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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 3606),
instituant une carte de famille de blessé de guerre,
PAR M. Olivier AUDIBERT TROIN,
Député.
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LE CONSTAT 7
A. LE BLESSÉ 7
B. LE RETOUR À LA VIE FAMILIALE 8
C. QUELQUES CHIFFRES 9
D. LE RÔLE DE LA FAMILLE DANS LE PROCESSUS DE RÉADAPTATION 9
II. DE NOMBREUSES MESURES EN DIRECTION DES FAMILLES 11
A. L’ENCADREMENT DU DÉPART EN OPÉRATIONS EXTÉRIEURES 11
B. LE SOUTIEN DE LA FAMILLE UNE FOIS LA BLESSURE SURVENUE 11
1. Les aides matérielles et sociales 12
a. L’assistance des bureaux d’aide aux familles 12
b. L’accompagnement par les cellules d’aide aux blessés 12
c. L’aide au transport et à l’hébergement pour se rendre au chevet du blessé 13
i. Les prestations de la sous-direction de l’action sociale du ministère 13
ii. La Maison des blessés et des familles de l’hôpital Percy 13
iii. Les associations 14
d. Un séjour de vacances offert 14
e. Les aides personnalisées 14
f. La réparation du préjudice subi issue de l’arrêt « Brugnot » 14
g. L’aide à l’emploi du conjoint 14
2. Le besoin d’écoute 14
III. LA PROPOSITION DE LOI 17
C. DES MODALITÉS D’APPLICATION VOLONTAIREMENT LAISSÉES AU MINISTRE DE LA DÉFENSE 18
D. DES RECOMMANDATIONS 18
1. Le périmètre des bénéficiaires 18
2. L’instruction de la demande 19
3. La durée de validité de la carte 19
4. Le rôle de l’ONAC-VG 20
5. Une remise au choix du blessé 20
« Le fruit le plus agréable au monde est la reconnaissance », Ménandre Fragments - IVe s. av. J.-C.
Le travail de préparation et les consultations menées en 2014 par le rapporteur, avec Mme Émilienne Poumirol, dans le cadre du rapport d’information sur la prise en charge des militaires blessés (1) lui ont permis d’appréhender les difficultés rencontrées par les blessés.
Au fil de nombreux témoignages bouleversants, il est apparu au rapporteur que la blessure n’affectait pas seulement le blessé mais qu’elle avait des conséquences majeures sur la famille. Qu’elle reste unie autour du blessé ou qu’elle ne parvienne pas à faire face au choc, la famille est toujours violemment touchée : elle voit brutalement son mode de fonctionnement modifié et ses projets de vie remis en cause.
Les familles de militaires ont beau avoir connaissance de la condition militaire et de ses caractéristiques exorbitantes, pouvant mener jusqu’au « sacrifice suprême » (2), et y être préparées dans une certaine mesure, la blessure frappe toujours durement ceux qui entourent le blessé.
Le rapporteur a entendu ces familles qui, plus que de l’aide matérielle, réclament la reconnaissance de la Nation pour la souffrance et les sacrifices qu’elles consentent elles aussi.
Le rapporteur a souhaité leur témoigner sa gratitude à titre personnel et apporter une réponse législative, modeste et symbolique, à ce besoin.
Le rapporteur a observé que, si, d’une façon générale, les besoins matériels du blessé et de sa famille étaient, somme toute, bien pris en charge, la reconnaissance demeurait une demande pressante et bien souvent insatisfaite, qu’elle émane du blessé ou de sa famille.
Victime d’une blessure de guerre physique et/ou psychique, étant entendu que nombre de blessures physiques graves sont accompagnées de troubles psychiques (3), le blessé retrouve sa famille dans des conditions dramatiques.
Par-delà, l’effort à faire pour vivre avec sa blessure, il doit également vivre avec ce qu’il est devenu pour sa famille et accepter la redéfinition de la cellule familiale autour de la blessure, parfois pour un temps très long.
Parallèlement la relation du blessé avec l’institution militaire, surtout pour les blessés psychiques, est souvent ambivalente et évolue avec le temps. Un rejet initial fait couramment place, au fil des mois, voire des années, à un besoin de renouer avec l’institution, souvent par l’entremise des cellules d’aide aux blessés qui font un travail de suivi remarquable. Il serait par ailleurs faux de croire que le rejet de l’institution exclue le besoin de reconnaissance, alors même que l’absence de reconnaissance est fréquemment une des causes de ce rejet.
Si la reconnaissance à l’endroit du blessé se traduit de façon concrète par les soins qui lui sont apportés et l’ensemble des dispositifs mis en place pour le soutenir ainsi que sa famille, sa manifestation la plus emblématique est la remise de l’insigne des blessés de guerre.
Cet insigne, aujourd’hui décerné sans hésitation par les armées à leurs blessés, a fait l’objet pendant des années de réticences et de pratiques divergentes. L’article 6.1 du rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 a souhaité mettre fin à ces tergiversations, disposant que « … un effort particulier de reconnaissance sera entrepris à l’égard des militaires blessés au service de notre pays. Les modalités de la généralisation du droit au port de l’insigne des blessés, actuellement régi par la loi n° 52-1224 du 8 novembre 1952 réglementant le port de l’insigne des blessés de guerre, à l’ensemble des militaires ayant subi, en situation de guerre comme en opération extérieure, une blessure physique ou psychique constatée par le service de santé des armées seront déterminées par un décret pris après avis du Conseil d’État. »
Le rapporteur déplore que ce décret se fasse toujours attendre et souhaite voir le problème de l’encadrement juridique de cet insigne être rapidement résolu. Il ne comprend pas les raisons d’un tel délai qui, fort heureusement, ne nuit pas à la manifestation symbolique de la reconnaissance puisque, dans la pratique, les armées remettent déjà cet insigne à leurs blessés.
