Audition de Pierre Heilbronn, Envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine par le groupe d’amitié Fra...

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21 décembre 2023

Pierre Heilbronn, Envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine, a été reçu à l’Assemblée nationale par le groupe d’amitié France-Ukraine, afin d’échanger sur la situation de l’Ukraine et sur les perspectives de reconstruction. Outre Benjamin Haddad (Paris, RE), Président du groupe d’amitié, ont participé à cette rencontre Maud Gatel (Paris, DEM), Ingrid Dordain (Somme, RE), Constance Le Grip (Hauts-de-Seine, RE) et Frédéric Petit (Français établis hors de France, DEM).

Nommé début mars 2023 par le Président de la République, M. Heilbronn a pour mission, avec une équipe resserrée, d’accompagner la définition de la stratégie française en matière d’aide économique et de reconstruction de l’Ukraine, à court, moyen et long termes. Son action s’inscrit évidemment dans le cadre des actions engagées au niveau multilatéral (et en premier lieu au niveau européen), en lien notamment avec l’action des banques multilatérales et des banques de développement, à l’instar de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) dont il fut l’un des vice-présidents. De ce point de vue, les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023, au terme duquel les dirigeants de l’Union européenne (UE) ont « réaffirmé que la Russie est responsable des dégâts considérables causés par sa guerre et qu'ils sont résolus à soutenir le rétablissement de l'Ukraine et sa reconstruction, y compris le processus de déminage et la réhabilitation psychosociale[1] », ont confirmé le besoin de mobilisation dans le temps long de la Commission et des États membres en faveur de la reconstruction de l’Ukraine.

Au plan national, l’enjeu est de veiller à ce que la France poursuive son soutien en matière humanitaire et économique, en coordination avec les autres membres du G7, réunis au sein de la Plateforme de coordination des donateurs pour l’Ukraine, créée lors du Sommet virtuel du 12 décembre 2022 et lancée effectivement par la Commission européenne le 26 janvier 2023.

Depuis sa nomination, l’action de M. Heilbronn s’est déployée autour de trois axes :

  • définir la stratégie de soutien à l’Ukraine, pour la partie française, en poursuivant un dialogue étroit avec les partenaires américains, européens, et ukrainiens ;
  • organiser la coordination interministérielle pour le déploiement de l’effort français de soutien civil à l’Ukraine ;
  • mobiliser et accompagner les entreprises, les investisseurs, les collectivités territoriales ainsi que la société civile au soutien de l’économie ukrainienne et de la reconstruction du pays.

De ce point de vue, M. Heilbronn a souligné combien il lui paraissait nécessaire de convaincre de l’opportunité d’engager dès à présent la reconstruction de l’Ukraine, alors même que nos partenaires se positionnent massivement et que l’Ukraine est déjà engagée dans sa reconstruction. Il convient dans ce contexte de rappeler que les entreprises françaises étaient présentes bien avant le 24 février 2022, et qu’elles représentaient le premier employeur étranger. Les entreprises françaises ont par ailleurs contribué à la résilience du pays, notamment au travers des avoirs bancaires du Crédits agricole ou de la BNP. Aujourd’hui, il s’agit notamment d’inciter les entreprises qui ne connaissent pas le marché ukrainien – ou l’ont quitté il y a des années – à y reprendre pied. Divers instruments de soutien à l’investissement en Ukraine ont d’ailleurs été institués – à l’instar par exemple de la garantie contre le risque de guerre, qui assure via la Banque publique d’investissement, tout nouvel investissement physique à hauteur de 95 %, ou les dispositifs FASEP, en particulier dans les secteurs numérique et énergétique. En outre, il convient de poursuivre et d’adapter nos efforts en faveur de la reconstruction par la mise en place d’un fonds de soutien destiné aux entreprises françaises qui souhaitent se développer en Ukraine, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME).

En réponse à une interrogation de Benjamin Haddad, député de Paris et Président du groupe d’amitié, Pierre Heilbronn a indiqué que les discussions se poursuivent afin d’étendre à l’Ukraine le mandat de l’Agence française de développement (AFD), celle-ci intervenant pour l’heure dans le pays au travers de deux de ses entités : Proparco et Expertise France. Également en réponse au Président du groupe d’amitié, l’Envoyé spécial est revenu sur la question de l’utilisation des avoirs de la Banque centrale russe gelés à l’étranger pour financer la reconstruction de l’Ukraine, alors que plusieurs pays (Canada, Estonie, Belgique) ont commencé à y travailler. Pour Pierre Heilbronn, il convient tout d’abord de veiller à ce que dans un contexte de possible tarissement de l’aide budgétaire internationale, et notamment américaine, les avoirs gelés comme les fonds privés ne soient pas présentés comme des solutions miracles, au risque de se substituer à l’aide apportée par les Etats. Les besoins financiers sont colossaux : la Banque mondiale estime à 411 milliards le coût de la reconstruction. Il est nécessaire d’étudier les différentes options possibles et d’étudier leur robustesse juridique. En outre, il est également important d’appréhender cette question sous un angle tactique, en particulier sur le plan du calendrier, dans la mesure où l’utilisation de ces avoirs pourrait par exemple faire partie des contreparties discutées lors du règlement du conflit.

Frédéric Petit, député de la 7e circonscription des Français de l’étranger, a d’abord mis en garde contre les actes de guerre hybride menés par la Russie contre la Finlande. Revenant ensuite sur la présence des entreprises françaises en Ukraine, il a regretté le manque de visibilité de certaines contributions (à l’instar des ponts mobiles) et s’est interrogé sur la participation d’acteurs français sur la reconstruction de la station d’épuration d’eau de Boïarka. Il a également suggéré la mise en place d’un réseau de conseillers du commerce extérieur de la France, à même d’éclairer, d’appuyer et de relayer les initiatives françaises dans la région, et attiré l’attention sur la nécessité d’orienter les fonds des FASEP en direction des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Après avoir rappelé l’excellence des acteurs français dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, Pierre Heilbronn a également indiqué que l’AFD pourrait jouer un rôle déterminant, notamment pour accompagner la mise en place de partenariats publics-privés avec les collectivités territoriales, dans le cadre de prêts non souverains. Par ailleurs, l’Envoyé spécial apparaît convaincu qu’une grande partie des besoins de reconstruction de l’Ukraine seront pris en charge par des PME ou des ETI. Néanmoins, il relève que les spécificités du tissu industriel français qui, contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, repose d’abord sur des grands groupes, oblige à une action plus résolue en direction de cette typologie d’entreprises. C’est d’ailleurs pourquoi Pierre Heilbronn se rend régulièrement à la rencontre des régions et entreprises du territoire français qui, paradoxalement, ont parfois une plus faible aversion aux risques que les grands groupes. Dans ce contexte, Pierre Heilbronn reconnaît que le rôle que peuvent jouer les Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) est parfois minimisé à Paris, alors que depuis les pays voisins (Pologne, Roumanie, pays baltes), ils peuvent exercer un effet de levier sur les investissements à conduire en Ukraine.

[1] Plus d’information à partir de ce lien.