Raoul Béteille

1924 - 2015

Informations générales
  • Né le 1er janvier 1924 à Nîmes (Gard - France)
  • Décédé le 18 avril 2015 à Nîmes (Gard - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Xe législature
Mandat
Du 2 avril 1993 au 21 avril 1997
Département
Seine-St-Denis
Groupe
Rassemblement pour la République

Biographies

Biographie de la Ve République

BETEILLE (Raoul)
Né le 1er janvier 1924 à Nîmes (Gard)
Décédé le 18 avril 2015 à Nîmes (Gard)

Député de la Seine-Saint-Denis de 1993 à 1997

Raoul Béteille naît à Nîmes en 1924 dans une famille de juristes. Son père est magistrat. Après des études de droit et de lettres, il s’inscrit au barreau de Nîmes. Il se marie en juillet 1947 avec l’enseignante Colette Bernard. Le couple aura quatre enfants. En juillet 1948, il devient juge suppléant dans le ressort de Nîmes avant d’être nommé en mai 1951 juge au tribunal d’instance d’Aubusson. C’est le début d’une longue et belle carrière de magistrat. Dès décembre 1951, il est substitut au procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Avignon. A partir de janvier 1957, il est détaché au service de documentation et d’études de la Cour de cassation. En juin 1962, ce gaulliste bénéficie d’une promotion en étant nommé substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Seine. Il est de fait très proche du ministre de la Justice, Jean Foyer, qu’il rejoint d’ailleurs dans son ministère comme conseiller technique d’octobre 1962 à novembre 1963 (il avait été auparavant conseiller technique de Pierre Messmer, ministre des Armées). Puis, pendant quatre ans, de novembre 1963 à août 1967, Raoul Béteille assure les fonctions de secrétaire général de la première présidence de la Cour de cassation. Même si la charge est lourde, l’intéressé suit de 1965 à 1966 comme auditeur les sessions de l’Institut des hautes études de défense nationale. En août 1967, il entre à la Cour d’appel de Paris comme conseiller avant de devenir président de chambre de la même instance en décembre 1976. Le 16 septembre 1970, il prononce, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour d’Appel, un discours remarqué intitulé : « Regards sur la justice et ailleurs ».

A partir de 1977, celui qui est surnommé par ses confrères « le taureau » ou le « bulldozer » pour sa carrière rapide et son discours répressif, occupe des responsabilités de premier plan dans le monde judiciaire français. En janvier 1977, il est détaché en qualité de procureur général près la Cour de sûreté de l’Etat. Ce « magistrat tranchant comme la guillotine », selon la formule d’un article de Libération, y gagne une réputation de juge implacable attaché à une justice punitive. Il alimente aussi déjà les polémiques car la Cour de sûreté de l’Etat est considérée par beaucoup comme une juridiction d’exception directement liée au pouvoir politique. De mai 1979 à juin 1981, il occupe les importantes fonctions de directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice. François Mitterrand ironise à l’époque en affirmant que Raoul Béteille était « beaucoup plus directeur des affaires criminelles que des grâces ». Après l’attentat au château de Versailles commis en juin 1978 par les indépendantistes bretons du Front de libération de la Bretagne (FLB), Raoul Béteille prononce le 30 novembre 1978 un sévère réquisitoire contre le FLB à la Cour de sûreté de l’Etat. L’intéressé travaille en étroite collaboration avec le garde des Sceaux de l’époque, Alain Peyrefitte, dont il rédige les grandes lignes du projet de loi Sécurité et liberté. La gauche de l’époque, et notamment le Parti socialiste (PS), qui se réclame d’une justice privilégiant la prévention à la répression, dénonce ses excès. Parmi ses adversaires les plus résolus figure le maire d’Epinay-sur-Seine, le mitterrandien Gilbert Bonnemaison, qui suit les questions de justice pour le compte de son parti et qui surnomme Raoul Béteille « Monsieur Sécurité », contribuant à camper dans les médias l’image d’un magistrat réactionnaire répressif.

Adversaire résolu de la gauche et partisan du maintien de la peine de mort, Raoul Béteille se désole de l’alternance de mai 1981. Il quitte son poste au ministère de la Justice le 23 juin 1981. Le 3 juillet suivant, il publie dans Le Monde une lettre adressée au premier et éphémère ministre de la Justice du nouveau gouvernement socialiste, Maurice Faure, où il défend la politique menée par Alain Peyrefitte et notamment la loi Sécurité et liberté. Il y déplore également la suppression à venir de la Cour de sûreté de l’Etat : « Elle était insensible aux menaces. Croyez-moi, cela aurait été d’un certain prix le jour où le terrorisme international fera courir à notre pays le risque grave de la déstabilisation. Quand le drame sera chez nous (…), vous demanderez l’impossible aux jurés de la cour d’assises (…). Ils refuseront de siéger ». Raoul Béteille réintègre en juillet 1981 la Cour de cassation en sa qualité de conseiller (1ère chambre civile).

