Compte rendu de la 7e session de la Grande Commission France-Chine (Paris, 27 septembre 2016)

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Grande commission France–chine, septième session (Paris, 27 septembre 2016)

Ont participé à la septième session de la Grande Commission :

– Pour l’Assemblée nationale française : M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, coprésident de la Grande Commission France-Chine, M. Bruno Le Roux, président du groupe d’amitié France-Chine, président du groupe socialiste, écologiste et républicain de l’Assemblée nationale, MM. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, vice-président du groupe d’amitié France-Chine, Alain Rodet, vice-président du groupe d’amitié, Alain Bocquet, Guillaume Chevrollier, Michel Destot, William Dumas, Jean-Pierre Le Roch, Jean-Claude Perrez, Bernard Perrut, Sébastien Pietrasanta, Rudy Salles, Gabriel Serville, députés, Didier Eifermann, secrétaire administratif du groupe d’amitié France-Chine ;

– Pour l’Assemblée populaire nationale chinoise : M. Zhang Dejiang, président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, coprésident de la Grande Commission France-Chine, M. Wang Chen, vice-président et secrétaire général du Comité permanent, Mme Fu Ying, présidente de la commission des affaires étrangères, Son Exc. M. Zhai Jun, ambassadeur de Chine en France, M. Chi Wanchun, président du groupe d’amitié Chine-France, vice-président de la commission des affaires étrangères, membre du Comité permanent, M. Shen Chunyao, secrétaire général adjoint du Comité permanent, M. Chen Guomin, secrétaire général adjoint du Comité permanent, M. Yin Zhongqing, vice-président de la commission des finances et des affaires économiques, M. Zheng Gongcheng, membre de la commission de l’intérieur et de la justice, membre du Comité permanent, M. Lu Jianping, membre de la commission des affaires étrangères, M. Zhang Ming, vice-ministre des affaires étrangères, M. Guo Weiping, secrétaire du Président Zhang, M. Zuo Cunyou, conseiller, chef de la sécurité du Président Zhang, M. Xu Dong, directeur général du service des relations internationales de la commission des affaires étrangères. M. Liu Yan, directeur du bureau des échanges internationaux de la commission des affaires étrangères, Mme Yu Dongling, administratrice principale à la direction générale des services de la commission des affaires étrangères, M. Sun Jiahuan, assistant de M. Chi.

Ordre du jour de la septième session de la Grande Commission :

– la politique de lutte contre le terrorisme ;

– le statut d’économie de marché de la Chine ;

– quelle politique pour la jeunesse ?

La séance est ouverte à 15h15.

M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, coprésident de la Grande Commission France-Chine.C’est un honneur et un grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue dans cette salle de l’Assemblée nationale réservée aux réunions exceptionnelles des commissions parlementaires. De grands débats et auditions s’y sont tenus et ont été suivis par les Français. C’est en ce lieu, à votre place, Monsieur le Président, et à la mienne, que, le 8 juillet 2010, votre prédécesseur M. Wu Bangguo, et mon prédécesseur, Bernard Accoyer, ici présent, ont ouvert la première réunion de ce mécanisme d’échange régulier entre nos deux assemblées que nous appelons Grande Commission France-Chine.

Cette initiative, matérialisée dans un mémorandum signé en 2009 entre nos deux assemblées est un grand succès. Nous en sommes à la septième édition et malgré les alternances politiques et les changements de personnes elle n’a montré pas la moindre faiblesse ni le moindre contretemps. La signature de ce mémorandum a marqué la reprise des relations de haut niveau entre nos deux pays, montrant ainsi la capacité de la diplomatie parlementaire à faire avancer les relations entre nos deux États. Je remercie en l’occurrence les deux présidents de groupe d’amitié, MM. Chi Wanchun et Bruno Le Roux, pour leur ardeur à rapprocher nos deux peuples.

La régularité de nos échanges a permis d’établir des relations de confiance, donc un dialogue franc et amical sur des sujets sensibles et peu souvent débattus entre nos Gouvernements.

Notre mécanisme d’échange a permis d’aborder des questions très variées. La multiplicité de ces sujets traduit la diversité des centres d’intérêt commun et les échanges directs, francs et parfois passionnés qui ont eu lieu entre les députés français et chinois. Ils expriment la confiance sincère qui existe entre nous. Cette enceinte permet de dépasser nos différences. J’y vois un succès exemplaire pour l’action politique.

Ce succès est d’autant plus méritoire que les questions abordées depuis 2010 ont concerné les sujets les plus décisifs pour nos peuples. Nous avons ainsi abordé la santé, la protection sociale et l’assurance vieillesse ; l’environnement, le développement durable et, l’année dernière, la négociation sur le changement climatique ; la sécurité nucléaire et la coopération nucléaire ; les politiques culturelles ; le développement et la gestion des métropoles ; l’établissement de relations internationales pacifiques ; l’état des relations franco-chinoises 50 ans après le rétablissement de nos relations diplomatiques ; les mesures de soutien aux petites et moyennes entreprises.

En tant que législateur et représentants du peuple, il est de notre devoir de définir des politiques économiques, sociales, culturelles et environnementales, de donner des impulsions aux autorités ministérielles, aux responsables administratifs et économiques chargés de les mettre en œuvre et de contrôler leur exécution.

Je commencerai par saluer l’application et le courage de nos assemblées respectives qui ont ratifié l’accord de Paris sur le climat. La COP21, et le travail parlementaire de nos assemblées, ont montré qu’en matière environnementale, la volonté politique peut changer le monde.

Je me félicite que la coopération de haut niveau entre la France et la Chine se développe avec succès dans de multiples domaines. Les entreprises de nos deux pays sont parvenues à mettre en place des synergies industrielles de long terme bénéfiques pour nos deux pays. Je citerai les domaines de l’énergie nucléaire, de la production automobile et de la médecine hospitalière. Je saisis votre présence pour réitérer la volonté de la France de poursuivre cette dynamique, y compris en portant notre coopération sur des marchés étrangers comme dans le cas de la centrale nucléaire d’Hinkley Point en Angleterre.

Vous savez cependant que les parlementaires français s’inquiètent, à l’image de nos concitoyens, du lourd déficit commercial existant entre la France et la Chine et de la désindustrialisation qui a marqué ces dernières années notre pays. Je sais que nos Gouvernements et nos ambassades travaillent pour fluidifier les échanges entre nos deux pays. Il est de la responsabilité des entreprises françaises de fournir des biens et des services répondant aux besoins des consommateurs chinois et des collectivités chinoises. Aujourd’hui l’offre de la France part d’une analyse profonde de la demande de la population et des collectivités publiques chinoises. C’est ainsi que s’explique les succès ces dernières années de très grandes entreprises de service, dans des domaines aussi sensibles que les services au public ou la santé des personnes.

Nous devons cependant continuer à travailler pour lever certaines restrictions administratives empêchant les entreprises françaises de vendre leurs produits ou services en Chine. Nos volontés n’ont pas de limite, il suffit de travailler ensemble. Nous trouverons des solutions comme cela a pu être fait pour l’importation de la charcuterie française ou l’accueil des étudiants stagiaires en entreprise en Chine.

L’amitié franco-chinoise s’exerce au plus près de nos territoires, de nos populations, comme le montre l’immense travail accompli par nos collectivités locales dans le cadre de la coopération décentralisée. Je salue ici la prochaine tenue à Chengdu des 5èmes assises franco-chinoises de la coopération décentralisée qui s’ouvrent le 28 octobre.

Ne relâchons pas nos efforts. Notre coopération de haut niveau doit être entretenue ; nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. Je citerai un exemple lié à nos deux parlements et qui est important car il concerne nos jeunes et donc notre avenir commun : en 2001, à l’initiative de M. Chen Zhu, aujourd’hui vice-président de l’Assemblée populaire nationale, avec le soutien direct de Raymond Forni, alors président de l’Assemblée nationale, il a été mis en place un échange d’étudiants post-doctorant entre nos deux pays dans le domaine des sciences appliquées et de la médecine. C’est un immense succès et plus de 95 étudiants chinois sur 160 qui sont venus en France effectuer leur formation post-doctorante sont aujourd’hui des professeurs éminents ou vont le devenir prochainement. Or la Fondation franco-chinoise pour la science et ses applications constate que le nombre de candidats chinois diminue ces dernières années. L’offre de formation reste excellente, il faut poursuivre ces échanges. Nous devons, en tant que responsables politiques, relancer nos administrations pour maintenir ce haut niveau de coopération et ces échanges de scientifiques.

Le Vénitien Marco Polo, à la fin du XIIIe siècle, est revenu de Chine en éblouissant les regards des Européens. Il est souvent de culture commune que l’admiration passe avec le temps, avec l’approfondissement des connaissances. L’histoire de l’amitié entre les peuples français et chinois montre le contraire. Plus nous avançons dans l’Histoire, plus nous nous estimons ; plus nous construirons l’avenir ensemble, plus il nous sourira.

Nos députés débattront cet après-midi de sujets essentiels pour notre avenir commun : la lutte contre le terrorisme et la politique à mettre en place pour notre jeunesse. Les réponses à ces deux questions sont vitales pour nos deux pays. Je souhaite donc à nos parlementaires d’avoir des échanges fructueux et suis confiant dans la réussite de cette septième édition de la Grande Commission France-Chine.

Une nouvelle fois, chers amis, bienvenue, bienvenue en France.

M. Zhang Dejiang, président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, coprésident de la Grande Commission France-Chine. Je suis tout à fait d’accord avec le Président Claude Bartolone et c’est un réel plaisir pour moi de participer à la 7e session de la Grande Commission interparlementaire entre l’Assemblée populaire nationale et l’Assemblée nationale. Tout d’abord, j’exprime mes chaleureuses félicitations pour l’ouverture de cette session et je remercie sincèrement toutes celles et tous ceux qui ont travaillé inlassablement pour l’aboutissement de cet évènement.

