Edouard, René Lefebvre de Laboulaye
1811 - 1883
- Informations générales
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- Né le 18 janvier 1811 à Paris (Seine - France)
- Décédé le 25 mai 1883 à Paris (Seine - France)
1811 - 1883
Représentant en 1871, sénateur de 1875 à 1883, né à Paris le 18 janvier 1811, mort à Paris le 25 mai 1883, il exerça d'abord, avec son frère, la profession de fondeur de caractères, et fit suivre son nom de ce titre lorsque, tout en étudiant le droit, il publia, à ses débuts, une remarquable Histoire du droit de la propriété foncière en Europe depuis Constantin jusqu'à nos jours (1839), couronnée par l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Dans un Essai sur la vie et les doctrines de Savigny, qui vint ensuite (1842), il s'attacha à montrer l'importance des principes de l'école historique. Inscrit comme avocat à la cour royale de Paris, il poursuivit ses travaux et fit paraître coup sur coup plusieurs mémoires qui mirent le sceau à sa réputation et obtinrent des récompenses de l'Institut : Recherches sur la condition politique des femmes depuis les Romains jusqu'à nos jours ; Essai sur les lois criminelles des Romains concernant la responsabilité des magistrats.
Nommé membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il devint, en 1849, professeur de législation comparée au Collège de France. Assez activement mêlé aux diverses manifestations du parti libéral sous le second Empire, M. Edouard Laboulaye donna des conférences publiques, parut dans des réunions électorales, et fut lui-même à quatre reprises, mais sans succès, candidat indépendant au Corps législatif :
- le 22 juin 1857, il obtint, dans la 1re circonscription de la Seine, 4 676 voix contre 10 071 à l'élu officiel, M. Guyard-Delalain, et 1 682 à M. Reynaud ;
- le 20 mars 1864, dans la même circonscription, il réunit 914 voix seulement contre 13 551 au candidat de l'opposition démocratique, Hippolyte Carnot, élu, et 4 979 à M. Pinard (il s'agissait alors de remplacer M. Havin, optant pour la Manche).
- le 15 avril 1866, M. Alfred Renouard de Bussières, candidat du gouvernement, précédemment élu par la 1re circonscription du Bas-Rhin, ayant donné sa démission pour se représenter devant les électeurs, M. Ed. Laboulaye lui fut opposé et échoua avec 9 926 voix contre 19 636 au député sortant.
- enfin, aux élections générales de 1869, il obtint à Versailles 8 246 voix concurremment avec un autre candidat libéral, M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui ne passa qu'au second tour de scrutin.
Déjà, vers cette époque, M. Laboulaye s'était sensiblement rapproché du pouvoir : il fit un pas de plus dans la même direction au commencement de l'année 1870, à l'avènement du ministère Ollivier, fut nommé (février) membre de la commission d'enquête sur l'organisation administrative de la ville de Paris et du département de la Seine, et, rompant avec les doctrines de l'opposition, affirma publiquement, quelques semaines après, que « la meilleure Constitution est celle qu'on a, pourvu qu'on s'en serve ». Cette opinion, empruntée à Daunou, ne fut pas du goût du parti républicain, dont l'irritation redoubla quand on apprit que M. Laboulaye adhérait au plébiscite, et qu'il avait failli, au moment de la retraite d'une partie du ministère Ollivier, être chargé par l'empereur du portefeuille de l'Instruction publique.
La réouverture de son cours au Collège de France (24 mai) donna lieu à des troubles contre lesquels le professeur lutta vainement pendant plusieurs leçons. Pour le consoler de son échec dans le Bas-Rhin en 1866, les étudiants de Strasbourg lui avaient envoyé un magnifique encrier, avec une lettre pleine de témoignages d'admiration. Devant l'évolution de M. Laboulaye, la jeunesse des écoles se plaignit de ce qu'elle appelait une défection, et le professeur, jusqu'à la fin de l'Empire, fut poursuivi par cette phrase devenue populaire : « Rendez l'encrier ! » M. Laboulaye fut obligé de demander la suspension provisoire de son cours : « Je crois, écrivit-il à l'administrateur du Collège de France, qu'il convient à un vieux professeur d'avoir pitié des fous qui outragent en sa personne la liberté d'opinion et la liberté d'enseignement. »
Aux élections complémentaires du 2 juillet 1871, M. de Laboulaye fut élu représentant de la Seine à l'Assemblée nationale, le 15e sur 21, par 107 773 voix (290 823 votants, 458 774 inscrits).
