Jean-Baptiste, Dominique, Henri Lacordaire

1802 - 1861

Informations générales
  • Né le 2 mai 1802 à Recey-sur-ource (Côte-d'Or - France)
  • Décédé le 21 novembre 1861 à Sorèze (Tarn - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 23 avril 1848 au 18 mai 1848
Département
Bouches-du-Rhône
Groupe
Montagne

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1848, né à Recey-sur-Ource (Côte-d’Or) le 2 mai 1802, fils d'un médecin de campagne, qui avait fait une des campagnes de la guerre d'Amérique, mort à Sorèze (Tarn) le 21 novembre 1861, il perdit son père de bonne heure et fut élevé par sa mère, ainsi que ses trois frères.

Placé au collège de Dijon, il se signala, disent les biographes, par l'ardeur de son libéralisme voltairien et par l'opiniâtreté d'un caractère inflexible. Il termina à dix-sept ans de brillantes études classiques, suivit les cours de la faculté de droit de Dijon et continua de s'y faire remarquer par les tendances antireligieuses de son esprit : il se plaisait surtout à attaquer le catholicisme dans les conférences d'une société littéraire de jeunes gens, la Société de l'étude. Son droit terminé, il entra chez un avocat à la Cour de cassation, y travailla pendant dix-huit mois, puis s'inscrivit au barreau. Tout à coup il le quitta (1824) pour entrer au séminaire de Saint-Sulpice ; trois ans après, sa vocation s'étant accentuée encore, il était ordonné prêtre.

D'abord aumônier d'une communauté de religieuses, il passa au même titre au collège de Juilly, où il se lia avec l'illustre auteur de l'Essai sur l'indifférence. Doublement séduit par le caractère et par le talent de Lamennais, il ne devait pas tarder à devenir un des plus brillants défenseurs de ses doctrines.

Mais, lorsque survint la révolution de 1830, l'abbé Lacordaire était encore peu connu. Aumônier du collège Henri IV, il avait vainement tenté de cumuler le titre d'avocat avec les fonctions de prêtre : le conseil de l'ordre, malgré l'éclat donné à sa demande, avait refusé de l'inscrire au tableau. La fondation de l'Avenir (18 octobre 1830), avec Lamennais et Montalembert, fournit à son activité un plus vaste théâtre. Au nom de sa devise : « Dieu et la liberté », le journal réclamait hautement, avec la liberté religieuse, les libertés civiles et politiques. La véhémence de son langage et la nouveauté hardie des théories qu'il exprimait conduisirent l'abbé Lacordaire en cour d'assises (janvier 1831) ; cette fois on ne put lui refuser du moins d'être l'avocat de sa propre cause ; il se fit applaudir et acquitter.

Il eut bientôt une autre occasion de paraître devant la justice. Non content de revendiquer, comme publiciste, la liberté d'enseignement promise par la Charte de 1830, il ouvrit de son chef, de concert avec Montalembert et sans autorisation, dans la rue des Beaux-arts, une Ecole libre, qu'ils refusèrent de fermer, malgré les sommations de l'autorité, et qu'ils n'évacuèrent que devant l'intervention de la force publique. Déjà les tribunaux ordinaires étaient saisis de l'affaire ; mais la mort du père de Montalembert, en appelant celui-ci à la pairie, transporta le procès devant la Chambre des pairs : condamnés au minimum de la peine, cent francs d'amende, les accusés remportèrent personnellement un véritable triomphe.

Cependant les doctrines de l'Avenir avaient provoqué, dans le clergé un trouble profond : le pape Grégoire XVI intervint par la Lettre encyclique du 18 septembre 1832, dans laquelle repoussant pour l'Eglise un concours qu'il jugeait compromettant, il déclarait sans réserve « toute idée de régénération de l'Eglise absurde ; la liberté de conscience un délire ; la liberté de la presse, funeste ; la soumission inviolable au prince une maxime de foi, etc. » Les trois chefs de l'Avenir étaient allés solennellement à Rome pour prévenir cette condamnation. Lamennais, frémissant et révolté, répondit à l'Encyclique par les Affaires de Rome et les Paroles d'un croyant. L'abbé Lacordaire se soumit, revint à Paris, et renonçant à la polémique pour la prédication, débuta brillamment au collège Stanislas par des sermons que l'archevêché crut devoir encore censurer, à cause de l'influence Mennaisienne dont elle les trouvait pénétrés (1834).

