Pierre, Paul Royer-Collard
1763 - 1845
Député au Conseil des Cinq-Cents et de 1815 à 1842, né à Sompuis (Généralité de Châlons en Champagne) le 21 juin 1763, mort à Châteauvieux (Loire-et-Cher) le 4 septembre 1845, d'une famille janséniste, fils d'un riche cultivateur, il fit ses études au collège de Chaumont, puis à celui de Saint-Omer tenu par les frères doctrinaires, et devint professeur de mathématiques dans cet établissement, qu'il quitta pour aller professer à Moulins. Renonçant à l'enseignement pour le barreau, il étudia le droit et débuta comme avocat à Paris en 1787.
Il adopta avec réserves les principes de la Révolution, et fut nommé par la section de Saint-Louis-en-l'Ile membre du conseil de la commune, dont il fit partie jusqu'au 10 août 1792. L'année suivante, au nom de la section de la Fraternité (ci-devant Saint-Louis-en-l'Ile), il présenta à la Convention une adresse en faveur des enrôlements volontaires contre l'insurrection vendéenne à ses débuts. Après le 31 mai, il se déroba aux poursuites et se retira à Sompuis chez sa mère jusqu'au 9 thermidor. En 1794, à propos d'une réquisition de l'autorité directoriale, qu'il jugeait arbitraire, il rédigea une protestation au nom de ses concitoyens.
Le 23 germinal an V, il fut élu député de la Marne au Conseil des Cinq-Cents, par 175 voix (201 votants). Il chercha à constituer un cercle d'hommes politiques partageant ses idées, et se lia particulièrement avec Quatremère de Quincy, Camille Jordan et Corbière. Avec leur aide, il rallia le groupe des royalistes et parut pour la première fois à la tribune à propos d'une loi sur la liberté des cultes, présentée par Camille Jordan au nom d'une commission, et qui réclamait le rétablissement du culte catholique.
Compromis lors du 18 fructidor, il vit son élection annulée, ne cacha pas ses sentiments royalistes, et, partisan avoué de la monarchie constitutionnelle, fut mêlé aux complots organisés par les agents des Bourbons, notamment par d'André et Camille Jordan (1799), et fit partie du « conseil royal » constitué à Paris le 24 février 1800. Il blâma la lettre adressée, après le 18 brumaire, par le roi au marquis de Clermont-Gallerande, afin d'offrir au général Bonaparte le rôle de Monk, et lui écrivit : « Sa Majesté n'a plus de mandataires à Paris. Son conseil est dissous. Le souvenir que Sa Majesté daignera garder de ses services en sera la récompense. »
En 1799, il avait épousé Mlle de Forges de Châteauvieux. Fixé à Paris, il commença de s'occuper de philosophie. Ayant découvert quelques volumes de Thomas Reid, il s'en servit pour combattre les doctrines de Condillac, alors régnantes, dans un article du Journal des Débats de 1806, qui produisit un grand effet. L'auteur devint d'emblée une autorité en matière de philosophie, et, en 1811, Pastoret, doyen de la faculté des lettres et professeur titulaire de la chaire de philosophie à la Sorbonne, étant devenu sénateur, proposa sa succession à Royer-Collard. Nommé par Fontanes, ce dernier débuta non sans difficultés: sans antécédents dans la science, presque sans disciples tout d'abord ses efforts furent assez mal accueillis. Il ne forma que peu d'élèves, parmi lesquels Victor Cousin, tandis que la plupart des étudiants suivaient le cours de La Romiguière. Royer-Collard, qui s'était montré très réservé à l'égard de Napoléon, alla, lors de la rentrée de Louis XVIII, lui présenter ses hommages à Compiègne. Le roi le fit directeur de la librairie et il choisit immédiatement pour secrétaire général M. Guizot.
Très lié avec M. de Montesquiou, membre de la Commission du gouvernement nommée provisoirement par Louis XVIII, et son ancien collègue au « conseil royal » de 1800, il eut une grande part à la rédaction du projet de loi sur la presse adopté par les deux Chambres, et fut l'auteur du célèbre règlement sur l'instruction publique, qui créait dix-sept universités et une école normale, et rendait l'indépendance aux fonctionnaires de l'Université, règlement qui, d'ailleurs, ne fut pas mis en pratique.
