9e session Grande Commission France-Chine 2018

Partager

Contenu de l'article

La Grande Commission France-Chine a tenue sa 9e session à Paris, à l'Assemblée nationale, le 26 novembre 2018.

Composition de la délégation française :

M. Buon TAN, président du groupe d’amitié France-Chine

Mme Anne GENETET, secrétaire du groupe d’amitié France-Chine, rapporteure sur le commerce international

Mme Liliana TANGUY, membre du groupe d’amitié, rapporteure sur la coopération décentralisée

M. Jean-Luc MÉLENCHON, vice-président du groupe d’amitié

Mme Natalia POUZYREFF, vice-présidente du groupe d’amitié

M. Michel LARIVE, membre du groupe d’amitié

Mme Nicole LE PEIH, membre du groupe d’amitié

M. Jacques MAIRE, membre du groupe d’amitié

Composition de la délégation chinoise :

M. ZHANG Zhijun, vice-président de la commission des affaires étrangères

M. LIU Zhengkui, membre de la commission des finances, rapporteur sur la coopération décentralisée

M. CHEN Fuli, membre de la commission des affaires étrangères, rapporteur sur le commerce international

Mme YU Jinsong, ministre-conseillère de l’ambassade de Chine en France

Mme GAO Jinlu, directrice générale du bureau des affaires législatives

M. YANG Yi, directeur du bureau des relations internationales

M. LI Xin, agent du bureau des relations internationales

***

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

I. Ouverture

M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. Mesdames et messieurs, je suis très heureux d’ouvrir cette nouvelle session de la Grande Commission France-Chine. Celle-ci aura bientôt dix ans mais c’est la première fois que j’ai l’honneur de l’accueillir ici, en tant que Président de l’Assemblée nationale, et c’est aussi sa première réunion depuis le renouvellement de l’Assemblée nationale française en 2017 et celui de l’Assemblée populaire nationale en 2018. J’ai donc voulu saisir l’occasion qui m’est aujourd’hui donnée de réaffirmer devant vous mon attachement au dynamisme des échanges bilatéraux entre nos deux assemblées.

Le débat interparlementaire, en effet, est indispensable. Entre législateurs chinois et français, il est toujours amical et courtois, même lorsque des divergences restent à surmonter. De part et d’autre, nous œuvrons à l’intérêt général, forts d’une expérience que nous tirons de notre enracinement territorial. Il faut continuer dans cette voie. J’observe d’ailleurs que les relations parlementaires franco-chinoises sont denses et nourries. Outre cette Grande Commission qui nous réunit chaque année, les nombreux échanges entre nos groupes d’amitié viennent également nourrir le dialogue entre nos deux assemblées. Je veux à cet égard saluer l’action de notre collègue Buon Tan, toujours disponible pour rapprocher Pékin et Paris. J’ai moi-même rencontré il y a deux semaines M. Ji Bingxuan, vice-président du comité permanent de l’Assemblée populaire nationale.

Le travail de la Grande Commission s’inscrit par ailleurs dans le cadre de relations bilatérales très soutenues à tous les niveaux. En janvier dernier, en effet, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est rendu en Chine pour une visite d’État qui a permis de fixer les grandes lignes de notre action pour le futur. En juin, le Premier ministre, Édouard Philippe, s’y est rendu à son tour ; des visites ministérielles ont eu lieu de part et d’autre tout au long de l’année.

Ces bonnes relations montrent à quel point fut visionnaire, en 1964, la France du général de Gaulle qui, récusant la logique d’un monde bipolaire, fut le premier État occidental à nouer des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Nous célébrerons l’année prochaine le 55e anniversaire de cet événement historique et permettez-moi de rappeler que, pour parvenir à ce rapprochement à l’époque si délicat, la République française avait envoyé à Pékin un négociateur de talent : Edgar Faure, un parlementaire subtil qui devint plus tard Président de l’Assemblée nationale…

Autant dire que, depuis le début, les députés ont un rôle évident à jouer dans le renforcement de l’amitié franco-chinoise. C’est dans cet esprit que les membres de la Grande Commission vont commencer par se pencher sur un thème de travail d’une grande actualité : « Mondialisation, protectionnisme et multilatéralisme : la France et la Chine dans le commerce international. »

Comme vous le savez tous, c’est un thème qui mobilise la France et je sais que la Chine y attache également la plus grande importance. Nos deux pays se sont engagés en faveur d’une mondialisation économique plus ouverte, plus inclusive, plus équilibrée, afin que chacun puisse en tirer bénéfice. La mondialisation a certes eu des effets positifs, qu’il ne faut pas sous-estimer : elle a contribué à sortir de la pauvreté des centaines de millions d’êtres humains sur toute la planète, elle a ouvert une phase de prospérité et de liberté inédites, tout en rendant possible l’expansion pacifique du commerce international.

Cependant, nous ne pouvons nier que cette même mondialisation a besoin d’une véritable régulation pour mettre fin aux dérives qui lui sont propres : déséquilibres commerciaux qui ont profondément affecté certaines régions, catastrophes naturelles et environnementales, inégalités sociales profondes. Notre responsabilité est donc immense : il s’agit en effet de repenser les règles de la mondialisation compte tenu de ces échecs et des transformations que nous pouvons observer actuellement. Nous appelons de nos vœux une mondialisation plus régulée, au bénéfice le mieux partagé de tous.

Pour y parvenir, le multilatéralisme est la voie la plus pertinente et la plus prometteuse. La Chine et la France, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, sont attachées à promouvoir la paix, la prospérité, le développement durable et la sécurité dans le monde, conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies. Pour écarter les menaces, nous devons continuer à promouvoir sans relâche un multilatéralisme fondé sur le droit international et les normes universellement reconnues de la diplomatie. Au-delà de la simple participation au jeu multilatéral, il nous appartient de réaffirmer notre attachement à ce multilatéralisme, d’actualiser son contenu et de le rénover. Nos gouvernements se sont engagés dans cette démarche ; les assemblées parlementaires doivent également contribuer à cette refondation.

De même, sur la libéralisation du commerce et la facilitation de l’investissement, nos deux pays sont tombés d’accord sur la nécessité de poursuivre leurs efforts communs pour bâtir une économie mondiale ouverte. Il s’agit là de combattre toute forme de protectionnisme, mais cela ne saurait valoir que moyennant le souci permanent de garantir une concurrence équitable. Si l’organisation actuelle du commerce international n’est pas la plus efficace, prétendre résoudre les problèmes qu’elle soulève par l’unilatéralisme absolu et la guerre commerciale serait incontestablement la moins bonne des réponses.

Là encore, une refondation est nécessaire. En effet, la mise en œuvre des exigences et disciplines multilatérales doit être renforcée par tous les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le travail que nous menons dans le cadre régional doit également répondre à cette exigence. À cet égard, nous devons soutenir le développement des relations commerciales et des investissements entre l’Union européenne et la Chine sur la base des principes d’ouverture, de transparence, de concurrence équitable et des règles de l’OMC.

Vous évoquerez sans aucun doute, au cours de vos échanges, l’initiative « Une ceinture, une route » lancée par la Chine. Ce concept des nouvelles routes de la soie, que nous saluons, doit renforcer encore le dialogue franco-chinois. Cette initiative couvre de nombreux domaines : infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires, maritimes, technologiques. Autant de programmes qui peuvent ouvrir des perspectives dans des secteurs d’intérêt commun à nos deux pays. C’est le cas des transports, de la gestion de l’eau et des déchets, de la ville durable, de l’économie verte. Il y a également un enjeu de connectivité entre nos pays, et plus globalement entre l’Europe et l’Asie.

S’agissant plus précisément du commerce bilatéral franco-chinois, je me félicite du dynamisme des échanges entre nos deux pays. La mise en œuvre, il y a quelques semaines, du protocole sanitaire d’exportation des viandes bovines françaises constitue un bon exemple du renforcement de la coopération franco-chinoise dans le domaine agro-alimentaire. Il reste encore des questions d’accès au marché à approfondir et nous devons poursuivre nos efforts afin de développer plus encore nos relations commerciales, afin que nos propres peuples en mesurent l’effectivité.

La relation franco-chinoise dépasse heureusement le seul cadre des flux commerciaux : ce sont aussi des liens culturels, sociaux, humains qui nous unissent, qu’il s’agisse d’échanges universitaires, de manifestations artistiques ou de jumelages, que facilite la présence d’une forte communauté chinoise qui a su trouver sa place en France. Nos deux pays, si différents sur bien des plans, partagent en effet le même goût pour la culture, l’art de vivre, la gastronomie, les beaux-arts, qu’appréciait déjà le jeune Zhou Enlai quand il vécut à Paris, rue Godefroy, entre 1922 et 1924.

Enfin, je voudrais terminer en évoquant le thème du second débat : « La coopération bilatérale décentralisée », qui recèle un immense potentiel. Nos relations bilatérales sont intenses aussi au niveau local, puisqu’une une soixantaine de collectivités territoriales françaises ont signé des partenariats avec des villes ou provinces chinoises, dans des domaines-clés : agriculture, tourisme, environnement. Autant de sujets qui seront abordés lors des prochaines assises de la coopération décentralisée franco-chinoise à Toulouse, en décembre. Je ne citerai qu’un exemple de coopération décentralisée qui vous tiendra autant à cœur qu’à moi, monsieur le président Zhang : le partenariat entre ma région, la Bretagne, et la vôtre, le Shandong. Il s’exerce dans de nombreux domaines : équipements, manifestations culturelles, économie durable, éducation, sport.

C’est en échangeant ainsi que nos deux cultures affermiront leur relation déjà ancienne et se comprendront mieux. Vous pouvez compter sur mon soutien pour avancer. Je sais, monsieur Zhang – qui êtes natif de la province de Confucius – que nous pourrons progresser vite et avec sagesse !

M. Zhang Zhijun, vice-président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale de Chine, chef de la délégation chinoise. Votre présence et votre discours, monsieur le président Ferrand, illustrent l’importance que la France attache à ses relations avec la Chine. Je vous suis reconnaissance de la contribution que vous apportez à nos relations bilatérales.

La France est la première grande nation occidentale à avoir établi des relations diplomatiques avec la Chine, il y a bientôt cinquante-cinq ans. Ces relations progressent bien, malgré les épreuves. Le partenariat stratégie global que nous avons noué ces dernières années ne cesse de se développer. Cette année, le président de la République, Emmanuel Macron, et le Premier ministre, Édouard Philippe, se sont tous deux rendus en Chine, à l’invitation de leurs homologues Xi Jinping et Li Keqiang. À ces occasions, nos deux pays ont signé une dizaine d’accords de coopération dans des domaines-clés. Un consensus a été trouvé sur plusieurs sujets d’importance. Récemment, M. Ji Bingxuan, vice-président du comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, a participé au Forum de Paris sur la paix. Ces échanges fréquents au plus haut niveau ont produit des résultats concrets. En outre, nos échanges culturels et humains s’approfondissent et nous sommes convaincus qu’ils poursuivront dans cette voie.

