N° 3603
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 juin 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
sur la lutte contre la fraude sociale
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Dominique TIAN,
Député.
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INTRODUCTION 7
I.- LA FRAUDE SOCIALE : UN PHÉNOMÈNE TROP MAL CONNU 9
A. DES DÉPENSES ET DES PERTES DE RECETTES INJUSTIFIÉES 9
1. La fraude aux prestations : plus de 1 % des dépenses du régime général 9
2. La fraude aux prélèvements : une diminution massive des ressources de la sécurité sociale 10
B. LE DÉVELOPPEMENT INQUIÉTANT DES TRAFICS ORGANISÉS 11
II.- UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE RÉCENTE MAIS ENCORE INSUFFISANTE 13
A. DES EFFORTS RÉCENTS 13
1. Une nouvelle priorité gouvernementale 13
2. Un Parlement inquiet des failles du système faisant adopter des mesures de bon sens en urgence 14
3. Des actions progressivement mises en place par les caisses de sécurité sociale 15
a) Une prise de conscience récente 15
b) Les actions mises en place par les organismes de sécurité sociale 16
4. Des progrès récents dans le pilotage de l’État 19
B. FACE AUX FRAUDES AUX PRESTATIONS, UN SYSTÈME ENCORE TROP DÉRESPONSABILISÉ ET ÉPARPILLÉ 21
1. La branche Famille : une situation un peu mieux maîtrisée même si des failles persistent 21
2. La banche Maladie : une certaine impuissance face aux fraudes et aux abus 24
3. La branche Vieillesse : un système insuffisamment sécurisé 25
C. DES FRAUDES AUX COTISATIONS TROP PEU POURSUIVIES 27
1. Des fraudes mal détectées 27
2. Des pouvoirs publics insuffisamment mobilisés face à l’ampleur du travail illégal 28
III.- DES LACUNES PERSISTANTES DANS LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LES ABUS 31
A. UN SYSTÈME LARGEMENT DÉSORGANISÉ ET MAL PILOTÉ 31
1. Des conventions d’objectifs et de gestion peu contraignantes 31
2. Une impulsion insuffisante des caisses nationales 32
3. Une absence de définition commune de la fraude 34
a) Une notion variable selon les caisses 34
b) Une évaluation lacunaire de la fraude 34
4. Une communication externe encore peu développée 34
1. Une complexité normative source de fraude et d’abus 37
a) Une législation inadaptée 37
b) Une réglementation complexe 37
2. Une difficile conciliation de la lutte contre la fraude et de la simplification des procédures 40
a) Le caractère déclaratif du système social et le développement des procédures par internet facilitent la fraude 40
b) Une volonté de simplification terreau de la fraude 40
c) Une notion d’urgence facilement utilisée pour contourner la réglementation 41
D. DES CAISSES TROP FAIBLES POUR LUTTER CONTRE LES FRAUDEURS 42
1. Un nombre de contrôleurs trop faible 42
2. Des outils juridiques médiocres ou mal utilisés 43
3. Une interconnexion des fichiers imparfaite 44
E. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ET DE SANCTION LACUNAIRE 47
1. Des contrôles déficients sur les assurés et les entreprises 48
a) Des bénéficiaires peu contrôlés 48
b) Des pratiques hétérogènes 52
c) Une procédure d’obtention d’un numéro de sécurité sociale pour les personnes nées à l’étranger inadaptée et peu sécurisée sur le plan juridique 53
2. Des contrôles sur les assurés percevant des prestations à l’étranger quasiment inexistants 55
3. Des contrôles internes insuffisants pour lutter contre les complicités 58
4. Des sanctions peu dissuasives 59
a) Des sanctions administratives encore trop rarement prononcées 59
b) Des sanctions ordinales insuffisantes 60
c) Des sanctions pénales trop rares 61
5. Une récupération aléatoire des indus frauduleux 63
IV.- UN INDISPENSABLE APPROFONDISSEMENT DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE 65
A. UNE PRISE DE CONSCIENCE NÉCESSAIRE 65
1. Un État qui doit assurer son rôle de pilote et de coordonnateur 65
2. Un pilotage plus dynamique des caisses nationales nécessaire 67
a) Lutter contre les particularismes locaux inacceptables 67
b) Signer des conventions d’objectifs et de gestion plus contraignantes 68
c) Améliorer la formation et le contrôle des agents 68
d) Sensibiliser les assurés et les entreprises 69
B. RENFORCER LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE 71
1. Renforcer les moyens de contrôle 71
2. Rendre la loi plus facilement applicable 72
a) Développer les moyens de lutte contre la fraude aux prestations 72
b) Mieux définir la notion de parent isolé 72
c) Renforcer les moyens d’actions des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales 74
d) Étudier la mise en place d’un fichier des fraudeurs 77
3. Développer l’interconnexion des fichiers 78
4. Généraliser les expérimentations innovantes 80
5. S’inspirer des exemples étrangers 82
a) L’exemple belge 82
b) L’exemple néerlandais 84
6. Développer les coopérations bilatérales en matière de sécurité sociale 84
C. DES CONTRÔLES À DÉVELOPPER 85
1. Développer les contrôles ciblés 85
a) Le contrôle de la condition de résidence 85
b) Le contrôle de l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés 86
c) Le contrôle des personnes percevant des prestations à l’étranger 87
2. Améliorer la procédure d’attribution de numéros de sécurité sociale pour les personnes nées à l’étranger 88
3. Intensifier la lutte contre la fraude documentaire et la fraude à l’identité 89
a) Rétablir le face-à-face 89
b) Améliorer la sécurisation des documents 90
c) Permettre aux caisses d’avoir accès plus facilement aux documents originaux 91
4. Cibler les publics fraudeurs 91
5. Réformer la législation sur les arrêts de travail 92
D. DES TECHNOLOGIES MODERNES À UTILISER POUR SAUVER LE SYSTÈME 95
1. Renforcer l’utilisation des technologies modernes 95
2. Sécuriser les prescriptions 96
E. DES SANCTIONS À AUGMENTER 97
1. Mettre en place des sanctions plus dissuasives notamment pour les récidivistes 97
2. Améliorer la coordination des acteurs 98
3. Améliorer la récupération des indus 99
CONCLUSION 101
RAPPEL DES PROPOSITIONS 103
CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE AU NOM DU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE (GDR) 109
TRAVAUX DE LA COMMISSION 115
ANNEXES 137
ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION 139
ANNEXE 2 : RÉCAPITULATIF DES CONDITIONS DE RÉSIDENCE SELON LES PRESTATIONS 141
ANNEXE 3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES OU RENCONTRÉES 143
ANNEXE 4 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 153
« La fraude en matière sociale, comme en matière fiscale, a longtemps bénéficié d’une certaine indulgence en France. Deux évolutions ont néanmoins conduit à atténuer, voire à inverser ce constat. La première est la prise de conscience de l’enjeu représenté par la lutte contre la fraude, dans un contexte de dégradation des comptes sociaux. La seconde de ces évolutions est la mutation de l’opinion publique, qui procède elle-même, notamment, des inquiétudes croissantes qui font jour sur la pérennité de notre système de protection sociale. » (1)
Par ces mots, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, montre la mutation intervenue ces dernières années. Alors que la fraude aux prestations a été pendant longtemps un sujet peu traité – pour ne pas dire tabou – la prise de conscience de l’ampleur de la fraude tant aux prestations qu’aux prélèvements a conduit le Gouvernement à faire de la lutte contre la fraude une de ses priorités.
En effet, dès 1996, une mission parlementaire sur les fraudes et pratiques abusives (2) relevait que « les moyens de contrôle des prestations sont sans comparaison avec l’enjeu financier », mettant notamment en évidence les inégalités géographiques des contrôles, le trop faible recours aux sanctions pénales ou encore l’insuffisance du recoupement des données disponibles. Pour autant, ce n’est qu’à compter de 2006 que la lutte contre la fraude va se développer et ce n’est qu’en 2008 qu’une Délégation nationale de lutte contre la fraude a été créée. L’Assemblée nationale a grandement contribué à ce changement des mentalités comme en témoigne l’adoption, depuis 2006, d’une quarantaine de mesures législatives visant à améliorer la politique de lutte contre la fraude. Les premières actions de lutte contre la fraude ont déjà porté leurs fruits puisque, comme l’a souligné M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, lors de son audition par la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), le 1er juin dernier, l’ensemble des fraudes aux prestations et aux prélèvements détectées en 2010 a représenté 458 millions d’euros (3).
L’importance du sujet a conduit la commission des affaires sociales à aller au-delà en demandant à la MECSS (4) de s’en saisir. Compte tenu de la nécessité de mener une politique globale et transversale dans ce domaine, le choix a été fait de traiter l’ensemble des fraudes qu’elles concernent les prélèvements ou les prestations sociales, la fraude étant entendue comme « toute irrégularité, acte ou abstention ayant pour effet de causer un préjudice aux finances publiques, commis de manière intentionnelle » (5).
Pour tenter d’évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre la fraude, la MECSS a bénéficié du concours de la Cour des comptes. En avril 2010, celle-ci a, en réponse à la demande qui lui avait été adressée, remis un rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (6).
Mais la mission, au terme d’une enquête de onze mois, de vingt-huit auditions (7) et six déplacements en France et à l’étranger, est convaincue que la fraude sociale représente des montants financiers bien plus importants que ce que les premières évaluations réalisées laissent supposer. (I). En effet, le Conseil des prélèvements obligatoires et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale font état d’une fraude comprise entre 8 milliards d’euros et 15,8 milliards d’euros pour les prélèvements, et la Cour des comptes estime que la fraude aux prestations est comprise entre 2 milliards d’euros et 3 milliards d’euros. Le Rapporteur considère donc que la fraude sociale représente près de 20 milliards d’euros.
En outre, la fraude sociale ne constitue pas seulement une perte de ressources très importante et une masse considérable de dépenses injustifiées pour nos finances sociales, elle est aussi source d’injustice, de déséquilibre économique et plus fondamentalement elle sape la confiance des assurés dans notre système de protection sociale. Nos concitoyens, à juste titre, en ces temps de crise, ne l’acceptent plus. Si la création de la délégation nationale de lutte contre la fraude et des comités opérationnels départementaux anti-fraude, l’adoption de nombreuses mesures législatives sur la fraude et les premières actions mises en place par les organismes de sécurité sociale témoignent d’un certain volontarisme des pouvoirs publics dans ce domaine, les résultats relatifs à la fraude réellement détectée, bien qu’en forte progression restent insuffisants (II).
Malgré l’impulsion donnée par le Gouvernement, la politique de lutte contre la fraude menée par les caisses nationales reste encore peu efficace, les outils dont sont dotées les caisses locales sont insuffisants et les contrôles exercés sur les assurés et les entreprises peu nombreux. (III)
C’est pourquoi un approfondissement de la politique contre la fraude paraît aujourd’hui impératif (IV). Votre Rapporteur considère que le pilotage de cette politique par les caisses nationales doit être plus ferme et que les agents des organismes de sécurité sociale doivent être enfin dotés d’outils adaptés pour lutter contre la fraude. L’usage de technologies nouvelles, notamment de l’empreinte biométrique pour identifier les assurés, doit permettre d’opérer enfin la nécessaire sécurisation de notre dispositif de sécurité sociale.
I.- LA FRAUDE SOCIALE : UN PHÉNOMÈNE TROP MAL CONNU
Malgré la mission confiée à la délégation nationale de lutte contre la fraude de définir et d’évaluer la fraude sociale, cette dernière ne fait pas encore l’objet d’une évaluation précise. Les premières évaluations réalisées sont sommaires mais elles tendent à montrer que la fraude sociale représente une perte de ressources considérable pour notre système de protection sociale.
A. DES DÉPENSES ET DES PERTES DE RECETTES INJUSTIFIÉES
1. La fraude aux prestations : plus de 1 % des dépenses du régime général
Il n’existe pas aujourd’hui d’évaluation sur le montant de la fraude sociale en France. Les évaluations quantitatives de la fraude aux prestations sociales sont peu précises. En effet, à l’exception de la branche Famille qui a conduit une étude à partir d’un échantillon représentatif d’assurés sociaux, les données fournies par les caisses nationales à la MECSS se limitent au montant des fraudes détectées et ne constituent en rien une évaluation du montant de la fraude réelle.
Ainsi lors de son audition par la MECSS (8), M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale a simplement indiqué que le montant des fraudes détectées en 2009 s’élevait à 380 millions d’euros, sans pouvoir avancer une estimation globale de la fraude sociale. Ce résultat constitue, bien entendu, que la « partie émergée de l’iceberg » : le montant des fraudes réelles est bien plus élevé.
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (9), s’inquiète de l’effet démobilisateur que peuvent avoir ces résultats qui sous-estiment très largement l’ampleur réelle de la fraude : « Il ne faudrait pas que [ces résultats soient] compris comme représentatifs du niveau de la fraude aux prestations sociales, qui est évidemment d’un niveau beaucoup plus élevé ».
Une méthode d’évaluation consiste à extrapoler les résultats à partir d’un échantillon d’assurés sociaux rigoureusement contrôlés. De telles estimations ont été menées dans des pays tels que les Pays-Bas et l’Irlande. En Grande-Bretagne, le National Audit office, qui supervise, chaque année, le contrôle d’un échantillon représentatif de 40 000 dossiers, a estimé en 2007 qu’environ 1,3 % des prestations sociales ferait l’objet d’une fraude. Le Conseil d’analyse stratégique (10), en retenant des taux de fraudes analogues à ceux constatés en Grande-Bretagne, considère que la fraude aux prestations pourrait atteindre 5,5 milliards d’euros.
Par ailleurs, lors de son audition par la MECSS, M. Frédéric Massé, directeur des relations institutionnelles de Sap France (11) a considéré qu’un taux de fraude évalué à 1 % des prestations était certainement en deçà de la réalité (12) : « aux États-Unis, le Government Accountability Office (GAO) – l’équivalent de la Cour des comptes – estimait en mars 2011 que la fraude sur les programmes medicaid et medicare, qui pèsent à eux deux 750 milliards de dollars, représentait 70 milliards de dollars, soit 9 % des deux programmes. De deux choses l’une : soit la France est particulièrement vertueuse, soit la fraude détectée est sans commune mesure avec la fraude réelle ! ».
La Caisse nationale d’allocations familiales a mené, en 2009, une étude statistique auprès de 10 700 allocataires choisis de façon aléatoire sur l’ensemble du territoire et a pu, à partir d’une extrapolation des résultats obtenus au niveau national, évaluer les indus frauduleux. Le taux d’allocataires qui seraient auteurs de fraude est estimé à 2,15 % de l’ensemble des allocataires (13), soit 200 000 personnes. L’impact financier de la fraude représenterait entre 0,91 % et 1,36 % du montant total des allocations versées en 2009, soit entre 540 et 808 millions d’euros.
Compte tenu de ces travaux et des estimations de la fraude dans les branches Maladie et Retraite : la Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (14), considère que la fraude aux prestations pour le régime général, représenterait donc entre 2 et 3 milliards d’euros.
Votre Rapporteur estime que cette dernière évaluation sous-estime encore très probablement l’ampleur de la fraude. Compte tenu des études menées en Grande-Bretagne et par la Caisse nationale d’allocations familiales, la fraude doit représenter au moins 1 % du montant des prestations, soit au moins 4 milliards d’euros.
2. La fraude aux prélèvements : une diminution massive des ressources de la sécurité sociale
Le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport sur « la fraude aux prélèvements obligatoire et son contrôle » (15) a procédé à une évaluation de la fraude aux prélèvements sociaux en prenant comme période de référence les années 2001 à 2004. Il a ainsi estimé que celle-ci représentait entre 8,4 et 14,6 milliards d’euros, soit entre 6,4 à 12,4 milliards pour le travail dissimulé et 2,2 milliards pour les redressements de cotisations sociales (16).
L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, quant à elle, a utilisé une méthode d’estimation de la fraude aux cotisations dans le cadre du travail illégal consistant à extrapoler les résultats de contrôle de 2008. Elle aboutit à une fourchette de fraude comprise entre 13,5 et 15,8 milliards d’euros. Par conséquent, compte tenu des montants collectés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale en 2008 – 359,7 milliards d’euros –, le travail illégal représenterait donc entre 3,8 et 4,4 % du montant des cotisations recouvrées en 2008.
Votre Rapporteur relève que le travail illégal représente une perte de recettes très importante pour la sécurité sociale, mais aussi que cette pratique est courante, pour ne pas dire banalisée, dans certains secteurs de l’économie. Une certaine tolérance n’est à l’évidence plus de mise.
Lors de son audition par la mission (17), M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a dressé le bilan des contrôles aléatoires réalisés de 2005 à 2010 : « dans le commerce de détail non alimentaire, nous avons constaté qu’environ 12 % des établissements contrôlés de manière aléatoire et 6 % des salariés étaient, au regard du travail dissimulé, en situation de fraude. Les taux varient un peu selon les secteurs mais l’ordre de grandeur reste le même. Nous sommes parvenus à un résultat analogue dans le cadre d’une opération menée depuis plusieurs années sur les activités touristiques. » Il a aussi mentionné l’expérience menée pendant sept ans dans la région Nord-Pas-de-Calais, qui a fait l’objet d’un quadrillage portant sur l’ensemble des activités touristiques – restauration, campings, spectacles – du 1er juillet au 31 août. Un taux d’irrégularité quasiment identique a été constaté tous les ans : entre 10 % et 12 % d’entreprises en infraction et entre 5 % et 7 % de salariés non déclarés.
B. LE DÉVELOPPEMENT INQUIÉTANT DES TRAFICS ORGANISÉS
Les fraudes sont rarement isolées. Elles concernent, à la fois, les cotisations, les prestations sociales et le fisc.
Votre Rapporteur est convaincu, en outre, que si la fraude sociale est souvent le fait d’individus, elle prend de plus en plus la forme d’escroqueries organisées par des réseaux de fraudeurs. Ce constat a d’ailleurs déjà été fait par votre Rapporteur dans un rapport d’information sur les moyens de contrôle de l’Unédic et des ASSEDIC (18) qui montrait que des réseaux organisés vendaient des « kits Assedic » permettant à leur acquéreur de percevoir des allocations chômage sans n’avoir jamais travaillé. Ce phénomène de trafics organisés concerne désormais aussi les prestations de sécurité sociale et le recouvrement des cotisations.
À titre d’exemple, les pharmaciens sont aujourd’hui confrontés à des trafics de médicaments. Auditionné par la MECSS, M. Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (19) a souligné qu’il s’agissait aussi bien de trafics de substituts aux opiacés acquis frauduleusement puis revendus sur le marché de la drogue que de médicaments obtenus à l’aide de fausses ordonnances, afin notamment de les revendre à l’étranger : « La fraude résulte d’une prescription légale : si des anomalies sont constatées par le pharmacien, notamment en cas d’interactions, la plupart du temps le médecin maintient sa prescription. Les ordonnances peuvent également être délivrées par les hôpitaux. Elles sont alors souvent détournées de leur objet et non contrôlables par le pharmacien, celui-ci n’étant pas en mesure, la plupart du temps, de retrouver le prescripteur. »
La lutte contre le travail illégal reste le domaine principal où la fraude est le fait de réseaux organisés et prend une dimension industrielle. Lors de son audition par la MECSS, M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne (20), a montré que le travail illégal était, dans certains cas, le fait de réseaux organisés qu’il était particulièrement difficile de démanteler : « Les fraudes initiées par des organisations mafieuses sont conçues pour rapporter gros, avec des détournements de prestations en espèces, à savoir des indemnités journalières, des allocations chômage et bientôt des pensions de retraite. (…) L’enjeu de ce type de fraude, c’est de se créer des revenus et de blanchir de l’argent. Nous sommes loin du contexte de celui qui fait travailler un voisin au noir. Cette fraude organisée, mafieuse, est peu sanctionnée et elle peut rapporter énormément. »
II.- UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE RÉCENTE MAIS ENCORE INSUFFISANTE
Si la politique de lutte contre la fraude mise en place par le Gouvernement et les mesures législatives adoptées par le Parlement ont permis aux régimes de sécurité sociale de prendre conscience de la nécessité de mener des actions en matière de lutte contre la fraude, les résultats enregistrés ces dernières années, bien que connaissant une progression certaine, restent insuffisants par rapport à l’ampleur de la fraude.
1. Une nouvelle priorité gouvernementale
Depuis plusieurs années, la lutte contre la fraude, et notamment la lutte contre la fraude sociale, fait partie des priorités gouvernementales. En octobre 2006, un Comité institutionnel de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, réunissant les directeurs d’administrations centrales concernées, les directeurs des principales caisses nationales des branches du régime général, du Régime social des indépendants et de la Mutualité sociale agricole, les directeurs des régimes complémentaires et de l’Unédic a été créé afin de centraliser les cas de fraudes, d’animer la coordination entre les organismes et d’évaluer la fraude. Une nouvelle étape a été franchie avec la création, par le décret du 18 avril 2008 (21), d’une délégation nationale à la lutte contre la fraude. Cette délégation a notamment pour mission :
– de coordonner les actions menées en matière de lutte contre la fraude par les services de l’État et les organismes intervenant dans le champ de la protection sociale ;
– d’améliorer la connaissance des fraudes et de favoriser le développement des échanges d’informations, l’interopérabilité et l’interconnexion des fichiers.
Par ailleurs, après avoir été expérimentés dans plusieurs départements, les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) ont été pérennisés et généralisés par le décret du 25 mars 2010 (22). Ces comités réunissent, sous l’autorité conjointe du préfet de département et du procureur de la République du chef-lieu du département, les services de l’État (police, gendarmerie et administrations préfectorale, fiscale, douanière et du travail) et les organismes locaux de protection sociale (Pôle emploi, unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, caisses d’allocations familiales, assurance maladie et retraite) afin d’apporter une réponse globale et concertée aux phénomènes de fraude, qu’ils concernent les prélèvements obligatoires ou les prestations sociales. Leur mission est d’améliorer la connaissance réciproque entre les services, d’organiser des opérations conjointes, de proposer des formations et de partager les expériences afin d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les fraudes.
2. Un Parlement inquiet des failles du système faisant adopter des mesures de bon sens en urgence
Inquiet de l’ampleur prise par la fraude sociale, le Parlement a adopté plusieurs mesures afin de doter les organismes de sécurité sociale de nouveaux outils. Ainsi les lois de financement de la sécurité sociale comprennent, depuis 2007, une section consacrée aux dispositions relatives au contrôle et à la lutte contre la fraude.
Ces mesures ont permis notamment de mettre en place une gamme diversifiée de sanctions administratives et de faciliter les échanges d’informations entre les organismes de sécurité sociale. Une des principales avancées est la création, par l’article 138 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 (23), du Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Ce répertoire, créé à l’initiative de nos collègues Pierre Morange et Jean-Pierre Door, a vocation à regrouper des données sur l’identification des bénéficiaires, l’affiliation, la nature des risques couverts et des avantages servis. Enfin, plusieurs mesures ont été adoptées pour améliorer la récupération des indus (24).
Deux domaines ont particulièrement fait l’objet de mesures législatives ces dernières années : la lutte contre le travail illégal et les arrêts de travail.
Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale se sont, en effet, vues dotées de nouveaux outils pour lutter contre le travail illégal. Peuvent être citées l’extension du champ des annulations de réductions et d’exonérations sociales en cas de travail dissimulé (article 117 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (25)), celle de ces annulations pour les donneurs d’ordre complices du délit de travail dissimulé (article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (26)) et enfin l’exclusion du bénéfice de la remise des pénalités et majorations prévues en cas de liquidation judiciaire dans les cas de travail dissimulé (article 122 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (27)).
Par ailleurs, plusieurs mesures ont visé à augmenter les contrôles sur les arrêts de travail en généralisant la « contre-visite employeur » (article 90 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (28)), en mettant en place une expérimentation de contrôle par les caisses primaires d’assurance-maladie des arrêts de travail dans la fonction publique (article 91 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (1)) et une pénalité sanctionnant le fait d’exercer une activité rémunérée pendant les arrêts maladie (article 114 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (29)).
3. Des actions progressivement mises en place par les caisses de sécurité sociale
a) Une prise de conscience récente
L’ensemble des réformes législatives a conduit à une prise de conscience par les caisses nationales de la nécessité d’inscrire la lutte contre la fraude dans ses priorités. Votre Rapporteur regrette néanmoins que cette prise de conscience soit aussi récente, pour ne pas dire tardive.
D’ailleurs, lors de son audition par la MECSS, M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale (30) a souligné que : « pendant longtemps, les partenaires sociaux, notamment dans les caisses prestataires, ont été très en retrait sur ces questions. Je me rappelle que le contrôle des indemnités journalières, lancé par le prédécesseur de M. Frédéric van Roekeghem à la tête de la Caisse nationale d’assurance maladie, avait été très mal perçu. De la même façon, les contrôles expérimentaux qui sont actuellement lancés sur les indemnités journalières des fonctionnaires ne passent pas non plus. Il faut donc travailler avec les partenaires sociaux pour faire comprendre que la lutte contre la fraude fait partie du respect de l’État de droit en France, et qu’elle est indispensable. Malgré tout, la situation progresse depuis quelques années. Les services, quant à eux, étaient autrefois presque dans le déni. Je ne parle pas de ceux qui sont chargés du recouvrement, qui ont toujours eu cette culture du contrôle, mais de la branche Maladie, et surtout de la branche Vieillesse et de la branche Famille qui étaient très en retrait. »
De même, M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a reconnu devant la MECSS (31) que « la fraude présentant peu de bénéfice immédiat pour les personnes qui sont encore éloignées de la retraite, la branche Vieillesse a pris conscience de ce problème plus tard que d’autres branches de la protection sociale et la lutte contre les fraudes ne faisait, jusqu’à une date récente, pas partie de sa culture et n’a pas fait l’objet d’investissement de temps et de moyens à la hauteur de l’enjeu. En outre, l’anticipation du défi industriel du " papy boom", qui a fait passer en quelques mois de 450 000 à 700 000 ou 800 000 le nombre annuel de liquidations de retraites, a considérablement absorbé les efforts de la branche Vieillesse, occultant quelque peu la question de la fraude. » Il a conclu que des efforts importants avaient néanmoins été réalisés puis 2008. C’est donc fort récent.
b) Les actions mises en place par les organismes de sécurité sociale
● La politique de la lutte contre la fraude de la branche Famille
La branche Famille a ainsi lancé, en 2009, une enquête statistique auprès de 10 500 allocataires. Cette enquête, évoquée précédemment, a conduit à une estimation de l’impact financier de la fraude compris entre 540 et 808 millions d’euros.
Par ailleurs, la Caisse nationale d’allocations familiales a mis en place, à compter de 2008, le répertoire national des bénéficiaires. Ce fichier, qui recense les allocataires et ayants droit des caisses d’allocations familiales – identifiés grâce à leur numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (32) – permet de vérifier systématiquement qu’il n’y a pas d’affiliation dans plusieurs caisses d’allocations familiales sur le territoire. Il est utilisé systématiquement pour les affiliations de nouveaux dossiers et l’ajout de toute nouvelle personne dans les dossiers existants. La dernière version de ce fichier regroupe désormais plus de 95 % des bénéficiaires et ayants droit des prestations versées par la Caisse nationale d’allocations familiales. Il s’agrégera prochainement aux répertoires des autres branches pour constituer le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).
Plusieurs expérimentations ont aussi été menées pour améliorer les contrôles des caisses. Une première, menée dans les départements du Maine-et-Loire et de Seine-Saint-Denis, vise à améliorer la détection de logements fictifs ouvrant droit au versement d’aides au logement par un recoupement de fichiers avec les services fiscaux, afin de permettre aux caisses d’allocations familiales de s’assurer de la réalité des logements et de leur affectation à usage d’habitation, à travers l’accès aux fichiers des propriétés bâties et des propriétaires. En outre, a été expérimentée, jusqu’en décembre 2010, une nouvelle sanction de suspension pour l’avenir des aides au logement en cas de fraude, pour une durée maximale de douze mois (33).
Enfin, quatorze caisses d’allocations familiales se sont lancées, à compter de 2009, dans une expérimentation visant à simplifier et à sécuriser l’identification des personnes en mettant en place de nouveaux processus de gestion des pièces justificatives d’état civil et dix-sept caisses expérimentent le « profilage » ou « datamining » (34), afin de mieux comprendre les caractéristiques des dossiers frauduleux et faire des contrôles ciblés. La généralisation de cette méthode est prévue en 2011.
● La politique de la lutte contre la fraude de la branche Maladie
Dans sa convention d’objectif et de gestion, la branche Maladie s’est engagée à mesurer la fraude dans un certain nombre de champs identifiés, tels que les arrêts de travail et la couverture maladie universelle. Un travail est en cours sur ce sujet. Une évaluation a été menée concernant les fraudes et « fautes » des établissements de santé en matière de tarification à l’activité, aboutissant à une estimation de 50 millions d’euros.
De même, de nouveaux croisements de fichiers devraient être mis en place prochainement. Ainsi, les services fiscaux vont fournir aux organismes de sécurité sociale la liste des personnes qui ont déclaré ne plus résider en France – et qui à ce titre ne sont pas redevables de l’impôt sur le revenu – afin qu’ils ne bénéficient pas simultanément de prestations versées sous condition de résidence (couverture maladie universelle, couverture maladie universelle complémentaire). De même, une expérimentation vise à permettre aux caisses primaires d’avoir accès aux ressources déclarées à l’administration fiscale afin de vérifier la concordance avec les éléments déclarés à la branche Maladie. Est aussi envisagé un échange relatif aux fraudes potentielles concernant les retraités de plus de 85 ans qui seraient bénéficiaires d’une rente d’accident du travail.
Par ailleurs, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a défini des actions prioritaires qui doivent être mises en œuvre par les caisses primaires. Ces actions concernent notamment les « méga-consommateurs » de soins, la tarification à l’activité, les transports sanitaires, le cumul de facturation dans les soins de ville et la chirurgie esthétique. Une action concerne plus spécifiquement les professionnels de santé « hyperactifs» – c’est-à-dire facturant un nombre de consultations particulièrement élevé laissant supposer l’existence d’une fraude. Cette action est nécessaire : rappelons que, selon la Cour des comptes, 120 médecins en facturent plus de 18 000 consultations par an (35). Ces actions sont complétées par des programmes locaux-régionaux, qui traitent souvent les mêmes problématiques. À titre d’exemple, la Caisse d’allocations familiales des Yvelines a ainsi participé à une action concernant les « méga-consommateurs » de médicaments antidiabétiques.
● La politique de la lutte contre la fraude de la branche Vieillesse
En 2009, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a mis en place la première formation spécifique à la branche Vieillesse : « savoir mener une enquête et savoir rédiger un rapport d’enquête ». 1 700 jours de formations ont été dispensés dans l’ensemble du réseau. Par ailleurs, la caisse travaille à l’élaboration d’une base nationale de signalement qui permet de faire des requêtes spécifiques pour évaluer différents risques en matière de fraude. La branche a aussi participé à la communication commune de sensibilisation à la lutte contre les fraudes sociales coordonnée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et le ministère du budget.
En 2009, la caisse nationale d’assurance vieillesse a poursuivi ses relations avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés afin de mettre en œuvre un échange de fichiers au niveau national pour détecter des omissions de déclaration du décès des prestataires retraite, ou de leur conjoint, lorsque ceux-ci n’ont pas déclaré leur changement de résidence hors de France. Cet échange portait sur l’exploitation de l’existence de soins de santé depuis plus de vingt-quatre mois sur le territoire français. Les organismes de la branche Vieillesse ont ainsi reçu 3 068 signalements de suspicion de fraude et de fraude des partenaires dont 2 436 signalements ont été traités au cours de l’année 2009 (soit 77 % de signalements de fraude traités par la branche). Les montants en jeu n’ont cependant pas été évalués.
● La politique de la lutte contre la fraude de la branche Recouvrement
M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a rappelé, lors de son audition par la MECSS (36), les différentes actions mises en place ces dernières années pour améliorer la lutte contre la fraude aux cotisations. En 2006, a été créé le réseau des référents régionaux spécialisés dans la lutte contre le travail dissimulé. Par ailleurs, un processus de professionnalisation des inspecteurs a été engagé. La lutte contre la fraude s’appuie sur 1 550 inspecteurs du recouvrement, ainsi que sur 220 contrôleurs du recouvrement, nouveau corps de métier créé il y a deux ans, spécialisé dans le contrôle sur pièces.
Par ailleurs, la branche Recouvrement s’est dotée en 2008 d’une cellule de recherche de la fraude sur internet. Celle-ci exerce son activité en collaboration avec les services compétents de la direction nationale d’enquêtes fiscales. Différents partenariats en matière de lutte contre la fraude sociale ont été développés, notamment dans le cadre des comités locaux de lutte contre la fraude. Dans le cadre de la Charte nationale conclue entre l’État et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale en 2005, une coopération spécifique a été engagée entre les services de l’Inspection du travail et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale en matière de travail dissimulé.
Par ailleurs, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ont utilisé les différents outils votés par le législateur pour développer les actions de contrôle :
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (37) a donné aux inspecteurs la possibilité d’opérer un redressement forfaitaire dès lors qu’un délit de travail dissimulé a été constaté et qu’aucun élément ne permet de connaître la rémunération versée au salarié en contrepartie de l’activité non déclarée par son employeur (38). En 2009, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ont ainsi procédé à 2 445 redressements forfaitaires, pour un montant global de redressement de 16,3 millions d’euros ;
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a institué une procédure spécifique de redressement sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé établis par les corps de contrôle partenaires. Ainsi, 728 actions ont été réalisées en 2009 pour un montant de 4,6 millions d’euros ;
– l’annulation des exonérations et réductions de cotisations sociales en cas de constat de travail dissimulé, effective depuis juillet 2006, a conduit en 2009 au redressement de 7,2 millions d’euros de cotisations sociales. Ce résultat a connu une hausse importante en raison de l’extension du dispositif à l’ensemble des situations constitutives du délit de travail dissimulé, en application de l’article 117 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
– la solidarité financière a pour objet de rendre la société mère, ou la holding du groupe, responsable du paiement de l’intégrité des cotisations, contributions sociales, majorations et pénalités dues au titre de l’infraction de travail dissimulé constatée. En 2009, plus de 2 millions d’euros ont été mis en recouvrement de cette façon auprès des donneurs d’ordre dans le cadre de la mise en œuvre de la solidarité financière.
4. Des progrès récents dans le pilotage de l’État
La mission salue la mise en place de la délégation nationale de lutte contre la fraude qui a permis de mieux coordonner les différentes administrations qui étaient auparavant cloisonnées. Cette délégation, qui comprend quatorze personnes, incite les agents contrôleurs à communiquer et à agir en commun afin de dépister les fraudes. M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude, a rappelé les différentes missions menées par la délégation depuis sa création (39) :
– l’évaluation qualitative et quantitative de la fraude : la délégation a notamment mis en place un outil de typologie des fraudes consistant à partir de cas concrets afin de suggérer des aménagements juridiques et organisationnels destinés à améliorer le système et, le cas échéant, à « boucher les trous dans la raquette » (3) ;
– le développement de la formation des agents : la délégation a lancé un important programme de formation interadministrations, venant s’ajouter à celle dispensée dans chaque maison, portant notamment sur la fraude à l’identité et la fraude à la résidence, connues jusque-là uniquement de certains services, comme la police aux frontières ;
– le développement des échanges d’informations entre administrations, notamment dans le cadre de croisements de fichiers (40). La délégation a aussi favorisé le développement des signalements. L’exemple type est les procès-verbaux de travail illégal : ils doivent impérativement être transmis à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, remplis en bonne et due forme, par les forces de contrôle qui ont agi ;
– le renforcement du volet « anti-fraude » dans les conventions d’objectifs et de gestion signées par les caisses ;
– la veille juridique notamment pour adapter l’arsenal législatif alors que la fraude évolue constamment.
Le premier bilan des comités opérationnels départementaux anti-fraude montre qu’ils permettent d’améliorer la coopération entre des services qui étaient auparavant cloisonnés et de démanteler des fraudes importantes notamment en ce qui concerne le travail illégal. Lors de son audition, M. Benoît Parlos (41) délégué national à la lutte contre la fraude, a indiqué à la mission que le montant du préjudice redressé ou évité grâce aux comités est évalué à 150 millions d’euros en 2009.
Les membres de la MECSS qui ont pu assister à la réunion du comité opérationnel départemental anti-fraude des Yvelines le 7 avril dernier, ont constaté la coopération qui se développait entre services. Ainsi, dans le cadre de ce comité, 33 opérations de contrôles ont été effectuées en 2010 permettant de détecter 38 personnes en situation de travail dissimulé. S’agissant de la fraude aux allocations familiales, les activités de contrôle ont permis de détecter 161 cas de fraude avérée, auxquels s’ajoutent 91 cas de fraude relatifs au revenu de solidarité active pour un préjudice financier total de 1,81 million d’euros.
Lors d’un déplacement à la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne, les membres de la MECSS ont pu constater la réalité de la coopération entre cette caisse et les autres administrations chargées de la lutte contre la fraude, permettant ainsi de détecter des fraudes pour un montant de 271 000 euros (42), comme le montre le tableau suivant :
Bilan pour la caisse d’allocation familiale de Haute-Garonne
du comité départemental anti-fraude en 2010
(En nombre de dossiers et en euros)
Dossiers ayant un impact frauduleux à la CAF transmis aux autres partenaires |
Dossiers transmis par les autres partenaires et ayant un impact frauduleux à la CAF | |||
Nombre |
Montant |
Nombre |
montant | |
1er semestre |
13 |
126 898,82 |
1 |
8 719,33 |
2e semestre |
18 |
102 904,07 |
7 |
32 170,30 |
Total |
31 |
229 802,89 |
8 |
40 889,63 |
Source : caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne.
Ces résultats montrent que la coopération entre administrations permet de détecter des fraudes qui ne l’étaient pas auparavant. Il convient donc de les développer.
B. FACE AUX FRAUDES AUX PRESTATIONS, UN SYSTÈME ENCORE TROP DÉRESPONSABILISÉ ET ÉPARPILLÉ
Lors de son audition par la MECSS, M. Xavier Bertrand, ministère du travail, de l’emploi et de la santé (43) a montré que les résultats de la lutte contre la fraude sociale avaient progressé de 19 % en 2010. L’ensemble des fraudes détectées dans le champ social a représenté 457,8 millions d’euros, dont 185 millions d’euros concernaient le travail non déclaré et 266 millions d’euros les fraudes aux prestations sociales. Depuis 2006, année durant laquelle ont été lancés les premiers programmes nationaux de lutte contre la fraude au sein de la sécurité sociale, plus de 1,7 milliard d’euros de fraudes a été détecté par les organismes de sécurité sociale.
Mais ces résultats, indéniables, laissent présager une importante marge de progression.
1. La branche Famille : une situation un peu mieux maîtrisée même si des failles persistent
En 2009, 11 733 cas de fraudes ont été détectés par la branche Famille pour un préjudice financier de 85,6 millions d’euros.
Montant des fraudes constatées par la branche famille
(En millions d’euros et en %)
Année |
Montant des fraudes détectées et stoppées |
Évolution n/ n-1 |
2006 |
35,1 |
– |
2007 |
58,3 |
+ 66,1 % |
2008 |
80 |
+ 37,2 % |
2009 |
85,6 |
+ 7 % |
Source : Cour des comptes.
En 2010, le montant des fraudes détectées et stoppées s’est élevé à 90 millions d’euros (44). Les prestations les plus fraudées sont le revenu de solidarité active, le revenu de solidarité active majoré et les aides au logement.
La fraude en matière d’aide au logement
D’après la Caisse nationale d’allocations familiales, les trois aides au logement représentent 30 % des fraudes détectées par la branche famille en 2008, soit un montant plus de 26 millions d’euros.
La déclaration d’un logement fictif représenterait 10 % de la fraude. Le contrat de bail n’est en effet soumis à aucune procédure d’enregistrement particulière : deux personnes peuvent ainsi facilement souscrire un contrat de bail faisant référence à un logement inexistant, sans que le caractère frauduleux de l’opération soit aisément repérable.
Lors de son audition par la MECSS, M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales (45), a indiqué que 60 millions d’opérations de contrôle avaient été menées en 2009, dont 20 millions étaient issues d’un échange de données et 40 millions réalisées par des vérifications comptables et des contrôles sur place et sur pièces. 3,6 millions d’informations avaient été vérifiées sur place, lors de 280 000 contrôles menés par 605 agents assermentés.
La mission constate que l’augmentation du montant des fraudes détectées ou stoppées – qui est passé de 35,1 millions d’euros en 2006 à 90 millions d’euros en 2010 soit une augmentation de 186 % – est le fruit d’une indéniable politique de lutte contre la fraude. La mise en place du référentiel national des bénéficiaires, qui regroupe en un seul fichier la quasi-totalité des foyers qui perçoivent des allocations familiales, et qui a permis de mettre fin aux fraudes consistant à déclarer des enfants dans plusieurs départements, pour tardive qu’elle soit, doit être saluée.
Les résultats de la lutte contre la fraude de la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne montrent le développement de la politique de lutte contre la fraude.
Bilan de la politique de lutte contre la fraude
de la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne
(En euros)
Année |
Nombre de fraudes détectées |
Montant des fraudes détectées |
2000 |
53 |
424 232 |
2001 |
51 |
524 685 |
2002 |
76 |
475 625 |
2003 |
71 |
513 442 |
2004 |
103 |
765 096 |
2005 |
285 |
2 018 199 |
2006 |
197 |
1 847 842 |
2007 |
259 |
2 194 853 |
2008 |
294 |
3 591 658 |
2009 |
316 |
2 302 334 |
2010 (1) |
137 |
1 626 947 |
(1) : Ces chiffres ne concernent, à partir de 2010, que les prestations familiales, les cas de fraudes au RSA relevant du conseil général. 325 cas de fraudes au RSA ont ainsi été détectés en 2010.
Source : caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne.
En 2010, les résultats de la branche Famille, au niveau national, confirment les tendances précédentes. 13 114 cas de fraudes ont été détectés, soit une hausse de 10 % par rapport à 2009 et une augmentation de 5,3 % des montants financiers ainsi récupérés. Les contrôles ont connu une hausse non négligeable : 41,7 % des informations ont été vérifiées par les caisses d’allocations familiales (contre 35 % en 2007). 2 766 pénalités financières ont été prononcées – pour un montant de 1,7 million d’euros, et dans 21 % des cas, une plainte a été déposée. Au total, 563 amendes pénales et 362 peines de prison ont été prononcées.
Cependant, les résultats affichés par la branche Famille en 2010 ne représentent que 6 % du nombre total de fraudeurs, estimé à 200 000. Ces résultats sont donc très insuffisants.
Par ailleurs, plusieurs cas de fraude détectés ces derniers mois attestent du fait que certaines d’entre elles perdurent depuis longtemps (46).
2. La banche Maladie : une certaine impuissance face aux fraudes et aux abus
Lors de son audition par la MECSS, M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (47) a indiqué que les actions de contrôle de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés avaient « un impact de l’ordre de 150 millions par an ». Il a précisé, par ailleurs, que les « erreurs » détectées lors des contrôles de la tarification à l’activité représentaient, à elles seules, entre 30 à 50 millions d’euros.
Montant des fraudes et abus détectés par la branche maladie
(En millions d’euros et en %)
Année |
Montant des dépenses de la branche (A) |
Montant détecté et stoppé |
Économies constatées (B) |
% du montant des dépenses (B/A) |
2005 |
137 600 |
13 |
10,4 |
0,01 |
2006 |
141 800 |
118 |
90,6 |
0,06 |
2007 |
147 800 |
143 |
125,5 |
0,08 |
2008 |
155 000 |
160 |
131,7 |
0,08 |
Source : Cour des comptes.
Lors de son audition, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé (48) a, confirmé l’ordre de grandeur des fraudes détectées devant la MECSS en indiquant qu’elles avaient atteint 156 millions d’euros en 2010. Le tableau suivant retrace l’évolution, selon les domaines, des montants fraudés et des sommes ainsi récupérées :
Évolution du montant des sommes fraudées et récupérées
(En millions d’euros)
Nature |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2005-2009 |
Établissements (contrôles T2A, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) |
n.c. |
24 |
55,1 |
37,1 |
40,9 |
157,1 |
Indemnités journalières |
n.c. |
23,1 |
11,3 |
13,3 |
6,4 |
54,1 |
Médicaments (ordonnancier bizone, traitement de substitution des opiacés, mégaconsommateurs) |
n.c. |
20,3 |
12,6 |
1,8 |
0,1 |
34,8 |
Honoraires médicaux (dont chirurgie esthétique) |
n.c. |
2,7 |
10,9 |
10,8 |
9,4 |
33,8 |
Autres prestations (transports, masso-kinésithérapie, etc) |
n.c. |
n.c. |
n.c. |
4,5 |
8,7 |
13,2 |
Actions locales et autres |
10,4 |
20,5 |
35,6 |
64,2 |
72,1 |
202,8 |
Total |
10,4 |
90,6 |
125,5 |
131,7 |
137,6 |
495,8 |
Source : délégation nationale de lutte contre la fraude.
Alors que l’année 2005 montre le caractère très parcellaire des données disponibles, les premiers résultats de la mise en place d’une politique de lutte contre la fraude sont visibles car les économies réalisées ont augmenté de façon importante depuis 2005. À titre d’exemple, comme le montre le tableau ci-dessous, le montant des fraudes, fautes et abus détectés et stoppées par la seule caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines a crû de façon significative depuis 2007 :
Montant des fraudes, fautes et abus détectés et stoppés depuis 2007
par la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines
(En milliers d’euros)
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
942,3 |
2 947,1 |
8 857,2 |
8 618,9 |
Source : caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines.
Cependant, la mission constate que le montant des fraudes détectées et stoppées en 2009 ne représente que 0,096 % du montant total des dépenses de la branche Maladie. Si l’on considère que la fraude représente 1 % des dépenses d’assurance maladie, la branche Maladie ne détecte en réalité que 10 % de la fraude présumée.
En outre, plusieurs exemples montrent que la politique de la branche Maladie en matière de lutte contre la fraude et les abus reste perfectible.
À titre d’exemple, le nombre encore trop important de médecins hyperactifs montre que les caisses primaires n’arrivent pas toujours à constater et sanctionner la fraude. Ainsi, rappelons encore que, selon la Cour des comptes, 120 médecins en facturent plus de 18 000 consultations par an (49). De même, dans le précédent rapport de la MECSS sur le fonctionnement de l’hôpital (50), nos collègues Jean Mallot et Pierre Morange ont montré que certains établissements de santé ne respectaient pas toujours les règles relatives aux marchés publics, ce qui aboutit à des surfacturations. C’est dire à la fois l’insuffisance de la politique de lutte contre la fraude et l’importance du chemin qui reste à parcourir.
3. La branche Vieillesse : un système insuffisamment sécurisé
Selon la Cour des comptes, le montant des fraudes évitées ou constatées est peu élevé pour la branche Vieillesse.
Montant des fraudes et abus détectés par la branche Vieillesse
(En millions d’euros et en %)
Année |
Charges nettes de la branche |
Montant des préjudices constatés |
Montant des fraudes évitées |
% du montant des dépenses |
2006 |
84 947,1 |
1 |
2 |
0,001 |
2007 |
90 395,6 |
1 |
2 |
0,001 |
2008 |
95 654,8 |
2,5 |
14,6 |
0,003 |
Source : Cour des comptes.
Lors de son audition par la MECSS, M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (51) a indiqué que le montant des fraudes constatées s’élevait à 3 millions d’euros en 2009, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2008. En 2010, les fraudes détectées ont représenté 10,1 millions d’euros.
Ces données pourraient faire croire que la branche n’est pas trop atteinte pas le phénomène. Votre Rapporteur estime pourtant là encore qu’un très grand nombre de fraudes restent à détecter. Des exemples le laissent penser (52). Si ces cas restent ponctuels, la fraude au dispositif de départ anticipé pour carrière longue semble beaucoup plus massive.
La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites (53) a permis aux personnes ayant accompli une carrière longue et ayant cotisé une longue durée de partir à l’âge de la retraite avant soixante ans. Or, le dispositif permettait de reconstituer les carrières de manière simplifiée : les trimestres susceptibles d’être acquis, par régularisation des cotisations arriérées, pouvaient l’être sur la seule foi d’une déclaration sur l’honneur écrite de deux témoins choisis selon des modalités très peu contraignantes. En outre, le processus était partagé entre deux branches de la sécurité sociale – après régularisation par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, l’assuré faisait valoir ses droits auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés –, ce qui responsabilisait peu les acteurs du système.
Une mission de contrôle diligentée à la demande des ministres du budget et du travail par l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances a clairement démontré les lacunes d’un tel dispositif. À partir d’échantillons, elle a évalué que celle-ci représentait 10 millions et 45 millions d’euros. Au total, près de 6 800 dossiers de rachats salariés ont ainsi fait l’objet d’un examen approfondi (2 600 pour le régime général et 4 200 pour la Mutualité sociale agricole). Cet examen a permis d’identifier près de 1 200 dossiers sur lesquels pèsent de fortes suspicions de fraudes et sur lesquels portent des investigations complémentaires. Des poursuites pénales ont également été enclenchées à Marseille ainsi qu’en région parisienne. On peut légitimement craindre des fraudes massives.
C. DES FRAUDES AUX COTISATIONS TROP PEU POURSUIVIES
Selon le bilan des contrôles des cotisants effectués par la direction de la réglementation du recouvrement et du service de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’activité de contrôle a concerné, en 2009, plus de 247 000 cotisants et généré 1 194 millions d’euros de redressements, soit 927 millions d’euros en redressements (54) positifs et 266 millions d’euros de restitution. La répartition des redressements est indiquée dans le tableau ci-dessous :
Répartition des redressements opérés par les URSSAF
Contrôle comptable d’assiette |
Travail dissimulé |
Contrôle forfaitaire et travailleurs indépendants |
Contrôle partiel d’assiette sur pièces |
Autres actions de contrôle |
Total actions de contrôle | |
Nombre de personnes contrôlées |
96 441 |
8 696 |
2 877 |
40 362 |
1 807 |
150 183 |
Nombre de personnes contrôlées et redressées |
60 952 |
5 966 |
643 |
123 911 |
935 |
81 407 |
Taux de redressement des personnes (1) |
63,2 % |
68,6 % |
22,3 % |
32 % |
51,7 % |
54,2 % |
Montant des redressements (en euros) |
994 900 120 |
126 719 066 |
2 130 199 |
10 412 226 |
59 809 644 |
1 193 971 255 |
Redressement par personne redressé (en euros) |
16 323 |
21 240 |
3 313 |
806 |
63 968 |
14 667 |
Redressement par personne contrôlée (en euros) |
10 316 |
14 572 |
740 |
258 |
33 099 |
7 950 |
(1) Ce taux est le résultat de contrôles ciblés.
Source : bilan 2009 du contrôle des cotisants, direction de la réglementation du recouvrement et du service de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale
S’agissant du contrôle comptable d’assiette, les redressements en faveur des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale se sont élevés à 994 millions d’euros, soit 781 millions d’euros de redressements positifs – en augmentation de 70 % par rapport à 2008 (55) – et 213 millions d’euros de restitution.
M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a souligné, lors de son audition (56), les progrès réalisés ces dernières années : « Quelques chiffres : près de 50 % des cotisations contrôlées en trois ans conformément à notre objectif ; environ 11 % du fichier contrôlé chaque année – ce " taux de couverture " étant variable selon la taille des entreprises, les très grandes étant systématiquement contrôlées tous les trois à cinq ans ; 40 000 établissements contrôlés chaque année au titre de la lutte contre le travail dissimulé ; sur la période 2004-2009, doublement des redressements réalisés par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). »
Si la mission constate l’amélioration de la détection des fraudes aux cotisations ces dernières années, les redressements ne représentent cependant qu’une faible part de la fraude supposée, montrant ainsi que les fraudes aux cotisations sont insuffisamment poursuivies. En effet, si l’on prend en compte les estimations de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – faisant état d’une fraude comprise entre 13,5 et 15,8 milliards d’euros – les redressements en faveur des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ne représenteraient que 6 % à 7 % du montant de la fraude.
2. Des pouvoirs publics insuffisamment mobilisés face à l’ampleur du travail illégal
Dès 1996, dans un rapport sur les fraudes et les pratiques abusives, M. Charles de Courson et Gérard Léonard (57), avaient constaté l’ampleur de la fraude aux prélèvements en évaluant que le travail illégal représentait une perte de cotisations sociales comprises entre 6,6 et 10,4 milliards d’euros. Ces montants, qui datent de plus de quinze ans, restent d’actualité et les pouvoirs publics ont été incapables d’enrayer le phénomène : le travail illégal reste encore aujourd’hui un phénomène massif.
Certes, la politique menée par le Gouvernement pour développer la lutte contre le travail illégal a permis d’améliorer les résultats.
En 2009, les contrôles opérés dans le cadre de la lutte contre le travail illégal ont généré 130 millions d’euros de redressements, dont près de 127 millions d’euros concernaient des cotisations dues pour l’emploi de salariés et plus de 3 millions d’euros de cotisations personnelles dues par les employeurs et les travailleurs indépendants.
Selon le bilan intermédiaire du Plan national de lutte contre le travail illégal (2010-2011) établi par M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, à l’occasion de la réunion de la Commission nationale de lutte contre le travail illégal, en 2010, plus de 70 000 entreprises ont été contrôlées par les agents de contrôle, hors forces de sûreté, dans les secteurs prioritaires. Le taux d’infraction des entreprises contrôlées est de près de 16 %, un chiffre en hausse continue depuis 2007 (12 %) et qui témoigne du meilleur ciblage opéré par les agents de contrôles.
Tous secteurs confondus, le montant des redressements mis en recouvrement par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale s’élève à plus de 185 millions d’euros en 2010, soit une hausse d’environ 40 % par rapport à 2009. Les montants des redressements sur les secteurs prioritaires s’élèvent à plus de 81 millions d’euros, en hausse de près de 42 % par rapport à 2009. Ce résultat montre une progression notable depuis plusieurs années :
Redressements mis en recouvrement résultant d’un constat de travail dissimulé
(En millions d’euros)
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
33 |
41 |
59 |
73 |
118 |
108 |
130 |
185 |
Source : bilan 2009 du contrôle des cotisants, direction de la réglementation du recouvrement et du service de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Cependant malgré cette progression, ces redressements sont insuffisants par rapport à l’ampleur du travail illégal. Si on prend en compte les estimations du conseil des prélèvements obligatoires – qui considère que le travail illégal représente entre 6,4 et 12,4 milliards d’euros – les redressements pour travail illégal en 2010 ne représentent qu’entre 1,5 % et 2,9 % de la fraude présumée.
M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne a constaté devant la MECSS (58) que malgré l’accroissement des contrôles, certaines activités recouraient encore très largement au travail illégal : « J’ajoute que nous avons souvent l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau : par exemple, nos inspecteurs débusquent régulièrement des ateliers clandestins au cœur du quartier du Sentier dont les travailleurs ne sont d’ailleurs pas forcément en situation irrégulière mais dont les activités sont en revanche sous-déclarées ; plus, nous mettons la main sur des produits de confection de grandes marques, ce qui tend à montrer que le secteur de l’habillement est fondé sur un modèle économique impliquant nécessairement le recours à de tels ateliers. Faute de pouvoir placer un inspecteur derrière chaque cotisant, nous ne nous sortirons donc pas de ces difficultés à moins de les traiter globalement comme l’ont fait la Fédération française du bâtiment ou les entreprises de travail temporaire. »
III.- DES LACUNES PERSISTANTES DANS LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LES ABUS
Comme le montre le rapport de la Cour des comptes (59), la politique de lutte contre la fraude présente encore des faiblesses : le pilotage national est insuffisant, certains chantiers – notamment la mise en place de certains croisements de fichiers – prennent du retard, la complexité de la législation sociale et paradoxalement aussi la volonté de simplification facilitent parfois la tâche des fraudeurs, alors que parallèlement les moyens dont disposent les caisses locales sont insuffisants et les contrôles sur les assurés et les sanctions prononcées sont trop rares.
A. UN SYSTÈME LARGEMENT DÉSORGANISÉ ET MAL PILOTÉ
1. Des conventions d’objectifs et de gestion peu contraignantes
Si les volets consacrés à la lutte contre la fraude sont davantage développés dans les actuelles conventions d’objectifs et de gestion que dans les précédentes, la mission constate que ces dernières restent cependant peu contraignantes.
Tout en constatant les progrès que représentent les dernières conventions d’objectifs et de gestion (COG), la Cour des comptes, dans son rapport (1), regrette que celles-ci ne soient pas plus ambitieuses. Lors de son audition, Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a expliqué à la MECSS (60) que « La troisième génération de COG comportait déjà quelques éléments nouveaux ; mais c’est surtout la quatrième génération – les conventions signées depuis l’année dernière – qui marque la volonté de mieux détecter, mieux évaluer, mieux sanctionner et aussi mieux prévenir les fraudes. Au-delà de ces bonnes intentions, tout réside bien sûr dans la force des objectifs et dans celle des indicateurs permettant de suivre leur réalisation ; or, nous avons observé que ces objectifs manquaient d’ambition, étant parfois en deçà des résultats déjà obtenus – mais ce n’est pas seulement en matière de la lutte contre la fraude que nous avons constaté ce phénomène. »
Ainsi, si la convention conclue entre la Caisse nationale d’allocations familiales et l’État pour la période 2009-2012 contient des indicateurs spécifiques sur la fraude (61), la cour regrette que deux de ces indicateurs ne soient que des indicateurs de suivi, sans être assortis d’une cible quantifiée et que l’intéressement ne prenne pas en compte les résultats de ces indicateurs.
La Cour des comptes fait le même constat sur la convention d’objectifs et de gestion conclu entre la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et l’État pour la période 2009-2013 : si le volet consacré à la lutte contre la fraude apparaît plus étoffé que dans les précédentes conventions, un seul indicateur a été retenu : le taux de résorption des indus frauduleux. Or celui-ci ne mesure pas l’efficacité de chaque caisse dans la détection des caisses, mais plutôt leur efficacité dans la récupération des indus qui en découlent. De même, les indicateurs d’intéressement arrêtés avant la convention d’objectifs et de gestion, n’ont pas été revus.
La convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et l’assurance-maladie sur la période 2010-2013 constitue, de ce point de vue, une amélioration. Trois indicateurs de résultats sont retenus, deux étant associés à des objectifs chiffrés : le montant du préjudice subi détecté du fait de fraudes, fautes et abus au cours de chaque année, la progression du montant des indus frauduleux recouvrés – avec un objectif de progression de 5 % par an – et le montant des pénalités financières, avec un objectif de 2 400 pénalités prononcées en 2013. Il est important aussi de noter que le montant du préjudice détecté des fraudes, fautes et abus doit être pris en compte dans l’élaboration de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Par ailleurs, un calendrier prévisionnel détaille les actions que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés doit entreprendre chaque année. Ainsi, en 2010, sont mentionnées la mise en place dans la totalité des caisses des commissions des pénalités financières, la clarification des notions de fraudes, de fautes et d’abus et l’expérimentation du datamining en matière d’indemnités journalières et de couverture maladie universelle complémentaire. En 2011, sont prévus l’expérimentation du datamining en matière de transport, le développement de la formation initiale aux métiers de la lutte conte la fraude, la connaissance du nombre de taux de fraude administrative théorique aux indemnités journalières et la création d’un indicateur d’efficience. Ces éléments semblent plus contraignants : l’application de la convention dans les années qui viennent permettra de voir si le calendrier a été effectivement respecté. En revanche, la convention ne comprend pas, contrairement aux préconisations de la Cour des comptes, un engagement sur le nombre de contrôleurs assermentés.
2. Une impulsion insuffisante des caisses nationales
La mission considère que le pilotage de la politique de lutte contre la fraude par les caisses nationales manque aujourd’hui de volontarisme.
Les déplacements effectués par la mission dans des caisses locales des branches Famille et Maladie ont montré localement une réelle volonté de mettre en place des actions de lutte contre la fraude, mais sans que celles-ci s’inscrivent dans un plan national concerté et sans que certaines expérimentations innovantes soient diffusées.
À titre d’exemple, dans la branche Famille, les procédures de traitement de la fraude relèvent des caisses locales. Ainsi les caisses d’allocations familiales de la région Midi-Pyrénées ont élaboré un guide intitulé « Processus de traitement des dossiers "fraudes" et sanctions applicables ». Il contient des indications précises sur l’instruction des dossiers, l’appréciation et la mise en œuvre des sanctions, les réclamations de l’allocataire, la mise en œuvre des pénalités, la procédure de traitement des lettres de dénonciations. Ce guide contient aussi des fiches pratiques portant sur des thèmes tels que les contrôles sur place des allocataires, les principaux critères permettant de retenir une suspicion de fraude, l’évaluation du train de vie ou le droit de communication ainsi que des modèles de lettre type (lettre d’avertissement, lettre de notification de dépôt de plainte, lettres de notification des pénalités…).
La mission salue l’initiative des caisses qui ont élaboré ce guide : la mise en place de procédures précises est très certainement de nature à améliorer la détection et la sanction de la fraude. Elle regrette cependant qu’un tel guide ne soit qu’en préparation au niveau national.
De même, la diffusion des pratiques innovantes initiées par les caisses semble encore rare. La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (62), constate que l’expérience menée par la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne pour diminuer les trafics de Subutex a donné de bons résultats et s’étonne qu’elle ait été stoppée.
L’exemple de la fraude des départs anticipés pour carrières longues montre aussi les limites de l’action des caisses nationales.
M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales (63), a souligné devant la MECSS (64) les lacunes du pilotage des caisses nationales qui n’ont pas mis en place de procédure centralisée pour gérer les dossiers de validation de trimestres qui arrivaient pourtant en masse. Il a ainsi constaté : « Ce qui nous a frappés, c’est qu’aucun des trois réseaux n’avait songé à développer une approche commune aux régimes ou aux caisses, alors même qu’il avait été décidé, dans le cadre de la réforme des retraites, de favoriser les complétions de carrières longues. (…). Aucune des trois têtes de réseau ne s’était rendue compte de l’extraordinaire hétérogénéité des conditions d’instruction des dossiers. Tandis qu’une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pouvait avoir organisé un examen des dossiers sur pièces, la réception des demandeurs et le recoupement des informations, sa voisine, à quelques dizaines de kilomètres, ne convoquait même pas les bénéficiaires et calculait les retraites, non pas sur des bases forfaitaires, mais sur les salaires déclarés. (…)»
L’exemple de la fraude aux carrières longues illustre bien les lacunes du pilotage de la lutte contre la fraude des caisses nationales.
3. Une absence de définition commune de la fraude
a) Une notion variable selon les caisses
Les branches du régime général n’ont pas la même définition de la fraude. Ainsi, la frontière entre fraude, abus et faute est particulièrement floue dans la branche Maladie. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés prend en compte dans ses statistiques sur les fraudes détectées, les mises sous accord préalable, alors qu’elles ne résultent pas forcément d’une fraude. En outre, il est parfois difficile de qualifier certains comportements. Il en est ainsi du non-respect des ordonnanciers bi-zone pour lequel il est difficile de tracer une frontière entre des abus et des fraudes.
