Roland, Léon, Louis Dumas

1922 - 2024

Informations générales
  • Né le 23 août 1922 à Limoges (Haute-Vienne - France)
  • Décédé le 3 juillet 2024 à Paris (Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 19 janvier 1956 au 8 décembre 1958
Département
Haute-Vienne
Groupe
Union démocratique et socialiste de la Résistance et du RDA
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 3 avril 1967 au 30 mai 1968
Département
Corrèze
Groupe
Fédération de la gauche démocrate et socialiste
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIe législature
Mandat
Du 2 juillet 1981 au 19 janvier 1984
Département
Dordogne
Groupe
Socialiste
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIIe législature
Mandat
Du 2 avril 1986 au 14 mai 1988
Département
Dordogne
Groupe
Socialiste
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IXe législature
Mandat
Du 13 juin 1988 au 28 juillet 1988
Département
Dordogne
Groupe
Socialiste

Biographies



Né le 23 août 1922 à Limoges (Hautes-Vienne)

Député de la Haute-Vienne de 1956 à 1958

Roland Dumas est le fils d'Elisabeth Lecanuet et de Georges Dumas, directeur de l'octroi et des régies municipales de Limoges. Ce dernier, membre du Parti socialiste clandestin, participe activement à la Résistance au sein de l'Armée secrète. En 1943, Georges Dumas est le chef départemental puis régional du N.A.P. (Noyautage des administrations publiques). Dénoncé, il est arrêté par la Gestapo le 24 mars 1944 et fusillé à Brantôme, le 26, avec vingt-quatre autres résistants. Son fils, Roland, suit ses traces et participe également à la Résistance au sein des M.U.R. (Mouvements unis de la Résistance). Il convoie des armes dans la région de Grenoble pour les maquis et est arrêté par la police française à la suite de l'organisation du boycottage de l'Orchestre philarmonique de Berlin par les étudiants. Ses actions lui valent, à la Libération, la Croix de guerre 1939-1945 et la Croix du combattant volontaire. Après la guerre, Roland Dumas achève ses études de droit à Paris, complétées par un diplôme de la London School of Economics et de l'Ecole libre des sciences politiques et une formation à l'Ecole des langues orientales. Inscrit au barreau à partir de 1950, il est également un journaliste actif de 1949 jusqu'en 1955. Il est notamment chef du service étranger à l'A.G.E.F.I. (Agence économique et financière) et à L'Information. Plus tard il dirige Le Socialiste limousin. Deux affaires, l'affaire Guingouin et l'affaire Jean Mons, cette dernière liée à l'affaire des fuites, assoient sa réputation d'avocat et le lient au monde politique et notamment à François Mitterrand, visé pendant l'affaire des fuites en tant que ministre de l'Intérieur du gouvernement Mendès-France.

Ces nouvelles relations orientent Roland Dumas vers la politique active en Haute-Vienne. Gaston Charlet, premier adjoint au maire de Limoges et sénateur de la Haute-Vienne en rupture de ban avec la S.F.I.O., lui a en effet cédé la première place sur une liste socialiste dissidente. Les candidats souhaitent rajeunir la représentation limousine et rompre avec les sortants, coupables selon leur profession de foi, de n'avoir pu « endiguer le flux des abandons et des scandales qui n'a pas cessé de déferler sur la France depuis l'après-guerre ». Les colistiers comptent aussi sur le souvenir du père de Roland Dumas, héros de la Résistance, pour attirer les voix des électeurs socialistes qui ne se reconnaissent pas dans la direction départementale de la S.F.I.O. dont certains membres ont eu une attitude ambiguë pendant l'Occupation.

Face aux grands partis de gauche majoritaires en Haute-Vienne, cette liste socialiste indépendante remporte un succès relatif avec une moyenne de 20 610 voix et 11,5 % des suffrages exprimés. Plus connu, Gaston Charlet recueille 26 341 suffrages mais seul le premier de liste, Roland Dumas, est élu avec 21 665 voix. Par ailleurs, deux sièges vont aux communistes et deux aux socialistes sortants. Pendant la dernière législature de la IVe République, Roland Dumas député apparenté à l'U.D.S.R. (Union démocratique et socialiste de la Résistance), appartient à la Commission de la presse et à celle de la production industrielle dont il est élu secrétaire. Il dépose huit propositions de loi et deux de résolution et émet un avis au nom de la Commission de la presse sur le projet de loi sur la propriété littéraire et artistique (14 décembre 1956).

Sa principale intervention dans les débats a lieu également à ce sujet qui lui tient à cœur en tant que juriste et publiciste. Il en est en effet le rapporteur pour avis, au nom de la Commission de la presse, et présente sept amendements sur divers articles du projet de loi concernant les œuvres cinématographiques dont plusieurs sont adoptés (séance du 20 avril 1956).

Ses autres interventions orales importantes sont suscitées par les événements d'Algérie et les diverses mesures prises par les gouvernements. Le 17 juillet 1957, à propos du projet de loi portant reconduction de la loi du 16 mars 1956 autorisant le gouvernement à mettre en œuvre des mesures exceptionnelles compte tenu de la situation intérieure, Roland Dumas fait adopter, par 380 voix contre 103, un amendement visant à empêcher l'assignation à résidence en Algérie des individus réputés « dangereux », ce qui pourrait donner lieu à des abus à l'encontre de ceux qui contestent la politique algérienne officielle. Pour argumenter son propos, il prend l'exemple d'André Mandouze, professeur à la Sorbonne, auteur de la Tragédie algérienne, dont le livre met en cause la souveraineté française en Algérie et qui pourrait tomber sous le coup de cet article si le gouvernement engageait des poursuites contre lui. Il s'appuie également sur l'avis négatif émis par le Conseil d'Etat. Le 18 mars 1958, c'est la même inspiration libérale qui sous-tend l'argumentation du député de la Haute-Vienne à l'encontre d'un amendement au projet de loi d'amnistie dans certains territoires d'outre-mer, trop restrictif selon lui, pour avoir l'effet politique positif nécessaire à la réconciliation avec la population des territoires concernés. Lors de l'autre grand débat qui marque la fin de la IVe République, la construction de la Communauté économique européenne, Roland Dumas indique, par ses votes, son hostilité à celle-ci, par crainte de favoriser l'hégémonie allemande dans l'Europe des six. Il vote donc contre la ratification du Traité de Rome. Malgré les critiques qu'il a émises dans son journal Le Socialiste limousin à l'encontre de la IVe République et son souhait d'un renforcement du pouvoir exécutif, Roland Dumas fait partie avec François Mitterrand, des quatre députés sur quatorze de l'U.D.S.R. qui refusent l'investiture du général de Gaulle en 1958. Le changement de régime met fin provisoirement à sa carrière politique et Roland Dumas ne se représente pas aux élections suivantes.



