Eugène, Michel Réveillaud
1851 - 1935
Né le 30 janvier 1851 à Saint-Coutant-le-Grand (Charente-Inférieure), mort le 28 novembre 1935 à Versailles (Seine-et-Oise).
Député de la Charente-Inférieure de 1902 à 1912.
Sénateur de la Charente-Inférieure de 1912 à 1921.
Comme son aîné de dix ans Georges Clemenceau, avec lequel à partir de janvier 1912 il siégera au Sénat parmi les membres de la gauche radicale et radicale socialiste, démocrate et républicain au sens de l'An II, haïssant les prêtres et les rois, petit bourgeois descendant de ces vieux huguenots du bocage vendéen qui donnèrent à la République tant de « bleus » intrépides, Eugène Réveillaud est par tempérament un lutteur.
Après de bonnes études au lycée Charlemagne, il s'inscrit à la Faculté de droit où il obtient une licence qui lui ouvre l'accès du barreau. Simultanément à sa carrière d'avocat, il poursuit une féconde activité de publiciste qui, au gré de ses résidences successives, le fait collaborateur du Siècle, directeur du Signal de Paris, de l'Indépendant rémois, de l'Avenir républicain de Troyes, du Contribuable de Rochefort, ou encore, bien qu'il brigue sa première députation, de la très rationaliste Franche Parole, menant partout le combat par le verbe et par la plume pour imposer les idées républicaines avancées auxquelles sa vie durant il demeurera attaché.
Dès 1893, il se lancera dans la bataille électorale contre Louis Roy de Loulay, qui détient le siège de Saint-Jean-d'Angély depuis 1876. Il rassemble au premier tour 2.921 suffrages sur son nom et se désiste au scrutin de ballottage en faveur du docteur Bourcy, ce qui permet à celui-ci de supplanter Roy de Loulay. En 1898, bien que le docteur Bourcy lui rende le même service, Réveillaud, qui avait eu 6.228 voix au premier tour, n'en obtient que 9.816 au second, alors que Roy de Loulay est élu avec 10.778.
En 1902, Réveillaud avec 10.613 voix et grâce au désistement du docteur Guillaud l'emporte de justesse sur Roy de Loulay, qui n'en obtient que 10.365. Succès confirmé dès le premier tour des législatives de 1906 où, candidat unique de la gauche, il réunit sur son nom 10.768 voix, contre 9.351 à son vieil adversaire ; mais ce succès n'est pas loin d'être remis en cause à la consultation de 1910 où il ne triomphe que d'extrême justesse au second tour, par 9.704 suffrages contre 9.684 à Villeneau, nouveau candidat conservateur, qui s'était présenté précédemment en 1906 dans le canton de Marennes.
Dix-huit mois après sa dernière réélection à la Chambre, il entre au Sénat d'assez curieuse façon : dans la nuit précédent le scrutin du 7 janvier 1912 pour le renouvellement triennal du Sénat, les députés radicaux éliminent les noms de deux sénateurs sortants, Calvet et Paul Rouvier, pour les remplacer par ceux de Réveillaud et de Perreau. Il obtient 566 voix sur 990 votants et va rejoindre au Palais du Luxembourg cet autre élu de la Charente-Inférieure qu'est son ami Emile Combes, dont il a toujours été le ferme soutien.
Député, il ne renie point ses engagements électoraux, même sous certains aspects fort terre à terre ; ses interventions en faveur de la viticulture charentaise, des alcools de Cognac, de la répression des fraudes, de la défense des bouilleurs de cru, par exemple, témoignent du contraire ; de même, son souci du maintien de l'activité de l'arsenal de Rochefort ou la construction d'une ligne de chemin de fer de Saint-Jean-d'Angély à Saujon ne sont pas étrangers au désir d'être agréable à ses électeurs. Mais c'est au niveau des préoccupations doctrinales et de la réalisation du programme des républicains qu'Eugène Réveillaud donne à ses mandats le lustre que son érudition, son éloquence persuasive, son lyrisme, son dogmatisme, aussi, allaient conférer à ses initiatives, discours, interventions.