Les échanges interparlementaires font partie intégrante de nos relations bilatérales. Leur renforcement permet d’améliorer la connaissance mutuelle et l’amitié de nos peuples et contribue aux relations concrètes entre nos deux pays. L’Assemblée nationale populaire de Chine attache une grande importance à son amitié avec le Parlement français. Nos échanges sont fréquents et réguliers et portent sur des sujets variés. Ils sont indispensables au développement de nos relations bilatérales.

Nous voilà à la croisée des chemins. Le monde connaît un bouleversement profond. Il est de plus en plus interconnecté mais le protectionnisme et l’unilatéralisme gagnent du terrain. Au contraire, le multilatéralisme subit des assauts violents. Nous souhaitons pourtant la paix et la coopération internationale et sommes profondément attachés au multilatéralisme pour que le monde soit plus juste et plus équilibré. C’est un souhait que partagent la France et la Chine.

La 9e session de la Grande Commission France-Chine est notre première rencontre depuis le renouvellement de l’Assemblée populaire nationale. Ce mécanisme institutionnel d’échanges parlementaires est mûr, stable et pérenne. Il nous a déjà permis d’obtenir des résultats concrets. Je suis convaincu qu’il nous permettra une fois de plus d’aboutir cette année à un consensus sur le commerce bilatéral et la coopération décentralisée, en attendant la tenue de la 10e session de la Grande Commission en Chine !

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié France-Chine de l’Assemblée nationale. Je suis très heureux que nous nous retrouvions aujourd’hui pour la 9e session annuelle de la Grande Commission France-Chine. Le président Ferrand l’a dit : cette commission est un élément essentiel de nos relations bilatérales. Nos relations parlementaires sont soutenues et nos échanges fréquents, mais l’existence de ce mécanisme permanent de dialogue interparlementaire nous permet d’approfondir la discussion sur des sujets majeurs, comme en témoigne notre ordre du jour. Je vous propose sans attendre que nous passions au premier sujet que nous avons retenu : la mondialisation, le protectionnisme, le multilatéralisme et le commerce mondial.

II. Mondialisation, protectionnisme, multilatéralisme : la France et la Chine dans le commerce international

Rapporteurs : Mme Anne Genetet (France), M. Chen Fuli (Chine)

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié France-Chine de l’Assemblée  nationale. Le premier sujet de nos échanges est guidé par l’actualité. Face à la tentation du protectionnisme, aux aléas du commerce international et aux tensions géopolitiques, la France et la Chine ont l’une et l’autre un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance et la réglementation du commerce mondial. Je pense naturellement au renforcement de l’OMC et des autres institutions multilatérales, mais aussi aux mesures prises dans tous les domaines pour rééquilibrer les relations commerciales – nous aurons l’occasion de revenir sur le déséquilibre du bilan commercial franco-chinois et des obstacles au commerce qui existent de part et d’autre. Je suis convaincu qu’une relation commerciale équitable et transparente contribue aux liens de confiance qui doivent unir deux grands pays comme la France et la Chine.

Mme Anne Genetet, rapporteure de la délégation française. Je vous remercie, monsieur le président, de m’avoir confié la mission de rapporter ce thème important, ambitieux et complexe. L’économie mondiale est aujourd’hui à la croisée des chemins. Après une longue période de contraction entamée en 2008, suite à la crise financière, à laquelle les États et les peuples, notamment européens, ont répondu par des efforts considérables qui ont remis nos économies sur la voie de la croissance, l’économie mondiale est de nouveau en phase d’expansion, et nous devons nous en réjouir. L’Asie, en particulier la Chine, restent le moteur de la croissance mondiale.

Pourtant, cette croissance économique mondiale semble avoir atteint son pic et devrait ralentir en 2019 et en 2020, pour s’établir à 3,5 % contre 3,7 % en 2018 – et encore, les risques s’accumulent et pourraient aggraver cette tendance à la baisse. Il faudra donc négocier un atterrissage en douceur, et ce sera délicat. Les banques centrales réduisent peu à peu leurs injections de liquidités et les marchés revoient les prix des risques, d’où le retour d’une certaine volatilité. Les flux de capitaux s’inversent. Surtout, les tensions commerciales, en particulier entre les États-Unis et la Chine, génèrent de l’incertitude et risquent de perturber les chaînes de valeur mondiales et le dynamisme de l’investissement.

Le protectionnisme des États-Unis est un facteur important : les taxes imposées sur certains produits chinois et européens et les mesures que prendrait la Chine par réaction pourraient entraîner la contraction du volume du commerce mondial et le ralentissement de l’investissement. Autre risque : la volatilité des marchés financiers. Du côté des États-Unis, où la croissance est forte et le taux de chômage très faible, les taux d’intérêt pourraient augmenter, d’où une possible appréciation du dollar. Du côté de la Chine, la décélération de la croissance pourrait avoir un effet considérable sur l’économie mondiale, non seulement dans les pays émergents mais aussi dans les pays avancés si elle se traduisait par des perturbations financières. Du côté de l’Europe, la croissance restera positive mais faible ; il faut en outre tenir compte des effets encore incertains du Brexit.

J’ajoute que si la croissance chinoise a permis de sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté en Chine, la situation dans le monde est plus contrastée. La reprise mondiale depuis la crise financière ne s’est pas traduite par une amélioration tangible du niveau de vie de nombreux citoyens. La pauvreté absolue a certes reculé dans les pays émergents mais les écarts entre personnes selon leur niveau de qualification et de mobilité se sont creusés et les écarts de revenus se perpétuent d’une génération à l’autre ; le déterminisme social, géographique, culturel demeure très fort dans les sociétés avancées. Ces inégalités menacent la croissance et alimentent le rejet de la mondialisation, qui est pourtant un facteur de développement dans de nombreuses régions.

Dans ce contexte, le rétablissement de la confiance dans les institutions internationales et dans le dialogue multilatéral est absolument essentiel. La Chine et la France sont membres de plusieurs instances multilatérales dans lesquelles ces questions peuvent être abordées : le G20, mais aussi l’OMC, j’y reviendrai.

Un mot, tout d’abord, sur la tentation du protectionnisme commercial. Depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont entamé un mouvement de repli protectionniste qui est loin d’être le premier de leur histoire et qui, comme souvent, est autant lié à des considérations de politique intérieure qu’à une véritable stratégie économique.  Les règles du commerce international limitent en théorie le recours aux mesures protectionnistes mais toutes sortes de mécanismes peuvent tout de même être envisagés : hausse des droits de douane, bien sûr, mais aussi interdictions d’importation, entraves à la circulation de la main d’œuvre, subventions et aides publiques ayant des effets de distorsion de la concurrence. M. Trump a fait le choix d’une politique délibérée de hausse des droits de douane qui cible des produits stratégiques, non seulement en provenance de Chine mais aussi d’Europe. De même, sa décision de retrait de l’Union postale universelle (UPU) s’inscrit dans un refus du multilatéralisme et un rejet des organisations internationales, mais poursuit aussi un objectif commercial : revenir sur les subventions accordées à l’exportation de petits colis par les pays en développement – ce qui, au passage, pose la question du classement de la Chine dans la catégorie des pays en développement.

Ce sursaut de protectionnisme n’est peut-être pas lié à la seule élection de M. Trump et s’inscrit peut-être dans une tendance plus durable de ralentissement du phénomène de libéralisation des échanges entamé dès les années 1990. En effet, le cycle de négociations dit de Doha ayant échoué, les grandes économies se tournent davantage vers des accords bilatéraux aux dépens d’une gouvernance multilatérale du commerce mondial.

Nous plaidons au contraire pour une gouvernance équilibrée et multilatérale des échanges commerciaux. Je veux dire d’emblée, pour lever tout malentendu, que la libéralisation des échanges ne signifie pas la déréglementation. Il faut à mon sens distinguer entre deux types de protectionnismes : celui qui consiste à protéger des secteurs économiques essentiels du point de vue de la sécurité nationale ou de l’emploi local, et celui qui vise à entraver délibérément les échanges pour fausser les règles du jeu et favoriser – en vain – les acteurs économiques locaux. Le premier type se justifie : il appartient en effet à la puissance publique de veiller à réguler l’activité des marchés de façon à ce qu’elle ne provoque pas de perturbations inacceptables sur le marché de l’emploi et sur l’ensemble de l’économie. Le second n’est pas pertinent pour plusieurs raisons. D’abord, une taxe à l’importation se transforme souvent en taxe à l’exportation, car le coût des moyens de production augmentant, les exportateurs finissent par perdre des marchés – d’où une incidence sur l’emploi. En outre, les représailles commerciales à court terme ne permettent jamais d’atteindre des objectifs à long terme. C’est la politique du chacun pour soi qui a conduit à la grande récession des années 1930 ; au contraire, c’est parce que les marchés sont restés ouverts que les économies asiatiques ont pu surmonter la grave crise financière qui les a frappées en 1997-98.

Le commerce mondial évolue vite, non seulement en volume mais aussi dans ses pratiques, qu’il s’agisse des investissements à l’étranger, des échanges commerciaux ou encore des accords et traités internationaux. Les règles qui régissent les liens commerciaux entre les États doivent s’adapter en conséquence. C’est pourquoi nous prônons un mécanisme de réglementation des échanges commerciaux qui repose sur les principes suivants : transparence, équité, inclusion, responsabilité. Les discours du président Xi Jinping aux forums économiques de Davos et de Boao vont également en ce sens.

Les accords de libre-échange sont une solution dans certains cas. Les États membres de l’Union européenne ont délégué la compétence de la négociation des accords commerciaux à la Commission européenne. C’est donc elle qui a négocié les accords de libre-échange entre l’UE et le Canada, et avant cela entre l’UE et la Corée du Sud ou encore avec plusieurs États d’Amérique du Sud ; d’autres accords sont en cours de négociation. Ces accords de nouvelle génération ont pris leur essor depuis l’arrêt des négociations du cycle de Doha à l’OMC. Leur but est de réduire les barrières tarifaires pour favoriser les échanges commerciaux, et pour cause : l’OCDE estime qu’une augmentation de 10 % du volume des échanges se traduit par une hausse de 4% du niveau de vie. En outre, ces accords portent non seulement sur les droits de douane, mais aussi sur les barrières non tarifaires. Ils englobent les secteurs économiques traditionnels mais aussi les services, les marchés publics ou encore la propriété intellectuelle. Ils visent à l’harmonisation des normes sanitaires, sociales, techniques, environnementales.