On lui permit pourtant d'ouvrir l'année suivante, à Notre-Dame, des conférences que la foule mondaine suivit passionnément, charmée qu'elle était par des séductions de langage peu habituelles dans la chaire sacrée. Lacordaire abordait dans ses entretiens tous les intérêts, toutes les émotions du moment, la philosophie, l'industrie, la politique, la question sociale. Vainement l'autorité supérieure, alarmée, se faisait remettre d'avance le plan et le cadre de ces improvisations ; elle désespérait de les régler, et l'éclat du langage, l'audace des mouvements, le souvenir encore chaud des orages intérieurs récemment traversés assuraient à Lacordaire un succès de plus en plus retentissant. Contre les sentiments peu sympathiques du haut clergé français, Lacordaire jugea prudent d'aller chercher un appui auprès du pape : il fit un second voyage de Rome (1836), fut bien accueilli, et, comme gage de sa complète soumission, écrivit une Lettre sur le Saint-Siège, qui ne fut publiée qu'en 1838 : c'était la rétractation formelle des doctrines de l'Avenir et une véritable déclaration de guerre contre la raison humaine, « cette fille du néant, » cette puissance « qui vient du démon », inconciliable avec la foi qui « vient de Dieu ». Il revint prêcher à Notre-Dame le carême de 1838, obtint auprès du public le même succès, excita dans le clergé conservateur les mêmes inquiétudes, et repartit pour Rome une troisième fois. Là, pour se soustraire à la dépendance de l'épiscopat, il entra au convent de la Minerve, et, le 6 avril 1840, il prit l'habit de dominicain, en ajoutant à ses prénoms le nom du fondateur de l'ordre. C'est alors qu'il écrivit la Vie de saint Dominique (Paris, 1840), ardente justification de l'Inquisition, qui fut traduite en plusieurs langues et provoqua une vive curiosité. L'année suivante (15 février 1841), Lacordaire reparut dans la chaire de Notre-Dame sous le costume dominicain. Reprenant une de ses thèses favorites, la glorification de la nationalité française, il redoubla d'éloquence, alla prêcher aussi en province, et ne fut pas moins admiré à Bordeaux, à Nancy, à Lyon, à Grenoble, que dans la capitale.

À la révolution de février, le P. Lacordaire se déclara républicain. Élu, le 23 avril 1848, le 8e sur 10, par 32,752 voix, représentant des Bouches-du-Rhône à l'Assemblée constituante, on le vit prendre place, sous son froc blanc, au sommet de la Montagne, deux bancs au dessus de Lamennais.

Dès les premiers jours, il aborda, mais sans grand succès, la tribune parlementaire, pour appuyer la nomination d'une commission exécutive, proposée par Dornès et par Jules Favre. Il en donna les motifs suivants : « C'est qu'au fond, dit-il, bien que nous soyons tous des républicains, que nous ayons tous acclamé la République dans cette enceinte et à la face du peuple français qui nous regardait, qui nous écoutait, qui mêlait ses applaudissements aux nôtres, si cela est vrai que nous sommes tous républicains, cependant, quant à moi, je déclare que je suis républicain nouveau ; je déclare qu'avant le 24 février j'étais monarchiste, que je n'étais pas républicain, et que, par conséquent, je comprends très bien qu'ayant des aînés et des anciens dans la République, il ne me convient pas à moi, si jeune dans cette opinion, et qui n ai pas encore fait mes preuves, d'écarter mystérieusement ou publiquement ceux dont la pensée a devancé la mienne, ceux qui ont obtenu par leur combat ce que moi-même j'entrevoyais à peine dans le lointain des choses possibles et d'un avenir inconnu. Ainsi je veux que ceux qui m'ont précédé dans cette opinion triomphante, que ceux qui ont été l'avant-garde de la victoire, et qui l'ont payée par des angoisses, sinon de leur sang, je veux que leur nom ne soit pas écarté ; je n'approuve pas tout ce qui a été fait ; qui est-ce qui peut approuver tout ce qu'un gouvernement fait ? Mais de ce que je n'approuve pas, de ce que, dans les nécessités publiques, il y a des actes dont nul citoyen, qui n'est pas au timon des affaires, ne doit prendre la responsabilité, il ne s'ensuit pas moins que je reconnais les droits acquis, que je reconnais les mérites, que je les reconnais d'autant plus puissants, que les circonstances étaient plus difficiles et plus puissantes par elles-mêmes. Voilà mon premier motif, voilà mon premier motif secret, voilà mon premier motif intérieur, indépendamment des raisons de métaphysique et d'ordre public, pour lesquels je voterai pour une commission exécutive. J'ajoute que, au fond, parmi nous, citoyens, les anciens républicains sont en immense minorité ; eh bien, c'est précisément parce qu'ils sont en minorité que je veux que cette minorité ait un organe dans le gouvernement qui sortira de la majorité, afin, non pas qu'on unisse des partis contraires, mais qu'on unisse la minorité républicaine et la majorité républicaine, dans un seul faisceau de conviction, de force et de résolution... »

La langue de la politique n'était point celle de Lacordaire. Il profita des événements du 15 mai et de l'agitation qu'ils produisirent pour se démettre de son mandat de représentant, par une lettre au président ainsi conçue :

« Paris, le 18 mai 1848.

