Eugène Bethmont
1804 - 1860
Député de 1842 à 1848, représentant à l'Assemblée constituante de 1848, et ministre, né à Paris, le 12 mars 1804, mort à Paris, le 1er avril 1860, il était fils d'un boulanger de la rue du Pont aux choux, au Marais. Il fit ses études chez les Oratoriens de Juilly, qui l'admirent gratuitement, ses parents ayant eu des revers de fortune, et se voua d'abord à l'enseignement ; mais bientôt entraîné vers le barreau, et reçu avocat en 1827, il débuta au palais l'année suivante, et acquit rapidement une brillante réputation en plaidant plusieurs affaires de cour d'assises.
Après la révolution de 1830, Eugène Bethmont, qui ne cachait point ses tendances libérales, défendit souvent les écrivains de l'opposition, les publicistes de la Caricature, du Charivari, etc. Son nom se trouva mêlé, comme avocat, à presque tous les grands procès politiques de l'époque, tels que ceux de la conspiration du pont des Arts, de la Société des Amis du peuple, de l'émeute de Saint-Germain-l'Auxerrois; dans le terrible accident du chemin de fer de Saint-Germain où périt Dumont d’Urville, il défendit la Compagnie de l'Ouest.
Il faisait partie du conseil de l'ordre, quand les électeurs de la 8e circonscription de Paris l'envoyèrent, le 8 juillet 1842, siéger à la Chambre des députés, par 550 voix (1 085 votants et 1 223 inscrits), contre 524 accordées à Beudin, député conservateur sortant ; de suite il prit place au premier rang des orateurs de l'opposition. Dans la session de 1842-1846, il intervint spécialement dans les questions d'économie politique et de travaux publics, et sut y faire preuve, écrit un biographe de 1846, « d'une souplesse de talent et d'une portée dans l'esprit que ses admirateurs eux-mêmes ne lui supposaient pas. Dans les questions de chemins de fer, M. Bethmont a parlé mieux qu'un ingénieur, dans les questions de finances mieux qu'un économiste, et à plusieurs reprises la Chambre entraînée a voté selon l'avis de M. Bethmont. » Il prit une part active, soit dans les bureaux, soit à la tribune, aux projets de loi sur les brevets d'invention, sur les prisons, sur les irrigations, sur les eaux minérales, sur les caisses d'épargne, etc. À propos du régime pénitentiaire, qui soumettait les prévenus à la cellule, il demanda, avec M. Maurat-Ballange, que le tourment de la solitude fût au moins épargné à ceux dont la loi présume l'innocence : « Prenez garde, dit-il, à la situation des prévenus innocents. J'en ai vu, messieurs, j'en ai vu plus d'un. Je les ai vus prévenus pour ces fautes que les agitations politiques font naître, je les ai vus rechercher presque la société des misérables, quand ils manquaient de toute autre société. C'est que dans une âme, même dépravée, il reste toujours de l'homme, à qui Dieu a donné un coeur qui sait compatir à vos maux. »
Il repoussa, avec toute la gauche, l'indemnité Pritchard (1845), flétrit avec Odilon Barrot le système de corruption électorale reproché alors au ministère, vota avec Vivien contre l'arbitraire de la rétribution des annonces judiciaires, et avec Rémusat pour la réforme parlementaire et la diminution du nombre des députés fonctionnaires.
Lors des élections générales du 1er août 1846, le ministère combattit vivement la réélection de Bethmont, et réussit à le faire échouer : M. Beudin, l'ancien député, fut réélu par le 8e arrondissement de Paris. Mais les électeurs du 1er collège de la Charente-Inférieure (La Rochelle) vengèrent Bethmont de cet échec, le 10 octobre de la même année. Il revint donc à son banc d'opposant, et pendant la législature qui se termina par la révolution de Février, n'épargna pas les attaques au parti doctrinaire. Il fut un des signataires de la proposition de mise en accusation du ministère Guizot.
Au lendemain de la révolution de Février, un des premiers actes du gouvernement provisoire fut la nomination de Bethmont comme « ministre provisoire au commerce » (24 février 1848). Il échangea ensuite ce portefeuille contre celui des cultes dans le ministère du 11 mai, formé par la commission exécutive, et plus tard contre celui de la justice dans le cabinet nommé le 28 juin par Cavaignac, président du Conseil et chef du pouvoir exécutif.
Le 23 avril, Bethmont avait été élu représentant du peuple à l'Assemblée constituante par les départements de la Seine, de la Charente-Inférieure et de l'Indre. Il opta pour l'Indre, qui lui avait donné 40 534 voix sur 60 569 votants et 71 004 inscrits. Républicain modéré, il s'associa, tant comme ministre que comme représentant, à la politique du général Cavaignac, et vota :
- le 26 mai 1848, pour le bannissement de la famille d'Orléans ;
- le 25 septembre, contre l'impôt progressif ;
- le 7 octobre, contre l'amendement Grévy ;
- et le 2 novembre, contre le droit au travail.
Mais l'état de sa santé, qui l'avait tenu le plus souvent éloigné des séances, l'obligea, le lendemain de ce dernier vote (3 novembre) à donner sa démission de représentant. Bethmont s'était effacé un peu pendant cette session. « Admirable, a écrit son panégyriste, M. Barboux, dans un conseil paisible par la pénétrante sagacité de ses lumières, il devait singulièrement souffrir au milieu d'une assemblée orageuse. »
La Constituante l'avait nommé l'un de ses vice-présidents. Plus tard, lorsque la même assemblée fut appelée par la Constitution à élire les membres du Conseil d'Etat, le nom de Bethmont sortit de l'urne (11 avril 1849) avec les deux tiers des suffrages. Le choix des conseillers, ses collègues, lui déféra la présidence de la section d'administration, puis du comité des travaux publics, de l'agriculture et du commerce, et le délégua près du conseil supérieur de l'instruction publique.
Bethmont refusa du prince président l'offre de former un ministère, et resta conseiller d'Etat jusqu'au 2 Décembre 1851. Il protesta avec ses collègues contre le coup d'Etat, et échappa aux recherches de la police en se réfugiant chez son ami, M. Bugnet, professeur à l'Ecole de droit ; il reprit sa place au barreau et n'accepta jusqu'à sa mort aucune fonction.