Anacharsis, Jean-Baptiste Clootz

1755 - 1794

Informations générales
  • Né le 24 juin 1755 à Clèves ( - Duché de Clèves - Saint Empire romain germanique)
  • Décédé le 24 mars 1794 à Paris (Département de Paris, France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Révolution
Législature
Convention nationale
Mandat
Du 4 septembre 1792 au 24 mars 1794
Département
Oise
Groupe
Gauche

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Membre de la Convention, né au château de Gnadenthal (Val-de-Grâce), près de Clèves (Duché de Clèves, Allemagne), le 24 juin 1755, exécuté à Paris (Département de Paris), le 24 mars 1794, était fils du baron de Clootz, conseiller privé du roi de Prusse. Il apprit le français dès l'âge le plus tendre, et fut envoyé à Paris à onze ans. Il y fit toutes ses études classiques et philosophiques, s'éprit de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau, et déclara, après avoir visité l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre, que la capitale de la France était sa patrie d'adoption.

Survint la Révolution. Clootz en embrassa les principes avec enthousiasme, se rendit en pèlerinage aux ruines de la Bastille, « salua de tout son respect, dit un biographe, la lanterne de la place de Grève, « symbole de la justice populaire », cria : Vive Lafayette ! et fut saisi, en présence de l'Assemblée nationale réunie à Versailles, d'un véritable délire patriotique et prophétique :
« Ah ! je lis dans l'avenir, écrivait-il à son cousin de Montesquiou, comme si je le tenais dans la main. J'aperçois une série d'événements heureux, un déroulement d'effets inévitables. Je m'érigerai en prophète de la régénération universelle sans altérer la plus sévère logique. L'Assemblée nationale de France est, à mes yeux, le noyau de l'assemblée vraiment œcuménique, et les décrets de ce concile futur, présidé par le sens commun, feront évanouir à jamais tous les canons des conciliabules soi-disant universels. Croyez à mes prophéties, croyez-y ; car ce n'est pas le ciel qui m'inspire. Ma vaticination ne descend pas du Vatican ténébreux, mais elle jaillit abondamment de la nature des choses. »

Il habitait rue Jacob, et, tout le jour, brûlait le pavé dans son carrosse, emporté par deux chevaux, auxquels deux domestiques, patriotes eux-mêmes, communiquaient l'ardeur du maître. Clootz, dans le grand événement de 1789, vit surtout le prélude d'une inévitable émancipation du genre humain. La République universelle devint, dès le début, sa préoccupation dominante. On croyait alors, assez généralement, à la réalisation d'une monarchie constitutionnelle, et les vœux n'allaient guère au-delà. Mais Clootz prétendait marcher plus loin et plus vite. Il changea son nom patronymique de Jean-Baptiste contre celui d'Anacharsis, philosophe grec, et, s'intitulant lui-même l' « orateur du genre humain », se proposa pour être le porte-parole d'une « ambassade » d'étrangers qui venait féliciter au nom de tous les peuples l'Assemblée des libérateurs de la France.

Après la révolution du Dix-Août, Clootz manifesta solennellement à la barre de l'Assemblée législative la joie « républicaine » qu'il avait ressentie en voyant tomber le trône du tyran ; il dévoila les plans contre-révolutionnaires des cours étrangères, et fit hommage de 12 000 livres pour aider à combattre le despotisme et à établir la République universelle.

Désigné par le parti révolutionnaire aux électeurs de l'Oise, réunis à Chaumont le 4 septembre 1792, Anacharsis Clootz fut élu membre de la Convention le 6e sur 12, avec 279 voix (452 votants). Le 29 du même mois, comme son cousin, le marquis de Montesquiou-Fezensac annonçait par lettre son entrée triomphale à Chambéry, et faisait part à l'Assemblée de l'intention des Savoisiens de proposer à la France un 84e département, ou tout au moins une république sous sa protection, quelques députés avaient opiné pour que la Savoie « eût un gouvernement particulier: » Clootz courut à la tribune et lut, « au nom du genre humain » un projet d'adresse aux Savoisiens, qui débutait ainsi :