DUMAS (Roland)
Né le 23 août 1922 à Limoges (Haute-Vienne)
Décédé le 3 juillet 2024 à Paris

Député de la Haute-Vienne de 1956 à 1958, de la Corrèze de 1967 à 1968, puis de la Dordogne de 1981 à 1984, et de 1986 à 1988
Ministre des Affaires européennes du 18 décembre 1983 au 18 juillet 1984
Ministre des Affaires européennes et porte-parole du gouvernement du 19 juillet 1984 au 7 décembre 1984
Ministre des Relations extérieures du 7 décembre 1984 au 20 mars 1986
Ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères du 12 mai 1988 au 30 mars 1993

Roland Dumas naît le 23 août 1922 à Limoges dans un milieu modeste. Sa mère, Elisabeth Lecanuet (une normande dont la famille est liée de manière très lointaine au futur député-maire de Rouen) est mère au foyer tandis que son père, Georges Dumas, fonctionnaire des impôts, et détaché à la mairie de Limoges où il dirige les halles, places, marchés et régies municipales, et peine à subvenir aux besoins de ses trois enfants (Roland, Georgette et Jean). La famille habite le quartier ouvrier du Puy-Las-Rodas dont Roland fréquente l’école primaire laïque. Son père, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, qu’il a terminée avec le grade de sous-lieutenant dans l’aviation, est un socialiste, laïc et responsable CGT. En 1936, il reçoit à ce titre Léon Blum lors d’un voyage dans le Limousin. A ses côtés figure Roland Dumas qui fréquente alors les Jeunesses socialistes. De nouveau mobilisé en 1940, Georges Dumas n’accepte pas la défaite puis l’Occupation et entre en Résistance dans les rangs de l’Armée secrète. Il devient bientôt le chef régional des NAP (Noyautage des Administrations Publiques) et contribue à sauver de nombreux Juifs (Roland Dumas recevra au nom de son père la médaille des Justes en 1985).

Au sortir du lycée Gay-Lussac de Limoges et d’un baccalauréat moderne (sciences, mathématiques et langues vivantes), Roland Dumas, inscrit à l’antenne lyonnaise de l’Ecole libre des sciences politiques ouverte pendant la guerre, s’engage à son tour dans des actions contre l’Occupant. Certaines sont symboliques : boycotter avec d’autres étudiants lyonnais un concert de la Philharmonie de Berlin le 18 mai 1942, inscrire des croix de Lorraine dans le blanc des drapeaux tricolores, rebaptiser « Charles de Gaulle » les avenues du Maréchal Pétain. Mais l’étudiant participe aussi à des opérations plus risquées. Il devient membre des Mouvements unis de la Résistance (MUR). Il transporte des armes dans la région de Grenoble. Arrêté par la police française, il fait l’objet en mai 1942 d’un internement administratif pour fait politique au Fort-Barraux dans l’Isère dont il s’échappe. Dénoncé à la Gestapo le 24 mars 1944, son père est abattu deux jours plus tard à Brantôme, en Dordogne, parmi 25 otages en représailles de la mort de deux officiers nazis par la Résistance. Le jeune Roland Dumas doit reconnaître le corps mutilé. A la Libération, il reçoit la Croix de Guerre 1939-1945 et la croix du Combattant volontaire.

Après la guerre, Roland Dumas, bien qu’amateur d’art, de littérature et de musique, doit, en tant que soutien de famille, achever rapidement ses études de droit à Paris. Boursier du gouvernement français, il s’y emploie en obtenant sa licence, puis deux DES de droit tout en suivant les cours à Sciences Po, dont il sort diplômé de la section Finances publiques en 1945. Il est également inscrit à l’Ecole nationale des langues orientales vivantes, où il apprend le russe et le chinois. Il milite également dans les rangs des Jeunes de la Libération nationale dont il est chef régional. Intéressé par la finance, il s’inscrit (grâce à une autre bourse de deux ans réservée à des enfants de Résistants) à la London School of Economics dont il sort diplômé. Il travaille quelques temps dans la presse économique, écrivant dans l’Agence économique et financière (AGEFI) de 1949 à 1955 et dans L’Information des frères Bollack. Il traduit les câbles du Wall Street Journal aux côtés d’un futur grand journaliste, Pierre Charpy. L’Information devenue le Nouveau Journal, il collabore à cet organe de presse du service étranger, duquel il devient un pilier. Multipliant les reportages en Afrique du Nord, au Proche et Moyen Orient, en Asie centrale, il interviewe Naguib en Egypte et Mossadegh en Iran, suit les accords de Genève et affirme son expertise des questions diplomatiques.