L’autre solution consiste à organiser les échanges commerciaux dans le cadre de règles communes acceptées par tous les États. Nous disposons pour cela d’un outil multilatéral essentiel : l’Organisation mondiale du commerce, dont le rôle pourtant précieux est souvent mis en cause. Son activité depuis sa création en 1995 a permis d’accélérer la libéralisation des échanges tout en formalisant les règles commerciales internationales, ce qui a beaucoup profité aux États-Unis, à l’Europe mais aussi à la Chine depuis son accession en 2001 – un événement qui avait à l’époque été salué dans ce pays par un véritable enthousiasme populaire.

L’activité de l’OMC repose sur trois piliers : négociation, surveillance et arbitrage. La fonction de négociation, d’abord : je l’ai dit, les négociations commerciales ont tendance à prendre une forme bilatérale plus que multilatérale, et les procédures de négociation à l’OMC sont lourdes et complexes, le principe du consensus étant parfois source de blocage.

Il faut ensuite moderniser la fonction de surveillance, qui consiste pour les 164 États Membres à notifier l’OMC des mesures de protection commerciale qu’ils prennent afin d’assurer la transparence des règles commerciales nationales et du contexte général des échanges. Cette fonction a été très utile pendant la crise financière notamment, mais elle doit être renforcée, car les notifications sont souvent tardives voire lacunaires, ce qui peut se traduire par une distorsion de concurrence entre États. C’est particulièrement vrai dans le domaine des subventions et aides directes aux entreprises : certains secteurs industriels européens – je pense au photovoltaïque, à la robotique – subissent de plein fouet la concurrence d’entreprises chinoises fortement subventionnées. Les procédures de notification et de règlement des différends sont trop longues et ne correspondent plus au rythme de l’économie et de l’innovation.

L’arbitrage, enfin : des trois fonctions de l’OMC, c’est sans aucun doute la plus performante car l’Organe de règlement des différends donne incontestablement des résultats. Le problème tient plutôt aux délais de traitement des plaintes par l’organe d’appel, dont les moyens sont nettement insuffisants et qui subit souvent des pressions politiques, des États-Unis ou d’autres pays. Il faut moderniser cette instance et lui redonner tout son poids, faute de quoi les différends s’enliseront ou seront réglés autrement que par un mécanisme équitable.

Plus généralement, nous prônons le retour à un dialogue multilatéral inclusif, notamment dans le cadre du G20 et de l’ONU. Sur ce plan, la Chine et la France poursuivent un objectif commun : assurer l’équilibre et l’équité du dialogue entre les États et promouvoir le multilatéralisme. Je ne doute pas que la Grande Commission France-Chine sera l’occasion de réaffirmer notre attachement commun à ces grands principes.

De ce point de vue, la Chine est naturellement un partenaire incontournable pour la France et pour l’Europe. Le volume de nos échanges, la multiplicité des liens commerciaux, économiques, culturels et autres qui nous unissent rendent notre partenariat indispensable. Il me semble important, cependant, d’affirmer que notre relation doit aussi être fondée sur le principe de la réciprocité. Les entreprises chinoises qui investissent en France déplorent parfois le caractère astreignant de la réglementation, mais les entreprises françaises qui s’implantent en Chine se heurtent elles aussi à des barrières tarifaires et non tarifaires qui induisent parfois une concurrence déloyale – je pense par exemple à l’obligation de créer une co-entreprise pour s’implanter, même si vous avez récemment assoupli les règles d’acquisition de sociétés cotées. D’autre part, je note que le bilan de nos échanges commerciaux est très défavorable à la France, et je le déplore. Il me semble important que nous consacrions une partie de nos échanges interparlementaires à envisager comment rééquilibrer ce volet important de notre relation mutuelle.

Ce principe de réciprocité est d’autant plus important que la Chine déploie une stratégie mondiale d’expansion économique dans le cadre du projet de « nouvelles routes de la soie ». Le groupe d’amitié France-Chine a eu l’occasion à plusieurs reprises de s’intéresser à ce projet très prometteur à bien des égards : il est en effet indispensable de favoriser la connectivité de nos marchés, d’améliorer les infrastructures de transport et de faciliter les échanges. Cependant, les projets engagés dans certains pays, en particulier asiatiques mais aussi africains, semblent indiquer que ces routes ne sont pas toujours à double sens. Encore une fois, nous plaidons en faveur d’une coopération commerciale et économique équilibrée qui ne se fasse pas au détriment des autres mais dans la poursuite d’un objectif commun de stabilité et de prospérité.

En ce sens, je suis convaincue que la France et la Chine partagent un même objectif de renforcement de la gouvernance multilatérale des relations économiques et commerciales entre les États selon des principes d’équité et de transparence. De ce point de vue, je suis heureuse que nous puissions avoir des échanges parlementaires francs et approfondis dans le cadre de la Grande Commission, car c’est ainsi que nous pourrons enrichir notre dialogue bilatéral et trouver un terrain d’entente sur de nombreux sujets, notamment sur une question essentielle à l’équilibre du monde depuis la nuit des temps, le commerce.

M. Chen Fuli, rapporteur de la délégation chinoise. Le multilatéralisme commercial et les défis qu’il rencontre sont au cœur de nos échanges bilatéraux, et je note que nous trouvons un consensus sur de nombreux points. Je me félicite que notre Grande Commission se saisisse de ce thème important.

Depuis 1945, l’économie mondiale s’inscrit dans un système de gouvernance dont les principaux piliers sont l’Organisation des Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce. Ce système porte ses fruits depuis plusieurs décennies et a grandement contribué au bien-être de la population du monde. Le phénomène de mondialisation économique ne fera que s’accentuer à mesure que les technologies et la connectivité se développent. Les chaînes de valeur et les chaînes d’approvisionnement mondiales sont de plus en plus interconnectées. Dans ce contexte, aucun pays de ne peut se mettre en retrait du marché international. C’est  pourquoi le président Xi Jinping a réaffirmé que la Chine ouvrira toujours sa porte au monde entier.

Des voix s’élèvent cependant pour contester la mondialisation et prôner l’unilatéralisme ; nous devons faire face à ce défi. Depuis un an, les États-Unis ont lancé une guerre commerciale en imposant des droits de douane élevés sur certains produits étrangers au titre de la section 201 de la loi sur le commerce de 1974, et sur certains produits chinois au titre de la section 301 de la même loi. Ce n’est pas la première fois que ce pays active ces dispositions depuis la fin du cycle d’Uruguay en 1994. Selon nous, la section 301 de la loi américaine de 1974 n’est qu’une forme déguisée de protectionnisme commercial contraire aux règles multilatérales et susceptible de produire des résultats indésirables. Elle accrédite l’idée selon laquelle c’est la loi du plus fort qui prévaut.

Au fond, depuis 1945, l’un des problèmes majeurs de l’économie mondiale tient au fait que chaque État entend imposer des droits de douane élevés pour favoriser sa production nationale. Or le GATT de 1994 encourage le commerce mondial ; les mesures unilatérales prises par les États-Unis, au contraire, constituent une régression et sont très néfastes pour le commerce international.

J’en viens au système commercial multilatéral et aux trois piliers de l’OMC qu’a évoqués Mme Genetet. Là encore, les États-Unis mettent à mal l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends de l’OMC et, du même coup, la fonction d’arbitrage de cette Organisation. Seuls trois des sept juges siégeant dans cet Organe sont encore en place et leur mandat arrivera à échéance l’an prochain. Il est essentiel de trouver une solution pour leur succession. Comme la France, la Chine est très attentive à cette question.

Les tenants du protectionnisme commercial arguent souvent de motifs de sécurité nationale mais ceux-ci ne sont qu’un prétexte exagéré. La section 201 de la loi américaine de 1974, par exemple, est invoquée pour viser la production chinoise et européenne de produits de l’acier. Or les règles de l’OMC interdisent d’utiliser de manière abusive des mesures de sécurité nationale pour limiter les échanges commerciaux et les circonscrivent à quelques domaines précis comme le nucléaire et les armes. Les États-Unis y ont inclus l’acier : ce protectionnisme commercial au nom de la sécurité nationale est abusif, selon nous. La Chine et l’Union européen ont déposé des plaintes à l’encontre des États-Unis à l’OMC. Ajoutons que les États-Unis ont adopté une nouvelle loi renforçant les restrictions à l’investissement.

Autre motif suscitant des obstacles au commerce : la protection des droits de propriété intellectuelle. Au dernier sommet de coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le président Xi Jinping a réaffirmé que la protection des droits de propriété intellectuelle vise à protéger l’innovation et non à dresser des barrières et creuser les écarts technologiques. L’accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) fixe les règles commerciales régissant les droits de propriété intellectuelle et le cadre du transfert de propriété. Les pays les plus avancés doivent accepter le transfert de certaines de leurs technologies en faveur des pays les moins avancés. La protection de la propriété intellectuelle a pris naissance en France. Elle sert non seulement à protéger l’innovation mais aussi à en transmettre les fruits et à diffuser les savoirs afin de contribuer au bien-être de tous. Plusieurs articles de l’accord ADPIC portent précisément sur la transmission du savoir et les transferts de technologies. L’interdiction de la transmission des produits de l’innovation ne pourrait que nuire au commerce mondial. 

Face à ces défis que rencontre le commerce international, quelle position devons-nous adopter ? En premier lieu, nous devons nous opposer au protectionnisme et défendre le système commercial multilatéral fondé sur les règles de l’OMC. Établies en 1995, certaines de ces règles doivent évoluer et s’adapter aux circonstances. La Chine propose que la réforme de l’OMC respecte trois principes : le libre-échange non discriminatoire, le développement et le consensus. Nous avons formulé cinq propositions qui visent en particulier à défendre les fonctions centrales de l’OMC, à résoudre les problèmes relatifs au mécanisme d’arbitrage et à faire évoluer les règles en vigueur au fil du temps.

La Chine souligne notamment la voie qu’elle a empruntée en faveur de la réforme et de l’ouverture. Nous souhaitons que d’autres pays puissent emprunter ce même train de développement rapide et bénéficier des effets de la croissance chinoise. Le président Xi Jinping a formulé cinq idées pour élargir le processus de réforme et d’ouverture. La première consiste à stimuler la demande intérieure et les importations : depuis le début de l’année, la Chine a procédé à la réduction des droits de douane frappant 15 500 produits au point que la moyenne appliquée des droits de douane s’élève désormais à 7,5 %, soit un taux nettement inférieur aux engagements que nous avions pris lors de notre accession à l’OMC en 2001 et aux taux pratiqués par de nombreux autres États membres de cette Organisation.

