Gabriel, Francisco Lisette
1919 - 2001
Né le 2 avril 1919 à Puerto-Bello (Panama)
Député du Tchad de 1946 à 1951 et de 1956 à 1959
Gabriel Lisette est issu d'une famille de marins-pêcheurs et d'artisans antillais ; son père est établi en Guadeloupe, à Sainte-Rose, ville dont son arrière-grand-père était maire. Après des études au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, puis au lycée Henri IV à Paris, il intègre à l'été 1941 l'Ecole nationale de la France d'outre-mer, et devient diplomate.
Très tôt convaincu de la nécessité de donner aux colonies françaises le droit de déterminer par elles-mêmes leur propre avenir, Gabriel Lisette rejoint dans les premiers mois de l'après-guerre le jeune Rassemblement Démocratique Africain. C'est à la tête d'une « liste d'union tchadienne » qu'il se présente pour la première fois, dans le « collège des autochtones », aux élections législatives du 10 novembre 1946 dans le Tchad (AEF). Avec 7 268 voix sur 17 598 suffrages exprimés, il bat de quelques dizaines de voix le député sortant Guy de Boissoudy.
Agé d'à peine vingt-sept ans, Gabriel Lisette est l'un des plus jeunes parlementaires de la législature. Il est nommé membre de la Commission des territoires d'outre-mer, dont il est aussi élu secrétaire. Cette Commission le désigne en outre pour représenter l'Assemblée nationale au sein du conseil de surveillance chargé de suivre la gestion de la Caisse centrale de la France d'outre-mer.
Dès les premières semaines de la législature, Gabriel Lisette s'engage en faveur d'une décolonisation progressive et pacifique ; il oeuvre en ce sens au sein du RDA, aux côtés notamment de Félix Houphouët-Boigny et de Hamani Diori. L'un de ses premiers textes est une proposition de loi, déposée le 30 juillet 1947 avec quelques autres parlementaires issus pour la plupart des colonies, visant à « réprimer les discriminations raciales dans les territoires d'outre-mer ». « La Constitution, adoptée par le peuple de France le 13 octobre 1946, marque dans ses articles 80 et 82 la volonté de la IVe République d'en finir avec le régime d'injustices et d'abus qui, jusqu'à présent, fait loi. Il faut constater cependant que, huit mois après l'adoption de la Constitution, il n'y a rien de changé », lit-on dans l'exposé des motifs. Les auteurs du texte dénoncent avec vigueur les pratiques ségrégatives en cours : « le contact des civilisations et la politique de l'assimilation ont entraîné un grand bouleversement dans les mœurs et coutumes des populations d'outre-mer. Les traditions alimentaires et vestimentaires n'y ont pas échappé. Les jeunes générations qui ont bien assimilé les enseignements de bon goût qui leur ont été donnés ont pris l'habitude de manger, boire et s'habiller à l'européenne. Aujourd'hui, on leur refuse farine, sucre, lait concentré, pétrole, tissu, indistinctement et sans ménagement puisqu'on leur répond souvent, trop souvent : » il n'y en a pas pour les nègres ! « . Le combat de Gabriel Lisette se heurte à de vives résistances. C'est avec stupeur et indignation qu'une partie de l'Assemblée accueille la proposition de résolution qu'il dépose le 2 juin 1949, visant à inviter le gouvernement à proposer, à l'occasion du transfert au Panthéon des cendres de Victor Schœlcher et de Félix Eboué, un projet de loi d'amnistie des délits politiques dans les territoires d'outre-mer. » Des résistances timides, camouflées hier, aujourd'hui franchement hostiles, se mettent au travers des grandes traditions de la France. Ceux qui veulent donner leur véritable sens à l'œuvre de Schœlcher et à l'acte d'Eboué en 1940, ceux qui demandent l'application sincère du texte constitutionnel et des principes de l'Union française sont calomniés, poursuivis, jetés en prison « , plaide sans succès le député du Tchad.