Bien vite toutefois, aux mots des articles, il préfère ceux du prétoire. Inscrit au barreau dès 1950, il voit sa carrière lancée par deux grandes affaires. En décembre 1953, il défend la mémoire d’un ami de son père, le grand résistant limousin, Georges Guingouin, attaqué par le Parti communiste français (PCF) au titre d’épurations sauvages. L’ancien instituteur communiste révoqué par Vichy, qui avait construit une résistance paysanne efficace et dirigé un maquis de vingt mille hommes capables de lutter contre la division SS Das Reich, bénéficie d’un non-lieu en novembre 1959 au terme d’un marathon judiciaire. Le jeune Roland Dumas qui, aux côtés d’un autre débutant, Robert Badinter, a épaulé les deux avocats du résistant, Maîtres Honnet et Rizyger, a insisté pour construire une défense « politique », refusant une approche de pénaliste centrée sur les faits et les témoignages. En 1954, il assiste Me Paul Baudet dans un autre grand procès qui voit l’ancien secrétaire général de la Défense, Jean Mons, accusé d’avoir livré des secrets militaires au PCF dans l’affaire des fuites. Roland Dumas qui n’a pas oublié que Jean Mons l’avait aidé dans ses études de droit à Paris après 1944, obtient son acquittement en mai 1956, après avoir prouvé la seule culpabilité de deux fonctionnaires sous les ordres du secrétaire général.

Cet épicurien élégant, amateur d’opéra et qui avait songé un temps à une carrière dans le bel canto, devient vite un ténor du barreau où son aisance oratoire et ses talents de négociateur font merveille. Parmi ses clients, souvent célèbres, figurent des artistes comme Picasso qu’il défend contre les faussaires (il représentera sa veuve Jacqueline au moment de la succession et sera l’homme de la restitution à l’Espagne du tableau Guernica), Jean Genet, Chagall, mais aussi des chanteurs comme Placido Domingo ou Luciano Pavarotti, des acteurs et actrices comme Roger Vadim, Bernadette Lafont ou Dawn Adams. Plusieurs le remercieront en lui offrant des toiles, dessins et invitations à des avant-premières. L’avocat, fasciné par les intellectuels, défendra également Lacan. Mais Roland Dumas se spécialise vite dans les affaires sensibles relevant du politico-pénal, affaires qui l’amènent à croiser souvent le fer contre le pouvoir du temps, d’abord gaulliste puis giscardien. Avocat du réseau Jeanson des porteurs de valises pro Front de libération nationale (FLN), il intervient plus tard dans l’affaire Ben Barka puis dans celle de la Garantie foncière. Il est aussi l’avocat de Stefan Marcovic, dont le frère Alexandre a été impliqué dans un sordide règlement de comptes politiques visant Georges Pompidou, avant de défendre les intérêts du Canard Enchaîné contre Jacques Foccart. Valéry Giscard d’Estaing élu à l’Elysée, Roland Dumas reste l’avocat du journal satirique lors de l’affaire des « plombiers » (où sa négligence permet toutefois à la justice de solder l’affaire grâce à un vice de procédure), avant de représenter à la fin des années 1970 Guy Simoné, un des protagonistes de l’affaire de l’assassinat du prince de Broglie. Avocat efficace à la riche clientèle, sachant combiner engagements professionnels et amitiés politiques, Roland Dumas accède vite à l’aisance financière. Dès 1956, le voilà installé au rez-de-chaussée d’un bel immeuble de l’Ile Saint-Louis, qu’il complètera en 1970 par un second cabinet avenue Hoche avant d’emménager en 1979 dans un luxueux hôtel particulier au 28 de la rue de Bièvre. Autant de logements décorés avec goût de tableaux et sculptures de maîtres (Picasso, Braque, Matisse, Giacometti, Masson).

Si Roland Dumas avait déjà approché François Mitterrand comme journaliste à l’Assemblée puis comme avocat lors de l’affaire des fuites, les relations privilégiées entre les deux hommes datent surtout des législatives de 1956. Fin 1955, l’Assemblée nationale est dissoute par Edgar Faure. Désireux de se lancer en politique, Roland Dumas se présente dans la Haute-Vienne. Alors que sa famille politique d’origine est le Parti socialiste (PS), il rechigne à concourir sous cette bannière, reprochant à la SFIO son manque de combativité durant l’Occupation et sa participation à la curée contre Guingouin. Il présente donc une liste socialiste indépendante soutenue par l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) et affronte les deux partis qui se partagent le département depuis la Libération : la SFIO et le PCF. Le 2 janvier 1956, l’outsider est élu, seul de sa liste, qui a obtenu 11,5 % des suffrages exprimés. Il représente son département aux côtés de deux députés socialistes et de deux autres communistes. Cette victoire surprend François Mitterrand, figure de l’UDSR, qui découvre à l’occasion ce provincial doué et ambitieux. C’est le début d’une longue amitié personnelle et politique qui perdure jusqu’à la mort de François Mitterrand en 1995. Au Palais-Bourbon, Roland Dumas adhère au petit groupe charnière UDSR-Rassemblement démocratique africain (RDA) animé par François Mitterrand, élu de la Nièvre. Durant cette législature, le député de la Haute-Vienne est secrétaire de la commission de la production industrielle et siège à celle de la presse. Il est l'auteur de huit propositions de loi, signe deux résolutions, rapporte un projet de loi concernant les œuvres cinématographiques. En décembre 1956, il exprime la position de la commission de la presse sur la proposition de loi concernant la propriété intellectuelle et artistique. Il s’oppose au traité de Rome par crainte d’une influence allemande trop forte sur la future Communauté européenne. Il défend des positions progressistes sur la question algérienne, fait voter en juillet 1957 un amendement empêchant l’assignation en résidence en Algérie d’individus réputés dangereux dans le cadre de la reconduction des mesures exceptionnelles de la loi du 16 mars 1956. Dans sa circonscription, l’ancien journaliste fonde et assure la direction politique d’un journal militant local, Le Socialiste limousin (ce passionné de presse lancera plus tard la Corrèze républicaine et socialiste à Brive, le Journal de la Dordogne à Périgueux et une revue éphémère, L’Avenir socialiste, organe du Club Relève socialiste lié à la Convention des institutions républicaines).