En dehors de tout contexte de blessure, le retour du soldat dans sa famille après une longue absence nécessite une réadaptation graduelle. Il est généralement estimé que ce processus dure d’un à deux mois et qu’un retour réussi est un gage de stabilité familiale.
La blessure ajoute à ce passage délicat une difficulté supplémentaire. Il est superflu d’évoquer la peur et l’angoisse de la famille au moment de l’annonce de la blessure, auxquelles s’ajoutent souvent des difficultés matérielles pour rejoindre le blessé sur son lieu d’hospitalisation et demeurer auprès de lui, autant que faire se peut.
Mais la famille retrouve un être différent de celui qui est parti tandis qu’un nouveau lien se crée autour de la blessure. Une adaptation, plus ou moins difficile, plus ou moins douloureuse, est nécessaire de part et d’autre. Un bouleversement matériel peut venir s’ajouter, certains foyers étant obligés de déménager ou d’aménager leur logement pour en permettre l’accessibilité. Le départ de l’armée, une fois les droits à congé maladie épuisés, et la nécessaire reconversion, souvent difficile, sont également une étape importante qui a des conséquences sur la famille.
Dans le cas particulier des victimes de stress post-traumatique, le caractère « invisible » de la blessure est, pour la famille, une difficulté majeure. Le délai de latence est également déstabilisant, la maladie pouvant se déclarer des mois, voire des années, après la survenue de la blessure restée cachée jusque-là. Le mutisme, l’isolement, l’hyperréactivité, l’irritabilité, les phobies, les addictions, les cauchemars sont autant de comportements difficiles à supporter et à admettre par le conjoint et les enfants qui doivent les endurer.
Le rapporteur a été marqué par l’extrême souffrance exprimée par les blessés qui, au-delà de leur pathologie, souffrent de faire souffrir ceux qu’ils aiment et auxquels ils ont parfois des difficultés à témoigner leur affection et leur reconnaissance. Les conjoints quant à eux vivent un chemin de croix dont ils désespèrent souvent de voir le terme. Les enfants ne retrouvent plus le père ou la mère qu’ils connaissaient et renversent parfois les rôles en adoptant des attitudes de protection de leur parent malade.
Les familles souffrent véritablement d’un second impact de la blessure. Certaines n’y résistent pas. Il n’est pas rare que des conjoints tombent à leur tour malades des suites de la blessure.
L’absence de données chiffrées d’ensemble exploitables concernant les blessés est un point négatif important relevé par le rapporteur dans le rapport d’information précité sur la prise en charge des blessés.
Il a toutefois obtenu de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre, qui détient le triste privilège de compter le plus grand nombre de blessés, des chiffres concernant la situation familiale des blessés qu’elle suit.
Sur 574 blessés (4) placés en congé longue durée maladie, c’est-à-dire souffrant de blessures psychiques et/ou de graves blessures physiques très majoritairement contractées en OPEX :
– 278 sont célibataires ;
– 22 sont mariés sans enfant ;
– 123 sont mariés avec un ou plusieurs enfants ;
– 151 sont chargés de famille (divorcés, veufs, pacsés, séparés ou en concubinage).
Considérant ces différents formats familiaux, il est possible d’établir que les membres des familles directement touchés par la blessure du militaire, en se limitant aux ascendants directs, conjoints et enfants, sont au nombre de 2 296 ou de 3 444, selon que l’on multiplie le chiffre de 574 par quatre ou par six.
Si l’on fait ce même calcul pour le seul nombre total de blessés psychiques identifiés dans le « portefeuille » de la CABAT, qui est de 1 530 (5), le chiffre dépasse les 9 000 personnes.
Ces chiffres sont en dessous de la réalité puisqu’ils ne concernent pas toutes les blessures, ne comptent pas les blessés des autres armées et de la gendarmerie ni les nombreux blessés, anciens militaires, non identifiés.
Les médecins semblent unanimes sur ce point, un blessé bien entouré se rétablit mieux et plus rapidement.
Il est donc indispensable dans l’intérêt du blessé, de sa famille, de nos armées et, au-delà, de la société tout entière, qu’une aide soit apportée à la famille pour que, d’une part, le blessé guérisse plus vite et que, d’autre part, la blessure initiale fasse le moins possible de victimes collatérales.
Il est fait beaucoup aujourd’hui pour soutenir la famille matériellement et psychologiquement, mais force est de constater que la reconnaissance demeure le parent pauvre en dépit de sa vertu thérapeutique.
Il est souvent difficile de tracer une ligne claire entre les mesures en faveur du blessé et les mesures en faveur de la famille, la plupart bénéficiant à tous directement ou indirectement. Le rapporteur a donc voulu retenir celles qui lui semblaient plus spécifiquement destinées à la famille, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité.
Des réunions d’information sont organisées pour les familles par la sous-direction de l’action sociale, en liaison avec les bureaux locaux d’aide aux familles des différentes armées.
La caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) propose en ligne le guide « Mieux vivre le déploiement » pour le militaire en opération et sa famille qui s’articule en trois phases Avant, Pendant et Après et comporte pour chacune d’elles un espace militaire et un espace famille.
L’armée de terre a également rédigé un guide intitulé « Accompagnement des familles de militaires partant en OPEX ou en mission de courte durée » qui aborde l’ensemble des thématiques intéressant la famille dont la blessure.
Le service de psychologie de la marine édite le guide « Vie de marin, vie de famille ».
Deux guides dématérialisés sont consultables sur le site intranet de la direction des ressources humaines de l’armée de l’air : « Gérer l’absence : petit guide à usage familial » et « Guide à l’usage des militaires désignés pour accomplir un détachement hors métropole ».
Les trois armées éditent chacune un guide à destination des enfants.
Et, bien sûr, le site du ministère de la Défense propose un espace famille et un « Guide du parcours du militaire blessé ».
De la même façon qu’il est difficile de délimiter la frontière entre soutien au blessé et soutien à la famille, il est également délicat de circonscrire le périmètre des aides matérielles et des aides psychologiques, les premières ayant souvent un effet dual.
Si le commandement et la formation à laquelle appartient le militaire jouent un rôle important, certaines structures sont spécialisées dans l’aide aux blessés et à leur famille, les principaux intervenants étant les cellules d’aide aux blessés et la sous-direction de l’action sociale de la défense qui agissent de concert.
Les régiments projetables de plus de 450 militaires disposent d’un bureau environnement humain (BEH) tenu par trois personnes et chargé d’accompagner et de soutenir les militaires et les familles avant, pendant et après le déploiement opérationnel. Les formations de taille plus réduite disposent d’un correspondant environnement humain. Le BEH maintient le lien social en organisant des activités de cohésion à destination des familles.
Le bureau de liaison des familles assure le lien entre les familles et les marins embarqués ou en mission. Ces bureaux sont chargés d’accompagner et de soutenir les familles pendant l’absence du militaire. La section « action sociale et famille » du bureau direction du personnel militaire marine/condition du personnel marine (DPMM/CPM) s’assure de la coordination des actions de soutien du personnel et des familles en cas de blessure, maladie ou décès.
Les cellules condition du personnel de l’armée de l’air (CCP) assurent le lien avec la famille. Avant le départ en OPEX, le militaire passe obligatoirement par sa CCP de rattachement pour un entretien individuel au cours duquel il est notamment informé du soutien qui peut être apporté à sa famille. Son consentement aux actions futures susceptibles d’être menées auprès de sa famille est recueilli. Le commandant de base adresse aux proches préalablement désignés, une lettre personnalisée indiquant la disponibilité des CCP et rappelant des coordonnées utiles.
Les cellules d’aide au blessé, la cellule aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT), la cellule d’aide aux blessés et d’assistance aux familles des marins (CABAM) et la cellule d’aide aux blessés, aux malades et aux familles de l’armée de l’air (CBMF.Air) sont joignables en permanence et sont les premières présentes auprès du blessé hospitalisé et de sa famille, dont elles organisent souvent le déplacement. En lien avec l’action sociale, elles initient et coordonnent les différentes démarches administratives et suivent le blessé et sa famille tout au long du parcours de réadaptation jusqu’à la réinsertion.
Le rapporteur rappelle à ce sujet que la création d’un pôle Blessés à l’Hôtel national des Invalides regroupant tous les acteurs de la prise en charge, préconisation du rapport d’information et quatrième action du plan d’action ministériel relatif à l’amélioration de la prise en charge des militaires blessés, est absolument essentielle. Il souhaite que ce projet prenne vie et devienne un centre de référence pour le blessé et sa famille.
Se rendre au chevet du blessé est la première difficulté pratique à laquelle se heurtent les familles. Le blessé rapatrié est souvent hospitalisé à l’hôpital Percy, les avions sanitaires atterrissent à Villacoublay, parfois très loin du domicile de la famille.
L’action sociale procure à deux personnes désignées par le blessé, exceptionnellement trois, ou à défaut aux plus proches parents, une aide financière plafonnée couvrant transport, restauration et hébergement durant une période maximale de 21 jours. En 2015, 60 familles de militaires ont été concernées pour un total cumulé de 652 jours.
Des aides ménagères et des aides à la garde d’enfants peuvent également être proposées.
Inauguré en avril 2015, ce bâtiment de 1 000 mètres carrés est composé de lieux de vie communs, de six studios et de cinq appartements, adaptés au handicap, destinés aux blessés en suite de soins ne nécessitant pas d’hospitalisation et aux familles des militaires hospitalisés. Issue d’une collaboration entre le ministère de la Défense et les associations qui ont financé son aménagement, cette structure offre un hébergement de qualité particulièrement apprécié par les familles.
De son ouverture, en mars 2015, au 8 juin 2016, la Maison des blessés et des familles a reçu 164 personnes pour un total de 1 055 nuitées. Ces chiffres se décomposent ainsi : 134 personnes appartenaient à des familles de blessés, dont des victimes des attentats du 13 novembre 2015, pour 929 nuits, et 30 étaient des militaires en suite de soins pour 126 nuits.
Cette fréquentation confirme si besoin était l’utilité de cette structure.
