N° 294 - Rapport d'information de M. Christian Jacob déposé par la délégation de l'Assemblée nationale à l'aménagement et au développement durable du territoire sur les travaux de la Délégation sur le développement durable




N° 294

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2007

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L’AMÉNAGEMENT

ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (1),

sur les travaux de la Délégation
sur le développement durable

PAR M. CHRISTIAN JACOB

Président

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Christian Jacob, président ; MM. Philippe Duron, Jean Proriol, Max Roustan, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Vigier, secrétaires ; MM. Philippe Boënnec, Jean-Paul Chanteguet, Jacques Le Nay, Bernard Lesterlin, Yanick Paternotte, Serge Poignant, Mmes Jacqueline Irles, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Sylvia Pinel.

SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DE M. CHRISTIAN JACOB, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION : DE L’ÉCO-CONDITIONNALITÉ À L’ÉCO-OPPORTUNITÉ 5

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION À L’AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE SUR LE SUIVI DU GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT : 9

Audition, conjointe avec la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire de M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables, de M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des Transports, et de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’Écologie. 11

Audition de M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du groupe de travail « Préservation de la biodiversité et des ressources naturelles » du Grenelle de l’environnement et de Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, vice-présidente du groupe de travail. 36

Audition de M. Roger Guesnerie, président de l’Ecole d’économie de Paris, président du groupe de travail « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi » du Grenelle de l’environnement. 48

Audition de M. Jean-Robert Pitte, président de l’université Paris-Sorbonne et co président du groupe « Adopter des modes de production et de consommation durables » du Grenelle de l’environnement 52

Audition de M. Dominique Maraninchi, président du conseil d’administration de l’Institut national du cancer et président du groupe de travail « Instaurer un environnement respectueux de la santé » du Grenelle de l’environnement, et de M. Alain Grimfeld, chef de service à l’hôpital Trousseau de Paris et vice-président du groupe de travail. 61

Audition de Mme Nicole Notat, président de Vigeo et du groupe de travail « Construire une démocratie écologique » du Grenelle de l’environnement. 73

Audition de M. Jean Jouzel, co-président du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement « Lutte contre le réchauffement climatique et maîtrise de la demande énergétique ». 83

Audition du professeur André Langaney, généticien, directeur du laboratoire d’anthropologie biologique au Muséum d’histoire naturelle 90

Audition de M. Patrice Parisé, directeur général des routes au ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durable. 99

Audition de M. Olivier Marembaud, directeur général délégué de Fret SNCF. 109

Audition de M. Jean-Marie Dauger, directeur général délégué de GDF, directeur de la branche « Global Gaz et GNL ». 118

Audition de M. François Bordry, président de Voies Navigables de France. 124

Audition de MM. Rémi Bailhache et Didier Marteau, membres du bureau de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture. 131

Audition de M. Pierre Graff, président directeur général d’Aéroports de Paris. 142

Audition de M. Gérard Longuet, sénateur de la Meuse, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). 150

Audition de M. Xavier Fels, président du comité des constructeurs français d’automobiles. 159

Audition de M. Yanick Paternotte, député du Val-d’Oise, en sa qualité de président de l’association Carex (Roissy Cargo Rail Express), et de plusieurs membres fondateurs ou associés à ce projet. 168

Audition de M. Pierre Caussade, directeur du développement durable du groupe Air France – KLM. 177

AUTORISATION DE PUBLICATION. 185

AVANT-PROPOS DE M. CHRISTIAN JACOB,
PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION :

DE L’ÉCO-CONDITIONNALITÉ
À L’ÉCO-OPPORTUNITÉ

MESDAMES, MESSIEURS,

La Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire s’est fortement impliquée depuis le début de la législature dans le suivi des travaux du Grenelle de l’Environnement.

Dans ce cadre, j’ai souhaité publier l’ensemble des auditions que nous avons menées tout au long du dernier trimestre 2007 afin de faciliter notre travail de réflexion et de prise de décision sur l’ensemble des sujets qui feront l’objet de textes législatifs sur lesquels nous aurons à nous prononcer prochainement.

Après la formidable mobilisation du Grenelle, il est de notre responsabilité de veiller à ce que cet élan n’aboutisse pas à un simple catalogue des mesures visant à éco-conditionner nos vies et les vies des générations futures. Il doit servir à jeter les bases d’une nouvelle manière de gérer le développement économique et social de notre pays, en harmonisant la croissance économique et la protection de l’environnement.

Deux domaines, de mon point de vue, demandent une intervention massive : le bâtiment et les transports.

En effet, le bâtiment consomme 40% de l’énergie utilisée dans l’Union Européenne et 30% des gaz à effet de serre proviennent du transport routier (premier émetteur de CO2 avec 35,2 millions de tonnes en 2006 contre 2,2 pour les autres modes de transport).

Notre objectif est de lancer une politique d’investissement dans le bâtiment afin d’arriver, d’ici 2020, à construire des bâtiments à énergie positive sans imposer de contraintes supplémentaires aux citoyens et des charges nouvelles qui seraient intégrées dans les coûts de production et se répercuteraient toujours sur le consommateur final en générant une baisse de son pouvoir d’achat.

Pour cela il faut un redéploiement complet de l’ensemble des aides au logement et des aides fiscales aux particuliers à des objectifs de développement durable.

Un inventaire des dispositifs existants en matière de fiscalité incitative et de crédits d’impôt devra être fait en commun par le gouvernement et le Parlement afin d’éco-conditionner les dispositifs les plus adéquats.

Nous pourrons ainsi disposer d’un levier qui pourrait être voisin de 10 milliards d’euros pour financer le développement durable dans le domaine de l’habitat.

Par exemple, nous pourrions appliquer aux résidences secondaires le crédit d’impôt pour les dépenses d’équipement de l’habitation principale en faveur des économies d’énergie et du développement durable, tout en augmentant le montant et les plafonds des dépenses à déduire.

Ou encore subordonner le crédit d’impôt sur le revenu au titre des intérêts d’emprunts supportés pour l’acquisition de l’habitation principale à l’achat d’une habitation bénéficiant d’un futur label « développement durable ».

Ou encore subordonner le versement des primes d’État dans les comptes d’épargne logement à l’achat d’une résidence bénéficiant d’un label développement durable ou pour des travaux ayant des objectifs de développement durable.

En ce qui concerne les transports :

Les investissements massifs dans les transports, que cela soit pour développer les lignes TGV, les autoroutes ferroviaires ou le fluvial doivent également s’accompagner d’une fiscalité écologique visant à changer le comportement des citoyens.

La taxation des camions qui traversent la France et utilisent notre réseau routier, l’écopastille visant à décourager l’achat des voitures les plus polluantes en sont quelques exemples.

Cependant, je suis convaincu qu’il faut utiliser, dans ce domaine également, une fiscalité plus incitative que punitive.

Pourquoi ne pas renforcer et orienter le crédit d’impôt recherche vers les nouvelles technologies pour les moteurs propres ? Ou bien modifier la législation pour retenir une définition de la voiture propre à partir de ses performances et non de filières ? 

A l'issue du Grenelle de l'Environnement, le gouvernement, les élus de la Nation, l'administration et la société civile ont démontré qu'ils sont désormais à l'unisson des attentes citoyennes. C'est nouveau et c'est le signe que des avancées significatives sont à portée de main.

Maintenant, les mesures attendues doivent répondre à un impératif de crédibilité, de cohérence et de viabilité économique.

Où en sommes nous et quels sont les principaux défis à relever ?

Il y a deux principes de gouvernance préalables, qui sont à mes yeux indispensables, si on veut que l’aboutissement de tout ce processus soit un succès, et si on veut éviter les écueils :

1) il faut programmer l’action du gouvernement dans le temps et avoir une approche globale et transversale

La politique du gouvernement en matière de développement durable devrait se traduire par une loi de programme. Il faudra s’assurer que les dispositions prévues dans ce texte puissent s’échelonner dans le temps et être précisées par des lois ultérieures, à la manière d’un travail architectural, ce qui évitera des mesures contradictoires.

2) il est nécessaire d’avoir une approche européenne et internationale

L’enjeu est planétaire donc la réponse doit être coordonnée au niveau mondial pour être efficace et ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises et les consommateurs français.

L’action française doit être intégrée dans le cadre européen, être inscrite dans les priorités de la Présidence française de l’Union Européenne. Dans ce cadre, la France pourrait proposer d’intégrer le volet énergétique dans la PESC.

Mais il faut aller également au delà de l’Europe.

La France peut être également à l’origine de la création d’un organisme international qui coordonne l’action de tous les pays pour faire face à ce défi mondial, une sorte de OMC de l’environnement, à l’instar du GIEC qui vient de recevoir le Nobel pour la paix.

Les actions isolées d’un pays, ou menées de façon multilatérale, ne peuvent pas avoir d’impact réel sur les problèmes environnementaux, qui sont par nature globaux.

Prenons le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) : nous aurons bientôt à transposer en France la directive européenne sur les biotechnologies.

Si l’on persiste à vouloir geler les cultures et interdire la commercialisation des semences, cela va se répercuter sur des millions de consommateurs.

Par ailleurs, il serait absurde de bloquer la recherche et ne pas autoriser les essais en plein champ, pour lesquels nous avons développé des techniques d’isolation qui permettent d’empêcher la dissémination.

L’apport de certains OGM (appelés Bt) est très positif en termes de réduction des produits phytosanitaires.

En ce qui concerne le domaine de la santé, faut-il rappeler que le vaccin anti-rage est un vaccin OGM et que des OGM sont utilisés dans la production des hormones de croissance ?

Une campagne d’information est nécessaire en direction de l’opinion publique pour dépassionner le débat et sortir de l’affrontement classique pour ou contre OGM, car chaque OGM est un cas à part et doit être traité scientifiquement avec une analyse préalable des risques et des bénéfices qu’il peut apporter.

De même il faut laisser les différents types d’agricultures coexister et ne pas s’enfermer dans des dogmes sur telle ou telle autre technique de production qu’elle soit biologique, raisonnée ou tournée vers les nouvelles technologies.

En conclusion,

Un des grands enjeux de notre siècle est de savoir harmonieusement réunir économie et écologie.

Il faut concilier protection de l’environnement avec développement économique. Et c’est possible :

Si l’on regarde le succès du Protocole de Montréal, qui en 20 ans a permis l’élimination des chlorofluorocarbones, on voit que la communauté internationale est capable de résoudre les problèmes environnementaux lorsque il y a un accord multilatéral, basé sur la science, ratifié par 190 pays dont on a transformé les contraintes pesant sur les entreprises en nouvelles opportunités de développer de nouveaux produits de substitution aux produits interdits.

Faisons en sorte que les impératifs écologiques nous conduisent vers de voies inexplorées jusqu’à maintenant. Ce n’est que par des nouvelles approches que le développement peut être durable et créer de nouveaux gisements d’emplois et de nouveaux modes de gestion de notre société et de notre quotidien.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA DÉLÉGATION À L’AMÉNAGEMENT ET
AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE
SUR LE SUIVI DU GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT

Audition, conjointe avec la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire de M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables, de M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des Transports, et de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’Écologie.

(Séance du 25 juillet 2007)

La Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire et la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire ont, au cours d’une réunion conjointe, entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement Durables, M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des Transports, et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’Écologie.

M. Patrick Ollier, Président de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, remercie M. le ministre Jean-Louis Borloo et M. et Mme les secrétaires d'État Dominique Bussereau et Nathalie Kosciusko-Morizet d'avoir répondu à l'invitation de la commission.

Il indique les modifications décidées récemment par le bureau de la commission à l'unanimité des groupes présents, en préfiguration d’une évolution plus vaste qui pourrait concerner toutes les commissions de l'Assemblée. La commission des affaires économiques compte 145 députés et il est difficile de travailler en permanence avec 60 ou 80 députés. Le bureau a donc décidé de créer 6 groupes de travail. Le groupe de travail sur l’environnement sera présidé par M. Alain Gest et co-présidé par M. André Chassaigne, afin que la transparence soit totale entre majorité et opposition. M. Michel Havard sera chargé du suivi des problèmes européens. Par ailleurs, la rédaction d'un rapport sur l'application de la loi sur l'eau a été confiée à M. André Flajolet, qui en a été le rapporteur devant l'Assemblée, à qui sera associé un rapporteur-adjoint de l'opposition.

Si l'on se réfère aux orientations stratégiques énoncées par M. Jean-Louis Borloo, le 29 juin dernier, l'essentiel du travail des prochains mois sera consacré à rendre opérationnel son nouveau ministère et à suivre un cap clairement défini, avant la tenue d'un Grenelle de l'environnement à l'automne. Comment la commission des affaires économiques peut-elle être associée à ces travaux ? Elle a décidé de créer en son sein, à l'instar du Sénat, un groupe de suivi, dont les travaux devront être articulés avec ceux de la Délégation présidée par M. Christian Jacob.

Quel est le calendrier de l'examen du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale ?

Le Président de la République a fixé comme objectif d'augmenter d'un quart, d'ici à 2012, la part du marché fret non routier. Quels moyens d'action vont être privilégiés pour atteindre cet objectif ?

Le 16 juillet dernier, 70 nouveaux projets de recherche ont, par ailleurs, été retenus dans le cadre des pôles de compétitivité. Quel est le montant des crédits déjà engagés par les agences ? Quel jugement M. Jean-Louis Borloo porte-t-il sur le fonctionnement de ces pôles ? Selon quelles modalités et quel calendrier sera conduite l'évaluation ?

La commission des affaires économiques s'est, en outre, engagée avec beaucoup de détermination en faveur des énergies renouvelables mais n'est pas forcément d'accord avec le Gouvernement sur les types d'énergies renouvelables qu'il faut développer. Une clarification se révèle nécessaire à ce sujet.

Enfin, le Gouvernement doit mettre en place une fiscalité écologique. Que pensent les partenaires européens de la France d'une taxe sur le carbone pour les transports de produits importés de pays ne respectant pas les normes environnementales ?

M. Christian Jacob, Président de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, se félicite de cette audition commune et a posé plusieurs questions complémentaires.

La démarche transversale au sein du ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables se conçoit au niveau national. Qu'en sera-t-il de l'administration déconcentrée ? Comment les DDA, les DRIRE, les DDE vont-elles pouvoir fonctionner au quotidien ?

Par ailleurs, comment les parlementaires vont-ils pouvoir être associés aux travaux qui vont se dérouler dans les groupes de travail du Grenelle de l’environnement ? M. Christian Jacob a remercié les présidents de groupe qui ont déjà pris date pour être entendus par la Délégation.

La recherche et l'innovation ne doivent pas être opposées à l'environnement mais au contraire complémentaires et il importe de lever les quelques ambiguïtés qu'il pourrait y avoir à ce sujet.

Une grande partie de la politique des pôles de compétitivité et d'excellence en zone rurale a porté sur les bio-ressources et à la valorisation du patrimoine naturel. Un point d'étape peut-il déjà être fait ? Des documents pourraient-ils présenter les projets qui ont été labellisés, leur évolution et les crédits qui y ont été consacrés ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables, présente le contexte dans lequel son ministère travaille.

Premièrement, le problème de l'avenir de l'homme et de la planète est clairement posé à peu près partout dans le monde. L'idée selon laquelle on pourrait éternellement prélever plus que la reconstitution naturelle ne le permet n'a strictement aucun sens. On peut discuter du curseur - à savoir la vitesse du processus - mais pas du fond.

M. Jean-Louis Borloo a été frappé par le degré d'implication des grands États du monde sur ce sujet, qu'il s'agisse de ceux qui ont signé le protocole de Kyoto, de ceux qui ne l'ont pas signé ou encore de ceux qui l'ont signé sans le ratifier, et ce quelles que soient les opinions concernant les problèmes de gouvernance internationale ou la création d'un ONU environnemental. Le même constat vaut pour les grandes fédérations et organisations syndicales mondiales. En quelques mois, le sujet a été abordé par l'ensemble des acteurs de la planète alors qu'il ne relevait jusqu'alors que du militantisme, de l'avant-garde et dénotait des niveaux de conscience et de perception variables. On voit qu'on a basculé sur autre chose.

La performance économique sera dans une économie durable ou ne sera pas. Il y a une véritable guerre économique, scientifique et technologique dans le domaine de l'organisation du développement durable. M. Jean-Louis Borloo est convaincu que les économies qui ne reposeront pas sur la notion de développement durable ont une espérance de vie relativement courte. Si l'industrie automobile américaine s'est fait dépasser par les Européens et les Japonais, c'est parce que le degré de consommation d'énergie et de pollution de celle-ci n'était plus adapté à cette nouvelle réalité.

Il n'est pas question de faire du catastrophisme, mais il est juste temps de prendre ce sujet à bras-le-corps. Un hommage doit être rendu à tous ceux qui, depuis des décennies, de manières diverses et variées, ont attiré l'attention de leurs concitoyens et mené des actions, dans une chaîne de perception et de fidélité.

D’autre part, le débat présidentiel a clairement fait apparaître que l'ensemble des formations politiques républicaines avait décidé de changer de braquet d'une manière ou d'une autre. Il y a eu, impulsés par les organisations non gouvernementales (ONG), et particulièrement par Nicolas Hulot, qui en était en quelque sorte le chantre, un certain nombre de prises de conscience et d'engagements.

En outre, le Président de la République en a pris deux types : le premier est la création d'un ministère chargé de s'occuper à la fois des problèmes d'urbanisme et d'habitat, d'énergie, d'une partie de l'industrie, des transports sous toutes leurs formes, des ressources naturelles et de la biodiversité, des infrastructures et de la mer, non pas pour en faire un « gros machin », mais pour aboutir à des définitions stratégiques sur la combinaison de tous ces éléments afin de mettre en place le pacte écologique français et de gagner la bataille du développement durable. Il ne fallait pas que l'écologie se retrouve à côté ou contre les autres politiques mais, au contraire, que les décisions prises de manière transversale en ce domaine soient soutenables vis-à-vis des autres États, et permettent, dans certains cas, de prendre des tours d'avance dans le développement propre de la France. L'idée qui sous-tend la création d'un tel ministère est d'arrêter de travailler en parallèle et de faire en sorte que les différentes directions concourent à la même stratégie. Il ne s'agit pas simplement d'arbitrages budgétaires.

Un ministre de tutelle aurait suffi pour cela. L'objectif est pourtant que les politiques soient conçues en amont en fonction de l'ensemble des problématiques, ce qui est l’objectif essentiel du MEDAD. C'est assez difficile à mettre en œuvre car le ministère de l'équipement, qui avait d'abord pour vocation de reconstruire la France puis de développer sa stratégie industrielle et énergétique, un peu déstabilisé depuis la décentralisation, doit s’intégrer à un ministère du développement durable français dans toutes ses composantes. C'est le nouveau grand chantier français, induisant la réforme de l'ensemble des politiques d'infrastructures et de l'énergie. Cette réforme se fera en partenariat, notamment, avec le Parlement qui aura pour interlocuteur un seul cabinet appelé à lui fournir des réponses et des propositions stratégiques.

Qu'en est-il de la déclinaison territoriale ? Les interlocuteurs de l'État se heurtent à l'évidence à la division des directions - DRIRE, DIREN, DDA - qui leur apportent des réponses souvent différentes voire contradictoires. Il faut que l'État ait une stratégie durable en élaborant ses propres décisions de manière standardisée de façon à simplifier la vie à ses interlocuteurs, voire à les contrôler éventuellement. Le ministère travaille donc sur le rapprochement des DRIRE et des DIREN, réalisé de manière satisfaisante dans sept cas appelant une généralisation.

Le second engagement du Président de la République consiste en un exercice démocratique fort et particulier : la constitution de six groupes de travail sur les principaux grands sujets de développement économique et de développement durable, présidés par des personnalités qualifiées indiscutables. Chaque groupe de travail doit désigner trois ou quatre priorités fortes et définir les moyens à développer et les programmes opérationnels à mettre en œuvre. Ce Grenelle de l'environnement a démarré puisque les groupes de travail ont été constitués, non sans quelques difficultés tenant à la méthode de travail à adopter. M. Jean-Louis Borloo s'est déclaré fasciné par l'extraordinaire richesse et la mobilisation de tous les acteurs. Dans le domaine de l'habitat, par exemple, où il y a six ou sept acteurs majeurs - habitat neuf, habitat ancien, établissements publics, bureaux et commerces - on est capable de faire trois fois mieux qu'aujourd'hui à condition d'avoir un véritable programme, comme il existe des programmes de services à la personne ou de rénovation urbaine, avec un pilotage commun de toutes les légitimités et une stratégie clairement affichée.

M. Jean-Louis Borloo est convaincu qu'on va passer radicalement à la vitesse supérieure dans le domaine du développement durable sans entrer dans une société de privation mais, au contraire, dans une société de confort, où seront améliorés non seulement la qualité de la vie, mais également le pouvoir d'achat et la transmission de patrimoine, de manière à donner un sens à la présence de chaque homme sur terre, à la vie en commun. C'est probablement l'un des sujets politiques majeurs de ce nouveau siècle.

Les thèmes des six groupes de travail sont les suivants : lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie, préserver la biodiversité et les ressources naturelles, instaurer un environnement respectueux de la santé, adopter des modes de production et de consommation durables (agriculture, pêche, agroalimentaire, distribution, forêt et usage durable des territoires), construire une démocratie écologique (institutions et gouvernance), promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l'emploi.

Les présidents des deux assemblées parlementaires ont désigné des députés et des sénateurs, titulaires et suppléants, pour siéger dans les différents groupes de travail. Les assemblées en tant que telles et les commissions permanentes et délégations seront, par ailleurs, associées à un moment du calendrier. Un débat sans vote aura lieu probablement dans la première semaine d'octobre. Le ministre et les deux secrétaires d'État sont à la disposition de la commission et de la délégation pour travailler en profondeur et échanger sur tous sujets. Les rapports intermédiaires de chaque groupe de travail leur seront communiqués.

Les groupes de travail ont été constitués depuis trois semaines. Ils doivent rendre leurs préconisations en vue d'un rapport de synthèse les 22 ou 23 septembre. Un débat sans vote aura lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat sur les différentes propositions, ainsi que six réunions régionales. La population française pourra en outre s'exprimer via Internet. Une réunion finale aura lieu fin octobre ouvrant soit sur un processus législatif sur certains sujets, soit sur la mise en place de programmes opérationnels au nombre de quinze ou vingt. Un projet de loi de programmation sur les conséquences du Grenelle sera probablement soumis avant Noël au Parlement, ainsi que d’autres projets de loi en attente (responsabilité environnementale ou OGM). Un comité de suivi sera mis en place par programme ainsi qu'un comité de suivi général, qui soumettra un rapport annuel au Parlement.

M. Jean-Louis Borloo s'est déclaré convaincu que la France est à un moment de son histoire où elle peut changer complètement la donne de manière heureuse. Il y aura toujours des débats, des tensions, des prises de position divergentes mais, à y regarder de près, il y a plus de malentendus que d'envies de ne pas faire. Le principal problème est de savoir comment s'y prendre : on ne sait pas, par exemple, comment faire un bilan carbone dans une ville, et c'est également très difficile de réaliser une maison en énergie positive. Sur les principaux sujets, l'atomisation des intervenants nuit à l’action davantage que le manque de conscience de la population notamment des moins de vingt ans. Les moyens techniques et technologiques existent ; manquent une méthode, une organisation, un partage des programmes entre des légitimités différentes.

M. Jean-Louis Borloo s'est déclaré frappé par l'extraordinaire mobilisation des fédérations professionnelles, des associations et des collectivités territoriales. Il revient au Gouvernement, de manière très ouverte, très républicaine, très respectueuse, de faire progresser ce qui est à la fois une chance pour la France et une responsabilité écrasante si cette chance n'était pas saisie.

La France présidera le Conseil de l'Europe dans un peu plus de douze mois et portera à cette occasion un certain nombre des préconisations du Grenelle de l'environnement. Elle peut reprendre le leadership dans ce domaine, alors que cela n'a pas toujours été le cas du fait des atouts dont elle dispose dans ce domaine (climat tempéré, énergie facilement transportable et bon marché). Des hérauts d'avant-garde appelaient au changement mais il a fallu du temps pour élaborer une vraie politique en ce domaine.

Mme Geneviève Gaillard, qui s’exprime au nom du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, se félicite que M. Jean-Louis Borloo ait insisté sur l'urgence qu'il y avait à prendre en compte la problématique du développement durable et des gaz à effet de serre dans les politiques publiques mais elle se déclare sceptique quant aux améliorations à en attendre après toutes les déclarations faites par le passé qui sont restées sans suite, notamment depuis le sommet de Johannesburg où le Président de la République Jacques Chirac a déclaré : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. » Force est de constater qu'aucune amélioration n'est intervenue en matière d'environnement, de transport et de biodiversité.

On peut douter de l'efficacité du nouveau ministère, sachant d'expérience qu'il n'est pas toujours aisé de concilier le pilier économique du développement durable avec les politiques de protection de l'environnement et de solidarité. Une nouvelle illustration en a été donnée lors de la discussion du paquet fiscal puisque la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi a refusé un amendement tendant à étendre les exonérations d'impôt liées aux emprunts contractés par les ménages pour l'achat ou la construction d'immobilier lorsqu'il y a un projet « Haute qualité environnementale » (HQE) ou un investissement d’efficacité énergétique. Comment le nouveau ministère fera-t-il pour que les problématiques à la fois de développement durable, d'environnement et de fiscalité soient prises en compte par Bercy ?

L'agriculture n'entre pas dans le périmètre du nouveau ministère mais M. Michel Barnier, qui a été ministre de l'environnement, est sensible à cet aspect et a donné des garanties à ce sujet. Il reviendra aux membres du Parlement de contrôler si les politiques mises en place en matière d'agriculture vont bien dans le sens de la protection de l'environnement et du développement durable.

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a proposé, en échange du renoncement au pacte de croissance et de stabilité des collectivités locales, une stabilisation des normes qui leur sont imposées. En matière de développement durable, d'aménagement du territoire, d'environnement et de solidarité, ces collectivités sont en première ligne. L'urbanisme, les transports, le logement, les implantations d'entreprises sont de leurs compétences. La fiscalité locale conditionne donc en partie l'utilisation qui est faite des sols. Comment M. Jean-Louis Borloo va-t-il concilier la stabilisation des normes avec l'ambition de révolution écologique affichée par le Gouvernement ?

Peut-il certifier que le Grenelle de l'environnement débouchera sur des mesures concrètes et avec un échéancier de mise en œuvre précis ?

Les politiques publiques en matière d'environnement seront-elles également évaluées ? Par qui ? Par M. Eric Besson ou par M. Jean-Louis Borloo ? Comment cette évaluation sera-t-elle transmise au Parlement ?

Enfin, M. Jean-Louis Borloo est-il favorable à la création d'une commission permanente ou d'une délégation relative à l'environnement et au développement durable à l'Assemblée nationale ?

M. Jean-Paul Charié formule deux remarques et pose deux questions au nom du groupe UMP.

Le groupe ne peut qu'apprécier que, sous l'impulsion du Président de la République, la France tout entière accepte de relever le défi du développement durable. Les enjeux ne sont peut-être pas aussi bien maîtrisés par tout le monde que semble le dire M. Jean-Louis Borloo, mais la prise de conscience est très forte. Consciemment ou inconsciemment, la France a réalisé qu'il fallait changer de braquet, pour reprendre le terme employé par M. Jean-Louis Borloo, et que l'on ne pouvait pas continuer ainsi.

Par ailleurs, l'UMP salue la volonté politique, au sens de gestion de la cité, qui s'exprime sur ces sujets. On sent que les différences qui ne manqueront pas de se manifester sur certains choix ne seront jamais politiciennes car il s'agit d'un enjeu de société qui concerne toute la France.

Le groupe reconnaît à M. Jean-Louis Borloo une grande détermination ainsi qu'une certaine humilité. On ne sait pas exactement aujourd'hui quelles sont les actions à mener. La difficulté réside en effet en ce qu'il faut mettre la barre assez haut pour motiver les acteurs plutôt que les décourager.

Le groupe UMP attend beaucoup du Grenelle de l'environnement, et est conscient que les résultats ne seront pas parfaits mais qu’ils feront au moins avancer les choses.

L'enjeu du Grenelle de l'environnement, quelles que soient ses conclusions, est de mobiliser l'ensemble des acteurs. Les jeunes le sont mais, entre eux et l'échelon gouvernemental, il y a tout un ensemble d'institutions, d'acteurs et de relais qu'il va falloir faire évoluer. Comment M. Jean-Louis Borloo va-t-il faire pour faire changer les attitudes, les habitudes, les mentalités ? Enfin, comment les députés UMP peuvent-ils aider le ministre de l'écologie ?

M. Yves Cochet, intervenant au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, s'élève contre le fait que, à l'Assemblée nationale, ce soit M. Bernard Accoyer qui ait désigné les députés qui participeront aux groupes de travail du Grenelle de l'environnement, et a demandé que la procédure soit revue pour que les groupes parlementaires puissent proposer eux-mêmes leurs représentants.

En tant qu’élu des Verts, M. Yves Cochet ne peut être que séduit par les propos de M. Jean-Louis Borloo, mais son expérience l'oblige à la circonspection et il se pose beaucoup de questions sur les suites qui y seront données.

Il n'est pas d'accord sur le fait que le même constat de l'état de la planète soit fait par tout le monde. Certaines ONG ne font pas le même constat factuel que certains groupes de la société civile.

Par ailleurs, il considère que l'expression « développement durable » est un oxymore car le mot « développement » renvoie à une croissance exponentielle qui ne dure pas très longtemps. Le mot « durable » peut vouloir dire – et c'est ainsi qu'il l'entend – que, en 2100 ou 2200, par exemple, les descendants des générations actuelles, à supposer qu'il y en ait encore quelques-uns, vivront de la même manière qu'aujourd'hui, ce qui est en totale contradiction avec la notion de croissance exponentielle. Ce ne sont que des remarques sémantiques, mais elles ont leur importance.

Y aura-t-il des sujets tabous dans le Grenelle de l'environnement ? Le nucléaire, par exemple, pourra-t-il être débattu et même, éventuellement, remis en question, dans la mesure où la France est en train de bâtir une politique, centrée sur l’EPR, qui montrera son inconséquence à la fois financière, écologique et énergétique dans quelques années ?

La France va-t-elle continuer à favoriser, comme elle l'a fait cette année, les cultures d'OGM, alors qu'il y a une majorité de nos concitoyens et même d'Européens qui y sont opposés ?

M. Jean-Louis Borloo est-il favorable à la discussion d'un moratoire sur la construction d'autoroutes ?

M. Jean-Louis Borloo est-il plutôt favorable à l'agriculture dite raisonnée – qui est une invention de la FNSEA – ou à l'agriculture biologique et durable qui n'a pas du tout le même cahier des charges ?

Le versement transport n'est actuellement obligatoire que pour les entreprises de plus de neuf salariés. Lors de l'examen du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports, M. Yves Cochet proposera, comme le Réseau Action Climat, que cette mesure soit généralisée à toutes les entreprises. M. Jean-Louis Borloo est-il favorable, dans le cadre de la sensibilisation au développement durable de la France, à cet élargissement du versement transport ?

M. Philippe Vigier insiste à son tour sur le fait que le développement durable était un enjeu qui dépassait les clivages et les querelles idéologiques et ajoute que la sauvegarde de l'environnement générait également des emplois. L'Allemagne, par exemple, a beaucoup plus d'emplois dans le secteur de l'environnement que la France.

Le fonctionnement des services déconcentrés de l'État doit faire preuve de plus de cohérence. Monter un schéma de développement éolien, par exemple, demande plus de vingt-quatre mois et donne lieu à des réponses différentes selon les services de l'État qui, à un moment ou à un autre, sont interrogés, entre la DRIRE, la DDA, la DDE et la DIREN.

Des contrats de projets État-régions sont en train d'être signés avec des conventions avec l'ADEME. Il serait bien que ces dernières tiennent compte des conclusions du Grenelle de l'environnement. En effet, quand est déposé un projet d'utilisation de la biomasse comme énergie renouvelable, il est demandé un écobilan. Comme aucune référence n'existe en la matière, le projet est déclaré irrecevable.

Une implication de l'État est nécessaire dans la promotion des énergies renouvelables, notamment en matière de logement, pour le développement de la norme HQE.

Qu'en est-il des projets routiers et autoroutiers programmés depuis quelques mois et qui se trouvent actuellement en phase d'attente ?

Quelles relations y aura-t-il entre le Grenelle de l'environnement et les Agendas 21 ?

Une fois que le Grenelle aura livré toutes ses conclusions, il est essentiel qu'il y ait une batterie de mesures concrètes, applicables et déclinables, de manière harmonieuse et homogène, sur l'ensemble du territoire, de manière à disposer de références permettant de traduire les grandes orientations de façon positive et avec la volonté, au-delà des clivages, de participer à la sauvegarde de la planète.

M. Christophe Priou, rapporteur pour avis des crédits du programme Environnement et énergie, déplore que la politique concernant les énergies renouvelables soit menée par Bercy par le biais de crédits d'impôt et demande à M. Jean-Louis Borloo de l'intégrer dans le périmètre de son ministère, d'autant que les Français n'ont pas une totale connaissance des crédits d'impôt dont ils peuvent bénéficier.

Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre sur le dossier des nitrates en Bretagne ? La situation est urgente puisque la France est sous la menace d'astreintes journalières importantes.

Les conclusions des groupes de travail du Grenelle de l'environnement, qui seront le fruit d'un travail important, seront-elles présentées au Parlement ?

Quelles sont les propositions que compte faire la France en matière de développement durable lorsqu'elle assurera la présidence de l'Union européenne ?

Enfin, il serait intéressant de recenser les actions menées localement. De nombreuses intercommunalités ont pris la compétence environnementale, qui est souvent optionnelle, et de nombreuses initiatives sont engagées, souvent inversement proportionnelles à la taille de la collectivité car, comme il est bien connu, moins on a de financements disponibles et plus on est astucieux et audacieux.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour avis des crédits du programme Équipement et développement durable, émet le souhait, compte tenu de l'urgence écologique, que le nouveau ministère ne soit ni un gadget ni un écran de fumée. La tâche semble compliquée à en juger par les positions affichées par certains membres du Gouvernement. Les incantations à la croissance, développées encore dernièrement par Mme Christine Lagarde, peuvent paraître incompatibles avec un autre mode de développement.

Dans son discours d'investiture, M. François Fillon a parlé de l'éventualité d'une taxe carbone. Si on veut être crédible, c'est un impératif.

M. Michel Barnier semble avoir pris une position définitive en ce qui concerne le moratoire sur les OGM en plein champ. Or la question n'a pas été tranchée. Il est souhaitable qu’elle soit mise en débat.

Ainsi que l’a demandé M. Christophe Priou, il faut mettre en avant l'intérêt de prendre en compte les expériences menées sur le territoire, en ce qui concerne tant les Agendas 21 que la démocratie participative. Il est indispensable que, tout au long des discussions dans les groupes de travail préparatoires au Grenelle de l'environnement, il y ait un véritable aller et retour entre ceux-ci et la Représentation nationale afin que cette dernière puisse réellement, au-delà des deux ou trois représentants désignés par M. Bernard Accoyer, être associée au processus.

Le projet de grand contournement de Bordeaux aurait dû être réalisé il y a vingt ans, du temps de M. Jacques Chaban-Delmas. Une lettre avait été adressée au prédécesseur de M. Jean-Louis Borloo pour lui demander que ce dossier soit remis à plat. Il convient de renouveler cette demande en faisant remarquer que, avec la nouvelle approche de développement durable, s'il y a la taxe carbone, le ferroutage et le fret SNCF, le projet perd de sa pertinence.

M. le ministre d'État constate qu’il s’agit davantage de questions de méthode que de principe.

Il s'élève contre la critique de Mme Geneviève Gaillard selon laquelle rien n'aurait été fait depuis dix ans en matière d'environnement. En effet, bien que la croissance économique ait été de 25 %, les émissions de gaz carboniques ont diminué de 2 %, alors que, selon la pente naturelle, elles auraient dû progresser de 10, 15, voire 20 %. Un certain nombre de gens soutenus par la gauche ont fait des choses et un certain nombre de gens soutenus par la droite aussi, et c'est grâce à ces travaux préalables que l'on peut aujourd'hui accélérer. C'est parce que le plan climat peut être évalué et que l'on peut mettre en évidence ce qui a marché et ce qui n'a pas marché que l'on peut changer de braquet. On ne part pas de zéro, sachant qu’il faut plus d'énergie pour passer de zéro à 1 kilomètre/heure que de 130 à 131 kilomètres/heure !

Le MEDAD est bien chargé de l'évaluation des politiques publiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle c'est un ministère d'État. Il a également la charge de la commande publique de l'ensemble des ministères.

De nombreux projets sont en cours : des coups partis, pas partis, presque partis, à l'étude et qui vont partir... Le Président de la République a pris une position qu'il demande aux ministres d'appliquer : on ne revient pas sur tout ce qui a été décidé, voté, engagé avant l'élection et la mise en place du Grenelle ; on n'engage aucune mesure d'aucune sorte entre maintenant et le Grenelle de l'environnement afin de ne rien préempter. C'est la raison pour laquelle aucun élément fiscal n'a été intégré à la loi sur le pouvoir d'achat – une réflexion globale financière et fiscale est menée sur l'habitat et sur les acquisitions – et que, après avoir pris un certain nombre de positions positives au Conseil européen de l'environnement, la France s'abstient pour l’instant. Bref, tout a été figé, à la demande du Président de la République, pour permettre au débat de se passer dans de bonnes conditions.

Quant aux tabous, le Grenelle est public et l'expression en France est libre. Tout le monde aura à cœur d'échanger, de défendre et d'essayer de convaincre. Cela fait partie de la logique du Grenelle.

Pour ce qui est de l'association du Parlement à la préparation du Grenelle, un travail est prévu avec la commission des affaires économiques ainsi qu'avec la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire pour mettre tout cela en musique.

Le MEDAD est très conscient des emplois qui peuvent être engendrés par le développement durable, et leur création est même l’une de ses priorités.

Pour répondre à tous les doutes formulés sur l'efficacité du ministère, M. Jean-Louis Borloo rappelle que les mêmes remarques lui avaient été adressées lorsqu'il était venu devant la commission présenter un plan de cohésion sociale, puis un plan de rénovation urbaine concernant 200 sites pour un montant de 20 milliards d’euros. Le programme couvre aujourd'hui 700 quartiers, s'élève à 40 milliards d'euros et est copiloté par les régions et les départements, qui ne sont pas tous de droite, des villes et des agglomérations, sans oublier le MEDEF, la CGT, FO… Quand une action s’engage, il faut arrêter les réactions de doute et de suspicion. Ce n'est pas ce que les Français attendent de leurs représentants, tous bords confondus.

La question du développement durable et de l'environnement est sacralisée. Elle n'appartient plus à personne, mais est l'affaire de tous. Elle doit être globalisée et étudiée de bonne foi. Ceux qui penseront prendre des postures sur ce dossier auront quelques déconvenues à terme. Cela ne signifie pas que le débat et la critique ne soient pas nécessaires. Cependant, sur un sujet aussi compliqué et impliquant autant d'acteurs, il faut que les responsables publics se donnent la main.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie, met en avant le contraste entre la fierté légitime de la France pour ses grandes entreprises dans le secteur de l'environnement et le faible nombre d'emplois dans ce même secteur : 400 000, contre 1,3 million en Allemagne, à nomenclature constante. La différence de population ne suffit pas à expliquer cet écart. La raison en est probablement que la France a trop longtemps considéré que les emplois dans ce secteur étaient nécessairement publics alors que l'environnement peut être facteur d'innovation et de compétitivité. Un groupe de travail est consacré à ce thème.

Comment promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l'emploi ?

Une partie des réponses est probablement fiscale. Le système fiscal français n'a pas été construit pour intégrer des objectifs environnementaux, ce qui conduit à certaines absurdités : alors que l'on veut plus de travail et moins de pollution, on taxe lourdement le premier et relativement légèrement la seconde. Le Grenelle de l'environnement devra faire émerger des solutions à ce sujet.

Toutefois les réponses ne sont pas que fiscales ou financières. Un particulier qui a envie de s'équiper en énergies renouvelables peut avoir des difficultés à trouver un architecte, un chauffagiste et même les bons équipements.

En ce qui concerne les produits issus de l’agriculture biologique, il est absurde que la France ne soit pas auto-suffisante ou au moins équilibrée en ce domaine, d'autant que le consommateur paie plus cher en pensant préserver l'environnement alors que les produits sont importés de l'étranger, notamment d'Allemagne, par camion, ce qui est très polluant. On doit se donner comme objectif de monter en puissance dans ce domaine, comme on l'a fait dans les années 1950-1960 pour l'alimentation en général. On peut s'inspirer des exemples étrangers. La prime à la conversion est peut-être insuffisante. Il faut peut-être également prévoir un soutien après que la conversion a eu lieu. Là encore, la réponse n'est pas que financière. Il faut également s'assurer de la stabilité des marchés des produits biologiques. Les initiatives prises par certains conseils généraux pour faire évoluer certains marchés publics vers le bio, comme l'approvisionnement des cantines scolaires en bio, sont très positives.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports, répond tout d'abord que, sur le versement transport, le Gouvernement doit réfléchir, en dehors de ce qui a été prévu dans les contrats de projets État-régions, à de nouveaux modèles de financement des réseaux de transport en commun dans les collectivités, compte tenu du nombre de projets de tramway et de transports en site propre.

Dans le très bon rapport de M. Christian Philip, il est proposé d'affecter les amendes de stationnement aux objectifs de transport public. Il faut peut-être aussi réfléchir au péage urbain qui, bien que rejeté par toutes les municipalités, donne des résultats positifs dans un certain nombre de pays européens.

Outre le fait que tous les projets sont figés entre aujourd'hui et le Grenelle de l'environnement, quatre ou cinq projets d'autoroute sont en attente parce qu'ils présentent des difficultés juridiques.

Quant au grand contournement de Bordeaux, il présente la particularité de déranger quel que soit le tracé évoqué. Le trafic qui remonte de l’Espagne et du Portugal vers le Nord passe par la rocade de Bordeaux, ce qui est inacceptable. Faire passer une autoroute à l’Ouest aurait l’avantage de desservir l’aéroport de Mérignac, la presqu’île d’Ambès et une partie du Blayer mais traverserait des crus intéressants. À l’Est, elle traverserait des crus aussi importants et encore plus coûteux. Alain Juppé avait suggéré d’examiner l’idée, non pas d’un contournement routier classique, mais d’un contournement mixte à usage routier et ferroviaire puisque se pose également un problème de désenclavement des transports et de report modal des trafics en provenance de la péninsule ibérique. C’est la question qu’il faut se poser dans le cadre du Grenelle de l’environnement et qu’il faut examiner avec tous les élus de l’Aquitaine et des autres régions concernées.

Enfin, la France profitera de ce qu’elle présidera l’Union européenne pour essayer de faire passer le paquet sécurité maritime qui est en cours de discussion et, si possible, d’aller encore plus loin, en concertation avec tous les élus du littoral.

M. Serge Poignant rappelle que la loi d’orientation sur l’énergie de 2005, dont il était le rapporteur, a défini les positions du Gouvernement sur le nucléaire, les économies d’énergie et les énergies renouvelables. La mission d’information sur l’effet de serre a donné lieu à un certain nombre de préconisations, dont la création d’un grand ministère englobant les transports. Il est bon que cela ait été suivi d’effet. Tous ces sujets ont ensuite été largement évoqués lors du sommet du G8.

Un sommet ayant eu lieu en février à Washington a montré qu’une action interparlementaire sur les sujets de l’environnement était très féconde, parallèlement à l’action gouvernementale.

Il reste à attendre les conclusions du Grenelle de l’environnement. Il est heureux que la France ait l’intention de reprendre le leadership en Europe en matière d’environnement, notamment à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne. D’ici là, quelles initiatives peut-elle prendre pour parvenir rapidement à la signature d’accords sur les émissions de gaz à effet de serre non seulement avec les pays du G8 et de l’Europe, mais également avec les pays émergents ?

M. Jean-Louis Gagnaire fait valoir que sa région d’origine produit 40 % des équipements de production des énergies renouvelables, ce qui prouve qu’il est possible non seulement de basculer une partie de l’industrie sur de tels équipements, mais également de conjuguer développement économique et industriel, emplois et protection de l’environnement. La France a pris du retard dans ce domaine, qu’elle doit rattraper.

Il est des questions que l’on ne peut pas différer sous peine de rester au niveau du discours incantatoire. Tout le monde sait que l’essentiel de la consommation d’énergie est le fait du chauffage de l’habitat individuel et des déplacements résultant de l’étalement urbain. Faire appel à des ressources dynamiques pour financer les transports n’est pas satisfaisant en l’état actuel des choses. Il faudra investir beaucoup d’argent pour améliorer les transports urbains et les infrastructures ferroviaires et les décisions prises aujourd’hui n’auront des effets que dans cinq ou dix ans. Que va faire M. Jean-Louis Borloo au niveau de la ressource pour permettre aux collectivités territoriales de financer les infrastructures, les réseaux et les déficits d’exploitation ?

M. Pierre Lang demande s’il est prévu de nouvelles modifications législatives importantes en matière d’organisation et d’exercice de la chasse en France.

M. Pierre Letchimy revient sur l’engagement de M. Jean-Louis Borloo de travailler sans complexe, sans tabou et sans soumission.

M. le ministre est-il prêt à être indépendant des lobbies et des cartels qui polluent la terre et tuent les hommes, notamment les producteurs de pesticides ? La Martinique comme la Guadeloupe souffrent d’une grave pollution due à l’utilisation de paraquat et de chlordécone, reconnus cancérigènes.

Sera-t-il sans tabou sur la question de la gouvernance locale, le développement durable transversal semblant incompatible avec le mode de fonctionnement actuel, que M. Serge Letchimy qualifie d’autocratie locale de l’État ?

M. le ministre d’État est-il sans complexe pour donner de vraies ressources pour le transport ?

Une prise de conscience de l’État est nécessaire pour édicter des lois pour l’outre-mer correspondant aux réalités locales. M. Serge Letchimy a cité deux exemples : les embouteillages qui paralysent la Martinique et la Guadeloupe et le transport maritime en Martinique.

M. Antoine Herth reconnaît que le Grenelle de l’environnement amène à s’interroger sur le rôle des parlementaires dans cette réflexion et met en avant trois points clés : premièrement, la communication est essentielle pour faire un travail de pédagogie mais peut comporter la tentation de désigner des boucs émissaires ; deuxièmement, une programmation du changement apparaît nécessaire, à la fois sur le plan budgétaire, mais aussi sur celui de la gestion du temps, en lien avec l’Europe ; troisièmement, le principe de précaution voté dans la Charte de l’environnement, qui est un principe non pas d’immobilisme mais, au contraire, de mouvement, doit être appliqué à la lettre.

En ce qui concerne la redevance poids lourds, une expérimentation est prévue en Alsace. Quand sera-t-elle mise en œuvre ? Servira-t-elle de préfiguration à la taxe sur les transports ?

Mme Chantal Berthelot demande à M. Jean-Louis Borloo s’il est favorable à l’exploitation aurifère industrielle dans une zone de réserve de caïmans noirs unique en Europe. Il est d’ailleurs anormal qu’aucune instance – ni ONG, ni associations, ni collectivités – de la Guyane ne soit représentée dans le groupe de travail sur la biodiversité et les ressources naturelles.

M. Jacques Le Nay insiste sur le fait que le développement des territoires nécessite la réalisation de nouvelles infrastructures routières et dénonce les modes de consultation actuels. Les études, les porter à connaissance du public, les enquêtes publiques, les études d’impact, les enquêtes parcellaires ont pour effet de retarder un certain nombre de dossiers. Ne serait-il pas possible d’établir une charte de bonne conduite pour l’examen des dossiers entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités locales maîtres d’ouvrage ?

Mme Jeanny Marc dénonce le scandale de l’empoisonnement des sols, des eaux et des vies humaines en Guadeloupe et à la Martinique causé par l’utilisation des pesticides non contrôlés comme paraquat et le chlordécone. Le problème est-il connu de M. Jean-Louis Borloo ? Que compte-t-il faire pour lutter contre cette catastrophe écologique et sanitaire ?

M. Thierry Benoit se félicite de la création d’un groupe de travail sur l’environnement. Plus que de développement durable, il vaut mieux parler de développement dans le respect du vivant, ce terme englobant les animaux et les végétaux.

Il ne suggère évidemment pas qu’il soit fait table rase de ce qui existe dans le domaine du nucléaire, mais M. Jean-Louis Borloo envisage-t-il de s’intéresser à la vaste question du retraitement des déchets radioactifs ? Est-il favorable à un moratoire sur les OGM ?

M. Philippe Tourtelier rappelle que l’Europe a suspendu le moratoire sur les OGM en échange d’une transparence, notamment sur les parcelles cultivées de cette manière, devant permettre le débat démocratique local. Or, le décret de mars 2007 transpose a minima la directive et ne donne la localisation que par canton, ce qui est insuffisant pour donner lieu à un débat local et surtout est incompatible avec l’agriculture biologique et la sécurisation de la biodiversité. M. Jean-Louis Borloo envisage-t-il, sans attendre les conclusions du Grenelle de l’environnement, de préciser le décret pour permettre la localisation à la parcelle ?

La France a la chance d’avoir une charte de l’environnement instaurant le principe de précaution, mais elle autorise la culture du maïs Monsanto 810. L’Allemagne qui n’a rien inclus de tel dans sa constitution vient de l’interdire. M. Alain Juppé avait envisagé de suspendre l’autorisation française. M. Jean-Louis Borloo prévoit-il d’en faire autant, au nom du principe de précaution ?

La troisième question concerne le solaire photovoltaïque. Une entreprise a mis l’accent sur le fait qu’une interprétation récente des services fiscaux fait passer la TVA de 5,5 % à 19,6 % sur les travaux d’investissement pour une installation photovoltaïque, à partir du moment où l’électricité produite vendue à EDF est supérieure à celle consommée par le particulier. Cela va à l’encontre des objectifs de construction de bâtiments à énergies positives. La TVA ne pourrait-elle être maintenue à 5,5 % en attendant de trouver une solution ? Cela pose à nouveau la question des rapports du ministère chargé de l’écologie avec Bercy.

M. Jean-Louis Léonard insiste sur le fait que la France est dotée d’un programme et d’un organisme exemplaire en Europe en matière de transports terrestres– dont M. Dominique Bussereau partage la paternité, à savoir le programme de recherche et d’innovation technique dans les transports terrestres (PREDIT) qui regroupe l’ensemble des financeurs, à savoir trois ministères et trois grandes agences de financement (ADEME, OSEO-ANVAR et l’ANR). Le programme PREDIT 3 touche à sa fin et la réflexion est engagée sur le PREDIT 4. La France sera-t-elle à l’heure pour engager ce quatrième programme, ou M. Jean-Louis Borloo envisage-t-il un autre type de financement ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo évoque le projet de traversée des Pyrénées par ferroutage qui est à l’étude depuis plusieurs années. C’est une priorité pour l’Espagne, notamment pour la province d’Aragon et le Président de la République a déclaré qu’elle figurerait à l’ordre du jour du prochain sommet franco-espagnol. Où en est ce projet ? Lors d’une étude d’impact, le précédent gouvernement avait demandé une étude de flux. Celle-ci est-elle disponible ?

M. Michel Raison souhaite que l’on se mette d’accord sur les termes. Le mot « développement » se justifie par l’augmentation de la population, donc de ses besoins, ainsi que par l’augmentation du niveau de vie.

Ensuite, l’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée ne doivent pas être opposées. La première n’est qu’un créneau commercial. D’ailleurs elle ne suffirait pas à nourrir la population de la planète. Si on avait pratiqué plus tôt une agriculture raisonnée, on aurait évité les problèmes que connaissent actuellement la Guadeloupe et la Martinique, qui sont liés à une agriculture non raisonnée. L’attitude dont procède l’agriculture raisonnée est la même qui prévaut quand un citoyen va chez le médecin, achète des médicaments, se soigne, se lave, se couvre quand il fait froid.

Il faudrait également arrêter d’avoir peur de tout. Quand il est question d’OGM, on ne fait qu’exprimer des craintes. Il faut que l’on aborde ce sujet avec la sérénité voulue et la vision scientifique adéquate.

Enfin, il serait souhaitable que les nouveaux présidents et vice-présidents du groupe de travail sur l’environnement puissent être entendus dans le cadre du Grenelle de l’environnement quand il sera question d’agriculture.

Mme Annick Le Loch se félicite que M. Jean-Louis Borloo ait signé le décret portant création du premier parc naturel marin en mer d’Iroise. Peut-il faire un point sur la mise en œuvre de celui-ci ?

Une forte pression foncière est exercée sur la bande côtière, notamment en Bretagne. Le développement du tourisme et de la plaisance rend difficile la cohabitation de ces deux secteurs avec une activité de pêche durable et les professionnels s’inquiètent du non-encadrement de cette zone. Qu’en pense M. Jean-Louis Borloo ? Pourra-t-on faire revenir la ressource et continuer de pêcher ?

Mme Monique Iborra revient sur la question de la conciliation entre politique économique libérale prônée par le Gouvernement et développement durable. Lorsqu’il a dit qu’il ne fallait pas mettre la barre trop haut, M. Jean-Paul Charié prônait peut-être la prudence dans les exigences à poser vis-à-vis des lobbies connus et repérés. M. Jean-Louis Borloo saura-t-il y résister ?

M. Jean Gaeremynck, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, responsable du programme accompagnement des mutations sociales et démographiques, entendu le matin même par la commission des Finances, a indiqué que, en l’état actuel des choses, il manquait un milliard d’euros pour le plan de cohésion sociale et que 100 000 emplois aidés ne verraient pas le jour car des économies devaient être réalisées dans le budget 2008. Qu’en est-il du budget du MEDAD ? Sera-t-il durable ?

M. Louis Cosyns indique que le deuxième plan national d’affectation des quotas d’émission de CO2, le PNAQ 2, étant inférieur au PNAQ 1, la France était obligée d’importer du ciment de pays qui n’appliquent pas le protocole de Kyoto. Quelles solutions M. Jean-Louis Borloo peut-il proposer à l’industrie cimentière pour faire face à ce problème, que la relance de la construction de logements rend encore plus crucial ?

Mme Pascale Got souhaite des précisions sur le degré d’indépendance de la France en matière d’approvisionnement de gaz naturel. M. Jean-Louis Borloo légitime-t-il la construction de ports méthaniers sur le territoire, notamment le projet du Verdon ?

M. François Brottes rappelle les trois principes régissant le Grenelle de l’environnement énoncés par M. Jean-Louis Borloo : ne plus rien faire qui puisse préempter l’avenir, tenir les engagements qui ont été pris, attendre les conclusions du Grenelle pour engager de nouvelles actions. Or, les décisions prises concernant les intérêts d’emprunt en matière de logement dans le cadre du paquet fiscal préemptent déjà beaucoup de moyens, puisque ce sont quelques milliards qui risquent de manquer.

Pour ce qui concerne les engagements pris, l’implication de la France dans le projet de liaison Lyon-Turin, qui a un impact fort en matière de développement durable puisqu’il a pour but de transférer vers le rail ce qui est actuellement transporté par route, semble être reportée dans la mesure où le Premier ministre a fait savoir à la Commission européenne que la France n’était pas candidate, pour la partie française de la liaison, à un financement européen. Ce qui revient à dire qu’elle ne veut pas y contribuer. Grenelle ou pas, quand le train est passé, il est trop tard. Quelle est la position du Gouvernement sur ce projet ?