La Chine et la France sont toutes deux de grandes Nations avec une longue histoire et des cultures splendides. Nos deux peuples s’attirent, se respectent et s’admirent. Notre coopération toujours innovante a connu de très beaux succès.

Premières à plusieurs titres, les relations sino-françaises sont aussi des relations entre la Chine et l’Occident. L’esprit que nous avons cultivé ensemble, à savoir l’indépendance, la compréhension, la clairvoyance, la décision, la coopération gagnant-gagnant, nous guidera vers un avenir encore plus radieux de notre relation bilatérale.

Ces dernières années, sous l’impulsion des dirigeants de nos deux pays, notre coopération et notre relation ont été rehaussées sur tous les plans. En 2014, lors de la visite d’État du Président Xi Jinping en France, les deux présidents ont décidé d’inaugurer une nouvelle ère du partenariat global stratégique sino-français étroit et solide. L’année dernière, les deux Chefs d’État et les deux Premiers ministres ont échangé des visites. Les mécanismes de dialogue entre nos deux États, à savoir le dialogue stratégique et le dialogue économique et financier de haut niveau mais aussi le dialogue de haut niveau sur les échanges humains, avancent en parallèle et la coopération s’approfondit dans tous les domaines.

Notre coopération gagne en profondeur dans les domaines traditionnels de l’énergie nucléaire et de l’aéronautique tandis que l’on constate une grande vitalité dans les secteurs émergents de la finance et du tourisme. Par ailleurs, nos partenariats progressent régulièrement et les échanges humains sont plein de vitalité. Dans les affaires internationales nous avons travaillé en étroite collaboration pour faire réussir la conférence de Paris sur le climat et le sommet du G20 à Hangzhou.

Au début du mois, dans le cadre du sommet du G20 à Hangzhou, nos deux présidents se sont rencontrés et ont dégagé de nouveaux consensus sur la promotion des relations sino-françaises. Une décision majeure est de favoriser au niveau parlementaire le consensus dégagé par les Chefs d’Etat pour promouvoir la conscience politique mutuelle et apporter une nouvelle contribution au développement des relations sino-françaises.

L’Assemblée populaire nationale et l’Assemblée nationale française occupent chacune une place importante dans la vie politique nationale. Notre coopération a permis d’enrichir la teneur des relations sino-françaises et de promouvoir la coopération mutuellement avantageuse entre nos deux pays.

Avec l’instauration d’un mécanisme d’échanges réguliers en 2009, un dialogue fréquent et régulier a été engagé entre nos deux parties. Pendant sept ans, à travers ce dispositif, les députés ont pu mieux se connaître, nouer des amitiés et ont été plus nombreux à s’engager dans l’amitié sino-française. Dans ce dispositif, les deux parties mènent des discussions approfondies et échangent des informations sur des thèmes aussi vastes que la transition économique, la protection de l’environnement, la gestion de la société et la sécurité nationale. Elles échangent leurs expériences en matière d’élaboration des politiques nationales, d’amélioration du cadre juridique et de promotion du développement industriel. A travers cette plate-forme, on essaie de trouver des solutions aux problèmes grâce à un dialogue sans tabou afin de promouvoir notre coopération.

Le bon fonctionnement de ce mécanisme permet d’approfondir et de faire fructifier davantage les échanges entre nos deux parlements. Cette fois-ci nous allons axer nos discussions sur la coopération économique et la politique pour la jeunesse. J’espère que vous traiterez ces sujets avec une grande franchise dans un esprit d’amitié et de coopération afin d’aboutir à de nouveaux résultats. A cette occasion, j’aimerais vous faire partager quelques réflexions personnelles sur le renforcement de la coopération parlementaire.

Premièrement, être défenseur de l’amitié sino-française. Nous devons préserver à tout prix l’amitié sino-française chèrement acquise et maintenir le cap de la coopération. En tant que législateur, nous devons toujours avoir à cœur l’intérêt général de la relation bilatérale et renforcer la coopération avec une vision stratégique, promouvoir une stratégie mutuelle, soutenir la voie de développement de l’autre, respecter les intérêts vitaux et les préoccupations majeures de l’autre. J’espère que vous pouvez user de votre influence, dépasser les éléments perturbateurs de notre coopération afin d’assurer un développement durable, sain et régulier des relations sino-françaises.

Deuxièmement, être promoteur de la coopération pragmatique sino-française. A l’heure actuelle la coopération entre la Chine et la France s’accélère pour accéder à un niveau supérieur, avec des champs toujours plus nombreux et des modalités plus diversifiées. En tant que parlementaires, nous devons perfectionner le cadre juridique dans les domaines de l’économie, du commerce, du financement, d’investissement et de la coopération sur des marchés tiers, étudier à temps les textes juridiques, engager des échanges réguliers, aider les entreprises à mieux connaître la réglementation de l’autre et fournir une garantie juridique pour notre coopération. Par ailleurs, il faut préserver l’autorité du système du commerce multilatéral, travailler auprès de l’Union européenne pour que celle-ci applique l’article 15 du protocole d’accession de la Chine à l’OMC en mettant fin à la méthode dite du pays analogue. Il s’agit là d’une obligation prévue par un instrument juridique international ; il faut le respecter strictement.

Aujourd’hui les liens s’intensifient entre nos deux pays dans les domaines économique et commercial et en matière d’échanges humains. La Chine est devenue le premier fournisseur de touristes et d’étudiants et est également le premier partenaire commercial de la France en Asie. En tant que représentants du peuple, notre souci le plus grand est de protéger les intérêts légitimes des ressortissants chinois à l’étranger ainsi que leur sécurité, et dans le même temps il faut avoir un environnement politique favorable, un cadre juridique bien clair pour assurer l’activité légale des investisseurs. Voilà un volet important de la coopération interparlementaire.

Troisièmement, être l’artisan et l’acteur de l’amitié sino-française. En 2014, avec le Président Claude Bartolone nous avons assisté ensemble à Pékin à une réception ouvrant la célébration des 50 ans de nos relations diplomatiques. Pendant toute l’année les deux parties ont organisé plus de 800 évènements en tous genres pour célébrer avec éclat le passé et inscrire de nouveaux chapitres dans nos relations d’amitié.

Les députés sont des personnalités très influentes et ont tout leur rôle à jouer dans la promotion de la compréhension mutuelle et l’approfondissement de l’amitié entre les peuples. J’espère que vous pouvez partager avec les Français et les Chinois votre perception de la coopération et de l’amitié sino-françaises pour mobiliser davantage de personnes en faveur de l’amitié sino-française. Par ailleurs, il faut former des amis de la Chine, des amis de la France au sein de nos populations, notamment parmi les jeunes. Il faut travailler pour que les médias de nos deux pays puissent présenter l’autre partie de manière impartiale, équitable, objective et cordiale afin de préparer une ambiance favorable à la coopération et l’amitié sino-françaises.

Aujourd’hui, en Chine, les Chinois travaillent à la réalisation du rêve chinois de grand renouveau de la nation chinoise. Le Président François Hollande parle également du réenchantement du rêve français. Comme le Président Xi Jinping l’a dit, le rêve chinois représente une opportunité pour la France et le rêve français l’est également pour la Chine. J’espère que nos deux pays et nos deux peuples, dans la quête de la réalisation de leurs rêves respectifs, pourront se témoigner compréhension et aide afin de réaliser ensemble le rêve franco-chinois. L’Assemblée populaire nationale est prête à travailler avec l’Assemblée nationale pour œuvrer inlassablement à la réalisation de cet objectif.

Je vous souhaite une excellente septième session de la Grande commission interparlementaire France-Chine.

M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, coprésident de la Grande Commission France-Chine.Chers collègues, chers amis, vous allez maintenant poursuivre vos travaux sous l’autorité des deux présidents de groupe d’amitié. Je suis heureux que ce moment vienne compléter l’ensemble des manifestations qui se déroulent depuis deux jours à Paris, qui ont consisté en des rencontres avec les plus hautes autorités de l’Etat, le Président de la République, le Premier ministre, qui nous ont permis d’inaugurer le cœur de l’amitié entre la France et la Chine, à savoir la nouvelle ambassade de Chine, qui nous ont permis d’avoir des moments de convivialité autour de l’art culinaire français. J’espère que ce temps nouveau du travail en commun correspondra au vœu et à l’attente du Président Zhang Dejiang qui souhaite, comme moi-même, qu’au travers de ces réflexions et propositions, nous participions au renforcement de l’amitié entre la France et la Chine. Bon travail à chacune et chacun d’entre vous.

MM. les présidents quittent la salle des réunion.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. Nous avons trois thèmes de discussion, que je vous propose de mener en 30 à 45 minutes chacun avec une présentation par chacune des deux parties avant d’engager une discussion dynamique pour avoir de la vivacité dans nos débats. Avant de donner la parole à Sébastien Pietrasanta, je voudrais remercier mon homologue Chi Wanchun sur la façon dont nous avons réussi à nous mettre d’accord sur les thèmes de débat que me semblent mêler et l’actualité et la nécessité de l’échange.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. « La France est en guerre ». C’est par ces mots que le Président de la République, M. François Hollande, introduisit son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 16 novembre 2015. La France traverse une période qui restera à jamais endeuillée par une série d’attentats. Le nombre de victimes est le plus élevé sur notre sol depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

La France se bat contre une idéologie du chaos, « celle qui dévoie l’Islam pour propager la haine » et qui glorifie la mort. Cette idéologie est exécutée sur notre territoire par des individus radicalisés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes, dont la grande majorité ont grandi en France, ont fréquenté nos écoles, parfois y ont travaillé et qui se sont transformés en armes de destruction massive contre leurs propres concitoyens.

