Jacques, Antoine Manuel

1775 - 1827

Informations générales
  • Né le 10 décembre 1775 à Barcelonnette ( - Généralité de Grenoble - France)
  • Décédé le 20 août 1827 à Maisons-Lafitte (Seine-et-Oise - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cent-Jours
Législature
Chambre des représentants
Mandat
Du 10 mai 1815 au 13 juillet 1815
Département
Basses-Alpes
Groupe
Gauche
Régime politique
Seconde Restauration - Chambre des députés des départements
Législature
IIe législature
Mandat
Du 20 octobre 1818 au 17 août 1822
Département
Vendée
Groupe
Gauche
Régime politique
Seconde Restauration - Chambre des députés des départements
Législature
IIe législature
Mandat
Du 13 novembre 1822 au 24 décembre 1823
Département
Vendée
Groupe
Gauche

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant aux Cent-jours, député de 1818 à 1824, né à Barcelonnette (Généralité de Grenoble, France) le 10 décembre 1775, mort au château de Maisons (Seine-et-Oise) le 20 août 1827, il s'engagea, à 17 ans, dans les volontaires de 1792, où il devint bientôt capitaine d'infanterie.

Blessé dans plusieurs rencontres, il quitta l'armée après la paix de Campo-Formio, et entra chez un de ses parents avocat à Digne. Ses études de droit terminées, il se fit inscrire au barreau d'Aix où il acquit rapidement de la réputation. Aux Cent-jours, les électeurs d'Aix lui offrirent la députation, il la refusa; mais le 10 mai, le grand collège des Basses-alpes l'élut représentant, par 14 voix sur 24 votants contre 7 à M. Roux (Pascal); le même jour, il était également élu par l'arrondissement de Barcelonnette.

Manuel ne parut à la tribune qu'après Waterloo. Le 23 juin, il fit voter un ordre du jour motivé portant que Napoléon II était devenu empereur des Français, et son discours lui valut cette appréciation de Cambon: « Ce jeune homme commence comme Barnave a fini. » Le 27, il fit prévaloir l'urgence de la discussion de la Constitution et du budget; le 3, il présenta un projet d'adresse qui fut trouvé trop vague et qu'il défendit en protestant bien haut qu'il croyait le bonheur incompatible avec le retour des Bourbons; le 5, il demanda, en présence des propositions théoriques de Garat, qu'on mit dans la Constitution plus de « positif » et moins d' « idéologie ». Le 7, à la nouvelle que les alliés s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, il s'éleva contre un acte qui blessait « notre liberté et nos droits », en rappelant l'apostrophe de Mirabeau: « Nous sommes ici par la volonté du peuple... etc. » Il signa le lendemain, avec 52 députés, une protestation contre la dispersion de la Chambre par la force armée, et, pour ne pas retourner en Provence ensanglantée alors par la guerre civile, demanda son inscription au barreau de Paris. Elle lui fut refusée par le conseil de l'ordre, et il ouvrit un cabinet d'avocat consultant.

Les électeurs parisiens songèrent à le renvoyer à la Chambre en 1817; il y rentra, le 26 octobre 1818, élu à la fois dans le grand collège du Finistère par 390 voix sur 745 votants et 947 inscrits, et dans le grand collège de la Vendée par 421 voix sur 658 votants et 938 inscrits; il opta pour la Vendée, et s'assit à la gauche de la Chambre. Improvisateur de premier ordre, il aborda toutes les questions avec un égal talent, dont la dialectique acquise doublait la véhémence naturelle: il attaqua les majorats, s'opposa à l'exclusion de Grégoire, parla contre les douzièmes provisoires, contre la nouvelle loi électorale, etc. Sa présence à la tribune avait le don d'exciter les colères et les apostrophes du centre et de la droite, qui ne lui ménagèrent les manifestations ni lorsqu'il parla contre la loi suspensive de la liberté de la presse, ni lorsqu'il voulut exprimer au roi, dans un projet d'adresse, l'inquiétude publique et dénoncer l'alliance du ministère avec les pires ennemis de la monarchie. Quoique déjà malade, il prit, à la discussion de la nouvelle loi électorale, une part considérable, et s'efforça en vain de prévenir les transactions qu'une partie de l'opposition crut pouvoir accepter.