La branche Famille, quant à elle, a eu pendant longtemps une notion restrictive de la fraude corrélée à la qualification pénale. Cette conception a cependant récemment évolué.
b) Une évaluation lacunaire de la fraude
Comme l’a montré votre Rapporteur précédemment, seule la Caisse nationale d’allocations familiales a entrepris un travail approfondi d’évaluation globale de la fraude. La Caisse nationale d’assurance-maladie a simplement conduit une évaluation sur la fraude concernant l’application de la tarification à l’activité par les établissements de santé.
Les seuls chiffres diffusés par les caisses nationales sont ceux de la fraude détectée, ce qui peut conduire, la mission en est convaincue, à sous-estimer l’enjeu que représente la fraude. Ce sentiment est d’ailleurs partagé par la Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (65) qui constate « À l’exception de la branche Famille, les données publiées par les caisses nationales se limitent encore le plus souvent aux montants détectés (ou évités de fraudes découvertes), ce qui peut donner une perception faussée des enjeux de la fraude, en conduisant à une grave sous-estimation. »
4. Une communication externe encore peu développée
La mission regrette que la communication de la plupart des caisses nationales à l’égard des usagers soit inexistante. L’exemple de la sécurité routière montre pourtant qu’une communication sur les sanctions encourues est de nature à modifier les comportements.
La branche Recouvrement du régime général, qui a engagé en octobre 2009, une première campagne de grande ampleur avec le slogan « Ne pas franchir la ligne jaune » semble s’être engagée dans cette voie. De même, M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole a indiqué à la MECSS (66) que la Mutualité sociale agricole avait lancé des actions de communication à l’attention des agents, des particuliers et des employeurs, pour rappeler notamment les démarches à accomplir et les sujets sur lesquels ils devaient être vigilants.
Des initiatives locales ont été prises comme le montre l’affichage dans certaines caisses d’allocations familiales des sanctions prononcées à l’encontre d’usagers fraudeurs. La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (67) , note pourtant la réticence à demander et à procéder à l’affichage dans les locaux des condamnations obtenues. Ainsi, selon les réponses au questionnaire envoyé par la cour, seuls 54 % des organismes demandent systématiquement au juge pénal le droit d’afficher et de publier d’éventuelles déclarations et seul un tiers procède systématiquement à l’affichage.
B. DES CHANTIERS QUI PRENNENT DU RETARD
Plusieurs outils ayant pour ambition d’améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude ne sont pas encore opérationnels ou diffusés.
C’est le cas notamment de la carte Vitale 2 munie d’une photographie, qui reste peu diffusée et mal sécurisée (68). Ainsi, en janvier 2011, seules 13,8 millions de cartes avec photographie ont été produites. À ce rythme, le renouvellement total du parc devrait s’effectuer sur une période de huit ans.
Mais c’est en matière de croisements ou de constitution de fichiers inter-régimes que les retards sont les plus patents.
C’est le cas pour le Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), créé à l’initiative de nos collègues Pierre Morange et Jean-Pierre Door (69), et qui n’est toujours pas opérationnel. La mission constate avec surprise que le décret d’application n’a été adopté que trois ans après l’adoption de la loi, soit le 16 décembre 2009. Quant à l’arrêté pris en application de ce décret pour fixer la liste des organismes, des droits et des prestations entrant dans le champ de ce répertoire, il vient d’être finalement adopté le 21 mars dernier (70), soit quatre ans et demi après l’adoption de la loi !
L’accès des organismes de sécurité sociale au fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) ressemble aussi à une course de lenteur.
Ce fichier, qui a été créé par un décret du 29 mars 1993 (71), permet de gérer les dossiers des ressortissants étrangers en France. Il est alimenté par chacune des préfectures.
La loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France (72) a prévu que les organismes de sécurité sociale sont tenus de vérifier que les assurés étrangers satisfont aux conditions de régularité de leur situation en France. Lorsque ces informations sont conservées sur support informatique, les organismes peuvent avoir accès aux fichiers des services de l’État pour obtenir les informations administratives nécessaires à cette vérification.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie une première fois en décembre 1996 par le ministère de l’intérieur, et, à nouveau, en 1998 et en 1999. Auditionné par la MECSS, notre collègue Philippe Gosselin, membre du collège de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (73) a souligné les réticences à mettre en place un tel dispositif : « Pour être franc, il ne semble pas que les différents ministres de l’intérieur aient fait preuve d’un grand empressement à cette époque. Un nouveau dossier a été déposé en février 2001, puis des échanges d’informations et des demandes de compléments ont suivi. Parmi les organismes sociaux sollicités, seule la Caisse nationale d’allocations familiales a clairement manifesté un intérêt. La CNIL a rendu un avis favorable le 27 juin 2002, soit neuf ans après la parution du décret. »
Le dossier semble avoir été relancé récemment : un fichier AGDREF 2, succédant au projet GREGOIRE, est, en effet, aujourd’hui en cours de finalisation. Le 10 février 2011, la Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est ainsi prononcée sur ce traitement qui doit permettre des échanges de données entre le fichier AGDREF et les systèmes informatiques des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi.
L’accès des organismes de sécurité sociale devrait intervenir cet automne, soit dix-huit ans après l’adoption de la loi du 29 mars 1993.
C. DES DISPOSITIFS « FRAUDOGÈNES »
1. Une complexité normative source de fraude et d’abus
La législation relative aux prestations de sécurité sociale n’est pas toujours adaptée aux évolutions récentes que connaissent les assurés sociaux.
Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, souligne le caractère inadapté de la réglementation applicable à la Caisse des Français de l’étranger (CFE) qui conduit à des abus. Cette caisse a été créée pour offrir une protection sociale aux expatriés, permettant de pallier les insuffisances des couvertures offertes par les systèmes étrangers de sécurité sociale. Afin d’éviter que les expatriés n’adhèrent à cette caisse qu’à partir du moment où ils sont malades ou âgés, le code de la sécurité sociale prévoit un délai de carence, le droit à remboursement n’étant ouvert que quelques mois après l’adhésion, avec des droits d’entrée croissant avec l’âge. Cependant, la réglementation est en réalité peu contraignante et elle incite les Français expatriés de longue date à n’adhérer à la caisse que très tardivement. La Cour des comptes constate : « fin 2009, si 55 % des 11 333 pensionnés assurés à la CFE y étaient déjà dans la catégorie pensionnés fin 2005, 6 % adhéraient déjà à la CFE au titre d’une autre catégorie (salariés, non salariés, inactifs) et 39 % n’étaient alors pas connus de la CFE. Ce dernier chiffre souligne l’importance des adhésions tardives, soit que les pensionnés étaient antérieurement des expatriés couverts par une autre assurance que celle de la CFE, soit qu’ils aient choisi de s’expatrier au moment de leur retraite. En 2007, les adhésions effectuées après 60 ans se sont élevées à 1 589 (dont 428 après 70 ans). » Cette situation est d’autant plus préoccupante que les pensionnés bénéficient d’un taux de cotisation très bas, fixé, en 2009 à 3,5 % et appliqué aux seules pensions de retraite françaises perçues. Or la catégorie des pensionnés est structurellement et de plus en plus déficitaire pour la caisse (soit un déficit de 5,7 millions d’euros en 2008) et la revalorisation récente du taux de cotisation (4 % depuis avril 2010) semble insuffisante.
b) Une réglementation complexe
Certaines réglementations rendent la tâche des contrôleurs particulièrement ardue. C’est le cas notamment des règles applicables pour définir la notion d’isolement.
L’article L. 262-9 du code de l’action sociale et des familles prévoit, en effet, que le revenu de solidarité active peut être majoré pendant une période de durée déterminée pour une personne isolée assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants et une femme isolée en état de grossesse, ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux. L’article précise qu’est considérée comme isolée « une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente. »
La jurisprudence a peu à peu précisé la notion d’isolement. Deux éléments principaux sont exigés pour prouver la vie maritale : une adresse commune, et une communauté d’intérêts, se traduisant par une participation financière et/ou matérielle aux charges du ménage. La permanence des relations distingue la vie maritale du simple concubinage qui peut être occasionnel.
Auditionné par la MECSS, M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (74) a reconnu les difficultés auxquelles étaient confrontés les contrôleurs pour constater si des personnes sont, conformément à leur déclaration, en situation d’isolement : « Le contrôle de la situation concrète d’isolement est effectivement complexe. Nos contrôleurs se heurtent à divers obstacles pour établir la matérialité des faits et pour les qualifier juridiquement. Les affaires de reconnaissances multiples de paternité frauduleuses ou, à l’inverse, de polygamie de fait sans reconnaissances de paternité constituent des imbroglios dans la mesure où il n’y a pas de qualification juridique au regard du droit aux prestations. L’ouverture du droit est en effet conditionnée à l’isolement, cumulativement physique et économique. Il faut donc prouver que la personne ne vit pas seule, contrairement à ce qu’elle a déclaré, et qu’une partie de ses ressources provient de son concubin ou conjoint. Ce sont des situations qu’il est difficile de caractériser dans les faits, comme dans le droit. »
L’ensemble des contrôleurs entendus dans les caisses d’allocations familiales de l’Aisne, de Haute-Garonne et des Yvelines ont d’ailleurs fait part à la MECSS des difficultés rencontrées pour contrôler la situation d’isolement d’une personne : le contrôleur doit avoir, par exemple, suffisamment d’éléments pour distinguer une simple situation de cohabitation provisoire d’une situation de concubinage durable. Comme l’a affirmé un des contrôleurs rencontrés, la simple présence d’une brosse à dent dans une salle de bain ne permet pas de prouver que les personnes ont une vie maritale. L’appréciation est rendue d’autant plus difficile que des couples séparés ou divorcés vivent parfois sous le même toit pour des raisons économiques, notamment en raison de la hausse des prix de l’immobilier : il est alors particulièrement difficile de déterminer si le bénéficiaire de l’allocation est en situation d’isolement.
Le caractère complexe des dispositifs applicables facilite alors, la mission en est convaincue, la tâche des fraudeurs. Ainsi, certaines personnes vivant en couple déclarent pourtant habiter dans des domiciles séparés et inscrivent des adresses distinctes sur l’ensemble de leurs factures et papiers administratifs : il est, dès lors, particulièrement ardu pour les contrôleurs de la caisse d’allocations familiales de prouver qu’il y a une communauté de vie et que la personne ne vit pas au domicile indiqué.
Un rapport rédigé par une mission d’audit de modernisation commune à l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires sociales sur l’allocation de parent isolé (75) pointait déjà, en 2006, les lacunes de la réglementation dans ce domaine : « la condition d’isolement est peu précise, soumise à controverse et peut, par conséquent, induire des comportements frauduleux dans la mesure où la réalité de l’isolement est difficile à apprécier et à contrôler. Le contrôle de l’isolement absorbe une partie importante des ressources de la CNAF et demeure, en dépit des tentatives d’harmonisation de la CNAF, assez aléatoire puisqu’il s’agit d’apprécier une situation de fait difficile à cerner. » Les contrôleurs interrogés par la mission d’audit estimaient que le contrôle était réalisable et qu’ils avaient les moyens de déterminer la situation familiale de l’allocataire dans 75 %. Par conséquent, dans une situation sur quatre, la fraude était difficile à caractériser.
De surcroît, compte tenu du caractère imprécis de la notion d’isolement, chaque caisse d’allocations familiales caractérise la fraude selon la doctrine qu’elle a élaborée, ce qui se traduit par des différences de traitements des assurés sociaux selon les endroits comme en témoignent les différentes réponses transmises à la Cour des comptes par les caisses sur les conséquences de l’existence d’un domicile commun :
Définition de l’isolement dans les caisses d’allocations familiales
Oui |
Non |
Ne se prononce pas |
Nombre de réponses | |
Deux personnes vivant sous le même toit et disposant chacune de sa chambre sont-elles isolées ? |
44,6 % |
18,8 % |
36,6 % |
112 |
Source : Cour des comptes.
Le même constat peut être fait s’agissant de la réglementation relative aux conditions de ressources ou à celle qualifiant la condition de résidence. Le tableau figurant en annexe du présent rapport (76) montre la complexité de cette réglementation.
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (77) souligne : « l’ampleur des fraudes est accrue lorsque la réglementation est confuse ou que les référentiels sont difficiles à rendre opposables (…) Parmi bien d’autres possibles, un exemple a paru particulièrement significatif, puisqu’il concerne les trois branches : la définition des ressources. En l’état actuel de la réglementation, le recours à des définitions variées pour une même grandeur, les ressources, comporte deux conséquences fâcheuses : elle rend plus complexe et plus difficile le croisement des fichiers ; elle réduit l’intelligibilité des obligations déclaratives des bénéficiaires et partant l’appréciation de leur bonne foi en cas d’erreur ».
2. Une difficile conciliation de la lutte contre la fraude et de la simplification des procédures
a) Le caractère déclaratif du système social et le développement des procédures par internet facilitent la fraude
La mission constate que la volonté de simplification des formalités administrative peut aller à l’encontre de l’efficacité de la lutte contre la fraude.
En vertu du décret du 26 décembre 2000 (78), les usagers peuvent justifier de leur identité, de leur état civil, de leur situation familiale ou de leur nationalité française par la production ou l’envoi d’une simple photocopie lisible d’un document original. Or – c’est une évidence – les photocopies sont, plus aisément falsifiables que les originaux.
De même, la mission regrette la généralisation actuelle des procédures par courrier et des déclarations sur l’honneur. La suppression du face-à-face, elle en est convaincue, facilite la fraude. Ainsi, dans le cadre de la mise en place de la Carte Vitale 2, l’envoi de la photographie de l’assuré constitue une faille importante du dispositif puisque personne ne contrôle que la photographie envoyée correspond bien à l’assuré. La procédure va clairement à l’encontre du but poursuivi par la disposition prévoyant une photographie.
Lors de son audition par la MECSS, Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a fait le même constat (79) : « Quant aux déclarations sur l’honneur, elles ont longtemps été considérées comme un grand progrès simplifiant la vie des assurés, mais elles comportent des risques : on évalue à 40 % à 50 % la part des fraudes qui proviennent de la production de fausses pièces ou de fausses déclarations. Les textes ont certes été modifiés et permettent, depuis la loi de financement pour 2006, de suspendre le paiement des prestations dès lors que l’on soupçonne une fraude et que les pièces ne paraissent pas suffisamment probantes. Mais il n’est pas aisé pour les organismes de recourir à ce moyen. »
b) Une volonté de simplification terreau de la fraude
La volonté de simplification peut conduire à mettre en place des dispositifs « fraudogènes ». L’exemple du dispositif de carrière anticipée pour carrière longue est à nouveau tout à fait significatif à cet égard.
M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales, coauteur du rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances sur ce dispositif, auditionnée par la MECSS (80), a souligné ses lacunes : « Il était réellement " fraudogène ", c’est-à-dire si fragile, si peu contraignant et si incitatif à la fraude que c’est un miracle que les fraudeurs n’aient pas été plus nombreux. » Ainsi « au moment où les faits se sont produits, leurs auteurs ont pu, vu la faible rigueur du système, n’y voir que des " bons coups " à faire, un peu comme lorsqu’on réussit à éviter de payer au parcmètre ! »
De nombreuses personnes se sont inévitablement engouffrées dans la brèche laissée par ce dispositif, d’autant plus facilement qu’aucune procédure de face-à-face ou de contrôle de la crédibilité des témoignages nécessaires n’a été organisée.
M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a reconnu devant la MECSS la nécessité de mener une réflexion sur les procédures simplifiées qui conduisent à des dispositifs fraudogènes : « S’il est évident que la lutte contre les fraudes est une exigence pour la branche Vieillesse, la prévention des dispositifs " fraudogènes " n’en est pas moins importante. En effet, certains dispositifs qui ouvrent des droits à la retraite sont plus exposés que d’autres à la fraude, car les justificatifs qu’ils exigent consistent en une déclaration sur l’honneur ou des documents plus faciles à fabriquer que par le passé, comme les bulletins de salaire. Peut-être, les dispositifs législatifs et réglementaires devraient-ils évoluer en conséquence. » L’initiative de la caisse nationale d’assurance vieillesse de contrôler progressivement les droits et les bulletins de salaire des assurés tous les cinq ans devrait néanmoins limiter les fraudes dans ce domaine.
c) Une notion d’urgence facilement utilisée pour contourner la réglementation
Enfin, votre Rapporteur regrette un recours trop fréquent à la notion d’urgence pour contourner la réglementation : les caisses versent ainsi des prestations alors même que l’identité de la personne n’est pas certaine ou que le dossier ne présente pas toutes les pièces demandées.
Les différents déplacements effectués par la mission ont montré, par exemple, que l’attribution du revenu de solidarité active majoré (ancienne allocation de parent isolé) intervient en seulement quelques jours. Cette rapidité permet de répondre à des situations d’urgence, ce qu’il faut saluer. En revanche, des contrôles ultérieurs ne sont pas toujours effectués. La pratique des organismes de sécurité sociale de verser des prestations à un assuré alors qu’il n’a pas de numéro de sécurité sociale certifié est aussi un exemple significatif.
D. DES CAISSES TROP FAIBLES POUR LUTTER CONTRE LES FRAUDEURS
1. Un nombre de contrôleurs trop faible
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (81) souligne que les données sur les moyens humains consacrés à la lutte contre la fraude sociale sont très parcellaires : « la direction de la sécurité sociale ne dispose pas d’un recensement précis des personnels qui contribuent à la lutte contre la fraude aux prestations au sein des organismes. La DNLF a cherché à construire un indicateur sur ce point, sans véritablement parvenir encore, de son propre aveu, à rassembler une information fiable, en tout cas fondée sur des méthodes homogènes entre les différentes branches ou régimes. (…) La connaissance par les caisses nationales de la réalité des missions confiées dans les caisses locales aux agents est en outre partielle. »
Malgré ces réserves, une estimation des effectifs consacrés à la lutte contre la fraude peut être effectuée :
– s’agissant de la branche Maladie : au niveau national, une nouvelle direction chargée du contrôle contentieux et de la répression des fraudes comporte 39 équivalents temps plein. Les directions régionales du service médical comprennent 163,5 équivalents temps plein de praticien conseil et 208,5 équivalents temps plein de personnel administratif. Les caisses locales comprendraient 691 équivalents temps plein en charge de la lutte contre la fraude et du contentieux ;
– s’agissant de la branche Famille : au niveau national, la mission chargée de la prévention et de la répression des fraudes comprend quatre agents. Au niveau local, les caisses totalisent 605 contrôleurs, 240 correspondants « fraudes » et deux référents fraudes par caisse.
– s’agissant de la branche Vieillesse : les effectifs dédiés au contrôle antifraude étaient de 17 équivalents temps plein en 2009.
La mission considère que le nombre de contrôleurs dans les caisses locales est à l’évidence trop faible pour permettre un contrôle suffisant des bénéficiaires de prestations de sécurité sociale et que leur répartition n’est pas équilibrée sur l’ensemble du territoire.
À titre d’exemple, la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne comprend 13 contrôleurs pour plus de 250 000 allocataires, soit un contrôleur pour 19 200 allocataires, la caisse de l’Aisne comprend, quant à elle, un contrôleur pour 14 000 allocataires et celle des Ardennes un contrôleur pour 12 500 assurés. Ces effectifs sont clairement insuffisants si on considère que les prestations familiales nécessitent de privilégier les contrôles sur place. Le constat est le même pour les caisses primaires d’assurance-maladie. Ainsi la caisse primaire d’assurance-maladie de Haute-Garonne comprend deux agents enquêteurs pour faire les contrôles à domicile de 700 000 arrêts de travail annuels.
De même, lors de son audition par la MECSS, M. Jean-Marie Guerra, adjoint au directeur de la réglementation de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (82) a souligné le nombre insuffisant de contrôleurs face à la très forte augmentation du nombre d’auto-entrepreneurs intervenus ces dernières années : « le statut d’auto-entrepreneur nous pose problème en raison de son faible encadrement, qui rend les contrôles très difficiles. Nous avons procédé à des contrôles aléatoires, mais ils sont très chronophages. Nous manquons de moyens pour contrôler les 500 000 auto-entrepreneurs qui se sont déclarés en France. » Notons que, s’agissant des fraudes aux prélèvements, les inspecteurs du travail devraient jouer un rôle plus important dans la lutte contre le travail illégal, en liaison avec les contrôleurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
2. Des outils juridiques médiocres ou mal utilisés
Les médecins du contrôle médical des caisses primaires d’assurance maladie rencontrés lors des déplacements de la MECSS ont souligné qu’ils manquaient d’outils juridiques pour contrôler les médecins hyper-actifs. Il est, en effet, très difficile de prouver qu’il n’y a pas eu de consultation alors que celle-ci a été facturée car très souvent les malades soutiennent leur médecin et ne veulent pas témoigner contre lui lorsqu’une plainte a été déposée.
De même, lors de son audition par la MECSS, M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne (1) a indiqué qu’en matière de lutte contre le travail illégal, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale doivent respecter une procédure longue et précise qui laisse tout loisir aux entreprises de disparaître : « Si le recouvrement s’effectue dans des délais extrêmement rapides, les moyens dont nous disposons sont aussi encore limités : après l’établissement du procès-verbal et le chiffrage, le code de la sécurité sociale nous contraint d’envoyer tout d’abord à l’entreprise une lettre d’observation indiquant les constats effectués et le montant des cotisations redressées puis, après un mois, une mise en demeure et ce n’est que trente jours après que le directeur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) peut prendre un titre exécutoire contraignant, signifié par un huissier. Étant systématiquement confrontés à des oppositions à contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, nous devons en fait attendre un jugement qui ne survient à Paris qu’au bout de deux ans en moyenne – deux ans et demi pour le tribunal de Versailles – ce qui laisse tout le temps à l’entreprise pour s’évanouir dans la nature. »
3. Une interconnexion des fichiers imparfaite
L’interconnexion de fichiers est un moyen efficace de lutte contre la fraude : en effet, la comparaison, pour une même personne, des informations présentes dans les fichiers des différentes administrations et organismes de sécurité sociale, est de nature à détecter des anomalies ou des informations dissimulées.
La mission constate que des progrès importants ont été réalisés ces dernières années s’agissant de la création et des croisements de fichiers. Les mentalités ont changé sur ce sujet et l’interconnexion des fichiers est devenue un outil essentiel de lutte contre la fraude.
À cet égard, le répertoire national commun des assurés de la protection sociale créé par l’article 138 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, constitue une avancée majeure : il permettra aux organismes chargés d’un régime obligatoire de base, aux caisses assurant le service des congés payés et aux organismes servant des prestations chômage de vérifier, lors de l’instruction d’un dossier de prestation, les droits déjà ouverts pour d’autres prestations.
Ce répertoire est commun aux organismes chargés d’un régime obligatoire de base, aux caisses assurant le service des congés payés et aux organismes servant des prestations chômage. Il est ouvert :
– aux organismes de la branche Recouvrement dans le cadre de l’exercice de leurs missions, particulièrement celles touchant à la lutte contre le travail illégal ;
– aux collectivités territoriales ainsi qu’aux centres communaux d’action sociale dans le cadre de l’exercice de leurs compétences relatives à l’aide sociale.
Certains organismes sont chargés de mettre en commun leurs données et d’alimenter le répertoire national commun des assurés de la protection sociale (organismes dits « contributeurs »). Il s’agit :
– des organismes chargés d’un régime obligatoire de sécurité sociale ;
– des caisses assurant le service des congés payés ;
– Pôle emploi.
D’autres organismes n’ont qu’un accès en « consultation » au répertoire (organismes dits « lecteurs »). Il s’agit :
– des organismes de la branche Recouvrement (URSSAF) ;
– des collectivités territoriales et des centres communaux d’action sociale aux seules fins de vérifier les conditions d’accès à l’aide sociale.
L’administration fiscale n’est pas autorisée à consulter ce fichier.
Par ailleurs, les organismes de protection sociale ont bénéficié de l’accès à de nouveaux fichiers :
– la déclaration préalable à l’embauche (DPAE) de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui permet de contrôler la véracité des bulletins de paye produits ou l’absence d’une activité rémunérée non déclarée, a été accessible aux autres organismes de protection sociale à partir d’octobre 2008 ;
– l’ouverture de l’accès au système national de gestion des carrières (SNGC) de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés – qui permet de contrôler la véracité des bulletins de paye – à la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés, à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, à la Caisse nationale d’allocations familiales, à Pôle Emploi et à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a fait l’objet d’un dépôt de dossier auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en août 2009. Celle-ci a rendu un avis positif en 2010 ;
– le fichier des comptes bancaires (FICOBA) de la direction générale des finances publiques – qui permet de vérifier l’identité du titulaire du compte bancaire indiqué pour le versement des prestations et d’identifier les établissements bancaires détenant les comptes bancaires pour pouvoir exercer un droit de communication auprès de ces établissements – est ouvert à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, à la caisse nationale d’assurance vieillesse, au Régime sociale des indépendants et à la Caisse nationale des industries électriques et gazières à la suite d’une requête individualisée. Les ouvertures d’accès pour la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole et la Caisse nationale d’allocations familiales sont attendues prochainement.
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (83) dresse la liste des croisements de fichiers opérés ou en voie de l’être au bénéfice de chaque branche :
– s’agissant de la branche Maladie : plusieurs croisements de fichiers sont envisagés mais ne sont pas encore opérationnels. Les caisses vont bénéficier d’une liste établie par les services fiscaux recensant les personnes qui ont déclaré ne plus vivre en France (84) afin qu’elles ne bénéficient simultanément pas de prestations versées sous condition de résidence (couverture maladie universelle, couverture maladie universelle complémentaire). De même, une expérimentation est menée dans quatre caisses primaires d’assurance maladie leur permettant d’avoir accès aux ressources déclarées à l’administration fiscale afin de vérifier la concordance avec les éléments déclarés à la branche Maladie. Est également envisagé un autre échange relatif aux fraudes potentielles concernant les retraités de quatre-vingt-cinq ans et plus qui seraient bénéficiaires d’une ouverture de rente accident du travail ;
– s’agissant de la branche Vieillesse : un croisement avec les services fiscaux est envisagé sur les données relatives à la résidence, notamment pour contrôler les bénéficiaires du minimum vieillesse. Le décret n’a cependant pas encore été adopté. Un autre échange avec les services fiscaux concernera la comparaison entre les taux différenciés de la contribution sociale généralisée (CSG) due sur les pensions et les bénéficiaires des minima de pension ;
– s’agissant de la branche Famille : les données relatives aux revenus font l’objet d’un croisement avec celles de Pôle emploi en vue de l’appréciation des revenus pour le calcul du revenu de solidarité active et les données relatives à la résidence font l’objet d’un échange avec la direction générale des finances publiques. Plusieurs traitements sont envisagés : le premier permettrait aux caisses d’allocations familiales d’avoir des informations sur les enfants ou adolescents en décrochage scolaire ou ceux ne séjournant pas sur le territoire français, le second permettrait d’avoir accès aux fichiers de la direction générale des finances publiques pour vérifier la réalité du bail en cas d’octroi d’aides au logement et le dernier croisement avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés permettrait de vérifier que les revenus déclarés à la Caisse nationale d’allocations familiales intègrent bien les indemnités journalières et les pensions d’invalidité.
Si des progrès réels ont été réalisés, le développement de l’interconnexion des fichiers présente pourtant plusieurs lacunes.
La première est la complexité des relations avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Les organismes de sécurité sociale ont, en premier lieu, le sentiment qu’elle est réticente au développement des croisements de fichiers. Lors de son audition par la MECSS, M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires (85), a ainsi souligné les réserves qu’il avait constatées lorsqu’il était directeur de la Caisse nationale des allocations familiales : « Il est très difficile de convaincre la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – ou le Parlement – sans éléments de nature à prouver l’utilité d’une interconnexion. Pour des raisons liées aux libertés publiques, il existe – à tort ou à raison, je ne me prononce pas sur le fond – une volonté de ne pas trop multiplier les interconnexions. Nous n’avons sans doute pas suffisamment fait apparaître les progrès à attendre des interconnexions. »
Les organismes de sécurité sociale rencontrent des difficultés pour savoir quelle procédure ils doivent adopter (suivi, notification, autorisation formelle…). La direction de la sécurité sociale a décidé de mettre en place un tableau de bord de suivi des projets en collaboration avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Mais ce travail n’a pas encore abouti. Lors de son audition par la MECSS, Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a constaté (86) : « Pour autant, tout n’est pas idyllique. Le dispositif est complexe, la CNIL fait peur et les organismes craignent toujours d’être en infraction. On a l’impression qu’ils ne savent jamais très bien s’ils sont dans une procédure de demande d’avis, d’avis tacite, d’autorisation tacite ou d’autorisation expresse. Les caisses s’abriteraient-elles derrière la CNIL pour ne pas avancer ? Le problème vient-il du flou qui entoure les exigences de la CNIL ? Sans doute y a-t-il un peu des deux. Quoi qu’il en soit, il serait bon que, sous l’égide de la direction de la sécurité sociale ou de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, un point soit fait périodiquement avec la CNIL sur les demandes des caisses, afin de dissiper les malentendus. » Une clarification de la doctrine de la commission apparaît donc nécessaire pour mettre fin aux mauvaises interprétations des organismes de la sécurité sociale.
La deuxième lacune est le retard pris dans pour la mise en place de certains fichiers. La mission regrette, à nouveau, que le répertoire national commun des assurés de la protection sociale ne soit pas encore opérationnel et que l’accès des organismes de sécurité sociale au fichier AGDREF ait pris un tel retard. Votre Rapporteur considère comme invraisemblable que les organismes de sécurité sociale continuent à verser des prestations sociales à des personnes ne résidant plus en France et dont le départ, volontaire ou non, a été enregistré par les autorités française. La MECSS souhaite cependant qu’une étude sur ce sujet soit effectuée pour mesurer l’ampleur exacte du problème.
Enfin, la troisième lacune de ce dispositif est son caractère incomplet. S’agissant, par exemple de la lutte contre le travail illégal, certains croisements mériteraient d’être automatisés. M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne (87) a constaté « Les relations avec les services fiscaux sont bonnes, mais fonctionnent sur un mode archaïque car elles se font sous forme papier ou par déplacement physique des personnes. Il faudrait moderniser les procédures, d’autant que nous travaillons ensemble au sein des comités opérationnels départementaux anti-fraude. » Les différents contrôleurs rencontrés lors des déplacements de la MECSS ont d’ailleurs aussi fait part des difficultés rencontrées pour avoir accès rapidement et facilement à des données fiscales.
E. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE ET DE SANCTION LACUNAIRE
Si différentes actions ont été mises en place pour développer une politique de lutte contre la fraude, la mission constate que les contrôles restent trop peu développés pour permettre de détecter un nombre important de fraudeurs et que les sanctions restent trop rares pour changer les comportements.
1. Des contrôles déficients sur les assurés et les entreprises
a) Des bénéficiaires peu contrôlés
La mission est convaincue que le nombre de contrôles sur les assurés et les entreprises reste trop faible pour avoir un réel effet préventif. Trois exemples sont significatifs : les contrôles sur le revenu de solidarité active majoré, les contrôles sur les arrêts de travail et les contrôles sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
● Les contrôles sur le revenu de solidarité active majoré
Le revenu de solidarité active majoré fait partie des prestations les plus fraudées de la branche Famille. Ainsi, l’évaluation menée par la Caisse nationale d’allocation familiale sur la fraude a montré que le taux de fraude pour cette allocation était estimé à 3,1 %.
Le rapport de la mission d’audit de modernisation sur l’allocation de parent isolé notait, en 2006, les insuffisances des contrôles réalisés sur les bénéficiaires de cette allocation. Il relevait la diversité des pratiques des caisses d’allocations familiales, notamment pour la définition des fraudes. La mission d’audit constatait ainsi dans les caisses d’allocations familiales visitées que la découverte du concubinage non déclaré d’un allocataire ne donnait lieu qu’exceptionnellement à plainte. De même, la découverte d’une pension alimentaire non déclarée, alors que l’omission était manifestement volontaire, pouvait se limiter à un indu, sans usage à ce stade des pénalités administratives. Cette marge d’interprétation explique la très grande variabilité du nombre de fraudes détectées selon les caisses : sur les 583 actes frauduleux relevés en 2005 par la Caisse nationale d’allocations familiales, plus de la moitié a été détectée par huit caisses d’allocation familiales, 44 caisses ne signalant en revanche aucune fraude et 36, une à deux fraudes.
● Les contrôles sur les arrêts de travail.
L’augmentation importante du nombre d’arrêts de travail en France peut laisser entendre un certain relâchement dans leur contrôle.
En 2009, avec près de 6 milliards d’euros pour le régime général, les dépenses d’indemnités journalières représentent 10 % de l’ensemble des dépenses de soins de ville. En 2010, les dépenses d’indemnités journalières ont encore progressé de 4,4 %. Comme le montre le tableau suivant, ces dépenses connaissent une forte croissance depuis 2007.
Évolution des remboursements d’indemnités journalières
2006 |
2007 |
2008 |
2009 | |
Montant des indemnités journalières (en millions d’euros) | ||||
Indemnités de courte durée |
3 040 |
3 190 |
3 387 |
3 511 |
Indemnités de longue durée |
2 193 |
2 194 |
2290 |
2 445 |
Total |
5 232 |
5 384 |
5 678 |
5 956 |
Taux d’évolution (en %) | ||||
Indemnités de courte durée |
– 0,4 |
4,9 |
6,2 |
3,7 |
Indemnités de longue durée |
– 3,9 |
0,1 |
4,4 |
6,7 |
Total indemnités journalières |
– 1,9 |
2,9 |
5,4 |
4,9 |
Source : Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), direction de la sécurité sociale.
Certes, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a intensifié les contrôles portant sur les assurés en rendant systématique le contrôle des arrêts de travail de plus de quarante-cinq jours consécutifs et en multipliant les contrôles ciblés sur les assurés qui totalisent plus de trois arrêts de travail inférieurs à quinze jours au cours des douze derniers mois. En 2008, 1,5 million de contrôles a été réalisé, plus de 285 000 contrôles pour les salariés en arrêts de courte durée et près de 1,2 million de contrôles pour les arrêts supérieurs à quarante-cinq jours. Près de 170 000 arrêts de travail ont reçu un avis défavorable des médecins de la Sécurité sociale.
Les contrôles plus fréquents avaient largement expliqué le mouvement de reflux des arrêts de travail entre 2004 et 2006. En effet, une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés sur les déterminants de l’évolution des indemnités journalières (88) a clairement montré le lien entre l’évolution des indemnités journalières et l’intensité des contrôles menés sur les assurés. S’agissant de la baisse constatée des dépenses d’indemnités journalières entre 2003 et 2005, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés constate ainsi que « le facteur explicatif essentiel est le renforcement de la politique de contrôle par les caisses à compter d’avril 2003, amplifiée en 2004 et 2005 (…), et relayée par l’inscription de cet objectif dans la convention médicale de 2005. »
Par ailleurs, une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie sur les disparités géographiques de consommation d’indemnités journalières maladie (89) a ainsi montré qu’entre départements la consommation moyenne d’indemnités journalières varie de 1 à 2 pour les arrêts de moins de trois mois et de 1 à 4 pour les arrêts de plus de trois mois. Cette étude montre que l’intensité des contrôles réalisés localement constitue un des facteurs explicatifs de ces inégalités.
Cependant ces contrôles ne sont plus aujourd’hui suffisants pour inverser la tendance. Ainsi, les disparités d’arrêts de travail entre les professions et selon les zones géographiques témoignent d’une intensification inégale de ces contrôles.
La question du contrôle des arrêts de travail se pose aussi dans la fonction publique. Même si les règles d’indemnisation des arrêts maladie des fonctionnaires sont fixées par le statut de chacune des trois fonctions publiques et sont distinctes de celles prévues pour les salariés. Si des modalités particulières de contrôle des arrêts de travail sont également prévues par le statut de la fonction publique, ce contrôle est dans les faits peu opérationnel. Par exemple, une note de conjoncture réalisée par Dexia Sofap, montre une augmentation importante des arrêts de travail dans la fonction publique territoriale : le nombre de fonctionnaires en arrêt maladie a augmenté de 10 % depuis 2007 et la durée moyenne des arrêts maladie est passée de 17 jours en 2001, à 22 jours en 2009 et 22,6 jours en 2010. À titre de comparaison, le nombre moyen d’arrêts de travail en France est de 14,5 jours en 2010 (90).
La faiblesse des contrôles explique en grande partie, votre Rapporteur en est convaincu, la particularité française en matière d’arrêt de travail. Ainsi une étude émanant de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail et publiée en 2007 (91) permet de comparer la France aux autres pays européens. Elle fait état d’un surcroît d’absentéisme en France. Un échantillon de 30 000 personnes a été constitué, dont 1 000 en France, auxquelles était soumis un questionnaire portant sur divers aspects de leurs conditions de travail. Il en ressortait qu’en France, dans l’année précédant le sondage, le nombre moyen d’arrêts maladie était de 5,5 jours par travailleur et que 19,4 % des travailleurs avaient été absents pour maladie pendant en moyenne 29 jours. Les mêmes données pour l’Europe montraient que si le nombre de travailleurs ayant été vingt jours en arrêts maladie était de 23 %, en revanche, le nombre moyen d’arrêts maladie était de 4,6 jours par travailleur.
● Les contrôles sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées
Les contrôles réalisés sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées montrent que de réels progrès ont été réalisés ces dernières années.
Rappelons que l’allocation de solidarité aux personnes âgées constitue un montant minimum de pension de vieillesse accordé, sous condition de ressources, aux personnes qui n’ont pas suffisamment cotisé aux régimes de retraite pour pouvoir bénéficier d’un revenu d’existence à l’âge de la retraite. Pour bénéficier de cette allocation, le décret du 14 mars 2007 (92) prévoit que le demandeur doit résider régulièrement en France, c’est-à-dire qu’il doit avoir son domicile principal ou son lieu de séjour principal en France ou séjourner plus de 180 jours en France au cours de l’année civile de versement de l’allocation, comme le prévoit le décret du 14 mars 2007. Les personnes étrangères doivent, en outre, détenir un titre de séjour en cours de validité à la date d’effet de l’allocation.
Lors de son audition par la MECSS (93), Mme Anne-Sophie Grave, directrice des retraites de la Caisse des dépôts et consignations (94) a indiqué qu’en 2010, parmi les 70 000 personnes qui ont bénéficié de cette allocation sans avoir cotisé, 22 735 bénéficiaires étaient étrangères et non ressortissants de l’Union européenne.
L’idée largement répandue que des personnes arrivant sur le territoire français bénéficient immédiatement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sans n’avoir jamais travaillé est fausse car une des conditions d’ouverture du droit à cette allocation pour les étrangers est justement d’être titulaire depuis au moins cinq ans d’un titre de séjour autorisant à travailler. Par exception, cette condition n’est pas applicable aux personnes sous protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) (95) ainsi qu’aux détenteurs d’une carte de résident ou d’un certificat de résidence pour Algérien de dix ans. Ainsi, la durée moyenne du séjour au moment de l’ouverture du droit en 2010 est de dix ans et huit mois. Au 31 mars 2011, seuls 213 étrangers non ressortissants de l’Union européenne étaient bénéficiaires de cette allocation depuis moins de six mois et 471 étaient bénéficiaires de cette allocation pour une durée comprise entre six mois et un an. Ces chiffres restent donc très limités.
Le respect de la condition de résidence est effectivement contrôlé. Mme Anne-Sophie Grave, directrice des retraites de la Caisse des dépôts et consignations a indiqué à la MECSS (2) : « au moment du dépôt de la demande, les conditions d’ouverture du droit font l’objet de vérifications. En 2010, nous avons ainsi été amenés à rejeter 4 300 dossiers. Nous contrôlons également le maintien des conditions d’attribution, en particulier la stabilité de la résidence, qui est d’au moins 180 jours de présence sur le territoire français. En 2010, ces contrôles ont donné lieu à 7 800 suspensions de droits, qui ont abouti à 2 200 annulations de droits. » Elle a précisé que 700 annulations concernaient la condition de résidence et que 30 000 dossiers étaient contrôlés chaque année.
La mission constate les progrès réalisés. Le décret du 14 mars 2007 a constitué la base juridique nécessaire au développement des contrôles. Elle regrette néanmoins que ces contrôles soient simplement des contrôles sur pièces et non des contrôles sur place.
La mission constate aussi les pratiques très hétérogènes en matière de lutte contre la fraude entre les organismes de protection sociale.
La disparité des pratiques des caisses d’allocations familiales en matière de visite à domicile constitue un exemple significatif. En effet, une lettre de la Caisse nationale d’allocations familiales du 19 novembre 2007 indique que le principe est de ne plus prévenir les assurés lors des visites à domicile. Les déplacements effectués par la mission dans différentes caisses d’allocations familiales ont montré que si le principe du caractère inopiné de la visite semblait adopté, les assurés étaient encore prévenus dans certains cas et alors même que cela diminuait l’intérêt de la visite.
La pratique de la visite domiciliaire semble connaître d’importantes variations d’une caisse à l’autre, comme en témoigne le tableau ci-dessous.
Densité et activité des contrôleurs des caisses d’allocations familiales
Moyenne |
Maximum |
Minimum |
Écart type | |
Quel est le taux de contrôleurs au 31/12/2007 dans votre CAF pour 10 000 allocataires ? |
0,53 |
1,2 |
0,26 |
0,17 |
Combien chacun d’entre eux a-t-il réalisé de visites domiciliaires et/ou de contrôle sur place en 2007 ? |
569 |
1 162 |
154 |
173 |
Source : Cour des comptes
L’attribution de l’allocation pour adulte handicapé montre aussi d’importantes disparités locales.
Le rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sur les conditions d’attributions de l’allocation pour adulte handicapé (96) montre de grandes disparités géographiques dans l’attribution de celle-ci. En effet, le taux de demande pour mille habitants varie de 3 à 16 selon les départements, la moyenne se situant à 10 pour mille. Le taux de bénéficiaires pour 1 000 habitants âgés de 20 à 59 ans s’échelonne, en 2007, selon les départements, de 11,6 à 54,8, soit un rapport de 1 à 4,7. Le taux d’attribution de l’allocation (premières demandes et renouvellements confondus) varie enfin de 50 % à 84 % selon les départements, alors que le taux moyen est de l’ordre de 70 %.
Selon cette étude, les facteurs objectifs d’ordre socio-économique (97) expliqueraient les deux tiers des écarts constatés dans les taux d’attribution de cette allocation. Il résulte de ce constat que les divergences de pratiques des maisons départementales des personnes handicapées y contribueraient pour au moins un tiers.
La Cour des comptes, dans un rapport sur l’évolution de la charge de financement de l’allocation aux adultes handicapés (98) constate : « différentes mesures d’harmonisation des pratiques ont été prises, afin d’assurer l’égalité de traitement des dossiers. Néanmoins, des disparités territoriales importantes de taux d’attribution demeurent et ne sont qu’en partie expliquées par les données socio-économiques locales, au premier chef, la disparité des taux de demandes. »
La mission considère que ces disparités régionales sont anormales : elles témoignent de pratiques différentes des maisons départementales des personnes handicapées. La MECSS a d’ailleurs prévu de s’intéresser dans une prochaine mission à ces disparités afin de mieux en appréhender les causes. De règles nationales pour l’attribution de l’allocation sont indispensables.
c) Une procédure d’obtention d’un numéro de sécurité sociale pour les personnes nées à l’étranger inadaptée et peu sécurisée sur le plan juridique
Les décrets n° 82-103 du 22 janvier 1982 et n° 92-92 du 18 février 1988 relatifs au répertoire national des personnes physiques géré par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) prévoient que sont inscrites dans ce répertoire les personnes nées sur le territoire français. Peuvent être également inscrites en tant que de besoin, les personnes nées à l’étranger. Un numéro d’inscription au répertoire (NIR) est constitué et attribué à chaque personne inscrite. Le protocole d’accord 69/510 du 25 juin 1987 entre la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et le ministère de l’économie et des finances a précisé que le numéro de sécurité sociale est le NIR et a précisé que l’INSEE déléguait à la caisse nationale d’assurance vieillesse l’attribution de ce numéro pour les personnes nées hors de France. La plupart des spécialistes entendus par la MECSS, s’accordent sur le fait qu’un simple protocole constitue une base juridique incertaine et qu’il serait préférable qu’un texte de loi désigne l’organisme compétent en matière d’attribution des numéros de sécurité sociale.
Ainsi, il existe deux procédures :
– pour les personnes nées en France, la mairie du lieu de naissance envoie l’extrait d’acte de naissance à l’INSEE. Ainsi, elles bénéficient d’une immatriculation, et donc d’un numéro de sécurité sociale (NIR) ;
– pour les personnes nées à l’étranger, l’attribution du NIR est effectuée par un service de la caisse nationale d’assurance vieillesse, à Tours, le service administratif national d’identification des assurés (SANDIA) qui est saisi par les organismes de sécurité sociale (caisses primaires d’assurance maladie ou caisses d’allocations familiale).
La procédure d’attribution du numéro d’inscription au répertoire pose, selon la mission, deux problèmes :
– Le premier est que la nécessité d’une mise en commun d’un identifiant a conduit à instaurer un numéro d’identifiant d’attente (NIA) pour les personnes pour lesquelles il n’était pas possible de procéder à une certification, sans que les conditions de gestion et les conséquences du NIA au regard des prestations ne soient précisées. Or, il n’est parfois pas possible, au regard de la situation de l’assuré, de transformer le numéro d’identifiant d’attente en numéro d’inscription au répertoire et il n’existe pas de durée de validité d’un NIA. Or, l’attribution d’un NIA ne suspend en rien l’attribution de prestations en nature ou d’allocations.
Ce problème a été soulevé devant la MECSS par la directrice juridique et de la réglementation nationale de la caisse nationale d’assurance vieillesse, Mme Annie Rosès (99) : « En notre qualité de gestionnaire de ce fichier, nous attribuons les numéros d’inscription au répertoire (NIR) et, dans certains cas, on peut s’interroger sur la validité des pièces, notamment venues de l’étranger. Conformément au décret, aussi longtemps que nous ne disposons pas des pièces corroborant l’état civil, nous attribuons au demandeur un numéro identifiant d’attente (NIA) afin qu’il ne soit pas privé de droits aux soins, ni de prestations familiales. Nous souhaitons que la validité du numéro identifiant d’attente (NIA) soit limitée dans le temps : ainsi, soit les pièces demandées seront fournies et le numéro identifiant d’attente (NIA) sera transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR), soit elles ne le seront pas et l’on en tirera les conséquences qui s’imposent en suspendant les prestations. »
Ces cas ne sont malheureusement pas exceptionnels. À titre d’exemple, environ 400 NIR de la caisse d’allocation familiales de Haute-Garonne n’ont pu être certifiés et 745 de la caisse de l’Aisne.
– Le second problème est que les modalités d’attribution du NIR ne sont pas sécurisées et que les contrôles effectués sont insuffisants. Aucune présence physique n’est exigée actuellement et la création d’identifiants est autorisée sur simple présentation de photocopies.
Lors d’un déplacement dans les locaux du service administratif national d’identification des assurés, la mission a pu constater qu’il ne disposait ni des personnels, ni des moyens nécessaires pour opérer un contrôle approfondi des extraits d’acte de naissance. Un contrôle est opéré sur le contenu de l’acte, la mention de certaines informations, l’existence d’un cachet officiel, mais ces contrôles ne sont pas assez approfondis pour permettre de détecter un faux document.
Ce constat a été aussi celui de M. Geoffroy Fougeray, chargés de mission à la délégation nationale de lutte contre la fraude, lors de son audition par la MECSS (100) : « le service national d’identification des assurés (SANDIA) travaille depuis Tours sur l’un des documents les moins sécurisés, l’extrait d’acte de naissance : il peut immatriculer quelqu’un sur la base d’un acte de naissance sans savoir si la traduction effectuée dans un pays tiers est de bonne qualité, si l’extrait de naissance appartient bien à la personne en question ou s’il n’a pas été acheté, volé, voire si la personne n’en a pas plusieurs… Théoriquement, c’est aux caisses de vérifier, pour l’ouverture des droits, l’identité des personnes, mais la très grande majorité de leurs agents ne sont pas formés, sachant en outre que le décret de 2000 relatif à la simplification des actes administratifs prévoit la fourniture de photocopies, ce qui crée une autre difficulté. »
2. Des contrôles sur les assurés percevant des prestations à l’étranger quasiment inexistants
La part des bénéficiaires de pensions de retraite françaises qui résident à l’étranger est de 10 %, dont près de la moitié résident en Europe et plus de 40 % résident au Maghreb. Plus de 1 million de personnes perçoivent ainsi une pension de retraite à l’étranger.
En France, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés bénéficie d’une remontée automatique des informations transmises par les mairies en cas de décès via les fichiers de l’Institut national de la statistique et des études économiques. À l’étranger, le dispositif repose sur les certificats d’existence, qui permettent de contrôler le lieu de résidence de l’assuré ainsi que son existence ; ce certificat est obligatoire lors du premier paiement à l’étranger, puis il est régulièrement demandé à l’assuré. Le certificat doit être visé par les autorités administratives compétentes, dont une liste a été établie.
Suivant la situation géopolitique des 233 pays dans lesquels la caisse nationale d’assurance vieillesse verse des retraites, le certificat d’existence est demandé tous les ans, tous les six mois ou tous les trois mois. Il est ensuite examiné par un technicien des services compétents. En l’absence de communication du document dans un délai de deux mois, le paiement est automatiquement suspendu. D’autres moyens permettent aussi à la caisse nationale d’assurance vieillesse d’avoir connaissance des décès survenus à l’étranger : dans un certain nombre de cas, les plus fréquents, le certificat de décès est adressé par la famille de l’assuré. La caisse nationale d’assurance vieillesse est aussi informée par l’intermédiaire de ses correspondants bancaires, qui sont tenus de signaler les décès dont ils ont connaissance.
Cependant, il apparaît que le certificat de vie est aisément falsifiable et que les contrôles sur les assurés sont, de facto, très rares.
La Cour des comptes a comparé les âges de décès des pensionnés en fonction de leur pays de résidence en retenant un échantillon de cinq pays dans lesquels les pensionnés percevant des pensions de retraite françaises sont nombreux – l’Algérie, l’Espagne, le Maroc, le Portugal et la Tunisie – et a constaté que « les pensionnés nés en Algérie meurent plus tardivement que ceux des autres pays de l’échantillon (à l’exception de la France elle-même), sans que l’âge de la population pensionnée ni sa structure par sexe ne puissent l’expliquer, au contraire. La structure par âge des décédés comporte également des anomalies. La part des décès des pensionnés résidant en Algérie survenue après 90 ans et après 100 paraît supérieure à celle observée dans les autres pays du Maghreb. (…) »
La cour reconnaît que ces atypies ne permettent pas à elles seules de conclure que des paiements significatifs sont effectués à des personnes décédées résidant en Algérie, néanmoins certains éléments, notamment le fait que le nombre de centenaires pensionnés du régime général en Algérie soit, selon la direction de la sécurité sociale, supérieur à celui de l’ensemble des centenaires recensés dans tout le pays par les services chargés du renseignement, l’incitent à recommander des contrôles renforcés et des analyses statistiques plus approfondies.
Les données transmises par la caisse nationale d’assurance vieillesse à la mission laissent à penser néanmoins que ce problème porte sur un nombre limité de personnes et que le nombre de centenaires résidant en Algérie et percevant une pension de retraite reste comparable à celui constaté en France.
En effet, en 2010, comme le montre le tableau ci-après, la caisse nationale d’assurance vieillesse verse des pensions de retraite à 539 centenaires en Algérie pour un total de 443 621 pensionnés percevant une pension de retraite de la caisse nationale d’assurance vieillesse, soit 0,12 % du total, alors que la France compte 13 072 centenaires, soit 0,11 % du nombre total de pensionnés.
Comparaison des retraités résidant en Algérie et en France
2008 |
2009 |
2010 | ||||||||
Nombre de centenaires |
Nombre de résidents |
% de centenaires |
Nombre de centenaires |
Nombre de résidents |
% de centenaires |
Nombre de centenaires |
Nombre de résidents |
% de centenaires | ||
Algérie |
Hommes |
171 |
255 535 |
0,07 % |
203 |
254 071 |
0,08 % |
218 |
251 232 |
0,09 % |
Femmes |
270 |
180 737 |
0,15 % |
271 |
187 187 |
0,14 % |
321 |
192 389 |
0,17 % | |
Total |
441 |
436 272 |
0,10 % |
474 |
441 258 |
0,11 % |
539 |
443 621 |
0,12 % | |
France |
Hommes |
1 264 |
4 892 055 |
0,03 % |
1 434 |
5 002 97 |
0,03 % |
1 575 |
5 134 149 |
0,03 % |
Femmes |
9 260 |
6 165 086 |
0,15 % |
10 416 |
3 338 610 |
0,16 % |
11 497 |
6 515 988 |
0,18 % | |
Total |
10 524 |
11 057 141 |
0,10 % |
11 850 |
11341 587 |
0,10 % |
13 072 |
11 650 137 |
0,11 % |
Source : caisse nationale d’assurance vieillesse
Par ailleurs, chaque année, entre 2008 et 2010, plus d’une centaine de décès de centenaires résidant en Algérie sont déclarés et, en 2008, tous âges confondus 17 578 décès ont été enregistrés.
Nombre de décès de centenaires résidant en Algérie
2008 |
2009 |
2010 | |
Hommes |
61 |
47 |
62 |
Femmes |
56 |
60 |
61 |
Total |
117 |
107 |
123 |
Source : caisse nationale d’assurance vieillesse.
Selon les données transmises par la caisse nationale d’assurance vieillesse, le différentiel de mortalité entre la France et l’Algérie fait ressortir un écart financier de l’ordre de 7,9 millions d’euros.
Écart de la mortalité des résidents en France et en Algérie
Effectifs |
Décès constatés |
Décès théoriques |
Écart du nombre de décès entre la France et l’Algérie |
Pension moyenne |
Écarts de masse | |
Hommes |
259 463 |
11 107 |
10 306 |
801 |
265 |
2 484 096 |
Femmes |
161 316 |
6 239 |
4 266 |
1 973 |
226 |
5 410 474 |
Source : caisse nationale d’assurance vieillesse.
Votre Rapporteur considère que même si ces données ne montrent qu’un écart de mortalité limité, l’existence même de ce « décalage » démographique laisse supposer des fraudes et met en lumière l’insuffisance des contrôles exercés sur les pensionnés résidant à l’étranger.
Une telle politique est d’ailleurs en train d’être mise en place par la Grèce. Mme Louka Katseli, ministre du travail de ce pays, a ainsi indiqué que des recoupements statistiques avaient révélé que des pensions étaient versées à 4 500 fonctionnaires pourtant décédés et que des contrôles approfondis des centenaires percevant une pension de retraite sur le territoire national seraient bientôt mis en place. (101)
3. Des contrôles internes insuffisants pour lutter contre les complicités
Dans le cadre de sa mission de certification des comptes des régimes de sécurité sociale, la Cour des comptes a pu souligner les insuffisances du contrôle interne dans l’ensemble des branches du régime général (102). Ces insuffisances avaient d’ailleurs conduit la Cour des comptes à émettre des réserves sur la certification des comptes sur l’exercice 2008.
Par ailleurs, l’exemple de la fraude au dispositif de départ anticipée pour carrière longue a montré que, dans certains cas, les agents des organismes de sécurité sociale étaient parfois complices ou auteur de fraudes. Le directeur de la caisse nationale d’assurance vieillesse a reconnu devant la MECSS (103) que, parmi 1 200 dossiers faisant l’objet de suspicions, 130 agents étaient suspectés. Si ces informations ne concernent que des « suspicions », votre Rapporteur considère néanmoins que la fraude interne n’est pas restée marginale. Or, seuls six licenciements ont été prononcés.
4. Des sanctions peu dissuasives
a) Des sanctions administratives encore trop rarement prononcées
La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (104) a institué pour la branche Maladie un ensemble de sanctions administratives à l’encontre des fraudeurs (avertissement, mise en garde, mise sous accord préalable, pénalités financières….). L’article 115 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a amélioré la procédure des pénalités financières dans la branche Maladie afin de rendre le dispositif plus efficace, plus souple et plus dissuasif. Ces nouvelles pénalités ont été étendues aux branches Vieillesse et Famille par la loi du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 (105) et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (106) a apporté quelques corrections à ce dispositif de pénalités afin d’intégrer de nouveaux faits générateurs, d’étendre le champ des personnes susceptibles de se voir infliger une pénalité (en particulier les bailleurs) tout en allégeant la procédure.
Les organismes de sécurité sociale disposent donc désormais d’une gamme de sanctions graduées : avertissement et mise en garde, mise sous accord préalable pour les professionnels de santé, pénalités financières pour les cas de « petites » fraudes aux prestations ou les abus persistants. Cinq dispositifs de pénalités financières existent désormais : deux dispositifs généraux sur les prestations servies par les caisses d’allocations familiales et les organismes d’assurance vieillesse et sur les prestations maladie-maternité-invalidité-accident du travail servies par les organismes d’assurance maladie et trois dispositifs spécifiques sur les prestations en espèces, sur le revenu de solidarité active, et pour les établissements de santé soumis à la tarification à l’activité.
Pourtant, la mission constate que le nombre de sanctions administratives infligées reste faible et que ces procédures, pourtant plus simples que la procédure pénale, sont peu utilisées.
Au sein de la branche Vieillesse, 8 pénalités financières ont été prononcées en 2008 contre 33 plaintes pénales. Seules 27 pénalités financières ont été prononcées en 2010.
La progression du nombre de sanctions prononcées au sein de la branche Famille ne doit pas cacher leur insuffisance par rapport au nombre de fraudes détectées. Lors de son audition par la MECSS, M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales (107), a indiqué que sur les 11 733 cas de fraude détectés en 2009, 9 410 – soient 80 % – ont fait l’objet de sanctions. 1 869 pénalités ont été prononcées en 2009 (contre 100 en 2007), pour un montant total de 1,1 million d’euros et un montant moyen de 589 euros.
Avec 201 pénalités prononcées en 2007 et 521 en 2008, la branche Maladie montre une progression des pénalités prononcées, mais leur nombre reste excessivement faible.
Nombre de pénalités prononcées et montant selon l’acteur concerné
2007 |
2008 |
Montant moyen 2008 | |
Assurés |
108 |
310 |
1 515 |
Professionnels de santé |
82 |
200 |
605 |
Employeurs |
6 |
8 |
3 445 |
Établissements de santé |
5 |
3 |
1 833 |
Total |
201 |
521 |
– |
Source : Cour des comptes.
Pour prendre la mesure du faible nombre de sanctions prononcées à l’encontre des professionnels de santé, il suffit de le rapporter au recensement des médecins « hyperactif » effectué par la cour des comptes. Rappelons que selon la Cour des comptes, 120 médecins en facturent plus de 18 000 consultations par an. Les médecins du contrôle médical rencontrés lors des déplacements de la MECSS ont d’ailleurs souligné le caractère peu dissuasif des sanctions financières prononcées dans ces situations par rapport aux revenus des professionnels de santé concernés.
b) Des sanctions ordinales insuffisantes
L’article L. 145-1 du code de la sécurité sociale dispose que les fraudes commises par les professionnels de santé sont également justiciables devant la section des assurances sociales du Conseil de l’ordre des médecins.
Cependant, comme l’ont montré les auditions par la MECSS des représentants de l’ordre des médecins et celui des pharmaciens, les sanctions ordinales prononcées à l’encontre des médecins et des pharmaciens, restent rares. Selon la Cour des comptes, les plaintes ordinales ne représentaient en 2006 qu’un peu plus de 10 % des fraudes constatées la même année et les sanctions infligées restent souvent peu dissuasives.
Ainsi, les informations transmises à la mission par l’Ordre national des pharmaciens montrent que seuls vingt-quatre pharmaciens ont été poursuivis devant les sections des assurances sociales des conseils régionaux de l’ordre en 2009 et 18 pharmaciens en 2010. De même, M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins (108), a reconnu devant la MECSS le faible nombre de sanctions prononcées à l’encontre de médecins : « En 2010, la section des assurances sociales a enregistré 208 saisines en première instance et 132 en appel. Auprès des sections disciplinaires, il est plus difficile d’identifier les véritables griefs ; les statistiques font toutefois ressortir 60 ou 70 cas sur 1 200 plaintes disciplinaires enregistrées chaque année en première instance. Cela peut paraître peu au regard des 90 000 médecins libéraux et des 55 000 médecins hospitaliers en exercice : soit les médecins sont particulièrement vertueux, soit les mailles du filet sont trop larges… » Il ressort cependant des différentes auditions de la MECSS que l’ensemble des professionnels de santé est impliqué dans la lutte contre la fraude et que les comportements frauduleux restent très minoritaires.
c) Des sanctions pénales trop rares
La mission constate que les sanctions pénales restent aussi peu utilisées, qu’elles donnent lieu fréquemment à des classements sans suite et que les peines prononcées ne sont pas suffisamment dissuasives.
Comme le montre le tableau ci-dessous, seules 7 527 plaintes ont été déposées au total à la suite d’une fraude sociale en 2009, ce qui semble particulièrement faible quand on considère que les plaintes pour travail illégal sont comprises dans ce total.
Nombre de dépôts de plaintes en 2009
Organismes |
Nombre de dépôts de plaintes |
Agence centrale des organismes de sécurité sociale / unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale |
2 106 |
Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole |
209 |
Caisse nationale d’allocations familiales |
2 708 |
Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés |
1 263 |
Caisse nationale d’assurance vieillesse |
37 |
Direction générale du travail |
1 161 |
Régime social des indépendants |
43 |
Total |
7 527 |
Source : délégation nationale de lutte contre la fraude.
Par ailleurs, de nombreuses plaintes n’aboutissent pas à une condamnation. La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (109) constate qu’en 2007, seules 40 % à 50 % des plaintes déposées par les organismes de sécurité sociale entre 2000 et 2002 ont abouti à une condamnation. Or, ce résultat n’est pas dû à la faiblesse des éléments puisqu’il y a assez peu de relaxes et de non-lieux mais plutôt à la fréquence des classements opérés par les parquets.
M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a d’ailleurs souligné devant la MECSS (110) les difficultés rencontrées pour apporter une réponse pénale rapide : « il est à noter que nos plaintes ne sont pas toutes traitées avec la même diligence, selon le degré d’occupation des juridictions locales. De manière générale, une affaire au pénal met trois à quatre années à être jugée, mais en Seine-Saint-Denis, par exemple, aucune de nos plaintes pénales n’a commencé à être instruite. C’est très différent à Paris. Évidemment, cela rend les choses plus difficiles pour la caisse de Bobigny que pour d’autres. »
La mission considère cette inégalité de traitement judiciaire de la fraude sociale particulièrement choquante au regard du principe d’égalité devant la justice.
Enfin, la mission considère que les peines prononcées sont insuffisantes pour être suffisamment dissuasives, tout particulièrement en matière de travail dissimulé. En effet, les textes prévoient jusqu’à deux ans de prison et 45 000 euros d’amende. Or les tribunaux prononcent très rarement des peines de prison ferme. Par ailleurs, le montant moyen de l’amende pénale est très inférieur à 45 000 euros puisqu’il est en moyenne de 1 200 euros et 1 300 euros. Cela contraste singulièrement avec les redressements réalisés, puisque, en moyenne, en cas de travail dissimulé, un redressement opéré par une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales se situe entre 20 000 euros et 22 000 euros.