Ce magistrat de droite, qui incarne la frange dure du Rassemblement pour la République (RPR), fait partie de ceux qui attaquent le nouveau ministère dans les médias en dénonçant la montée de la délinquance et le manque de fermeté de la gauche face à l’insécurité. Au sein du parti gaulliste, ce spécialiste des questions de justice (avec Robert Pandraud) déplore après la vague d’attentats de 1986 la suppression de la Cour de sûreté de l’Etat qui oblige le gouvernement à créer une cour d’assises spéciale, sans jurés, pour juger les terroristes. Durant les années 1980, Raoul Béteille (dont le nom signifie « bataille » en occitan) fustige sans relâche ce qu’il perçoit comme le noyautage partisan de la justice, le démembrement de l’institution judiciaire et le renoncement de la société face à la délinquance. Très hostile au Syndicat de la magistrature, il est l’un des créateurs de l’Association professionnelle des magistrats (APM). Sa nomination en juillet 1987 comme vice-président du Conseil de la concurrence le contraint à plus de réserve mais cela ne l’empêche pas en 1990 de publier, dans le cadre des publications de l’Union nationale interuniversitaire (UNI), syndicat étudiant de droite dont il est très proche, un opuscule intitulé Antijustice où il pourfend les « errances idéologiques » de la justice de l’époque. En juin 1990, il est admis à la retraite de la Cour de cassation, dont il devient conseiller honoraire.

Avant les législatives du printemps 1993, il obtient du RPR et de l’Union pour la démocratie française (UDF) une investiture comme candidat unique de l’opposition dans la 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis (Epinay-sur-Seine). Les états-majors de droite lui ont d’autant plus facilement concédé cette investiture qu’ils considèrent comme impossible une victoire dans un département qui constitue un bastion de la gauche socialiste et, surtout, communiste. Avec l’aide de sa suppléante, la conseillère municipale d’Epinay, Anne Roudaut, Raoul Béteille mène une campagne dynamique et virulente contre le député sortant, le socialiste Gilbert Bonnemaison, qualifié dans sa profession de foi de « symbole de l’insécurité, du chômage, de l’immigration incontrôlée ». L’élimination dès le premier tour du maire d’Epinay, porte-drapeau de la prévention de la délinquance et représentant de ce que le candidat de droite appelle « l’angélisme de gauche », a une forte résonnance symbolique. Au second tour, Raoul Béteille affronte la communiste Josiane Andros, qu’il ramène au bilan du communisme : « Dans le monde entier : la liberté étranglée, le mépris de l’homme, la pénurie, la pauvreté généralisée, l’environnement saccagée, la nature ravagée ». La candidate du PCF est assimilée dans un tract au « règne de l’insécurité, de l’immigration incontrôlée, du chômage et de la désespérance ». Accusant sa rivale de vouloir « donner le droit de vote aux immigrés », l’ancien magistrat entend se battre « contre la criminalité et la délinquance, contre le chômage et pour la réforme du code de la nationalité ». Profitant d’un contexte politique national porteur pour l’opposition de droite, le candidat RPR s’impose avec 51,96 % des suffrages exprimés. Alors que Jacques Chirac, venu le soutenir, lui avait conseillé d’être plus chaleureux et ouvert avec les électeurs (« Souriez, monsieur le procureur »), l’intéressé était resté imperturbable, certain que sa réputation de fermeté et son discours d’ordre séduiraient au contraire dans une circonscription sinistrée par la délinquance. Raoul Béteille rejoint le groupe RPR et la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Au Palais-Bourbon, le député suit logiquement les questions liées à la justice. Il est ainsi rapporteur en octobre et novembre 1994 du projet de loi portant réforme de la Cour de cassation et, en février 1997, de la proposition de loi relative à l’examen des pourvois devant la Cour de cassation. Il intervient en juillet 1994 lors des débats sur un projet de loi modifiant une ordonnance de 1958 relative au statut de la magistrature et sur un projet de loi relatif à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, en octobre 1996, sur un projet de loi relatif à la détention provisoire et, en janvier 1997, sur un projet de loi portant réforme de la procédure criminelle. L’examen des projets de loi de finances lui donne l’occasion de revenir régulièrement sur les questions de sécurité qu’il affectionne (délinquance, criminalité, drogue, effectifs et moyens des forces de l’ordre). Il rejoint en juillet 1995 la commission d’enquête sur les sectes et intègre, en octobre 1995, celle sur l’immigration clandestine et le séjour irrégulier d’étrangers en France. Il siège à partir de juin 1996 dans l’office d’évaluation de la législation. Il est membre à partir d’octobre 1996 de la mission d’information commune sur la Corse. Mais il s’intéresse aussi à d’autres dossiers comme en témoignent ses divers rapports sur des projets ou des propositions de loi (informatisation du livre foncier dans les départements alsaciens et en Moselle en avril 1994, financement de la vie politique en novembre 1994, réforme de la Protection sociale en décembre 1995, transformation des districts urbains en communautés urbaines en décembre 1995, réforme de l’adoption en janvier 1996, services d’incendie et de secours en février 1996, liberté des prix et de la concurrence en mars 1996). En avril 1994, il dépose une proposition de loi tendant à garantir en toute période le caractère de libertés publiques fondamentales à l’affichage et à la diffusion d’opinion. Il est partisan d’une ligne de fermeté lors de l’examen en décembre 1996 d’un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration. Il pose des questions au gouvernement sur les demandeurs d’asile algériens et kurdes (avril 1994), les grèves dans les services publics (novembre 1994), les principes du service public (décembre 1995).

