Intervention de Mme Laurence Dumont, Vice-présidente de l'Assemblée nationale

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Forum interparlementaire franco-marocain

Première session du Forum franco-marocain – 6 décembre 2013

Intervention de Mme Laurence Dumont, Vice-présidente de l’Assemblée nationale, rapporteure

Thème : Démocratie et sécurité dans la région euro-méditerranéenne

 

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Chers collègues,

Je vous remercie pour votre invitation, et vous assure du plaisir que j’ai à être ici et à inaugurer notre première session de travail.

Ensemble, nous avons choisi pour ce premier débat un thème ambitieux : celui de la « démocratie et sécurité dans la région euro-méditerranéenne ».

« Démocratie » et « sécurité » sont parfois présentées comme deux objectifs contradictoires. Les concilier est pourtant primordial : ce sont deux aspirations nécessaires à la construction d’un monde où chacun peut évoluer librement, dignement et paisiblement.

L’idée de démocratie est née en Méditerranée et le combat des peuples pour l’atteindre continue de s’y poursuivre aujourd’hui. Nous pourrions évoquer la guerre civile en Syrie, les situations de politique intérieure en Egypte, en Libye, en Tunisie. Et sur les questions de sécurité, nous pourrions parler du blocage du conflit gréco-turc à Chypre et surtout du conflit israélo-palestinien dont la résolution est nécessaire à l’instauration d’une paix durable dans la région.

Impossible donc d’aborder toutes ces questions dans le temps qui m’est imparti. Il a fallu faire des choix.

J’ai donc choisi d’aborder principalement deux thèmes qui me paraissent incontournables :

- celui du bilan de ce qu’on appelle communément les « Printemps arabes » et de ses conséquences sur la sécurité de la région ;

- et celui de la lutte contre le terrorisme qui constitue à mon sens l’une des principales menaces pour la sécurité des pays méditerranéens, au Sud comme au Nord.

Bilan des printemps arabes et évolution des pays riverains

Il ne fait aucun doute que les événements qui ont ébranlé et qui continuent de secouer de nombreux Etats de la rive Sud de la Méditerranée depuis 2011 marquent la fin d’un cycle historique : celui de la stabilité autoritaire.

Il est difficile de convenir d’une grille de lecture satisfaisante pour décrire l’onde de choc qui a traversé les pays arabes : l’aspiration à la démocratie et aux libertés publiques, le rejet du népotisme et de la corruption, l’inquiétude face aux inégalités sociales et aux difficultés économiques… Les situations sont différentes dans chaque pays.

Ainsi, le Maroc a su prévenir les mécontentements. La révision constitutionnelle de juillet 2011 est un message clair en faveur de la démocratie et du progrès des libertés, qui fait figure d’exemple.

Après la Tunisie, des révoltes ont éclaté en Egypte, en Libye, au Bahreïn, dans le sultanat d’Oman, au Yémen, en Syrie… Il faut savoir faire preuve de modestie. Personne n’avait prévu cet effet de dominos qui allait embraser la région toute entière. Et personne ne sait encore aujourd’hui prévoir ses conséquences.

Face à ce « printemps arabe » - que certains appellent aujourd’hui l’ « automne arabe » - aspiration démocratique et enjeux sécuritaires sont intimement liés. Certains régimes que l’on s’était habitué à penser immuables, par erreur d’analyse ou par facilité, se sont effondrés brutalement sous la pression populaire. Il convient avant tout de saluer le courage des manifestants et les premières conséquences de leur engagement : la victoire de la démocratie, des libertés publiques, de la jeunesse. La population souhaite choisir ses dirigeants, les obliger à répondre à leurs préoccupations quotidiennes et à rendre des comptes. La transition démocratique est en marche.

Sur les rives méditerranéennes, des élections ont porté au pouvoir de nouveaux gouvernants – dont la légitimité est cependant encore remise en cause : je pense notamment à la Tunisie et à l’Egypte. Les nouveaux pouvoirs doivent résoudre de graves problèmes qui pourraient menacer la pérennité même des révolutions.

Mais les nouveaux gouvernements en place sont-ils à même d’assurer la stabilité de la région ? Comment construire un Etat de droit ? Comment activer la machine économique ? Comment éviter la mainmise par des organisations dont le maître mot n’est pas forcément la démocratie telle que nous l’entendons ?

Pensons à Tacite pour qui « Le plus beau jour de la chute d’un tyran, c’est le premier ».

La transition démocratique de la région est mise en danger par la pression des forces conservatrices et une lecture fondamentaliste de l’islam. La question des libertés publiques pourra-t-elle primer sur les idéologies sectaires ? Il est trop tôt pour le dire.

