Antoine, Christophe Merlin de Thionville
1762 - 1833
Député en 1791, membre de la Convention, et député au Conseil des Cinq-Cents, né à Thionville (Généralité de Metz, France) le 13 septembre 1762, mort à Paris (Seine) le 14 septembre 1833, il était fils de Christophe Merlin, qui fut procureur au bailliage, puis président du district.
Il fit ses études au collège de sa ville natale, puis au séminaire des Lazaristes à Metz, et fut destiné d'abord à l'Eglise ; mais son caractère et aussi, a-t-on dit, certaine aventure romanesque le détournèrent de ce but. Il quitta brusquement les Lazaristes, avant d'avoir terminé sa théologie, malgré la colère de ses parents, et dut se réfugier quelque temps à la Chartreuse du Val Saint-Pierre en Thiérache. Merlin n'avait contracté aucun engagement ecclésiastique et c'est par erreur qu'on appliqua plus tard à lui et à ses amis Bazire et Chabot le sobriquet de trio cordelier.
Il vint bientôt à Paris pour y chercher une situation, accepta une modeste place de professeur de latin dans une école militaire de la rue de Reuilly, puis rentra dans sa famille l'année suivante, et remplit chez son père l'office de premier clerc. Reçu avocat au parlement de Metz, il chercha, suivant sa propre expression dans les fragments des Mémoires qu'on a publiés de lui, à devenir « le successeur des avocats, déjà fort âgés, qui avaient la clientèle des abbayes et des seigneurs justiciers. » Vers 1787, il épousa une jeune fille aveugle, « pour laquelle, écrit un biographe, il montra toujours les attentions les plus soutenues. »
Rallié, en 1789, à la cause de la Révolution, il la servit d'abord avec ardeur, fut élu officier municipal du Thionville, et désigné par ses concitoyens pour aller réclamer à Paris le prompt armement de la garde nationale. Le 4 septembre 1791, il fut envoyé par le département de la Moselle, le 2e sur 8, à l'Assemblée législative, avec 215 voix (422 votants). Merlin siégea à gauche, fit de vives motions contre le clergé et la noblesse, se lia étroitement avec Chabot et Bazire, et parut très fréquemment à la tribune pour multiplier les dénonciations et les récriminations contre les émigrés et contre le pouvoir exécutif. Il criait sans relâche à la trahison, accumulait les preuves, apportait à l'assemblée des interrogatoires, des rapports, des correspondances.
Aux Jacobins comme à l'Assemblée, Merlin ne tarda pas à devenir un des orateurs les plus populaires : son activité turbulente, l'impétuosité de son attitude et de son langage lui valurent souvent les applaudissements des tribunes. Il s'opposa vivement à ce qu'on envoyât des troupes dans les colonies, de peur que leur conservation, favorable au commerce, ne finit par devenir fatale à la France, en avilissant l'esprit national. « Pour être libre, dit-il, il ne faut pas être riche. » Il vota aussi pour que l'on refusât des secours pécuniaires aux colons, et eut l'initiative de deux grandes mesures réalisées plus tard : l'établissement d'un comité de surveillance (23 octobre 1791), dont il fit partie, et la confiscation totale des biens des émigrés. Il demanda aussi la déportation en Amérique des prêtres qui troubleraient l'ordre (23 avril 1792), proposa de mettre en accusation les princes du sang émigrés (29 novembre 1791), obtint un décret d'arrestation contre un juge de paix de Paris, Etienne Larivière, qui le poursuivait, et hâta la chute de la royauté par ses actes et par ses discours : « Ce n'est plus avec des discours, s'écriait-il, c'est avec du canon qu'il faut attaquer le palais des rois, et le peuple sera libre ! »
Il prit une part directe à l'affaire du Dix-Août, et sauva, d'ailleurs, dans cette journée, le duc de Choiseul et quelques officiers suisses : ce fut lui qui entraîna son compatriote Rœderer à toutes les démarches par lesquelles ce dernier parvint à conduire le roi et sa famille à l'Assemblée législative. Quelques jours après, Merlin se présenta pour faire partie de la légion des tyrannicides, proposée par Jean Debry : avec ce dernier, il parcourut les départements de Seine-et-Marne, de l'Oise, de l'Aisne et de la Somme.