Partisan avant tout d'un gouvernement modéré, il donna son adhésion à la République, en s'efforçant de l'entourer d'institutions conservatrices. Membre et vice-président de la réunion du centre gauche, avec laquelle il vota le plus souvent, il devint président de la commission chargée de réorganiser l'enseignement supérieur et prit maintes fois la parole devant l'Assemblée, notamment :
- sur la loi relative à l'enregistrement et au timbre,
- sur les contributions indirectes,
- sur la loi contre l'Internationale,
- sur la loi sur l'ivrognerie, dont il demanda la répression, etc.
Dans le discours qu'il prononça le 28 février 1873, lors de la discussion sur le projet de loi présenté par la commission des Trente, M. Laboulaye n'hésita point à déclarer que la forme du gouvernement lui était assez indifférente, pourvu que le gouvernement ne soit point despotique.
En mars, il fut nommé administrateur du Collège de France.
Adversaire du renversement de Thiers le 24 mai, il vota ensuite pour la liberté des enterrements, pour l'autorisation des poursuites demandées contre M. Ranc, député du Rhône, en raison de sa participation au mouvement communaliste de 1871, se prononça (octobre 1873), dans une lettre publique, pour l'organisation du gouvernement républicain, et fut rapporteur de la commission de quinze membres chargée d'examiner la proposition Changarnier tendant à proroger de dix ans les pouvoirs du Maréchal. « Nous nous déclarons prêts, conclut-il, à proroger la présidence du maréchal de Mac-Mahon, en liant étroitement la loi de prorogation à la prompte organisation des pouvoirs publics. » Ces conclusions ne furent point adoptées par l'Assemblée, qui, conformément à la volonté du Maréchal, fixa la prorogation des pouvoirs à sept ans, en ajournant l'examen des lois constitutionnelles. En conséquence, M. Laboulaye vota, le 19 novembre, contre le septennat ; puis il repoussa la loi sur les maires ; mais il ne prit point part au vote qui renversa le cabinet de Broglie le 16 mai 1874. Au mois de juillet suivant, il soutint de sa parole et de son suffrage la proposition Périer et se déclara favorable à la proposition Maleville. En sa qualité de rapporteur de la loi sur l'enseignement supérieur, il intervint plusieurs fois en faveur du principe de la loi, dont il blâmait toutefois certaines dispositions : cette question l'amena à prononcer, en janvier 1875, un de ses discours les plus discutés. Lorsque, vers le même temps, la majorité se détermina à aborder la discussion des lois constitutionnelles, M. Laboulaye, s'inspirant de la proposition Périer, la reproduisit en quelque sorte, dans l'amendement suivant : « Le gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d'un président de la République, chef du pouvoir exécutif. » Défendue avec un réel talent de parole et une grande habileté d'argumentation, la motion fut cependant rejetée. M. Laboulaye reparut à la tribune le 12 février 1875, vota pour l'amendement Wallon et contribua à faire adopter, dans son ensemble, la Constitution du 25. À la suite de ce dernier vote, nommé président du centre gauche, il s'exprima ainsi : « La Constitution a été une œuvre de transaction ; il nous a fallu céder sur plusieurs points et nous n'avons pas été seuls à céder. En organisant une République parlementaire, les monarchistes constitutionnels sont revenus avec confiance à un régime qu'ils ont toujours regretté. Les républicains, de leur côté, ont donné à ce régime une forme démocratique par l'institution d'une présidence et par le maintien du suffrage universel. » Au mois de juin 1875, il fit le rapport sur le projet de loi concernant les relations des pouvoirs publics entre eux. Il prit encore la parole dans le débat qui s'engagea, en deuxième et en troisième lecture, sur la loi de l'enseignement supérieur à laquelle il donna son suffrage le 12 juillet, dans la discussion sur le régime de la presse, etc.
Il fut, le 10 décembre 1875, élu sénateur inamovible par l'Assemblée nationale, le 10e sur 75, par 357 voix (690 votants).