Il est regrettable que M. Dominique Bussereau n’ait pas été entendu par la commission spéciale sur le service minimum en matière de transport.

Une nouvelle directive est prévue en octobre sur l’énergie : quelle sera la position de la France sur la régulation dans ce secteur, sur l’obligation qui peut lui être faite de démanteler un certain nombre de ses entreprises publiques et sur les tarifs réglementés ? Mme Christine Lagarde a dit qu’elle s’intéressait aux actionnaires de ces entreprises publiques mais que, pour le reste, la compétence revenait au ministre de l’Écologie.

M. Alain Gest demande à M. Jean-Louis Borloo ce qu’il pensait de la construction d’un troisième aéroport international.

M. Philippe Duron rappelle que les transports sont responsables pour 26 % des émissions de gaz à effet de serre. Dans le CIADT de décembre 2003, une liste de projets prioritaires a été dressée, dont un certain nombre permettaient un transfert modal : la liaison Lyon-Turin, le canal Seine Nord et de nombreux projets ferroviaires. Ces projets vont-ils être revus à l’occasion du Grenelle de l’environnement ?

Le financement de l’ensemble de ces projets était assuré par la création de l’agence de financement des infrastructures de France (AFITF), dont les ressources provenaient majoritairement des bénéfices de sociétés autoroutières. Après la privatisation de ces dernières, l’AFITF n’en aura plus, à partir de 2008, les moyens. Elle n’a plus que 800 millions d’euros par an alors qu’il lui en faudrait 2 milliards. Le Gouvernement a-t-il l’intention de trouver des ressources nouvelles ? Est-il favorable à la mise en place d’une taxe kilométrique sur les poids lourds ?

Enfin, le Gouvernement a-t-il l’intention de remettre sur le métier la LOTI qui date de 1982 ? Elle mériterait d’être revue en fonction à la fois des évolutions des nouvelles autorités organisatrices de transport et des contraintes environnementales.

M. François de Rugy a affirmé ne pas vouloir faire de procès d’intention quant aux résultats futurs de la politique de M. Jean-Louis Borloo, mais il a exprimé ses doutes et ses craintes, compte tenu des grandes annonces faites dans le passé qui sont restées sans suite. D’ailleurs, le paquet fiscal ne porte aucune marque de développement durable.

M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à remettre à plat les politiques menées en matière de transport et d’énergie ? Il faudrait au moins donner une orientation claire sur ce sujet.

M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à donner la priorité au transport ferroviaire par rapport à la route ? Pour le seul maintien en bon état de l’infrastructure ferroviaire existante, 500 millions d’euros sont nécessaires. Cette somme paraît énorme à beaucoup, mais elle est à mettre en regard des 13 milliards d’euros de cadeaux fiscaux qui viennent d’être votés.

Il y a deux solutions pour dégager des marges de manœuvre budgétaires. La première est de supprimer certaines dépenses ; M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à abandonner un certain nombre de projets contraires à l’ambition de développement durable qu’il affiche, tels que l’extension du port de Nantes-Saint-Nazaire sur le secteur de Donges Est, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le grand contournement de Bordeaux ?

La seconde solution est de trouver des ressources nouvelles. M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à engager des réformes à cet effet ? Le versement transport n’est perçu que dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants. M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à l’étendre à toutes les agglomérations ?

Enfin, concernant les énergies renouvelables, M. Jean-Louis Borloo est-il prêt à supprimer tout ce qui a été mis en place pour brider le développement des éoliennes ?

M. Jérôme Bignon demande, d’une part, si on peut espérer une parution prochaine au Journal officiel du décret portant création du parc naturel marin d’Iroise et, d’autre part, comment le ministère de l’Écologie envisage d’aborder la question du réchauffement climatique lors de la présidence française de l’Union européenne en 2008.

M. le ministre d’État exprime son désaccord avec le terme d’autocratie employé par M. Serge Letchimy. Il sera proposé dans le Grenelle de l’environnement, après arbitrage du Premier ministre, un mode de gouvernement par projet dans les départements d’outre-mer, compte tenu des qualités exceptionnelles de ceux-ci en matière de biodiversité et des ressources énergétiques, qui rendent possible une autonomie quasi-totale en ce domaine. Ce n’est pas la gouvernance institutionnelle qui changera, mais la gestion de projets particuliers sur ces territoires.

M. Jean-Louis Borloo est très réservé sur le projet de la firme Cambior d’exploitation aurifère en Guyane. Des études complémentaires ont été demandées.

Le conflit qui oppose scientifiques et non scientifiques au sujet des OGM est d’autant plus compliqué que la notion d’expertise indépendante est elle-même extrêmement complexe. Ceci étant, comme cela a déjà été dit, le Gouvernement ne préempte aucun dispositif. Toute expression publique à ce sujet de sa part, de M. Dominique Bussereau ou de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet reviendrait à mettre un pied dans le débat alors que le Gouvernement le veut très ouvert.

La France ne s’est pas retirée du projet Lyon-Turin. Une demande, signée il y a dix jours à Rome avec Antonio Di Pietro a été adressée à la Commission européenne pour un financement de 755 millions d’euros pour la réalisation du tunnel. Par ailleurs, le traité franco-italien qui a été signé doit être réactualisé car les parcours et les modes de gouvernance ont changé. À cet effet une réunion avec les ministres italiens des transports et de l’environnement a été programmée pour le 30 août. Dans la partie française, les trois descentes ont été réalisées et leur arrivée au tunnel sera inaugurée début septembre. Elles doivent faire l’objet d’études complémentaires. Les demandes ont été faites à la Commission européenne, sur la base des capacités d’engagement de la France. Pour l’exercice 2008, cela représente 8,5 millions d’euros, soit une quote-part de 10 %. La France est donc en parfait ordre de marche, et elle suit de près les réalisations du côté espagnol.

Les réunions d’hier concernant les projets Paris-Hendaye et Paris-Toulouse se sont déroulées comme prévu avec les régions et les départements. Elles ont permis de relancer la mécanique.

Le Gouvernement travaille à une réorganisation des éco-taxes. L’idée est non pas de créer plus de taxes, mais de faire en sorte que les choix rationnels orientent vers une « écolonomie », si ce néologisme peut être employé.

La relance de grandes infrastructures de développement durable dans le pays dépasse l’enjeu budgétaire 2008, et l’enjeu même de l’AFITF. La question est de savoir quels types de moyens la nation et ses partenaires sont prêts à affecter à un certain nombre de grandes infrastructures que le Gouvernement est en train de réveiller, de réactualiser ou même de démarrer. Il serait absurde, par exemple, de ne pas réaliser la liaison ferroviaire Toulouse-Narbonne.

Une distinction très nette est faite entre les financements exceptionnels pour des investissements à 50 ou 100 ans et les éco-taxes qui font actuellement l’objet d’études.

Enfin, concernant la présidence française de l’Union européenne, il faut savoir que, les sujets traités par son ministère représentent 80 % des points à l’étude sur le plan européen, le Grenelle de l’environnement permettant à la fois de travailler ces questions très en amont et d’enrichir le débat.

M. le secrétaire d’État donne des compléments d’information sur les sujets concernant les transports, l’aménagement du territoire et les grandes infrastructures.

Il faut non seulement réfléchir à l’alimentation de l’AFITF, mais, surtout, savoir si on maintient sa fonction actuelle ou si on l’augmente en lui donnant un pouvoir supplémentaire d’expertise ou d’aide au montage des grands projets.

Après que le dossier environnemental a été réglé, les grands projets d’infrastructure nécessitent un ou plusieurs partenariats, soit avec l’Union européenne – c’est le cas pour le TGV Paris-Strasbourg –, soit avec les régions, les collectivités départementales ou parfois même les collectivités intercommunales, soit encore, pour certaines parties du projet, un partenariat public-privé, comme cela a été le cas pour la ligne Tours-Bordeaux. Dans chaque cas, il faut déterminer l’équilibre entre les différents financements. Le devenir de l’AFITF sera étudié dans le cadre du Grenelle de l’environnement au sein du groupe de travail chargé du financement des infrastructures.

La ressource des collectivités territoriales pour les transports urbains doit faire l’objet d’une réflexion avec l’association des maires de France. Les montants prévus dans les contrats de projets État-régions ne sont en effet pas à la hauteur de la situation, mais le problème est complexe. Il n’est pas seulement francilien et ne concerne pas que les grandes agglomérations, puisque des projets de tramway sont prévus dans des villes moyennes comme Angers, Tours et Le Mans, et il n’est pas lié à une conception libérale ou non des transports. Le maire de Paris n’est pas non plus favorable à un péage urbain.

On ne peut qu’être favorable à l’idée d’une charte de bonne conduite pour l’examen des dossiers afin d’éviter les retards et les procédures.

Il y aura bien un autre PREDIT. Il serait souhaitable qu’il conserve le même président. Le fonctionnement des moteurs électriques, hybrides ou à hydrogène concerne aussi bien les véhicules individuels que les véhicules collectifs.

Trois points de passage entre la France et l’Espagne font l’objet de projets.

Le premier est la ligne ferroviaire Perpignan-Figueras. Le tunnel sous les Pyrénées est en construction. Les Espagnols s’emploient à mettre leur réseau ferré à écart européen. En France, le contournement de Nîmes et de Montpellier est prévu et une nouvelle ligne Montpellier-Perpignan sera certainement réalisée à terme.

Le deuxième point de passage est, comme le souhaitent à la fois l’État et la région Aquitaine, la poursuite de la ligne Sud-Europe-Atlantique vers Hendaye. Compte tenu du développement économique de l’Espagne et du Portugal, il est impératif de réaliser une autoroute ferroviaire entre la France et l’Espagne.

Le troisième point de passage à développer est une autoroute de la mer – comme il en existe entre Toulon et les villes d’Italie – entre Bilbao, Saint-Nazaire, La Rochelle et Dunkerque. Il faudra faire du report modal vers le maritime en façade atlantique comme en façade méditerranéenne.

Cela étant, il faudra songer un jour à une nouvelle traversée pyrénéenne, et le dossier sera compliqué.

Dans les discussions menées par le ministre Xavier Bertrand sur le service minimum dans les transports avec les organisations syndicales, le MEDAD était bien sûr représenté. C’est aux commissions de décider si elles souhaitent entendre ou non un ministre.

Envisager la construction d’un troisième aéroport semble tout à fait inopportun. Lorsqu’il a inauguré le satellite S3 de l’aéroport Charles de Gaulle, le Président de la République a parlé d’une charte de développement durable à Roissy, et a donné un an au Gouvernement pour l’élaborer avec les communes, les collectivités et la région Ile-de-France. L’aéroport de Vatry est, pour l’instant, sous-utilisé. Il pourrait offrir une possibilité d’expansion pour le fret, les charters et certains vols de Roissy. L’aéroport de Châteauroux-Déols, dans la région centre, a également de grosses capacités en matière de fret. Il faudra également regarder de près les idées de M. Yanick Paternotte, qui a fait un bon travail sur le sujet.

Il est prévu de proposer au Président de la République et au Premier ministre un nouveau CIADT après le Grenelle de l’environnement qui fasse le point sur les projets du CIADT de 2003 – certains ont progressé, d’autres sont en retard, d’autres encore sont moins demandés sur le terrain – et qui tire les conséquences, en termes d’aménagement du territoire et d’infrastructures, du Grenelle de l’environnement. C’est à ce moment-là que seront posées les questions du financement de l’AFITF et des taxes affectées.

Concernant la redevance poids lourds, le Parlement a voté un amendement d’Yves Bur prévoyant une expérimentation en Alsace. Le Gouvernement y donne suite et le conseil général du Bas-Rhin a étendu l’expérimentation aux routes départementales. Par ailleurs, le Gouvernement regarde la politique menée dans le reste de l’Europe. M. Dominique Bussereau s’est rendu à Prague récemment avant d’aller en Autriche vendredi prochain. Il étudiera également ce qu’est devenu le système allemand, LKW Maut, qui est plus lourd.

Le report modal peut se faire par trois moyens : les autoroutes de la mer, le développement du fluvial – comme le projet Seine-Nord – et l’amélioration des performances de la SNCF et de tous les opérateurs ferroviaires.

Pour ce qui est des questions concernant des projets locaux, ils font partie de la réflexion globale du Grenelle de l’environnement.

Mme la secrétaire d’État souligne d’abord l’énorme responsabilité de la France dans la préparation des négociations internationales sur le changement climatique, notamment dans la perspective, en décembre 2008 à Poznan, sous présidence française de l’Union européenne, de la conférence internationale sur la mise au point définitive de l’accord international devant succéder au protocole de Kyoto. Cette conférence sera préparée par celle de Bali qui aura lieu en décembre 2007.

La France a des atouts à faire valoir, notamment les travaux parlementaires qui ont été largement consensuels. Cependant, elle a aussi des projets qui ne sont pas complètement partagés par ses partenaires européens et l’automne sera consacré à mettre en place une position commune forte à faire valoir à Bali et Poznan.

Les Américains développent des initiatives qu’ils ne présentent pas comme concurrentes, mais qui sont malgré tout parallèles. Une conférence est ainsi prévue à l’automne avec les quinze pays les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre où il est envisagé que l’Union européenne soit considérée comme un seul émetteur, ce qui est évidemment inacceptable. Par ailleurs, une conférence internationale sur les énergies renouvelables s’est tenue au cours du printemps à Washington.

Le Gouvernement ne prévoit pas de nouvelle loi sur la chasse ni de remise à plat des structures existantes, telles que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, mais plutôt la poursuite et le renforcement de celles-ci.

Concernant les pesticides qui polluent la Guadeloupe et la Martinique, un rapport parlementaire avance des propositions d’indemnisation qui peuvent servir de base de réflexion.

Le Grenelle de l’environnement aura échoué si, après ses conclusions, on se retrouve dans des configurations traditionnelles d’opposition, en pointant du doigt des boucs émissaires. Le Gouvernement veille donc de près à ce que cela ne soit pas déjà l’esprit de Grenelle.

Le principe de précaution, comme cela avait été clairement précisé lors des débats vifs et intéressants qu’il avait suscités, est, non pas la recherche du risque zéro, mais bien un principe de mouvement et de gestion du risque en situation d’incertitude.

Concernant le retraitement des déchets radioactifs, la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est mise en œuvre et servira de base à l’action du Gouvernement. Aucun sujet n’est tabou dans le Grenelle de l’environnement

Mme la secrétaire d’État se dit ouverte à étudier la question du changement de taux de TVA dans le cas du solaire photovoltaïque.

Elle n’est pas tout à fait d’accord avec l’analyse de M. Michel Raison sur le rapport entre l’agriculture raisonnée et l’agriculture biologique. La France n’a certes pas vocation, à supposer que cela soit possible, à se consacrer entièrement à l’agriculture biologique, mais il semble raisonnable de fournir au moins le marché existant. Importer des produits issus de l’agriculture biologique est absurde en termes de compétitivité comme de défense de l’environnement.

Le décret portant création du parc naturel de mer d’Iroise paraîtra dans les prochaines semaines. Un travail d’accompagnement est actuellement réalisé sur trois points : le partage du projet avec les îliens (puisque trois îles sont concernées), le partage des informations dont on dispose sur le coût du projet, la définition du zonage dans le plan de gestion (les zones de l’estran, dans lesquelles on peut pratiquer de la pêche à pied, et les zones de pleine mer n’ont pas vocation à être gérées de la même façon). Sur les deux derniers points, de fausses informations ont circulé qui ont un peu altéré l’image du projet. Il importe d’y répondre afin que, après la publication du décret, la mise en place du parc se fasse de façon sereine.

Concernant le PNAQ, la France s’est engagée vis-à-vis de l’Union européenne à abaisser, avant le 31 décembre, le report des crédits de la première période d’engagement vers la seconde. Le Gouvernement le fera certainement dans le cadre de la loi sur la responsabilité environnementale. Pour le reste, une discussion est en cours sur la meilleure manière de procéder.

Pour ce qui est de la question des ressources nouvelles, les travaux menés dans le cadre du Grenelle de l’environnement tendent à l’instauration d’une éco-fiscalité, c’est-à-dire une fiscalité plus pertinente du point de vue de l’environnement, plus incitative, contrairement à une fiscalité de financement. Il faut en effet éviter de tomber dans la même dérive que la taxe générale sur les activités polluantes qui, avec une assiette très large et un petit taux, n’était pas incitative. Les taxes et le financement de l’AFITF sont traités séparément pour ne pas perdre de vue l’objectif d’incitation.

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Audition de M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, président du groupe de travail « Préservation de la biodiversité et des ressources naturelles » du Grenelle de l’environnement et de Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, vice-présidente du groupe de travail.

(Séance du 11 septembre 2007)

Le président Christian Jacob a rappelé en préambule que lors de sa dernière réunion, la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire de l’Assemblée Nationale avait exprimé le vœu d’entendre les six présidents des groupes de travail mis en place dans le cadre du Grenelle de l’environnement. M. Jean-François Le Grand, sénateur de la Manche, auteur notamment d’un rapport d’information sur la mise en œuvre des directives « Habitats » et « Oiseaux », président du conseil général de la Manche et ancien président du parc naturel régional des marais du Cotentin, est le premier à ouvrir ce cycle d’auditions, en sa qualité de président du groupe de travail numéro 2, « Préservation de la biodiversité et des ressources naturelles ».

Il est accompagné de Mme Marie-Christine Blandin, vice-présidente de ce groupe de travail, sénateur du Nord, ancienne présidente du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais et membre de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Après les avoir remerciés, le président Christian Jacob a également rappelé que la Délégation avait décidé de travailler en binôme avec la commission des affaires économiques sur les enjeux du Grenelle de l’environnement. Certains membres de la Délégation sont d’ailleurs membres du sous-groupe « environnement » ou du comité de suivi du Grenelle de l’environnement créés dans le cadre de cette commission.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a insisté sur la complémentarité entre les travaux de la délégation et ceux menés par la commission des affaires économiques, notamment dans le cadre du comité de suivi du Grenelle de l’environnement, qu’il préside. Ces auditions sont communes, mais d’autres auditions le seront aussi. Le comité de suivi de la commission des affaires économiques organisera en effet début octobre plusieurs auditions de personnalités extérieures au Grenelle de l’environnement, telles Edgar Morin ou Jean-Louis Étienne par exemple, afin d’éclairer les députés sur certains fondamentaux et faciliter l’appréhension ce qui se passe sur la planète.

M. Jean-François Le Grand s’est félicité que des instances de l’Assemblée Nationale aient décidé d’auditionner des sénateurs, ce qui est assez inhabituel.

Mme Marie-Christine Blandin et lui-même avaient décidé, il y a un peu plus d’un an, de dépasser leurs différences, dans la mesure où la biodiversité va au-delà des considérations politiques et nécessite une approche consensuelle. Ils s’étaient assuré la complicité d’Hubert Reeves pour organiser à trois les « Assises nationales pour la biodiversité » au Sénat.

S’il est encore trop tôt pour entrer dans le détail des propositions du groupe de travail qui devront être validées par les différents collèges puis annoncées lors de la grande réunion du Grenelle de l’environnement, elle-même précédée par une quinzaine de réunions régionales, il est cependant possible de restituer l’ambiance et l’orientation des travaux qui ont prévalu jusqu’ici.

Comment ce problème de la biodiversité et des ressources naturelles a-t-il été abordé ?

Tout d’abord en essayant de définir la biodiversité, ce qui s’est révélé très complexe. Si l’on perçoit bien l’impact du réchauffement climatique, celui de la biodiversité est plus diffus et difficile à saisir. La biodiversité est constituée des éléments en équilibre à l’intérieur des écosystèmes, la planète étant elle-même en équilibre grâce à l’ensemble des écosystèmes. À l’intérieur de chacun des écosystèmes, il y a des interactions entre les organismes animaux, végétaux et minéraux, qui sont telles que le résultat est un équilibre. Seulement, il est impossible aujourd’hui d’identifier les causes et les détails des mécanismes d’équilibre qui existent à l’intérieur des écosystèmes, ne serait-ce que parce qu’on ne connaît pas toutes les espèces. On peut s’interroger sur l’utilité de l’une d’entre elles par rapport aux autres, sauf que c’est ensemble qu’elles parviennent à un équilibre.

Depuis quelques dizaines d’années, on assiste à une accélération phénoménale de la disparition de certaines espèces et à la raréfaction de la biodiversité. Cela risque de mettre en cause les équilibres, qu’il est donc urgent de maintenir.

S’il est encore temps, en prenant certaines dispositions, de corriger certains effets et de ralentir certaines évolutions en matière de réchauffement climatique, il faut savoir qu’en matière de biodiversité, une espèce disparue ne sera jamais récréée. La dégradation de la biodiversité a un caractère inéluctable. Il convient donc, par précaution, de préserver cette biodiversité. Ce n’est pas seulement une urgence, c’est une exigence.

Les groupes de travail du Grenelle sont constitués de cinq collèges qui représentent globalement la société : celui des employeurs, celui des salariés, celui de l’État, celui des collectivités territoriales et celui des organisations non-gouvernementales (ONG). Chaque collège comprend huit personnes. D’où au minimum quarante personnes, auxquelles viennent se joindre des personnalités qualifiées cooptées, soit à l’initiative du Gouvernement soit à celle des groupes de travail.

Chaque groupe comprend donc environ quarante-cinq personnes, dont les approches sont très différentes, ce qui explique la richesse du débat. C’est bien le génie du Grenelle que d’avoir réussi à faire se rencontrer autour d’une même table des personnes d’horizons différents, aux postures parfois conflictuelles.

Ces groupes de travail se sont réunis et sont rapidement convenus d’une méthodologie.

L’homme vient de découvrir que les ressources sur la planète ne sont pas inépuisables, qu’il y a des limites à ne pas dépasser. S’il ne change pas d’attitude, dans 150 ans, la vie continuera sur la terre, mais sans l’homme, car seuls les mammifères de moins de trois kilos pourront survivre. Les groupes de travail ont reçu une feuille blanche ; ils sont chargés de réorganiser la vie en société pour que cette société puisse continuer de vivre et de se développer, mais dans certaines limites contraignantes.

Reste à savoir de quelle science on a besoin pour asseoir la connaissance : d’où la définition des contours de la science, de ce que doit être la connaissance. Ce fut l’objet de la première journée de travail du premier atelier du groupe numéro 2.

Le deuxième atelier a porté sur la gouvernance de la connaissance, sur l’organisation, sur l’optimisation des moyens existants. Le troisième sur les différentes expressions de cette connaissance et leur déclinaison à l’outre-mer, à la mer, à l’eau et au patrimoine naturel.

Les travaux de ces ateliers tendent aujourd’hui à leur fin. S’y sont rajoutés des travaux sur la valorisation économique de la biodiversité ou sur les outils fiscaux susceptibles d’accompagner la protection de la biodiversité.

Mme Marie-Christine Blandin a souligné que l’architecture du Grenelle était particulièrement démocratique : Greenpeace siège face au Medef, France Nature Environnement face à la CGT, aux élus locaux ou aux représentants de l’État… Tout le monde, dans les six groupes, soit environ 300 personnes, joue le jeu. Elle a néanmoins déploré le calendrier fixé : les travaux ont commencé en juillet et les membres des groupes doivent finaliser leurs propositions pour le 26 septembre et commencer une tournée dans les régions, tournée qui s’achèvera le 15 octobre. Tout cela est très rapide et on a demandé aux participants de formuler sur un espace sécurisé d’Internet, un « extranet », des propositions qui constituent la matière première des débats. Il n’y a pas d’auditions ouvertes sur l’extérieur, par manque de temps. Les connaissances des membres du groupe de travail et les travaux déjà publiés sont considérés comme suffisants.

Pour travailler sur la première partie évoquée par Jean-François Le Grand, le groupe de travail a choisi d’entendre le vécu des acteurs. Les élus locaux, par exemple, disent qu’ils aimeraient faire mieux, mais qu’ils ne disposent pas d’indicateurs. Les agriculteurs ont exprimé leur lassitude d’être considérés comme les pollueurs ; ils suivent les réformes agricoles, répondent aux impulsions scientifiques de l’INRA et aux exigences économiques des banques. Les associatifs tirent la sonnette d’alarme en disant que tous les écosystèmes sont fragilisés ; les alertes actuelles sur les insectes pollinisateurs interpellent tout le monde sur la fécondation des fruits et des légumes de demain. En matière de biodiversité, certaines choses ne sont pas recréables, qu’il s’agisse d’espèces disparues ou, plus modestement, de marécages servant de zones tampon, gardant de l’humidité pendant les sécheresses et servant d’éponge en cas d’inondation.

Tout le monde déplore un manque de connaissances, de recherche, d’inventaire des espèces, d’indicateurs. Les collections de graines accumulées depuis des siècles, soit dans le domaine privé, soit dans le domaine public, ne peuvent pas, par manque de moyens, être conservées in situ. Par manque de place, la famille Vilmorin vient de se débarrasser de ses collections de haricots. Or les gènes de ces collections sont peut-être précisément ceux dont on aura besoin demain si le climat évolue. Quant aux associations, elles répondent présentes et disent qu’elles sont capables de replanter les graines.

Le groupe de travail collabore, pour son travail de recherche et d’accumulation des savoirs et des expertises, avec les universités, les grands organismes, les entreprises privées, mais aussi avec des réseaux associatifs engagés sur le sujet. Les connaissances, une fois produites, doivent être mises à disposition et utilisables par tous à partir de termes simples.

L’impact des politiques publiques est à prendre en considération. Un travail avec M. de Sainteny, par exemple, sur la fiscalité, a révélé que nos impôts et nos taxes sont dix fois plus destructeurs pour l’environnement et la biodiversité que les quelques taxes et mesures incitatives qui les favorisent effectivement. C’est ainsi que l’aide à l’investissement dans les DOM TOM contribue à la destruction de la forêt primaire et au bétonnage du littoral. Il faut que les collectivités puissent s’en saisir et choisir ensuite en toute connaissance de cause.

La diffusion des connaissances passe aussi par les contrats d’orientation des chaînes audiovisuelles publiques, qui ont quasiment éradiqué les émissions sur les paysages et la biologie. Elle passe aussi par la réhabilitation d’un apprentissage sur le terrain des sciences naturelles, que ce soit en primaire ou dans le supérieur, où tout se passe en virtuel, au cinéma, sur la paillasse, sur l’ordinateur. Le contact avec la nature n’existe plus et on ne facilite pas les sorties.

Si l’on veut changer les choses, il faut des opérateurs – notamment parmi les élus et les hauts cadres de la République –, dont la formation initiale ou continue prenne en compte la biodiversité. Le désastre qui menace la biodiversité sera probablement aussi grave que le désastre climatique qui s’annonce, mais cette menace est aujourd’hui mal connue et ne bénéficie pas de la même médiatisation que le réchauffement climatique.

M. Jean-François Le Grand a indiqué que, dans un deuxième temps, les membres du groupe de travail s’étaient posé la question de savoir si la gouvernance de la protection de la biodiversité fonctionnait bien et si les organismes français étaient susceptibles de satisfaire aux besoins.

Il ne s’agit plus tellement de la défense des espèces sauvages que de la protection des écosystèmes. Cette protection des écosystèmes doit se traduire de manière positive. Il faut assurer, à l’intérieur de ceux-ci, une évolution, une activité humaine. Il ne s’agit pas de geler des territoires, mais de leur permettre de continuer de vivre tout en respectant leur équilibre. La gouvernance permettra d’organiser, d’aider et d’évaluer.

S’agissant de l’organisation actuelle, force est de constater parfois le manque de cohérence entre l’action de certains établissements publics et de certaines directions ministérielles. Or l’atomisation de la décision est pernicieuse parce qu’elle ne facilite pas la définition d’une politique homogène. Une mise en cohérence des actions de l’État par rapport à lui-même et des différents établissements publics s’avère donc nécessaire.

Comment organiser la mise à disposition de l’expertise et le porter à connaissance ? Si un conseil général décide de la construction d’une route qui a un impact potentiel sur l’environnement, le tribunal administratif sera saisi. Et ce n’est qu’après le passage au tribunal administratif qu’une expertise aura sans doute lieu, pour amener le conseil général à revoir sa copie. Si l’on pouvait bénéficier d’une telle expertise, en amont, avant que la décision ne soit prise, cela ferait gagner du temps.

Il est apparu qu’il faudrait conjuguer plusieurs instances : la notion de région écologique, la région administrative et les lieux dans lesquels on vit. Il faudrait également pouvoir évaluer les résultats des actions par un suivi en continu et des expertises.

Il faudrait introduire un coefficient de biodiversité dans les actions d’aménagement du territoire. Ce coefficient ne serait pas une couche supplémentaire de protection, mais un moyen de prendre en compte une nécessité à protéger.

La France a une certaine responsabilité en termes de gouvernance au niveau international. Elle pourra l’exercer lors de sa présidence de l’Union européenne au second semestre 2008, en tentant de faire partager ces préoccupations à ses partenaires.

Il faut aussi se pencher sur l’organisation géographique et temporelle de la concertation et trouver des lieux pour discuter les propositions faites en matière d’aménagement du territoire, notamment d’infrastructures, et déterminer la meilleure manière de maintenir les écosystèmes.

Un débat s’est instauré au sein du groupe de travail sur ce que les associations, et parfois certaines directions ministérielles, appellent le « réseau écologique national ». Ce concept était refusé par les agriculteurs, qui le considéraient comme une nouvelle couche de protection. Mais le « génie » de Grenelle a joué puisque des personnes a priori opposées se sont retrouvées en dehors des groupes de travail pour réfléchir ensemble.

Agriculteurs et associations se sont finalement entendus sur l’idée de mise en place d’une « trame verte ». Cette trame verte est basée sur l’idée qu’il faut avoir une solution de continuité pour la circulation des espèces constituant la biodiversité ordinaire, qui doivent pouvoir aller d’un endroit à un autre. Le territoire ne doit pas être parcellisé et stérilisé dans sa parcelle ; ce serait contraire au maintien d’une biodiversité active.

Les agriculteurs et leurs partenaires se sont demandé qui devait avoir la charge de cette trame verte et l’intégrer dans ses réflexions. Ce sont probablement les collectivités territoriales qui ont vocation à la mettre en place, dans la mesure où elles sont déjà en charge d’actions d’aménagement du territoire. Par exemple, il n’est pas compliqué, lorsqu’on construit un pont, de prévoir une zone enherbée pour assurer la circulation de la biodiversité d’un secteur à un autre. Ces actions devraient se faire en négociation permanente avec les agriculteurs.

Il ne s’agit pas de rajouter une couche supplémentaire de protection et d’obligations, à l’instar des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), mais d’intégrer naturellement cette notion de trame verte dans les comportements. Cette trame verte est une solution consensuelle trouvée par les acteurs eux-mêmes.

Dans un troisième temps, le groupe de travail s’est demandé quelles actions fortes il faudrait proposer, quels seraient les outils ou les lieux d’application de cette réflexion sur la connaissance et la gouvernance. Les ateliers qui ont été organisés spontanément témoignent de ces lieux : la mer, l’outre-mer, le patrimoine naturel et les territoires durables.

Le problème de la biodiversité marine est simple : en mer, on mange pour être mangé. C’est l’ensemble de la chaîne alimentaire maritime qui doit être prise en compte, sachant qu’il faut pouvoir en diagnostiquer les segments fragilisés et savoir pourquoi ils le sont, afin d’imaginer leur restauration. La pêche deviendrait plutôt une conséquence naturelle de la prise en compte de la biodiversité que le résultat de discussions dures au sein de la Commission européenne.

Il faut donc adopter une approche systémique, évidemment internationale. La France ne peut trouver à elle seule des solutions. Tout le monde est concerné. Voilà pourquoi on a approché les zones par pêcheries ; on s’est intéressé à la relation terre-mer, et donc au littoral : gestion intégrée des zones côtières, contrats de baies, transposition en mer de Natura 2000.

Le dispositif Natura 2000 vise à protéger l’habitat pour que l’espèce puisse continuer à y vivre. L’application de ces directives communautaires passe par la mise en réseau des différents systèmes au niveau européen. Lorsque la mise en œuvre de Natura 2000 était confiée à l’État ou à des personnes qui n’étaient pas légitimement en charge du territoire et donc élues, cela posait des problèmes. Le législateur a donc redonné par la suite la main aux élus. À partir du moment où ils ont eu la charge de présider les comités locaux, de déterminer qui devait faire le document d’objectifs, les difficultés se sont aplanies. Reste qu’il conviendrait de transposer Natura 200 à la mer, ce qui constitue un autre exercice.

Il est apparu intéressant de prendre comme mer laboratoire la Méditerranée. Celle-ci est une mer partagée, bordée par différents pays, avec des cultures, des méthodes de pêche, des activités différentes. Puisque le Président de la République a rappelé son engagement en faveur d’une union pan méditerranéenne, pourquoi ne pas faire un exercice grandeur nature en prenant en compte la biodiversité marine en Méditerranée, tout en incluant les activités humaines ?

Mme Marie-Christine Blandin a ensuite abordé la question de l’outre-mer.

Les préconisations faites sur l’outre-mer ont très vite provoqué la réaction de personnes avisées, qui ont fait remarquer que les collectivités intéressées disposaient de parts d’autonomie très différentes les unes des autres. Si la France reste responsable des actions et des soutiens en matière de biodiversité, elle ne peut pas choisir à la place des assemblées légitimes.

On essaiera de faire en sorte que les principes de Natura 2000 puissent bénéficier à l’ensemble de ces territoires dans le respect de leurs particularités. Par exemple, un travail sur un plan prévisionnel, tous territoires confondus, sur les extractions minières, a été demandé par tous : entrepreneurs, syndicalistes et ONG. En Nouvelle-Calédonie, le principe d’une extraction du nickel n’est pas rejeté mais il faut qu’on arrête de rejeter n’importe comment les déchets. En revanche, les cinquante membres du groupe de travail se sont opposés au projet de mine d’or en Guyane, qui prévoit un traitement au mercure dans le marais de Kaw. Tout le monde réclame l’interruption de ce projet dévastateur.

Autres éléments : la promotion d’un pôle de recherche à la Réunion sur la biodiversité, géographiquement intégré dans le monde, c’est-à-dire avec Madagascar, Mayotte et l’île Maurice et la recommandation à notre agence de recherche de veiller à ce que des guichets biodiversité, notamment biodiversité rare, soient mis en place.

M. Jean-François Le Grand a abordé ensuite le thème de la valorisation économique de la biodiversité.

Le groupe de travail propose de passer d’une fiscalité pénalisante et captatrice à une fiscalité permissive et autorisant des développements. Il serait judicieux d’exonérer d’impôt une action bénéfique pour la biodiversité.

Lorsqu’un agriculteur se comporte mal, il est pénalisé. Lorsqu’il se comporte bien, on s’en félicite, mais on ne fait rien et son action n’est pas reconnue à sa juste valeur. Les agriculteurs ont proposé la notion d’unités valeur. Ces unités ne seraient pas monnayables ni mercantiles mais constitueraient la reconnaissance d’une action favorable à la biodiversité. À terme, ces unités valeur pourraient intervenir dans les taux de bonification des intérêts des emprunts.

S’agissant de la gestion de l’eau, la loi qui a été adoptée à la fin de l’année dernière est une bonne loi qu’il ne faut pas remettre en cause mais il conviendrait peut-être d’aller un peu plus loin s’agissant de la protection de la ressource.

Le président Christian Jacob a souhaité avoir des précisions complémentaires sur la méthode et le calendrier, s’agissant notamment de certains sujets comme la fiscalité punitive, le manque d’indicateurs, d’inventaires et les systèmes d’évaluation. Des propositions ont été esquissées par le groupe de travail ; quand celles-ci seront-elles finalisées ?

Après avoir remercié les intervenants, M. Serge Poignant a demandé si les membres du groupe de travail avaient tenté de dégager des indicateurs prioritaires. Les problèmes posés à la biodiversité viendraient-ils de l’urbanisation, de la gestion de la ressource, du réchauffement climatique, du manque d’eau ou d’autres causes ?

On affirme qu’on ira de toute façon vers le réchauffement climatique. Ira-t-on de toute façon vers un changement de la biodiversité ? A-t-on déjà travaillé sur la question de l’adaptation à un tel changement ?

M. André Chassaigne a remarqué que l’on était toujours pris entre l’exigence de protection de la biodiversité et des ressources naturelles et la pression économique très forte dans le cadre d’un système libéral qui amène à produire toujours davantage. Ce fut le cas lors de la commission d’enquête sur le loup, avec les bergers et les exigences européennes en matière de protection de la nature. Ce fut aussi le cas lors de la loi sur l’eau, avec les agriculteurs qui sont poussés à la productivité.

Le groupe de travail formulera-t-il des propositions en termes de méthode, pour faire en sorte de prendre en compte les intérêts de la biodiversité et des ressources naturelles, qui ne sont pas forcément opposés aux intérêts économiques ?

M. Jean-Paul Chanteguet a rappelé que la loi de protection du patrimoine naturel de 1976 avait trente ans. Il a demandé si le groupe de travail envisageait de proposer une loi refondatrice sur la protection du patrimoine naturel et des paysages.

Mme Chantal Berthelot a relevé que dans le groupe de travail numéro 2, un atelier s’occupait de l’outre-mer, avec des thématiques transversales (compétences des territoires, patrimoine naturel et rôle des communautés locales). Le sujet n’a pas été abordé par Mme Blandin, alors qu’elle est à l’initiative d’une conférence de presse qui se tiendra la semaine prochaine sur les populations autochtones. Pour la Guyane et l’ensemble de l’outre-mer, il est important que cette question soit mise en exergue.

Si le carton rouge était maintenu par le Gouvernement sur le projet Cambior de mine d’or, la Guyane serait très satisfaite.

Les participants de cet atelier doivent se rendre dans des réunions décentralisées. Si l’on en croit les propos du directeur de cabinet de M. Borloo, ainsi que ceux de M.Christian Estrosi, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, le choix de l’île de la Réunion pour accueillir cette réunion a semble-t-il été fait. Or M. Serge Letchimy, député de la Martinique, a transmis au groupe de travail, dont il fait partie, une demande pour la Guyane. Ce serait d’autant plus utile que le parc amazonien de Guyane est le plus grand parc naturel de France et d’Europe, avec plus de 3 millions d’hectares de superficie.

Il faut également insister sur la nécessaire éradication de l’orpaillage clandestin, qui constitue un des plus graves maux de la Guyane en matière d’environnement.

M. Michel Raison a souligné que depuis des millénaires, des espèces disparaissaient et que le climat se modifiait. Il s’est interrogé sur le rythme de ces disparitions et sur leurs principales causes. Les connaissances dont on dispose doivent être suffisamment précises pour pouvoir prendre des mesures.

La notion d’unités valeur peut paraître séduisante mais peut être source de complexification et de bureaucratie. Même si les systèmes basés sur la conditionnalité ne sont pas très populaires dans le monde agricole, ils sont malgré tout efficaces, par exemple pour la mise en place de bandes enherbées.

M. Philippe Plisson a considéré que « l’état des lieux » qui a été fait pourra déboucher sur des préconisations qui devront être coercitives pour être efficaces. Il a demandé si le groupe de travail avait déjà défini des pistes de réflexion concernant des sujets lourds, comme la disparition de certaines espèces de poissons et s’il prévoit d’imposer certaines obligations aux agriculteurs, par exemple sur l’utilisation des engrais chimiques qui ont déjà fait des dégâts. Le groupe de travail aboutira-t-il à des propositions tangibles ?

Mme Martine Lignères-Cassou est revenue sur la question de la trame verte sur laquelle travaillent les agriculteurs et les ONG. Comme l’idée émane, notamment, des agriculteurs eux-mêmes, elle ne sera pas ressentie comme un élément plaqué, à l’instar des ZNIEFF, par exemple. La méthode est très intéressante ; ne pourrait-elle pas être généralisée ? Quels sont les points durs qui persistent encore dans le débat.

M. Charles-Ange Ginesy a souhaité savoir s’il serait possible, dans le cadre de la préservation de la biodiversité, de mettre en place une véritable activité économique créatrice d’emplois. Il convient d’aller dans le sens du discours du Président de la République selon lequel il faut à la fois préserver les richesses et faire vivre l’homme.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a estimé que la question de la biodiversité pouvait être qualifiée d’existentielle, sachant qu’il en va de l’équilibre vital de notre planète. Peut-on, aujourd’hui, détecter précisément des espèces dont la disparition serait susceptible de remettre en cause ce dernier ? Dans ce cas, une protection sans faille s’impose.

M. Jean-François Le Grand a souligné que, quelle que soit la pression économique, les agriculteurs ne souhaitaient pas utiliser les pesticides de façon intensive et déraisonnable, la question, pour eux, étant de connaître des solutions alternatives. Les propositions qui seront formulées visent, précisément, à les décliner, en compatibilité avec les exigences de rentabilité économique.

En outre, non seulement la profession agricole a connu un nombre considérable de révolutions depuis des décennies- depuis la production intensive permettant d’atteindre l’autosuffisance alimentaire jusqu’à la politique des quotas - mais on demande encore aujourd’hui aux seuls agriculteurs de protéger la biodiversité alors qu’elle concerne la plupart des secteurs ! Il est nécessaire de prendre en compte l’interactivité de nos actions.

S’agissant du calendrier, les copies des « actions-programmes » devront être rendues le 26 septembre ; des débats régionaux s’en suivront avant le Grenelle de l’environnement proprement dit. Quelle sera son organisation ? Rien n’est encore fixé. Il semble qu’un certain nombre de priorités seront établies, trois ou quatre programmes par groupe de travail, à partir desquelles le Gouvernement élaborera sa politique.

La loi de 1976, quant à elle, devra bien sûr être reprise mais le Grenelle de l’environnement doit permettre d’aller encore plus loin en matière de protection de la biodiversité au sein d’une loi-cadre : trame verte, incitations fiscales etc. Il importe, au premier chef, que les propositions formulées soient simples et concrètes. Les agriculteurs feront des propositions très concrètes et simples pour asseoir la définition de la notion d’unités valeur.

La méthode de travail doit reposer sur la concertation. En ce qui concerne l’utilisation des pesticides, par exemple, les agriculteurs ne sont pas là encore les seuls concernés : les consommateurs doivent aussi s’impliquer en admettant que faute d’employer tel produit chimique, un légume peut ne pas avoir une forme parfaitement identique à celle qu’ils connaissent.

En matière d’équilibre de la biodiversité, il faut distinguer la régulation naturelle des espèces des disparitions dues à l’action humaine. Même si l’on dispose d’indicateurs en matière de recherche et d’évaluation, il sera nécessaire de former des naturalistes et d’autres spécialistes dans des disciplines aujourd’hui un peu délaissées. Eux pourront examiner plus précisément ces évolutions et, ainsi, évaluer leurs incidences. Il importe en particulier de disposer d’un diagnostic précis de l’état de la chaîne alimentaire.

Mme Marie-Christine Blandin a confirmé à Mme Berthelot que M. Letchimy, bien que député martiniquais, avait demandé l’organisation d’une réunion en Guyane. Ce dernier a également évoqué les pesticides interdits en métropole comme le chlordécone, utilisé en Martinique pour le traitement des bananes et responsable de nombreux dégâts sanitaires. Le passage du cyclone pourrait être l’occasion de mettre en place un autre mode de production agricole qui préserve mieux les populations.

Une délégation amérindienne sera par ailleurs bien reçue par le groupe de travail et la mesure numéro 10 envisagée par le groupe vise à renforcer l’assise institutionnelle, culturelle et foncière des communautés amérindiennes en Guyane.

S’agissant des indicateurs, c’est précisément parce que la biologie et l’écologie ne sont pas des sciences exactes qu’existe l’institut français de la biodiversité.

Différents modes d’action ont par ailleurs été envisagés, notamment en matière fiscale, afin par exemple d’aider les communes qui font des efforts dans le traitement de leurs friches en centre-ville ou de pénaliser au contraire celles qui font le choix de construire en zone périphérique lointaine. Il est également possible de majorer la dotation globale de fonctionnement de celles qui s’engagent à diminuer l’artificialisation.

M. Jean-François Le Grand a rappelé que 170 hectares de terres agricoles disparaissaient chaque jour en France.

Mme Marie-Christine Blandin a ensuite répondu à M. Chassaigne que c’est la biodiversité ordinaire qui est en jeu et non tel ou tel conflit lié à la réintroduction d’une espèce particulière.

Les collines de New-York ont été choisies pour leur réseau hydrographique de purification de l’eau sous la forêt. Cette ville, en faisant le choix de la biodiversité et en ne construisant pas de station d’épuration, a réalisé des économies.

Il sera bien entendu par ailleurs question des trames vertes, ces corridors biologiques ayant un rôle à jouer dans la préservation de certaines espèces, notamment dans un contexte de changement climatique.

L’artificialisation, les pesticides et les modifications liées aux activités économiques sont autant de causes majeures des troubles écologiques. S’il n’a pas été jusqu’ici possible d’y remédier, c’est faute d’avoir suffisamment impliqué l’ensemble des acteurs. Les obligations liées au versement conditionnel des aides ne sont satisfaisantes que si elles font l’objet d’un encadrement et d’un accompagnement suffisants. L’obligation de mise en place de bandes enherbées a conduit par exemple certains agriculteurs à mettre en place ces bandes en recourant massivement aux intrants.

Le développement de la biodiversité contribuera à sauver nombre d’emplois, notamment dans le domaine de l’apiculture ou des vergers.

S’agissant des risques de fracture majeure, outre les insectes pollinisateurs, il convient de prendre garde à l’état des sols.

Enfin, les ateliers 4 et 2 se sont regroupés pour demander à l’INRA un changement de ses orientations de recherche afin de retrouver une exigence de préservation de la biodiversité.

M. Jean-François Le Grand a indiqué que si l’ankylostome était l’une des causes de la disparition des anguilles, la pêche à la civelle en était également responsable.

Le président Christian Jacob a demandé si les comptes rendus des réunions du groupe de travail pouvaient être transmis à la Délégation.

M. Jean-François Le Grand a indiqué qu’il ne pouvait que répondre favorablement à une telle demande, par souci de transparence.

Le président Christian Jacob a remercié les deux intervenants pour la qualité de leur présentation.

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Audition de M. Roger Guesnerie, président de l’Ecole d’économie de Paris, président du groupe de travail « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi » du Grenelle de l’environnement.

(Séance du 11 septembre 2007)

Le président Christian Jacob, après avoir remercié M. Roger Guesnerie pour sa disponibilité, a rappelé que la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire de l’Assemblée Nationale avait souhaité entendre les six présidents des groupes de travail en collaboration avec la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et son président, M. Patrick Ollier.

Il a ensuite présenté M. Roger Guesnerie : président de l’école d’économie de Paris, il dirige la chaire de théorie économique et d’organisation sociale au Collège de France ; il est également directeur d’études à l’EHESS et membre du conseil d’analyse économique. Mais c’est en sa qualité de président du sixième groupe de travail du Grenelle de l’environnement intitulé « Promouvoir des modes de développement écologique favorables à la compétitivité et à l’emploi » qu’il est auditionné aujourd’hui.

M. Roger Guesnerie a d’abord précisé qu’il avait été sollicité pour présider ce groupe en raison de ses travaux sur les questions liées à l’environnement et, plus précisément, étant spécialiste des problèmes climatiques, pour son rapport sur « Kyoto et les enjeux économiques de l’effet de serre » présenté au conseil d’analyse économique.

Trois réunions plénières ont eu lieu depuis le mois de juillet. Ce mardi 11 octobre, les groupes 3 et 6 se sont réunis afin de réfléchir ensemble à la question des déchets. A ce jour, huit programmes – il devrait y en avoir dix au total - ont été préparés par les différents rapporteurs : sur la publicité responsable – compatible avec le développement durable -, l’information sur les produits écologiques, les indicateurs de développement durable, le développement des éco-technologies et la promotion des éco-entreprises, la réduction des impacts économiques et environnementaux de la production des déchets, les transports, la promotion d’une économie de fonctionnalité – c’est-à-dire la vente d’un service pendant toute la durée de vie du produit, plutôt que la simple vente d’un produit à un instant t ; raisonnement qui peut s’appliquer par exemple aux pneumatiques– et, enfin, sur la formation et la recherche. Une fiche transversale sur la fiscalité sera par ailleurs bientôt disponible, après une réunion commune avec le groupe de travail numéro 1 ; seront notamment abordés la question de l’affectation des ressources, des redevances aux frontières, l’éventuelle substitution d’une fiscalité « carbone » à une fiscalité « travail »…

Le groupe du travail est actuellement au milieu du gué et les propositions envisagées ne sont pour l’instant pas définitives.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur les différentes pistes fiscales pouvant être envisagées. Qu’en est-il en outre des questions liées aux transports et au recours aux énergies renouvelables, notamment à la biomasse ?

M. Roger Guesnerie a répondu que ces thèmes relevaient essentiellement de la politique énergétique, laquelle n’est pas directement concernée par les travaux de son groupe.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a demandé si une réflexion avait été déjà engagée sur la définition de la notion même de modes de développement écologique et sur les domaines dans lesquels ceux-ci seront appliqués. Qu’en est-il, par exemple, des modalités de la démarche Haute Qualité Environnementale (HQE) en matière de construction ? S’agit-il d’un mode de développement écologique, qui doit être décliné de la formation de l’apprenti à l’élaboration des plans locaux d’urbanisme, qui pour l’instant ne l’imposent pas ?

M. Roger Guesnerie a répondu que la question de l’habitat faisait partie du mandat du groupe 1, que la définition des modes de développement durables n’avait pas été abordée directement par le groupe mais que selon lui, il était difficile d’élaborer une définition unique de ces modes de développement, les questions qui se posent par exemple en matière de changement climatique ou de préservation de la biodiversité étant singulières.

M. Philippe Plisson a considéré quant à lui que le seul véritable mode de développement écologique consistait à remettre en cause la sacro-sainte croissance comme outil de développement. Le groupe 6 formulera-t-il par exemple des propositions en ce qui concerne les emballages, dont l’inflation actuelle s’apparente à un véritable gaspillage ?

M. Bernard Lesterlin s’est demandé si la question de la fiscalité écologique relevait du seul groupe 6 ou de son association avec le groupe1. Existe-t-il en outre d’autres pistes de financement des projets écologiques ?

M. André Chassaigne a déclaré mesurer la difficulté de la tâche incombant à ce groupe 6, son champ d’action étant « schizophrénique » : comment promouvoir à la fois l’écologie, la compétitivité et l’emploi ? Ses travaux permettront-ils de mettre en évidence ces contradictions ? Qu’en est-il de la place de l’argent dans nos sociétés ? Se contentera-t-on de propositions parcellaires ou de véritables priorités seront-elles définies, notamment s’agissant de la mise en œuvre des différents projets ?

M. Serge Poignant s’est refusé à séparer développement écologique, compétitivité et promotion de l’emploi. Il suffit de considérer, par exemple, la place des nouvelles technologies en matière d’énergies renouvelables. Des gisements d’emplois existent, l’essentiel étant de mieux les repérer.

M.Philippe Boënnec a rappelé combien l’écologie et la compétitivité devaient être pensées dans l’optique de la mondialisation ; il importe de tenir compte de l’attitude des pays émergents ou en voie de développement. En outre, quelles peuvent être précisément, à long terme, les conséquences positives ou négatives de la politique écologique sur l’emploi ?

En ce qui concerne la question des emballages, M. Roger Guesnerie a répondu qu’une discussion s’était engagée sur le développement de la tarification incitative des services de traitement des déchets. Il a ainsi été envisagé que leur coût soit évalué en fonction de leur poids et non plus en fonction de la taille des habitations. Une discussion a également eu lieu sur la « contribution emballage » au titre du Point Vert, contribution amont, et sur le développement et la rationalisation de l’inclusion du coût du traitement des déchets dans le prix des produits et services.

Le groupe 6 réfléchit plus spécifiquement sur la fiscalité et la valorisation du développement durable. Des propositions seront faites, même s’il sera sans doute difficile de parvenir à un consensus.

Loin d’être contre-productive sur le plan de la compétitivité, l’écologie permet de créer des emplois, pour certains non délocalisables, notamment dans le secteur du bâtiment et de la construction pour l’élaboration, par exemple, de bâtiments à énergie positive. En outre, la France étant le premier investisseur dans les nouvelles technologies écologiques, il est crucial de maintenir cet effort afin que les autres pays en soient tributaires. C’est en tout cas un pari qui mérite d’être fait.

Contrairement à la biodiversité, dont les enjeux sont locaux et localisés, la lutte contre l’effet de serre doit être planétaire, le véritable enjeu étant d’entraîner les pays émergents ou en voie de développement dans ce combat. La France ou même l’Europe seules ne peuvent rien. De surcroît, si la France instaure, seule, un système de taxes ou de quotas, le coût des produits augmentera et la compétitivité en sera grevée, par exemple pour le secteur de l’acier. Comment procéder ? Sera-t-il possible de parvenir à des accords sectoriels entre différents pays? Une taxe d’ajustement aux frontières, intéressante mais qui ne fait pas l’unanimité, est-elle envisageable ? Cette taxe devrait en tout état de cause être vue dans une perspective diplomatique : est-ce le meilleur moyen d’obtenir un accord international pour l’après-Kyoto ?

Le président Christian Jacob a insisté sur l’importance, pour la France, d’être en effet aux avant-postes et donc de ne pas pénaliser les entreprises. Le Grenelle de l’environnement, alors que la France s’apprête à présider l’Union européenne, permettra aussi d’examiner les conditions de ce leadership, essentiel dans le cadre des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En outre, il ne faut pas faire de grands discours aux Africains quand la croissance de l’Europe et des Etats-Unis s’est accompagnée de nombreuses atteintes à l’environnement.

M. Roger Guesnerie a rappelé la responsabilité des pays industrialisés dans la situation actuelle et considéré qu’il importait de mettre en place un accord gagnant-gagnant avec les pays émergents, tout en se montrant exemplaire et sans entraver la compétitivité. S’il faut évidemment encourager la production des éco-produits, comment se comporter néanmoins à l’endroit de pays comme la Chine ou l’Inde, qui n’ont pas les mêmes préoccupations ? L’encouragement de produits vertueux peut constituer une barrière non tarifaire. Comment, finalement, concilier le respect des règles de l’OMC et de l’environnement ?

Le président Christian Jacob a souhaité que les comptes rendus des travaux du groupe 6 soient transmis à la Délégation.

M. Roger Guesnerie a répondu qu’il n’y voyait personnellement aucune objection de principe et qu’il ferait part de cette demande au cabinet du Ministre d’Etat.

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Audition de M. Jean-Robert Pitte, président de l’université Paris-Sorbonne et co-président du groupe « Adopter des modes de production et de consommation durables » du Grenelle de l’environnement

(Séance du 18 septembre 2007)

Après avoir remercié M. Jean-Robert Pitte d’avoir accepté l’invitation de la Délégation, le président Christian Jacob a rappelé que celle-ci avait souhaité auditionner les six présidents des groupes de travail mis en place dans le cadre du Grenelle de l’environnement en étroite collaboration avec la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et son président, M. Patrick Ollier.

Il a ensuite demandé à M. Jean-Robert Pitte de présenter les travaux du groupe de travail n°4 du Grenelle de l’environnement intitulé  « Adopter des modes de production et de consommation durables », tout en faisant part le cas échéant de ses propres points de vue.

