Louis-Sébastien Mercier
1740 - 1814
Membre de la Convention et député au Conseil des Cinq-Cents, né à Paris (Généralité de Paris, France) le 6 juin 1740, mort à Paris (Seine) le 25 avril 1814, il se voua de bonne heure à la littérature, où il débuta par quelques héroïdes, genre alors en vogue, mais dont l'insuccès le dégoûta de la poésie ; il résolut de ne plus écrire qu'en prose. « La prose est à nous, dit-il quelque part; sa marche est libre ; il n'appartient qu'à nous de lui imprimer un caractère plus vivant. Les prosateurs sont les vrais poètes ; qu'ils osent, et la langue prendra des accents tout nouveaux. » Il resta dès lors fidèle à ce dessein et se montra le détracteur obstiné des poètes et de leurs ouvrages.
Après la suppression des jésuites, il occupa pendant quelque temps une chaire de rhétorique au collège laïcisé de Bordeaux, où il eut Garat pour élève ; de retour à Paris, il concourut pour les prix d'éloquence proposés par l'Académie, et travailla pour le théâtre. Ses premières pièces, imitées de l'anglais et de l'allemand, n'obtinrent qu'un médiocre succès : il écrivit alors un Essai sur l'art dramatique, où il exposait ses idées personnelles. En 1771, il publia, sous le titre de l'An 2440, un écrit ingénieux et piquant qui tendait à prouver qu'une révolution était nécessaire et inévitable en France : l'autorité interdit le livre, mais sans poursuivre l'auteur. En 1781, il fit paraître, sous le voile de l'anonyme, les deux premiers volumes du Tableau de Paris, qui n'eut pas moins de douze volumes, et dont le succès fut très vif, principalement en province et à l'étranger ; mais le public parisien goûta moins le style parfois déclamatoire de Mercier, et les néologismes dont il était rempli : « C'est un ouvrage pensé dans la rue et écrit sur la borne », disait durement Rivarol. Comme le Tableau de Paris contenait des vérités hardies et la satire de plusieurs abus, Mercier, apprenant que son ouvrage était attribué à différents auteurs, se présenta chez le lieutenant de police Lenoir et s'en déclara courageusement le père ; il partit alors pour la Suisse, et c'est à Neuchâtel qu'il termina son Tableau de Paris. De retour en France au moment où la Révolution allait éclater, il se vanta de l'avoir efficacement préparée par ses écrits. Partisan modéré des idées nouvelles, il publia un journal, les Annales patriotiques, de concert avec Carron, et, quelque temps après, une autre feuille, la Chronique du mois, dans laquelle il ne cessa de signaler les jacobins comme les ennemis les plus redoutables du système constitutionnel.
Elu, le 14 septembre 1792, député de Seine-et-Oise à la Convention nationale, le 11e sur 14, par 423 voix (673 votants), et premier député suppléant par le département du Loiret, Mercier siégea à droite.
Dns le jugement de Louis XVI, il se prononça contre la peine de mort et pour la détention.
Au 3e appel nominal il répondit :
« Comme juge national, je dis que Louis a mérité la mort ; comme législateur, l'intérêt national parle ici plus haut que ses forfaits, et je dois, pour l'intérêt du peuple, voter une peine moins sévère. Qu'est-ce ici que commande la justice ? C'est la tranquillité de la nation. Or je dis qu'un arrêt de mort, qui aurait son exécution immédiate, serait impolitique et dangereux. Louis est un otage ; il est plus, il sert à empêcher tout autre prétendant de monter sur le trône ; il protège, il défend votre jeune république, il lui donne le temps de se former. Si sa tête tombe, tremblez ! Une faction étrangère lui trouvera un successeur. Louis n'est plus roi, il n'a pas plus que son fils et ses frères des droits à la couronne ; mais le fantôme nous sert ici merveilleusement ; oui, nous devons marcher avec ce fantôme, avec le temps qui est aussi un législateur : ne précipitons pas une mesure irrévocable. Je vote pour la détention de Louis à perpétuité. »
Il combattit ceux de ses collègues qui proposaient de repousser tout traité avec les ennemis tant qu'ils auraient le pied sur le territoire français : « Avez-vous fait, s'écria-t-il, un pacte avec la victoire? » Apostrophe qui donna lieu à cette réponse de Bazire : « Nous en avons fait un avec la mort. »
Signataire des protestations contre le 31 mai, il fut emprisonné avec les 72 autres députés protestataires.
Il reparut à l'Assemblée le 18 frimaire an III, favorisa la réaction antijacobine et, le 23 vendémiaire an IV, passa au Conseil des Cinq-Cents comme l'élu de deux départements :
1° des Côtes-du-Nord, qui lui donnèrent 235 voix (369 votants),
2° du Nord, avec 302 voix (561 votants).
Mercier prit la parole contre le décret qui décernait à Descartes les honneurs du Panthéon, et se prononça pour le rétablissement des loteries, dont il avait, dans ses écrits antérieurs, provoqué la suppression ; bien plus, il accepta une place de contrôleur de la caisse de la loterie en 1797. Ces contradictions lui attirèrent des quolibets et des épigrammes. « Depuis quand, répondait-il à ceux qui le raillaient d'avoir changé d'opinion à cet égard, depuis quand n'est-il plus permis de vivre aux dépens de l'ennemi ? »
À sa sortie du Conseil des Cinq-Cents, il fut nomma professeur d'histoire à l'Ecole centrale.
Membre de l'Institut à sa création, il ne se rallia qu'à demi à l'Empire, et ne renonça à écrire que vers les dernières années de sa vie.
Il mourut à Paris en 1814, âgé de 74 ans, malade et infirme et « ne vivant plus, disait-il lui-même, que par curiosité ».
Ecrivain fécond, d'une imagination vagabonde et d'une originalité qui allait jusqu'à la bizarrerie, il avait refait à sa façon le système du monde, et, rejetant avec dédain ceux de Copernic et de Newton, « il prétendait, écrit un biographe, que la terre était ronde et plate, et qu'autour de ce plateau le soleil tournait comme un cheval au manège. »
Parmi les nombreux ouvrages de Mercier, qui s'était appelé lui-même le plus grand livrier de France, on peut citer encore :
- L'Homme sauvage, traduit de l'allemand (1767) ;
- Songes et visions philosophiques (1768) ;
- Théâtre (1778-1784) ;
- Mon bonnet de nuit (1784) ;
- Portraits des Rois de France (1783) ;
- Fragments de politique, d'histoire et de morale (1793) ;
- Le nouveau Paris (1797) ;
- Néologie ou vocabulaire de mots nouveaux (1801) ;
- Satire contre Racine et Boileau, etc.