinement à la proposition d’auditionner les responsables d’EDF en commission, dont je remercie M. Stéphane Demilly. Nous les avons auditionnés à deux reprises et interrogés par écrit, mais il serait bon de leur donner l’occasion de clarifier devant vous certains points.

L’objectif, contenu dans la loi relative à la transition énergétique, consistant à ramener de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025 est-il réaliste ? A priori, au vu de ce que nous avons observé dans le cadre de cette mission, cette éventualité me paraît assez peu vraisemblable, qu’on la juge souhaitable ou non. EDF semble-t-il avoir décidé de s’en affranchir ? À mon sens, c’est assez clair ; mais EDF n’est pas le seul responsable : je rappelle que l’État est actionnaire à 85 %.

L’idée a été émise de désigner une commission indépendante qui procéderait à l’estimation des coûts. Il en existe déjà, dont la Cour des comptes. Mais il me semble également important que ce sujet ne soit pas laissé entre les seules mains des « experts », car il s’agit d’une question démocratique. Or le choix du nucléaire, quoi que l’on en pense, n’a jamais été discuté démocratiquement. Qu’on l’approuve ou non, que l’on souhaite poursuivre sur la même voie ou non, ce choix a été fait par un exécutif démocratique, certes, mais qui n’avait pas été élu pour cela ; et cela vaut de majorités de gauche comme de droite. S’il n’y a pas eu de débat démocratique, c’est parce que la plupart d’entre nous, quels que soient notre âge et l’ancienneté de notre engagement politique et démocratique, a très longtemps considéré que le sujet était extrêmement compliqué – ce qui est vrai – et qu’il revenait donc aux experts de s’en occuper. Il importe aujourd’hui que nous en parlions et qu’un débat citoyen puisse avoir lieu.

Quant à la compensation des emplois que les fermetures vont supprimer sur les sites, on y réfléchit malheureusement assez peu. Nous-mêmes, nous ne nous sommes pas penchés sur ce sujet – bien qu’il soit essentiel, car si le démantèlement n’est vécu que comme entraînant des pertes d’emplois, son acceptabilité sociale est compromise : comment réfléchir sereinement au démantèlement en se disant « je perds mon boulot, comment je nourris ma famille » et si un territoire entier qui vivait de l’activité nucléaire ne peut plus le faire ? Simplement, nous avons limité notre objet à la faisabilité technique et financière du démantèlement en raison des délais qui nous étaient impartis.

Mme Geneviève Gaillard a dit que ce rapport faisait peur. Ce n’est pas du tout notre intention, mais c’est notre rôle que de donner l’alerte. Si tout doit bien se passer, tant mieux ; mais nous n’en sommes plus à nous en remettre à ceux que l’on appelle les experts, et qui sont aussi les exploitants. Nous n’avons aucune raison de ne pas leur faire confiance, mais ce débat concerne tout le monde, et non les seuls exploitants ni même les seuls salariés du nucléaire, ne serait-ce que parce que, du point de vue financier, éthique, sanitaire et environnemental, nous sommes tous concernés. Pour se limiter à l’aspect financier, si le financement des opérations n’est pas correctement anticipé et provisionné, c’est le contribuable qui paiera – celui d’aujourd’hui, mais aussi celui de demain.

En ce qui concerne la spécificité de chaque démantèlement, je l’ai dit, les réacteurs du premier parc ont leurs particularités tandis que le second parc est homogène, ce qui laisse plutôt présager un démantèlement plus facile, plus rapide et plus maîtrisable. Certes, la réalisation des gestes techniques, même maîtrisés, en milieu radioactif ajoute une difficulté. Mais les responsables y ont déjà longuement réfléchi, il existe beaucoup de robots et la faisabilité est a priori à peu près assurée. En revanche, une autre difficulté résulte du fait que les réacteurs du second parc ont été construits au cours de la même période : même si l’on joue les prolongations pour échelonner les démantèlements, on ne pourra pas le faire indéfiniment, de sorte qu’à un moment donné, on va se retrouver avec plusieurs réacteurs à démanteler en même temps. Comme l’a dit M. Guy Bailliart, la prolongation – en elle-même débattue – ne peut donc pas être la seule stratégie.