Mais qui sont ces ennemis de notre République ? Ce sont avant tout des jeunes Français, parfois très jeunes, et parmi eux un nombre non négligeable de convertis et de femmes. Ils viennent de tous les horizons : toutes les catégories sociales sont touchées, aucune région de France n’est épargnée. Cette islamisation radicale gangrène notre société, elle corrompt les plus fragiles d’entre nous pour les amener à commettre les crimes les plus abjects et les plus lâches ; aujourd’hui, nous baignons dans un contexte d’une exceptionnelle gravité, d’autant plus que la France détient le triste record de jeunes djihadistes partis en Syrie et en Irak. Au 15 septembre 2016, 2199 individus Français ou vivant en France étaient recensés pour leur implication dans les filières syro-irakiennes dont 682 présents sur zone.

Dans ce contexte, il a fallu organiser la riposte. Ce qui fut fait dès avril 2014, sous l’autorité du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’intérieur. Les dispositifs que nous avons mis en place représentent un effort important pour la Nation car ils sont consommateurs en moyens généraux, qu’ils soient financiers, techniques ou humains avec la création de 9 000 postes de policiers et de gendarmes sur le quinquennat. Nous avons notamment largement renforcé les effectifs de nos services de renseignement. C’était indispensable car la guerre contre le terrorisme sera longue et forcément éprouvante.

Comme l’a rappelé le Président de la République le 8 septembre dernier, « c’est avec nos lois, conformément à nos règles constitutionnelles, que nous traquons les djihadistes, démantelons les réseaux criminels, luttons contre la radicalisation et l’endoctrinement. » Quels sont ces dispositifs ?

L’état d'urgence a été proclamé, un plan anti-djihad (avec un numéro vert, des contre-discours,...) a été mis en place, trois lois anti-terroristes ont été votées dont la plus importante est celle du 13 novembre 2014, et enfin une loi sur le renseignement de juin 2015 défendue par Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et devenu depuis ministre de la justice.

S’agissant de l'état d'urgence, mis en œuvre immédiatement après les attentats de novembre 2015, il a été renouvelé trois fois depuis. Le dernier renouvellement date du 26 juillet 2016 à la suite de l’attentat au camion sur la promenade des Anglais à Nice et est prorogé jusqu’en janvier 2017.

Pour ma part, je considère que l’état d'urgence, qui mobilise un nombre important de nos forces de l’ordre, y compris l’armée qui a été déployée avec près de 10 000 hommes sur notre territoire, a été d’une grande utilité immédiatement après les attentats de novembre 2015. Il a permis des arrestations, le démantèlement de réseaux, l’assignation à résidence des personnes dangereuses et ainsi d’empêcher plusieurs attentats.

Nous avons également beaucoup légiféré en quatre ans et parmi les principales dispositions, je citerai le rétablissement de l’interdiction de sortie de territoire pour les mineurs, la création du délit d’entreprise terroriste individuelle, la création des délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme avec circonstance aggravante lorsque les faits sont commis sur Internet – nous avons incriminé la provocation au terrorisme qu’elle soit commise de façon publique ou de façon privée car cela permet de poursuivre les faits commis sur des forums Internet privés ou lors de prêches clandestins –, le blocage administratif des sites Internet de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme dans un délai de 24 heures, l’extension de la compétence des tribunaux – il n’est aujourd’hui plus possible d’échapper à la justice française dès lors que les faits connus ont été commis à l'étranger –, enfin le renforcement des moyens de nos services de renseignement. Nous avons également légiféré pour assurer une meilleure protection dans les transports en commun. Enfin, dans les prisons, nous avons créé des quartiers dédiés pour les terroristes islamistes pour éviter qu’ils puissent faire du prosélytisme auprès des autres détenus.

Mais la réponse sécuritaire n’est pas la seule que notre République doit apporter car nous sommes confrontés à un phénomène sociétal prégnant qui va bien au-delà du seul problème de sécurité. Nous nous sommes interrogés sur l’avenir de tous ces jeunes radicalisés dont certains sont revenus de zones de combat où l’ultra violence est érigée en art de vivre. Comment distinguer les authentiques repentis de ceux envoyés pour poursuivre leur djihad en France ? Cette distinction est d’autant plus difficile à faire que l’Etat islamique leur enjoint de pratiquer la taqiya, c’est-à-dire la dissimulation.

Que faut-il faire de ses jeunes radicalisés de retour d’une zone de conflit ? Pour ceux dont on est certain de leur implication dans des actes violents, la première réponse est celle évidemment de la prison. Pour les autres, toujours radicalisés et pour lesquels nous n’avons pas de preuves matérielles de leur passage à l’acte mais qui sont adeptes d’une croyance qui les exclut de notre société, qu’en fait-on ? Le Gouvernement a décidé de s’attaquer aux « racines du mal ». Modifier, neutraliser des idéologies, des comportements liés à des idéaux de lutte armée, mais aussi à des croyances religieuses dévoyées, est un processus nouveau en France et en Europe. Il a fallu innover en s’appuyant notamment sur des compétences pluridisciplinaires.

Si la prison est un passage obligé pour nombre d’entre eux, elle ne peut être la seule réponse et de toute façon, elle n’est pas suffisante. Par ailleurs compte tenu de la diversité des profils des individus, il n’est pas possible de proposer cette seule solution. Nous proposons depuis le printemps 2015 des programmes de « déradicalisation » aux personnes ayant basculé dans la radicalisation, qu’elles aient ou non commis des actes de terrorisme. Certains doivent être traités en milieu ouvert, d’autres dans un centre de déradicalisation tourné vers la réinsertion et la citoyenneté, et les plus dangereux, ceux que j’appelle dans mon rapport les « djihadistes purs et durs », leur place, je l’ai dit et redit, est en prison. Et c’est à la justice, seule compétente, que revient ce choix de décider du traitement le plus approprié : le milieu ouvert, le centre dédié ou la prison.

Ces programmes de déradicalisation ne consistent pas simplement en l’inversion de la radicalisation et ils n’ont pas pour objectif essentiel de soustraire des individus à leur éventuelle croyance religieuse. Ils doivent leur donner des perspectives pour leur avenir dont ils sont persuadés qu’elles n’existent pas, et les encourager ainsi à se réintégrer dans notre société. Pour d’autres, il s’agira aussi de les soigner tant leur déconnexion avec le monde réel est grande.

Pour en finir, j’aimerais vous faire part de ma conviction profonde que nous vaincrons notre ennemi que si nous acceptons de protéger la cohésion nationale. Nous ne devons pas nous diviser et l’Europe tout entière doit avancer à l’unisson.

Permettez-moi de conclure avec ses mots : le combat n’est pas terminé, il sera long, sans doute, mais il verra notre pays triompher car, ainsi que le rappelait fort justement le président de la République dans son discours du 16 novembre 2015, « la République française a surmonté bien d'autres épreuves » et « ceux qui ont entendu la défier ont toujours été les perdants de l'Histoire ».

M. Lu Jianping, rapporteur. Effectivement, nous avons le même sentiment. La Chine est également victime du terrorisme. Le terrorisme auquel nous sommes confrontés prend trois formes : le mouvement islamique du Turkestan oriental qui organise des activités terroristes menaçant nos frontières ; depuis l’Asie centrale, du Sud et du Sud-Est, des forces terroristes s’infiltrent aussi en Chine ; les activités terroristes internationales menaçant les ressortissants chinois à l’étranger et les actifs de l’Etat, et notamment le transport énergétique de la Chine.

Nous avons intégré la stratégie antiterroriste dans notre concept de sécurité nationale. Nous protégeons nos citoyens, cette stratégie s’appuyant sur la sécurité politique tout en garantissant la sécurité militaire, culturelle et sociétale. Dans le même temps nous avons besoin d’une sécurité internationale. Voilà notre premier ensemble de mesure.

Le deuxième ensemble de mesures tient en des propositions de nouvelles mesures antiterroristes. Notre Président Xi Jinping a sa propre vision sur ce sujet. Ainsi la tolérance zéro envers le terrorisme, le sécessionnisme et l’extrémisme a été mis en avant. C’est notre approche de base. Des mesures résolues ont été prises. Autre concept fondamental : le terrorisme n’est ni une question ethnique ni une question religieuse ; il est l’ennemi commun de tous les peuples. Chacun doit jouer son rôle dans la chasse aux terroristes dès leur apparition. Mais nous respectons la loi et les droits fondamentaux ; nous nous opposons à toute pratique discriminatoire reposant sur des considérations ethniques ou religieuses.

Nous sommes très proactifs. Nous prônons la prévention et un traitement efficace pour s’attaquer aux racines et aux manifestations du terrorisme. Nous coopérons en même temps avec la communauté internationale.

Le troisième groupe de mesures est le renforcement du cadre institutionnel national. En 2013, nous avons relevé le niveau du groupe national de coordination dans la lutte antiterroriste. Ce groupe est devenu un groupe de pilotage. En 2014, la commission nationale de sécurité a été créée. Dans les niveaux inférieurs locaux différents organes ont également été créés.

Une loi antiterroriste a été promulguée et est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Différentes autorités compétentes ont publié leur avis sur la lutte antiterroriste. Le Parquet populaire suprême, la Cour suprême populaire et le ministère de la sécurité publique ont publié des documents pour clarifier le cadre juridique s’appliquant à la lutte antiterroriste. Le ministère des transports a publié des mesures de protection des moyens de transport. La Banque populaire de Chine a aussi pris des mesures, notamment en exigeant que le vrai nom d’un titulaire de compte soit indiqué pour effectuer des opérations en ligne.

Des opérations ciblées et une mobilisation de la population en général ont également été décidées. Depuis mai 2014, le ministère de la sécurité publique mène des opérations ciblées de lutte contre le terrorisme. 181 tentatives d’attentats terroristes ont été déjouées ; 97 % des groupes terroristes ont été arrêtés à un stade précoce. La population a été sensibilisée et mobilisée grâce à des cadres qui ont été envoyés dans les foyers ruraux du Xinjiang et du Tibet. Des campagnes de déradicalisation sont également menées.