M. Jean-Robert Pitte a estimé que les travaux de son groupe de travail devaient être mis rapidement à la disposition du plus grand nombre, le site internet dédié au Grenelle de l’environnement n’étant qu’une première étape. Même si les cinquante personnes environ qui composent ce groupe n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble - alors que leurs préoccupations ne sont pas aussi contradictoires que l’on pourrait le penser de prime abord, fût-ce entre un représentant de la FNSEA et celui de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) - tous se sont montrés à l’écoute les uns des autres. Il était urgent qu’une telle rencontre entre politiques, hauts fonctionnaires et responsables d’associations puisse avoir lieu.

Il y a eu jusqu’ici trois réunions, une quatrième étant prévue lundi prochain. Beaucoup de travail a été accompli depuis deux mois et demi, notamment par le rapporteur, M. Pascal Berteaud, directeur de l’eau au ministère de l’écologie. Le rapport final sera assez consensuel, les thèses défendues n’étant pas apparemment aussi inconciliables que celles défendues par exemple par les partisans de l’agriculture biologique, d’une part, et par les tenants des organismes génétiquement modifiés (OGM), d’autre part. Un accord global sera trouvé sur des objectifs précis et des dates de réalisation. Le chiffrage des différentes préconisations sera quant à lui réalisé par le ministère de l’écologie.

La philosophie d’ensemble des travaux repose sur le constat que l’environnement est d’autant plus au cœur de l’agriculture - et inversement – que les attentes de la société sont fortes en ce qui concerne l’agronomie biologique et la qualité alimentaire.

M. Jean-Robert Pitte a considéré qu’il avait moins été choisi pour présider ce groupe en tant que président de l’université Paris-Sorbonne que comme géographe qui, depuis longtemps, plaide pour une « alimentation géographique », c’est-à-dire, culturellement conforme au terroir d’où elle est issue. Contrairement aux années soixante, idéologiquement marquées par les questions liées à la production, il importe aujourd’hui de penser d’abord en termes de consommation. En héritier du grand géographe Roger Dion, il a estimé qu’un consommateur éduqué conditionne la qualité de la production, ce qui constitue d’ailleurs une idée féconde pour l’agriculture et la gestion de l’environnement. L’école a donc un grand rôle à jouer dans l’éducation des jeunes consommateurs en particulier.

Les conclusions du groupe peuvent être réparties en cinq grandes familles.

Il s’agit tout d’abord d’encourager et de valoriser les attentes environnementales des consommateurs. Cela sera concrétisé par la mise en place, dès 2009, d’une certification environnementale des produits en différentes catégories, à l’instar de ce qui existe en matière énergétique  : 10% d’entre eux devront alors être certifiés « à haute valeur environnementale » (HVE). Dès 2008, il conviendra d’intégrer des prescriptions environnementales dans les produits labellisés, dont les AOC – cette dernière qualification, parfois, ne correspondant pas toujours à des produits de qualité. Dans la restauration collective, des informations sur la provenance des produits devront être affichées. D’ici à 2012, 20% des produits servis dans la restauration collective publique ou privée devront être à HVE ; il conviendra également de promouvoir des circuits courts de distribution – à la fois en termes de distance et de nombre d’intermédiaires.

Il s’agit, ensuite, de promouvoir des actions renforcées dans le domaine de l’eau, avec la protection, d’ici à 2012, des aires d’alimentation des 500 captages les plus menacés ; il conviendra également de préserver les sols agricoles et la biodiversité en repensant l’urbanisation.

Il s’agit, de surcroît, de réduire les intrants et l’uniformisation biologique : interdiction, d’ici à 2009, des pesticides les plus dangereux; résorption, en dix ans, de tous les cas de dépassement des normes relatives à l’eau potable et à l’eutrophisation en réduisant la pollution par les nitrates et le phosphore ; suppression des déséquilibres chroniques en matière de ressource en eau d’ici à 2015 ; renforcement de la diversité écologique dans les exploitations ; lancement d’une politique nationale pour la réhabilitation et la préservation des sols agricoles. Ces contraintes, qui doivent être mises en place dans un premier temps, peuvent paraître pesantes mais elles se révèleront à terme positives pour l’agriculteur et le consommateur. Il convient notamment de réfléchir au coût que représente aujourd’hui l’agriculture industrialisée pour la société et la planète.

Il s’agit, également, de généraliser les productions respectueuses de l’environnement par une adaptation aux climats : atteindre 6% de la surface agricole utile (SAU) en « bio » d’ici à 2010 et 20% en 2020, cette surface n’atteignant aujourd’hui que 2% et des produits de l’agriculture biologique étant importés, ce qui est une absurdité ; rendre 30% des exploitations autonomes en énergie d’ici à 2013 ; mise en place de démarches environnementales à l’échelle de chaque filière, depuis les semences jusqu’à l’industrie agro-alimentaire, le transport et la distribution ; développement d’une politique durable de la pêche ; développement des agro-carburants durables si cela se révèle pertinent ; développement d’ici à 2010 de la sélection génétique vers des objectifs de développement durable ; adaptation aux changements climatiques, même s’il convient, en la matière, d’éviter tout catastrophisme, le principe de précaution ne consistant pas à affoler les populations. Si le réchauffement climatique est bien réel, les moyens de s’y adapter ne le sont pas moins. Dans un autre domaine, l’amélioration de l’état de la couche d’ozone montre qu’il n’est pas vain d’agir.

Il s’agit, enfin, d’orienter la recherche et la formation vers les mode de productions à HVE, ce que le ministère de la recherche est décidé à faire en intervenant auprès de l’Agence nationale pour la recherche ou du CNRS.

Après avoir remercié M. Jean-Robert Pitte pour la clarté de son intervention sur des sujets complexes, le président Christian Jacob s’est interrogé sur les modalités effectives de réduction des pesticides : il semble certes possible d’agir vite mais à condition de trouver des solutions alternatives. Quelles peuvent être ces alternatives ? Le recours à des organismes génétiquement modifiés peut-il permettre notamment de réduire l’utilisation des intrants ? Par ailleurs, d’une façon générale, le raisonnement en terme de filière entière, allant de la production jusqu’au conditionnement, constitue assurément la bonne approche.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, a demandé si le groupe de travail s’était penché dans le détail de l’organisation des filières susceptibles d’offrir des produits de haute qualité environnementales, et notamment celle de l’agriculture biologique.

Comment le groupe de travail a-t-il abordé par ailleurs la question des forêts, dont le rôle est essentiel pour absorber le CO2 ? Quelles sont les pistes pouvant être envisagées ?

Après avoir souligné l’intérêt d’avoir réuni des personnalités différentes au sein du groupe de travail, Mme Geneviève Gaillard, a marqué son accord avec un certain nombre d’analyses, notamment sur le caractère culturel de l’alimentation, laquelle ne doit pas être toujours pensée sous l’angle de la production. Néanmoins, les consommateurs, faute d’un pouvoir d’achat suffisant, n’ont souvent pas le choix et ne consomment pas nécessairement des produits de qualité. En outre, rien ne figurant parmi les cinq points soulignés sur les modes de production de l’habitat ou de l’énergie - alors que le grand défi environnemental est celui du changement climatique - la perspective adoptée n’est-elle pas par trop réductrice? Les biens de consommation dépassent en effet la seule question de l’alimentation. Qu’en sera-t-il, par ailleurs, des aides aux entreprises ? Enfin, comment la distribution, plus globalement, sera-t-elle organisée ?

M. Philippe Tourtelier s’est dit lui aussi intéressé par les propos qui ont été tenus et s’est félicité du consensus qui semble se dessiner quant aux objectifs. Tout cela ne semble pas impliquer d’engagements concrets. Quid des moyens à mettre en œuvre ? Les conséquences économiques de l’ensemble des propositions ont-elles été approfondies, notamment s’agissant de leur coût ? Qui paiera, notamment pour les propositions faites concernant la restauration collective ?

M. André Chassaigne, après avoir déclaré qu’il partageait ces interrogations, s’est demandé s’il était possible, afin de répondre aux attentes environnementales des consommateurs, de faire peser des contraintes sur les produits d’importation, compte tenu des règles de l’OMC. S’il a en outre été question de circuits courts, il importe également de disposer de moyens de pression efficaces sur la grande distribution. De surcroît, s’il faut réduire les intrants, la redevance prévue dans la loi sur l’eau ne suffira pas : il importe avant tout d’encourager de nouvelles techniques culturales.

Concernant la recherche, enfin, des organismes tels que l’INRA ou l’IFREMER travaillent à l’amélioration de la HVE mais ils doivent d’abord disposer de fonds conséquents.

Mme Martine Lignières-Cassou a demandé à M. Jean-Robert Pitte quelle était sa définition de l’agriculture biologique et raisonnée. La hausse des prix des céréales risque-t-elle par ailleurs de menacer la filière biologique ? Comment accompagner les agriculteurs dans le changement de leurs pratiques ? Qu’en est-il par ailleurs des changements de cultures que les modifications climatiques risquent d’induire dans certaines régions ? Enfin, d’autres utilisations des produits agricoles, notamment dans le cadre de la «chimie verte » ou du remplacement des plastiques, ont-elles été envisagées ?

M. Michel Raison a déclaré que les AOC correspondaient dans leur très grande majorité à des produits de qualité et que les doutes pesant sur quelques produits ne devaient pas remettre en cause le sérieux de l’ensemble du dispositif. N’y a-t-il en revanche aucun doute quant à la qualité des produits de l’agriculture biologique, où l’on risque de retrouver de l’ergot du blé ou des micotoxines? Il a en outre rappelé que la dimension quantitative est essentielle sur le plan alimentaire, compte tenu de l’accroissement de la population mondiale et de la réduction des surfaces agricoles utiles constatée ces dernières années, et émis des doutes sur l’opportunité de réserver en 2020 20% de ces surfaces à l’agriculture biologique.

M. Jean-Robert Pitte a considéré que la réduction des pesticides impliquait en effet de repenser la sélection variétale, ce qui soulevait par ailleurs la question du recours aux OGM. Lorsque le mildiou attaque la vigne, il est actuellement difficile de se passer de pesticides.

Le rapport du groupe de travail présentera des indications précises, action par action, avec un calendrier : enjeux et contexte, détails de l’objectif, encouragement et valorisation des attentes, mesures proposées, esquisses du contenu et de la classification, moyens de mise en œuvre et financement, modifications législatives et réglementaires, modifications des cahiers des charges, etc.

En ce qui concerne les filières et la labellisation biologique, il importe avant tout de simplifier un étiquetage complexe. Les appellations d’origine contrôlée, compte tenu de leur nature, doivent garder en revanche leur diversité car les consommateurs sont très attachés à la précision de la provenance du produit. Même si un accent particulier doit être porté sur l’éducation des consommateurs, il importe également de faire confiance à ces derniers, qui savent fort bien se déterminer quant aux rapports qualité-prix : les plus modestes d’entre eux peuvent aussi acheter d’excellents produits sur des marchés ou directement chez le producteur.

L’accompagnement des agriculteurs passe quant à lui par l’enseignement agricole.

Il est exact, et c’est une faiblesse, que le groupe n’a pas réfléchi aux questions liées au logement ou au tourisme. Que penser, par exemple, de la promotion de destinations touristiques à l’autre bout du monde, impliquant un usage massif de carburant, alors qu’il est évidemment possible de passer des vacances tout aussi réussies en France pour un prix modique ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, a souligné que, maire d’une ville de 80 000 habitants, il avait constaté que l’utilisation de produits issus de l’agriculture biologique dans les 12 000 repas servis chaque jour dans les cantines de sa ville entraînerait un surcoût de 15% à 20%. Existe-t-il d’autres perspectives en la matière ?

M. Jean-Robert Pitte a rappelé que la production biologique ne représentait que 2% de la superficie agricole française totale et que l’offre était donc limitée, donc plus chère.

M. Michel Raison a souligné que, en dépit de ce constat, les coûts de production étaient de toute façon plus élevés.

M. Jean-Robert Pitte a indiqué que si l’on devait encourager la production à haute valeur environnementale, il était tout aussi possible de décourager la production à basse valeur environnementale. Il a précisé que son groupe ferait par ailleurs des propositions sur les bois et forêts.

En ce qui concerne les importations, le groupe de travail a évoqué la question de la réforme de la PAC dans le contexte de la mondialisation. La présidence française de l’Union européenne devrait également permettre de faire passer un certain nombre de messages sur les circuits agro-alimentaires.

Les définitions de l’agriculture biologique et raisonnée n’ont pas été approfondies. A titre personnel, il s’est déclaré favorable au « bio soft » et a rappelé que, en dépit de toutes les critiques formulées en matière d’environnement, l’espérance de vie a augmenté et que les conditions d’existence se sont améliorées. Même ceux qui aujourd’hui vivent en deçà du seuil de pauvreté ne connaissent plus les disettes qu’ont connues des générations pas si lointaines.

Compte tenu de ce que sont les comportements humains, M. Philippe Plisson a considéré qu’il était préférable de majorer les risques environnementaux à venir plutôt que de les minorer. L’usage du terme « réversible » doit être utilisé avec la plus haute précaution, si l’on ne veut pas permettre tous les excès.

M. Jean-Robert Pitte a répondu qu’il s’agissait avant tout de responsabiliser l’ensemble des acteurs de manière à ce qu’ils connaissent les conséquences de leurs choix : il importe d’être juste, sans majorer ni minorer les risques et sans dramatisation inutile. L’Inde est aujourd’hui la quatrième puissance du monde alors qu’il y a quelques décennies seulement, ses habitants ne mangeaient pas à leur faim. S’il est évidemment toujours possible de progresser sur le plan environnemental, il est aussi bon de rappeler que l’humanité vit mieux avec sept milliards d’habitants que lorsqu’elle n’en comptait que trois milliards.

M. Philippe Plisson a souligné que les achats publics représentant 10% du PIB, des critères de développement durable devraient en la matière être obligatoires, ce que M. Jean-Robert Pitte a approuvé.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a rappelé le problème que constitue le dépassement des taux de phosphore dans certaines stations d’épuration. En outre, serait-il envisageable d’utiliser la forêt pour limiter l’épandage des effluents d’élevage sur les terres agricoles ?

M. Jean-Robert Pitte a souligné que si la question du phosphore faisait déjà l’objet d’une note, le groupe réfléchissait encore, s’agissant des effluents, sur des solutions alternatives à l’épandage.

M. Philippe Böennec a craint que l’on en reste, avec cet inventaire à la Prévert, au stade des bonnes intentions, ce que M. Jean-Robert Pitte a contesté.

Si M. Philippe Böennec a marqué son accord sur les différentes têtes de chapitre, il a souligné que le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) qu’il a initié dans sa circonscription et qui a été voté à l’unanimité, document prévu normalement pour une durée de dix ans, durera en fait plus de cinquante ans. Si tout le monde souhaite des normes strictes pour bénéficier d’une eau de qualité, il ne manquera pas d’y avoir des répercussions fortes sur la fiscalité. Il convient donc d’avoir en tête les capacités contributives avant de se lancer dans de nouvelles mesures.

De la même manière, le Grenelle de l’environnement ne doit pas favoriser la sur-réglementation alors que l’on frôle déjà l’asphyxie.

Enfin, si tout le monde est censé pouvoir faire du tourisme de proximité, le tourisme littoral n’est à ce jour pas accessible pour tous, bien au contraire.

M. Jean Proriol a demandé si l’objectif consistant à rendre autonome 30% des exploitations agricoles concernait bien l’énergie et quels pouvaient être les moyens pour l’atteindre.

M. Jean-Robert Pitte a répondu qu’il s’agissait bien d’autonomie énergétique et évoqué plusieurs solutions avancées par des fiches du groupe de travail : aide au développement des bio-gaz, aide à la pose de panneaux solaires, financement de kit bi-carburation, mesures fiscales, encouragement du petit éolien d’appoint.

M. Jean Proriol a considéré qu’il s’agissait-là de bons objectifs.

En ce qui concerne la certification, la forêt n’est pas facile à traiter. Une loi permet déjà de faire de l’écocertification des bois. Elle ne semble cependant pas avoir remporté un grand succès, dans la mesure où l’on ne coupe pas assez de bois venant de nos forêts.

M. Jean-Robert-Pitte a répondu que le représentant de la forêt privée au sein du groupe de travail, qui fait partie du syndicat de la propriétaire forestière, était très optimiste s’agissant du développement de l’écocertification dans son secteur.

La France rencontre un grand problème, car la forêt repousse spontanément sur des terres souvent en pente, et dont personne ne s’occupe. C’est une forêt presque impénétrable, où les champignons ne poussent même pas. Des efforts ont été consentis, mais, si la forêt départementale, communale ou domaniale d’État est bien exploitée, ce n’est pas le cas de la forêt privée, qui est morcelée.

M. Jean Proriol  en a conclu qu’il faudrait réformer tous les programmes de formation des agriculteurs ou des ingénieurs agronomes.

M. Jean-Robert Pitte a souligné que, pour avoir rencontré, notamment, des agents de l’INRA, il s’était aperçu qu’ils étaient très en avance s’agissant des différentes problématiques, y compris économiques.

M. Jean-Charles Taugourdeau a espéré que le Grenelle de l’environnement rendrait intelligente l’application de la loi. Mme Marie-Christine Blandin s’était interrogée précédemment sur les raisons qui faisaient que les textes sur l’environnement étaient souvent mal appliqués ou inappliqués. Or c’est sans doute parce que pendant longtemps il n’y a pas eu de loi et que, quand il y en a eu, elles ont été très dures, avec des décrets d’application très rigides. D’où un certain découragement voire une certaine hostilité de la part des acteurs, industriels ou agriculteurs.

Les groupes de travail devraient d’abord réfléchir à un toilettage, du moins à la bonne application des textes existants, afin qu’on puisse repartir du bon pied.

M. Jean-Robert Pitte lui a répondu que, plutôt que d’interdire, on pouvait aussi encourager et inciter.

M. Jean-Charles Taugourdeau a ajouté que, selon lui, le terme d’OGM avait été mal choisi : on ne sait pas s’il s’agit d’animaux ou de végétaux ; on ne sait pas dans quel sens ils sont modifiés. Il a estimé préférable l’utilisation de l’expression « plantes génétiquement améliorées ».

M. Jean-Robert Pitte lui a fait remarquer que cette expression était loin de faire consensus.

M. Jean-Charles Taugourdeau a répondu que l’utilisation du terme « améliorées » permettrait d’éliminer celles qui ne vont pas dans le sens d’une amélioration, notamment de l’environnement.

Le président Christian Jacob est revenu sur la notion d’énergie en soulignant qu’il ne suffisait pas d’augmenter le recours aux énergies renouvelables mais qu’il fallait aussi réduire la consommation d’énergie. Par exemple, on arrive aujourd’hui à diminuer de 30 à 40% le nombre d’heures d’utilisation des tracteurs ou des machines pour une même récolte. On peut même ne plus labourer.

Il a également fait remarquer que l’appellation « biologique » renvoyait à un terme générique, qui avait pu faire l’objet parfois d’une utilisation mal à propos.

M. Jean-Robert Pitte a admis que le « bio » n’était peut-être pas forcément si bon que cela et qu’il convenait de se demander s’il ne faisait pas courir certains risques : protoxines, insectes porteurs de maladies, maladies fongiques.

C’est un point auquel il faut réfléchir et qui fait partie du travail des chercheurs de l’INRA et de certains laboratoires. Le « bio » ne doit pas être une religion, il doit apporter des améliorations et ne pas se traduire par un doublement ou un triplement des prix.

Le président Christian Jacob a remercié M. Jean-Robert Pitte pour sa présentation et lui a indiqué que la Délégation était très intéressée par les documents émanant de son groupe de travail qu’il pourrait lui faire parvenir.

M. Jean-Robert Pitte lui a répondu qu’il lui ferait parvenir le rapport final dès la fin de la semaine prochaine, afin que les parlementaires puissent apporter leur contribution au débat.

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Audition de M. Dominique Maraninchi, président du conseil d’administration de l’Institut national du cancer et président du groupe de travail « Instaurer un environnement respectueux de la santé » du Grenelle de l’environnement, et de M. Alain Grimfeld, chef de service à l’hôpital Trousseau de Paris et vice-président du groupe de travail.

(Séance du 18 septembre 2007)

Après avoir rappelé l’intitulé du groupe de travail n° 3 du Grenelle de l’environnement, « Instaurer un environnement respectueux de la santé », M. Christian Jacob, Président, a demandé à M. Alain Grimfeld, dans l’attente du professeur Maraninchi, retenu par d’autres obligations, de présenter les pistes de réflexion envisagées par le groupe de travail dont il est le vice-président ainsi que le cas échéant ses convictions personnelles.

M. Alain Grimfeld a d’abord souligné que l’intitulé même du groupe de travail cernait bien la problématique à traiter, et ce d’autant plus qu’il ne s’agissait pas, pour chaque groupe, d’aborder tous les problèmes liés à l’environnement. Reste que l’exercice est difficile et que les débats ont eu tendance au sein du groupe de travail à se focaliser sur les solutions à trouver avant même d’inventorier les impacts effectifs de l’environnement sur la santé. Or mesurer l’impact sur la santé des problèmes environnementaux est un défi.

La capacité d’adaptation au « milieu-environnement » est une caractéristique essentielle de l’espèce humaine mais d’autres espèces s’adaptent beaucoup plus rapidement, comme les bactéries ou les insectes. L’espèce humaine s’adapte, certes, mais de façon très lente et très progressive.

À partir du big bang, nous sommes tous partis d’une cellule et cette adaptation n’a été possible que parce qu’elle s’est faite dans un milieu d’emblée harmonieux par rapport à toutes les espèces vivantes de la planète. Or nous produisons maintenant des substances qui ne sont pas issues de cette cellule ; ainsi l’harmonie est-elle brisée, notamment depuis les grands progrès technologiques du XIXe siècle. On ne peut plus désormais se dire que, de toute façon, l’être humain s’est toujours adapté.

De surcroît, l’homme vit aujourd’hui dans des milieux environnementaux essentiellement urbains et ce regroupement dans de grandes agglomérations conduit à une concentration accrue d’effets éventuellement nocifs de troubles de l’environnement.

Il faut tenir compte de tout cela pour envisager la prévention, d’une part, et les mesures de précaution, d’autre part, indispensables à la limitation des impacts de l’environnement sur la santé. Actuellement, cinq grands objectifs ont été retenus par le groupe n° 3.

Le premier consiste à réduire fortement et globalement les polluants des différents milieux- air, eau et sols - bien identifiés pour leurs effets nocifs sur la santé par une démarche active de prévention. Il s’agit d’éliminer les impacts prouvés sur la santé et bien documentés.

Dans les milieux aériens, il faut d’abord identifier les indicateurs d’émissions avec leurs conséquences sur la santé, en distinguant air extérieur et air intérieur.

S’agissant de l’air extérieur, les indicateurs qu’on retient actuellement sont surtout les oxydes d’azote et, plus particulièrement, les particules fines et l’ozone. Auparavant, on s’intéressait plutôt au dioxyde de soufre et au plomb, dont la concentration dans l’air a été diminuée de façon drastique, grâce notamment à la reformulation des carburants fossiles, avec des effets bénéfiques pour la santé. La pollution au plomb ne concernait en effet pas que les conduites d’eau mais affectait aussi l’air, ce qui expliquait la présence de plomb dans des végétaux et notamment des vignes.

La réduction des polluants atmosphériques reste donc un objectif majeur. Si l’on se réfère aux textes européens, notamment à la dernière directive, on s’aperçoit que les niveaux relevés en France sont insatisfaisants. Celle-ci devra réduire ses taux de particules fines dans l’air, quelle qu’en soit l’origine (circulation automobile ou industrie), à moins de 15 microgrammes par mètre cube en moyenne horaire ou sur 8 heures. Sur un plan pratique, il paraît nécessaire, dans le cadre du plan national « santé et environnement 2 », de mettre au point un plan « santé et transports ».

L’air intérieur, quant à lui, a souvent été oublié. Il faut reconnaître que sur un plan pratique, il est difficile d’être intrusif vis-à-vis des citoyens et qu’il en va différemment quand toute la collectivité est concernée. Les textes concernant la pollution intérieure devront donc faire beaucoup plus appel à la citoyenneté et à l’effort individuel que ceux concernant la pollution extérieure. Reste que l’air intérieur n’est pas seulement l’air domestique. C’est aussi les milieux intérieurs fréquentés, de façon concentrée, par des populations entières : les transports en commun, les gares ou les aéroports. D’où le souhait d’une information systématique, voire d’une certaine contrainte, s’agissant de la qualité de cet air intérieur dans des espaces fréquentés par des groupes humains.

Il convient de mener des actions de prévention concernant ces produits polluants. On a évoqué l’étiquetage environnemental et sanitaire des matériaux de construction pour les produits d’aménagement. Par exemple, les formaldéides, présents, notamment, dans les colles utilisées pour les meubles en aggloméré, sont très nocifs pour la santé respiratoire. Mais il y a bien d’autres produits aussi nocifs dans l’air extérieur ou intérieur, qui devraient être très strictement réglementés.

Toujours dans l’air, il faut parler des ondes sonores. On commence à mesurer les impacts du bruit sur la santé au plan physique et au plan comportemental. Des efforts sont faits pour les populations vivant aux abords des aéroports et des autoroutes. C’est un problème dont il conviendra de se préoccuper fortement.

Par ailleurs, la potabilité de l’eau intéresse la France, au même titre qu’elle intéresse les pays émergents. L’eau est un produit précieux sur la planète, sans lequel il n’y aurait pas de vie. Aujourd’hui, en raison notamment de son gaspillage, l’eau nous est fournie à des prix de plus en plus élevés. L’eau potable est bonne à boire, en termes de goût, mais aussi de contenu et d’absence de polluants. Les risques liés à l’eau provenant de sols pollués sont difficiles à quantifier ; au moins 400 000 sites potentiellement pollués ont été identifiés.

Le groupe n° 3 souhaite le renforcement des moyens dévolus, notamment par l’État, à la réhabilitation des sites pollués orphelins, en accroissant la réhabilitation complète par rapport au simple confinement, ainsi que le renforcement du principe pollueur-payeur, au travers du mécanisme de garantie financière et d’autres mécanismes. Deux cas méritent une attention particulières : les stations service fermées et les sédiments qui, dans le cadre d’une approche par bassin, doivent faire l’objet d’une réglementation claire.

Les stations-services fermées sont très nombreuses dans les communes de taille moyenne. Elles devraient faire l’objet d’un plan global de réhabilitation à préciser. Des crèches, des écoles sont construites sur d’anciens sites pollués comme ceux-ci sans qu’ils aient été correctement nettoyés !

La politique de prévention en matière de polluants des sols devra s’accompagner d’une politique de développement de contrôles ciblés en matière de polluants alimentaires, à partir de la connaissance des risques identifiés localement. Par exemple, si la réglementation relative aux produits de l’agriculture biologique est essentielle, elle ne concerne pas les sols.

S’agissant de tous les milieux, nous allons être confrontés à la réduction des pollutions chimiques, et il faudra faire porter en priorité les efforts sur le développement et la mise en œuvre de substitutions et de technologies propres. La maîtrise des risques doit porter d’abord sur les substances CMR (cancérogènes et/ou mutagènes et/ou toxiques pour la reproduction), les métaux lourds et les perturbateurs endocriniens.

Le principe pollueur-payeur doit être renforcé. En particulier, il faut que la responsabilité environnementale couvre l’ensemble des pollutions, y compris celles faisant l’objet d’une autorisation. Le délai de prescription pour pollution devrait être supprimé ou allongé. Enfin, le contrôle des installations ponctuelles doit être également renforcé.

Pour agir sur la santé, les substances les plus préoccupantes dans les produits phytosanitaires devront être interdites d’ici deux ou trois ans. Un objectif de réduction de moitié devrait être fixé dans le PRPP pour 47 substances et étendu à d’autres substances supplémentaires qui seront catégorisées à l’intérieur du groupe. Certains, en vertu du principe de précaution, souhaiteraient même aller plus loin en étendant ce régime à des produits potentiellement toxiques.

L’objectif de réduction de moitié de l’ensemble des quantités phytosanitaires utilisées, notamment grâce au développement de l’agriculture biologique et à l’évolution des politiques agricoles, permettrait de réduire l’exposition à des substances présentant des risques pour la santé ou mal connues à l’heure actuelle.

Parmi l’usage des substances phytosanitaires, on a différencié l’usage industriel, dans l’agriculture intensive notamment, de l’usage domestique. S’agissant de ce dernier, il semble que la précaution doive s’instituer au même titre que la prévention. Il n’y a pas d’obligation à utiliser des produits potentiellement toxiques pour l’usage domestique et il serait bon de leur interdire. Mais ce n’est pour l’instant qu’un souhait.

L’impact des médicaments sur la santé au travers de l’environnement est un sujet de préoccupation croissante. Cela concerne non seulement non seulement l’utilisation des médicaments à usage humain, mais aussi l’utilisation des médicaments à usage vétérinaire. Aujourd’hui, nous ne disposons pas de nouvelles classes d’antibiotiques et nous nous contentons d’améliorer les nouvelles classes déjà existantes à chaque fois qu’est observée une extension des résistances à ces antibiotiques. Cette problématique retentira très rapidement sur l’espèce humaine. Se pose aussi la question de la pollution environnementale par les médicaments. Il n’est pas question d’interdire certains médicaments, utilisés notamment pour le traitement de cancers, mais d’évaluer l’extension de cette pollution de l’environnement par les médicaments (utilisés dans les hôpitaux, mais aussi dans le cadre de l’hospitalisation à domicile).

Le deuxième objectif du groupe est de développer les connaissances et favoriser l’investissement dans une démarche d’expertise, de veille et de vigilance, pour des substances dont les effets sur la santé sont mal connus, tout en accompagnant l’innovation. En l’occurrence, tout n’a pas été prouvé. Il s’agit de préserver la santé humaine dans le cadre du progrès, face à l’apparition de nouvelles substances. C’est la problématique majeure en matière de santé et d’environnement.

Lorsque tout est prouvé, on est dans une démarche de prévention. C’est alors aux politiques d’intervenir et de décider, même si ce n’est pas aussi simple que cela. Mais, lorsque ce n’est pas le cas, que les progrès vont très vite, il s’agit d’accompagner l’innovation, lorsque sont produites de nouvelles substances, sans que l’on sache si ces progrès seront bénéfiques pour la santé. Il convient donc de mettre au point des programmes de surveillance des impacts de ces progrès. Ce n’est pas une démarche d’inhibition, mais au contraire une démarche de précaution, d’action et d’encouragement de la recherche et de l’innovation.

Cela joue pour les nouvelles substances chimiques et tous les produits en général, y compris dans le cadre de l’accompagnement du règlement Reach (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) qui doit s’appliquer de manière incontournable en France. Le problème est que nous ne voulons pas, en termes d’impact sanitaire, accompagner la mise en place de ce règlement en étant les derniers à émettre des avis. Cela suppose la mise en place de programmes transversaux qui paraîtraient essentiels en termes de recherche, d’observation et de surveillance.

Il en est de même des nanomatériaux, qui sont des particules produites intentionnellement dans le cadre de certaines technologies et pour lesquels les investissements se comptent en milliards de dollars et suivent une courbe exponentielle. Néanmoins, on ne sait pas quel sera leur impact sur la santé. Pour autant, il ne s’agit pas d’interrompre leur développement. Ce serait absurde, dans la mesure où les nanomédicaments auront probablement des effets très bénéfiques sur la santé. Cependant, on ne saurait abandonner la surveillance de leur développement et de leur impact. Là encore, il s’agira d’accompagner l’innovation, ce qui suppose des textes.

Pour ce qui est enfin des risques naturels et technologiques et des risques électromagnétiques, le comité de prévention et de précaution s’est emparé depuis un an de retours d’expérience concernant les catastrophes.

Dans l’état actuel des choses, on dispose de tous les organismes susceptibles d’apprécier ce qui suit les catastrophes, soit naturelles, soit industrielles. Tout est en place. Le problème est que lorsqu’on analyse des situations dans ce pays, personne ne se parle. En réalité, quand a lieu une catastrophe, on peut connaître les responsabilités et mettre au point des indemnisations. Au bout d’un certain temps, arrivent les spécialistes des différents domaines, notamment en matière de santé, pour expliquer ce qui s’est passé et prévoir ce qu’on pourrait améliorer si la situation se reproduisait. Il convient donc de mettre en cohérence et en collaboration les institutions, qui sont par ailleurs remarquablement présentes.

Concernant les risques électromagnétiques, il faudrait renforcer la réglementation en vigueur. On relève en effet des contradictions entre le risque perçu et le risque effectivement subi. Le Canard Enchaîné a récemment signalé une augmentation de 20 % des tumeurs cérébrales du fait d’un usage excessif des téléphones mobiles ! Mais tout cela n’est pas prouvé. Il est donc indispensable de renforcer l’observation objective et la recherche.

M. Dominique Maraninchi a souligné qu’il fallait travailler sur tous les facteurs en même temps, ce qui suppose un certain courage et un changement d’attitude. Les risques sont multiples. Il faut les diminuer globalement.

Par ailleurs, dans certaines situations inacceptables, lorsqu’on sait ce qu’il faut faire, il n’y a pas de raison de les laisser perdurer : pourquoi continuer à absorber des substances cancérigènes ? C’est une affaire de prévention.

Toutefois, on ne sait pas toujours ce qu’il faut faire. A cet égard la France ne doit pas toujours être en retard d’une guerre en matière de précaution. Pourquoi faire un plan canicule après une canicule ? Il faut accepter un système de veille, afin d’appréhender les situations et d’agir.

Encore une fois, il faut changer d’attitude en prenant des mesures transversales, à commencer par des mesures d’observation. Certains mesurent l’air extérieur, d’autres l’air intérieur, d’autres encore mesurent l’eau ou les polluants. C’est un peu la cacophonie, et le public ne croit plus à la réalité des observations.

Le groupe de travail prône donc un système d’observation complet, multisources, en temps réel, dynamique et géographique, car l’air pollué provenant de la cheminée d’une usine, par exemple, peut avoir un impact à cent kilomètres. L’observation doit être renforcée sur les indicateurs, qui doivent être accessibles à tous les citoyens et transmis de façon simple et dynamique : il ne sert à rien de dire qu’aujourd’hui l’air est propre si, le lendemain, ce n’est plus le cas. Et ce n’est pas si simple.

Cette observation ne doit pas être dogmatique et venir d’en haut. Il faut accepter le signalement citoyen venant du terrain. Il faut repérer les signaux faibles et être capable d’entendre les signalements effectués par les collectivités. Et ces signalements ne signifient pas forcément une crise ou une catastrophe. Il faut donc essayer des les intégrer et de les comprendre.

Il convient de mener une démarche globale portant sur l’ensemble des facteurs. En effet, sur le plan sanitaire, l’air peut être bon, mais pas l’eau. Une observation complète, plus transparente, permettra de dédramatiser le sujet et de respecter le rôle des collectivités et des associations dans leur fonction de veille, de signalement et de report de signaux faibles. Ce qui perturbe la santé dans les phénomènes environnementaux, c’est bien sûr la dose, mais c’est aussi la durée : beaucoup de petites émissions peuvent être significativement nocives. Il faut changer d’état d’esprit. Le groupe fera certaines propositions permettant de prendre en compte l’observation citoyenne et l’observation des collectivités, s’agissant notamment des signaux faibles, qui peuvent être prémonitoires d’un vrai problème sanitaire.

Si le système de soins est excellent en France, le système d’observation des phénomènes sanitaires et de prévention ne l’est pas. Des controverses ont lieu en ce moment à propos de l’incidence de l’environnement sur l’apparition des cancers. Certains disent qu’il n’y contribue pas, mais c’est parce qu’il faut quinze ans pour avoir un cancer. Les données françaises recueillies en France en 1998 en milieu agricole ne permettent donc pas de se prononcer en 2008 sur l’effet éventuel de la pollution. Elles ne peuvent pas nous aider dans une gestion prévisionnelle des risques et nous servir pour apprécier les risques d’apparition de cancer chez nos enfants.

La gestion prévisionnelle des risques doit porter sur des petits signaux. Sinon, on laisse passer les problèmes liés à l’amiante ou au sida. Et l’on doit se baser sur quinze ans pour voir ce qui s’est passé au cours de cette période. Le groupe recommandera donc d’adopter une autre attitude, d’intégrer une autre culture, plus anglo-saxonne.

Il existe un modèle mondial, le Center for Disease Control (CDC), aux États-Unis, pays qui a une culture de la veille et du signalement. Ce centre a découvert deux grandes maladies : le sida et la légionellose. Dans le premier cas, on s’est aperçu d’une surconsommation de médicaments à Mannathan de la part de la population homosexuelle et on a enquêté ; dans le second, on a observé de nombreux cas de pneumonie chez des légionnaires et découvert que le problème avait un lien avec la climatisation.

Il faut adopter un système de vigilance, avec la prise en considération d’indicateurs multiples, aller vérifier et abandonner tout dogmatisme. Comme en matière d’environnement, il est indispensable d’accepter le signalement venant de la base en matière sanitaire. Les médecins et les hôpitaux peuvent signaler ce qui semble anormal et il est impératif de prendre leurs remarques en considération, tout comme il faut tenir compte de l’observation citoyenne. L’institut de veille sanitaire n’a pas la même ampleur que le CDC. Il est inutile de polémiquer à partir du point de vue des experts. Il n’a pas à être pour ou contre ; ce qui compte, ce sont les données fiables, qui manquent en France.

L’observation est la clé de la prévision du futur et d’une vraie politique de prévention. Si l’on observe l’environnement et la santé, il sera possible de faire des recoupements, en dehors même des situations de crise. C’est un changement profond d’attitude pour aller vers une gestion prévisionnelle des risques.

Quand on sait, on fait. Quand on ne sait pas, on cherche. Le futur est conditionné par un environnement sain. Tous les métiers, et, plus généralement, tous les citoyens seront concernés par l’environnement, dans le cadre d’un développement durable. Il faut donc investir dans la recherche publique, avec les outils qui ont été mis au point par les parlementaires, à savoir la loi sur la recherche et la loi sur les universités. On peut mobiliser de manière interdisciplinaire la recherche publique dans les sciences de l’environnement, notamment en « environnement et santé ». Si on n’investit pas, il n’y aura pas de retour sur investissement.

L’affichage d’une grande action est crucial, pour attirer les meilleurs dans chaque discipline. C’est dans les universités que se fait la transmission du savoir. La culture de l’environnement doit aussi être présente chez tous les étudiants, qui feront la vie de demain.

La recherche doit être excellente ou ne pas être. La communauté scientifique doit disposer de tous les instruments de recherche (réseaux thématiques de recherche avancée, réseaux thématiques de recherche et de soins) et faire des appels d’offre pour que les meilleurs groupes se rassemblent afin de dynamiser la recherche fondamentale française et trouver, par exemple, des alternatives aux phytosanitaires actuels. C’est un choix, qu’on peut faire ou ne pas faire.

Par ailleurs, la recherche doit être programmée, c’est-à-dire sur programme. Si nous voulons classer les substances polluantes pour l’environnement dans le cadre de la directive Reach, ou bien nous nous contentons des définitions qu’auront faites les Anglais ou les Suédois en toxicologie, définitions que nous déplorerons de ne pas comprendre ou de ne pas pouvoir appliquer, ou bien nous faisons nous-mêmes une recherche programmée et nous agissons de façon conquérante. Cela touchera le monde universitaire et académique, mais aussi d’autres acteurs. En la matière, l’effort de recherche doit être clair et considérable. Beaucoup de personnes peuvent intervenir, y compris celles qui font de la recherche médicale. Les universités, les CHU doivent avoir des programmes de recherche en santé-environnement. Il ne s’agit pas seulement de rechercher des polluants, mais d’améliorer le bien-être par une dynamique intégrée de santé.

Les outils existent, il faut afficher une politique et un mode d’emploi qui soient très progressifs.

La suite des mesures transversales est facile à décliner.

Il s’agit d’abord de formation : on doit transmettre les connaissances dès le plus jeune âge jusque dans les formations post-doctorantes. C’est un investissement à faire. La formation professionnelle est également capitale, y compris dans les petites entreprises. Les agriculteurs ont besoin de formation sur les alternatives aux phytosanitaires. Tous les acteurs de la formation sont donc concernés.

En ce qui concerne les populations à viser, il est clair que la prévention doit toucher tout le monde mais il convient de commencer par les plus fragiles et ceux qui portent l’avenir, à savoir les enfants, car ces derniers auront un environnement radicalement différent de celui que nous connaissons. Il est de notre devoir de les protéger dans leurs lieux de vie, de travail et de faire en sorte qu’ils rencontrent le moins de produits toxiques possible. Cela dynamisera aussi l’ensemble de la population.

La deuxième population cible doit être celle qui est actuellement confrontée à des risques strictement inacceptables. Par exemple, en France, 6 000 personnes ont aujourd’hui un cancer lié à leur travail ! Il y a donc une dynamique de mesure à mettre en œuvre autour d’une hiérarchisation de priorités et des efforts à faire en termes de démocratie, d’information ou de transmission de connaissances.

Le président Christian Jacob a remercié les intervenants pour la qualité de leur propos et a demandé au professeur Marininchi si nos outils actuels étaient adaptés à ces enjeux.

En France, il existe de nombreuses agences, qu’il s’agisse des risques environnementaux, des risques de santé ou d’alimentation. Dans chaque domaine, des spécialistes revendiquent leur légitimité. Cela correspond-il bien au constat fait dans l’exposé liminaire ?

Il a également interrogé M. Grimfeld sur l’agriculture biologique en soulignant qu’il fallait distinguer la sécurité sanitaire et les techniques culturales comme le « bio ». On a tout autant de risques d’attraper les mêmes maladies avec les produits de l’agriculture biologique qu’avec les autres. On peut ainsi parler des risques liés au germe sur le lait si on n’utilise pas d’antiseptiques, des œufs souillés, etc.

M. André Chassaigne a félicité lui aussi les intervenants pour leurs exposés passionnants, que tout le monde était à même de comprendre.

En ce qui concerne le principe de précaution, énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement et à la rédaction duquel le Parlement a contribué, en mettant l’accent notamment sur le caractère gradué des mesures, il est évident que ce principe ne peut, en aucun cas, signifier qu’il faut tout arrêter. Il implique qu’on doit avancer et chercher. Cela étant, à quel moment, à qui, sur quels critères doit-on alerter, pour mettre en œuvre ce principe de précaution. Il semble qu’il manque quelque chose dans l’article 5 de la charte pour pouvoir l’appliquer.

Il est regrettable de ne jamais pouvoir parvenir à des échanges raisonnables et construits. Lors des travaux de la mission d’information sur les OGM sous la précédente législature, la quasi-totalité des scientifiques ont affirmé que, pour la recherche, l’expérimentation en plein champ reste une étape incontournable, qui doit bien entendu être réalisée avec des protocoles très stricts. Quiconque a le malheur de le dire se fait aujourd’hui quasiment cracher dessus !

Le problème des incinérateurs se pose de la même manière. Ceux qui ne refusent pas un incinérateur sont considérés comme des assassins et reçoivent des lettres d’insultes ! Ne pourrait-il pas y avoir, au moins sur le plan national, un comité scientifique qui étudie les problèmes avec objectivité ? Cela éviterait aux responsables politiques d’être assaillis par ceux qui disent qu’il n’y a aucun risque et par ceux qui estiment au contraire qu’ils sont énormes. Certes, il faut intégrer les citoyens et les associations et ne pas s’en remettre uniquement aux scientifiques, mais les élus ne peuvent aujourd’hui même plus prendre de décisions objectives et cela devient terrible.

Ayant vécu les mêmes expériences au sujet des OGM ou des incinérateurs, M. Philippe Tourtelier a approuvé les propos de M. Chassaigne et estimé que ces comportements relevaient davantage de la croyance.

Le fait que les grandes agglomérations favorisent la concentration des effets nocifs ne signifie pas que tout est mieux dans les campagnes, car les pollutions peuvent s’y avérer tout aussi dangereuses que dans les villes. On se demande parfois, d’ailleurs, avec la « rurbanisation » des villes, si l’on est en ville ou à la campagne.

S’agissant des signaux faibles, les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle très intéressant d’observation.

M. Philippe Plisson a rappelé que les produits « bio » ne contenaient pas de produits chimiques résiduels, ce qui constitue déjà un grand progrès. Aujourd’hui, la population ne croit plus en rien, tellement les décideurs et les scientifiques ont été achetés par des lobbies. Il faut rétablir la confiance et ce sera très compliqué.

Les critères de construction HQE concernent le plus souvent la performance énergétique. Il faudrait davantage prendre en compte la santé et le confort de vie, développer les diagnostics « santé » sur tous les lieux publics, notamment dans les écoles, et adopter des règles plus contraignantes sur l’utilisation des produits chimiques.

M. Philippe Boënnec a relevé qu’en France, il existait un cloisonnement très net entre les différentes compétences et connaissances et qu’il était très difficile de mettre en place un partage des savoirs. Lorsqu’on cherche des solutions, on ne se rend pas compte que les savoirs sont là et que c’est plutôt un problème d’organisation qui se pose.

En tant qu’élu du littoral, il a été concerné par la catastrophe de l’Erika. Il a essayé de mobiliser l’université de Nantes, qui dispose de grandes compétences en la matière. Ce fut impossible, alors qu’on était à 50 kilomètres du littoral. Ne faudrait-il pas revoir la gouvernance entre les savoirs et les actions ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager a formulé la même observation. A la suite des lois de décentralisation, les départements ont acquis des compétences en matière de protection maternelle et infantile (PMI). Or, on se rend compte qu’aujourd’hui un enfant est suivi par la PMI et par son médecin de famille sans qu’aucun ne se parle. Avant de faire des grandes messes, il serait bon de partir simplement du terrain et de travailler avec les collectivités territoriales.

M. Dominique Marininchi a confirmé que les différents médecins ne communiquaient pas entre eux leurs informations. Cela est d’ailleurs interdit par la loi. On peut trouver des solutions, à condition de faire des études et de la recherche. Mais pourquoi se priver des PMI ou des données recueillies dans les hôpitaux pour faire des observations en matière de santé ? On peut bien sûr rendre anonymes ces données, mais il n’est pas possible de les relier entre elles. Il faut donc lever les cloisons, au niveau sanitaire comme au niveau scientifique.

Il est bon que certains cherchent et produisent des connaissances. Il faut les laisser travailler et faire en sorte qu’ils soient indépendants, sous réserve qu’ils soient excellents. Il est facile de les repérer, car il existe une évaluation au niveau mondial. L’évaluation mondiale de nos universités et de nos formations de recherche devrait être la règle.

Dans le domaine de la recherche et des études, on peut avoir besoin de quelqu’un pour prendre des mesures et réaliser des tests. Ce n’est pas le domaine des chercheurs qui produisent les connaissances mais qui pourraient néanmoins conseiller, sur la méthode, des opérateurs qui s’en chargeraient. Ces opérateurs de la recherche pourraient être des fonctionnaires, ou des non fonctionnaires, pour autant qu’ils respectent le cahier des charges du programme. L’avantage serait de faire participer davantage de monde à la production de connaissances pratiques, sans que les personnes concernées aient le statut d’universitaires ou de chercheurs, et de décloisonner l’université et la société.

Les élus ont besoin d’expertise et ils ne la trouvent pas. Il leur faut accumuler le maximum de connaissances sur les facteurs de risque. Néanmoins il n’y a pas une personne ou un groupe de personnes qui soit capable de dire que telle chose est bien ou ne l’est pas car on est pleine gestion prévisionnelle des risques. Dans ce domaine, il faut pouvoir pondérer les avantages et les inconvénients pour la santé et l’environnement, et sortir du catastrophisme et du nihilisme. Un effort en matière de recherche, ainsi qu’un effort en matière d’études, qui associerait davantage de personnes, devraient favoriser l’émergence d’une nouvelle objectivité. On va ainsi pouvoir s’inscrire dans une stratégie d’investissement continu. Même si la commande d’une étude n’est pas suffisante à elle seule pour pouvoir régler tous les problèmes se posant lors de la prise de décisions, nous avons besoin d’une observation publique rigoureuse, à partir de laquelle les scientifiques vont pouvoir travailler et répondre aux questions qui se posent.

M. Alain Grimfeld a répondu à la question relative à l’application du principe de précaution, en indiquant que la mise en place d’un système d’observation permettra de disposer d’une masse critique de personnes, du citoyen au scientifique de haut niveau, lesquels pourront affirmer que, en fonction des données économiques et sociétales du moment, ils disposent ou non d’un niveau de preuve suffisant pour affirmer qu’il existe un risque, une probabilité suffisante d’un danger suffisamment grave et coûteux pour investir dans la précaution. On pourrait alors décider de mettre en application ce principe de précaution, par des mesures, et non par l’inhibition, en s’appuyant sur cette implication à tous les niveaux.

Le président Christian Jacob a demandé si les agences étaient des outils bien adaptés à une telle démarche.

M. Dominique Maraninchi a estimé que si, à chaque fois que l’on rencontrait un problème, on voulait le traiter par le biais d’une agence, le cloisonnement risquerait de s’aggraver. Il faut avoir du courage et faire en sorte que les agences travaillent ensemble.

Le site du CDC américain traite aussi bien du contrôle des maladies que d’environnement, du cancer ou des maladies respiratoires de l’enfant. Le rôle du CDC, qui travaille sous l’autorité du Congrès, est de faire en sorte de faire travailler les agences ensemble afin d’assurer un système de contrôle efficace des maladies. Il intègre d’ailleurs des informations citoyennes venant du fin fond du Nebraska, où l’on est capable d’observer et de signaler. Sans comparer le système français et le système américain, il faut bien reconnaître que cela correspond à un certain état d’esprit. Pour autant, il est normal qu’il y ait des agences, dans la mesure où elles éclairent un sujet dans sa globalité.

On devrait concentrer les collecteurs de données et les observateurs. Quand on pense que ce ne sont pas les mêmes personnes qui collectent l’air intérieur et l’air extérieur ! Il faut pouvoir consolider ces données. Une observation concentrée et puissante sous le contrôle de l’État, faisant davantage participer les collectivités et la société à travers diverses associations, permettrait déjà de faire baisser la pression, à condition toutefois, et c’est ce que le groupe préconise, de mettre en place des gros piliers d’observation et de recherche (par exemple, en décidant que l’agence nationale pour la recherche lance un programme santé-environnement sur une période suffisamment longue) et de financer les études dont la société peut avoir besoin, en recourant par exemple à des doctorants ou à des post-doctorants.

M. Alain Grimfeld est revenu sur l’opposition ville-campagne.

En effet, à chaque fois qu’il y a une concentration de risques, la probabilité de survenue d’une affection est plus grande. Pour autant, il existe d’autres risques dans d’autres endroits que les concentrations urbaines et il n’est absolument pas question d’abandonner les territoires extra-urbains. L’observation doit porter sur la ville comme sur la campagne.

M. Dominique Maraninchi a ajouté que la campagne pouvait recevoir l’air pollué de la ville, tout comme elle pouvait générer elle-même certaines pollutions.

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Audition de Mme Nicole Notat, président de Vigeo et du groupe de travail « Construire une démocratie écologique » du Grenelle de l’environnement.

(Séance du 25 septembre 2007)

Le président Christian Jacob a remercié Mme Nicole Notat d’avoir répondu à l’invitation de la Délégation, en sa qualité de présidente du groupe de travail numéro 5 du Grenelle de l’environnement dont le thème est : « Construire une démocratie écologique. Institutions et gouvernance ». La Délégation a souhaité l’entendre sur les idées exprimées par le groupe de travail qu’elle préside, ainsi que sur ses positions personnelles par rapport aux sujets traités.

Mme Nicole Notat a indiqué d’emblée que le groupe numéro 5 n’était jamais intervenu sur le contenu des politiques, mais qu’il s’était attaché à réfléchir aux conditions de la qualité et de l’efficacité de la prise de décisions publiques, comme de décisions privées. Les sujets abordés, très complexes, nécessitent une impulsion qui ne peut venir uniquement des pouvoirs publics. Les entreprises sont elles aussi concernées par les questions liées à l’écologie et à l’environnement. Plus généralement, il semble nécessaire d’emporter le consensus le plus large possible en raison des controverses et des sensibilités que de tels sujets provoquent parmi l’opinion.

Le groupe a adopté une vision de l’environnement et de l’écologie intégrée dans le cadre du développement. En effet, il n’est pas possible de traiter de la dimension environnementale du développement durable sans prendre en charge en même temps la dimension économique et la dimension sociale.

Les collèges convoqués au Grenelle de l’environnement ont manifesté un grand enthousiasme. De nombreuses propositions ont été avancées. Le groupe a fait preuve d’un esprit contributif remarqué, voire remarquable, au point que les positions qui sont ressorties l’ont été de façon quasi unanime, à quelques exceptions près relevées dans le rapport.

Les participants se sont efforcés de réfléchir à ce qui pourrait apparaître comme lisible et significatif en termes de propositions relevant du Grenelle. Quatre grands axes structurants ont été adoptés.

Le premier est celui de la reconnaissance des partenaires environnementaux, c’est-à-dire des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales, comme acteurs à part entière de la société civile, avec tout ce que cela implique comme critères fondant leur légitimité et leur représentativité. Il s’en est suivi toute une série de propositions.

Il a été ainsi considéré qu’il convenait d’identifier les lieux dans lesquels ces acteurs devaient entrer pour qu’y soient accueillis leurs avis et leurs contributions. Le Conseil économique et social (CES) est apparu comme le lieu le plus symbolique de cette reconnaissance des partenaires environnementaux. Le groupe ne s’est pas limité à redéfinir sa composition ; il a abordé la réforme en profondeur du CES, saisissant ainsi l’occasion d’en repréciser le rôle.

Le deuxième axe est relatif à la stratégie nationale de développement durable.

Celle-ci est élaborée aujourd’hui avec l’aide du conseil national du développement durable pour le compte du gouvernement. Il a été estimé que cette stratégie devait être validée par le Parlement et associer les organes propres à recueillir l’avis de la société civile et des collectivités territoriales.

À ce stade, le groupe s’est interrogé sur la place des collectivités territoriales, même si elles sont représentées au conseil national du développement durable. Dès lors que le Parlement devenait la structure centrale de l’élaboration et de la validation de cette stratégie, l’idée a été de créer une conférence des élus, représentant les trois types de collectivités territoriales, étant en quelque sorte le pendant du CES pour les acteurs de la société civile. Cette conférence constituerait l’instance où les collectivités territoriales pourraient s’exprimer en amont ou en aval, s’il s’avérait nécessaire de les associer au Parlement ou à l’État pour des raisons de coordination, ou pour la mise en œuvre de certaines décisions.

Le troisième axe structurant a trait aux conditions d’élaboration de la décision publique, que cela concerne l’Etat ou les collectivités territoriales.

Les acteurs ont rappelé avec force la nécessité de la transparence, de la concertation, de la participation, de l’accès au plus grand nombre à l’information et à l’expertise pluraliste. Pour ce faire, il faut construire de nouveaux mécanismes et définir les conditions organisées du débat public ; la commission nationale du débat public possède maintenant un savoir-faire en la matière. Par ailleurs, ils ont beaucoup insisté sur la nécessité que ce qui relève déjà de l’ordre législatif ou réglementaire soit appliqué. Il ne faut pas faire l’impasse sur cette question de l’application des dispositifs existants.

Dès que le rapport sera publié, chacun pourra y trouver une série de propositions susceptibles d’améliorer les conditions de transparence, l’accès à l’information et à l’expertise. Une proposition phare consiste à créer une Haute autorité, qui serait chargée de réguler les tensions et les conflits avant les recours en justice, qui sont nombreux.

