Gaston de Douville-Maillefeu
1835 - 1895
Député depuis 1876, né à Paris le 6 août 1835, d'une ancienne famille noble dont une branche se fixa à Abbeville dès le XIIIe siècle, et dont un rameau, aujourd'hui l'aîné, s'établit à Paris à la suite du procès du chevalier de La Barre.
Le comte Gaston de Douville-Maillefeu entra dans la marine à seize ans, fit les campagnes de la Baltique, de Tartarie, d'Italie et de Chine, quitta le service en 1860 avec le grade d'enseigne de vaisseau, et se fixa dans la Somme. Il fit dans son département une vive opposition à l'Empire. Au début de la guerre de 1870, à la suite d'une vive altercation avec le sous-préfet d'Abbeville, au sujet d'un bataillon de volontaires qu'il voulait organiser, il souffleta ce fonctionnaire. Il vint à Paris offrir ses services au gouvernement, et fut nommé capitaine adjudant major de la légion du génie auxiliaire; pendant ce temps, le tribunal d'Abbeville donnait suite à la plainte déposée par le sous-préfet, et, le 31 août, condamnait M. de Douville à deux ans de prison. Celui-ci interjeta appel, mais, au moment des événements de la Commune, ne put pas se présenter; il avait été arrêté, le 18 mars, avec Clément Thomas, et amené rue des Rosiers d'où il réussit à s'échapper. Le jugement fut confirmé; mais, le 22 août 1871, M. Thiers lui fit remise de la peine.
M. de Douville-Maillefeu avait été conseiller général de la Somme dès la fin de l'Empire, comme candidat radical, avec 2,357 voix contre 601 données au candidat officiel; il fut réélu conseiller général, le 8 octobre 1871, à l'unanimité moins 34 voix.
Le 20 février 1876, il fut envoyé à la Chambre comme candidat républicain, par la 2e circonscription d'Abbeville, avec 7,719 voix sur 15,305 votants et 18,663 inscrits, contre 7,369 voix à son concurrent conservateur, M. Briot de Rainvillers; il siégea à l'extrême gauche, prit la parole dans la discussion du règlement intérieur de la Chambre (10 juin), sur la loi du recrutement de l'armée (13 juin); fut rapporteur de la 3e commission d'initiative parlementaire sur la question de la représentation coloniale (30 juin), qui fut votée, conformément à ses conclusions; discuta (11 août) la question des programmes et des méthodes de l'instruction publique ; prononça (7 novembre) un important discours sur le budget de la marine; demanda (26 novembre) des réductions sur le budget des cultes; réclama (23 février 1879) la liberté du compte-rendu des conseils généraux; protesta (5 mai) contre les menées ultramontaines; et vota : pour l'amnistie plénière, pour la réduction du service militaire à deux ans, et, après le 16 mai, contre le vote de confiance demandé par le cabinet de Broglie. Il fut des 363.