Lorsque les droits à transport et hébergement gérés par l’action sociale sont épuisés, les associations peuvent prendre le relais en cas de nécessité, le plus souvent par le biais des cellules d’aide aux blessés.
Les associations interviennent dans bien d’autres domaines en faveur du blessé et de sa famille et contribuent souvent à compléter les besoins matériels non couverts par les dispositifs ministériels tout en offrant un soutien moral.
L’institution de gestion sociale des armées (IGeSA) offre un séjour d’une semaine de vacances aux militaires gravement blessés accompagnés de leur famille. Cette possibilité a profité en 2015 à 195 personnes qui ont effectué un total de 67 séjours.
En fonction de la situation de chaque famille, l’action sociale de la défense, l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG), les associations, les mutuelles et les fonds de prévoyance peuvent proposer des aides adaptées.
Par exemple, l’association Terre Fraternité agit en complément de l’action sociale de la défense, en octroyant aux bénéficiaires d’un séjour gratuit de l’IGeSA une allocation forfaitaire permettant de couvrir tout ou partie des frais de déplacement.
Indépendamment de la pension militaire d’invalidité, à laquelle elle n’est pas liée, une indemnisation pour la réparation du préjudice subi est accessible au militaire blessé et, dans certains cas, à ses ayants droit.
Défense mobilité propose des prestations dont peuvent bénéficier, via les cellules d’accompagnement vers l’emploi des conjoints (CAEC), les conjoints, mariés pacsés ou concubins des militaires blessés en opération.
Si l’ensemble des interlocuteurs évoqués plus haut a bien évidemment vocation à écouter le blessé et sa famille, une aide spécialisée peut s’avérer nécessaire. Le numéro vert « Écoute défense », accessible sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, met en relation les appelants avec un psychologue du service de santé des armées.
En 2015, 12 % des appels, soit 47 sur 397, ont émané de familles. Parmi ces appels, 29 provenaient de conjoints (27 épouses et 2 époux), 14 d’enfants (cinq filles et neuf garçons) et quatre de mères. Sur ces 47 appels, 26 ont été identifiés comme nécessitant un suivi psychologique dans le cadre de la prise en charge issue de la convention entre la CNMSS, le SSA et la DRH-MD. Ces appels concernaient l’absence (19), la blessure (4) ou le décès (3) d’un proche militaire. Sur ces 26 appelants, quatre faisaient déjà l’objet d’un suivi, quatre étaient en rupture de suivi et 18 ne faisaient l’objet d’aucun suivi.
La proposition du rapporteur est partie du constat que si, ainsi qu’il a tenté de le démontrer, le socle essentiel de l’aide médicale, matérielle et psycho-sociale est assuré, la reconnaissance est la grande oubliée parmi les besoins exprimés ou non. Peut-être parce qu’elle est difficile à concrétiser et que l’on a, à tort, trop souvent tendance à considérer qu’elle va de soi. Il a donc souhaité proposer un dispositif simple s’adressant aux familles de blessés.
L’attribution de la carte de famille de blessé est du registre du symbole. Elle est la matérialisation de la reconnaissance de la Nation envers ceux qui ont consenti des sacrifices et qui ont souffert avec et par le militaire blessé et l’ont soutenu. Elle est également une affirmation de l’appartenance à la communauté de défense et de la considération due aux familles de blessés.
De la même façon que l’insigne des blessés de guerre n’ouvre aucun droit, ce dont personne ne s’étonne, aucun droit n’est attaché à cette mesure dont l’objet n’est pas l’octroi d’un avantage matériel, auquel pourvoient d’autres dispositifs, mais bien la manifestation de la reconnaissance, qui ne peut avoir de prix.
Néanmoins rien ne s’oppose à ce que, se saisissant de cette opportunité, des initiatives locales, publiques ou privées, voient le jour et consentent des avantages aux porteurs de cette carte. La carte pourra par ailleurs servir à faire valoir auprès d’une municipalité, par exemple, l’appartenance à la communauté de défense de son porteur qui pourra être, le cas échéant, invité à des commémorations ou à témoigner. Les initiatives de cet ordre apporteraient une contribution au lien armée-Nation qui participe également de la reconnaissance.
Le texte de la proposition de loi, volontairement concis, précise toutefois une condition très importante de l’attribution.
L’attention du rapporteur a été attirée par le service de santé des armées (SSA) sur le fait que cette carte ne pouvait ni être attribuée de façon systématique, ni être sollicitée directement par la famille. En effet, certains blessés, militaires ou retournés à la vie civile, ne souhaitent pas se définir en tant que blessés et s’afficher en tant que tels. Une carte délivrée à leur famille irait donc à l’encontre du but poursuivi.
De la même façon l’homologation de la blessure de guerre, qui permet le port de l’insigne des blessés de guerre, est une démarche volontaire effectuée par le blessé. Certains blessés ne font jamais cette démarche
Dans cette situation, fort heureusement marginale, est défini dans les premiers temps un cercle de confiance qui prend les décisions et effectue les démarches nécessaires, telles que la demande de pension militaire d’invalidité (PMI), par exemple. Le blessé fait par la suite, le cas échéant, l’objet d’une mesure de protection juridique, les décisions relevant alors de son tuteur ou de son curateur.
Toutefois, la durée du processus aboutissant à la demande d’homologation de la blessure de guerre, qui intervient nécessairement postérieurement à l’attribution de la pension militaire d’invalidité, est susceptible de permettre au blessé de se rétablir dans l’intervalle.