Les commissions parlementaires mériteraient d’être redessinées ou renommées en fonction de ce sujet de l’environnement et du développement durable. Le groupe a débattu des différentes options, soit des commissions, soit des délégations, laissant aux spécialistes le soin de savoir s’il valait mieux s’orienter vers les unes ou vers les autres.

Le dernier axe concerne la gouvernance d’entreprise.

Les propositions les plus structurantes visent à intégrer l’environnement et le développement durable en tant qu’opportunités stratégiques et moteurs de développement de production pour les entreprises, en dehors d’une vision de contraintes et de charges nouvelles. Cela suppose l’implication des dirigeants, la responsabilisation des conseils d’administration ou des instances de direction, l’instauration d’un dialogue ouvert avec les parties prenantes, l’élargissement des missions des institutions représentatives du personnel, notamment pour que ces thématiques de l’environnement et de l’expertise environnementale trouvent leur place, un renouvellement des thèmes de la négociation collective de branche et d’entreprise, en fonction bien sûr de la taille de l’entreprise. Pour les PME, on a évoqué l’idée d’un label d’entreprise qui refléterait de manière simple et lisible le degré de maturité et d’engagement sur les questions environnementales et donnerait accès à certains avantages à définir.

Tels sont ces quatre axes structurants, en sachant que, derrière chacun d’eux, se profilent des mesures qui constituent de véritables programmes d’action impliquant, soit une application immédiate et rapide, soit une nouvelle orientation. Certains secteurs sont particulièrement concernés par les questions environnementales, tels la grande distribution, l’agriculture, l’énergie ou la chimie.

Les participants au groupe ont beaucoup insisté sur deux thèmes transversaux à l’ensemble de ces programmes : la formation, tant initiale que continue, aux problématiques de l’environnement et du développement durable ; le développement de la recherche tant publique que privée sur certaines questions liées à ces thématiques, qui sont encore insuffisamment explorées pour qu’on puisse s’en faire une idée.

L’action d’un pays sur l’environnement et le développement durable est aujourd’hui très encadrée et conditionnée par le dispositif européen. Notre pays, notamment dans la perspective de la présidence française, devrait se saisir de ce thème pour le porter au plus haut et au plus fort au niveau européen. Enfin, l’Europe pourrait se distinguer, au niveau mondial, dans la promotion d’un mode de développement intégrant ces nouvelles réalités de production et de consommation liées au développement durable.

A été réaffirmée aussi l’idée d’une organisation de l’environnement au niveau des Nations Unies. Il faudrait se saisir de toutes les occasions pour faire avancer, par exemple à l’organisation mondiale du commerce (OMC), ces questions de la thématique du développement durable dans les échanges internationaux et commerciaux.

Le président Christian Jacob a demandé si le groupe de travail avait avancé des critères de légitimité pour les ONG.

A propos de la notion de normes, ne risque-t-on pas de se retrouver avec un débat de pays riches, aboutissant à la définition de normes fermant l’accès aux marchés aux pays en voie de développement ou aux pays moins développés que les nôtres ? Le groupe a-t-il avancé sur cette question ? A-t-il auditionné des personnalités dans ce cadre ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, s’est félicité des propos de Mme Notat sur la reconnaissance des partenaires environnementaux. Toutefois, comment faire le tri entre une multitude d’associations, dont certaines sont pauvres en nombre d’adhérents ? Le suffrage universel assoit la légitimité des parlementaires. Qu’en est-il pour les ONG ? Quels mécanismes permettront de donner une légitimité à telle association plutôt qu’à telle autre ?

Il a demandé par ailleurs si le Gouvernement avait fourni un état de la législation sur les différents points en discussion. En effet, des députés présents dans les groupes de travail du Grenelle ont indiqué que les questions posées concernaient très souvent des sujets déjà réglés par la loi.

M. François Brottes, en tant que membre d’un groupe de travail, a dit son étonnement : on ignore ou on feint d’ignorer l’existence d’exigences liées à la prise à compte de la réglementation communautaire, exigences qui s’appliquent à l’activité économique et sociale de notre pays.

En matière de gouvernance, il y aurait sûrement des propositions à faire pour favoriser le dialogue au sein-même de la Commission européenne. L’Europe définit des objectifs en matière de lutte contre les effets de serre, mais, par ailleurs, tel ou tel commissaire, dans tel ou tel secteur, en fait totalement fi pour privilégier la concurrence ! Peut-être en lien avec les autres parlementaires européens, serait-il utile de faire des propositions pour que soit porté un autre regard sur les sujets qui nous préoccupent ici et que l’on ne se contente pas de la stricte application du traité de Rome, qui n’intégrait pas les contraintes environnementales.

M. Michel Raison a relevé que ce groupe avait une importance fondamentale parce que les décisions qui seront prises sur cette thématique de la gouvernance retentiront sur le fonctionnement même de la société. Pour construire une démocratie écologique, il faudra développer l’expertise, donc savoir qui écouter ; il faudra également savoir qui exerce le pouvoir et qui décide. Ce peut-être le Parlement, mais ce peut être aussi une collectivité territoriale. Or il existe, partout dans le pays, des associations qui se créent à l’occasion de projets de carrières, de centres d’enfouissement, de porcheries, de routes, etc. Elles interviennent avec loyauté et sans arrière-pensées, mais peuvent provoquer des blocages, d’où un danger de remise en cause de ceux qui représentent vraiment le peuple dans la commune, le conseil général, le conseil régional, voire de la représentation nationale.

M. Philippe Duron s’est montré très intéressé par ce qui a été dit sur le débat public. Peut-on aujourd’hui élargir ce débat public en permettant aux maîtres d’ouvrage que sont les régions, les départements, les agglomérations, d’installer un débat public et d’avoir recours à un tiers garant qui assurerait une plus grande autonomie et une certaine transparence ?

Par ailleurs, le groupe envisage-t-il de formuler des propositions concernant l’éducation à l’environnement ? Comment faire en sorte que les salariés s’approprient les questions environnementales dans l’entreprise ?

Enfin, les collectivités territoriales exercent un certain nombre de compétences depuis les lois de décentralisation. Certaines responsabilités sont partagées et mériteraient d’être revisitées. En France, dans le domaine de la gestion intégrée des zones côtières, très importante au moment où l’on parle de réchauffement climatique, ce sont surtout les départements, les agglomérations et les structures porteuses des schémas de cohérence territoriale (SCOT) qui se sont appropriés ces compétences. Dans la plupart des pays européens, ce sont les régions qui gèrent cette question. Ne faudrait-il pas s’interroger sur la pertinence des compétences en matière environnementale entre l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales ?

Mme Nicole Notat a précisé, à propos de la question sur les critères de reconnaissance des ONG environnementales, que personne n’avait considéré qu’il suffirait de s’autoproclamer pour être reconnu.

Selon ce rapport, « la prise en compte du pilier environnemental dans le développement durable nécessite donc d’établir une nouvelle base de reconnaissance de la représentativité comme cela a été fait dans d’autres domaines, sur la base de critères de légitimité, de compétence et de transparence ». Cette notion de transparence impose de savoir comment est financée l’organisation ou comment ses positions sont élaborées en interne.

Les critères qui ont été cités, et qu’aurait défendus le ministère de l’économie et des finances lorsqu’il s’est penché sur cette question dans le passé, sont les suivants : l’indépendance, la capacité de mobilisation (nombre d’adhérents), la transparence de la gestion financière, l’absence de droits d’usage sur les intérêts défendus, l’activité effective, l’expérience reconnue ou non, le respect des valeurs républicaines, de la liberté d’association, le fonctionnement démocratique de l’organisation et la capacité d’animer un débat environnemental avec le citoyen.

Cela permet d’apprécier l’éventail de la palette des critères susceptibles d’être retenus pour reconnaître les ONG. Mais le groupe, dont ce n’était pas le mandat, ne s’est pas employé à faire ce travail opérationnel. Par ailleurs, toujours selon le rapport du groupe, « le statut devra préciser les droits, devoirs, moyens de ses acteurs ».

Est-ce que les politiques de développement durable et la gouvernance qui y est associée sont une affaire de pays riches ? Les pays en voie de développement ne risquent-ils pas d’y voir un certain protectionnisme de la part des pays développés ? Le sujet n’a pas été abordé par le groupe en tant que tel. Pour autant, il est intéressant d’observer que le comportement de nombreuses entreprises qui n’hésitent pas à appliquer également ces normes plus strictes dans d’autres continents que celui où elles y sont soumises.

Deux députées du Parlement européen, Mme Grossetête et Mme Lienemann, ont participé aux travaux du groupe, lequel a, par ailleurs, auditionné les représentants de la direction générale de l’environnement de la Commission européenne. Cela a permis de percevoir combien la gouvernance européenne sur ces questions était plus avancée que la gouvernance française.

En fait, sur ces questions, le Parlement a déjà la responsabilité de la validation des politiques environnementales et de développement durable. Des mécanismes de travail existent à l’intérieur du Parlement européen, une distinction étant faite entre ce qui doit être traité au fond et ce qui doit être traité pour avis. Par ailleurs, l’organisation des ONG et des entreprises, ainsi que celles de toutes les parties prenantes à un lobbying très puissant auprès du Parlement et de la Commission leur permettent d’être vite au fait des controverses et des sujets en débat, et de se forger une idée. Pour autant, il est clair il n’y aura jamais d’expertise indépendante et complète susceptible d’imposer la décision publique comme une évidence. In fine, il y aura toujours un choix politique à faire.

S’agissant des directives environnementales, l’avis du Comité économique et social européen est systématiquement requis, ainsi que celui du Comité des régions. C’est d’ailleurs ce qui a donné au groupe l’idée de la création de la conférence des élus.

Jusqu’où pourra-t-on s’appuyer sur une expertise convaincante, controversée ou pas ? Le groupe en a amplement débattu et l’accord est intervenu sur le fait qu’il ne fallait pas rêver à une expertise indépendante, et que la meilleure manière d’approcher l’indépendance était d’avoir recours à une pluralité d’expertises organisées, institutionnalisées. Cela méritait d’être construit autour des organismes déjà producteurs d’expertises ou à travers cette haute autorité de régulation de l’expertise et des conflits que l’on avait proposée et qu’un autre groupe du Grenelle propose lui aussi. Celle-ci pourrait, entre plusieurs expertises, trouver le dénominateur commun sur lequel s’appuyer, présenter les points de controverse ; aux décideurs publics de s’en saisir éventuellement.

Dans le débat public, qui a le pouvoir in fine ? Il n’y a pas eu de dérapage dans le groupe s’agissant de la démocratie représentative. Dès lors que l’on organise du débat public ou de la concertation avec divers acteurs où que ce soit, notamment là où un projet significatif peut donner lieu à controverses, on doit éviter d’oublier qui prendra la décision en fin de compte. Le débat public et la concertation sont organisés pour diffuser la connaissance, pour exposer les avantages et les inconvénients de telle ou telle politique, et susciter la confiance et l’adhésion autant que faire se peut. Le groupe a évoqué la question des référendums locaux. Il a été clairement dit qu’ils n’étaient pas conçus comme la fin d’un processus mais comme un élément du processus de décision.

L’idée de faire appel aux techniques et au savoir-faire de la commission sur le débat public par d’autres acteurs que l’État a également été évoquée. Ce type d’expertise pourrait être utile aux collectivités territoriales.

Les questions d’éducation pourraient faire l’objet d’un engagement, de la part des partenaires, à se saisir du sujet. Par exemple, on pourrait donner une feuille de route au ministère de l’éducation et à tous ceux qui s’occupent de formation initiale (agriculture notamment) en leur demandant de présenter des propositions sur la manière dont ils feraient entrer les nouvelles thématiques environnementales et de développement durable dans des programmes d’éducation ou dans le cadre de l’orientation (nouvelles filières professionnelles). La démarche pourrait être la même avec les partenaires sociaux ou les professionnels autour de la gestion de la formation professionnelle. Chaque profession s’engagerait à dire comment elle se propose de faire progresser l’information et la formation.

S’agissant de la décentralisation, les élus et les représentants des collectivités locales qui étaient dans le groupe ont beaucoup insisté sur une clarification des compétences, en particulier entre l’État et les collectivités elles-mêmes. Le groupe a repris cette demande forte, sans en décrire les modalités opératoires.

Mme Martine Lignières-Cassou a demandé à Mme Notat si la réflexion que le groupe avait menée sur la gouvernance à l’échelon central avait été suivie d’une même réflexion à l’échelon décentralisé.

M. Philippe Plisson a remarqué que tout le monde était conscient de la nécessité de la démocratie participative. Mais qui en sera le garant ? Comment l’organiser ? Au niveau national, ce pourrait être le CES, mais, au niveau de la petite collectivité locale, quels règlements peuvent garantir le respect de la démocratie participative et dans quel cadre ? Les élus ne doivent pas devenir les otages des associations. À l’inverse, les élus ne doivent pas bafouer les associations. Cela paraît très difficile lorsque l’on se place à l’échelon du territoire.

Par ailleurs, à quel niveau la représentation nationale, mais aussi les collectivités locales qui appliqueront les préconisations du groupe, seront-elles associées à ces débats et à vos conclusions ?

M. Antoine Herth a évoqué la reconnaissance des ONG et suggéré la voie consulaire. En Alsace, les associations de consommateurs se sont regroupées en chambres de consommation. Ainsi, les décideurs de la préfecture ou des collectivités disposent d’une interface unique lorsqu’ils doivent traiter des questions de consommation. Cette piste a-t-elle été évoquée ?

S’agissant de la gouvernance d’entreprise, il a demandé si le sujet du commerce équitable avait été abordé. Il constitue en effet un modèle en matière de traçabilité des comportements liés au développement durable.

M. Jean-Louis Léonard est revenu sur la possibilité de créer un label, qui permettrait d’indiquer le niveau de maturité écologique des entreprises. Les entreprises peuvent avoir un certain nombre de labels : labels économiques, de qualité, qui sont normalisés. Que ce soit au cours de l’élaboration de leurs produits ou par leurs comportements, elles répondent à des normes. De quel label s’agirait-il ici ? S’il s’agit d’indiquer que l’entreprise respecte les normes et les lois, a-t-on besoin d’un label ?

Mme Nicole Notat a répondu, concernant les politiques liées aux territoires et les collectivités territoriales, que le groupe avait retenu, à l’appui d’un chapitre intitulé « Des projets de territoires durables », quatorze propositions ayant vocation, sinon à être opérationnelles, du moins à indiquer des pistes d’action.

Parmi celles-ci, figurent : la demande d’une loi sur la gouvernance territoriale clarifiant les compétences en matière de développement durable ; le développement des agendas 21, comme étant l’un des supports possibles de cette impulsion et de cette clarification, ou de tout autre dispositif permettant une approche cohérente et globale ; l’utilisation de ces dispositifs comme instruments de contractualisation, plus pertinents et plus probants, peut-être, que les contrats de plans. Est mentionnée aussi l’idée que chaque collectivité territoriale puisse, en fonction de sa nature et de sa taille, présenter en début et en fin de mandat un plan et un bilan évaluant les actions écologiques et environnementales menées sur son territoire. De même, l’idée de développer des indicateurs, tels l’achat éco-responsable, est avancée. Le recours au thème de l’environnement en tant qu’élément favorisant le lien social avec une approche intégrée du développement durable, tenant compte des impacts économiques et sociaux, est mis en avant.

Autres propositions : la demande de définition précise des compétences environnementales pouvant être exercées en commun en application de l’article 72 alinéa 5 de la Constitution ; l’idée que, partout au niveau territorial, lorsqu’il y a un projet environnemental lourd, on puisse mettre en place un conseil de développement ou une autre instance ad hoc de concertation permettant à chaque collectivité de trouver la structure, l’instance ou le groupe de travail susceptible d’associer les acteurs jugés pertinents ; l’idée encore de la mise en place d’une procédure de consultation du public en amont du processus décisionnel si la commune, le département ou la région le juge utile ; la prise en compte de l’environnement dans les documents d’urbanisme, en particulier pour la prévention des risques, l’évaluation environnementale des plans et des programmes territoriaux ou l’artificialisation des sols ; le développement des compétences et des responsabilités municipales et départementales en termes de protection de la biodiversité ; la mise en place de critères de conditionnalité au regard du développement durable pour les aides accordées aux collectivités dans le cadre des actions soutenues par l’État ou par l’Europe ; systématiser l’achat éco et socialement responsable pour les collectivités territoriales et s’appuyer sur les actions de coopération décentralisée des collectivités locales pour construire le développement durable avec les pays partenaires. Telles sont les mesures concrètes qui ont été retenues.

Quand l’Assemblée nationale sera-t-elle associée à ces travaux ? Il n’appartient pas aux présidents des groupes de travail de le décider mais il semble prévu que l’Assemblée nationale et le Sénat se saisissent des thématiques du Grenelle.

Parmi les lieux où peuvent entrer les ONG, on a parlé du CES national, mais aussi des CESF, les conseils en économie sociale et familiale. On a parlé aussi de la création d’une chambre régionale de l’environnement. La proposition n’a reçu qu’un succès d’estime, chacun considérant qu’il n’y avait pas à créer une nouvelle chambre régionale, que l’intérêt n’était pas d’isoler la question, mais de la traiter au cœur des lieux où se traite également l’économique et le social.

Est-il opportun que les chambres consulaires trouvent des modalités de discussion et d’ouverture avec les ONG ? La question est posée par le rapport, mais le groupe n’a pas statué sur les modalités à retenir.

S’agissant de la question de M. Herth sur la gouvernance des entreprises et le commerce équitable, le rapport envisage l’encouragement des achats éco-responsables ou plus globalement respectueux des concepts de développement durable.

Le label auquel il a été fait référence concernerait les petites et moyennes entreprises encore éloignées des processus de certification ISO, qui considèrent ces sujets comme très complexes et à l’égard desquelles une pédagogie de l’action a été jugée nécessaire. Cette proposition est venue du Centre des jeunes dirigeants, qui a déjà initié un projet en ce sens. L’idée est d’aider les PME, dans un mouvement volontaire, à obtenir un label sur la base d’un référentiel, en appui avec des organismes et des prestataires. Le Centre propose que les PME puissent, en contrepartie de cet engagement et de cette responsabilité dans le domaine de l’écologie et du développement durable, être libérées, par exemple, de certaines contraintes administratives.

Le président Christian Jacob a rappelé que, s’agissant du commerce équitable, les critères existants ont fait l’objet, à un moment donné, d’une normalisation par l’AFNOR. C’est ainsi que l’on est sorti d’une logique de simple identification. Une telle démarche suppose un cahier des charges, à la définition duquel les acteurs économiques soient associés.

Mme Nicole Notat a souligné que deux écueils devaient être évités : d’une part, il convient de ne pas concevoir une norme s’imposant immédiatement à tous ; d’autre part, il importe d’éviter que fleurissent toute une série de labels issus des initiatives spontanées de divers acteurs. Aussi compétents que puissent être ces derniers, la reconnaissance de ces labels ainsi créés serait moins légitime. Il faut distinguer entre les porteurs du référentiel du label, les prestataires de l’évaluation de la matière du label, lesquels doivent être accrédités, et l’autorité qui décerne le label.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a rappelé que nombre d’élus locaux avaient mis en œuvre des chantiers HQE. Or la haute qualité environnementale n’existe pas officiellement en tant que norme. La définition d’une norme HQE correspondant à un cahier des charges précis serait opportune et le serait d’autant plus qu’elle peut se faire très rapidement.

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Audition de M. Jean Jouzel, co-président du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement « Lutte contre le réchauffement climatique et maîtrise de la demande énergétique ».

(Séance du 25 septembre 2007)

Le président Christian Jacob a remercié M. Jean Jouzel, co-président du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement intitulé « Lutte contre le réchauffement climatique et maîtrise de la demande énergétique», d’avoir accepté d’être entendu par la délégation, ainsi que le rapporteur, Mme Patricia Blanc, et les trois rapporteurs-adjoints de ce groupe de travail, MM. Emeric Burin des Roziers, Hervé Pouliquen, et Philippe Rossinot.

Il a précisé à M. Jouzel que la Délégation souhaitait qu’il fasse le point de l’avancement des travaux de ce groupe de travail mais qu’il ne devait pas hésiter le cas échéant à faire part de ses convictions personnelles sur le sujet.

M. Jean Jouzel a d’abord souligné qu’il co-présidait ce groupe de travail aux côtés d’un économiste, M. Nicholas Stern, ce qui est le signe de l’extension du débat sur le changement climatique au champ économique. On sait en effet maintenant que l’immobilisme dans ce domaine n’est pas économiquement viable.

Le changement climatique a un impact sur beaucoup d’autres questions, qu’il s’agisse de la biodiversité, de l’avenir de l’agriculture, de la pollution et des relations entre santé et environnement, ou encore de la désertification, même si celle-ci ne touche pas la France.

Nous modifions la composition de l’atmosphère de façon rapide et importante. La quantité de chaleur disponible pour chauffer les basses couches de l’atmosphère a augmenté d’environ 1 %. La conséquence en est une augmentation de la température. Le réchauffement est une réalité incontestable, comme l’a souligné le rapport du groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC). À la question de savoir si ce réchauffement est dû à l’action de l’homme, le GIEC a d’abord répondu de façon prudente. Il est maintenant plus affirmatif : il est très probable que le réchauffement climatique soit en grande partie, depuis les années soixante, imputable aux activités humaines.

S’agissant de l’avenir, le diagnostic est également clair.

Première certitude : si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre, ils seront de plus en plus présents dans l’atmosphère. Si l’énergie fossile était utilisée sans restrictions, les concentrations en gaz carbonique pourraient être multipliées par trois par rapport à ce qu’elles étaient il y a 200 ans. Le réchauffement global, si l’on n’y prend garde, pourrait ainsi être de 3 ou 4 degrés, ce qui correspondrait à un réchauffement en France de 4 ou 5 degrés dans la deuxième moitié de ce siècle. Ce serait un véritable bouleversement.

Les dirigeants politiques ont pris la mesure du problème, dès la convention Climat de 1992. L’effet de serre doit être stabilisé. Pour cela, il faut stabiliser la concentration en gaz carbonique, donc diminuer les émissions de CO2 par deux ou trois. Pour avoir de bonnes chances de limiter le réchauffement de 2 degrés par rapport à l’an 2000, il faut, d’ici à 2050, diminuer les émissions de 30 à 60 %. L’objectif d’une diminution de 50 % a été retenu par le G8, ce qui témoigne de la prise de conscience des dirigeants politiques. Il importe de préciser qu’une augmentation de 2 degrés constituerait déjà un changement climatique important, qui impose des efforts d’adaptation.

Aux termes de l’article 2 de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, « la France soutient la définition d'un objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici à 2050, ce qui nécessite, compte tenu des différences de consommation entre pays, une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés. » Cet objectif se décline, au niveau européen, à travers le triple objectif de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, d’améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et de satisfaire 20 % des besoins énergétiques à partir de sources d'énergie renouvelables.

S’agissant du Grenelle de l’environnement, le format qui a été adopté semble fonctionner. Les membres du groupe de travail participent avec assiduité aux travaux et formulent de nombreuses propositions. Tous s’accordent à dire que la France doit s’inscrire dans le cadre fixé par ses engagements européens, qu’il s’agisse des émissions de gaz à effet de serre ou de l’efficacité énergétique.

D’ici quatre ou cinq ans, nous saurons si les décisions qui auront été prises étaient les bonnes. Elles ne seront ni neutres ni indolores.

Les membres du groupe de travail ont souligné l’importance de la recherche. Le Grenelle de l’environnement n’aurait d’ailleurs pas vu le jour si la communauté scientifique ne s’était pas montrée capable de délivrer un message clair. La recherche fondamentale constitue un socle important. Elle doit être fortement soutenue. La recherche sur les conséquences du changement climatique est également importante. Elle est multidisciplinaire et doit associer les sciences sociales. Enfin, les objectifs ambitieux que nous devons nous fixer ne seront pas atteints sans un développement technologique important. Les efforts en matière de recherche-développement doivent donc être accrus.

Les propositions d’action du groupe de travail concernent trois grands domaines : les transports, le bâtiment et l’urbanisme, et l’énergie. Les questions relatives à la fiscalité ont été abordées en commun avec le groupe de travail n° 6. Les propositions retenues par le groupe de travail seront détaillées dans son rapport. Toutes n’ont pas fait l’objet d’un consensus. Les réserves éventuelles seront mentionnées dans le rapport principal.

S’agissant de l’énergie, il est préconisé d’aller vers une énergie sobre. Tous les secteurs économiques sont impliqués. Contrairement à ce qu’on a parfois entendu, il est faux de penser que les secteurs qui sont à l’origine de faibles niveaux d’émission devraient être dispensés de fournir des efforts. La sobriété en matière énergétique est de l’intérêt de tous, même indépendamment de la question de l’effet de serre, ne serait-ce que du point de vue de l’indépendance nationale.

Les économies d’énergie dans le bâtiment constituent l’une des premières sources de diminution des émissions. Il convient d’engager dès maintenant un chantier très ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments existants. L’objectif doit être de réduire la consommation de 20% dans le tertiaire et de 12% dans les autres bâtiments, et ce à échéance de cinq ans. Cet objectif est partagé par tous les professionnels du bâtiment. L’action sur les bâtiments existants doit être vigoureuse. Elle doit l’être également sur les bâtiments neufs. L’objectif doit être une basse consommation – 50 kilowatts par mètre carré – en 2009-2010 dans 40% des constructions de logements sociaux, les bâtiments neufs devant être passifs en 2020, puis à énergie positive.

Des mesures d’étiquetage sont de nature à sensibiliser chacun de nous dans sa vie quotidienne. Il sera proposé d’étendre l’étiquetage énergie à un grand nombre d’appareils. Quant à l’industrie, elle a beaucoup à gagner à adopter des processus innovants.

Il serait bon aussi que le secteur agricole, qui constitue un émetteur important d’oxyde d’azote, diminue l’utilisation d’engrais azotés. Des mesures fiscales incitatives peuvent l’aider à modifier ses pratiques.

S’agissant des transports, la création d’un observatoire spécifique est très importante. Une série de mesures doivent avoir pour objectif de revenir en 2020 au niveau d’émissions de 1990. L’impact des infrastructures de transport sur l’environnement et sur l’économie doit être évalué. Il est proposé de déclarer d’intérêt général pour la société la promotion de l’utilisation des modes fluvial, ferroviaire et de cabotage maritime pour le transport du fret. L’usage de l’automobile doit être rationalisé. L'émission moyenne de CO2 d’un véhicule est en France de 176 grammes par kilomètre. L’objectif est de passer en 2012 à 120 grammes pour les voitures neuves et d’arriver en 2020 à une moyenne de 130 grammes pour l’ensemble du parc automobile. Il convient par ailleurs de rétablir le vrai coût du transport aérien.

Il est également proposé d’affecter une part importante des ressources de la fiscalité environnementale à l’Agence de financement des infrastructures de transport. Le groupe de travail est favorable à une contribution « Climat-Energie », dont l’assiette n’est pas encore clairement définie. Cependant, d’une manière ou d’une autre, il importe de donner un prix au carbone. Une taxe très progressive pourrait être perçue sur les produits dont le contenu en carbone est élevé. L’État doit orienter les aides publiques vers les projets sobres en carbone et en énergie. Les collectivités territoriales ont fait preuve de beaucoup de volontarisme en la matière.

S’agissant de la production d’énergie, la part des sources d’énergie renouvelables doit s’accroître, jusqu’à atteindre 20 %, si possible 25 %. Il importe de faire des DOM-TOM une vitrine d’excellence, car ils ont des capacités spécifiques.

Un seul point de désaccord est apparu au sein du groupe : certains préconisent l’arrêt de l’EPR, d’autres proposent de s’appuyer sur l’énergie nucléaire pour maintenir un portefeuille énergétique faible en monoxyde de carbone.

Enfin, le lien entre transports et urbanisme est évident. Il est proposé de rendre obligatoires les plans climat-énergie territoriaux, et d’élargir les compétences des intercommunalités en matière d’urbanisme, de règles de construction pour certains quartiers et de transports. Un plan volontariste de développement des transports collectifs est souhaitable. Un code de la rue pourrait être adopté, visant à favoriser les déplacements doux, tels que le vélo et la marche. Un plan volontariste d’éco-quartiers devrait être mis en place. Des mesures doivent être prises pour lutter contre l’étalement urbain.

Le président Christian Jacob a relevé que M. Jouzel avait davantage parlé des objectifs que des outils permettant de les atteindre. Le groupe a-t-il réfléchi, en matière de fiscalité, à des outils incitatifs, qui peuvent sembler préférables à une conception punitive de la fiscalité ?

M. Serge Poignant a demandé si les travaux du groupe de travail se sont appuyés sur les travaux parlementaires, notamment ceux de la mission d’information sur l’effet de serre qui, sous la précédente législature, avait formulé un certain nombre de propositions.

Par ailleurs, un article récent d’un prix Nobel de chimie suggère que le développement des agrocarburants pourrait considérablement aggraver le changement climatique en cours, en raison des émissions de protoxyde d'azote. Le groupe s’est il penché sur la question ?

M. Philippe Duron a estimé que, s’agissant de l’urbanisme, il convient de lutter contre l’étalement urbain. Dans les régions côtières, la politique d’urbanisme doit tenir compte de l’élévation du niveau de la mer. Ne convient-il pas de renforcer les documents de planification territoriale en les rendant plus prescriptifs ?

Pour ce qui est de l’architecture, le gouvernement ne devrait-il pas favoriser la construction de bâtiments à basse consommation, notamment dans le logement social, par le biais d’incitations financières ou fiscales ?

En tant qu’administrateur de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF), il s’est déclaré sensible à la proposition d’affecter une part importante des ressources de la fiscalité environnementale à l’agence. Quelles ont été les réflexions du groupe de travail sur le transfert modal et sur la capacité d’améliorer la performance du fret dans notre pays ? Il est bon de valoriser le transport fluvio-maritime, mais il faut convaincre les chargeurs d’avoir recours à ce mode de transport.

Enfin, l’idée d’instaurer une limitation de la vitesse plus stricte sur les routes et les autoroutes est-elle pertinente ?

M. Yanick Paternotte est frappé par le fait que les aspects quantitatifs du problème sont complètement absents des débats. Les problèmes de surpopulation et de faim dans le monde ne sont plus abordés. Or, comment faire face aux enjeux du changement climatique si la population mondiale est multipliée par deux ou trois, sachant que les populations des pays autres que les pays industrialisés ont vocation à accéder à la technologie ?

Par ailleurs, il a suggéré qu’en ce qui concerne le fret, le projet Roissy-CAREX fasse l’objet d’une présentation devant les membres de la Délégation.

M. Philippe Plisson a constaté que le diagnostic avait été présenté de manière très déterminée. Pourtant, M. Jouzel avait presque l’air de s’excuser lorsqu’il en est venu à l’exposé de ses préconisations. Il va pourtant falloir adopter des mesures contraignantes. S’agissant de transports, c’est une véritable révolution qui sera nécessaire. Or, cette révolution passera nécessairement par des mesures réglementaires. Le groupe a-t-il des propositions fortes et opérationnelles à faire ?

En second lieu, compte tenu de l’état du climat et de la situation au niveau mondial, peut-on être optimiste ? Parviendrons-nous à éviter la catastrophe ?

Mme Geneviève Fioraso a rappelé, qu’en ce qui concernait la recherche et l’innovation, la France comptait à présent près de 70 pôles de compétitivité. Est-il bien sérieux d’avoir créé un seul pôle consacré aux énergies renouvelables, lequel, de plus, n’a pas été considéré comme un pôle à vocation mondiale et ne bénéficie pas des investissements les plus importants ? Est-il bien sérieux d’avoir dispersé sur le territoire des centres de recherche dont chacun ne se consacre qu’à l’un des aspects du problème, ici l’hydrogène, là les éoliennes, ailleurs la biomasse ? Ne conviendrait-il pas, en outre, d’accélérer une recherche coopérative au niveau européen ? Sachant que le développement durable est bien un développement, une croissance et non pas une décroissance, il importe de se donner les moyens scientifiques et technologiques de maîtriser ce développement.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a relevé que, dans le secteur du bâtiment, les réglementations thermiques en vigueur ne sont pas satisfaisantes. Des propositions seront-elles formulées en la matière ?

M. Jean Jouzel a répondu que les outils de la lutte contre l’effet de serre étaient divers. La taxe carbone et l’instauration d’un bonus-malus sur les véhicules ne sont que deux outils possibles parmi d’autres.

Les outils peuvent être des mesures de réglementation énergétique, l’étiquetage, des prêts bonifiés pour la construction de bâtiments répondant à des critères environnementaux, ce qui demande un effort important de la part du secteur bancaire. Ils peuvent également être un développement de la recherche, technologique ou fondamentale. L’Europe doit jouer un rôle. La recherche énergétique pourrait être réorientée pour un tiers vers les énergies renouvelables, pour un autre tiers vers l’efficacité énergétique, et pour un dernier tiers vers les autres secteurs.

À propos de l’article récent de Paul Crutzen, on ne peut nier que les agrocarburants de première génération ne sont pas sans poser un certain nombre de questions. Les agrocarburants de deuxième génération ont un potentiel beaucoup plus important. Les objectifs fixés n’ont pas été remis en cause, mais le développement des agrocarburants de première génération n’a pas été encouragé pour autant.

Les rapports parlementaires ont nourri la réflexion du groupe de travail, lequel a d’ailleurs repris un certain nombre des propositions qu’ils avaient formulées. L’instauration d’un grand ministère était l’une d’entre elles : ce ministère existe à présent et l’on fonde beaucoup d’espoirs sur lui. Le groupe a également repris la proposition d’une taxe carbone et proposé une diminution de la vitesse de 10 km/h sur toutes les routes.

M. Hervé Pouliquen, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a souligné, à propos du bâtiment, que la profession soutenait fortement un renforcement de la réglementation thermique, afin d’atteindre des niveaux de basse consommation en 2015. Construire en 2020 des bâtiments passifs ou à énergie positive constitue une vraie révolution. On devancerait ainsi de quinze à vingt ans le rythme de la réglementation thermique actuelle.

M. Philippe Rossinot, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a précisé que, pour le report modal, le groupe de travail avait décidé, dans sa majorité, de proposer un développement du fret ferroviaire, parallèlement à un développement des dessertes de port, du transport fluvial et du transport maritime.

Des mesures réglementaires sont proposées, notamment pour le transport routier de marchandises, alliant la réduction des vitesses maximales pour les poids lourds, la généralisation des péages sans arrêts et la participation des entreprises par le biais d’une obligation d’affichage des émissions de gaz à effet de serre pour chaque prestation de transport.

M. Hervé Pouliquen, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a ajouté que, dans le domaine de l’urbanisme, le groupe de travail avait jugé que la question de l’étalement urbain était majeure et suggéré la mise en place de mesures de l’étalement urbain, comme cela se fait dans d’autres pays.

Les plans climat-énergie territoriaux seraient l’occasion de suivre un certain nombre d’indicateurs qui touchent au climat et à l’énergie. Les agglomérations et les communautés de communes, voire les régions, pourraient fixer des objectifs en termes de développement durable.

S’agissant de l’aménagement, le groupe de travail a retenu l’idée de développer les éco-quartiers.

M. Jean Jouzel a indiqué que nombre de mesures passent par une modification de la réglementation au niveau national. Ces mesures doivent être cohérentes avec la stratégie européenne ; elles méritent d’être faites, et même d’être portées au niveau européen, par exemple à l’occasion de la présidence française.

Il a répondu à M. Plisson qu’il était raisonnablement optimiste sur nos chances d’éviter une catastrophe écologique.

En réponse à la question posée par M. Paternotte sur les aspects démographiques, il a précisé que les prévisions du GIEC tenaient compte de l’augmentation de la population mondiale.

Les travaux du groupe s’inscrivent bien dans l’hypothèse d’un développement et non d’une décroissance. Selon Nicholas Stern, la France pourrait, en 2050, avoir multiplié par 2,5 son PIB, tout en ayant divisé par quatre ses émissions de gaz à effet de serre.

L’Inde et la Chine sont conscientes du problème. Il ne faut pas s’imaginer que les Chinois ne font rien. Ils développent des technologies. Il est économiquement porteur de s’orienter vers un développement durable, même si cela peut se traduire par un report d’activités de certains secteurs vers d’autres. L’immobilisme n’est pas une solution.

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Audition du professeur André Langaney, généticien, directeur du laboratoire d’anthropologie biologique au Muséum d’histoire naturelle.

(Séance du 2 octobre 2007)

Le président Christian Jacob a souhaité la bienvenue à M. André Langaney et l’a remercié d’avoir accepté cette audition.

M. André Langaney a précisé tout d’abord que sa spécialité était la génétique moléculaire des populations humaines mais que son parcours scientifique l’avait conduit aussi à étudier la zoologie et l’écologie.

L’échelle de grandeur, lorsque l’on parle de biodiversité, est considérable : on a dénombré un peu plus de 1,8 million d’espèces vivantes et l’estimation de leur nombre réel varie, selon les experts, entre 10 et 50 millions. Une telle imprécision est inévitable, les spécialistes ayant du mal à s’accorder sur la définition même des espèces.

L’autre élément important est que la biodiversité est éphémère : les espèces actuelles, même dans l’hypothèse où il y en aurait 50 millions, ne représentent qu’un pourcentage minime des espèces qui ont existé au cours des temps. Il n’y a en effet aucune permanence dans la vie et dans les structures du monde vivant. Tout se transforme sans cesse, à une vitesse qui varie selon les espèces.

Conserver, c’est donc mourir et disparaître. La règle étant de se transformer, ce qui arrête de se transformer est voué à être éliminé. On ne peut dès lors que se sentir gêné de constater que tous les programmes de gestion de l’environnement et de la biodiversité reposent d’abord sur l’idée de conservation. Parmi les projets des protecteurs de la nature – en particulier au sein de l’Union Mondiale pour la Nature (UICN) – figure l’éradication des espèces colonisatrices arrivant dans un milieu donné. Or, toute l’histoire du peuplement de la Terre par les plantes, les animaux et les humains est constituée d’envahissements, de nouvelles espèces prenant le relais des anciennes. Les espèces actuelles ne sont pas celles qui existaient auparavant ; ce ne sont pas non plus celles qui existeront dans le futur.

La conservation se justifie cependant pour celles qui ont des chances de laisser des descendants dans le monde futur et pour celles qu’il est important d’étudier avant qu’elles ne disparaissent. Ainsi, l’anthropologue ne peut que plaider pour la sauvegarde des grands singes, qui nous apprennent tant sur l’identité humaine et dont la disparition à l’état sauvage est très rapide. Il faut à cet égard saluer l’action de l’Institut Jane Goodall.

La conservation se justifie également pour toutes les espèces que les humains ont investies d’une charge sentimentale : ours, baleines, pandas, etc. Il faut faire droit aux émotions de la population. Bien qu’elles puissent paraître irrationnelles du point de vue de la gestion mécanique des écosystèmes, elles relèvent d’une autre forme de rationalité, celle de l’imaginaire collectif.

Il faut ensuite se faire à l’idée que demain sera différent. Au paléolithique, l’effectif total de nos ancêtres Homo sapiens était de moins de 100 000 individus dispersés sur trois continents immenses. La forêt était partout et l’on vivait de chasse et de cueillette. La population humaine s’élève aujourd'hui à 6 milliards d’individus et atteindra bientôt 9 ou 10 milliards : cela ne permet pas, à l’échelle de la planète, d’être chasseur-cueilleur. L’avenir des forêts équatoriales est donc de constituer des musées de la biodiversité, certainement pas des écosystèmes dans lesquels des hommes de demain pourraient vivre.

Ces forêts sont les zones les plus riches en matière de biodiversité. Elles abritent par exemple 900 000 espèces de coléoptères sur les 2 millions recensées. Faut-il pleurer sur la disparition d’un grand nombre de ces espèces? Le fait est qu’il est inenvisageable d’engager de grands travaux visant à les sauver. À la fin de l’ère primaire, plus de 95 % des espèces existantes ont disparu. Les espèces d’aujourd'hui sont les lointaines descendantes des 5 % qui ont survécu à l’extinction du permien, sachant que d’autres extinctions, certes de moindre ampleur, sont encore intervenues. L’invention, au néolithique, de l’agriculture, c'est-à-dire de la domestication des plantes et des animaux, a également conduit à une extinction d’espèces existantes : notre paysage n’est plus celui de la forêt équatoriale.

Dans un monde limité, on ne peut entreprendre et innover sans qu’interviennent des changements radicaux. Les forêts laissent la place à des cultures sur sol. Puis, quand la population est trop dense, on doit passer aux cultures hors sol. La pêche deviendra anecdotique par rapport à l’aquaculture, comme autrefois la chasse est devenue anecdotique par rapport à l’élevage et la cueillette par rapport à l’agriculture. Il faut préparer le prochain changement radical, et non pas tenter de revenir au paléolithique.

Dans un autre ordre d’idées, on soulignera que la sélection naturelle est combattue localement par les cultures humaines. Par définition, la sélection naturelle veut que le patrimoine génétique ne soit transmis que par les individus qui arrivent à survivre jusqu’à l’âge de la procréation et à avoir des descendants. Elle ne fait pas dans le détail, éliminant très rapidement tout organisme qui ne fonctionne pas très bien. La civilisation va à contre-courant de cette logique implacable, que certaines idéologies voudraient pourtant faire passer dans les logiques humaines. C’est aller contre la sélection naturelle que de faire vivre les vieux aussi longtemps que possible, de tenter de faire survivre tous les nouveaux-nés, d’organiser une vie décente pour les handicapés, mais aussi de protéger les grands singes, les baleines ou les pandas, de cultiver des fleurs ou des bonsaïs, de pratiquer le sport ou de s’adonner aux arts, ou encore de fabriquer des chimères intermédiaires entre le mouton et la chèvre ou des mouches à quatorze paires d’yeux. Ce mouvement ayant partie liée avec nos pulsions et nos affects, il convient de ne pas s’en tenir à la seule logique et de faire droit aux projets dictés par les émotions.

Il existe cependant une limite : on ne peut aller contre la sélection naturelle que localement. Il est impossible de tout sauver et de tout conserver.

Pour en venir maintenant au domaine de la santé, la première constatation du généticien est que nos ennemis microbiens vont très vite. Si l’on constate des résistances aux antibiotiques et aux antiseptiques, si l’on voit apparaître des maladies émergentes, c’est qu’un milieu de culture de 6 milliards d’individus représente une chance extraordinaire pour nos ennemis. Pour cultiver des virus et des bactéries, un organisme humain est déjà bien supérieur à la boîte de Petri des biologistes. Avec 6 milliards d’individus, on peut imaginer les possibilités de développement et de mutation offertes.

Pour les industries pharmaceutiques et médicales, c’est une course technologique terrifiante. À cet égard, on aimerait que la médecine et la pharmacie dépassent l’attitude clinique consistant à considérer le seul patient. Derrière le patient, il y a la population. Négliger cette perspective peut conduire à de graves erreurs. L’exemple le plus connu est l’administration systématique d’antibiotiques à des personnes qui n’en ont pas besoin puisqu’elles sont atteintes de maladies virales. Il arrive aussi que l’on ait recours à des antiseptiques dans des domaines où ils n’ont aucune pertinence. Ainsi, aux États-Unis, des fabricants de cosmétiques ont introduit dans la composition de produits de beauté un bactéricide utilisé pour la désinfection des blocs chirurgicaux. Des résistances sont apparues et des patients sont morts. Rien ne justifie l’introduction de bactéricides dans les produits de beauté : la peau est un organe vivant ayant son propre équilibre microbien.

On pourrait présenter des exemples semblables en ce qui concerne l’alimentation ou l’agriculture. Pour gagner la course technologique, il vaudrait mieux conserver les armes dont on dispose et les utiliser là où cela est nécessaire.

S’agissant des recombinés génétiques, il convient de distinguer, d’une part, les espèces animales et végétales sélectionnées depuis 10 000 ans en fonction d’intérêts humains et qui présentent des dotations génétiques originales par rapport à leurs ancêtres naturels, et d’autre part, les organismes génétiquement modifiés que la maîtrise du système permet de fabriquer depuis une vingtaine d’années. Les recombinés de ces deux catégories répondent bien mieux à nos besoins que les recombinés spontanés.

Il faut à ce propos rappeler que, contrairement aux automobiles, à l’alcool ou au tabac, qui tuent des humains par millions, les organismes génétiquement modifiés (OGM) utilisés depuis vingt ans pour l’alimentation ou l’habillement de plus de 200 millions d’individus n’ont encore jamais tué personne. L’idée d’imposer un moratoire sur la technique même des OGM, sous prétexte que ceux-ci seraient dangereux, ou en application du principe de précaution, est proprement stupéfiante. Un grand effort d’éducation et d’information doit être fait pour dépassionner le débat. Il faut cesser d’encourager la tendance des commerciaux, voire des politiques, à brandir le moratoire pour vendre des marques ou pour accroître leur popularité.

Pour autant, la recombinaison génétique n’est pas exempte de dangers graves. Comme pour toute technologie de pointe, les contrôles doivent évidemment être indépendants des intérêts économiques à court terme. Quand de grandes sociétés ont commencé à commercialiser en France les premiers plants de maïs transgéniques, il n’y avait aucune raison de s’y opposer : le maïs ne s’hybride pas dans la nature en Europe et les modifications proposées étaient intéressantes pour les agriculteurs et les consommateurs.

Néanmoins des protestations légitimes se sont élevées lorsque l’on a appris par la suite que l’on avait sélectionné des plants en y introduisant des gènes de résistance à certains antibiotiques. Le problème du généticien est en effet d’arriver à distinguer les plantes ou les animaux transformés de ceux qui n’ont pas été transformés. Pour cela, il introduit des gènes marqueurs, la solution paresseuse étant de choisir un gène de résistance à un antibiotique. À l’échelle agronomique, cela se traduit par la perte d’un antibiotique. Pour éviter que la sécurité ne soit entravée par des secrets industriels ou commerciaux, les instances de contrôle ne devraient autoriser un organisme génétiquement modifié que si elles savent précisément de quel organisme il s’agit, quels gènes ont été introduits, comment on a contrôlé la modification et avec quels organismes de la nature environnante le nouvel organisme est capable de s’hybrider.

Ces considérations conduisent à poser la question de la démocratie. Elle suppose en effet que le peuple et ses représentants comprennent ce qui est décidé dans les domaines techniques. À titre de comparaison, personne n’a jamais songé à élire les contrôleurs aériens ou les pilotes d’avions au suffrage universel. On est bien obligé de déléguer ces choix à des personnes détenant les connaissances techniques. Celles-ci seront elles-mêmes contrôlées par les représentants du peuple, par le Gouvernement, par le Parlement. Il est toutefois souhaitable que les citoyens comprennent le mieux possible les enjeux, notamment en ce qui concerne l’ordre de grandeur des risques encourus. Nous vivons dangereusement depuis trois milliards d’années : de ce point de vue, le principe de précaution est l’idée la plus stupide qui soit. Synonyme d’immobilisme, il s’oppose tout à la fois à l’esprit d’entreprise et au changement permanent du monde vivant.

Cela dit, le fait de dénoncer le principe de précaution ne signifie pas qu’il faut se désintéresser de la sécurité biologique, qui constitue un vrai sujet. Seul un changement des mœurs commerciales et industrielles des firmes privées qui gèrent les technologies du vivant permettra d’atteindre cette sécurité. Après tout, cela n’a-t-il pas été réalisé pour le trafic aérien ? Pourquoi les OGM ne pourraient-ils être soumis à des procédures de contrôle efficaces ?

Le président Christian Jacob a remercié M. André Langaney pour son intervention, d’un intérêt constant.

Comment édicter des règles ? Les considérations de M. Langaney sur la permanence des changements et sur l’adaptation des espèces ne risquent-elles pas de conduire à une sorte de fatalisme ? Or, dans le secteur de l’agriculture, les progrès ont été réalisés sous la pression. Là où l’on déversait 220 unités d’azote à l’hectare de blé, on obtient aujourd'hui les mêmes résultats avec 160 ou 170 unités grâce à une meilleure maîtrise de différents paramètres.

M. André Langaney a ajouté que, dans le futur, des cultures non légumineuses fixeront l’azote. Grâce aux OGM – et n’en déplaise aux militants –, on pourra éviter l’utilisation de grandes quantités d’engrais et de pesticides. De même, la création par modification génétique des plantes résistant à certains insectes permettra de s’abstenir de pesticides très nocifs.

Il ne s’agit pas d’être pour ou contre les OGM, mais d’étudier au cas par cas les bénéfices que l’agriculture et l’environnement peuvent en tirer. La logique d’affrontement n’a pas lieu d’être.

Le président Christian Jacob a remarqué que l’on a connu un débat analogue au sujet du nucléaire il y a une quinzaine d’années. Il est très difficile de s’extraire d’un contexte passionnel. À cet égard, le premier intérêt du Grenelle de l’environnement est de poser tous les sujets sur la table et d’obliger à en parler.

Comment, cependant, établir une réglementation ? Il existe des procédures de contrôle, mais l’opinion publique ne les perçoit pas et reste spontanément, dans une très large proportion, opposée aux OGM. Quelques minutes de discussion peuvent permettre de retourner certains arguments. Cependant, jusqu’à présent, le combat de la médiatisation a été perdu.

M. André Langaney a attribué cet échec à la désinformation qui prévaut dans les médias. Dans un débat, on a pu voir des personnes informées souscrire, sous la pression de militants écologistes, aux propos d’une personne affirmant « ne pas vouloir de gènes dans son assiette » ! L’ignorance du public dans ces domaines est catastrophique. L’information que les spécialistes s’emploient à diffuser, notamment au Muséum d’histoire naturelle, passe très mal. Les médias ne supportent que les débats manichéens. Toute tentative d’argumentation rationnelle est coupée.

M. Serge Poignant a demandé à M. Langaney si la majorité des scientifiques partagaient son opinion.

M. André Langaney a répondu par la négative. Beaucoup de chercheurs sont à la fois scientifiques et militants, ce qui finit par les placer dans des situations très gênantes : ils sont contraints de suivre la « ligne du Parti » tout en sachant qu’elle est aberrante sur un certain nombre de points.

Un autre élément à prendre en considération est que le spécialiste de telle sorte de crapaud ou de telle sorte de libellule voudra à tout prix conserver son crapaud ou sa libellule, ce qui pourra le conduire à récuser une vision plus globale – ou plus relativiste – de la biodiversité. Nous devons avoir conscience que nous nous inscrivons dans l’histoire de la biodiversité, laquelle s’étend sur plusieurs milliards d’années.

M. Serge Poignant a remarqué que cet argument de la très longue durée est aussi invoqué au sujet des variations climatiques. Cependant, on assiste actuellement à une accélération sans précédent. Ce qui mettait plusieurs siècles à se produire a maintenant lieu en quelques dizaines d’années, voire en quelques années.

M. André Langaney s’est référé aux travaux d’un des principaux spécialistes de climatologie et de paléoclimatologie en France, M. Jean-Claude Duplessy, directeur du laboratoire des faibles radioactivités à Gif-sur-Yvette.

S’il est clair que nous sommes dans une période de réchauffement rapide, on ne peut affirmer que le processus est plus rapide que tout autre car on ne dispose pas des éléments de comparaison. Il reste aussi une grande incertitude sur la part de l’impact humain dans le réchauffement. En effet, pour établir leurs prévisions, les climatologues élaborent des simulations numériques, des modèles mathématiques qui font intervenir des paramètres : par exemple, la quantité de CO2 absorbée par les diatomées à la surface des océans, la quantité de CO2 fixée dans les carbonates au fond des océans, ou encore la quantité de CO2 qui va passer à l’intérieur du noyau terrestre par effet de subduction au fond des océans. Personne n’étant en mesure de mesurer convenablement certains phénomènes, on utilise des estimations pour faire fonctionner les modèles. Il est donc loisible de faire jouer des combinaisons de chiffres jusqu’à ce que le résultat plaise. Il s’agit d’une méthode scientifique pour le moins discutable : selon que l’on souhaite confirmer ou infirmer le réchauffement, on fera entrer des paramètres différents.

S’agissant de la part de l’impact humain ou des conséquences sur le niveau des eaux, la pression de l’opinion publique et du marché de la science a été telle que ce laboratoire de Gif-sur-Yvette, d’abord sceptique sur leur importance respective, a dû changer d’avis !

M. Serge Poignant a objecté que les mesures pratiquées ces dernières années confirment les modèles.

Selon M. André Langaney, elles ne confirment pas que le réchauffement est dû à l’impact humain. Il y a bien d’autres causes possibles.

Un jugement objectif est difficile à établir : on met par exemple en avant la responsabilité du trafic automobile dans les émissions de CO2, mais la part qui lui est assignable est de 5 % alors que les Chinois ouvrent une centrale thermique tous les jours, avec un impact autrement important. L’application raisonnée du principe de précaution serait peut-être de n’émettre du CO2 que lorsque c’est vraiment nécessaire.

M. Jean Proriol a remarqué que la fonte des glaciers est un phénomène prouvé.

M. André Langaney a réaffirmé qu’il ne le contestait pas, mais que nous n’avions pas les moyens d’en analyser les causes. Ainsi, les variations de l’orbite terrestre sont, depuis toujours, l’un des paramètres principaux dans les variations climatiques. Ces phénomènes avaient été mis en évidence par Milutin Milankovitch, mais personne ne l’avait pris au sérieux à l’époque.

La difficulté, dans les affrontements scientifiques relayés par les médias, tient à l’effet d’autorité produit par les affirmations des « vrais » savants : cela ne laisse aucune chance au contradicteur honnête qui met en avant les incertitudes. Or la réponse scientifique la plus fréquente aux questions posées par le public ou par les gouvernants devrait être : « On ne sait pas. » Encore faudrait-il avoir l’honnêteté de le dire !

M. André Chassaigne a fait valoir, a contrario, que la grande majorité des scientifiques de haut niveau auditionnés par la mission d’information sur les enjeux des essais et de l'utilisation des OGM, lors de la précédente législature, avaient estimé que ces organismes ne présentaient pas de danger sérieux, à condition que l’on respecte certaines précautions. Pourtant, quelques scientifiques isolés, à partir d’une simple constatation effectuée en laboratoire et n’ayant fait l’objet d’aucune validation scientifique, se voient offrir par les médias une très large audience.

M. André Langaney a indiqué qu’il était normal, dans le fonctionnement de la science, que les scientifiques ne soient pas d’accord entre eux sur des questions qui ne sont pas parfaitement résolues. Toutefois s’opposer à une idée majoritaire ne suffit pas à faire un futur génie scientifique !

M. André Chassaigne a également fait valoir que l’application du principe de précaution, telle qu’elle est formulée à l’article 5 de la Charte de l’environnement, n’était pas synonyme d’immobilisme. Ce principe devrait au contraire être compris comme un encouragement à poursuivre la recherche.

M. André Langaney a observé que, dans le domaine des applications scientifiques – ce qui est clairement le cas des OGM –, le principe de précaution ne devait pas mener à la situation que connaît la Suisse, où toute tentative de culture hors laboratoire est violemment contrecarrée.

À l’appui de cet argument, M. André Chassaigne a indiqué que l’INRA n’avait pu réaliser des expérimentations d’OGM en plein champ que dans deux sites en France : un petit carré de vigne en Alsace et des peupliers près de Tours. On est bien là confronté à une interprétation réductrice du principe de précaution.

M. André Langaney a remarqué que la vigne et le peuplier étaient des espèces qui ne présentaient pas de danger. On peut être beaucoup plus réticent lorsqu’il s’agit de colza transgénique, car le colza s’hybride avec cinquante espèces de crucifères dans la nature. L’analyse doit se faire espèce par espèce.

