N° 123 - Proposition de loi de Mme Martine Billard visant à l'amélioration du système de prévention et de réparation des risques pour les victimes du travail




No 123
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à l'amélioration du système de prévention
et de
réparation des risques pour les victimes du travail.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par Mme Martine BILLARD, MM. Yves COCHET
et NoËl MAMÈRE,
Députés.

Travail.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
C'est après dix-huit années de débats parlementaires, d'affrontements virulents et face à la multiplication des accidents de travail, à la misère des victimes, qu'a été votée la loi du 9 avril 1898, première loi de réparation des victimes d'accidents du travail.
Ce texte reposait sur un compromis historique : il brisait le monopole de la faute comme fondement de la responsabilité civile, en lui substituant le risque professionnel en contrepartie d'une réparation forfaitaire du préjudice subi par la victime.
Les victimes, dès lors, n'avaient plus à prouver une quelconque faute pour être indemnisées.
L'intégration du «risque accident du travail», en 1946 dans la sécurité sociale - risque jusque-là couvert par les compagnies d'assurance -, constituait un nouveau progrès vers une mutualisation du système devant garantir une gestion humanisée du risque. Malheureusement, ce ne fut pas le cas.
A l'orientation législative initiale s'est progressivement substituée une application restrictive et/ou abusive des textes, source de dysfonctionnements et de difficultés pour les victimes :
- non-respect par les organismes de sécurité sociale du principe de présomption d'imputabilité;
- manque d'information des victimes et/ou de leurs ayants droit par les caisses;
- inapplication et/ou mauvaise application des dispositions existantes...
La reconnaissance d'un accident ou d'une maladie ayant son origine dans le travail est souvent l'occasion d'une prise de conscience et d'une remise en cause des conditions de travail, facteurs de risques. Ainsi, toute mesure ou attitude qui restreint ou supprime le droit à réparation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles constitue un frein à la bonne connaissance des risques et à leur prévention.
Le système de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, intimement lié à leur prévention, répond à des règles qui ont évolué et qui sont aujourd'hui inadaptées. C'est la raison pour laquelle une rénovation de ce dispositif s'impose.
Depuis des décennies, l'ensemble de ces dysfonctionnements se traduit par des transferts sur la collectivité (Etat, Sécurité sociale, collectivités locales, mutuelles, ...), et qui contribuent à aggraver la situation financière des comptes de l'assurance maladie au profit des employeurs responsables d'accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Cette situation est d'autant plus critiquable que s'ajoutent à ces dérives une sous-déclaration et une sous-estimation des accidents du travail et des maladies professionnelles. En effet, le rapport de la commission «Deniel» - chargée aux termes de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1997 de proposer les modalités de calcul du versement annuel institué à la charge de la branche accidents du travail au profit de la branche maladie du régime général et correspondant au montant des sommes prises en charge à tort, par l'assurance maladie - confirme ces dysfonctionnements :
- sous-estimation et sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, sources de risques «clandestins»;
- restriction dans l'appréciation de l'incapacité permanente,
- consolidations hâtives et passages en maladie;
- rigidités administratives dans l'appréciation du caractère professionnel des maladies.
Autant de circonstances qui tendent à amoindrir la réalité des risques professionnels, à en atténuer le poids financier sur la branche accidents du travail, à grever lourdement l'assurance maladie, les mutuelles et les collectivités locales, et surtout à ne pas attribuer aux victimes la juste réparation de leurs préjudices. Ces dysfonctionnements nuisent également à une prévention efficace de l'ensemble des risques professionnels.
La situation est donc grave. Elle l'est d'autant plus au regard des chiffres annoncés par la Caisse nationale d'assurance maladie pour 1997. En effet, selon les premières estimations de cette dernière, le nombre d'accidents du travail reconnus par les organismes de Sécurité sociale (estimé à 1328081) a augmenté de 1,6 % et le nombre de ceux ayant entraîné un arrêt de travail (estimé à 677686) est en augmentation de 3,5 %.
C'est pourquoi la mise en place d'un dispositif plus protecteur s'impose. Toutes les mesures nécessaires en vue de protéger la santé des salariés et de la population et de réduire le risque à un niveau acceptable doivent être prises.
Concernant la situation actuelle des victimes de risques professionnels.
Depuis la mise en place de la réparation forfaitaire des préjudices causés par les accidents du travail, les personnes victimes d'autres types d'accidents ont vu leur système juridique d'indemnisation évoluer vers une responsabilité sans faute.
C'est aussi le cas des victimes d'accidents :
- de la circulation, impliquant un véhicule terrestre à moteur, pour lesquelles le législateur a instauré, par la loi du 5 juillet 1985, une indemnisation automatique, tout en maintenant une indemnisation intégrale de leurs préjudices;
- d'origine nucléaire;
- provoqués par des actes terroristes;
- thérapeutiques résultant de pratiques médicales : la Cour de cassation et le Conseil d'Etat reconnaissent que la victime doit être indemnisée même en l'absence de faute de la part du praticien;
- et des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience.