Pendant les Cent-Jours, Royer-Collard, doyen de la faculté des lettres, prêta serment à l'empereur, mais envoya Guizot à Gand auprès du roi.
Lors de la seconde Restauration, il ne songea plus à détruire l'Université impériale, se contenta de faire déléguer l'ancienne autorité du grand maître à une commission fonctionnant sous le contrôle du ministre de l'Intérieur, et fut président de cette commission.
Le 22 août 1815, le grand collège de la Marne l'envoya siéger à la Chambre des députés, par 106 voix (188 votants, 282 inscrits). Le changement de ministère le jeta dans l'opposition constitutionnelle. Il combattit les ultra-royalistes et fut un des promoteurs de la loi qui fixait à 300 francs le cens électoral.
Réélu, le 4 octobre 1816, par 140 voix (176 votants; 279 inscrits), il exerça dans la Chambre et même dans le gouvernement une influence incontestée, tout en étant des plus antipathiques aux royalistes de l'extrême droite qui l'accusaient d'avoir voulu, par l'abaissement du cens, faire passer le pouvoir de l'aristocratie aux mains de la classe moyenne. Ils l'attaquèrent violemment dans la session de 1817 à propos du budget de l'instruction publique. Il n'en conserva pas moins sa position, jusqu'à ce qu'il fût, après une lutte de plusieurs sessions, écarté du Conseil d'Etat, ainsi que Camille Jordan, Barante et Guizot.
M. de Serre, qui avait signé sa destitution, lui écrivit pour l'informer que le roi le nommait conseiller d'Etat honoraire avec une pension de 10 000 francs. Royer-Collard répondit : « J'adresse cette lettre non au ministre, non à l'ancien ami dont je détourne ma pensée, mais à l'homme qui, ayant connu mes sentiments les plus intimes, saura mettre ma conduite dans son véritable jour. Je sais quel respect est dû au roi. Je ne voudrais pas lui désobéir, et cependant je ne puis accepter une pension... Je ne me crois pas obligé d'accepter un traitement secret sur des fonds secrets ; j'abaisserais mon caractère de député, je dégraderais les services que vous rappelez ; j'aime mieux qu'ils soient oubliés... » Royer-Collard avait parlé avec vivacité contre la nouvelle loi électorale ; il se montra également opposé à la loi contre la presse, se prononça contre la guerre d'Espagne et s'éleva hautement contre la loi qui punissait de mort le sacrilège.
Il était considéré alors comme un des premiers orateurs de la Chambre, et jouissait en outre d'une réputation d'intégrité absolue. On a souvent cité la définition qu'il donna (1826), à la tribune, du droit de pétition :
« Le mot droit de pétition est impropre; la pétition est plus qu'un droit, c'est une faculté naturelle comme la parole. Quiconque a la parole peut demander quoi que ce soit à qui que ce soit. Il se fait des pétitions partout, à Constantinople comme à Paris; seulement, en France, elles se groupent en signatures sur une feuille de papier. À Constantinople, les pétitionnaires brûlent les maisons et incendient les palais. La pétition de Paris est d'une meilleure nature que celle de Constantinople. »
Royaliste dévoué, il secondait pourtant, dans la plupart des circonstances graves, les efforts des libéraux. Après avoir obtenu sa réélection, le 1er octobre 1821, dans le 2e arrondissement de la Marne (Vitry-le-François), par 187 voix (306 votants, 379 inscrits), contre 105 à M. Gillet, il échoua dans cette circonscription, le 25 février 1824, mais il fut élu le même jour dans le 1er arrondissement du même département (Châlons-sur-Marne) par 156 voix (279 votants, 322 inscrits), contre 86 à M. de Saint-Chamans. Membre de l'Académie française en 1827, il fut renvoyé la même année (17 novembre) à la Chambre des députés par plusieurs arrondissements électoraux :
1° le 1er de la Marne (Châlons), avec 163 voix sur 213 votants et 263 inscrits, contre 41 à M. de Saint-Chamans ;
2° le 2e de la Marne (Vitry-le-François) avec 116 voix (219 votants, 248 inscrits), contre 99 à M. Gillet ;
3° le 2e de l'Hérault (Béziers) avec 287 voix (485 votants, 636 inscrits), contre 195 à M. Rescas-Palignan ;
4° le 2e du Rhône (Lyon-Sud), avec 460 voix (719 votants, 810 inscrits), contre 184 à M. Delhomme ;
5° le 7e de Paris, avec 703 voix (890 votants), contre 179 à M. Camet de la Bonardière ;
6° le 3e de Seine-et-Marne (Melun), avec 228 voix (349 votants, 389 inscrits), contre 115 à M. Rolland d'Erceville ;
7° le 3e des Vosges (Neufchâteau), avec 49 voix (69 votants, 84 inscrits), contre 19 à M. Baudel-Martinet.