Réélu, le 4 septembre 1792, membre de la Convention par le département de la Moselle, le 1er sur 8, avec 205 voix (330 votants), il le fut également, le lendemain 5, par la département de la Somme, le 3e sur 17, avec 522 voix (560 votants). Il opta pour la Moselle, et vint siéger sur les bancs de la Montagne. Mais il y fut poursuivi par une accusation de l'ex-ministre Narbonne, qui lui imputait d'avoir reçu de l'argent de la cour. Merlin s'en tira en redoublant de violence dans ses discours : c'est ainsi qu'il réclama l'honneur de poignarder de sa main quiconque aspirerait à la tyrannie (24 septembre 1792) ; il traita Louis XVI « d'infâme », pressa tant qu'il put son jugement, déclara, le 16 octobre, « que le seul reproche qu'il avait à se faire était de n'avoir pas poignardé Louis XVI dans la tribune même de l'Assemblée le 10 août », demanda la mise en jugement du roi et de la reine, fit nommer une commission de vingt-quatre membres chargée d'instruire le procès et de recevoir les dénonciations, et accusa Roland d'avoir violé le secret des correspondances. Toutefois une opinion singulière qu'il émit (décembre 1792) à propos du décret qui punissait de mort l'expression d'un vœu pour le rétablissement de la royauté, excita contre lui de nouvelles défiances. Il avait proposé d'ajouter au décret ces mots : « à moins que ce ne soit dans les assemblées primaires. »
Accablé de reproches, traité de royaliste, il essaya de se justifier en disant : « Certes, je suis loin de supposer au peuple français la pensée de reprendre d'indignes chaînes ; mais il ne vous appartient pas d'enchaîner de quelque manière que ce soit, par une disposition pénale, sa volonté. » Bientôt après, il sollicita et obtint une mission, qui le dispensa d'assister au jugement de Louis XVI. Merlin arriva, le 17 décembre 1792, avec Rewbell, à l'armée qui occupait Mayence. Il écrivit, d'ailleurs, le 6 janvier 1793, pour presser la condamnation à mort, et signa, avec Haussmann et Rewbell, la lettre où figure cette phrase si souvent citée : « Nous sommes entourés de morts et de blessés, c'est au nom de Louis Capet qu'on égorge nos frères, et nous apprenons que Louis Capet vit encore ! » Merlin demanda que l'armée de Custine fût renforcée de deux ou trois corps isolés, qu'on se portât vigoureusement en pays ennemi, et que Mayence, approvisionnée et fortifiée à l'égal de Strasbourg, servît de pivot à tout un système d'opérations. Mais ce plan ne fut pas favorablement accueilli à Paris, et les ministres de la guerre, Pache et Beurnonville, s'y montrèrent particulièrement opposés. Cependant Mayence était investie à la fin de mars par l'armée prussienne. Les munitions étaient insuffisantes, beaucoup de canons étaient hors de service et, malgré l'intrépidité des 22,000 soldats, presque tous volontaires, qui composaient la garnison, et de leurs chefs Aubert-Dubayet, Decaen, Beaupuy, Kléber, la situation était des plus critiques. Le rôle personnel de Merlin de Thionville dans ces circonstances difficiles a été très discuté. Suivant les uns, il se montra aussi habile que brave, soutint l'esprit des troupes par l'exemple d'un courage invincible, rivalisa d'adresse avec les canonniers pour la manœuvre des pièces, et mérita le surnom de Feuerteufel (diable de feu) que lui donna l'armée prussienne. Durant six semaines, a dit Kléber, on vécut « sous une voûte de feu ». Vers la fin de juin, la ville, étroitement cernée par des forces considérables, fut battue par 214 pièces d'artillerie, dont 52 mortiers. Les ouvrages de campagne furent perdus l'un après l'autre ; bref, on entama des négociations avec le roi de Prusse qui les accueillit favorablement, et Mayence capitula (24 juillet 1793). Suivant d'autres, - et Robespierre fut du nombre, - Merlin (de Thionville) aurait trahi et vendu la place à l'ennemi : cette accusation fut portée contre lui à la Convention ; mais défendu d'abord par Thuriot et Chabot, ses amis, puis par Barère au nom du comité de salut public, il fut absous par l'Assemblée, qui décréta que les généraux arrêtés seraient remis en liberté et que la garnison de Mayence avait bien mérité de la patrie. Seuls, Custine et Beauharnais payèrent de leur tête cette capitulation funeste.
En septembre suivant, Merlin se rendit en Vendée avec l'armée de Mayence, et suivit surtout une politique de « conciliation ». Il assista aux combats de Torfou, de Saint-Symphorien, de Chollet, réclama contre la destitution des généraux Canclaux et Aubert-Dubayet, proposa de mettre Kléber à la tête de l'armée, et éleva Marceau du grade de chef de bataillon à celui de général de brigade. Enfin il reprit, le 6 novembre 1793, sa place à la Convention.