M. Yannick Favennec, notamment, a souligné que, si les montants provisionnés ne sont pas suffisants, cela se répercutera sur le contribuable français. Je suis parfaitement d’accord, d’où notre alerte.

S’agissant des questions du président Jean-Paul Chanteguet, je ne répondrai pas à celle qui, de son propre aveu, n’appelait pas de réponse, concernant la possibilité pour EDF de relancer la construction d’un nouveau programme compte tenu de sa situation financière. Quant aux actifs dédiés, nous avons interrogé EDF qui nous a dit ne pas avoir l’intention de vendre ses actifs RTE, mais seulement de les utiliser pour garantir les emprunts. Cela pose tout de même un problème, car les actifs dédiés doivent normalement être liquides, ce qui n’est pas le cas des actifs RTE.

Dans ce rapport, le président de la mission d’information a pu exprimer ses réserves ou ses désaccords, ce qui est tout à fait normal. Je le répète, il existe objectivement des dépenses qui ne sont pas prises en compte par EDF. Les coûts sont donc bien sous-évalués, même s’ils ne le sont peut-être pas dans des proportions considérables.

M. Julien Aubert, président de la mission d’information. J’ai entendu s’exprimer des peurs, nées d’incertitudes. Malheureusement, le monde de l’énergie est un monde d’incertitudes. Nous ne savons pas quand sera inventé le stockage électrique, qui révolutionnera les énergies renouvelables ; si, un jour, telle ou telle énergie sera plus compétitive qu’une autre, etc. Pour parodier Forrest Gump, le parc nucléaire, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais ce que l’on va y trouver ! Et comme dans un calendrier de l’Avent, on a tous les jours une surprise. (Murmures)

À travers toutes vos questions, c’est finalement celle de la stratégie de démantèlement qui se pose. Effectivement, notre pays n’en a pas. EDF en a peut-être une, mais celle-ci n’est pas mise sur la place publique. Toutefois, à mes yeux, le premier responsable n’est pas l’opérateur, mais les autorités politiques.

Pourquoi ? D’abord parce que la première question à se poser est la suivante : quel avenir pour le parc nucléaire ? Selon que celui-ci est appelé à muer vers un parc futur ou à être liquidé, cela ne revient pas au même. On ne gère pas la fin d’une activité de la même manière selon qu’une autre doit prendre sa place ou non. Parmi vous, les uns pensent que le nucléaire est une filière d’avenir, les autres qu’il appartient au passé. Nous sommes incapables de décider politiquement de ce que nous voulons faire d’une énergie qui nous apporte 75 % de notre électricité ; nous ne pouvons pas demander à l’opérateur de trancher à notre place. Pourtant, c’est bien de la réponse à cette première question que doit découler, téléologiquement, la stratégie de démantèlement.

Si nous fermons Fessenheim, y aura-t-il un « retour à l’herbe » et, demain, un jardin d’enfants à la place de la centrale ? Est-ce pour y construire une zone industrielle, auquel cas la centrale pourrait être remplacée par des éoliennes ? Est-ce pour substituer à la centrale une centrale de nouvelle génération ? La stratégie de démantèlement varie avec la réponse apportée à ces questions. On ne va pas s’amuser à décontaminer un site jusqu’à un seuil de radioactivité inférieur à celui que l’on observe dans la nature si c’est pour y installer ensuite une centrale nucléaire qui produira elle-même de la réactivité : ce serait complètement stupide. Si l’emprise doit rester consacrée au nucléaire, pourquoi transporter les tonnes de gravats issues du précédent réacteur à l’autre bout du pays pour les y stocker ? Pourquoi ne pas les stocker sur place ? Je milite donc pour une évaluation spatiale qui distingue les sites selon leur destination – « retour à l’herbe », vocation industrielle, vocation nucléaire – et définisse en conséquence les différentes stratégies de démantèlement à mettre en œuvre.