Ainsi les tribunaux, suivis par le législateur dans certains domaines, jugent aujourd'hui inacceptable de faire dépendre l'indemnisation et le sort des victimes d'accidents, qui peuvent occasionner des handicaps parfois très graves, d'un agissement qualifié de fautif de l'auteur du dommage.
Ceci est d'autant plus vrai dans des domaines où la généralisation du risque et ses conséquences échappent à la volonté délibérée de l'auteur de l'accident. Autant de domaines où il est donc possible aujourd'hui d'obtenir une réparation intégrale, sans avoir à prouver une faute.
Il est donc profondément injuste et anormal que l'indemnisation des préjudices subis à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne soit aujourd'hui que forfaitaire. Le salarié est de la sorte pénalisé du seul fait que son préjudice est en rapport avec son travail.
Le véritable parcours du combattant imposé aux victimes par l'existence de certains textes et leur interprétation jurisprudentielle, mais aussi par les pratiques des organismes de sécurité sociale, compromet en définitive une véritable politique cohérente de prévention. A cet égard, plusieurs voix se sont élevées, dont celle du directeur de l'IGAS, en février 1993, qui soulignait la nécessité «d'assurer une plus juste compensation des préjudices aux victimes d'accidents du travail» et mettait en garde contre les dangers d'une dérive qui consisterait «à reléguer les considérations humaines au second plan, loin derrière les préoccupations gestionnaires».
La faillite du système sanitaire conjuguée à la mauvaise gestion du système de prévention et de réparation des risques professionnels renforce cette situation.
Dramatiquement illustrée par «l'affaire de l'amiante» et d'autres scandales sanitaires (vache folle, hormones de croissance, ...), la faillite de notre système sanitaire s'ajoute à l'incurie du système de prévention et de réparation des risques professionnels. C'est ainsi que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de l'Assemblée nationale est venu confirmer dans un rapport «Le Déaut» le scandale de ceux qui savaient les effets désastreux pour la santé de l'amiante - matériau hautement cancérogène -, qui n'ont rien fait pour protéger les populations et en outre se sont organisés pour retarder le plus possible les décisions de santé publique qui s'imposaient.
Une récente enquête du ministère de l'Emploi et de la Solidarité rendue publique le 3 août 1998 fait notamment ressortir que pour des produits banalisés - pas toujours identifiés comme des substances cancérogènes dans le monde du travail - les mesures de prévention ne sont pas toujours mises en _uvre.
L'échec que la France a connu dans la politique d'usage contrôlé de l'amiante doit, aujourd'hui, servir d'exemple pour des produits - tels que les éthers de glycol - dont on connaît indiscutablement la dangerosité et qui doivent faire l'objet, de manière urgente, d'une décision d'interdiction en application du principe de précaution.
Cette dramatique affaire de «l'amiante» pose de façon criante le problème de l'indépendance du système à l'égard des intérêts industriels posé par le paritarisme strict dans la gestion des risques professionnels.
C'est pourquoi, au regard de ces observations, une rénovation du dispositif s'impose.
Concernant une amélioration du dispositif de prévention :
- avant tout, il est nécessaire d'améliorer le dispositif de prévention en regroupant et améliorant tous les outils statistiques sur les accidents du travail, les maladies professionnelles reconnues ou non, de manière à mettre en évidence la globalité des risques professionnels, tous régimes confondus. Ainsi, les missions de l'Institut de veille sanitaire seront explicitées;
- dans la mesure du possible, des modifications permettent de mettre en place une médecine du travail indépendante (financement et gestion) et de renforcer la formation à la sécurité et de la protection des travailleurs sous contrat de travail précaire. Le principe de précaution sera appliqué en matière de législation pour les produits dangereux.
Des contrôles et des sanctions pénales avec mise immédiate en conformité en cas d'infraction constatée seront mis en place. Les associations de victimes, comme la FNATH par exemple, pourront se porter partie civile devant les juridictions pénales lorsque les intérêts généraux des personnes qu'elle représente sont en cause.
Concernant la mise en place d'une réparation intégrale au profit des victimes de risques professionnels :
Il est nécessaire de réformer le système d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles par une réparation intégrale. Celle-ci passe par :
- la gratuité de tous les soins et frais résultant de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle;
- l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux;
- l'attribution d'une rente égale à la fraction du salaire correspondant au taux d'incapacité.
Il est également nécessaire d'améliorer le dispositif d'insertion professionnelle des victimes d'accidents du travail (extension de la loi du 7 janvier 1981 aux victimes d'accidents de trajet) en créant une indemnité d'attente servie et financée par la législation des accidents du travail, pour les victimes consolidées et en attente d'admission dans un centre de rééducation ou de formation professionnelle, ou de réintégration dans l'entreprise ou de licenciement, cette indemnité devant garantir à l'intéressé le même montant perçu que lors d'un arrêt de travail, ...) ; la mobilisation des dispositifs de reclassement et de maintien dans l'emploi des victimes.
C'est pourquoi, au bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
TITRE Ier
DISPOSITIONS VISANT A AMÉLIORER LE DISPOSITIF DE PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS
Article 1er