La Chine a organisé à Shanghai le premier Salon international des importations pour renforcer davantage son ouverture et soutenir le libre-échange. Il a produit des résultats tangibles : 3 600 exposants venus de 162 pays y ont participé, et 400 000 contrats ont été signés pour un montant de plus de 500 milliards de dollars. Nous avons l’intention de faire de ce Salon un événement annuel.

Dans quinze ans, le montant total des importations chinoises de marchandises atteindra 30 000 milliards de dollars, et celui des importations de services atteindra 10 000 milliards de dollars. Avec 1,4 milliard d’habitants, la Chine est un marché considérable où le niveau de vie moyen augmente régulièrement. C’est une occasion de développement majeure pour le commerce mondial. La Chine représente 30 % de la croissance économique mondiale. Nous devons continuer de promouvoir le développement conjoint de la Chine et du reste du monde.

M. Xi Jinping a également évoqué l’élargissement de l’accès aux marchés. En juin, la Chine a dévoilé une nouvelle liste négative d’investissements étrangers : des ouvertures importantes ont été consenties dans le secteur des services et dans le secteur manufacturier. Par ailleurs, les zones de libre-échange expérimentales créées en Chine produiront des résultats concrets. Le Conseil des affaires d’État a récemment publié de nouvelles directives les concernant. Je suis convaincu qu’elles permettront également d’élargir et de faciliter l’accès au marché chinois.

Troisième initiative : le projet « Une ceinture une route » de nouvelles routes de la soie, conçu en 2013, s’est mué depuis en actions concrètes. La Chine a renforcé ses liens commerciaux avec les pays participants, dans lesquels elle a consenti plus de 70 milliards de dollars d’investissements. La Chine et l’Europe sont désormais reliées par plus de 10 000 trains de marchandises. Cette initiative vise à bâtir une plateforme de coopération internationale s’inscrivant dans le cadre de la gouvernance mondiale.

La Chine attache depuis longtemps une grande importance à ses échanges commerciaux avec la France, qui se sont multipliés à l’initiative de nos chefs d’État respectifs – lesquels ont une position commune en faveur du multilatéralisme et du libre-échange. C’est pourquoi nous souhaitons renforcer nos liens avec nos collègues français et mettre nos efforts en commun au service d’une cause partagée, y compris dans les enceintes multilatérales comme le G20, l’OMC et l’ONU.

À cet égard, permettez-moi d’aborder plusieurs points concrets sur lesquels nos collègues français pourront sans doute peser. La Chine et l’Union européenne négocient actuellement un accord d’investissement visant à établir le cadre juridique régissant les investissements croisés. C’est une condition importante de l’accès aux marchés. Nous espérons que la France, qui est un membre important de l’Union européenne, jouera un rôle constructif et positif afin d’accélérer la négociation. Il en va de même pour la négociation sur les indications géographiques, notamment dans le secteur agro-alimentaire, dont nous souhaitons promouvoir le commerce dans de meilleures conditions. Autre question qui concerne notre relation commerciale : les mesures correctives commerciales. De même, nous espérons que la France fondera sa participation à la mise au point de nouveaux contrôles de sécurité des investissements sur des données probantes, car il ne faut pas généraliser la question de la sécurité à tous les investissements au risque de nuire au flux normal des capitaux, qu’il convient au contraire d’encourager.

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Je remercie nos deux rapporteurs pour leurs interventions. Pour ouvrir le débat, je donne la parole à M. Jacques Maire, député des Hauts-de-Seine et spécialiste des échanges et traités internationaux.

M. Jacques Maire. Vous avez dressé un paysage à la fois large et précis de la situation et j’aborderai les sujets commerciaux de manière aussi franche et ouverte en commençant par me féliciter que la Grande Commission ait inscrit ce sujet structurant à son ordre du jour. La France, l’Europe, bien sûr, et la Chine, première puissance commerciale mondiale, ont un rôle spécifique à jouer afin de proposer une alternative à la montée, jour après jour, des nationalismes et des protectionnismes qui mettent en danger le système mondial.

Je ne reviendrai pas sur l’importance des échanges commerciaux entre la France et la Chine : vous êtes notre huitième client et notre deuxième fournisseur, pour un volume d’affaires de 68 milliards d’euros. C’est considérable à l’échelle de l’économie française ! Cependant, les échanges commerciaux de la France avec la Chine sont la première source de notre déficit commercial. Nos relations commerciales soulèvent donc d’importantes questions concernant la compétitivité et les chaînes de valeur.

Autre sujet d’importance : la présence des entreprises françaises sur le territoire chinois et les difficultés qu’elles rencontrent parfois en matière de régulation : 1 100 entreprises françaises sont présentes en Chine, ce qui représente 570 000 emplois, essentiellement industriels. Je reviendrai également sur la notion d’investissement conjoint. Il y a beaucoup plus d’investissements français en Chine que d’investissements chinois en France. Les entreprises françaises investissent en Chine dans les secteurs stratégiques d’excellence en y déployant des technologies avancées : nucléaire avec l’EPR de Taishan, aéronautique avec Airbus.

Cela étant, nos échanges se développent dans un contexte de crise commerciale majeure qui se caractérise principalement par des actions unilatérales américaines fort visibles derrière lesquelles se cachent bien entendu des mesures d’intérêt stratégique et un protectionnisme mercantiliste pur et dur.

Pourtant, cette crise du multilatéralisme me semble également liée aux difficultés que nous rencontrons sur le marché chinois. Je reprendrai un exemple soulevé la semaine dernière en présence de votre représentant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : celui du secteur industriel de l’acier, à l’origine de nombreuses mesures au cours des derniers mois. La Chine a réalisé d’énormes investissements en capacité de production dans l’acier dans les années 2000, d’où une baisse rapide de la rentabilité dans ce secteur en Chine puis une augmentation du soutien de l’État sous forme de prêts à faible taux. In fine, cela a entraîné la dégradation de l’ensemble du marché de l’acier, ce qui explique sans doute en partie les décisions américaines dont la brutalité contribuera à aggraver cette déstabilisation. Cet exemple souligne parfaitement notre interdépendance : si nous soutenons tous nos industries de l’acier, les surcapacités vont augmenter et les pays les plus fragiles ne resteront pas sur le marché.

Mon deuxième exemple concerne les transferts de technologies et de propriété intellectuelle. Je l’aborde car M. Chen Fuli l’a évoqué : bien entendu, nous sommes favorables à l’innovation et nous souhaitons qu’elle se développe pour irriguer l’ensemble des acteurs économiques. Lorsque nous parlons de transferts forcés de technologies, nous ne dénonçons pas un transfert forcé de brevets, mais plutôt la multiplicité des règles d’accès au marché et des obligations, qui entraîne des transferts de fait : obligation de joint-venture, obligation de divulgation de codes sources pour respecter les standards locaux, autorisations de mise sur le marché et certifications exigeant la description des process de fabrication, absence de protection des secrets commerciaux en cas de contentieux. Je sais d’expérience que pour mettre sur le marché des services financiers un nouveau produit d’assurance, il faut attendre entre un et trois ans avant d’obtenir une autorisation. En s’abstenant de prendre une décision plus rapide, le superviseur chinois permet aux acteurs locaux de se saisir du dispositif innovant qui cesse dès lors de l’être puisque les concurrents ont refait leur retard. Ce sujet est bien connu des autorités chinoises, qui ont trouvé des solutions ponctuelles.

Face à ces constats, il faut éviter une montée des antagonismes et la multiplication des sanctions et construire un multilatéralisme rénové, lucide et plus juste, qui répondra aux nouveaux défis du climat, du numérique et de l’évolution technologique. À cet égard, la France et la Chine partagent le même intérêt et la même vision : c’est l’OMC qui doit être le creuset de cette refondation.

Quels sujets devrait-elle traiter en priorité ? En premier lieu, la question du statut de la Chine : est-elle un très grand pays riche avec beaucoup de pauvres ou un très grand pays pauvre avec énormément de riches ? Les deux définitions sont fondées. C’est parce que la première d’entre elles a été retenue au cours des dernières années que la situation est aujourd’hui critique. La Chine n’entre pas dans la catégorie des pays à économie de marché de la même façon que ses principaux concurrents.

En second lieu, quelle dynamique veut-on instaurer ? Nous partageons vos objectifs concernant l’organe de règlement des différends et la fin de l’utilisation abusive des enjeux stratégiques. Nous ne pourrons reconstruire l’OMC que si la complicité entre l’Union européenne et la Chine est très forte. Nous l’avons initié l’été dernier, lors du vingtième sommet entre l’Union européenne et la Chine. Le président Juncker poursuit cette dynamique. Dans ce domaine, l’Europe fonctionne bien et elle est très unie. Nous devons continuer à y travailler ensemble, mais également avec l’acteur qui est désormais source de blocage, les États-Unis, dans le cadre de l’OMC.

Enfin, nous devons également associer nos citoyens à cette ambition. Vous le savez, il est très difficile de faire la promotion du libre-échange et de la mondialisation auprès des opinions publiques européennes. Les classes moyennes françaises et européennes ont souffert du libre-échange ; il a remis en cause leur niveau de vie, alors que ces classes sont la base de toute société. En tant que parlementaires français, nous allons défendre l’exigence d’une politique commerciale plus citoyenne et plus équilibrée auprès de notre Gouvernement, y compris sur des sujets qui nous rassemblent, comme l’environnement et le climat. Notre capacité à défendre ensemble cette régulation commune dépend en grande partie de la volonté de la Chine de répondre à ces besoins d’évolution exprimés par la France et de nombreux partenaires. Mais je suis confiant ; la qualité de notre partenariat va nous permettre de relever ce défi commun ensemble !

M. Zhang Zhijun, chef de la délégation chinoise. Je souhaite ajouter quelques mots à propos de la surproduction d’acier et des surcapacités. La croissance de la capacité de production en Chine a suivi une trajectoire précise. La Chine a pris des mesures extrêmes pour renforcer ses capacités de production dans les années 1950, mais elles ont eu des conséquences négatives. Avec l’ouverture économique, nous avons changé d’approche. Dans les années 1980, notre production d’acier était insuffisante, et nous avons beaucoup investi pour l’améliorer. À l’époque, nous avons absorbé la surproduction d’acier des pays occidentaux à prix élevé et, avec notre main-d’œuvre peu onéreuse, et au prix d’une dégradation de l’environnement, nous avons produit des objets du quotidien à prix attractifs, que nous les avons exportés vers le monde entier, surtout vers les marchés des pays développés. Cela a eu des conséquences négatives sur notre économie et notre environnement.