Une question sous-jacente, posée par plusieurs d’entre vous, est celle du bassin d’emploi : les gens qui travaillent sur place ont le droit de savoir si, dans dix ans – à supposer qu’ils aient trente ans et débutent leur carrière –, ils devront quitter ce site pour un autre. Cela pose le problème du coût social du démantèlement. Celui-ci n’est pas aussi élevé en France qu’ailleurs, car le grand nombre de réacteurs dont nous disposons permet de réaffecter le personnel. Toutefois, le problème est aussi celui des acteurs du démantèlement qui voudraient se préparer, mais à qui l’on n’est pas capable de dire si la première centrale démantelée sera dans le Nord de la France, en Bourgogne ou en PACA, ni quand elle le sera : curieusement, ils vont se positionner sur des marchés extérieurs…

Une autre question liée à celle de la stratégie est celle de la mise en concurrence. S’il faut démanteler simultanément les différents réacteurs, il y a gros à parier qu’EDF n’y arrivera pas tout seul. En réalité, je pense que le démantèlement ne sera pas simultané, mais échelonné pour des raisons budgétaires et financières. Toujours est-il que la mise en concurrence peut servir d’aiguillon à EDF, menacé de perdre le chantier au profit d’un autre s’il ne l’a pas mené à bien dans les temps, comme aux États-Unis. En outre, elle peut avoir un effet vertueux sur le bassin d’emploi, car si l’on exige un provisionnement par réacteur, que l’on confie le démantèlement à un opérateur extérieur et que celui-ci le mène à bien pour un coût inférieur aux prévisions, le reliquat provisionné pourra être consacré à la reconversion des activités sur site.

En la matière, la vision du temps et de l’espace est donc indissociable de la stratégie de démantèlement.

J’en viens au seuil de libération. Nous sommes le seul pays au monde à considérer tout objet qui se trouve dans une zone nucléaire comme un déchet nucléaire. Cela nous oblige à créer des sites de stockage qui vont se multiplier et nous confronter à un problème de résistance sociale : personne n’a envie d’accueillir une poubelle !

Il faut donc envisager le stockage sur zone si le site doit rester nucléaire, et se demander si, à coût égal – car l’existence d’une filière de retraitement n’est pas nécessairement avantageuse du point de vue économique –, nous n’aurions pas intérêt à recycler le métal, ne serait-ce que pour un usage nucléaire. Naturellement, cela pose la question de savoir si nous allons construire de nouvelles centrales.

Quant à la résistance sociale, préfère-t-on créer 25 sites de stockage où des gens vont agiter des pancartes disant « Pas de gravats chez nous ! » ou diluer la radioactivité en recyclant des déchets nucléaires, ou présents dans des zones nucléaires, dans les voitures ou ailleurs, et s’entendre objecter l’absence de traçabilité du métal et ses risques potentiels pour la santé ? Mais dans un marché ouvert, les voitures que nous utilisons peuvent de toute façon contenir du métal qui a servi dans l’industrie nucléaire : le problème se pose déjà.

En somme, nous devons nous doter d’une stratégie d’avenir, car c’est d’elle que dépend la stratégie de démantèlement. L’avenir du nucléaire est une question politique ; ici, il ne s’agit que de ses répercussions.

Pour calculer les coûts, certains appellent de leurs vœux un organe d’évaluation indépendant. Ce problème ne se pose pas seulement en France, il concerne tous les pays. Les États-Unis n’ont que des fragments d’analyse. La Cour des comptes, organe généraliste, doit créer des outils, d’ailleurs contestés, lorsqu’elle est appelée à évaluer le coût du démantèlement. L’ASN a un point de vue uniquement sécuritaire : elle ne procède pas à une analyse financière des effets du démantèlement. Bref, nous n’avons aucun organe capable d’inférer de manière fiable, à périmètre constant, le coût du démantèlement français à partir de l’exemple allemand. Je ne crois pas que les autres pays soient mieux dotés à cet égard. De toute façon, les divergences sont telles et le parc si hétérogène, comme le disait Guy Bailliart, que nous sommes obligés de procéder par étapes.