Il est par ailleurs très probable que les OGM, à l’instar des espèces domestiques traditionnelles, se révéleront si fragiles et si dépendants de l’environnement agricole qu’ils ne pourront aller très loin, même là où l’on pourrait craindre une dispersion critique pour les plantes sauvages.

Le président Christian Jacob a souhaité revenir sur la question de la biodiversité et sur la transformation des espèces.

M. André Langaney a indiqué qu’il avait été démontré que, dans les temps géologiques, il était exceptionnel qu’une espèce dure plus de dix millions d’années. Ainsi, aucune des espèces qui ont survécu à l’extinction du permien n’est parvenue jusqu’à nous. Même les espèces dites « fossiles » diffèrent de celles d’autrefois : des remaniements génétiques sont intervenus et il est vraisemblable que des barrières d’espèce se soient constituées tous les cinq à quinze millions d’années.

M. Antoine Herth a remarqué que la réflexion de M. Langaney apparaissait comme très anthropocentrique, alors que notre société a plutôt tendance à contester la hiérarchie qui place l’homme au premier rang.

Faut-il continuer de se tourner vers les scientifiques, dont la vocation est de remettre en cause les certitudes d’hier pour progresser dans leur travail, pour tenter de résoudre la question des OGM en particulier et celle de la gestion des risques en général ? La population attend qu’on lui apporte des certitudes la rassurant sur l’avenir. Faut-il s’adresser à des ethnologues, à des philosophes, à des autorités religieuses ? En définitive, c’est peut-être René Girard qu’il faut invoquer, tant on a l’impression que la société se prépare à sacrifier les OGM pour exorciser toutes les peurs que la science lui inspire.

M. André Langaney a estimé que la balle pouvait être renvoyée dans le camp des politiques : dans leur domaine, en effet, la peur se révèle très payante. On fait peur aux citoyens avec les OGM comme on leur fait peur avec les étrangers. Dans le jeu médiatique, il est plus facile d’effrayer pour s’attirer une clientèle que d’informer raisonnablement et d’approfondir les problèmes. Les OGM constituent un enjeu important pour l’alimentation, pour le commerce et pour la vie du pays et l’on ne peut se permettre de prendre des décisions sur des critères sentimentaux.

Lorsque les politiques suivent l’opinion au lieu de la précéder, on peut s’attendre au pire. Or, sur ces sujets, l’opinion est manipulée par les représentants de tendances « new age », voire par des sectes. La menace est le retour à l’ignorance complète, là où une information dépassionnée est primordiale. Les scientifiques ont de plus en plus de mal à communiquer, en partie parce que la plupart d’entre eux n’ont jamais été au contact du public. En face, certains acteurs des médias rejettent systématiquement la science. Quand la majorité de la population est désinformée, elle peut voter contre le bon sens le plus élémentaire. Là est le principal sujet d’angoisse.

Le président Christian Jacob a remercié M. Langaney pour cette intervention qui s’écarte des sentiers battus et contraste avec les discours que les membres de la délégation ont l’habitude d’entendre.

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Audition de M. Patrice Parisé, directeur général des routes au ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durable.

(Séance du 9 octobre 2007)

Le président Christian Jacob a accueilli M. Patrice Parisé, directeur général des routes, en rappelant que son audition faisait suite à celles des présidents des six groupes de travail du Grenelle de l’environnement et qu’il était la première des personnalités que la Délégation avait souhaité entendre dans le domaine des voies de communication.

Il lui a demandé quel regard il portait, en tant que directeur général des routes, sur les propositions faites par ces groupes de travail. D’une façon générale, quelles sont les perspectives et les limites en matière de report modal, sachant que la route représente 88 % des transports en France ? Quelle attention la direction des routes porte-t-elle au débat sur la taxation des usagers de la route ou sur l’impact du bruit ou des polluants ? Faut-il adopter une attitude répressive ? Y a-t-il d’autres moyens à imaginer ?

Par ailleurs, la politique d’aménagement du territoire se traduit souvent par une exigence de désenclavement du territoire, ce qui implique le développement du réseau routier. Cependant plus on développe ce réseau, plus on génère de flux de véhicules. C’est la quadrature du cercle.

Au-delà du cadre général, la Délégation est également intéressée par l’avis personnel des personnes auditionnées, qui sont des experts dans leur domaine.

M. Patrice Parisé a souligné qu’il agissait sous l’autorité d’un ministre, mais que, pour autant, ses propos refléteraient aussi bien les orientations du ministre d’État que ses convictions personnelles.

Il est exact que le transport routier représente une large part des transports en France : 88 % pour les voyageurs et 81,5 % pour les marchandises. Cette situation n’est pas susceptible de changer rapidement, compte tenu du poids du transport routier dans notre pays. Ce n’est d’ailleurs pas au niveau des infrastructures que l’on pourra agir le plus efficacement et à court terme si on vise le problème majeur que constitue l’émission des gaz à effet de serre.

Aujourd’hui, le réseau routier français est mature, même s’il reste quelques liaisons à réaliser. Le linéaire de routes mises en service chaque année représente peu par rapport au stock existant. Plus précisément, la France compte 1 million de kilomètres de routes. Le réseau routier national, concédé ou non, en compte 20 000 et le réseau départemental 380 000. Chaque année, sont mis en service en moyenne une centaine de kilomètres concédés d’autoroutes et une centaine de kilomètres de routes à deux fois deux voies sur le réseau national.

Si l’on veut agir de manière significative sur le report modal, il faudra donc le faire surtout par le biais d’outils économiques et d’une politique tarifaire.

Un autre levier peut être utilisé : la répartition des hommes et des activités sur le territoire. Il faut limiter l’étalement urbain, densifier les villes pour limiter les déplacements, mais, là encore, une transformation ne sera possible que sur le long terme.

Cela dit, la route joue en France un rôle économique majeur. Il convient de continuer à assurer le bon fonctionnement du réseau routier dans son ensemble. Il est donc indispensable d’exercer une contrainte raisonnable sur le transport routier, c’est-à-dire supportable économiquement. Il ne faut pénaliser ni la vie économique et sociale ni la compétitivité de notre pays.

Les outils à mettre en jeu seraient de nature essentiellement fiscale, d’où le projet déjà ancien de création d’une taxe pour les poids lourds, qui s’appliquerait sur le réseau routier national non concédé. Cette proposition figurait dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle et a été reprise par le groupe de travail numéro 1.

La direction générale des routes a mené des études plus poussées sur ce sujet depuis le début de l’année et se prépare à proposer un dispositif au gouvernement, s’il venait à décider la création d’une telle taxe. Ce dispositif s’appliquerait sur le réseau national non concédé. En effet, il n’est pas possible, sur le réseau autoroutier concédé, de rajouter des taxes aux péages existants. Selon la directive Eurovignette, tout ce qui est perçu au titre de la circulation routière, qu’on l’appelle taxe ou péage, doit correspondre au coût des facteurs : investissement réalisé, entretien et exploitation. Ce qu’on appelle péage en droit français a en fait la qualification de taxe en droit communautaire.

Toujours dans l’optique d’exercer une contrainte raisonnable, une sélectivité plus grande pourrait être appliquée dans la réalisation des projets. Cela suppose, d’abord, de mieux utiliser et de mieux exploiter le réseau routier existant au maximum de ses capacités, en développant certaines méthodes d’exploitation et d’information des usagers. Ensuite, devraient être réalisés en priorité les projets permettant de remédier aux situations de congestion ou d’encombrement les plus graves, situations qui sont déjà identifiées, ainsi que les projets de contournement de certaines grandes agglomérations. La congestion n’est pas un bon moyen de régulation ; elle induit des coûts environnementaux et sociaux assez importants.

Le président Christian Jacob a indiqué que le débat qui s’était instauré autour de la perspective d’un moratoire avait inquiété nombre de ses collègues. Même si tout le monde est conscient des limites de la route, des investissements restent nécessaires. La direction des routes considère-t-elle ce moratoire comme envisageable et économiquement possible ?

M. Patrice Parisé a objecté que la théorie économique ne permettait pas de répondre à cette question. Il existe certes une corrélation entre la mobilité et le développement économique mais cette corrélation est difficile à établir sur un plan scientifique. Personne n’est capable aujourd’hui d’affirmer que si l’on réduit les investissements à hauteur de x millions d’euros, cette réduction se traduira par une réduction de y points sur la croissance. D’ailleurs, certains pays, comme la Grande-Bretagne, ont un réseau routier bien moins développé que le nôtre, tout en ayant, ces dernières années, des taux de croissance supérieurs aux nôtres.

Il faut donc exercer une contrainte. Si l’on construit des routes de telle manière que le transport routier reste durablement le mode de transport le moins coûteux, on ne permettra pas aux autres modes de transport de se développer.

Le président Christian Jacob a demandé si la direction des routes s’était intéressée aux matériaux utilisés pour la construction des routes. Dans ce domaine en effet, la technologie avance rapidement.

M. Patrice Parisé a répondu que cette question avait effectivement été abordée sous l’angle du développement durable. La route a un impact sur l’environnement, déjà en raison des véhicules qui l’utilisent ; elle en a aussi un autre au moment de sa construction, en raison des ressources naturelles et des matériaux employés ; elle en a aussi un autre sur les riverains. Le bruit, notamment, est la nuisance la plus mal ressentie.

La direction développe, au stade de la construction des routes, une politique d’innovation qui vise, par exemple, à favoriser le recyclage des déchets. Elle soutient les initiatives des entreprises sur les programmes de recherche et d’innovation.

Elle incite les entreprises à réutiliser dans les couches de chaussées des matériaux anciens et des matériaux de démolition. Elle cherche à convaincre les maîtres d’ouvrage qu’ils peuvent atteindre des taux de réemploi élevés dans les chaussées, jusqu’à 30 ou 40 %, sans prendre de risques pour autant. Elle favorise la recherche sur les liants qui n’utilisent pas le bitume, ainsi que sur les liants végétaux. Elle s’intéresse aux enrobés mis en oeuvre à basse température, en dessous des 160 ou 180 degrés habituels ; cela permet de limiter la consommation d’énergie et le rejet des déchets dans l’atmosphère.

La direction continue à mener une politique active de lutte contre le bruit. Les couches de roulement ont fait d’énormes progrès dans les quinze dernières années.

Enfin, en cas de projet important, les eaux ne sont plus rejetées directement dans le milieu naturel, elles sont récupérées et traitées avant rejet.

Il faut remarquer que le transport routier dans son ensemble représente 26 % du total des émissions des gaz à effet de serre. Les véhicules légers y participent pour moitié. Et sur ces 26 %, la moitié est due aux trajets de courte et de moyenne distance, sur des parcours inférieurs à 50 kilomètres, essentiellement urbains et périurbains.

Le président Christian Jacob en a conclu que si un système de taxation des poids lourds était mis en place, il ne concernerait que 13 % des émissions de gaz à effet de serre émises.

M. Philippe Vigier a abordé la question du moratoire, qui consisterait à ne plus construire d’infrastructures nouvelles et à se contenter de mener à bien les opérations en cours. Or la commission nationale du débat public n’a pas été saisie sur des dossiers justement en cours depuis plusieurs mois. Il a demandé à M. Parisé comment il envisageait l’évolution de ces projets-là.

Le réseau départemental couvre 400 000 kilomètres, et le réseau national 20 000. Quelles initiatives ont été prises en direction des départements ? Il conviendrait de mener une action concertée en matière de lutte contre les gaz à effet de serre. Des chartes de l’environnement ont été mises en place dans de nombreux départements mais une démarche structurée vis-à-vis du réseau routier départemental serait utile.

Qu’y aura-t-il dans les programmes de développement et de modernisation d’itinéraires (PDMI) ? Ceux-ci devraient logiquement s’inscrire dans les exigences gouvernementales de développement durable. Il y a par ailleurs certaines agglomérations et certains réseaux routiers qui sont très encombrés. Il faut donc faire ressortir le bilan écologique global. L’augmentation du taux de réemploi des matériaux, qui atteint par exemple dans le département de l’Eure-et-Loir 50% grâce aux expérimentations menées, permettra d’améliorer ce bilan.

La logistique est un secteur pourvoyeur de nombreux emplois. Il est déjà attaqué de plein fouet par des pays européens qui n’ont pas les mêmes règles sociales et environnementales. La taxation envisagée sur le réseau non concédé pour les poids lourds concernera-t-elle les camions étrangers ? Si ce n’est pas le cas, on risque d’aggraver les distorsions et d’affaiblir encore le réseau français des transporteurs.

M. Patrice Parisé a rétorqué que, bien au contraire, la taxation des poids lourds, telle qu’elle est envisagée, serait de nature à réduire les distorsions de concurrence. Aujourd’hui, sur le réseau non concédé, les poids lourds français sont déjà taxés par le biais de l’acquittement de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), même s’il n’y a pas de péage. Or, un grand nombre de poids lourds étrangers, espagnols ou du nord de l’Europe, sont capables de traverser notre pays sans devoir faire le plein de carburant, d’où un manque à gagner et une distorsion de concurrence avec les transporteurs nationaux qui s’approvisionnent le plus souvent en France et paient, eux, cette TIPP. Si l’on met en place une taxe poids lourds comme celle qui existe en Allemagne, la totalité des transporteurs routiers, qu’ils soient français ou étrangers, supporteront la taxe.

Le ministre n’a jamais confirmé ce moratoire. Il n’est pas question de mener une politique malthusienne et de ne plus rien faire du tout. Le transport routier représente une part importante du transport en France et il faut éviter de pénaliser notre économie.

Cela dit, le réseau routier français est plutôt bien développé par rapport à d’autres pays et l’on devra probablement être plus sélectif s’agissant des projets. C’est pourquoi certains d’entre eux - notamment ceux élaborés dans le cadre des PDMI ou les projets autoroutiers pour lesquels une consultation n’est pas engagée- devront être réexaminés en fonction des orientations que le Gouvernement arrêtera à l’issue du Grenelle de l’environnement.

Le réseau national représente 20 000 kilomètres ; il reçoit 25 % du trafic et l’essentiel du trafic lourd. Il faudra être attentif aux effets de report. Si l’on instaure une taxe sur le réseau national, le trafic risque de se reporter sur d’autres réseaux. Si la décision est prise, ce qui n’est pas le cas, il faudra rendre possible l’incorporation, dans le réseau taxé, de routes appartenant aux collectivités locales.

M. Philippe Vigier a fait remarquer que la loi permettait d’ores et déjà aux départements de lever une sorte de péage pour accéder à certains ouvrages.

M. Patrice Parisé a répondu que l’on n’utiliserait pas un tel moyen. L’idée est de mettre en place, sur le réseau structurant, c’est-à-dire sur le réseau routier national, une taxation.

Plusieurs systèmes sont possibles. Le système suisse consiste en une taxation au premier kilomètre, quel que soit le réseau emprunté, et en fonction du kilométrage parcouru. L’idée est qu’il faut lutter contre les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du territoire. Ce système a l’avantage d’éviter les reports de trafic sur des itinéraires qui ne sont pas conçus pour cela. Le système allemand est différent : c’est le réseau autoroutier qui est taxé. Il s’en est suivi dans un premier temps un report sur les itinéraires non taxés, et les Allemands ont dû corriger leur dispositif.

Si la décision était prise de taxer le réseau routier national, un report s’effectuerait immanquablement sur certaines voies adjacentes, lorsque cela est possible. Il faudrait évaluer ce report et permettre aux collectivités qui le souhaitent d’incorporer la zone concernée au système général de taxation mis en place. On ne serait plus dans le cadre d’une concession, mais dans celui de la taxation d’un réseau, indépendamment de toute opération de construction d’un viaduc, d’un tunnel ou d’un autre ouvrage.

Les PDMI ont été inventés au moment où le Gouvernement a décidé de ne plus faire figurer les aménagements routiers dans les nouveaux contrats de projets. La direction des routes considère qu’il faut avoir une vision pluriannuelle pour mener à bien les grands projets d’aménagement routier qui se développent sur des cycles longs, en moyenne une douzaine d’années. On ne peut pas décider au coup par coup, année après année. Il faut préparer les études, mener les procédures et utiliser rationnellement les moyens budgétaires et humains nécessaires à la réalisation d’un investissement routier.

Le précédent gouvernement avait indiqué que les collectivités ne seraient pas sollicitées et que l’État prendrait ses responsabilités et financerait les opérations sur son réseau. Il a semblé néanmoins légitime de demander aux collectivités territoriales leur avis sur la préparation de la programmation que l’État avait engagée. Ce processus avait été initié avant le changement de gouvernement. Pour l’instant, il est interrompu dans l’attente des orientations gouvernementales, lorsque l’on connaîtra, notamment, l’importance des moyens qui seront finalement consacrés au développement du réseau. La poursuite de cette programmation pluriannuelle dépend des orientations qui sortiront de la concertation sur le développement durable.

M. Bernard Lesterlin a exprimé la crainte que la nouvelle fiscalité envisagée ait des effets pervers, provoquant notamment des reports de trafic selon la qualification des routes. Il a cité l’exemple de la RCEA – la route centre Europe Atlantique - qui a une vocation de liaison internationale de l’Europe de l’Est à la péninsule ibérique et au-delà et celui de l’articulation de l’A 71 et de l’A 75 qui a permis le désenclavement du Massif central.

Si l’on envisageait de concéder le passage définitif à deux fois deux voies de la RCEA, ne risquerait-on pas de créer un report de trafic sur des voies actuellement conçues sans péage ? Certes, on pourrait rentabiliser le viaduc de Millau par un péage, mais cela aurait des effets pervers en matière d’aménagement du territoire et de fluidité du trafic international.

Nous avons été confrontés il y a quelques années à la concurrence entre le transport aérien sur les lignes domestiques et le TGV. Il ne faudrait provoquer une concurrence entre la route et le rail. Mieux vaudrait procéder à des rattrapages sur le rail pour qu’une partie du trafic qui encombre nos routes et produit beaucoup de gaz à effet de serre soit progressivement transférée sur le rail.

La direction des routes a-t-elle réfléchi avec RFF et la SNCF à la manière d’éviter les situations de concurrence entre les différents modes de transports et de créer de véritables complémentarités ?

La route a l’avantage d’être faite aussi bien pour le long cours que pour le cabotage. Cela amène à réfléchir sur la fiscalité et sur le financement du développement durable, qui devrait sans doute être envisagé à l’échelon communautaire et international plutôt qu’à l’échelon strictement national. Les utilisateurs de la route ont parfois des comportements qui ne concourent pas au développement durable et à un aménagement logique du territoire sur le sol national.

M. Patrice Parisé a indiqué qu’on avait hérité de quarante ou cinquante ans de développement du réseau concédé, qui ne constitue pas un modèle de cohérence : certaines autoroutes sont à péage, d’autres pas. Quelques axes, pour des raisons d’aménagement du territoire, étaient libres de péage, mais ils ne le sont plus pour des raisons de contraintes budgétaires. À l’heure actuelle, lorsque doit être réalisée de manière urgente une infrastructure et que les moyens de l’État et des collectivités ne permettent pas de la réaliser dans un délai acceptable, on choisit la concession lorsque c’est possible. En conséquence, aujourd’hui, il n’y a pas de cohérence entre ce qui est payant et ce qui est gratuit.

Il faut savoir que le réseau routier structurant, c’est-à-dire le réseau national, comprend près de 15 000 kilomètres de type voie expresse ou autoroutier, sur un total de 20 000 kilomètres et que 8300 kilomètres correspondent à des routes concédées. Dès qu’on commence à mettre en place une tarification, même à un niveau faible, on provoque des reports.

Aujourd’hui, on ne peut pas considérer que le réseau routier soit utilisé de façon optimale, du fait que certains axes sont gratuits et d’autres sont payants. L’instauration d’une taxe sur le réseau auparavant gratuit permettrait de redonner une certaine cohérence à l’utilisation du réseau.

L’exemple de la RN 10 et de l’autoroute A 10 est célèbre. Comme la première était gratuite et la seconde payante, des hordes de camions ont emprunté la RN 10. Il a fallu aménager la RN 10 mais cela a attiré de plus en plus de camions. C’est l’archétype du dysfonctionnement : une route qui n’a pas été conçue pour cela accueille un fort trafic de poids lourds.

Le fait de mettre en place une taxe, même inférieure à celle du réseau autoroutier, va dans le sens de la cohérence et d’une meilleure utilisation du réseau. Les poids lourds sont en effet incités à rouler sur les voies qui sont faites pour les accueillir et pas sur d’autres, qui n’ont pas été faites pour cela.

S’agissant de la concurrence par rapport au réseau ferré, le fait d’exercer une contrainte sur un mode de transport en appliquant une tarification supérieure va modifier le comportement des chargeurs et des logisticiens qui feront leurs comptes. Une partie de la demande de transport se déplacera vers les autres modes, en particulier vers le ferroviaire. Néanmoins, il faut le faire de manière raisonnable, c’est-à-dire supportable, dans la mesure où le transport routier représente 80 % du trafic, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Taxer fortement ce dernier tant qu’il n’existe pas d’alternative serait contreproductif. Tout le monde sait bien qu’aujourd’hui le ferroviaire n’est pas en mesure d’absorber ce qui transite par la route. En revanche, une politique tarifaire incitant de manière raisonnable à la modification des comportements ne peut qu’aller dans le bon sens.

M. Bernard Lesterlin a fait remarquer à M. Parisé qu’il avait fait une réponse très nationale et qu’il n’avait pas évoqué le niveau pertinent de décision, tant sur la programmation à long terme des infrastructures que sur la taxation. Il lui a demandé si l’avancement de ses réflexions ne l’avait pas amené à envisager une harmonisation tarifaire et fiscale à l’échelle communautaire.

M. Patrice Parisé a répété que la France était soumise à la directive Eurovignette, qui imposait une tarification au coût des facteurs. Sauf exception, on ne peut mettre dans le prix du péage ou de la taxe que la valeur non amortie de l’infrastructure et ses coûts d’entretien et d’exploitation. Il n’est pas possible d’aller au-delà, quel que soit le mode de tarification ; d’ailleurs, en droit européen, la tarification des routes est toujours qualifiée de péage. Il n’est donc pas admis d’internaliser certains coûts externes : coûts de congestion, coûts environnementaux. Néanmoins, la Commission réfléchit à une évolution de la directive, qui permettrait d’introduire des coûts environnementaux.

Lors des discussions qui avaient eu lieu lors de l’adoption de la dernière directive, les tenants de l’internalisation de certains coûts avaient proposé, entre autres, l’intégration d’une écotaxe et la prise en compte de divers facteurs. Cette proposition, défendue par la France, avait été vigoureusement combattue par les pays de la périphérie. Les pays du centre de l’Europe sont traversés plus que les autres par les camions alors que leurs besoins, en termes de transports, sont, par définition, beaucoup moins importants que ceux des pays de la périphérie. Et ces derniers ont veillé à ce que l’on ne renchérisse pas le prix de leurs transports. Voilà pourquoi la directive Eurovignette ne comporte pas d’internalisation des coûts externes.

De ce point de vue, il existe une certaine contradiction entre cette directive et le Livre vert de la Commission sur les questions de développement durable et de régulation des transports, qui plaidait pour l’évolution que la France appelle de ses vœux.

M. Philippe Boënnec s’est demandé comment concilier l’écologie, l’économie et l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, tout ce qui concerne les grands ouvrages, les autoroutes, est un peu mis à l’index. Le développement durable aura sûrement des effets positifs sur l’économie ; par exemple, il permettra l’apparition de nouveaux métiers. Reste que le pays a besoin de croissance et que, dans certains secteurs, l’aménagement du territoire est insuffisant. Comment pourra-t-on faire ressortir les grands dossiers d’aménagement ?

Les élus riverains de l’estuaire de la Loire déplorent les problèmes de franchissement de ce fleuve. L’autoroute des estuaires est fondamentale pour la région ; il faut tenir compte de l’existence d’un aéroport international, d’un port autonome et détourner le trafic de certaines agglomérations. Il faudra bien réaliser des équipements pour permettre à l’économie de se structurer. Si l’on veut mettre en place les autoroutes de la mer, il est indispensable de pouvoir amener des camions jusqu’au port autonome, ce qui n’est pas possible actuellement.

Comment ces projets seront-ils traités demain ? Comment les conflits d’usages seront-ils résolus ? Est-ce que l’on décidera de ne plus faire de grands ouvrages sur des sites aussi sensibles ?

Le président Christian Jacob a résumé les interrogations de nombreux parlementaires : est-ce que le développement économique est compatible aujourd’hui avec le respect de l’environnement ? Tout le monde est sensible aux questions d’environnement. Pour autant, il n’est pas question d’entrer dans une logique de décroissance.

M. Patrice Parisé a répondu que si l’on n’exerçait pas de contraintes sur le transport routier et que, chaque fois que se présentait un problème de transport, on créait un nouveau pont ou une voie supplémentaire, on ne permettrait jamais aux modes alternatifs de se développer. Néanmoins, il n’a jamais été dans le propos du Gouvernement, en particulier du ministre d’État, de dire qu’on ne construirait plus de routes, qu’on arrêterait tout et qu’on ferait un moratoire.

Il faut adopter une attitude raisonnable et équilibrée. Reste à savoir comment s’y prendre. Il faudra sans doute adopter un rythme d’investissement un peu inférieur à celui de ces dernières années.

On peut construire 50 kilomètres plutôt que 100 kilomètres de routes par an, on peut mener une politique de l’urbanisme et de l’habitat en limitant l’étalement urbain, mais cela ne changera pas fondamentalement la donne. Si l’on veut changer la donne, il faut investir massivement dans les modes de transport, notamment le ferroviaire, et consentir un important effort de recherche sur les motorisations, développer de nouvelles technologies de moteurs propres, ce qui, par ailleurs, placerait l’industrie automobile dans une excellente position.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas réduire un peu les investissements sur les routes, tarifer le réseau routier national non concédé, mener une politique raisonnée du logement et de l’urbanisme. On doit s’engager dans ce sens-là, même si ce doit être long.

Pour avoir des résultats forts à relativement court terme, sans contrarier à l’extrême les citoyens français qui aiment bien leur voiture, et sans pénaliser le transport routier qui est indispensable au fonctionnement de l’économie, il conviendrait donc d’aller vers une rupture technique et technologique en matière de motorisation.

M. Philippe Boënnec a rétorqué que sa question portait plutôt sur l’aménagement du territoire. Les ports autonomes, notamment dans l’estuaire de la Loire, souffrent d’un fort déficit d’aménagement. Si l’on se promène à Amsterdam ou à Rotterdam, la situation y est bien différente. Il faudra bien, tout en protégeant notre environnement, mettre en place des équipements permettant de disposer d’une économie aussi forte. Le potentiel est gigantesque. Arrêter tout aménagement conduirait à une récession économique.

M. Patrice Parisé a reconnu que le sujet était d’une extraordinaire complexité, mais qu’il n’était dans l’esprit de personne de tout arrêter.

Le président Christian Jacob a indiqué que, dans le cadre des contrats d’itinéraires, le préfet était chargé de faire remonter les dossiers prioritaires. Il appartient alors au directeur des routes d’intervenir.

M. Philippe Boënnec a remarqué que, pour tous ces grands projets, il fallait faire un écobilan global.

M. Patrice Parisé a observé qu’auparavant, la contrainte environnementale n’était pas aussi prégnante, mais que la contrainte budgétaire était déjà là.

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Audition de M. Olivier Marembaud, directeur général délégué de Fret SNCF.

(Séance du 16 octobre 2007)

Le président Christian Jacob a souhaité la bienvenue à M. Olivier Marembaud, directeur général délégué de Fret SNCF, et lui a demandé de faire le point sur la situation du fret SNCF et du fret ferroviaire en général.

M. Olivier Marembaud a souligné que l’on était à un moment où apparaissait une demande importante des clients et des collectivités. Alors que le fret ferroviaire a souvent fait figure de mal aimé dans la période récente, un basculement fondamental est en train de s’opérer. Le fret ferroviaire n’obtient aujourd’hui que 11 % de parts de marché en France, contre 50 % dans les années soixante. Il représente 40 % de parts de marchés aux États-Unis.

Cette situation tient certes à la géographie économique de la France, où les flux industriels sont peu importants et diffus, mais aussi à diverses mesures qui ont favorisé le transport routier : taxation plus favorable au secteur routier, dispositions législatives ou réglementaires rendant le fret ferroviaire très contraint, notamment en ce qui concerne les règles d’emploi des personnels. Pendant très longtemps, la politique de développement de la SNCF a également donné la priorité au trafic « voyageurs ».

Aujourd’hui apparaît un projet de développement du fret orienté vers le haut débit ferroviaire : il y a la volonté de mettre à la disposition des clients le meilleur du ferroviaire, c’est-à-dire sa capacité de massification et d’emport sur de longues distances. Il s’agit de mettre en œuvre pour le fret ferroviaire un projet du même ordre que celui qui a conduit au développement du TGV pour les voyageurs.

Pour cela, il va falloir être capable de redéployer des moyens sur ces grands flux de marchandises, c’est-à-dire mettre des wagons là où il y a actuellement des camions. On peut ainsi procéder par la mise en place de trains entiers allant de point à point pour répondre aux besoins déjà très massifiés de l’économie et aussi anticiper, en réservant des sillons pour des besoins identifiés. Cela vient d’être fait entre l’Est et le Sud-Est mais aussi entre la région Rhône-Alpes et le Sud-Ouest.

Il est également possible d’offrir un service de wagon isolé, d’un point à un autre en passant par des points de concentration. Ce service, qui correspond à une certaine évolution de l’économie et à la fragmentation des envois, peut avoir de réelles perspectives s’il s’effectue dans des zones denses à l’arrivée et au départ, c’est-à-dire s’il est bien situé là où existent des flux et des besoins. Tel est l’objet d’un des programmes du haut débit ferroviaire, avec la mise en place de trois grands « hubs » traitant ces wagons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour assurer les dessertes avec une circulation très rapide. Il pourrait ainsi y avoir une trentaine de plateformes en France.

La troisième possibilité est celle du transport combiné avec des conteneurs. Cette réponse est de plus en plus utilisée et l’utilisation de ce mode de transport progresse de 15 % par an. A cet égard, les ports constituent de plus en plus les poumons du développement du trafic ferroviaire et le haut débit ferroviaire est aussi orienté vers le transport combiné, comme l’atteste la volonté de créer de nouvelles dessertes, telles Lyon-Anvers mais aussi Clermont-Ferrrand-Le Havre ou Cognac-Le Havre par exemple. Il s’agit de répondre aux besoins des territoires au fur et à mesure que l’économie bouge.

C’est dans ce cadre qu’a été restructuré le service des wagons isolés et qu’ont été supprimées 262 dessertes, afin que le dispositif industriel soit resserré sur certains flux et corresponde aux besoins dans un souci de plus grande efficacité. Il faut néanmoins savoir que les 262 dessertes en cause ne concernaient que 150 clients environ, que la moitié d’entre elles n’avait aucun trafic et que les deux tiers traitaient moins de trois wagons par mois. Des solutions alternatives sont actuellement examinées avec ces clients.

Il est indéniable qu’il y a des attentes extrêmement fortes du côté des clients, ce qui implique une remise à plat du service. Les relations avec les clients évoluent et il faut chercher à massifier les envois. Par ailleurs, la dimension européenne prend de plus en plus d’importance. Ainsi 40 % du trafic se fait à l’international, ce qui est le cas, par exemple, chaque fois que la distance dépasse 500 kilomètres. Le développement européen passe par de nouveaux accords garantissant aux clients la qualité et le prix de la prestation.

Dans cette optique ont été mises en place des dessertes directes vers le port d’Anvers depuis Lyon et Perpignan assurées dans leur totalité par des locomotives et des conducteurs français. Il y a une situation analogue avec l’Italie, parcours au cours duquel la continuité du service est assurée de bout en bout, et des solutions contractuelles sont recherchées avec les réseaux voisins, notamment celui des CFF – les chemins de fer suisses -, afin qu’ils assurent des opérations de sous-traitance permettant de garantir la prestation au client.

Le monde du transport ferroviaire, qui était autrefois régi par des relations diplomatiques entre des entreprises en situation de monopole, entre dans l’ère industrielle, ce qui implique la passation de contrats avec des entreprises et des engagements vis-à-vis des clients. La révolution managériale en cours est également essentielle dans un contexte désormais marqué par l’ouverture à la concurrence.

Cette ouverture, effective depuis le 1er avril 2006, a eu certaines vertus. Certes, la concurrence a pris 3 à 4 % de parts de marché, mais cela a renvoyé la SNCF à la question fondamentale de la relation avec les clients et à la notion de compétitivité, tant en termes de qualité qu’en termes de coûts. Est ainsi apparue la nécessité d’une réforme profonde en interne, en repensant l’organisation même du travail avec les personnels. En effet, l’amélioration du service passe inéluctablement par la spécialisation des personnels au fret et une réorientation vers des objectifs plus technico-commerciaux. Il est devenu indispensable de discuter des conditions permettant de réaliser de bonnes performances. Il faut notamment une chaîne de décision courte et un système permettant d’accroître l’efficacité au sein de la SNCF, sans recourir à la filialisation.

Il y a la volonté de faire jouer un grand rôle au transport ferroviaire à l’avenir pour répondre aux attentes qui se manifestent, ce qui nécessite de reconstruire à partir des bases existantes un modèle dans ses multiples dimensions : géographique, managériale, européenne. Cette transformation doit être portée de l’extérieur et de l’intérieur.

Cette transformation est un enjeu économique très important pour la SNCF. Actuellement, le fret SNCF perd beaucoup d’argent : 260 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros, soit 15 % de son chiffre d’affaires. Les perspectives de développement et de rentabilité existent, mais cela nécessite une véritable révolution interne.

Le président Christian Jacob a d’abord demandé quel serait, à infrastructures constantes, le pourcentage du fret qui, à échéance de cinq ou dix ans, pourrait basculer de la route au rail. Que pourrait être ce taux avec une modification adéquate des infrastructures ?

En ce qui concerne les liaisons portuaires, pourquoi le port dit « de proximité » pour Lyon et Perpignan est-il Anvers ? Comment sont organisées les relations entre le fret SNCF, les ports français et VNF ?

M. Olivier Marembaud a insisté sur la transformation des services. En effet, la première demande des clients est la qualité et la compétitivité au sens large. Bien des choses sont réalisables dans le cadre existant. Ainsi la SNCF a été capable, en l’an 2000, de transporter 53 milliards de tonnes/kilomètre avec les infrastructures actuelles. Cette année il ne s’agira que de 41 milliards de tonnes/kilomètre, mais la comparaison n’est pas absolue.

Avec des efforts de massification, notamment en faisant circuler des trains plus longs et plus lourds, il est possible de gagner des capacités avec les mêmes infrastructures et d’accroître le trafic. La question délicate est celle de l’attribution des sillons dans le cadre des infrastructures actuelles, les sillons étant les horaires durant lesquels les trains de fret peuvent emprunter les voies.

Dans les derniers temps, la priorité a souvent été donnée aux trains de voyageurs, en raison du développement des TGV et TER. Il est très difficile aujourd’hui de tracer des sillons de trains de fret sur longue distance à travers la France avec une vitesse moyenne satisfaisante. A situation constante en termes d’infrastructures, il reste possible d’atteindre une augmentation significative du trafic de fret : on devrait pouvoir atteindre l’objectif de 25 % fixé par les pouvoirs publics, dès lors que la question de l’affectation de sillons aura été reposée dans de nouveaux termes.

En effet, la logique de la circulation d’un train de fret est très différente de celle d’un train de voyageurs. Contrairement aux trains de voyageurs, dont les horaires et les jours de circulation sont programmés à l’avance pour une période déterminée, il est plus difficile de programmer tout au long de l’année des sillons bien définis pour le fret, car il faut pouvoir être à tout moment en mesure de répondre aux besoins des clients. Il est indispensable d’avoir davantage de souplesse dans l’utilisation des sillons et de retravailler sur les règles d’affectation des infrastructures.

Le président Christian Jacob a demandé si cela impliquait que l’on retire certaines affectations de sillons au transport des voyageurs.

M. Olivier Marembaud a répondu que cela pouvait vouloir dire cela, mais que, surtout, il faudrait organiser le graphique en définissant par avance des zones réservées au fret. Il n’y a rien d’arithmétique ; il faut seulement mener une réflexion entre le gérant des infrastructures et l’entreprise ferroviaire pour dégager des capacités de transport, même si dans certains cas des conflits peuvent apparaître.

L’exemple de la rive droite du Rhône est significatif, car il s’agit du seul itinéraire spécialisé dans le fret à haut débit, qui achemine des convois du Nord de la France jusqu’au bassin de Fos. Or, commencent à arriver des demandes de réinstallation de lignes de transport de voyageurs par TER de la part des régions PACA et Rhône-Alpes. La question est donc de savoir quelle est la bonne allocation des infrastructures publiques, entre le fret à longue distance et le transport de voyageurs qui peut se faire par la rive gauche ou par bus.

Cela étant, les structures actuelles ont des limites. Si le trafic de fret ferroviaire progressait fortement en raison d’un accroissement de la demande des clients et de la volonté des pouvoirs publics, il y aurait fatalement des blocages, essentiellement dans la périphérie des grandes agglomérations, surtout autour du nœud lyonnais ou de la grande couronne parisienne. Il deviendrait alors indispensable de réaliser des infrastructures d’évitement permettant de fluidifier la circulation, ce qui signifie que des investissements lourds seraient nécessaires.

En ce qui concerne la question spécifique des ports, le fait d’avoir cité Anvers revêtait une part de provocation, car il est évident que le fret souhaite travailler davantage avec les ports français. A cet égard, se posent certes des questions relatives au transport ferroviaire lui-même, mais il convient surtout de revoir l’ensemble de la chaîne portuaire. En effet, la compétitivité d’un port dépend des filières de manutention, de la capacité d’attirer des armateurs, de l’ergonomie et du bon fonctionnement du transfert du chargement du bateau vers les autres modes de transport, ainsi que de l’efficacité de la gestion des voies de ports, de surcroît avec l’ouverture à la concurrence.

S’appuyant sur l’exemple de la ligne à grande vitesse Sud Europe-Atlantique, Mme Martine Lignières-Cassou a estimé que les développements respectifs du fret ferroviaire et du transport de voyageurs étaient concurrentiels. Si l’on veut développer le fret ferroviaire, il faut donc réaliser une nouvelle voie et des infrastructures complémentaires, ce qui pose clairement la question des moyens financiers. Ce type de conflit ne se posera pas seulement dans les grandes agglomérations, mais aussi dans tous les espaces périurbains, si on souhaite y développer des modes de transport collectif.

Il n’est pas critiquable de vouloir développer le fret ferroviaire et de communiquer là-dessus. Mais la suppression de 262 gares ne s’inscrit guère dans cet axe. Comment gérer cette antinomie ?

M. Frédéric Cuvillier a souligné qu’il savait, pour avoir participé à l’audition de Mme Idrac devant la commission des affaires économiques, que la mention du port d’Anvers n’était pas une provocation, puisque ce sera désormais la destination d’agents travaillant jusqu’ici dans les gares –portuaires- de Boulogne-sur-mer et de Calais, qui vont être fermées. Les plans d’aménagement portuaire élaborés à la suite de la décentralisation, tels celui du port autonome de Dunkerque, méritent l’attention de la SNCF. En effet, une concurrence existe également entre ports et le principal concurrent des ports français est Anvers. On peut donc s’interroger en voyant l’entreprise publique citoyenne, souvent aidée par les collectivités locales dans d’autres secteurs, travailler surtout avec des ports étrangers. Une démarche similaire envers les ports français pour favoriser leur développement semble souhaitable.

Peut-être conviendrait-il, en l’espèce, de travailler aussi avec RFF. Les chefs d’entreprises sont incités à recourir à d’autres modes de transport que le fret ferroviaire. La vitesse moyenne des trains de marchandise est de 20 km/h et ces trains sont plus souvent à l’arrêt qu’en mouvement. Or, pour assurer une liaison ininterrompue du Nord vers l’Ouest, il ne manquerait apparemment plus que quelques centaines de mètres de voies près d’Amiens. Un aménagement est-il envisagé ?

Parfois les trains de marchandises doivent rouler au ralenti sur certaines portions en raison de l’état dégradé du réseau. Ce sujet a été évoqué lors de l’audition de Mme Idrac et a été émise l’idée d’y voir plus clair sur ce point grâce à une mission d’information.

M. Olivier Marembaud a d’abord répondu aux interrogations sur les moyens financiers et aux conséquences pour le fret de la réalisation d’infrastructures nouvelles.

Le fret a un intérêt évident à la création de nouvelles infrastructures ferroviaires spécifiques, car cela permettrait de désaturer le réseau. Ce serait donc très positif.

Les problèmes périurbains sont connus, mais il faut également penser au développement de la logistique urbaine, afin de permettre d’amener des marchandises au centre des villes par la voie ferroviaire. En l’espèce, une expérience sera menée au mois de novembre avec Monoprix à Paris : un train amènera tous les jours les produits attendus du sud de Paris à la gare de Lyon, sans embouteillages, et ils seront ensuite distribués dans tout Paris par de petits camions fonctionnant au gaz. Cela montre comment on peut prendre en compte des besoins nouveaux.

En ce qui concerne les moyens financiers, le fret ferroviaire n’a pas actuellement les moyens, compte tenu de la concurrence, de payer les péages qui seraient nécessaires pour développer le réseau, sinon ce serait toujours le client qui paierait in fine. Cela étant, la SNCF est tout à fait favorable à la réalisation de shadow péages ou péages verts, une partie du péage du fret étant alors pris en charge par une contribution publique, car le fret ferroviaire contribue au développement durable et à l’aménagement du territoire. Des questions comme l’écotaxe ou l’eurovignette sont aussi à prendre en considération.

D’autres éléments de solution se situent à l’intérieur de la SNCF, avec la transformation de son organisation et l’amélioration des contacts avec les clients. Mais la question des grands équilibres économiques reste en tout état de cause présente.

La suppression de 262 dessertes répond à la volonté de resserrer le dispositif et d’améliorer la compétitivité de l’entreprise afin de développer le mode ferroviaire. Il ne s’agit nullement d’un retrait de principe pour quitter certaines zones. Cela correspond également à une réorganisation financière. Ce choix a ainsi permis de récupérer une quinzaine de locomotives qui, au lieu de tirer deux ou trois wagons, vont désormais en tracter une vingtaine dans des zones à forte densité de trafic.

Il ne faut pas oublier que ces locomotives ont été financées par des fonds publics. L’entreprise a donc la responsabilité de les utiliser au mieux de l’intérêt de la collectivité nationale, notamment en permettant de transférer des camions sur des trains là où se trouve le trafic. Une cartographie très parlante sera envoyée à la délégation. Il s’agit d’une carte européenne montrant où se situent les flux, tous modes de transport confondus. Il en ressort que la France a des zones denses et d’autres qui le sont moins et que le ferroviaire est un mode transport lourd, qui apporte une réponse industrielle adaptée à des flux.

M. Frédéric Cuvillier a relevé que s’il n’y avait plus d’offre pour certains modes de transport, il n’y aurait plus de flux !

M. Olivier Marembaud a ajouté que cela n’interdisait pas d’investir pour le futur. Il faut toujours garantir la réversibilité des choix. L’exemple de Cognac est parlant à cet égard : alors que le point de chargement de conteneurs avait été supprimé lors de la restructuration de la Compagnie nouvelle des conteneurs, un nouveau trafic est apparu ; en conséquence, en trois mois a été mis en place un train régulier vers Le Havre.

Pour ce qui est des ports, l’objectif est d’être au contact permanent avec eux et de travailler davantage avec les ports français. Le trafic wagons isolés de Boulogne était faible. La SNCF continuera à desservir d’une façon ou d’une autre le port de Boulogne, car elle se doit d’y être présente et que les ports sont générateurs de trafic. En tout état de cause, il faut que les différents acteurs se mettent autour d’une table avec la volonté de développer le ferroviaire et dans le nouveau contexte marqué par l’existence d’autres opérateurs ferroviaires que Fret SNCF.

Quant à la vitesse moyenne, il est exact qu’elle est faible, mais cela reste lié à la question des sillons. Les vitesses peuvent atteindre 80 à 100 km/h de façon optimale, lorsqu’il s’agit de tracés sans points d’arrêt. Mais, bien souvent, les trains de marchandises sont arrêtés pour laisser passer d’autres trains.

M. Pascal Deguilhem a souligné que l’on ne pouvait qu’être favorable au développement du fret ferroviaire à haut débit, alors que certaines autoroutes sont surchargées de norias de camions. Pour autant il ne faudrait pas que tous les moyens soient concentrés sur ce transport massifié à haut débit, au risque de négliger des opérations essentielles pour les territoires et de fragiliser le tissu économique local. Quel avenir pour le service de wagons isolés, si l’on resserre son dispositif ?

Dans certains départements, le problème des sillons ne se pose pas puisqu’il n’y a même plus de TER. En supprimant les wagons isolés, on va entraver l’activité économique locale et mettre sur la route un trafic de poids lourds supplémentaire, alors que le réseau routier n’est pas adapté.

Si les fonds publics ont été utilisés pour l’achat des locomotives, ils ont également financé l’aménagement des réseaux. Or, certains embranchements seront rendus inutiles par la fermeture de gares. Il existait pour certaines de ces gares un véritable trafic, pour lequel il n’y a pas aujourd’hui de réponse alternative. Et dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avons à répondre des conséquences des choix qui sont faits aujourd’hui.

M. Lionel Tardy a déploré la mauvaise visibilité des acteurs du fret de la SNCF. Appartenant depuis plusieurs années à la chambre de commerce et d’industrie de la Haute-Savoie, il a souligné avoir dû attendre son élection au Parlement avant de pouvoir rencontrer des responsables de ce secteur. Il y a un changement complet d’image à opérer.

Le problème du fret est également lié à la question des infrastructures et à l’action de RFF. Ainsi, en Haute-Savoie, c’est presque partout la voie unique. Il est donc indispensable que l’État soit capable de mettre en place des actions structurantes, pour aller vers des modes de transports plus doux et moins polluants.

Il se produit aussi parfois des choses étonnantes : ainsi, le marché pour le transport de l’eau d’Évian a été remporté par une entreprise britannique. Comment peut-on expliquer ce résultat ?

Mme Marie-Lou Marcel a indiqué qu’elle était élue d’un département, l’Aveyron, qui a été fortement touché par la suppression de gares, qui n’est pas sans poser de problèmes. S’il n’y a plus de possibilité de faire voyager le fret par le système des wagons isolés, cela remet le transport de ces marchandises sur les routes. Or le département de l’Aveyron est enclavé, aussi bien pour les routes que pour le ferroviaire.

Ces suppressions touchent donc aux questions d’aménagement du territoire, d’environnement et de développement durable. Dans le Nord-Est de la région Midi-Pyrénées le réseau ferroviaire est dans un état particulièrement lamentable et même les trains de voyageurs sont limités à 50 km/h. Des inquiétudes pèsent par ailleurs sur la ligne Cahors-Capdenac, actuellement fermée et dont le démantèlement serait à l’ordre du jour. Or elle pourrait constituer un axe stratégique dans le cadre du développement du fret ferroviaire.

M. Olivier Marembaud a souligné que le trafic des 262 dessertes supprimées était concentré sur 28 clients principaux et que des discussions avaient eu lieu pour rechercher d’autres alternatives : massification des envois et maintien d’une desserte avec une fréquence plus réduite, mise en place du transport combiné et remplacement des wagons par des conteneurs, procédé « fercam » avec reprise des marchandises par camions.

Il convient donc de relativiser l’impact de ces fermetures et de n’oublier ni les solutions de remplacement proposées ni l’économie de moyens ainsi réalisée par la SNCF et réinvestie ailleurs.

Une formule nouvelle est également expérimentée : celle des opérateurs ferroviaires de proximité. Il est en effet difficile à la SNCF, habituée à des trafics très importants, de s’adapter à des situations locales très spécifiques. Comment répondre aux besoins de polyvalence pour ces dessertes ? Cette formule a été développée dans de nombreux pays, en particulier en Allemagne et aux États-Unis : de petites entreprises locales assurent la desserte et le contact avec l’opérateur ferroviaire national. Ainsi la SNCF, dans son rôle de conseil et d’appui, a déjà passé, avec des chargeurs de la région Centre et avec le Conseil régional, une convention dont l’objet est de créer, dans cette région, un opérateur ferroviaire de proximité. La mise en place interviendra au début de 2008

Il s’agit d’une formule intéressante et novatrice : elle permet à la fois d’intéresser les chargeurs au développement de leur trafic et d’offrir une solution nouvelle qui n’était pas envisageable dans une organisation aussi lourde que la SNCF. Des projets similaires sont à l’étude dans l’Aveyron, en Auvergne, dans le Morvan et en Languedoc-Roussillon. Cela permet une revitalisation des territoires.

Cela étant, il peut y avoir des problèmes d’infrastructures, qui sont de la responsabilité de RFF. Ainsi, dans la région Centre, il faudra investir 75 millions d’euros pour assurer les dessertes dans des conditions satisfaisantes en faisant sauter des points noirs.

Il est toujours bien prévu de développer la formule du wagon isolé. De nombreux clients apprécient ce service et souhaitent son développement. Certains acceptent d’en payer le prix, sans pouvoir cependant disposer d’une qualité à la hauteur de leurs attentes compte tenu du caractère très diffus du service. Tel est le cas, par exemple, de la chimie et de la sidérurgie. A l’inverse, dans d’autres cas, ce service rendu n’est pas payé au prix de revient.

Il va falloir restructurer ce secteur pour développer ce mode de transport, à l’image de ce qui a été fait en Allemagne. Ainsi, de 2002 à 2007 a été opérée dans ce pays une restructuration totale qui a ramené le nombre des points de desserte de 2 100 à 1 400. Il en est ressorti un dispositif resserré qui a permis de diviser par deux le nombre de points de triage et de supprimer des branches de dessertes non rentables. La filiale fret de la Deutsche Bundesbahn est ainsi devenue rentable et s’est développée. Elle a pu racheter des entreprises étrangères, comme EWS le leader britannique du fret ferroviaire, qui dispose d’une filiale en France, ECR, mais aussi Transfesa, un opérateur de transfert entre la France et l’Espagne. Il y a une européanisation du secteur des transports dont il faut absolument tenir compte.

La question de l’image et de la perception du service dans le public est un problème majeur. En effet, le fret SNCF est associé à l’image d’une entreprise lourde et bureaucratique et l’idée est d’en faire aujourd’hui un ensemble adaptable. Il y a une forte volonté d’offrir un service adapté à des clients forts différents. Son personnel doit donc se spécialiser. Le changement d’image passe d’abord par un meilleur service rendu aux clients.

En ce qui concerne les eaux d’Évian, il y a eu un appel d’offres et la société qui l’a emporté – elle est britannique - avait proposé des tarifs inférieurs au prix de revient qu’il en aurait coûté à Fret SNCF. Le défi est donc de pouvoir faire une offre de qualité compétitive en prix. La seule concurrence était auparavant celle de la route.

L’arrivée d’une concurrence dans le domaine du fret ferroviaire aide cependant à développer le trafic. Il faut soutenir le fret SNCF qui est en croissance de 3,5 % depuis début 2007, après six années de pertes. Une forte augmentation est espérée et fret SNCF sera au rendez-vous, même si la concurrence étrangère a pris 3 à 4 % du marché.

Le président Christian Jacob a remercié M. Olivier Marembaud de ces informations.

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Audition de M. Jean-Marie Dauger, directeur général délégué de GDF, directeur de la branche « Global Gaz et GNL ».

(Séance du 23 octobre 2007)

Le président Christian Jacob a accueilli les représentants de Gaz de France en rappelant le travail de fond entrepris par la Délégation sur le Grenelle de l’environnement. Quelle est la position de GDF sur les exigences nées du débat public lancé dans le cadre de ce processus ? Quelles sont les perspectives ouvertes par l’innovation ? Dans le secteur automobile notamment, l’utilisation du carburant gaz naturel véhicule (GNV) a-t-il un avenir ? Quel serait l’avis de GDF sur la proposition d’une attribution du crédit d’impôt pour les véhicules propres en fonction du niveau d’émissions de CO2 qui viendrait se substituer à la logique actuelle d’une attribution par filière ?

M. Jean-Marie Dauger a remercié la Délégation pour son invitation. GDF s’est inscrit dans le processus du Grenelle de l’environnement à travers le groupe « énergie » du MEDEF. L’entreprise avait d’ailleurs anticipé les problématiques environnementales en prenant spontanément l’engagement de diminuer d’ici fin 2007 de 10 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, alors que son activité a quasiment doublé dans le même temps. Elle s’est aussi engagée en faveur de la recherche et de la diversification énergique, en investissant notamment dans l’éolien avec un objectif fixé à 10 % du parc de production électrique.

Les émissions de gaz à effet de serre de la France ont diminué de 2 % durant les quinze dernières années. Toutefois, elles ont augmenté sur la même période de 22 % dans le secteur des transports et de 15 % dans le secteur-clef du bâtiment malgré la baisse des consommations destinées au chauffage. L’énergie utilisée dans le logement à d’autres fins que le chauffage ou la production d’eau chaude, tels l’éclairage ou l’usage d’équipements électro-ménagers, a en effet sensiblement augmenté, ce qui explique une augmentation globale de 30 % de la consommation d’énergie des bâtiments. Il reste donc beaucoup à faire.

Que peut apporter le gaz naturel au débat du Grenelle de l’environnement ? Le développement de cette énergie est certain, même s’il en a été relativement peu question dans les groupes de travail du Grenelle de l’environnement. Il s’agit certes d’une énergie fossile, et donc productrice de CO2, mais le niveau d’émissions est beaucoup moins important que celui du pétrole. Énergie abondante, accessible, le gaz naturel est nécessaire au panachage du bouquet énergétique national sans lequel le pays n’assurerait pas sa sécurité stratégique, économique et technologique. La diversification énergétique est indispensable, le choix de s’en remettre à une seule source d’énergie pouvant s’avérer dramatique dans l’avenir. Et le gaz naturel est l’une des rares options disponibles à moyen terme et favorable sur le plan énergétique. Il a de nombreux atouts. C’est l’énergie fossile la plus vertueuse, avec des émissions de CO2 inférieures de 25 à 30 % à celles du fioul et de 50 % à celles du charbon. Le recours au gaz ne génère quasiment pas de déchets et il ne nécessite pas de prélèvements d’eau. Transporté et distribué quasi-exclusivement par des canalisations enterrées, il jouit d’une très grande acceptabilité sociale, notamment en comparaison avec les projets de lignes électriques à haute tension. Les réserves sont garanties pour les soixante-dix prochaines années à des conditions économiques acceptables. Les rendements sont élevés, allant de 54 % pour les cycles combinés à turbine à gaz à 75 % grâce à la cogénération. Le gaz naturel fournira une transition idéale vers une économie sans carbone.

