Jules, Emile Jeanneney
1864 - 1957
Né le 6 juillet 1864 à Besançon (Doubs). Décédé le 27 avril 1957.
Député de la Haute-Saône de 1902 à 1909.
Sénateur de la Haute-Saône de 1909 à 1944.
Sous-secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil du 16 novembre 1917 au 20 janvier 1920.
La carrière parlementaire de Jules Jeanneney fut, en tous les sens du mot, exemplaire. Exemplaire par sa durée et sa continuité, par la fidélité réciproque des liens qui l'unissaient tant à ses compatriotes qu'à son parti et à ses idées ; exemplaire peut-être surtout par la noblesse de caractère et la modestie personnelle qui le guidèrent tout au long d'une lente ascension jusqu'aux plus hautes magistratures.
Il était né à Besançon où son père exerçait la profession de commissaire-priseur. Le décès de sa mère, quelques mois après sa naissance, le priva à jamais d'un élément de tendresse et lui-même, pourtant avare en confidences, confessait à quel point son caractère en avait été marqué.
Après des études secondaires au lycée de Besançon, sa ville natale, Jules Jeanneney songe d'abord à l'Ecole normale supérieure, puis opte pour la carrière juridique. Il suit les cours de la Faculté de droit de Paris, et, dans le même temps, fait son apprentissage de juriste, d'abord chez un avoué, puis un agréé, avec l'application et le sérieux qu'il gardera toute sa vie. Orateur précis et sans lyrisme, il n'en est pas moins reçu, derrière Viviani (dans une certaine mesure sa vivante antithèse), second secrétaire de la Conférence du stage des avocats, tandis qu'il s'initie, sous le magistère d'Edmond Chenet, aux sévères beautés du droit international privé.
Jules Jeanneney affirmait ne devoir qu'au hasard et à l'amicale insistance de Waldeck-Rousseau son entrée dans l'arène politique, en 1902, à l'âge de 38 ans. Il était pourtant maire de Rioz (siège de la maison familiale) depuis six ans déjà et avait été chef de cabinet d'Ernest Vallé dans un éphémère cabinet Brisson. Quoi qu'il en soit, candidat, sans trop y croire, du rassemblement combiste dans une circonscription modérée, celle de Vesoul, il bat de quelque 600 voix le député sortant, Fachard.
Les élections de 1902 représentent une date importante dans l'histoire politique française et l'on peut dire qu'il restera toute sa vie fidèle à « l'esprit de 1902 ». Ce sont celles qui, menées au paroxysme de l'affaire Dreyfus, marqueront la fin de la république des opportunistes et l'avènement de la république radicale, en même temps que la politique des blocs, sous l'impulsion de la délégation des gauches, succédait à la tactique de l'alliance des centres. Jules Jeanneney fut, tout au long de sa carrière, une incarnation de ce moment de l'histoire française : la révolution dreyfusarde ; et d'un tempérament politique : le jacobin froid et patriote.
Sa première intervention à la tribune eut lieu le 12 février 1903 sur « une des seules questions, remarquait-il, qui puisse provoquer une révolution chez nous : celle des « bouilleurs de cru ». Trois ans durant, il bataillera contre le gouvernement, pourtant radical, ou plutôt contre ceux qu'on n'appelait pas encore « les technocrates » du ministère des Finances, et obtiendra, en 1906, le rétablissement du « privilège » qui, depuis a été le prétexte d'une bataille politique inépuisable. Il est vrai qu'à cette époque le département de la Haute-Saône comptait jusqu'à 8.000 bouilleurs possédant un alambic personnel ; la récompense ne tarda pas puisque sa majorité, de 600 voix aux élections de 1902 passe à 2.500 en 1906.
Pourtant, après sept années de présence à la Chambre, Jules Jeanneney décide d'entrer au Sénat. Depuis 1903, il siège au Conseil général de la Haute-Saône et il a rapidement pris la présidence de celui-ci, poste qu'il occupera pendant vingt années consécutives (1905-1925). C'est le 3 janvier 1909 qu'il est élu pour la première fois sénateur de la Haute-Saône.
Sa carrière au Sénat, où il franchit l'un après l'autre tous les échelons du cursus honorum, peut être retracée en quelques lignes simples, selon le style lapidaire qu'il affectionnait : membre de la commission des finances en 1911, vice-président du Sénat de 1924 à 1928, président de la commission des finances de 1928 à 1932, puis président du Sénat jusqu'à la fin de la IIIe République. Mais la liste de ses interventions - témoignage imparfait et quantitatif de l'importance du rôle qu'il joua au Sénat pendant plus de trente ans - occupe vingt-cinq pages dans les tables des Annales. Il est peu de sujet important où il n'ait, avec précision et mesure, fait entendre une voix de plus en plus écoutée et il s'était fait une véritable spécialité du problème, techniquement difficile et alors politiquement délicat, de l'exploitation du réseau ferroviaire. Actif, Jules Jeanneney le fut toute sa vie, mais dans un style mesuré, discret, presque timide. Les occasions d'accepter un portefeuille ministériel lui furent, on le pense bien, durant une carrière aussi longue, particulièrement nombreuses. Il les écarta toutes à deux exceptions près : pendant la guerre de 1914 et à la Libération, en deux moments particulièrement périlleux et sous l'égide de deux hommes hors série derrière lesquels il s'effaçait. Le général Mordacq, chef du cabinet militaire de Clemenceau, décrit ainsi son entrée au gouvernement dans les sombres jours de 1917 : « Quand Clemenceau constitua le ministère, il offrit naturellement un portefeuille à son vieil ami qui refusa net. En vain, Clemenceau fit appel à son dévouement au bien public, à la nécessité de l'aider dans la rude tâche qu'il entreprenait. La seule concession que fit Jeanneney fut d'accepter un sous-secrétariat d'Etat auprès du président du Conseil même, afin de pouvoir remplir à côté de lui son devoir de Français et d'ami : c'est tout ce que l'on put obtenir de lui. »
Mais c'est en tant que président du Sénat que Jules Jeanneney donna sa pleine mesure, au point d'apparaître comme l'incarnation vivante de l'institution. Il fut porté au fauteuil présidentiel en juin 1932, quelques jours après l'assassinat de Paul Doumer, et pour remplacer Albert Lebrun devenu président de la République. La courtoisie, la conscience, l'impartialité avec lesquelles il dirigeait les débats lui valurent d'être constamment réélu par la suite. Chacune de ses réélections lui donne l'occasion de prononcer dans le remerciement rituel à ses collègues, des discours politiques d'une haute tenue, où toute l'histoire mouvementée de cette période est lisible en filigrane. Tout en défendant l'assemblée contre les attaques dont elle était l'objet, il lançait à l'exécutif et à l'opinion des avertissements d'une lucidité angoissée.