Candidat républicain à Abbeville, après la dissolution, il échoua avec 8.019 voix, contre 8,676 données au candidat officiel, élu, M. Briet de Rainvillers; mais cette élection fut invalidée, et, au nouveau scrutin du 3 mars 1878, M. de Douville-Maillefeu fut élu par 8,240 voix coutre 7,740 données à son concurrent. Malgré les efforts de la droite pour faire annuler son élection, les conclusions du bureau, favorables à la validation, furent votées par 354 voix contre 112. Dans cette nouvelle législature, M. de Douville-Maillefeu prit une part active aux débats des lois sur les chèques (3 décembre), sur l'enseignement supérieur en Algérie (18 février 1879), sur la conversion du 5 0/0 (1er mars), sur le budget de la marine (8 février 1880), sur les tarifs des douanes (20 mars), sur la liberté de la presse (25 janvier 1881), sur les provocations à l'armée (1er février), sur le budget de la marine (11 février), sur le percement du Mont-Blanc et du Simplon (9 mars), sur les droits d'importation des viandes (3 avril), sur l'application des règlements de la marine à l'armée (15 juin) ; il vota:
- pour l'amnistie plénière,
- pour la liberté illimitée de la presse et des droits de réunion et d'association,
- pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Réélu député le 21 août 1881, dans la même circonscription, par 9,123 voix sur 15,780 votants et 19,093 inscrits, contre 6,537 voix à M. Briet de Rainvillers, il discuta les crédits pour l'expédition de Tunisie (2 décembre), demanda (5 mars 1882) le renouvellement de tous les conseils municipaux dont les maires devaient être élus, conformément à la nouvelle loi municipale; parla (11 juin) pour la suspension de l'inamovibilité de la magistrature (11 décembre) ; sur le budget des chemins de fer de l'Etat; s'éleva (13 février 1883) contre la prolongation de la durée des conseils municipaux ; critiqua certaines dispositions de la loi sur les sociétés de secours mutuels (14 mars), et sur la conversion du 5 0/0 (24 avril) ; combattit (1er août) la convention avec la Compagnie des chemins de fer du Nord; réclama pour les conseils municipaux (26 octobre) la liberté de donner une indemnité à leurs membres; défendit (25 novembre) l'institution des sous-secrétaires d'Etat; demanda (7 février 1884) le renvoi à la commission du projet de loi sur le chemin de fer de Batna à Biskra ; attaqua la politique incertaine du cabinet (20 février) dans l'affaire de Madagascar; déposa (29 juillet) un amendement au projet de loi tendant à la révision partielle des lois constitutionnelles, portant qu'à l'avenir toute modification aux lois constitutionnelles devait être préalablement discutée et votée séparément par le Sénat et par la Chambre, et réunir au moins les deux tiers des votants; accepta (décembre), de la commission du budget, le rapport du budget des cultes, à condition que ses conclusions le réduisant de 10 0/0 seraient votées, et réalisa ainsi sur ce budget une diminution annuelle de plus de 5 millions; blâma (20 novembre 1884) la conduite de l'expédition du Tonkin ; signala (14 décembre) les abus qu'il avait constatés dans les arsenaux de la marine; appuya (17 décembre) la suppression d'un certain nombre de sous-préfectures; et vota:
- pour l'amendement Jules Roche sur l'élection d'un maire de Paris (4 mars 1882),
- pour l'abrogation du Concordat (7 mars),
- pour l'élection des magistrats au suffrage universel (29 janvier 1883) (la proposition émanait de son initiative),
- contre le ministère Ferry au sujet de la révision (6 mars),
- contre la loi des récidivistes,
- contre les crédits du Tonkin,
- contre le maintien de l'ambassade du Vatican,
- pour l'élection des sénateurs au suffrage universel, etc.
Porté sur la liste des candidats républicains de la Somme aux élections du 4 octobre 1885, il échoua avec toute la liste, et obtint 56,875 suffrages sur 135,681 votants et 158,144 inscrits; le moins favorisé de la liste conservatrice, M. Briet de Rainvillers, fut élu avec 67,372 voix.
La candidature de M. de Douville fut posée à Paris aux élections complémentaires de la Seine du 13 décembre, et soutenue par la presse radicale ; il fut élu, le 4e sur 6, par 158,281 voix sur 347,089 votants et 561,617 inscrits. Le nouveau député de la Seine parla (25 février 1886) sur le traité du 17 décembre précédent avec la reine de Madagascar, sur la proposition de loi Beaurepaire sur les titres nobiliaires (24 juin), sur l'interpellation de M. René Brice relative à l'achat d'avoines exotiques par le gouvernement (1er juillet), sur le budget de 1887 (6 novembre), sur la suppression des sous-préfets (3 décembre), sur la politique générale du ministère Goblet (1er juin 1887), sur la conversion du 4 1/2 0/0 et du 4 0/0 (3 novembre 1887); il réclama (11 novembre) la lumière sur l'affaire Wilson, etc. Lorsque, le 3 décembre 1886, la commission du budget demanda, par mesure d'économie, la suppression des sous-préfectures, le ministère refusa; mais M. de Douville-Maillefeu répondit au ministre: « Ni emprunt, ni impôts nouveaux, mais des économies! », et obtint un vote conforme de la Chambre, par 202 voix contre 249, vote qui provoqua la démission du ministère Freycinet.