C’est dans cet organe de presse qu’il appelle de ses vœux, dans les dernières années d’une IVe République à bout de souffle, l’avènement d’un régime nouveau : « un pouvoir présidentiel », « un exécutif fort », « une Assemblée qui ne représente plus sans cesse une menace purement négative pour l’exécutif ». C’est dans cet esprit qu’il lance un intergroupe de jeunes députés parmi lesquels figurent Valéry Giscard d’Estaing, Christian Bonnet et Joseph Fontanet. Tous ont en commun de réclamer « la réforme des institutions (…) et des méthodes parlementaires ». Des perspectives finalement assez gaulliennes… Cela n’empêche pas Roland Dumas, en juin 1958, d’être avec François Mitterrand l’un des quatre députés UDSR (sur dix-huit) à refuser l’investiture gaulliste. Le retour au pouvoir de l’ancien chef de la France libre incite Roland Dumas à reprendre son activité d’avocat.

Il ne renonce pas pour autant à la politique et continue d’agir aux côtés de François Mitterrand. Ensemble, ils vivent la pénible affaire de l’Observatoire à l’automne 1959 (Roland Dumas défend le leader socialiste avec l’aide de François Sarda), le lancement de la Convention des institutions républicaines (CIR) en 1964, les débuts de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) en 1965. Cette même année, il est avec Me Borker, l’artisan du rapprochement de François Mitterrand avec le secrétaire général communiste Waldeck Rochet pour mettre au point les conditions de l’union de la gauche à l’occasion de la première élection présidentielle au suffrage universel. Autant d’épisodes où Roland Dumas joue les hommes de l’ombre pour le compte de François Mitterrand, charmant les uns ou menaçant les autres selon les besoins du moment. Exécutant discret investi de la totale confiance de François Mitterrand, il est l’homme des missions délicates, notamment financières, où son entregent et son efficacité font la différence. Ce profil particulier en fait un socialiste à part, qui change de circonscription le cas échéant avec l’appui indéfectible de François Mitterrand. Au risque d’être considéré comme un parachuté par les socialistes locaux qui goûtent peu ce mondain parisien. Ce dernier pourtant a des convictions. Défenseur des droits de l’homme, il se range volontiers du côté des opprimés et des proscrits, et n’hésite pas à soutenir bénévolement des anarchistes et des gauchistes en délicatesse avec la justice.

Roland Dumas, enfin, est un grand séducteur. Si dans son cabinet d’avocat sa voix veloutée, sa mise toujours élégante et son regard enjôleur fascinent ses clients, ces mêmes attraits ne laissent pas indifférente la gente féminine. Après un premier mariage en 1951 avec une Grecque originaire de Céphalonie, Theodora Voultepsis, dont il se sépare très vite, l’avocat vit avec l’artiste Maria Murano mais enchaîne les histoires amoureuses. Autant d’aventures qui participent à sa réputation dans le Tout-Paris. Dans ce registre aussi, l’intéressé a ses zones d’ombre à l’image de ses bonnes relations avec Lucienne Goldfarb, alias « La Rouquine », tenancière de la maison close le Del Monaco dans le Paris de l’après-guerre et informatrice de la Mondaine. Le 22 avril 1961, il épouse en secondes noces Anne-Marie Lillet, de 22 ans sa cadette, issue de la bourgeoisie girondine et héritière des apéritifs Lillet. Ils auront trois enfants, une fille et deux garçons, dont le benjamin, né en 1968, a pour parrain François Mitterrand.

Roland Dumas est candidat aux législatives du printemps 1967 sous l’étiquette FGDS dans la deuxième circonscription de la Corrèze. Il y affronte le député gaulliste sortant Jean Charbonnel qui, nommé au gouvernement en février 1966, avait laissé son suppléant, l’ancien général Pierre Pouyade, le représenter à l’Assemblée. Au premier tour, le gaulliste de gauche arrive largement en tête avec 48,9 % des voix et frôle même la victoire. Mais Roland Dumas, même s’il n’a rassemblé que 29,6 % des voix, dispose d’une confortable réserve de voix grâce aux 21,4 % de voix du candidat communiste Jacques Chaminade. Au deuxième tour, profitant aussi d’une dynamique nationale favorable à l’opposition, il s’impose de justesse avec 50,3 % des suffrages exprimés. Au Palais-Bourbon, il rejoint le groupe FGDS et la commission de la défense nationale et des forces armées, qu’il quitte en avril 1968 au profit de celle des affaires étrangères. Secrétaire de l’Assemblée nationale, il en devient vice-président en avril 1968. En juin 1967, il dépose une proposition de loi tendant à instaurer un moratoire des dettes civiles pour les rapatriés qui ont quitté l’Algérie après avril 1962. Le même mois, il intervient dans les débats sur le projet de loi d’orientation foncière et urbaine. Durant cette législature, l’ancien journaliste n’oublie pas les médias. Début 1968, il dépose une proposition de loi organique visant à soumettre au parlement l’autorisation de la publicité à l’ORTF. En avril 1968, il participe à l’examen du projet de loi de finances pour 1968 quand il est question du budget de l’ORTF. La crise de Mai 68, en aboutissant à la dissolution de l’Assemblée nationale, met en terme rapide à cette courte législature. De nouveau candidat dans la même circonscription, Roland Dumas est balayé par la vague gaulliste de juin 1968. Ne totalisant que 30,5 % des voix, il est battu dès le premier tour par Jean Charbonnel qui retrouve son siège.