Si, affirmait-il, « nos institutions, largement dépassées par le mouvement de ce temps, doivent être harmonisées avec lui »... « le besoin n'est pas de changer la Constitution et les lois ; il est de mieux les défendre... et d'abord de les pratiquer sainement. » Et encore « Non, certes, que le Sénat puisse se refuser jamais, par aveuglement ou par égoïsme, à retoucher utilement la loi fondamentale du régime républicain ; mais, aux yeux de la plupart d'entre nous, il convenait, pour le moins, d'en avoir épuisé les ressources avant d'en contester les mérites. »
Cette doctrine, réaffirmée à chaque occasion, explique l'attitude de Jules Jeanneney en juillet 1940. Dans ces moments douloureux pour sa conscience de patriote et de républicain jacobin, il sut remplir ses devoirs de président du Sénat - et donc du Congrès - avec la dignité et le scrupule qui étaient les traits dominants de son caractère. C'est ainsi qu'il refusa de se prêter en coulisse aux manœuvres qui visaient à faire de la séance officielle du Congrès un scénario bien réglé ; qu'il donna lecture du télégramme de protestation des parlementaires embarqués sur le Massilia et confirma que leur départ avait bien eu lieu sur les instructions du gouvernement. Comme président de séance, il défendit pied à pied, sur le terrain réglementaire, les possibilités de survie des institutions républicaines - proposant la reconduction du règlement du précédent congrès qui aurait permis la discussion du « contre-projet des parlementaires anciens combattants » et suggérant un décompte des voix qui aurait rendu la majorité plus difficile à obtenir. Mais il n'était pas en son pouvoir de lutter contre la pression des événements et la démission des hommes.
Né le 6 juillet 1864 à Besançon (Doubs)
Décédé le 27 avril 1957 à Paris
Député de la Haute-Saône de 1902 à 1909 Sénateur de la Haute-Saône de 1909 à 1944
Ministre d'Etat du premier gouvernement provisoire du 10 septembre 1944 au 21 novembre 1945
(voir première partie de la biographie dans le dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, tome VI, p. 2021, 2022)
Le 16 mai 1940, lors d'une réunion au ministère des affaires étrangères où devaient être débattues les réponses à apporter à la percée allemande de la veille, Jules Jeanneney, obligatoirement consulté avant tout transfert des pouvoirs publics, se déclare « plus pressé de tenir que de fuir ». La débâcle militaire pousse toutefois les autorités vers Tours puis Bordeaux. C'est dans cette ville qu'il défend le principe du départ hors du territoire pour continuer la lutte.
Mais les manœuvres des partisans de l'armistice conduisent les assemblées vers Vichy. Jules Jeanneney y préside la fameuse séance du 10 juillet 1940 qui attribue les pouvoirs constituants au Maréchal Pétain. Plaidant obstinément par la suite le principe du maintien des assemblées, il proteste avec Edouard Herriot, président de la Chambre des députés, contre l'exil de leurs Bureaux à Châtelguyon le 18 août 1940, puis contre leur suppression le 25 août 1942.
Jules Jeanneney, privé de tout rôle public, s'établit alors près de son fils à Grenoble, puis se cache à Izeux. Le 16 août 1944, Pierre Laval le cherche en vain pour réunir le Sénat avec la Chambre des députés, prétextant l'assentiment écrit d'Edouard Herriot.
Depuis juin 1942, Jules Jeanneney est en correspondance avec le général de Gaulle qui lui a demandé de réfléchir en juriste sur les modalités de retour à l'état de droit. De ce fait, à la Libération, le général l'appelle dans le premier gouvernement provisoire, le plaçant en deuxième position et lui donnant le titre de ministre d'Etat. Jules Jeanneney réside alors à l'Hôtel Matignon où il assure l'intérim lors des voyages du général de Gaulle et définit la composition et les attributions de l'Assemblée consultative provisoire. Avec l'appui du général, il doit faire face aux attaques de certains exclus, membres des « Quatre vingt » du 10 juillet 1940 qui lui reprochent de les avoir trahis ce jour-là. Il rédige enfin la question à soumettre au peuple sur l'étendue des pouvoirs de la première Assemblée constituante.
A la fin de l'année 1945, Jules Jeanneney se retire de la vie publique. Une partie de ses archives personnelles ayant brûlé en 1944, il renonce à écrire ses mémoires. C'est son petit-fils, Jean-Noël Jeanneney, qui publiera en 1972 un Journal Politique couvrant la période 1939-1942.
Jules Jeanneney meurt le 27 avril 1957 à Paris, à l'âge de 92 ans.