Il va de soi que nous ne devons pas suivre un chemin de développement identique à celui des pays occidentaux ; nous devons trouver notre propre chemin. Nous sommes conscients que notre structure économique pose des problèmes. À la fin de l’année 2015, le gouvernement chinois recommandé la réduction des stocks et des capacités de production. Concrètement, la réduction de capacités cible particulièrement les secteurs en surproduction, dont l’acier fait partie. Le treizième plan quinquennal 2016-2020 fixe des objectifs de réduction de la production d’acier. Nous avons fait évoluer les capacités de production, et nous avons fixé pour objectif de réduire la production de 100 à 150 millions de tonnes. Ces mesures font partie de la réforme économique en cours.

Quels sont les résultats de cette réforme ? Nous avons réduit les capacités de production de 65 millions de tonnes en 2016 et de 55 millions en 2017. Nous avons donc réussi à réduire notre capacité de production d’acier de 120 millions de tonnes. Cette année, notre objectif est de réduire la production d’acier de 30 millions de tonnes. Nous avons donc d’ores et déjà atteint 80 % de notre objectif de réduction des surcapacités.

Or il faut être conscient que la Chine est un pays en voie de développement et que la réduction de notre surcapacité affecte la population et l’emploi. Notre gouvernement a tout mis en œuvre pour pallier les pertes qu’ont subies nos entreprises, nos travailleurs et leurs familles, de sorte que nous pouvons maintenir la stabilité sociale. C’est une tâche extrêmement difficile, mais nos objectifs sont clairs. La réduction des surcapacités s’inscrit dans le cadre de notre réforme de l’offre. Nous allons poursuivre cette réforme compte tenu des spécificités de la Chine, pays en voie de développement, et des grandes difficultés qu’elle rencontre en la matière. Si nous définissons des objectifs irréalistes de réduction des capacités que nous ne parvenons pas à atteindre, ou pire, que nous provoquons des désordres sociaux, cela aurait des impacts négatifs importants sur l’économie mondiale. C’est pourquoi j’espère que vous pourrez comprendre les efforts consentis par la Chine en ce sens et reconnaître les résultats que nous avons déjà obtenus.

J’en viens à la question des déficits commerciaux. Nos méthodes statistiques diffèrent : selon nos estimations, le commerce entre nos deux pays était équilibré à la fin de 2017 alors que selon la France, il existait un excédent commercial de 30 milliards en faveur de la Chine. Quoi qu’il en soit, la Chine ne recherche pas cet excédent, comme l’a très bien dit M. Chen Fuli. Nous avons organisé le Salon international des importations dans le but d’importer plus et de réduire notre excédent commercial. Selon les statistiques de notre ministère du commerce sur le commerce entre la Chine et la France, à la fin octobre, le montant total des exportations chinoises vers la France s’élève à 25,38 milliards de dollars et celui des importations à 25,58 milliards de dollars, soit un montant total de 50,9 milliards de dollars. Par rapport à l’année dernière, nos importations ont augmenté de 16,3 %, à un rythme plus élevé que celui de l’augmentation de nos exportations. Nos importations depuis la France ont augmenté de 18,3 %, et les exportations vers la France ont augmenté d’environ 16 %. Ces statistiques montrent que nous prenons des mesures pour équilibrer le commerce entre nos deux pays.

La meilleure approche pour pallier le déséquilibre commercial entre nos deux pays serait de chercher à multiplier nos intérêts communs. La France est compétitive dans de nombreux domaines. Les produits fabriqués en France sont très recherchés en Chine, et nous avons besoin de la fabrication française. Vous avez des atouts incontournables et de nombreux potentiels de coopération avec la Chine. J’espère que malgré la résurgence du protectionnisme commercial, nos deux pays pourront renforcer leur coopération de façon audacieuse et rééquilibrer nos échanges, de façon à contribuer au commerce international.

M. Chen Fuli, rapporteur de la délégation chinoise. Nos amis français doivent s’employer à mieux connaître la Chine, en particulier les efforts qu’elle déploie pour promouvoir l’État de droit. La nouvelle loi sur les investissements étrangers est sur le point d’être promulguée. Elle prévoit les modes d’investissements étrangers en Chine, et protège les intérêts des investisseurs étrangers. Aujourd’hui, tous les problèmes rencontrés par les investisseurs étrangers peuvent être résolus par des moyens juridiques. La Chine ne fait pas le tri entre les investissements et les investisseurs, comme le président Xi Jinping l’a répété à plusieurs reprises.

De la même façon, nous ne distinguons pas les origines des technologies concernées par les transferts. De moins en moins de contraintes pèsent sur les coopérations et l’accueil des investissements étrangers. Néanmoins, nous avons conservé l’exigence de joint-ventures. Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, la Chine a toujours respecté ses engagements auprès de cette Organisation mais nous savons évoluer avec le temps et avons agi de façon proactive pour assouplir les exigences en matière d’investissements étrangers. Les joint-ventures restent un outil pour accueillir les investissements étrangers. Les mêmes outils existent en France et aux États-Unis, et il y a des mesures spécifiques selon les industries. L’accord bilatéral entre la Chine et l’Union européenne comprend une liste d’exigences. L’obligation de créer une joint-venture ne signifie pas que la Chine n’est pas assez souple. Nous continuons d’œuvrer pour ouvrir davantage notre marché.

Quant au statut d’économie de marché, je rappelle l’article 15 du protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC selon lequel au terme d’un certain délai, tous les membres de l’OMC devaient éliminer les mesures contraignantes à l’égard de la Chine. Ce délai est écoulé, mais les articles discriminatoires anti-dumping contre la Chine sont toujours en vigueur. Certes, la Chine n’est plus considérée comme un pays en voie de devenir une économie de marché, mais pour les pays qui maintiennent des mesures discriminatoires à son égard, l’économie de marché de la Chine se caractérise par des distorsions. Selon les rapports de l’Union européenne sur la Chine, les entreprises européennes peuvent poursuivre la Chine en justice pour concurrence déloyale. De mon point de vue, cette position ne respecte ni l’accord multilatéral ni les obligations mutuelles. J’espère vivement que nous pourrons renforcer le dialogue et les échanges pour dissiper nos différends et poursuivre notre coopération.

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Ces échanges sont extrêmement fructueux, et je me réjouis de pouvoir échanger en toute amitié mais aussi en toute franchise. Nous partageons aujourd’hui la même vision de ce que doit être la réglementation des échanges mondiaux, la liberté d’investissement de part et d’autre, le multilatéralisme. Vous avez évoqué l’agriculture et la sécurité alimentaire, autant de points sur lesquels nous sommes d’accord.

Nous partageons également la méthode de résolution des problèmes : considérer les progrès et les points positifs. Il reste des efforts à consentir pour la réciprocité. En effet, l’histoire, les différences de culture et les écarts de niveau de développement expliquent la persistance de fossés qu’il nous faut combler. De ce point de vue, le travail des parlementaires est extrêmement important et n’entre pas en conflit avec celui de nos gouvernements ; dans le cadre des accords signés entre la France et la Chine, nous pourrons jouer un rôle d’accélérateur pour atteindre nos objectifs.

La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures.

III. La coopération décentralisée entre la France et la Chine

Rapporteurs : Mme Liliana Tanguy (France), M. Liu Zhengkui (Chine)

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Le groupe d’amitié France-Chine conduit régulièrement des travaux sur la question de la coopération décentralisée entre nos deux pays. Je suis convaincu, en effet, que le Parlement peut être un acteur-clé au carrefour d’une stratégie nationale de coopération et des partenariats développés au niveau local, comme en témoigne la présence aujourd’hui de nombreux députés élus de circonscriptions dans lesquelles des partenariats et des jumelages ont été conclus avec des collectivités chinoises, et je me réjouis que nous puissions dresser un état des lieux de ce pan de notre relation et tracer des perspectives de développement ensemble.

M. Liu Zhengkui, rapporteur de la délégation chinoise. La coopération décentralisée est un volet essentiel du partenariat stratégique global entre la France et la Chine et de nos échanges humains. Les gouvernements de nos deux pays y sont très attachés. À ce jour, 96 jumelages ont été conclus entre collectivités françaises et chinoises, étant entendu que l’État central joue dans les deux pays un rôle important de promotion de la coopération décentralisée.

L’organisation en 2004 des années croisées France-Chine a été l’occasion de lancer les rencontres franco-chinoises de la coopération décentralisée. Depuis, cinq sessions ont été organisées, ainsi que deux rencontres intersessions. La tenue de ces assises a permis d’aborder des sujets importants : protection de l’environnement, économie durable, recherche et développement. Ce dialogue a nourri les échanges entre collectivités.

Les sixièmes assises de la coopération décentralisée franco-chinoise se tiendront à Toulouse du 11 au 13 décembre et déclinera en thème principal, l’innovation, dans le cadre de trois ateliers : le premier sera consacré au tourisme, le deuxième à la stratégie alimentaire comme vecteur de développement durable et le troisième aux villes durables. Je suis convaincu que ce forum permettra d’aboutir à un consensus sur de nombreux sujets d’importance pour le développement respectif de nos pays et qu’il se traduira par des résultats tangibles.

La coopération décentralisée dépend naturellement de l’impulsion donnée par les États mais s’appuie surtout sur les collectivités territoriales. La province agricole et industrielle que je représente, le Liaoning, a par exemple noué des partenariats avec la région Auvergne et le département de la Charente dans les secteurs de l’aéronautique et de la pharmacie, par exemple, mais aussi dans l’agro-alimentaire, le tourisme, les soins de santé et l’automobile. À l’occasion de la visite récente d’une délégation de responsables de la province du Liaoning en France, les constructeurs Renault et Brilliance Huachen ont signé un protocole de coopération stratégique. Le gouvernement de la province du Liaoning apportera son soutien à la recherche et au développement dans le secteur des véhicules propres.

La région Pays de la Loire, où nous nous rendrons demain, entretient quant à elle des liens étroits avec la province du Shandong, où investissent déjà cinq entreprises ligériennes. En outre, des liens de coopération active ont également été tissés dans les domaines de l’éducation, de la culture et du sport. D’autres partenariats ont été conclus au niveau local.

Les collectivités territoriales chinoises sont disposées à poursuivre leur coopération avec les collectivités françaises et j’espère que ces échanges se renforceront encore davantage de manière pragmatique, y compris grâce à la 9e session de la Grande Commission France-Chine qui, je l’espère, fournira l’appui politique et, le cas échéant, juridique nécessaire à la poursuite et à l’intensification de ces liens.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure de la délégation française. La coopération décentralisée est un pan essentiel de nos relations bilatérales et recèle un immense potentiel d’échanges dans de nombreux domaines – agriculture, industrie, culture, sport, environnement. De ce point de vue, elle contribue à faire vivre la relation multiforme qui existe entre nos deux pays et nos deux peuples.