Nous avons aussi pris des mesures de renforcement de notre capacité de lutte. En février 2014, le président Xi a remis personnellement sont étendard à un commando national de lutte antiterroriste. Aujourd’hui il en existe plusieurs.

Par ailleurs, l’Université de la sécurité populaire de Chine a créé une discipline de lutte antiterroriste.

Les exercices de lutte ont été renforcés. Cette année, ils ont été menés dans 31 collectivités territoriales. Des provinces ont en plus mené des exercices interrégionaux et sectoriels.

En matière de coopération internationale, la Chine pense que la lutte contre le terrorisme doit être basée sur les lois internationales et les principes régissant les relations internationales. L’ONU et son Conseil de sécurité doivent jouer un rôle initiateur. En septembre dernier, le président Xi Jinping a annoncé à l’Assemblée générale des Nations Unies sa volonté de créer un fonds pour la paix et les relations avec l’ONU doté d’un milliard de dollars et fournir 8000 casques bleus.

La Chine a renforcé sa coopération avec ses voisins. En juin 2001, l’Organisation de coopération de Shanghai a été créée. Elle a porté ses fruits.

Le président Xi Jinping a adressé des messages de condoléances au président Français Hollande à la suite des attentats terroristes en France en employant les mots les plus sévères pour condamner ces actes abjects et exprimer son indignation. Nos deux pays ont des consensus dans la lutte antiterroriste. Des renseignements sont échangés. Nos deux Premiers ministres ont manifesté des consensus l’année dernière.

La Chine a aujourd’hui adhéré à dix conventions internationales de lutte antiterroriste et en a signé une. Elle est membre de nombreux mécanismes antiterroristes qui ont été efficaces mais nous sommes conscients du long chemin qui reste à parcourir. Nous sommes prêts à collaborer davantage avec la France. 

M. Chi Wanchun, président de la délégation chinoise. Ce sujet est très important. Je saisis l’occasion pour exprimer notre sentiment. Depuis l’an dernier, la France subit de nombreux attentats terroristes. Le peuple français souffre de pertes conséquentes. En tant qu’amis, nous ressentons cette peine. Le peuple chinois est contre toute forme de terrorisme et soutient tous les pays dans leur lutte antiterroriste.

La Chine est très préoccupée par les terroristes du Turkestan oriental. C’est notre première menace terroriste. Nous sommes ravis de voir que notre lutte a été comprise par la France et espérons que ce soutien perdurera.

Je vous invite à réfléchir en vous posant une question qui m’interpelle : pourquoi plus on lutte contre le terrorisme, plus il y en a. Cette lutte est devenue un sujet commun à toute l’humanité. Si toutes les régions et tous les pays ne sont pas confrontés au même degré de terrorisme, c’est néanmoins un problème commun. La communauté internationale doit étudier et analyser les causes du terrorisme et tirer des enseignements de l’histoire. C’est après avoir compris cela que l’on pourra éliminer radicalement le terrorisme à sa source.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. Nous avons tous été confrontés à des actes de terrorisme ces dernières décennies. Le phénomène nouveau est l’internationalisation du terrorisme, des liaisons qui n’existaient pas sont apparues. Nos pays avaient été touchés par le terrorisme pour des motifs politiques, territoriaux ou les deux à la fois. Aujourd’hui, il y a une forme nouvelle qui appelle une coopération nouvelle. On pouvait auparavant témoigner de solidarités mais bien souvent à côté de cette solidarité il y avait peu de perspective de coopération internationale. Aujourd’hui il y a une possibilité de jonction de nombreux mouvements terroristes qui peuvent se retrouver pour commettre en commun des actes de terrorisme revendiqués en même temps et semant le chaos dans la plus grande partie du monde démocratique. Cela doit appeler une analyse commune de notre part : comment en éradiquer les foyers et même si ces foyers sont loin, ils sont toujours tout prêt quand il y a une internationalisation du terrorisme. Ce qui se passe en Syrie et en Irak intéresse tout le monde démocratique.

Il y a aussi le partage des renseignements parce que tous les groupes terroristes, pour survivre, peuvent demain chercher à trouver une liaison, des points d’appui dans le terrorisme international. Il n’existe plus de mouvement terroriste que l’on puisse négliger. Cela demande, en plus de la solidarité, des échanges d’informations les plus poussés possible parce que tous les mouvements terroristes peuvent essayer de se trouver une base commune et que dans les prochaines années des ramifications peuvent s’opérer entre eux dont nous n’avons pas idée aujourd’hui ou que l’on pense impossibles. Notre vigilance doit donc être mondiale et pas seulement sur les zones touchées par le terrorisme.

Il n’y a pas de demande d’intervention, ce qui vaut acquiescement pour passer au sujet suivant. Je donne donc la parole à Alain Rodet sur la question du statut d’économie de marché de la Chine et donc de la négociation post accord OMC, puis ce sera au tour de M. Yin Zhongqing.

M. Alain Rodet, rapporteur. Le sujet dont nous débattons aujourd’hui découle du protocole d’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en novembre 2001. Ce protocole prévoit une période transitoire de quinze ans pendant laquelle les pays membres de l’OMC peuvent considérer la Chine comme « un pays entransition » et non comme une économie de marché. Cette décision été validée par l’Union européenne en 2002.

Nous sommes tous ici, au groupe d’amitié France-Chine, attachés à ce protocole d’adhésion que M. Shi Guangsheng, ministre du commerce extérieur, a négocié pour la Chine. Il est ensuite revenu en discuter avec nous il y a dix ans en tant que président du groupe d’amitié Chine-France. Il nous avait rappelé combien sa tâche de négociateur avait été compliquée puisqu’il avait été amené à se déplacer dans près de 150 pays dans le monde et combien cet accord était capital pour permettre à la société chinoise de se développer et à sa population d’accéder à un niveau meilleur de prospérité.

Le statut d’économie de marché est un critère prévu dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce pour l’application des procédures antidumping. Pour contrer les pratiques d’exportation d’un produit à un prix inférieur à celui normalement appliqué sur le marché intérieur, les pays importateurs sont autorisés à imposer des droits compensateurs. Le calcul exact de la différence entre le prix facturé dans le marché d’origine et le prix sur le marché d’exportation sert à la fois à démontrer l’existence du dumping et à déterminer les droits compensatoires qui seront appliqués.

Le cas de la Chine est assez particulier car les prix intérieurs des biens y sont parfois influencés directement ou indirectement par l’État et peuvent ne pas refléter leur valeur marchande. C’est pourquoi le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC de novembre 2001 a autorisé les membres de l’organisation à utiliser des méthodes de calcul dites « non standard » qui ne s’appuient pas sur les prix intérieurs chinois. Cela a amené l’Union européenne à utiliser la méthode dite de substitution par comparaison avec un pays analogue, qui permet de comparer les prix des produits exportés par rapport au prix pratiqué par la Chine dans un pays tiers ayant une économie de marché.

La situation est complexe car l’OMC ne fixe pas de critères uniformes pour la détermination du statut d’économie de marché. L’Union européenne, avec son règlement n°1225 de 2009, a donc défini cinq critères permettant d’attribuer ce statut à un pays partenaire : 1° les décisions des entreprises doivent refléter les signaux du marché, autrement dit l’offre et la demande ; 2° les entreprises doivent avoir des documents comptables permettant un audit indépendant ; 3° les coûts de production et la situation financière des entreprises ne font l’objet d’aucune distorsion importante ; 4° les entreprises sont soumises à des lois concernant la faillite et la propriété ; 5° les opérations de change sont exécutées aux taux du marché. En 2015, la Commission a estimé que la Chine ne répondait pas sur trois critères sur cinq exactement aux exigences posées.

Au regard des règles de l’OMC, les mesures de protection liées à la non-reconnaissance du statut d’économie de marché devront cesser le 12 décembre 2016. L’Union ne devrait plus pouvoir utiliser la méthodologie du marché de substitution ; elle devrait se placer sous les règles de l’accord du GATT de 1994 consistant à apprécier le dumping par rapport au prix de vente dans le pays d’origine ou par rapport au coût de revient. Mais l’absence de critères de l’OMC pour définir une économie de marché fait que c’est l’article 15 (a, point i) du règlement européen 1225 qui doit rester en vigueur.

L’enjeu est considérable puisque la plupart des mesures antidumping appliquées par l’Union européenne résulte de la méthodologie dite de substitution. De 1995 à 2014, l’Union a lancé 99 procédures antidumping contre la Chine. C’est beaucoup mais le marché européen reste largement ouvert puisqu’en moyenne les droits antidumping n’y sont que de 44 % contre 80 % en Inde et 142 % aux Etats-Unis.

En fait, la question centrale est moins de savoir si la Chine est une économie de marché que de déterminer comment évaluer le dumping et calculer les droits compensatoires qui en découlent. La Commission européenne travaille dans ce sens ; elle s’appète à réformer son règlement afin de modifier la méthodologie appliquée pour tenir compte de la fin de la période transitoire après le 11 décembre 2016. Dans cette hypothèse on peut considérer que les droits antidumping standard pourraient être appliqués sauf dans quelques secteurs bien précis, plutôt exposés et fragiles. On évoque l’acier, l’aluminium et les pièces de véhicule automobile.

Un problème demeure : une réforme du règlement européen exige une proposition de la Commission européenne et ensuite un accord du Conseil européen et du Parlement européen, ce qui peut prendre beaucoup de temps.