La bonne stratégie de démantèlement n’est pas celle de Nostradamus, fondée sur une formule magique qui permettrait de connaître le coût exact des opérations. C’est une stratégie prudente, consistant à provisionner centrale par centrale et, surtout, claire, pour donner de la visibilité aux acteurs. Si le pouvoir politique parvenait ne serait-ce qu’à donner cette visibilité à l’opérateur, il serait possible de placer celui-ci devant ses responsabilités. Je trouverais d’ailleurs moi aussi intéressant qu’EDF, Areva et le CEA puissent répondre aux observations formulées par ce rapport.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

Je rappelle qu’il nous appartient à présent de donner un avis sur la publication du rapport de la mission d’information, et sur rien d’autre.

La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information.

ANNEXES

DURÉES D’EXPLOITATION RETENUES POUR LES RÉACTEURS FRANÇAIS
EN EXPLOITATION D’EDF

Nom du réacteur

Puissance nette (MW)

Mise en service commerciale

Nb d'années d'exploit. prévues

Date d'arrêt prévue/ réalisée

Nb d'années d'exploitation effectuées

Nb d'années d'exploitation restantes

FESSENHEIM-1

880

1978

40

2018

38

2

FESSENHEIM-2

880

1978

40

2018

38

2

BUGEY-2

910

1979

50

2029

37

13

BUGEY-3

910

1979

50

2029

37

13

BUGEY-4

880

1979

40

2019

37

3

BUGEY-5

880

1980

50

2030

36

14

DAMPIERRE-17

890

1980

50

2030

36

14

GRAVELINES-17

910

1980

40

2020

36

4

GRAVELINES-27

910

1980

40

2020

36

4

TRICASTIN-17

915

1980

40

2020

36

4

TRICASTIN-27

915

1980

40

2020

36

4

BLAYAIS-17

910

1981

50

2031

35

15

DAMPIERRE-27

890

1981

50

2031

35

15

DAMPIERRE-37

890

1981

50

2031

35

15

DAMPIERRE-47

890

1981

50

2031

35

15

GRAVELINES-37

910

1981

40

2021

35

5

GRAVELINES-47

910

1981

40

2021

35

5

TRICASTIN-37

915

1981

40

2021

35

5

TRICASTIN-47

915

1981

40

2021

35

5

BLAYAIS-27

910

1983

50

2033

33

17

BLAYAIS-3

910

1983

50

2033

33

17

BLAYAIS-4

910

1983

50

2033

33

17

ST. LAURENT-B-17

915

1983

40

2023

33

7

ST. LAURENT-B-27

915

1983

40

2023

33

7

CHINON-B-17

905

1984

40

2024

32

8

CHINON-B-27

905

1984

40

2024

32

8

CRUAS-1

915

1984

50

2034

32

18

CRUAS-3

915

1984

50

2034

32

18

CRUAS-2

915

1985

50

2035

31

19

CRUAS-4

915

1985

50

2035

31

19

GRAVELINES-5

910

1985

40

2025

31

9

GRAVELINES-6

910

1985

40

2025

31

9

PALUEL-1

1330

1985

40

2025

31

9

PALUEL-2

1330

1985

40

2025

31

9

FLAMANVILLE-1

1330

1986

40

2026

30

10

PALUEL-3

1330

1986

40

2026

30

10

PALUEL-4

1330

1986

40

2026

30

10

ST. ALBAN-1

1335

1986

40

2026

30

10

CATTENOM-1

1300

1987

40

2027

29

11

CHINON-B-37

905

1987

50

2037

29

21

FLAMANVILLE-2

1330

1987

40

2027

29

11

ST. ALBAN-2

1335

1987

40

2027

29

11

BELLEVILLE-1

1310

1988

40

2028

28

12

CATTENOM-2

1300

1988

40

2028

28

12

CHINON-B-47

905

1988

50

2038

28

22

NOGENT-1

1310

1988

40

2028

28

12

BELLEVILLE-2

1310

1989

40

2029

27

13

NOGENT-2

1310

1989

40

2029

27

13

PENLY-1

1330

1990

40

2030

26

14

CATTENOM-3

1300

1991

40

2031

25

15

GOLFECH-1

1310

1991

40

2031

25

15

CATTENOM-4

1300

1992

40

2032

24

16

PENLY-2

1330

1992

40

2032

24

16

GOLFECH-2

1310

1994

40

2034

22

18

CHOOZ-B-1

1500

2000

40

2040

16

24

CHOOZ-B-2

1500

2000

40

2040

16

24

CIVAUX-1

1495

2002

40

2042

14

26

CIVAUX-2

1495

2002

40

2042

14

26

Source : cabinet AlphaValue « Étude sur les perspectives des activités nucléaires d’EDF en France » novembre 2016.