Il opta pour Vitry-le-François.
Nommé président de la Chambre en 1828, il prêta son concours au ministère Martignac, combattit la politique qui prévalut à la fin du règne de Charles X, et, comme président, dut présenter lui-même au roi (mars 1830) l'Adresse des 221, par laquelle la Chambre refusait de suivre le gouvernement dans la voie où il s'était engagé : le roi ne voulut pas en entendre la lecture. Le lendemain, la Chambre était prorogée, Royer-Collard partit pour Châteauvieux, fut réélu à Vitry-le-François le 12 juillet 1830, par 118 voix sur 181 votants, ne prit personnellement aucune part à la révolution qui renversa la branche aînée, et se rallia à la monarchie de Louis-Philippe. Mais il était déjà vieux, affaibli, et dégoûté de la politique.
Réélu encore, le 5 juillet 1831, par 201 voix (279 votants, 320 inscrits), contre 70 à M. Williams, il soutint Casimir Perier, dont la mort acheva de le décourager et de lui inspirer le goût de la retraite.
Le 21 juin 1834, ses électeurs lui renouvelèrent son mandat, par 192 suffrages (262 votants, 312 inscrits), contre 63 à M. Williams. Il leur avait dit dans sa profession de foi : « Le gouvernement représentatif, ce premier besoin de la France, perd de son énergie et même de sa vérité par la surabondance de notre esprit démocratique. Mais il survivra toujours des principes qui doivent être défendus dans toutes les conjonctures. Toute ma vie vous répond que je serai toujours fidèle à cette grande cause, qui est celle de la France et la vôtre. » Partisan d'un gouvernement fort, il opina jusqu'au bout avec la majorité conservatrice et doctrinaire, protesta contre les lois de septembre, et flétrit la coalition qui renversa le ministère Molé.
Mais il se désintéressa de plus en plus de la politique active, et après avoir été réélu encore à son siège de député, le 4 novembre 1837, par 217 voix (263 votants, 361 inscrits), et le 2 mars 1839, par 276 voix (311 votants), il échoua, le 9 juillet 1842, avec 144 voix contre 201 à l'élu, M. Lenoble.
Malade depuis 1844, il succomba l'année suivante. Sévère et rude à l'excès, Royer-Collard avait adopté à l'égard de ses deux filles un singulier système d'éducation, les soumettant aux travaux les plus durs, aux épreuves les plus pénibles.
Très dur d'ailleurs envers lui-même, il s'astreignait aussi à une existence d'une grande simplicité. Il recevait avec politesse, mais avec une raideur dont il ne put jamais se départir, et son salon, que fréquentèrent Guizot, le duc de Broglie, Ampère, de Barante, Casimir Perier, Villemain, etc., fut longtemps l'écho du parti libéral.
Comme philosophe, il n'eut pas, sans doute, une originalité bien marquée; mais l'éloquence de ses leçons captivait ses auditeurs. Quoiqu'il ait beaucoup écrit, on n'a guère de lui que des discours :
- Discours prononcé à l'ouverture du cours d’histoire de la philosophie (1811) ;
- Cours d'histoire de la philosophie moderne (1813) ;
- Discours de réception à l'Académie française (1827) ;
- Opinions sur l'inamovibilité des juges (1815) ;
- Sur la loi des élections (1816) ;
- Sur la liste individuelle (1817) ;
- Sur le projet de loi relatif aux journaux (1817) ;
- Sur le projet de loi relatif à la publication des journaux et écrits périodiques (1820) ;
- Sur la loi relative à la répression des délits de presse (1822) ;
- Sur l'hérédité de la pairie (1831) ;
- Sur le projet de loi de septembre sur la presse (1835).