Ce sujet du dumping est très présent dans nos opinions publiques et parmi nos chefs d’entreprise. La Chine dispose aujourd’hui de grands atouts : premièrement, une grande capacité financière, par ses réserves de change importantes, qui lui permet d’acquérir des entreprises et des infrastructures dans le monde entier – nous le voyons chez nous : cela peut être un vignoble, un aéroport ou un fleuron de l’hôtellerie parisienne – ; ensuite elle dispose d’une force industrielle, avec dans certains secteurs des surcapacités qui l’amène à avoir une politique commercial très offensive ; troisièmement, elle dispose d’un instrument monétaire par lequel elle peut manipuler les taux de change du Renminbi. Tout cela crée dans les opinions européennes des inquiétudes.

Le débat sur le statut d’économie de marché n’est qu’une manifestation de ces inquiétudes. Certaines études, à considérer avec prudence, indiquent que l’Europe pourrait perdre plus de deux millions d’emplois si elle ne trouve pas une bonne façon de canaliser ces flux.

Il faut se garder d’aborder la question au plan général, il faudrait le faire par secteurs. On ne doit pas oublier que la Chine est le deuxième partenaire commercial de l’Union européenne. L’enjeu pour la France est d’abord de rééquilibrer sa balance commerciale très déficitaire avec la Chine : plus de 25 milliards d’euros (avec 47,8 milliards d’euros d’importations de Chine en 2015 contre seulement 22,6 milliards d’exportations françaises en Chine). La Chine est devenue notre premier déficit du commerce extérieur, devant l’Allemagne.

Il ne faut pas casser la dynamique de nos échanges. De solides perspectives de développement existent en Chine pour nos produits et nos services. Des études récentes ont montré que la population citadine chinoise en âge de travailler représente plus de 520 millions de personnes, dont le niveau de vie est appelé à augmenter dans les années à venir.

La question de l’accès au statut d’économie de marché ne doit pas être un point de blocage. Il faut néanmoins discuter des conditions d’accès au marché chinois et de l’évaluation des surcapacités industrielles chinoises, notamment dans l’acier, l’aluminium, le verre, les pièces de véhicule automobile, la céramique, l’industrie du vélo. Nous avons en effet deux modèles économiques : pour la Chine c’est celui d’une économie socialiste de marché, et pour l’Europe c’est une économie libérale tempérée par l’intervention de l’Etat.

Nous avons suivi au sein du groupe d’amitié le 3e Plénum du XVIIIe Comité central du parti communiste chinois qui s’est tenu en novembre 2013. Des conclusions de ce Plénum sont importantes : la volonté de la Chine de faire en sorte que la détermination des prix se fasse par le marché ; l’ouverture plus grande des marchés publics ; travailler à la convertibilité du Renminbi.

Face au problème complexe du dumping, nous devons dépasser le débat car la Chine ne peut rester assimilée aux 14 autres pays figurant sur la liste des pays hors économie de marché. Cela n’aurait pas de sens ; je rappelle que parmi ces pays il y a trois Etats du Caucase, cinq Etats turkmènes d’Asie centrale, l’Albanie, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Moldavie, la Mongolie et le Vietnam.

Le Parlement français n’est pas à l’initiative dans le circuit de la négociation sur le statut d’économie de marché de la Chine et la détermination des droits antidumping. La Constitution ne nous le permet pas. Nous suivons cependant cette question avec attention. Nous pouvons faire des progrès, avec cependant cette difficulté du processus long de décision des autorités européennes.

M. Yin Zhongqing, rapporteur. Il existe effectivement un article 15 dans le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec toutes les propositions. Depuis cette adhésion, quinze ans se sont écoulés et la période de transition doit prendre fin conformément à cet article 15, cela ne fait pas débat. Le rapporteur pour la France a reconnu pleinement les efforts réalisés par la Chine pendant cette période mais la Chine a fait davantage : depuis 1978 et 1986, date de sa demande d’adhésion à l’accord du GATT, la Chine a travaillé dans le sens de l’ouverture. Les négociations ont pris quinze ans, elles ont été très dures. Le protocole d’adhésion repose sur ces quinze années de négociations difficiles. Nos réformes n’ont pas été faites seulement pour rejoindre l’OMC car l’ouverture a été décidée en 1978 : c’était notre stratégie fondamentale parce que nous voulons rejoindre le monde.

Vous avez évoqué le XVIIIe Congrès mais en 2002 lors du XVIe Congrès nous avons proposé d’établir une économie socialiste de marché. Nous avons réalisé des réformes pour orienter davantage notre économie vers le marché. Ce qui a changé avec le 3e Plénum que vous avez évoqué, c’est le rôle du marché dans l’allocation des ressources : il doit jouer un rôle décisif. Vous pouvez constater l’étendue et la profondeur des réformes.

En quinze ans, nous avons procédé à l’amélioration de plus de 3 000 lois, y compris des lois locales. Nous avons honoré nos engagements législatifs.

L’industrie et les services chinois se sont ouverts au monde. Récemment, à Shanghai, Canton et Tientsin, nous avons expérimenté des zones de libre-échange. Dans la province du Sichuan, nous réservons ce même traitement aux entreprises étrangères avant leur installation en Chine. Nous avons une liste négative d’investissements : les entreprises étrangères peuvent investir dans tous les domaines qui ne sont pas mentionnés sur cette liste. Le rôle du Gouvernement a également changé : il est plutôt tourné vers la réglementation. Tout cela pour dire qu’il y a maintenant moins de contrôle. Dès la première année d’adhésion à l’OMC, nous avons revu à la baisse les droits de douane. Tous nos engagements auprès de l’OMC ont été honorés avant la date prévue. C’est le cas pour l’allocation des ressources et les salaires. Concernant la convertibilité du renminbi, nous avons garanti la libre convertibilité pour la plupart des projets économiques des entreprises, chinoises comme étrangères. Nous avons signé une dizaine d’accords de libre-échange concernant une vingtaine de pays.

Tout le monde peut témoigner de nos progrès. Quatre-vingts pays, soit plus de la moitié des membres de l’OMC, soutiennent pleinement que la Chine est une économie de marché. Seules l’Union européenne et le Japon ont des réticences. Nous souhaitons participer pleinement à la mondialisation. La Chine a beaucoup changé. L’adhésion à l’OMC a complètement changé l’architecture économique et financière du monde. Le PIB est passé de 11 000 milliards de yuans à 17 000 milliards. En 2011 nous sommes devenus la deuxième économie du monde. Nous sommes aujourd’hui le premier pays exportateur et le deuxième pays importateur. Le montant des investissements chinois à l’étranger (140 milliards de yuans) a dépassé en 2015 pour la première fois le montant des investissements étrangers en Chine. Nous protégeons la propriété intellectuelle et la recherche et développement : des chercheurs de plus de 140 pays ont ainsi pu déposer des demandes de brevet en Chine. Nos efforts ont été bénéfiques à l’ensemble du monde, y compris des entreprises françaises. Ces entreprises ont pu réaliser en Chine une croissance exponentielle. Depuis 2008, début de la crise financière, la croissance reste morose mais la Chine reste un moteur pour le monde.

Depuis son adhésion à l’OMC, la Chine a réalisé beaucoup de sacrifices. Ce matin, notre président [de groupe d’amitié] a déclaré que nous avons accepté pendant quinze ans de ne pas être considéré comme une économie de marché, et accepté les mesures qui vont avec comme la méthode de substitution, mais nous avons fait des sacrifices – nous n’avons cessé de réduire les barrières aux investissements – or nous n’avons pas bénéficié, par réciprocité, de la part des autres pays, du même traitement : le protectionnisme continue d’exister dans d’autres pays, même membres de l’OMC, par exemple dans le dispositif de l’Union européenne mentionné plus tôt. L’OMC a remplacé l’accord du GATT mais l’Union européenne a ses propres critères alors que la loi de l’OMC devrait être supérieure à la loi et aux critères de l’Union européenne. C’est sur cette base « nationale » que des droits antidumping ont été déterminés. En 2015, la Chine a fait l’objet de presque cent enquêtes antidumping. En 21 ans la Chine a été le pays qui a fait l’objet du plus grand nombre d’enquêtes antidumping et sur les dix dernières années nous avons fait l’objet du plus grand nombre d’enquêtes antisubventions. Sur la période de quinze ans, il y a eu presque 500 enquêtes antidumping. Les dégâts causés aux entreprises de façon directe ont atteint 10 milliards de dollars.

Il a fallu quinze ans de négociations à la Chine pour rejoindre l’OMC. La conjoncture a beaucoup changé entre temps. L’article 15 du protocole doit être appliqué sans aucun doute possible. On peut accepter que la méthode de substitution soit utilisée pendant cette période transitoire de quinze ans, mais dans deux mois elle ne devra plus être appliquée. Tous les membres de l’OMC devront respecter les termes du protocole, cela relève de leurs obligations, pour que les entreprises soient traitées de manière juste. Ne pas le faire ne serait pas raisonnable et mécontenterait la population chinoise. L’Union européenne doit jouer un rôle en notre faveur car les pays européens ont initié le plus grand nombre d’enquêtes contre la Chine (53 % du total en 2011 et 30,8 % en 2012). Le 12 mai 2016 le Parlement européen a adopté une résolution prônant la non-reconnaissance du statut d’économie de marché de la Chine et le 20 juillet le Conseil a débattu de l’article 15 du protocole d’adhésion. La non-reconnaissance est une aberration pour la Chine. Quand l’échéance arrivera, il n’y aura aucune excuse pour ne pas reconnaître à la Chine le statut d’économie de marché, à défaut ce serait une rupture de l’accord. Cela favoriserait le protectionnisme, nuirait aux relations UE-Chine et irait à l’encontre de principes de base du droit international.

Nous voulons saisir l’occasion de cette Grande Commission pour exprimer nos inquiétudes. Nous espérons que vous, députés, par de nombreux canaux, pourrez agir et exhorter l’Union européenne à respecter les engagements écrits dans l’article 15 du protocole d’adhésion. C’est le seul moyen pour résoudre le problème, promouvoir les relations UE-Chine et sino-françaises et préserver un bon environnement commercial multilatéral.