Le 1° de l'article L. 1413-2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«de mettre en _uvre un outil permettant l'évaluation de l'ensemble des risques professionnels, l'information des salariés sur ces risques et la centralisation des statistiques sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.»

Article 2

Après le troisième alinéa de l'article L. 241-1 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«L'indépendance des services de santé au travail doit être garantie. Ils exercent une mission d'utilité publique.»

Article 3

I. - L'Etat veille à renforcer les moyens d'intervention de l'inspection du travail.
II. - L'article L. 231-12 du code du travail est ainsi rédigé :
«Lorsqu'il constate qu'un salarié ne s'est pas retiré de la situation de travail définie à l'article L. 231-8 alors qu'il existe une cause de danger grave et imminent, l'inspecteur du travail ou le contrôleur du travail, par délégation de l'inspecteur du travail dont il relève, et sous son autorité, prend toutes mesures utiles visant à soustraire immédiatement le salarié à cette situation.
«Lorsque toutes les mesures ont été prises pour faire cesser la situation de danger grave et imminent, l'employeur ou son représentant avise l'inspecteur du travail qui, après vérification, autorise la reprise du travail.
«En cas de contestation par l'employeur de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment par l'arrêt du travail, celui-ci saisit le tribunal de grande instance qui statue en référé.
«Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article.»

Article 4

Après le quatrième alinéa de l'article L. 236-2 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«Le comité peut, en cas de risques immédiats pour les travailleurs, procéder à un arrêt immédiat du travail si les garanties de sécurité sont insuffisantes.»