Dans la dernière session, M. de Douville-Maillefeu a voté pour le rétablissement du scrutin uninominal (11 février 1889), et est monté à la tribune, le 14 février, pour demander au ministère l'ajournement indéfini du projet de révision de la Constitution. L'ajournement, voté à la majorité de 307 voix contre 218, amena la chute du ministère Floquet. M. de Douville a été porté absent aux scrutins qui ont eu lieu depuis cette journée,
Date de mise à jour: novembre 2017
Né le 6 août 1835 à Paris, mort le 29 janvier 1895 à Hyères (Var).
Député de la Somme de 1876 à 1877 et de 1878 à 1885. Député de la Seine de 1885 à 1889. Député de la Somme de 1889 à 1895. (Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. II, p. 405.)
Gaston de Douville-Maillefeu fut élu à nouveau député de la Somme par les électeurs de son ancienne circonscription d'Abbeville avec 8.311 voix contre 8.298 à son concurrent, sur 16.767 votants, aux élections générales du 22 septembre 1889.
Républicain de gauche, il combattit vigoureusement Boulanger et les boulangistes. Il échoua aux élections sénatoriales de 1893 mais fut réélu député d'Abbeville le 20 août 1893 au premier tour de scrutin par 9.992 voix contre 3.740 à M. Chastenet et 3.741 à un autre représentant de la noblesse le baron des Lyons, sur 16.544 votants. Ancien enseigne de vaisseau, Douville-Maillefeu prit part à la discussion de nombreux projets ou propositions de loi sur l'organisation de la marine : Propositions de loi sur les cadres de la marine, sur l'organisation de la défense des côtes et la création de nouveaux forts en mer en avant des places de Cherbourg et de Bonifacio ; Projets de loi portant organisation de l'armée coloniale, portant organisation du cadre des officiers de la marine et des équipages de la flotte.
Mais il intervint aussi dans les nombreux débats de politique générale, notamment, en cette législature féconde en séances tumultueuses, sur les affaires de Panama, à la faveur desquelles les boulangistes essayèrent de prendre leur revanche. Il prit ainsi la parole à propos de l'interpellation de M. C. Dreyfus sur la politique générale du Cabinet et sur les causes qui ont motivé la retraite de M. Constans, Ministre de l'Intérieur.
A la tribune. Douville-Maillefeu suscitait souvent l'hilarité, voire les lazzis, de ses collègues.
« La parole est à M. de Douville-Maillefeu pour un rappel au Règlement et à la Constitution. » (Rires). Lui-même l'observait sans amertume. « On me traite tous les jours d'aliéné et d'imbécile. » (Débats du 19 novembre 1892.)
Les rieurs avaient tort. Les interventions de ce personnage haut en couleurs frappent encore à trois quarts de siècle de distance par leur franchise de ton, leur accent, parfois leur noblesse. C'est à juste titre qu'un jour, critiquant l'expression de « modéré » qui commençait à se répandre, il fit remarquer : « la politique est le premier des arts et je ne comprends pas très bien un artiste modéré »
Douville-Maillefeu fut un artiste de la politique. Citons quelques-uns des propos à l'emporte-pièce dont il émaillait ses interventions, ou ses interruptions, car son tempérament bouillant le poussait souvent à couper la parole à ses collègues.