A midi, je déjeunais à côté du président du groupe communiste. Il m’a dit qu’il était contre l’accord TIPP en négociation. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu parce qu’il est très en faveur des Etats-Unis. La Chine a également un accord équivalent avec les Etats-Unis car ils cherchent à obtenir une meilleure place dans le commerce international par des accords particuliers mais c’est un obstacle pour l’OMC. Il y a aussi en Europe des opposants à la mondialisation. Mais après la fin de la Deuxième guerre mondiale, les pays ont plutôt profité de cette mondialisation, même si le Brexit est une frustration pour l’Union européenne. Dans ce contexte, y compris de lutte contre le terrorisme, la France et la Chine doivent jouer un rôle moteur pour la libéralisation des investissements et du commerce international. Nous ne pouvons pas laisser certains pays dicter leur loi à d’autres en revenant sur les règles internationales établies. La France et la Chine doivent avoir un langage et des intérêts communs pour garantir une meilleure gestion de l’économie mondiale et assurer que l’économie mondiale soit sur le bon chemin. Si nous faisons cela nous pourrons dépasser la question du statut d’économie de marché de la Chine.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. Merci pour ces propos très argumentés. Alain Rodet souhaite ajouter quelques éléments.

M. Alain Rodet, rapporteur. La position du groupe d’amitié de l’Assemblée nationale est que l’on ne devrait plus utiliser la méthodologie du marché de substitution à compter du 12 décembre prochain. Le problème est que le Parlement européen, dans sa composition couvrant 28 pays – bientôt 27 avec le Brexit – est confronté à des mouvements populistes prônant pratiquement le protectionnisme. Le Parlement européen n’a certes pas le dernier mot mais ces mouvements créent des angoisses parmi les populations européennes. Ce que nous savons de la Commission européenne est qu’elle veut dépasser le débat sur le statut d’économie de marché de la Chine en allant vers un abandon de la distinction entre pays à économie de marché et pays en transition.

Enfin, je voudrais dire que nous avons tout à fait conscience des efforts consentis par la Chine depuis 2001, ne serait-ce que sur le sujet de la contrefaçon qui intéressait particulièrement les Européens : elle a aujourd’hui été éradiquée. Au plan de l’économie mondiale, vous répondez même aux appels du FMI, de l’OCDE, de la Banque des règlements internationaux, qui sont peu entendus en Europe, qui demandent à réinvestir dans les infrastructures de transport. Sur ce plan, vous êtes un exemple.

MChi Wanchun, chef de la délégation chinoise. Nous avons proposé de débattre de ce sujet. Vous devez comprendre que ce mécanisme de dialogue est un mécanisme entre amis. M. Bartolone a déclaré tout à l’heure que nos échanges sont francs ; nous avons en effet une confiance mutuelle. M. Bartolone a loué ce mécanisme qui est un exemple à suivre pour les autres pays dans leurs échanges interparlementaires.

En tant qu’amis, nous sommes ici pour témoigner de nos problèmes et de nos angoisses. De plus, la France joue un rôle très important au sein de l’Union européenne. Vous êtes un pays crucial au sein de l’Union, qui a beaucoup d’influence. C’est pour cela que nous comptons sur vous pour faire avancer la problématique du statut d’économie de marché de la Chine. Notre rapporteur pour la Chine figure parmi les meilleurs experts de l’Assemblée populaire nationale sur cette question. Il vous a exprimé son avis ; il a rédigé lui-même son intervention. À son opinion, cela va de soi que la Chine obtienne le statut d’économie de marché. À mon avis, le point 2 de l’article 15 ne tient pas debout au regard du droit ou de la raison car c’est un article qui discrimine la Chine. Nous nous sentons victimes car nous n’avons pas reçu un traitement équitable. Maintenant, mon collègue a déclaré que nous avons été victimes de ce traitement mais nous assumons. À présent, nous nous sentons trahis parce que ce qui nous était promis nous est dénié. Il y a un renversement par rapport à ce qui avait été écrit il y a quinze ans. Nous avons été jugés il y a quinze ans comme n’étant pas une économie de marché et nous figurons aujourd’hui parmi 14 pays avec des critères injustes. Par ailleurs, les lois internationales ne sauraient être altérées par quelques pays. Quand on fait des affaires, le premier principe est la crédibilité, on doit être digne de confiance ; on ne peut revenir sur une offre qui a été proposée. Il y a des lois internationales qui régissent ces questions. La non-reconnaissance du statut d’économie de marché nous fait vraiment beaucoup de peine. Le problème n’est pas de recevoir des notifications d’enquêtes antidumping – c’est tout à fait normal –, c’est de ne pas avoir été traité selon les mêmes principes que les autres. Sur la question des surcapacités de production, la Chine n’est pas le seul pays à poser problème. Nous devons discuter ensemble. Il ne faut pas laisser ces détails de côté car ils nous empêchent de progresser. J’espère que vous pourrez communiquer notre préoccupation à vos collègues européens. En tant que chef de délégation, j’ai été très ému et vous ai adressé mes pensées du fond du cœur.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. C’est pour cette raison que la Grande Commission est utile. Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu beaucoup d’occasions d’exprimer cette question comme cela.

Je vois bien ce qui est en train de se passer en Europe. La France ne peut pas laisser la Chine dans ce groupe de 14 pays où elle n’a rien à faire. Il faut trouver une solution. Un certain nombre de pays européens ont déjà eu des expressions de refus absolu d’octroi du statut d’économie de marché à la Chine sous un argument simple : il ne peut pas y avoir un tel statut puisque ce n’est pas une réelle économie de marché et que des mécanismes de son économie ne sont pas des mécanismes d’économie de marché. Chaque fois que cet argument a été utilisé de façon brutale, il était associé à des éléments très populistes. Certes il faut essayer de comprendre nos opinions publiques mais il faut aussi les amener à une solution. Dire aujourd’hui à nos opinions publiques que nous allons arrêter à présent tout simplement les mesures de protection alors que nous avons des industries en difficulté, je pense que ce n’est pas la bonne solution. Notre position ici à l’Assemblée – mais je pense aussi au sein du Gouvernement – est de dire qu’entre le refus exprimé par certains et l’obtention automatique du statut que vous défendez brillamment au nom du droit international, il y a une discussion qui doit se faire dans des délais rapides. Ce n’est pas à notre niveau que les décisions seront prises mais je pense que nous devons continuer à échanger. Je vais faire remonter les éléments que vous avez présentés au président de l’Assemblée nationale et aux ministres des affaires étrangères et de l’économie car ils étaient particulièrement intéressants.

M. Chi Wanchun, chef de la délégation chinoise. Monsieur le président, je suis rassuré après vous avoir entendu.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. Nous allons aborder notre troisième thème de discussion sur quelle politique pour la jeunesse. Je propose que le rapporteur pour la Chine intervienne en premier.

M. Zheng Gongcheng, rapporteur. La dernière fois que je suis venu en France c’était en 2012. Cette année, je vais vous parler des politiques de la jeunesse en Chine. La jeunesse représente l’énergie, la dynamique d’un pays. La Chine fait toujours grand cas de la politique concernant la jeunesse. Je sais que la France donne également priorité à la jeunesse. En 1957, le président Mao Zedong avait déjà prononcé ces propos devenus célèbres : dans le monde – le vôtre comme le nôtre – la jeunesse est comme le soleil de huit heures du matin. Je place donc beaucoup d’espoir en vous. Ces propos traduisent également l’attitude de notre parti à l’égard de la jeunesse.

L’année dernière, à l’UNESCO, le 9e forum sur la jeunesse s’est tenu à Paris. Notre président y a prononcé une allocution. L’avenir du monde appartient à la jeunesse. Si elle prend ses responsabilités, l’être humain aura de l’espoir. La jeunesse chinoise, comme la Chine, prend ses responsabilités, nous comptons sur elle pour éradiquer la pauvreté et lutter contre les inégalités et le dérèglement climatique. Que ce soient les dirigeants d’il y a quarante ans ou les dirigeants actuels, nous avons la même attitude envers la jeunesse. Dans tous les rapports politiques importants du parti communiste, qui est le parti exerçant le pouvoir, il y a un chapitre consacré à la jeunesse. Par exemple, en 2012, lors du XVIIIe Congrès, qui a mis en place la nouvelle classe dirigeante de la Chine, le parti a souhaité impliquer la jeunesse dans la modernisation du pays, l’ensemble de la société devant écouter la jeunesse et encourager les jeunes à créer leur propre entreprise.

Je voudrais vous montrer à quel point nous attachons une importance à la jeunesse. Je vais vous présenter nos concepts et des mesures concrètes.

Tout d’abord, nous portons une attention particulière au domaine essentiel qu’est l’éducation. La loi rend obligatoire l’éducation, elle organise l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Chaque adolescent a droit à recevoir une éducation. Le pourcentage du budget de l’Etat consacré à l’éducation a beaucoup augmenté ces cinq dernières années. Les résultats sont positifs : le taux brut de scolarité dans l’enseignement supérieur est passé de 3,4 % en 1990 à 40 % en 2015. La plupart des jeunes Chinois peuvent bénéficier d’un enseignement supérieur.

En matière d’insertion professionnelle et de création d’entreprise, une priorité est donnée aux jeunes. Nous apportons une attention particulière aux diplômés de l’enseignement supérieur. En 2015, il y en a eu 7,8 millions. Autant d’emplois doivent être créés pour eux. Cette politique fait aussi partie de notre stratégie pour éradiquer la pauvreté. Nous avons créé plus de 300 millions d’emplois pour les jeunes dans les villes et les campagnes. Il convient également de veiller à assurer l’égalité dans l’insertion professionnelle. Des règlements existent notamment en faveur des personnes handicapées.

Un ensemble de politiques incite les jeunes à créer leurs entreprises. Elles ont été couronnées de succès. La Chine a besoin de restructurer ses industries. Nous encourageons le développement des services.