Le 15 décembre, il fit décréter que les noms des députés suppléants seraient mis dans une urne et tirés au sort à chaque vacance; des départements eurent ainsi les uns plus, les autres moins de députés qu'ils n'en devaient avoir. Jusqu'au 9 thermidor, Merlin évita de s'engager avec aucun parti, sans cesser, pour cela, d'intervenir fréquemment dans les débats de l'Assemblée. Il présenta un projet de loi contre les femmes qui suivraient les armées, fit ordonner la reddition des comptes des percepteurs de taxes révolutionnaires, parla en faveur de Danton, de Chabot, de Bazire, de Westermann, fit célébrer comme une fête nationale la commémoration de la mort de Louis XVI, et, comme membre du comité de la guerre, eut part encore à plusieurs mesures importantes.
Au 9 thermidor, il prit ouvertement parti contre Robespierre, et s'acharna contre les Jacobins. Ce fut lui qui, du comité de la guerre, expédia l'ordre aux brigades de gendarmerie de la Seine et de Seine-et-Oise de se masser au plus tôt sur divers points indiqués ; ce fut lui également qui fit arrêter Henriot, et mettre la main sur les représentants proscrits et sur les membres de la Commune. Aussi Merlin fut-il bientôt considéré comme un des chefs du parti thermidorien. Membre du comité de sûreté générale (1er août), président de la Convention (17 août), on l'entendit se plaindre amèrement « que les choses n'avaient été faites qu'à demi », et que l'Assemblée s'était montrée trop modérée. A plusieurs reprises, il insista pour qu'on fermât le club des Jacobins qu'il appelait « une caverne, un repaire de brigands » ; enfin il en obtint la dissolution. Envoyé, par décret du 27 octobre 1794, à l'armée de Rhin-et-Moselle, il contribua à la direction des opérations de cette campagne, marquée par la prise de Mannheim, l'occupation du Luxembourg et le siège de Mayence. Le 12 germinal an III, il fut adjoint à Pichegru pour réprimer le mouvement jacobin des faubourgs. Les thermidoriens avaient enrégimenté la « jeunesse dorée », et Merlin vint se placer à sa tête vêtu d'une lévite bleue qui traînait sur ses talons, coiffé d'un tricorne avec un énorme panache de plumes tricolores, un sabre de cavalerie à la main.
Merlin frayait volontiers avec les gens de plaisir : « C'était un Hercule, dit Dussault, dans les mains duquel on surprenait quelquefois un fuseau à la place d'une massue. »
Elu, le 23 vendémiaire an IV, député de la Moselle au Conseil des Cinq-Cents, par 131 voix (285 votants), en même temps qu'il obtenait la majorité dans un très grand nombre d'autres départements, il ne joua plus dans cette nouvelle assemblée qu'un rôle effacé. Au 18 fructidor, il refusa de s'associer à la politique du Directoire, et essaya de détourner contre les démocrates les effets de cette journée : il demanda, par exemple, qu'Amar, Lepeletier et Antonelle fussent compris dans la proscription dont on frappait les royalistes du club de Clichy.
Non réélu en 1798, il entra dans l'administration générale des postes et y resta jusqu'aux événements du 30 prairial an VII. Dénoncé de nouveau, à cette époque, comme dilapidateur, il se retira entièrement des affaires publiques, et reçut le surnom de Calvaire, à cause de l'acquisition qu'il avait faite de l'ancien couvent du Calvaire, près Paris.
En 1814, lors de l'invasion étrangère, Merlin tenta de sortir un instant de l'obscurité, en se présentant pour lever un corps franc, dont la Restauration rendit l'organisation inutile. Cette offre de service au gouvernement impérial ne lui fournit que l'occasion d'adresser le 7 avril au prince de Talleyrand la lettre suivante : « Monseigneur, chargé de lever une légion pour concourir à la défense de mon pays, j'ai dû cesser son organisation quand j'ai su que la paix était le fruit des soins du gouvernement provisoire. J'adhère à tout ce qu'a fait ce gouvernement paternel, et je m'empresse de lui offrir mes services. » En même temps, il demandait pardon à Louis XVIII et à ses ministres de sa conduite passée : « J'avais vingt-sept ans lorsque j'écrivais de Mayence, j'en ai plus de cinquante aujourd'hui, et mes opinions sont bien changées. Je m'en rapporte à la clémence de S. M. et à sa justice. »
On a de Merlin de Thionville un violent libelle paru aussitôt après le 9 thermidor, et intitulé : Portrait de Robespierre.