Dans le bâtiment et en termes de rejet de CO2 dans l’atmosphère, le gaz apparaît comme une solution pertinente non seulement par rapport au fioul mais aussi en comparaison avec l’électricité. Le chauffage au gaz naturel produit 230 grammes de CO2 dans l’atmosphère par kilowattheure. Par comparaison, le chiffre de 180 grammes par kilowattheure souvent retenu pour le chauffage électrique est très contestable. En effet, ces données non actualisées datent d’une période relativement ancienne allant de 1998 à 2003 où existait une certaine surcapacité nucléaire par rapport à nos besoins ; les pics de consommation d’énergie électrique en hiver sont couverts aujourd’hui essentiellement par des centrales thermiques peu optimisées qui permettent de compléter la production d’énergie d’origine nucléaire. Une estimation de 280 grammes par kilowattheure, au mieux, apparaît un minimum pour un parc optimisé. Au vu de l’état actuel du parc nucléaire et dans l’attente de la mise en place de l’EPR, le contenu en CO2 du kilowattheure additionnel pour tout nouveau chauffage électrique est sans doute plus proche de 600 grammes. Le développement du chauffage électrique n’est donc pas la solution, sachant que l’énergie nucléaire reste surtout adaptée à des usages relativement stables, et non modulés, et que tout nouveau chauffage électrique sera alimenté par une énergie importée ou produite par une installation thermique mal optimisée.

Le gaz naturel offre également des solutions technologiques intéressantes. C’est même la solution la plus compatible avec le déploiement des énergies renouvelables. Parce que le chauffage au gaz naturel s’appuie sur l’eau comme vecteur et que ce système fonctionne sur la base d’une « boucle d’eau chaude », il peut être facilement complété par les apports de l’énergie solaire ou d’autres énergies renouvelables (bois, pompes à chaleur) ; en outre, contrairement aux systèmes de chauffage électrique, il présente l’avantage de reposer sur un circuit de distribution de chaleur tout à fait adaptable et évolutif. Le gaz naturel se prête aussi aux technologies performantes d’aujourd’hui et de demain. La technologie performante d’aujourd’hui est la chaudière à condensation, qui permet un gain de rendement de 15 à 30 % par rapport à une chaudière classique. La technologie performante de demain est la chaudière électrogène, qui fournit à la fois la totalité du besoin thermique et une partie du besoin électrique de l’habitation.

L’alliance du gaz naturel et des énergies renouvelables est donc l’un des moyens efficaces pour atteindre les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement. Mais par quels moyens peut-on promouvoir cette solution ? Il faut privilégier tout d’abord des mesures simples. Tout d’abord, l’instauration d’une fiscalité favorable aux produits innovants paraît tout à fait opportune et les systèmes de crédits d’impôts doivent être adaptés aux technologies futures. Il serait à cet égard judicieux de réorienter le crédit d’impôt existant pour l’installation d’une chaudière à basse température, qui correspond à un produit désormais banalisé et mature, vers les chaudières à condensation pour les logements neufs à hauteur de 40 % du montant de l’investissement. Un tel transfert n’aggraverait pas la situation de nos finances publiques. Il serait également opportun de prévoir un crédit d’impôt de 50 % pour les futures chaudières électrogènes pour préparer l’avenir.

La seconde recommandation de Gaz de France pour accompagner le développement de solutions innovantes est de revoir l’évaluation des impacts et la mesure des émissions de CO2 sur une base incontestable. Toute mesure fiscale ou réglementation étant assise sur une norme ou un critère, il faut s’assurer que ce critère est pertinent et qu’il est construit à partir de chiffres avérés. De même, il convient de s’assurer à tout moment que ce critère est pérenne, c’est-à-dire qu’il corresponde aux usages prévisibles pour les 15 à 20 ans à venir. GDF propose à ce titre la définition d’une méthodologie officielle et commune de calcul et la création d’un observatoire permanent des émissions de CO2 liées aux usages énergétiques dans les bâtiments.

Il est par ailleurs nécessaire pour évaluer l’efficacité CO2 des différentes filières de continuer à raisonner en énergie primaire et non secondaire, c’est-à-dire de prendre en compte l’ensemble de la chaîne énergétique, de la production à la consommation, et non pas seulement l’un de ses maillons. Aujourd’hui, c’est le raisonnement qui prévaut dans les conventions internationales et il importe de ne pas s’en écarter.

GDF approuve la fixation de nouveaux objectifs de consommation d’énergie dans le bâtiment par le Grenelle de l’environnement. Il est possible et réaliste d’imposer des contraintes plus strictes dans la réglementation thermique. GDF propose de retenir dans le neuf à l’horizon 2010 une consommation maximale des logements comprise entre 60 et 100 kilowattheure d’énergie primaire par mètre carré et par an, selon les zones géographiques dans lesquelles sont situés les bâtiments. Pour l’ancien, il serait opportun d’envisager une incitation fiscale dès 2008 pour toute rénovation énergétique, respectant selon les zones géographiques un plafond compris entre 80 et 130 kilowattheure par mètre carré et par an.

En ce qui concerne le secteur des transports, le carburant gaz naturel véhicule (GNV) est jusqu’ici utilisé par des flottes captives lourdes. Est-il possible d’aller plus loin ? Le GNV pourrait contribuer immédiatement à réduire les émissions du transport routier. Ce carburant ne rejette pas de particules ; il émet 25 % de moins de CO2 que l’essence et présente un niveau d’émission équivalent aux diesels propres. Mais les moteurs GNV devraient bientôt émettre 17 à 20 % de moins que leurs équivalents diesel compte tenu du fort potentiel d’amélioration. Ces moteurs, qui sont pour l’instant des moteurs à essence sur lesquels a été ajouté un réservoir additionnel à GNV, sont en effet aujourd’hui encore non optimisés pour l’utilisation du gaz naturel. Le GNV ouvre la porte aussi à des solutions évolutives vers les énergies renouvelables, avec le bio-GNV, produit à partir de la biomasse. Est également étudiée une solution associant GNV et moteurs électriques et cette solution pourrait constituer l’option de passage vers l’hydrogène demain.

Dans ces conditions, la question qui se pose est la suivante : pourquoi les Allemands et les Italiens ont-ils massivement développé le GNV et pourquoi la France ne l’a-t-elle pas fait ? 500 000 véhicules roulent au GNV dans ces deux pays. Le développement du GNV en France passe par deux types de mesures : tout d’abord, un appui des pouvoirs publics au développement d’un système de distribution et de stations services, et d’autre part, une visibilité en terme de fiscalité incitative, avec notamment le maintien durable d’un niveau de TIPP réduit.

Les efforts pour soutenir la R&D sont par ailleurs indispensables si l’on veut atteindre l’objectif ambitieux du facteur 4 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire une division par 4 de ces émissions dans les pays industrialisés, qui est nécessaire pour espérer diviser par 2 ces émissions à l’échelle mondiale et ne pas dépasser une hausse des températures de 2 degrés. 70 % de la recherche effectuée par GDF est orientée vers le développement durable. Cette recherche concerne les différents usages de l’énergie et vise notamment à explorer les voies permettant d’améliorer l’isolation et la performance énergétique des bâtiments. Une expérience est actuellement réalisée dans la Drôme avec une maison bioclimatique à faible impact environnemental. GDF travaille aussi de façon concrète sur le problème du captage et du stockage du CO2. Plusieurs projets opérationnels sont en cours. Une expérimentation d’injection de CO2 dans un ancien gisement de gaz naturel est conduite avec une filiale néerlandaise, Proned. Une convention a été signée avec un électricien européen en vue d’un projet intégré, consistant à capter le CO2 d’une centrale électrique à lignite et à le réinjecter dans un gisement de gaz. Les enjeux du facteur 4 sont tels que l’effort en matière de R&D est incontournable. Pour appuyer cet effort, un crédit d’impôt recherche « environnemental » bénéficiant d’un taux majoré pourrait utilement être créé.

Le président Christian Jacob a souhaité savoir si le bilan carbone, qui servira de base à une éventuelle taxe carbone ou à l’étiquetage des produits, devait intégrer les consommations d’énergie primaires ou secondaires. Ce bilan doit-il, par exemple dans le cas de l’étiquetage d’une boîte de camembert, se contenter d’intégrer les émissions de CO2 liées au transport des marchandises de la laiterie à l’épicerie ou au contraire prendre en compte également les émissions produites lors de la production du soja qui nourrira la vache laitière ?

M. Jean-Marie Dauger a répondu que pour être véritablement objectif et incontestable, le bilan carbone devait intégrer l’ensemble des étapes qui conduisent à l’élaboration du produit final. Si l’on se limite à la dernière étape, on risque de se tromper sur les filières à promouvoir et d’aller à l’encontre de l’objectif recherché dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Un étiquetage qui reposerait sur la seule consommation d’énergie secondaire serait faussé. De même, il serait inopportun de se baser en matière de logement sur la seule capacité de ce logement à retenir l’énergie pour évaluer son efficacité énergétique. C’est vrai en matière de CO; ça l’est tout autant pour l’efficacité globale.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a confirmé que l’un des obstacles au développement du GNV était l’absence de stations services. Elle a indiqué, qu’au cours d’un déplacement en Allemagne l’an dernier, elle avait pris connaissance de projets intéressants autour du biométhane, intégrant à la fois les déchets et les effluents d’élevage. Des projets de mélange commencent à apparaître en France ; GDF est-il prêt à investir dans des projets publics-privés dans ce domaine ?

M. Jean-Marie Dauger a répondu que la production de bio-GNV était une piste intéressante, notamment en termes d’efficacité globale par rapport à d’autres biocarburants, mais qu’il était encore trop tôt pour envisager un développement industriel. Il a ajouté en complément à sa réponse au président Christian Jacob que toute taxation du carbone devrait se faire sur la base de données sérieuses et actualisées.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a demandé quel était l’avenir des motorisations hybrides. EDF a mis en place des partenariats avec les constructeurs automobiles pour des moteurs essence-électricité. De tels partenariats existent-ils entre GDF et des constructeurs automobiles ?

M. Jean-Marie Dauger a souligné l’existence en France de certaines réticences des motoristes, qui préfèrent concentrer leurs efforts sur le perfectionnement des moteurs diesel, compte tenu de la forte demande en France pour les véhicules diesel. Il est frappant de constater la présence de voitures GNV dans les catalogues de Mercedes et de Volkswagen et leur absence totale dans les véhicules de moyenne gamme proposés par les constructeurs français. GDF a mis au point un système de remplissage à domicile pour le GNV mais cela ne suffira pas. Les constructeurs automobiles ne seront prêts à développer des voitures particulières au GNV que s’il existe une forte impulsion des pouvoirs publics en la matière.

Le président Christian Jacob a rappelé que l’habitat représentait 40 % de la consommation énergétique en Europe. Il a demandé si les critères mis en avant par la démarche HQE pouvaient constituer un socle de départ pour avancer en matière de normes sur le neuf, notamment dans le cadre de la préparation de directives européennes sur les normes de construction.

M. Hervé Castermann, représentant la direction du développement durable de GDF, a indiqué que les critères HQE définis par les professionnels du bâtiment pouvaient constituer une base de départ intéressante mais qu’il ne s’agissait qu’un des premiers pas à franchir pour réduire véritablement le niveau des émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment. Sa normalisation et sa généralisation seraient de bonnes choses pour impliquer la filière du bâtiment. Néanmoins, il est souhaitable d’aller plus loin dans les grands programmes et la réglementation.

Le président Christian Jacob a estimé qu’il fallait bien partir de quelque chose pour avancer. Il s’est déclaré réservé sur toute taxation contraignante, qui serait intégrée dans le coût de production et systématiquement répercutée dans le prix et conduirait in fine à de l’inflation. En revanche, la création d’un crédit d’impôt peut permettre la création d’emplois.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a souligné qu’il faudrait également adapter le système de formation.

Le président Christian Jacob a rappelé le contenu de sa question introductive sur le secteur des transports. Actuellement, le crédit d’impôt en faveur des véhicules propres renvoie à certaines filières (voitures électriques, GPL par exemple). L’objectif poursuivi est cependant de promouvoir un faible niveau d’émissions de CO2, quel que soit le processus ou le type de motorisation, plutôt que de soutenir certaines filières. N’est-il pas préférable d’avoir un crédit d’impôt fondé sur un plafond d’émissions ?

M. Jean-Marie Dauger a estimé qu’il s’agissait d’une idée séduisante mais qu’il importait d’être sûr de ce que l’on mesure. Le risque est d’avoir une législation figée, reposant sur une norme dépassée, et de raisonner avec des chiffres non actualisés. Il est également important de différencier dans son raisonnement les données moyennes des données marginales. Enfin, s’agissant du secteur du logement, il convient d’ajouter que 60 à 70 % des constructions neuves sont actuellement équipées en chauffage électrique, le gaz naturel n’étant prévu que dans près de 30 % des cas.

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Audition de M. François Bordry, président de Voies Navigables de France.

(Séance du 23 octobre 2007)

M. François Bordry a précisé que la part modale représentée par le transport fluvial était égale à 3 % des transports de marchandises mais qu’une vision plus fine, se limitant aux seules régions « irriguées » où existaient des équipements en voie d’eau à grand gabarit, tendait à relativiser la modestie de ce pourcentage. Dans ces régions, cette part s’élève à 7,8 % et peut atteindre dans le bassin de la Seine par exemple 18 %. Le Rhin permet d’assurer 32,5 % du transport de marchandises en Alsace. A Strasbourg, c’est l’équivalent d’une autoroute saturée de camions qui est évitée.

Après vingt ou trente ans de déclin du transport fluvial à compter des années 70 en raison de la fin de l’activité minière et de la sidérurgie, la baisse de ce trafic a été enrayée en 1995 et à partir de 1997, la hausse a été nette et constante. De 1997 à 2007, le transport de marchandises par voie fluviale a augmenté de 40 %, soit une moyenne annuelle de 4 %. C’est le mode de transport de marchandises qui a le plus progressé. Ce renversement de tendance est dû à la diversification des marchandises transportées, qui ne se limitent plus aux seuls pondéreux, et au développement des conteneurs, qui permettent désormais de faire voyager sur voie fluviale tout type de marchandise, hors produits frais. Le développement des conteneurs représente un trafic à haute valeur ajoutée et après un début modeste sur le Rhin en 1986 puis en 1993 sur la Seine, sa progression est à deux chiffres. Sur la Seine, 145 000 conteneurs ont été transportés en 2006 contre 30 000 en l’an 2000. De même, sur le Rhin, on est passé de 2000 boîtes en 2000 à 60 000 en 2007. Le transport combiné est donc entré dans les mœurs.

Les atouts de la voie d’eau sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, elle permet une massification des transports et donc une baisse des coûts de transports à la tonne. Le coût moyen de transport sur 350 km sur l’axe Seine-Nord Europe pour une péniche « Freycinet » de petit gabarit est ainsi de l’ordre de 17 euros par tonne, contre 21 euros pour le transport routier et 22 euros pour le rail ; si l’on se penche sur les coûts externes non intégrés au coût de transport (congestion, bruit, accident, pollution), ceux-ci s’élèvent à 12 euros par tonne pour le transport routier, 5 euros par tonne pour le rail et 4 euros par tonne pour le transport fluvial de petit gabarit. Le transport fluvial est donc de loin le plus compétitif. Un de ses autres atouts est sa fiabilité pour le respect des délais d’approvisionnement. Ce mode de transport ne va pas vite mais tout est livré à temps. Un autre avantage, qui peut s’avérer déterminant pour certains secteurs comme la chimie, est sa sécurité. Les marchandises sont en site propre et ne sont pas laissées sur un parking la nuit. Des précautions sont prises avec la mise en place de haltes fluviales sécurisées et les doubles coques. Les risques pour la population sont beaucoup moins forts.

En outre, la voie d’eau est la seule infrastructure de transport qui permet de d’entrer dans une zone urbaine dense, avec une énorme réserve de capacité, sans entrer en concurrence avec le transport de personnes et les trajets domicile-travail. Sur la Seine, le trafic pourrait être multiplié par 4 sans aménagement. De même, ce trafic pourrait être multiplié par 6 ou 8 sur la Saône et le Rhône sans travaux d’infrastructure. En outre, le programme informatique de géopositionnement des bateaux, qui devrait être opérationnel dans les deux prochaines années, permettra d’accroître encore les réserves de capacité, en améliorant la gestion du trafic.

La performance environnementale du transport fluvial n’est plus à démontrer, qu’il s’agisse de rejet de CO2 dans l’atmosphère ou de consommation d’énergie.

Le réseau fluvial français comprend 8 500 km de voies d’eau, dont 6 700 km sont gérés par Voies Navigables de France, ce qui est assez considérable. Cependant, une grande partie de ce réseau date du 19ème siècle. La France, qui disposait à cette époque du réseau le plus long et le plus moderne d’Europe, a arrêté tout investissement après la guerre, à l’inverse du Benelux qui a développé son réseau en augmentant son gabarit. Le transport fluvial est aujourd’hui concentré à 88 % sur le réseau à grand gabarit, qui atteint à peine 2 000 km. 8 % du trafic passe par les voies à gabarit intermédiaire comme le canal du Nord et 4 % par les voies de petit gabarit, souvent celles qui sont situées à 20 ou 30 km d’une voie à grand gabarit.

L’objectif d’un report modal passe par un certain nombre d’ambitions. Tout d’abord, si le gouvernement souhaite augmenter de 25 % les modes de transport de marchandises doux, c’est-à-dire le transport fluvial et le fret ferroviaire, dans un contexte général d’augmentation du trafic, il est nécessaire de se pencher sur la problématique des ports maritimes et de bien traiter les interfaces. La réforme des ports maritimes prévue dans les prochains mois pourrait être une occasion de lever les freins existants. Les grands ports français ont souvent été construits à la sortie des grands fleuves mais ils se sont détournés de ces fleuves dès les années 70. Dans la première moitié des années 90, moins de 1 % du pré et post-acheminement transitait par le Rhône, alors que l’aménagement de ce fleuve remontait aux années 70 et qu’il s’agissait donc d’une infrastructure récente. La situation est à peu près la même pour Le Havre. Une reconquête du transport fluvial s’amorce depuis une dizaine d’années mais il reste des problèmes d’infrastructures patents. La création de Port 2000 au Havre ne s’est pas faite en connexion avec la desserte de la Seine et aucune écluse fluviale n’est prévue. A Fos XXL, une amélioration de l’infrastructure est prévue dans le contrat de projet Etat-Région. Il faut également améliorer les conditions d’accueil du transport fluvial dans les ports maritimes et prévoir des quais dédiés au fluvial. Lorsqu’il s’agit du même portique, c’est le navire maritime qui est toujours prioritaire et les péniches sont priées d’attendre. En conséquence, alors que le trajet entre Marseille et Chalon ne prend physiquement que 5 jours aller et retour, le délai moyen de transport est de 9 jours aller et retour. Les ports maritimes devront aussi engager une révolution culturelle majeure.

La bataille des ports maritimes doit se gagner à terre, comme l’ont déjà compris les pays du Benelux. Les ports maritimes français se sont jusqu’ici focalisés sur les relations avec les armateurs. Or, il est nécessaire de porter attention aussi aux services aux marchandises et à l’approvisionnement du client final, ce qui impose de structurer « l’hinterland » des ports maritimes. Port 2000 va passer à une capacité de prise en charge de 3 millions de conteneurs mais le risque est grand de voir ces conteneurs chargés par une multitude de camions, si l’on massifie le transport maritime sans organiser son éclatement à l’intérieur des terres. Les ports maritimes de Rotterdam et d’Anvers l’ont compris, en utilisant le port intérieur de Duisbourg comme relais dans leur « hinterland » pour expédier 100 millions de tonnes de marchandises vers 80 destinations européennes par le Rhin ou par 50 navettes ferroviaires quotidiennes. Il importe de choisir un mode massifié de transport au départ du port maritime, comme le transport fluvial, et de structurer cette massification à l’intérieur des terres. Cela est d’autant plus vrai pour un pays comme la France, dont les infrastructures routières ou ferroviaires sont déjà saturées aux abords de certaines agglomérations. Il est souhaitable d’envisager la création de nouvelles chaînes logistiques et de favoriser l’implantation de nouvelles activités près de la voie d’eau.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a rappelé que les infrastructures fluviales avaient été très peu modernisées depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a là un défi à relever pour faire face à la croissance du trafic et améliorer la qualité du service, par exemple grâce à des écluses qui fonctionneraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour éviter tout blocage. Ces efforts doivent se concentrer prioritairement sur le réseau à grand gabarit, qui concerne 88 % du trafic. L’investissement consenti actuellement est de cent trente millions d’euros par an sur le réseau magistral, mais il nécessiterait idéalement cent millions supplémentaires pour accompagner une hausse du trafic de 25 % d’ici 5 ans.

Cette croissance de 25 points est-elle réaliste ? Plusieurs facteurs concourent à valider cette hypothèse. Selon les données issues d’une enquête et de l’interrogation des grands comptes sur les tendances passées, le potentiel de report supplémentaire serait de 2,5 à 3 milliards de tonnes-kilomètres par an d’ici 2012, soit l’équivalent de près d’un million de camions. L’activité conteneurs depuis et vers les ports maritimes devrait doubler. On prévoit d’une façon générale une forte expansion dans le bassin de la Seine et surtout dans celui du Rhône, dans lequel le trafic devrait doubler d’ici 2012. En revanche, le trafic ne devrait guère progresser dans d’autres bassins, comme celui du Rhin qui a déjà atteint sa maturité et est quasi saturé. Enfin, des transports massifs, comme celui des céréales, devraient se développer. Des secteurs jusqu’à présent marginaux gagnent aussi en importance. C’est le cas du transport des déchets conteneurisés et des matériaux recyclables, avec une croissance de 25 % par an, et surtout de la logistique urbaine grâce aux facilités d’acheminement procurées par la voie d’eau dans des villes saturées. Peut être cité à cet égard l’acheminement des voitures neuves à Paris.

La réalisation de liaisons inter-bassins constitue un enjeu majeur. Les maillons à grand gabarit sont aujourd’hui en impasse. Le projet Seine Nord Europe, qui vise à relier la Seine au réseau européen, apparaît prioritaire, de même que la poursuite des études sur la liaison entre la Saône et la Moselle, qui permettait de relier Marseille et le Rhône au reste de l’Europe. La déclaration d’utilité publique pour le projet Seine Nord-Europe devrait être effective au début de l’année 2008 ; on envisage de recourir pour sa réalisation à un partenariat public privé et une demande de financement auprès des autorités européennes a été déposée conjointement avec la Flandre et la Wallonie. En termes de capacité de transport et rééquilibrage des trafics, 13 millions de tonnes sont attendues d’ici 2020, contre un trafic actuel de 62 millions de tonnes sur l’ensemble du réseau fluvial français. Une montée en puissance jusqu’à vingt ou trente millions de tonnes en 2050 est prévisible. L’implantation de quatre plates-formes multimodales est intégrée au projet, de même que sera favorisé le développement d’activités annexes. On ne prévoit donc pas seulement un tuyau, une simple infrastructure, mais un véritable système de transport dans le périmètre de la déclaration d’utilité publique. Une gouvernance s’est mise en place en liaison avec les collectivités locales. Des avantages environnementaux sont attendus, notamment en terme de gestion de l’eau potable pour l’agglomération lilloise et de réduction de l’impact des crues. Le calendrier actuel laisse envisager une mise en service en 2014.

M. François Bordry a conclu, en soulignant qu’avec quelques changements culturels et sans véritables grands travaux, le trafic fluvial pourrait encore progresser de 25 % en 5 ans et que la mise en œuvre de la liaison Seine-Nord Europe laissait espérer un doublement du trafic d’ici 2025. La capacité des convois fluviaux à traverser les agglomérations parisienne et lyonnaise sans difficulté constitue un atout d’importance, alors que la route comme le rail subissent des engorgements. Il importe donc de travailler sur le développement du transport combiné rail-fleuve et pas seulement sur le ferroutage. Le contournement lyonnais par le rail n’est aujourd’hui par exemple pas financé. La principale difficulté pour VNF est de travailler avec l’opérateur ferroviaire, qui raisonne souvent dans une logique exclusive et non de coordination et de partage. La première ligne combinée fer-fleuve sera finalement mise en place au printemps à partir de Gennevilliers ; elle permettra de convoyer des marchandises par voie fluviale du Havre jusqu’à Gennevilliers puis par train de Gennevilliers jusqu’en Italie. Il serait judicieux de le faire aussi à l’Est de Paris, à partir de Nogent par exemple, et de façon massifiée. De même, il est impératif que soient résolus les problèmes de culture portuaire. Pour aller plus loin, il manque un investissement de cent millions d’euros sur le réseau fluvial magistral, notamment pour finir de fiabiliser la Seine, ainsi que l’entrée en service de la liaison Seine Nord Europe.

Le président Christian Jacob a demandé des précisions sur les investissements nécessaires au développement du trafic fluvial, au-delà des reports rendus possibles par une réorganisation des différents acteurs du fret. A quoi correspondent notamment les 100 millions d’euros supplémentaires d’investissement évoqués ?

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a répondu que ces 100 millions d’euros d’investissement susceptibles d’accroître le trafic fluvial sur les cinq prochaines années ne comprenaient pas la réalisation d’une écluse fluviale à Port 2000 au Havre. Il s’agit de la reprise de quelques écluses qui limitent actuellement le gabarit d’un axe et d’une regénération du réseau (barrages, écluses), qui est pour partie en bout de vie.

Le président Christian Jacob a demandé quel était le plan d’investissements prévu pour atteindre un doublement du trafic à l’horizon 2025.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a répondu qu’il s’agissait dans cette seconde phase d’investissements d’une autre nature, beaucoup plus lourds et étalés dans le temps, et que VNF n’a pas chiffrés dans leur totalité. Il y a bien sûr le projet Seine Nord-Europe à hauteur de 4 milliards d’euros, mais aussi l’écluse fluviale de Port 2000 ou l’augmentation du gabarit entre Bray-sur-Seine et Nogent.

M. François Bordry a précisé que cette augmentation du gabarit entre Bray-sur-Seine et Nogent nécessiterait sans doute un investissement de l’ordre de 230 millions d’euros. Ne doivent pas non plus être oubliés les investissements à réaliser dans le Nord-Pas-de-Calais, qui pourraient s’élever à 150 millions d’euros, avec la réalisation d’une plate-forme multi-modale.

M. Philippe Duron a souligné le bien-fondé de la création concomitante de plate-formes multimodales pour valoriser l’infrastructure fluviale et évoqué les difficultés de financement de la modernisation du réseau. S’inspirant de ce qui a été fait dans le passé à Lyon, il s’est interrogé sur les perspectives de valorisation du patrimoine immobilier de VNF, qui doit être de l’ordre de 40 000 ha, sous forme de vente ou de location, pour améliorer les performances des canaux existants. VNF dispose par exemple de terrains à Mâcon et à Chalon-sur-Saône. Ne serait-il pas possible de les valoriser dans une filiale afin de trouver les moyens financiers permettant l’amélioration du réseau de la Saône et du Rhône ?

M. François Bordry a répondu que cette solution pouvait constituer un progrès, même si elle ne pouvait à elle seule assurer une indépendance financière totale à VNF. A Lyon, la ville a voulu racheter une infrastructure portuaire, qui n’avait plus d’activité, au franc symbolique. Craignant notamment que le projet urbain de la ville soit dépourvu de tout lien avec l’eau et le fleuve, VNF s’est opposé à cette vente et a constitué une filiale avec la Caisse des Dépôts pour valoriser ces actifs immobiliers, les régénérer et en tirer des revenus. L’ensemble immobilier était évalué à l’époque à 500 000 euros. Il l’est désormais à 4,5 millions d’euros, dont 1,5 million d’euros pour la part de VNF, qui en tire des revenus. Il y a cependant toujours eu des réticences du ministère des Finances en la matière. Contrairement à Réseau Ferré de France, VNF n’a pas reçu en dotation ses emprises immobilières, qui lui sont seulement confiées.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a évoqué les opérations liées à la logistique et souligné la nécessité de valoriser le domaine dans le cadre d’opérations à valeur urbaine.

M. Daniel Fidelin a souligné l’existence d’une marge de progression importante au Havre. Il n’existe en effet qu’une seule ligne ferroviaire à destination de Paris qui est saturée et il n’est pas non plus possible d’envisager une extension des routes pour le transport routier. La construction d’une écluse fluviale à Port 2000 est donc impérative, d’autant plus que se pose un problème de statut pour les personnels dans la mesure où les bateaux sont obligés de passer par la mer. Quel est le calendrier envisagé pour la création de cette écluse fluviale ? Les crédits de cette opération sont-ils bien inscrits au contrat de projet Etat-région (CPER) ?

M. François Bordry a répondu que ce projet de création d’une écluse fluviale avait été validé au comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) de décembre 2003, en même temps que le canal Seine Nord-Europe. Les crédits d’études ont été prévus dans le CPER mais pas les crédits de réalisation de l’écluse. VNF vient de signer avec le port du Havre une délégation de maîtrise d’ouvrage qui va permettre d’accélérer les études mais cette situation reste insatisfaisante. Il aurait en effet été préférable que cette écluse soit opérationnelle avant l’ouverture de la liaison Seine Nord-Europe, afin de fluidifier le trafic fluvial et surtout de permettre au Port du Havre de conquérir des parts de marché en préparation à cette ouverture. Mais le financement n’est pas là et un certain nombre d’équipements, qui ont été subventionnés, risquent d’être saturés. Des problèmes vont sans doute se poser à la sortie terrestre du port du Havre.

M. Philippe Duron s’est demandé si un contournement par l’ouest ne pouvait pas constituer une solution.

M. Daniel Fidelin a rappelé qu’un seul pousseur pouvait transporter l’équivalent de 200 camions et souligné le potentiel considérable du transport fluvial.

M. François Bordry a indiqué que 3 000 conteneurs nécessitaient pour leur transport 3 000 camions, 30 trains ou seulement 10 convois fluviaux. Ce rapport met clairement en évidence les risques existant en termes de saturation terrestre.

Le président Christian Jacob a souligné la nécessité d’investissements à moyen et long terme dans le transport fluvial.

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Audition de MM. Rémi Bailhache et Didier Marteau, membres du bureau de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture.

(Séance du 30 octobre 2007)

M. Didier Marteau, président de la Chambre d’agriculture de l’Aube, et M. Rémi Bailhache, président de la Chambre d’agriculture de la Manche, ont présenté les propositions faites par l’Assemblée permanente des Chambres d’Agriculture (APCA) dans le cadre du Grenelle de l’environnement sur six grands thèmes : l’énergie et la biomasse, la biodiversité, les intrants, les organismes génétiquement modifiés (OGM), l’agriculture durable et l’agriculture biologique. Ils ont précisé que l’APCA n’avait pas initialement été invitée à participer aux groupes du travail du Grenelle de l’environnement au sein des cinq collèges mais qu’elle avait finalement obtenu d’être associée aux travaux de ces groupes en tant que personnalité qualifiée.

M. Didier Marteau a témoigné du souci des agriculteurs, et de leurs représentants, de valoriser les bonnes pratiques qui existent déjà depuis des années et répondent aux grands objectifs du Grenelle de l’Environnement. Or dans le cadre du groupe 4 du Grenelle, les débats ont parfois dérivé vers des théories inapplicables, telle que l’idée de basculer la totalité de la production agricole en agriculture biologique.

D’une façon plus générale, le Grenelle de l’Environnement n’a pas assez parlé :

– d’économie ;

– d’Europe ;

– de mondialisation.

Il faut prendre garde à ne pas imposer des règles, idéales mais trop strictes, à des produits nationaux alors qu’on en dispense parfois les produits importés. Il ne faudrait pas non plus pénaliser par ces nouvelles règles nos produits à l’export, qu’il s’agisse des vins et spiritueux, des fromages ou de certaines productions animales ou céréalières. L’APCA se félicite à ce titre que le Président de la République ait rappelé dans son discours que les mêmes règles doivent s’appliquer aux produits importés. Pour les OGM, il va être difficile d’expliquer aux agriculteurs que toute culture commerciale sera interdite, si l’on continue à importer librement dans le même temps des plantes génétiquement modifiées cultivées dans d’autres pays.

L’agriculture est souvent mise en accusation, alors que de grands progrès ont déjà été faits. S’agissant de l’énergie et de la biomasse, M. Didier Marteau a indiqué avoir réussi à baisser de moitié sa consommation de fuel à l’hectare dans son exploitation agricole grâce à des techniques culturales simplifiées : des mesures d’économie sont donc possibles et doivent être encouragées. D’une façon générale, chez les agriculteurs, l’utilisation des engrais est aussi beaucoup plus précise.

Le fil directeur mis en avant par l’APCA dans ses propositions est l’encouragement de toutes les mesures sources d’économie et de production d’énergies renouvelables, car les agriculteurs peuvent aussi être producteurs d’énergie grâce notamment à l’éolien ou au photovoltaïque. La maîtrise de la demande énergétique passe par le développement de diagnostics et la programmation des actions nécessaires, notamment en termes d’isolation.

La promotion des biomatériaux ne se limite pas au développement des seuls biocarburants ; le recours à la biomasse, à partir du bois, au chanvre, ou au biogaz (méthanisation) par exemple, offre de réelles perspectives. Encore faut-il que le démarrage de ces filières fasse l’objet d’un accompagnement adéquat.

Il est indispensable de développer dans la durée des outils financiers incitatifs. Il serait dangereux par exemple de revenir aujourd’hui sur les incitations fiscales accordées aux biocarburants. Les ruptures de productions dues à des aléas climatiques dans quatre continents sur cinq entraînent une hausse des prix des matières végétales mais il n’est pas sûr que ce renchérissement et cette tension sur la demande perdurent sur une longue durée. En outre, les efforts en matière de recherche doivent être poursuivis, qu’il s’agisse de biocarburants de seconde génération mais aussi de première génération, si l’on ne veut pas prendre de retard par rapport à d’autres pays, tels les Etats-Unis.

Le Président de la République a annoncé dans son discours un encouragement en faveur des biomatériaux, ainsi que la réalisation d’un diagnostic écologique et énergétique des biocarburants. La perspective de ce diagnostic ne fait pas peur à l’APCA, dans la mesure où des études de l’ADEME ont déjà mis en avant un bilan positif pour les biocarburants. L’accent mis par le Président de la République sur la nécessité de soutenir la recherche va par ailleurs dans le bon sens.

M. Rémi Bailhache a regretté que le groupe de travail n°2 du Grenelle de l’Environnement, auquel il a participé, n’ait pas discuté des problématiques de l’eau et de la forêt et se soit focalisé sur la seule biodiversité.

Le fil directeur de l’APCA sur ce thème est de mettre en avant la nécessaire valorisation de tous les espaces et des productions concourant à la biodiversité. Il s’agit notamment de valoriser le rôle joué par l’agriculture dans la biodiversité : la gestion des haies, les bocages ou l’implantation de bandes enherbées permettent de maintenir la biodiversité. L’APCA avait proposé que cette valorisation se fasse par le biais d’unités de valeur « biodiversité », qui permettent de mesurer l’action des agriculteurs.

Il faut en tout état de cause encourager par des mesures incitatives la diversité des cultures et des assolements au sein des territoires. La biodiversité ne concerne pas seulement des espaces protégés. Elle est aussi favorisée par la mise en œuvre d’itinéraires de production (assolements, prairie, luzerne, chanvre, lin, agroforesterie…).

Il faut également prendre en compte les équilibres territoriaux lors de la réintroduction de prédateurs. Il est regrettable que le groupe 2 du Grenelle de l’environnement n’ait à aucun moment abordé la question de la présence du loup ou de l’ours, alors que des études récentes soulignent une réduction de la biodiversité lorsque ces prédateurs sont réintroduits, appauvrissement lié notamment à un changement dans les pratiques pastorales induit par la réintroduction du loup ou de l’ours.

Il faut aussi lutter contre le gaspillage des terres agricoles, dû à une urbanisation encore mal maîtrisée, grâce à une nouvelle politique foncière. Cette question a aussi fait l’objet de discussions dans les autres groupes de travail du Grenelle. La disparition des terres agricoles diminue l’espace porteur de la biodiversité.

L’idée d’une trame verte, louable par elle-même, peut se concrétiser à partir de l’existant, sans qu’il soit besoin de l’étendre à d’autres espaces qui seraient répertoriés par inventaire de nature faunistique ou floristique. La France compte en effet déjà de nombreux parcs nationaux, réserves naturelles, parcs naturels régionaux, zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) ou zones Natura 2000 qu’il suffirait de relier par des corridors écologiques. L’APCA est réservée aussi sur le caractère opposable aux tiers de cette trame verte, que certains avaient envisagé.

Le Président de la République a émis le souhait dans son discours que la mise en place de cette trame serve d’exemple au niveau européen. Il importe en tout état de cause que cette trame verte ne se transforme pas en une nouvelle déclinaison du réseau Natura 2000.

Le travail fait sur l’économie des espaces et la maîtrise de l’urbanisation a abouti à la volonté exprimée par le Président de la République de créer de nouveaux outils afin de préserver l’espace agricole.

S’agissant des intrants, M. Didier Marteau a indiqué que, depuis sept à huit ans, l’agriculture française avait réduit d’environ 40 % sa consommation de pesticides. Le Grenelle a identifié deux grands enjeux : l’eau, avec les problèmes liés à la traçabilité, et les produits phytosanitaires. Sur l’eau, l’APCM est d’accord pour étendre sur tout le territoire et à tous les cours d’eau la mise en place de zones tampon de 5 mètres, qui n’est actuellement pas obligatoire pour tous les agriculteurs. Il faut généraliser l’enregistrement des pratiques et le recours aux outils de pilotage. Mais il ne faut pas se fier au nombre de traitements : celui-ci est relativement indifférent puisque tout dépend, à chaque fois, des volumes concernés. Le nombre de passages a augmenté mais les doses d’intrants ont été divisées par 4 ou 5.

Les mesures agro-environnementales territoriales doivent être encouragées. Il ne faut pas, non plus, perdre de vue la nature des terres qui ne posent pas les mêmes problèmes. Ainsi la décision de mettre en place une couverture totale l’hiver, au lieu d’avoir simplement une terre labourée, est une solution valable pour la Champagne crayeuse ; elle l’est beaucoup moins pour les terres argileuses, pour lesquelles cette couverture pose un problème de technique culturale, alors que le risque de fuites de nitrates est moins prégnant.

Il faut poursuivre le développement des démarches de gestion collective : l’objectif concernant l’eau est d’entraîner 80 à 90 % des exploitants agricoles si l’on veut obtenir un effet tangible. Ce problème a déjà été traité par la loi sur l’eau, qui mériterait sans doute d’être complétée.

En ce qui concerne les phytosanitaires, qui sont des produits destinés à soigner les plantes, leur utilisation n’est pas systématique mais décidée seulement en fonction des besoins, grâce aux informations ou avertissements transmis à l’exploitant. Il faut bien évidemment développer la recherche de connaissances sur les solutions alternatives à la protection chimique des cultures, en valorisant notamment les acquis des productions biologiques. Mais toute erreur ou toute lacune en matière de protection des plantes peut avoir des conséquences considérables sur la récolte suivante.

Il faut former tous les utilisateurs de produits phytosanitaires et anticiper les exigences communautaires qui ne rendent obligatoire cette formation qu’en 2014. Cette formation doit aussi être étendue aux utilisateurs qui ne sont pas exploitants agricoles, qu’il s’agisse du particulier jardinant le dimanche ou du jardinier d’une collectivité locale. Il faut proposer des conseils objectifs, de même que poursuivre et amplifier la collecte des déchets phytosanitaires. La surveillance épidémiologique du territoire doit être renforcée et il serait souhaitable que le service de protection des végétaux, qui est un service dépendant du ministère de l’agriculture et qui se concentre actuellement sur le contrôle des locaux de stockage des produits phytosanitaires, recentre ses missions sur ce suivi et cette surveillance.

Enfin, il ne faut jamais perdre de vue qu’une harmonisation des réglementations françaises sur les réglementations européennes est opportune, si l’on veut éviter des distorsions de concurrence.

M. Didier Marteau a ajouté qu’une loi sur les OGM devait intervenir le plus vite possible. Il serait sans doute souhaitable de placer la Haute autorité qui sera créée par cette loi sous l’autorité de l’agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l’agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), si l’on veut éviter la multiplication de structures. Il convient aussi d’amplifier la recherche sur les biotechnologies et le droit communautaire doit être renforcé pour traiter équitablement les productions européennes et les importations.

Sur les intrants, le Président de la République a donné un an au ministère de l’agriculture pour proposer un plan permettant une réduction de 50% de ces molécules d’ici 10 ans. Cet objectif est ambitieux, car des efforts importants ont déjà été faits en la matière et il sera donc de plus en plus difficile d’atteindre des baisses spectaculaires.

S’agissant des OGM, notre pays risque de regretter son retard dans l’utilisation des biotechnologies. Aux Etats-Unis, des gènes de résistance à la sécheresse sont utilisés, de même que des gènes de résistance aux maladies ou aux insectes. Il existe même un maïs qui utilise moitié moins d’azote, ce qui constitue un plus environnemental. Il est dommage que le Président de la République ait annoncé une pause dans les cultures commerciales en France car dans un pays où l’on ne produit pas d’OGM, les investisseurs partent. Et les fauchages ont été particulièrement nombreux cet été.

S’agissant de l’agriculture durable, M. Rémi Bailhache a souligné la nécessité d’encourager une démarche qualifiante pour les exploitations, visant à une reconnaissance de la haute valeur environnementale. Une demande très forte s’est exprimée lors du Grenelle de l’environnement pour une qualification environnementale des exploitations. L’APCA est favorable à cette qualification et souhaiterait qu’elle s’inscrive dans une démarche volontaire. Il faut favoriser l’engagement d’un maximum d’agriculteurs dans une démarche d’agriculture durable, grâce à une valorisation de leurs produits par un étiquetage adéquat et par un prix rémunérateur. Cette démarche devra aussi être prise en compte par des mesures incitatives dans le cadre des politiques agricoles. Le Grenelle de l’environnement a fixé un objectif assez ambitieux de 50% d’exploitations certifiées « haute valeur environnementale » d’ici 2012. L’APCA est aussi favorable à une intégration de critères environnementaux dans les cahiers des charges des produits faisant l’objet d’un signe de qualité.

Concernant l’agriculture biologique, le Grenelle de l’environnement a fixé des objectifs très ambitieux : passer très rapidement à 6% de la surface agricole utile en agriculture biologique puis à 20% en 2020 ; faire en sorte que 20% de la restauration collective fasse appel à des produits de l’agriculture biologique, soit un repas par semaine. Or, il faut développer la production de l’agriculture biologique en adéquation avec le marché ! La production dite « bio » doit aussi s’intégrer complètement dans le processus d’accompagnement des agriculteurs au lieu d’en constituer un système parallèle. La contractualisation doit être en outre développée de l’amont à l’aval, afin que les agriculteurs ne soient pas les seuls à prendre des risques.

Enfin, il est impératif de ne plus importer de produits bio, répondant à des cahiers des charges moins exigeants que ceux existant en France. Une adaptation du cahier des charges français au cahier des charges européens est donc souhaitable.

Le président Christian Jacob a remercié les représentants de l’APCA pour la qualité de leur intervention.

M. Yanick Paternotte s’est interrogé sur les prélèvements réalisés sur les eaux circulantes et sur les nappes souterraines. A quoi faut-il rattacher l’encadrement de ces pratiques, à la réglementation relative aux intrants ou à un label de haute valeur environnementale (HVE) ?

M. Didier Marteau a rappelé que la qualification HVE ne correspondait ni à un signe de qualité ni à une filière mais à une démarche et répondu que les deux catégories pouvaient valablement s’appliquer. Les démarches de protection des ressources en eau méritent d’être valorisées et l’environnement de l’exploitation doit être pris en compte et respecter un certain nombre de critères. Certains exploitants sont vigilants pour leur production mais oublient dans leur exploitation le tas de fumier qui se déverse dans la rivière. Les techniques de piégeage pourraient être généralisées pour réalimenter les nappes phréatiques et éviter les désagréments du drainage. Jusqu’ici, tout a été fait pour se débarrasser de l’eau au lieu d’envisager d’autres utilisations. Les retenues collinaires, bien que critiquées en raison de leur impact sur le paysage, constituent une piste intéressante : ces retenues ont permis en Vendée d’alimenter en eau les touristes l’été de même que les pêcheurs. En matière de gestion quantitative, des efforts ont été faits pour réduire le niveau des prélèvements. Sur le plan qualitatif, il faut envisager des mesures et préconisations très précises en matière d’utilisation et de techniques d’épandages de produits phytosanitaires pour protéger l’eau.

M. Serge Poignant a remercié les intervenants pour les documents distribués, particulièrement instructifs, et approuvé la nécessité d’aller dans le sens du marché mise en avant par les deux intervenants. Il a salué la responsabilisation effective du monde agricole, qui a trop souvent été mis à l’index.

Beaucoup de pistes ont été évoquées dans le domaine énergétique. S’agissant des biocarburants, comment réagir à la découverte des émissions de protoxyde d’azote par les biocarburants et, en outre, ne doit-on pas craindre des difficultés d’approvisionnement des usines ? Par ailleurs, les intervenants ont-ils eu connaissance de difficultés administratives rencontrées par des agriculteurs tentés par une installation photovoltaïque ?

Des progrès nombreux ont été faits dans l’utilisation de produits phytosanitaires, qui se traduisent notamment par l’apparition de l’agriculture raisonnée. Mais il est indispensable de réfléchir aux procédés de substitution et soutenir la recherche en ce sens.

Enfin, la filière biologique est soumise à certaines limites. Elle ne peut se développer qu’avec le marché et reste dépendante des aléas climatiques. Dans la Loire-Atlantique, par exemple, la viticulture bio n’a fait que 5% de récolte cette année, en raison d’une trop forte pluviosité. Il faut être pragmatique et ne pas perdre cette donnée de vue.

M. Didier Marteau a souscrit à la nécessité de remplacer les produits phytosanitaires par d’autres. Dans le domaine énergétique, une filière biomasse-bois est en cours de constitution, avec l’aide notamment des chambres d’agriculture, mais il faudra du temps pour organiser le marché.

Le coût des biocarburants a flambé avec les prix agricoles, compte tenu des effets climatiques. Les deux dernières années ont été particulièrement mauvaises pour les oléagineux et le colza. Il y a un problème de cycle et d’un manque de variétés ; les OGM, en proposant de nouvelles variétés plus résistantes, pourraient être la solution, même si cela peut être plus difficile dans le cas du colza compte tenu des risques spécifiques de dissémination de pollen et de repousse. Il n’y a pas à s’inquiéter de l’alimentation des usines ; la France a tout prévu en la matière, grâce à une contractualisation entre organismes économiques et agriculteurs et à une bonne organisation de la filière diester, contrairement à l’Allemagne dont la moitié des usines n’a pas tourné. Il faudra sans doute réduire le montant des exportations pour se recentrer sur le marché français. En revanche, en ce qui concerne l’éthanol, le recours au E85 a été une fausse bonne idée. Ce type de carburant est davantage adapté à des pays comme le Brésil, qui dispose de la canne à sucre, ou les Etats-Unis, qui peuvent compter sur de gros rendements pour leur production de maïs et se dispenser de la phase de séchage. Quant au rejet de protoxyde d’azote, il est connu et ne retire pas l’avantage principal des biocarburants, à savoir diminuer le recours aux énergies fossiles et libérer la France de la contrainte énergétique extérieure en diminuant les importations de pétrole. Et le bilan écologique des biocarburants reste en tout état de cause plus favorable que celui des hydrocarbures.

Enfin, le solaire photovoltaïque n’est rentable qu’au bout de 10 ans, ce qui en fait un investissement délicat. Les activités de revente sont possibles.

Réagissant aux écarts de rendements soulignés par M. Didier Marteau, qui allaient presque du simple au double entre la France et les Etats-Unis, le président Christian Jacob lui a demandé de préciser le différentiel de coût existant entre maïs américain et français.

M. Didier Marteau a répondu que cet écart entre maïs français non OGM et maïs américain OGM était du simple au double, voire parfois presque du simple au triple. Il a ajouté que les techniques de culture avaient été simplifiées aux Etats-Unis pour les productions OGM car les agriculteurs se contentaient désormais de semer entre les rangs, sans labourage, ce qui pouvait être très intéressant d’un point de vue environnemental. Par ailleurs, le recours aux OGM a permis de régler le problème des attaques de pyrale sur les végétaux, qui peut avoir des effets catastrophiques.

M. Serge Poignant a demandé à M. Didier Marteau d’être destinataire de son étude sur l’installation de panneaux photovoltaïques dans son exploitation agricole.

M. Didier Marteau a indiqué qu’il fournirait volontiers cette étude à M. Poignant, mais qu’il n’avait pas encore fait le choix de cette implantation et qu’il attendait les éventuels dispositifs que le gouvernement mettrait en place en la matière dans le cadre du Grenelle de l’environnement. En ce qui concerne les intrants, le gouvernement a annoncé la disparition de 47 molécules. Mais il va se poser un problème pour certaines productions, notamment, celles des légumes, en particulier pommes de terre et carottes, pour lesquelles il n’y a pas de produit de remplacement. Il est révélateur à cet égard que l’agriculture biologique n’ait pas réussi à produire de pommes de terre cette année. En ce qui concerne les biocarburants, la seconde génération ne sera pas disponible avant 12 ou 15 ans.

Mme Jacqueline Irles a déploré l’asymétrie d’information existant en matière d’OGM, qui donne l’impression que les faucheurs monopolisent la communication sur ce sujet. Les producteurs et l’APCA doivent mieux communiquer sur ce sujet, qu’il s’agisse des avantages attendus mais aussi des risques. Il ne faut en effet pas oublier de parler de ces risques, si l’on ne veut pas que des peurs irrationnelles restent ancrées dans la population, alimentées par l’emploi des termes « contamination » ou « pollution » par les faucheurs.

Il y a une volonté gouvernementale de développer l’agriculture biologique mais comment inciter les exploitants à passer au bio ? Il faut bien avoir à l’esprit qu’il faut attendre trois ans pour obtenir un agrément, trois ans pendant lesquels il n’est pas possible de valoriser ses produits. De même, la compensation des aléas climatiques ne se retrouve pas toujours dans les prix.

Par ailleurs, si les céréaliers semblent très structurés et puissants, il n’en est pas de même des autres producteurs, comme les maraîchers. Sur ces questions, quelles sont les solutions proposées par l’APCA ?

Dans les Pyrénées-Orientales, la filière bois rencontre des difficultés pour se structurer et pour valoriser ses produits. Il faut des moyens en la matière.

M. André Chassaigne a évoqué les problèmes liés aux cultures d’OGM en Auvergne, avec la présence de Limagrain et des collectifs anti-OGM. Toute personne qui tente de faire prévaloir une approche raisonnable se fait systématiquement maltraiter. Or, il est fondamental de pouvoir laisser la recherche publique sur les biotechnologies conduire ses travaux à leur terme, ce qui implique des essais en plein champ. Tous les laboratoires rencontrent désormais des difficultés pour trouver de jeunes chercheurs. Il importe notamment de pouvoir évaluer les risques de dissémination de façon objective, grâce à la recherche. Or, les seules recherches conduites par l’INRA ne portent plus que sur des peupliers et les greffes de vigne en Alsace. Il est indispensable de développer la recherche, de même qu’il est impératif de créer une haute autorité indépendante, constituée d’un collège d’experts mais aussi d’un collège de citoyens. Le Grenelle de l’environnement a montré que l’on pouvait mettre en place une démarche plus participative, associant les citoyens et les ONG. En ce qui concerne l’agriculture biologique, la question du coût se pose de façon terrible, même s’il est nécessaire d’être volontariste en la matière. L’approvisionnement en bio des cantines scolaires se heurte aux limites des budgets des établissements.

M. André Chassaigne a également indiqué que dans sa commune, dans le Puy-de-Dôme, un atelier de découpe de viandes bio avait été créé il y a trois ans et avait ouvert une boutique. Cette boutique a finalement été fermée, en raison des coûts trop élevés. Il importe donc de se pencher sur la question du revenu et de la marge bénéficiaire des acteurs économiques se lançant dans le bio, qui exige une politique très volontariste. S’agissant de la trame verte, il est exact que la France dispose déjà d’une couverture du territoire par les parcs nationaux, les parcs naturels régionaux ou les ZNIEFF et que des corridors écologiques pourraient être mis en place entre ces espaces naturels. Jusqu’où faut-il aller pour la création de cette trame verte ? Doit-on aller plus loin que ces espaces et surtout faut-il rendre cette trame verte opposable aux tiers ? Si cette trame verte est opposable, des exigences nouvelles vont être posées dans certains domaines de production. Or, si des contractualisations doivent être faites entre collectivités locales et producteurs pour compenser les baisses de rentabilité dans les exploitations, qui va les financer ? Il serait souhaitable que la dotation globale de fonctionnement des communes tienne compte des nouvelles exigences environnementales.

Les propos exprimés par les deux intervenants de l’APCA sur la nécessité de développer une véritable politique foncière restent flous et insuffisamment développés. Cette problématique de la disparition des terres agricoles à la suite de l’étalement urbain a déjà été abordée lors de l’examen de la loi relative au développement des territoires ruraux et de la loi d’orientation agricole. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a là un vrai problème mais personne ne sait comment agir. Ce problème se pose en particulier lors du départ à la retraite des agriculteurs. Il existe bien des opérateurs fonciers comme les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) ou des syndicats mixtes d’action foncière dans certains départements mais comment agir pour lutter contre les effets de l’étalement urbain ?

M. Didier Marteau a indiqué que l’APCA avait été particulièrement vigilante à ce que le vocabulaire utilisé à un moment ou à un autre dans le cadre des groupes de travail du Grenelle de l’environnement exclut des termes comme « contamination » ou « pollution ». Il convient de parler de dissémination et l’indication d’un taux de présence d’OGM dans un produit n’est qu’une question d’étiquetage pour le consommateur, en aucun cas, la réponse à un problème de santé.

M. Yanick Paternotte a indiqué que les risques de pollinisation étaient proches de 0 pour le maïs, si l’on respectait certaines distances entre les parcelles, mais que la situation était plus compliquée pour les crucifères (colza par exemple). De plus, deux types de problèmes ont été souvent avancés : l’impact possible sur la biodiversité, dans la mesure où l’espèce sauvage risque d’être supplantée par l’espèce OGM, et les risques de contamination croisée, c’est-à-dire d’hybridation et de transfert génétique.

M. Didier Marteau a estimé que le seul risque était celui du transfert d’un gène de résistance au « Round Up », le désherbant total, aux mauvaises plantes. En effet, des parades existent : semenciers et agriculteurs sont capables d’obtenir une pureté variétale, des distances de 30 à 50 mètres entre cultures sont suffisantes pour le maïs. Pour le colza, il faut effectivement prévoir des distances plus importantes mais des cultures de colza OGM sont possibles. Tout dépend ensuite si l’on veut s’en tenir à un seuil d’étiquetage de 0,9% ou retenir un seuil de 0,1%, beaucoup plus exigeant. Très mobilisées, les ONG sont bien organisées, payent des juristes et se sentent souvent investies d’une mission. Dans ces conditions, il n’est pas facile de discuter des OGM.

En ce qui concerne l’agriculture biologique, force est de constater que ce type d’agriculture correspond à un certain état d’esprit, qui va jusqu’à accepter que les plantes soient attaquées par des maladies ou des insectes, que des mauvaises herbes poussent dans les champs, et que les récoltes soient inférieures. Il est donc difficile de fixer des objectifs élevés d’agriculture bio in abstracto car il faut trouver des exploitants ayant cet état d’esprit. Le travail en serre est plus facile, de même que l’élevage ; par contre, faire des céréales en grande culture en bio nécessite une forte motivation, compte tenu notamment des problèmes d’attaques de pucerons. Des incitations à faire de l’agriculture biologique ont déjà été mises en place, à travers les contrats territoriaux d’exploitation. Mais on constate qu’un certain nombre d’agriculteurs reviennent à l’agriculture conventionnelle au bout de 5 ans, à l’issue de leur contrat, dès lors qu’ils n’ont plus d’accompagnement financier. De plus, cette situation est peu satisfaisante dans la mesure où dans ce laps de temps de cinq ans, ces producteurs ont déjà dû attendre trois ans avant de pouvoir valoriser leurs produits sous le label « agriculture biologique ». L’agriculture biologique ne se décrète donc pas : il faut une formation et des personnes prêtes à s’engager dans cette démarche. Et il faut impérativement avancer en même temps que le marché et ne pas le devancer, afin que les producteurs soient en mesure de compenser les surcoûts de production par le prix.