Le rapporteur n’a pas souhaité entrer dans le détail du dispositif et a choisi de laisser au ministre de la Défense le soin de définir les modalités d’application de cette mesure. Il ne s’agit pas d’une solution de facilité, mais bien de laisser toute latitude au ministre pour mettre en place le dispositif le plus léger possible. Il s’autorise toutefois à formuler quelques recommandations.
Il a semblé au rapporteur que le mot famille était le plus approprié pour définir les destinataires de ce dispositif, en raison même de son contour incertain qui laisse une grande liberté d’appréciation.
Le rapporteur a par ailleurs constaté que ce terme était très largement utilisé dans les documents issus du ministère de la Défense et des armées, son périmètre variant et ne faisant souvent l’objet d’aucune précision.
Ainsi le guide de l’armée de terre « Accompagnement des familles de militaires partant en OPEX ou en mission de courte durée » propose-t-il de considérer ce périmètre ainsi : « Ce départ doit se préparer en famille pour qu’il se déroule dans de bonnes conditions. Chaque membre qui la compose, militaire, conjoint, enfants mais aussi parents et beaux-parents, est concerné. ». D’autres documents mentionnent la fratrie et la notion de conjoint va du mariage à la simple vie commune. Quant au militaire blessé célibataire sans enfant, bénéficiaire d’un séjour gratuit de l’IGeSA, il peut se faire accompagner par une personne de son choix.
La morphologie de famille évolue également au cours de la vie du militaire. Elle sera, pour un jeune militaire, composée de ses parents et de sa fratrie, avant de s’étendre à un ou plusieurs conjoints successifs, des enfants, des beaux-parents, et, dans de nombreux cas, aux enfants de son conjoint…
La loi, quant à elle, mêle dans le quatrième alinéa de l’article L. 4111-1 du code de la défense les notions d’ayant droit et de famille qui se recoupent et se complètent à la fois : « La condition militaire … inclut les aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit, la situation et l’environnement professionnels des militaires, le soutien aux malades, aux blessés et aux familles, ainsi que les conditions de départ des armées et d’emploi après l’exercice du métier militaire ».
Le rapporteur estime donc, et les différents entretiens qu’il a menés le confortent dans cette idée, qu’il convient de s’abstenir de toute définition de la famille, le blessé désignant lui-même les membres de sa famille destinataires de la carte. Cette carte n’ouvrant aucun droit, rien ne semble s’opposer à une appréciation extensive de la famille adaptée à chaque cas. Il serait par ailleurs néfaste, au sens de la visée thérapeutique de ce dispositif de reconnaissance, de refuser, en raison de critères trop stricts, cette carte à un membre de la famille choisi par le blessé.
En revanche le rapporteur recommande d’éviter le terme d’ayant droit, par ailleurs objet d’autres dispositifs, pour lequel n’existe pas de définition juridique préétablie et porteur d’une notion de bénéfice, à éviter dans le cas présent.
Le port de l’insigne de blessé de guerre est lié à l’homologation de la blessure de guerre, qui n’est pas systématique et n’est établie que si le blessé la sollicite. Le rapporteur estime qu’il serait judicieux que l’autorité responsable de l’homologation, qui peut différer en fonction du statut du militaire blessé, instruise également les demandes de cartes de famille de blessé de guerre afin de garantir un lien indubitable entre la carte et l’homologation.
Le rapporteur estime que la reconnaissance n’est pas limitée dans le temps et que cette notion ne peut donc s’appliquer à ce dispositif.
L’attribution de cette carte ne ferait bien sûr pas de son détenteur un ressortissant de l’ONAC-VG. Néanmoins la représentation départementale de l’ONAC-VG pourrait être le relais local de l’information sur l’existence de cette carte tant auprès des blessés que des communes ou d’autres entités.
Le rapporteur préconise que soient remis simultanément l’insigne de blessé de guerre et la carte de famille de blessé de guerre au cours d’une cérémonie, afin de donner une solennité à l’événement et d’associer la famille et le soldat dans l’honneur commun qui leur est rendu. Cette option a le soutien de la CABAT.
Néanmoins certains blessés, des blessés psychiques ou physiques, préfèrent une délivrance plus intime, voire souhaitent se passer de toute manifestation. Il convient dans tous les cas de respecter le désir du blessé et de ne pas lui imposer une cérémonie qui lui serait pénible, voire insupportable.
Le rapporteur souhaite à ce propos saluer l’initiative du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, qui, à l’occasion du 31e anniversaire de l’attentat du « Drakkar » au Liban, a remis, le 23 octobre 2014, l’insigne des blessés à vingt rescapés accompagnés par leurs familles qui, s’il avait existé, auraient certainement apprécié d’être honorées par la remise d’un document officiel reconnaissant leur souffrance et l’aide qu’elles avaient apporté aux blessés.
La commission de la défense nationale et des forces armées examine, sur le rapport de M. Olivier Audibert Troin, la proposition de loi instituant une carte de famille de blessé de guerre (n° 3606), au cours de sa réunion du mercredi 1er juin 2016.
Un débat suit l’exposé du rapporteur.