 Elle est à l’intersection des deux facettes de notre mandat, l’une nationale et l’autre locale. Tout d’abord, en tant qu’élus nationaux, nous sommes bien placés pour inscrire la coopération décentralisée dans le cadre général des politiques publiques, en particulier celui de l’action extérieure. L’autre versant de la question est local : nous sommes des élus nationaux, certes, mais enracinés dans un territoire – la Bretagne, en ce qui me concerne – et c’est précisément au plus près des acteurs locaux que nous, députés, pouvons agir en faveur de la coopération décentralisée, car nous sommes à leur contact au quotidien. Je reviendrai sur le rôle que nous, députés, pouvons jouer pour promouvoir les partenariats décentralisés entre nos deux pays. 

Je voudrais cependant commencer mon intervention en insistant sur le caractère concret de cette coopération car, comme M. Liu, je suis persuadée que cette coopération doit être pragmatique. Avant d’être institutionnelle ou économique, la coopération entre nos collectivités locales est d’abord humaine parce qu’elle est animée par des acteurs locaux – chefs d’établissements scolaires, dirigeants associatifs, élus municipaux, chefs d’entreprises – et permet des échanges directs entre citoyens français et chinois. Par exemple, l’un des modes de coopération décentralisée les plus emblématiques et les plus prometteurs est celui des échanges scolaires : voyager en Chine lorsqu’on est un lycéen français et vice-versa, c’est ouvrir son regard sur le monde, apprendre à connaître une culture lointaine et, par cet apprentissage, porter un regard neuf sur soi-même. La coopération décentralisée permet avant tout de tisser des liens humains entre nos populations de sorte qu’elles se comprennent mieux, s’apprécient, se fréquentent. Nos liens de coopération n’ont de sens que si les gens apprennent à se connaître ; c’est ce que nous faisons aujourd’hui, avec la Grande Commission et toute l’année avec le groupe d’amitié, et c’est aussi ce à quoi servent les projets de coopération décentralisée entre nos deux pays.

La coopération décentralisée est aussi un outil institutionnel majeur du partenariat stratégique global entre la Chine et la France. Elle prend des formes juridiques variées : jumelages entre communes, départements ou régions, accords de partenariat entre établissements d’enseignement secondaire ou supérieur, accords de partenariat économique ou encore échanges associatifs. Cette souplesse permet de décliner de grands objectifs de coopération au plus près du terrain, selon les besoins et le potentiel de chaque territoire.

En France, la stratégie de coopération décentralisée est encadrée par la Commission nationale de la coopération décentralisée, dont le secrétariat est assuré par un département du ministère des affaires étrangères. Ce ministère soutient financièrement certains projets via un fonds de soutien à la coopération décentralisée qui fonctionne sur le modèle de l’appel à projets et qui cible en particulier les pays en développement et les pays moins avancés. Ce mécanisme permet d’orienter les projets de coopération en cohérence avec les priorités de l’action extérieure de la France et d’assurer le suivi de l’exécution des projets.

Cela étant, les collectivités disposent d’une grande marge de manœuvre pour conclure des partenariats de leur propre initiative, sans soutien extérieur. En tout, plus de 4 700  collectivités françaises mènent plus de 10 700 projets de coopération dans le monde entier, sur les cinq continents. En Chine, 58 collectivités sont engagées dans des partenariats, en majorité des communes, et 134 projets de coopération sont en cours.

Les communes concernées sont de toute taille : plusieurs « grandes » villes – j’emploie ce mot avec des guillemets car il n’a pas le même sens en France et en Chine : en France, une ville de 300 000 habitants est considérée comme « grande », alors qu’en Chine la population d’une grande ville se compte en millions, voire en dizaines de millions d’habitants. Quoi qu’il en soit, je disais que les jumelages entre villes concernent tout à la fois des grandes villes : le premier d’entre eux, dès le début des années 1980, a lié Montpellier à Chengdu, et d’autres villes ont suivi – Nice avec Xiamen, Rouen avec Tianjin, Nancy avec Kunming, Rennes avec Jinan, jusqu’au jumelage entre nos deux capitales, bien sûr, Paris et Pékin. Mais des communes plus petites se sont également lancées dans des jumelages actifs : c’est par exemple le cas de Briey (Lorraine, 5 000 habitants) avec Changzhi, dans la province du Shanxi, de Provins (Seine-et-Marne) avec la ville de Pingyao bien connue pour son festival de cinéma, ou encore de Saumur, que vous allez visiter demain, et dont le maire vous présentera le jumelage avec la ville de Penglai, dans la province du Shandong. Dans cette même province dont vous venez, monsieur le président Zhang, la ville de Zibo a conclu un jumelage avec La Roche-sur-Yon.

J’en viens aux rencontres institutionnelles qui permettent de fixer le cap et les objectifs de notre coopération décentralisée. Cette année, vous le savez, les 6e assises de la coopération décentralisée franco-chinoise auront lieu à Toulouse du 11 au 13 décembre. Toulouse est une ville que nos partenaires chinois apprécient et connaissent bien ; elle attire en effet les compétences et les investissements dans des secteurs technologiques de pointe, et elle est un bon exemple de la richesse des savoir-faire et du potentiel économique des territoires français.

Les principaux thèmes qui seront abordés lors de ces assises sont le tourisme, l’agriculture et l’environnement. Sur le tourisme, je dirai d’emblée ceci : nous devons, en Chine comme en France, nous adapter à l’évolution rapide des demandes des consommateurs. Nous sommes conscients, par exemple, qu’il nous reste beaucoup à faire pour améliorer l’accueil des touristes chinois en nous adaptant à leurs spécificités et en renforçant nos compétences interculturelles – d’où la nécessité de conclure des partenariats dans le domaine de la formation à l’hôtellerie et à la restauration, par exemple.

En matière d’agriculture, il me semble que notre coopération doit se développer sous deux angles : la sécurité et la qualité des produits alimentaires, et la protection des cultures et la valorisation des produits. La France comme la Chine ont connu des crises sanitaires et les exigences des populations en matière de sécurité de l’alimentation sont élevées et légitimes. De ce point de vue, la France a une expérience utile en matière de labellisation, de contrôle de qualité, d’information du consommateur, d’étiquetage ; je pense aussi à la production biologique. Dans tous ces domaines, les partenariats locaux sont précieux. Autre question à souligner : la valorisation des productions par un système d’appellations contrôlées et d’indications géographiques. La France possède un système performant en la matière, qui vous sera sans doute présenté lors de votre séjour dans le val de Loire.

L’environnement, enfin : les enjeux sont considérables. Nos deux pays se sont engagés côte à côte dans la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité. Les collectivités ont beaucoup à faire dans ce domaine. Je pense par exemple au partenariat entre Montpellier et Chengdu pour la protection des espèces menacées, à la coopération entre Bordeaux et Wuhan dans le domaine de l’assainissement et du traitement des déchets, ou encore au partenariat entre le département de l’Essonne et la ville de Wuhan pour la gestion différenciée des espaces verts en milieu urbain. Sur tous ces sujets, il faut assurer la complémentarité des grandes politiques publiques structurantes et des comportements et usages du quotidien ; la coopération décentralisée, encore une fois, est à l’intersection de ces deux domaines d’action.

Permettez-moi d’aborder le cas d’une région qui me tient à cœur, la Bretagne, qui coopère activement avec la province du Shandong. Les deux régions ne sont certes pas de même taille – la Bretagne compte environ 3,3 millions d’habitants, le Shandong près de 100 millions – mais elles sont plus proches qu’il n’y paraît : ce sont deux péninsules qui possèdent un fort potentiel agricole, maritime, industriel et touristique. Un protocole de coopération économique a été signé dès 1985. La région Bretagne a signé une convention avec une société de conseil qui la représente au Shandong et facilite les relations entre le conseil régional et les autorités provinciales, ainsi que les contacts entre partenaires potentiels (communes, universités, etc.). Plusieurs entreprises bretonnes sont implantées dans le Shandong, en particulier dans le secteur agroalimentaire. Surtout, un nouveau domaine de coopération est en plein essor : la gestion durable des ressources et de l’environnement. Avec son développement très rapide et sa densité de population, le Shandong connaît des problèmes de pollution et de pression sur l’environnement ; dans ce domaine, l’expérience de la Bretagne, qui concilie une agriculture intensive avec le tourisme vert et la préservation des écosystèmes littoraux, est très utile. La coopération se développe également dans la filière nautique, pour aider la filière chinoise à se structurer et à importer des équipements. Depuis l’organisation des épreuves nautiques des Jeux Olympiques de 2008 à Qingdao, plusieurs entreprises bretonnes sont présentes au Shandong et y commercialisent des produits liés au nautisme (compas, kayaks, planches à voile, etc.).

Autre domaine important de coopération décentralisée : l’éducation, la culture et la formation. Les partenariats entre établissements scolaires se multiplient partout en France. Le lycée Émile Zola de Rennes, par exemple, possède l’une des plus importantes sections de chinois de France et s’est engagé dans un partenariat actif avec l’école des langues étrangères de Jinan : chaque année, des échanges très fructueux d’élèves et de professeurs ont lieu. En matière de formation, la Bretagne a conclu des partenariats dans le domaine de l’hôtellerie-restauration, qui intéresse beaucoup nos partenaires chinois, mais d’autres régions ont également conclu des accords dans ces secteurs.

Quant à moi, je plaide pour que nos partenariats s’intensifient dans le domaine du tourisme. Le groupe d’amitié a organisé cette année plusieurs tables rondes sur la coopération décentralisée et sur le tourisme. Ma région regorge de possibilités – thalassothérapie, tourisme vert, etc. – mais elle n’est pas la seule : je pense que les touristes chinois doivent explorer davantage la France que les grands sites connus (Paris, le Mont-Saint-Michel) et les collectivités ont toute leur place à prendre dans l’accompagnement de ce développement. À l’inverse, les touristes français en Chine sont nombreux mais rares sont ceux qui sortent des sentiers battus ; or, il y a en Chine une multitude de territoires encore peu visités qui ont pourtant beaucoup à offrir – je pense bien sûr à la province du Shandong, mais aussi à celle du Liaoning, monsieur Liu.

Je conclurai en disant un mot du rôle que nous, députés, pouvons jouer en faveur de la coopération décentralisée. Je suis convaincue que les députés peuvent être tout à la fois une force de proposition et une interface entre acteurs locaux français et chinois, pour promouvoir la coopération décentralisée entre nos deux pays.