Mais la leçon que les peuples de la région ont donné au monde, c’est qu’il ne peut pas y avoir de stabilité, il ne peut pas y avoir de développement, il ne peut pas y avoir de progrès sans la liberté. Et nous espérons que c’est cette liberté-là qui est en marche.

Lutte contre le terrorisme

Face à ces événements, on pourrait conclure, un peu hâtivement, qu’Al-Qaïda a perdu la guerre des idées dans le monde arabe. Ce n’est pas la violence qu’a choisi la population, mais les élections libres, le respect des droits de l’homme et la redistribution des richesses.

Cependant, l’affaiblissement des Etats dans la région offre de nouveaux horizons aux groupes terroristes et Al-Qaïda au Maghreb islamique et ses différentes mouvances ne cessent de recruter. La dégradation sans précédent de la situation sécuritaire dans la région sahélienne appelle une réponse concertée.

La lutte contre le terrorisme se poursuit : en quelques mois, AQMI a perdu plusieurs de ses dirigeants. L'un de ses chefs militaires les plus emblématiques, Abou Zeïd, a été tué lors de l'intervention militaire franco-africaine dans le nord du Mali au mois de février. Des centaines d'autres combattants ont péri sous les bombardements.

Pourtant le mois dernier, deux journalistes Français, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, étaient assassinés dans la région de Kidal au Mali.

Malgré les tensions et menaces, nous refusons catégoriquement de tomber dans l’opposition frontale et simpliste du « choc des civilisations » entre le monde musulman et l’Occident. Il y a de part et d’autre de la Méditerranée des forces non démocratiques qui menacent la cohésion de nos sociétés.

Et les menaces des fondamentalistes sont bien présentes ici aussi.

Dans la région du Sahel, le développement de trafics d’êtres humains et de drogue appelle un renforcement de la lutte contre la criminalité internationale organisée et du contrôle des frontières. Face à ces menaces, nous partageons une commune inquiétude. Le Maroc agit fermement pour démanteler les groupes terroristes qui menacent la sécurité de la région. La France est pleinement concernée et sait prendre ses responsabilités. L’intervention sur le sol malien, avec votre soutien bienvenu, en est la preuve. Notre coopération efficace doit être poursuivie.

Alors, que faire ?

L’assurance de la sécurité de la région ne peut se passer de coopération entre les Etats partis. Ainsi, il est préjudiciable que l’Union du Maghreb arabe ne puisse se concrétiser. La question du Sahara occidental est toujours un obstacle. Comme le disait François Hollande ici-même lors de sa visite en avril, la France considère que « Le plan présenté en 2007 par le Maroc qui prévoit un statut de large autonomie pour la population du Sahara occidental est une base sérieuse et crédible en vue d’une solution négociée. » Aujourd’hui, la recherche d’une solution est une urgence. Une solution qui préserverait les intérêts des populations concernées tout en garantissant la paix, la sécurité et le développement de la région. Car la stabilité de la région ne peut se passer d’une concertation entre Etats.

Et dans cette concertation, nous en sommes convaincus, l’Europe ne doit pas rester en retrait. Nous sommes liés par une communauté d’intérêt politique, diplomatique, économique et culturelle. L’Europe, la France, doivent être présents, se repositionner dans ce nouveau contexte, mais doivent rester à leur juste place. Le monde arabe n’a besoin ni de nos conseils ni de nos consignes – mais plutôt d’un partenariat, d’égal à égal.

En effet, le développement économique est nécessaire pour assurer la stabilité de la région. Renforcer les réseaux de la société civile, favoriser le développement du commerce, créer des emplois, développer les infrastructures et la coopération énergétique. L’aspiration à un nouveau modèle de coopération entre les deux rives de la Méditerranée est non seulement légitime mais aussi nécessaire afin d’établir un espace de paix et de prospérité. Pour l’heure, la coopération entre l’Union européenne et les Etats de la rive Sud a porté sur l’ouverture des marchés et la circulation des capitaux. Il existe aussi de nombreux programmes bilatéraux de coopération. Mais il est évident qu’un cadre renouvelé plus ambitieux s’impose.

Pour ce faire, nous savons que le Maroc est un partenaire sérieux, un point d’ancrage dans la région. Il peut y jouer un rôle modèle et stabilisateur.

Il est de notre devoir de parlementaires de rappeler à nos Gouvernements et à nos opinions publiques que la coopération entre tous les Etats méditerranéens est vitale pour faire de notre espace une zone de liberté, de paix et de sécurité.

Car d’autres défis s’imposent à nous : faire face aux évolutions démographiques, aux effets du changement climatique, au stress hydrique…

Nous, parlementaires, tout autant que nos gouvernements, avons un rôle à jouer.

Je vous remercie.