M. Philippe Nauche. Il paraît difficile de s’opposer aux objectifs poursuivis par cette proposition de loi. L’affirmation d’une reconnaissance envers les familles des blessés nous rassemble tous. Toutefois, à la lecture du texte, je reste dubitatif quant à sa concrétisation. Je crains en effet que cette initiative ne reste lettre morte, faute de capacités à la mettre en œuvre. Il s’agit d’un dispositif symbolique, ce qui est important, mais il n’est que symbolique. Or, il ne manquera vraisemblablement pas de susciter des revendications plus concrètes à l’avenir de la part des personnes intéressées qui peuvent se trouver en difficulté, ce que l’on peut comprendre au demeurant.
C’est pourquoi à ce stade, très courageusement, je ne saurais donc dire si je soutiens cette proposition de loi, même si l’idée me semble intéressante. À titre personnel, je serais donc plutôt favorable à un vote d’abstention sur ce texte. Le débat doit être posé et il est important qu’il ait lieu dans l’hémicycle. Je suis désolé de ne pas être plus explicite en tant que responsable du groupe Socialiste, écologiste et républicain.
M. Philippe Folliot. L’exposé des motifs de cette proposition de loi et l’intervention de notre rapporteur, tant sur le fond que sur la forme, sont particulièrement forts. On sent le « vécu » et l’implication de notre collègue. Il est vrai que cette proposition de loi est assez symptomatique de l’évolution de notre société. Il y a un siècle, on comptait des milliers de blessés et donc de familles concernées par jour. J’ai encore en mémoire mon grand-père paternel blessé et laissé pour mort au fort de Vaux où il a perdu un genou et un œil et qui était resté plusieurs semaines dans le coma. Sa pudeur l’a empêché toute sa vie d’évoquer le traumatisme qu’il avait subi, même si cette expérience était particulièrement visible en raison de la nature de ses blessures.
Mais les époques se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Pour ma part, et je pense qu’il en sera de même pour le groupe UDI dans son ensemble, j’approuve pleinement et entièrement cette démarche. Nous avons aussi besoin de symboles. Il s’agit d’un élément essentiel dans notre société où tout est « marchandisé ». Le fait d’apporter une reconnaissance d’ordre moral me semble important. Nous constatons tous à quel point ce qu’a exprimé notre rapporteur est vrai et juste, notamment ceux dont la circonscription abrite des régiments – ce qui est mon cas avec le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine qui est souvent en première ligne et qui a été particulièrement touché, en Afghanistan et ailleurs. C’est donc sans état d’âme que je voterai cette proposition de loi, et je pense que mon groupe la soutiendra également.
M. Christophe Guilloteau. Je crois que nous ne pouvons qu’exprimer des positions individuelles et non une position au nom de tout un groupe politique car le sujet n’est pas simple. Je constate en effet que cette proposition de loi est portée par un certain nombre de membres du groupe auquel j’appartiens, mais qu’elle n’a pas été signée par la totalité de ses membres. C’est donc à la lumière de ses convictions personnelles et de sa propre philosophie que l’on peut soutenir une telle démarche, qui est une démarche louable mais qui pose des difficultés d’application. Même si l’initiative est belle et noble, elle reste du domaine du virtuel.
J’ai cosigné cette proposition de loi, je ne suis donc pas suspect. Mais je m’interroge malgré tout sur son application, si le processus devait aller jusqu’au bout. J’ai bien compris que l’auteur laissait l’application du texte à la libre appréciation du ministre de la Défense ; je lui souhaite dès lors bon courage pour en suivre la mise en œuvre concrète ! La règle est de soutenir ses collègues : j’ai cosigné cette proposition et je la soutiendrai donc jusqu’au bout, mais je m’interroge. La mariée n’est-elle pas trop belle ? Ne voulons-nous pas en faire trop ? La reconnaissance de la Nation vis-à-vis des blessés existe grâce à tout un système, dont l’attribution la carte du combattant. Faisons attention à ne pas tomber dans « l’effet kermesse ».
Mme la Présidente Patricia Adam. La parole est à Charles de La Verpillière qui, lui, ne l’a pas signée...
M. Christophe Guilloteau. Mais qui est peut-être pris de repentance !
M. Charles de La Verpillière. N’étant pas un adepte de la repentance, loin s’en faut, évoquer ce terme à mon sujet ne me fait pas très plaisir…
M. Christophe Guilloteau. Le pardon des pêchés alors ?
M. Philippe Nauche. L’absolution !
M. Charles de La Verpillière. Ceci étant dit, je souhaiterais soutenir cette proposition de loi avec un peu plus d’enthousiasme que Christophe Guilloteau. (Sourires)
M. le rapporteur. Ce ne sera pas difficile !
M. Charles de La Verpillière. Notre rapporteur a eu tout à fait raison de rappeler que la crainte qu’éprouvent les blessés est le manque de reconnaissance, indépendamment de ce qu’ils endurent eux-mêmes et de ce qu’endurent leurs familles. N’oublions pas que nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’une armée professionnelle, avec des femmes et des hommes - officiers, sous-officiers, militaires du rang – qui vivent dans un milieu assez clos, ce qui n’était pas le cas du temps de l’armée de conscription où tout ce qui arrivait à un conscrit se répercutait dans la population de son village, voire de sa ville. Il y a donc un effort à faire en termes de reconnaissance. La proposition de loi de notre collègue Olivier Audibert Troin va dans le bon sens, je la soutiens et je lui demande de me considérer comme en étant également cosignataire.