Le bilan établi par la direction de la réglementation du recouvrement et du service de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale sur les peines prononcées pour travail illégal, retracé dans le tableau suivant, montre le faible nombre de peines de prison prononcée en matière de travail illégal.
Condamnations pour travail illégal en 2008
Infractions suivies d’une condamnation |
Emprisonnements |
Amen-des |
Peines de substitution |
Dispense de peine | |||||||||
Peines prononcées |
Peines fermes |
Peines avec sursis |
|||||||||||
Exercice d’un travail dissimulé |
7 066 |
934 |
99 |
835 |
2 513 |
199 |
91 | ||||||
Recours à du travail dissimulé |
512 |
49 |
1 |
48 |
222 |
2 |
4 | ||||||
Absence de déclaration préalable à l’organisme |
208 |
0 |
0 |
0 |
145 |
0 |
7 | ||||||
Total |
7 786 |
983 |
100 |
883 |
2 880 |
201 |
102 |
Source : direction de la réglementation du recouvrement et du service de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale
5. Une récupération aléatoire des indus frauduleux
Si un certain nombre de mesures législatives ou réglementaires sont intervenues ces dernières années pour renforcer les moyens de recouvrement dont disposent les organismes de protection sociale, la récupération des indus, pour cause de fraude, reste insuffisante, comme le montre le tableau suivant :
Taux et modalités de recouvrement des différentes catégories d’indus
(En %)
Part des indus nés en 2006 et récupérés au 31/12/2007 |
Dont par compensation |
Part des indus résultant de fraudes nées en 2006 récupérés au 31/12/2007 | ||
Caisses d’allocations familiales |
Fonds national des prestations familiales |
83,28 |
64,37 |
36,63 |
Fonds national d’aide au logement |
80,3 |
53,76 | ||
Fonds national de l’habitation |
84,7 |
54,29 | ||
Caisses primaires d’assurance maladie |
Créances sur les bénéficiaires |
83,26 |
42,55 |
34,48 |
Créances sur les professionnels de santé |
88,02 |
36,09 |
47,71 | |
Créances sur les fournisseurs |
60,44 |
18,42 |
21,02 |
Source : Cour des comptes.
M. Emmanuel Dellacherie, directeur de projet fraude de la direction de la sécurité sociale a indiqué à la MECSS (111) que les récupérations des indus étaient encore plus faibles en cas de travail dissimulé : « le taux de recouvrement des redressements consécutifs aux situations de travail dissimulé est de l’ordre de 10 % à 15 %, donc très faible. Il est vrai que, suite à ces opérations de contrôle, de nombreuses entreprises se retrouvent en liquidation judiciaire, ce qui limite considérablement les perspectives de recouvrement pour les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. »
IV.- UN INDISPENSABLE APPROFONDISSEMENT DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE
Il est nécessaire aujourd’hui de faire de la politique de lutte contre la fraude une des priorités des pouvoirs publics et qu’une politique plus volontariste soit mise en place, notamment par les caisses nationales. Votre Rapporteur considère comme particulièrement primordiaux le renforcement des moyens des caisses locales, le développement plus rapide des interconnexions de fichiers et l’utilisation de l’empreinte biométrique pour sécuriser notre système de sécurité sociale. La réforme de certaines prestations, comme le revenu de solidarité active majoré et la compensation des arrêts de travail, particulièrement fraudées est aussi impérative.
A. UNE PRISE DE CONSCIENCE NÉCESSAIRE
1. Un État qui doit assurer son rôle de pilote et de coordonnateur
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (112) propose plusieurs pistes pour améliorer le pilotage par l’État de la politique de lutte contre la fraude :
– les administrations de tutelle devraient procéder à une mise à plat de l’ensemble des dispositifs législatifs et réglementaires désormais disponibles, veiller à la cohérence des dispositions successives et rechercher la simplification du cadre juridique de la lutte contre la fraude ;
– la direction de la sécurité sociale devrait établir périodiquement un bilan exhaustif de l’ensemble des mesures d’ordre législatif et réglementaire à la disposition des caisses, en indiquant les textes réglementaires et les circulaires d’application des tutelles ou des caisses nationales ;
– un bilan des traitements automatisés et des croisements de fichiers faisant apparaître les suites données aux détections nouvelles réalisées et un programme prévisionnel de mise en place de nouveaux traitements jugés pertinents apparaissent nécessaires ;
– un recensement annuel par catégorie des agents affectés à la lutte contre la fraude, en particulier les agents assermentés, devrait être établi par la délégation nationale de lutte contre la fraude ;
– un plan de lutte contre la fraude devrait être établi par la délégation nationale de lutte contre la fraude, pour une durée de trois à cinq ans, détaillé par opérateur et donc par branche et par régime, puis être évalué par la même délégation de façon formalisée ;
– un recensement des domaines pour lesquels des évolutions législatives ou réglementaires paraissent susceptibles de réduire les possibilités de fraudes liées aux prestations pourrait être réalisé au sein du rapport annuel de la délégation nationale de lutte contre la fraude.
La mission approuve l’ensemble de ces fortes préconisations qui sont de nature à améliorer le pilotage de la politique de lutte contre la fraude, en donnant des objectifs clairs, des indicateurs précis assortis d’une évaluation des actions menées. Par ailleurs, les missions respectives de la direction de la sécurité sociale et de la délégation nationale de lutte contre la fraude dans le domaine de la fraude sociale devraient être clarifiées.
Proposition : améliorer le pilotage par l’État de la politique de lutte contre la fraude sociale :
– en mettant en place un plan national de lutte contre la fraude, détaillé par branche et par régime et évalué par la délégation nationale de lutte contre la fraude.
– en élaborant un bilan annuel des traitements automatisés et des croisements de fichiers et un programme prévisionnel des nouveaux traitements jugés nécessaires ;
– en clarifiant les missions de la direction de la sécurité sociale et de la délégation nationale de lutte contre la fraude.
Deux missions de l’État paraissent prioritaires.
La première consisterait à favoriser le développement des contrôles internes afin de vérifier la bonne application du droit par les agents. La mise en place d’indicateurs précis dans les conventions d’objectifs et de gestion serait opportune.
La seconde viserait à simplifier une législation de la sécurité sociale par trop complexe afin de faciliter une meilleure application de celle-ci.
Ainsi, une simplification et une harmonisation des règles sur les conditions de ressources en matière de prestations sociales sont nécessaires. De même, une simplification de la législation pénale sur les fraudes apparaît opportune. Lors de son audition par la MECSS, M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget (113), a indiqué que : « la politique pénale doit être rationalisée. On a recensé vingt-quatre incriminations différentes, ce qui ne permet pas une bonne appréhension par le système judiciaire des différentes fraudes. Il faudrait peut-être les ramener à huit ou dix. »
Des améliorations ont déjà été apportées. Par exemple, les conditions pour bénéficier d’un départ anticipé pour carrière longue ont été durcies par l’article 120 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (114). Mais il faut aller plus loin.
Proposition : simplifier et unifier le cadre juridique de la lutte contre la fraude en réduisant le nombre d’incriminations pénales en matière de fraude.
Par ailleurs, si plus de quarante dispositions législatives ont été votées en matière de lutte anti-fraude depuis 2006, il convient maintenant d’en faciliter l’appropriation par les acteurs de terrains. La direction de la sécurité sociale a publié, en novembre 2009, un « guide pratique de la réglementation en matière de lutte contre la fraude sociale » Celui-ci devrait être mieux diffusé et complété pour intégrer notamment une liste des croisements de fichiers autorisés.
Proposition : actualiser chaque année le guide de la direction de la sécurité sociale sur la réglementation applicable en matière de lutte contre la fraude, en y intégrant notamment la liste des traitements et croisements de fichiers autorisés.
2. Un pilotage plus dynamique des caisses nationales nécessaire
a) Lutter contre les particularismes locaux inacceptables
On l’a vu, la très grande disparité des politiques de lutte contre la fraude menées par les caisses locales conduit à des inégalités territoriales très regrettables.
La mission considère que le renforcement du rôle des caisses nationales dans le pilotage de la politique de lutte contre la fraude est primordial pour garantir une même efficacité de la politique de contrôle et de sanctions sur l’ensemble du territoire.
Certes, le législateur a déjà renforcé le rôle des caisses nationales en matière de politique de lutte contre la fraude :
– l’article 105 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (115) a prévu que les organismes nationaux sont avisés par les organismes locaux de sécurité sociale de la fraude constatée et des suites qu’ils entendent leur donner. À défaut de plainte avec constitution de partie civile par l’organisme lésé, les organismes nationaux peuvent agir, en son nom et pour son compte. L’article prévoit également que les organismes nationaux peuvent déposer plainte avec constitution de partie civile au nom et pour le compte d’un ou plusieurs organismes de sécurité sociale qui les mandatent à cette fin ;
– l’article 109 de la même loi a donné à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, à la Caisse nationale d’allocations familiales, la caisse nationale du Régime social des indépendants et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole la possibilité de mettre en œuvre ou de coordonner des actions de contrôle sur le service des prestations. Les contrôles doivent avoir pour but de détecter les fraudes et les comportements abusifs. Pour effectuer ces contrôles, les caisses nationales ont la possibilité d’utiliser les traitements automatisés des données relatives au service des prestations.
Mais la mission estime que les caisses nationales doivent mettre en place un pilotage plus volontariste de la politique de lutte contre la fraude afin d’uniformiser les pratiques des organismes locaux. Ce pilotage implique notamment que les caisses nationales délimitent enfin les comportements qu’elles qualifient de fraude (en les distinguant de ceux qui constituent des abus) et diffusent des guides pratiques à destination des agents à l’image du guide qui a été élaboré par les caisses d’allocations familiales de la région Midi-Pyrénées.
Proposition : renforcer le rôle des caisses nationales afin de diminuer les disparités locales dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre la fraude, par la mise en place d’une définition nationale de la fraude et par l’élaboration de guides pratiques sur la lutte contre la fraude à destination des agents des organismes de sécurité sociale.
b) Signer des conventions d’objectifs et de gestion plus contraignantes
Le renforcement du pilotage de la politique de lutte contre la fraude implique aussi la signature de conventions d’objectifs et de gestion plus contraignantes assorties d’objectifs et d’indicateurs précis.
La dernière convention d’objectifs et de gestion signée conclue entre l’État et l’assurance-maladie sur la période 2010-2013 constitue, de ce point de vue, un progrès puisque, comme votre Rapporteur l’a noté précédemment, trois indicateurs sont retenus, deux étant associés à des objectifs chiffrés et un calendrier prévisionnel détaillant les actions que la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés doit entreprendre chaque année.
Proposition : renforcer le volet relatif à la fraude dans les conventions d’objectifs et de gestion signées entre l’État et les caisses nationales de sécurité sociale et le rendre plus contraignant en prévoyant de l’assortir d’objectifs chiffrés, d’indicateurs de résultat et d’un programme prévisionnel pour chaque année.
c) Améliorer la formation et le contrôle des agents
L’amélioration de la lutte contre la fraude implique aussi le renforcement de la formation des agents.
Différentes actions sont déjà mises en œuvre. Selon la délégation nationale de lutte contre la fraude, plus de 7 500 heures de formation transverses qui ont été dispensées par différentes administrations (direction générale des finances publiques, direction générale de la police nationale, Chancellerie…) et organismes de sécurité sociale (caisse nationale d’assurance vieillesse, Régime social des indépendants, École nationale supérieure de sécurité sociale…), ou par la délégation nationale de lutte contre la fraude elle-même en 2009. Quatre stages de formation en matière de lutte contre le travail illégal ont par ailleurs été organisés au cours du quatrième trimestre 2009.
Par ailleurs, les contrôles internes devraient être renforcés, notamment par la mise en place de « faux dossiers tests » destinés à évaluer la capacité des agents à détecter des dossiers frauduleux.
M. François Schechter, a toutefois indiqué à la MECSS (116) que ce dispositif a été envisagé sans avoir été mis en place : « Le premier devoir d’un organisme, c’est de tester la robustesse de ses procédures. Deux techniques sont possibles, celle du " client mystère " et celle du contrôle externe massif. La méthode pratiquée dans le secteur privé sous le nom de " client mystère " consiste à injecter régulièrement dans les procédures d’instruction, en respectant bien entendu des règles déontologiques, des dossiers complètement fictifs et frauduleux, pour voir ce qu’il en advient. Un collègue et moi-même avions proposé, sans succès, à la mission de la préconiser. Après la présentation orale du rapport, le ministre du budget de l’époque avait repris un temps cette idée, mais les organismes contrôlés n’en ont pas voulu. » Votre Rapporteur regrette que cette proposition n’ait pas été mise en place, le refus laissant présager des résultats peu brillants, car elle serait de nature à tester l’efficacité des contrôles et à détecter leurs faiblesses.
Proposition : renforcer la formation des agents en matière de lutte contre la fraude et renforcer les contrôles internes en mettant en place des « faux dossiers tests » pour tester la capacité des organismes à repérer les fraudes.
d) Sensibiliser les assurés et les entreprises
Si le changement des mentalités sur la fraude sociale est perceptible au sein des organismes de sécurité sociale, il est nécessaire aussi de changer les mentalités des assurés. En effet, comme le rappelle le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport sur « la fraude aux prélèvements obligatoire et son contrôle » (117), la fraude sociale bénéficie parfois d’une certaine tolérance dans l’opinion publique : « De tous les délinquants, celui qui fraude le fisc ou la sécurité sociale est certainement celui qui bénéficie de la plus grande mansuétude de la part du grand public. La littérature, le cinéma, la télévision ne se sont pas privés de le représenter sous des dehors sympathiques et astucieux, confrontés à des vérificateurs et des contrôleurs acariâtres, inquisiteurs et tatillons. »
Comme l’a rappelé le directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, M. Pierre Ricordeau, devant la MECSS (118), une campagne a été mise en place sur le thème du travail illégal : « les contrôles réalisés ont un effet dissuasif et pédagogique. Il importe de faire savoir que les contrôles existent, afin de faire évoluer les comportements. C’est pourquoi nous avons lancé, l’année dernière, une campagne de communication. Les enquêtes montrent qu’il existe une tolérance par rapport à la fraude, notamment le travail dissimulé, qui est parfois considéré comme acceptable dans certaines limites. Au-delà du rendement direct des contrôles, la multiplication des opérations engagées et notre effort de communication sur leur existence devraient avoir un impact important. »
Cependant, la dernière campagne menée en 2009 – et dont le slogan était « Toujours se méfier d’une petite voix qui conseille de frauder » – était trop timide pour se montrer dissuasive. Une campagne doit être plus incisive pour marquer les esprits. Elle pourrait s’inspirer de celle menée au Royaume-Uni en 2007. Cette dernière intitulée « No ifs, no buts » (119) s’est avérée efficace avec des slogans offensifs tels que : « There are no excuses for taking money that isn’t yours » (120) ou « Benefit thieves, our technology is tracking you ». (121)
Il est donc nécessaire de mettre en place un plan national de communication « choc » contre la fraude.
Par ailleurs, il faut davantage sensibiliser les assurés sur les sanctions encourues qu’elles soient pénales ou administratives. La mission constate que l’affichage des sanctions est un moyen pédagogique malheureusement trop peu souvent utilisé notamment par les caisses d’allocations familiales. Il convient de le généraliser.
Proposition : sensibiliser les assurés et les entreprises sur les enjeux de la fraude aux prestations et aux prélèvements par un plan national de communication « choc » contre la fraude et par un affichage plus systématique dans les caisses des peines prononcées.
B. RENFORCER LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE
1. Renforcer les moyens de contrôle
Le législateur a récemment renforcé les moyens juridiques de contrôle des organismes de sécurité sociale. Il convient d’accompagner ce mouvement.
Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a institué un véritable droit de communication au profit des agents de contrôle des organismes de sécurité sociale. Ce droit de communication est désormais notamment exercé à l’égard d’établissements bancaires, de fournisseurs d’énergie, d’opérateurs de téléphonie ou de fournisseurs d’accès à internet et permet aux organismes de sécurité sociale de disposer de prérogatives comparables à celles dévolues aux services fiscaux. L’article 116 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (122) a renforcé ce droit de communication en l’étendant aux informations sur des tiers soupçonnés de bénéficier indûment de prestations versées et en instaurant une pénalité contre les tiers refusant de communiquer les informations demandées par les agents de contrôle.
Ce renforcement des moyens juridiques n’est cependant pas suffisant. Les moyens humains de lutte contre la fraude doivent être renforcés, notamment par l’augmentation du nombre de contrôleurs. Leur répartition entre les différentes caisses doit aussi être plus uniformisée. C’est par la mise en place de contrôles systématiques que la fraude sociale reculera véritablement.
En outre, les agents aux guichets et les contrôleurs doivent aussi bénéficier des outils nécessaires au contrôle : la généralisation des détecteurs de faux papiers est, de ce point de vue, primordiale. Votre Rapporteur a déjà, dans le cadre de la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’Unédic et des ASSEDIC (123), constaté l’efficacité de tels détecteurs pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude : « Devant la multiplication des fraudes à l’identité, l’Unédic a décidé de doter les Assédic de détecteurs de faux papiers dont l’installation est généralisée depuis le 1er janvier 2006. Lors de son déplacement à Créteil, où les détecteurs venaient d’être installés, la mission a pu constater que sur les 250 personnes reçues par semaine, 4 à 5 faux papiers étaient repérés. À Paris, qui a été la première Assédic à se doter de détecteurs en 2004, le nombre de faux papiers repérés, d’abord croissant, puis en diminution, permet de mesurer l’effet dissuasif du dispositif, d’autant que la présence des détecteurs est affichée dans les locaux. »
Proposition : augmenter le nombre de contrôleurs et les doter des outils nécessaires au contrôle notamment de détecteurs de faux papiers (124).
2. Rendre la loi plus facilement applicable
a) Développer les moyens de lutte contre la fraude aux prestations
L’intervention du législateur a déjà permis aux caisses de sécurité sociale de disposer de nouveaux outils.
Par exemple, en vertu de l’article 132 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 (125), les caisses d’allocations familiales disposent d’un outil juridique supplémentaire avec la procédure forfaitaire d’évaluation du train de vie. Cette mesure permet de mettre un terme à des situations choquantes de personnes bénéficiant notamment de minima sociaux et disposant d’un patrimoine important. Le décret du 28 janvier 2008 (126) a précisé les modalités d’application de cette évaluation forfaitaire.
L’évaluation forfaitaire du train de vie
L’évaluation forfaitaire du train de vie peut être prise en compte en vue de l’obtention ou du renouvellement de certaines prestations versées sous conditions de ressources : revenu de solidarité active, revenu de solidarité active majoré, prestation d’accueil du jeune enfant, revenu de solidarité active majoré, allocation de rentrée scolaire, couverture maladie universelle complémentaire… Les biens et les dépenses suivants peuvent donc être désormais comptabilisés :
– propriétés bâties détenues ou occupées ;
– propriétés non bâties détenues ou occupées ;
– personnels et services domestiques ;
– automobiles, bateaux de plaisance, motocyclettes ;
– appareils électroménagers, équipements son-hifi-vidéo, matériels informatiques ;
– objets d’art ou de collection, articles de joaillerie et métaux précieux ;
– voyages, séjours en hôtels et locations saisonnières, restaurants, frais de réception, clubs de sports et de loisirs.
Cependant, certains outils de contrôle devraient être davantage utilisés. Ainsi, la mise sous accord préalable n’a concerné qu’une centaine de médecins dont l’activité était particulièrement déviante. L’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (127) introduit un dispositif alternatif plus souple, qui permet au directeur de caisse de proposer aux médecins concernés de réduire leurs prescriptions dans un délai déterminé. Le décret d’application a été publié le 19 mai dernier. La mission attend beaucoup du dispositif.
b) Mieux définir la notion de parent isolé
Comme votre Rapporteur l’a montré précédemment, la condition d’isolement est peu précise, soumise à controverse et peut, par conséquent, induire des comportements frauduleux dans la mesure où la réalité de l’isolement est difficile à apprécier et à contrôler. Le rapport de la mission d’audit de modernisation sur l’allocation de parent isolé (128) constate ainsi : « Le contrôle de l’isolement absorbe une partie importante des ressources de la CNAF et demeure, en dépit des tentatives d’harmonisation de la CNAF, assez aléatoire puisqu’il s’agit d’apprécier une situation de fait difficile à cerner. Il est en outre assez mal ressenti, tant par les contrôleurs des caisses qui préféreraient substituer les contrôles par échanges de fichiers plus objectifs aux contrôles sur place, que par les allocataires qui soulignent son caractère intrusif. »
Avec la définition actuelle de l’isolement, une allocataire logée et nourrie par ses parents conserve son allocation alors que la présence d’un conjoint, même sans ressources, peut conduire à la suppression de l’allocation.
C’est pourquoi la mission propose d’abandonner la notion de vie commune qui est difficilement vérifiable et de modifier le critère de l’isolement en ne retenant que l’isolement économique, c’est-à-dire l’absence de mise en commun des ressources et d’aide financière.
Serait définie comme isolée une personne qui ne mettrait pas en commun ses ressources avec un tiers et dont les éventuelles aides financières ou en nature (hébergement gratuit) reçues d’un tiers (quel qu’il soit, conjoint, parent ou autre) seraient inférieures à un certain seuil.
Cette définition serait plus équitable, car les aides reçues seraient prises en compte dans la base des ressources de façon plus complète que dans la législation actuelle. L’aide serait réservée aux personnes qui ne bénéficient pas de transferts financiers de tiers quels qu’ils soient.
Elle rendrait le contrôle plus aisé et plus efficace. Le contrôle de l’isolement économique n’est, en effet, pas aussi intrusif que lorsqu’il s’agit de démontrer la vie maritale. Il pourrait se faire en grande partie grâce à la demande des relevés de compte de l’allocataire et grâce à un accès au fichier lié aux ouvertures et clôtures de comptes bancaires (129).
Proposition : définir l’isolement comme l’isolement économique, c’est-à-dire l’absence de mise en commun de ressources et d’aide financière, et abandonner l’utilisation de la notion de vie commune.
c) Renforcer les moyens d’actions des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales
Les récentes lois de financement de la sécurité sociale ont doté les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de nouveaux outils pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le travail illégal. On peut citer la mise en place d’un redressement forfaitaire, l’exploitation des procès-verbaux des partenaires ou le dispositif de solidarité financière.
Plusieurs dispositions législatives sont venues compléter les outils détenus par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le travail illégal :
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (130) a prévu que si des salariés en situation de travail dissimulé sont victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur est dorénavant tenu de rembourser à l’organisme d’assurance-maladie la totalité des dépenses engagées ;
– la loi d’orientation et de programmation pour la performance et la sécurité intérieure (131) permet aux agents de contrôle de l’État, des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi d’échanger plus aisément des informations et des renseignements pour lutter contre la fraude sociale, grâce à une levée « multilatérale » du secret professionnel (132).
En outre, la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité prévoit que les employeurs qui organisent leurs activités grâce au travail illégal (133) sont sanctionnés par des peines administratives, telles que :
– l’interdiction de soumissionner aux appels d’offre publics pendant une durée maximale de six mois ;
– l’interdiction de bénéficier des aides publiques nationales et européennes, en matière d’emploi, de formation professionnelle et de culture pendant une durée maximale de cinq ans ;
– l’obligation de rembourser les aides publiques perçues l’année précédant le constat d’une infraction de travail illégal ;
– la fermeture de l’établissement prononcée par le préfet pour une durée maximale de trois mois avec le cas échéant la saisie à titre conservatoire du matériel professionnel.
Par ailleurs, la loi prévoit que les travailleurs étrangers sans titre pourront plus facilement recouvrer leurs salaires et leurs indemnités, même en cas de retour contraint dans leurs pays d’origine. Les employeurs et les donneurs d’ordre qui recourent à la sous-traitance seront davantage responsabilisés et verront leur obligation de vigilance en matière d’emploi de la main-d’œuvre étrangère renforcée via une solidarité financière et de nouvelles sanctions pénales.
D’importantes réformes ont été adoptées ces dernières années en matière de lutte contre le travail illégal. Elles permettent aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale d’améliorer considérablement l’efficacité de leurs contrôles. La mission considère cependant que quelques outils seraient nécessaires pour parfaire cette évolution.
En premier lieu, il apparaît primordial de mettre en place certaines mesures proposées par votre Rapporteur dans son rapport d’information sur les moyens de contrôle de l’Unédic et des ASSEDIC (134) pour encadrer et contrôler la création et la reprise d’entreprises :
– renforcer les contrôles lors de l’immatriculation des sociétés en exigeant la présentation de l’original d’une pièce d’identité par le gérant ou le dirigeant ;
– garantir, lors de l’immatriculation d’une société en ligne, un niveau de sécurité suffisant à l’identification du gérant ou du dirigeant ;
– créer un fichier national des gérants et dirigeants d’entreprise ;
– transmettre instantanément le casier judiciaire aux greffes des tribunaux de commerce et créer un fichier national répertoriant les gérants et les dirigeants de société condamnés à des interdictions de gérer, ainsi qu’un fichier national répertoriant les entreprises faisant l’objet d’une procédure collective ;
– instaurer un devoir d’alerte des greffes des tribunaux de commerce auprès des administrations et des organismes sociaux concernés lorsqu’ils détectent des éléments de soupçon ;
– encadrer le régime juridique applicable à la domiciliation d’entreprise en soumettant les sociétés de domiciliation à un agrément.
Une attention particulière doit être apportée à la constitution d’un fichier d’interdits de gérer.
En effet, en l’état actuel de la législation, les greffes des tribunaux de commerce ne sont pas en mesure d’avoir une information globale et nationale des interdictions de gérer pour les dirigeants. Ainsi, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale rencontrent des difficultés importantes lors des immatriculations puisque, sans visibilité de l’historique du gérant, elles ne peuvent s’opposer suffisamment en amont à une interdiction d’immatriculation. Cette anomalie permet aux dirigeants ayant fait l’objet d’une condamnation d’interdiction de gérer, de pouvoir créer des sociétés dans le ressort d’un autre tribunal de commerce sans aucune difficulté. Or, il apparaît fréquemment que les dirigeants frappés d’une interdiction de gérer sont à la tête d’entreprises impliquées dans des procédures de travail dissimulé ou de liquidation judiciaire.
Il est donc nécessaire de créer un fichier national des dirigeants ayant fait l’objet d’une condamnation pour interdiction de gérer, qui serait alimenté par les greffes des tribunaux de commerce. Cette information, systématiquement communiquée lors de la création d’une société et avant la délivrance d’un certificat d’immatriculation permettrait une réelle transparence pour les organismes sociaux.
Proposition : créer un fichier national des dirigeants ayant fait l’objet d’une condamnation pour interdiction de gérer, alimenté par les greffes des tribunaux de commerce.
Par ailleurs, compte tenu du caractère sensible de certains secteurs, tels que l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment et la confection, des dispositifs spécifiques de lutte contre le travail illégal devraient être mis en place. Il pourrait prendre, par exemple, la forme d’une « carte professionnelle » qui serait contrôlée par les inspecteurs au moyen de la carte d’identité. À titre d’exemple, le secteur du bâtiment et des travaux publics, a mis en place, depuis 2006, une « carte BTP », c’est-à-dire une carte d’identification professionnelle des salariés, ayant pour objectif de simplifier la tâche des contrôleurs en matière de lutte contre le travail illégal.
Proposition : encourager la négociation d’accords de branches, notamment dans certains secteurs « sensibles », sur la mise en place de dispositifs de lutte contre le travail illégal (carte professionnelle…).
Par ailleurs, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ne bénéficient pas de procédures de recouvrement rapides et efficaces à l’encontre des entreprises qui ont recours au travail illégal.
Cette lenteur a été mise en évidence par M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne lors de son audition par la MECSS (135) : « Si le recouvrement s’effectue dans des délais extrêmement rapides, les moyens dont nous disposons sont aussi encore limités : après l’établissement du procès-verbal et le chiffrage, le code de la sécurité sociale nous contraint d’envoyer tout d’abord à l’entreprise une lettre d’observation indiquant les constats effectués et le montant des cotisations redressées puis, après un mois, une mise en demeure et ce n’est que trente jours après que le directeur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) peut prendre un titre exécutoire contraignant, signifié par un huissier. Étant systématiquement confrontés à des oppositions à contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, nous devons en fait attendre un jugement qui ne survient à Paris qu’au bout de deux ans en moyenne – deux ans et demi pour le tribunal de Versailles – ce qui laisse tout le temps à l’entreprise pour s’évanouir dans la nature. »
L’article 15 de la loi de finances rectificative pour 2007 (136) a créé une procédure de flagrance fiscale qui permet d’opérer des saisies conservatoires immédiates et d’appliquer une amende variant de 5 000 euros à 20 000 euros en fonction du chiffre d’affaires du contribuable. Le dispositif autorise l’administration à établir un procès-verbal de flagrance fiscale lorsqu’un risque pèse sur le recouvrement de l’impôt du fait de la disparition du contribuable ou d’une organisation d’insolvabilité (137).
Il serait donc intéressant, à l’instar de l’administration fiscale, de permettre aux organismes de recouvrement de disposer d’une procédure de « flagrance sociale » permettant la mise en œuvre immédiate de mesures conservatoires (saisies, inscriptions de garanties).
Proposition : mettre en place une procédure de « flagrance sociale » afin de permettre à l’inspecteur du recouvrement, dès la constatation de l’infraction, d’établir un procès-verbal concernant la lutte contre le travail illégal signifié par voie d’huissier pour que l’ensemble des mesures conservatoires puissent être prises.
Enfin, l’efficacité de la lutte contre le travail illégal implique aussi une augmentation des contrôles effectués. C’est pourquoi une augmentation des moyens humains destinés à la lutte contre le travail illégal est impérative.
Proposition : augmenter les effectifs consacrés à la lutte contre le travail illégal.
d) Étudier la mise en place d’un fichier des fraudeurs
La mission est convaincue que les personnes qui fraudent le font souvent dans plusieurs domaines. Il serait nécessaire, pour améliorer la lutte contre la fraude, de mettre en place un fichier national interrégime des personnes ayant commis une fraude. Un tel fichier améliorerait l’efficacité de la politique de lutte contre la fraude à deux égards :
– il permettrait de contrôler la situation d’un assuré et rendrait donc automatiques les signalements actuellement effectués entre organismes sociaux (par exemple, pour s’assurer que les assurés contrôlés en situation de travail dissimulé n’ont pas dissimulé le revenu de ces activités, s’ils perçoivent des prestations sous condition de ressource) ;
– il permettrait, en cas de suspicion de fraude, d’apporter des éléments complémentaires pour mettre en œuvre un contrôle.
Le délégué national de la lutte contre la fraude, M. Benoît Parlos, a d’ailleurs approuvé, lors de son audition par la MECSS (138), la mise en place de ce fichier, en assortissant seulement son accord de certaines conditions de mise en œuvre : « Je suis favorable au fichier de fraudeurs, que je considère comme une avancée, mais à deux conditions. D’abord, ce fichier ne doit pas être un casier judiciaire bis – il faudra y travailler avec la chancellerie. Ensuite, un suivi devra être assuré, de sorte que l’on ne se retrouve pas avec un système vieillissant vite. »
Certes, la Caisse nationale d’allocations familiales a déjà le projet de mettre en place une base d’informations nationale des fraudes (139). Cependant, votre Rapporteur considère qu’il est urgent de mettre en place un fichier interrégimes pour améliorer réellement efficacement la lutte contre la fraude en permettant aux caisses de détecter les personnes qui fraudent plusieurs prestations. Sa mise en place devra bien sûr respecter les règles édictées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Proposition : étudier l’opportunité de mettre en place un fichier national interrégimes des personnes ayant commis une fraude en matière sociale.
3. Développer l’interconnexion des fichiers
La mission constate que des progrès importants ont été accomplis en matière de croisements et d’interconnexion de fichiers. Les mentalités ont heureusement changé et cet outil est aujourd’hui devenu essentiel dans la lutte contre la fraude. Il est nécessaire cependant aujourd’hui d’achever les chantiers ouverts en matière de croisements de fichiers.
La priorité est d’abord d’achever la mise en place du répertoire national commun de protection sociale. M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, a indiqué, lors de son audition par la MECSS (140), que ce fichier serait opérationnel à la fin de cette année. Il faut, enfin, s’en féliciter. Mais il faut sérieusement envisager d’y intégrer les montants des prestations versées afin de vérifier leur cohérence.
Proposition : finaliser rapidement la mise en place du répertoire national commun de protection sociale en y incluant les montants des prestations versées.
Il est aussi primordial de permettre aux organismes de protection sociale d’avoir accès au fichier AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France). Il est, en effet, indispensable que les caisses sachent si les personnes à qui elles versent des prestations ont quitté ou non le territoire français.
Proposition : finaliser l’accès des organismes de protection sociale au fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France).
Par ailleurs, il est nécessaire d’améliorer les croisements de fichiers entre les organismes de protection sociale et les services fiscaux. Des progrès ont été accomplis comme en témoigne la mise en place d’un croisement de fichiers entre l’administration fiscale et les caisses d’allocations familiales se substituant à la déclaration de ressources par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Comme l’ont rappelé les différents contrôleurs rencontrés dans les caisses d’allocations familiales, si l’accès aux différents fichiers fiscaux est possible et la coopération avec les services fiscaux se développe dans le cadre des comités départementaux de lutte contre la fraude, cependant, ils ont aussi souligné le caractère « artisanal » de ces croisements de fichiers, qui nécessitent souvent des demandes écrites et se révèlent dès lors chronophages.
Proposition : permettre un accès informatisé des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale aux fichiers des services fiscaux.
La mission considère en effet qu’il est impératif de développer davantage l’accès des organismes sociaux aux fichiers des services fiscaux.
La généralisation de l’expérimentation menée par la branche Famille – qui permet aux caisses d’allocations familiales de s’assurer de la réalité des logements et de leur affectation à usage d’habitation, en ayant accès aux fichiers des propriétés bâties et des propriétaires – est indispensable. Il en est de même pour les expérimentations menées par la branche Maladie, qui permettent aux caisses d’avoir la liste des personnes qui ont déclaré ne plus résider en France, d’une part, et d’avoir accès aux ressources déclarées à l’administration fiscale, d’autre part.
Proposition : développer les croisements de fichiers entre les organismes sociaux et les services fiscaux, notamment en généralisant les expérimentations menées dans ce domaine par les branches Famille et Maladie après une évaluation de celles-ci.
Votre Rapporteur aurait souhaité proposer d’aller plus loin dans les croisements de fichiers en prévoyant notamment ces croisements automatiques entre données fiscales et sociales, ou en prévoyant un accès facilité à des données telles que les factures d’énergie ou de téléphone de l’assuré ou les relevés bancaires. Cependant, le cadre juridique mis en place par la Commission nationale de l’informatique et des libertés ne permet pas d’envisager un tel fichier à ce stade.
En revanche, votre Rapporteur estime, qu’à terme, il conviendrait de mettre en place sur le modèle de la Belgique, une « Banque carrefour de la sécurité sociale » : c’est-à-dire un répertoire unique dans lequel chaque assuré et chaque entreprise seraient inscrits à l’aide d’un numéro unique commun à l’ensemble des branches, pour lesquelles les mêmes informations seraient utilisées pour le calcul des cotisations et des allocations, et qui permettraient aux acteurs qui octroient une allocation d’avoir accès aux informations relatives aux droits dans d’autres branches de la sécurité sociale.
4. Généraliser les expérimentations innovantes
L’expérimentation conduite par la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne pour lutter contre les trafics de Subutex mérite d’être mentionnée.
Comme votre Rapporteur l’a montré précédemment (141), ce médicament, qui est un produit de substitution prescrit dans des conditions très strictes aux toxicomanes qui veulent se sevrer, est à l’origine de nombreux trafics. En consultant plusieurs médecins, les « méga-consommateurs » obtiennent ainsi plusieurs ordonnances et revendent ensuite le Subutex ainsi obtenu.
La caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne a mis en place, à compter de 2004, un réseau encadrant les assurés auxquels étaient prescrits du Subutex en leur imposant la désignation d’un médecin prescripteur et d’un unique pharmacien dispensateur du produit. La proportion de gros consommateurs est ainsi passée de 8,15 % en janvier 2004 à 4,14 % en juillet de la même année – soit une diminution de 50 % en six mois – et à 0,51 % en février 2008. Leur nombre total est passé de 86 à 17 alors que le nombre total de patients traités pour toxicomanie dans la région augmentait de 1 055 à 1 167.
Certes, le nombre de « méga-consommateurs » a légèrement augmenté de 2007 à 2010, cependant cette hausse est restée très limitée par rapport à la forte baisse constatée en 2004 lorsque ce réseau spécifique a été mis en place.
Évolution du nombre de « méga-consommateurs »
de Subutex dans la région Midi-Pyrénées
2004 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
86 |
18 |
17 |
15 |
24 |
Source : Passages, réseau Addictions 31.
La Cour des comptes, dans son rapport sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général (142) salue les résultats de cette expérimentation et regrette qu’elle n’ait pas été généralisée : « Les consommations aberrantes ont (…) été très significativement réduites, sans que la distribution à bon escient du traitement ait été compromise. Cela n’empêche certes pas complètement le trafic mais en complique considérablement le mode opératoire puisqu’il faut multiplier les identités bénéficiant du tiers payant. Cette bonne pratique n’a cependant pas été généralisée ni même portée à la connaissance du réseau. »
Lors d’un déplacement à la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne, la mission a pu constater que cette expérimentation fait l’unanimité. Les médecins et pharmaciens participant à cette expérimentation en ont souligné l’efficacité et ont considéré que celle-ci avait grandement facilité les relations entre les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les toxicomanes.
Notre collègue Catherine Lemorton, qui a participé à ce réseau en tant que pharmacienne, a souligné, son bilan positif (143): « Ce système a permis, non seulement de lutter contre le mésusage du Subutex, mais aussi de détecter des fraudes que l’on n’attendait pas : des médecins gardaient les cartes Vitale de patients bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU) et facturaient trois ou quatre visites par semaine alors que ces patients ne mettaient pas les pieds chez eux ou n’y venaient que tous les huit ou quinze jours. Certains ont facturé, sur la même carte Vitale, jusqu’à quinze ou vingt consultations dans le mois ! On peut remettre en cause ces méthodes, mais elles ont prouvé leur efficacité. »
Malgré les résultats positifs, l’expérimentation a pourtant été stoppée en novembre dernier, car, selon la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, elle ne respectait pas le principe du libre choix du médecin et du pharmacien. Cette affirmation a cependant été contestée par les acteurs de terrain.
Pourtant, l’article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale, modifié par l’article 63 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 (144), prévoit que la prise en charge par l’assurance maladie de soins ou traitements susceptibles de faire l’objet de mésusage, d’un usage détourné ou abusif, est subordonnée à l’obligation faite au patient d’indiquer au prescripteur, à chaque prescription, le nom du pharmacien qui sera chargé de la délivrance et à l’obligation faite au médecin de mentionner ce nom sur la prescription qui doit alors être exécutée par ce pharmacien. La liste des produits concernés établie par l’arrêté du 1er avril 2008 (145), en application de cet article, mentionne la buprénorphine, qui est le composant du Subutex.
La mission considère donc qu’il est possible de s’inspirer de l’expérimentation menée à Toulouse et du dispositif de l’article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale et de mieux contrôler, dans le cadre de réseaux de professionnels de santé, la délivrance des substituts aux opiacés, tout en respectant le principe du libre choix du médecin et du pharmacien ainsi que le secret médical, dans des conditions réglementaires adaptées.
Proposition : contrôler, dans le cadre de réseaux de professionnels de santé, la délivrance des substituts aux opiacés en appliquant le dispositif de l’article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale.
5. S’inspirer des exemples étrangers
De nombreux pays européens ont engagé une politique vigoureuse de lutte contre la fraude. Ainsi, le gouvernement britannique prévoit d’élargir le recours aux agences de crédits du secteur privé pour détecter les fraudeurs (146). Ces agences pourraient en outre être payées à l’intéressement, en fonction du nombre de fraudeurs qu’elles parviennent à repérer(147).
De son côté, l’Italie a engagé une politique de contrôle des personnes bénéficiant d’une pension d’invalidité. La caisse nationale d’allocations familiales italienne – l’Institut national de la prévoyance sociale – vient de rayer de ses listes 40 000 titulaires de pension d’invalidité (148).
La MECSS a effectué deux déplacements en Belgique et aux Pays-Bas qui lui semblaient être des pays dans lesquels les systèmes de protection sociale lui semblaient suffisamment similaires au système français pour que les pratiques innovantes mises en œuvre puissent être transposées en France.
La mission considère que le système de sécurité sociale est exemplaire tant du point de vue de l’interconnexion des fichiers que pour l’identification des assurés par la carte d’identité sociale ou carte SIS (système d’information sociale).
Lors d’un déplacement de la MECSS à Bruxelles, le 8 décembre dernier, M. Frank Robben administrateur général de la Banque Carrefour de sécurité sociale a présenté le dispositif mis en place en Belgique.
La Banque Carrefour de sécurité sociale a développé un réseau électronique reliant les différentes institutions de sécurité sociale. Dans le cadre d’autorisations très strictes, les informations contenues dans les différentes banques de données sont accessibles aux autres institutions de sécurité sociale par l’intermédiaire de ce réseau. Ce dernier est un outil particulièrement efficace de lutte contre la fraude car il permet :
– une identification unique de tout citoyen et de toute entreprise ;
– une impossibilité d’inscrire dans le répertoire des références une seule et même personne sous une même qualité pour une même période auprès de plusieurs institutions appartenant à la même branche de sécurité sociale ;
– une utilisation des mêmes informations pour le calcul des cotisations et des allocations ;
– un accès des acteurs qui octroient des droits aux informations relatives aux droits dans d’autres branches de la sécurité sociale permettant ainsi d’éviter la coexistence illicite d’allocations.
Ce système est complété par la mise en place d’une carte SIS (système d’information sociale) qui permet une identification sécurisée des assurés. Il s’agit d’une carte à puce permettant de justifier des droits du titulaire de la carte – ou de ses ayants droit, mineurs ou conjoint – à la couverture par un organisme de sécurité sociale des dépenses de santé. La carte, strictement personnelle, est attribuée à tout assuré social en Belgique quel que soit son âge.
Cette carte poursuit trois objectifs principaux :
– c’est un support sur lequel figure notamment le numéro d’identification de la sécurité sociale ce qui permet d’améliorer l’identification des assurés sociaux dans le système de sécurité sociale ;
– elle permet aux personnes habilitées qui ne participent pas au réseau géré par la Banque Carrefour de la sécurité sociale d’accéder de manière électronique à des données personnelles de sécurité sociale ;
– elle devient progressivement pour l’assuré social sa clé d’accès unique pour faire traiter ses droits et obligations auprès des institutions de sécurité sociale.
La mission est convaincue que la France doit s’inspirer de cet exemple pour développer l’interconnexion des fichiers et améliorer la sécurisation de la carte Vitale.
Notre politique de lutte contre la fraude pourrait aussi s’inspirer avec profit du système néerlandais.
Lors du déplacement de la MECSS à La Haye, votre Rapporteur a été particulièrement frappé par le nombre de contrôles approfondis effectués au moment d’une demande d’allocation. Selon une expression néerlandaise, l’agent qui effectue ces contrôles est le « gardien de la porte » et doit s’assurer de l’exactitude des informations fournies.
En outre, la politique de lutte contre la fraude fait l’objet d’une vraie priorité de la part du Gouvernement actuel comme en témoigne l’existence d’un secrétaire d’État dédié à cette politique. Un tableau de bord et des indicateurs de performance ont d’ailleurs été mis en place et une procédure judiciaire simplifiée a été créée pour juger rapidement les cas de fraude.
De même, l’interconnexion des fichiers paraît beaucoup plus développée qu’en France et les méthodes de datamining, qui ont clairement fait leurs preuves, sont couramment utilisées. La mission considère que ces deux politiques doivent être deux pistes majeures de la politique de lutte contre la fraude en France.
6. Développer les coopérations bilatérales en matière de sécurité sociale
La signature de conventions internationales de sécurité sociale permettant d’échanger des informations entre pays sur les personnes percevant des prestations de sécurité sociale doit être développée. Deux situations peuvent être distinguées :
– au sein de l’Union européenne : les règlements communautaires prévoient une simple coopération administrative sans prévoir des échanges de données particulièrement développés. La France a cependant signé des accords de coopération assez intenses avec la Belgique (149) et la République tchèque (150), et un accord avec le Luxembourg devrait être prochainement signé. Ces accords prévoient que la France s’entend avec l’autre partie pour une série de vérifications : détermination des droits à prestation, appréciation des ressources, vérification du cumul des prestations, conditions d’affiliation et d’éligibilité liées à la résidence… ;
– avec les États non membres de l’Union européenne : les conventions traditionnelles sont peu précises concernant la coopération et les échanges d’informations et ne traitent pas le sujet. En revanche, des conventions plus récentes, par exemple avec le Brésil et l’Uruguay, contiennent des articles permettant de contrôler notamment la qualité de résident, les conditions de ressources du bénéficiaire, etc. La convention négociée avec le Brésil prévoit même un contrôle sur les certificats de vie et de décès.
Au total comme l’a indiqué lors de son audition par la MECSS, Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères (151) : « nous disposons d’un réseau de conventions de sécurité sociale assez important qui nous permet, surtout grâce aux plus récentes, de développer la coopération administrative entre régimes de sécurité sociale. Les nouvelles conventions que nous négocions conjointement avec la direction de la sécurité sociale intègrent systématiquement cette dimension de coopération administrative, essentielle pour la lutte contre la fraude. Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’une convention se négocie sur le long terme. »
Proposition : développer la signature de conventions bilatérales de sécurité sociale prévoyant une coopération administrative en matière de lutte contre la fraude et encourager une négociation au niveau européen pour permettre des relations de coopération renforcée entre les pays de l’Union européenne.
1. Développer les contrôles ciblés
La mission admet qu’il est vain, compte tenu de l’ampleur de la protection sociale de systématiser les contrôles des assurés : il importe aujourd’hui de cibler les contrôles sur les situations présentant des anomalies statistiques ou sur les éléments qui peuvent être plus facilement fraudés.
a) Le contrôle de la condition de résidence
Un certain nombre de prestations sont soumises à une condition de résidence. C’est le cas notamment de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Comme votre Rapporteur l’a montré, cette allocation est soumise à une condition de résidence sur le territoire français et des contrôles sont effectués sur pièces pour vérifier la réalité de cette condition. Il est nécessaire cependant de compléter ces contrôles par des contrôles sur place pour vérifier la réalité du respect de la condition de résidence.
Proposition : développer les contrôles sur place de la condition de résidence de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Par ailleurs, il est impératif de généraliser rapidement l’expérimentation de menée par la branche Maladie visant à ce que les services fiscaux fournissent la liste des personnes qui ont déclaré ne plus résider en France – et qui bénéficient à ce titre d’une exonération d’impôt sur le revenu – afin qu’ils ne bénéficient pas simultanément de prestations versées sous condition de résidence.
La mission considère que les données des services fiscaux sur la résidence des contribuables doivent être accessibles à l’ensemble des organismes de sécurité sociale pour s’assurer du respect de la condition de résidence.
Proposition : généraliser la diffusion à l’ensemble des organismes de sécurité sociale de la liste des services fiscaux recensant la liste des personnes qui ont déclaré ne plus habiter en France.
Enfin, les contrôleurs des caisses d’allocations familiales rencontrés lors des déplacements de la MECSS ont souligné que l’approfondissement des relations avec La Poste était nécessaire.
Une convention de partenariat a été signée le 21 février 2008 entre la Caisse nationale d’allocations familiales et La Poste visant notamment à développer la coopération en matière de lutte contre la fraude. Néanmoins la mise en œuvre réelle de cette coopération semble davantage dépendre de la signature de conventions locales. Il convient de généraliser de telles conventions et de permettre aux contrôleurs d’accéder aux fichiers de changement d’adresse et de réexpédition du courrier de La Poste afin de faciliter les opérations de contrôle, notamment s’agissant de la condition de résidence ou d’isolement.
Proposition : développer les conventions locales entre La Poste et les organismes de sécurité sociale et permettre l’accès des contrôleurs au fichier de changement d’adresse et de réexpédition du courrier de La Poste.
b) Le contrôle de l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés
Dans un rapport d’information de la commission des finances et de la commission des affaires sociales du Sénat sur cette allocation (152), MM. Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier et Paul Blanc font plusieurs propositions pour réduire les disparités dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés :
– intensifier les actions de formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l’autonomie ;
– mettre en place les conditions d’un meilleur contrôle de l’État sur les décisions d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés, en assurant une meilleure représentation de l’État au sein des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées lors de l’examen des demandes d’allocation (153) et en donnant la possibilité au représentant de l’État de demander le réexamen d’un dossier qu’il considérerait comme problématique ;
– publier un texte précisant les critères et modalités d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés afin de lever les ambiguïtés et de faire converger les pratiques ;
– mettre en place un contrôle renforcé de l’État à travers une procédure d’évaluation systématique des pratiques et des décisions d’attribution de l’allocation prises par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Le pilotage de ce dispositif pourrait être confié à la Caisse nationale, de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
La mission approuve ces propositions qui devraient être de nature à assurer un traitement égalitaire et équitable des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire.
Proposition : garantir une égalité de traitement dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés sur l’ensemble du territoire :
– développer la formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ;
– édicter des règles nationales sur les critères et les modalités d’attribution de cette allocation.
c) Le contrôle des personnes percevant des prestations à l’étranger
Il est nécessaire aujourd’hui de développer les contrôles portant sur les personnes percevant des prestations de sécurité sociale à l’étranger et plus particulièrement des pensions de retraite.
Lors de son audition par la MECSS, Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères (154), a souligné la difficulté pour les autorités consulaires de contrôler les actes émis par les autorités du pays concerné : « en matière de contrôles, nous nous heurtons à un problème juridique fondamental : beaucoup de personnes de nationalité étrangère présentent des documents émanant des autorités locales, or l’autorité consulaire française peut rencontrer des difficultés pour obtenir l’accord des autorités locales en vue de contrôler ces documents. Nous connaissons déjà cette difficulté pour des demandes de transcription d’actes d’état civil lorsque nos services souhaitent faire des levées d’acte dans les registres locaux : dans de nombreux cas, ils n’arrivent pas à obtenir l’accord des autorités locales pour faire ces levées d’acte. »
Par ailleurs, la mission constate qu’il est difficile de renégocier des conventions avec certains pays comme l’Algérie, et que l’échange de données dans le cadre d’un accord de coopération administrative n’est pas envisageable à court terme. Le déplacement de la mission aux Pays-Bas a d’ailleurs permis de constater que ce pays rencontrait les mêmes difficultés avec la Turquie.
C’est pourquoi, le décret du 5 octobre 2009 (155) relatif à l’agrément des personnes physiques ou morales pouvant réaliser des enquêtes en matière de sécurité sociale, permet aux consulats d’agréer des organismes spécialisés après avis du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). L’agrément conduit à la conclusion d’une convention entre les organismes de sécurité sociale qui le souhaitent et l’organisme agréé, l’objectif étant de contrôler telle ou telle prestation dans le pays concerné (156). Une première expérimentation a débuté en Tunisie.
La mission considère qu’il convient de généraliser ces contrôles opérés par des organismes agréés.
Proposition : généraliser les contrôles opérés par des organismes agréés par les consulats sur les personnes percevant des pensions de retraite et résidant à l’étranger.
Cependant, afin de faciliter ces contrôles, votre Rapporteur juge que la mise en place d’une carte de retraite biométrique serait de nature à faciliter les contrôles ultérieurs des bénéficiaires de prestations résidant à l’étranger.
Proposition : étudier la mise en place, à compter du 1er janvier 2013, d’une carte de sécurité sociale biométrique permettant d’assurer le contrôle de la situation des retraités résidant à l’étranger.
2. Améliorer la procédure d’attribution de numéros de sécurité sociale pour les personnes nées à l’étranger
La procédure d’attribution des numéros de sécurité sociale doit être impérativement améliorée. En premier lieu, le statut juridique du numéro de sécurité sociale ainsi que l’usage qui peut en être fait doivent être inscrits dans le code de la sécurité sociale et ainsi que l’organisme attributaire. Le principe selon lequel l’attribution d’un NIR certifié conditionne le versement de prestations sociales doit y être clairement affirmé.
La mission estime que l’attribution d’un numéro de sécurité sociale relève des compétences régaliennes de l’État. L’attribution d’un NIR pour les personnes nées à l’étranger devrait ainsi relever de la compétence de l’Agence nationale des titres sécurisés. Celle-ci exercerait un contrôle approfondi des documents transmis, notamment par des échanges d’informations avec les services d’état-civil, les mairies, et les consulats pour s’assurer de la validité des documents.
Par ailleurs, il n’est pas normal que des NIR d’attente n’aient pas de durée maximale de validité et que ces situations, censées être provisoires, perdurent sans qu’aucune conséquence en soit tirée en terme de versement de prestations. Le numéro d’inscription d’attente doit avoir une durée limitée à six mois pendant lequel le versement des prestations perdurerait. Passé ce délai, si l’Agence nationale des titres sécurisés ne peut transformer le numéro d’attente en NIR certifié, les services de l’État devraient prendre la décision de certifier ou non le NIR au vu des documents transmis et de la situation de l’assuré.
Proposition : revoir la procédure d’attribution des numéros de sécurité sociale (NIR) :
– préciser, dans un texte de loi, l’organisme compétent en matière d’attribution du NIR ;
– poser le principe, dans le code de la sécurité sociale, de la nécessité pour un assuré d’avoir un numéro de sécurité sociale certifié pour bénéficier du versement de prestations de sécurité sociale ;
– confier l’attribution des NIR à l’Agence nationale des titres sécurisés qui effectuerait des contrôles approfondis sur les documents établissant l’identité de la personne par des échanges d’informations avec les services d’état civil, les mairies et les consulats ;
– limiter la durée du numéro d’inscription d’attente à six mois, délai au terme duquel les services de l’État décideraient si le NIR doit être certifié au vu des documents transmis et de la situation de l’assuré.
3. Intensifier la lutte contre la fraude documentaire et la fraude à l’identité
Le développement systématique des téléprocédures a certainement contribué à faciliter la fraude.
M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales, coauteur du rapport sur le dispositif des départs anticipés pour carrières longues a constaté, lors de son audition par la MECSS (157), que la mise en place d’un face-à-face aurait certainement permis de limiter l’ampleur de la fraude aux carrières longues : « notre rapport expose très clairement que convoquer les bénéficiaires et leur demander les pièces dont ils se prévalent aurait permis d’éviter un nombre considérable de situations qu’on peut aujourd’hui qualifier de frauduleuses. (…) Je pense effectivement que rencontrer physiquement les bénéficiaires au moins une fois au cours de la procédure pour leur poser une série de questions préparées à l’avance permettrait de détecter des comportements répréhensibles. »
La mission estime nécessaire de rétablir, dans certains cas, les procédures de face-à-face pour l’attribution de certaines prestations afin de vérifier l’identité de l’assuré et la véracité de certaines informations. Elle est consciente que le rétablissement généralisé du face-à-face n’est pas envisageable. Néanmoins, une évaluation pourrait être menée pour déterminer si, pour la constitution initiale de certains dossiers pour des demandes de prestations, le rétablissement du face-à-face ne pourrait pas être mis en place L’actualisation de ce dossier pourrait naturellement se faire ensuite par courrier ou par internet.
Proposition : rétablir le face-à-face pour la constitution de dossiers initiaux de demandes de prestations sociales et pour lesquels les téléprocédures facilitent la fraude.
b) Améliorer la sécurisation des documents
Lors de son audition par la MECSS, le directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales, M. Hervé Drouet (158), a mis l’accent sur la nécessité de sécuriser davantage certains documents officiels : « En ce qui concerne les reconnaissances multiples de paternité frauduleuses, les caisses d’allocations familiales sont en bout de chaîne ; la fraude originelle – sur la déclaration de naissance – est moins motivée par l’accès aux prestations que par l’obtention de titres de séjour. Ces fraudes doivent être combattues à la source, au moment de l’établissement de l’acte de naissance. Il est très difficile pour les caisses d’allocations familiales de les repérer et de les combattre. »
L’Agence nationale des titres sécurisés a pour mission d’améliorer la sécurisation de titres tels que la carte grise, la carte d’identité ou le passeport. Lors d’un déplacement de la MECSS à Charleville-mézières, son directeur, M. Raphaël Bartolt, a indiqué, que s’agissant de l’acte de naissance, une expérimentation était menée pour dématérialiser les échanges de données d’état civil. Grâce à la mise en place d’une signature électronique du maire, ces documents peuvent être transmis directement aux organismes de sécurité sociale sans que les assurés l’aient entre les mains et puissent le modifier. C’est, à l’évidence, une voie à suivre et à amplifier.
Proposition : développer la transmission électronique de l’acte de naissance aux organismes de sécurité sociale.
Par ailleurs, M. Raphaël Bartolt, lors de son audition par la MECSS (159) a indiqué que des travaux étaient en cours pour améliorer la sécurisation des justificatifs de domicile : « S’agissant de la quittance, nous avons conçu un système consistant à introduire dans un code barres des éléments figurant sur le justificatif et d’autres que nous sommes seuls à connaître : cela permet de déterminer à distance – grâce à un scanner ou à une cybercaméra (webcam), donc pratiquement sans coût – s’il s’agit d’une quittance authentique ou si elle a subi des modifications – et, dans ce cas, lesquelles. »
c) Permettre aux caisses d’avoir accès plus facilement aux documents originaux
Enfin, la lutte contre la fraude documentaire suppose de permettre aux caisses de sécurité sociale d’avoir plus facilement accès aux documents originaux.
En effet, l’article 3 du décret du 26 décembre 2000 (160) prévoit un formalisme excessif pour toute demande de documents originaux. Il prévoit, en effet, qu’en cas de doute sur la validité de la photocopie produite ou envoyée, « les administrations peuvent demander de manière motivée par lettre recommandée avec une demande d’avis de réception la présentation de l’original. Les procédures en cours sont suspendues jusqu’à la production des pièces originales. » Il est donc nécessaire de simplifier cette procédure pour permettre aux caisses de lutter plus efficacement contre la fraude documentaire.
Proposition : assouplir la procédure de demande de présentation des documents originaux que doivent respecter les organismes de sécurité sociale, en cas de suspicion sérieuse de fraude.
4. Cibler les publics fraudeurs
L’efficacité de la lutte contre la fraude implique d’améliorer l’efficience des contrôles par un meilleur ciblage, grâce notamment au « datamining ».
Les expérimentations de « datamining » menées actuellement dans dix-sept caisses d’allocations familiales ont donné des résultats tout à fait satisfaisants.
Comme le montre le tableau suivant qui retrace le bilan réalisé par la Caisse nationale d’allocations familiales à partir de 2 320 contrôles sur place et 1 783 contrôles sur pièces dans le cas de contrôles traditionnels et dans le cadre de contrôles réalisés à l’aide d’un profilage, le rendement des contrôles augmente de 50 %. Cette technique doit impérativement être généralisée.
Efficacité des contrôles réalisés avec la technique du « datamining »
Taux d’indus |
Montant moyen des indus | |||
Contrôles traditionnels |
Datamining |
Contrôles traditionnels |
Datamining | |
Contrôle sur place |
21 % |
32 % |
2 229 |
1 588 |
Contrôle sur pièces |
3 % |
7 % |
796 |
737 |
Source : Caisse nationale d’allocations familiales
Proposition : généraliser la technique du « datamining » pour développer des contrôles ciblés.
5. Réformer la législation sur les arrêts de travail
Depuis six ans, la lutte contre la fraude aux indemnités journalières a fait l’objet de plusieurs dispositions des lois de financement de la sécurité sociale. Ces évolutions législatives successives ont ainsi permis de dégager 240 millions d’euros d’économies en 2008.
Les mesures législatives
concernant la lutte contre la fraude aux indemnités journalières
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 (161) a obligé le médecin mandaté par un employeur à transmettre au service du contrôle médical de la caisse primaire d’assurance maladie son avis concluant à l’absence de justification de l’arrêt de travail et autorisé le service médical, dans ce cadre, à suspendre le versement des indemnités journalières ;
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (162) a instauré la mise sous accord préalable des médecins qui ont prescrit un nombre d’arrêt de travail significativement supérieur à la moyenne des prescriptions constatée dans la profession ;
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 (163) a rendu systématique le contrôle de tous les arrêts de travail supérieurs à quarante-cinq jours ;
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (164) a généralisé l’expérimentation, menée depuis 2008, de la contre-visite d’un médecin diligenté par l’employeur et de la suspension systématique du versement des indemnités journalières en cas d’arrêt de travail injustifié, et soumis le versement des indemnités journalières, en cas d’arrêts de travail successifs, à l’avis du médecin conseil de la caisse primaire d’assurance maladie. Elle a aussi mis en place une expérimentation sur le contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires par le contrôle médical des caisses primaires d’assurance maladie ;
– la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (165) a prévu un dispositif de pénalités financières en cas d’exercice d’une activité rémunérée pendant la période d’arrêt de travail.
La mission salue tout particulièrement l’adoption de l’article 114 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (166) qui prévoit qu’une pénalité financière peut être prononcée en cas d’exercice d’une activité rémunérée pendant la période d’arrêt de travail, alors qu’auparavant, ce type de fraude ne donnait lieu qu’à la suspension des indemnités journalières. La pénalité est prononcée par le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie et fixée en fonction de la gravité des faits reprochés, soit proportionnellement aux sommes concernées dans la limite de 50 % de leur total, soit, à défaut de sommes déterminées ou clairement déterminables, dans la limite de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale.
Cependant, l’évolution des dépenses d’indemnités journalières impose d’aller plus loin et de renforcer les contrôles sur les arrêts maladies.
Le dispositif de contre-visites
En application d’un accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977, transposé par la loi du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation et la procédure conventionnelle (167), les employeurs versent une indemnité complémentaire à celle versée par les organismes de sécurité sociale en cas d’incapacité de leurs salariés résultant de maladie. En contrepartie, l’employeur peut faire procéder, par un médecin, à une contre-visite du salarié en arrêt maladie, dont la sanction, en cas d’abus, peut être la suspension du complément versé. Selon les dispositions de l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, le médecin qui a effectué une contre-visite à la demande d’un employeur et qui conclut au caractère injustifié de l’arrêt maladie, transmet son avis au service du contrôle médical de la caisse dont relève le salarié. Le service du contrôle médical peut alors, sans qu’il s’agisse d’une obligation, décider de s’appuyer sur cet avis pour demander à la caisse de suspendre le versement de l’indemnité journalière versée par la sécurité sociale.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (168) a instauré une expérimentation destinée à rendre plus efficace ce dispositif. Cette expérimentation a été généralisée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (169). Désormais, tout constat médical de l’absence de justification d’un arrêt maladie par le médecin diligenté par l’employeur impose une décision du service du contrôle médical de la caisse. Ce service peut en effet :
– soit contrôler à son tour le salarié ;
– soit demander à la caisse de suspendre immédiatement le versement des indemnités journalières versées par la sécurité sociale. La caisse d’assurance maladie en informe alors l’assuré et son employeur.
Dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision de suspension des indemnités journalières, l’assuré peut contester cette décision. Le service du contrôle médical dispose alors de quatre jours pour se prononcer et l’assuré est rétabli dans ses droits si la nouvelle décision infirme la décision initiale de suspension des indemnités.
La mission juge nécessaire de développer les contre-visites des salariés en arrêt de travail. Le rapport remis au Parlement sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’expérimentation relative au dispositif de contre-visite initié par l’employeur menée en 2008 (170) a montré l’efficacité du dispositif. Au total, près de 70 % des cas de salariés en arrêt maladie et entrant strictement dans le champ de l’expérimentation ont donné lieu, soit à une reprise du travail, soit à une suspension d’indemnités journalières, ce qui constitue un résultat extrêmement encourageant. Ce dispositif pourrait être aussi utilement développé dans la fonction publique.
Par ailleurs, l’expérimentation menée sur le contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires est tout à fait intéressante et doit être généralisée. Crée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (2), elle consiste à transférer aux caisses primaires d’assurance maladie le contrôle médical et administratif des arrêts maladie des fonctionnaires inférieurs à six mois. Cette mesure devrait être étendue aux fonctions publiques territoriale et hospitalière dès l’automne prochain.
Proposition : favoriser le contrôle des arrêts maladie :
– par le développement des contre-visites à l’initiative de l’employeur dans le secteur privé et le secteur public;
– par la généralisation de l’expérimentation menée sur le contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires par les caisses primaires d’assurance-maladie comme c’est le cas dans le régime général.
Enfin, il serait aussi opportun de développer le principe des primes de « présentéisme » tel qu’il a été mis en place l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille. Une prime de 219 euros bruts a, en effet, été mise en place pour tout agent à temps plein n’ayant aucune absence dans l’année. Cette politique, à certains égards désolante, a eu un effet immédiat puisque le taux d’absentéisme a reculé de 0,5 % en 2010 alors que ce même taux a augmenté dans la fonction publique hospitalière durant la même période.
Proposition : développer les primes de « présentéisme » dans la fonction publique et encourager la négociation de branches sur la mise en place d’une telle prime dans le secteur privé.
D. DES TECHNOLOGIES MODERNES À UTILISER POUR SAUVER LE SYSTÈME
1. Renforcer l’utilisation des technologies modernes
La carte Vitale actuelle n’est pas assez sécurisée. Comme votre Rapporteur l’a montré précédemment, le déploiement de la nouvelle version de cette carte avec une photographie est insuffisant et le processus est lui-même peu sécurisé puisque l’envoi de la photographie se fait simplement par courrier. Par ailleurs, en cas de perte ou de vol, l’assuré peut utiliser une attestation pour le remboursement des soins dont l’utilisation n’est en rien contrôlée.
Lors de son audition par la MECSS, M. Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (171) a souligné le caractère « fraudogène » de l’attestation de la carte Vitale : « Autre cas de fraude, qui tend à se développer : celle de l’assuré vis-à-vis du droit. Elle repose sur des attestations sous forme papier, sans limitation de durée, fournies par l’assurance maladie lorsque l’assuré a perdu sa carte. Elles peuvent être reproduites à de nombreuses reprises et présentées aux pharmaciens, qui délivrent leurs produits au regard d’une ordonnance elle-même dupliquée. L’assurance maladie sanctionne alors, la plupart du temps, l’ensemble des pharmaciens ayant indirectement participé à la fraude. Chaque fois que nous lui avons demandé de bloquer les droits, elle s’y est refusée catégoriquement, arguant de l’impossibilité de supprimer des droits en raison d’une fraude. »
Un des chantiers prioritaires est de mette en place un système d’alerte des cartes Vitale volées ou perdues plus réactifs. Les représentants des syndicats de pharmaciens auditionnés par la MECSS ont souligné que selon les logiciels dont étaient équipées les pharmacies, la transmission de l’information sur une carte volée ou perdue peut prendre plusieurs jours.
Proposition : mettre en place un système plus réactif de signalement des cartes Vitale volées ou perdues aux professionnels de santé.
Mais il faut mener une réforme de plus grande ampleur encore pour améliorer le dispositif de sécurité de la carte Vitale.
En effet, contrairement à la France, de nombreux pays ont entamé des processus de renforcement de la sécurisation de leurs dispositifs de sécurité sociale. M. Georges Liberman, président-directeur général de Xiring a considéré, lors de son audition par la MECSS (172), que « le seul mode de protection d’un système santé est donc l’infrastructure technologique : il faut que les réseaux, les cartes, les systèmes soient conçus pour empêcher la fraude, sans qu’il y ait besoin d’une intervention humaine. C’est pourquoi l’on note, dans la plupart des pays d’Europe, une très forte évolution vers plus de sécurité, de contrôle et de gouvernance, avec des cartes plus puissantes, des terminaux incluant des systèmes de sécurité et des réseaux gérés par des entités chargées de surveiller le bon fonctionnement de l’infrastructure. »
C’est pourquoi votre Rapporteur considère qu’il est indispensable de mettre en place une carte de sécurité sociale sécurisée. À l’image du dispositif belge, cette carte comprendrait l’ensemble des données de sécurité sociale de l’assuré. Elle serait délivrée par les services d’état civil des mairies, dans le cadre d’un face-à-face obligatoire. Un fichier pourrait ainsi croiser les données relatives à la carte d’identité et celles relatives aux prestations sociales de l’assuré.
Cette carte aurait une durée de validité limitée, les droits de l’assuré devant être régulièrement mis à jour. Cette carte pourrait aussi servir à identifier les personnes qui perçoivent des prestations à l’étranger, comme les pensions de retraite.
Par ailleurs, il faut mettre fin au système d’attestation de carte Vitale, qui facilite la fraude et délivrer, en cas de perte ou de vol, une carte Vitale provisoire d’une durée de trois mois.
Proposition : mettre en place une carte de sécurité sociale sécurisée qui contiendrait l’ensemble des données de sécurité sociale de l’assuré et qui serait délivrée par les services d’état civil des mairies dans le cadre d’un face-à-face. Cette carte aurait une durée limitée ;
En cas de perte ou de vol, seule une carte provisoire d’une durée de trois mois serait délivrée.
2. Sécuriser les prescriptions
Afin de diminuer la circulation d’ordonnances falsifiées, il convient de sécuriser davantage les prescriptions. La première sécurisation peut constituer dans la mise en place de prescriptions électroniques – qui pourraient être transmises au pharmacien qui délivre les médicaments – ou bien dans l’apposition d’une signature électronique sur les ordonnances.
Lors de son audition par la mission, Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (173) a souligné l’intérêt d’un tel dispositif : « Pour repérer les dérives, d’autres solutions existent. Je pense plus particulièrement à la prescription télétransmise. L’ordonnance établie par le médecin est envoyée sur un hébergeur de données de santé à caractère personnel et peut, en insérant la carte Vitale du patient dans le boîtier adéquat, arriver dans n’importe quelle pharmacie par voie électronique. De la sorte, l’ordonnance ne peut plus être modifiée ni par le pharmacien, ni par le patient, et les fraudes dont nous avons parlé, notamment celles qui sont organisées avec certains pays étrangers, deviennent impossibles. Ce système a été adopté dans d’autres pays. Pour notre part, nous sommes en train d’y travailler avec les différents ordres de prescripteurs, et nous sommes au point. L’hébergeur du dossier pharmaceutique pourrait tout à fait être utilisé à cette fin. Autrement dit, cela peut fonctionner très rapidement. »
Proposition : sécuriser les ordonnances par la mise en place d’ordonnances électroniques ou par l’apposition d’une signature électronique sur celles-ci.
Il est par ailleurs impératif, de rendre obligatoire l’apposition du nom du médecin prescripteur pour les ordonnances délivrées dans les établissements de santé, afin de faciliter d’éventuels contrôles ultérieurs du pharmacien.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 (174) a prévu que les médecins exerçant dans les établissements de santé publics et les centres de santé soient identifiés par un numéro personnel d’identification distinct du code de la structure où ils exercent. Cette disposition avait notamment pour objet de faciliter le suivi des prescriptions médicales établies à l’hôpital. L’application de cette mesure a cependant pris du retard, en raison notamment des délais nécessaires à l’établissement d’un répertoire partagé des professionnels de santé. L’adoption de l’arrêté du 6 février 2009 sur le répertoire partagé des professionnels de santé (175) et du décret du 22 avril 2011 (176) sur les prescriptions médicales effectuées dans les établissements de santé devraient enfin permettre de mettre en œuvre cette mesure et de sécuriser davantage les ordonnances hospitalières.
Proposition : mettre en place une identification du médecin prescripteur pour les ordonnances délivrées dans les établissements de santé.
1. Mettre en place des sanctions plus dissuasives notamment pour les récidivistes
Les assurés doivent prendre conscience que la fraude ne les expose pas à un simple remboursement du « trop perçu » mais bien à des sanctions financières importantes. Le développement des sanctions pénales et administratives a une fonction pédagogique, particulièrement dans un domaine où la fraude fait l’objet d’une relative tolérance de la part de l’opinion publique.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, lors de son audition par la MECSS (177), a ainsi affirmé : « Il faut en finir avec l’idée que les fraudeurs peuvent passer entre les mailles du filet et que la fraude est un jeu à somme nulle ! Avant, si l’on fraudait, on risquait au pire de devoir rembourser les sommes indûment perçues. Il faut casser cette logique : non seulement on doit avoir l’assurance de récupérer ces sommes mais il faut aussi que le fraudeur ait conscience qu’avec les moyens informatiques et humains mis en place et la volonté politique qui les sous-tend, il se fera forcément prendre et que la fraude risque de lui coûter plus cher ; d’où l’idée de pénalités financières et de sanctions administratives. »
La mission considère qu’il est impératif de mettre en place des peines plus dissuasives, notamment pour les récidivistes. À titre d’exemple, comme l’a suggéré M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne lors de son audition devant la MECSS (178), les peines sanctionnant le travail dissimulé doivent être alourdies. Par ailleurs, il est impératif de développer les sanctions administratives et les nouvelles sanctions comme la suspension de prestations.
Proposition : mettre en place des sanctions pénales plus dissuasives, notamment pour les récidivistes et développer le recours aux sanctions administratives.
2. Améliorer la coordination des acteurs
Lors de son audition par la MECSS, M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins (179) a ainsi constaté que l’ordre n’était pas informé des poursuites engagées par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés à l’encontre d’un médecin.
Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (180) a, quant à elle, souligné que si ce manque d’information avait aussi été longtemps la règle entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et l’Ordre des pharmaciens, une convention signée en septembre 2010 entre la caisse nationale et l’ordre devait faciliter la transmission de l’information sur ces sujets : « Nous ne sommes au courant de certaines affaires que lorsque le scandale est évoqué à la télévision ou dans les journaux ; c’est ce qui s’est passé dans l’affaire de la pharmacie de la rue de Prony. Si nous ne disposons pas d’éléments d’information, nous ne pouvons pas enclencher la saisine d’une chambre de discipline, qui peut pourtant statuer beaucoup plus rapidement que la justice. C’est la raison pour laquelle nous avons engagé un « partenariat » avec les services de M. Pierre Fender pour faire en sorte que lorsqu’une affaire grave est portée devant la justice, l’ordre en soit informé – bien entendu, avec l’accord du procureur – afin de pouvoir enclencher la saisine d’une chambre de discipline. »
La mission considère donc qu’il serait souhaitable qu’une telle convention soit aussi signée entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et l’Ordre des médecins. Elle serait de nature à faciliter la mise en œuvre de procédures disciplinaires à l’encontre des médecins fraudeurs.
Proposition : favoriser la signature de conventions entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et les ordres professionnels afin de favoriser la transmission de l’information sur les poursuites engagées à l’encontre d’un professionnel de santé.
3. Améliorer la récupération des indus
Plusieurs mesures législatives ont eu pour objectif de faciliter la récupération des indus. C’est le cas notamment de l’article 118 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (181) qui a donné à l’ensemble des caisses de sécurité sociale un pouvoir de contrainte pour recouvrer les prestations indûment versées et qui a instauré un mécanisme de fongibilité permettant de récupérer des indus de prestations délivrées par une caisse d’allocation familiale sur une autre catégorie de prestations (par exemple, récupération sur des allocations logement de prestations familiales indûment versées).
La mission considère qu’une politique volontariste doit être menée par les caisses pour améliorer la récupération des indus. L’augmentation du délai de prescription pour la récupération des indus pourrait aussi être envisagée.
Proposition : augmenter le délai de prescription des fraudes pour favoriser la récupération des indus.
Comme l’ont montré les vingt-huit auditions et les six déplacements effectués par la MECSS depuis près d’un an, la lutte contre la fraude n’est plus un sujet tabou. Il faut s’en féliciter car la fraude sociale aggrave le déficit de nos finances sociales et met à mal la solidarité nationale.
Au terme de cette mission demandée par la commission des affaires sociales et présidée par MM. Pierre Morange et Jean Mallot, votre Rapporteur tient à saluer les actions menées en matière de lutte contre la fraude sociale et la création de la délégation nationale de la lutte contre la fraude. Cette politique a déjà porté ses fruits puisque 458 millions d’euros de fraudes aux prestations et aux prélèvements ont été détectés en 2010 et 1,7 milliard d’euros ont été ainsi récupérés depuis 2006.
Néanmoins, bien que les résultats de cette politique soient en progression, grâce notamment à l’aiguillon des travaux parlementaires et des mesures législatives adoptées récemment, ils restent insuffisants. Rappelons que la fraude aux prélèvements et aux prestations représente près de 20 milliards d’euros, soit 44 fois plus que la fraude actuellement détectée.
Il est donc nécessaire aujourd’hui de mettre en place une politique plus volontariste. L’ampleur des déficits sociaux et la volonté de mieux maîtriser la dépense publique rendent nécessaire un meilleur contrôle de la dépense sociale. Plusieurs pays européens, tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique se sont d’ailleurs engagés dans cette voie. La mobilisation récente des acteurs de la sécurité sociale et de l’État montre que nous sommes sur la bonne voie. L’ensemble des préconisations proposées par la MECSS doit permettre de d’approfondir ces efforts et de répondre à ce nouveau défi.
Nos concitoyens, persuadés comme M. Xavier Bertrand que « la fraude, c’est du vol » (182), ne peuvent en effet garder leur confiance dans notre système de protection sociale si elle perdure dans de si larges proportions. N’ont-ils pas pour l’égalité, comme le rappelle Alexis de Tocqueville, « une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ? » (183)
• Améliorer le pilotage par l’État de la politique de lutte contre la fraude sociale
– mettre en place un plan national de lutte contre la fraude, détaillé par branche et par régime, et évalué par la délégation nationale de lutte contre la fraude ;
– élaborer un bilan annuel des traitements automatisés et des croisements de fichiers et un programme prévisionnel des nouveaux traitements jugés nécessaires ;
– clarifier les missions de la direction de la sécurité sociale et de la délégation nationale de lutte contre la fraude ;
• Simplifier et unifier le cadre juridique de la lutte contre la fraude
– définir l’isolement comme l’isolement économique, c’est-à-dire l’absence de mise en commun de ressources et d’aide financière, et abandonner l’utilisation de la notion de vie commune ;
– réduire le nombre d’incriminations pénales en matière de fraude ;
– actualiser chaque année le guide de la direction de la sécurité sociale sur la réglementation applicable en matière de lutte contre la fraude, en y intégrant notamment la liste des traitements et croisements de fichiers autorisés ;
• Favoriser un pilotage de la lutte contre la fraude plus dynamique des caisses nationales
– renforcer le rôle des caisses nationales afin de diminuer les disparités locales dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre la fraude ;
– adopter une définition nationale de la fraude ;
– favoriser l’élaboration par les caisses nationales de guides pratiques sur la lutte contre la fraude à destination des agents des organismes de sécurité sociale ;
– renforcer le volet relatif à la fraude dans les conventions d’objectifs et de gestion signées entre l’État et les caisses nationales de sécurité sociale et le rendre plus contraignant en l’assortissant d’objectifs chiffrés, d’indicateurs de résultat et d’un programme prévisionnel pour chaque année ;
– renforcer la formation des agents des organismes de sécurité sociale en matière de lutte contre la fraude et renforcer les contrôles internes en mettant en place des « faux dossiers tests » pour tester leur capacité à repérer les fraudes ;
– sensibiliser les assurés et les entreprises sur les enjeux de la fraude aux prestations et aux prélèvements par un plan national de communication « choc » contre la fraude et par un affichage plus systématique dans les caisses des peines prononcées ;
• Renforcer les moyens de contrôle
– augmenter le nombre de contrôleurs des organismes de sécurité sociale ;
– doter les contrôleurs des outils nécessaires à leur mission notamment en généralisant les détecteurs de faux papiers ;
– étudier l’opportunité de mettre en place un fichier national interrégimes des personnes ayant commis une fraude en matière sociale. ;
• Renforcer les moyens de lutte contre le travail illégal
– créer un fichier national des dirigeants ayant fait l’objet d’une condamnation pour interdiction de gérer, alimenté par les greffes des tribunaux de commerce ;
– encourager la négociation d’accords de branches, notamment dans certains secteurs « sensibles », sur la mise en place de dispositifs de lutte contre le travail illégal (carte professionnelle…) ;
– mettre en place une procédure de « flagrance sociale » afin de permettre à l’inspecteur du recouvrement, dès la constatation de l’infraction, d’établir un procès-verbal concernant la lutte contre le travail illégal signifié par voie d’huissier pour que l’ensemble des mesures conservatoires puissent être prises ;
– augmenter les effectifs consacrés à la lutte contre le travail illégal ;
• Développer l’interconnexion des fichiers
– finaliser rapidement la mise en place du répertoire national commun de protection sociale en y incluant les montants des prestations versées ;
– finaliser l’accès des organismes de protection sociale au fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) ;
– permettre un accès informatisé des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale aux fichiers des services fiscaux ;
– développer les croisements de fichiers entre les organismes sociaux et les services fiscaux, notamment en généralisant les expérimentations menées dans ce domaine par les branches Famille et Maladie après une évaluation de celles-ci ;
• Généraliser les expériences innovantes
– contrôler, dans le cadre de réseaux de professionnels de santé, la délivrance des substituts aux opiacés en appliquant le dispositif de l’article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale ;
– généraliser la technique du « datamining » pour développer des contrôles ciblés ;
• Améliorer les contrôles sur la condition de résidence
– développer les contrôles sur place de la condition de résidence de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ;
– généraliser la diffusion à l’ensemble des organismes de sécurité sociale de la liste des services fiscaux recensant la liste des personnes qui ont déclaré ne plus habiter en France ;
– développer les conventions locales entre La Poste et les organismes de sécurité sociale et permettre l’accès des contrôleurs au fichier de changement d’adresse et de réexpédition du courrier de La Poste ;
• Garantir une égalité de traitement dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés sur l’ensemble du territoire
– développer la formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ;
– édicter des règles nationales sur les critères et les modalités d’attribution de cette allocation ;
• Développer l’usage de technologies modernes
– mettre en place un système plus réactif de signalement des cartes Vitale volées ou perdues aux professionnels de santé ;
– mettre en place une carte de sécurité sociale sécurisée qui contiendrait l’ensemble des données de sécurité sociale de l’assuré et qui serait délivrée par les services d’état civil des mairies dans le cadre d’un face-à-face. Cette carte aurait une durée limitée ;
– mettre en place une carte provisoire de trois mois, délivrée en cas de perte ou de vol ;
– sécuriser les ordonnances par la mise en place d’ordonnances électroniques ou par l’apposition d’une signature électronique sur celles-ci ;
– mettre en place une identification du médecin prescripteur pour les ordonnances délivrées dans les établissements de santé ;
• Développer les contrôles sur les assurés percevant des prestations à l’étranger
– généraliser les contrôles opérés par des organismes agréés par les consulats sur les personnes percevant des pensions de retraite et résidant à l’étranger ;
– étudier la mise en place, à compter du 1er janvier 2013, d’une carte de sécurité sociale biométrique permettant d’assurer le contrôle de la situation des retraités résidant à l’étranger ;
– développer la signature de conventions bilatérales de sécurité sociale prévoyant une coopération administrative en matière de lutte contre la fraude ;
– encourager une négociation au niveau européen pour permettre des relations de coopération renforcée entre les pays de l’Union européenne ;
• Revoir la procédure d’attribution des numéros de sécurité sociale (NIR)
– préciser, dans un texte de loi, l’organisme compétent en matière d’attribution du NIR ;
– poser le principe, dans le code de la sécurité sociale, de la nécessité pour un assuré d’avoir un numéro de sécurité sociale (NIR) certifié pour bénéficier du versement de prestations de sécurité sociale ;
– confier l’attribution des NIR à l’Agence nationale des titres sécurisés qui effectuerait des contrôles approfondis sur les documents établissant l’identité de la personne par des échanges d’informations avec les services d’état civil, les mairies et les consulats ;
– limiter la durée du numéro d’inscription d’attente à six mois, délai au terme duquel les services de l’État décideraient si le NIR doit être certifié au vu des documents transmis et de la situation de l’assuré ;
• Lutter contre la fraude documentaire et la fraude à l’identité
– rétablir le face-à-face pour la constitution de dossiers initiaux de demandes de prestations sociales et pour lesquels les téléprocédures facilitent la fraude ;
– développer la transmission électronique de l’acte de naissance aux organismes de sécurité sociale ;
– assouplir la procédure de demande de présentation des documents originaux que doivent respecter les organismes de sécurité sociale, en cas de suspicion sérieuse de fraude ;
• Développer le contrôle des arrêts maladie
– par le développement des contre-visites à l’initiative de l’employeur dans le secteur privé et le secteur public ;
– développer les primes de « présentéisme » dans la fonction publique et encourager la négociation de branches sur la mise en place d’une telle prime dans le secteur privé ;
– généraliser l’expérimentation menée sur le contrôle des arrêts maladie des fonctionnaires par les caisses primaires d’assurance-maladie comme c’est le cas dans le régime général ;
• Augmenter les sanctions et améliorer la récupération des indus
– mettre en place des sanctions pénales plus dissuasives, notamment pour les récidivistes et développer le recours aux sanctions administratives ;
– favoriser la signature de conventions entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et les ordres professionnels afin de favoriser la transmission de l’information sur les poursuites engagées à l’encontre d’un professionnel de santé ;
– augmenter le délai de prescription des fraudes pour favoriser la récupération des indus.
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La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a adopté le présent rapport lors de sa réunion du mardi 21 juin 2011.
Comme le prévoit l’article LO 111-9-3 du code de la sécurité sociale, elle notifiera les préconisations du présent rapport au Gouvernement et aux organismes de sécurité sociale concernés, lesquels seront tenus d’y répondre dans un délai de deux mois, et assurera le suivi de ses conclusions.
CONTRIBUTION DE MME JACQUELINE FRAYSSE AU NOM DU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE (GDR)
La lutte contre la fraude est nécessaire et juste.
Nécessaire, parce qu’elle existe et ne s’éteindra pas spontanément, exigeant des contrôles. Juste, parce qu’il s’agit d’argent public dont l’éventuel détournement porte atteinte à l’intérêt général.
L’objet de ce rapport de la MECSS aurait dû être de mesurer l’ampleur de la fraude et sa nature afin de formuler des propositions d’actions permettant sinon de l’éradiquer, du moins de la réduire significativement. Ce n’est hélas pas le cas.
Une première remarque s’impose : le rapporteur a retenu le montant de 20 milliards d’euros pour la fraude sociale, là où la Cour des comptes évoque plutôt une fourchette de 10 à 15 milliards, confirmée par de nombreuses personnes auditionnées par la mission. Ce montant est très inférieur à celui de la fraude fiscale, estimé entre 30 et 40 milliards d’euros par an.
Pour autant, ce sont 10, 15 ou 20 milliards de trop qui bien évidemment manquent dans le budget de la sécurité sociale, même si la situation de l’emploi reste la cause essentielle du déficit.
Seconde remarque : de nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur le fait que la fraude sociale est un phénomène relativement peu développé. Comme l’a très bien souligné Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, « La fraude est un problème réel, mais elle n’est pas un problème majeur ou massif. Et si on est impressionné par le montant des fraudes, on pourrait l’être aussi par le chiffre élevé des contribuables ou assujettis qui paient régulièrement leurs cotisations et leurs impôts. Dans l’ensemble, les gens jouent le jeu : parce qu’ils font leur devoir, et c’est sans doute la raison principale ; aussi par « peur du gendarme » – et le fait que le contrôle soit visible, connu, pèse d’ailleurs sur les comportements » (audition du 16 septembre 2010).
Il devrait s’agir de lutter efficacement contre toutes les fraudes repérées, donc de le faire de manière équitable, visible, transparente et pragmatique. C’est précisément sur cet objectif que porte notre critique du rapport présenté.
La fraude sociale concerne avant tout la fraude aux prélèvements
En effet, toutes les auditions ont montré que la fraude sociale concerne avant tout la fraude aux prélèvements, celle aux prestations étant en quelque sorte résiduelle. Le Rapporteur a ainsi retenu les estimations de 8 à 15,8 milliards d’euros pour la fraude aux prélèvements – soit entre 6,4 milliards et 12,4 milliards pour le travail dissimulé et 2,2 milliards pour les redressements de cotisations sociales – et entre 2 et 3 milliards pour la fraude aux prestations.
Malheureusement, ce constat ne conduit pas le rapporteur à tirer les conclusions et à formuler les propositions qui s’imposent. En effet, sur les 53 recommandations avancées par le rapport, 4 seulement concernent explicitement les fraudes aux prélèvements, les autres se focalisant quasi exclusivement sur les seules fraudes aux prestations.
Les conséquences de la fraude aux prélèvements, c’est-à-dire la fraude aux cotisations sociales que les entreprises doivent régler, apparaissent pourtant autrement plus dommageables.
Non seulement parce que les montants en jeu sont cinq fois plus élevés, mais également parce qu’elle agit à la fois sur les ressources de la protection sociale et sur les droits des salariés. Pour le rapporteur, 10 % à 12 % des entreprises sont en infraction et 5 % à 7 % des salariés ne sont pas déclarés, ce qui est considérable et sans commune mesure avec la fraude aux prestations, estimée par le rapporteur à 1 % des prestations versées, et à 0,77 % par la Cour des comptes. Ce sont donc bien avant tout les entreprises qui sont responsables de la fraude sociale.
À la différence des fraudes aux prestations, notamment familiales, le taux de récupération des redressements consécutifs aux situations de travail dissimulé est très faible, de l’ordre de 10 % à 15 %, du fait de la mise en liquidation judiciaire des entreprises contrôlées, ce qui limite considérablement les perspectives de recouvrement pour les URSSAF. Une solution à cette situation, qui ne figure pas dans les recommandations du rapport, pourrait être de responsabiliser les donneurs d’ordre par la création d’un fond d’indemnisation de la sécurité sociale, financé exclusivement par les entreprises, pour pallier les liquidations judiciaires « frauduleuses ».
La fraude aux prestations porte donc sur des montants nettement moins élevés.
Il n’en faut pas moins la combattre. Les auditions ont permis de distinguer la fraude organisée et la fraude individuelle. La première, élaborée par des réseaux quasi-mafieux, peut porter sur des montants importants. La seconde est plus « artisanale ». Elle concerne de faibles montants facilement recouvrables, une fois la fraude attestée, sur les prestations futures. Par ailleurs, la frontière entre fraude, erreur et omission est parfois tenue, comme l’a montré Jean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés indiquant qu’un assuré social dont on a mal calculé les indemnités journalières est en situation d’indu et est considéré comme un fraudeur, alors qu’il ne maîtrise en rien l’attestation salariale de son employeur ni le calcul des indemnités effectué par la caisse primaire (audition du 20 février 2011). Quant au revenu de solidarité active, c’est une prestation génératrice de risques dans la mesure où il s’adapte à la situation des personnes, le moindre retard dans la déclaration des interruptions et des reprises d’activité pouvant générer des versements excessifs ou insuffisants, comme l’a signalé Daniel Buchet, responsable du département « maîtrise des risques et lutte contre la fraude » de la Caisse nationale des allocations familiales (audition du 21 octobre 2010).
Le rapport semble avoir oublié que l’immense majorité de nos concitoyens sont des personnes honnêtes, et que, comme l’indiquait le député Jean-Luc Préel, « la nature humaine étant ce qu’elle est, il est vain de penser qu’on éradiquera la fraude un jour » (audition du 1er juillet 2010). Aussi, la lutte contre la fraude aux prestations ne saurait autoriser aucune dérive et notamment aucune atteinte aux libertés fondamentales, ni aucune stigmatisation de certaines catégories de personnes.
Plus généralement, nous ne retrouvons pas dans les conclusions du rapport cette prééminence des fraudes aux prélèvements.
À la différence du rapporteur, Jacqueline Fraysse et les députés du groupe GDR sont davantage préoccupés par le travail « au noir » que par les fausses cartes Vitale en circulation, somme toute peu nombreuses, ou les quelques indemnités journalières abusives, pratiques certes condamnables, mais néanmoins marginales et dont l’impact financier est sans commune mesure avec les fraudes aux cotisations sociales.
Concernant les cartes Vitale, thème récurrent tout au long des auditions, Jacqueline Fraysse met en garde contre l’illusion que la technique serait la solution miracle pour empêcher les fraudes et surtout sur le coût démesuré d’une nouvelle carte « sécurisée » face au bénéfice attendu.
En effet, la fraude à la carte Vitale, comme l’a signalé Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, est moins importante quantitativement que les fraudes aux ressources ou aux actes, dans la mesure où notre système de protection sociale est très généreux (184) : en bénéficient tout résident en situation régulière, mais aussi des étrangers en situation irrégulière (audition du 21 octobre 2010).
Par ailleurs, Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a mis en garde les députés sur le coût du remplacement des cartes Vitale existantes par des cartes sécurisées : « La différence entre la délivrance d’un passeport et d’une carte Vitale, c’est le face-à-face en mairie. Selon les textes en vigueur, la carte Vitale est délivrée au vu de photocopies. On ne peut pas nier que le face-à-face apporterait une sécurité supplémentaire. En revanche, ce serait beaucoup plus coûteux, ne serait-ce qu’en raison du temps que les agents consacreraient à cette tâche. L’opération de renouvellement du stock qui avait été initialement prévue est extrêmement lourde : tout le monde, y compris les personnes âgées de 80 ans pensionnaires d’une maison de retraite, devrait changer sa carte ! » (audition du 4 novembre 2010). Les médecins enfin font remarquer qu’il n’entre pas dans leurs missions de vérifier l’identité de leurs patients et craignent que cela complique leur pratique.
Concernant l’abus des indemnités journalières, maintes fois pointé dans le rapport, nous attirons l’attention sur les propos du Dr Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français-Confédération des syndicats médicaux français, demandant si le fait de « répondre à la souffrance sociale » et d’accorder des arrêts de travail à des personnes « qui ont de plus en plus de difficultés au travail » relève de la fraude (audition du 20 janvier 2011).
Pour le Dr Claude Bronner, co-président d’Union généraliste, les priorités de la CNAMTS sont elles-mêmes difficiles à saisir. Ainsi, sur les 800 points de l’accord d’intéressement qui lie les médecins-conseils à l’assurance maladie, 160 points concernent le contrôle des arrêts de travail, contre 30 points seulement au titre du recours contre tiers qui permet pourtant à l’assurance maladie de se faire rembourser par l’assurance du tiers responsable d’un accident les prestations versées à la suite de celui-ci. « Voilà qui pose problème aux malheureux médecins que nous sommes, surtout quand on sait que l’assurance maladie est actuellement dirigée par un ancien assureur », conclut le Dr Bronner (audition du 20 janvier 2011).
Discret sur la responsabilité des entreprises dans la fraude sociale, le rapport l’est aussi sur celle de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en œuvre par le gouvernement dans le manque de moyen pour lutter contre elle, et singulièrement contre le travail dissimulé.
Vincent Ravoux, directeur de l’URSSAF de Paris et de la région parisienne, indique ainsi qu’il ne dispose que de 45 à 50 d’équivalents temps plein pour lutter contre le travail illégal en Île-de-France (audition du 9 décembre 2010). Certains départements ne disposent que d’un demi-équivalent temps plein, signale pour sa part Serge Cigana, représentant de la CFDT au conseil d’administration de l’ACOSS (audition du 20 février 2011).
Les moyens qui manquent aux administrations de sécurité sociale pour prévenir et détecter la fraude manquent également à la justice pour prononcer des condamnations.
Les délais observés à Paris ou à Versailles pour obtenir un jugement pour travail dissimulé – deux ans à deux ans et demi - laissent tout le temps aux entreprises pour s’évanouir dans la nature, déplore ainsi le directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle de l’URSSAF de Paris et de la région parisienne (audition du 9/12/10).
Si de manière générale, une fraude met trois à quatre années à être jugée au pénal, la situation est plus dégradée encore en Seine-Saint-Denis où aucune des plaintes pénales de la CNAMTS n’a commencé à être instruite. Même la représentante du ministère de la justice a fait remarquer que la justice ne dispose pas de suffisamment d’enquêteurs financiers très spécialisés à même de conduire les enquêtes particulières qu’imposent les fraudes et, plus généralement la délinquance économique et financière. Si les plus importantes fraudes aux prestations sont initiées par des organisations mafieuses, cette fraude organisée qui peut porter sur des montants conséquents reste ainsi peu sanctionnée par les tribunaux, fait remarquer Vincent Ravoux, directeur de l’URSSAF de Paris et de la région parisienne (audition du 9 décembre 2010).
La fraude aux prestations peut également concerner les établissements de santé et porter sur la tarification à l’activité. Il s’agit même, d’après le rapport, de la principale fraude dont est victime l’assurance-maladie (157,1 millions d’euros récupérés entre 2005 et 2009), bien loin devant les indemnités journalières (54,1 millions d’euros récupérés). Pourtant, si quatre recommandations du rapport concernent les abus d’indemnités journalières, aucune ne vise les établissements de santé.
En cas de fraude avérée, les cliniques et les professionnels de santé se dégagent de leur responsabilité en remboursant le montant fraudé. « Mais l’assurance maladie engage des dépenses importantes pour réaliser les contrôles : il a ainsi fallu mobiliser huit agents pendant six mois pour percer à jour une fraude de trois millions d’euros commise par une clinique de la région parisienne ; est-il normal que celle-ci ne rembourse que le montant de la fraude ? », signalait Jean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la CGT et conseiller à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (audition du 20 février 2011).
Plusieurs personnes auditionnées ont par ailleurs pointé la contradiction entre les velléités affichées par certains députés de lutter fermement contre la fraude, et les amendements que ces mêmes députés, dont le rapporteur, ont déposés lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, tendant à limiter le contrôle de l’assurance maladie sur les établissements de santé en le restreignant aux manquements « délibérés ». « À un moment donné, il faut savoir ce que l’on veut » a déclaré le directeur de la sécurité sociale.
Jacqueline Fraysse regrette enfin que les autres formes de fraudes évoquées lors des différentes auditions n’aient pas été mentionnées dans le rapport final. Il en est ainsi, par exemple, de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les cotisations AT-MP sont versées exclusivement par les employeurs et leur taux modulé en fonction des risques encourus par les salariés : les employeurs ont tout intérêt à faire pression sur leurs salariés pour qu’ils ne les déclarent pas comme tel. Ils seront alors pris en charge par l’assurance-maladie et non par les employeurs.
Ce « phénomène marginal », comme l’indiquait le représentant du MEDEF, pour une fois plein de mansuétude vis-à-vis des fraudeurs, coûte néanmoins près d’un milliard d’euros par an à l’assurance-maladie, soit nettement plus que les indemnités journalières abusives ou les fausses cartes Vitale, mais ce rapport ne l’évoque même pas.
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Loin de s’attaquer aux fraudes sociales, et en premier lieu à celles qui portent sur les montants les plus élevés, ce rapport s’inscrit dans un mouvement de stigmatisation des plus pauvres de nos concitoyens, ce qui augure mal de l’efficacité des propositions de la MECSS.
Les recommandations formulées par le rapport sont à l’aune de cette vision politicienne et biaisée des fraudes sociales.
Certaines sont excessives par rapport à la réalité, notamment celle portant sur la carte Vitale sécurisée dont le coût final, supporté par les municipalités, sera sans commune mesure avec les quelques économies attendues.
D’autres sont attentatoires aux libertés individuelles, notamment celles préconisant des croisements de fichiers.
Mais surtout, elles se focalisent sur les fraudes aux prestations alors que 80 % des fraudes sociales concernent les prélèvements et sont imputables aux entreprises.
Comme l’ont signalé plusieurs personnes auditionnées, les outils existent pour lutter contre la fraude : ne manquent que les moyens.
À l’heure où la situation des comptes publics appelle une action énergique et pragmatique contre les gaspillages et les abus, Jacqueline Fraysse déplore que le rapport de la MECSS s’enlise dans une telle vision stigmatisante de la fraude sociale et refuse de s’attaquer frontalement aux véritables fraudeurs.
C’est la raison pour laquelle elle n’a pas approuvé son adoption.
La Commission des affaires sociales examine le rapport d’information de M. Dominique Tian en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur la lutte contre la fraude sociale, au cours de sa séance du mercredi 29 juin 2011.
M. Dominique Tian, rapporteur. Après onze mois de travaux, de nombreuses auditions et quelques déplacements en France et à l’étranger – en Belgique et aux Pays-Bas – sous la présidence conjointe de Jean Mallot et de Pierre Morange et avec la participation active des membres de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), me voici en mesure de présenter à la Commission des affaires sociales le rapport d’information que nous avons adopté à l’unanimité la semaine dernière.
Notre travail consistait à tenter de répondre à ces deux questions : la fraude sociale existe-t-elle dans notre pays ? Quelles mesures législatives faudrait-il adopter pour y remédier ?
La fraude sociale existe en effet, même si elle est quelque peu différente de ce que nous pouvions imaginer. Le bilan des travaux de la mission a été largement relayé par la presse et par le Gouvernement, qui a présenté mercredi dernier un plan de lutte contre la fraude. J’ai relevé cette coïncidence, qui montre l’intérêt que suscitent les travaux de l’Assemblée nationale…
La fraude sociale coûte à notre pays près de 20 milliards d’euros, essentiellement dus au travail illégal, qui est un mal endémique dans notre pays, 2 à 3 milliards étant dus à la fraude aux prestations. Les chiffres de la fraude aux encaissements ont été confirmés par le Conseil des prélèvements obligatoires et ceux relatifs à la fraude aux prestations sont issus des travaux de la Cour des comptes. Ils sont donc peu contestables.
Le Gouvernement s’est exprimé sur ces chiffres par la voix de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, qui a indiqué que les fraudes aux prestations et aux prélèvements détectées en 2010 représentaient un montant de 458 millions d’euros. Des organismes ont également communiqué au cours de ces derniers mois : la branche famille, qui a relevé plus de 90 millions d’euros de fraudes en 2009 ; la branche maladie, qui a mis en évidence 156 millions d’euros de fraude ; la branche vieillesse dont la fraude détectée est passée de 3 millions d’euros en 2009 à plus de 10 millions d’euros en 2010. Cette augmentation résulte essentiellement de la fraude au départ anticipé pour carrière longue, les salariés ayant pu en effet reconstituer leur carrière sur simple déclaration sur l’honneur. Cette facilité a fait l’objet d’une scandaleuse fraude massive.
La question de la fraude n’est pas nouvelle et nos collègues membres de la MECSS présentent régulièrement des amendements, parfois avec succès, visant à lutter contre elle. L’Assemblée nationale se penche chaque année sur ce thème lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et certains de nos collègues s’investissent particulièrement en la matière, notamment Michel Issindou, qui siège à mes côtés avec deux sénateurs au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF).
Après 28 auditions et sept déplacements, nous avons le sentiment qu’en matière de lutte contre le travail illégal, les moyens engagés par l’État sont insuffisants. La difficulté vient de ce que ce véritable fléau national est souvent le fait de professionnels de la fraude qui profitent des faiblesses et des lacunes du système. La création d’un fichier national des dirigeants ayant fait l’objet d’une condamnation pour interdiction de gérer, attendue depuis longtemps, serait bienvenue. Si le travail au noir peut avoir un côté marginal lorsqu’il représente un complément d’activité pour des personnes peu fortunées, le silence des uns et des autres lorsque le système est industrialisé est inadmissible. Aussi est-ce de manière unanime que nous souhaitons voir l’État lutter plus efficacement contre le travail au noir.
En matière de lutte contre la fraude, le pilotage national, en particulier celui des caisses, est insuffisant. La loi ou le règlement ne sont pas appliqués de la même manière selon les départements et les régions, et cette disparité nous inquiète. Certains grands chantiers de l’État en matière de croisement de fichiers ont pris du retard – je pense au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), qui ne devrait être opérationnel qu’en fin d’année.
Une autre faiblesse du système tient à la complexité de la réglementation sociale, qui fait l’objet de notes internes quasiment quotidiennes destinées à permettre aux employés des caisses d’allocations familiales d’en comprendre le fonctionnement. Les directives sont souvent comprises différemment selon les régions, ce qui facilite la tâche des fraudeurs.
Les moyens humains et techniques mis à la disposition des caisses et des Urssaf sont notoirement insuffisants. Or, l’on sait que plus on cherche, plus on trouve.
Quant aux contrôles des assurés et aux sanctions pénales et administratives prononcées à l’encontre des fraudeurs, ils nous semblent trop rares pour constituer un signal suffisamment fort.
J’en viens à quelques-unes des propositions de notre rapport d’information, qui devrait d’ailleurs s’intituler « La fraude sociale : une menace pour la solidarité ».
Tout d’abord, le pilotage de la politique de lutte contre la fraude – sujet qui n’est plus tabou – doit être renforcé. Il faut lutter contre les disparités locales, notamment en adoptant une définition nationale de la lutte contre la fraude ainsi que des conventions d’objectifs et de gestion plus contraignantes – c’est d’ailleurs l’une des recommandations de la Cour des comptes. Il faut également développer la formation des agents.
Il convient, en outre, de sensibiliser les assurés et les entreprises aux enjeux de la fraude, comme cela a été fait à plusieurs reprises. Il faut renforcer le plan national de communication, à l’instar de la plupart des pays européens. Il semble nécessaire, à cet égard, de mettre en place des sanctions pénales plus dissuasives, notamment pour les récidivistes, et de développer le recours aux sanctions administratives, plus rapides à mettre en place.
La réglementation applicable à certaines prestations sociales doit être réformée. Il est ainsi proposé de simplifier le critère d’attribution du revenu de solidarité active (RSA) majoré – l’ancienne allocation de parent isolé (API) – en le basant sur le seul isolement économique. Il s’agit de vérifier l’absence de mise en commun des ressources et de toute aide financière – qui paie les charges du ménage, le loyer, la cantine des enfants ? – au lieu de prévenir les personnes à l’avance par courrier recommandé que l’on vient vérifier si elles vivent seules. Sans aller jusqu’au renversement de la charge de la preuve, la notion d’isolement économique nous paraît plus logique et plus acceptable sur le plan intellectuel.
Il est primordial de renforcer les moyens de contrôle. Il faut à cet effet augmenter le nombre de contrôleurs des organismes de sécurité sociale, les doter d’outils tels que les détecteurs de faux papiers, et mettre en place un fichier national interrégimes des personnes ayant commis une fraude en matière sociale. Cette disposition a fait l’objet de longues discussions. La plupart des pays européens ont choisi de concentrer leur action sur les personnes qui présentent un risque de fraude plutôt que de se lancer dans d’importantes missions de contrôles qui se révèlent souvent inopérantes, et des expérimentations de datamining – qui, par un meilleur ciblage des fraudeurs potentiels, permet de gagner du temps et de l’efficacité – sont menées par plusieurs caisses.
Les Urssaf doivent être dotés de moyens supplémentaires pour lutter contre le travail illégal, par exemple la mise en place d’un fichier national d’interdits de gérer. En l’absence de connexion des greffes des tribunaux de commerce, un dirigeant frappé d’une interdiction de gérer peut, en effet, déclarer une société dans un autre greffe. Cette absence de contrôle est condamnable, et les greffes ont une réelle responsabilité à prendre en la matière.
Parmi les recommandations auxquelles la mission tient particulièrement figure la procédure de « flagrance sociale ». En matière de lutte contre le travail illégal, les réponses administratives et pénales sont trop longues ne permettant pas la mise en œuvre immédiate de mesures conservatoires. Ainsi, dans le secteur du bâtiment, des chantiers continuent alors même que du travail illégal a été détecté. La procédure de « flagrance sociale » entraînerait l’arrêt immédiat du chantier.
La lutte contre la fraude passe par l’interconnexion des fichiers. La mise en place du répertoire national commun de protection sociale doit être achevée et l’accès des organismes de sécurité sociale au logiciel d’application des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF) doit être finalisé. La France est en retard sur ce point par rapport aux autres pays européens.
Certaines expériences innovantes méritent d’être généralisées. Les réseaux de professionnels de santé pourraient s’inspirer de l’expérimentation conduite à Toulouse pour lutter contre le trafic des substituts aux opiacés – le Subutex en l’occurrence – qui a entraîné la diminution sensible des détournements. Pourquoi la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés n’a-t-elle pas généralisé cette expérience ?
Il est également impératif de mettre en place une carte de sécurité sociale sécurisée, qui contiendrait l’ensemble des données de sécurité sociale de l’assuré. Cette carte, d’une durée limitée, serait délivrée par les services d’état civil des mairies dans le cadre d’un face-à-face. Le fait que la photo de la carte Vitale peut être adressée par courrier nous a beaucoup choqués, car cela ne présente pas les garanties de sécurité nécessaires et facilite la tâche de celui qui a l’intention de frauder. Ces cartes de sécurité sociale ne seront pas biométriques, comme le seront bientôt les cartes d’identité lorsque nous aurons voté la proposition de loi adoptée par le Sénat relative à la protection de l’identité que nous examinerons les 5 et 6 juillet prochains. Étendre le face-à-face à un certain nombre de documents ne coûterait pas beaucoup plus cher et rendrait la fraude impossible.
Nous souhaitons également réduire la circulation des ordonnances falsifiées. La situation est assez absurde et les syndicats de pharmaciens ont appelé notre attention sur ce point. Un certain nombre d’ordonnances sont anonymes, et si celles qui sont délivrées à l’hôpital font apparaître le nom du chef de service, il est extrêmement difficile pour les pharmaciens d’en vérifier le signataire. C’est pourquoi nous préconisons les prescriptions électroniques ou, à défaut, l’apposition d’une signature électronique sur les ordonnances.
Nous nous sommes intéressés, tout comme le Gouvernement et la Cour des comptes, au million d’assurés qui perçoivent une prestation de retraite de la caisse nationale d’assurance vieillesse à l’étranger. Il semble que la fraude massive des centenaires algériens soit une légende. La question n’a pas semblé primordiale à la mission, mais nous ne pouvons continuer à nous contenter du certificat de vie annuel, dont il est impossible de vérifier l’authenticité. Nous avons trouvé un accord sur la création d’une carte de sécurité sociale biométrique pour les assurés partant à l’étranger. La biométrie est utilisée par la plupart des pays européens et d’autres pays du monde, comme en Afrique du Sud où les prestations de retraite peuvent être versées par le biais d’un document biométrique, ou encore aux États-Unis où, à New York, les personnes sans domicile fixe détiennent un document biométrique qui permet de les identifier. Cette solution serait facile à mettre en place, car la France a une grande expertise en la matière. En outre, la biométrie connaît un développement très rapide.
Il est également nécessaire de revoir la procédure d’attribution des numéros de sécurité sociale – ou numéros d'inscription au répertoire (NIR). Certaines personnes ont du mal à prouver leur identité car leur état civil est contestable, voire inexistant. Un texte de loi devrait préciser l’organisme compétent en matière d’attribution du NIR et poser le principe de la nécessité d’avoir un numéro de sécurité sociale certifié pour bénéficier du versement de prestations de sécurité sociale. Il serait pertinent de limiter la durée du numéro d’inscription d’attente à six mois afin de limiter le risque d’attribuer des prestations à des personnes qui n’en auraient pas le droit, délai au terme duquel les services de l’État décideraient si le NIR doit être certifié ou non au vu des documents transmis et de la situation de l’assuré. La MECSS a adopté cette disposition à l’unanimité.
Enfin, les contrôles des arrêts maladie doivent être impérativement développés. Après de longues discussions, nous sommes parvenus à un accord sur la nécessité de multiplier les contre-visites à l’initiative de l’employeur, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Il est intéressant de noter que le nombre des arrêts maladie dans la fonction publique territoriale ne cesse de croître et qu’il est nettement supérieur à celui du secteur privé. Il faut donc trouver une solution. Des primes de « présentéisme » ont fait leur apparition, notamment dans la fonction publique hospitalière. Mais, le fait d’accorder une prime aux personnes qui recourent peu souvent à un arrêt de travail peut paraître relever d’un raisonnement par l’absurde. Pour certains, qui ont exprimé leurs réticences, ce serait du même ordre que payer les collégiens pour qu’ils aillent au collège… Nous nous sommes abstenus de porter un jugement sur ces initiatives, mais nous avons noté que les syndicats et les directeurs d’hôpitaux ont signé cette disposition et que le recours à l’intérim a alors diminué de façon importante, ce qui est une bonne chose pour les finances publiques – comme quoi un raisonnement par l’absurde peut être source de réflexion…
Je remercie les coprésidents du temps qu’ils ont consacré pendant onze mois à cette mission, ainsi que l’ensemble des membres de la MECSS pour leur participation à ses travaux.
M. le président Pierre Méhaignerie. Je présenterai deux observations, après avoir remercié le rapporteur et les deux coprésidents de la mission d’avoir enrichi la réflexion sur un sujet qui intéresse l’opinion publique.
Tout d’abord, il ne faudrait pas stigmatiser les uns ou les autres : les fraudes aux prestations et les fraudes aux prélèvements sont le fait de toutes les catégories sociales.
Ensuite, je suis surpris de l’énorme différence qui existe entre les régions en matière de prestations. Comment expliquer que le rapport entre le nombre de bénéficiaires varie de 1 à 6 selon le département, une fois corrigé l’effet vieillesse, qu’il s’agisse du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation pour adulte handicapé (AAH) ? Des tensions apparaissent de ce fait dans certaines régions, n’ayons pas peur de le dire. C’est le travail des parlementaires de corriger cette situation, et nous devrons présenter des propositions à cet égard à l’occasion du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Jean Mallot, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Le groupe socialiste n’a pas prévu de contribution spécifique sur ce rapport, mais mon intervention et celles de mes collègues en tiendront lieu, le compte rendu de la présente réunion étant annexé au rapport.
La mission a examiné le rapport de Dominique Tian mardi dernier, le 21 juin et l’a approuvé, tout en exprimant certaines réserves. Elle n’a pas apprécié notamment qu’il ait fait l’objet d’articles de presse dès le 22 juin. Il n’est pas d’usage que le rapporteur transmette son rapport à la presse avant même de le présenter à la Commission des affaires sociales, d’autant qu’il a transmis des versions provisoires de ce rapport avant même qu’il soit examiné par la MECSS. Il a par ailleurs communiqué – ce qui n’est pas correct non plus, je le dis comme je le pense – sur des éléments qui ne figurent pas dans le projet de rapport qui nous est soumis ce matin, mais également sur d’autres tels que le fameux « "FBI" de la fraude sociale », que la MECSS aurait naturellement refusé, ou encore la carte Vitale biométrique, qu’elle a expressément écartée.
Le rapport traite de la fraude sociale – à savoir la fraude aux cotisations, c’est-à-dire le travail illégal, et la fraude aux prestations – et définit opportunément la fraude à partir de trois éléments constitutifs : une infraction, le dommage qu’elle cause aux finances publiques et son caractère intentionnel.
Nous sommes tous d’accord pour condamner fermement la fraude sociale et vouloir la réduire, à défaut de pouvoir l’empêcher totalement. Cela étant, si la fraude aux prestations est estimée entre 2 et 3 milliards d’euros, la fraude aux prélèvements est estimée entre 8 et 15,8 milliards d’euros, soit quatre à cinq fois plus. Or, s’agissant de la fraude sociale détectée, qui a représenté 458 millions d’euros en 2010, le travail dissimulé représente 40 % de ce montant, contre 60 % pour la fraude aux prestations. Le déséquilibre est en quelque sorte inversé.
L’effort de contrôle doit donc porter en priorité sur le travail illégal, dont je rappelle qu’il est majoritairement le fait de personnes de nationalité française ou en tout cas en situation parfaitement régulière – certains amalgames méritent donc d’être corrigés.
J’observe, en outre, qu’en faisant un peu d’arithmétique à partir de ces différentes estimations, on peut situer le total de la fraude sociale entre 10 et 18,8 milliards d’euros – et non 20 milliards comme cité par la presse. Le rapprochement – naturellement innocent – entre ce chiffre choc de 20 milliards et le montant du déficit de la sécurité sociale pour 2011, laissant entendre que supprimer la fraude pourrait être une solution à la situation dégradée de nos finances sociales, relèverait à cet égard de la manipulation puisque même en multipliant la fraude détectée par quatre, nous ne corrigerions le déficit que de 10 %. Ce ne serait certes pas rien, mais même un tel pourcentage ne serait pas à la hauteur du problème.
J’observe enfin, concernant les prestations, que le montant des fraudes estimées représente entre 0,5 et 0,75 % des prestations versées. On ne saurait, sur cette base, rejeter des dispositifs sociaux qui fonctionnent correctement à plus de 99 % et jeter ainsi l’opprobre sur des personnes qui bénéficient de façon tout à fait régulière de dispositifs auxquels elles ont droit et pour lesquels elles paient le plus souvent des cotisations.
Dans la version qui nous est soumise aujourd’hui, les préconisations du rapport sont convenables, sous réserve de quelques précisions. Le fait que les modalités d’attribution de l’allocation pour adulte handicapé fassent apparaître d’importantes disparités selon les départements n’est pas en soi constitutif de fraude sociale. Ce constat nous conduit simplement à nous interroger sur le bien-fondé de ces disparités, qui ne sont pas le fait des allocataires et ne sont pas de nature à garantir une égalité de traitement.
La mission, après réflexion, a accepté que soit mise à l’étude la délivrance d’une carte biométrique aux retraités résidant à l’étranger, pour permettre leur contrôle. Cette étude devra notamment examiner le coût de l’opération au regard du gain escompté, ainsi que la faisabilité de ce contrôle dans les pays concernés. Car à quoi servirait-il de délivrer une carte biométrique si personne n’est en mesure de la vérifier ?
En revanche, la mission a expressément écarté la proposition d’une carte d’assuré social biométrique tous régimes et toutes branches. Un tel système serait très coûteux et ferait double emploi avec la carte d’identité biométrique. L’objet d’une carte d’assuré social est d’abord d’établir des droits, certes de façon sécurisée, non de vérifier l’identité du porteur, vérification à laquelle les professionnels de santé refuseront sans nul doute de procéder.
La proposition d’utiliser de faux dossiers pour tester la capacité des organismes à repérer les fraudes, de même que celle relative au développement de primes de « présentéisme », notamment dans la fonction publique, peuvent être mal perçues et considérées comme relevant de méthodes de management contestables. Nous restons donc prudents sur cette dernière proposition, bien qu’elle ait été conservée.
Enfin, s’il est mis en place, le fichier des fraudeurs devra faire l’objet d’une étude préalable avec la Chancellerie et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
C’est sous toutes ces réserves que la MECSS s’est prononcée favorablement sur ce rapport, et notre groupe votera favorablement à sa publication.
M. le rapporteur. Il faut certes distinguer la fraude intentionnelle et les abus, mais il faudrait alors aussi compter notamment les 10 milliards d’euros, dus en particulier à des surfacturations, que l’hôpital public, selon Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France, aurait gaspillés. C’est pourquoi nous avons préféré fonder notre raisonnement sur la fraude intentionnelle
Quant au coût de la fraude, nous l’avons toujours estimé à près de 20 milliards d’euros – si ce chiffre n’est pas atteint cette année, il le sera un jour ou l’autre. Ce chiffre, il est vrai, nous a paru plus médiatique que 18,8 milliards… Le rapport précise cependant qu’en Grande-Bretagne, les prestations sociales feraient l’objet d’une fraude à hauteur d’environ 1,3 %, et que les chiffres retenus par les pays européens qui ont travaillé sur ce point sont largement supérieurs à ceux que la mission a retenus.
S’agissant de l’allocation pour adulte handicapé, la Cour des comptes, dans l’un de ses rapports, s’étonnait que le nombre d’attributaires soit cinq fois plus important dans certains départements que dans d’autres. Si ce n’est pas de la fraude, il n’en reste pas moins que c’est de l’argent public qui est en cause : soit il est attribué à tort à des personnes qui ne le méritent pas, soit il ne bénéficie pas à des personnes dont le statut de handicapé mériterait pourtant d’être reconnu. Quoi qu’il en soit, les disparités régionales ne sont pas acceptables, surtout s’agissant du handicap. La MECSS devrait d’ailleurs s’intéresser bientôt à cette question.
Enfin, je précise que la carte de retraite biométrique serait attribuée de manière expérimentale.
M. Pierre Morange, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. En tant que coprésident de la MECSS et ayant été à l’initiative de cette institution en 2004, je tiens à appeler l’attention de tous sur l’originalité de sa philosophie. Sa composition paritaire lui permet de s’exonérer des alternances dans le cadre d’un travail collectif. De surcroît, elle s’est donné pour seule et unique grille de lecture la recherche permanente d’une meilleure efficacité à moindre coût, afin d’utiliser au mieux les deniers publics au service de notre système de protection sanitaire et sociale qui est l’illustration la plus aboutie du pacte républicain.
À travers un exercice de pédagogie et de clarification qui a permis d’exprimer des sensibilités différentes, nous avons abordé avec sérénité le sujet particulièrement difficile de la fraude sociale, considéré par certains comme un sujet sulfureux. Je salue la qualité des travaux de la mission, en particulier le travail accompli par le rapporteur, Dominique Tian, qui nous a permis d’accomplir un travail d’analyse, de synthèse et de pédagogie. Je salue également l’objectivité de nos collègues de l’opposition.
La cinquantaine de préconisations formulées par le rapporteur a été validée à l’unanimité des membres de la MECSS. Les trois derniers rapports – celui de Catherine Lemorton sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, celui de Jean Mallot sur le fonctionnement de l’hôpital et celui de Dominique Tian sur la lutte contre la fraude sociale – ont fait l’unanimité au sein de la mission.
Nos préconisations ont vocation à être matérialisées sur le terrain : celles relatives au médicament seront ainsi reprises par le Gouvernement à la fin de l’année dans le cadre du prochain projet de loi et nous avons bon espoir qu’il en aille de même concernant le fonctionnement interne de l’hôpital. Je formule un vœu similaire pour celles contenues dans le rapport sur la lutte contre la fraude sociale.
M. le rapporteur. Je remercie les coprésidents Pierre Morange et Jean Mallot pour la qualité de leur travail et la totale liberté qu’ils m’ont laissée. D’une façon générale, travailler avec l’ensemble des membres de la MECSS a toujours été un plaisir pour moi.
M. le président Pierre Méhaignerie. L’affaire des fraudes aux prestations sociales de Nantes et les accusations de polygamie ont choqué l’opinion publique. Les avez-vous évoquées au sein de la mission ?
M. le rapporteur. J’ai choisi de citer des exemples frappants, tels celui de cet homme aux treize reconnaissances de paternité frauduleuses ou encore celui de cette personne qui percevait la pension de réversion de sa mère décédée depuis vingt et un ans. Ces faits n’ont cependant été cités que dans des renvois en bas de page, afin de ne pas faire d’exemples caricaturaux des généralités.
Quant à l’affaire de Nantes, la notion d’isolement économique que nous préconisons aurait pu permettre de l’éviter, puisqu’elle aurait obligé les différentes épouses du monsieur en question à prouver qu’elles étaient bien isolées économiquement, c’est-à-dire qu’elles réglaient les frais de scolarité, la cantine voire le loyer.
M. Georges Colombier. Je remercie à mon tour Dominique Tian et les coprésidents Pierre Morange et Jean Mallot, bien que celui-ci ait exprimé quelques réserves. Je confesse que je n’ai pas été présent à toutes les réunions de cette mission, mais il est difficile d’assister à tout.
La politique de lutte contre la fraude sociale a déjà porté ses fruits, mais il faut mener une politique plus volontariste, sans stigmatiser qui que ce soit. J’apprécie d’ailleurs que Michel Issindou et Dominique Tian, qui suivent cette réflexion au niveau national au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, soient parvenus à un certain consensus en la matière.
Le ministre M. Xavier Bertrand, que nous avons auditionné il y a peu de temps, est persuadé lui aussi de la nécessité de prendre des mesures afin que nos concitoyens gardent leur confiance en notre système de protection sociale. Je souhaite donc que ce rapport ne reste pas dans un tiroir, comme nombre d’autres, et que le Gouvernement mette en œuvre les préconisations prônées par la mission.
M. le président Pierre Méhaignerie. Nous y veillerons.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Nous discutons de la fraude sociale depuis de longs mois, ce qui nous a permis de clarifier de nombreux points, en particulier la question du travail illégal. C’est un sujet sensible qui exige que nous soyons attentifs et responsables.
Les disparités qui existent s’agissant du versement de l’allocation pour adulte handicapé ne constituent pas une fraude généralisée. Faute de connaître la situation réelle en l’absence de données statistiques sérieuses et fiables – comme d’ailleurs sur d’autres questions –, gardons-nous de tirer des conclusions hâtives sur des sujets aussi sensibles, même si certaines analyses convergent.
Nous sommes naturellement d’accord sur la nécessité d’exercer des contrôles, réguliers et de qualité, mais nous sommes confrontés à la question des moyens. Il faut donc doter les organismes de moyens suffisants et éviter de stigmatiser les situations marginales. Nous devons prendre nos responsabilités et nous montrer vigilants, mais nous ne pouvons prendre le risque de jeter le discrédit et la suspicion sur des populations fragiles qui ont besoin des prestations qui leur sont versées.
Mme Jacqueline Fraysse. Le travail que nous avons accompli a permis aux uns et aux autres de comprendre comment les choses fonctionnement et d’en faire la synthèse. L’objectif du rapport est de mesurer l’ampleur et la nature de la fraude et de proposer des mesures de nature à l’éradiquer, au moins à la réduire de manière significative.
Sur tous ces aspects, nous sommes profondément d’accord. Personne ne peut justifier la fraude. Mais le rapport ne nous satisfait pas pleinement, car il traduit un déséquilibre entre le constat et les préconisations formulées.
Au-delà de son importance financière, la fraude aux prélèvements est d’autant plus dommageable qu’elle porte atteinte à la fois aux ressources de la protection sociale et aux droits des salariés, puisque les personnes concernées perdent leurs droits.
Si je n’ai aucune hésitation sur la nécessité de lutter contre la fraude, celle-ci ne saurait justifier cependant la stigmatisation de qui que ce soit et l’atteinte aux libertés individuelles. Je tiens à rappeler ici une évidence, que je n’ai pas trouvée dans les commentaires de la presse : dans leur immense majorité, nos concitoyens sont des personnes honnêtes. Ainsi, la préconisation concernant les arrêts de travail me choque beaucoup, car toutes les études montrent que les arrêts de travail ont une raison. Je ne nie pas qu’il existe des abus, mais n’oublions pas que le nombre des suicides liés aux conditions de travail est en forte croissance. Nous devons être raisonnables, et respectueux de l’ensemble des salariés.