Je crois surtout, comme l’ont montré les travaux du groupe d’amitié tout au long de l’année sur ces sujets, qu’il faut améliorer la cohérence et la convergence des initiatives de coopération qui viennent des institutions (y compris les collectivités) mais aussi des entreprises et des associations. Nous gagnerions à définir une véritable stratégie commune de partenariats décentralisés qui permettrait aux collectivités intéressées de s’inscrire dans un cadre structuré de coopération. Il reste en outre, de part et d’autre, des barrières réglementaires qui freinent les accords entre nos deux pays. Nous l’avons vu tout à l’heure sur le premier thème : la transparence et la réciprocité doivent être à la base de nos liens de coopération. De ce point de vue, les députés ont un rôle essentiel.

De plus, je suis consciente que d’un côté comme de l’autre, nous ne maîtrisons pas toujours les codes culturels qui permettent d’établir rapidement une relation partenariale confiante et durable. Les réunions comme celle-ci y contribuent, mais c’est un travail de longue haleine. Nous en revenons à ce par quoi j’ai commencé mon propos : il n’y a pas de coopération fructueuse sans échanges humains, sans liens personnels. À cet égard j’espère, monsieur le président, que nos travaux et nos rencontres régulières pourront favoriser le développement du partenariat global et de la coopération décentralisée entre nos deux pays.

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Je retiens des rapports de nos deux collègues qu’il existe un fort potentiel de coopération décentralisée entre la France et la Chine, même s’il existe d’importants écarts en termes de culture, de gouvernance, de fonctionnement administratif. Je propose que nous ouvrions la discussion sur les projets en cours et à venir.

M. Liu Zhengkui, rapporteur de la délégation chinoise. Pour avoir siégé à l’Assemblée provinciale du Liaoning et avoir vu de près comment se nouent les partenariats décentralisés, je suis convaincu que la coopération décentralisée doit être concrète et tangible. Les collectivités doivent notamment se doter de services dédiés de conseil en matière de partenariats décentralisés afin d’aider les entreprises, les établissements d’enseignement et autres à bâtir des coopérations pragmatiques.

Ensuite, nous devons multiplier les plateformes de coopération sous la forme de séminaires, d’expositions, de visites croisées des services compétents, afin de tirer parti des possibilités de coopération.

Il appartient à la Grande Commission France-Chine d’apporter son appui politique et, si nécessaire, juridique à la coopération décentralisée. Mme Tanguy a évoqué la dimension humaine des échanges : elle est en effet indispensable au développement d’une coopération décentralisée durable et concrète.

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Je partage pleinement ce point de vue. Dans le 13e arrondissement de Paris, où je suis élu, nous avons conclu en 2009 un premier jumelage, puis un second en 2011. L’un et l’autre sont très fructueux et se traduisent par des échanges réguliers dans les domaines de la culture, de l’enseignement, de l’économie. Les deux parties en tirent avantages tangibles. Nous avons par exemple organisé en Chine une campagne de promotion de la culture française qui a permis d’y présenter des produits, des œuvres artistiques et des films français. Ce type d’échanges se fonde en effet sur des échanges humains et sur une volonté commune. Sans cette volonté de valoriser des sujets de discussion communs, les jumelages sont souvent voués à l’échec.

Avant de lancer un projet de jumelage, j’incite donc les responsables concernés à s’assurer qu’il existe des points de convergence entre les deux collectivités – existence d’un site touristique ou d’un secteur d’activité commun – et à vérifier que les acteurs locaux de part et d’autre sont disposés à s’impliquer pour que le partenariat produise des résultats tangibles.

Mme Anne Genetet. La mer est un domaine de coopération possible. La mer bretonne, par exemple, a des propriétés naturelles, halieutiques et paysagères différentes de la mer de Chine du Sud ; je comprends que Mme Tanguy et d’autres élus souhaitent développer des coopérations valorisant cet atout majeur.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure de la délégation française. L’eau, l’air et le climat du Finistère sont toniques, il est vrai. La ville de Douarnenez possède un centre de thalassothérapie auquel j’ai déjà conseillé de prendre attache avec les autorités chinoises compétentes pour développer un partenariat dans le domaine du tourisme de bien-être – qui pourrait intéresser certaines catégories de la population chinoise – en le combinant avec la visite des sites remarquables de la Bretagne. C’est en multipliant les contacts interpersonnels directs que l’on ouvrira de nouvelles possibilités de partenariat et que l’on créera une envie réciproque de découvrir la culture de l’autre.

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Quelle est, du côté chinois, la démarche administrative à suivre pour jumeler deux quartiers, villes ou régions ?

Mme Yu Jinsong, ministre-conseillère de l’Ambassade de Chine en France. Il convient dans un premier temps de développer des échanges culturels, économiques ou technologiques, par exemple puis signer une lettre d’intention. Puis le projet de partenariat ou de jumelage suit un parcours d’approbation par les autorités compétentes.  

M. Chen Fuli. Autre point essentiel : il est indispensable de faire connaître les atouts que nos collègues français ont évoqués – la thalassothérapie, le tourisme vert, etc. La hausse du niveau de vie de la population chinoise se traduit par une augmentation considérable du nombre de touristes chinois qui se rendent à l’étranger chaque année, notamment en Europe et singulièrement en France, destination très prisée. Il est vrai que les touristes chinois ciblent généralement leur séjour autour de quelques sites connus, en particulier à Paris. Les séjours plus spécifiques comme la thalassothérapie sont beaucoup moins bien connus. Il faut communiquer davantage sur ces produits.

En matière de tourisme, une ville ou une région doit bâtir sa marque, son image. Il y a dix ans, une enquête a été conduite pour déterminer quelles étaient les destinations préférées des touristes chinois se rendant à l’étranger : les Maldives arrivaient alors en tête de ce classement, alors que la Chine ne disposait pas même d’une ambassade dans ce pays avec lequel elle assurait ses liens diplomatiques à partir de son poste au Sri Lanka. Cette enquête a ouvert de nouvelles perspectives de développement du tourisme chinois aux Maldives – en particulier dans la filière du voyage de noces – au point que les Chinois sont désormais le premier contingent de touristes dans ce pays. C’est ce qui a justifié peu après l’implantation d’une ambassade de Chine aux Maldives, qui restent une destination très appréciée.

Grâce au processus de réforme et d’ouverture, la classe moyenne chinoise compte environ 300 millions de personnes, soit davantage que toute la population américaine. Autrefois, les touristes chinois restaient en Chine pour visiter les grands sites du patrimoine national ; petit à petit, ils ont commencé de se rendre à l’étranger, d’abord à Singapour, en Malaisie et en Thaïlande, puis en Corée et au Japon. Aujourd’hui, les touristes chinois ne se contentent plus de visiter les pays de notre voisinage asiatique mais se rendent également en Océanie, en Europe et en Amérique du Nord. Cette année, les touristes chinois auront effectué plus de 130 millions de voyages à l’étranger. Toutefois, le nombre de ceux d’entre eux qui se rendent en France me semble encore insuffisant. À environ 2 millions, ce nombre a retrouvé son niveau d’avant la vague d’attentats de 2015, mais il est encore bien en-deçà de ce que le potentiel touristique de la France peut offrir. C’est pourquoi j’insiste : il faut communiquer davantage pour mieux valoriser les atouts de la France auprès du public chinois. Les Chinois ne peuvent pas encore placer la Bretagne sur la carte et, a fortiori, ignorent tout des vertus thérapeutiques de sa mer.

Inversement, en Chine, outre Pékin qui est une porte d’entrée naturelle, Xi’an est l’une des villes les plus visitées depuis l’exhumation dans les années 1970 des soldats de terre cuite qui entourent la tombe du premier empereur chinois, Qin Shi Huangdi. L’aménagement du site s’est traduit par un très fort développement du tourisme dans la ville et dans la province. Il faut présenter une marque précise et identifiable. C’est ainsi que les touristes chinois identifient les Maldives à ses eaux turquoises et à ses lagons. Qu’évoque la Bretagne ? C’est sur l’élaboration de son image qu’il faut travailler, et la coopération décentralisée peut y contribuer.

La coopération décentralisée doit se faire au plus près du terrain et des populations locales dont il faut tenir compte des aspirations et les besoins. Le secteur de la santé, par exemple, gagne en importance à mesure que la population chinoise vieillit : plus de 17 % de la population ont plus de soixante ans, et plus de 11 % ont plus de soixante-cinq ans, et cette tendance s’accélère. En 2050, un quart de la population chinoise aura plus de soixante ans.  Il faudra prendre soin de ces personnes afin qu’elles vieillissent en bonne santé. Or la Chine n’est pas encore équipée des ressources adéquates. Voilà un domaine très prometteur et mutuellement bénéfique de coopération décentralisée.

Nous avons également abordé la question des indications géographiques. L’Union européenne et la France, en particulier, se sont dotées d’un système très développé en la matière et attachent une grande importance à la protection de l’origine des produits. C’est l’un des aspects majeurs de nos négociations commerciales. Au terme de dix-neuf sessions de négociation depuis 2013, nous sommes parvenus à un consensus et avons échangé une liste de plus d’une centaine d’indications géographiques. Nous nous apprêtons à entamer une négociation sur les règles qui régissent ces indications. Ce sujet me paraît pouvoir nourrir la coopération décentralisée entre nos deux pays. Lors du Salon international des importations à Shanghai, l’Union européenne a organisé une exposition sur les indications géographiques.

D’autre part, les entreprises doivent être mieux informées des processus législatifs et des lois susceptibles de concerner leur activité. De ce point de vue, le législateur pourrait les éclairer, par exemple au moyen d’un manuel. Cela permettrait notamment de lever les éventuelles difficultés d’accès au marché d’une entreprise étrangère. Pour ce faire, il faut faire connaître les possibilités de recours juridique voire judiciaire. C’est aux parlementaires que nous sommes qu’il incombe entre autres de fournir ces informations aux entreprises afin qu’elles nouent plus aisément des partenariats bilatéraux. Il s’agit d’un domaine de coopération très pragmatique dans lequel nous avons à mon sens beaucoup à faire.

Mme Anne Genetet. En ce qui concerne l’économie du vieillissement, l’approche culturelle chinoise me semble pouvoir apporter beaucoup à la France. En Chine, en effet, le respect des anciens est profondément ancré dans la vie quotidienne, alors qu’il a disparu en France – j’en veux pour preuve le fait que le taux de personnes âgées qui décèdent non pas chez elles ou en famille mais à l’hôpital est très élevé. Là encore, il est important d’apprendre à se connaître mutuellement.