Au congrès d’Epinay en juin 1971, il fait partie de la jeune garde qui entoure François Mitterrand quand ce dernier, avec l’appui de Louis Mermaz, Georges Dayan, Claude Estier et Georges Fillioud prend le contrôle de la vieille SFIO pour dominer sur une ligne marquée à gauche le nouveau Parti socialiste et l’utiliser comme tremplin de la prochaine présidentielle. Il publie en 1977 chez Grasset un essai sur Les avocats où s’exprime la passion de l’auteur pour le monde du prétoire. Lors des municipales de 1977, Roland Dumas défie à Bordeaux le maire sortant Jacques Chaban-Delmas. Il ne reçoit le soutien d’aucun socialiste dans cette aventure électorale périlleuse à l’exception de Catherine Lalumière. Après son échec, il ne réapparaît plus en Aquitaine avant le printemps 1981 et son entrée au conseil régional.

Après la victoire de François Mitterrand en mai 1981, ce proche du nouveau président se voit déjà entrer au gouvernement. N’a-t-il pas, au lendemain de l’élection, remonté au bras du chef de l’Etat la rue Soufflot en direction du Panthéon ? N’a-t-il pas organisé le 21 mai le concert de son ami Placido Domingo pour célébrer l’alternance ? Il est pourtant écarté des ministères par le nouveau Président à cause d’une affaire de cercle de jeux lié à la pègre dans laquelle le nom de Roland Dumas avait circulé comme avocat pressenti d’un prévenu. Le chef de l’Etat n’a pas souhaité entacher son début de septennat. Roland Dumas, qui croit voir Robert Badinter derrière cette polémique, se relance à l’occasion des législatives anticipées de juin 1981. Sur la suggestion de François Mitterrand, il se présente dans la première circonscription de la Dordogne (Périgueux). Ce parachuté se targue d’une légitimité de « Périgourdin non par le sang reçu mais par le sang versé ». Allusion à son père fusillé à Brantôme, à quelques kilomètres de Périgueux. Profitant de la vague rose, il s’impose, avec l’aide de son suppléant, le directeur adjoint de collège Christian Defarge, face au député sortant étiqueté Rassemblement pour la République (RPR) Yves Guéna (maire de Périgueux et ancien ministre RPR) avec 57,1 % des suffrages exprimés. Il n’avait pourtant rassemblé que 34,8 % des suffrages au premier tour, derrière son rival gaulliste à 41,4 %, mais il a pu de nouveau bénéficier du bon report des voix communistes (les 23,7 % de Roger Gorse). Il rejoint le groupe PS et la commission des affaires culturelles, familiales et sociales qu’il quitte en octobre 1983 pour la commission des affaires étrangères. Durant cette législature, il siège au conseil d’administration de la Bibliothèque nationale. Roland Dumas est désigné au printemps 1982 vice-président de la commission spéciale sur le projet de loi sur la communication audiovisuelle. A ce poste, il défend le principe d’une diversification opérée grâce à l’éclatement des chaînes et à leur adaptation aux moyens modernes de communication. Selon lui, la coexistence entre un secteur public renforcé et un secteur privé en expansion constitue la meilleure garantie du pluralisme en matière d’accès des citoyens à la communication audiovisuelle. En mai 1983, il participe aux débats sur le projet de loi sur l’enseignement supérieur. Avocat et ancien journaliste, il signe en 1981 dans la collection Thémis un traité sur le Droit de l’information, très apprécié des spécialistes.

Roland Dumas est nommé ministre des Affaires européennes le 18 décembre 1983 (son suppléant le remplace à l’Assemblée). Cette promotion peut surprendre compte tenu de certaines prises de position clivantes de l’intéressé en matière de politique extérieure. De fait, Roland Dumas ne cache pas son soutien très actif à la cause arabe au Proche-Orient et notamment aux combats des Palestiniens. Dans un éditorial de l’Avenir socialiste de mars 1974, il avait présenté la piraterie aérienne des fedayins comme « le seul moyen pour la résistance palestinienne de briser l’indifférence internationale ». Il fut l’avocat à Paris d’Abou Daoud, suspecté d’avoir organisé en 1972 la tuerie des Jeux olympiques de Munich, et en Israël de l’évêque Hilarion Capucci condamné pour trafic d’armes au profit de l’OLP. Autre engagement polémique, ses liens avec la Libye de Kadhafi qu’il a représentée comme avocat dans des affaires relatives à d’importants dossiers économiques. Il a aussi été l’homme d’une certaine diplomatie parallèle dans les années 1970, émissaire officieux auprès de chefs d’Etat africains comme Sékou Touré, et négociateur de l’ombre lors de conflits comme celui du Polisario. Sans oublier sa signature en 1983 au bas de l’appel des cent lancé par le PCF contre l’installation de Pershing 2 américains en Europe. Mais François Mitterrand passe outre et le choisit à ce poste sensible. De fait, Roland Dumas a des titres à faire valoir sur le plan international. Il est souvent intervenu pour défendre les droits de l’homme en Afrique et en Amérique latine. Aux côtés de Danielle Mitterrand, il a pris fait et cause pour les pays du Tiers-Monde. Cet infatigable voyageur, autant fasciné par l’Asie (il a publié chez Fayard en 1960 J’ai vu vivre la Chine) que par le monde arabe et africain, a noué des contacts sur tous les continents où il connait les dirigeants comme les opposants. De 1981 à 1983, François Mitterrand l’a utilisé pour des missions discrètes : au Gabon pour renouer des liens après la publication par Pierre Péan de son livre Affaires africaines, en Libye où il est intervenu auprès de Kadhafi pour que ce dernier n’envahisse pas le Tchad, en Syrie où il a accès au président Hafez-el-Assad. Dans les milieux progressistes arabes qui considèrent souvent le président Mitterrand comme pro-israélien, il rassure les partisans de la cause palestinienne.