Au-delà de ce déséquilibre, certaines propositions nous paraissent démesurées, par exemple la carte Vitale sécurisée dont le coût est extrêmement élevé – d’autant qu’il serait supporté par les municipalités – par rapport aux économies attendues.
Le rapport souffre aussi de certains manques. La fraude de certains établissements de santé n’est pas traitée à la hauteur de ce qu’elle représente financièrement, et la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui constitue un manque à gagner considérable, n’y est pas abordée.
Il est indiscutable que la lutte contre la fraude doit être améliorée. Les outils existent, mais la sécurité sociale souffre d’un manque de moyens – les diverses auditions l’ont confirmé –, tout comme la justice qui ne peut prononcer les condamnations nécessaires. La révision générale des politiques publiques (RGPP) ne facilite pas la lutte contre la fraude.
Le groupe des députés communistes s’abstiendra de voter pour la publication de ce rapport, moins parce que nous contestons les préconisations formulées qu’à cause du déséquilibre qu’il traduit entre la fraude aux prestations et la fraude aux prélèvements.
M. Jean-Luc Préel. Je pense pour ma part que ce rapport doit être publié, car cela permettra à chacun de se faire une opinion. Je regrette à cet égard de ne pas avoir pu participer aux travaux de la MECSS comme je le fais habituellement, mais les différentes missions organisent souvent des réunions au même moment.
M. le président Pierre Méhaignerie. C’est pourquoi je suis prudent lorsqu’on me demande d’organiser une multitude de missions d’information ou de commissions d’enquête, car recevoir des auditeurs qui s’expriment devant quelques rares députés ternit l’image de notre Assemblée.
M. Jean-Luc Préel. La fraude est inacceptable, car elle génère des pertes de ressources et des dépenses injustifiées, sans oublier la question de la justice.
Notre rôle est de tout faire pour limiter cette fraude, à défaut de la supprimer – le jeu du gendarme et du voleur n’est pas prêt de s’arrêter. Si le montant global de la fraude approche les 20 milliards d’euros, il est normal finalement de le comparer au déficit de la protection sociale, car il suffirait alors – ce que nous souhaiterions tous – de supprimer la fraude pour équilibrer notre système de protection sociale !
La fraude aux prestations représente un coût de l’ordre de 2 à 3 milliards. Ce montant est beaucoup trop important évidemment, mais il est difficile de lutter contre cette fraude. Aussi les préconisations avancées à ce sujet sont-elles intéressantes.
En ce qui concerne la fraude à la tarification à l’activité (T2A), la Caisse nationale d’assurance maladie a fait des efforts, mais le procédé suivi me paraît contestable, car c’est en se fondant sur l’utilisation d’échantillons et sur la vérification du codage qu’elle sanctionne les établissements, avec d’ailleurs une pénalité supplémentaire. Or, cela ne va que dans un sens : il n’y a pas en effet de reversement d’indus si la cotation le voudrait. Il devrait en aller de même pour les prestations familiales : lorsque la caisse fait une erreur, c’est elle qui est responsable.
La fraude majeure, à savoir le travail illégal, est le fait majoritairement des employeurs, car une personne à qui l’on propose un travail non déclaré n’est pas toujours en situation de le refuser. C’est notre rôle que de pointer du doigt le travail illégal – ce que fait le rapport, mais de manière insuffisante –, de le condamner fermement et de faire de vraies propositions en la matière. Cela me semblerait plus intéressant que de voir, comme dans la presse, dénoncer des dérives de la part de personnes qui ne sont pas forcément responsables d’un versement indu, faute d’avoir voulu frauder intentionnellement.
Le groupe Nouveau Centre est en tout cas favorable à la publication de ce rapport, ce qui permettra à chacun de se faire une opinion sur le problème des fraudes sociales, étant souligné que le travail illégal est un problème majeur de notre pays qu’il faut absolument résoudre, sachant les conséquences inacceptables, en particulier en matière de retraite, de la non-déclaration de personnes salariées.
M. le rapporteur. Concernant la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, dont le travail a été salué par Georges Colombier, il me semble utile de rappeler qu’il s’agit d’un lieu d’échanges qui réunit administrations, ministres et parlementaires. La volonté de transparence des organismes sociaux et de l’État qui y prévaut donne tout son intérêt à cette délégation qui permet, avec cette fonction d’échanges d’expériences entre victimes de la fraude, d’accélérer la lutte dans ce domaine.
S’agissant du travail illégal, contre lequel Martine Carrillon-Couvreur a souligné, comme Jean-Luc Préel, la nécessité de lutter, il ne s’agit pas de jeter la suspicion sur les publics fragiles. Cela a même été le fil conducteur de la mission. Pour reprendre l’exemple de l’allocation aux adultes handicapés, il est simplement choquant sur un plan intellectuel et social que son attribution dépende du département dans lequel on habite. Je ne reviendrai cependant pas sur cette question de l’application de critères nationaux puisque la MECSS devrait se saisir du sujet.
Jacqueline Fraysse a indiqué que son groupe s’abstiendrait lors du vote sur ce rapport, mais comme elle n’a pas douté de l’utilité de ce dernier, je retiens surtout que l’ensemble des groupes pense qu’il convient de lutter activement contre la fraude. Quant au fait que le rapport ferait preuve d’un déséquilibre entre fraude aux prélèvements – estimée entre 15 à 16 milliards d’euros – et fraude aux prestations – évaluée entre 2 et 3 milliards –, cette différence de montant nous a, au contraire, conduits à reprocher aux pouvoirs publics de n’avoir pas beaucoup avancé sur ce sujet, alors qu’il s’agit d’une exploitation inacceptable de publics fragiles. En tout cas, il n’est pas difficile, techniquement, de lutter contre le travail illégal. C’est une question d’organisation et de volonté.
Pour répondre également sur ce point à Jean-Luc Préel, si nous n’avons mis personne en cause, nous avons cependant souligné que l’on avait affaire, en matière de lutte contre la fraude, à une certaine passivité, ce qui n’était pas là non plus acceptable, car cela créait des distorsions de concurrence, notamment dans les appels d’offre. Il y aura peut-être un jour un effort particulier à faire sur le travail illégal.
Pour ce qui concerne les arrêts de travail, le raisonnement par l’absurde qui a conduit à la prime de « présentéisme » a au moins le mérite d’exister : plusieurs syndicats ont d’ailleurs signé des accords en la matière.
Quant à la carte Vitale sécurisée, elle n’est pas à la charge des municipalités : une compensation financière les dédommagera. Simplement, à partir du moment où la décision a été prise de faire établir les passeports dans les mairies, il serait dommage de ne pas mettre en place un tronc commun pour la délivrance également de la carte Vitale, afin de faire des économies.
Si Jean-Luc Préel a eu raison de souligner qu’il ne fallait pas rapprocher le montant évalué à 20 milliards d’euros pour la fraude sociale de celui de 20 milliards de déficit de la sécurité sociale, le président de la Cour des comptes – qui semble pugnace en l’occurrence – a toutefois indiqué qu’il était urgent que celle-ci soit en équilibre. Certes, le déficit de la xécurité sociale ne sera pas comblé par la lutte contre la fraude, mais la branche maladie a d’ores et déjà accentué son effort, puisque ce sont 156 millions d’euros de fraudes qui ont été découverts selon les chiffres de la caisse nationale. Quant aux fraudes relatives au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et aux indus, nous nous sommes contentés de reprendre les chiffres de la Cour des comptes.
Bien évidemment, l’ensemble des professionnels de santé doit rendre des comptes. Cependant, si nous avons repris, sur la recommandation de Pierre Morange, le cas de 120 médecins hyperprescripteurs – dont l’activité débordante devrait tout de même conduire à se poser des questions –, nous n’avons pas ciblé l’ensemble des professionnels. Cependant, pour avoir, par exemple, entendu la plainte des pharmaciens qui s’estiment soumis à trop de contrôles, un équilibre devrait être trouvé entre le libre exercice de la profession médicale et les contrôles, et nous avons proposé quelques pistes à cet égard.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Tout le monde s’accorde à reconnaître la nécessité de lutter contre les fraudes intentionnelles, mais, comme l’a souligné au début des travaux de la mission M. Libault, directeur de la sécurité sociale, la majorité des fraudes tient au travail dissimulé, et c’est là qu’il faut agir. En effet, si, pour la branche famille, le montant des fraudes s’est élevé en 2009 à près de 90 millions d’euros, cela ne représente que 0,096 % du montant total des dépenses de la branche ! Au contraire de l’idée qui veut que toutes les fraudes sociales relèvent de la responsabilité des familles, le rapport va enfin démontrer que ce ne sont pas celles-ci les premières responsables des fraudes – d’autant que la moitié de ces 90 millions a déjà été récupérée en 2010 et que le reste le sera en 2011 et 2012.
Je citerai à cette occasion une étude menée en Loire-Atlantique sur 1 263 dossiers d’indus : ces derniers étaient la conséquence à 47 % d’un changement de situation professionnelle des intéressés, à 20 % d’un changement de leur situation familiale, à 8 % à un déménagement, à 5 % d’erreurs de déclaration, à 19 % d’erreurs de la caisse d’allocations familiales et seulement à 1 % de la fraude. Ces chiffres posent d’ailleurs la question de la façon dont les indus sont récupérés par la caisse, manière qui met parfois les familles en situation très difficile. Il faut donc vraiment bien faire la différence entre les erreurs des allocataires de bonne foi et les cas – rares – de fraude intentionnelle.
S’agissant, enfin, de la notion de parent isolé, si le rapport précise qu’il convient de mieux la définir, encore faut-il aboutir à une définition qui soit juste.
M. Élie Aboud. Si la puissance publique a fourni un effort concernant la branche famille, certains comportements restent scandaleux au sein de la branche maladie. Je regrette profondément que les soignants, comme le soulignait Jean Mallot, refusent de participer au contrôle du dispositif. Autant on peut le comprendre pour les soignants hors convention, autant on peut le déplorer pour ceux qui dépendent d’une chaîne complète, associant le contribuable.
Si le président Méhaignerie a pu exprimer des regrets sur les différences pouvant exister entre les départements, je reviendrai pour ma part sur le cas des Français qui ont fait le choix, légitime, de vivre à l’étranger : comment se fait-il en effet, pour prendre l’exemple du certificat de vie, que dans certains pays les autorités consulaires vérifient sa validité et pas dans d’autres ? Il conviendrait d’uniformiser les procédures car de telles différences sont mal comprises par nos concitoyens.
M. Dominique Dord. Sur un tel sujet, mes chers collègues, je nous trouve collectivement en dessous de tout ! Alors que le consensus est presque réuni pour reconnaître l’existence d’un montant de 20 milliards d’euros de fraude, voilà que l’on ergote par crainte de stigmatisation de tel ou tel. Ne devrions-nous pas plutôt exiger du Gouvernement – voire en nous enchaînant aux grilles de la rue de Varenne – que, dès demain matin, tout soit fait pour lutter contre cette fraude ? Les chefs d’entreprise qui trichent sont des voleurs qu’il faut mettre au ban de la société, et cela non pas peut-être un jour, comme le disait notre rapporteur, mais demain matin.
Jacqueline Fraysse craignait que les pauvres ne soient stigmatisés avec ce rapport, et j’entendais parler de stigmatisation, de discrédit, de suspicion. Mais ce qu’il s’agit de poursuivre, ce sont des tricheurs. Alors que tout le monde fait aujourd’hui des grands discours sur la nécessité de l’indignation, nous devrions tous être des indignés de la fraude !
M. Paul Jeanneteau. Ce rapport, dont je tiens à féliciter l’auteur, est important car si le sentiment d’injustice se développe dans notre pays c’est parce que nos concitoyens ont l’impression, à juste titre le plus souvent, de travailler et de payer des cotisations sociales tandis que certains bénéficient de prestations indues. Lutter contre la fraude est non seulement normal de point de vue de l’honnêteté, mais moral du point de vue du comportement et également juste du point de vue sociétal. Il ne s’agit pas de jeter le discrédit sur tel ou tel : un fraudeur est un fraudeur, et il doit être sanctionné.
Concernant le contrôle de l’attribution de l’allocation pour adulte handicapé, le rapport d’information reprend plusieurs propositions de celui du Sénat. À l’époque, le président de la Commission des finances, Didier Migaud, et le président de notre Commission s’étaient tournés vers Jean-Marie Binetruy et moi-même afin de disposer d’une étude sur l’évolution de cette allocation. La Cour des comptes a alors mis en évidence des disparités territoriales très fortes, soulignant « une porosité importante entre AAH et RSA », certains départements orientant les bénéficiaires de l’AAH vers le RSA. Aussi avons-nous demandé une nouvelle étude dont les résultats devraient nous parvenir à la rentrée prochaine, et je souhaite, monsieur le rapporteur, que vous soyez attentif à ses conclusions qui permettront peut-être de compléter votre excellent rapport.
M. Bernard Perrut. Nos concitoyens sont, comme nous-mêmes, très attachés à la justice, à l’équité et au respect des règles, mais il n’en est pas toujours ainsi sur le terrain. Aussi, ce rapport permet-il de poser les données du problème, et je rejoindrai là Dominique Dord, avec une petite nuance cependant : il faut absolument faire quelque chose, encore que nous soyons tous responsables de la situation d’aujourd'hui car aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a eu la volonté de faire tout simplement respecter les règles. Il faudra certes un certain temps pour que les premiers résultats apparaissent, mais il faut vraiment que toutes les structures qui en ont la compétence mettent en place un système fiable – en évitant, par exemple, que les gens soient prévenus la veille du contrôle dont ils vont faire l’objet.
Je souhaite insister également sur le rôle des élus locaux, car souvent dans les petites communes ils connaissent, plus que dans des villes moyennes ou des grandes communes, les habitants. Mais alors que l’on sait qui fraude, qui bénéficie de dispositifs sans en avoir le droit, rien n’est fait. Les maires que nous sommes par ailleurs doivent aussi prendre leurs responsabilités pour ne pas avoir un langage à Paris et un autre sur le terrain. J’appelle en tout cas à la responsabilité de chacun dans les quelque 36 000 communes de France.
M. Christophe Sirugue. Je tiens à souligner tout l’intérêt de tels rapports d’information, car en deux rapports successifs – celui sur l’évaluation de l’aide médicale de l’État que j’ai rendu avec mon collègue Claude Goasguen au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, et celui qui nous est présenté aujourd'hui – on voit des a priori disparaître. De la même façon que Dominique Tian le reconnaissait dans sa présentation, Claude Goasguen le soulignait en effet lors de la remise de notre rapport : les différences entre ce que l’on imagine et ce que l’on découvre conduisent à de profondes divergences dans les analyses. Telle est toute la richesse du travail parlementaire : pouvoir éviter des a priori.
En l’occurrence, on a toujours tendance à considérer que la fraude est d’abord le fait des bénéficiaires des différentes prestations. Certes, cette fraude existe et elle représente quelque chose de scandaleux qu’il faut combattre, mais elle n’est pas responsable de l’ampleur des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. En effet, ainsi que le rapporteur le précise, 10 % environ des fraudes concernent les prestations et le reste les prélèvements. Aussi faut-il bien cibler nos interventions.
À cet égard, on ne peut laisser renvoyer à plus tard la lutte contre le travail au noir. Si ce sujet représente 90 % de la fraude, il faut le traiter tout de suite. De même, on ne peut laisser dire que puisque les cas individuels sont plus faciles à cerner, il faut les traiter maintenant. Les deux fraudes sont indéfendables, et il faut lutter contre les deux.
Pour autant, veillons à ne pas remettre en cause des dispositifs qui, par nature, seront toujours contournés. Ce n’est pas le dispositif qu’il faut cibler, mais bien les problématiques qui sont à la base des détournements de la loi de la République.
M. le président Pierre Méhaignerie. L’analyse du revenu de solidarité active a montré qu’un suivi des bénéficiaires évitait toute difficulté et donc tout changement de la législation. Mais, il est vrai que les bonnes pratiques sont plus faciles à mettre en œuvre dans les territoires à dimension humaine que dans les conurbations.
M. Michel Issindou. Que la fraude concerne les prestations ou les prélèvements, nous sommes tous d’accord pour lutter contre elle. Encore faut-il éviter tout excès de communication. Or, la fraude aux cotisations sociales est beaucoup moins soulignée que celle aux prestations, alors que les seules ressources possibles sont à chercher du côté de la lutte contre le travail au noir – je suis prêt à m’enchaîner avec Dominique Dord si c’est de cela qu’il s’agit !
Quant au rapprochement parfois fait entre les 20 milliards d’euros de déficit de la sécurité sociale et les 20 milliards de fraude fiscale, Jacqueline Fraysse a eu raison de souligner que l’amalgame était trop rapide. Certes, la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, à laquelle nous participons Dominique Tian et moi, a le mérite d’exister, mais outre qu’elle n’accueille qu’une fois par an, au cours d’une grand-messe, le ministre responsable qui vient demander des résultats à tous ceux qui sont en charge de la lutte contre la fraude – je me souviens de la dernière intervention sur ce point de M. Xavier Bertrand –, je relèverai deux gros défauts : d’une part, l’absence de moyens – si l’on veut lutter contre le travail au noir, plutôt que gesticuler, il faut recruter des inspecteurs du travail – et, d’autre part, la non-connexion des fichiers, ceux-ci étant prétendument incompatibles techniquement, mais étant en fait le précarré de chaque administration.
Si vraiment nos collègues de la majorité veulent lutter contre la fraude, qu’ils fassent en sorte que les moyens soient mis plutôt sur celle aux cotisations sociales que pratiquent certains artisans et petits patrons que sur celle aux prestations : nous verrons alors si, sur le terrain, ils ont le courage de leurs affirmations.
Mme Catherine Lemorton. Concernant la proposition du rapport de généraliser les expérimentations innovantes, je souhaite préciser que, contrairement à ce qui est indiqué, l’expérimentation conduite par la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne n’a pas été stoppée car elle n’aurait pas respecté le principe du libre du libre choix du médecin et du pharmacien. Par ailleurs, il n’y a jamais eu de fichier stigmatisant les patients bénéficiant des traitements de substitution aux opiacés, mais simplement un repérage des méga-consommateurs : le système fonctionnait même tellement bien que l’on ne recensait à la fin aucun méga-consommateur à plus de 300 milligrammes, ce qui n’était pas le cas des autres régions bien que la nôtre se situe dans un secteur frontalier avec l’Espagne et constituant donc une plaque tournante en matière de toxicomanie.
Si l’expérimentation a été stoppée à la demande de la Caisse nationale d’assurance maladie, c’est parce que nous avions outrepassé – mais seulement un tout petit peu – les possibilités offertes par le code de la sécurité sociale. Il s’agissait d’abord de lutter contre les méga-consommateurs – revendeurs en fait de substances – et non de jeter l’opprobre sur tous ceux qui suivent le traitement correctement. En aucun cas, ensuite, nous ne savions quel pharmacien et quel médecin avaient été choisis pour le traitement. En effet, lorsqu’un méga-consommateur était repéré, une lettre était envoyée à tous les médecins et les pharmaciens du département indiquant que cet assuré ne les avait pas choisis comme médecin ou pharmacien référent pour une liste donnée de médicaments. Certes, on a pu voir là une violation du secret professionnel, puisque personne n’était censé savoir que le patient prenait notamment une substance dont l’usage pouvait être détourné. Aussi conviendrait-il que, dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, une adaptation législative soit proposée afin que l’on remette en place un tel réseau qui encadrait les assurés et donnait de bons résultats.
M. Rémi Delatte. Je remercie le rapporteur et les membres de la MECSS qui ont fait là un travail utile en permettant une évolution de notre appréciation de ce dossier, qui se révèle aujourd'hui plus consensuelle, plus objective et plus volontariste. Il faut s’en réjouir.
Nous ne ferons cependant œuvre utile que si nous nous engageons résolument dans des actions susceptibles de lutter contre toutes les fraudes et non seulement contre certaines comme on semble parfois le vouloir. C’est, en effet, sur l’ensemble qu’il faut intervenir, car la fraude tend également à accroître le déficit des comptes sociaux au détriment de nos concitoyens qui sont placés dans les conditions de précarité les plus difficiles. C’est donc aussi une question de moralité et de justice.
Concernant les arrêts maladie non justifiés, si je suis favorable aux contrôles inopinés, encore faut-il qu’ils soient suivis d’effet. Tant qu’il n’y a pas de sanction possible, leur portée ne peut être que limitée, même s’il faut reconnaître qu’ils ont un effet pédagogique et dissuasif, à partir du moment où l’on sait qu’ils sont possibles.
Mme Pascale Gruny. Je tiens à mon tour à adresser mes félicitations à Dominique Tian pour son rapport, mais également pour son engagement dans la lutte contre la fraude, laquelle devrait ainsi trouver davantage de ressources pour aider a contrario les plus démunis. À ce sujet, madame Fraysse, notre groupe politique n’a jamais prétendu qu’une majorité de Français était malhonnête. Simplement, l’injustice est difficile à accepter pour toutes ces personnes honnêtes que nous rencontrons sur le terrain et qui en ont assez de travailler avec un sentiment de déperdition de leurs efforts.
Quant au débat entre fraudes aux prélèvements et fraudes aux prestations, je ne le comprends pas : ne vaudrait-il pas mieux parler de fraudes en général plutôt que de les distinguer, en mettant en œuvre tous les moyens possibles pour lutter contre elles – sachant cependant qu’il peut se révéler difficile, en matière de travail illégal, de cerner des heures supplémentaires non déclarées dans une entreprise.
Par ailleurs, la bataille de chiffres à laquelle on assiste m’amuse énormément : si les chiffres existent, cela ne signifie-t-il pas que l’on connaît la fraude et donc qu’il serait simple de l’éradiquer ?
Pour venir du monde de l’entreprise, je me réjouis en tout cas de la volonté de bonne gestion qui semble enfin s’instaurer avec un véritable engagement de lutte contre la fraude. Ne serait-ce qu’au sein de mon groupe, combien de fois ai-je pu entendre que l’on ne s’attaquerait pas au problème, cela pour ne pas stigmatiser certains ? Aujourd'hui, il semble que l’on ait compris que s’attaquer à la fraude, c’est justement pouvoir donner plus à ceux qui en ont besoin.
Le problème des indus est un sujet complexe, surtout quand les déclarations ont été faites correctement, d’autant qu’il est souvent difficile d’avoir une réponse positive à une demande d’échéancier de remboursement. Il faut vraiment que quelque chose soit fait sur ce point.
Quant aux différences de prise en charge du handicap auxquelles il a été fait allusion, elles sont intolérables. Cela me conduit d’ailleurs à souligner l’insuffisance de coordination entre les différents organismes et le manque de cohérence entre les systèmes informatiques.
Mme Bérengère Poletti. Je tiens également à féliciter Dominique Tian pour sa persévérance en la matière, sachant, comme le rappelait Pascale Gruny, qu’à l’époque on en avait fait un sujet tabou dans la crainte de stigmatiser certains. Ses travaux nous ont au contraire permis d’en finir avec des a priori qui nuisaient à la cause de la lutte contre les fraudes. Lors de son déplacement dans mon département à la caisse d’allocations familiales des Ardennes, il a pu notamment se rendre compte que l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pourrait parfaitement éditer la carte Vitale biométrique.
Je n’oublie pas le travail effectué par les coprésidents Jean Mallot et Pierre Morange qui ont eu le souci de trouver des thèmes rassembleurs sur un sujet auquel nos concitoyens sont extrêmement sensibles. On ne peut leur demander des efforts continuels sans veiller à un comportement exemplaire de tous, sauf à laisser s’insinuer un sentiment d’injustice.
S’agissant du travail illégal, il faut se donner les moyens de lutter contre les entreprises connues pour y recourir, d’autant que le travail illégal est lié au développement de l’immigration clandestine et donc à l’exploitation d’immigrés sur le territoire national. Pour autant, le travail au noir est parfois voulu par les employés eux-mêmes : il arrive que des particuliers employeurs qui voudraient déclarer la personne qui fait des ménages n’arrivent pas à la convaincre, car celle-ci double ainsi son salaire en faisant des heures en plus. Il faut donc arrêter de stigmatiser les uns et les autres dans quelque sens que ce soit et aborder la problématique sur un plan général.
Concernant enfin les excès de communication qui ont été soulignés, je trouve au contraire qu’il faut parler de la fraude parce que les Français en parlent : il n’est pas une réunion publique que j’organise sans que le sujet soit abordé. Les gens qui se comportent honnêtement ne comprennent pas que pendant autant de temps on ait fait de la fraude un sujet tabou et que l’on n’ait pas proposé de solution. Il faudra donc maintenant veiller à l’application des mesures proposées.
Mme Marie-Christine Dalloz. Je souhaite à mon tour souligner la constance de Dominique Tian, car si j’avais été étonnée lors de mon arrivée ici en 2007 qu’il en ait fait son cheval de bataille, force est de constater qu’il est dans le vrai, la preuve étant que le Gouvernement se saisit maintenant du sujet. Le montant de 458 millions d’euros de fraudes constatées aux prestations et aux prélèvements en 2010 est, en effet, loin d’être anecdotique.
Quant au non-croisement des fichiers, c’est un sujet sur lequel il convient vraiment d’avancer. Lors de son audition, Mme Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, se demandait à cet égard : « Les caisses s’abriteraient-elles derrière la CNIL pour ne pas avancer ? Le problème vient-il du flou qui entoure les exigences de la CNIL ? ». Il est ubuesque, alors que tout le monde est d’accord pour traiter le problème, que l’on en soit encore à se poser des questions de procédure !
Il conviendrait également, ainsi que cela a été souligné avant moi, d’en appeler à la responsabilité des élus. Si j’avais encore des doutes, la simple visite d’une épicerie sociale dans le Haut-Jura à Saint-Claude, dont je pourrais parler longuement, me les a ôtés.
Enfin, au-delà des 458 millions de fraudes détectées et de la stigmatisation du fraudeur, c’est surtout la notion d’injustice que cela engendre chez nos concitoyens qui pose problème.
M. Fernand Siré. Dans notre pays, les lois sociales sont bien faites, et si nous connaissons tous en tant qu’élus certains abus ponctuels, tout le monde ne peut que trouver inadmissible la fraude qui est devenue en France un sport national.
Je m’étonne cependant que l’on puisse chiffrer à la virgule près, soit à 18,3 milliards comme on peut le lire dans le rapport, le montant de la fraude. Que les pouvoirs publics suppriment donc déjà cette fraude connue en s’en donnant les moyens, et en s’attaquant également au potentiel que représente la fraude inconnue !
M. le rapporteur. Marie-Françoise Clergeau, qui connaît bien la branche famille puisqu’elle en est la rapporteure dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, a fait part de statistiques montrant, s’agissant des indus, qu’ils étaient pour la plupart dus à des erreurs déclaratives. L’idée de la mission est justement d’en finir avec le déclaratif pour passer à des éléments plus tangibles dans la constitution des dossiers. Quant à la notion de parent isolé, il nous semble simplement absurde de prévenir les gens qu’ils vont être contrôlés. C’est comme si sur la route l’on prévenait la veille d’un contrôle radar. Ce que nous cherchons, c’est la preuve de l’isolement économique, ce qui permettrait selon nous d’éviter de manière raisonnable les abus.
Élie Aboud, auteur d’une proposition de loi de lutte contre les fraudes aux retraites, a fait état de problèmes concernant les certificats de vie. Sachant qu’aucune convention internationale n’a été signée à propos des retraites servies à l’étranger, la mise en place à titre expérimental de la carte Vitale biométrique nous semblerait une bonne solution.
Dominique Dord ayant déclaré qu’il irait jusqu’à s’enchaîner rue de Grenelle, nous suivrons cela avec intérêt... Quant à son idée de créer les indignés de la lutte contre la fraude, il est vrai que nous sommes tous un peu surpris par l’absence de réaction des pouvoirs publics concernant certaines fraudes. Nous l’avons d’ailleurs souligné dans le rapport avec une grande liberté de ton.
Paul Jeanneteau a évoqué certains dysfonctionnements dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés. La MECSS doit se saisir du sujet.
Bernard Perrut a demandé que les maires soient un peu plus au cœur du dispositif. Savoir si les maires doivent jouer un rôle plus actif dans la prévention contre la fraude est cependant un sujet un peu controversé. En tout cas, il serait possible de donner un peu plus de pouvoirs aux services municipaux dans l’établissement des documents administratifs. Je suis, pour ma part, partisan de l’implication des maires, mais encore faut-il fixer certaines bornes : non seulement ils ne sont pas toujours les mieux placés pour lutter contre la fraude, mais il faudrait alors bien définir ce que l’on peut révéler à un élu. Des règles et des procédures existent et les organismes sociaux devraient déjà les appliquer, le maire jouant plutôt un rôle social de médiateur.
Christophe Sirugue a souligné la nécessité d’en finir avec les a priori en rétablissant la vérité. C’est bien ce que nous avons essayé de faire avec cette mission.
Michel Issindou a eu raison de souligner l’utilité de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, mais je partage son point de vue s’agissant non seulement de la voir se réunir plus d’une fois par an comme aujourd'hui en moyenne, mais aussi de faire en sorte qu’elle soit plus efficace.
Catherine Lemorton, faisant état de l’expérimentation conduite en Haute-Garonne, dont l’intérêt est manifeste, a souhaité que celle-ci fasse l’objet d’un support législatif lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je suis très favorable à ce que la MECSS présente un amendement en ce sens, cosigné par tous les groupes.
Rémi Delatte a souligné le caractère immoral de la fraude et le sentiment d’injustice que celle-ci entraînait dans l’esprit de nos concitoyens. L’idée d’en parler – je réponds là également à Marie-Christine Dalloz – remonte au temps de notre précédent président, Jean-Michel Dubernard, qui s’était demandé avec d’autres parlementaires – notamment Pierre Morange et Dominique Dord – comment la commission des affaires sociales pouvait ne pas parler d’un sujet qui fait pourtant l’objet de débats constants dans la rue et dans nos permanences. Je ne suis pas pour ma part un obsédé de la fraude. J’ai simplement pensé que quelques-uns d’entre nous devaient se dévouer pour aborder ce problème qui, depuis, est passé du statut de sujet tabou et caricaturé à celui de sujet sinon de consensus du moins pour lequel chacun a fait beaucoup de chemin, et je m’en félicite.
Pascale Gruny est bien placée pour appeler à la mobilisation des pouvoirs publics dans la lutte contre la fraude, et je sais qu’elle relaie notre combat. Je comprends sa remarque concernant la bataille des chiffres, mais s’il est un peu gênant de vouloir évaluer à la virgule près le montant des fraudes, nous avons voulu, avec les coprésidents Jean Mallot et Pierre Morange, des chiffres incontestables. On ne peut cependant pas avoir de certitude scientifique sur le montant de la fraude. Sinon, comme le faisait remarquer Fernand Siré, on aurait déjà récupéré les montants concernés. Je préfère m’en tenir à l’adage selon lequel plus on cherche plus on trouve.
J’ai en tout cas le sentiment, après examen des expériences d’autres pays européens, que ceux-ci sont plus avancés que nous, s’agissant en particulier – comme s’en inquiétait Marie-Christine Dalloz – des croisements de fichiers. De tels échanges ne parviennent pas à fonctionner de manière efficace dans notre pays. C’est un peu une atypie française par rapport par exemple au système belge où la carte de sécurité sociale belge, qui existe depuis des années, comporte l’ensemble des informations disponibles.
Bérengère Poletti a rappelé la visite très intéressante que nous avons effectuée à Charleville-Mézières à l’Agence nationale des titres sécurisés. Il semble que ses responsables soient demandeurs pour être chargés de missions supplémentaires, ce que nous appuierons s’agissant notamment de la carte vitale. Cependant, la décision ne nous appartenant pas, il revient aux pouvoirs publics d’assumer leurs responsabilités en la matière.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Je souhaite simplement préciser, s’agissant de l’étude que j’ai citée, que si sur 1 263 dossiers de familles avec indus, 47 % notamment étaient la conséquence de changement de situation professionnelle, il ne s’agit pas en l’occurrence de fraude, mais d’un décalage entre la déclaration de l’allocataire et le traitement du dossier, suite à une petite activité de moins de 70 heures, à un chômage indemnisé ou non, à une radiation des Assedic, à une formation professionnelle, à une maladie ou à une invalidité, à une mise à la retraite, à une incarcération ou encore à une fin de RMI ou de RSA. Ce que je voulais démontrer, c’est que les indus ne signifiaient pas forcément fraudes.
La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur la lutte contre la fraude sociale en vue de sa publication.
ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION
Présidents
M. Jean Mallot (SRC)
M. Pierre Morange (UMP)
Membres
Groupe UMP
M. Georges Colombier
M. Rémi Delatte
M. Jean-Pierre Door
Mme Bérengère Poletti
M. Dominique Tian
Groupe SRC
Mme Martine Carrillon-Couvreur
Mme Marie-Françoise Clergeau
Mme Catherine Génisson
Mme Catherine Lemorton
Mme Marisol Touraine
Groupe GDR
Mme Martine Billard
Mme Jacqueline Fraysse
M. Maxime Gremetz (jusqu’au 17 mai 2011)
Groupe NC
M. Claude Leteurtre
M. Jean-Luc Préel
ANNEXE 2 : RÉCAPITULATIF DES CONDITIONS DE RÉSIDENCE SELON LES PRESTATIONS
Prestations familiales (1) |
Aides au logement |
RSA |
AAH |
Cumul des prestations | ||
Conditions de résidence allocataire |
Condition de résidence pour chaque enfant à charge | |||||
Condition de résidence en France durant le service des prestations |
* Foyer permanent installé en France par année civile ou à défaut sur une autre période de douze mois de date à date |
Séjour (s) hors de France ≤ 92 jours par année civile |
Inoccupation du logement ≤ 122 jours par année civile |
Séjour (s) hors de France ≤ 92 jours - par année civile et - de date à date Lorsque la condition n’est pas remplie, droit pour les seuls mois complets de présence en France |
Séjour (s) hors de France ≤ 92 jours - par année civile et - de date à date Lorsque la condition n’est pas remplie, droit pour les seuls mois complets de présence en France |
Appliquer les conditions spécifiques à chaque prestation Lorsque la condition est remplie en RSA ou AAH, cela permet de considérer que la condition de résidence en France de l’allocataire pour le droit au PF est remplie |
Droit aux prestations lorsque la condition n’est pas remplie |
Lorsque la condition propre à une prestation n’est pas remplie sur une année civile, cette prestation n’est due que pour les seuls mois complets de présence en France sur l’année civile (application du suivi des dates d’effet). En outre, en cas d’absence de plus de 92 jours de date à date à cheval sur deux années civiles, le droit au RSA et à l’AAH est supprimé durant les mois de ce séjour hors de France | |||||
Condition de durée préalable de résidence de 3 mois en France avant l’OD applicables |
Non |
Non |
Non |
Oui |
Oui |
En fonction de la prestation |
Dérogations |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
|
Personnes concernées par la condition |
Allocataire |
Pour chaque enfant |
Allocataire ou conjoint ou enfant à charge |
Chaque membre |
Chaque titulaire de l’AAH |
(1) sauf l’allocation de logement à caractère familial.
Source : caisse d’allocations familiale de Haute-Garonne
ANNEXE 3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES OU RENCONTRÉES
1. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Pages
Audition du 1er juillet 2010 :
9 h 00 Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Laurent Rabaté, conseiller maître 153
Audition du 8 juillet 2010 :
9 h 00 M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, Mme Armelle Beunardeau et M. Geoffroy Fougeray, chargés de mission 164
Audition du 16 septembre 2010 :
9 h 00 M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires 178
Auditions du 30 septembre 2010 :
9 h 00 M. David Galtier, général de division, adjoint au directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale, M. Patrick Hefner, contrôleur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariats, M. Alain Winter, commissaire divisionnaire, chef adjoint du pôle judiciaire, prévention et partenariats au cabinet du directeur général de la police nationale et M. Patrick Knittel, chef de l’Office central de lutte contre le travail illégal 193
10 h 30 M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), M. Benjamin Ferras, directeur de cabinet du directeur, et M. Jean-Marie Guerra, adjoint au directeur de la réglementation 205
Auditions du 21 octobre 2010 :
9 h 00 M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Christian Castella, directeur du réseau, M. Daniel Buchet, responsable du département « maîtrise des risques et lutte contre la fraude », Mme Michèle Balestra, responsable du répertoire national des bénéficiaires, et Mme Patricia Chantin, responsable des relations avec le Parlement 215
10 h 30 M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et M. Emmanuel Dellacherie, directeur de projet fraude 225
Audition du 4 novembre 2010 :
9 h 00 M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), M. Pierre Fender, directeur du contrôle, du contentieux et de la répression des fraudes à la CNAMTS, et Mme Sophie Thuot-Tavernier, chargée de la veille législative à la CNAMTS 238
Auditions du 18 novembre 2010 :
9 h 00 Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés, Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement, et Mme Alexandra Vaillant, rédactrice au bureau du droit économique et financier 257
10 h 00 M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques, et M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances 266
Audition du 25 novembre 2010 :
9 h 00 M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), Mme Pascale Robakowski, agent comptable, Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale, et Mme Brigitte Langlois-Meurinne, référent national en matière de fraude au département de prévention et de lutte contre les fraudes 276
Auditions du 9 décembre 2010 :
9 h 00 M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable, Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude, et Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites » 292
10 h 30 M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne, et M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle 303
Auditions du 20 janvier 2011 :
9 h 30 Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens 313
10 h 30 M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF), et M. Djamel Dib, président du collège des généralistes, M. François Wilthien, premier vice-président de MG France, M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux (SML), M. Claude Bronner et M. Jean-Paul Hamon co-présidents de l’Union généraliste, et M. Pascal Lamy, secrétaire général, et M. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français – Confédération des syndicats médicaux français (UNOF-CSMF) 321
Auditions du 27 janvier 2011 :
9 h 00 Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, M. Franck Gambelli, représentant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, Mme Émilie Martinez, chargée de mission senior « recouvrement des charges sociales » à la direction de la protection sociale, et Mme Miriana Clerc, chargée de mission senior à la direction des affaires publiques, M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA), et Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement 332
10 h 30 M. Michel Bergue, directeur de projet sur la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, M. le Colonel Daniel Hestault, chef du bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l’identité à la direction de l’immigration, M. le Commandant Hubert Gattet, chef de bureau par intérim de la fraude documentaire à la direction centrale de la police aux frontières, et M. le Préfet Raphaël Bartolt, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés 345
Auditions du 10 février 2011 :
9 h 00 M. Serge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) au conseil d’administration de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC), M. Jean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT), M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale de Force Ouvrière (FO), M. François Joliclerc, secrétaire national de l’Union des syndicats autonomes (UNSA), et M. Jean-Louis Besnard, conseiller national 355
10 h 30 M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales, coauteur du rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances sur le dispositif des départs anticipés pour carrières longues 366
Audition du 17 février 2011 :
9 h 00 M. Philippe Gosselin, député de la Manche, membre du collège de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et M. Paul Hébert, chef du service des affaires juridiques 375
Auditions du 3 mars 2011 :
9 h 00 M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants, Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé, Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et du contrôle financier, M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement, et Mme Sandrine Toscanelli, chargée de communication 384
10 h 30 M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins, M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel, et Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales 394
Audition du 17 mars 2011 :
9 h 00 M. Pierre Leportier, président honoraire de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), M. Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), et M. Frédéric Laurent, vice-président, et Mme Marie-Josée Augé-Caumon, conseillère de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) 403
Audition du 18 mai 2011 :
17 h 30 Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères et européennes, M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire, et M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale 414
Auditions du 19 mai 2011 :
9 h 00 Mme Anne-Sophie Grave, directrice à la direction des retraites à la Caisse des dépôts et consignations, M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, et Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable des affaires publiques 422
11 h 00 M. Bernard Didier, directeur général adjoint, directeur technique et de la stratégie de Safran Morpho, et Mme Carole Pellegrino, responsable des relations institutionnelles, Mme Marie Figarella, vice-présidente Stratégie et affaires gouvernementales de Gemalto France, et M. Ari Bouzbib, responsable « Identité et programmes gouvernementaux », M. Georges Liberman, président-directeur général de Xiring, M. Frédéric Massé, directeur des relations institutionnelles de Sap France SA, et M. Jacques de Varax, directeur du GIE Sesam-Vitale 431
Audition du 1er juin 2011 :
11 h 30 M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé 442
2. LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS
Déplacement à la Banque carrefour de sécurité sociale à Bruxelles le 8 décembre 2010 :
Ø M. Frank Robben, administrateur de la Banque Carrefour de sécurité sociale ;
Déplacement à l’Agence nationale des titres sécurisés à Charleville-Mézières le 11 mars 2011 :
Ø M. Raphaël Bartolt, préfet, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés ;
Déplacement à la caisse d’allocations familiales des Ardennes le 11 mars 2011 :
Ø M. Bernard Laplace, président du conseil d’administration de la caisse d’allocations familiales des Ardennes ;
Ø M. Lionel Koenig, directeur de la caisse d’allocations familiales des Ardennes ;
Ø M. Christophe Soulier, directeur-adjoint ;
Ø M. Alain Perez, agent-comptable ;
Déplacement à la caisse d’allocations familiales de l’Aisne le 17 mars 2011 :
Ø M. Michel Dazin, directeur de la caisse d’allocations familiales de l’Aisne ;
Ø Mme Catherine Bachelet, responsable de la maîtrise des risques ;
Ø Mme Martine Boban, responsable « service à l’allocataire » ;
Ø M. Jacques Demaret, agent comptable ;
Ø M. Hugues Boissey, responsable du service du contentieux ;
Ø Mme Véronique Stevance, responsable du service des prestations ;
Ø M. Philippe Decaudin, agent de contrôle ;
Ø M. Siegfried Kuhn, agent de contrôle ;
Ø Mme Patricia Chantin, responsable des relations avec le Parlement de la Caisse nationale des allocations familiales ;
Déplacement à la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne le 31 mars 2011 :
Ø M. Philippe Claussin, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Garonne ;
Ø Mme Isabelle Dumond, sous-directrice ;
Ø M. Jean-Marie Bonifassi, agent comptable ;
Ø Mme Roselyne Jaume, responsable du département « gestion du risque » ;
Ø Dr Jacques Barsony, président du réseau Passages ;
Ø Dr Jacques Bez, médecin conseil, chef du service médical de Toulouse ;
Ø Dr Daniel Garipuy, médecin coordinateur du réseau « Passages réseau addictions 31 » ;
Ø Dr Gérard Fontan, médecin du réseau « Passages réseau addictions 31 » ;
Ø M. Jean Lamothe, pharmacien d’officine, membre du conseil d’administration du réseau « Passages réseau addictions 31 » ;
Ø Dr Michel Laspougeas, président de l’ordre régional des pharmaciens ;
Déplacement à la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne le 31 mars 2011 :
Ø M. Jean-Charles Piteau, directeur de la caisse d’allocations familiales de Haute-Garonne ;
Ø M. Gérard Merlin, directeur-adjoint ;
Ø M. Louis Joucla, agent-comptable ;
Ø Mme Christine Viero, responsable du contentieux ;
Ø Mme Agnès Trilles-Bon, responsable du pôle juridique ;
Ø M. Pierre Pradels, agent de contrôle ;
Ø M. Pascal Camps, responsable du service des prestations légales ;
Ø M. Francis Sicret, responsable-adjoint du service des prestations légales ;
Ø Mme Catherine Jaeg, responsable de la vérification comptable ;
Ø M. David Berlureau, responsable des unités de la vérification comptable ;
Ø M. David Buchet, responsable du département « maîtrise des risques et lutte contre la fraude » à la Caisse nationale d’allocations familiales ;
Déplacement à la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines le 7 avril 2011 :
Ø M. Gérard Maho, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines ;
Ø Mme Francine Antoniazzi, responsable du service de lutte contre les abus et les fraudes de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines ;
Ø Mme Colette Oger, représentante du directeur coordonnateur de la gestion des risques d’Île-de-France ;
Réunion du comité opérationnel départemental anti-fraudes de Versailles, présidé par :
Ø M. Michel Jau, préfet des Yvelines ;
Ø M. Michel Desplan, procureur de la République
Déplacement à la caisse d’allocations familiales des Yvelines le 7 avril 2011 :
Ø Mme Marianne Grenier Dranebois, directrice de la caisse d’allocations familiales des Yvelines ;
Ø M. Patrick Guery, agent-comptable, directeur de la maîtrise des risques de la caisse d’allocations familiales des Yvelines ;
Ø M. Alain Coel, responsable du service de contrôle des allocataires ;
Ø Mme Christine Baudère, administratrice à la caisse d’allocations familiales des Yvelines, présidente de la commission pénalités ;
Déplacement au service administratif national d’identification des assurés à Tours le 6 mai 2011 accompagné de M. Laurent Rabaté, conseiller maître à la Cour des comptes :
Ø M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ;
Ø Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ;
Ø Mme Brigitte Langlois-Meurinne, responsable du département national de prévention et de lutte contre les fraudes de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ;
Ø Mme Sophie Manot-Besson, responsable de département à la direction des assurés de l’étranger ;
Ø M. Thibault Quey, directeur des assurés de l’étranger ;
Ø M. François Brousse, directeur des systèmes d’information de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ;
Ø M. Bruno Delibanti, adjoint au directeur des systèmes d’information à la direction des opérations informatiques ;
Ø Mme Marie-Ange Fontenay, responsable du service administratif national d’identification des assurés ;
Ø Mme Véronique Puche, responsable du processus identification et des services d’intérêt collectif à la direction de la maîtrise d’ouvrage ;
Déplacement à La Haye le 12 mai 2011 :
Ø M. Paul de Krom, secrétaire d’État aux affaires sociales et à l’emploi en charge de la lutte contre la fraude ;
Ø M. Jean-François Blarel, ambassadeur ;
Ø Mme Claire Thirriot, conseillère économique ;
Ø Mme Armelle Canivet, responsable d’études au service économique de l’ambassade de France aux Pays-Bas ;
Ø M. Dirk Beekman, direction des affaires internationales du ministère des affaires sociales et de l’emploi ;
Ø M. Leon ten Barge, Banque de l’assurance sociale ;
Ø M. Harry Aukes, Institut de l’assurance chômage ;
Ø M. Jaap Apperloo, direction des affaires sociales et de l’emploi de la ville de La Haye ;
Ø Mme Anna Hooijenga, représentante de l’Association des communes néerlandaises.
ANNEXE 4 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Laurent Rabaté, conseiller maître.
M. le coprésident Jean Mallot. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale engage ce matin ses travaux sur un nouveau thème : la lutte contre la fraude sociale. Il nous a paru opportun de les commencer en invitant la Cour des comptes à nous présenter ceux qu’elle a pu réaliser sur le sujet, notamment à notre demande – à laquelle elle a répondu en nous adressant une communication. Nous avons donc le plaisir d’accueillir Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Laurent Rabaté, conseiller maître, que je remercie de leur présence.
Notre rapporteur sur ce thème important, sensible et assez médiatisé, sur lequel il faudra à la fois améliorer nos informations et dissiper quelques idées fausses, sera notre collègue M. Dominique Tian.
Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. Nous avions décidé de faire ce travail avant même que vous ne nous le demandiez, précisément parce que nous étions un peu exaspérés d’entendre que, si l’on éradiquait la fraude, la sécurité sociale n’aurait plus de problèmes. C’était certes avant la crise, et les déficits à combler étaient inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Il reste que la fraude sociale est un sujet important, non seulement en raison de ses conséquences financières, mais aussi parce qu’elle va à l’encontre de l’équité.
La communication que vous nous aviez demandée il y a déjà longtemps vous a été remise en avril dernier. Ce délai nous a permis d’intégrer les premiers effets de la politique volontariste menée depuis quelques années en matière de lutte contre la fraude.
Avec votre accord, nous avons circonscrit le champ de notre enquête à la fraude aux prestations dans le régime général. En effet, lorsque nous avons commencé ces travaux en 2008, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif à la fraude aux prélèvements était relativement récent. Par ailleurs, une étude sur la fraude en matière d’assurance chômage a été publiée en février dernier dans le dernier rapport public annuel de la cour.
Notre bilan est en demi-teinte. La cour, qu’on accuse parfois de ne relever que ce qui est négatif, a souhaité mettre aussi en évidence les progrès réalisés en matière de lutte contre la fraude.
Le Comité de lutte contre la fraude créé en 2006 avait un champ d’action circonscrit à la protection sociale. S’ensuivit la lettre de mission du Président de la République et du Premier ministre visant à l’établissement d’un plan de lutte contre toutes les fraudes et pratiques abusives portant atteinte aux finances publiques ; il y était précisé que les enjeux les plus importants se trouvaient certainement dans les fraudes aux prélèvements. Puis fut instituée la délégation nationale à la lutte contre la fraude, par décret du 18 avril 2008. Celle-ci n’existait donc pas encore lorsque nous avons commencé nos travaux mais nous avons pu voir dans un deuxième temps comment, grâce à elle, la situation avait progressé.
Cette impulsion politique s’est également traduite dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG), signées entre l’État et chaque caisse nationale de sécurité sociale. La troisième génération de COG comportait déjà quelques éléments nouveaux ; mais c’est surtout la quatrième génération – les conventions signées depuis l’année dernière – qui marque la volonté de mieux détecter, mieux évaluer, mieux sanctionner et aussi mieux prévenir les fraudes. Au-delà de ces bonnes intentions, tout réside bien sûr dans la force des objectifs et dans celle des indicateurs permettant de suivre leur réalisation ; or nous avons observé que ces objectifs manquaient d’ambition, étant parfois en deçà des résultats déjà obtenus – mais ce n’est pas seulement en matière de la lutte contre la fraude que nous avons constaté ce phénomène.
Quoi qu’il en soit, les caisses se sont engagées à affecter des moyens à cette lutte, preuve de leur investissement en ce domaine. Elles nous disent cependant que, la première de leurs priorités demeurant de servir les prestations, et à un moment où on leur demande de limiter leurs effectifs, elles auraient bien du mal à affecter des personnels supplémentaires à la lutte contre la fraude. Il reste que toutes doivent maintenant élaborer des plans annuels de lutte contre la fraude aux prestations. Par ailleurs, dans le cadre de la certification des comptes, nous avons pu observer que les plans de contrôle interne s’améliorent et comportent tous des volets anti-fraude.
Mais les organismes sont soumis à des pressions contradictoires – et notamment à la volonté politique de simplifier les procédures et les formalités administratives imposées aux citoyens. Ainsi, un décret de 2000 a supprimé la fiche d’état civil, assoupli la procédure de fourniture de justificatifs et admis les photocopies – plus faciles à falsifier.
Le rapport donne l’exemple de la fraude au départ anticipé à la retraite : des personnes se sont efforcées de faire valider des trimestres en produisant des pièces justificatives plus que légères et en faisant appel à des témoins qui, parfois, n’étaient pas nés au moment où elles étaient censées travailler… Des agents des caisses ont été impliqués dans cette affaire, les procédures sont en cours ; depuis, le système a été durci.
Quant aux déclarations sur l’honneur, elles ont longtemps été considérées comme un grand progrès simplifiant la vie des assurés, mais elles comportent des risques : on évalue à 40 à 50 % la part des fraudes qui proviennent de la production de fausses pièces ou de fausses déclarations.
Les textes ont certes été modifiés et permettent, depuis la loi de financement pour 2006, de suspendre le paiement des prestations dès lors que l’on soupçonne une fraude et que les pièces ne paraissent pas suffisamment probantes. Mais il n’est pas aisé pour les organismes de recourir à ce moyen.
Nous avons constaté que la situation était très variable d’une branche à l’autre. Les fraudes en matière de retraites sont – ou en tout cas étaient – certainement moins nombreuses, en raison du processus d’alimentation du compte individuel, souvent de manière automatisée, et d’assez nombreux contrôles jusqu’à la liquidation de la retraite. Mais s’il y a fraude, elle peut être très coûteuse, dans la mesure où la pension est viagère. Dans la branche Maladie, les fraudes sont plus ponctuelles – sauf lorsqu’il s’agit de fraude « industrielle », c’est-à-dire de détournements organisés – mais les risques sont plus diffus, la gamme des prestations étant très vaste. Enfin, c’est dans la branche Famille, qui sert des prestations sous conditions de ressources à des familles souvent fragiles, que se trouvent les risques les plus importants.
Nous avons également fait le recensement des dispositions que vous avez votées. La loi de 2004 sur l’assurance maladie a donné aux caisses d’assurance maladie le pouvoir d’infliger des sanctions administratives aux fraudeurs, ce qui est extrêmement important. Ensuite, les lois de financement successives, à partir de 2006, ont toutes comporté des dispositions relatives à la lutte contre la fraude, celle-ci faisant, depuis 2008, l’objet d’un titre spécial ; le code de la sécurité sociale lui-même comprend un chapitre spécialisé. Au total, nous avons compté une trentaine d’articles ; nous nous sommes demandé si ce n’était pas un peu trop, mais ces articles se modifiant souvent les uns les autres, on n’arrive pas à trente dispositifs différents. Le problème est que la mise en œuvre de ces dispositions suppose des décrets et circulaires ainsi que des processus informatisés, voire un passage devant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce qui peut prendre du temps. Nous avons formulé dans notre rapport le souhait d’un suivi plus fin de la mise en œuvre de toutes ces dispositions.
Les sanctions ont été diversifiées. Après l’assurance maladie, les autres branches ont également été autorisées par la loi à infliger des pénalités administratives. Les sanctions pénales sont limitées en nombre, les procédures étant très longues, et les parquets classent très souvent les affaires ; or ce qui compte, c’est la rapidité de réaction.
La réforme de la loi « informatique et libertés », en 2004, a également été favorable à la lutte contre la fraude. Je me rappelle l’époque où l’on n’avait pas le droit de constituer un fichier d’assurés sociaux : en 1982, pour les seules élections organisées à la sécurité sociale, il avait fallu créer de toutes pièces un fichier électoral, que la CNIL nous a obligés à supprimer ensuite. Ce fichier d’assurés sociaux aurait pourtant été bien pratique car, à l’époque, on savait déjà que des gens pouvaient être inscrits dans plusieurs caisses primaires et recevoir des prestations à plusieurs endroits. Du chemin a été parcouru depuis.
Dans la branche Famille, tout d’abord, le répertoire national des bénéficiaires, qui est enfin opérationnel, a contribué à nous permettre de certifier, pour la première fois, les comptes de la branche. Jusque là, faute de répertoire, il était possible de recevoir des prestations familiales de plusieurs caisses d’allocations familiales.
La levée du secret professionnel a constitué une autre avancée importante, mais nous avons constaté certaines réticences de la part des organismes : face à de multiples textes définissant les cas précis de levée du secret professionnel, ils ont peur d’être en infraction et sont un peu frileux. Peut-être faudrait-il aller vers des dispositions plus générales, précisant néanmoins, bien sûr, les finalités poursuivies.
Les moyens informatiques doivent évidemment aider fortement à lutter contre la fraude. Grâce à ceux dont nous disposons actuellement, il a été possible de créer les fichiers dont je viens de parler. Les caisses peuvent non seulement interroger les administrations pour obtenir des informations, mais aussi échanger directement avec elles. C’est ainsi que la branche Famille reçoit directement de la Direction générale des finances publiques les données sur les ressources des familles ; celles-ci ne sont donc plus obligées de remplir deux déclarations, et l’on ne risque plus de constater de divergence entre la déclaration au fisc et la déclaration à la caisse d’allocations familiales – ce qui générait chaque année un grand nombre d’indus.
Pour autant, tout n’est pas idyllique. Le dispositif est complexe, la CNIL fait peur et les organismes craignent toujours d’être en infraction. On a l’impression qu’ils ne savent jamais très bien s’ils sont dans une procédure de demande d’avis, d’avis tacite, d’autorisation tacite ou d’autorisation expresse. Les caisses s’abriteraient-elles derrière la CNIL pour ne pas avancer ? Le problème vient-il du flou qui entoure les exigences de la CNIL ? Sans doute y a-t-il un peu des deux. Quoi qu’il en soit, il serait bon que, sous l’égide de la direction de la sécurité sociale ou de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, un point soit fait périodiquement avec la CNIL sur les demandes des caisses, afin de dissiper les malentendus.
La lutte contre la fraude passe aussi, bien sûr, par des moyens humains. La Délégation nationale à la lutte contre la fraude est un outil puissant, permettant de mettre en relation des administrations et des organismes qui, spontanément, ne travailleraient peut-être pas ensemble. Les comités locaux, qu’un texte récent a généralisés dans les départements, avec des groupes de travail spécialisés, jouent un rôle notable. Toutes les caisses nationales ont créé un service dédié pour piloter le dispositif et tenter d’entraîner l’ensemble du réseau dans la démarche. Mais dans les caisses locales, du fait des différences de taille, de la diversité des modes d’organisation et de la tradition de non-intervention des caisses nationales, il est plus difficile de savoir qui se consacre à la lutte contre la fraude. Seuls les gros organismes peuvent avoir des référents dédiés ; il reste que normalement, tous les personnels des caisses devraient avoir le souci de débusquer les fraudes et d’alerter en cas de suspicion.
Après avoir examiné les moyens de la lutte contre la fraude, nous nous sommes interrogés sur l’ampleur des fraudes potentielles, en nous demandant si les caisses s’étaient préoccupées de l’évaluer, sachant qu’elles communiquent sur la fraude détectée, ce qui peut avoir un effet préventif, mais qu’il serait intéressant d’en savoir plus.
Seule la branche Famille a commencé à mettre en place une procédure d’évaluation, sur la base d’un échantillon représentatif. Cette procédure a permis d’évaluer la fraude à un peu plus de 1 %, ce qui, par extrapolation, représenterait 675 millions d’euros pour l’ensemble de la branche. Mais il ne s’agit pas du montant du préjudice financier puisque, lorsque les fraudes sont détectées, on tente de récupérer les indus – même s’il n’est pas toujours facile de le faire lorsqu’il s’agit de personnes fragiles.
Pour le moment, les autres branches n’ont pas encore mis en place de procédure analogue. Le 14 juin, la caisse nationale d’assurance vieillesse a annoncé avoir constaté le versement de 3,3 millions de prestations indues en 2009, soit 22 % de plus qu’en 2008, mais ce faisant, elle a surtout voulu montrer ses progrès dans la détection des fraudes. De la même façon, la branche Maladie communique sur la fraude détectée, mais cela ne permet pas d’avoir un ordre de grandeur de la fraude réelle. Cependant les caisses ont bien compris qu’elles vont devoir faire des efforts en ce domaine, comme le leur imposent les conventions d’objectifs et de gestion.
Au total, nous considérons que beaucoup de progrès ont été faits. L’existence d’un dispositif juridique et de capacités techniques, associée à une sensibilisation accrue, permet de passer au stade du chiffrage du vrai risque de fraude.
Encore faut-il, cependant, s’entendre sur ce qu’est la fraude. Dans les branches Famille et Vieillesse, on s’en tient essentiellement à cette notion, mais dans la branche Maladie on utilise aussi celles d’abus, d’erreur, de faute, entre lesquelles les frontières sont poreuses. Et les caisses adoptent souvent des modalités de comptage qui leur sont propres : ainsi dans la branche Vieillesse, on calcule la « fraude évitée » – la détection d’une fraude permettant d’éviter le service de la prestation indue pendant les années restant jusqu’au décès de la personne.
Pour approcher d’un peu plus près la réalité de la fraude, une bonne solution serait de sélectionner les organismes les plus diligents en matière de détection de fraudes et de procéder par extrapolation à l’ensemble du réseau.
M. le coprésident Pierre Morange. Sur les 675 millions d’euros que pourrait représenter la fraude dans la branche Famille, nous avez-vous dit, avez-vous une estimation du montant récupéré ?
M. Laurent Rabaté, conseiller maître à la Cour des comptes. Dans la branche Famille, les taux de récupération des indus sont traditionnellement assez élevés car, le plus souvent, la récupération se fait sur les prestations – ils sont de l’ordre de 80 %. Mais sur les 675 millions, le préjudice est d’environ 170 millions, une part étant en admission en non-valeur et une part étant prescrite.
Mme Rolande Ruellan. La branche Famille a tendance à traiter les indus frauduleux comme les autres indus. De ce fait, il n’y a pas de réelle différence de procédure, même si en principe le délai de prescription n’est pas le même dans les deux cas.
Dans la branche Maladie, le fait que les frontières ne soient pas nettes entre fraude, abus et faute s’explique sans doute par le fait que face aux caisses, il y a non seulement les assurés, mais aussi les professionnels de santé. Il n’est pas toujours facile d’apprécier le comportement des uns et des autres et de savoir s’il est frauduleux ou si l’on a « optimisé » les imprécisions ou les failles de la réglementation.
Dans la branche Famille, et le rapport en donne de nombreux exemples, le principe était de considérer les bénéficiaires comme insoupçonnables. Il fallait que la qualification pénale puisse être établie pour que l’on admette qu’il y avait fraude. Les choses sont en train d’évoluer ; la Caisse nationale des allocations familiales rappelle aujourd’hui que ce critère pénal n’est pas le bon.
On nous a dit, et nous y avons été sensibles, que la réglementation, par sa complexité et ses caractéristiques, prêtait à la fraude, ou en tout cas rendait le contrôle difficile. On pense bien sûr à la condition d’ « isolement » sur laquelle repose le bénéfice de certaines prestations familiales. Pose également problème le fait que les conditions de ressources soient définies différemment d’une prestation à l’autre, ce qui ne simplifie ni la compréhension des assurés ni les contrôles des organismes. Sans doute y a-t-il là un peu de nettoyage à faire.
Bref, il faudrait aussi que l’on arrive à une définition plus opérationnelle de la fraude, dans laquelle l’ensemble des caisses se retrouverait plus aisément.
Enfin, nous avons cherché à savoir comment ce qui se faisait au niveau national se traduisait au niveau des caisses locales.
À cet égard, nous avons constaté que les caisses nationales ont encore un rôle de coordination et d’impulsion insuffisant, malgré tous les outils qui sont maintenant en place. Elles restent dans l’idée qu’elles ne doivent pas attenter à l’autonomie de gestion des organismes de leur réseau. Or le fait de récupérer l’information au niveau national, de la traiter, de faire redescendre ensuite les bonnes pratiques, d’évaluer et de comparer les performances des caisses locales pourrait avoir un effet d’aiguillon. En ce domaine, les caisses nationales sont encore trop timides. Le rapport donne un exemple d’absence d’exploitation et de diffusion de bonnes pratiques : l’affaire du Subutex, à Toulouse, où la caisse a décidé, pour éviter le trafic, qu’elle ne rembourserait ce produit que s’il était, pour une même personne, prescrit par le même médecin et délivré dans la même pharmacie. Pourquoi n’a-t-on pas assuré la diffusion de cette bonne pratique dans l’ensemble du réseau, alors que son effet a été notable ? L’accompagnement des caisses locales, donc, est encore insuffisant.
Les actions de prévention sont certainement, elles aussi, insuffisantes, notamment au niveau de la communication.
C’est d’abord le cas dans la communication interne. Les agents sont considérés, par définition, comme insoupçonnables ; or on a vu, dans la branche Vieillesse, que le désir de partir très vite à la retraite avait pu être plus fort que la déontologie. La communication interne existe néanmoins, et quelques efforts sont faits – même si ce n’est pas toujours facile : il faut essayer d’éviter qu’une personne liquide sa propre retraite ou celle de son conjoint, mais on ne connaît pas toujours les liens de parenté ou d’amitié qui peuvent exister.
