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17 janvier 2024
M. Éric-André Martin est Secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (CERFA) et Mme Marie Krpata est chercheuse au CERFA.
Après un mot de bienvenue, le Président a indiqué que l’audition porterait sur la politique étrangère de l’Allemagne. M. Éric-André Martin a tout d’abord évoqué les conséquences de la guerre en Ukraine, qui constituent une rupture dans la politique étrangère allemande depuis la réunification. Le Zeitenwende, c’est-à-dire le changement d’époque annoncé par le Chancelier Olaf Scholz à la suite de l’offensive russe en Ukraine, recouvre quatre orientations :
- soutenir l’Ukraine dans le conflit contre la Russie ;
- éviter l’escalade du conflit ;
- assurer la sécurité des approvisionnements en ressources énergétiques ;
- reconstituer des capacités de défense.
La guerre en Ukraine a bouleversé les objectifs de la coalition tricolore – décarbonation, lutte contre le changement climatique et développement d’une diplomatie axée sur les valeurs. En l’occurrence, alors que l’Allemagne refusait de livrer des armes aux pays en guerre en application de sa doctrine, elle fournit désormais des armes issues du stock de la Bundeswehr à l’Ukraine comme le char Leopard II ou les batteries antimissiles Patriot. L’Allemagne a également approuvé la livraison de 150 missiles air-air IRIS-T, après avoir levé l’embargo à l’encontre de l’Arabie saoudite.
S’agissant des relations avec les États-Unis, elles se sont améliorées au cours du mandat du Président Joe Biden : l’Allemagne, deuxième fournisseur d’aide à l’Ukraine après les États-Unis, s’est coordonnée avec ces derniers pour l’envoi de chars Leopard II et de M1 Abrams. Néanmoins, les élections américaines de 2024 font peser une incertitude sur la défense européenne, conduisant le chancelier allemand à inciter certains États européens, dont la France, à être plus engagés en matière de défense.
Concernant la position de l’Allemagne vis-à-vis de l’élargissement de l’Union européenne, Mme Marie Krpata a rappelé la nécessité de procéder à des réformes institutionnelles en amont, notamment eu égard à la protection de l’État de droit. Un élargissement de l’Union pourrait remettre en cause son équilibre institutionnel et financier et bouleverser certaines politiques communes, à l’instar de la politique agricole.
La Chine reste le principal partenaire commercial de l’Allemagne, ce qui a pour conséquence une dépendance critique de l’Allemagne à son égard. L’Allemagne poursuit toutefois sa politique de diversification des sources d’approvisionnement et des débouchés en se rapprochant de l’Afrique et de l’Amérique latine, conformément à sa stratégie nationale de sécurité publiée en 2023.
En réponse à M. Vincent Thiébaut qui s’interrogeait sur l’absence d’une doctrine allemande claire concernant le réarmement, M. Éric-André Martin a souligné la nécessité pour l’Allemagne, compte tenu du niveau de désinvestissement, de s’équiper rapidement afin de combler ses lacunes capacitaires. En l’occurrence, l’Allemagne a acheté des avions américains F35 afin de démontrer aux Russes qu’elle s’engageait dans le partage nucléaire de l’OTAN. En revanche, sur le volet franco-allemand, l’abandon du projet de modernisation de l’hélicoptère Tigre avec la France a été très mal perçu dans les milieux de défense français. De même, l’initiative antimissile développée avec un certain nombre de partenaires, sans concertation préalable avec la France, a pu susciter des interrogations dans le milieu industriel français.
S’agissant de la stabilité politique allemande abordée par M. Vincent Thiébaut, M. Éric-André Martin a fait part de l’impopularité des partis de la coalition dans un contexte d’ascension du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD). Face à l’inflation causée par le conflit russo-ukrainien et la baisse du niveau de vie, l’AfD apparaît comme le canal d’expression du mécontentement populaire. Néanmoins, le parti de gauche Die Linke pourrait capter une partie de l’électorat de l’AfD.
Sur la question posée par Mme Constance Le Grip à propos des politiques de concurrence allemande et française qui pourraient être en contradiction, Marie Krpata a répondu que le rachat par le groupe d'électroménagers chinois Midea de l’entreprise allemande Kuka avait permis à Allemagne une prise de conscience du niveau de la concurrence internationale.