Article 5

Au début de l'article L. 231-7 du code du travail, sont insérés les mots :
«En application du principe de précaution... (le reste sans changement)

Article 6

Au 2° de l'article L. 122-3 du code du travail, après les mots : «réglementation relative à la médecine du travail», il est ajouté les mots suivants : «ainsi que pour tous les travaux exposant à des agents cancérogènes, y compris pour les contrats à durée de chantier».

Article 7

Après l'article 2-19 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :
«Art. 2-17. - Toute association nationale régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits qui se propose, par ses statuts, de défendre ou d'assister les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles peut exercer les droits reconnus à la parie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 221-6, 222-19 et 222-20 du code pénal commises à l'occasion d'une activité professionnelle, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministre public ou la partie lésée.»

TITRE II
DISPOSITIONS POUR UNE RÉPARATION PLUS JUSTE AU PROFIT DES VICTIMES DE RISQUES PROFESSIONNELS ET DE LEURS AYANTS DROIT
Article 8

En application de l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles bénéficient d'une gratuité totale et effective des soins et autres frais générés par l'accident ou la maladie.
Par conséquent, les articles L. 432-3 et L. 432-5 du code de la sécurité sociale sont abrogés.

Article 9

Dans le premier alinéa de l'article L. 433-2 du code de la sécurité sociale, les mots : «à une fraction du salaire journalier» sont remplacés par les mots : «au salaire journalier».

Article 10

L'article L. 433-2 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«La majoration pour tierce personne est attribuée pendant l'incapacité temporaire totale lorsque l'état le justifie.»

Article 11

Indépendamment de l'attribution d'un capital ou d'une rente, les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, ainsi que leurs ayants droit, bénéficient d'une indemnisation de tout préjudice à caractère personnel subi.
Le régime des prestations versées au titre de la législation sur les accidents du travail et les dispositions relatives à la responsabilité de l'employeur ne sont pas modifiées.

Article 12

Le troisième alinéa de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
«Dans le cas où l'incapacité permanente oblige la victime, pour effectuer les actes ordinaires de la vie, à avoir recours à l'assistance à une personne, le montant de la rente est majoré.Elle est modulable à un taux compris entre 40 % et le taux plein, selon des modalités prévues par décret.
«Le niveau de la majoration compensant intégralement la charge effective d'une tierce personne est relevé et revalorisé.»

Article 13

L'article L. 434-9 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«Les dispositions prévoyant la perte du droit à la rente ne s'appliquent pas au conjoint survivant qui a joué le rôle de tierce personne pendant une durée au moins égale à dix ans.»

Article 14

Après le paragraphe III de l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«III bis. - Une obligation d'information des droits envers les victimes ou leurs ayants droit est faite à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés selon des modalités fixées par décret.»

Article 15

Après les mots : «incapacité permanente», la fin de l'avant-dernier alinéa de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale est supprimée.

Article 16

L'article 80 de la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«VIII. - Il est possible de saisir la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail quel que soit le taux d'incapacité.»

Article 17

L'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
«Le champ d'application de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est étendu aux accidents survenus à l'occasion de formalités et des démarches visant à la signature d'un contrat de travail ou la recherche avérées d'un emploi.
«Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat.»

Article 18

L'application des lois du 7 janvier 1981 et du 31 décembre 1992 est étendue aux victimes d'accidents de trajet.

Article 19

Une indemnité d'attente servie et financée par la législation des accidents du travail est créée pour les victimes consolidées et en attente d'admission dans un centre de rééducation ou de formation professionnelle ou de réintégration dans l'entreprise ou de licenciement.
Cette indemnité garantit à l'intéressé le même montant perçu lors d'un arrêt de travail.

Article 20

I. - Les pertes de recettes subies par les régimes sociaux et les charges leur incombant sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. - Les charges résultant pour l'Etat de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
 
N° 0123 - Proposition de loi sur le système de prévention et de réparation des risques pour les victimes du travail (Mme Martine Billard)


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