 : Réacteurs prolongés comptablement par EDF

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Le 29 juin 2016, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

– M. Pierre-Franck Chevet, président

– M. Alain Delmestre, directeur général

– M. Christophe Kassiottis, directeur

– Mme Dorothée Conte, adjointe au directeur

– M. Loïc Tanguy, directeur

– Mme Mathilde Maillard, adjointe au directeur

Le 12 juillet 2016, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

– M. Jean-Christophe Niel, directeur général

– M. Frédéric Ménage, directeur de l’expertise de sûreté

– M. François Besnus, directeur déchets et géosphère

– Mme Audrey Lebeau-Livé, chargée des relations parlementaires

Le 19 juillet 2016, le réseau « Sortir du nucléaire »

– M. Martial Château

Le 19 juillet 2016, la Société française d’énergie nucléaire (SFEN)

– Mme Valérie Faudon, déléguée générale

– M. Boris Le Ngoc, en charge de la communication de l’association

Le 19 juillet 2016, la Cour des comptes

– M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre

– M. Jean-Luc Vialla, conseiller maître, président de section

– Mme Michèle Pappalardo, conseillère maître

– M. Xavier Lafon, rapporteur extérieur

Le 6 septembre 2016, la société Électricité de France (EDF)

– M. Sylvain Granger, directeur des projets de déconstruction et déchets

– M. Bertrand Le Thiec*, directeur des affaires publiques

Le 6 septembre 2016, la société Areva

– M. Jean-Michel Romary, directeur chargé de la maîtrise d’ouvrage démantèlement et déchets

– M. Guillaume Renaud, responsable des affaires publiques France

– Mme Morgane Augé*, direction des affaires publiques

Le 14 septembre 2016, Wise-Paris

– M. Yves Marignac

Le 14 septembre 2016, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

– M. Daniel Verwaerde, administrateur général

– M. Vincent Gorgues, responsable du programme démantèlement et assainissement

– Mme Marie-Astrid Ravon-Bérenguer, directrice financière

– M. Jean-Pierre Vigouroux*, chef du service des affaires publiques, chargé des relations avec le Parlement

Le 20 septembre 2016, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

– M. Roland Desbordes, président

Le 20 septembre 2016, l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI)

– M. Jean-Claude Delalonde, président

– M. Michel Demet

– M. Boutin, pilote du groupe permanent « Démantèlement »

Le 4 octobre 2016, l’association Global Chance

– M. Bernard Laponche

Le 4 octobre 2016, la société Véolia

– M. Antoine Frérot, président-directeur général

– M. Robert Germinet, délégué aux affaires nucléaires

Le 18 octobre 2016, les cabinets d’audit Ricol-Lasteyrie et Nuc Advisor

– M. Tanguy du Chesnay, représentant Ricol-Lasteyrie

– M. Frédéric Passedoit, représentant Ricol-Lasteyrie

– M. Alain Bugat, représentant Nuc Advisor

– M. André Kolmayer, représentant Nuc Advisor

Le 18 octobre 2016, l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE

– M. Marc Deffrennes, analyste en énergie nucléaire

– M. Daniel Iracane, directeur général adjoint et directeur des affaires nucléaires

Le 18 octobre 2016, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)

– M. Pierre-Marie Abadie, directeur

Le 19 octobre 2016, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN)

– Mme Marie-Pierre Comets, présidente

– M.  Benoit Bettinelli, secrétaire général

Le 19 octobre 2016

– M. Claude Turmes, député luxembourgeois au Parlement européen, spécialiste des questions relatives au nucléaire

– M. Jérémie Zeitoun, assistant parlementaire

Le 8 novembre 2016, la société Engie

– M. Pierre Mongin, directeur général adjoint, secrétaire général

– M. Philippe Pradel, vice-président, direction développement nucléaire

– Mme Valérie Alain*, directeur de la direction institutions France et territoires