C'est ainsi que, sans négliger pour autant les obligations qui découlent de sa participation aux travaux de nombreuses commissions (presse, suffrage universel, associations-loi de 1901, mais aussi affaires extérieures, affaires administratives, etc...) ou de son activité dans les groupes d'intérêts auxquels il adhère, il s'attachera à traduire les idées et les réalités dans deux domaines essentiels pour les républicains de ce temps : «la guerre au cléricalisme, ennemi mortel de nos institutions», l'instauration d'un système d'élection à la représentation proportionnelle qui remplace «l'inéquitable scrutin majoritaire».
Préoccupations de toujours pour Réveillaud : aussi n'est-il pas surprenant que, sitôt son installation à la Chambre où il siège à la gauche radicale, il s'attelle à la mise en chantier des deux grandes réformes qui lui tiennent tellement à cœur.
S'agissant de la représentation proportionnelle, il dépose le 24 octobre 1902 une proposition de loi tendant à substituer ce système de scrutin au scrutin majoritaire pour les élections législatives ; de même, à l'occasion d'un débat sur la procédure parlementaire, émet-il le vœu que, dans les commissions de la Chambre, les députés soient nommés à la proportionnelle. Au demeurant ce sera l'affaire de toute sa carrière, puisque encore le 14 mars 1913 il prononce à la tribune du Sénat un important discours en faveur de la « R.P. » à l'occasion de la discussion devant la Haute assemblée d'un projet de scrutin d'inspiration proportionnaliste. Ses collègues ne s'y sont pas trompés qui l'ont porté à la présidence du groupe de la représentation proportionnelle.
Mais, ce sera dans le combat anticlérical qu'il donnera le meilleur de sa fougue, son ardeur de libre-penseur se renforçant de la vieille rancune bien connue des descendants de huguenots persécutés. A peine élu, le 20 octobre 1902 il se signale à l'attention en prenant l'initiative de la création d'une commission parlementaire chargée d'examiner et de rapporter les diverses propositions existantes en matière de séparation de l'Eglise et de l'Etat, initiative qui n'est sûrement pas sans avoir influencé le dépôt des projets de loi relatifs à la séparation, projets à la discussion desquels, le 4 avril 1905, Réveillaud prendra une part très active, notamment en prononçant un de ces discours ornés, charpentés, fouillés, nourris de citations, qui sont alors en honneur dans les enceintes parlementaires et dont l'ampleur du développement sera telle que la Chambre suspendit sa séance un quart d'heure pour permettre à l'orateur de reprendre son souffle avant que de poursuivre son exposé !
Cependant, hors de cette participation privilégiée aux combats politiques du moment, les préoccupations d'Eugène Réveillaud ne sont pas pour autant mineures : il s'intéresse notamment au service militaire de deux ans, aux fraudes en matière alimentaire, à l'impôt sur le revenu, à la protection des mères et des nourrissons, au code de justice militaire, aux mesures à prendre pour lutter contre la dépopulation provoquée par la guerre de 1914-1918, fustigeant même, dès 1910 par exemple, le néomalthusianisme et les avortements, qui lui paraissaient les conséquences d'une pornographie envahissante.
Il exalte aussi le rayonnement et l'extension de l'influence française, qu'il s'agisse de l'aventure coloniale, pour peu que les congrégations n'en soient pas ! (il est président de la Société protestante de colonisation Gaspard de Coligny) ou du lien de « francité qui prolonge notre pays en Wallonie belge, en Suisse romande, en Louisiane, au Canada, ou encore à l'île Maurice, dont il réclame le rattachement à la France ! Par ailleurs, une abondante production telle que son Histoire du Canada, ou Une excursion au Sahara algérien et tunisien ou encore L'établissement d'une colonie de Vaudois en Algérie montre assez l'intérêt qu'il porte à la colonisation. Il devient, en 1915, en même temps que Jules Siegfried et le pasteur Soulier, membre du Comité protestant de propagande française à l'étranger.
Tel était Eugène Réveillaud, homme d'un seul combat, représentant type d'une génération de républicains convaincus et décidés avec, en plus, le talent, l'érudition, la distinction d'esprit et aussi ce brin de parti pris qui fait le militant. Au renouvellement triennal de 1921, Réveillaud a 70 ans et estime ne pas devoir se représenter.
Il meurt âgé de près de 85 ans le 28 novembre 1935 à Versailles, dans son appartement du boulevard de la Reine, qu'il occupe depuis une trentaine d'années.