Il faut distinguer l’action des organisations professionnelles de l’action des chambres d’agriculture qui est horizontale. Il est exact que les céréaliers et les producteurs d’oléagineux sont très bien organisés, alors que les producteurs de fruits et légumes le sont beaucoup moins : en effet, ces derniers ont tendance à raisonner par type de légume ou de fruit cultivé et rencontrent des difficultés pour s’entendre sur les objectifs poursuivis. Les organisations professionnelles représentant les céréaliers sont aussi particulièrement puissantes, parce qu’elles s’en donnent les moyens, en sollicitant leurs adhérents.

Le président Christian Jacob a observé qu’il pouvait aussi y avoir des problèmes d’organisation du marché.

M. Didier Marteau a ajouté que l’organisation et le développement de la filière bois supposaient une contractualisation entre les producteurs et les utilisateurs. La plaquette et la réutilisation des sous-produits constituent un débouché intéressant. Les techniques sont connues et affichent une bonne efficacité énergétique : 2 kilogrammes de plaquettes remplacent 1 litre de fuel. Mais il reste à résoudre un problème d’organisation de la filière et de marché.

S’agissant des OGM, les faucheurs occupent le devant de la scène car leur discours est plus polémique et plus vendeur. Mais à partir du moment où apparaîtra un avantage direct pour le consommateur, notamment en termes de santé, l’acceptation sociale des OGM sera plus forte.

Le président Christian Jacob a rappelé qu’un OGM était utilisé pour le vaccin antirabique.

M. Didier Marteau a souligné que de nombreux médicaments étaient élaborés à partir d’OGM, ce qui ne choquait pas la population. Il a également fait remarquer que maintenant que le gouvernement avait donné la parole aux ONG, en leur donnant dans chaque groupe de travail le même nombre de membres qu’aux autres collèges du Grenelle de l’environnement, il faudrait les gérer. Il s’est déclaré persuadé que l’agriculture biologique resterait un marché de niche.

M. Rémi Bailhache a indiqué que dans son département on pouvait encore comptabiliser 80 000 kilomètres de haies. Le bois peut être valorisé dans le cadre de la filière énergétique mais avec le bocage, on peut aussi le valoriser grâce à des essences intéressantes, qui peuvent tout à fait concurrencer les importations de bois, notamment exotique. L’APCA est opposée au caractère opposable de la trame verte, qui jusqu’ici n’a pas été retenu, et restera vigilante sur les conditions de mise en œuvre de cette trame verte. En matière d’urbanisme, l’Allemagne consomme moitié moins d’espaces naturels que la France pour le même développement économique et a prévu de restreindre encore sa consommation. En France, il y a une certaine gourmandise d’espace pour le bien-être de la population et pour, par exemple, améliorer la présentation d’une entreprise, tandis qu’à d’autres endroits subsistent encore des friches en cœur de ville. Il s’avère que l’achat de ces friches, compte tenu de leur situation, coûte plus cher que celui de terres agricoles. Il devient impératif de reconnaître les espaces agricoles comme des espaces occupés avec une activité économique. Il faut accepter de densifier le cœur des villes et, même si les outils à mettre en œuvre sont loin d’être évidents, engager une réflexion de fond pour avoir une vraie politique d’économie des espaces en ville.

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Audition de M. Pierre Graff, président directeur général d’Aéroports de Paris.

(Séance du 6 novembre 2007)

Après avoir accueilli le PDG d’Aéroports de Paris, le président Christian Jacob a fait état de la forte implication de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire dans le suivi des travaux du Grenelle de l’environnement. L’Assemblée nationale recueillera les fruits de ce travail de fond une fois venue la phase législative du processus.

Les initiatives d’Aéroports de Paris (ADP) en faveur du développement durable appellent un certain nombre de questions. Quelle place a été faite aux énergies nouvelles renouvelables (ENR) et aux normes de haute qualité environnementale (HQE) pour la construction de nouveaux bâtiments? Comment réagit le président d’ADP aux propositions parfois faites de limitation du nombre de vols court et moyen-courriers, lorsqu’il existe une alternative par voie ferroviaire ? Où en est le projet de troisième aéroport parisien ? Et enfin, comment réagit ADP au processus du Grenelle de l’environnement et aux premières orientations annoncées ? Qu’en est-il notamment de la taxe sur le kérosène pour les avions ?

M. Pierre Graff a signalé avoir suivi le Grenelle de l’environnement avec satisfaction, en dépit d’une hostilité initiale forte à l’encontre du secteur aéronautique relayée par la presse. La concertation conduite par M. Jean-Louis Borloo et les annonces de cadrage du chef de l’Etat ont permis d’aboutir à des propositions finales plus équilibrées et acceptables par tous.

Il faut d’abord distinguer en matière de nuisances environnementales ce qui relève des aéronefs et ce qui relève des aéroports. Il s’avère techniquement très difficile de réduire les nuisances environnementales provoquées par les aéronefs. En revanche, il est nettement plus simple d’opérer sur les aéroports à partir des techniques utilisées dans les villes pour diminuer la pollution de l’eau, les déchets ou la pollution atmosphérique : les structures ne sont en effet guère différentes de celles des bâtiments classiques. La lutte contre le bruit est conditionnée quant à elle à des mesures étatiques. Aéroport de Paris a déjà consenti des efforts importants, qui se sont traduits par la certification ISO 14001 de ses trois sites d’Orly, de Roissy et du Bourget et vont au-delà des normes actuelles. Elle a ainsi reçu une notation A+ délivrée par une agence environnementale indépendante. Pour autant, bien faire ne signifie pas qu’on ne puisse faire mieux.

En matière de lutte contre la pollution atmosphérique, il n’existe aucune déclinaison de la norme HQE pour les structures aéroportuaires. Les critères ont donc été établis avec le Centre scientifique et technique du bâtiment, notamment pour le futur satellite 4. En dépit d’une hausse de 5% du coût de construction, le taux de retour sur investissement s’est élevé à 7% ou 8% grâce aux économies réalisées par la suite. L’équation économique de la démarche HQE est donc tenable, dans la mesure où il s’agit de bâtiments appelés à être utilisés pendant 30 à 40 ans.

En ce qui concerne le bâti ancien, Aéroports de Paris ambitionne une baisse de sa consommation énergétique par passager de 20% d’ici 2010 et de 40% d’ici 2030. Ces objectifs élevés supposent de repenser l’équipement des bâtiments, notamment leur éclairage et leur chauffage : optimisation des températures par l’installation d’automatismes, remplacement par des ampoules à basse consommation. Cependant, ils permettront de concilier une augmentation du trafic aérien et une baisse simultanée de la consommation énergétique par passager. L’objectif d’une baisse de 40% à l’horizon 2030 nécessite cependant des techniques plus lourdes. Les anciennes chaudières à charbon ont été fermées : le chauffage provient aujourd’hui du gaz naturel et, à Roissy, de la cogénération. Ces chaudières à gaz, qui ne sont pas très vieilles, seront optimisées voire remplacées pour certaines. A Orly, un projet de géothermie, dont le coût est estimé à onze millions d’euros, permettra de disposer d’une énergie propre, sans émission de CO2. Ce projet permettra de faire face au développement des bureaux et de fermer partiellement les chaudières à gaz. Pour Roissy, en l’absence de source chaude, une étude conduite avec Veolia et Suez envisage un recours à une chaudière fonctionnant à partir de la biomasse, plus particulièrement au bois. Cependant, compte tenu notamment du nombre réduit de fournisseurs, les prix de mise en œuvre sont trop élevés et se posent de vraies difficultés économiques.

ADP s’est doté d’une flotte de véhicules utilitaires composée à 30% de véhicules à basse consommation, fonctionnant au gaz ou à l’électricité. Il est prévu de renforcer à terme ce pourcentage voire d’atteindre 100%. Toutefois, la faiblesse de l’offre sur le marché ne facilite pas cette opération, et les constructeurs français apparaissent ici particulièrement en retard sur leurs concurrents étrangers. Par ailleurs, ADP dispose d’un plan de déplacements d’entreprise intégré au plan de déplacements urbains des collectivités locales concernées. Un site Internet partagé avec d’autres sociétés permettant l’organisation d’un covoiturage pour près de cent quarante mille personnes a été mis en place dans ce cadre et monte progressivement en puissance. Ce dispositif s’avère tout à fait pertinent, compte tenu de la saturation du RER par rapport aux besoins de transport des salariés.

En ce qui concerne le temps de roulage des avions, il faut savoir que le déplacement et le démarrage des réacteurs des aéronefs s’effectuent pour l’heure grâce à un moteur auxiliaire très polluant, l’Auxillary Power Unit. Une réflexion est en cours pour solliciter plutôt des groupes électrogènes au sol, encore appelés Ground Power Unit, ou, encore mieux, des prises électriques de 400 hertz. Roissy est déjà prêt ; les équipements d’Orly restent à installer. Quant au temps de roulage lui-même des appareils, il est possible de le faire baisser de 10% si les compagnies, le contrôle aérien et les sociétés aéroportuaires pouvaient se concerter parfaitement en vue d’une meilleure optimisation en temps réel de la gestion des files d’attente. Un groupe de travail a été mis en place à cette fin et il est important d’aboutir.

Il faut aussi noter le remplacement des autobus aéroportuaires par des métros automatiques, comme le CDG VAL sur le site de Roissy. Cela permet une économie de 2000 tonnes de C02 par jour.

S’agissant du traitement des déchets, des dispositifs de tri sélectif sont en cours d’installation dans les zones destinées aux passagers. D’ores et déjà, les ordures collectées à Orly font l’objet d’une vente à Rungis qui, en échange, restitue une partie de l’énergie récupérée. Une usine de compostage a été créée. Une réflexion pour approfondir le recyclage des eaux pluviales, qui sont polluées par le kérosène et les acétates, devrait prochainement aboutir. Enfin, et plus symboliquement, des arbres seront plantés à proximité des aéroports pour améliorer leur cadre environnemental et absorber une partie des émissions de CO2.

En conclusion, toutes les initiatives engagées se justifient sur un plan économique, avec un taux de retour sur investissement raisonnable. Les seules difficultés rencontrées actuellement sont relatives à la modicité de l’offre de voitures non polluantes et à la chaudière à biomasse.

En ce qui concerne la limitation des vols courts et moyens courriers, il faut rappeler en préalable que l’intérêt du président d’ADP est d’avoir surtout des vols longs courriers, qui rapportent plus d’argent pour l’aéroport, et pour lesquels il n’y a pas de transport de substitution. Mais ce n’est pas si simple. Il est indispensable de considérer avant toute chose l’état du marché et la forte demande de trafic aérien, dopée par la mondialisation. Ce trafic devrait progresser de 3 à 4% par an en passagers dans les 20 ans qui viennent car il reste d’énormes parties du monde (Inde, Chine, Amérique du Sud) dans lesquelles le marché n’est pas mature. Même au sein de la vieille Europe, le marché n’est pas encore mature : la croissance attendue est de 7 à 8% par an, avec une clientèle provenant notamment d’Europe de l’Est, d’Italie et de l’Espagne et voyageant pour des motifs touristiques ou commerciaux. Il serait irresponsable de refuser cette demande, en la renvoyant de fait sur d’autres capitales européennes, et le réseau TGV est loin de couvrir tous les besoins. Les compagnies aériennes considèrent souvent que le TGV est leur concurrent frontal mais à Roissy nombre de passagers arrivent par le TGV. Cependant, la demande est beaucoup plus large et diffuse que le schéma de desserte des TGV.

Par ailleurs, le système aérien fonctionne par « hub » et il n’est possible d’équilibrer économiquement les liaisons aériennes qu’entre grandes villes. Une fréquence minimale de rotation des avions est nécessaire pour assurer leur rentabilité. Avec les hubs, les courts et moyens courriers sont rabattus sur une plateforme de correspondance et les passagers peuvent faire des liaisons de point à point à des prix supportables. Une limitation des moyens courriers menacerait ce hub, ce qui serait grave pour notre économie. En effet, c’est grâce à cette technique du hub qu’une PME d’Aurillac peut élargir sa zone de chalandise au-delà de 150 km et que son PDG peut rencontrer un fournisseur dans une ville moyenne d’Europe ou des Etats-Unis en moins de 24 heures. C’est donc un outil important pour la compétitivité de nos entreprises, de même que la plateforme FEDEX pour les marchandises. En cas de limitation des vols courts et moyens courriers, les entreprises françaises n’hésiteraient d’ailleurs pas à passer par des hubs allemands ou par Londres. Il ne faut pas oublier que ces plates-formes de correspondance sont en compétition les unes avec les autres, compétition dans laquelle la France est en bonne place. Et dans cette compétition, les gagnants sont ceux qui arrivent à offrir un maximum de correspondances dans un délai donné. Plus l’offre de correspondances est élevée, plus la plate-forme attire de passagers et plus il est possible de recourir à des avions plus grands et donc de proposer in fine des tarifs plus bas aux passagers, ce qui permet de faire venir une nouvelle clientèle. Ce qui n’est pas forcément bon pour l’environnement, notamment en termes de bruit, est très positif pour la compétitivité de notre économie et pour l’emploi. La limitation des vols moyens courriers détruit la technique du hub. Recourir au rail comme alternative supposerait des horaires plus calés pour les trains et une meilleure correspondance train/avion.

L’autre idée, qui a été soulevée lors des débats dans le cadre du Grenelle de l’environnement, est de ne brimer que les liaisons aériennes parallèles à une ligne de TGV existante. Mais il s’agit alors d’une économie administrée. Il est sans doute préférable de laisser jouer le choix du consommateur, qui incite chacun à faire des efforts de compétitivité et à être performant. Il n’y a plus par exemple de liaison aérienne entre Paris et Bruxelles, sans qu’il y ait eu besoin de taxe. Le Thalys s’est en effet imposé comme le mode de transport le plus performant. En revanche, il existe toujours des lignes aériennes Paris-Marseille car la desserte du TGV pose encore des problèmes d’horaire pour une partie de la clientèle. Les transports aériens ne représentent que 2,5% du total des émissions de CO2 ; il serait donc regrettable de monter une « usine à gaz » pour une économie environnementale quasi-nulle.

En ce qui concerne la création d’un troisième aéroport, cette hypothèse était plausible il y a quelques années, en termes notamment de réserves foncières. Le rapport de M. Douffiague avait en effet conclu en 1995 qu’il était raisonnable de disposer d’une nouvelle plate-forme aéroportuaire dans la perspective d’une saturation des plates-formes existantes à l’horizon 2020 et donc souhaitable de constituer une réserve foncière. M. Bernard Pons, Ministre de l’équipement de l’époque, a alors évoqué le site de Beauvilliers, dans le sud du bassin parisien, et cette réflexion est allée jusqu’au dossier d’enquête en vue de la déclaration d’utilité publique. Est intervenu un changement de majorité et le nouveau ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, n’a plus parlé de Beauvilliers. La recherche d’un nouveau site a été relancée en 2001 avec l’organisation d’une série de débats publics. Le site de Chaulnes est finalement choisi mais celui-ci pose de sérieux problèmes d’accès et nécessite la mise en place d’une desserte par TGV. La nouvelle majorité arrivée au pouvoir a rendu caduc ce choix. En conclusion, il n’y a donc aucun consensus politique et social pour créer une troisième plate-forme dans le bassin parisien. Il faut en tout état de cause protéger les cônes d’envol et d’atterrissage, si l’on ne veut pas réitérer les erreurs du passé, ce qui veut dire un gel de l’urbanisation sur 40 à 60 km de longueur et 15 à 20 km de largeur. Il est clair qu’on ne dispose pas de cette surface pour l’instant et qu’il sera extrêmement difficile de trouver un site qui fasse consensus.

Le Président de la République a d’ailleurs souligné, lors de l’inauguration du satellite 3 en juin dernier, la nécessité de développer Roissy, tout en prenant davantage en compte les riverains, par exemple par la mise en place d’une charte. Il reste effectivement des choses à faire pour améliorer la vie des riverains, en termes notamment d’indemnisation et d’isolation phonique, mais il faut aussi respecter la donne économique. Les aéroports de Roissy et d’Orly génèrent 300 000 emplois directs et indirects ; 1 million de passagers en plus entraîne une création de 4500 emplois dont 2000 sur la plateforme aéroportuaire. Les deux hubs d’Air France et de Fedex sont des outils d’intérêt général. La grogne des riverains a quelque peu baissé ces dernières années, en raison de certaines améliorations et ces dernières doivent être poursuivies. Tout ceci nous amène à l’horizon 2020, où il y aura un choix politique à faire, si le trafic aérien continue à croître. La première option est de refuser cette croissance et ce trafic se reportera sur d’autres villes européennes. L’autre option est d’utiliser l’ensemble des aéroports existants, ce qui nécessite des efforts d’investissement au sol pour pouvoir reporter une partie du trafic sur des aéroports éloignés. Le gouvernement devra avoir aussi le courage de prendre des mesures autoritaires pour envoyer les compagnies aériennes sur des sites périphériques, sur des critères non discriminatoires. Il existe en effet déjà plusieurs petits aéroports autour de Paris, tels celui de Dreux et de Vatry. Mais d’ici là, il y aura sans doute eu aussi des améliorations en matière de fret, grâce notamment au lancement du projet Carex ; la conclusion d’accords de libre-échange pourrait aussi permettre de développer des marchés province-étranger. La meilleure solution est en tout état de cause d’optimiser l’utilisation des plateformes aéroportuaires et de miser sur le réseau des aéroports périphériques.

En ce qui concerne le débat sur l’application d’une taxe carbone au transport aérien, il faut savoir que les aéroports sont déjà soumis à un système de quotas d’émissions de CO2. Ce quota est actuellement de 180 000 tonnes par an. Ce niveau n’ayant pas été atteint, des droits d’émissions ont pu être revendus et le niveau autorisé devrait être revu à la baisse. Ce système de quotas a donné naissance à un vrai marché financier, avec des possibilités de « swap » de quotas par exemple. L’adhésion des compagnies aériennes à ce système de quotas serait souhaitable. Il n’existe pas de carburant alternatif au kérosène pour les avions mais il est encore possible de gagner sur le rendement des moteurs d’ici 20 ans. Avec un système de droits d’émissions, on a la certitude de pouvoir encadrer les compagnies aériennes. Si ces quotas sont dépassés, les sommes payées en plus par les compagnies aériennes permettront d’aider des secteurs dans lesquels des mesures concrètes existent pour réduire sensiblement les émissions de CO2. Il faudrait cependant appliquer ce système de quotas à une échelle mondiale et non pas seulement européenne, si l’on veut éviter des distorsions de concurrence redoutables. Il serait donc souhaitable que la Commission européenne légifère sur ce dossier et obtienne une réciprocité avec les autres grands pays, tels les Etats-Unis et le Japon.

L’application d’une taxe carbone au kérosène est en revanche une mauvaise idée, qui aurait des effets pervers sur l’économie. Cette taxe n’aurait qu’un seul effet, celui de renchérir le prix du billet d’avion. Et les compagnies étrangères seraient incitées à acheter leur plein de carburant ailleurs. Il ne s’agit donc pas d’une bonne logique sur un plan environnemental, contrairement au système des quotas d’émissions.

M. Yanick Paternotte a rappelé que la Commission européenne prévoyait un doublement du trafic aérien à l’horizon 2020/2025 et estimé que Roissy, aéroport sur lequel devraient être enregistrés 550 000 mouvements à la fin 2007, n’avait pas la capacité physique de faire face à une telle croissance du trafic. Le Hub a généré une économie prospère mais aussi de nouvelles contraintes, dans la mesure où les vols de correspondance devaient tous partir dans un laps de temps d’1 heure ½. Dans ces conditions, quelle est la vraie limite physique du bassin parisien ? Que fera-t-on lorsqu’il n’y aura plus de place ? Ce problème quantitatif doit aussi prendre en compte le qualitatif lié au cadre de vie des riverains. Des études ont mis en avant les troubles liés aux vols de nuit et des améliorations sont attendues dans ce domaine.

Enfin, si le poids des avions exclut toute évolution sur les pistes d’atterrissage, de nouveaux revêtements plus écologiques que le bitume ne peuvent-ils pas être envisagés pour les « taxiway », c’est-à-dire les voies de circulation des aéroports menant à ces pistes ou aux hangars ?

M. Serge Poignant s’est interrogé sur la création possible d’un autre hub en France, en dehors de la région parisienne. Il a souligné les difficultés que poserait la limitation des vols moyens courriers pour les aéroports de province et la Loire-Atlantique. Sur le bâti et les sources d’énergie possibles, qu’en est-il du recours à l’énergie solaire sachant que les aéroports disposent de grandes toitures et de grands espaces ? Ce type d’énergie pourrait constituer un champ d’expérimentation intéressant, dans la mesure où les prix vont chuter d’ici 20 ans.

M. Philippe Boënnec a regretté la vision quelque peu jacobine de l’exposé, donnant à penser que tout doit se dérouler sur Paris. A l’étranger, en matière de transport aérien, tout n’est pas aussi centralisé dans la capitale. En outre, il faut tenir compte des déplacements de population et d’activités économiques qui peuvent advenir dans les vingt prochaines années. Or, compte tenu des contraintes de temps administratives, c’est aujourd’hui qu’il faut faire des choix en matière d’aménagement du territoire.

M. Philippe Duron a réagi aux propos de M. Pierre Graff, sur l’absence probable de création d’un troisième aéroport et le nécessaire développement des plates-formes existantes. L’aéroport de Beauvais est déjà utilisé par les compagnies low-cost. Le trafic maritime se dégrade dans la Manche et le trafic aérien augmente en conséquence. Dans ces conditions, sur quelles plates-formes, ce développement aura-t-il lieu ? Quelle sera par ailleurs l’évolution du fret aéroportuaire dans les quinze prochaines années ?

En réponse aux différents intervenants, M. Pierre Graff a indiqué que :

– les deux doublets de pistes à Roissy disposent d’une capacité gigantesque. Cette capacité est limitée par celle du contrôle aérien, qui prend aujourd’hui en charge 110 mouvements à l’heure. Mais il serait tout à fait possible d’augmenter ce nombre de mouvements par heure, pour atteindre en période de pointe un niveau de 150 équivalent à celui des Etats-Unis. Des marges de manœuvre peuvent également être gagnées, en remplissant les périodes creuses ;

– il existe une forte demande de la population pour interdire les vols de nuits. Ces vols sont déjà interdits à Orly et il est délicat d’aller plus loin en fermant Roissy la nuit, si l’on ne veut pas tomber dans le syndrome bruxellois : la Commission européenne avait cassé la décision du ministre des transports belge visant à fermer l’aéroport de Bruxelles la nuit, en considérant que cette mesure était disproportionnée à l’objectif poursuivi.

M. Yanick Paternotte a demandé s’il n’était pas possible de fermer au moins l’un des deux doublets de pistes.

M. Pierre Graff a ajouté qu’un couvre-feu posait aussi un problème économique au regard du traitement de Fedex et de La Poste. Air France limite déjà son trafic sur la plage horaire minuit-5h du matin mais ce créneau ne correspond pas à l’intégralité de la nuit des riverains ; il semble cependant délicat pour la compagnie d’aller plus loin. En revanche, il paraît tout à fait envisageable de fermer l’un des deux doublets.

En ce qui concerne les revêtements utilisés, les pistes des aéroports sont en béton et il n’y a pas de grandes marges d’évolution en la matière, compte tenu de la forte pression exercée au sol par les avions. Et s’il s’agit de réaliser un bilan carbone, il faut prendre en compte aussi l’impact réel des autres types d’infrastructures, notamment ferroviaires, en terme d’artificialisation des espaces naturels.

Il n’est pas possible de réaliser deux hubs côte à côte. Chaque hub nécessite pour son fonctionnement une zone de chalandise minimale de 15 à 25 millions d’habitants, pour pouvoir remplir la plus grande partie de l’avion, et donc une distance d’au moins 300 à 500 km d’une structure existante. Lyon, avec la proximité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, remplit ces conditions et un hub y fonctionne déjà. Mais il sera difficile de trouver un autre site cohérent en province. En Allemagne, Francfort est un hub, Munich n’arrive pas à en être un.

L’utilisation de l’énergie solaire est effectivement une piste intéressante à explorer. ADP y a recours pour le restaurant du comité d’entreprise. Mais pour les autres bâtiments aéroportuaires, des contraintes de hauteur et d’encombrement, liées à la nécessité pour les contrôleurs aériens de pouvoir visualiser les queues des avions, risquent de se poser, de même que des problèmes liés à l’éblouissement et à la réverbération. Cependant, ADP n’écarte pas l’éventualité de mettre des panneaux solaires partout où cela sera possible.

Il reste délicat de créer des lignes long-courrier à partir d’aéroports de province, à de rares exceptions (ligne Nice-New-York). Il s’agit plus d’un problème de marché que d’aménagement du territoire. Mais sans doute que d’ici 2020, la masse critique pour rentabiliser un aller-retour par avion sera-t-elle atteinte pour certains aéroports de province, tels celui de Toulouse ou peut-être de Notre-Dame des Landes dans le Grand Ouest. Le problème est le même en Allemagne.

M. Yanick Paternotte a indiqué que cela dépendait aussi de l’existence ou non d’une compagnie basée.

M. Pierre Graff a souligné la nécessité d’avoir un trafic un peu équilibré : certains aéroports, tels celui de Clermont-Ferrand, ont complètement décliné à la suite du départ d’une compagnie basée. L’aéroport de Beauvais est actuellement prospère grâce à la présence de Ryanair et il ne faudrait pas que cette compagnie s’en aille. C’est un bel outil, qui pourrait permettre de contribuer à désengorger les aéroports parisiens au-delà de 2020, mais il ne peut fonctionner sans investissement. C’est le contribuable qui paye pour les infrastructures, notamment ferroviaires, permettant de desservir cet aéroport.

Toutes les compagnies « low cost » n’ont pas fait le même pari que Ryanair de recourir à des aéroports périphériques en proposant des liaisons inédites à partir de villes moyennes. D’autres, comme Easyjet, font le choix d’opérer sur les mêmes aéroports que les compagnies traditionnelles. En tout état de cause, la création de nouvelles lignes à partir de villes de province n’est possible qu’avec des subventions des collectivités locales ; et il existera toujours un risque de voir partir un jour la compagnie assurant cette desserte, ce qui se passe actuellement à Poitiers.

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Audition de M. Gérard Longuet, sénateur de la Meuse, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

(Séance du 27 novembre 2007)

Le président Christian Jacob a souhaité recueillir l’avis de M. Gérard Longuet sur le chiffrage effectué par l’association Transport, développement, intermodalité, environnement (TDIE) à la suite du Grenelle de l’environnement et évaluant à 163 milliards d’euros les besoins de financement pour les infrastructures de transport à l’horizon 2025. Il a demandé des précisions sur les ressources et la situation de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ainsi que sur le positionnement de l’agence par rapport aux propositions du Grenelle de l’environnement en matière de transports et aux premières orientations fixées par le Président de la République.

M. Gérard Longuet a fait valoir que l’AFITF avait connu une évolution ambiguë. Lors de sa création, MM. Jean-Pierre Raffarin et Gilles de Robien avaient décidé d’en faire une structure dérogeant au principe de l’universalité budgétaire, afin de financer les 35 projets d’infrastructures retenus par le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, en leur affectant les dividendes perçus par l’État au titre de sa participation dans les sociétés d’autoroutes. Le programme des travaux à réaliser entre 2005 et 2012 se chiffrait à 24 milliards d’euros. Les contributions de l’AFITF prenant en charge la part de l’État devaient s’élever à 7 milliards d’euros sur l’ensemble de cette période, tandis que les recettes de l’agence devaient atteindre 1 milliard d’euros par an. Le système était donc équilibré. Le gouvernement ayant décidé en 2005 de privatiser les sociétés d’autoroutes, l’AFITF s’est vue privée ipso facto de ses recettes spécifiques. Des ressources fiscales ad hoc lui ont cependant été allouées, sous la forme de la redevance domaniale pour occupation du domaine public et de la taxe d’aménagement du territoire payées par les sociétés d’autoroutes ainsi qu’une partie du produit des amendes perçues par la voie des radars automatiques. À ces 700 millions d’euros de ressources annuelles récurrentes, il faut ajouter une dotation exceptionnelle de 4 milliards provenant des 16 milliards de recettes de privatisation des sociétés d’autoroute, ce qui fait un total de 9 milliards à peu près certains sur la période 2005-2012. Le système était à peu près bouclé au printemps 2006.

La situation financière de l’AFITF s’est fortement dégradée : elle arrive désormais à une impasse prévisible d’une dizaine de milliards d’euros d'ici 2012, compte tenu de l’élargissement de son champ d’intervention à d’autres projets, pour lesquels elle n’a pas bénéficié de recettes supplémentaires, ainsi qu’à l’achèvement des contrats de plan État-régions.

À la suite du CIADT du 18 décembre 2003, les ressources de l’AFITF étaient exclusivement routières alors que ses dépenses étaient à 70 % ferroviaires, à 5 % fluviales ou maritimes et à 25 % routières. La prise en charge de l’achèvement du volet d’infrastructures routières et ferroviaires des contrats de plan État-région (CPER) s’est traduite par une remontée sensible des dépenses routières à hauteur de 50 % du total. Cette prise en charge des CPER représente une dépense nouvelle de 4,5 milliards d'euros pour l’AFITF. Les transports collectifs en site propre induisent une charge supplémentaire de 250 millions d'euros, tandis que l'actualisation et les besoins complémentaires identifiés pour les projets du CIADT ont généré un besoin de financement de 3 milliards d'euros. Pour la rénovation du matériel roulant Transilien, la région Île-de-France a obtenu lors du transfert du STIF l'octroi d’une subvention de 400 millions d'euros par l'État, dont 280 millions seront versés par l’AFITF d’ici à 2012. A cet égard, M. Gérard Longuet a observé que la région Ile-de-France était la seule région à bénéficier d'un tel régime, les autres régions ayant financé elles-mêmes le renouvellement de leurs trains express régionaux. La poursuite du volet ferroviaire des CPER sous la forme des contrats de projet aura une incidence financière de 2,4 milliards d'euros et l’État a programmé 2,5 milliards de dépenses pour les programmes de développement et de modernisation des itinéraires (PDMI) sur la période 2007-2013. Enfin, l’AFITF interviendra à hauteur de 300 millions d'euros dans la première grosse opération de partenariat public-privé (PPP) dans les transports, le GSM ferroviaire.

Le "carnet de commandes" de l’AFITF contient 21,7 milliards d'euros de projets. Elle percevra 6,4 milliards de recettes récurrentes jusqu'en 2012. Elle a reçu une subvention budgétaire de 500 millions d'euros en 2005 et de 100 millions en 2006. Les privatisations des sociétés d'autoroutes lui ont rapporté une dotation exceptionnelle de 4 milliards d'euros. Par conséquent, fin 2007, l’AFITF dispose de façon notoire d'un peu moins de la moitié des financements dont elle a besoin d'ici 2012 pour la prise en charge des dépenses qui lui ont été confiées par décision gouvernementale.

L’AFITF est une sorte d’autorité morale qui veille à ce que les crédits "fléchés" sur les infrastructures de transport soient effectivement affectés à cet usage mais elle ne dispose pas de la légitimité politique requise pour prendre les décisions sur l'opportunité d'un projet. 172 conventions de financement multipartites ont été signées pour permettre l'affectation des crédits aux projets.

S’agissant du Grenelle de l’environnement, la faisabilité du programme de liaisons ferroviaires à grande vitesse – 2 500 kilomètres de voies nouvelles – est incertaine. En vertu des décisions arrêtées au CIADT de 2003, la France est déjà en train de réaliser simultanément trois lignes TGV, ce qui est considérable, et même quatre avec le prolongement du TGV est-européen : Rhin-Rhône ; Perpignan-Figueras et les contournements de Montpellier et de Nîmes ; Tours-Bordeaux sur la ligne Sud-Europe Atlantique. Le projet de ligne Paris-Toulouse a été abandonné au profit des lignes Paris-Orléans et Limoges-Toulouse, pour lesquelles les seules décisions concrètes à ce jour sont des améliorations de passages à niveau.

Le CIADT du 18 décembre 2003 avait en outre envisagé une liaison allant de Paris jusqu'au tunnel sous la Manche par Amiens ainsi que des liaisons en arêtes de poissons vers Poitiers et Limoges à partir de la ligne Paris-Bordeaux. Quant à la ligne Bordeaux-Toulouse, le CIADT ne l’avait même pas retenue en termes d'étude. Les priorités sont aujourd’hui le prolongement de Le Mans-Rennes et l’achèvement de Paris-Bordeaux. Tous les autres projets ferroviaires sont plus volontaristes que réalistes.

Deux questions majeures pesant très lourdement sur les capacités de financement de l’AFITF restent sans réponse : la réalisation du projet fluvial Seine-Nord Europe et du projet ferroviaire Lyon-Turin. Sur ces deux projets majeurs, la mission de l’AFITF a été de faire en sorte qu’il n'y ait pas de perte de temps par rapport au calendrier prévu. Pour le canal Seine-Nord, l’utilité publique pourrait être déclarée dans le courant de l’année 2008 et toutes les études sont financées. Pour Lyon-Turin, toutes les études techniques préalables ont été effectuées pour un coût total de 500 millions d'euros. La partie internationale du projet devrait approcher un coût de 6 milliards d'euros, de même que les accès côté français. La réalisation de ce projet ferroviaire devrait coûter 2 milliards d'euros à l'État français, soit une année complète de financement de l'AFITF.

Le projet fluvial Seine-Nord Europe est majeur. Les travaux d’amélioration du port du Havre, sur lesquels l’AFITF intervient, avancent convenablement. Il est crucial de créer l’écluse fluviomaritime qui permettra aux barges de grand gabarit remontant la Seine d’accéder directement à la desserte des porte-conteneurs, sans avoir à passer par la mer. Il sera ainsi possible d’organiser un flux continu entre les ports de la mer du Nord – Rotterdam, Anvers, Gand ou Amsterdam – et le bassin parisien. Mais cela profitera-t-il au trafic de conteneurs de l’Europe du Nord vers l’Île-de-France ou du Havre en remontant vers le Nord, y compris vers la « banane bleue », la Lotharingie industrielle ?

Les armateurs des ports du Havre et de Rouen ont longtemps considéré que le canal Seine-Nord faciliterait l'accès des ports de mer du Nord vers le bassin parisien bien plus qu'il ne permettrait de valoriser les ports français ; personne ne peut prévoir ce qui se passera. Il est en revanche certain que le consommateur bénéficierait de livraisons dans de meilleures conditions et à de meilleurs prix, dans des contraintes d’environnement mieux maîtrisées.

Le projet Lyon-Turin ferroviaire est encore en cours de discussion ; la décision n’est manifestement pas tranchée. Les partisans des tunnels routiers soulignent qu’aucun d’entre eux n’est saturé. Le tunnel ferroviaire de Cavour est saturé, à cause de sa voie d’accès, trop pentue. Il s’agit surtout d’une demande très forte de l’Italie. En France, la région Rhône-Alpes y voit la consécration de son rôle d’ouverture sur l’Italie du Nord et l’Europe balkanique.

Les besoins routiers interurbains, en France, sont à peu près satisfaits ; le problème qui demeure est celui de la circulation urbaine et périurbaine, d’autant que le fret est essentiellement de proximité et routier. Or les voies de circulation urbaines et périurbaines sont saturées, coûteuses à construire et entretenir et le plus souvent gratuites, alors même que l’environnement urbain est de plus en plus réticent à l’aménagement de toute infrastructure nouvelle, qu’elle soit d’ailleurs routière ou ferroviaire. Les attitudes sont donc plutôt défensives : le Grenelle de l’environnement évoque surtout des équipements de protection, de sécurité ou de confort, négligeant le problème de la fluidité, notamment en région parisienne.

Le péage virtuel dématérialisé est une nécessité absolue pour détourner des régions à haute densité de population le maximum de circulation de fret. Du fret entre inexorablement en région parisienne pour alimenter les consommateurs, les plates-formes logistiques et les unités de production, mais les 15 à 20 % de circulation de longue distance doivent être dissuadés d’utiliser les infrastructures urbaines. En Lorraine, des axes autoroutiers destinés à servir de boulevards intérieurs sont utilisés pour des liaisons internationales. Celles-ci requièrent des équipements et des financements spécifiques car il n’y a aucune raison que le contribuable local paie les frais générés par les transports internationaux motivés par les exigences des consommateurs et des exportateurs étrangers.

Les centres de tri postal quittent le centre-ville pour la périphérie, sur des nœuds routiers. Le système routier, quoi qu’on en pense et quoi qu’on en dise, constitue donc bien le facteur essentiel du développement économique. Néanmoins le ferroviaire peut offrir des solutions plus souples : à côté du fret ferroviaire de longue distance, la SNCF peut développer, par exemple, ses relations avec les coopératives agricoles.

Toutefois une spécialisation des systèmes ferroviaires s’impose car le fret est peu compatible avec le transport de voyageurs : la coexistence sur un même réseau de TGV, de TER, de trains Corail interrégionaux voire nationaux et de convois de fret est très difficile. La traversée de la région parisienne – soit une cinquantaine de kilomètres – par une rame de fret prend parfois une journée, la moindre panne de locomotive désorganisant tout le trafic. Le hub TGV de la région parisienne est affaibli par la liaison Massy-Valenton, qui contient des tronçons à voie unique !

Le TGV présente l’avantage de libérer du sillon au profit du fret sur les lignes traditionnelles ; cependant la coexistence avec le TER n’est pas toujours facile. La SNCF voulait réserver au fret une ligne électrifiée de grande qualité située sur la rive droite du Rhône entre Lyon et Avignon, mais les communes réclament des TER, alors qu’il existe déjà une ligne TER de l’autre côté du Rhône, à cinq kilomètres. Des décisions de l’État s’imposent, une autorité lointaine et impopulaire étant la mieux placée pour faire des choix de bon sens mais déplaisant à la population. Au demeurant, entre le principe de précaution et le dialogue citoyen, le chemin de fer n’aurait jamais vu le jour, ni d’ailleurs l’aviation.

La France ne croit pas aux ports, qui sont pourtant source de richesses considérables. Les ports belges, néerlandais et accessoirement allemands occupent une position stratégique car ils alimentent une des régions les plus riches au monde. Le plus grand port méditerranéen reste Rotterdam. Ce marché obéit à une logique de concentration car le chargement et le déchargement doivent être le plus massif possible pour être rentables. Il est donc beaucoup plus aisé et moins coûteux, pour un porte-conteneurs partant de Hongkong, d’aller à Rotterdam plutôt qu’à Barcelone, Tarragone, Valence, Marseille ou Gênes. Seul le vrac sec – charbon, minerai de fer, céréales, ciment – peut être éclaté sur des ports beaucoup plus petits et proches des consommateurs, à condition que le système de déchargement soit d’une grande fluidité.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui car la répartition des responsabilités confine à l’absurde : les chambres de commerce sont favorables au développement des ports mais ne possèdent pas toujours l’autorité ni les moyens pour financer les infrastructures ; les infrastructures pourraient être financées par des exploitants privés à condition que ceux-ci maîtrisent la main-d’œuvre ; la main-d’œuvre leur est imposée par un système désuet, corporatif et fermé. Le port de Fos-sur-Mer, notamment, pourrait largement se développer, compte tenu de son excellente desserte fluviale avec le Rhône, mais les investissements n’ont pas été réalisés car les conditions économiques n’étaient pas réunies.

Les ports ne sont pas un fléau mais une chance pour la France, des équipements comme ceux de Fos bénéficiant d’excellentes dessertes ferroviaires, fluviales et routières pour irriguer des sites de consommation intensive dans l’arrière-pays. Seul manque le professionnalisme : il n’existe pas de grande entreprise française de manutention et tout le monde se renvoie la balle pour réaliser les investissements.

Le budget 2008 de l’AFITF sera bouclé tranquillement, même si c’est le dernier pour lequel ses dirigeants ont une visibilité. Restent le problème de l’urbain et du périurbain, pour lequel la seule solution est la Toll Collect, et le manque de financement pour quelques itinéraires routiers transversaux dont tout le monde se désintéresse : l’achèvement de la RN7 dans la Nièvre, l’Allier et la Loire ; la célèbre route Centre-Europe Atlantique (RCEA), qui progresse avec une lenteur déroutante.

La RN88 – l’axe Toulouse-Lyon – fait l’objet d’une première grande expérimentation de PPP pour le tronçon traversant l’Aveyron, sur 105 kilomètres. Le projet n’est pas encore abouti car il suppose un engagement conjoint du conseil général de l’Aveyron, qui est acquis, du conseil régional de Midi-Pyrénées, plus réticent, et de l’État. Le coût réel d’un tel projet apparaît clairement car le devis présenté par le "PPPiste" fait apparaître le montant de l’investissement mais aussi les frais financiers courant pendant la durée de réalisation et de location de l’ouvrage, avant le transfert de propriété, ainsi que les coûts de maintenance. Cette vérité du coût annuel véritable incite à se montrer très exigeant et à bien peser tous les critères avant de réaliser un investissement.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur les modalités de mise en œuvre du péage virtuel dématérialisé.

M. Gérard Longuet a précisé que l’instauration de ce péage est absolument indispensable pour améliorer les infrastructures françaises. Il permettrait de faire participer des transporteurs étrangers à leur financement et son coût serait répercuté en bas de facture sur le consommateur, bénéficiaire d’un service plus rapide. Si le système allemand était transposé tel quel, le produit de la taxe atteindrait 800 millions à 1 milliard d'euros. Le problème de l’AFITF ne serait cependant pas tout à fait réglé car un système de Toll Collect n'a de sens que si les maîtres d’ouvrage propriétaires des infrastructures utilisées sont associés aux bénéfices. Or, les routes départementales supportent aussi un trafic international et il serait normal que les conseils généraux profitent des produits de ce péage.

Le couplage du GSM et du GPS peut permettre de facturer en fonction des itinéraires, des horaires voire des véhicules ; il est donc possible de dissuader ou au contraire de stimuler la circulation selon les heures, de favoriser certains itinéraires et d’en délester d’autres. L’avenir, c’est la route intelligente, un système d’information vivant qui rend réactifs les professionnels de la route voire les particuliers. Si quelqu’un veut à tout prix sortir de Paris par l’autoroute de l’ouest le vendredi à dix-sept heures, il doit assumer les conséquences financières de ses choix.

M. Philippe Duron a déclaré adhérer en grande partie à l’analyse de M. Gérard Longuet. Toutefois, si la taxe kilométrique poids lourds est désormais un fait acquis parmi les spécialistes des transports et au sein du Gouvernement, il conviendra de ne pas s’en tenir au réseau national non concédé mais d’intégrer tout le réseau structurant, afin d’éviter le report de trafic vers le maillage secondaire.

Le mandat des administrateurs de l’AFITF s’achève théoriquement en janvier prochain. Or le Gouvernement n’a encore consulté ni les associations d’élus ni le Parlement. Le président de l’AFITF en sait-il davantage ?

M. Philippe Duron s'est en conséquence interrogé sur l’avenir de l’AFITF dans ces conditions. Le Gouvernement serait bien avisé de la maintenir. Le candidat vainqueur de l’élection présidentielle, assurément très bien conseillé, s’était déclaré convaincu de l’intérêt de l’AFITF mais avait jugé que son mode de gouvernance pouvait être amélioré : « Je ne suis d’ailleurs pas certain, à l’instar de ce qui prévaut dans les agences de l’eau, qu’il soit nécessaire que les représentants de l’État soient majoritaires. […] Je pense d’abord aux activités d’ingénierie financière, ouvrant la possibilité à une agence d’État comme l’AFITF d’étudier puis de participer aux montages financiers. » L’AFITF doit-elle juger de l’intérêt des infrastructures ou bien réfléchir à la façon la plus optimale de les financer ? Doit-elle intervenir comme une agence à l’allemande ou de manière plus classique ?

M. Gérard Longuet a estimé que l’AFITF a, dans le meilleur des cas, vocation à donner des conseils sur l’ingénierie financière mais qu’elle n’a pas à se substituer aux décideurs politiques pour décider de l’opportunité des infrastructures. L’AFITF peut toutefois être un lieu de capitalisation de compétences et de connaissances pour que les choix d’infrastructures cessent d’appartenir à quelques hauts fonctionnaires. Le conseil d'administration de l’AFITF comporte à la fois des élus et des fonctionnaires représentants de l'État.

M. Alain Juppé et M. Jean-Louis Borloo ont été successivement saisis du problème du renouvellement du mandat du conseil d’administration de l’AFITF. Entre-temps, des évolutions se sont produites, notamment le transfert de routes nationales aux départements. Il serait souhaitable de prévoir une meilleure représentation des différentes catégories de collectivités locales - régions, départements, communes ou communautés urbaines- compte tenu de leurs responsabilités respectives en matière d'infrastructures de transport.

Il n’en demeure pas moins que l’AFITF ne peut être qu’un lieu de débat et de réflexion, vu sa composition. On pourrait toutefois imaginer une organisation en conseil d’administration et conseil d’orientation : le premier, aux effectifs réduit, gérerait les conventions tandis que le second, plus représentatif, réfléchirait à la politique d’infrastructures et jouerait éventuellement le rôle de conseil de surveillance du Toll Collect à la française.

Le président Christian Jacob s'est interrogé sur un système où la route finance l’ensemble des infrastructures.

M. Gérard Longuet a souligné qu'il appartenait au Parlement de choisir et à l'AFITF d'appliquer la politique ainsi définie. Les 2 milliards d'euros de besoin de subventions, d’ici à 2012, se répartissent pour 50 % sur les infrastructures routières et 50 % sur les infrastructures non routières, mais cette distribution résulte de la sédimentation de décisions n’ayant jamais fait l’objet d’un débat parlementaire clôturé par un vote. Les contrats de plan et de projet ne sont d’ailleurs pas ratifiés par le Parlement, si ce n’est pas le biais des crédits votés. Il faudra que le Parlement, à un moment donné, fixe des ratios pour les différentes catégories d’infrastructures, sachant qu'actuellement 100 % des recettes sont issues de la route et financent à hauteur de 50 % des infrastructures routières.

M. Philippe Duron a noté que les ressources, en Allemagne, étaient consacrées à la route pour 68 % et au reste – le fer et le fluviomaritime – pour 32 %.

M. Gérard Longuet a objecté qu’une comparaison était très délicate compte tenu de l’absence de péages en Allemagne.

M. Philippe Duron s’est inquiété des perspectives pour la période 2009-2012, au cours de laquelle la Toll Collect ou taxe kilométrique ne sera pas encore opérationnelle.

M. Gérard Longuet a considéré que l’AFITF, assurée de percevoir, à terme, des recettes récurrentes, pourrait s’endetter. Au demeurant, si la Toll Collect lui était adossée, l’endettement de l’AFITF n’aurait vraisemblablement plus à être consolidé avec celui de l’État, ce qui contribuerait à le faire passer sous la barre des 60 % du PIB.

M. Jean Proriol s’est étonné qu’autant de projets fleurissent, ainsi le doublement du TGV Paris-Lyon ou la ligne du Portugal à l’Ukraine préconisée par l’Association logistique transport ouest (ALTRO). Est-ce utopique ou envisageable à l’horizon 2050 ou 2100 ? L’AFITF est-elle concernée ?

M. Gérard Longuet s'est déclaré très sceptique à l’idée de TGV ou de lignes de fret sur de très longues distances car le transport maritime ou fluviomaritime est plus adapté. Aux États-Unis ou en Australie, les conditions géographiques sont différentes et les lignes sont complètement dédiées, avec des trains extrêmement longs. Le fait que l’Europe se soit développée grâce à la mer Méditerranée – mare nostrum- et la mer du Nord n’est pas tout à fait un hasard : l’économie de marché est née dans les ports de la mer du Nord.

Pour les grandes distances, le transport maritime est donc plus adapté, avec un bémol français : le couloir lotharingien nord-sud, pourvu de deux pattes ferroviaires, l’une à l’est vers l’Italie du Nord et l’autre à l’ouest vers l’Espagne. En tout cas, au-delà de 1 200 kilomètres, le train ne présente aucun intérêt et le maritime allège les infrastructures. Il existe d’ailleurs un projet d’autoroute de la mer de Bilbao à Nantes. De même, la liaison Barcelone-Gênes, qui va entrer en service et évite la France.

M. Daniel Paul a souligné que la partie maritime n'était pas déterminante. Vu d’Osaka, lorsqu’un container doit être acheminé à Vienne, la traversée maritime est équivalente que la destination soit Marseille, Le Havre ou Rotterdam, d’autant que les ports d’Anvers et d’Amsterdam sont beaucoup moins accessibles que celui du Havre. Tout dépend de la massification du transport, c’est-à-dire du nombre de conteneurs chargés ou déchargés en une escale, de même que des possibilités de desserte intérieure.

Pour concurrencer les autres ports, l’effort doit porter sur les équipements fluviaux et ferroviaires. Si les liaisons terrestres avaient été intégrées à Port 2000, des années auraient été gagnées ; on s’aperçoit seulement maintenant qu’une ligne de fret partant du Havre vers la région parisienne serait nécessaire. Le port de Marseille est confronté au même problème car l’ensemble du sillon rhodanien est encombré. La France souffre effectivement de l’absence de véritable politique maritime. La compétitivité des ports français n'est pas un problème de statut.

M. Gérard Longuet a prôné une unité de décision pour les investissements, si l'on voulait éviter une méfiance des acteurs économiques.

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Audition de M. Xavier Fels, président du comité des constructeurs français d’automobiles.

(Séance du 4 décembre 2007)

Le président Christian Jacob s’est réjoui d’accueillir M. Xavier Fels, président du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), dans le cadre des auditions consacrées par la délégation au suivi du Grenelle de l’environnement. Il a rappelé que la délégation avait déjà auditionné les présidents des différents groupes de travail, mais également un certain nombre d’acteurs des transports, dont le directeur général délégué du fret à la SNCF ou le président de Voies navigables de France. Les premières mesures législatives qui découleront du Grenelle de l’environnement seront vraisemblablement présentées en début d’année devant le Parlement.

Quel jugement le CCFA porte-t-il sur le projet de règlementation européenne visant à durcir pour les voitures les objectifs en matière d’émission de CO2 ? Quid de la création de l’écopastille, des effets environnementaux et économiques d’une nouvelle prime à la casse, des moteurs à hydrogène, des biocarburants, des piles à combustible ?

M. Xavier Fels a estimé que le Grenelle de l’environnement avait été une initiative heureuse dans la mesure où un consensus avait pu se dégager sur un sujet fondamental. Les priorités qui ont été déterminées sont positives, en particulier s’agissant de l’effet de serre. L’effet de serre constitue en effet dorénavant le problème central, depuis que les questions de pollution locale sont en passe d’être résolues, en raison notamment des efforts réalisés par les constructeurs et des contraintes de la réglementation.

Le CCFA a été associé aux travaux du Grenelle de l’environnement dans le cadre de la délégation du MEDEF, où M. André Douaud a représenté le secteur des transports dans le groupe de travail consacré à la lutte contre le changement climatique. Il est en l’occurrence impératif de bien prendre en compte les conséquences économiques de ce Grenelle, notamment les questions de coûts, d’efficacité, ou de faisabilité. Le Premier ministre a assuré qu’elles seraient évaluées par le Centre d’analyse stratégique (CAS) et le CCFA est confiant sur l’issue de ces réflexions.

Il importe tout d’abord de relativiser l’impact des transports sur l’effet de serre. Sur l’ensemble de la planète, ils ne sont en effet responsables que de 14% des émissions, dont 10% pour la route, 2% pour la mer et 2% pour l’avion. C’est bien moins, par exemple, que le secteur agricole ou la déforestation (18%), l’habitat ou le tertiaire (20%). En France, les pourcentages sont un peu plus défavorables, mais pour de bonnes raisons tenant à l’importance des secteurs nucléaire et hydraulique dans la production d’électricité, lesquels n’émettent pas de gaz à effet de serre. La part des transports dans les émissions de CO2 est donc plus forte : 24% pour le transport routier, dont 13% pour les voitures, 4% pour les fourgonnettes et les véhicules utilitaires légers et 7% pour les camions. C’est à peu près l’équivalent des secteurs agricole et tertiaire. La production de C02 par habitant, en France, est le tiers de celle des États-Unis.

Compte tenu des efforts réalisés et des traditions du marché français, très attaché aux petites voitures, l’émission de CO2 par kilomètre parcouru n’est que de 140 grammes contre 160 grammes en moyenne en Europe, la Suède, par exemple, se situant à 198 grammes, l’Allemagne à 169 grammes et les États-Unis, quant à eux, à 250 grammes. Dans ce marché vertueux, les modèles de Citroën, Peugeot et Renault sont exemplaires : parmi les 10 modèles de véhicules peu émetteurs de CO2 les plus vendus, ils occupent les 7 premières places, selon le classement établi par l’ADEME.

L’une des raisons de ce succès est la place tenue par le diesel : le taux de corrélation est en effet très fort entre la diésélisation et le faible taux d’émission de CO2 puisque le diesel, grâce à un taux de compression plus élevé que le moteur à essence, entraîne une économie de carburant de 20%, proportionnelle aux émissions de CO2. Bruxelles a mis en avant à juste titre la notion « d’affordability »: la vertu environnementale ne doit pas être réservée à des véhicules haut de gamme ; il faut qu’elle soit aussi le propre des véhicules abordables.

Entre 2000 et 2006, les ventes de véhicules émettant moins de 120 grammes de CO2 sont passées de quelques dizaines de milliers à près de 400 000. Les véhicules qui produisent entre 120 et 140 grammes représentent 50% du marché et les marques françaises produisent 74% des véhicules produisant moins de 120 grammes et 57% des véhicules produisant de 120 à 140 grammes alors que la part de marché globale des constructeurs français est de 52%.

A cela s’ajoute le fait que la motorisation diesel comporte de très importants potentiels de développement technologique : combustion homogène, très haute pression par rail commun d’injection et, vers 2010, projet de l’hybride diesel développé par le Groupe PSA permettant d’obtenir des émissions de CO2 inférieures à 100 grammes. La Logan de Renault fonctionnant avec du biodiesel présentée lors du dernier challenge Bibendum n’émet quant à elle que 50 grammes de CO2, ce qui est spectaculaire.

Les biocarburants soulèvent certes de nombreux problèmes, notamment agricoles - avec la question de la disponibilité des terres arables, l’utilisation des graines et des fruits -, mais la deuxième génération, qui n’utilisera que des racines, des tiges, des troncs et des déchets, ne présentera que des avantages en permettant d’utiliser au mieux la photosynthèse. A très long terme, il faudra compter avec le développement du « tout électrique » et des batteries, qui seuls permettront de se passer des carburants liquides.

Les véhicules auront un rendement excellent et nécessiteront un entretien très limité. Néanmoins, le couplage moteur électrique-batterie n’est pas très performant, l’effet masse des batteries limitant l’autonomie des véhicules, ce qui constitue un important frein psychologique pour les acheteurs. La production d’électricité passera par la pile à combustible embarquée, même si le modèle technologique idéal n’a pas encore été trouvé pour l’automobile. Le CCFA, en revanche, ne croit pas au développement de la filière de l’hydrogène à combustion interne : il conviendrait par exemple de mettre en place une infrastructure de distribution d’hydrogène très délicate à réaliser et à sécuriser. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que l’hydrogène n’est qu’un vecteur et non une source d’énergie et qu’il convient de s’interroger sur le mode de production de celle-ci.