« On est libre de me soupçonner. Je ne suis pas la femme de César ni de sa famille. » « Tous ceux qui veulent la censure sont des pornographes... » « L'Angleterre est un pays qui fourmille d'abus ; le premier de ces abus étant la monarchie héréditaire. » « Tous ces chrétiens d'Orient sont de très braves gens ; je voudrais bien que les chrétiens français fussent comme eux ; leurs prêtres se marient et donnent l'exemple de tous les sentiments de la famille ; je voudrais qu'il en fût de même chez nous. » (Annales, p. 236, 6 novembre 1890) (budget des Affaires étrangères, observations sur les services que rendent les écoles d'Orient.)
« Malgré tout mon respect pour la loi, si j'avais envie d'ouvrir une chapelle je le ferais sans permission et j'attendrais qu'on me la fît fermer. » (Rires).
« Je ne suis pas légiste ; je suis législateur cela n'a heureusement aucune espèce de rapport. » (Séance du 26 novembre 1889.)
« Oh ! les cris d'animaux ne me gênent pas ! » (18 décembre 1890). «... enlever à la reproduction tous les chevaux qui ne peuvent donner des produits hors ligne, il est fort regrettable que cela ne puisse se faire que pour l'espèce chevaline... » (Hilarité générale.) « Il est assez singulier que dans l'Assemblée des représentants de la nation on ne puisse pas parler des choses que les petites filles de nos campagnes connaissent parfaitement. » (Nouveaux rires) (31 juillet 1890.)
Esprit paradoxal, Douville-Maillefeu prenait en chaque occasion la défense de la liberté de l'esprit, de la liberté de la presse. Il intervint dans la discussion de la proposition de loi relative à la liberté des théâtres. « J'ai toujours pensé qu'il ne fallait pas poursuivre la licence des paroles et des écrits parce que ces excès ne choquent que les coquins et les niais. » (Séance du 16 janvier 1892.)
Cet aristocrate était hostile aux privilèges de la noblesse. Ce catholique estimait que « les questions religieuses sont bien au-dessous des questions politiques et économiques, qui sont beaucoup plus importantes ».
A Déroulède qui (séance du 29 janvier 1891) faisait sonner bien haut sa qualité de « républicain chrétien » et protestait en estimant que « l'on veut déchristianiser la France, pour la judaïser peut-être », il répliquait : « Quoique pratiquant peu ma religion, je suis catholique, sans l'avoir voulu, car c'est à ma naissance que je suis entré dans cette religion et je n'en suis pas encore sorti ».
Plus de dix ans avant le vote de séparation de l'Eglise et de l'Etat, il estimait, au scandale de la droite légitimiste, qui le tenait pour un renégat, que l'Eglise ne pourrait qu'en bénéficier. Le comte Gaston de Douville-Maillefeu appartint à une espèce politique assez insolite : celle des marquis à talons rouges.
Il mourut en cours de mandat, le 29 janvier 1895, à Hyères (Var) à l'âge de 60 ans.
Son éloge funèbre fut prononcé à la séance du 31 janvier 1895 par le président Henri Brisson : « Le marin, l'homme d'action avait survécu en lui, il étouffait un peu dans nos cadres. Je fus le voir, l'an passé à Hyères, où il vient de mourir ; il revenait justement de ces terres lointaines qu'il avait voulu ajouter à l'atlas de ses voyages. Nous avions longuement causé et je saurais mal dire le charme parfois singulier, toujours intense, de sa conversation pleine d'aperçus où passaient, sous la forme de saillies originales, toutes sortes de notions variées, résultat d'observations multiples ou de sérieuses études, fécondées par un esprit d'une trempe peu commune..
« C'est à quoi j'avais dû sans doute d'entrer en relations plus suivies avec lui, de pénétrer ce caractère d'homme dont je garderai le meilleur souvenir. Vous ferez comme moi je pense, messieurs, car je dirais volontiers de Douville que l'on pouvait se quereller avec lui, mais qu'il était difficile de ne pas l'aimer. »