« Citoyen président,

« Je vous prie de transmettre à l'Assemblée nationale ma démission de représentant du peuple. Appelé à cette haute charge sans l'avoir sollicitée, je la résigne après avoir essayé de la remplir et de répondre à la confiance qui m'en avait investi : l'expérience me prouve qu'elle est au-dessus de mes forces, et que j'arriverais mal à concilier dans ma personne les devoirs pacifiques de la vie religieuse avec les devoirs difficiles et sévères de représentant du peuple. Ma position tout exceptionnelle au sein de l'Assemblée ne saurait rendre mon exemple contagieux ; en me séparant d'elle, je ne lui ôte rien qu'une bonne volonté impuissante. Je la prie d'agréer ma démission, mes remerciements de la bienveillance qu'elle m'a gratuitement montrée, et les vœux que je forme pour que de ses travaux sorte le bonheur de la France sous une république juste et libre,

« Recevez, citoyen président, l'hommage de ma haute considération et de ma sincère fraternité.

« LE P. LACORDAIRE. »

Le Père Lacordaire alla faire à la petite église des Carmes des homélies et des prônes, dont l'un excita (1850) contre lui la colère de quelques conservateurs. Cette même année, il fut envoyé à Rome par l'archevêque de Paris pour exposer les raisons qui avaient fait condamner par ce prélat M. Veuillot et les rédacteurs de l'Univers. Ces raisons furent peu goûtées par le pape, car l'archevêque dut lever l'interdit dont il avait frappé la feuille ultramontaine. Toutefois Lacordaire obtint de Pie IX l'érection en province particulière des couvents de dominicains établis par lui en France, et fut nommé provincial.

Après son retour à Paris, il se montra très hostile au coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte contre l'Assemblée nationale. Le 10 février 1853, le Père Lacordaire devait prêcher à Saint-Roch, en présence de l'archevêque de Paris et du cardinal Donnet, un sermon de charité au profit de l'œuvre des écoles chrétiennes. Il prit pour texte les paroles de David mourant à son fils Salomon : Esto vir, Sois homme, et son discours roula sur les obligations de la virilité chrétienne dans la vie publique et privée. Il en vint à dire : « Dieu n'est occupé que de nous donner des occasions de pleurer. Il renverse des empires, il en élève d'autres, non pas pour ce que vous pouvez vous imaginer, mais pour qu'il y ait des larmes, et que, y ayant des larmes, il y ait des martyrs, des patients, des hommes qui, en souffrant, développent ce grand caractère de l'adversité, qui en fait seul quelque chose. »

Ces paroles furent considérées comme autant d'allusions à l'Empire et à l'acte du 2 décembre 1851. Lacordaire n'ignorait point tout ce qu'il y avait de périlleux pour lui à tenir ce langage, si l'on en juge par ces paroles qui terminèrent sa conférence : « Il ne faut pas une armée pour arrêter ici ma parole, il ne faut qu'un soldat. Mais Dieu m'a donné pour défendre ma parole et la vérité qui est en elle, quelque chose qui peut résister à tous les empires du monde. »

À la suite de ce discours, il reçut du gouvernement l'ordre de quitter Paris. Il donna encore quelques conférences en province, puis il renonça une dernière fois à la chaire pour prendre la direction du collège libre de Sorèze (Tarn). C'est là que le choix de l'Académie française alla le chercher (2 février 1860) pour remplacer M. de Tocqueville. Son discours de réception et la réponse de Guizot eurent quelque retentissement.

Lacordaire ne survécut que dix-huit mois à son entrée à l'Académie. Sa santé délabrée l'avait obligé à se démettre de sa charge de provincial des dominicains de France. Abreuvé d'amertume, « j'ai été répudié de toutes les manières, » écrivait-il en 1858, en butte à l'hostilité du général de l'ordre, le Père Jandel, il passa dans la retraite de Sorèze les derniers temps de sa vie, et ne cessa de se montrer très hostile à la polémique ultramontaine de M. Veuillot.

Avant de mourir, il légua ce qu'il possédait aux établissements religieux qu'il avait fondés et laissa à son ami, l'abbé Peyrreive, l'entière propriété et disposition de ses manuscrits, correspondances et papiers. Un de ses frères attaqua après sa mort ce testament, et intenta sans succès un long procès aux légataires du célèbre dominicain.

Les principaux écrits de Lacordaire sont :
- Considérations philosophiques sur le système de M. de Lamennais (1834) ;
- Mémoire pour le rétablissement en France de l'ordre des frères prêcheurs (1846) ;
- Conférences de Notre-Dame de Paris (1835-1850) ;
- Oraison funèbre du général Drouot (1847) ;
- Oraison funèbre d'O'Connell (1849) ;
- Frédéric Ozanam, sa vie (1855) ;
- Lettre à un jeune homme sur la vie chrétienne (1858) ;
- De la liberté de l'Italie et de l'Eglise (1861) ;
- Correspondance du Père Lacordaire avec Mme Sicetchine, etc.