Il est également vrai que depuis les années 1960, les relations entre Roland Dumas et François Mitterrand n’ont cessé de se renforcer. Roland Dumas est d’abord l’ami sincère, le compagnon constant, le confident des secrets intimes. Il n’ignore rien des aspects confidentiels de la vie privée du président (sa fille Mazarine) comme de ses engagements publics. Déjà aux côtés de François Mitterrand lors du traquenard de l’Observatoire lorsque certains services cherchaient à discréditer l’opposant de gauche, il a continué de défendre son ami devant les tribunaux. Il est aussi son voisin rue de Bièvre où les deux hommes, après un repas impromptu, se promènent volontiers le long des quais de la Seine. C’est sur les conseils de Roland Dumas qu’ils ont fait l’acquisition ensemble cette maison du XVIIe siècle dont François Mitterrand a fait sa demeure parisienne, après avoir racheté la part de son copropriétaire et ami. Partenaires sur les courts de tennis, les deux hommes s’invitent régulièrement, l’un à Latché, l’autre à Saint-Selve en Gironde. Homme de réseaux, figure du Grand Orient de France depuis 1980, Roland Dumas sait enfin se rendre indispensable quand il s’agit de prendre des contacts discrets au-delà des clivages politiques traditionnels.

Nommé dans le dernier gouvernement de Pierre Mauroy, Roland Dumas remplace aux Affaires européennes André Chandernagor, devenu premier président de la Cour des comptes, alors que la France prend la présidence de la Communauté. Signe de la confiance présidentielle, les Affaires européennes deviennent un ministère de plein exercice en prise directe sur l’Elysée, alors que le précédent poste d’André Chandernagor était rattaché au ministère des Relations extérieures de Claude Cheysson. Au lendemain des élections européennes de juin 1984, il remplace également Max Gallo (élu au Parlement européen) au poste de porte-parole du gouvernement. Roland Dumas voit alors sa cote politique monter. Selon les journaux, il aurait refusé le ministère de l’Education nationale laissé vacant après le départ d’Alain Savary. Dans les dîners en ville, on parle de lui pour la succession de Pierre Mauroy à Matignon, en concurrence avec Pierre Bérégovoy, Jacques Delors, Laurent Fabius et Louis Mermaz…. Intéressé par ce nouveau défi que représente un poste ministériel, Roland Dumas qui se considérait jusqu’ici, en politique, comme un amateur s’engage cette fois-ci pleinement dans sa nouvelle fonction.

Aux Affaires européennes, le nouveau ministre révèle ses compétences dans les difficiles négociations sur la contribution financière de la Grande-Bretagne au budget de la Communauté ou dans le suivi du projet ESPRIT (projet européen pour la recherche et le développement dans les technologies de l’information). Il se passionne pour la défense de l’Europe contre l’invasion commerciale américaine et japonaise, calme les appréhensions concernant l’élargissement de la CEE à l’Espagne et au Portugal, se rend dans les pays de la Communauté pour y préparer les visites du chef de l’Etat, obtient en janvier 1985 la désignation de Jacques Delors, ancien ministre de l’Economie et des finances à la présidence de la Commission des communautés européennes. Sans être un homme de dossiers, il sait aller vite à l’essentiel et sa maîtrise de l’allemand, de l’anglais et de l’italien impressionne François Mitterrand comme Helmut Kohl. Il aide efficacement le président français lors de ses temps forts européens : le discours à La Haye en février 1984 où François Mitterrand fait le point sur les difficultés auxquelles se heurte la construction de l’Europe, la conférence de presse de Bruxelles après l’échec partiel du sommet, le discours de Strasbourg devant l’Assemblée européenne le 24 mai qui précise les nouvelles ambitions pour l’Europe (renforcement des pouvoirs du Parlement, extension du champ des décisions non soumises à la règle de l’unanimité), réunion de Fontainebleau enfin, les 25 et 26 juin 1984, qui lève le verrou de la contribution britannique. En juillet 1984, Roland Dumas change d’affectation en devenant ministre des Relations extérieures. Il intervient sur l’Acte unique européen, l’élargissement du Marché commun, la conclusion du projet Eurêka, les négociations avec la Libye et l’Iran. Il s’investit également sur le dossier du conflit israélo-palestinien. Il reviendra en 2007 sur ces années au quai d’Orsay dans un ouvrage paru chez Fayard, Affaires étrangères, 1981-1988.

Sur le plan parlementaire, Roland Dumas, qui ne s’est guère montré dans sa circonscription (où il ne réside pas) depuis son élection en juin 1981, est sauvé par l’organisation des législatives de 1986 au scrutin proportionnel départemental de liste. Il est élu député PS de la Dordogne, à l’issue de ce scrutin, qui conduit à la première cohabitation de la Ve République, avec l’entrée du RPR Jacques Chirac à Matignon. Membre du groupe socialiste, ce député d’opposition réalise l’exploit d’obtenir la prestigieuse présidence de la commission des Affaires étrangères grâce aux dissensions de la nouvelle majorité et à quelques voix, notamment celles du Front national, qui voulaient écarter l’Union pour la démocratie française (UDF) Bernard Stasi jugé trop progressiste. Roland Dumas exerce pendant un an une présidence habile et courtoise avant de devoir céder la place à Valéry Giscard d’Estaing en 1987 (les élus Front national -FN- votant cette fois en faveur de l’ancien président de la République). Il est pendant quelques mois (du 9 octobre 1986 au 6 avril 1987) vice-président de l’Assemblée nationale. Lors de la campagne présidentielle du printemps 1988, Roland Dumas, plus que jamais homme des opérations délicates, se voit confier par François Mitterrand la mission secrète de prendre contact dans l’entre-deux-tours avec des responsables du FN pour s’assurer que Jean-Marie Le Pen n’appellera pas à faire voter contre le président sortant. François Mitterrand ayant dissout l’Assemblée, Roland Dumas se présente lors des législatives anticipées de juin 1988, dans la 4ème circonscription de la Dordogne, sous l’étiquette socialiste. Avec l’aide de son suppléant, l’agriculteur Jean Duvaleix, il affronte au second tour le candidat RPR Jean-Jacques de Peretti. Il s’impose en totalisant 55,3 % des suffrages exprimés.