Comme attendu, Raoul Béteille se montre très critique à l’égard des réformes du ministre de la Justice, Pierre Méhaignerie, garde des Sceaux de 1993 à 1995, partisan de peines alternatives à la prison. Persuadé que ce n’est pas la sanction qui est criminogène mais l’absence de sanction, l’élu de la Seine-Saint-Denis aime à répéter que pour vider les prisons, il faut préalablement les remplir car « le repoussoir carcéral est la meilleure des préventions ». Selon lui, l’impunité généralisée dont bénéficieraient notamment les jeunes délinquants les conforterait dans la criminalité. Alors que le garde des Sceaux de l’époque penche pour des transactions financières susceptibles de libérer des places de prison, Raoul Béteille refuse de transiger avec un ordre public qui à ses yeux ne se marchande pas. Au Palais-Bourbon, il proclame qu’il faut réformer l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante et dépose en ce sens une proposition de loi en mars 1996 (nouvelles procédures de comparution immédiate, de citation directe et de détention provisoire en cas d’infraction commise par un mineur de plus de treize ans), qui est rejetée. En 1996, le nouveau garde des Sceaux, Jacques Toubon, recommande vivement à la majorité de ne pas suivre la ligne trop répressive du député de la Seine-Saint-Denis.

Candidat à sa réélection dans la même circonscription de la Seine-Saint-Denis en 1997, le RPR Raoul Béteille est battu dès le premier tour en ne totalisant que 18,6 % des suffrages exprimés. Au second tour, le socialiste Bruno Le Roux s’impose facilement face au candidat FN François-Xavier Sidos avec 68 % des voix. De 1995 à 1997, Raoul Béteille siège au conseil municipal d’Epinay-sur-Seine parmi les élus d’opposition. Il continue toutefois de s’engager politiquement au sein du Mouvement initiative et liberté (MIL), une formation satellite du RPR, très marquée à droite et qui abrita après sa fondation en 1981 de nombreux anciens du Service d’action civique (SAC) -dissout en 1982-, à commencer par son ancien responsable, Pierre Debizet. L’ancien député de la Seine-Saint-Denis préside le MIL de 1984 à 2008. Au sein de ce mouvement profondément anticommuniste et très lié à l’UNI, Raoul Béteille retrouve Alain Peyrefitte et plus généralement de nombreux anciens responsables de droite (Jacques Foccart, Robert Galley, Yves Guéna, Pierre Messmer, Robert Pandraud, Maurice Schumann…) farouchement opposés au nouveau gouvernement socialiste et désireux d’engager une offensive idéologique contre la gauche. En plus d’être une officine de propagande et de jouer à l’occasion le service d’ordre supplétif du RPR, le MIL, avec sa ligne gaulliste très conservatrice, permet au parti gaulliste de limiter la fuite de sa frange droitière vers le Front national. L’organisation soutient Jacques Chirac lors de l’élection présidentielle de 1995.

Très présent dans les médias où il dresse volontiers le procès de ce qu’il appelle un « droit-de-l’hommisme à l’envers », qui amènerait la société « à protéger les assassins, les tortionnaires d’enfants et de vieillards, les tueurs de gendarmes, de policiers et de convoyeurs de fonds » (Le Figaro, 28 décembre 2001), Raoul Béteille rassemble en 2001 ses conceptions de la justice dans un ouvrage publié aux éditions François-Xavier de Guibert, De l’Injustice. Dans ce livre très critique sur le fonctionnement de la justice en France, l’ancien député dénonce les évolutions de l’institution judiciaire (disparition du lien hiérarchique entre le ministère de la Justice et les parquets, suppression du juge d’instruction, nouvelle procédure d’appel pour les verdicts d’assises…). Il insiste également sur les problèmes créés par la dualité de juridictions (administratives et judiciaires, Conseil d’Etat et Cour de cassation), une dualité préjudiciable, selon lui, au citoyen qui, trop souvent, ne sait pas devant qui il doit engager un procès. En 2002, il reçoit pour cet ouvrage le prix Saintour de l’Académie des sciences morales et politiques.

Raoul Béteille décède le 18 avril 2015. Commandeur de la Légion d’honneur, il était officier de l’ordre national du Mérite et chevalier des Palmes académiques.