« La République des conquérants de la liberté vous félicite, frères et amis, du succès de nos armes dans un pays jadis démembré de la France par la discorde féodale, et qui va se rapatrier sous la sauvegarde des droits de l'homme. Les Allobroges des trois départements du ci-devant Dauphiné partagent la joie de tous les Français, en embrassant les Allobroges des nouveaux départements du Mont-Cenis et du Mont-Blanc. Vous sortez d'un long esclavage, vous êtes novices dans l'art de vivre libres : la malveillance de votre clergé, de votre noblesse, de votre magistrature, vous indiquera les routes périlleuses. La sagesse de nos conseils sera la seule autorité que nous exercerons sur vous ; votre bonheur est l'unique fruit que nous prétendons tirer de l'abaissement de vos tyrans. L'intérêt de l'agriculture, du commerce, de l'indépendance, de la dignité, du repos intérieur et vicinal... tout vous prêche l'unité indivisible, tout vous invite à faire cause commune avec nous. Choisissez, prononcez... »

Clootz qui se disait « l'ennemi personnel de Jésus-Christ », déclara une guerre implacable aux religions et aux trônes. Lors du procès de Louis XVI, il se prononça négativement sur la question de l'appel au peuple :
« Je ne connais pas, dit-il, d'autre souverain que le genre humain, c'est-à-dire la raison universelle. Soumis avec respect à sa souveraineté sainte, je dis non. »
Au 3e appel :
Quelle peine? « Louis Capet, Frédéric Guillaume et tous les tyrans de la terre sont coupables du crime de lèse-majesté. Je demande au genre humain quelle punition mérite ce crime. Il me répond : La mort. Je vote pour la mort du tyran Capet. »

Le 24 avril 1793, Anacharsis monta à la tribune pour donner lecture, à propos de la discussion de la Déclaration des droits de l'homme, d'un manuscrit longuement élaboré par lui et auquel il avait donné ce titre : Bases constitutionnelles de la République du genre humain. Il y développait par le menu ses principes :
« C'est en consultant la nature que je découvre un système politique dont la simplicité sera parfaitement saisie par quiconque désire toute l'indépendance, tout le bonheur dont l'homme est susceptible. Les droits de l'homme s'étendent sur la totalité des hommes. Une corporation, qui se dit souveraine, blesse grièvement l'humanité ; elle est en pleine révolte contre le bon sens et le bonheur: de ces données incontestables résulte nécessairement la souveraineté solidaire, indivisible du genre humain ; car nous voulons la liberté plénière, intacte, irrésistible ; nous ne voulons pas d'autre maître que l'expression de la volonté générale, absolue, suprême. Or, si je rencontre sur la terre une volonté particulière qui croise l'intérêt universel, je m'y oppose; cette résistance est un état de guerre et de servitude dont le genre humain, l'Etre suprême, fera justice tôt ou tard. Les attributs d'une divinité fantastique appartiennent réellement à la divinité politique. J'ai dit et le répète, que le genre humain est Dieu, et que les aristocrates sont les athées; c'est le genre humain régénéré que j'avais en vue lorsque j'ai parlé du peuple-dieu, dont la France est le berceau et le point de ralliement. La souveraineté réside essentiellement dans le genre humain tout entier; elle est une, indivisible, imprescriptible, immuable, inaliénable, impérissable, illimitée, sans bornes, absolue et toute-puissante... »
Il termina en disant :
« Voici trois articles, trois résultats d'une méditation profonde, que je soumets à la sagesse de mes collègues : La Convention nationale voulant mettre un terme aux erreurs, aux inconséquences, aux prétentions contradictoires des corporations et des individus qui se disent souverains, déclare solennellement, sous les auspices des droits de l'homme :
Art. Ier: Il n'y a pas d'autre souverain que le genre humain.
Art. II: Tout individu, toute commune qui reconnaîtra ce principe lumineux et immuable, sera reçu de droit dans notre association fraternelle, dans la république des hommes, des germains, des universels.
III : A défaut de contiguïté ou de communication maritime, on attendra la propagation de la vérité pour admettre les communes, les enclaves lointaines. »

