Alphonse de Lamartine (7 septembre 1848)

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Alphonse de Lamartine : Le droit au travail (7 septembre 1848)

Ayant joué un rôle éminent dans la Révolution de février 1848 - il fut membre du gouvernement provisoire - Lamartine, député à l'Assemblée nationale élue les 23 et 24 avril 1848, intervient dans la discussion du projet de Constitution dont l'ambition est d'assurer à la France de "marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation". Son préambule énonce les droits et devoirs nécessaires pour y parvenir. Parmi eux, le droit au travail. En toile de fond de la discussion, l'expérience des ateliers nationaux qui a inauguré l'action réformatrice du gouvernement provisoire et dont la suppression a provoqué les dramatiques journées révolutionnaires de juin.

Le 7 septembre 1848, Lamartine, qui a démissionné de la Commission exécutive à laquelle l'Assemblée avait enjoint de liquider les ateliers nationaux, tente de conserver vie à l'élan de solidarité démocratique de février, et de faire adopter par l'Assemblée une disposition qui ne le brise pas.

   

           

Le citoyen de Lamartine. Je prie l'Assemblée de ne rien préjuger, et de ne pas se tromper à mes intentions en me voyant monter à cette tribune, à l'occasion de l'amendement de l'honorable M. Mathieu (de la Drôme). Je ne viens pas soutenir cet amendement, et je ne voterai pas pour son adoption. (Mouvement).

Je ne viens pas, vous le comprenez d'avance, élargir la distance entre la Commission et moi.

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Messieurs, je me reprocherais néanmoins, je me reprocherais cruellement, quelle que soit la douleur que j'éprouve, vous le comprenez tous, de venir combattre des paroles auxquelles j'ai si souvent intérieurement applaudi ; je me reprocherais de ne pas faire les derniers efforts pour concilier les deux parties de cette Assemblée, qui, je le sais, sentent dans une intention commune, pensent dans une intelligence unanime, et ne sont, au fond, divisées que par la force ou par l'insuffisance des expressions dans une telle rédaction. Je voudrais les amener comme j'ai été amené moi-même dès le commencement de cette discussion et dès le temps du Gouvernement provisoire ; je voudrais les ramener tout à la fois au sens pratique et au sens philosophique de la rédaction que nous devons adopter, c'est-à-dire à la vérité tout entière, à la vérité de coeur et à la vérité de la pratique.

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La conformité de nos intentions populaires, au fond, me rassure sur le résultat ; nous voterons quelque chose d'aussi loin de la sécheresse de termes qu'on nous propose que des exagérations socialistes qui perdraient tout.

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Je demande à exposer en très peu de mots les faits tels qu'ils se sont passés. Il ne faut pas de calomnie sur l'intelligence, sur les intentions, sur les actes du Gouvernement qui, dans des circonstances aussi difficiles, a eu à manier tout seul des questions sous lesquelles vous semblez fléchir vous-mêmes, dans votre universalité et dans votre souveraineté nationale.

Non, il n'est pas vrai, comme on l'a semé dans le public, comme on l'a porté à cette tribune, que le Gouvernement provisoire, par je ne sais quel amour de popularité, qu'aurait excusé peut-être l'extrémité du moment, ou par un défaut d'intelligence, ou par des concessions qui accuseraient une véritable lâcheté parmi ses membres, ait favorisé ces utopies qu'on fait flotter sur cette discussion depuis qu'elle est ouverte ; il n'est pas vrai que le Gouvernement provisoire ait fanatisé le peuple avec ces promesses d'organisation impossible du travail, de travail fourni indéfiniment à toute nature de facultés de travailleurs.

Voici ce qui est vrai, messieurs : c'est que, le surlendemain de la Révolution de Février, au moment où le peuple venait de renverser un trône et d'élever la République, ce peuple encore ardent, justement fier de la victoire qu'il venait de remporter, dont il ne demandait pas alors à abuser, ce peuple vint devant le Gouvernement provisoire. Sans doute il y avait, dans la foule de ceux qui s'adressaient à nous, des hommes qui, par ignorance, par le fanatisme de sectes ou de doctrines, demandaient plus qu'il n'était possible d'accorder, plus qu'il n'est possible à l'humanité tout entière d'obtenir de ses efforts et de son intelligence : ils nous demandaient ceux-là l'organisation du travail.

Que leur répondîmes-nous, messieurs ? J'en atteste ici l'unanimité des membres de ce gouvernement ; nous lui répondîmes, d'une voix ferme et sensée, que ce qu'il nous demandait était impraticable, que jamais nous ne fanatiserions le peuple avec des prestiges d'idées qui ne contenaient aucune vérité, aucune réalité, qui ne contenaient que du vent et des tempêtes.

Nous répondîmes, messieurs, qu'il y avait deux choses dans les demandes qui nous étaient adressées, une chose entièrement illusoire, imaginaire, chimérique, une ruine de tout le capital, un attentat à toute société et à la propriété ; c'était l'organisation du travail, telle que les orateurs qui nous sont opposés l'apportent constamment à cette tribune, et en combattent non pas la réalité, mais le fantôme.

Nous leur répondîmes, il est vrai, d'un autre côté, qu'il y avait dans l'humanité des droits sacrés, des droits imprescriptibles devant lesquels des législateurs humains, consciencieux, de toutes les dates, ne devaient pas reculer, que ces questions seraient examinées avec l'attention, avec la cordialité que méritaient ceux qui les apportaient au Gouvernement provisoire ; qu'au nombre de ces questions, messieurs, était le droit au travail. Mais quel droit au travail ? Je vais le dire ; c'est moi précisément qui ai eu l'honneur de le définir devant eux.

Il ne s'agissait pas de conférer, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dufaure, à tout citoyen un titre impératif contre le gouvernement pour en obtenir la nature de salaire et de travail qui paraîtrait convenable à sa profession individuelle. Nous répondîmes que ce travail est impossible, qu'il absorberait en un an, en quinze mois, non seulement tout le revenu, mais le capital de la nation ; que jamais le gouvernement ne signerait une pareille folie ; que nous entendions par droit au travail ce que nous écrivîmes (car on parle souvent de cet acte du Gouvernement provisoire, eh bien, on me l'a rappelé, car j'en avais entièrement oublié les termes), ce que nous écrivîmes et ce que, sous une certaine forme, je me bornerai, en terminant, à vous prier d'écrire vous-mêmes, le voici : le droit pour tout individu vivant sur le territoire et sous l'empire des lois bienfaisantes de la République, de ne pas mourir de faim, non pas le droit à tout travail, mais le droit à l'existence, la garantie des moyens d'existence alimentaire par le travail fourni au travailleur, dans le cas de nécessité absolue, de chômage forcé, aux conditions déterminées par l'administration du pays, et dans la limite de ses forces ; et une série d'institutions de même nature, institutions dont vous avez jeté en trois mois, comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. Dufaure, les principales bases dans ces décrets plein de charité, plein de véritable popularité, que vous ne cessez d'étudier ou de promulguer tous les jours, de ces lois pour l'enseignement gratuit des enfants du peuple, pour fournir aux grandes industries, en cas de nécessité, des subventions et des secours, afin de ne pas laisser mourir de faim les ouvriers ; toutes les lois de secours pour les enfants trouvés, d'assistance pour les vieillards, pour les familles trop nombreuses.

C'est ainsi que devant ce peuple lui-même qui avait encore à la main les armes qui venaient de conquérir le principe républicain (Très bien !), oui, nous acceptâmes, nous signâmes et nous décrétâmes ainsi le droit au travail.