Nommé ministre des Affaires étrangères le 10 mai 1988, il impose vite son style loin des habitudes feutrées du Quai d’Orsay. Les diplomates découvrent un ministre fonceur, direct, qui snobe les fonctionnaires de carrière au profit de ses proches, ignore délibérément le Premier ministre Michel Rocard, qui ne souhaitait pas sa nomination, pour n’en référer qu’au chef de l’Etat. Sur le fond, celui qui se trouve en poste lors de la chute du Mur se fait très tôt l’apôtre d’une grande Allemagne unie au sein d’une Europe pacifiée. Alors que François Mitterrand, inquiet des risques que ferait peser sur la France le retour d’une Allemagne puissance, ne cache pas ses réserves au risque de se brouiller avec le chancelier Kohl, Roland Dumas entretient d’excellentes relations avec son homologue Hans-Dietrich Genscher. Il participe efficacement aux négociations du « 4 + 2 » visant à régler les aspects internationaux et frontaliers de la réunification. Bien que son histoire familiale soit marquée par la Guerre, il est l’homme du couple franco-allemand. Il assiste en tant que ministre des Affaires étrangères aux deux grandes crises de la fin de la décennie : la première Guerre du Golfe (où, avec François Mitterrand, il range la France dans la coalition internationale conduite par les Etats-Unis contre le dictateur Saddam Hussein qui avait envahi le Koweit) et la dislocation de l’URSS. Il est toujours au quai d’Orsay quand débute la guerre de Yougoslavie. Si la France, tout comme l’Europe, ne parvient pas à enrayer cette guerre civile meurtrière, Roland Dumas s’emploie à mettre en place un tribunal pénal international pour juger les crimes de guerre et les violations du droit humanitaire international. Au printemps 1989, le ministre publie chez Flammarion un essai politique et historique, Le peuple assemblé. L’ouvrage se veut une réflexion sur l’histoire des Etats généraux et entend démontrer que cette forme originelle de représentation populaire se trouve à l’origine du régime parlementaire français. En janvier 1990, il est élu adjoint au maire socialiste de Saint-Laurent-sur-Manoire.

Au printemps 1993, dans un contexte politique général très défavorable à la gauche au pouvoir en échec face à la crise et fragilisée par de nombreux scandales, Roland Dumas se présente aux législatives dans la 4ème circonscription de la Dordogne. Nettement distancé dès le premier tour par le maire RPR de Sarlat, Jean-Jacques de Peretti (22,5 % contre 43,3 %), il est battu au second tour où il doit se contenter de 45 % des suffrages exprimés. La promesse maladroite du don à l’hôpital de Sarlat d’un scanner par la fondation de Nahed Ojjeh, la fille du ministre syrien Tlass avec laquelle le ministre se trouve en relations très étroites, n’a pas amélioré l’image de ce dernier auprès des électeurs locaux. Fin février 1995, quelques mois avant la fin de son second mandat, un François Mitterrand très affaibli nomme Roland Dumas à la tête du Conseil constitutionnel. La prestation de serment a lieu le 8 mars. L’arrivée rue Montpensier d’un homme de secrets voire de scandales fait jaser. Les sages, qui avaient apprécié la rectitude morale et la discrétion d’un Robert Badinter, sont circonspects. En octobre 1995, Roland Dumas fait valider par le Conseil les comptes de campagne du nouveau président Jacques Chirac et de son rival malheureux, Edouard Balladur, alors que ceux-ci présentent manifestement quelques irrégularités. En tant que président du Conseil, il pose le principe selon lequel l’immunité judiciaire du président de la République vaut même en cas de crime et délit de droit commun. En 1996, il publie chez Plon une autobiographie intitulée Le Fil et la pelote où il revient sur sa carrière politique. De 1996 à 1999, il dirige aussi l’Institut François Mitterrand dont il est le premier président.

A partir de 1997, Roland Dumas voit son nom apparaître dans l’affaire dite des frégates de Taiwan. Ce scandale tire son origine d’un contrat d’armement, passé en 1991, entre un conglomérat d’entreprises françaises de la défense (emmené par Thomson) et ce pays d’Asie du Sud-Est, et plus précisément des très importantes commissions versées secrètement à des officiels taïwanais et chinois alors que le contrat interdisait pourtant tout recours à des intermédiaires. Bien qu’au début 1990 le président Mitterrand semblait s’être prononcé contre la vente de ces navires à Taïpeh sous l’influence de son ministre des Affaires étrangères, ce dernier évolue et donne son accord, en mai 1991, à condition que les frégates ne comportent pas de matériels offensifs. Une partie des 520 millions de dollars de commissions reviendra en France sous la forme de rétrocommissions, certaines d’entre elles servant sans doute au financement de partis politiques. L’enquête détermine qu’après le veto du ministre des Affaires étrangères, Gilles Ménage, alors directeur de cabinet de François Mitterrand, suggère à Thomson de passer par Elf-Aquitaine, alors présidée par Loïk Le Floch-Prigent, pour débloquer la situation. Le bras droit du patron d’Elf, Alfred Sirven, fait intervenir une de ses relations, Edmond Kwan, via sa société suisse. La maitresse de Roland Dumas à l’époque, Christine Deviers-Joncour, fait partie de ce réseau d’influence par l’intermédiaire de sa société Credito Privato Commerciale. En décembre 1997, la juge Eva Joly découvre une commission de 45 millions de francs versée par Alfred Sirven à Christine Deviers-Joncour. La magistrate renvoie Roland Dumas et Christine Deviers-Joncour devant le tribunal correctionnel. En juin 2001, le tribunal correctionnel de Paris déclare Loïk Le Floch-Prigent coupable d’abus de biens sociaux au détriment d’Elf tandis que Christine Deviers-Joncour et Roland Dumas sont reconnus coupables de recel d’abus sociaux. L’ancien ministre des Affaires étrangères est condamné à trente mois de prison, dont deux ans avec sursis et une amende d’un million de francs. Quelques jours après sa condamnation, l’intéressé reconnaîtra dans un entretien au Figaro l’existence de ces commissions et rétrocommissions. Le 29 janvier 2003, la 9ème chambre de la Cour d’appel de Paris relaxe Roland Dumas. Si les juges ont estimé que le comportement de ce dernier était blâmable, l’intéressé n’était pas pénalement punissable pour autant car il n’était pas conscient du caractère fictif de l’emploi de sa maîtresse chez Elf. L’ancien ministre reviendra la même année sur l’affaire en livrant sa version des faits dans un ouvrage publié chez Michel Lafon, L’Epreuve, les preuves.