Le jour où l'on célébrait dans la Convention les fêtes de la Raison, Clootz fit don à l'Assemblée d'un ouvrage sur les religions, et demanda en même temps qu'on érigeât une statue à Jean Meslier, curé champenois, qui avait renoncé à son état. La Convention applaudit au discours de l'orateur du genre humain, en ordonna l'impression, et envoya son livre au comité d'instruction publique. Cependant Robespierre et les siens, qui goûtaient peu les théories anti-religieuses de Clootz, ne tardèrent pas à lui faire ouvertement la guerre. Comme la société des Jacobins, dont Clootz avait été le président, venait de décider de faire passer au scrutin épuratif ceux de ses membres qui étaient représentants du peuple. Anacharsis fut appelé à son tour, dans la séance du 22 frimaire an II. Le président Fourcroy commença l'interrogatoire :
- Ton nom?
- Anacharsis Clootz.
- Le lieu de ta naissance ?
- Clèves, dans le département futur du Rhin-et-Meuse, voilà pour ma naissance physique. Quant à mon berceau moral, c'est l'université de Paris, où je suis venu à l'âge de onze ans. Or j'en ai 38 ; il y a donc 27 ans que je suis parisien.
- Que faisais-tu avant la révolution?
- J'étais homme libre, indépendant, cosmopolite, citoyen de l'univers.
Mais un citoyen déclara qu'il désirait être éclairé sur les liaisons d'Anarcharsis avec les banquiers Vanden Hyver, coupables de lèse-nation. Ses explications satisfirent peu la réunion. Alors intervint Robespierre :
« Pouvons-nous regarder comme patriote un baron allemand ? Pouvons-nous regarder comme sans-culotte et croire républicain un homme qui ne vit qu'avec les banquiers et les contre-révolutionnaires ennemis de la France ? Non citoyens, mettons-nous en garde contre les étrangers qui veulent paraître plus patriotes que les Français eux-mêmes. Clootz, tu passes ta vie avec nos ennemis, avec les agents et les espions des puissances étrangères ; comme eux, tu es un traître qu'il faut surveiller. Citoyens, Clootz vient de tout vous expliquer. Il connaissait les Vanden Hyver et les connaissait pour des contre-révolutionnaires. Il vous assure qu'il a cessé de les voir ; mais c'est encore là une fourberie de prussien. Pourquoi donc, Clootz, es-tu venu solliciter leur élargissement au comité de sûreté générale ?... »

Robespierre continua en accusant Clootz d'avoir embrassé naguère le parti de Brissot et de Dumouriez, d'avoir publié sous ce titre : Ni Marat ni Roland, un pamphlet contre la Montagne ; d'avoir, par ses opinions extravagantes, « par son obstination à inspirer la rage des conquêtes », augmenté le nombre des partisans du fédéralisme, etc. Il conclut au milieu des applaudissements, en proposant de rayer du tableau de la Société, sans exception, tous les nobles, prêtres, banquiers et étrangers. Cette résolution fut adoptée et mise sur le champ à exécution.

Clootz se retira pâle et déconcerté. Compris quelques temps après dans la dénonciation portée par Saint-Just contre les Hébertistes, il fut arrêté avec plusieurs autres et condamné à mort, « comme auteur ou complice d'une conspiration contre la liberté, la sûreté du peuple français, tendant à troubler l'Etat par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, les conjurés devant, dans le courant de ventôse, dissoudre la représentation nationale, assassiner ses membres, et détruire le gouvernement républicain, pour donner un tyran à l'Etat. » Les condamnés furent immédiatement exécutés (24 mars 1794). Clootz voulut mourir le dernier.

On a de lui, entre autres ouvrages :
- Certitude des preuves du mahométisme (Londres, 1780) ;
- L'Orateur du genre humain ou Dépêche du Prussien Clootz au Prussien Herzberg (1791) ;
- Adresse d'un Prussien à un Anglais ;
- Vœux d'un Gallophile ;
- la République universelle (1792), etc.