De même, la Grande Commission pourrait nous permettre d’apprendre à mieux connaître les règles et pratiques en vigueur en matière législative, réglementaire et judiciaire. Plus on se connaît, mieux on se parle et plus on échange.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure de la délégation française. En France le vieillissement de la population est particulièrement prononcé dans certaines régions où les jeunes ne s’installent plus. C’est le cas de l’un des secteurs de ma circonscription où la prise en charge des personnes âgées pose problème. C’est un sujet sur lequel nous gagnerions en effet à échanger sous l’angle culturel. La France peut à l’inverse faire valoir son expérience de la prise en charge des personnes âgées hors du cadre familial.

De même, il faut en effet échanger sur le contexte réglementaire et juridique de nos deux pays. En France, l’agence Business France facilite le développement des entreprises en les éclairant sur les conditions de leur implantation et de leur activité à l’étranger. 

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. En France, l’économie du troisième âge est un marché français assez mûr quoique de taille modeste. Plusieurs entreprises telles qu’Orpea, Colisée Management et d’autres se spécialisent dans la gestion des maisons de retraite et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et souhaitent se développer en Chine où elles sont implantées. C’est en effet l’un des domaines de la coopération décentralisée qui recèle un vaste potentiel.

Il me semble souhaitable, en effet, d’établir un mécanisme permettant d’améliorer notre connaissance mutuelle de nos systèmes juridiques, législatifs et réglementaires, mais aussi de nos pratiques commerciales, afin de combler les différences culturelles qui suscitent parfois des incompréhensions. Mme Genetet l’a très bien dit : plus nous nous connaîtrons et mieux nous préviendrons les éventuels différends.

Ce mécanisme pourrait par exemple prendre la forme d’un groupe de travail chargé de suivre les questions que nous avons évoquées aujourd’hui, afin que nous puissions nous retrouver l’an prochain à Pékin avec des résultats concrets.

IV. Clôture

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Le moment est venu de clore les travaux de la 9e session de la Grande Commission France-Chine. M. le président Zhang, vous avez la parole.

M. Zhang Zhijun, chef de la délégation chinoise. Au terme d’une journée de travaux francs et approfondis qui nous ont permis de mieux nous connaître, je constate que nous avons beaucoup appris mais qu’il existe encore des lacunes à combler. Il arrive que nous ne connaissions certains phénomènes qu’en surface sans en connaître les causes profondes. Notre Grande Commission permet néanmoins d’affiner notre connaissance de l’autre et, ce faisant, de multiplier les sujets de discussion.

Je partage tout à fait votre proposition, monsieur le président Tan, d’assurer le suivi de nos discussions en vue de la prochaine session de la Grande Commission et d’envisager comment approfondir nos échanges à l’avenir.

Je conclurai par un message et trois recommandations.

L’Assemblée populaire nationale de Chine attache une grande importance à son mécanisme de coopération avec l’Assemblée nationale française. De ce point de vue, la Grande Commission joue un rôle essentiel depuis sa création il y a près d’une décennie. Nous avons de notre côté décidé de confier la présidence de sa partie chinoise à M. Chen Zhu, vice-président du comité permanent de l’APN. Outre ses responsabilités politiques importantes, M. Chen est également un scientifique de renom et siège à l’Académie des sciences chinoise. Enfin, c’est un excellent connaisseur de la France puisqu’il est diplômé de l’Université de Paris-7. En 2005, il a été élu à l’Académie des sciences française. Je vous adresse ses sincères salutations. Me Chen sera heureux de vous recevoir l’an prochain à Pékin. 

J’en viens à mes recommandations pour élargir et approfondir notre coopération dans le cadre de la Grande Commission.

En premier lieu, nous devons consolider le socle politique sur lequel sont fondées nos relations bilatérales. La confiance politique est essentielle. Nous entretenons des relations privilégiées avec la France, premier pays occidental à avoir reconnu la jeune République populaire de Chine. Les présidents Mao et de Gaulle nourrissaient une vision globale à long terme et, dans leur sillage, nous entretenons aujourd’hui encore des relations confiantes. Lors de leur rencontre en Chine, les présidents Xi et Macron ont ouvert un nouveau chapitre de nos liens. Les assemblées législatives de nos deux pays auront un rôle moteur dans la mise en œuvre de ces engagements. Nous devons joindre nos efforts pour promouvoir une coopération bilatérale pragmatique et apporter notre soutien politique et juridique aux acteurs qui lui donnent corps. Nous devons aussi approfondir notre dialogue sur les grandes questions régionales et internationales. La France et la Chine sont très différentes sur le plan politique et culturel. Nous avons naturellement des divergences sur certains sujets ; c’est bien normal. L’essentiel est que nous poursuivions et intensifiions nos échanges politiques interparlementaires dans le respect de nos différences et en recherchant les points d’intérêt commun.

La Grande Commission doit également nous permettre de renforcer les échanges directs sur le fond entre nos deux assemblées. Cette année, la Chine célèbre le quarantième anniversaire de la politique de réforme et d’ouverture. Ces quatre décennies ont radicalement changé le visage de la Chine, qui s’est notamment employée à bâtir un État de droit sur fond de bouleversements historiques. En août, la Chine avait adopté 267 lois, 756 décrets et plus de 12 000 circulaires. Nous avons édifié un système juridique aux caractéristiques chinoises reposant sur un texte fondamental, la Constitution, et nous ne cessons de le perfectionner. L’APN est chargée d’améliorer le processus de gouvernance pour répondre aux attentes de la population et relever les défis de l’époque. La France possède elle aussi un système juridique complet. Ses bonnes pratiques en matière de protection de l’environnement, de soins de santé, de protection du patrimoine culturel, de développement des énergies renouvelables, de protection des droits de propriété intellectuelle font référence et nous souhaitons nous en inspirer à mesure que la Chine s’intègre au monde. De notre côté, nous souhaitons vous présenter les pratiques législatives chinoises et les priorités de l’Assemblée populaire nationale.

Enfin, je souhaite que nous renforcions notre coopération pragmatique et concrète. Le mois de novembre a été riche en événements importants : du 5 au 10 s’est tenu le premier Salon international des importations à Shanghai auquel étaient notamment représentées sept régions françaises. La viande bovine française est enfin revenue sur les tables chinoises, et la France et la Chine ont signé un accord de coopération agricole. Le 11 novembre, fête des célibataires en Chine, les transactions effectuées sur le site de commerce en ligne Alibaba ont dépassé 30 milliards de dollars. Or Alibaba souhaite commercialiser davantage de produits français en Chine. Le même jour marquait le centenaire de la fin de la Première guerre mondiale. C’est à cette occasion que M. Ji Bingxuan, vice-président du comité permanent de l’APN, est venu à Paris commémorer la participation de Chinois au conflit. Le 19 novembre, les présidents Xi et Macron ont échangé des messages de félicitations à l’occasion du lancement de l’année franco-chinoise pour l’environnement. En clair, au mois de novembre, notre coopération a produit des résultats concrets dans de nombreux domaines. Les échanges que nous avons aujourd’hui ne sont que le prolongement d’une dynamique favorable.

L’APN, qui compte 2 968 députés, son comité permanent qui en compte 175 et l’ensemble de ses représentations locales entendent mettre leur expertise et leurs ressources au service de notre coopération bilatérale dans tous les domaines, de l’agriculture au commerce et au tourisme. Je forme le vœu que cette coopération porte ses fruits.

Comme l’a dit le président Macron, c’est parce que nous connaissons le prix de la guerre que la paix sera toujours notre priorité. La Première guerre mondiale a provoqué la destruction des pays européens et a également eu de fortes incidences sur la Chine. En 1920, un jeune Chinois originaire de la province du Sichuan s’est rendu en France pour étudier et travailler. Son séjour de six années l’a profondément marqué. Son nom : Deng Xiaoping. Or il y a quarante ans, Deng Xiaoping a lancé le grand projet de réforme et d’ouverture économique de la Chine, qui a bouleversé notre pays et le monde. Aujourd’hui, l’histoire est une nouvelle fois à la croisée des chemins. Poursuivrons-nous sur la voie du multilatéralisme ou allons-nous nous replier dans l’unilatéralisme ? Toutes les nations et tous leurs dirigeants font face à ce choix. Je suis convaincu que nos deux pays feront le bon choix. Le président Xi Jinping l’a dit : le protectionnisme revient à s’enfermer dans une chambre noire, loin de l’air et de la lumière. Bien des problèmes que nous connaissons ne sont pas liés à la mondialisation, un phénomène sur lequel nous ne pouvons pas revenir. De même, le commerce international a pris les dimensions d’une mer ; qui pourrait le réduire à celles d’un lac ? Le président Xi a également annoncé que la Chine approfondirait ses réformes et s’ouvrirait davantage au monde. Il a souligné la détermination de la Chine à protéger la paix, à promouvoir le développement du monde, à nouer de nouveaux partenariats et à soutenir le multilatéralisme. Elle est prête pour ce faire à avancer main dans la main avec d’autres pays, dont la France, et avec des organisations internationales, afin de forger une communauté de destin pour l’humanité.

En 2019, nous célébrerons le 55e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine et le 100e anniversaire du mouvement qui a permis à des étudiants chinois de séjourner en France. Nous sommes prêts, à cette occasion, à approfondir notre coopération concrète et pragmatique et à contribuer au renforcement de notre partenariat stratégique global.

Je vous remercie, monsieur le président Tan, pour votre engagement résolu en faveur de notre coopération bilatérale et pour votre implication dans nos liens interparlementaires. Les obstacles abondent et le chemin est long. Puisque la plupart de vos collègues de l’Assemblée nationale ne connaissent pas encore la Chine, je souhaite que nous changions rapidement cet état de fait. Je vous remercie encore une fois pour votre accueil et pour votre disponibilité. Soyez certain que nous vous accueillerons en Chine, l’an prochain, avec le même enthousiasme !

M. Buon Tan, président du groupe d’amitié. Je vous remercie, monsieur le président Zhang. J’ajouterai une date à celles que vous avez citées : le 9 novembre, nous avons pour la première fois honoré le souvenir des 140 000 travailleurs chinois qui ont pris part à l’effort de guerre entre 1914 et 1918.

En décembre se tiendront les assises de la coopération décentralisée. En janvier, nous célébrerons le 55e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine puis le Nouvel an lunaire à l’Assemblée nationale. La Chine, quant à elle, célèbrera en 2019 le 70e anniversaire de la République populaire. Nous espérons la visite du président XI en France puis celle du président Macron en Chine.

Je vous remercie tous, chers collègues français et chinois, pour la qualité de vos interventions et la franchise de nos échanges. À l’année prochaine !

La séance est levée à dix-sept heures.