A la fin de cette session de 1820, les électeurs libéraux de la Vendée firent frapper une médaille en l'honneur de leurs trois députés: Esgonnière, Manuel et Perreau. La session de 1821 ne fut pas moins laborieuse pour Manuel; en 1822, il souleva de nouveau les murmures violents de la majorité, en disant, dans la discussion de la loi sur les délits de presse, que la France, en 1814, « avait vu les Bourbons avec répugnance. »

Réélu député, le 13 novembre 1822, dans deux arrondissements électoraux de la Vendée, dans le 2e (Fontenay-le-Comte) par 101 voix, et dans le 3° (les Sables-d'Olonne) par 193 voix, il opta pour les Sables-d'Olonne.

La discussion sur la guerre d'Espagne (février 1823) fournit bientôt à la majorité l'occasion de satisfaire sa longue rancune. Manuel avait à répondre (27 février) au magnifique discours par lequel Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, avait défendu l'expédition, et qui avait excité dans la Chambre un indescriptible enthousiasme. Appréciant le gouvernement de Ferdinand VII, qu'il s'agissait d'aller rétablir, le député de la Vendée dit que ce gouvernement avait été atroce de 1815 à 1819; à ce mot, des cris nombreux de: à l'ordre! se firent entendre, mais le président se refusa d'y obtempérer. Manuel, examinant alors les conséquences de l'invasion française pour ce monarque, s'écria : « Auriez-vous donc oublié que, dès le moment où les puissances étrangères envahirent le territoire français, la France révolutionnaire sentant le besoin de se défendre par des formes et par une énergie nouvelles... » A ces mots, une explosion de cris partis de la droite interrompit l'orateur: à la porte, à bas, c'est la justification du régicide! En vain, Manuel demande qu'on lui laisse terminer sa phrase. « Non, nous ne voulons plus l'entendre » crie la droite, et M. Forbin des Issarts s'élance à la tribune pour réclamer l'expulsion de Manuel. Le président esquiva cette motion embarrassante en levant la séance. Le lendemain, M. de la Bourdonnaye renouvela dans les bureaux, puis à la tribune, la demande d'expulsion.

Admis, à grande peine, à se défendre, Manuel s'exprima ainsi: « Il parait, messieurs, que le peu de mots que j'ai à vous dire trompent l'impatience de quelques-uns de mes honorables adversaires. Cette impatience pourrait donner lieu à d'étranges rapprochements. Mais je ne viens point ici pour rappeler des jours de terrible mémoire: ce qu'il m'importe qu'on sache au moment où je parais à cette tribune, c'est que je n'y suis monté ni dans l'espoir, ni avec le désir de conjurer l'orage qui gronde sur ma tête. Je ne prends la parole que pour établir et constater, autant qu'il dépendra de moi, que la mesure qu'on vous propose est un acte de tyrannie sans prétexte, sans excuse, comme sans justice ». Il termina sa justification par ces paroles : « Vous voulez m'éloigner de cette tribune, c'est là seulement ce qui vous importe. Eh bien! prononcez votre arrêt. Je sais qu'il faut que les passions aient leur cours... Je serai votre première victime, puissé-je être la dernière! Je n'emporterai aucun ressentiment; mais si je pouvais être animé de quelque désir de vengeance, victime de vos fureurs, je confierais a vos fureurs le soin de me venger. »