Le 8 novembre 2016, la société Oreka

– M. Luc Ardellier, président-directeur général

Le 22 novembre 2016, la société Nuvia (filiale de Vinci)

– M. Yannick Mercier, président-directeur général

Le 22 novembre 2016, le ministère de l’environnement

– M. Aurélien Louis, sous-directeur chargé de l’industrie nucléaire à la direction générale de l’énergie et du climat

– Mme Hélène Brunet-Lecomte

– M. Louis du Pasquier

– M. Maxime Kopec

Le 29 novembre 2016

– M. Mycle Schneider, expert allemand indépendant

Le 30 novembre 2016

– M. André-Claude Lacoste, ancien président de l’ASN

Le 30 novembre 2016

– M. Jean-Michel Malerba, délégué interministériel chargé de préparer la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim

Le 13 décembre 2016, table ronde réunissant les organisations syndicales

– MM. Denis Cattiaux et Jacky Chorin, représentant FO

– M. Alexandre Grillat, M. Philippe Guetat et Mme Cécile Vidal, représentant la CFE-CGC

– MM. Bruno Blanchon et Jean-Christophe Fournel, représentant la CGT

Le 13 décembre 2016, l’ONG Greenpeace

– Mme Florence de Bonnafos, chargée de campagne Finances-Énergie

Le 13 décembre 2016, l’Agence des participations de l’État (APE)

– M. Martin Vial, commissaire

– M. Vincent Le Biez, chargé de participations Énergie

Le 14 décembre 2016, le ministère de l’économie

– M. Benjamin Gallezot, adjoint au directeur de la direction générale des entreprises (DGE), membre de Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN)

– M. Marc Glita, chef de bureau Énergie et industrie à la DGE

Le 14 décembre 2016, le cabinet Alpha Value

– M. Juan Camilo Rodriguez, analyste

– M. Pierre-Yves Gauthier, président

Le 17 janvier 2017

– M. Paul Dorfman, expert britannique indépendant

Le 17 janvier 2017, seconde audition d’EDF

– M. Sylvain Granger, directeur des projets de déconstruction et déchets

– M. Bertrand Le Thiec*, directeur des affaires publiques.

*Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

LISTE DES DÉPLACEMENTS RÉALISÉS

– Le 21 septembre 2016, visite de la centrale nucléaire EDF de Chooz A (Ardennes) ;

– Le 3 octobre 2016, visite de l’usine Areva de retraitement de déchets nucléaires de la Hague (Manche) ;

– Le 2 novembre 2016, visite du centre CEA de Marcoule (Gard) ;

– Du 13 au 16 novembre 2016, déplacement à Washington (États-Unis) :

• Nuclear Regulatory Commission : Entretien avec le Chairman Burns

• Experts de la NRC

• AREVA Inc : Entretien avec M. Frédéric Bailly, vice president Reactor D&D

• M. Gérard Araud, Ambassadeur de France

• Congressional Research Service : M. Mark Holt : Specialist in Energy Policy Resources, Science & Industry Div. ; M. James Werner : Section Research Manager, Environment Policy Section, Resources, Sciences & Industry Div.

• Congrès : Entretien avec M. Peter Welch (Démocrate Vermont)

• Congrès : Entretien avec M. Reid Ribble (Républicain Wisconsin)

• Nuclear Energy Institute : Entretien avec M. Rodney McCullum, Senior Director of Used Fuel & Decommissioning Programs

• Government Accountability Office : Entretien avec M. Ned Woodward, Assistant Director Nuclear Security Issues

• Nuclear Waste Technology Review Board « NWTRB » : Entretien avec MM. Nigel Mote : Executive Director, Bret Leslie : Senior Professional Staff – Geoscience et Daniel Metlay : Senior Professional Staff – International, Social Science

• DOE/Environment Management : Entretien avec M. Andrew Szilagyi : Director for Infrastructure and D&D et Mme Elizabeth Connell : Chief of Staff, M. Andrew Griffith : Deputy Assistant Secretary for Spent Fuel and Waste Disposition

– Les 4 et 5 janvier 2017, visite du Centre de stockage de l’Aube (CSA) à Soulaines-Dhuys, du Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) à Morvilliers (Aube) et du Centre de Meuse / Haute-Marne de Bure - Saudron (Meuse et Haute-Marne).