Dès le printemps 1999, la pression politique et médiatique pesant sur Roland Dumas devient intenable, le président du Conseil constitutionnel suspend l’exercice de ses fonctions (laissant le doyen d’âge de l’institution, Yves Guéna, assurer la direction par interim) avant d’être contraint à la démission le 29 février 2000. Il est remplacé par Yves Guéna (Roland Dumas accède cependant à l’honorariat en 2002). Il retrouve ses fonctions d’avocat et installe son nouveau cabinet quai de Bourbon. Tenu à l’écart par les mitterrandistes, il s’emploie à défendre la mémoire de son ancien ami lorsque la justice revient sur les zones d’ombre du chef d’Etat disparu en janvier 1996. Ses relations avec le PS, qu’il a quitté après sa nomination à la tête du Conseil constitutionnel, ne s’améliorent pas après les législatives de 2002 lorsque Roland Dumas présente Arnaud Montebourg comme un « Savonarole de pacotille » et soutient son adversaire Union pour la majorité présidentielle (UMP) Francis Szpiner dans la 6ème circonscription de Saône-et-Loire, ou lorsqu’il déclare dans la presse nationale en mars-avril 2002 que Lionel Jospin « manque d’envergure » et « n’emballe pas les foules ». A l’automne 2002, la sanction tombe : alors que Roland Dumas avait demandé sa réintégration au Parti socialiste comme simple militant d’une section de Dordogne, il en est exclu pour deux ans par la commission des conflits saisie par François Hollande. Lors du procès en 2005 des écoutes de la cellule de l’Elysée, il multiplie les interventions dans les médias pour préserver une nouvelle fois l’image de l’ancien Président. En 2007, il soutient publiquement la candidature à l’élection présidentielle de Ségolène Royal.

Le jugement de 2003 ne met pas un terme aux ennuis de Roland Dumas avec la justice. En mai 2007, l’ancien ministre est poursuivi pour complicité d’abus de confiance dans le cadre de la succession du sculpteur Giacometti dont il est l’exécuteur testamentaire. Il est condamné, après le rejet de son pourvoi par la Cour de cassation en mai 2007, à douze mois d’emprisonnement avec sursis et 150 000 euros d’amende. En juin 2015, le parquet de Nîmes le renvoie en correctionnel pour recel de détournement de fonds publics. La justice soupçonne l’ancien maire de Pont-Saint-Esprit, Gilbert Baumet, d’avoir commandé à Roland Dumas une étude sur la vidéosurveillance pour rémunérer indirectement l’avocat qui le conseillait pour une autre affaire.

Dans les années 2000 et 2010, Roland Dumas multiplie les déclarations médiatiques provocatrices et s’engage dans des causes politiques qui le marginalisent. Il soutient ainsi l’humoriste Dieudonné dès 2006, appuie avec Jacques Vergès le président ivoirien sortant Laurent Gbagbo qui conteste l’élection de son rival Alassane Ouattara (il publie en 2011 avec Jacques Vergès un ouvrage Crimes et fraudes en Côte d’Ivoire), reste fidèle en 2011 à Kadhafi lors de la guerre civile en Libye. Il apparait parfois aux côtés de personnalités d’extrême-droite et tient des propos virulents sur Israël. Durant cette même période, il publie plusieurs ouvrages polémiques comme Sarkozy sous BHL en 2011 (avec Jacques Vergès) aux éditions Pierre-Guillaume de Roux) et Politiquement incorrect au Cherche-Midi en 2015.

Socialiste atypique, Roland Dumas était surtout un intime de François Mitterrand. Pendant près de quarante ans, il le suivit dans toutes ses aventures politiques, de l’UDSR au PS, de l’Observatoire à l’Elysée. Les effets de mimétisme entre les deux hommes étaient nombreux : tous deux avocats, marqués par la guerre, séducteurs, amoureux de littérature et d’art, passionnés par la politique qu’ils pratiquent en habiles manœuvriers, jouant des réseaux et cultivant les secrets. La proximité de Roland Dumas avec le chef de l’Etat était telle que l’intéressé fut parfois appelé le « vice-président » par les connaisseurs de la vie politique française des années 1980 et début 1990. Il revint sur cette longue complicité dans un ouvrage publié en 2011 au Cherche-Midi, Coups et blessures : 50 ans de secrets partagés avec François Mitterrand. Deux ans plus tard, un autre de ses ouvrages de souvenirs paru chez le même éditeur, Dans l’œil du Minotaure, le labyrinthe de mes vies, fit également une place importante à l’ancien chef d’Etat. Si Roland Dumas fut un parlementaire à éclipses, il resta un député très attaché au respect des droits de l’Assemblée. Ce grand ministre des Affaires étrangères de la fin des années 1980 et du début des années 1990, président controversé du Conseil constitutionnel, vit la fin de sa carrière politique entachée par le scandale des frégates de Taiwan et de l’affaire Elf.

Retiré de la vie politique, Roland Dumas s’éteint, le 3 juillet 2024, à son domicile Quai de Bourbon dans le IVe arrondissement de Paris.

Il était officier de la Légion d’honneur, et titulaire de plusieurs décorations étrangères.