M. Jean-François Lamour. Je vais également tenter d’apporter un soutien plus ferme à l’initiative de notre collègue et rejoindre Charles de La Verpillière lorsqu’il exprime son intérêt marqué pour cette proposition de loi. Comme l’a très bien dit notre rapporteur, je ressens une sorte de désespérance des familles lorsqu’elles « récupèrent » ou qu’il leur est « rendu » – car ce sont les termes qu’elles emploient – leur père ou leur mère blessé, notamment suite à une opération extérieure. Cette désespérance se double d’une certaine incapacité à agir, non pas parce que rien n’existe – les différents dispositifs ont été rappelés – mais parce qu’il y a une forme d’isolement suite au retour du blessé dans sa famille. Le reconnaître de manière symbolique grâce à la carte dont il est proposé la création est donc déjà très important. L’autre point positif de cette initiative est qu’elle ouvrira un débat en séance publique sur un modèle de reconnaissance laissé à l’appréciation du ministre de la Défense, ce qui est une très bonne chose. Je crois même qu’il faut aller au-delà. Il y a des « trous dans la raquette » dans cette reconnaissance et dans la prise en charge, et c’est à nous parlementaires de faire avancer le débat et, le cas échéant, de faire évoluer les dispositifs de prise en charge. À ces deux titres - une forte charge symbolique et la perspective d’un débat approfondi en séance publique – j’estime qu’il faut soutenir et voter cette proposition de loi.
M. Jean-David Ciot. Cette proposition de loi a le mérite de poser la question de la reconnaissance de la Nation vis-à-vis des familles de nos blessés de guerre. Au-delà de l’aspect symbolique, il y a l’accompagnement des familles en difficulté. Ce texte pose un certain nombre de problèmes dans l’absolu. Notamment, ouvre-t-il des droits attachés ? Il faut être extrêmement prudent par rapport à d’éventuelles revendications. Un certain nombre de dispositifs d’accompagnement existent qui prennent en compte la situation de ces familles, parfois avec des difficultés, notamment d’ordre budgétaire. Par ailleurs, se pose la question du périmètre de la famille : quelle est la définition de la famille et, par conséquent, quels sont ceux qui prennent en charge les blessés à ce titre ?
À titre personnel, je suis plutôt favorable à cette proposition de loi. Nous devrons toutefois débattre de la question des droits attachés, mais ce débat ne peut pas être ouvert à l’occasion d’un tel texte, certes utile, mais symbolique. Je suis néanmoins favorable à la reconnaissance de familles qui sont touchées au retour des blessés. Ce n’est pas l’émotion qui doit conduire à l’adoption de lois, mais une véritable reconnaissance est à trouver.
M. Jacques Lamblin. Je souhaite à mon tour apporter mon soutien à cette proposition de loi que je n’ai pas signée, mais uniquement pas distraction (Sourires). Ce qui est essentiel, c’est de souligner l’importance du socle familial et d’affirmer que lorsqu’un blessé grave retrouve sa famille, la souffrance est partagée mais, souvent, la guérison l’est également. L’environnement familial participe à la récupération psychologique et sans doute physique du blessé. Par ailleurs, il me semble important que la proposition de loi reste une proposition de loi désintéressée. Si des droits attachés doivent être ouverts, ils doivent être évalués en fonction de la gravité des blessures qu’aura subies le militaire, à l’image du travail effectué par les tribunaux civils en cas d’accident, avec notamment la notion de pretium doloris. L’attribution de la carte de famille de blessé de guerre ne doit pas entraîner en tant que telle l’ouverture de droits attachés. Le dispositif doit rester désintéressé. À mes yeux, c’est ce qui fait sa force et c’est ce qui m’amène à le soutenir.
Mme la présidente. La question des droits attachés à la carte est une question importante. Je tiens à souligner que le code de la défense prévoit déjà des dispositions en faveur des « ayants droit » des militaires, notion plus précise à mes yeux que celle de « famille ». Le mot « famille » est flou ; où s’arrête la famille et de qui s’agit-il : des ascendants, des descendants, des collatéraux, des conjoints ? C’est là un problème juridique que l’on a déjà rencontré dans le droit de la condition militaire. Quid des familles qui se seraient désintéressées de la prise en charge des blessés ? C’est la prise en charge effective et non le lien familial qui compte.
M. Philippe Nauche. C’est à ces questions que je faisais allusion en parlant de la complexité qu’il y aurait à mettre en œuvre le dispositif proposé par un texte simple. Certes, notre collègue Olivier Audibert Troin propose que l’octroi de la carte soit demandé par le blessé lui-même, et non pas directement par les membres de sa famille : mais qu’en est-il en cas de blessure affectant le discernement du blessé et sa capacité à exprimer un consentement éclairé ? Les intentions des auteurs sont assurément excellentes, et la souffrance des blessés et de leurs familles existe bien ; mais ne mettons pas en place une usine à gaz.
M. le rapporteur. Le débat est intéressant mais se focalise sur les applications concrètes de ma proposition de loi et, après tout, c’est bien normal. Néanmoins, l’objet de cette proposition de loi se situe en réalité dans le registre du symbole, celui de l’humain, un registre que nous avons longuement évoqué avec notre collègue Émilienne Poumirol au cours de notre mission ; je peux comprendre les réserves formulées mais je crois qu’il faut avoir vu, et écouté, les blessés et leurs familles pour prendre la mesure de leur besoin de reconnaissance. Aucune des familles que nous avons rencontrées ne nous a présenté de demandes d’aide matérielle : c’est de la reconnaissance de la Nation qu’elles ont besoin. C’est d’ailleurs pour cela que ma collègue Émilienne Poumirol et moi-même avons intitulé notre rapport d’information : « La prise en charge des soldats blessés : un devoir de soutien et de reconnaissance de la Nation ».