En 2014, 88 % des diplômés ont trouvé un emploi. Ce taux a augmenté en 2015. Chaque année depuis 2013 nous créons à peu près 13 millions d’emplois.

En matière de protection sociale, depuis les années 2009-2011, chaque jeune Chinois – mais aussi toute personne âgée – a pu bénéficier d’une assurance maladie. Les jeunes peuvent également bénéficier d’une assurance vieillesse. Le Gouvernement encourage les citoyens à adhérer à un régime de protection sociale. Et nous allons continuer de l’améliorer.

Nous avons également une loi sur la protection des mineurs et une loi sur la prévention des crimes commis par les mineurs. Des dispositifs existent pour protéger les jeunes de l’usage d’Internet. Nous souhaitons nous appuyer sur la communauté pour aider les jeunes délinquants. Nous encourageons les jeunes à participer pleinement à la vie en société, de nombreuses associations ont été créées.

Le chemin reste encore long. Nous avons besoin d’un ensemble de politiques complètes. Internet a une grande influence sur les jeunes. Dans ce contexte, comment mieux organiser la jeunesse ? Je me pose également la question de l’égalité dans l’insertion professionnelle des jeunes. De même, comment mieux orienter et guider les jeunes qui sont passionnés et créatifs mais doivent être plus rationnels ? Avec Internet, des tendances négatives peuvent être aggravées.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française, rapporteur. Nous avons là un sujet d’intérêt commun pour nos deux pays, qui sont des pays jeunes et ont donc un véritable enjeu à éduquer et former leur jeunesse et faire en sorte qu’elle puisse prendre toutes ses responsabilités.

Avant de présenter les politiques publiques françaises, je voudrais faire un double détour. Au-delà de mes fonctions politiques, je suis président d’une grande fédération d’éducation populaire créée il y a presque 60 ans par Pierre Mauroy, ancien Premier ministre ; elle porte le nom emblématique de ce ministre du Font populaire que fut Léo Lagrange, qui a donné son nom à beaucoup d’équipements de jeunesse dans notre pays. En 1936, le gouvernement de Léon Blum, premier gouvernement de gauche, avait compris qu’il n’y a pas de progrès durable possible sans une association de la jeunesse et sans sa mobilisation. C’était avant la guerre, à une époque où le temps des hommes ne comptait guère et où leur vie était cantonnée à leur domicile et à leur lieu de travail. Cette mobilisation de la jeunesse, le gouvernement du Front populaire l’a faite à travers la promotion du sport et des loisirs. Ce gouvernement, en 1936, disait aux jeunes : « allez voir le monde ! ». Il lui ouvrait une perspective totalement nouvelle dans la société, à une époque où la mobilité était faible pour le plus grand nombre et réservée uniquement aux grandes familles bourgeoises. Léo Lagrange, comme ministre, a contribué au développement des auberges de jeunesse sur tout le territoire, qui permettent d’aller voir le monde pour un coût très bas. Les premières politiques de la jeunesse datent donc de 1936 en France quand, avec les congés payés, le gouvernement de Léon Blum a dit à la jeunesse « sortez de chez vous et allez voir le monde, allez voir ailleurs ce qui se passe ».

Depuis 1936, les organisations de jeunesse et d’éducation populaire ont été le bras armé de ces politiques de la jeunesse. Les politiques publiques n’étaient pas faites par l’Etat mais par ces organisations. A l’époque, il y en avait deux grands types : les organisations confessionnelles, notamment catholiques, et les organisations politiques, en particulier les jeunesses communistes. Ce sont ces deux grands mouvements qui ont structuré les politiques de la jeunesse en France.

C’est dans les années 1980, quand les jeunes ont commencé à être confrontés à la crise économique, que l’Etat a mis en place des politiques spécifiques orientées sur la jeunesse pour leur vie quotidienne. En 1981, Pierre Mauroy, alors Premier ministre, a chargé Bertrand Schwartz de l’élaboration d’un rapport sur l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. C’est le premier rapport demandé par un Gouvernement sur ce sujet. En 1982, l’État crée les missions locales pour l’emploi des jeunes qui sont des lieux d’accueil et de formation pour les jeunes de 16 à 25 ans sortis du système éducatif sans qualification et sans emploi. En 1983, la délégation à l’insertion professionnelle et sociale des jeunes en difficulté et le comité interministériel de la jeunesse voient le jour. Au début des années 1980, avec un Gouvernement de gauche, celui de François Mitterrand élu en 1981, il y a donc une perception face aux difficultés de la jeunesse : celle-ci ne doit pas se débrouiller avec les associations mais l’État doit mettre en place des politiques publiques.

Aujourd’hui, les jeunes sont toujours, en France, touchés par la crise et sont les premiers atteints lorsqu’il y a une détérioration de la conjoncture économique. Quelques éléments pour donner la mesure, avec des chiffres à l’échelle de la France :

– plus de 100 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification (le nombre baisse mais reste néanmoins important) ;

– 90 % des contrats de travail signés sont des contrats précaires et les jeunes sont directement concernés par les difficultés d’entrer dans la vie : avoir un logement, fonder une famille ;

– l’âge moyen d’entrée dans la vie active avec un contrat à durée indéterminée est désormais de 28 ans ;

– le taux de pauvreté chez les jeunes de l’ordre de 20 % : un jeune sur cinq est considéré comme pauvre ;

– l’autonomie résidentielle, l’accès au logement, est rendue plus difficile par tout ce que je viens de dire.

On voit bien que la jeunesse est contrainte à un sas professionnel, personnel, résidentiel, avant l’entrée dans l’âge adulte, avant l’entrée dans la stabilité. C’est un parcours difficile.

Dès 2012, nous avons essayé avec le gouvernement de François Hollande, de mettre en place une action transversale et interministérielle déclinée en treize grands chantiers pour la jeunesse, à la fois sur la santé, le logement, les conditions de vie et la place des jeunes dans la société. Nous avons mis en place des mesures importantes qui visent à favoriser l’insertion professionnelle mais aussi la lutte contre les discriminations parce qu’il y a aussi des problèmes de discrimination parmi la jeunesse française en raison de sa diversité car elle est issue du monde entier.

Il y a une idée à laquelle nous sommes particulièrement attachés, c’est celle du droit à la deuxième chance. Nous ne pouvons pas dire à un jeune de 16 ans, âge jusqu’auquel la scolarité est obligatoire : « c’est fini pour toi, tu as échoué ». Il faut faire en sorte que la puissance publique lui donne une capacité de rebondir. Ce doit être un des axes de nos politiques publiques : quand un jeune n’a pas réussi sa première insertion par l’éducation et la première qualification, il faut lui donner un droit à en acquérir une autre.

Nous devons avoir cette préoccupation de la jeunesse au niveau européen car la situation de la jeunesse française n’est pas très différente de celle de la jeunesse européenne. En Europe, quatre millions de jeunes sont sans emploi et un jeune sur cinq est au chômage ; même si la réalité n’est pas la même dans tous les États membres, ils sont moins de 10 % en Allemagne mais plus de 50 % en Grèce, plus de 40 % en Espagne, plus de 35 % en Italie. La France se situe dans une mauvaise moyenne européenne avec moins d’un quart. Ces chiffres sont très alarmants, ils augurent une possibilité de radicalisation de la jeunesse qui, en Europe, n’est pas épargnée par les populismes ; elle se révolte avec des idées simplistes dues pour partie au sentiment qu’elle ne peut pas entrer dans la société et est sacrifiée.

L’Union européenne a pris des mesures. Un premier train a été adopté en 2013 avec la création de la garantie jeunesse et des mesures pour les régions ayant un taux de chômage très fort. Je mentionnerai également le programme Erasmus pour les étudiants qui bénéficie d’une très grande notoriété.

Nous nous sommes réunis il y a dix jours dans cette salle avec mes homologues, présidents des groupes socialistes et sociaux-démocrates des parlements des États membres de l’Union européenne, notamment Thomas Oppermann, président du groupe SPD du Bundestag, et mon collègue italien, et nous avons adopté ici une résolution commune pour instituer un passeport pour la mobilité des jeunes, c’est-à-dire un droit ouvert à tous les jeunes européens de 12 à 25 ans de voyager, faire leurs études, avoir un premier contrat de travail partout dans l’Union européenne et que tous les États membres s’engagent à favoriser ce droit. C’est essentiel car, en faisant cela, nous donnons un contenu à l’Union européenne qui souffre aujourd’hui d’un manque d’identité pour les jeunes. En plus, en faisant cela, nous les intéressons à l’avenir de la planète et de ceux qui les entourent et qui sont différents.

Cela a été souvent dit à la tribune de notre assemblée, la jeunesse est un investissement pour un pays : ce qui découle des politiques de la jeunesse ce ne sont pas des dépenses de fonctionnement mais d’investissement. D’ailleurs, dans cette salle, nous avons réfléchi aux critères du pacte de stabilité européen, qui impose aux États européens de ne pas dépasser les 3 % de déficit budgétaire, et à faire en sorte que toute dépense d’éducation et pour la jeunesse supplémentaire décidée à partir de maintenant ne soit pas comptabilisée dans le déficit public. Cela permettrait d’avoir une nouvelle dynamique européenne.