1 () Le becquerel est l'unité qui mesure l'activité d'une matière radioactive, c'est-à-dire le nombre de désintégrations qui s'y produisent par seconde. Le becquerel par mètre carré est utilisé pour caractériser les contaminations de surfaces.

2 () Les installations sont regroupées en France sous la dénomination réglementaire d’« installation nucléaire de base » (INB) pour les installations nucléaires fixes, par opposition aux installations nucléaires mobiles, comme les navires à propulsion nucléaire.

3 () « Le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs : Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrations et des organismes intéressés » janvier 2005

4 () La commission pour la Production d'Électricité d'Origine Nucléaire ou commission PEON est une commission consultative auprès du gouvernement français, instituée par un arrêté ministériel en 1955 afin d'évaluer les coûts liés à la construction de réacteurs nucléaires.

5 () Bernard Laponche, Association Global Chance, « Le coût du démantèlement des centrales nucléaires », 2016, p. 12.

6 () EDF- CIDEN, La prise en compte par EDF du démantèlement de ses réacteurs, 14 mars 2013, p. 22.

7 () En note de bas de page dans le texte.

8 () Rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire (janvier 2012).

9 () EDF, note d’information « Les entreprises prestataires de la maintenance du parc nucléaire », mars 2010, p. 2.

10 () EDF, note d’information 2015 « Les entreprises qui assurent la maintenance du parc nucléaire ».

11 () EDF, Rapport de développement durable 2011, radioprotection des prestataires.

12 () ASN, Rapport annuel 2011 sûreté et radioprotection.

13 () Rapport n° 4097 de MM. Christian Bataille, député, et Bruno Sido, sénateur, de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) publié le 30 juin 2011.

14 () « Au cœur de Fukushima » par Kazuto Tatsuta, 2013.

15 () Rapport n° 2007 de M. Denis Baupin publié le 5 juin 2014 au nom de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production, de l’exploitation et la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix énergétique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim.

16 () Art. L. 110-1 II 3° du code de l’environnement

17 () Comptes publics d’EDF au 31 décembre 2015, p. 4 https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/espaces-dedies/espace-finance-fr/informations-financieres/informations-reglementees/resultats-financiers---annuel/2015/fy_2015_comptes_consolides.pdf

18 () « Rapport sur les modalités d’évaluation des charges brutes permettant le calcul des provisions de déconstruction des réacteurs d’EDF en cours d’exploitation », rendu le 4 août 2015 par les cabinets Ricol-Lasteyrie et Nuc Advisor à la demande de la DGEC. Ce rapport a été financé par EDF.

19 () « EDF asphyxiée par le nucléaire » étude sur les perspectives des activités nucléaires d’EDF en France, novembre 2016. Étude rédigée par AlphaValue à la demande de Greenpeace.

20 () Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

21 () Anne Feitz, Les Échos, « La facture du nucléaire s’alourdit pour Engie », 13 décembre 2016.

22 () Assemblée nationale, commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement des réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim, présidée par M. François Brottes, Compte rendu n° 33, mercredi 2 avril 2014, p. 3.

23 () EDF, comptes consolidés au 31 décembre 2015, p. 99.

24 () Assemblée nationale, commission « Brottes-Baupin » précitée, compte rendu d’audition n° 33 du 2 avril 2014, p. 3.

25 () EDF, Half-year results- Appendice financial and cash management, p. 43.

26 () Réponse du 28 juin 2013 de l’ASN à EDF. https://www.asn.fr/L-ASN/Appuis-techniques-de-l-ASN/Les-groupes-permanents-d-experts/Groupe-permanent-d-experts-pour-les-reacteurs-nucleaires-GPR/Seance-des-18-et-19-janvier-2012

27 () Cost of Decommissioning Nuclear Power Plants, Nuclear Energy Agency, OCDE 2016 (non traduit).


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