À la Chambre haute, M. Edouard Laboulaye s'inscrivit, comme précédemment, au centre gauche. Mais il lui arriva, dans quelques occasions importantes, de se séparer de la majorité de ce groupe, notamment à propos de la liberté de l'enseignement supérieur : il repoussa la loi présentée par M. Waddington, ministre de l'Instruction publique, et adoptée par la Chambre des députés, et se montra attaché au système des jurys mixtes (22 juillet 1876), bien qu'il l'eût naguère combattu. Il parla encore contre les modifications proposées à la loi des maires, et ne cacha point qu'il était partisan de la nomination de ces fonctionnaires par le pouvoir. Toutefois, M. Ed. Laboulaye compta parmi les adversaires du 16 mai 1877 ; après s'être associé à la protestation des gauches du Sénat, il parla, le 22 juin, avec une bonhomie fine et calme, contre la demande de dissolution de la Chambre des députés :
« Si nous n'y prenons garde, dit-il, nous qui aimons tous également la liberté, - et je ne fais de distinction entre aucun des partis de cette Chambre - si nous n'y prenons garde, nous allons tout droit au régime personnel. »
Et il ajouta en terminant :
« Et maintenant, si vous ne voyez pas l'abîme où l'on vous mène, si vous ne sentez pas, par un faux point d'honneur, que ce n'est pas le Maréchal que vous sauvez, mais un ministère qui le compromet, si vous ne sentez pas que le Sénat ne pourra tenir en présence de l'Assemblée qu'il aura renvoyée et qui reviendra victorieuse devant lui, si vous n'avez pas le sentiment de la terrible responsabilité qui pèse sur vous, alors, Messieurs, que Dieu protège la France ! car ceux qui devaient la défendre l'auront abandonnée et perdue. »
Lorsque les élections eurent renvoyé au Palais-Bourbon une majorité républicaine, M. Laboulaye combattit l'ordre du jour de M. de Kerdrel contre la nomination par la nouvelle Chambre d'une commission d'enquête sur les agissements du cabinet de Broglie-Fourtou (19 novembre). Mais la victoire définitive des républicains sembla le rapprocher du parti purement conservateur, car on le vit, non sans surprise, conclure comme rapporteur au rejet du projet de loi pour le retour du parlement à Paris ; il parvint (mars 1879) à faire écarter momentanément la question. Cette attitude inattendue souleva dans la presse des réclamations auxquelles M. Laboulaye répondit par diverses lettres. On lui reprocha vivement aussi l'opinion qu'il exprima (décembre de la même année) contre la création au collège de France d'une chaire d'histoire des religions. Membre de la commission de la loi nouvelle sur l'enseignement supérieur, il ne cessa de prendre part aux grandes controverses qu'elle souleva au Sénat, et se montra préoccupé d'en combattre les dispositions contraires aux prétentions de la droite et aux intérêts des congrégations religieuses (mars 1880). Il vota contre l'article 7, et garda, depuis, la même attitude dans toutes les questions analogues. C'est ainsi que, membre de la commission de la loi sur l'enseignement secondaire libre, il se montra encore opposé à ce projet, avec MM. Jules Simon et de Ravignan.
Très assidu aux séances, M. Laboulaye fut surpris par la mort le 25 mai 1883, et succomba à une attaque d'apoplexie.
Bien que la politique l'eût forcé de se faire suppléer dans sa chaire du Collège de France, il n'en avait pas moins été réélu par ses collègues administrateur de cet établissement. En 1875, il fut président du comité de l'Union franco-américaine pour la célébration du centième anniversaire de l'indépendance des Etats-Unis. L'influence des Etats-Unis avait été profonde sur le caractère et les opinions de M. Ed. Laboulaye ; de bonne heure il avait conçu une vive admiration pour les institutions de ce pays, et il était devenu en France le représentant autorisé de la liberté telle qu'elle est entendue et pratiquée dans la grande République fédérative. « L'américanisme, a écrit M. Ed. Scherer, était devenu une espèce de tic intellectuel chez Laboulaye ; on voyait de loin, dans ses discours, venir l'invocation à l'état de choses qu'il avait érigé en idéal politique, et l'on en souriait d'avance. » Et ailleurs : « Il y avait du Benjamin Constant dans le programme de Laboulaye ; il y avait, de même, du Channing dans sa religion essentiellement raisonnable, et du Franklin dans sa manière de se présenter au public. Il y mettait une simplicité de bon goût et faite pour réussir devant des auditeurs populaires. Son talent comme conférencier et comme orateur politique avait l'avantage de ne pas éveiller de grande attente, par conséquent de ne produire aucune déception, le plus souvent même de dépasser les promesses faites au début et d'emporter ainsi le succès. »
M. Laboulaye était officier de la Légion d'honneur.
On a de lui :
- Etudes contemporaines sur l'Allemagne et les pays slaves (1855) ;
- Histoire politique des Etats-Unis (1851-1856) ;
- la Liberté religieuse (1856) ;
- Etudes sur la propriété littéraire en France et en Angleterre (1808) ;
- les Etats-Unis et la France (1862) ;
- l'Etat et ses limites (1863) ;
- le Parti libéral, son programme (1864) ;
- Questions constitutionnelles (1872) ;
- Lettres politiques (1872) ;
- la Liberté d'enseignement et les projets de loi de M. Ferry (1880), etc.;
- deux romans allégoriques qui obtinrent un brillant succès à leur apparition : Paris en Amérique (1863) et le Prince Caniche (1868) ;
- les oeuvres complètes de Montesquieu (1875-1879) ;
- les œuvres choisies de Channing et de Franklin,
- et divers autres travaux d'histoire, de jurisprudence et de littérature.