Candidat aux élections législatives du 17 juin 1951, dans le collège des « citoyens de statut français » de la circonscription d'Oubangui-Chari-Tchad, à la tête de la liste du Parti progressiste tchadien, Gabriel Lisette ne recueille que 14 497 voix sur 164 311 suffrages exprimés, contre 123 456 voix pour la liste d'Union démocratique tchadienne conduite par le sénateur Mohamed Bechir Sow, qui emporte les deux sièges à pourvoir. Il retrouve alors ses fonctions d'administrateur de la France d'outre-mer, mais continue à militer au sein du RDA, dont il assure la vice-présidence, et exerce à partir de 1951 le mandat de député de la région de Logone à l'assemblée territoriale du Tchad.
Aux élections du 2 janvier 1956, Gabriel Lisette conduit une liste d'union soutenue notamment par le RDA, l'UDSR et les radicaux socialistes. Il obtient 130 843 voix sur 294 654 suffrages exprimés et emporte l'un des deux sièges à pourvoir, l'autre échéant à la tête de la liste d'Action sociale tchadienne, Arabi El Goni. Les autres candidats protestent contre les conditions du scrutin, mais le 4e Bureau, sur le rapport de Pierre de Chevigny, valide l'élection, considérant qu'« aucun des faits reprochés ne serait de nature à mériter par principe une décision d'invalidation ». L'année de son élection, Gabriel Lisette est porté à la tête de la mairie de Fort-Lamy - future capitale de l'Etat du Tchad, qui sera rebaptisée par la suite du nom de N'Djamena ; en 1957, il devient pour deux ans chef du gouvernement du Tchad.
Au cours de la législature, Gabriel Lisette devient l'une des chevilles ouvrières du processus de décolonisation en Afrique Equatoriale Française, contribuant de façon déterminante à l'élaboration de la loi-cadre africaine - la « loi Defferre » - votée en 1956 et mise en œuvre à partir de 1957. Le général de Gaulle en fait l'un des principaux relais de sa politique africaine lorsqu'il revient aux affaires, à l'été 1958. Avec Lamine Gueye, Félix Houphouët Boigny, Léopold Senghor et Philibert Tsiranana, Gabriel Lisette constitue un groupe de travail chargé d'élaborer les articles de la nouvelle Constitution régissant les relations entre la France et ses colonies au sein de la « Communauté française ». Le 1er mai 1959, il est nommé, avec Houphouët Boigny, Senghor et Tsiranana, ministre-conseil pour la Communauté ; il assume cette responsabilité jusqu'en mai 1961, tandis que s'enlise le projet politique de Communauté française.
Dans les années qui suivent, Gabriel Lisette tente à plusieurs reprises de retrouver dans la vie politique nationale un rôle à la mesure de ses responsabilités passées. Il présente en particulier sa candidature aux élections législatives de 1967 et de 1968 dans la deuxième circonscription de la Guadeloupe, mais il échoue dans les deux cas, de quelques centaines de voix, face au communiste Paul Lacave. Gabriel Lisette se présente, sans plus de succès, aux élections cantonales à Sainte-Rose, en mars 1976.
S'il s'éloigne de la scène politique, Gabriel Lisette reste néanmoins un acteur de premier plan de la diplomatie française vis-à-vis de ses anciennes colonies, et plus globalement du Tiers Monde. Administrateur en chef de la France coloniale, élevé par la suite au grade de ministre plénipotentiaire, il conduit en 1960 la délégation française à la Conférence de Tanger de la commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, et représente la France, de 1960 à 1979, auprès de la commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine.
Membre de l'Académie des sciences d'outre-mer, vice-président de la Fondation Félix Houphouët-Boigny, membre du conseil de direction du comité français pour la Campagne mondiale contre la faim, Gabriel Lisette est l'auteur de deux ouvrages : Le Combat du Rassemblement Démocratique Africain pour la décolonisation pacifique de l'Afrique noire et Têtes ensemble - Pour la décolonisation, la fraternité, la solidarité.