Quant à la communication externe, à destination du public, elle est diverse. La publicité d’une condamnation est une peine supplémentaire qui doit être prononcée par le juge – les caisses ne peuvent pas décider d’elles-mêmes de publier dans les journaux le nom des fraudeurs. En revanche, elles pourraient afficher dans les locaux des caisses, dans un but préventif, une liste anonyme des sanctions infligées. Cela commence à se faire, mais il faudrait développer cette pratique.
Nous nous sommes penchés aussi sur la question des dénonciations et de l’exploitation des signalements. Dans les pays anglo-saxons, la dénonciation est encouragée et parfois même rémunérée, mais en France, on n’aime pas la délation, surtout s’il s’agit d’une dénonciation anonyme. Tout dépend, en fait, de la culture de l’équipe de direction ou des agents. La situation commence à progresser, mais globalement ces dénonciations devraient être mieux exploitées.
Nous avons par ailleurs regretté qu’il n’existe pas de fichier des fraudes constatées. Nous donnons dans le rapport des exemples, certes anciens et un peu caricaturaux, mais parlants : une personne peut avoir à un endroit un comportement réellement frauduleux, éventuellement passible de condamnation pénale, puis changer de région et recommencer… Sans doute les caisses nationales n’ont-elles pas le droit de constituer ce genre de fichiers, mais il faudrait examiner les moyens de réunir de telles données.
Nous appelons par ailleurs l’attention sur le fait qu’une chose est de détecter une fraude, mais qu’une autre est de la poursuivre. Les poursuites peuvent demander des compétences juridiques et des capacités proches de celles d’un juge d’instruction ; bien souvent, les petits organismes ne savent pas comment procéder sans risquer d’être contestés devant le tribunal.
S’agissant des sanctions, les caisses ont parfois tendance à considérer que récupérer les indus suffit. Or si l’on s’en contente, la fraude ne coûtera rien de plus à celui qui l’a commise que s’il n’avait pas cherché à frauder. Les sanctions que la loi a permis de prononcer sont encore très peu utilisées par les caisses, et c’est dommage. Pour beaucoup de fraudes, les sanctions administratives sont beaucoup plus rapides et mieux adaptées que les sanctions pénales.
En conclusion, notre constat est, comme je le disais, en demi-teinte : il y a des progrès, notamment au niveau national, dans la prise de conscience et dans les outils, mais l’appropriation de ces derniers est un peu lente. Elle progresse néanmoins, et les caisses communiquent sur la fraude plus qu’on aurait pu l’imaginer il y a quelques années ; il faut espérer qu’elles ne se contenteront pas de le faire sur les fraudes détectées, mais qu’elles iront plus loin dans l’évaluation, la sanction et la prévention de la fraude. Mais la prévention ne dépend pas que d’elles : il faut aussi que les textes ne soient pas des « pièges à fraudes ».
M. le coprésident Pierre Morange. Merci d’avoir évoqué les travaux législatifs sur l’interconnexion des fichiers. Mais avez-vous le sentiment que les systèmes informatiques des caisses sont suffisamment élaborés, suffisamment opérationnels, compte tenu des objectifs fixés dans les conventions d’objectifs et de gestion ?
M. le rapporteur. Je crois que des retards sont annoncés, notamment à la Caisse nationale d’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange. En 2004, la précédente convention d’objectifs et de gestion prévoyait que le système serait opérationnel en 2009-2010. Or on nous a dit qu’il faudrait plutôt attendre 2013. Avez-vous fait le même constat ?
Mme Rolande Ruellan. Le décret relatif à cet échange de données venant d’être publié, nous n’avons pas encore audité les caisses sur ce point. La mise en œuvre du dispositif ne devrait pas être trop complexe, puisqu’il s’agit simplement de répertorier les prestations auquel un même assuré a droit.
M. le coprésident Jean Mallot. L’exposé très complet que vous venez de faire sur la base de la communication que la cour nous a transmise nous permet de démarrer nos travaux. Lors de nos échanges préalables, nous avons bien sûr noté la nécessité de bien faire la distinction non seulement entre les fraudes sur les prélèvements et les fraudes sur les prestations, mais aussi entre ce qui relève respectivement de la fraude, des abus, des erreurs et des dysfonctionnements, et enfin, s’agissant des actions menées, entre la prévention de la fraude et sa sanction. Les éléments que vous venez de nous exposer nous permettent d’avancer dans ces distinctions, en évitant les amalgames. Avez-vous des éléments chiffrés qui nous permettent de mesurer le poids de ces différentes réalités, et par voie de conséquence d’adapter les outils ?
Mme Rolande Ruellan. Dans le cadre de la certification, nous déterminons le taux d’erreur dans les branches Maladie et Vieillesse. En ce qui concerne la fraude, en revanche, nous ne disposons pas d’autres éléments que ceux que nous vous avons indiqués ; nous avons beaucoup hésité à avancer un chiffrage, mais nous arrivons aux alentours de 1 % des dépenses, tant dans la branche Famille que dans la branche Maladie. Certains pensent que la fraude est infiniment supérieure ; c’est peut-être le cas, mais nous n’avons pas d’éléments pour le dire. L’évaluation est d’autant plus difficile que les caisses peuvent requalifier une fraude. Dans la branche Maladie, par exemple, un comportement a priori frauduleux comme la mauvaise utilisation de l’ordonnancier bizone, s’il est très répandu, devient une erreur ou un abus. Les textes eux-mêmes sont flous ; le plan gouvernemental visait à la fois les fraudes et les abus. La fraude se définit comme la violation intentionnelle d’un texte, mais pour les caisses, il est très difficile de démontrer le caractère intentionnel de la violation. C’est le problème, également bien connu du fisc, de la bonne foi. Si celle-ci est établie, on se contentera de récupérer l’indu, la pénalité ne s’appliquant qu’en cas d’intention délibérée de ne pas respecter les textes.
M. Laurent Rabaté. Le référentiel nécessaire pour qualifier les comportements observés n’existe que depuis mars 2010 pour la branche Vieillesse, celui de la branche Famille est en cours de diffusion et la réflexion n’est qu’entamée pour la branche Maladie. Tant que nous ne disposons pas de ces référentiels, il nous est difficile de procéder à un chiffrage distinguant les différentes notions. Cependant nous sommes à même de mesurer les erreurs, dans le cadre de la certification des comptes sociaux ; le taux d’erreurs important a d’ailleurs été longtemps l’un des motifs du refus de certifier les comptes de la branche Famille. Quant à la fraude, nous considérons qu’il est possible de la caractériser sans distinctions trop raffinées, l’objectif étant que toute fraude soit sanctionnée.
M. le coprésident Pierre Morange. La France est en retard dans la construction de ces référentiels. Les travaux de nos amis anglo-saxons ont servi de base à une estimation – qu’il faut certes manier avec beaucoup de prudence –, selon laquelle la fraude atteindrait 12 à 15 milliards d’euros.
M. le rapporteur. L’estimation de la Cour des comptes est plus basse, puisqu’elle est de 3 milliards d’euros environ. C’est déjà beaucoup !
M. Laurent Rabaté. Le chiffrage du Conseil d’analyse stratégique, obtenu en extrapolant les données britanniques, est plus que fragile, étant donné la différence entre les deux systèmes sociaux. Les prestations anglaises sont davantage soumises à des conditions de ressources. La transposition n’a pas vraiment de sens.
Quant au taux de 1 % de fraude – correspondant aux 3 milliards –, il doit encore être confirmé pour la branche Famille, mais il paraît assez fondé pour les autres branches. La branche Maladie commence à avancer quelques évaluations à partir des données des caisses locales. En tout état de cause, il semble que le niveau de fraude soit inférieur à celui de la Grande-Bretagne, où d’ailleurs les premières évaluations ont été assez fortement remises en cause – à la baisse – par le National Audit Office.
M. le rapporteur. Ce qui est gênant, c’est qu’on ne sait pas quelles méthodes statistiques sont utilisées. Ainsi les caisses d’allocations familiales qui, il y a un an, estimaient le montant de la fraude à 90 millions d’euros, parlent aujourd’hui d’un montant situé entre 650 et 900 millions d’euros sur la base d’une analyse de 10 000 dossiers. Je lisais hier dans la presse que, à la suite de la demande du Président de la République, la Caisse nationale d’assurance maladie évaluait à 2 milliards d’euros les économies qui pourraient être réalisées, allant même jusqu’à évoquer des « spécialités régionales ». Tout le monde sait pourtant depuis des années que ces différences entre les régions existent… Le sentiment général de malaise s’accentue quand on entend parler d’un taux de fraude à la retraite anticipée qui atteindrait 50 % ! Dans ces conditions, on ne peut que remettre en cause l’organisation même du système, se demander s’il y a un pilote dans l’avion et constater qu’il y a eu des complicités internes. Un guide des bonnes pratiques ne devrait-il pas être établi d’urgence ? Ne pourrait-on s’inspirer de pays européens plus efficaces, tels que la Belgique, qui est en avance dans le stockage des données individuelles ? Ne constatez-vous pas, de la part des organismes sociaux, notamment la Caisse nationale d’assurance maladie, la volonté de ne pas partager l’information, ainsi que de s’affranchir d’obligations simples qui, souvent, suffiraient à endiguer la fraude ? À l’occasion de la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic) et des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), j’avais observé que la simple vérification des pièces d’identité aurait permis d’éviter 95 % des fraudes.
Enfin, j’aimerais avoir votre sentiment sur le serpent de mer de la carte Vitale sécurisée. La possibilité de vérifier l’identité et l’établissement d’un dossier médical personnel ne seraient-ils pas le moyen d’empêcher un grand nombre de fraudes ?
Mme Rolande Ruellan. Notre pays part de loin : jusqu’à une période récente, il n’était pas concevable que les assurés sociaux soient des fraudeurs. Telle était la culture des organismes sociaux, du fait de la composition de leurs conseils d’administration.
Les choses évoluent doucement. Les progrès se constatent notamment sur le plan organisationnel : désormais, toutes les caisses nationales ont créé une structure dédiée à la lutte contre la fraude ; mais elles doivent maintenant se montrer plus dynamiques dans la mobilisation du réseau des caisses locales. On peut regretter le manque d’incitation des agents à la lutte contre la fraude, le calcul des primes d’intéressement des personnels ne tenant pas compte de cet élément. La délégation nationale à la lutte contre la fraude et la direction de la sécurité sociale devraient encourager les caisses nationales à mettre les caisses locales sous tension.
Reste le problème des textes. Ce sont les pouvoirs publics qui ont imposé la procédure de la déclaration sur l’honneur, dont les agents connaissaient les risques. Ainsi dans le cas de la retraite anticipée, la présence physique des témoins n’était pas exigée. En acceptant une simple déclaration sur l’honneur, les personnels des caisses n’étaient donc pas en infraction par rapport à ce qui leur avait été demandé. Depuis, des circulaires ont durci la procédure. Il y a eu un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances – non public – sur le sujet.
M. le rapporteur. Il y a quand même eu des agents mis en examen…
Mme Rolande Ruellan. Oui, pour les cas de fraude interne – tellement facile qu’il était tentant d’en profiter, pour soi ou pour ses proches. Pour le reste, la caisse nationale d’assurance vieillesse avait très vite signalé que le dispositif était une vraie passoire, mais l’administration a tardé à le durcir ; c’est l’une des observations que nous avons formulées l’année dernière dans le rapport de certification.
M. Laurent Rabaté. La procédure de certification des comptes a contribué à faire progresser très significativement le contrôle interne, notamment par le déploiement de référentiels nationaux. Désormais, la plupart des faiblesses apparaissent : ainsi l’insuffisance du dispositif de retraite anticipée avait bien été détectée. On ne peut cependant pas encore garantir, s’agissant notamment de la branche Vieillesse, que toutes les procédures sont pleinement appliquées ; mais il ne faut pas considérer que le système est une passoire et que les risques sont très importants.
S’agissant de la fraude à l’identité, et au-delà du problème de la carte SESAM-Vitale, sur lequel la Cour s’est déjà exprimée, il faut signaler l’importance du chantier de l’AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), qui a mis beaucoup de temps à démarrer – la CNIL n’a d’ailleurs pas encore donné toutes les autorisations. En permettant d’interroger les fichiers nationaux quand il y a un doute sur l’identité des demandeurs de prestations, ce dispositif constituera un élément de sécurisation très utile.
Mme Rolande Ruellan. Ce chantier a été lancé en 1993, quand la loi a fait obligation aux caisses de vérifier la régularité du séjour en France des étrangers demandeurs, non seulement au moment de leur affiliation, mais également au moment du versement des prestations, ce qui est impossible sans accéder au fichier du ministère de l’intérieur. Je me souviens que les personnels des caisses trouvaient alors scandaleux de se faire ainsi les auxiliaires de la police.
Actuellement, le principal blocage vient de ce que les caisses ne souhaitent pas que les informations dont elles disposent aillent au ministère de l’intérieur et puissent servir à la police. S’il arrive que des caisses signalent des faits au procureur de la République, la plupart des agents considèrent qu’il est absolument scandaleux d’aller dénoncer un assuré social à la police.
Ce dont la Caisse nationale d’assurance maladie a fait état il y a quelques jours ne relève pas à proprement parler de la fraude : la prescription et la consommation de soins diffèrent très fortement d’une région à l’autre, d’une ville à une autre, voire d’un établissement à un autre. Le phénomène est ancien et bien connu de la Caisse nationale d’assurance maladie. Pour juguler la croissance des dépenses, il faut dans ce cas agir sur les comportements, ce qui passe par la définition de référentiels et de recommandations de bonnes pratiques et par un contrôle de leur respect – sans encadrer à l’excès la liberté de prescription des médecins.
M. Jean-Luc Préel. Il est indispensable de lutter contre la fraude, ne serait-ce qu’au titre de la solidarité, le fraudeur pénalisant l’ensemble des assurés sociaux ; mais penser qu’on résoudra ainsi les problèmes financiers de notre protection sociale est un pur fantasme. Comme cela a été dit, la fraude ne représenterait que 1 % des dépenses de sécurité sociale ; et la nature humaine étant ce qu’elle est, il est vain de penser qu’on l’éradiquera un jour. Par ailleurs, il faut distinguer la volonté délibérée de violer la règle et les problèmes de gestion des caisses.
On n’a pas encore évoqué ce matin l’incidence, sur les recettes, du travail dissimulé – qu’on ne parvient pas à juguler.
S’agissant des retraites, la possibilité de valider des trimestres sur témoignage, qui a été plus rigoureusement encadrée, reste cependant précieuse, notamment pour les aides familiaux agricoles.
En ce qui concerne la branche Famille, la vérification de la réalité de la situation de parent isolé est effectivement complexe. Concernant l’aide personnalisée au logement, il n’est pas toujours facile de savoir si la déclaration des revenus a été établie avec la volonté de frauder ou en omettant involontairement certains éléments.
Pour la branche Maladie, je ne reviens pas sur le problème de la carte Vitale. Un obstétricien m’a parlé d’une femme qui aurait accouché trois fois dans l’année, ce qui est effectivement un peu beaucoup ! Concernant les indemnités journalières, les arrêts de travail abusifs, le mauvais usage des ordonnanciers bizone, le codage des actes, les actes indus ou l’auto-prescription d’actes techniques, on voit bien que des économies sont possibles. Mais comment déterminer si ces pratiques relèvent de la fraude, de la complaisance, de la facilité, voire de l’application du principe de précaution ? Quel est le rôle de la caisse en matière de contrôle médical ? Quelles sont les sanctions ? La définition de bonnes pratiques, avec un contrôle médical, ne suffirait-elle pas à résoudre ces problèmes ?
Enfin, dans quelle proportion pensez-vous que la fraude puisse être réduite ? Si l’on passe de 1 % à 0,50 %, les problèmes financiers de notre protection sociale ne seront pas résolus, monsieur le rapporteur.
M. le rapporteur. Il ne s’agit pas de résoudre le problème du déficit des comptes sociaux, mais de mettre fin au sentiment très fort d’injustice que ressentent nos concitoyens devant les dérapages. Notre objectif est d’établir des guides de bonnes pratiques, afin de réintroduire de la logique, du bon sens et de l’efficience dans un système qui semble aujourd’hui ne plus avoir de pilote.
Mme Rolande Ruellan. Les caisses ont d’ores et déjà l’obligation d’établir des plans de lutte contre la fraude. Il reste évidemment à les appliquer. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il n’y a pas de pilote ; la prise de conscience est réelle au niveau national et doit maintenant irriguer l’ensemble du réseau. Et il faut que chaque agent soit vigilant ; même si de nombreuses procédures sont désormais informatisées, l’intuition et l’expérience gardent toute leur importance dans le traitement des dossiers les plus compliqués.
La vérification de la condition d’isolement a toujours posé de gros problèmes aux caisses. Nous faisons état dans notre rapport des différents moyens de la contrôler ; ce peut être l’envoi sur place d’agents assermentés, ou encore le recoupement des informations des caisses avec celles d’autres administrations. Les comités locaux de lutte contre la fraude permettent cette mise en commun d’informations, en même temps que la réalisation d’actions communes. Des groupes de travail essaient, sur des sujets particuliers, de trouver les meilleures solutions pour éviter la fraude.
Il faudrait aussi que les caisses utilisent mieux les données dont elles disposent et soient plus actives face à certaines anomalies statistiques. Notre rapport cite par exemple l’étonnante longévité des ressortissants algériens bénéficiant d’une retraite française en Algérie : le nombre de pensionnés centenaires, selon les chiffres de la direction de la sécurité sociale, serait supérieur au nombre de centenaires recensés par le système statistique algérien… Certes il est difficile d’aller contrôler dans le monde entier s’il y a « fraude à l’existence » des pensionnés auxquels est servie une retraite française, mais il est néanmoins possible d’agir.
En ce qui concerne les différentes pratiques évoquées par M. Jean-Luc Préel au sujet de l’Assurance maladie, nous avons observé de la part de la Caisse nationale d’assurance maladie une très grande mansuétude à l’égard des professionnels de santé, alors que les textes prévoient qu’en cas de non-respect des règles de tarification ou de facturation, le professionnel ou l’établissement peut être contraint au remboursement de l’indu dont il est responsable. Cette indulgence vise peut-être à préserver de bonnes relations conventionnelles entre les caisses et les syndicats de médecins. Les tableaux figurant dans notre rapport montrent pourtant qu’il est beaucoup plus rentable de poursuivre les fraudes et abus des professionnels de santé que de s’attaquer à ceux des assurés. Les difficultés tiennent souvent aux problèmes de frontières ; je pense au cas de ce médecin de Seine-Saint-Denis, le docteur Poupardin, qui a récemment fait parler de lui dans la presse en revendiquant ouvertement son choix de ne pas respecter l’ordonnancier bizone, afin que ses patients modestes puissent bénéficier d’une prise en charge à 100 %.
M. Laurent Rabaté. La grande difficulté en matière de fraude est de passer d’une définition théorique à une définition opérationnelle. La branche Famille a décidé de prendre en compte l’élément de récidive, qu’elle considère comme une présomption de fraude : l’oubli de communiquer une information est considéré comme une erreur la première fois, mais la transmission répétée d’informations erronées est présumée être une fraude. À l’inverse, sur l’ordonnancier bizone comme sur d’autres sujets, l’Assurance maladie s’est contentée d’adresser des mises en garde aux praticiens, sans passer à l’étape suivante de la caractérisation de la fraude et de sa sanction.
M. le coprésident Jean Mallot. Il nous reste à vous remercier de cet échange, en formant le vœu que la collaboration entre la Cour des comptes et la MECSS continue d’être exemplaire.
M. le coprésident Pierre Morange. À ce sujet, nous serions reconnaissants à la Cour de nous fournir, à partir du constat qu’elle a établi, une liste précise des mesures d’ordre législatif ou réglementaire qui pourraient être prises pour progresser dans la lutte contre la fraude.
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AUDITION DU 8 JUILLET 2010
Audition de M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, Mme Armelle Beunardeau et M. Geoffroy Fougeray, chargés de mission.
M. le coprésident Jean Mallot. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, dans le cadre de nos travaux relatifs à la lutte contre la fraude sociale, M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, accompagné de Mme Armelle Beunardeau et de M. Geoffroy Fougeray, chargés de mission.
Après nous avoir présenté la délégation nationale à la lutte contre la fraude en précisant sa mission, son organisation, ses moyens et son activité, pourriez-vous, monsieur Benoît Parlos, nous indiquer comment se répartissent les fraudes entre celles aux prélèvements et celles aux prestations sociales ? À cet égard, la définition de la fraude est-elle suffisamment précise ? La délimitation entre fraude, abus, erreur et irrégularité est, en effet, parfois difficile à établir.
M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude. La délégation nationale à la lutte contre la fraude, dont l’action se situe depuis sa création en avril 2008 dans le périmètre des finances publiques, est parvenue avec l’ensemble des personnes et des organismes confrontés à la question de la définition de la fraude elle-même – car la frontière entre la fraude, l’abus, la faute, l’erreur et l’omission n’est en effet pas facile à établir – à dégager trois grandes caractéristiques : c’est un acte intentionnel, commis au détriment des finances publiques et entraînant un préjudice. C’est d’ailleurs une même définition que la circulaire interministérielle du ministre de la justice et du ministre du budget du 6 mai 2009 a reprise : est considérée comme fraude « toute irrégularité, acte ou abstention ayant pour effet de causer un préjudice aux finances publiques, commis de manière intentionnelle ».
La délégation nationale à la lutte contre la fraude a pour objet de coordonner toutes les actions anti-fraude. Elle n’est pas une administration supplémentaire. Elle ne se substitue pas au travail effectué par les organismes anti-fraude dont certains, comme l’administration fiscale, ont jusqu’à quatre-vingt-trois années de contrôle derrière eux. Mais ce travail présentant la particularité d’être à la fois émietté et très cloisonné, elle a un rôle de coordination et de pilotage : elle incite les agents contrôleurs à se parler et à agir en commun, afin de mieux dépister la fraude.
Nous sommes une toute petite équipe, composée de douze cadres aux profils très variés. Quand on veut faire de la transversalité, il est indispensable d’avoir des personnes capables d’établir des ponts entre différentes structures, par exemple entre la Caisse nationale d’allocations familiales et la direction générale des finances publiques. Notre mission consiste à aider les organismes anti-fraude à identifier des chantiers sur lesquels ils peuvent conduire des actions communes.
Notre équipe comprend des informaticiens, un magistrat, deux agents des impôts, un agent de la direction générale du travail – le travail dissimulé, ou illégal, est, en effet, une source importante de fraude –, un auditeur, une juriste, Mme Armelle Beunardeau, et un commissaire divisionnaire de la police nationale, M. Geoffroy Fougeray, qui m’ont accompagné aujourd’hui.
Comme nous n’avons aucun rapport hiérarchique avec les administrations, cet ensemble très complémentaire de compétences est à même d’animer et de piloter leurs efforts et de faciliter leurs actions afin de faire avancer les dossiers de manière consensuelle.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude a de nombreuses missions dont je n’énumérerai que les principales.
Nous sommes chargés d’évaluer quantitativement et qualitativement la réalité de la fraude. Comme il s’agit d’une économie souterraine, nous nous heurtons à des difficultés importantes pour la chiffrer mais nous progressons. Par ailleurs, nous essayons d’améliorer en permanence un outil, que nous avons mis au point, de typologie des fraudes consistant à partir de cas concrets afin de suggérer des aménagements juridiques et organisationnels destinés à améliorer le système et, le cas échéant, à « boucher les trous dans la raquette ».
La formation des agents est une autre de nos priorités. Dans une démarche transverse comme la nôtre, le croisement des savoir-faire des différents spécialistes du contrôle est très important. Nous avons, d’entrée de jeu, lancé un ambitieux programme de formation inter-administrations, venant s’ajouter à celle dispensée dans chaque maison, portant notamment sur la fraude à l’identité et la fraude à la résidence, connues jusque-là uniquement de certains services, comme la police aux frontières.
Dans le cadre de notre rôle de coordination entre les services de l’État et entre les organismes de protection sociale, nous sommes chargés de stimuler les échanges d’informations. Cela passe par l’orientation et l’accompagnement des démarches de rapprochement de fichiers à l’intérieur d’un même organisme ou entre plusieurs structures. Un bon exemple est la suppression des déclarations de ressources pour les allocations familiales : non seulement cela a simplifié les démarches pour les assurés, mais encore cela a permis, grâce aux recoupements avec les fichiers de la direction générale des finances publiques, de mettre en évidence des fraudes aux allocations familiales.
Cela passe aussi par la transmission des informations – de ce que nous appelons, dans notre jargon, des signalements. L’exemple type est les procès-verbaux de travail illégal : ils doivent impérativement être transmis à l’URSSAF, remplis en bonne et due forme, par les forces de contrôle qui ont agi.
Un effort important est réalisé depuis deux ans – Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, a dû évoquer ce point devant vous – pour introduire une dimension anti-fraude dans les conventions d’objectifs et de gestion : elles comportent non seulement des orientations sur les moyens à mettre en œuvre par les caisses ou les branches, mais également des indicateurs pour évaluer la lutte contre la fraude dans ces organismes.
Les conventions d’objectifs et de gestion concernent tous les secteurs qui vous intéressent : branche Famille, branche Vieillesse, branche Maladie et Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Trois conventions, qui venaient à échéance, ont été réactualisées et nous sommes en discussion avec la direction de la sécurité sociale et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés pour la révision de la convention d’objectifs et de gestion de cette caisse.
Nous exerçons une veille juridique permanente. Nous suivons au plus près la mise en place et le développement des dispositions législatives réglementant la lutte contre la fraude. Cela nous oblige à des remises à jour constantes parce que la fraude évolue, ce qui nous conduit, chaque année, à demander l’adoption d’une ou deux dispositions lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances rectificative.
Les comités locaux, qui ne s’appellent plus comités locaux de lutte contre la fraude (CLU) mais comités départementaux opérationnels anti-fraude (CODAF), et qui ont été pérennisés par un décret du mois de mars dernier, sont un élément clé du dispositif. Le réseau se met en place : soixante-deux comités sont déjà constitués ou en voie de l’être, trente-quatre sont en cours de lancement. Sous la double présidence du préfet et du procureur de la République, ils sont composés de représentants de différents services de l’État et organismes de protection sociale – dont Pôle emploi – et de membres des forces de police, de gendarmerie et de l’administration fiscale.
Leur rôle est très important. Constitués en réseau, ils sont chargés de détecter les problèmes, d’échanger sur les faits de fraude qui se présentent et de créer des groupes opérationnels pour les traiter. En d’autres termes, leur mission est de s’attaquer à la fraude directement à la racine.
Les résultats dont nous disposons sont ceux de la phase expérimentale. Le reporting sera mieux assuré à l’avenir. On a chiffré le montant du préjudice redressé ou évité grâce aux comités locaux à 150 millions d’euros à peu près sur l’ensemble de l’année 2009.
Se pose, à cet égard, la question du secret professionnel. Il faut s’assurer qu’il soit levé entre les personnes entre lesquelles il doit l’être, mais ni plus ni moins. Un article a été intégré à ce sujet dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPSI 2, à la fin de l’année dernière. Nous attendons que la procédure législative suive son cours. Une stabilisation en la matière est essentielle, de façon à fluidifier les échanges d’informations.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans le bilan des comités locaux de septembre 2009 que vous nous avez remis, vous identifiez trois freins à leur action : le secret professionnel ; l’appropriation culturelle de la lutte contre la fraude par certains organismes prestataires ; l’arsenal pénal et son application, un seuil minimal de 11 000 euros étant, par exemple, fixé pour les dépôts de plainte. Pouvez-vous nous donner des informations complémentaires sur ces trois sujets ?
M. Benoît Parlos. Faute de levée du secret professionnel entre les membres d’un comité local, l’information ne peut pas circuler. L’exemple le plus topique est celui des services de la préfecture.
M. Geoffroy Fougeray, chargé de mission. Alors que le comité est coprésidé par le préfet et que les services de la préfecture peuvent répondre à une demande d’une caisse d’allocations familiales, par exemple, ces services ne sont pas habilités à communiquer de leur propre chef les informations qu’ils peuvent avoir aux membres du comité.
La première chose que nous demandent les agents qui se réunissent au sein d’un comité local est de leur permettre de travailler ensemble.
M. Benoît Parlos. L’article du projet de loi dont je parlais a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Nous attendons que la procédure parlementaire se poursuive.
L’ « appropriation culturelle » est difficile à mesurer, mais les mentalités ont évolué : la lutte contre la fraude est maintenant affichée comme une priorité et est devenue une préoccupation quotidienne, notamment des agents de guichet. Tous les organismes se sont dotés d’une organisation en ce sens. Une prise de conscience a eu lieu également sur le plan de l’équité et de la justice sociale.
Toutefois, la politique pénale doit être rationalisée. On a recensé 24 incriminations différentes, ce qui ne permet pas une bonne appréhension par le système judiciaire des différentes fraudes. Il faudrait peut-être les ramener à huit ou dix. C’est un de nos axes de travail important.
Comme vous l’avez souligné, il y a obligation de porter plainte lorsque le préjudice dépasse 11 000 euros. La fixation d’un plancher a certainement été conçue au départ comme une incitation à porter plainte. Bien que cela ait tendance à multiplier le nombre d’affaires, je reste, pour ma part, prudent : je ne souhaite pas l’abandon de ce plancher car il crée une obligation qui peut être dissuasive.
Par ailleurs, comme il n’existait pas d’instruction au parquet en matière de fraude sociale, contrairement à ce qui existe en matière d’impôt et de douane, une circulaire de mai 2009 est venue combler ce vide. Nous allons en tirer un premier bilan dans les prochaines semaines.
M. le coprésident Jean Mallot. Une circulaire ne fait pas le droit !
M. Benoît Parlos. Elle n’introduit ni ne modifie aucun texte. Émanant à la fois du garde des sceaux et du ministre du budget, elle donne simplement instruction aux procureurs de procéder à un certain nombre d’opérations en leur rappelant les incriminations possibles et prévoit des réunions locales d’information à destination des procureurs, afin de renforcer l’implication des uns et des autres.
Les comités locaux transmettent régulièrement à la délégation nationale à la lutte contre la fraude un bilan de leurs actions. En échange, nous avons décidé, malgré notre petite taille, de nous comporter un peu comme un SVP 11-11 pour répondre à toutes leurs questions portant sur leur organisation et leur fonctionnement. Nous avons commencé à le faire à Paris et nous envoyons régulièrement aux secrétaires des comités locaux une lettre d’information.
L’ouverture de bases de données croisées a été un chantier très important de l’année 2009. Par exemple, la banque de données des déclarations préalables à l’embauche (DPAE), tenue par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), a été ouverte aux partenaires. Les problèmes informatiques et juridiques ont été réglés, notamment en lien avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il y a déjà eu cent milles consultations de la base URSSAF par les partenaires.
Quel gain en a-t-on tiré ? Il est un peu trop tôt pour le dire.
M. le coprésident Pierre Morange. À partir de quel moment peut-on espérer avoir une vision un peu plus affinée de la réalité ?
M. Benoît Parlos. Cela dépend de la réalité dont vous parlez : de la fraude détectée ou de la fraude estimée ?
M. le coprésident Pierre Morange. Des deux.
M. Benoît Parlos. Sur la fraude détectée, nous disposons, depuis 2006, de chiffres, chaque année, qui montrent une forte croissance de la fraude. En 2008, elle atteignait à peu près 360 millions d’euros pour les quatre branches.
M. le coprésident Pierre Morange. Combien a-t-il été récupéré sur ces 360 millions de fraude détectée ?
M. Benoît Parlos. Je ne suis pas capable de répondre à cette question aujourd’hui.
M. le coprésident Pierre Morange. Par quels moyens peut-on connaître le montant des sommes recouvrées ?
M. Benoît Parlos. Le travail est en cours sur ce sujet. Il a été indiqué, la semaine dernière, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, qu’un ou plusieurs indicateurs seront mis au point afin de pouvoir faire le partage de façon fiable entre la fraude détectée et la fraude recouvrée.
Cela étant, les sommes recouvrées par les différentes branches sur une année N ne correspondent pas aux fraudes détectées sur cette même année parce que tout se conjugue dans le temps. Par ailleurs le recouvrement des fraudes, qui reste notre objectif permanent, dépend de la détection de celles-ci.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Elle est plus facile.
M. Benoît Parlos. Elle nécessite quand même un combat de tous les jours de la part des agents de contrôle des différents organismes. Tout commence par la détection d’anomalies, qui sont ensuite traitées et contrôlées.
Aujourd’hui, pour avoir une bonne estimation de la fraude, et donc une bonne connaissance du phénomène souterrain qui la suscite, il faut pouvoir l’approcher avec des techniques statistiques solides, mais j’ai dans mon équipe une administratrice civile hors classe de l’INSEE qui travaille étroitement avec les services concernés. Cela a été fait pour la branche Famille. Un mécanisme de même type est en cours de mise en place pour la branche Vieillesse, la branche Maladie et l’ACOSS. La Caisse nationale d’assurance maladie travaille notamment sur les indemnités journalières et devrait se pencher sur la couverture maladie universelle. À partir d’échantillons, dans les règles statistiques, il faut pouvoir tirer des estimations. Cela nécessite la mise au point de protocoles permettant aux agents de contrôle de dire s’il y a eu fraude ou non à partir des anomalies décelées. Il s’agit là d’un changement de culture.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes conscients du temps que tout cela nécessite. Mais à partir de quel trimestre pouvons-nous espérer avoir un rapport d’étape ?
M. Benoît Parlos. J’espère fournir plus qu’un rapport d’étape au premier trimestre 2011.
M. Dominique Tian, rapporteur. La méthode dite INSEE est déjà ancienne puisque le conseil des prélèvements obligatoires la préconisait déjà en 2007.
M. Benoît Parlos. En ce qui concerne les prélèvements !
M. le rapporteur. C’est exact.
La méthode est progressivement appliquée dans les différentes caisses. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a annoncé deux milliards d’économies possibles. L’estimation de la fraude par la Caisse nationale d’allocations familiales est passée de quelques millions d’euros à 675 millions, voire 900 millions. On observe donc des avancées mais la méthode ne semble pas progresser de la même manière partout.
Vous avez indiqué dans le document d’avril 2009 que vous nous avez remis que, si on appliquait la méthode dite britannique, qui estime les fraudes à 1 % des dépenses, on arriverait à un chiffre de 5,5 milliards d’euros. La MECSS aimerait en savoir plus.
M. Benoît Parlos. Il s’agit d’une extrapolation introduite par un conditionnel.
L’expérience de la branche Famille est instructive. Nous essayons d’accélérer sa mise en place dans les autres caisses. Nous sommes présents en permanence sur le sujet. Mais il faut voir qu’elle mobilise des personnes normalement affectées à l’activité de contrôle.
M. le coprésident Pierre Morange. Il ressort d’auditions précédentes que l’harmonisation des systèmes informatiques pèche quelque peu et freine la réalisation des objectifs ambitieux affichés dans les conventions d’objectifs et de gestion. En particulier, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés nous a indiqué que l’urbanisation de son système informatique était reportée à 2013. Ce problème technique constitue-t-il un frein à la mise en œuvre des missions qui vous sont assignées ?
M. Benoît Parlos. L’urbanisation des systèmes informatiques dépasse de beaucoup mon sujet.
M. le coprésident Pierre Morange. Mais elle interfère avec vos missions.
M. Benoît Parlos. Cela peut retarder les actions informatiques de rapprochement de fichiers. Nous devons donc rappeler aux organismes de « prioriser » ces actions. Mais c’est notre lot quotidien, si j’ose dire.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Si j’ai bien compris, certains textes législatifs ne seraient pas appliqués comme ils le devraient. L’une des tâches essentielles de la MECSS va donc être de les répertorier, de comprendre pourquoi certains ne sont pas appliqués et d’étudier les avancées possibles et nécessaires.
Nous devrons également faire attention à distinguer les vrais fraudeurs des faux fraudeurs. Les « indus » dans la branche Famille ne sont pas forcément le fait de fraudeurs.
Par ailleurs les familles sont amenées à déménager et, parfois, à changer de département. La consultation des listes électorales pourrait être un moyen d’éviter des fraudes.
Enfin, vous indiquez, dans votre bilan de septembre 2009, que les interventions de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité vous posent parfois des problèmes dans votre travail. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
M. Benoît Parlos. Comme vous en parlera sans doute le directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales si vous l’auditionnez, un répertoire national des bénéficiaires est en voie d’achèvement. Embrassant l’ensemble des allocataires, il constitue un élément de simplification pour l’usager, de fluidité des services rendus à ce dernier et, en même temps, de contrôle. Même si les familles se déplacent, elles sont maintenant répertoriées.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Avez-vous déjà une évaluation des fraudes découvertes ?
M. Geoffroy Fougeray. L’impact financier du répertoire national des bénéficiaires est de 46 millions d’euros.
M. Benoît Parlos. Quand à la consultation des listes électorales, j’avoue que je n’y avais pas pensé. Nous nous focalisions sur les actes d’état civil, notamment sur les extraits de certification de naissance, qui ne sont pas très fiables. Je ne sais pas si certains contrôleurs ont pensé à consulter les listes électorales.
M. Geoffroy Fougeray. Je n’en ai jamais entendu parler, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne le font pas. En tout cas, c’est une piste à explorer.
M. Benoît Parlos. Assurément !
M. le rapporteur. Votre rapport d’avril 2009 indique que, s’agissant du revenu minimum d’insertion, le croisement des fichiers a permis de détecter plus de 100 000 situations anormales, soit 10 % des dossiers.
M. Benoît Parlos. Anormal ne signifiant pas frauduleux.
M. le rapporteur. Certes, mais on traque non seulement la fraude intentionnelle, mais aussi les dépenses publiques inadaptées.
M. Benoît Parlos. Vaste débat !
M. le rapporteur. La fraude à l’identité est un véritable souci. Dans le cadre de vos prochains travaux, allez-vous y travailler, sachant que les faux permis de conduire – plusieurs centaines de milliers – et les pièces d’identité falsifiées sont de véritables portes d’entrée en France ? Quels moyens efficaces, biométriques ou autres, peuvent faire l’objet de préconisations ? Vous intéressez-vous à la certification des NIR – numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques –, dans la mesure où des pièces d’identité falsifiées suffisent pour obtenir immédiatement un numéro NIR dont découlent tous les droits dans notre système social ?
M. Benoît Parlos. La lutte contre la fraude à l’identité est devenue pour nous une priorité.
C’est un des domaines dans lesquels la formation est très importante, car un agent ne peut identifier un faux passeport s’il n’en a jamais vu.
En outre, il faut absolument que les données entrantes pour la certification des NIR soient bonnes. La caisse nationale d’assurance vieillesse est l’opérateur de l’ensemble du système, qui comprend entre autres le sous-ensemble des fichiers NIR des personnes nées à l’étranger. Nous devons, en liaison avec le groupement interministériel de lutte contre la fraude à l’identité (GILFI) auquel nous participons, étudier les moyens d’améliorer les données entrantes pour la délivrance des NIR. La caisse nationale d’assurance vieillesse surveille déjà ce point sensible, mais il mérite une attention particulière pour éviter que des NIR certifiés sur des bases fausses soient obtenus par des gens que l’on ne reverra plus.
Pour autant, le NIR certifié n’est pas en lui-même synonyme d’ouverture automatique de droits, même s’il reste très important.
Mme Armelle Beunardeau, chargée de mission. Les trois processus d’immatriculation, d’affiliation et d’ouverture des droits sont déconnectés de l’acquisition d’une identité sociale traduite par le NIR, dans la mesure où une personne qui remplit les conditions n’a pas besoin d’un NIR pour commencer à percevoir les prestations et que, a contrario, le détenteur d’un NIR n’a pas encore de droits ouverts. Il faut bien distinguer ces différentes étapes qui donnent lieu à des contrôles réitérés et réguliers. Une personne ayant acquis un NIR à la naissance car née en France, par exemple, mais n’ayant jamais résidé sur le territoire français n’aura aucun droit ouvert. Il est possible d’améliorer les contrôles à chacune des étapes.
En outre, plus la qualité du NIR certifié sera bonne, plus le contrôle sera facilité.
M. Geoffroy Fougeray. La demande de prestation et l’immatriculation sont deux phases distinctes, mais une immatriculation ouvre des droits, même si cela n’est pas systématique.
Pour les personnes nées en France, le problème est assez bien réglé : la mairie du lieu de naissance envoie l’extrait d’acte de naissance à l’INSEE. Ainsi, elles bénéficient d’une immatriculation, et donc d’un numéro de sécurité social, un NIR.
En revanche, une difficulté se pose pour les personnes, françaises ou étrangères, nées à l’étranger, car l’INSEE travaille pour la France et non pour les pays étrangers et l’on n’est pas sûr du document fourni par la personne. En l’occurrence, le service national d’identification des assurés (SANDIA) travaille depuis Tours sur l’un des documents les moins sécurisés, l’extrait d’acte de naissance : il peut immatriculer quelqu’un sur la base d’un acte de naissance sans savoir si la traduction effectuée dans un pays tiers est de bonne qualité, si l’extrait de naissance appartient bien à la personne en question ou s’il n’a pas été acheté, volé, voire si la personne n’en a pas plusieurs…
Théoriquement, c’est aux caisses de vérifier, pour l’ouverture des droits, l’identité des personnes, mais la très grande majorité de leurs agents ne sont pas formés, sachant en outre que le décret de 2000 relatif à la simplification des actes administratifs prévoit la fourniture de photocopies, ce qui crée une autre difficulté.
M. le coprésident Pierre Morange. Dois-je comprendre que la traduction des documents n’est pas effectuée par nos représentations à l’étranger ?
M. Geoffroy Fougeray. Pas forcément.
M. Benoît Parlos. Vous pensez à une intervention des consulats ?
M. le coprésident Pierre Morange. Oui, par exemple. Une telle formule, relativement simple à mettre en œuvre, permettrait au minimum d’authentifier les informations portées sur les documents.
M. Benoît Parlos. Je ne sais pas quel rôle peuvent jouer les consulats. Nous étudierons la question avec beaucoup d’attention car ce que nous nous voulons, c’est une amélioration de la qualité des pièces fournies, que ce soit par une certification de traduction ou d’autres moyens sur lesquels nous travaillons avec le GILFI.
M. le coprésident Pierre Morange. Si le rapporteur le suggère, la MECSS aura à cœur de faire un contrôle sur pièces et sur place auprès des services en question. Ce serait particulièrement pertinent.
M. Benoît Parlos. Tout à fait.
M. le rapporteur. Les caisses appliquent-elles la loi et font-elles des vérifications minimales ?
La caisse nationale d’assurance vieillesse vient d’être victime d’une escroquerie gigantesque sur les carrières longues. La façon dont les dossiers ont été instruits pose problème car ils auraient porté sur des personnes ayant commencé à travailler à l’âge de quatre ans ou qui n’étaient pas nées au moment des faits. La justice a rattrapé les fraudeurs et un certain nombre d’agents sont mis en examen. Cette fraude est consternante car elle coûte beaucoup d’argent. Les messages sont-ils bien passés auprès des organismes ?
La semaine dernière, la Cour des comptes nous a indiqué que l’une des difficultés tient à la transmission entre la Caisse nationale d’assurance maladie et les caisses locales et au fait que les procédures n’étaient pas toujours respectées. L’un des rôles de la délégation nationale à la lutte contre la fraude n’est-il pas de rappeler aux différents organismes qu’une loi doit s’appliquer ?
Enfin, quand le statut de parent isolé est octroyé à une mère de famille qui a eu trois ou quatre enfants de pères différents, ne pourrait-on pas appliquer la loi qui impose d’abord de savoir pourquoi la mère n’a jamais demandé aux pères le versement de l’obligation alimentaire ?
Mme Marie-Françoise Clergeau. Humainement, le problème est complexe.
M. Benoît Parlos. La question de savoir si la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés s’assure que ses instructions sont appliquées par les caisses primaires devrait être posée à son directeur général pour savoir quels mécanismes il utilise. Néanmoins, lorsque nous avons connaissance de situations de fraudes, de cas précis qui risquent d’entraîner de graves préjudices et auxquels les caisses doivent impérativement mettre un terme, j’écris au directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie pour l’en informer, s’il ne l’est pas, et lui demander de trouver des solutions. Même si je ne suis pas en permanence en situation de contrôle de gestion, rien de ce qui concerne la fraude ne m’est étranger. Cela nous conduit à mettre les choses en ordre de façon constructive et non stigmatisante pour les organismes concernés : si une consigne a été perdue de vue, elle doit être remise en avant.
S’agissant des carrières longues, je ne dirai pas que rien n’a été fait. D’abord, deux textes, en janvier et août 2008, ont mis fin aux abus et, surtout, un traitement de l’ensemble des dossiers à enjeux, identifiés à la suite d’une mission commune de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, a été entrepris par les organismes concernés. À partir de 12 000 cas à enjeux, des méthodes de contrôle et de sondages perfectionnés ont abouti à un noyau de 1 200 dossiers difficiles qui ont donné lieu à un travail de vérification par les organismes concernés au niveau local. Ce travail important s’est enclenché il y a plusieurs mois et se poursuit par le biais de convocations, de lettres envoyées, de demandes de confirmation de témoignages, etc.
Vous le voyez : un très gros effort est mené pour trouver les personnes qui ont déclaré des trimestres frauduleusement. Vous l’avez dit, à Marseille, il y a eu des poursuites judiciaires.
Mme Armelle Beunardeau. De façon générale, l’aide sociale est subordonnée à l’obligation d’avoir fait jouer tout ce que le code civil prévoit et qui va bien au-delà de l’obligation alimentaire des parents, à savoir la sollicitation en premier lieu des ascendants et des descendants, ce qui est normal puisque notre loi ne doit pas aller à l’encontre des solidarités familiales. L’ensemble des prestations, y compris le revenu de solidarité active très récemment, a bien été subordonné au respect de ces obligations de créance alimentaire.
En revanche, le code de l’action sociale et des familles prévoit également pour le revenu de solidarité active, y compris dans sa dimension supplément au parent isolé, que les allocataires peuvent être dispensés, mais par une démarche explicite, de faire jouer ces obligations alimentaires : ils peuvent être déchargés par le président du conseil général. Ainsi, une exception est prévue, mais elle doit résulter, dans tous les cas, d’une démarche volontaire de l’allocataire.
Ensuite, il revient à chacun d’exercer son rôle : aux caisses d’allocations familiales de vérifier que les démarches ont été faites, au président du conseil général de prendre les responsabilités qui lui incombent s’il souhaite décharger l’allocataire de cette obligation.
Cela dit, la philosophe générale est bien que la solidarité familiale est la première des solidarités.
M. le rapporteur. Je ne pensais pas au revenu de solidarité active, mais aux situations de polygamie.
Mme Armelle Beunardeau. La polygamie n’existant pas en France, c’est la loi générale qui s’applique.
M. le rapporteur. En l’occurrence, elle ne s’applique pas. L’appliquer éviterait des situations scandaleuses et fortement médiatisées. Peut-être est-ce également votre rôle de rappeler la loi aux caisses d’allocations familiales et à d’autres organismes sociaux ?
M. Benoît Parlos. Nous le faisons régulièrement. Tous les deux mois, M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et ses collaborateurs, les directions générales des branches, l’ensemble des caisses, mon équipe et moi-même nous nous réunissons pour évoquer la fraude sociale. Il y a un suivi et, à l’ordre du jour, viennent des sujets comme celui-là que nous ferons avancer.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Il ne faut pas faire d’amalgame : le nombre de femmes seules dont le mari n’a pas plusieurs femmes et qui touchent l’allocation parent isolé est largement supérieur à celui des familles polygames !
Si j’ai bien compris vos explications, les ascendants et les descendants doivent être consultés avant que l’allocation parent isolé soit versée.
Mme Armelle Beunardeau. L’allocation parent isolé a été absorbée par le revenu de solidarité active et, comme pour le revenu minimum d’insertion auparavant, les obligations alimentaires des ascendants et des descendants, prévues par le code civil, doivent s’appliquer avant la demande d’aide sociale.
M. le coprésident Pierre Morange. La Cour des comptes, que nous avons auditionnée la semaine dernière, nous a fait parvenir une note de synthèse dans laquelle sont abordés deux sujets.
Le premier porte sur la notion de fichier de fraudeurs. Il ne serait pas absurde, en effet, que des fraudes considérées comme marginales soient enregistrées, dans la mesure où la récidive est souvent un élément de gravité qui déclenche des sanctions.
Le second sujet est la non-accessibilité des informations, sous le contrôle du ministère de l’intérieur, relatives à des personnes séjournant sur le territoire en situation irrégulière.
Quel est votre sentiment sur ces deux sujets qui rejoignent celui de l’interconnexion des fichiers ?
M. Benoît Parlos. Je suis favorable au fichier de fraudeurs, que je considère comme une avancée, mais à deux conditions. D’abord, ce fichier ne doit pas être un casier judiciaire bis – il faudra y travailler avec la chancellerie. Ensuite, un suivi devra être assuré, de sorte que l’on ne se retrouve pas avec un système vieillissant vite.
En faisant apparaître des fraudes, les interconnexions de fichiers permettent de les faire recouvrer. C’est cela qui nous guide dans le choix des interconnexions de fichiers prioritaires, comme nous l’avons fait à la fin de l’année dernière et le ferons l’année prochaine.
Les organismes payeurs pourraient obtenir des informations grâce à l’application de gestion des données des ressortissants étrangers en France (AGDREF). La connexion des organismes de sécurité sociale à AGDREF 1 est en cours depuis assez longtemps.
M. le rapporteur. Lors d’une réunion qui a eu lieu le 5 mai 2009, le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie s’était plaint de l’impossibilité de consulter le dossier de gestion des étrangers dans les préfectures. Il a expliqué que toute reconduite à la frontière n’était pas signalée et que les droits restaient ouverts même quand les personnes n’étaient plus sur le territoire. Il a jugé la situation intenable, d’autant que le dossier n’était pas tenu à jour par les préfectures, et fait une demande pour que les choses évoluent.
M. Benoît Parlos. L’accès au fichier AGDREF par les organismes sociaux vise à résoudre ce problème.
M. le rapporteur. Il n’est pas résolu.
M. Benoît Parlos. C’est en cours.
M. le coprésident Pierre Morange. Quel en est l’agenda ?
M. Benoît Parlos. Cela nous dépasse, car c’est un chantier de la révision générale des politiques publiques.
M. Geoffroy Fougeray. D’après les réunions auxquelles a participé la délégation nationale à la lutte contre la fraude avec la direction de la sécurité sociale, la connexion à AGDREF 1 serait prévue pour le premier trimestre 2011.
M. Benoît Parlos. Ce point est à vérifier.
Mme Armelle Beunardeau. Aujourd’hui, il n’est pas impossible aux caisses, en cas de doute, de procéder à des vérifications, car la loi prévoit qu’elles peuvent en faire la demande, mais au cas pas cas. La difficulté tient au manque de moyens techniques, c’est-à-dire d’outils informatiques qui permettraient de le faire de façon plus automatique.
M. le rapporteur. Pourtant, une transmission automatique à la Caisse nationale d’assurance maladie et aux différentes caisses ne pose pas de difficulté particulière.
M. Benoît Parlos. Aujourd’hui, les caisses peuvent saisir la préfecture, mais de façon ponctuelle. Il faut donc trouver les moyens techniques de raccorder les systèmes d’information de la Caisse nationale d’assurance maladie ou des caisses primaires d’assurance maladie avec le fichier AGDREF 2 – anciennement GREGOIRE –, ce qui n’est pas encore le cas. Des problèmes informatiques se posent, et les réunions de travail avec la direction de la sécurité sociale, dont une a eu lieu la semaine dernière, font avancer ce projet.
M. le rapporteur. D’après un document récent, à peu près 200 000 fausses cartes Vitale seraient en circulation. Avez-vous le sentiment que la Sécurité sociale pousse à la fabrication des cartes Vitale nouvelle génération ? Sont-elles la solution ? Doivent-elles être biométriques, par exemple, pour permettre une meilleure identification ?
M. Benoît Parlos. Il y a le sujet des cartes perdues ou volées, et celui de la carte Vitale 2, dans lequel je n’entrerai pas puisque l’exécution d’un marché public de mise en place de la carte Sesam-Vitale 2 avec photo est en cours. Des problèmes de gestion, qui ne me regardent pas, se posent, l’enjeu étant de savoir dans quel délai cette carte sera disponible.
M. le coprésident Jean Mallot. Certes, mais vous pouvez nous donner votre avis sur l’efficacité éventuelle de cette future carte. Permettra-t-elle de réduire la fraude ?
M. Benoît Parlos. En attendant Vitale 2, nous devons être le plus efficace possible sur les oppositions sur les cartes perdues ou volées. Un travail existe, que vous connaissez.
S’agissant de Sesam-Vitale 2 versus biométrie, nous n’avons pas d’élément à vous donner. Elle sera un progrès du point de vue de la lutte contre la fraude, et nous l’attendons avec impatience, mais je n’ai pas d’opinion sur l’efficacité d’une telle carte.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans la mesure où nous venons d’aborder la problématique de l’authentification des pièces administratives, il est légitime que la délégation nationale à la lutte contre la fraude formule un avis.
M. Benoît Parlos. Tout à fait, mais il ne serait pas professionnel de vous donner une opinion sur une base non actualisée, car ce dossier avait donné lieu, il y a quelques années, à des rapports qui n’ont pas été réactualisés.
Donner un avis nécessite un travail d’expertise de qualité. La MECSS peut très bien le susciter.
M. le coprésident Jean Mallot. Il ne paraît pas absurde que la délégation nationale à la lutte contre la fraude anime des travaux pour émettre un avis sur l’efficacité potentielle de tel ou tel dispositif.
M. Benoît Parlos. Je suis tout à fait d’accord et suis prêt, à la demande de la MECSS, à reprendre ce sujet, mais dans un cadre bien délimité.
M. le rapporteur. Avez-vous avancé en matière de référenciation, sur lequel le ministre avait beaucoup insisté lors des réunions constitutives de la délégation ?
M. Benoît Parlos. Nous avons beaucoup progressé dans l’étude des bonnes pratiques, mais sans nous lancer dans un exercice de cotation. En effet, sur quelle base étalonner la pratique française par rapport à celle d’un autre pays ? Ce qui nous a paru important, c’est d’avoir un relevé des bonnes pratiques d’un certain nombre de pays de l’OCDE. Nous disposons à cet égard d’éléments intéressants.
M. le coprésident Jean Mallot. Pourrez-vous nous fournir un document qui retrace vos constats ?
M. Benoît Parlos. Oui, car ce point sera probablement évoqué lors du prochain comité national de lutte contre la fraude qui devrait se tenir en septembre 2010, ainsi que cela a été indiqué la semaine dernière dans le cadre du conseil de modernisation des politiques publiques.
M. le coprésident Pierre Morange. Compte tenu de son calendrier particulièrement serré, la MECSS sera très attentive à vos préconisations qui trouveront, dans les grands textes que sont le projet loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, des supports pertinents.
M. le coprésident Jean Mallot. Disposez-vous d’outils permettant de mesurer l’évolution de la fraude dans le temps et donc de savoir si les dispositifs mis en place sont efficaces ? La fraude, globalement ou par secteur, diminue-t-elle ou augmente-t-elle dans notre pays ?
M. Benoît Parlos. Vous mettez le doigt sur un point majeur. Lorsque nous disposerons, une fois les travaux statistiques totalement calés, d’un tableau de bord de la fraude, y compris sur son évolution dans le temps, nous saurons – c’est notre ambition – ce qu’il y a lieu de faire.
Nous devons être prudents, car les grandeurs sont très importantes, et elles sont et resteront estimées. Néanmoins, l’idée est d’avoir un élément d’aide au pilotage fondé sur l’évolution de tel ou tel taux de fraude estimé, pour en tirer des conclusions.
M. le coprésident Jean Mallot. Dans quel délai pensez-vous disposer d’outils solides ?
M. Benoît Parlos. Nous enrichissons notre tableau de bord en permanence. Ces indicateurs seront disponibles progressivement, au premier trimestre 2011 pour la caisse nationale d’assurance vieillesse, par exemple.
M. le coprésident Pierre Morange. Le décret d’application relatif aux dispositions législatives sur l’interconnexion des fichiers a mis en place un dispositif permettant des échanges d’informations afin de contrôler l’ouverture des droits, mais pas les montants. Il est totalement anormal que ces échanges ne concernent pas les montants. C’est une déformation de l’esprit du législateur – dois-je rappeler que mes amendements en décembre 2006 avaient justement trait aux montants ?
Quel est votre sentiment sur le sujet, sachant que je déposerai des amendements au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale pour avoir une vision des moyens mis à disposition et donc utiliser au mieux les efforts des Français ?
Mme Armelle Beunardeau. Aujourd’hui, le Répertoire national commun de la protection sociale – RNCPS – ne comprend pas les montants des prestations servies. En revanche, il n’exclut pas les rapprochements. En effet, dans la mesure où la caisse d’allocations familiales peut savoir à quelle caisse primaire d’assurance maladie est rattachée une personne, par exemple, l’échange est possible. En identifiant essentiellement les prestations et les organismes qui les servent, le RNCPS permettra, a posteriori, une comparaison pour savoir si les montants servis sont compatibles. Ainsi, il permettra d’identifier éventuellement des prestations qui ne devraient pas être servies simultanément ou, si elles le sont, de vérifier que sont bien servis les montants respectifs.
M. le coprésident Pierre Morange. Pour que les assurés bénéficient d’une addition de prestations, il est important que les organismes connaissent exactement la réalité de leur situation financière et ne se limite pas à la vérification de la justification de l’ouverture aux droits. Cela est très important, ne serait-ce qu’au titre de l’action sociale menée par les collectivités locales. Il serait inenvisageable que les structures concernées s’opposent à la vérification des montants.
M. le rapporteur. Il faudrait une recommandation très forte de la délégation nationale à la lutte contre la fraude sur ce point.
M. Benoît Parlos. À titre personnel, je ne peux qu’y être favorable. Mais je voudrais être sûr que le frein ne vient pas d’un problème bêtement informatique : il est en effet très fréquent que des croisements de fichiers ne puissent se faire pour des raisons informatiques !
M. le coprésident Pierre Morange. D’après la direction de la sécurité sociale, cet échange d’informations sur les montants ne pose aucun problème sur un plan technique. Dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, il serait légitime que nous portions tous cette recommandation par la voie d’un amendement de bon sens.
M. Benoît Parlos. Nous suivons avec attention le chargement des lots et espérons pour la fin de 2010 le chargement du lot C2 qui permettra de détecter très rapidement les premières anomalies.
M. le coprésident Pierre Morange. Merci, monsieur le délégué national, de terminer sur cette note d’optimisme ! Et merci également, madame, monsieur, d’avoir répondu de façon aussi précise sur un sujet aussi mouvant. Nous serons très attentifs aux préconisations que vous porterez à notre connaissance.
*
AUDITION DU 16 SEPTEMBRE 2010
Audition de M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires.
M. Dominique Tian, rapporteur, suppléant M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes heureux d’accueillir M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, que nous avons souhaité entendre au titre de vos travaux, qui font autorité, sur la fraude aux prélèvements obligatoires, lesquels financent en partie nos régimes de sécurité sociale.
M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires. Je précise que ce rapport sur La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle est un ouvrage collectif qui a été adopté par le Conseil des prélèvements obligatoires. Le président du conseil et premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, qui n’a pu être là aujourd’hui, m’a demandé de vous le présenter.
Ce rapport date de mars 2007 ; il est donc déjà un peu ancien. Néanmoins, la question reste d’actualité, même si de nombreuses initiatives correctrices ont eu lieu depuis, en partie dans le droit-fil de ce rapport. J’imagine que les autres personnes que vous auditionnerez vous donneront des éléments plus précis sur le suivi des recommandations que nous avions faites à l’époque.
Je présenterai quelques observations sur l’évaluation de la fraude, puis sur la densité et les techniques et politiques de contrôle telles qu’on les connaissait dans les années 2005-2006 et qui nous ont servi pour ce rapport. Enfin, de façon plus particulière, je formulerai quelques propositions.
Ce rapport, précisons-le, ne porte pas uniquement sur la fraude sociale ; il traite de la fraude aux prélèvements obligatoires en général – ainsi, de très larges développements sont consacrés à la fraude aux impôts. L’option qui avait été retenue – c’était d’ailleurs une demande parlementaire – était de donner une vision aussi transversale que possible des deux grands blocs de prélèvements obligatoires : fiscaux et sociaux. Cela dit, je concentrerai plus particulièrement mon propos sur le bloc social.
Tout le monde mesure à quel point il est difficile d’évaluer la fraude. Par nature, celle-ci est dissimulée, et il est très difficile d’avancer en termes de méthode et d’évaluation. Le Conseil des prélèvements obligatoires s’y est employé, en s’appuyant sur les administrations et sur les caisses de sécurité sociale.
La méthode la plus fiable consiste à voir s’il est possible de faire des extrapolations à partir des contrôles. Le problème est que les organismes qui contrôlent ciblent leurs contrôles : par expérience, on finit par repérer les zones de faiblesse, qu’il s’agisse de prestations ou de prélèvements, et dès lors toute extrapolation des résultats risque d’aboutir à une forte surestimation de la fraude. Voilà pourquoi on doit procéder à une analyse un peu plus raffinée, par strate, par secteur, de façon à réduire l’incertitude liée à l’exercice d’extrapolation lui-même. D’autres approches macroéconomiques prennent en compte quelques agrégats, mais elles sont plus stimulantes intellectuellement qu’effectives dans leurs résultats. Le rapport présente par ailleurs quelques éléments sur les méthodes d’évaluation utilisées à l’étranger.
Les données que nous avons avancées résultent plutôt d’une extrapolation corrigée des ciblages actuels. Vous en avez l’analyse dans l’annexe III du rapport. En 2007, nous avons estimé la fraude aux prélèvements obligatoires dans une fourchette allant de 29 à 40 milliards d’euros. À l’intérieur de cet ensemble, nous avons considéré que la fraude aux prélèvements sociaux s’échelonnait entre 8,4 et 14,6 milliards et se décomposait ainsi : 6 à 12 milliards pour le travail dissimulé, le « travail au noir » ; 2,2 milliards pour les redressements imposés à des entreprises ou à des particuliers, qui n’étaient pas concernés par le travail dissimulé mais qui ont éventuellement fraudé ou fait des erreurs. Dans cet agrégat global, la part des prélèvements sociaux est donc sensiblement minoritaire – ce qui n’autorise pas à ne pas s’y intéresser.
Cette estimation appelle trois commentaires sur lesquels M. Philippe Séguin, qui présidait alors le conseil, avait beaucoup insisté quand il avait présenté le rapport.
Premièrement, quel que soit le soin que nous avions pris à essayer d’exploiter les enquêtes disponibles, l’intuition globale du Conseil des prélèvements obligatoires était que nous étions en réalité au bas de la fourchette. Mais il nous a semblé réaliste d’utiliser ce qui était disponible, et qui reste dans un ordre de grandeur tout à fait cohérent.