M. Chi Wanchun, chef de la délégation chinoise. A mon avis, la jeunesse est d’une importance stratégique. En Chine, on dit souvent qu’il faut éduquer les jeunes à se comporter en tant que personne et à faire du bien. En raison de la globalisation de l’économie, nous sommes confrontés à des défis communs et, après vous avoir écouté, je pense que votre avis est tout à fait correct. En comparant les deux interventions, j’ai l’impression que nous avons pas mal de points communs. Cela m’inspire et m’interpelle pour élaborer des politiques en faveur des jeunes. Je pense que nous pouvons nous inspirer de votre expérience pour améliorer notre travail.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur nos relations bilatérales. Ces jours-ci j’ai beaucoup réfléchi et pris beaucoup de notes. Ma réflexion a porté sur la Chine hors de la Chine. Récemment j’ai lu un entretien donné par Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, au Guangming Daily. Il a déclaré que le sommet du G20 s’est tenu à un moment important pour l’économie globale et dans un pays indispensable à l’équilibre du monde. Dans cet article, il indique organiser chaque année en France un forum sur la Chine. Cette année, le 3 septembre, le thème était « la Chine hors de la Chine ». J’ai lu cet article le lendemain du forum ; il m’a fait beaucoup réfléchir, c’est pourquoi je voudrais en discuter avec vous. Ce thème me fait penser à deux expériences dommageables pour la Chine.

Sous la dynastie Ming, Zheng He a réalisé sept expéditions maritimes de 1405 à 1433. Son premier voyage est intervenu 87 ans avant le premier voyage de Christophe Colomb, 92 ans avant celui de Vasco de Gama et 116 ans avant l’arrivée de Magellan aux Philippines. Sa flotte était immense : plus de 20 000 hommes, 200 navires, le plus grand faisant cent mètres de long sur plusieurs dizaines de mètres de large et embarquant plusieurs milliers de personnes. Contrairement à Colomb qui a parlé conquête et partage de trésor avec la reine à son retour d’expédition, l’empereur de Chine avait ordonné à Zheng He de promouvoir la paix. Grâce à ces voyages, la Chine a exploré un chemin la reliant à l’Asie du Sud-Est et l’océan indien. Si elle avait poursuivi sur cette voie et ne s’était pas refermée sur elle-même, comme l’écrivait le New-York Times, ce journal aurait été écrit en Chine et en chinois. Mais la Chine a perdu cette première opportunité de sortir de la Chine.

La deuxième opportunité s’est présentée sous la dynastie de Qing. À cette époque la Chine était une grande puissance. En 1750, la Chine contribuait pour 32 % à l’économie mondiale. L’empereur Kangxi, né en 1654, a beaucoup contribué à cette prospérité. Il a débuté son règne en 1668 et est resté au pouvoir pendant 61 ans. Il était un empereur éclairé, ce qui était rare dans cette période féodale. Il était très assidu et maîtrisait la culture han (les empereurs Qing étaient mandchous). Il a promu l’étude des classiques chinois et la culture han. Un missionnaire français est venu en Chine en 1698 et a publié un livre sur Kangxi. Il a dit que c’était avec grand intérêt que cet empereur apprenait les sciences et passait des heures avec lui et arrivait toujours avant lui qui pourtant arrivait à la Cour très tôt. Il a demandé à apprendre les mathématiques. Ce missionnaire s’appelait Joachim Bouvet. En 1643, Louis XIV accédait au pouvoir très jeune ; la France était puissante et cherchait à développer sa force vers l’Extrême-Orient. C’est pourquoi Louis XIV a envoyé des missionnaires en Chine. Au moyen de la lettre signée de Louis XIV, Joachim Bouvet a pu rencontrer Kangxi à son arrivée à Pékin en 1688. Kangxi l’a reçu avec grand plaisir. Des scientifiques étrangers ont pu commencer à enseigner les sciences à la Cour impériale pendant plus de dix ans. Bouvet était également un grand inventeur et a présenté beaucoup d’équipements scientifiques à l’empereur. En 1693, Kangxi a demandé à Bouvet de rentrer en France avec des cadeaux pour Louis XIV. Les livres qu’il a ramenés font aujourd’hui partie des collections de la Bibliothèque nationale française. À son retour, Joachim Bouvet a trouvé sept personnes pour revenir en Chine en 1698. Ces jésuites ont fondé ce que l’on a appelé, à l’époque, l’Académie des sciences. Dans la Cité interdite vous pouvez voir aujourd’hui un atelier impérial chargé de la fabrication des mobiliers qui a été créé par ces missionnaires. À l’époque, plus de cent personnes y travaillaient à la Cour ; leur plus grand exploit a été la réalisation de la carte générale de la Chine dont l’original a été envoyé en France où un graveur l’a finalisée. Mais Kangxi n’a pas pu aider la Chine à s’ouvrir au monde.

Je vais maintenant évoquer Pierre le Grand, né en 1672 et cadet de 18 ans de l’empereur de Kangxi. Quand il a accédé au trône, très jeune, la Russie connaissait un grand retard de développement. En 1696, il a envoyé des délégations d’ambassadeurs à l’étranger malgré de fortes oppositions. Il a personnellement visité l’Europe pendant un an et demi, ce qui lui a permis de comparer son pays aux autres. Il a vu que l’industrie et le commerce avaient contribué au succès des autres pays européens. À son retour, il a aidé la Russie à rattraper son retard. Malheureusement Kangxi n’a pas pu faire la même chose. Ses successeurs se sont endormis sur leurs lauriers. Le petit-fils de Kangxi est resté au pouvoir pendant 60 ans. Son règne a coïncidé avec beaucoup d’évènements majeurs comme la révolution bourgeoise anglaise, la naissance des Etats-Unis, la Révolution française. Mais cet empereur ignorait ces progrès et ne savait pas que son pays était en déclin.

La Chine n’a pas pu saisir les opportunités qui se présentaient. En 1840, avec le début de la guerre de l’opium, des élites chinoises ont quitté le pays pour chercher des remèdes. C’est grâce à eux que la pensée de Montesquieu, Voltaire et Rousseau a été introduite en Chine. La Révolution française a eu un impact profond sur l’histoire de la Chine. Par la suite, la Chine a essayé de se réformer, comme la France et le Royaume-Uni. La Révolution de 1911 a été conduite par Sun Yat-sen qui avait pour modèle la Révolution française. On peut voir aussi cette influence sur notre régime actuel d’assemblée populaire nationale.

Au début du XXe siècle, beaucoup de Chinois sont allés en France faire leurs études. J’en remercie toujours le gouvernement et le peuple français. Zhou Enlai et Deng Xiaoping sont ensuite devenus des dirigeants, d’autres sont devenus des élites en médecine et sciences. Ces experts ont joué un rôle important dans l’histoire de la Chine. À chaque fois que l’on parle de Deng Xiaoping, qui a été à l’initiative des réformes en Chine, on pense à son expérience en France. Le maire de Montargis où Deng Xiaoping a séjourné m’a montré sa carte. En 1949, des pays occidentaux, comme les Etats-Unis, ont essayé de bloquer la Chine. En 1964, le général Charles de Gaulle avec sa vision a commencé à établir des relations diplomatiques avec la Chine. Je n’avais pas idée de la pression subie alors par la France : le secrétaire d’Etat américain a demandé à rencontrer à plusieurs reprises l’ambassadeur de France aux Etats-Unis pour demander de ne pas établir ces relations diplomatiques mais l’ambassadeur a répondu que dans dix ans les Etats-Unis regretteraient leur position, et il avait raison. En 1972, le président Nixon s’est rendu en voyage officiel en Chine. Sept ans plus tard les Etats-Unis ont établi des relations diplomatiques. Donc la France a été d’un grand soutien à la Chine. Et ce soutien, nous ne l’oublierons jamais.

Si on regarde l’histoire, c’est avec grande amitié que la France a aidé la Chine. Aujourd’hui je pense aux souffrances partagées. On parle de la Chine hors de la Chine car nous souhaitons que la Chine bénéficie des différentes traditions étrangères et garantir la paix avec la communauté internationale.

Je vous remercie à nouveau pour l’organisation et la préparation de cette Grande Commission ainsi que votre accueil très chaleureux. Je vous invite à venir en Chine l’an prochain.

M. Bruno Le Roux, président de la délégation française. Je suis très sensible à ces remerciements mais on n’a pas besoin de remercier les amis. Nous avons organisé votre accueil naturellement et j’aurai plaisir à retourner en Chine. Mais je suis surtout sensible au texte de ton intervention, le parallèle entre nos deux pays, nos deux cultures, leurs évènements qui font ce que nous sommes aujourd’hui. C’est un beau texte qui méritera d’être envoyé, notamment à Jean-Pierre Raffarin. Je suis heureux que nous l’ayons, ici, entendu en premier. Il sera publié dans notre rapport.

Pour finir, j’ai une petite histoire à partager, celle d’un jeune homme fougueux et d’un vieil homme sage. Le jeune homme regarde le vieil homme et lui dit : « est-ce que ta sagesse va te permettre de répondre correctement à ma question ? » Il prend un oiseau et le met entre ses mains, et demande : « maintenant, l’oiseau est-il vivant ou est-il mort ? » Le vieil homme voit le piège : s’il répond qu’il est vivant, le jeune homme le tuera, s’il répond qu’il est mort, le jeune homme le lâchera vivant. Le vieil homme hésite un peu. Le jeune homme fougueux demande sa réponse. Le vieil homme le regarde et lui dit : « ma réponse est que tu tiens son destin entre tes mains ». Je crois que c’est cela que nous montrons dans nos échanges. Nous faisons face à des difficultés mais nous tenons notre destin, celui de nos pays, de nos peuples, entre nos mains. L’histoire montre que nous ne sommes dépositaires que d’une petite partie de cette histoire. Nous devons la poursuivre, l’amplifier, et faire qu’elle corresponde à nos valeurs que nous essayons de faire partager. Je vois dans ce texte la noblesse de la politique : remettre ce que nous faisons dans un temps long où la seule chose à montrer à nos peuples est qu’ils sont maîtres de leur destin et que personne d’autres ne peut contrôler les choses et ce que nous faisons nous essayons de le faire avec des convictions et des valeurs au nom de ce que l’on appelle l’intérêt général. Je continue de croire que les histoires qui nous ont été brillamment racontées ont aussi été faites au nom de l’intérêt général des peuples.

La séance est levée à 18h30.