Jean-Charles Pichegru
1761 - 1804
Député an Conseil des Cinq-Cents, né à Arbois (Généralité de Besançon, France) le 16 février 1761, mort à Paris (Seine) le 5 avril 1804, fils de Pierre Pichegru et de Françoise Roumain, cultivateurs, qui le firent élever au collège des Minimes de sa ville natale, il fit de bonnes études, devint répétiteur au collège de Brienne tenu par les mêmes religieux, et se destina à entrer dans cette congrégation ; mais son ancien maître, le P. Patrault, lui conseilla la carrière militaire, et Pichegru s'engagea (1783) au 1er régiment d'artillerie à pied, où il devint rapidement adjudant.
Plein d'ambition, il compta parmi les plus zélés partisans du nouvel ordre de choses, fréquenta les sociétés populaires, devint président du club de Besançon, et fut choisi pour chef par un bataillon des volontaires du Gard, qu'il disciplina avec habileté et à la tête duquel (1792) il rejoignit l'armée du Rhin. Les représentants en mission, frappés de ses qualités militaires, le nommèrent général de division (4 octobre 1793), et bientôt commandant en chef de l'armée. Après avoir fait sa jonction avec Hoche, qui commandait l'armée de la Moselle, il seconda les opérations de ce dernier et contribua aux victoires de Wissembourg, de Gemeinheim, de Spire, de Worms. Après l'arrestation de Hoche, Pichegru obtint le commandement des années réunies du Rhin et de la Moselle (décembre 1793) et vint peu après à Paris où il fut comblé d'honneurs.
Appelé au commandement de l'armée du Nord (7 février 1794), il y obtint de brillants et rapides succès, tournant les alliés, les déconcertant à force d'audace, et rompant par les brillants combats de Cassel, de Courtrai et de Menin une ligne jusque-là impénétrable ; le 18 octobre 1794, il franchit la Meuse sans obstacle, à la tête de quarante mille hommes. Vers cette époque, il tomba malade et fut obligé de gagner Bruxelles ; mais les opérations de l'armée n'en furent pas ralenties, malgré l'approche de l'hiver, les commissaires de la Convention ayant exigé la prompte exécution des ordres du comité de salut public. Pichegru s'empara de l'île de Bommel (27 décembre 1794), fit, le 19 janvier 1795, une entrée triomphante à Amsterdam, et bientôt la Zélande, les places du Brabant, La Haye, Rotterdam reçurent les troupes françaises. Cette étonnante campagne fut signalée par un véritable prodige : Pichegru avait envoyé dans la Hollande septentrionale des détachements de cavalerie et d'artillerie légère avec ordre de traverser le Texel, alors glacé, de s'approcher des vaisseaux de guerre hollandais qu'il savait y être enfermés, et de s'en emparer, C'était la première fois qu'on parlait de prendre une flotte avec de la cavalerie ; néanmoins cette manœuvre hardie réussit à souhait. L'armée navale fut faite prisonnière sans combat.
Pichegru allait réunir sous ses ordres les armées du Rhin et de la Moselle, lorsque éclata l'insurrection du 12 germinal an III ; il se trouvait de passage à Paris : la majorité thermidorienne lui confia le commandement des troupes, et ce fut lui qui réprima l'insurrection. De retour à son poste, il franchit le Rhin ; et s'empara de Manheim, mais ce fut le terme de ses succès. Pichegru n'avait pas repoussé des propositions faites au nom du prince de Condé, chef de l'émigration, et on le vit compromettre par une gaucherie inaccoutumée son armée et celle de Jourdan. Battu à Heidelberg, il se l'enferma dans Manheim, laissa l'ennemi écraser Jourdan, et continua ses négociations personnelles par l'intermédiaire de Fauche-Borel et de quelques autres agents du prince, que dirigeait Roques de Montgaillard. Pichegru devait se réunir à l'armée des émigrés, avec un corps d'élite, proclamer Louis XVIII et marcher sur Paris. En retour, on lui promettait le gouvernement. de l'Alsace, le château de Chambord, un million en argent, 200 000 livres de rente, la terre. d'Arbois, douze pièces de canon, le grand cordon rouge de Saint-Louis, celui du Saint-Esprit et la dignité de maréchal. En attendant, on lui envoyait jusqu'à 900 louis par mois. Le signal de l'action décisive devait être donné par une insurrection des sections royalistes de Paris contre la Convention et par une descente du comte d'Artois en Bretagne : l'insurrection parisienne échoua (5 octobre 1795), et. le parti royaliste dut ajourner le renouvellement de ses complots. Cependant le Directoire, ayant eu vent de ces négociations, remplaça Pichegru par Moreau. Pichegru refusa l'ambassade de Suède, qui lui était offerte, et se retira à Arbois.
Elu, le 23 germinal an V, député du Jura au Conseil des Cinq-Cents, par 283 voix sur 309 votants, il se vit, de la part des contre-révolutionnaires de l'Assemblée, l'objet des manifestations les plus sympathiques : son nom fut applaudi à l'appel nominal, et il fut presque aussitôt porté à la présidence. Il provoqua la révision des lois militaires, présenta le plan d'organisation de la garde nationale, combattit la politique du Directoire qu'il accusa de mauvaise foi, présenta un projet sur la garde nationale, le fit adopter, et fut nommé membre de la commission des inspecteurs. Les princes continuaient à lui envoyer de l'argent ; une foule de chouans, d'émigrés rentrés, l'entouraient et le pressaient de tenter un mouvement : Pichegru promit tout, ne fit rien.
Au 18 fructidor, après que les projets de conspiration eurent été dévoilés, il se laissa arrêter et remit son épée. Atteint par la loi du 19 fructidor, il fut conduit à Rochefort, embarqué pour Cayenne et relégué à Sinnamari, d'où il parvint à s'évader (juin 1798) à travers mille périls ; il aborda à Surinam, se rendit à Londres, fut bien accueilli par le gouvernement anglais, devint l'âme de tous les projets formés pour favoriser une restauration monarchique, aida de ses avis le général Korsakoff pendant la campagne de 1799, et eut de fréquentes entrevues avec le comte d'Entraigues.
Enfin il organisa la conspiration dans laquelle trempèrent, avec Georges Cadoudal, les deux frères de Polignac, Armand et Jules, le marquis de Rivière et nombre d'autres complices subalternes ; trois débarquements successifs amenèrent les conjurés à Paris ; Pichegru vit Moreau et s'efforça de l'entraîner avec lui. Mais la police ne tarda, pas à être mise en éveil. Cadoudal avait été pris, Bonaparte fit arrêter Moreau et Pichegru. Celui-ci fut livré pour cent mille écus par son ami intime, nommé Leblanc, et fut enfermé au Temple. Au moment où le procès allait s'ouvrir, on le trouva dans sa prison « le cou serré dans une cravate noire dans laquelle était passé un bâton d'environ quarante-cinq centimètres qui avait servi de tourniquet ; ce bâton avait été arrêté par un bout sur la joue où il faisait une ecchymose. » Le gouvernement annonça un suicide ; beaucoup crurent à un assassinat.
A la Restauration, le gouvernement royal fit ériger un tombeau à Pichegru dans le cimetière de Sainte-Catherine (6 novembre 1815), et, le 27 février 1816, Louis XVIII ordonna qu'une statue lui serait élevée à Arbois ; mais on dut renoncer à ce projet, en présence des sentiments hostiles manifestés par les compatriotes du général.