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La Commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique a été créée par décision de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale en février 2014 et a débuté ses travaux en juin 2014.
À l’issue de six mois de travaux, la Commission a identifié plusieurs sujets majeurs dont elle invite le législateur à se saisir dans les prochaines années, en particulier dans le futur projet de loi relatif au numérique ou dans d’autres textes à venir, et sur lesquels elle se prononcera de manière plus détaillée dans un rapport d’étape qui sera publié en début d’année.
Le législateur devra tenir compte des discussions en cours au sein des institutions de l’Union européenne, qui portent notamment sur la définition du principe de neutralité de l’internet proposée par le projet de règlement relatif au marché unique des télécommunications, l’actualisation du cadre de protection des données personnelles opérée par la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ou la mise en oeuvre pratique du droit au déréférencement consacré par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai 2014 Google Spain c. AEPD.
1) Dans les prochaines années, dans le contexte de l’explosion de l’usage des données à caractère personnel et du big data, le législateur devra renforcer la protection des droits fondamentaux face à l’utilisation de ces données à des fins industrielles et commerciales et la maîtrise par les individus de leurs informations personnelles.
En 2015, l’Europe va se doter d’un nouveau cadre pour la protection des données personnelles. Notre rapport s’attachera à déterminer les principes directeurs qui doivent régir la protection des données personnelles, dans le prolongement des principes toujours pertinents posés par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés mais aussi en recherchant des réponses adaptées aux nouveaux défis.
Sans attendre l’adoption du futur règlement, notre Commission proposera plusieurs adaptations au législateur et à l’Union européenne. S’agissant des instruments de cette protection, il convient tout particulièrement :
–– de promouvoir l’utilisation et la certification de technologies améliorant la protection de la vie privée (privacy by design) et la maîtrise des personnes sur l’utilisation de leurs données (par exemple, privacy by default) : minimisation des données, architectures décentralisées, chiffrement de bout en bout, anonymisation, etc. ;
–– d’instaurer des actions efficaces - y compris les actions collectives inspirées du droit de la consommation - pour faire cesser les violations de la législation en la matière ; dans cet objectif, augmenter les pouvoirs de sanction de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Enfin, en articulation avec le projet de règlement européen sur la protection des données personnelles, la Commission rappellera la nécessité de responsabiliser les acteurs en fixant des règles (transparence, conformité, etc.) pour la mise en oeuvre des traitements ayant recours à des algorithmes à caractère décisionnel ou prédictif ayant un effet sur les personnes.
2) Les évolutions technologiques et législatives récentes ont renforcé les pouvoirs de surveillance et d’enquête des services de sécurité sur internet. Dans un contexte marqué par les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance en ligne massive et généralisée des individus ainsi que par les menaces terroristes toujours présentes, il apparaît nécessaire de redéfinir et d’encadrer le régime d’interception des communications et d’accès aux données techniques de connexion, insuffisamment encadré par la loi de 1991 et modifiée par la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013.
Face aux inquiétudes croissantes que suscitent ces activités, il apparaît nécessaire de définir un nouvel équilibre entre les nécessités de la sécurité nationale et de préservation de l’ordre public d’une part et la protection des droits et des libertés des citoyens d’autre part (respect de la vie privée, de la correspondance, du domicile, des données personnelles, etc.). Compte tenu des questions spécifiques et délicates qu’elles soulèvent, les activités de renseignement doivent faire l’objet d’un projet de loi spécifique, qui devra déterminer avec précision les motifs de cette surveillance et sa durée, le champ des informations susceptibles d’en faire l’objet ainsi que les modalités d’un contrôle indépendant et continu, en amont et en aval, des actions entreprises par les services concernés. Un tel contrôle n’est pas incompatible avec les impératifs de rapidité et de secret nécessaires aux activités de renseignement
3) Sans préjuger des compétences nationale et européenne sur cette question, le législateur devra prendre position sur l’opportunité d’inscrire dès maintenant dans la loi le principe de neutralité des réseaux dans une rédaction suffisamment générale pour être applicable dans la durée, au-delà des évolutions technologiques.
4) Le travail législatif relatif au numérique pourra renforcer le cadre légal du droit à l’information et instaurer le « droit de savoir » à l’ère numérique.
Ainsi ce volet devra également proposer, dans le respect de la protection de la vie privée, un élargissement de la catégorie des documents administratifs communicables et des modalités de communication des documents d’intérêt public, détenus notamment par des acteurs publics ou des acteurs privés exerçant des missions de service public.
La Commission appelle aussi de ses voeux un volet législatif destiné à généraliser l’ouverture des données publiques dans le prolongement du mouvement d’open data engagé au niveau mondial et local.
5) La Commission souhaite également que le législateur précise les principes permettant de concilier la lutte contre les contenus, les activités et les services en ligne illégaux et la préservation des droits et libertés sur internet, notamment la liberté d’expression. Le législateur doit notamment garantir la proportionnalité des mesures destinées à renforcer la lutte contre les contenus illégaux. À cet égard, la Commission recommande en particulier que le recours au blocage de contenus sur internet ne soit utilisé qu’à titre subsidiaire et sur décision judiciaire.
6) La Commission invite le législateur à se saisir de la question du droit d’auteur et de ses évolutions à l’ère numérique, notamment des droits d’usage des oeuvres numériques. Dans ce contexte, il faudra définir les conditions à réunir pour donner un statut de droit positif aux biens communs ou encore reconnaître l’existence d’un domaine public informationnel.
7) Le législateur devra adapter les règles de pluralisme et de concurrence à l’âge numérique :
–– en prévenant les risques de concentration via les procédures de contrôle applicables à l’industrie des médias ;
–– en sanctionnant les abus de position dominante auxquels peuvent se livrer les plateformes.
–– en veillant à préserver le principe de diversité des cultures et des opinions ;