Le président Christian Jacob a souhaité savoir si, sur le court terme, il fallait privilégier le développement du diesel propre plutôt que celui des moteurs à hydrogène ou des piles à combustible.

M. Xavier Fels a rappelé les problèmes techniques qui se posent pour les moteurs à hydrogène alors que le diesel propre est déjà opératoire ; un filtre à particules sera notamment obligatoire en septembre 2009 compte tenu de la réglementation européenne. De manière globale, il faudra également compter avec les biocarburants, le gaz naturel, qui exige cependant des réservoirs très épais pour amortir les chocs, le GPL- même si ce dernier, qui n’est qu’un sous-produit du raffinage du pétrole, a montré ses limites tant environnementales qu’en matière de sécurité d’approvisionnement énergétique-, l’hydrogène et enfin l’énergie nucléaire pouvant être utilisée pour les véhicules électriques.

M. Serge Poignant a demandé si, avec la généralisation mondiale du moteur hybride, la France n’a pas intérêt à développer sa recherche si elle veut conserver sa position de « championne du monde ». Après Toyota ou Honda, Ford vient de se lancer sur cette technologie. Tous les taxis de New York disposeront bientôt de moteurs hybrides.

M. Xavier Fels a rappelé que l’hybride diesel sur lequel la France travaille est plus difficile à réaliser que l’hybride essence.

M. Serge Poignant en a convenu, mais il a rappelé que PSA avait voulu se lancer dans cette technologie dès 2003, puis avait reculé. Deux années de recherche et d’expérimentation sont encore nécessaires. Le véhicule hybride est intéressant en zone agglomérée car une recharge est possible pendant les périodes de freinage mais les constructeurs travaillent-ils à une technologie complémentaire – visant par exemple à ne pas faire tourner quatre cylindres sur autoroute ?

M. Xavier Fels a souligné qu’il fallait en effet raisonner en fonction de l’utilisation des véhicules. Le succès des hybrides essence aux États-Unis est étonnant car les villes sont très étendues. La consommation annuelle est finalement plus importante, la voiture étant plus lourde et moins optimisée en mode essence qu’en mode électrique.

L’hybride a trois modes : le « stop and start », la récupération de l’énergie du freinage et le full hybride, soit l’optimisation de cette technique grâce au couplage d’un moteur électrique et thermique et d’une technologie embarquée très sophistiquée. Par ailleurs, certains développements de la technologie hybride pourraient permettre de mieux utiliser les moteurs thermiques.

M. André Douaud, directeur technique du CCFA, a rappelé que les Américains construisaient de très gros moteurs de six à huit cylindres dont la surpuissance est à la fois inutile et coûteuse en énergie. La désactivation des cylindres est une stratégie connue, mais les pistons continuant à jouer, le frottement demeure. La stratégie européenne dite du downsizing vise à utiliser un petit moteur, la puissance étant créée grâce à la suralimentation par turbocompresseur. La cylindrée est donc réduite ; un turbo qui ne souffle pas dans le moteur ne consomme pas d’énergie à la différence des pistons. Cette stratégie est infiniment plus performante en termes d’émission des CO2 que la désactivation des cylindres. Il y a encore cinq ans, un véhicule de milieu de gamme de type 407 ou Laguna devait être équipé d’un moteur de deux litres de cylindrée ; aujourd’hui, les performances sont supérieures avec un moteur de 1,6 litre : 400 centimètres cubes et, au moins, un litre au cent ont donc été gagnés. Cette stratégie, mise en oeuvre pour les diesels puis étendue aujourd’hui aux véhicules essence à injection directe, est la voie d’avenir.

M. Serge Poignant a demandé si chacun des constructeurs français développait une telle technologie.

M. Xavier Fels a répondu que les coopérations ne s’étaient guère développées dans ce domaine hautement concurrentiel mais que l’innovation se répandait très vite.

M. Serge Poignant a demandé si ce type de technologie permettait de descendre sous les 120 grammes d’émissions de CO2.

M. Xavier Fels a répondu que ce seuil est d’ores et déjà atteint pour une partie importante de la gamme, mais qu’il est en revanche impossible d’y tendre pour son ensemble à l’échéance donnée par Bruxelles. Il faudrait rajouter 10 à 15 grammes pour le plafond d’émissions.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur la raison pour laquelle les constructeurs français ne sont pas plus présents dans le secteur des moteurs hybrides. Certes, des surconsommations sont possibles mais le sentiment demeure de s’être laissé distancer.

M. Xavier Fels a répondu que le marché mondial est constitué à 75% par l’Europe, les États-Unis et le Japon et que l’Europe a en l’occurrence le plus grand marché de diesel ; or, le coût de réalisation de l’hybride diesel est plus élevé. Il a semblé préférable de développer le diesel et de bénéficier ainsi du double gain émission-consommation, sachant que le gain de l’hybride essence n’est que de 20% - ce qui n’empêche pas qu’un excellent travail technique ait été réalisé en la matière.

Le président Christian Jacob a indiqué qu’il partageait le point de vue de M. Fels sur les biocarburants de deuxième génération, mais il a rappelé que les investissements ayant été d’ores et déjà réalisés en faveur des biocarburants de la première génération, ceux-ci doivent être rentabilisés. Néanmoins, un point est insuffisamment pris en compte dans le calcul de rentabilité, même s’il concerne plus les agriculteurs que les constructeurs : la baisse du coût de l’alimentation générée sur les viandes blanches. L’effet induit en est immédiat sur les tourteaux issus des biocarburants.

Les constructeurs travaillent-ils beaucoup sur les biocarburants de deuxième génération ?

M. Xavier Fels a souligné que les carburants issus de ces filières sont d’ores et déjà excellents et adaptés aux moteurs existants. Le seul problème rencontré est lié au flexfuel, utilisé au Brésil, mais il est minime.

M. Serge Poignant a rappelé que les inquiétudes actuelles étaient générées par les résultats d’une étude réalisée par un prix Nobel, qui a alerté sur les risques liés à l’hydroxyde d’azote. Il a demandé si les constructeurs français s’étaient déjà investis dans le développement du flexfuel.

M. Xavier Fels a rappelé que quelques constructeurs, tels Saab, s’étaient lancés dans le développement du flexfuel en Europe du Nord. Le marché français tarde quant à lui à décoller en raison du manque de pompes.

M. Serge Poignant a demandé quelle était l’échéance pour la réalisation des biocarburants de deuxième génération.

M. Xavier Fels a répondu qu’elle était évaluée à une dizaine d’année environ.

M. André Douaud a indiqué qu’il fallait différencier les filières diesel et allumage commandé. Le biocarburant de deuxième génération pour les moteurs à allumage commandé sera massivement l’éthanol résultant de la fermentation de la cellulose et non du sucre. Comme il est plus difficile de le mettre au point, il faut développer considérablement les recherches sur la biochimie de la cellulose.

En revanche, les carburants de deuxième génération pour la filière diesel sont plus nombreux : utilisation de toute la biomasse, dont le bois, et des gaz de synthèse combinés. Leur fabrication, possible à partir du charbon, notamment en Chine, soulève évidemment de nombreux problèmes. En Mongolie, les Chinois préparent des plans visant à réaliser 50 millions de tonnes de CTL – Carbon to Liquid – sans récupération de CO2, ce qui est catastrophique.

M. Serge Poignant a considéré lui aussi qu’entre temps, il fallait faire vivre la première génération de biocarburants, dont le biodiesel. Mais quid des investissements en faveur du E85 ? Faut-il développer tout un système de distribution spécifique pour seulement 8 ou 10 ans ? Quelles sont les préconisations pour la deuxième génération de biocarburants ? La cellulose ? Le Gaz To Liquid ?

M. André Douaud a répondu que les deux pistes seront étudiées. S’agissant du gaz, il faut toujours se poser la question de sa meilleure utilisation dans les transports ou dans les installations fixes. Même si une approche intégrée, pourtant fondamentale, a un peu manqué lors du Grenelle de l’environnement, un abandon du fuel au bénéfice du gaz a été évoqué pour le chauffage domestique, ce qui permettrait de gagner 25% en émission de CO2 et de rendre disponible un gisement d’énergie liquide - le fuel- pour le transport. Il ne faut pas forcément se précipiter vers le gaz naturel dans les transports.

M. Xavier Fels a rappelé un autre avantage : les biodiesels sont faciles à mixer au gazole fossile, jusqu’à 30%, alors que c’est beaucoup plus difficile avec l’alcool.

Le président Christian Jacob a demandé ce que les constructeurs attendaient de l’Etat, étant entendu qu’un texte de loi sera bientôt présenté sur l’environnement.

M. Xavier Fels a souligné qu’il importait avant tout d’aider les clients et les consommateurs à prendre les bonnes décisions. Le labelling, sous la forme de flèches de couleurs, peut, de ce point de vue, être un bon instrument afin d’indiquer clairement les grammes de CO2 émis en fonction des véhicules, quelle que soit leur taille. Les constructeurs, par ailleurs, préfèrent que soient développées les taxes à l’usage plutôt que les taxes à l’achat, qui ne sensibilisent les conducteurs qu’une seule fois. En cas d’achat d’une voiture vertueuse, il faut mettre en place des systèmes d’information sur d’éventuels crédits d’impôts ou des remises.

M. Serge Poignant a estimé que dès lors que le nombre de grammes de CO2 sera défini et connu, la question des cylindrées sera secondaire.

M. Xavier Fels a rappelé que les 3 000 euros d’aides de l’État pour les voitures propres sont jusqu’ici réservés à certaines technologies - GPL, électrique, hybrides – alors qu’il est préférable de se déterminer en fonction des performances en termes d’émissions de CO2.

Le président Christian Jacob a souligné que ce point de vue était assez partagé par les membres de la commission des affaires économiques et de la délégation à l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale.

M. Xavier Fels a déclaré que cela aiderait les constructeurs français dans le cadre des débats à Bruxelles car cela montrerait que notre pays, disposant de constructeurs vertueux et respectueux de la concurrence, s’occupe vraiment des problèmes d’émissions, auxquelles l’attribution des différentes aides est conditionnée.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur la qualité des matériaux utilisés et leur caractère biodégradable.

M. Xavier Fels a répondu que la réglementation européenne s’applique d’autant plus que la France l’a un peu anticipée. Il importe en outre de bien distinguer la valorisation énergétique et le recyclage, l’acier étant par exemple à 100% recyclable et le plastique absolument pas biodégradable. Une contradiction existe entre les contraintes de masse des véhicules, liées aux émissions de CO2, et le développement du plastique et des matériaux légers, peu recyclables. Il faudra bien dégager des priorités.

Le président Christian Jacob a demandé si les perspectives, dans ce secteur, sont favorables.

M. André Douaud a rappelé que les décharges sauvages de pneumatiques ont disparu. Une structure, Aliapur, regroupe ainsi tous les manufacturiers et gère la valorisation du pneumatique usagé. Les règlements sur les véhicules hors d’usage tendent quant à eux vers 95% de récupération en recyclage ou en valorisation énergétique de tous les composants d’une automobile.

M. Xavier Fels a indiqué que des constructeurs évoquaient la possibilité d’utiliser de la paille et d’autres matériaux agricoles, mais cela sera très marginal.

M. André Douaud a déclaré que les problèmes de recyclage concernent surtout les composants électriques des véhicules, notamment dans les batteries, ou bien les matériaux précieux présents en très grande quantité dans les piles à combustible.

M. Xavier Fels a considéré que, compte tenu des coûts de ces matériaux précieux, le recyclage se fera par le marché, qu’il conviendra bien entendu, aussi, d’organiser.

M. Serge Poignant a estimé que des progrès seront accomplis dans le stockage des piles à combustibles. Il s’est par exemple rendu compte, à l’Institut national de l’énergie solaire (INES), à Chambéry, du développement des travaux sur les batteries.

Le président Christian Jacob a souligné que les techniques de traitement et de stockage sont en pleine évolution. Peut-être des perspectives s’ouvriront-elles dans le domaine de l’autonomie des véhicules et du stockage ?

M. Xavier Fels a rappelé que des problèmes de sécurité peuvent également se poser pour les nouvelles générations de batteries, notamment des dangers d’échauffement. La Chine, en ce qui la concerne, devra inéluctablement développer l’électricité par batterie pour faire fonctionner le nombre de véhicules dont elle aura besoin à terme.

Plus généralement, il importe de favoriser la recherche dans le domaine des transports et de leurs technologies. Les perspectives de financement du Programme National de Recherche et d’Innovation dans les Transports Terrestres (PREDIT) IV sont favorables mais il importe que celui-ci ne se focalise pas sur les problèmes d’organisation ou de sociologie des transports mais soutienne aussi ces nouvelles technologies dans l’automobile.

M. André Douaud a ajouté que les filières traditionnelles étant économiquement très accessibles, pour longtemps et au niveau planétaire, il ne faut pas relâcher les efforts sur les motorisations conventionnelles. La filière électrique sera très importante car elle viendra se combiner à la filière thermique sous des formes hybrides variées. Il faut enfin s’attendre, dans les années à venir, à une compétition entre véhicules électriques et véhicules à pile à combustibles ou à hydrogène. Dans tous les cas, il faudra améliorer considérablement le stockage, la fiabilité, la robustesse et les coûts des batteries. Le rendement de la chaîne hydrogène, aussi optimisé soit-il, est toutefois trois fois plus bas que celui de la chaîne purement électrique. Si les questions de stockage sont résolues, le véhicule électrique l’emportera et tuera dans l’œuf la filière hydrogène dans le domaine des transports. Ce mauvais rendement de l’hydrogène se répercutera sur son coût, qui restera dissuasif.

M. Serge Poignant a demandé si, néanmoins, des améliorations substantielles ne peuvent pas être réalisées à l’avenir dans la filière hydrogène.

M. André Douaud a répondu que l’hydrogène étant une matière première de très haute réactivité, ce serait un « crime thermodynamique » que de l’utiliser uniquement pour son énergie. L’hydrogène peut être utilisé dans bien des filières énergétiques, par exemple pour réaliser des carburants de synthèse à partir de la biomasse. Il faut bien distinguer les fonctions énergétique et chimique de l’hydrogène. Sa valorisation dans les filières chimiques est ainsi bien meilleure que sa combustion, fût-ce dans une pile à combustible.

M. Serge Poignant a demandé à M. Xavier Fels ce qu’il pensait de la préconisation du Grenelle de l’environnement visant à abaisser la vitesse règlementaire de 10 km/heure.

M. Xavier Fels a répondu qu’il fallait réfléchir à son efficacité.

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Audition de M. Yanick Paternotte, député du Val-d’Oise, en sa qualité de président de l’association Carex (Roissy Cargo Rail Express), et de plusieurs membres fondateurs ou associés à ce projet.

(Séance du 11 décembre 2007)

Le président Christian Jacob a souhaité la bienvenue à M. Yanick Paternotte, président de Roissy Carex (Cargo Rail Express), et lui a demandé de présenter l’ensemble du projet, son état d’avancement et les éventuels obstacles auxquels il était confronté.

M. Yanick Paternotte, a souligné que depuis plusieurs années, de nombreuses entreprises s’intéressaient à la possibilité de réaliser du fret ferroviaire à grande vitesse dans un rayon situé entre 200 et 800 kilomètres de Roissy. Le réseau européen à grande vitesse comprend le réseau TGV de la SNCF ainsi qu’Eurostar et Thalys. L’avenir du réseau peut être décliné comme suit : achèvement de la LGV Est, mise en place de la délégation de service public entre Tours et Bordeaux, élaboration de la ligne Perpignan-Figueras, développement des réseaux allemand et Rhin-Rhône ainsi qu’un développement TGV depuis Madrid jusqu’à Barcelone et du pendulaire en Allemagne et en Italie. Manqueront un chaînon entre Barcelone et Figueras, le contournement de Nîmes et de Montpellier ainsi que la connexion Avignon-Perpignan pour une desserte de la péninsule ibérique par sa façade méditerranéenne.

Les opérateurs ont le choix entre deux flux : l’express, qui privilégie le délai d’acheminement - mais le prix est élevé –, le flux étant réalisé actuellement principalement par les avions ; le cargo, qui privilégie le coût - mais le délai peut-être assez long – le flux étant alors réalisé en bateau, lorsqu’il s’agit de trajets intercontinentaux, ou par camion ou fret ferroviaire de petite vitesse.

L’activité Fret Express et Cargo des hubs de Roissy est en forte augmentation – plus 8,4% en 2005 – et il en est de même pour les principales plateformes aéroportuaires d’Europe. La raréfaction des créneaux aériens de nuit, le coût de l’énergie et la limitation de vitesse des poids lourds soulèvent de plus en plus de problèmes pour les opérateurs. Or le développement du réseau de lignes ferroviaires à grande vitesse permet d’envisager des complémentarités entre l’avion et le train par report modal. L’ouverture du marché du transport ferroviaire de fret depuis le 1er avril 2006 en Europe constitue également un atout supplémentaire. Les collectivités concernées et les opérateurs du fret aérien sont motivés par un projet qui relève également du développement durable. La hausse du prix du baril de pétrole, enfin, constitue un élément important du contexte global de développement.

M. Yanick Paternotte a déclaré avoir proposé ce concept de TGV Fret dès 1994, puis l’avoir relancé en 2004 avec M. Alain Chaillé et les responsables d’Aéroports de Paris. Une réflexion a eu lieu en 2005 sur la gouvernance de cette structure qui a abouti à la création d’une association loi 1901. Le bureau comprend des partenaires des secteurs public et privé : des élus – tels que MM. Christian Nahon, Antoine Casula, ou Patrick Renault – quatre représentants des fondateurs – MM.Alain Chaillé, vice-président de Fedex, Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste et Franck Mereyde, directeur adjoint d’ADP, remplacé par Gérard Lefevre, directeur des opérations aéroportuaires de CDG-ADP.

Le collège des membres fondateurs est composé de trois membres publics et de trois membres issus du monde de l’entreprise ; un collège des membres associés a été créé avec des membres institutionnels publics et privés ; un collège Eurocarex a également été créé comprenant l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, Liège Carex et Eurotunnel pour exporter le modèle rail/aéroport ; High Speed trains (HST), Cargo Schipol (Amsterdam Carex) et Kôln-Bonn Airport Carex sont en cours de constitution. Des discussions sont en cours avec DHL et UPS. Le club des partenaires comprend quant à lui la SNCF, la direction régionale de l’équipement d’Île-de-France, l’établissement public d’aménagement de Plaine de France, l’IAURIF et Alstom.

Parmi les grandes étapes figurent la création de l’association Roissy Cargo Rail le 8 février 2006, l’élaboration du cahier des charges de février à avril 2006 ou la rencontre avec le ministre délégué à l’aménagement du territoire, M. Estrosi, le 6 avril 2006. M. Jacques Barrot, Commissaire européen délégué aux transports, a envoyé une première lettre de soutien le 2 mai 2006. L’annonce du choix du bureau d’étude - l’étude de faisabilité ayant été financée sur fonds privés avec le soutien logistique des collectivités et de la communauté de communes – a été faite le 21 juin 2006. La rencontre à Bruxelles avec le commissaire européen délégué aux transports s’est déroulée le 27 juin 2006. Le rendu final de l’étude de faisabilité a eu lieu le 22 novembre 2006 et, enfin, les conclusions de cette étude ont été présentées à la presse le 8 décembre 2006. Il s’agissait alors d’examiner la pertinence technique et financière du projet mais également du choix des sites. Le projet Carex vient en outre d’être retenu dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Il importe aujourd’hui de s’atteler à la construction des terminaux autour de Roissy, de l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon puis de Lille-Lesquin. La bonne réalisation du projet impliquera la mise à disposition simultanée de gares et de sillons LGV dans le cadre d’un mode de gouvernance adéquat, ainsi que d’un matériel adéquat. Le principe de base consistant à organiser un report modal de l’avion et du camion vers le TGV, il convient de connecter l’aéroport au réseau LGV de manière à transborder bord à bord des conteneurs aériens dans un délai de quinze à trente minutes. A cet effet, il est nécessaire de prévoir des nouvelles rames TGV configurées à l’image des carlingues des avions. M. Jacques Barrot a demandé par ailleurs que Carex soit ouvert à toutes les entreprises et que les terminaux soient créés dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Les temps de parcours doivent en outre être compatibles avec les besoins des opérateurs et des grilles horaires seront disponibles au départ de Roissy.

Les atouts de Carex sont la mutualisation – chaque partenaire a élaboré des flux de principe en Express et en Cargo - et la confidentialité – aucune information stratégique des entreprises ne sera révélée. La gouvernance, enfin, doit être fondée si possible sur l’unanimité à chaque étape stratégique.

Le mode de fonctionnement est dérivé du secteur aérien : Eurocarex – à terme, structure privée – sera une « agence de voyage » qui prendra les réservations des opérateurs, lesquels s’engageront sur une durée et un tonnage en échange de quoi un prix leur sera proposé. Plus la réservation sera précoce, plus ce prix sera favorable. La capacité réservée mais non utilisée pourra quant à elle être sous-traitée par l’opérateur à un autre opérateur. Le matériel roulant comporte trois types de motrices : le TRI courant type POS, qui est disponible, le TRI courant type PBA qui demande trois ans de délai et le TRI courant type Eurostar qui lui en requiert cinq.

M. Yanick Paternotte a ajouté que la définition des wagons avait également été étudiée en fonction des conteneurs avion. Ils sont au nombre de trois : le grand gabarit avec plancher en col de cygne – deux conteneurs AKE et quatre conteneurs AMJ -, qui est préconisé ; l’IATA de 20 pieds, dont la faisabilité est à prouver, et le wagon de type plancher plat, qui n’a pas été retenu car la hauteur des contenants est limitée à 2,5 mètres. A terme, vingt rames seront nécessaires. Le prix d’une rame – huit wagons et deux motrices pour un emport de 100 tonnes – est évalué entre 25 et 30 millions ; la fabrication des caisses requiert un délai de trois à quatre ans en raison de la création d’un nouveau chaudron en acier. Trois typologies de gares ont également été examinées en fonction des quais, de l’accès des camions ou à un aéroport.

Le bilan économique prévisionnel sur un marché estimé, à terme, à 270 000 palettes, se décompose comme suit : exploitation – 60 millions par an, dont 38 millions pour les sillons -, investissements totaux de 925 millions – deux tiers pour les rames, un tiers pour les terminaux – coût de remboursement des investissements : 40 millions par an, dont 28 millions pour le matériel roulant. L’externalisation des rames est par ailleurs envisagée, de même que la location du service et du matériel. Le bilan carbone se situe entre 17 et 52 fois moins que le niveau d’émissions atteint avec un mode tout avion ou tout camion, la moyenne se situant vraisemblablement à 30 fois moins d’émissions.

Les propositions de mise en service des sites sont les suivantes : première étape, le 31 mars 2012 : Roissy, Lyon, Liège, Amsterdam, Cologne, Londres, Francfort et Lille ; deuxième étape, entre cinq et sept ans : extension française vers Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg ; troisième étape, sept à neuf ans, péninsule ibérique, Italie, Allemagne.

A Lyon, par exemple, un emplacement a d’ores et déjà été bien identifié et la faisabilité technique étudiée. Le business plan n’est pas encore finalisé.

A Roissy, deux sites potentiels, Goussainville et Tremblay-en-France, ont été inscrits au Schéma directeur régional d’Île-de-France ; une subvention a été votée par le conseil régional ; les établissements publics fonciers du Val d’Oise et de la région Île-de-France ont été saisis.

Le site de Lille est quant à lui particulièrement important par son ouverture vers Londres, Bruxelles, Liège, Cologne et Amsterdam ; la situation de l’aéroport Lille-Lesquin, entre la LGV et l’autoroute, devrait permettre de trouver un site comparable à celui de Roissy de manière à optimiser la logique multimodale.

Liège Airport accueille sur son site le centre européen de tri Thomas Nationwide Transport (TNT) ; Liège Carex est arrivé à un business plan financé à hauteur de 400 000 euros permettant de déterminer les possibilités d’implantation autour de l’aéroport. Trois sites ont été étudiés, mais les autorités préconisent une installation au sein de l’aéroport ; un véritable travail en réseau a permis de susciter des « filiales » qui bénéficient de l’expertise de la maison mère, laquelle essaie de les rendre autonomes tout en les coordonnant.

Amsterdam Carex – Schiphol – a été le point de départ de l’aventure à travers l’alliance entre Air France et KLM. L’utilisation du TGV avait déjà été envisagée pour le transport des fleurs. Des implantations ont là encore été examinées. Des PPP et un business plan sont en cours de montage.

Sachant que le degré d’information et de motivation n’est pas partout le même en Europe, l’association Carex a demandé à M. Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat aux transports, de bien vouloir organiser un rendez-vous avec les ministres des transports de l’Union européenne afin d’évoquer ce projet d’une manière transversale. Si le ministre hollandais des transports, en particulier, est très motivé, il n’est pas possible d’en dire autant de son homologue allemand, la Lufthansa n’étant pas membre de la même alliance qu’Air France-KLM. Avec un hub à Leipzig, DHL a en outre fait un choix stratégique différent des autres intégrateurs. La question du site demeure ouverte mais le retard est patent.

Londres, selon les opérateurs Fedex, Air France, TNT et DHL, constitue un site majeur, le volume potentiel y étant le plus important. Eurotunnel a été désigné comme coordinateur pour la mise en place de Londres Carex et des contacts sont en cours avec RFG – Rail Freight Group – TLF, CTRL. Un emplacement a été repéré en face d’un futur site des jeux olympiques de 2012, dans l’east London.

Plusieurs rencontres ont eu lieu au siège de la SNCF avec M. Guillaume Pépy, l’enjeu principal étant l’obtention de sillons de nuit. Aujourd’hui, le réseau TGV, qui n’est ouvert qu’aux passagers, est fermé la nuit. La question n’est pas simple en raison de possibles nuisances sonores, ce qui implique la mise en place d’aménagements de protection phonique ou des modes de fonctionnement, mais le développement durable est à ce prix. La procédure relative au matériel roulant a été lancée ; le cahier des charges a été envoyé à Alstom, Siemens et Bombardier. Une étude sera lancée sur chaque site, l’idée étant que chacun d’entre eux dispose de sa propre économie, avec le paiement de droits de passage par d’autres réseaux ou de l’immobilier d’entreprise par exemple.

Sachant que, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, 2 000 kilomètres de lignes à grande vitesse (LGV) ont été programmées d’ici à 2020, il a été demandé au Gouvernement d’inscrire le projet Lille-Lyon par Reims afin de favoriser un véritable aménagement du territoire - le réseau LGV devant épouser le réseau autoroutier - et de sécuriser le réseau LGV, l’ensemble du réseau SNCF passant par les deux gares d’interconnexion de Roissy et de Marne-la-Vallée.

Aller de Lille à Strasbourg implique, aujourd’hui, de passer par Roissy, de même que le trajet Lille-Lyon implique un passage par Paris. Il conviendrait d’élaborer un tracé de Lille à Montbard, les sillons au sud et au nord de Paris, qui seront saturés d’ici à 2020, étant d’ores et déjà très chargés.

Le président Christian Jacob a remercié M. Paternotte pour cette présentation très intéressante et concrète et a souhaité savoir ce qui avait motivé le choix de 2012 comme échéance.

M. Yanick Paternotte a indiqué que Carex s’était toujours fixé des contrats d’objectifs. La date de 2012 a été déterminée en référence aux Jeux olympiques de Londres : lancer la première étape de réseau trois mois avant leur début constitue un enjeu essentiel pour répondre à la demande, qui sera très importante. A cela s’ajoute le fait que le site pour London Carex est quasiment efficient à peu de frais. Il ne faut pas perdre de temps et tous les acteurs doivent se mobiliser. Si le terminal de Goussainville est achevé avant le 31 mars 2012, une liaison avec Londres sera tout à fait possible. Des liaisons Roissy-Lille-Londres peuvent être également envisagées.

M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, a indiqué que si deux à trois ans étaient nécessaires pour réaliser les terminaux, il est en revanche très délicat de négocier des créneaux sur les voies ferroviaires existantes ou d’aménager des circulations de nuit, car cela implique des protocoles d’aménagement de maintenance des LGV qui doivent être d’ores et déjà pris en compte. La fabrication du matériel roulant est quant à elle particulièrement préoccupante puisque les délais sont d’environ quatre ans. C’est sans doute le point le plus critique. A ce stade, 2012 est une date réaliste, mais à condition de ne pas perdre de temps.

Le président Christian Jacob a demandé quelle structure – la SNCF, Air France ? – finançait les rames.

M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, a répondu que ce n’était en tout cas pas Air France.

M. Yanick Paternotte a relevé que l’investissement global – terminaux et rames – s’élèvait à moins d’un milliard d’euros. La Banque européenne d’investissement, mais également d’autres partenaires, se disent prêts à le financer. Stratégiquement, le financement des rames doit, selon Carex, être externalisé auprès des entreprises partenaires qui fonderont le consortium privé, le projet d’entreprise réalisé par des entrepreneurs pour des entrepreneurs ne devant pas tomber sous la maîtrise des banquiers. Le problème majeur est celui de l’harmonisation du service.

Carex constitue également un projet d’aménagement du territoire, chaque site générant une économie comparable à celle d’un aéroport : de nombreuses entreprises, ainsi que des sous-traitants, seront attirés dans le domaine des transports ; des activités de recherche et développement verront aussi sans doute le jour. Les entreprises pharmaceutiques, par exemple, sont d’ores et déjà très intéressées : en cas de pandémie, un acheminement de vaccin, de nuit, par TGV et dans toute l’Europe peut fort bien être envisagé. L’atout stratégique compétitif lié à la proximité du terminal et au gain potentiel en termes de réactivité est particulièrement important. La maîtrise du foncier autour des sites est donc essentielle, si l’on veut éviter que des plates-formes logistiques s’implantent de façon anarchique, au détriment des entreprises de haute technologie qui voudront utiliser le service. De ce point de vue-là, le partenariat public-privé est essentiel et les élus, en particulier, doivent fortement s’impliquer.

L’étude des sillons a été réalisée gratuitement autour de Roissy par Réseau ferré de France, qui est un précieux allié.

Sur le point de savoir si le nouveau tracé passant par Vatry relancerait cet aéroport et si cela impliquait de renoncer à l’idée d’en faire un troisième aéroport, M. Yanick Paternotte a rappelé que le Grenelle de l’environnement ayant envisagé de créer 2 000 kilomètres de LGV supplémentaires à l’horizon de 2020, Vatry pourrait travailler en bi-pôle avec Roissy. L’avenir de Vatry passerait néanmoins par une liaison en site propre en TGV. Enfin, le développement du fret implique la présence d’une compagnie de passagers, le fret représentant 50% des soutes des avions de passagers. Or ce n’est pas le cas à Vatry.

Alain Chaillé, vice-président de Fedex, a considéré que Vatry ne constituait pas une solution pour un opérateur comme Fedex, surtout présent à Roissy. Il est en outre essentiel d’être situé dans une zone qui comporte beaucoup de clients potentiels. Fedex a par ailleurs créé un nouveau hub à Cologne avec une connexion par train avec la France, d’où l’importance du lancement du projet avant 2012.

M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, a rappelé l’importance de la synergie entre avions cargos et passagers. Exclure les avions cargos de Roissy entraînerait leur départ pour Amsterdam et sûrement pas pour Vatry, compte tenu de la faiblesse du marché local. Vatry ne peut pas être un aéroport de dégagement pour Air France-KLM.

M. Alain Chaillé, vice-président de Fedex, a ajouté qu’il n’y avait pas de bassin d’emplois.

M. Yanick Paternotte a considéré que le site manquait en effet d’attractivité.

Le président Christian Jacob a souligné que l’attractivité de Vatry repose sur Reims, la nationale 4 et l’autoroute A 4.

M. Yanick Paternotte a ajouté que l’aéroport de Vatry n’est pas vraiment connecté par une ligne ferroviaire attractive : sans desserte LGV, pas d’avenir.

Le président Christian Jacob a demandé si la relance serait effective avec une desserte LGV.

M. Alain Chaillé, vice-président de Fedex, a considéré que, même dans ce cas-là, cela n’avait pas d’intérêt faute de clientèle sur site.

M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, a précisé que cela pouvait éventuellement représenter un intérêt pour une compagnie qui ne serait pas basée à Paris.

M. Yanick Paternotte a indiqué que toutes les nouvelles LGV pourraient être mixtes et associer trains de marchandises et trains de passagers. Si, par exemple, Carex doit effectuer une mission Londres-Lyon, il serait dommageable de devoir passer par Paris, une solution d’évitement étant préférable. Il en irait de même dans le cas d’une mission Londres-Strasbourg. Cela présente des avantages en termes d’aménagement du territoire et de dévolution du trafic entre passagers et fret.

Le président Christian Jacob a rappelé que, lors de son audition, le directeur du fret à la SNCF avait souligné qu’il était très difficile de partager l’utilisation des lignes compte tenu de la pression de la demande du transport voyageurs, d’où l’idée de réaliser des lignes dédiées. Comment la SNCF perçoit-elle la mixité des lignes ?

M. Yanick Paternotte a rappelé que le problème ne se posait pas en circulation de nuit.

Mme Juliette Collin, directrice projet à la direction du fret SNCF représentant M. Guillaume Pépy, directeur général exécutif de la SNCF, a souligné que l’utilisation des sillons de nuit soulevait un certain nombre de problèmes pour Réseau Ferré de France, les lignes TGV étant réservées à ce moment-là à la maintenance et au renouvellement et n’étant pas conçues pour recevoir de la circulation. Le gestionnaire d’infrastructures, en cas de circulation nocturne, devrait donc travailler différemment, par exemple en ne fermant pas les deux voies - comme c’est le cas actuellement, afin d’éviter des accidents. Une ouverture est donc possible à condition de mettre en place de nouvelles mesures de sécurité, d’où des coûts supplémentaires pour RFF. Cette requête de Carex et de Fret-SNCF est à l’étude. Le marché est là aujourd’hui et il faut trouver des solutions pour répondre à la demande.

M. Yanick Paternotte a souligné que ce sont la faisabilité technique du projet et la volonté politique qui importent au premier chef. Il convient de laisser des voies ouvertes, comme cela a été fait avec les autoroutes : on ne ferme plus totalement une autoroute pour intervenir sur une voie. La saturation prévisible des sillons, de jour comme de nuit, est par contre très inquiétante si l’on n’améliore pas le réseau LGV.

M. Yanick Paternotte a précisé que l’utilisation de la totalité des sillons disponibles n’avait pas été envisagée pour le projet Carex, l’essentiel étant de trouver des sillons correspondant aux besoins économiques des entreprises. Il a indiqué par ailleurs que la construction de la gare de Goussainville devrait être lancée un peu avant 2012 pour respecter l’échéance fixée pour le projet Carex. Des discussions ont lieu en ce moment avec le président du conseil général s’agissant de la maîtrise du foncier. La priorité demeure la construction de la gare de Goussainville, plus que celle de Tremblay-en-France, car elle permettra d’organiser la desserte nord-sud ainsi que celle de l’ensemble des clients potentiels.

S’agissant des intentions futures de La Poste, M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, a souligné qu’une partie de sa clientèle étant internationale, il importait pour elle de rejoindre les flux internationaux vers le nord de l’Europe. Sur ce plan-là, l’entreprise ne peut qu’être satisfaite de disposer de solutions communautaires.

Le président Christian Jacob a demandé quel pourcentage du fret arrivant aujourd’hui à Roissy pourrait être capté par Carex.

Selon M. Pascal Morvan, vice-président d’Air France Cargo, 40% du fret de pré et post-acheminement d’Air France pourrait être basculé sur le rail dès la première tranche, ce qui n’est pas négligeable.

M. Alain Chaillé, vice-président de Fedex, a envisagé que 10% du fret aujourd’hui avionné devrait être capté. Compte tenu de la croissance prévisible du fret et de l’impossibilité de rajouter des créneaux horaires entre minuit et cinq heures à Roissy, il faudra impérativement trouver des moyens d’acheminement de ce fret qui devrait représenter, au moins, 20% du volume global.

M. Yanick Paternotte a rappelé que, si la réglementation était trop contraignante, il serait toujours possible de se diriger vers d’autres hubs, tels ceux d’Amsterdam ou de Cologne. In situ, la seule marge de progrès sera le report modal.

M. Alain Chaillé, vice-président de Fedex, a souligné qu’il serait possible d’utiliser le train le week-end, dans les pays du sud de l’Europe compte tenu des contraintes pesant sur les autoroutes pour les camions à ce moment-là.

M. Yanick Paternotte a considéré que Milan-Turin voire Vérone-Bologne ou Barcelone-Madrid-Bilbao pourraient être desservies le week-end, la difficulté étant de rester en site propre à ce moment-là : hors LGV se poseront les questions de la sécurisation et du respect des délais d’acheminement.

M. William Zerbib, délégué de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris pour la Seine-Saint-Denis, a demandé si un bilan en termes de créations d’emplois avait été réalisé.

M. Yanick Paternotte a estimé que 3 000 emplois environ devraient être créés au terme de la deuxième étape, même si, faute de modèle, il est très difficile de se prononcer. Il faut également tenir compte des emplois induits pour les constructeurs de matériels ainsi que pour les services.

M. Yanick Paternotte a ajouté que le nombre d’emplois susceptibles d’être créé à Roissy devrait être supérieur à 500. Goussainville, qui devrait être le cœur du réseau européen, bénéficiera peut-être d’une zone de stockage et d’entretien ainsi que d’une plateforme logistique. La Fédération des entreprises de transport et logistique de France considère par ailleurs Carex comme un complément de la chaîne logistique et non un concurrent. Le projet devrait renforcer l’attractivité des pôles existants en multimodaux.

Le président Christian Jacob a remercié M. Yanick Paternotte pour cette présentation d’un projet concret en lien avec le Grenelle de l’environnement et les différentes auditions qui ont eu lieu à ce jour.

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Audition de M. Pierre Caussade, directeur du développement durable du groupe Air France – KLM.

(Séance du 11 décembre 2007)

Le président Christian Jacob a d’abord excusé M. Jean-Cyril Spinetta, dont l’audition était prévue aujourd’hui et qui a été retenu par d’autres obligations.

Puis il a souhaité connaître la position du groupe Air France-KLM sur les différents sujets d’actualité liés au Grenelle de l’environnement. Quelles sont les pistes de réduction des émissions de CO2 dans l’aviation ? Quelles sont les marges de progression de l’efficacité des motorisations ? Quels sont les carburants alternatifs possibles ? Quelle est également la position du groupe Air-France-KLM sur l’idée parfois avancée d’une limitation du trafic des courts et moyen-courriers ?

M. Pierre Caussade a rappelé qu’Air France-KLM était le premier groupe mondial dans le secteur aérien par son chiffre d’affaires et le deuxième par son trafic passagers et cargo. Ce groupe regroupe deux compagnies, avec leurs marques, leurs réseaux et leurs traditions respectifs. Il exerce trois métiers principaux : le transport de passagers, le fret et la maintenance aéronautique. Le groupe emploie 103 000 personnes : 75 000 agents au sol, 20 000 navigants commerciaux et 8 000 pilotes. Son chiffre d’affaires se répartit entre 40 % pour l’Europe et le reste pour le long courrier : 23 % sur l’Amérique, 15 % sur l’Asie, 14 % sur l’Afrique et le Moyen-Orient, 7 % sur les Caraïbes et l’Océan Indien. Il transporte 73 millions de passagers par an, dont les deux tiers dans le cadre d’un vol court ou moyen courrier.

L’activité du groupe, contrairement à la plupart des entreprises qui sont cotées au CAC 40, est très peu délocalisée : 90 % de ses emplois sont concentrés en France et aux Pays-Bas. Le groupe représente le premier employeur privé de la région Île-de-France.

Le développement durable constitue un engagement de longue date pour Air France-KLM. Il se décline traditionnellement selon trois axes : l’économie et la gouvernance ; le social et le sociétal ; l’environnement. Le groupe a adhéré en 2003 au Pacte mondial des Nations unies. Il a adopté en 2006 une déclaration de responsabilité sociale qui contient des engagements classiques mais forts : faire de la sécurité et de la sûreté une obligation indiscutable ; développer des relations loyales avec l’ensemble de ses parties prenantes, y compris les riverains ; construire un groupe socialement responsable, y compris au niveau international ; investir au bénéfice de la protection de l’environnement au-delà des exigences réglementaires. Le groupe manifeste un souci de transparence puisqu’il diffuse chaque année un rapport sur le développement durable. Cette action d’ensemble lui a valu une certaine reconnaissance parmi les milieux spécialisés et il a été distingué par les principaux indices de développement durable : le Dow Jones Sustainability World Index (DJSI), le Footsie For Good (FTSE4Good) et l’Advanced Sustainable Performance Indices Eurozone (ASPI). Cette reconnaissance oblige le groupe à poursuivre et à renforcer ses performances.

Les défis environnementaux sont au cœur des débats et le transport aérien, à tort ou à raison, est pointé du doigt. Si le changement climatique est une problématique récente, le transport aérien, depuis son origine, a toujours été confronté à des défis environnementaux, en particulier celui du bruit autour des aéroports. Les avions à réaction, à la fin des années soixante, étaient particulièrement bruyants ; depuis, la technologie a permis d’enregistrer des progrès considérables. La modernisation de la flotte d’Air France-KLM a généré, en six ans, une réduction de 24 % de l’énergie sonore produite, malgré une croissance de 20 % des mouvements. Si ce paramètre ne rend pas forcément compte de la perception du bruit par les riverains, c’est une quantité physique parfaitement mesurable.

Plus récente, la problématique de la qualité de l’air est sans doute plus complexe, avec ses effets sur la santé et l’environnement, notamment au plan local, autour des aéroports, surtout dans certaines conditions climatiques. Le transport aérien contribue incontestablement au changement climatique puisqu’il dépend d’une énergie fossile, le pétrole, sous forme de kérosène aérien, dont la combustion produit de la vapeur d’eau mais aussi du gaz carbonique, à l’effet de serre bien connu. Le groupe Air France-KLM ne cherche pas à nier la réalité, bien au contraire : il sait qu’il fait partie du problème et il entend faire partie de la solution.

D’après le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le transport aérien mondial est responsable de 2,6 % des émissions de gaz carbonique, taux à mettre en regard des 16 à 18 % pour l’ensemble des transports. Si l’on considère l’inventaire des émissions sur la France, les résultats sont bien plus faibles : selon le secrétariat d’État aux transports et le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables (MEDAD), le transport aérien ne représente que 0,9 % des émissions françaises : 0,45 % pour les liaisons aériennes avec les départements d’outre-mer et 0,45 % pour les liaisons purement domestiques. Air France-KLM a évalué que plus des trois quarts des émissions sont liées aux vols intercontinentaux.

Le débat sur la contribution du transport aérien au changement climatique doit par conséquent être conduit au minimum au niveau européen et même plutôt au niveau mondial, sachant que les trois quarts des émissions correspondent à des vols intercontinentaux. Si l’Europe entend donner un signal fort, la maîtrise du système doit cependant s’appuyer sur des mesures mondiales, d’autant que les long-courriers ne pourront être remplacés avant longtemps par des moyens de transport alternatifs, contrairement aux court-courriers.

Le groupe Air France-KLM s’est efforcé de regrouper son analyse du problème et ses solutions dans un « plan climat », qui fait maintenant partie intégrante de sa stratégie. Celui-ci a été élaboré en début d’année 2007 et présenté au conseil d’administration. Il repose essentiellement sur la recherche de solutions technologiques. Il n’existera pas de carburant alternatif à court ou moyen terme mais les progrès accumulés au cours des dernières décennies n’ont aucune raison de s’arrêter. Le groupe soutient la recherche sous toutes ses formes et constate avec satisfaction que les pouvoirs publics font de cet aspect une priorité, en Europe comme dans les orientations du Grenelle de l’environnement.

Le pilotage européen de la recherche dans ce domaine affiche des objectifs extrêmement ambitieux, rendus crédibles par l’état et les perspectives des recherches sur les nouveaux avions, moteurs ou carburants. L’Europe s’est donné trois objectifs à l’horizon 2020 : moins 50 % de consommation de carburant par rapport au meilleur produit existant aujourd’hui ; moins 50 % de bruit ; moins 80 % de production d’oxyde d’azote, ou NOX. Ces objectifs ne seront pas forcément atteints en 2020 mais ils illustrent la dynamique de recherche décisive initiée pour que le transport aérien continue d’assumer sa mission tout en étant à la hauteur du défi posé par le changement climatique.

La santé financière du groupe lui permet de procéder à une modernisation à grande échelle de sa flotte : les investissements atteignaient 1,5 milliard d’euros par an en moyenne ; sur les cinq ans à venir, ce montant approchera 2 milliards d’euros par an. Pour les longs courriers, la consommation moyenne de kérosène par passager et aux 100 kilomètres a été ramenée à 3,4 litres. Pour la desserte des départements d’outre-mer, elle a même chuté à 2,6 litres depuis la mise en service d’une nouvelle flotte à la pointe de la technologie.

Le projet de directive européenne visant à inclure le transport aérien dans le système d’échange de permis d’émissions constitue une déclinaison prévue du Protocole de Kyoto. Dans une première phase de rodage, l’Europe a mis ce système en place pour un certain nombre de sources fixes sur la période 2005-2007 et elle passera à la vitesse supérieure en 2008-2012. Après mûre réflexion, le groupe Air France-KLM a très clairement décidé d’apporter son soutien à ce projet d’inclusion dans le système de régulation globale. Il ne s’agit évidemment pas d’un soutien aveugle mais les conditions posées par le groupe sont raisonnables : équité entre secteurs ; absence de distorsions concurrentielles entre acteurs du transport aérien ; absence de fuites de carbone.

Le monde politique est sensibilisé à ce dernier risque. Si l’Europe devenait brusquement trop rigoureuse pour ses propres industries, elle provoquerait des délocalisations d’activités. Si un système extrêmement sévère était appliqué aux seules compagnies aériennes européennes, leurs concurrentes pourraient profiter de l’aubaine pour amplifier le détournement de trafic des plates-formes de correspondance européennes vers leurs concurrentes du Golfe, notamment à Dubaï.

Le soutien résolu du groupe au projet de directive est motivé par la croissance forte du marché, du fait du développement des déplacements professionnels, touristiques et familiaux, en Europe mais aussi dans des pays comme la Chine et l’Inde. En effet, dans ce contexte, la modernisation des flottes ne suffit pas à maîtriser la production de gaz à effet de serre. Dans les secteurs industriels traditionnels, les technologies disponibles rendent les réductions d’émissions beaucoup plus accessibles. Le système d’échange permet aux opérateurs qui font mieux que leur objectif de vendre leur excédent de permis et à ceux qui font moins bien compte tenu de leur croissance de contribuer financièrement à l’effort collectif. Il est bien adapté à la contrainte structurelle du transport aérien, la demande étant forte sur ce marché et les ruptures technologiques s’avérant inaccessibles dans l’immédiat.

Les amendements adoptés par la commission « environnement » du Parlement européen durcissent très nettement le projet de directive. Si le texte n’était pas revu dans un sens plus raisonnable par le Conseil des ministres de l’environnement qui se tiendra fin décembre, il aurait des conséquences négatives lourdes sur l’emploi et la compétitivité des compagnies européennes.

Le président Christian Jacob a demandé si la réduction de 24 % de l’énergie sonore s’entendait par appareil ou pour l’ensemble de l’activité du groupe Air France-KLM.

M. Pierre Caussade a répondu qu’elle s’entendait pour l’ensemble de la flotte. L’énergie sonore ne reflète pas exactement la gêne ressentie par les riverains, beaucoup plus complexe à appréhender, mais c’est une mesure physique certifiée qui permet d’additionner les bruits. En six ans, bien que le nombre de décollages et d’atterrissages ait augmenté de 20 %, l’énergie sonore totale produite a chuté de 24 %. La mise en service d’avions bimoteurs long-courriers modernes a donc des effets extrêmement intéressants et les améliorations technologiques vont continuer, sous l’impulsion de la recherche européenne.

M. Yanick Paternotte a fait observer que l’énergie sonore était certifiée mais que la réalité était plus complexe, car le bruit produit par un appareil dépend de son mode d’utilisation et des contraintes physiques liées à l’encombrement du ciel. Sannois est situé à dix-sept kilomètres de Roissy-Charles-de-Gaulle mais sous le point d’entrée du doublet sud, utilisé par les avions d’Air France, et les pilotes continuent d’ouvrir leur train d’atterrissage à cet endroit, ce qui ne répond à aucune exigence de vol mais provoque un accroissement exponentiel de la traînée acoustique.

Par ailleurs, les hubs, avec les clauses de rendez-vous, provoquent un encombrement du ciel, un allongement des durées d’approche, et l’empilement des avions, pour des raisons de sûreté, s’effectue par le bas, ce qui accroît le bruit ressenti. Chacun sait qu’une mobylette homologuée qui donne des coups d’accélérateur au feu rouge est plus bruyante que ne laisse supposer la certification des mines.

Un effort considérable de modernisation de la flotte a été consenti. L’État et Aéroports de Paris font respecter des restrictions, notamment à Roissy s’agissant des avions de « mauvais chapitre ». Il n’en reste pas moins que les nuisances sonores doivent être mesurées à l’aune de l’augmentation du trafic, de l’organisation de l’aéroport et de l’utilisation des appareils. C’est pourquoi les riverains et les élus réclament depuis des années l’installation de capteurs, qui mesureraient le bruit objectivement.

M. Pierre Caussade a précisé que la charte de développement durable de Roissy-Charles-de-Gaulle, voulue par le Président de la République, devrait permettre de traiter ces questions au fond. De nombreux paramètres jouent : la programmation des vols, l’encombrement, les trajectoires et les procédures opérationnelles. Cependant, toutes choses égales par ailleurs, le bruit à la source est un facteur déterminant ; les insuffisances incriminées seraient identiques avec une flotte moins performante, mais leurs conséquences seraient plus gênantes.

Le président Christian Jacob a indiqué que les économies d’énergie reposaient actuellement sur la taille des avions, leur remplissage et les progrès dans les motorisations. Il s’est enquis des perspectives de développement à long terme d’autres énergies pour faire voler les avions.

M. Pierre Caussade a rappelé que les compagnies aériennes s’efforçaient d’acquérir les meilleurs avions, mais que leur métier n’était pas de les construire. La consommation dépend de la conception de la cellule de l’avion, de la géométrie de ses ailes, du poids de ses matériaux, de sa portance et de son aérodynamique, de la performance de son moteur, mais aussi de l’optimisation du vol, de la route, de l’altitude et des attentes éventuelles. Le soutien à la recherche concerne le monde des constructeurs, des motoristes et des producteurs de carburant, mais il faut aussi s’intéresser au volet aéroportuaire et contrôle aérien, qui recèle une marge de progression de 10 à 15 %. Le groupe soutient par conséquent la démarche européenne, la directive relative au ciel unique européen et le projet CESAR, qui a pour objet de créer l’Europe du contrôle aérien.

Si le kérosène est le drame du transport aérien, il a fait sa réussite, car c’est un excellent carburant, doté d’une qualité énergétique remarquable et peu inflammable. Néanmoins, d’origine fossile, il produit du CO2. L’hydrogène serait également un excellent carburant mais son maniement est plus délicat et sa densité est telle que des réservoirs au moins trois fois plus gros seraient nécessaires, ce qui n’empêche pas que les constructeurs y réfléchissent. Quant aux biocarburants, ils font l’objet d’essais, notamment mélangés à du kérosène, mais les volumes nécessaires sont énormes et il ne faudrait pas raser la moitié de la forêt amazonienne pour satisfaire ces besoins, d’autant que la déforestation est déjà responsable de 18 % de la production de gaz à effet de serre, c’est-à-dire de la mécanique de changement climatique.

Il y a cent ou même cinquante ans, qui aurait imaginé que 2,3 milliards de personnes voyageraient par voie aérienne par an, dans d’aussi bonnes conditions de sécurité et de confort ? Le génie humain a permis des progrès considérables et il n’y a aucune raison que cela s’arrête ; même si les deux décennies à venir seront un peu difficiles, les savants et les ingénieurs qui travaillent dans le monde entier trouveront des solutions. L’échange de permis d’émissions semble une manière intelligente et raisonnable d’opérer la jointure avec les technologies de l’avenir.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur le périmètre géographique des accords susceptibles d’être trouvés : compte tenu de la position actuelle de certaines compagnies étrangères, notamment américaines, n’est-il pas irréaliste d’espérer des mesures mondiales à court terme ?

M. Pierre Caussade a estimé que cette question était cruciale. Contrairement à ce qui a pu être dit dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le Protocole de Kyoto n’a pas réellement laissé de côté le secteur du transport aérien, mais les États qui l’ont ratifié se sont engagés sur les émissions produites sur leur territoire. Dès lors, toutes les activités transfrontières posent problème et c’est en particulier le cas pour le transport aérien : une compagnie d’un pays A peut assurer une liaison entre les pays B et C, chacun de ces pays pouvant avoir signé ou non le Protocole de Kyoto.

Les experts et les États sont parvenus à une solution relativement sage : le transport aérien domestique est inclus dans l’inventaire des États ; si les États-Unis ratifient demain le Protocole de Kyoto, le transport aérien domestique américain sera intégré à leur inventaire. En France, cet engagement ne pèse pas grand-chose, mais les 0,9 % d’émissions imputables au transport aérien domestique entrent en ligne de compte pour respecter l’engagement de baisse de 8 %. Ce trafic domestique est d’ailleurs en décroissance, compte tenu notamment du développement du TGV.

Les Nations unies ont chargé leur institution spécialisée, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), de formuler des propositions pour que le transport aérien international soit davantage pris en compte après 2012. Si un tel niveau de performance a été atteint en ce qui concerne le bruit, c’est que l’OACI a progressivement élaboré des normes qui s’imposent désormais uniformément à tous les constructeurs, les compagnies aériennes et les aéroports. Il faut maintenant que la communauté internationale prenne en compte le problème des émissions de gaz à effet de serre, et l’OACI y travaille.

Lors de la dernière assemblée générale de l’OACI en septembre dernier, la Commission européenne a abordé le sujet de manière frontale. L’Europe a une légitimité incontestée pour légiférer sur le trafic aérien intra-européen, mais celui-ci ne concerne qu’une petite partie du problème et les juristes estiment que l’Europe, faute d’accord global ou d’accords bilatéraux, n’a pas le droit d’imposer son système d’échange de permis d’émissions aux pays tiers. Les ambassadeurs de nombreux pays auprès de la Commission ont d’ailleurs fait état de réserves, les États-Unis jouant évidemment un rôle clé. Le démarrage à une échelle réduite intra-européenne, prévu dans la première étape de la directive, permettra toutefois de roder le système et de démontrer sa pertinence avant de faire avancer les négociations à l’OACI et de l’étendre à l’ensemble de la planète dans la phase post-Kyoto, entre 2012 et 2020.

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AUTORISATION DE PUBLICATION
(RÉUNION DU MARDI 16 OCTOBRE 2007,
SÉANCE DE 17 HEURES 30)

Conformément à l’article 5 de son règlement intérieur, la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire a autorisé son président Christian Jacob à assurer la publicité des auditions organisées sur le développement durable sous la forme d’un rapport d’information.

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