Deuxièmement, les résultats ne diffèrent pas des estimations un peu antérieures qui avaient été faites, notamment par M. Charles de Courson.
Troisièmement, il ne faut pas avoir des « yeux de Chimène » trop brillants devant ce « pactole », qui s’agisse de la fraude aux prélèvements sociaux ou aux prestations : on ne rééquilibre pas le budget de la sécurité sociale ou celui de l’État par le seul levier de la lutte contre la fraude. Certes, une partie de la fraude est détectée et récupérée – concernant les prélèvements obligatoires, nous avions évalué les redressements aux alentours de 16 milliards d’euros, ce qui est tout à fait significatif. Toutefois, on ne récupère pas toujours l’argent, ce qui est le cas lorsque les entreprises ont disparu ou sont insolvables. Par ailleurs, si le contrôle de la fraude était beaucoup plus systématique, certaines activités « au noir », donc frauduleuses, n’auraient même pas lieu. Bref, il serait erroné de rapporter les sommes que j’indiquais aux déficits respectifs de l’État et de la sécurité sociale en imaginant en combler une partie par une lutte plus intensive. Au demeurant, dans aucun pays, on n’arrive à des taux de recouvrement ou de récupération proches de 100 % : la méthode est toujours imparfaite ; le contribuable ou l’assujetti aux cotisations développe des stratégies ; l’on ne saurait développer de façon trop systématique les contrôles.
Pour autant, la lutte contre la fraude est un enjeu financier et politique important : financier, parce qu’elle contribue tout de même au redressement des comptes ; politique, parce qu’il n’y a pas de cohérence à vouloir lever des impôts ou des cotisations si les assujettis ou les contribuables éprouvent un sentiment d’injustice. Il ne faut pas non plus accréditer l’idée que la fraude n’est pas poursuivie.
Notre conclusion a été de dire que la fraude est un problème réel, mais qu’elle n’est pas un problème majeur ou massif. Et si on est impressionné par le montant des fraudes, on pourrait l’être aussi par le chiffre élevé des contribuables ou assujettis qui paient régulièrement leurs cotisations et leurs impôts. Dans l’ensemble, les gens jouent le jeu : parce qu’ils font leur devoir, et c’est sans doute la raison principale ; aussi par « peur du gendarme » – et le fait que le contrôle soit visible, connu, pèse d’ailleurs sur les comportements.
Il y a dans cette acceptation de l’impôt quelque chose qui, en France, s’apparente à un vrai civisme fiscal et social. Il ne faut pas considérer que tous les contribuables et assujettis fraudent de façon systématique et importante. Au demeurant, lorsque l’on fait des redressements dans une entreprise – hormis des situations très atypiques en matière de travail dissimulé –, on s’aperçoit que le taux de redressement n’est pas majeur, la plupart du temps, la fraude est peu élevée par rapport aux cotisations appelées. Il faut remarquer aussi que dans ces redressements, il y a une partie de mauvaise foi – c’est ce qui devrait être appelé « la fraude » – et une partie d’irrégularités plus ou moins subies parce que la législation est complexe ou mal comprise. Quelquefois d’ailleurs, le contrôle débouche sur une restitution financière lorsque l’on s’aperçoit que l’entreprise a cotisé au-delà de ses obligations.
Quelle était, à la date retenue pour nos études – autour des années 2005 et 2006 –, l’étendue de la politique de contrôle ? À la page 34 du rapport, un tableau donne, en ce qui concerne les cotisations sociales, une description assez synthétique du taux de contrôle des cotisants : globalement, pour une entreprise, il serait inférieur à 25 %. C’est un taux assez significatif, qui varie suivant la taille de l’entreprise. Dans l’ensemble, plus l’entreprise est importante, plus elle est contrôlée régulièrement ; cela ne signifie pas qu’elle fraude plus, mais comme son chiffre d’affaires est plus élevé, elle constitue une cible de contrôle à privilégier.
Ces contrôles ne sont pas du tout aléatoires : ils ont lieu à partir d’un plan de contrôle établi à la suite due repérage de zones de probabilité de fraude. Parmi les entreprises contrôlées, les toutes petites entreprises subissent des redressements dans plus de 40 % des cas ; les entreprises de 10 à 200 salariés, dans 72 % des cas ; les très grandes entreprises, dans 88 % des cas. Cela signifie que, quand on contrôle, on voit beaucoup d’irrégularités. Mais celles-ci sont mineures, puisque le taux de redressement des cotisations est de 4,17 % pour les toutes petites entreprises, 2,56 % pour les entreprises moyennes, et de 1,55 % dans les grandes entreprises.
Qu’elle résulte d’une intention délibérée, d’incompréhensions ou de difficultés objectives à établir l’état des cotisations, l’irrégularité est fréquente, mais elle n’est pas grave en valeur unitaire : l’essentiel de l’assiette, même dans les entreprises qui ont fait l’objet de ces contrôles, fait bien l’objet d’un prélèvement, dans le respect de la réglementation. Reste une zone tout à fait particulière, qui est le travail au noir, où les cotisations ne sont pas déclarées.
La densité des contrôles n’est ni plus élevée, ni plus faible qu’à l’étranger. Peu à peu, les pays finissent par rôder des techniques et des approches de contrôle à peu près cohérentes.
Il faut souligner que le ciblage des contrôles a beaucoup progressé. Par exemple, la fréquence des contrôles des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) a légèrement diminué, mais leur ciblage est bien meilleur et le rendement par contrôle s’améliore.
En 2005, les redressements ont été significatifs. Sur la seule sphère sociale, on évalue les redressements à peu près à 1 milliard d’euros. Cela peut sembler très peu par rapport à la fourchette de fraude estimée. Mais on peut penser aussi que cela représente déjà un effort important parce que, bien entendu, on ne peut pas contrôler tout le monde et que certaines fraudes ne sont pas détectées.
Le Conseil des prélèvements obligatoires a considéré néanmoins qu’on pouvait améliorer la performance du système. C’est dans ce sens qu’il a esquissé un certain nombre de propositions, dont la liste figure aux pages 258 à 262 du rapport. Les actions à mener ont été classées en grandes rubriques : d’abord, prévenir les irrégularités ; ensuite, se doter de nouveaux outils contre le travail dissimulé ; enfin, améliorer un certain nombre de dispositifs.
La première des propositions, qui peut sembler évidente, était qu’il fallait beaucoup améliorer notre compréhension de la fraude. Pour mener une politique adaptée, il faut bien connaître le phénomène. J’en veux pour preuve le saut qualitatif qui a eu lieu ces dernières années lorsque la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a entrepris de faire une étude systématique à partir d’un échantillon aléatoire et important de dossiers, pour repérer les zones de faiblesse. Nous avions donc recommandé de procéder assez régulièrement, par coupes, à des évaluations un peu systémiques. Ce sont des opérations lourdes, mais qui sont certainement rentables à moyen terme.
Le conseil a par ailleurs beaucoup insisté sur le fait qu’à l’origine des redressements, on trouvait à la fois de la fraude et des irrégularités, ces dernières provenant tout à la fois de la complexité de la législation et de la difficulté qu’avaient les entreprises ou les assujettis à trouver un interlocuteur qui leur explique le bon comportement à adopter. Nous avons donc fait des propositions tendant à mesurer la complexité des législations, pour réduire les zones d’incertitude, faciliter les contrôles et la gestion par les assurés, et généraliser la procédure de rescrit – celle-ci permet à une personne qui a un doute d’interroger l’administration sur ce qu’elle doit faire et la réponse qui lui est donnée devient opposable.
La deuxième de nos propositions a été de se pencher sur le travail dissimulé, qui constitue la partie la plus importante de la fraude sociale, mais qui est extrêmement difficile à apprécier. Nous avons fait plusieurs suggestions. Je pense que la direction de la sécurité sociale vous indiquera de quels outils elle dispose maintenant pour lutter contre le travail dissimulé.
La première suggestion que nous avons avancée – et ce avec beaucoup de précaution – concernait les marchés publics. Il s’agissait de définir des standards indicatifs de main-d’œuvre afin de sensibiliser les acheteurs publics sur le fait que des prix trop bas peuvent laisser penser qu’il y a recours au travail dissimulé. L’exercice est très difficile parce qu’il ne faut pas risquer de fermer la concurrence en élaborant ce qui deviendrait peu à peu des références plancher. Toutefois, c’est une piste que nous pensons utile, et je sais que la direction de la sécurité sociale a déjà une première réalisation à son actif – je pense que le directeur de la sécurité sociale vous en parlera.
Notre deuxième suggestion était de prévoir, dans le code de la sécurité sociale, un redressement forfaitaire sur une durée assez longue. En effet, en cas de verbalisation pour travail dissimulé, la réaction classique d’un employeur est de dire qu’il vient d’embaucher ce salarié et qu’il n’a pas encore fait la déclaration d’embauche. Cela ne trompe personne, l’embauche étant vraisemblablement antérieure. Nous avons donc recommandé qu’en cas de verbalisation, on remonte sur six mois, à charge pour l’employeur verbalisé d’apporter la preuve contraire, ce qui ne doit pas être très facile non plus. Nous pensons que c’est un bon outil. Je crois qu’il a été mis en place depuis et que les premiers résultats sont au rendez-vous.
Reste un dossier très difficile, sur lequel on progresse lentement : impliquer le donneur d’ordre initial dans les cascades de sous-traitants en imposant à celui-ci d’attester qu’il a bien vérifié la régularité des procédures et, si possible, l’effectivité du paiement des cotisations.
Ces propositions nous avaient semblé pertinentes, et je crois qu’elles ont été mises en œuvre pour partie.
Nos autres propositions étaient assez techniques, et je n’y reviendrai pas à ce stade. Elles visaient à améliorer les processus de contrôle et surtout à explorer un chantier considérable : celui qui résulte de la progression de nos échanges transfrontaliers et qui touche aussi bien la fiscalité, avec les « carrousels » en matière de taxe sur la valeur ajoutée, que le détachement transfrontalier des travailleurs ou les prestations de service. De nombreuses pistes ont été envisagées. Là encore, je pense que nous progressons régulièrement.
En conclusion, je peux dire que le sujet est pris au sérieux. Il n’y a pas d’acharnement, il n’y a pas d’abus de droit mais un travail continu qui mobilise de plus en plus les administrations et les caisses de sécurité sociale. Les conventions d’objectifs et de gestion signées entre l’État et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) insistent d’ailleurs sur ce point. C’est ainsi que des indicateurs de performance et des indicateurs de suivi ont été mis en place, que des moyens plus importants ont été alloués pour le contrôle du recouvrement, et que les contrôles sur les cotisations de chômage et de retraite complémentaire ont été substantiellement étendus – il faut se souvenir que, jusqu’à 2007, les cotisations de chômage et les cotisations de retraite complémentaire, qui représentaient tout de même à l’époque 75 milliards d’euros, ne faisaient l’objet d’aucun contrôle, alors que leur assiette était à peu près la même que celle des cotisations du régime général. Là encore, on a réussi à combler les lacunes : à peu près complètement pour le chômage, les négociations étant en très bonne voie pour ce qui est des régimes de retraite complémentaire.
Au fond, depuis quelques années, on enregistre de nets progrès à la fois dans la volonté et dans les outils. Il reste un travail considérable et il n’est pas déraisonnable de penser que l’action entreprise pourrait contribuer, pour partie, au redressement de nos finances publiques.
M. Pierre Morange, coprésident de la mission. Merci, monsieur le président, pour cette présentation synthétique des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires. Je note avec satisfaction que la lutte contre la fraude sociale, qui, jusqu’à des périodes assez récentes, était considéré comme un thème quelque peu sulfureux, est désormais largement reconnue comme une nécessité, d’autant que nous avions pris quelque retard en la matière.
M. le rapporteur. Dans son rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires a considéré que « les travaux d’estimation de la fraude sont balbutiants et, en tout état de cause, très imprécis ». Il précisait également que, dans des pays européens, les choses étaient mieux organisées. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
M. Bertrand Fragonard. Le taux français n’est pas du tout aberrant. Nous ne nous distinguons ni par un taux de fraude trop élevé, ni par une acceptation complète de l’impôt ou des charges sociales. Mais le conseil a été frappé par le fait que le travail d’analyse n’était pas assez rationalisé, pas assez synthétisé, et surtout insuffisamment rigoureux.
Le progrès a consisté à développer des outils d’analyse. Par exemple, on utilise l’analyse dite « stratifiée ». On s’est rendu compte qu’il ne fallait pas se contenter de cibler par intuition ou par expérience, qu’il fallait peu à peu raisonner sur la stratégie de contrôle. De même, on s’est demandé s’il fallait procéder à des contrôles peu fréquents mais lourds ou à des contrôles plus réguliers, quitte à les alléger. Sur tous ces éléments, qui portent à la fois sur la connaissance et la compréhension du phénomène et sur la définition de la stratégie, le progrès est très réel.
Les Italiens ont une approche très intéressante du calcul du travail dissimulé, qui consiste à interroger parallèlement les entreprises et les personnes. Et l’on s’aperçoit que souvent, les personnes expliquent qu’elles ont perçu des revenus qui n’ont pas été déclarés. Mais tout le monde a des approches à peu près équivalentes. Nous y sommes parvenus vraisemblablement un peu plus tard que certains pays.
M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales. J’ai tenu à assister ce matin à cette réunion, parce que j’estime que la fraude sociale doit être au cœur des travaux de la Commission des affaires sociales. Je remercie MM. Pierre Morange, Dominique Tian et Jean Mallot de s’être emparés de ce thème.
Quand on veut s’attaquer à un problème, on obtient des résultats : on l’a vu avec la vitesse au volant et l’alcool. Il peut en être de même si on s’attaque vraiment au problème de la fraude, ce qui est devenu un impératif compte tenu du poids de nos déficits. Cela passe par des mesures de justice fiscale accompagnées de mesures fortes.
S’agissant des dépenses de santé et de prestations sociales, j’ai observé une énorme différence selon les départements et les régions, ce qui laisse penser qu’il existe une forme de laxisme en France. Selon moi, il existe des marges de manœuvre pour mieux redistribuer nos ressources sans augmenter le poids des prélèvements obligatoires. Des décisions s’imposent dans les douze ou quinze mois qui viennent.
Voilà pourquoi la Commission des affaires sociales, après le travail de la MECSS, devra prendre le problème à bras-le-corps au cours des années 2010 et 2011. En maints domaines, il y a encore une marge importante d’efficience dans la gestion des dépenses sociales, lesquelles recouvrent les dépenses de santé, mais aussi des prestations telles que l’allocation de parent isolé (API), l’aide personnalisé au logement (APL) ou encore l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Il s’agit tout de même de 590 milliards d’euros !
Monsieur Bertrand Fragonard, une mise à jour des données de ce rapport est-elle prévue ?
M. Bertrand Fragonard. Le Conseil des prélèvements obligatoires souhaite procéder à un suivi de l’ensemble des préconisations de ce rapport. Mais je suis persuadé que la direction de la sécurité sociale et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale apporteront à votre commission tous les éléments vous permettant de dresser un bilan à jour. Sur beaucoup de sujets, elles ont avancé et pourront vous transmettre les textes applicables. D’ailleurs, une partie de ces textes ont été votés par le Parlement car très souvent il faut un outil législatif. Le progrès accompli depuis le rapport est réel alors qu’il arrive fréquemment que des rapports ne débouchent sur rien ou n’aient que peu de suites…
M. le coprésident Pierre Morange. Vous nous avez dit que, finalement, le taux de fraude en France était à peu près comparable à celui des autres pays européens…
M. Bertrand Fragonard. On n’est pas dans des ordres de grandeur totalement différents…
M. le coprésident Pierre Morange. Je reconnais bien là votre sagesse.
M. Bertrand Fragonard. Beaucoup de personnes se demandent si la fraude ne dépend pas du poids des prélèvements. Et il n’est pas absurde de penser que plus les prélèvements sont importants, plus les intéressés sont tentés d’y échapper. Or on ne trouve pas de corrélation aussi caractérisée car, globalement, cela n’a pas de sens. En revanche, sur certains types d’impôts très pointus, l’élévation du taux entraîne mécaniquement une augmentation de la fraude.
Quand le président Philippe Séguin a présenté ce rapport à la presse, il a indiqué qu’on ne pouvait pas dire si la France se comportait mieux ou moins bien que les autres pays. Il faut prendre en compte le contexte, la façon dont on évalue la fraude, et il serait très hasardeux d’en dire plus.
M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous des informations sur les capacités de récupération financière des autres pays européens par rapport aux nôtres ? Quel est le pourcentage de sommes récupérées ? Par rapport à ces pays, notre système est-il efficient ?
M. Bertrand Fragonard. Le rapport n’a pas traité de ce sujet. Sur le plan macroéconomique, cela n’a pas de sens. Dans certains domaines, des pays développent des processus de contrôle plus fins. Par ailleurs, le taux de récupération des redressements notifiés varie.
Mme Marie-Françoise Clergeau. La fraude existe et représente des milliards. Mais les données que vous avez avancées concernaient l’ensemble de la France. Disposez-vous d’indicateurs plus fins, département par département ou région par région ? J’ai eu l’occasion d’évoquer le sujet avec des personnes qui travaillent dans certaines administrations, et j’ai relevé que les moyens humains consacrés au contrôle n’étaient pas partout les mêmes. Peut-on penser que davantage de moyens humains seraient nécessaires pour faire diminuer les fraudes ?
M. Bertrand Fragonard. Selon certaines analyses, la fraude varie suivant la taille de l’entreprise et suivant le secteur d’activité – éléments majeurs du ciblage des contrôles des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.
L’administration fiscale a beaucoup travaillé sur la répartition des moyens de contrôle sur le territoire, pour essayer de définir une bonne politique d’organisation. Le rapport n’a pas signalé, s’agissant des moyens des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, des disparités choquantes au regard de ce qui semblerait être une bonne politique.
Le rapport n’appelle d’ailleurs pas non plus à un renforcement caractérisé de l’effectif des contrôleurs. Il ne le déconseille pas, mais il compte beaucoup plus sur l’amélioration des techniques.
Par exemple, quand on contrôle une grande entreprise, on reprend habituellement les déclarations de salaires, une par une, pour établir le redressement. Mais quand on en a étudié cent, on s’aperçoit très bien de la zone de fraude et de son importance. Peu à peu a émergé l’idée qu’il fallait se doter d’un outil juridique permettant, à partir d’un échantillon raisonné, de procéder à une extrapolation, afin d’alléger la technique de contrôle. C’est ainsi qu’il y a un peu plus d’un an, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales se sont vu accorder la possibilité de procéder à un redressement, à partir de telles extrapolations.
C’est beaucoup plus en améliorant le ciblage, les techniques et la rapidité des contrôles que l’on progresse, qu’en multipliant les contrôleurs.
Mme Bérengère Poletti. Il n’y a pas que les entreprises qui fraudent ; les individus également. Certes, vous l’avez dit dans votre propos liminaire, mais chaque fois que vous citez un exemple, il concerne les entreprises.
Beaucoup de Français ne fraudent pas, avez-vous dit. Mais je pense que nos compatriotes seront de plus en plus nombreux à frauder si l’on manque de sévérité et si on ne conduit pas une politique faisant naître la peur du gendarme. Pour certains, riches ou pauvres du reste, il est tentant de profiter d’un système qui serait trop laxiste. Il faut donc une politique volontariste de lutte contre la fraude.
Vous avez dit également que les ordres de grandeur de la fraude en France et dans les autres pays européens étaient les mêmes. Mais je suis un peu sidérée des ordres de grandeur que vous nous avez donnés : la plupart des estimations vont du simple au double ! On est vraiment dans le flou. D’ailleurs, sur quelles périodes a-t-on fait ces estimations ? Ont-elles été faites par année ou sur plusieurs années ? J’aimerais avoir une réponse précise, par secteur et par année.
M. Bertrand Fragonard. Je n’ai pas parlé des bénéficiaires de prestations sociales mais des personnes redevables de cotisations sociales, et il va de soi que, dans la plupart des cas, il s’agit d’entreprises, d’autant que le contrôleur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales n’a pas le droit de pénétrer au domicile d’un particulier employeur sans l’accord de celui-ci. Existe donc une zone d’ombre s’agissant des particuliers employeurs en tant que cotisants. En ce qui concerne les ménages bénéficiaires de prestations sociales, la fraude est réelle, mais une insertion dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale fait état d’une estimation qui va surprendre par sa modestie plutôt que par son ampleur.
M. le rapporteur. Il s’agit des 3 milliards ?
M. Bertrand Fragonard. Je ne me souviens plus du montant. Quoi qu’il en soit, le montant de fraude estimé est très au-dessous de ce que beaucoup de gens imaginent. En fait, nos systèmes, qu’il s’agisse de prestations ou de prélèvements, ne font pas massivement l’objet de fraudes. Mais évidemment, un faible pourcentage du produit intérieur brut peut représenter beaucoup d’argent en valeur absolue.
Madame Bérengère Poletti, vous me demandez pourquoi je vous ai présenté une fourchette. Mais tout simplement parce que nous ne savons pas faire mieux ! Le processus est très compliqué à comprendre, et c’est pourquoi les estimations varient pratiquement du simple au double. S’agissant de la fraude sociale, par exemple, le travail au noir est la partie la plus difficile à apprécier et à quantifier. À l’époque où nous avons travaillé, nous n’avons donc pu faire mieux que de l’estimer dans cette fourchette, en indiquant qu’il fallait la prendre avec beaucoup de précaution.
Bien entendu, la base de notre évaluation de la fraude était annuelle. Elle résultait d’études qui se sont poursuivies sur plusieurs années. Mais comme ce sont des phénomènes qui ne changent pas brutalement, elle est vraisemblablement réaliste.
La fraude évolue-t-elle ? Vous pensez qu’il y en aura de plus en plus. Le rapport ne dit rien de cela. Il est déjà difficile de connaître, sur une année donnée, un phénomène si complexe ! De plus, la législation évolue également. En tout cas, le conseil ne dit pas que la fraude se développe… mais il ne dit pas le contraire non plus.
Il serait très utile de faire régulièrement et systématiquement des analyses pour voir ce qui évolue. Ainsi, l’étude de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a « peigné » 13 000 dossiers d’allocataires, ce qui constitue tout de même un échantillon significatif, me semble exemplaire. Il s’agissait d’un tirage purement aléatoire car extrapoler à partir de contrôles ciblés ne renseigne pas. Cette analyse assez fine a montré que certaines prestations sont plus « frauduleuses » que d’autres. Pour mesurer l’évolution de la fraude au cours du temps, il faudrait faire régulièrement ce type d’analyses, qui sont des analyses lourdes, mais certainement rentables parce qu’elles améliorent notre compréhension du phénomène.
M. le coprésident Pierre Morange. Même si, selon vous, la progression de la fraude n’est pas évidente, les estimations, qui s’appuient désormais sur des montants de fraude identifiée, sont incontestablement plus élevées chaque année : elles sont le reflet d’une connaissance plus affinée, issue d’une volonté partagée de s’assurer de la bonne utilisation de l’argent public dans le domaine sanitaire et social. Des chiffres publiés par des caisses font apparaître des progressions de un à trois, voire de un à dix. Ils traduisent sinon une augmentation de la fraude, du moins une meilleure connaissance de celle-ci. Cela nous renvoie aux amendements que j’avais déposés sur l’interconnexion des fichiers, amendements qui ont été diabolisés au prétexte qu’ils ouvraient, paraît-il, un débat sulfureux. Vouloir s’assurer de la bonne utilisation de l’argent public avait même été considéré comme obscène. Désormais, cette démarche commence à être partagée de façon plus sereine et apaisée, au profit de l’ensemble de nos concitoyens.
M. Bertrand Fragonard. La lutte contre la fraude passe évidemment par la certitude pour le public que des contrôles sont effectués et qu’ils sont suivis d’effet.
Nombre de propositions ont pour objet de faire prendre conscience de l’existence du gendarme, de la probabilité de contrôles réguliers de sa part, et de la certitude que sa venue sera suivie d’effets. Dans ce but, et en conformité avec nos recommandations, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a infléchi sa stratégie en faveur de contrôles peut-être moins lourds mais plus fréquents. Que l’assujetti puisse penser que la probabilité d’un contrôle est nulle ou très faible – une fois tous les vingt ou cinquante ans – est catastrophique. Il doit au contraire être convaincu que le contrôle est, sinon certain, sans doute probable, et au moins possible.
La publicité des sanctions, notamment de celles que prennent les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales en matière de prestations, fait aujourd’hui débat. Doivent-elles les afficher dans leurs locaux ? Doivent-elles faire paraître dans la presse les résultats des contrôles ? Si oui, leur présentation doit-elle être simplement statistique ou, tout en respectant l’anonymat, doit-elle préciser les situations ?
Dans le monde des entreprises, la réelle circulation de l’information ne rend sans doute pas nécessaire le besoin de publicité des sanctions. En revanche, celles-ci doivent pouvoir être prises. Or, malgré la moindre lourdeur du processus de sanction administrative par rapport au processus judiciaire, dans le domaine social nous étions, à l’origine, dépourvus du pouvoir d’en infliger. Depuis, on constate une amélioration dans ce domaine.
M. Pierre Méhaignerie. Ne sommes-nous pas confrontés à une difficulté de vocabulaire ? Si le mot « fraude » choque, l’expression « petits arrangements » est d’usage plus facile et permet d’éviter l’utilisation du qualificatif de « fraudeur ».
Le poste d’observation privilégié que me donne mon mandat de maire m’a permis de constater un certain nombre de ces arrangements. Ainsi, un employeur pourra payer un salarié au salaire minimum, tout en lui concédant, de la main à la main, une rétribution supplémentaire de 200 euros. Le taux des cotisations patronales sera alors de 20 % au lieu de 46 %, tandis que le salarié conservera l’aide personnalisée au logement (APL) dont il bénéficie et ne paiera pas l’impôt sur le revenu. Le cas est assez fréquent dans certains secteurs, dont la restauration.
Concernant les recompositions familiales, des allocataires peuvent considérer que tant que leur nouveau conjoint n’appose pas son nom sur la boîte aux lettres, aucun contrôle, pas même de la part de la caisse d’allocations familiales, n’est possible. Il est même des personnels sociaux pour les en assurer ! N’évoquons pas les contrôles en matière de carte Vitale…
Enfin, il peut arriver que des personnels de maison demandent eux-mêmes à leurs employeurs – parfois des élus – de ne pas être déclarés.
Les 50 milliards d’euros de recettes de l’impôt sur les sociétés ou le revenu doivent aussi être comparés aux 590 milliards d’euros de notre budget social. Au contraire d’autres pays, c’est peut-être dans cette direction qu’il faut rechercher des éléments de solution.
Mais les collectivités locales peuvent aussi prendre leurs responsabilités et exercer leur pouvoir de contrôle. La décision du président du conseil général des Bouches-du-Rhône de contrôler l’enveloppe consacrée au revenu minimum d'insertion, afin d’affecter à d’autres politiques les économies réalisées, a abouti, dans ce département, à la radiation de nombreux bénéficiaires !
M. le rapporteur. En effet, 10 000 bénéficiaires ont été radiés.
M. Pierre Méhaignerie. Ce type de résultats est tout à fait indépendant des sensibilités politiques.
Les personnes pratiquant des « petits arrangements » ne considèrent pas qu’elles fraudent. Elles trouvent leur comportement légitime et justifié par la complexité de la législation, qui rendrait celle-ci incompréhensible.
J’ajoute que mes réflexions sont celles du maire d’une ville, Vitré, qui a reçu des services fiscaux, il y a deux mois seulement, la palme du civisme fiscal en Bretagne !
M. Bertrand Fragonard. Ces observations concernent les prestations sociales. Pour ce qui concerne les prélèvements, notre rapport fait état d’analyses, en France mais aussi à l’étranger, de la perception du devoir fiscal. Monsieur le président, les exemples que vous citez correspondent à une réalité. La Cour des comptes a effectué sur la prime pour l’emploi (PPE) des analyses assez pittoresques ; elles font apparaître l’intérêt pour les contribuables, afin d’optimiser leur situation par rapport à cette prime, de déclarer des revenus un peu plus importants que la réalité, et une tendance à procéder ainsi.
Cependant, la tolérance envers ce type de démarche varie.
D’abord, chacun est plus tolérant envers ses propres arrangements qu’envers ceux du voisin.
Ensuite, une expérience de trente ans dans le secteur social – et non au titre des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires, dont le rapport ne traite pas du tout de cette question – me laisse à penser que la fraude des pauvres est jugée plus sévèrement par le grand public. Autant une fraude légère d’une personne relativement intégrée peut être considérée comme la juste reprise de son dû à un État budgétivore ou mal géré, autant la fraude du pauvre est considérée comme profondément immorale.
L’analyse doit cependant être très prudente. Selon le discours courant, les Français sont tous fraudeurs, leur comportement s’opposant ainsi à celui des citoyens des pays nordiques, par exemple. Mais est-ce vrai ? Faute d’une analyse approfondie, nous n’en savons rien. Tout cela n’est pas démontré. La réalité est beaucoup plus subtile.
Le sentiment que la fraude légère – l’arrangement – est un phénomène diffus est tout à fait pernicieux. Il faut donc peu à peu habituer les gens à clarifier leur vocabulaire. En matière de prestations, les qualifications dont usent les Britanniques sont d’une verdeur, voire d’une brutalité, très nette par rapport aux expressions françaises. Comment caractérise-t-on une fraude par rapport à une irrégularité ou une erreur ? Le débat sur ces concepts complexes est réel.
L’ampleur de l’un de ces arrangements – la facturation hors taxe sur la valeur ajoutée à des particuliers – n’est pas du tout connue. L’un des objectifs de la réduction de la taxe sur la valeur ajoutée sur les travaux était de la diminuer. Selon le rapport, dans ce domaine, l’opération a été relativement positive.
M. Pierre Méhaignerie. En effet, cela a été très efficace.
M. Bertrand Fragonard. Dans un rapport parlementaire rédigé en 1995, M. Charles de Courson évaluait la fraude à un niveau supérieur à notre fourchette haute d’estimation. Cependant, il disposait à l’époque de moins d’outils de mesure. Peut-être sa perception différait-elle aussi de celle du Conseil des prélèvements obligatoires ? Pour autant, l’évolution ne signifie pas une diminution de la fraude, mais simplement la difficulté de comparer deux évaluations.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Monsieur le président, je retiens d’abord de votre présentation, malgré l’existence « d’arrangements », la constatation d’un vrai civisme fiscal en France. Des progrès peuvent être aussi notés ces dernières années. La réduction de la taxe sur la valeur ajoutée dans le secteur du bâtiment et le chèque emploi service ont été indéniablement positifs.
Dans le fort contexte de crise que nous connaissons, j’ai été saisie – je pense ne pas être la seule – par des entreprises qui, soumissionnant à des marchés publics, se trouvent confrontées à des concurrents proposant des offres très basses, dont les caractéristiques permettent de suspecter des difficultés en matière de déclaration ou de rémunération de leurs salariés. Pouvez-vous nous éclairer plus avant sur ce point ? J’ai été amenée à suggérer par écrit au préfet du département dont je suis l’élue d’effectuer un rappel aux règles.
M. le rapporteur. Page 88 du rapport, il est exposé qu’en matière de cotisations sociales les règles juridiques au sein de l’Union européenne ne sont pas suffisamment bien établies. Et si la règle de principe concernant les travailleurs au sein de l’Union européenne est celle de l’affiliation dans le pays où se déroule l’activité du travailleur, il semblerait que les choses ne soient pas si claires que cela. Ainsi, de nombreuses entreprises nous saisissent, notamment en matière de marchés publics, de cas de « dumping » liés au manque de clarté des règles communautaires.
M. Bertrand Fragonard. Notre proposition n° 5 proposait de définir des standards de référence minimaux destinés à alerter l’acheteur public sur le caractère aberrant, car trop bon marché, d’une offre.
Une difficulté est cependant qu’une fois publiées, les références peuvent être assimilées à des prix planchers, faussant ainsi la concurrence. À la suite de cette proposition, une expérience – le directeur de la sécurité sociale pourra vous la présenter – a été conduite en matière d’entreprises de gardiennage. Nous continuons à travailler dans ce domaine.
Monsieur le rapporteur, nous progressons moins rapidement sur les questions complexes relatives aux travailleurs détachés et à leur localisation dans des pays aux législations moins exigeantes en termes de prélèvement fiscaux et sociaux. Il faut mettre en place des mécanismes de communication intracommunautaire ou clarifier les règles. L’importance de ce chantier va s’accroître au fur et à mesure du développement des échanges transfrontaliers de services.
M. le coprésident Pierre Morange. Les amendements que j’ai élaborés sur l’interconnexion des fichiers, notamment avec le Centre de liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, et que la Commission des affaires sociales a adoptés, devraient, selon moi, permettre de répondre à cette problématique, s’agissant en particulier des mécanismes de dumping social, lesquels sont extrêmement pénalisants, tant pour notre économie que pour les travailleurs de notre pays.
Mme Jacqueline Fraysse. Comme d’autres, je me suis souvent insurgée en séance publique contre des extrapolations à mon sens fantaisistes et péjoratives pour nos concitoyens les plus modestes et les plus fragiles. La question de la fraude doit être traitée, mais avec sérieux et responsabilité. Les travaux de notre mission rejoignant ce souhait d’un travail objectif et sérieux sur ce sujet, j’essaierai donc de m’y consacrer avec le plus d’assiduité possible.
M. le coprésident Pierre Morange. Le coprésident Jean Mallot, les membres de la MECSS et moi-même vous en remercions. Nous ne menons aucun procès d’intention. Nous devons aux Françaises et aux Français une approche raisonnée et raisonnable.
Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur Bertrand Fragonard, j’ai apprécié le caractère à la fois précis et équilibré de votre exposé : il évalue l’ampleur des fraudes et les interprète avec justesse, réalisme et pertinence. Vous avez rappelé avec raison que la majorité de nos concitoyens est honnête, et que si – le président Méhaignerie l’a rappelé – une partie des anomalies est liée à la fraude au sens fort du terme, une autre a pour origine la complexité des procédures. Nous pouvons donc, tout en laissant aux personnes ainsi concernées le crédit de l’honnêteté, examiner les moyens de leur permettre de ne pas tomber dans l’irrégularité par incompréhension des règles ou par manque de moyens suffisants pour gérer leurs dossiers.
La nécessité de la lutte contre les fraudes ne fait pas débat. L’enjeu essentiel n’est du reste pas, comme vous l’avez excellemment exprimé, le rééquilibrage des comptes sociaux – cette action passe par des choix fondamentaux qui nous incombent – mais la limitation des gâchis.
Comme vous, nous devons être conscients que la lutte contre la fraude a certes des implications financières – bien que modestes, elles ne sont pas négligeables – mais qu’elle a surtout des implications politiques. Nos concitoyens doivent pouvoir vérifier la réalité de la lutte contre la fraude, en matière de versements comme de prestations. Ils doivent aussi pouvoir constater par eux-mêmes que cette lutte est conduite de façon juste, responsable, qu’elle s’appuie sur des critères transparents et qu’en cas de fraude, il y a bien sanction, visible, et pour tous.
Les pistes explorées ce matin – meilleure compréhension des causes de la fraude, lutte contre le travail dissimulé, amélioration des processus de contrôle – me paraissent utiles. Je suis aussi rassurée de constater que les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont partagées par d’autres pays, au regard desquels la France n’est pas forcément en situation défavorable.
M. Bertrand Fragonard. Mes propos sur le civisme social et fiscal ne sauraient occulter l’existence d’une fraude significative pour des montants qui, malgré leur importance relative, seraient bien utiles lorsque, chaque année, on est à la recherche de quelques milliards d’euros…
Par ailleurs, le civisme fiscal et social s’entretient. Si le rapport du conseil convient que la vie des employeurs comme des particuliers doit être facilitée, il considère aussi que le maintien d’une certaine pression est nécessaire. Telle est la raison pour laquelle je cite comme pertinente l’orientation de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales en faveur de contrôles plus fréquents. Dans le milieu patronal, l’évolution du nombre de contrôle est connue.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous devons concilier deux objectifs : simplifier les rapports entre les organismes, publics ou assurantiels, et les citoyens ou les entreprises, concernant par exemple les pièces justificatives, tant pour les prélèvements que pour les prestations ; identifier et limiter les irrégularités, intentionnelles ou non. Nous serons très attentifs aux préconisations que vous pourrez formuler en ce sens.
Le rapport que vous avez rendu souligne la nécessité de développer l’interconnexion des fichiers qui facilite la détection des fraudes, en notant toutefois que celle-ci était encore insuffisamment développée. Vous le savez, l’Assemblée nationale a œuvré en ce sens. Ainsi, grâce à des données plus fines et un partage de celles-ci, le rendement des récupérations a été clairement accru. Pour autant, comme vous, nous sommes tous convaincus que, compte tenu des montants en jeu, des marges de progrès subsistent.
L’interconnexion des 1 750 organismes sanitaires et sociaux a été réalisée. Le dispositif mis en place autour du serveur installé à Tours par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés est désormais techniquement opérationnel. Son alimentation va débuter au cours du dernier trimestre de l’année 2010 avant de se développer en 2011. L’un des objectifs de la MECSS sera du reste d’en vérifier l’efficacité opérationnelle et de mesurer la progression de notre connaissance de la bonne utilisation de l’argent de nos concitoyens. Selon vous, quelles actions complémentaires devraient être conduites ?
Nous savons qu’une interconnexion avec les fichiers de l’administration fiscale a été réalisée, mais quel est l’état de la collaboration avec d’autres administrations comme celles du travail, de la justice, de l’intérieur ou de la défense ? Une réflexion sur ce point a-t-elle été engagée, sachant que certaines données concernant les personnes ne sont pas encore articulées avec les informations issues de l’interconnexion des fichiers sanitaires et sociaux ?
M. Bertrand Fragonard. Je ne peux vous répondre.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est en effet aux administrations compétentes que nous devrons poser cette question. Pour autant, quel est votre sentiment sur une amélioration possible du partage des connaissances ?
M. Bertrand Fragonard. Toute tentative d’interconnexion mérite d’être étudiée.
Lorsque je dirigeais la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), j’ai régulièrement demandé à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) des autorisations de croisement des données. C’est moi notamment qui ai demandé celle du premier croisement systématique avec les données des services fiscaux sur les déclarations de ressources des usagers.
Il est très difficile de convaincre la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – ou le Parlement – sans éléments de nature à prouver l’utilité d’une interconnexion. Pour des raisons liées aux libertés publiques, il existe – à tort ou à raison, je ne me prononce pas sur le fond – une volonté de ne pas trop multiplier les interconnexions. Nous n’avons sans doute pas suffisamment fait apparaître les progrès à attendre des interconnexions. En revanche, chaque fois qu’il en a été décidé une, elle a plutôt donné des résultats positifs. La politique d’interconnexion est donc en soi une bonne politique. Du reste, même s’il n’était pas très précis sur cette question – dont les éléments sont extrêmement évolutifs –, le rapport du conseil allait un peu dans ce sens.
En matière de prestations – domaine où nous avons rencontré des difficultés considérables –, le dernier rapport de la Cour des comptes a essayé de montrer les progrès accomplis. Il reste que les procédures sont lourdes. Il arrive un moment où il faut se contenter du résultat obtenu, même si des améliorations de détail seraient encore possibles.
L’idée qu’il faille développer des interconnexions est plutôt dans la ligne du rapport. La philosophie générale de celui-ci est que, chaque fois que c’est possible et que la mesure n’attente pas aux libertés publiques, il faut en réaliser. Comparés à leur rentabilité, les coûts de mise en place sont extrêmement faibles.
M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur le président, je confirme vos propos : il aura fallu trois ans pour que les amendements que j’avais déposés fin 2006 puissent être mis en œuvre. C’est en effet un travail de longue haleine.
M. le rapporteur. Je remarque que la proposition n° 10 du rapport de 2007 prévoyait un recensement des fichiers et la réalisation d’interconnexions.
M. Bertrand Fragonard. Tout à fait. Le conseil était favorable à ce type d’opération chaque fois qu’elle était crédible, qu’il était possible de démontrer la probabilité d’un gain et qu’étaient respectées les libertés publiques.
M. le coprésident Pierre Morange. Au regard des préconisations que vous avez formulées en 2007 et de leur prise en compte, pensez-vous qu’un axe particulier devrait être désormais privilégié ? Suffirait-il de maintenir une pression suffisante pour que les rapports entre les citoyens et leurs administrations soient plus vertueux ?
M. Bertrand Fragonard. Des pistes d’analyse ou des techniques de détection peuvent ne pas encore avoir été explorées. Une extrême prudence est donc de mise.
Le rapport exposait la nécessité d’investir de façon très significative pour comprendre, évaluer et progresser dans l’affinement des techniques de contrôle. Cela dit, m’étant détaché de ce type de travail depuis le rapport publié en 2007, je n’ai pas de préconisations particulières à formuler, sinon celle de continuer à exercer une pression continue. Le contrôle en France ne doit pas relever du harcèlement – sauf peut-être pour des situations très particulières relatives à des prestations. Globalement, l’administration et la sécurité sociale sont très respectueuses des règles de droit ; hors erreurs ponctuelles, il n’est relevé ni abus ni comportement choquant. Le droit est appliqué, mais il est aussi amélioré tandis que les moyens sont mieux déployés et mieux affinés. À mon sens, nous sommes sur une bonne trajectoire.
M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur Bertrand Fragonard, je vous remercie.
*
AUDITIONS DU 30 SEPTEMBRE 2010
Audition de M. David Galtier, général de division, adjoint au directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale, M. Patrick Hefner, contrôleur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariats, M. Alain Winter, commissaire divisionnaire, chef adjoint du pôle judiciaire, prévention et partenariats au cabinet du directeur général de la police nationale et M. Patrick Knittel, chef de l’Office central de lutte contre le travail illégal.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans son rapport d’avril 2010, la Cour des comptes évoque un projet, vieux de plus de dix ans, de partage d’informations entre le ministère de l’intérieur et les organismes sociaux, aux fins de vérifications d’identité, via le fichier AGDREF – application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France. Où en sommes-nous ? Un agenda opérationnel a-t-il été établi ? Des problèmes d’interprétation étant apparus entre les ministères et la Commission nationale de l’informatique et des libertés, est-il nécessaire d’adopter des dispositions réglementaires ou législatives complémentaires ?
M. Alain Winter, commissaire divisionnaire, chef adjoint du pôle judiciaire, prévention et partenariats au cabinet du directeur général de la police nationale. Ce fichier est géré par une autre direction du ministère de l’intérieur, la direction de la modernisation et de l’action territoriale. Je n’ai pas connaissance de ce problème, et je n’ai pas lu le rapport de la Cour des comptes. Mais le policier que je suis est évidemment favorable à l’interconnexion des fichiers.
M. le coprésident Pierre Morange. La MECCS a beaucoup travaillé sur le sujet…
M. Alain Winter. S’il vous faut des éclaircissements, nous pourrons bien sûr vous les fournir.
M. le coprésident Pierre Morange. Ils nous seraient bien utiles.
M. David Galtier, général de division, adjoint au directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale. Nous avions évoqué ce sujet avec M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous l’avons auditionné.
M. David Galtier. Ce sujet technique n’est pas vraiment de notre ressort car nous sommes des acteurs opérationnels, mais nous avions fait part à M. Benoît Parlos de notre souhait de voir ces travaux avancer.
M. Dominique Tian, rapporteur. Cette audition de représentants de la police et de la gendarmerie nous tient à cœur. J’ai présidé une mission d’information sur les fraudes à l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNÉDIC) et aux Associations pour l’emploi dans l'industrie et le commerce (ASSÉDIC) ; l’une des premières affaires était née à l’occasion d’un contrôle routier de la gendarmerie nationale, qui avait découvert, dans le coffre d’une voiture, des dizaines et des dizaines de « kits de fraude » prêts à servir. Les groupes d’intervention régionaux (GIR) expriment aussi la volonté d’aller plus loin.
Non seulement la fraude sociale coûte très cher, mais elle est souvent liée à d’autres types de malversations. Or, nous sommes particulièrement préoccupés par le développement d’une fraude organisée et de véritables trafics nationaux et internationaux. C’est sur ce thème que nous souhaitions vous entendre.
M. le coprésident Pierre Morange. Le rapport de M. Dominique Tian, au nom de la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’UNÉDIC et des ASSÉDIC, qui a fait grand bruit, s’articule avec les travaux de la MECSS. Le sujet a pu être considéré comme sulfureux mais chacun convient aujourd’hui qu’il est légitime de s’assurer de la bonne utilisation des efforts contributifs de nos concitoyens. Nous souhaitons donc avoir votre avis sur l’actuel dispositif réglementaire et législatif : a-t-il besoin d’être complété pour être pleinement opérationnel ?
M. David Galtier. La gendarmerie a assez vite ressenti le besoin d’un outil central pour lutter contre la fraude sociale sur l’ensemble du territoire. Cet outil est devenu une réalité avec l’Office central de lutte contre le travail illégal, outil interministériel dont pourra vous parler M. Patrick Knittel. Je me propose, pour ma part, de vous présenter notre analyse du phénomène et de formuler quelques propositions à caractère juridique.
La fraude est un phénomène difficile à appréhender, pour des raisons juridiques, notamment liées à l’éclatement des dispositifs existant entre plusieurs codes. Le champ des infractions, très vaste, va de la simple fraude sociale au blanchiment d’argent, en passant par la corruption, la fraude à l’identité ou l’escroquerie, laquelle peut relever de la criminalité organisée. L’ampleur du phénomène résulte également de la dématérialisation des processus administratifs et financiers, et bien sûr de la mobilité des hommes et des capitaux ; nous nous efforçons de développer de nouveaux outils contre les formes nouvelles de fraude que permettent les nouvelles technologies.
En matière de fraude aux prestations sociales, notre rôle est très limité par rapport à celui des organismes sociaux. La gendarmerie constate moins de 1 000 infractions par an ; ses agents de police judiciaire n’ont pas les moyens de déceler en amont les situations frauduleuses, sinon à la suite de dénonciations ou de plaintes des organismes sociaux. Ainsi, la gendarmerie n’utilise qu’à peine 20 % des 94 incriminations prévues pour ce type de fraude. Sans doute existe-t-il des marges de progression, mais elles supposent des moyens, ainsi qu’une coopération plus affirmée avec les organismes sociaux. En revanche, ces fraudes constatées mènent à des infractions connexes : nous sommes ainsi, avec l’Office central de lutte contre le travail illégal, très présents dans les affaires de travail illégal, qui mobilisent 850 gendarmes « formateurs relais » en ce domaine.
S’agissant de la délinquance « astucieuse », l’intervention des agents de la police judiciaire est évidemment nécessaire. Il s’agit en effet d’infractions relevant du code pénal, allant de la déclaration mensongère à l’escroquerie en passant par la fraude documentaire.
Cette dernière, définie par l’article 441-1 du code pénal, sert de support à de nombreuses formes de criminalité : délinquance financière, blanchiment d’argent et travail dissimulé. Un réseau national d’enquêteurs, formés par l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie, lui est dédié depuis 2007. Nous avons eu l’occasion de passer à l’action : ainsi en 2009, nous avons interpellé quatre individus en région parisienne et à Bordeaux, dans le cadre d’une enquête conduite par la section de recherches de Bordeaux sur une fraude aux allocations logement, qui durait depuis plusieurs mois. Cette fraude consistait à produire de faux baux de location couplés à des comptes bancaires ouverts sous de fausses identités, ce qui permettait la perception indue d’allocations. Le préjudice, pour la caisse d’allocations familiales (CAF), s’était élevé à plusieurs centaines de milliers d’euros.
Quant aux escroqueries, ce sont des fraudes les plus élaborées, avec usage de faux noms, de fausses qualités ou de faux documents, qui peuvent être le fait de bandes organisées. Ce contentieux spécifique ne représente qu’une petite partie de l’ensemble, mais du fait de l’envergure de certaines affaires, le préjudice financier est important. La brigade d’Exelmans, à Paris, a ainsi mis au jour une escroquerie à grande échelle – l’affaire Giordano –, qui fut jugée en 2008 : après avoir racheté huit sociétés en difficulté, un homme de soixante-deux ans en avait fait des coquilles vides destinées à servir de support pour de faux documents. Il recrutait ensuite les candidats à la fraude, le plus souvent à la sortie des antennes de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), en leur proposant, contre environ 5 000 euros, des « kits assédic » contenant un faux contrat à durée déterminée et des bulletins de salaire et leur permettant de prétendre aux allocations de chômage. Le préjudice subi par les organismes sociaux s’est, ici, élevé à plusieurs millions d’euros.
Mais c’est le travail illégal qui nous occupe le plus, puisqu’il représente près de 90 % des crimes et délits que nous constatons. On peut en la matière distinguer trois volets.
Le premier concerne les infractions d’opportunité, par exemple dans le bâtiment ou les activités saisonnières agricoles. Les brigades territoriales apportent alors leur concours. Souvent associées à l’immigration clandestine, ces infractions sont mises en évidence à la suite d’opérations de contrôle, en général sur réquisition du procureur de la République.
Le deuxième volet recouvre les infractions résultant de stratégies d’entreprise : ce sont des fraudes organisées à grande échelle, visant à contourner la législation. La dimension internationale, sans être systématique, est de plus en plus fréquente. L’exemple typique est celui d’une compagnie aérienne à bas coûts, dont le siège est à l’étranger, et qui, à partir d’une implantation française non déclarée, exerce une activité commerciale pour laquelle elle emploie, sous contrat étranger, des salariés domiciliés en France. Si cela concerne plusieurs centaines de salariés pendant plusieurs années, l’impact financier est évidemment très important.
Troisième volet : les infractions liées à la criminalité organisée. Depuis 2008, nous constatons une augmentation des dossiers de travail illégal qui mettent en évidence ces infractions connexes. Avec le procureur Jacques Dallest, je m’étais ainsi occupé d’un trafic de produits contrefaits et dangereux pour la santé en provenance de Chine, par une famille de la Camorra napolitaine installée dans la Plaine du Var. Pour parvenir à leurs fins, les malfaiteurs s’appuyaient sur un réseau de distribution illégal implanté dans le Sud de la France et déployé dans plus de 90 départements. Une information judiciaire avait été ouverte auprès de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, laquelle avait saisi le directeur général et l’Office central ainsi que le service national des douanes. Cette opération de grande envergure, déclenchée en juin 2009 en coordination avec l’Office européen de police (Europol) et l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne (Eurojust), avait permis de démanteler le réseau ; lors des 73 perquisitions, plusieurs centaines de machines et d’outils avaient été saisis, tels que des générateurs électriques ou des tronçonneuses. Des commissions rogatoires internationales ont suivi car plusieurs autres pays européens étaient concernés.
Face à ces phénomènes, les capacités de l’institution se sont développées, par exemple avec les pôles d’excellence, les 850 formateurs relais – soit un ou deux par compagnie de gendarmerie – spécialisés dans la lutte contre le travail illégal, l’Office central de lutte contre le travail illégal, le réseau d’enquêteurs sur la fraude documentaire depuis 2007 – composé aujourd’hui d’une cinquantaine d’agents –, et surtout le réseau de 400 enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées en matière économique et financière – qui bénéficient d’une formation de master 2 à l’Université de Strasbourg, chaque promotion comptant une vingtaine d’étudiants. Par ailleurs, nous mettons en place des groupes mixtes et des cellules d’enquête afin de travailler en coordination avec la police nationale et les services douaniers.
Pour l’avenir, la première amélioration souhaitable serait l’acquisition de nouvelles sources de renseignements. La lutte contre la fraude se situe au carrefour de plusieurs administrations qui disposent d’informations et ont des liens avec des partenaires – organisations professionnelles, syndicats, associations –, avec lesquels nous ne devons pas nous interdire de travailler. Afin de développer la coordination, des rencontres régulières seraient souhaitables, aussi bien à l’échelon national que départemental, sur le modèle de ce qui existe dans d’autres domaines, par exemple la lutte contre les cambriolages. La délégation nationale à la lutte contre la fraude pourrait désigner un responsable de ces groupes de travail ; quoi qu’il en soit, nous devons passer d’une coopération institutionnelle à une coopération plus opérationnelle, afin d’échanger des informations précises.
M. le rapporteur. Certes la délégation nationale à la lutte contre la fraude se réunit et publie un rapport annuel. Mais nous avions demandé au ministre concerné de faire en sorte que la délégation se réunisse davantage.
M. David Galtier. Les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal sont devenus les comités départementaux antifraude. Il faut profiter de ces lieux d’échanges pour améliorer la coopération. Des rapports de confiance doivent se développer entre les enquêteurs et les agents des administrations.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous appelez de vos vœux une coopération plus proche du terrain. J’ai moi-même été à l’initiative du vote, fin 2006, d’une disposition visant à assurer l’interconnexion des fichiers des 1 750 organismes sociaux, médico-sociaux et sanitaires – dont le décret d’application n’a été publié que trois ans plus tard. Cette mesure s’est traduite par l’ouverture du serveur de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) à Tours : l’interconnexion des fichiers est donc en principe opérationnelle, même si l’alimentation n’en sera achevée qu’au dernier trimestre de 2010. Cette mise en service, effective depuis la mi-2010, a-t-elle déjà fait progresser votre niveau d’information, ou y a-t-il d’autres étapes à attendre ?
M. Patrick Hefner, contrôleur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariats. J’occupais encore, il y a trois semaines, un poste opérationnel, et puis donc vous dire que les informations circulent de mieux en mieux. L’absence d’interconnexion des fichiers posait en effet un vrai problème ; à la caisse d’allocations familiales, on pouvait déposer des dizaines de dossiers sans qu’aucune synthèse ne se fasse.
Pour la police nationale, les comités départementaux antifraude sont un véritable lieu de rencontre et d’échanges sur les nouvelles pratiques frauduleuses et les moyens d’y remédier. Nous avons ainsi participé à 161 des 171 réunions organisées cette année. La direction centrale de la police aux frontières apporte son expertise, et les échanges sont tout à fait opérationnels, dans la mesure où chaque organisme possède, grâce à l’interconnexion des fichiers, une vue synoptique sur les fraudeurs.
Une véritable révolution culturelle a eu lieu au sein des organismes sociaux, qui nous livrent, en quelque sorte, des affaires clés en main. Depuis la convention de 2007 signée avec la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), les directions départementales de la sécurité publique sont des points d’entrée uniques : si nous entrevoyons que la plainte concerne un réseau très organisé, nous pouvons saisir les services les mieux adaptés pour la traiter. En expliquant précisément à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés ce dont nous avions besoin pour être efficaces, nous avons pu effectuer ensemble un travail remarquable. Il ne sert à rien de nous dire que telle ou telle officine pose problème : il faut nous fournir quelques éléments concrets. Ainsi certaines pharmacies, après avoir fait l’avance du tiers-payant, procédaient à des surfacturations que l’on ne pouvait déceler car entre le flux du remboursement informatisé et le flux des ordonnances papier adressées aux caisses d’assurance maladie, il n’y avait pas de croisement. Pour le réaliser, les caisses ont dans un premier temps procédé par sondages ; puis elles nous ont fourni des dossiers nous permettant de procéder à toutes investigations utiles et de confondre les gérants. Du reste, lors des perquisitions réalisées dans le cadre d’enquêtes préliminaires, un simple examen des stocks nous permettait de soupçonner des surfacturations. Compte tenu du marché de médicaments tels que le Subutex, revendu très cher en Europe de l’Est, on conçoit l’intérêt qu’il peut y avoir à organiser ce type d’escroquerie.
M. le coprésident Pierre Morange. J’ai déposé des amendements au projet de loi portant réforme des retraites pour proposer une interconnexion avec le fichier du Centre social européen et international de données sanitaires.
M. David Galtier. Peut-être la gendarmerie a-t-elle sur ce point un peu de retard sur la police, mais nous expérimentons une coopération au niveau départemental, dans le Jura, sous l’égide de la délégation nationale à la lutte contre la fraude.
M. le rapporteur. En ce qui concerne la fraude documentaire, a-t-on une estimation du nombre de fausses cartes Vitale et de leur utilisation ?
M. Alain Winter. Le nombre de faux papiers est en augmentation. Il y en aurait entre 200 000 et 280 000 pour les titres sécurisés régaliens – carte d’identité, passeport, permis de conduire –, c’est-à-dire hors carte Vitale.
Lutter contre la fraude documentaire, c’est sécuriser non seulement le titre lui-même – ce qui est aujourd’hui le cas –, mais aussi la procédure pour l’obtenir. L’une des idées à l’étude est de demander à l’organisme qui délivre le titre de solliciter lui-même la production des actes nécessaires à la constitution du dossier. Ainsi, la mairie qui délivre une carte d’identité ou un passeport aurait à solliciter elle-même l’extrait d’acte de naissance auprès de la mairie du demandeur. Pour le permis de conduire, au sujet duquel une réflexion est également en cours, la problématique est européenne.
La direction centrale de la police aux frontières dispose d’un bureau de la fraude documentaire, lequel participe au groupement interministériel de lutte contre la fraude à l’identité. Lors de la dernière réunion, en novembre 2009, la police aux frontières a donné une boîte à outils à tous les organismes sociaux pour leur permettre une détection précoce de la fraude, y compris à leurs guichets.
La police aux frontières dispose de 300 agents formés à la fraude documentaire, qui constituent des interlocuteurs privilégiés pour les préfectures et les mairies et organisent des formations pour les agents municipaux – chargés de vérifier les dossiers des demandeurs, et qu’il est donc impératif de former.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans quel délai pensez-vous que la procédure d’obtention des titres puisse être modifiée ? Une disposition réglementaire est-elle nécessaire ? Le revers de la simplification des démarches administratives est évidemment qu’elle ouvre de nouvelles opportunités aux fraudeurs.
M. Alain Winter. C’est l’Agence nationale des titres sécurisés qui gère ce dossier ; j’ignore donc quels sont les délais. On crée un flux de dématérialisation des actes ; mais notre pays ne dispose pas de fichier national de l’état civil, ce qui pose problème. Pourrons-nous un jour centraliser les actes d’état civil, afin d’empêcher la fraude « mobile » ? Je l’ignore, tout comme j’ignore s’il manque un acte réglementaire à ce sujet.
M. le rapporteur. Un débat sur la carte nationale biométrique sécurisée est en cours ; une proposition de loi sur le sujet doit d’ailleurs être débattue prochainement au Sénat. Je pense donc que ce fichier national verra le jour.
M. Alain Winter. L’autre souci est que le Conseil d’État va probablement annuler le décret relatif au passeport biométrique car, comme s’en sont aperçu plusieurs associations, il lui manque un support législatif. La réglementation européenne nous obligeait à mettre en œuvre le passeport biométrique avant le 30 juin 2009, mais la proposition de loi relative à la protection de l’identité n’a toujours pas été votée, d’où un problème juridique qui nous obligera, sans doute, à détricoter le fichier des titres électroniques sécurisés auquel on a opposé divers arguments : pourquoi huit empreintes ? Pourquoi une base centrale plutôt que territoriale ? Pourquoi pas un photographe professionnel, comme le propose le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ? La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) exerce une pression très forte sur ces sujets, qui sont en effet assez sensibles. Et je ne suis pas sûr qu’il existe dans le monde un pays qui dispose d’un fichier contenant les données nominatives de tous ses ressortissants, associé à une base biométrique.
La décision du Conseil d’État est attendue pour le mois de décembre. Si le Parlement vote la proposition de loi avant cette date, il y aura peut-être une chance de sauver le fichier des titres électroniques sécurisés.
M. le rapporteur. Nous allons nous en occuper !
La gendarmerie et la police, je suppose, ont des éléments sur le profil des fraudeurs. Pourriez-vous nous donner quelques précisions ?
S’agissant des sociétés qui sont des coquilles vides, parvenez-vous à mieux identifier les gérants ? Existe-t-il un fichier national des gérants et dirigeants d’entreprises, comme le préconisait la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’UNÉDIC et des ASSÉDIC ?
M. Patrick Hefner. Nous n’avons pas encore de données précises mais nous disposerons bientôt de trois outils que nous souhaitions depuis longtemps. En premier lieu, le fichier des interdits de gérer : il était pour le moins paradoxal qu’une personne interdite de gérer dans le ressort du tribunal de commerce de Paris n’ait qu’à franchir le périphérique pour installer une nouvelle société. Ensuite, le fichier des multigérants : la gestion de plusieurs sociétés n’est pas une infraction en soi, mais c’est un indice pour trouver les hommes de paille qui sont à la tête de sociétés fictives. Enfin, l’agrément et le contrôle des sociétés de domiciliation : il nous arrive souvent de trouver, à l’adresse de certaines sociétés que nous souhaitons perquisitionner, une simple boîte à lettres, et d’être renvoyés à des adresses totalement fictives : les nouvelles dispositions rendront les sociétés de domiciliation beaucoup plus regardantes sur les entreprises qu’elles hébergent.
M. le rapporteur. Pourrez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Ce sont là en effet des préconisations de la mission d’information, qu’il s’agisse des interdits de gérer ou des sociétés de domiciliation. Il était consternant de penser qu’une personne interdite de gérer à Paris pouvait se réinstaller à Grenoble quelques heures plus tard. Nous étions en outre préoccupés tant par le profil parfois étonnant que par l’identité hasardeuse des personnes enregistrant des sociétés, puisqu’elles pouvaient le faire en fournissant une simple photocopie de pièce d’identité.
M. Patrick Hefner. Pour le fichier des interdits de gérer, tous les acteurs concernés ont donné leur accord. Le dossier est actuellement à la Chancellerie ; la mise en place paraît imminente.
M. Patrick Knittel, chef de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Il me semble qu’un premier décret est déjà paru, faisant obligation au greffe de signaler les interdictions de gérer à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), pour éviter les immatriculations multiples. Ces progrès restent cependant insuffisants à mes yeux car les personnes interdites de gérer ne représentent qu’une partie de la population délinquante que nous visons : aux délinquants d’occasion qui profitent d’une situation et aux délinquants rompus à toutes les techniques de l’escroquerie, il faut ajouter, hélas, les grandes sociétés fraudeuses, qui cherchent à contourner la législation et la réglementation françaises par des implantations à l’étranger. Une réflexion sur ce point est nécessaire car nous voyons les cas se multiplier.
Il s’agit notamment d’entreprises françaises qui, pour réduire leurs cotisations sociales, créent une filiale à l’étranger avant de recourir sur le territoire français, via cette filiale, à des employés sous contrat de travail étranger.
M. le rapporteur. Dans le bâtiment, par exemple ?
M. Patrick Knittel. Oui, mais aussi dans le transport routier et le transport aérien. Ce phénomène est évidemment l’une des conséquences de l’ouverture des frontières.
M. le rapporteur. Les organismes sociaux qui participent aux comités départementaux antifraude ont-ils pris la mesure du défi qui leur est lancé par les fraudeurs ? La Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a fait part des mesures qu’elle a prises pour lutter contre la fraude, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a reconnu qu’il y avait eu 650 millions d’euros de versements indus ou d’argent détourné, contre 80 millions il y a trois ans – augmentation qui ne tient pas à une explosion des fraudes mais à une meilleure détection. Avez-vous l’impression que la culture a changé ?
M. le coprésident Pierre Morange. Cette nouvelle culture doit être partagée tant par les décideurs que par les agents de terrain. Qu’en est-il des échanges d’informations et de la coopération entre les services ? Nous aimerions avoir des données plus affinées, chiffrées, afin d’identifier les lacunes du système et de le rendre plus opérant.