La prise en charge des blessés représente aujourd’hui, pour eux et leurs familles, un véritable parcours du combattant. Lorsque nous avons rédigé notre rapport, il fallait en moyenne 380 jours pour l’obtention d’une pension militaire d'invalidité ; ce délai approche aujourd’hui 500 jours ! Mais, pour imparfaites que soient leurs modalités de mise en œuvre, il existe déjà des dispositifs d’accompagnement économique des blessés et de leurs familles ; l’objet de cette proposition de loi est de répondre à un besoin de reconnaissance, ce qui est d’un autre ordre.
Certains se demandent peut-être si ce n’est pas par facilité que le texte que nous présentons renvoie à un décret le soin de fixer ses conditions d’application. Il n’en est rien et je rappelle que j’ai formulé des recommandations. Cette disposition participe simplement de notre volonté de procéder de façon consensuelle et justement de ne pas « monter une usine à gaz », pour reprendre un terme employé. Ainsi il pourra être laissé le soin à chaque état-major, responsable de l’homologation de la blessure de guerre, de délivrer cette carte et, par exemple, de la remettre aux familles en même temps que l’insigne des blessés. Je rappelle également qu’aucun droit n’est attaché à cette carte.
Certains d’entre vous se demandent quel droit appliquer aux blessés qui n’ont plus l’entière possession des facultés intellectuelles requises pour exprimer leur volonté et faire la demande de la carte. Certes, de tels cas peuvent exister, mais ils ne représentent en tout état de cause qu’un nombre très limité de personnes ; comme dans tous les domaines, on peut évoquer certains cas particuliers pour justifier le refus de la mesure proposée. Mais en l’espèce, la probabilité est trop faible pour devoir nous arrêter. D’ailleurs, si les facultés intellectuelles d’un blessé sont gravement affectées, demander une carte pour sa famille relève par nature des actes de la tutelle ou de la curatelle.
Nos armées ont par ailleurs tout à y gagner, si l’on considère l’état de leurs effectifs de façon pragmatique. Le service de santé des armées, ainsi que tous les acteurs de la prise en charge des blessés, le disent bien : le soutien des familles est un facteur de réussite dans la guérison des blessés. Un blessé entouré par sa famille guérit plus vite. Notre proposition vise à contribuer à impliquer encore davantage les familles dans ce processus.
Enfin, à mes yeux, le courage aujourd’hui consiste à prendre conscience de l’effet dévastateur qu’aurait sur nos militaires le refus par l’Assemblée nationale d’une reconnaissance symbolique de nos blessés et de leurs familles. Il s’agit d’humain avec un grand H et cela mérite que l’on dépasse les clivages traditionnels sur les bancs de notre Assemblée. Laissons de côté la petite politique politicienne, que nous pratiquons tous, et rassemblons-nous autour de cette mesure symbolique. Peut-être le texte doit-il être retravaillé. Mais la représentation nationale, un siècle après Verdun, se grandirait en faisant bloc avec les familles de nos blessés dans le cadre de la reconnaissance de la Nation.
M. Philippe Nauche. Je comprends votre passion et j’étais presque prêt à voter pour ce texte, mais je n’accepte pas ce type d’argument, consistant à dire que si nous ne le votons pas, c’est que nous faisons de la politique politicienne ou que nous n’avons pas de cœur. Il est certes important de discuter de ces sujets, et d’en discuter en séance avec le Gouvernement. Mais je persiste à penser que le texte n’est pas mature, et à titre personnel, je penche pour l’abstention. La reconnaissance que la Nation doit bien entendu aux blessés passe par d’autres voies qu’une carte dont on ne sait pas à qui elle bénéficie – le terme de « famille » est bien vague.
Mme la présidente. Tous les points de vue sont entendus, et la commission n’est saisie d’aucun amendement.
La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.
La commission adopte l’article unique.
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En conséquence, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
Ø Commissaire en chef des armées Gaël Dettwiler, chargé de mission, secrétariat général pour l’administration.
Ø Audition commune :
– Médecin en chef Laurent Martinez, coordonnateur national du soutien médico-psychologique des armées, service de santé des armées ;
– Médecin chef des services de classe normale Arielle Thimon-Le Chevallier, cheffe du bureau « offre de soins », direction centrale du service de santé des armées ;
– Lieutenant-colonel Ludovic Samanos, adjoint de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre, chef du pôle blessés ;
– Mme Emmanuelle Double, administrateur civil hors classe, chef du département solidarité, Office national des anciens combattants et des victimes de guerre ;
– Commissaire principal Jean-Paul Segui, sous-chefferie performances, pôle moral formation, état-major des armées.
© Assemblée nationale1 () Rapport d’information n° 2470 « La prise en charge des soldats blessés : un devoir de soutien et de reconnaissance de la Nation ».
2 () Article L.4111-1 du code de la défense.
3 () Tous les troubles psychiques ne sont pas des syndromes de stress post traumatique, qui constituent toutefois la majorité des troubles constatés.
4 () Chiffre mis à jour début juin 2016.
5 () Depuis fin décembre 2013.