Ce discours ne fit qu'irriter davantage ses adversaires, la proposition fut renvoyée aux bureaux. Le 28, le président ayant donné la parole à Manuel pour continuer son discours de l'avant-veille, la majorité refusa de l'entendre. Le 1er mars, M. de la Bourdonnaye, rapporteur de la commission, déposa son rapport concluant à l'expulsion. La discussion fut fixée au 3 mars. Le général Foy, M. de Girardin, M. de Saint-Aulaire, Royer-Collard s'élevèrent, à des points de vue différents, contre les conclusions du rapport; le ministère, interpellé, refusa de « se mêler d'une question d'ordre intérieur » ; Manuel se défendit encore : « Arrivé, dit-il, dans cette Chambre par la volonté de ceux qui m'y avaient envoyé, je ne dois en sortir que par la violence de ceux qui n'ont pas le droit de m'en exclure, et si cette résolution peut appeler sur ma tête de plus graves dangers, je me dis que le champ de la liberté a été quelquefois fécondé par un sang généreux. » Le président lut alors la proposition ainsi amendée: « M. Manuel sera exclu des séances de la Chambre pendant toute la durée de la présente session.» Le centre droit et la droite se levèrent pour; à la contre-épreuve, la gauche et le centre gauche quittèrent la salle: le président prononça l'expulsion.

Le lendemain, 4 mars, à l'ouverture de la séance, on vit entrer solennellement Manuel suivi de toute la gauche. Le président lui ayant ordonné de se retirer, en vertu du vote de la veille, le député de la Vendée répondit : « Monsieur le président, hier j'ai annoncé que je ne céderais qu'à la violence. Aujourd'hui je viens tenir parole. » La séance fut suspendue, la gauche restant en séance, la droite se retirant dans les bureaux. Au bout d'une heure le chef des huissiers vint lire à Manuel un ordre du président portant que « s'il en est besoin, les huissiers pourront se faire assister par la force armée. »-« L'ordre dont vous êtes porteur est illégal, répondit Manuel, je n'y obtempérerai pas. » Alors se présenta un piquet de gardes nationaux; mais devant les protestations de Casimir Périer et de La Fayette, l'officier se trouble, le sergent, requis de faire son devoir, reste immobile, et le piquet se retire aux cris de « Vive la garde nationale! » Alors intervint un détachement de gendarmes conduits par le colonel de Foucault. Sommé de sortir au nom de la loi, Manuel répondit « C'est en violation de la loi. » - « Gendarmes, faites votre devoir», dit M. de Foucault; les gendarmes saisirent Manuel, qui, sans résistance, descendit escorté de toute la gauche. Le lendemain, 62 députés protestèrent contre l'expulsion dans une lettre adressée au président et dont la droite refusa d'entendre la lecture; devant cette attitude, la gauche quitta la salle et ne reparut plus pendant la session; le centre gauche siégea, mais ne prit part ni aux débats ni aux votes.

Manuel, résigné à une retraite que l'état de sa santé eût bientôt rendue nécessaire, s'aperçut encore que les passions politiques, aussi vives dans le pays qu'à la Chambre, ne désarmaient jamais. Appelé, en novembre 1823, à être le parrain du fils d'un de ses amis, à la Ferté sous Jouarre, on ne put procéder au jour dit à la cérémonie, le père de l'enfant ayant reçu du curé de sa paroisse la lettre qui suit :

« La Ferté sous Jouarre, le 8 novembre 1823.

« Monsieur,

« Informé que M. Manuel doit se présenter demain à mon église, pour être parrain de votre enfant, je crois devoir vous prévenir que, d'après une lettre de Mgr l'évêque de Meaux, en date du 4 avril dernier, je ne pourrais l'admettre. Je me flatte que vous voudrez bien épargner à votre ami, ainsi qu'à moi, le désagrément d'un refus que je serais obligé de faire.

« Agréez, monsieur, l'assurance de ma considération.

Signé: CAUVIN, curé doyen et chanoine-honoraire. »

Le baptême se fit deux jours plus tard dans l'église d'une commune voisine, et sans incident.

Manuel passa dans la retraite les dernières années de sa vie, et mourut chez son ami Lafitte, au château de Maisons. Son corps fut transporté au Père-Lachaise suivi d'une foule immense; malgré les précautions prises par la police, qui n'avait accordé le passage que par les boulevards extérieurs, ce ne fut qu'à grande peine qu'on put éviter des troubles sérieux.