M. Patrick Knittel. S’agissant des affaires traitées par le biais ou sous l’impulsion des comités départementaux antifraude, M. Benoît Parlos a sans doute pu vous répondre. Des opérations sont programmées, comme déjà avec les anciens comités opérationnels de lutte contre le travail illégal. Chaque comité dispose de fiches « action » et de fiches de compte rendu d’affaire, avec chiffrage du préjudice, la remontée de l’information à la délégation nationale permettant de procéder à une synthèse. C’est un dispositif très récent, qui ne fonctionne pas encore parfaitement car les responsables des différentes administrations ont besoin de se roder, mais qui paraît déjà beaucoup plus efficace que ce qui existait auparavant.
M. le coprésident Pierre Morange. Je comprends bien qu’il faille du temps pour acquérir la culture de la coordination et de la connaissance partagée, mais pensez-vous qu’en 2011, vous serez totalement opérationnels ?
M. le rapporteur. De l’avis général, le travail illégal, qui est relativement facile à déceler, est le fléau numéro un. Pourtant, on n’a pas le sentiment qu’une véritable pression soit exercée à son encontre : des garagistes clandestins, des vendeurs sur les marchés, des ouvriers dans le bâtiment exercent leurs activités au vu et au su de tout le monde.
M. Patrick Hefner. Voici quelques chiffres, qui portent sur les huit premiers mois de cette année. Ceux provenant de la direction centrale de la police aux frontières sont les suivants : en métropole, 1 114 employeurs ont été interpellés et confondus, pour 2 031 salariés, principalement dans les secteurs de la sécurité, du bâtiment et des travaux publics, des hôtels et restaurants, des spectacles et du commerce. La direction centrale de la sécurité publique a visé pour sa part 152 employeurs. Les données de la préfecture de police sont les suivantes : après 902 opérations en 2009, pour 2010, on en était au 1er septembre à 2 292 opérations, concernant 913 employeurs et 1 266 employés – dans le ressort de Paris et des trois départements de la Petite couronne.
M. le coprésident Pierre Morange. Concrètement, quel fut le résultat de ces opérations ?
M. Patrick Hefner. Il peut y avoir des objectifs chiffrés en termes de recouvrement, après quantification des redressements envisageables. Mais nombre de ceux qui ont fait l’objet d’un redressement sont insolvables ou ont organisé leur insolvabilité ; l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) peut néanmoins quantifier le manque à gagner que cela représente.
Je me suis réjoui de constater – car on ne peut pas tout judiciariser – que nombre d’organismes sociaux organisent désormais une police interne. Par exemple, lorsque la fraude porte sur moins de quatre fois le plafond de la sécurité sociale, les caisses d’allocations familiales (CAF) utilisent une procédure amiable permettant d’obtenir le remboursement des prestations ou d’en réduire le montant si le fraudeur peut y prétendre dans les mois ou les années à venir.
Les cellules de contrôle de ces organismes ne sont sans doute pas en nombre suffisant, mais elles s’investissent pleinement. Leurs membres bénéficient d’actions de formation, notamment sur la fraude documentaire. Et cette culture se décline jusqu’au personnel de guichet.
M. le rapporteur. Le Conseil des prélèvements obligatoires – dont nous avons entendu récemment le président suppléant, M. Bertrand Fragonard – considère pour sa part que le travail au noir représente entre 6 et 12 milliards d’euros.
Vous avez évoqué la possibilité, pour le fraudeur démasqué, de rembourser. Mais c’est un système de « risque zéro » pour le fraudeur : il vole, et s’il est pris il se contente de rendre. Plutôt que ces petits arrangements à l’amiable, nous préférons demander aux organismes sociaux de poursuivre les fraudeurs en justice et de saisir les services de police.
Il y a par ailleurs la question des sécurités internes. Il est clair que les reconstitutions de carrière posent un énorme problème – qui nous a amenés à modifier la procédure de déclaration sur l’honneur. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
M. Patrick Hefner. Il a pu en effet y avoir des complicités internes, mais les affaires sont en cours d’instruction. Je n’imagine pas un seul instant que les organismes n’aient pas mis en place des barrières pour éviter à l’avenir ces errements.
M. le coprésident Pierre Morange. L’avez-vous vérifié ?
M. Patrick Hefner. Non, c’est de leur ressort.
M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur David Galtier, voyez-vous encore d’autres améliorations qu’il serait bon d’apporter, de votre point de vue d’acteur de terrain ?
M. David Galtier. Permettez-moi tout d’abord de vous donner quelques chiffres actualisés.
En ce qui concerne le travail clandestin, police et gendarmerie confondues ont recensé – au niveau national – 11 031 faits en 2009, sur un ensemble de 14 860 infractions comprenant aussi, notamment, l’emploi d’étrangers sans titre. Le travail clandestin représente donc au moins 75 % de l’ensemble. Le taux d’élucidation de ces affaires est très élevé. Plus de 11 245 personnes ont été mises en cause, dans le cadre de 12 773 procédures. Nous tenons bien sûr à votre disposition tous les chiffres détenus par la direction centrale de la police judiciaire ainsi que par l’Office central de lutte contre le travail illégal – qui diffuse d’ailleurs chaque année une plaquette sur le sujet.
M. le coprésident Pierre Morange. Il serait intéressant pour nous de savoir comment ces données ont évolué, notamment sur les trois dernières années, afin d’évaluer l’efficacité des dispositifs mis en place.
M. David Galtier. Il faut néanmoins être prudent car certaines évolutions peuvent résulter de réorganisations au sein de notre ministère. Prenons l’exemple de la plaque parisienne : les unités de gendarmerie laissées en zones de police nationale ont été réorganisées et leurs effectifs transférés en zones de gendarmerie nationale ; par conséquent, ces spécialistes de la lutte contre l’habitat indigne ou le travail illégal ont été envoyés hors de la plaque parisienne, sur des territoires qu’ils ne connaissent pas encore.
J’en reviens à nos souhaits.
Il serait bon que soit mieux connue et davantage utilisée, aussi bien en interne qu’à l’extérieur, la plateforme téléphonique nationale dont nous disposons à l’Office central de lutte contre le travail illégal depuis 2005, qui a vocation à recueillir les renseignements sur le travail illégal. D’autres plateformes nationales fonctionnent très bien, par exemple celle de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication ou la plate-forme de lutte contre les escroqueries.
M. le rapporteur. Avez-vous dressé le profil ou établi un fichier de personnes que vous retrouvez dans toutes les affaires ? Voit-on les mêmes s’organiser pour piller à la fois la caisse d’allocations familiales, les caisses de retraite et l’assurance maladie ?
M. David Galtier. Pour l’ensemble des infractions, la base STIC (système de traitement des infractions constatées) de la police nationale et la base JUDEX (système judiciaire de documentation et d’exploitation) de la gendarmerie céderont bientôt la place à une base commune appelée « traitement des procédures judiciaires » – ex-ARIANE (système d’application de rapprochement, d’identification et d’analyse pour les enquêteurs) –, qui nous permettra de mieux définir les profils. Nous constatons déjà que, dans notre base qui compte 3 millions d’auteurs potentiels et dans celle de la police nationale, qui en compte autant, on retrouve les mêmes.
Mais telle n’est pas la vocation de notre plateforme, qui constitue un portail d’accès à la documentation nécessaire.
M. Patrick Knittel. Les bases actuelles JUDEX et STIC n’ont pas été conçues pour définir des profils. Quant à notre plateforme, elle permet de faire ce type de travail sur la base des informations qui lui sont transmises par voie de messages – qui nous permettent de rapprocher des auteurs et des situations ; la limite de l’exercice est que nous n’avons pas accès à toutes les informations, émanant notamment de la douane et des services de police.
Retrouve-t-on toujours les mêmes personnes ? Pas systématiquement, mais on en retrouve à l’intérieur de sociétés qui elles-mêmes s’organisent pour frauder. Pour monter des fraudes complexes, il faut un certain savoir-faire : ce sont des personnes capables de racheter des sociétés en difficulté, de réaliser ou trouver des faux documents, et qui par ailleurs connaissent suffisamment bien le fonctionnement des organismes sociaux. En matière de fraudes à la taxe à la valeur ajoutée (TVA), on trouve aussi des profils assez semblables.
M. le rapporteur. La collaboration avec les services fiscaux est-elle efficace ?
M. David Galtier. D’une manière générale, oui et elle s’améliore. Dans le cadre des protocoles signés entre le ministère de l’intérieur et le ministère des finances, plus de cinquante fonctionnaires de la direction générale des finances publiques sont aujourd’hui directement associés aux policiers et aux gendarmes, dans les départements, pour traiter les cas les plus sensibles en matière d’économie souterraine. La progression régulière depuis 2007 des saisies d’avoirs criminels témoigne aussi des progrès de la coopération et de la coordination entre les services.
M. Patrick Hefner. Nous avons beaucoup apprécié les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2009 sur les éléments de train de vie, mais elles ne peuvent produire leurs effets en termes de recouvrement qu’en année n + 1.
Il reste que la coopération fonctionne bien. Les groupes d’intervention régionaux (GIR) ont en leur sein des représentants de l’administration fiscale, qui font un gros travail en amont sur les sujets patrimoniaux. Puis les agents de l’administration fiscale interviennent dans le cadre de l’article L. 135 L du livre des procédures fiscales.
M. le coprésident Pierre Morange. Pour avoir une connaissance plus fine de la fraude sociale, il a été suggéré de réaliser des études de cohortes, permettant d’isoler des sous-populations. A-t-on commencé à le faire ?
M. David Galtier. Pour l’instant, non. Mais nous évoquerons le sujet lors de la prochaine réunion des comités départementaux antifraude.
Permettez-moi de formuler un dernier souhait, qui est peut-être un vœu pieux. Eu égard au décalage qui me semble exister entre les enjeux économiques forts de certaines affaires et la peine encourue, ne serait-il pas possible de passer de trois à cinq ans d’emprisonnement et de créer une circonstance aggravante pour la commission du délit de travail dissimulé en bande organisée ? Cela permettrait d’harmoniser la répression du travail dissimulé avec, notamment, celle de l’emploi d’étrangers sans titre de travail, ainsi que de rechercher l’infraction de non-justification de ressources, afin d’atteindre les personnes, en relation avec l’auteur, qui ont bénéficié du produit de l’infraction.
M. Alain Winter. À mon tour de formuler quelques demandes, au nom de la police.
Nous appuyons la demande de la gendarmerie. Nous soutenons la totalité des initiatives de la délégation nationale à la lutte contre les fraudes (DNLF), notamment celle qui vise à corriger la dispersion des textes réprimant la fraude sociale. Nous souhaiterions que figure dans le code pénal un texte générique renvoyant à tous les autres textes.
Par ailleurs, nous constatons que si la peine encourue est importante, la peine réelle n’est en moyenne que de 1 400 euros, selon le rapport de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Ne faudrait-il pas une peine plancher ?
Enfin, nous n’avons pas accès à certains fichiers, notamment au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), auquel il n’est possible d’accéder que par voie de réquisition judiciaire et qui nous est indispensable. Nous pouvons apporter de nouvelles garanties : la traçabilité de nos accès au fichier serait assurée par une carte à puce ; on peut même imaginer que le logiciel nous impose de motiver nos demandes.
M. le rapporteur. Vous confortez notre conviction que c’est l’accès aux fichiers qui doit permettre de résoudre beaucoup de problèmes. Nous espérons que la position de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur ce sujet va continuer à progresser.
M. le coprésident Pierre Morange. En rapportant le texte sur l’interconnexion des fichiers, j’ai mis en évidence le fait qu’il ne portait en aucun cas atteinte à la législation relative à l’informatique et aux libertés et qu’il s’inscrivait même dans les préconisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur la sécurisation et la confidentialité des données.
M. le rapporteur. La direction de la police nationale s’est-elle livrée à des études comparatives avec d’autres pays européens ?
M. Alain Winter. Pas sur le fichier de la protection sociale ; on a essayé de le faire sur le fichier TES (titres électroniques sécurisés). Mais la France est un peu atypique car dans les autres pays européens, plus décentralisés, les bases sont très souvent régionales.
Nous souhaiterions accéder aussi à d’autres fichiers, notamment Delphine et TES, également en mode administratif. De manière générale, il faut permettre aux forces de sécurité d’accéder à tous les fichiers, bien entendu en garantissant la traçabilité des accès.
Pour réduire la fraude, le premier impératif me paraît être la sensibilisation des acteurs des prestations sociales : celui qui délivre la prestation doit pouvoir en garantir la bonne affectation. Cette culture du contrôle, de la sanction, du ciblage, que l’on connaît dans l’administration fiscale, doit se répandre chez les prestataires sociaux. Cette révolution culturelle me semble bien partie.
Dès le moment où les acteurs des prestations sociales – qui sont les seuls à maîtriser l’information – arriveront à détecter précocement les fraudes, nous pourrons avoir une action beaucoup plus pertinente, y compris sur le plan judiciaire.
M. le rapporteur. Vous pouvez aussi prévenir les organismes sociaux que telle personne est défavorablement connue.
M. Alain Winter. Oui, bien sûr. Au sein du comité départemental antifraude, c’est le genre d’information que l’on communique. Je vais même au-delà : de même que nous avons créé un guide de l’enquête patrimoniale propre aux affaires de stupéfiants, nous souhaiterions que, dans le cadre de nos procédures pénales, un procès-verbal d’enquête sociale soit transmis aux organismes sociaux ; sur 1,5 million de personnes mises en cause chaque année, il y en a en effet beaucoup qui fraudent à la sécurité sociale. L’expérimentation du Jura, dont parlait le général David Galtier, porte sur un dispositif de messagerie sécurisée au sein du comité départemental antifraude pour lever le frein psychologique qui fait hésiter les organismes prestataires à communiquer avec les forces de sécurité.
M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions ?
M. Alain Winter. Un des nombreux sujets que traite la délégation est la sécurisation technique de la transmission des informations entre les acteurs du comité départemental antifraude – une fois réglée, sur le plan juridique, la question de la levée du secret professionnel. Nous avons chiffré de manière très simple la messagerie qui permet de transmettre des informations d’un service à l’autre.
M. le coprésident Pierre Morange. Les informations circulent donc dans les deux sens. Dans le Jura, donc, celles qui concernent, par exemple, des multirécidivistes du montage de fausses sociétés sont communiquées aux organismes sociaux. Pour quand la généralisation du dispositif est-elle prévue ?
M. Alain Winter. Je ne le sais pas, mais techniquement elle semble possible.
M. David Galtier. D’ici à la fin de l’année, nous pourrons évaluer l’expérience. Si elle est concluante, on pourra aller de l’avant en 2011.
M. le rapporteur. Ne s’agit-il pas d’abord de vaincre les freins psychologiques et de convaincre les intéressés qu’ils doivent travailler ensemble ?
On pourrait suggérer la mise en place de dossiers types. Nous étions intervenus auprès des ASSÉDIC pour leur conseiller de demander l’original des pièces d’identité ou d’utiliser des détecteurs de faux papiers.
M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous dire quand a démarré cette expérience dans le Jura ?
M. Patrick Knittel. Très récemment : début septembre.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous serons très attentifs aux conclusions que vous en tirerez.
Messieurs, je vous remercie.
*
Audition de M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), M. Benjamin Ferras, directeur de cabinet du directeur, et M. Jean-Marie Guerra, adjoint au directeur de la réglementation.
M. Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Dans la présentation rapide que je me propose de faire devant vous, je voudrais évoquer successivement le cadre général d’intervention de la branche recouvrement en matière de lutte contre les fraudes, le cas particulier de la lutte contre le travail dissimulé, les modalités d’évaluation de la fraude, enfin le bilan et les perspectives de la lutte contre les fraudes. Nous pourrons aussi, si vous le souhaitez, revenir sur la campagne de communication que nous avons menée l’année dernière sur ce thème.
La lutte contre la fraude s’appuie sur 1 550 inspecteurs du recouvrement, ainsi que sur 220 contrôleurs du recouvrement, nouveau corps de métier créé il y a deux ans, spécialisé dans le contrôle sur pièces.
L’organisation des moyens a beaucoup évolué ces dernières années. En 2006, nous avons créé le réseau des référents régionaux spécialisés dans la lutte contre le travail dissimulé. Puis nous avons mis en place un mode de gestion, d’abord pour les très grandes entreprises, ensuite pour les grandes entreprises, qui a eu un impact sur le contrôle. Enfin, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion signée au début de cette année, nous avons lancé un processus de régionalisation de l’ensemble de nos activités, avec la création d’unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) régionales d’ici au 1er janvier 2014 et, dès à présent, régionalisation du pilotage du contrôle. Par ailleurs, un processus de professionnalisation des inspecteurs a été engagé.
Quelques chiffres : près de 50 % des cotisations contrôlées en trois ans conformément à notre objectif ; environ 11 % du fichier contrôlé chaque année – ce « taux de couverture » étant variable selon la taille des entreprises, les très grandes étant systématiquement contrôlées tous les trois à cinq ans ; 40 000 établissements contrôlés chaque année au titre de la lutte contre le travail dissimulé ; sur la période 2004-2009, doublement des redressements réalisés par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF).
Mais le champ du contrôle est plus large que celui de la lutte contre la fraude. En 2009, les régularisations ont représenté 1,2 milliard d’euros ; elles se répartissent entre 130 millions de redressements au titre de la lutte contre le travail dissimulé, 797 millions au titre d’autres redressements en faveur des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (URSSAF) et 266 millions en restitutions aux entreprises. C’est dire que nous sommes confrontés au problème de définition de la fraude : sur le terrain, les contrôleurs rencontrent des cas de figure très différents : erreur matérielle, erreur d’application de la réglementation – éventuellement en défaveur de l’entreprise –, problèmes d’interprétation de cette réglementation, « optimisation » consistant à profiter de certaines failles, fraude au sens le plus strict.
Un champ de fraude clairement délimité est le travail dissimulé, bien défini par le code du travail et le code de la sécurité sociale. Pour le reste de notre activité de contrôle, nous ne sommes pas actuellement en mesure de préciser si les redressements que nous opérons correspondent à des fraudes ou des erreurs d’application de la réglementation. La fraude étant la non-application intentionnelle des textes, il faut d’abord démontrer l’intention, et la définition d’éléments caractérisant la fraude est compliquée. L’un de ces « éléments » est la récidive.
M. le coprésident Pierre Morange. Le montant de 797 millions que vous avez évoqué pour 2009 correspond-il pour les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (URSSAF) à une récupération partielle ou complète ? Quel est le ratio par rapport au préjudice initialement subi ?
M. Pierre Ricordeau. Il s’agit du chiffrage de ce qui aurait dû être payé par les entreprises et qu’elles ont à reverser. Mais le fait qu’il y ait par ailleurs des restitutions, à hauteur de 266 millions, prouve bien qu’il n’y a pas toujours d’intention frauduleuse et que les difficultés peuvent venir de la complexité de la réglementation.
M. le coprésident Pierre Morange. D’après ce qui nous a été dit, la fraude sociale porterait pour deux tiers sur les prélèvements, et pour un tiers sur les prestations, le total représentant entre 6 et 14 milliards d’euros. Que pensez-vous de ces données ? Quelles sommes avez-vous pu récupérer ?
M. Pierre Ricordeau. Ces données figurent dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fraude, auquel nous avons d’ailleurs contribué. L’évaluation présente une double difficulté. D’une part, la seule source fiable dont nous disposons est celle des contrôles, lesquels, pour être efficaces, sont ciblés, ce qui nous empêche de faire une simple extrapolation. D’autre part, pour tout ce qui ne relève pas de la lutte contre le travail dissimulé, nous n’avons pas de grille de lecture permettant de distinguer, parmi les redressements que nous opérons, la fraude de la simple erreur. Le Conseil des prélèvements obligatoires s’étant fondé sur les redressements des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), les chiffres qu’il a fournis souffrent de cette difficulté – mais cette évaluation me paraît néanmoins tout à fait correcte.
M. le coprésident Pierre Morange. Constatez-vous une évolution dans le temps ?
M. Pierre Ricordeau. Dans la mesure où nous progressons dans les techniques de ciblage de nos contrôles, le biais de l’estimation augmente et, en conséquence, l’évolution de la fraude est difficile à mesurer.
C’est la raison pour laquelle il faut développer en parallèle des actions de contrôle aléatoire – qui permettent d’éviter le biais lié au ciblage. Nous avons commencé à le faire, secteur par secteur, dans un premier temps dans le cadre de notre activité de lutte contre le travail dissimulé – en 2005 dans les hôtels, cafés et restaurants, en 2008 dans le commerce de détail alimentaire, en 2009 et 2010 dans le commerce de détail non alimentaire. Nous sommes arrivés ainsi à une évaluation assez précise de la fraude. Dans le commerce de détail non alimentaire, nous avons constaté qu’environ 12 % des établissements contrôlés de manière aléatoire et 6 % des salariés étaient, au regard du travail dissimulé, en situation de fraude. Les taux varient un peu selon les secteurs mais l’ordre de grandeur reste le même. Nous sommes parvenus à un résultat analogue dans le cadre d’une opération menée depuis plusieurs années sur les activités touristiques. Il va maintenant falloir développer ces contrôles aléatoires également dans le cadre de notre activité de « contrôle comptable d’assiette » – qui s’effectue avec préavis, contrairement à la lutte contre le travail dissimulé, pour laquelle nous nous rendons sans préavis dans une entreprise afin de vérifier si tous les salariés sont déclarés.
M. le rapporteur. On vous reproche de contrôler toujours les mêmes, et de contrôler ceux qui sont faciles à contrôler. Des pans entiers de l’économie échappent quasiment à tout contrôle. Pensez-vous pouvoir progresser ?
M. Pierre Ricordeau. Du fait de l’importance du phénomène, nous n’avons pas la capacité de vérifier la totalité des situations de travail dissimulé, mais notre dispositif de contrôle est en forte croissance. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) réalisent plus de 40 000 opérations, auxquelles s’ajoutent celles qui sont menées par nos différents partenaires.
Nous pratiquons un ciblage à partir de la probabilité de fraude, mais aussi à partir des signalements recueillis dans le cadre des comités de lutte contre la fraude. On ne peut pas dire que le contrôle porte toujours sur les mêmes acteurs et sur les mêmes secteurs.
M. le rapporteur. Vous dites contrôler les grandes entreprises environ tous les quatre ans, ce qui permet de récupérer des sommes importantes. Mais que faites-vous contre l’économie souterraine, qui constitue le véritable problème ? Certains recourent au travail clandestin ou construisent des bâtiments le dimanche au vu et au su de tous. Que fait l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) dans ce genre de cas ?
M. Pierre Ricordeau. J’ai parlé du contrôle des grandes entreprises à propos du contrôle comptable d’assiette. En matière de lutte contre le travail dissimulé, nous ne faisons pas de ciblage fondé sur la taille des entreprises ; nous agissons sur la base de signalements, tels que ceux que vous évoquez, et nous raisonnons par secteurs, certains d’entre eux ayant été désignés comme prioritaires dans le cadre des orientations nationales fixées par le ministre du travail. La lutte contre le travail dissimulé représente désormais plus de 15 % de notre activité ; les résultats obtenus sont en augmentation sensible, même si nous sommes encore très loin de pouvoir traiter l’ensemble du phénomène.
M. le rapporteur. Que faut-il faire pour améliorer vos performances ?
M. Jean-Marie Guerra, adjoint au directeur de la réglementation à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle nous nous concentrons toujours sur les mêmes secteurs d’activité, tels que le bâtiment ou la restauration. Le comportement des entreprises est certes lié au secteur auquel elles appartiennent, mais nous prenons en considération d’autres facteurs. Le fait qu’une entreprise ait connu des difficultés économiques constitue, en particulier, un risque accru de fraude sociale. Nous avons pu le vérifier sur le segment, très vivant et très divers, des petites et moyennes entreprises : 80 % des entreprises ciblées avec ce critère font l’objet d’un redressement.
En ce qui concerne le « reste à liquider », une autre approche est nécessaire puisque nous sommes confrontés à un phénomène souterrain.
Dans ce cas, le premier volet de notre action est la prévention et l’accompagnement : nous nous efforçons de travailler systématiquement avec les organismes professionnels, avec les syndicats, mais aussi avec les donneurs d’ordres et les maîtres d’ouvrage du secteur du bâtiment afin de mettre en place des systèmes d’information, accompagnés d’opérations de suivi sur le terrain et, le cas échéant, de sanctions.
Les contrôles aléatoires constituent le second volet. Une expérience a été menée pendant sept ans dans la région Nord-Pas-de-Calais, qui a fait l’objet d’un quadrillage portant sur l’ensemble des activités touristiques – restauration, campings, spectacles – du 1er juillet au 31 août. Un taux d’irrégularité quasiment identique a été constaté tous les ans : entre 10 % et 12 % d’entreprises en infraction, entre 5 % et 7 % de salariés non déclarés.
Ce constat conduit à s’interroger sur les sanctions. Sur le plan financier, nous disposons de la procédure du redressement forfaitaire. En matière de sanctions pénales, on serait certainement assez surpris des disparités de traitement, entre les tribunaux correctionnels, d’un même type d’infraction.
M. le coprésident Pierre Morange. Quel regard portez-vous sur ces disparités ? Comment expliquer leur existence, au regard des principes républicains ? Comment le peuple français peut-il comprendre ? N’est-ce pas là une menace pour le creuset intégrateur républicain ? Je crains pour ma part que cette situation ne favorise les communautarismes.
M. Jean-Marie Guerra. Nous voyons bien que pour certains parquets, les délits « en col blanc », d’ordre économique, ne sont pas la priorité, alors qu’avec d’autres nous pouvons au contraire travailler très efficacement. Les tribunaux correctionnels établissent également des priorités entre les différents types d’infraction. Or, à quoi bon multiplier les procès-verbaux s’ils ne débouchent que sur des rappels à la loi ou sur des sanctions dénuées d’effet ? Cette situation pose problème, vis-à-vis de nos concitoyens, du monde économique et aussi des opérateurs que nous sommes – qui finissent par être gagnés par une certaine lassitude.
M. le coprésident Pierre Morange. On peut aisément le concevoir. Pensez-vous que ces disparités de traitement ne relèvent que d’un facteur « culturel » ?
M. Jean-Marie Guerra. On peut l’espérer. Tout cela est très subjectif.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous n’irons donc pas plus loin. Pourriez-vous tout de même nous donner des exemples concrets de ces suites judiciaires qui discréditent votre action ?
M. Jean-Marie Guerra. Un des objectifs de notre plan d’action est d’assurer un suivi judiciaire, mais ce sera une tâche difficile.
M. le président Pierre Morange. Vous connaissez sans doute une liste de tribunaux qui vous posent problème…
M. le rapporteur. Il est possible que les disparités soient géographiques : certains dossiers peuvent perdre de leur relief là où les affaires sont très nombreuses… Les tribunaux ne sont-ils pas, comme vous-mêmes, un peu dépassés par l’ampleur du phénomène du travail illégal ?
M. Jean-Marie Guerra. Il y a une embolie à tous les niveaux du système judiciaire. Par voie de conséquence, un tribunal peut faire passer certaines thématiques ou certaines affaires avant d’autres.
M. le coprésident Pierre Morange. Permettez-moi donc cette question : où faut-il frauder en France ? Dans quels tribunaux la délinquance « en col blanc » est-elle le plus considérée comme secondaire, malgré le préjudice qu’elle porte à la collectivité ?
M. Jean-Marie Guerra. Nous n’avons pas encore les moyens d’établir une carte de cette nature.
M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous réaliser, à la demande de la MECSS, une étude des différences de traitement judiciaire des infractions constatées ? Ce travail présenterait une grande vertu pédagogique s’il figurait dans notre rapport.
M. Pierre Ricordeau. Nous pourrons porter à votre connaissance des exemples concrets.
Les sanctions pénales sont nécessaires dans les cas les plus graves, mais les sanctions financières sont également très importantes. L’instauration du redressement forfaitaire a notamment permis de combler une lacune dans les cas où l’on constate une situation de travail dissimulé sans pouvoir procéder à une évaluation, faute de données. Nous disposons aujourd’hui d’une palette assez complète de sanctions financières, auxquelles s’ajoute la possibilité d’annuler les exonérations de charges. Nous sommes donc en mesure d’apporter une réponse rapide, efficace et relativement uniforme sur l’ensemble du territoire – elle le sera d’autant plus que nous sommes en train de renforcer les outils de pilotage national et régional.
Certaines études ont, par ailleurs, établi que la réalisation d’un contrôle conduit à une augmentation des déclarations, que ce contrôle ait été suivi d’un redressement ou non. Notre action a donc des effets très clairs sur les comportements.
M. le rapporteur. Sans revenir sur le détail d’une affaire qui suscite actuellement une certaine passion médiatique, je rappelle que des syndicats sont allés devant justice parce que des compagnies aériennes ne respectaient pas la réglementation. La situation étant connue depuis longtemps, ne vous appartenait-il pas d’y remédier ?
S’agissant de la sous-traitance, qui pose le problème du paiement des cotisations et des distorsions de concurrence – notamment dans le bâtiment –, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) relève-t-elle le défi ?
M. Jean-Marie Guerra. Easyjet et Ryanair ont fait l’objet de redressements. Nous n’avons pas été entièrement suivis par le tribunal en ce qui concerne Easyjet, mais l’affaire est maintenant pendante devant les juridictions d’appel ; en ce qui concerne Ryanair, l’évaluation est en cours.
En matière de sous-traitance, nous nous efforçons de mettre en cause les donneurs d’ouvrage par le biais de la solidarité financière. Même s’il en résulte une augmentation considérable de la durée des opérations, et donc une baisse de rendement des contrôles, nous avons eu recours à cette solution dans un certain nombre de dossiers. La mise en cause systématique des donneurs d’ouvrages fait partie des préconisations de notre plan d’action de lutte contre le travail dissimulé.
La dimension communautaire est une difficulté supplémentaire. Quand l’immeuble du Monde a été construit, par exemple, chacun savait dans quelles conditions le chantier se déroulait, mais nous nous sommes trouvés assez désemparés pour traiter le problème.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Jean-Marie Guerra. Il y avait beaucoup de ressortissants étrangers, employés grâce à un montage juridique.
M. le rapporteur. Dans le secteur du bâtiment, il est arrivé que de grandes entreprises françaises perdent un appel d’offres face à des concurrents chinois dont les coûts étaient inférieurs de 30 % aux leurs. Cela explique le recours à une sous-traitance européenne sans paiement des cotisations. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ne peut-elle pas intervenir préventivement auprès des entreprises en leur indiquant qu’elle s’assurera du versement des cotisations ?
M. Pierre Ricordeau. De tels comportements peuvent faire l’objet de signalements et d’une intervention de notre part. Malgré les limites de notre action dans ce domaine, nous exerçons un contrôle très actif sur les détachements. Un contrôle en cours vise ainsi des sociétés d’intérim basées au Luxembourg qui ont manifestement contourné le dispositif relatif au détachement dans le cadre de travaux réalisés en France. L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) travaille sur ce dossier avec l’État, avec la caisse primaire d’assurance maladie et avec le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. Une fois prouvée l’existence d’un faux détachement, nous nous tournerons vers le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale et vers le Luxembourg pour demander qu’on mette un terme à ces opérations. Nous sommes très présents dans ce type de dossiers. Il reste que nous nous heurtons à un problème de moyens.
M. le rapporteur. De quels moyens humains auriez-vous besoin pour aller plus loin ? Et quelles modifications faudrait-il apporter à la législation en vigueur ? Si l’on en croit les estimations, il y a une différence considérable entre les contrôles que vous réalisez et le montant global de la fraude.
M. Pierre Ricordeau. Le taux de redressement est aujourd’hui considérable – nos contrôles en matière de travail illégal conduisent à une sanction financière dans 70 % des cas. On peut envisager d’aller au-delà, mais ce sera difficile…
M. le coprésident Pierre Morange. C’est surtout le taux de récupération des sommes qui nous intéresse.
M. Pierre Ricordeau. Le montant des redressements s’élève aujourd’hui à 130 millions d’euros, alors que le montant global des fraudes est estimé jusqu’à 12 milliards. On peut envisager d’améliorer encore l’efficacité de nos contrôles, comme je l’indiquais, mais elle est déjà grande. Pour aller plus loin, nous aurions besoin, avec nos partenaires, de plus de moyens.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous récupérez environ 1 % du montant estimé des fraudes. Quelles sont les marges de progression envisageables ? Où en est-on dans d’autres pays européens ? Existe-t-il des dispositifs plus efficients que le nôtre ?
M. Pierre Ricordeau. L’objectif qui nous a été fixé est d’atteindre, en 2013, 200 millions d’euros de redressements, ce qui représente un doublement du rendement financier de nos contrôles en matière de travail dissimulé. Ce sera évidemment encore peu par rapport aux estimations de la fraude.
Cela étant, les contrôles réalisés ont un effet dissuasif et pédagogique. Il importe de faire savoir que les contrôles existent, afin de faire évoluer les comportements. C’est pourquoi nous avons lancé, l’année dernière, une campagne de communication. Les enquêtes montrent qu’il existe une tolérance par rapport à la fraude, notamment le travail dissimulé, qui est parfois considéré comme acceptable dans certaines limites. Au-delà du rendement direct des contrôles, la multiplication des opérations engagées et notre effort de communication sur leur existence devraient avoir un impact important.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous prêchez des convaincus, mais vous nous avez indiqué que vous rencontrez les mêmes types d’acteurs, année après année.
Comme l’a indiqué notre rapporteur, il faut établir une distinction entre la fraude « artisanale », qui concerne surtout certains secteurs d’activité, notamment en période touristique, et une fraude que l’on pourrait qualifier d’« institutionnelle » : de dimension internationale, cette dernière recourt à des holdings et à des sociétés écrans pour éviter le versement des cotisations dues. Quelle est votre stratégie contre ces pratiques qui limitent la collecte de ressources pour le financement de notre système de protection sanitaire et sociale, et participent au développement d’un dumping fiscal et social pénalisant pour les entreprises françaises ?
M. Jean-Marie Guerra. On peut effectivement distinguer la fraude « artisanale » et la fraude « professionnelle ».
En ce qui concerne la fraude « artisanale », nous devons continuer à affirmer notre présence. Le rendement de nos contrôles est à peu près identique tous les ans. Je souligne que certaines évolutions législatives, au motif de simplification, viennent perturber le jeu économique. Ainsi, il est assez facile de se déclarer auto-entrepreneur pour bénéficier d’un régime fiscal spécifique, tout en continuant à exercer une autre activité en parallèle – on peut être auto-entrepreneur et salarié à temps plein d’une entreprise. Ce dispositif a, d’une certaine façon, contribué à « nettoyer le paysage »…
M. le rapporteur. En luttant contre le travail illégal ?
M. Jean-Marie Guerra. Oui. On constate cependant que 60 % des auto-entrepreneurs ne déclarent pas de revenu.
M. Benjamin Ferras, directeur de cabinet du directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Précisons qu’il n’existe d’obligation déclarative qu’en présence d’un chiffre d’affaires. Il y a un écart entre le nombre des auto-entrepreneurs inscrits et celui des auto-entrepreneurs qui déclarent un chiffre d’affaires.
M. le rapporteur. Quelle devrait être la périodicité de la déclaration du chiffre d’affaires ? Une fois tous les six mois ?
M. Pierre Ricordeau. Elle est au moins trimestrielle pour les autres entreprises. Même si l’on ne retient pas cette périodicité dans le cas des auto-entrepreneurs, une obligation de déclaration paraît nécessaire. Dans le droit commun, toute entreprise doit faire une déclaration, même pour un chiffre nul, ce qui permet ensuite de procéder à des vérifications. Elles sont beaucoup plus difficiles à réaliser pour les auto-entrepreneurs.
M. Jean-Marie Guerra. Nous nous heurtons à un autre problème, qui est le recours à un faux statut. Dans un certain nombre de cas, difficiles à repérer, l’auto-entrepreneur est en réalité un fournisseur exclusif de l’entreprise dont il était antérieurement salarié.
M. le rapporteur. Ou pas antérieurement… Que faites-vous face à ce genre de situation ?
M. Jean-Marie Guerra. Nous effectuons un redressement après avoir requalifié la situation juridique des intéressés – en leur appliquant le statut de salarié. Nous cherchons à croiser certaines informations – par exemple l’adresse de l’auto-entrepreneur et celle du salarié. Mais le statut d’auto-entrepreneur nous pose problème en raison de son faible encadrement, qui rend les contrôles très difficiles. Nous avons procédé à des contrôles aléatoires, mais ils sont très chronophages. Nous manquons de moyens pour contrôler les 500 000 auto-entrepreneurs qui se sont déclarés en France.
M. le rapporteur. Ne pouvez-vous pas directement contrôler les entreprises qui ont un chiffre d’affaires et pas de salariés ? Elles ont nécessairement recours à des sous-traitants, qui peuvent être des auto-entrepreneurs. Dans ce cas, la situation n’est-elle pas suffisamment claire ?
M. Jean-Marie Guerra. Le problème résulte avant tout du nombre considérable d’auto-entrepreneurs, et du fait que 60 % d’entre eux ne produisent aucune déclaration. Certains ne déclarent pas de revenu afin de se soustraire aux prélèvements. D’autres survalorisent, au contraire, leur chiffre d’affaires pour bénéficier de droits plus étendus.
M. Benjamin Ferras. Les contrôles exercés sur les entreprises peuvent conduire à la requalification juridique des contrats de travail, mais on peut s’interroger sur les moyens disponibles face aux différents types de fraude qui sont susceptibles d’être commis par une population aussi nombreuse et aussi récente – il faut du temps pour adapter les modalités du contrôle.
S’agissant de la performance de notre activité de contrôle, je rappelle que notre compétence a été étendue à des champs nouveaux, notamment l’assurance chômage et certains régimes de sécurité sociale. La panoplie des outils juridiques à la disposition des corps de contrôle a également été renforcée. Ce sont des évolutions importantes, même si la formation du personnel de contrôle prend du temps : il faut faire évoluer la culture et les pratiques.
Le développement des partenariats est un autre levier d’action, en particulier dans le cadre des fraudes transnationales. Dans ce domaine, il appartient aux pouvoirs publics de favoriser une véritable coopération entre les administrations, laquelle relève du cadre européen, et surtout de conventions bilatérales. Le cadre partenarial permet une meilleure communication et une meilleure identification des moyens susceptibles d’améliorer notre boîte à outils.
M. le coprésident Pierre Morange. On peut avoir quelques doutes à l’égard des stratégies reposant sur le développement de conventions internationales tendant à mettre en cohérence les dispositifs fiscaux et sociaux. Dans un contexte de compétition économique acharnée, il est en effet peu probable que les pays émergents adoptent notre système de protection sanitaire et sociale.
Disposez-vous d’un mécanisme de veille permettant de déceler les mécanismes tendant à échapper au paiement des cotisations sociales ? Vous avez souligné les progrès qui ont été réalisés en matière de contrôle et d’échange d’informations. Peut-on encore améliorer les outils disponibles ?
M. Jean-Marie Guerra. Pour lutter contre les professionnels de la fraude, il faut adopter une démarche pragmatique. Nous devons travailler avec les autres acteurs, notamment la direction générale des finances publiques, en veillant à mettre en commun les informations disponibles. C’est pourquoi nous avons récemment lancé un travail conjoint avec la direction des résidents à l’étranger et des services généraux de la direction générale des finances publiques, avec la délégation nationale à la lutte contre les fraudes et avec le centre national des firmes étrangères. Le but est d’élaborer en commun des « fiches de travail » : nous nous sommes rendu compte que nos missions étaient mal comprises et nos pouvoirs mal utilisés ; une marge de progrès notable nous paraît possible. Il vaut mieux commencer par mutualiser les pratiques afin d’agir là où il faut et au bon moment. Le travail est engagé, et nous allons former les personnels afin de bien appréhender les cultures, les pratiques et les procédures de chacun. Ces dernières sont parfois très encadrées, notamment en matière fiscale, et il faut faire attention à ce que le travail réalisé en commun ne les fasse pas tomber.
Dans un second temps, on peut envisager de développer des coopérations internationales sous la forme de conventions bilatérales ou dans d’autres cadres, tels que le programme ICENUW lancé par la Belgique, la France, l’Espagne et l’Italie. Pour le compte de la France, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a été sollicitée en vue d’élaborer des standards communs à tous les États membres de l’Union ; les travaux lancés par l’Espagne consistent à créer une sorte de « Facebook » des amis de la lutte contre le travail non déclaré, dans le but d’instaurer une plus grande proximité entre les acteurs, et ainsi de favoriser les contacts et de réduire les temps de réaction ; un autre programme, développé par la Belgique, vise à constituer une base juridique commune aux États membres.
M. le coprésident Pierre Morange. La constitution de cette sorte de « Facebook » n’est-elle pas l’aveu que les acteurs chargés de lutter, au niveau européen, contre la fraude en particulier et le crime en général n’exercent pas leurs missions ?
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le système belge ? Diverses informations de nature sociale ont été regroupées sur une même carte, ce qui pourrait sembler difficile à défendre, dans notre pays, vis-à-vis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
M. Jean-Marie Guerra. Je ne peux pas vous apporter de réponse dans l’immédiat.
M. le coprésident Pierre Morange. Si nous ne luttons pas contre les dérives, le processus de délocalisation va se poursuivre. Quel est le calendrier de la démarche engagée ?
M. Jean-Marie Guerra. Il faut d’abord signer une convention, ce qui permet de clarifier divers éléments. Pour l’année 2010, notre objectif est de former les opérateurs de terrain, afin de pouvoir dès l’année prochaine commencer à travailler sur la fraude transnationale en collaboration systématique avec la direction générale des finances publiques. Les référents régionaux que nous avons installés serviront de correspondants vis-à-vis de l’administration fiscale sur l’ensemble du territoire – les régions frontalières sont plus concernées que d’autres, mais on ne saurait se limiter à elles. La lutte contre la fraude transnationale fait partie des priorités définies dans le cadre de nos orientations pour 2010-2011, avec la fraude électronique.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous serons très attentifs aux recommandations et aux préconisations de nature opérationnelle que vous pourriez porter à notre connaissance afin d’améliorer l’efficience de vos services, qu’il s’agisse de dispositions législatives ou de dispositions réglementaires dans les différents domaines que nous avons évoqués – statut de l’auto-entrepreneur, fraude « artisanale », fraude systémique dans le cadre du dumping fiscal et social.
M. Pierre Ricordeau. Nous pourrons vous adresser des préconisations, mais il me semble que les besoins ne se situent pas principalement sur le plan juridique, sauf peut-être au niveau européen ou international. Ils concernent plutôt la méthode et l’organisation du travail.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez tout de même évoqué une fragilité juridique liée au statut de l’auto-entrepreneur. Vous avez, en particulier, appelé de vos vœux une obligation de déclaration annuelle. Le statut de l’auto-entrepreneur est un vrai succès, mais force est de constater qu’il fait l’objet de stratégies de détournement et de contournement. De simples adaptations du cadre réglementaire pourraient peut-être suffire.
M. Pierre Ricordeau. Je pense qu’il faudra passer par la loi. Nous avions demandé une obligation de déclaration, mais cette question n’a pas été traitée à l’époque, car la priorité n’était pas là. De façon générale, nous n’avons pas besoin de nouveaux outils juridiques pour exercer notre activité répressive. Le message que nous souhaitons vous adresser est qu’on facilite souvent la fraude et les mécanismes d’optimisation soit en complexifiant la législation, par exemple par l’instauration d’exonérations de charges, soit au contraire en la simplifiant à l’excès.
M. le coprésident Pierre Morange. Eu égard au calendrier d’examen des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, nous aurions besoin de connaître vos éventuelles recommandations dans les plus brefs délais.
Merci d’avoir répondu à nos questions.
*
AUDITIONS DU 21 OCTOBRE 2010
Audition de M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Christian Castella, directeur du réseau, M. Daniel Buchet, responsable du département « maîtrise des risques et lutte contre la fraude », Mme Michèle Balestra, responsable du répertoire national des bénéficiaires (RNB), et Mme Patricia Chantin, responsable des relations avec le Parlement.
M. Hervé Drouet, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). J’articulerai mon propos autour de quatre points : ce que recouvre exactement le phénomène de la fraude, tant il est vrai que l’on ne lutte bien que contre ce que l’on connaît bien ; les résultats des politiques de contrôle menées par la Caisse nationale des allocations familiales ; la sanction des actes frauduleux, dans la mesure où le sentiment d’impunité pourrait entraîner une moindre adhésion de nos concitoyens à un système précisément fondé sur la justice sociale ; les perspectives de la lutte contre les fraudes, identifiée comme une priorité dans la convention d’objectifs et de gestion.
Pour évaluer le phénomène de la fraude aux prestations familiales, il faut évidemment commencer par définir précisément ce dont on parle. Or les frontières entre la fraude, l’abus, l’erreur et l’omission, également susceptibles de générer des indus, sont parfois floues. Selon les critères que nous avons retenus, la qualification de fraude repose d’une part sur l’établissement de faits matériels, d’autre part sur celui du caractère intentionnel.
Les critères matériels que nous retenons pour conclure à une suspicion de fraude sont : une inexactitude sur une information insusceptible d’erreur, telle que le mariage ou l’activité professionnelle ; les répétitions d’erreurs sur une même information susceptible d’erreur ; une omission de déclaration remontant à plus de six mois ; la production de documents falsifiés – fait matériel qui prouve quasiment par lui-même l’intention frauduleuse.
Il faut ensuite, pour savoir s’il y a fraude, examiner les critères déterminant l’intention. Ainsi, selon le niveau d’information dont disposait l’allocataire, on conclura plutôt à une omission ou une erreur de bonne foi ou, au contraire, au caractère intentionnel. Certains éléments matériels suffisent à prouver l’intention, que ce soit l’établissement de faux ou les opérations en série supposant une connaissance très précise de la réglementation, telles que les montages auxquels nous avons été confrontés à Bordeaux et à Perpignan.
Une fois la fraude précisément définie, il faut en cerner l’ampleur potentielle. Une simple extrapolation des fraudes détectées comporterait trop de biais car les contrôles ayant permis de découvrir ces fraudes sont déjà ciblés. Nous avons donc lancé en 2009 – nous sommes la première branche prestataire à le faire – une enquête statistique consistant à effectuer des vérifications systématiques, conduites par des agents de contrôle assermentés, auprès de 10 500 allocataires choisis de façon aléatoire sur l’ensemble du territoire, afin d’en tirer des résultats extrapolables. Par cette méthode, nous sommes arrivés à la conclusion que la masse des indus était comprise entre 1,66 milliard et 1,96 milliard d’euros. Ce résultat correspond – et c’est assez remarquable – au montant des indus effectivement détectés, qui est de l’ordre de 2 milliards d’euros. La part des indus liés à des fraudes est estimée à un montant compris entre 540 et 808 millions d’euros, soit entre 0,91 % et 1,36 % du montant total des prestations versées en 2009. La proportion d’allocataires auteurs d’une fraude est estimée à 2,15 %, ce qui représente environ 200 000 personnes.
Les indus, qu’ils soient frauduleux ou non, sont majoritairement recouvrés – à hauteur de 88 % sur trois ans ; par ailleurs, je viens d’indiquer que selon les résultats de l’enquête, les indus détectés et les indus potentiels coïncident. Si tous les indus frauduleux avaient été reconnus et qualifiés comme tels, ils n’auraient, en conséquence, pas fait l’objet de remises de dette – lesquelles s’appliquent à 11 % des indus. Le montant estimé des fraudes étant, je l’ai dit, compris entre 540 et 808 millions d’euros, on peut donc estimer le préjudice de la branche à 11 % de cette somme, soit 65 à 97 millions.
Les prestations faisant l’objet du plus grand nombre de fraudes sont le revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), soit l’ancienne allocation de parent isolé (API), avec un taux de fraude de 3,1 %, et le revenu de solidarité active (RSA), avec un taux de 3,6 %. Les types de fraude les plus fréquents sont l’omission frauduleuse (31 % des cas) et la fausse déclaration (23 % des cas). On enregistre peu de cas d’escroquerie ou de faux et usage de faux.
Cette étude, qui est une première dans la sphère sociale, comme l’a rappelé la Cour des comptes, est riche d’enseignements. On constate tout d’abord que, s’il y a des indus, ainsi que, en sens inverse, des rappels – la caisse n’ayant pas versé ce qui était dû –, plus de 96 % des sommes versées par la branche Famille l’ont été à bon droit. En second lieu, cette étude permet de cerner le risque potentiel de fraude. Nous rééditerons l’exercice dans les mois qui viennent afin de suivre, d’une année sur l’autre, l’efficacité de notre politique de contrôle et l’évolution des comportements des allocataires.
Deuxième point de mon propos : les résultats des politiques de contrôle menées par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Les cas de fraude constatés en 2009 sont au nombre de 11 733 et constituent un préjudice financier de 85,6 millions d’euros. Cela représente un huitième, voire un dixième seulement du montant de la fraude potentielle (estimé entre 540 et 808 millions d’euros). Il paraît donc prioritaire d’améliorer l’identification et la qualification de la fraude dans l’analyse des indus. C’est la raison pour laquelle nous avons aussi lancé une enquête sur ce sujet – origine des indus, profil des débiteurs.
Parallèlement à l’augmentation constante du nombre de cas depuis 2004, l’enquête révèle un tassement en termes de montants. Le préjudice moyen est passé de 8 500 euros en 2008 à 7 300 euros en 2009, du fait d’une détection plus précoce des fraudes.
La typologie des fraudes constatées coïncide avec celle des fraudes potentielles, ce qui montre que nos contrôles sont bien ciblés. Les prestations les plus fraudées sont aussi celles qui le sont potentiellement le plus : il s’agit du revenu minimum d’insertion ou revenu de solidarité active et de l’allocation de parent isolé ou revenu de solidarité active majoré, pour 50 % des cas et 70 % du montant, et des aides au logement, pour 26,5 % des cas et 20,5 % du montant. La prépondérance du revenu minimum d’insertion et du revenu de solidarité active s’explique par le fait qu’il s’agit de la prestation dont le montant est le plus élevé.
62 millions d’opérations de contrôle ont été menées en 2009. 20 millions d’entre elles étaient issues d’un échange de données, notamment avec la direction générale des finances publiques et Pôle emploi, au titre des ressources. 42 millions d’opérations ont été réalisées par vérification comptable et grâce à des contrôles sur place et sur pièces.
3,6 millions d’informations ont été vérifiées sur place, lors de 280 000 contrôles menés par 605 agents assermentés. Ces contrôles sur place, les plus « rentables » en termes de détection de situations frauduleuses, sont indispensables pour établir certaines catégories de fraudes, notamment la fraude à l’isolement. La branche procède au recrutement de contrôleurs (24 agents supplémentaires l’année dernière), les caisses étant invitées à se rapprocher d’un ratio moyen d’un contrôleur pour 26 000 allocataires et d’un taux de 400 à 500 contrôles, selon les situations géographiques et sociologiques, par an et par contrôleur.
La constitution, à partir de 2008, du répertoire national des bénéficiaires a constitué un progrès majeur. Ce fichier unique recense les allocataires et ayants droit des caisses d’allocations familiales, tous identifiés grâce à leur numéro géré par l’Institut national de la statistique et des études économiques, le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques. Chaque inscription donne lieu à une procédure très rigoureuse de certification du numéro d’inscription au répertoire avec vérification de l’état civil des personnes et de la stricte coïncidence entre les informations de la caisse d’allocations familiales et les données du système national de gestion des identités (SNGI) – service central qui gère les numéros d’inscription au répertoire pour le compte de l’ensemble des institutions. Un très gros travail de rapprochement des noms patronymiques, des prénoms, des dates et des lieux de naissance a donc été mené – non sans difficultés parfois pour les personnes nées à l’étranger. Le répertoire national des bénéficiaires permet aujourd’hui de procéder systématiquement et en temps réel à des requêtes de multi-affiliation – pour vérifier qu’il n’y a pas affiliation dans plusieurs caisses d’allocations familiales sur le territoire, fraude à laquelle nous avions été confrontés dans le passé, notamment pour le revenu minimum d’insertion. Il s’agrégera prochainement aux répertoires des autres branches et organismes sociaux pour constituer le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).
J’en viens, troisièmement, aux sanctions.
Au-delà de la récupération des indus liés à la fraude – qui d’ailleurs, du fait de l’importance des montants, est parfois étalée sur plusieurs exercices –, il convient en effet de prendre des sanctions, avant tout dans un souci de justice et d’exemplarité.
Sur les 11 733 cas de fraude détectés en 2009, 9 410 – soit 80 % – ont fait l’objet de sanctions. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un dépôt de plainte, d’une suspension des aides au logement ou d’une pénalité financière, prononcée directement par la caisse d’allocations familiales concernée depuis 2007. En 2009, 1 869 pénalités ont été prononcées, pour un montant total de 1,1 million d’euros et un montant moyen de 589 euros. Cet outil précieux a vu son régime modifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, dans le sens d’une plus grande efficacité.
Enfin, concernant les perspectives, outre la montée en charge du répertoire national commun de la protection sociale, les données relatives à l’identité ont été agrégées cet été, celles relatives aux prestations le seront au premier semestre de l’année prochaine –, la branche Famille vise quatre objectifs : poursuivre le travail d’évaluation de la fraude, afin de mieux cerner les moyens à mettre en œuvre ; améliorer l’efficience des contrôles par un meilleur ciblage, grâce notamment au « data mining » – technique d’analyse multicritères pour le profilage des dossiers à risque, actuellement expérimentée dans 17 organismes et qui devrait être généralisée début 2011 ; créer une base d’informations nationale sur la fraude, également début 2011, après autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ; poursuivre les croisements de fichiers, et notamment, en matière de logement, avec le fichier cadastral de la direction générale des finances publiques afin de repérer les logements fictifs donnant lieu à allocation de logement – une expérimentation est en cours dans deux départements, en vue d’une généralisation.
M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous préciser le calendrier de cette expérimentation et de sa généralisation ? Et pourriez-vous également nous fournir une estimation des économies dégagées grâce à la montée en charge du répertoire national commun de la protection sociale, et de celles qui pourraient en résulter lorsqu’il sera pleinement opérationnel ?
M. Hervé Drouet. S’agissant du croisement avec le fichier cadastral de la direction générale des finances publiques, M. Daniel Buchet vous fournira de plus amples renseignements sur l’expérimentation menée actuellement en Maine-et-Loire et dans la Seine-Saint-Denis.
En ce qui concerne les répertoires, le répertoire national des bénéficiaires de la branche Famille permet déjà une centralisation des contrôles d’identité. Dès l’année prochaine, une fonctionnalité de notre logiciel de traitement des prestations, Cristal, rendra sa consultation automatique. Les croisements de masses ont généré 165 000 opérations de contrôle, pour un rendement financier que je vous repréciserai – environ 20 millions d’euros, me semble-t-il.
M. le coprésident Pierre Morange. Le répertoire national commun de la protection sociale comportera-t-il des données relatives au montant des prestations perçues ?
M. Hervé Drouet. Le lot I du répertoire national commun de la protection sociale, chargé cet été, porte sur l’identité des personnes et permet de savoir à quel régime celles-ci sont affiliées. Le lot II, qui sera mis en œuvre au printemps prochain, précisera la nature des prestations perçues, mais non leur montant. Le schéma de montée en charge découle de l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, laquelle, à ma connaissance, ne concerne que les identités, les affiliations et la nature des prestations.
M. le coprésident Pierre Morange. Je ne suis pas convaincu que la Commission nationale de l’informatique et des libertés ait ainsi restreint les croisements et interdit l’échange d’informations portant sur les montants des prestations. J’ai plutôt le sentiment que les freins viennent de l’administration, au motif de difficultés techniques qui, au cas où elles existeraient, devraient pouvoir être progressivement surmontées, comme elles l’ont été au cours des trois dernières années – puisqu’il a fallu trois ans pour arriver où nous en sommes.
M. Hervé Drouet. Il a fallu trois ans pour publier le décret d’application.
M. le coprésident Pierre Morange. Pour avoir fait voter cette disposition fin 2006, je peux témoigner que les administrations ont mis trois ans pour s’accorder et rendre opérationnel ce répertoire.
M. Hervé Drouet. J’imagine que vous poserez cette même question au directeur de la sécurité sociale.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous pouvez me faire confiance.
M. Hervé Drouet. L’inscription des montants des prestations dans le répertoire national commun de la protection sociale va, si j’ai bien compris, être mis à l’étude. Mais la consultation du répertoire permet déjà de révéler qu’une personne reçoit des prestations incompatibles ; dans ce cas, un échange bilatéral avec l’autre organisme prestataire s’ensuit pour obtenir les informations relatives au montant. Il faut bien distinguer l’échange de masse de fichiers et la consultation d’un répertoire permettant, par requête individuelle, d’obtenir des informations sur des cas précis.
S’agissant des ressources, les croisements de masses se font de manière essentiellement bilatérale avec la direction générale des finances publiques et Pôle emploi. Si les déclarations de ressources que nous font les personnes ne correspondent pas aux informations recueillies auprès de ces organismes, un signalement d’incohérence est déclenché, puis des contrôles sont diligentés.
La déclaration sociale nominative (DSN), qui sera très compliquée à mettre en œuvre, est une perspective lointaine mais prometteuse. Il s’agirait de transformer la déclaration salariale aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), qui porte aujourd’hui sur la totalité de la masse salariale de l’entreprise, en déclaration nominative des salaires. Nous collecterions alors à la source non plus seulement, comme aujourd’hui, les ressources déclarées à l’administration fiscale, mais aussi les revenus salariaux.
M. Dominique Tian, rapporteur. Dans son rapport d’avril 2010, la Cour des comptes note que le montant des fraudes détectées par la branche Famille a été multiplié par quatre en trois ans – ce qui est plutôt une preuve d’efficacité –, mais que celui-ci paraît encore assez faible au regard de sa propre estimation des fraudes potentielles – un montant huit fois supérieur… La Cour semble donc beaucoup moins optimiste que vous, et nous sommes un peu interloqués devant vos statistiques.
Par ailleurs, la cour réserve ses critiques les plus vives au contrôle interne de la branche Famille, qu’elle juge inadapté. Celui-ci se fonderait sur une analyse des risques insuffisante, voire inappropriée.
M. Hervé Drouet. La Cour des comptes s’est fondée sur nos statistiques. Je ne crois pas avoir masqué dans mon propos liminaire qu’il existait une disproportion entre la fraude potentielle – dont le montant est estimé entre 540 et 808 millions d’euros – et le préjudice financier causé par la fraude détectée – de l’ordre de 80 millions d’euros. Le rapport est effectivement de 1 à 8 ou de 1 à 10, selon le montant retenu.
Je me permets de souligner le fait que l’évaluation des indus potentiels correspond au montant des indus que nous détectons effectivement, soit 2 milliards d’euros environ. Si nous avons des progrès à faire, c’est dans la qualification des indus frauduleux : aujourd’hui, la mauvaise qualification conduit à ce que 11 % des indus frauduleux fassent l’objet d’une remise de dette ou d’un abandon de créance, soit un préjudice financier direct de l’ordre de 100 millions d’euros.
M. le coprésident Pierre Morange. Le taux de recouvrement que vous avez annoncé pour les caisses d’allocations familiales – 88 % – paraît exceptionnel si on le compare à celui d’autres organismes, telles les unions pour le recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales. Nous sommes admiratifs ! Pouvez-vous confirmer ce pourcentage et nous indiquer sur quels éléments vous l’appuyez ? S’agit-il d’une extrapolation sur la base de cohortes ?
M. Daniel Buchet, responsable du département « maîtrise des risques et lutte contre la fraude » de la Caisse nationale des allocations familiales. Ces chiffres sont vérifiés. Chaque année, le taux de remise de dette – légale en cas de précarité de situation des personnes débitrices –, c’est-à-dire d’abandon de créances, est d’environ 11 %, auquel il convient d’ajouter le taux d’admission en non-valeur, autrement dit de perte de créances due à l’insolvabilité, à la disparition ou au décès du débiteur, soit 0,5 % environ.
Le taux de recouvrement élevé s’explique sans doute par le fait que nous récupérons la grande majorité des indus sur les prestations versées, par système de compensation. La fongibilité, qui permet depuis peu de recouvrer les indus sur l’ensemble des prestations versées, contribuera à améliorer encore ce taux.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Je constate que seulement 9 % des fraudes constatées portent sur les prestations familiales. Pensez-vous que si ces prestations étaient autant contrôlées que le revenu minimum d’insertion ou le revenu de solidarité active, les aides au logement, cette part augmenterait ?
Par ailleurs, quelle est la part des indus relevant d’erreurs ou d’omissions non intentionnelles et quelle est celle des indus dont l’origine est une erreur de la caisse d’allocations familiales ?
M. Hervé Drouet. Dans le rapport établi à votre demande, la Cour des comptes prolonge la critique qu’elle faisait régulièrement de notre contrôle interne dans ses rapports consacrés à la certification des comptes.
Il est certain que nous avions du retard en la matière. Aussi avons-nous engagé une refonte de notre politique de maîtrise des risques, associée à la refonte de l’ensemble de nos processus de production, en internalisant le plus en amont possible les dispositifs de contrôle. Les contrôles intervenant a posteriori laissent trop d’indus se créer, ce qui est coûteux tant en termes financiers – risque financier et coût du recouvrement – qu’en termes d’efficience et de qualité – dégradation de la relation de service. Nous nous attachons aujourd’hui à viser une exactitude du droit immédiate.
Je ne suis pas certain que notre taux de recouvrement des indus excède si largement celui des autres organismes prestataires, mais il est vrai que la récupération des indus, qui s’étale sur plusieurs exercices, est encore plus facile grâce au dispositif de fongibilité des prestations qui permet de récupérer les indus sur les prestations versées ensuite.
Madame Marie-Françoise Clergeau, l’étude que nous avons conduite montre que le risque de fraude sur les prestations familiales est modéré, ce que nous constatons aussi dans les faits puisque peu de cas sont détectés. Cela s’explique sans doute par le fait que les critères retenus pour l’attribution des prestations familiales sous condition de ressources sont assez larges.
M. le coprésident Pierre Morange. D’où la nécessité de disposer d’informations sur les montants… Pardonnez ma ténacité, mais je crois impératif d’avoir une vision globale de l’ensemble des prestations perçues par une personne.
M. le rapporteur. En ce qui concerne la politique de communication de la branche Famille, la Cour des comptes écrit dans son rapport que les messages que vous émettez, aussi bien au niveau local qu’au niveau national, paraissent très réducteurs par rapport à la réalité et aux enjeux de la fraude. Elle note que les caisses d’allocations familiales évitent d’afficher les sanctions prononcées et, surtout, que la Caisse nationale des allocations familiales cherche à minimiser les enjeux, en soulignant l’importance des contrôles internes mais aussi la faiblesse des fraudes supposées. Il y a deux ans, monsieur le directeur, une « lettre des allocations familiales » indiquait que les citoyens ne voulaient pas être fichés, qu’un fichier national unique ne permettrait pas de lutter efficacement contre certaines fraudes et que la malhonnêteté de quelques-uns ne devait pas faire peser sur la majorité un a priori négatif. La stratégie de la Caisse nationale des allocations familiales est-elle encore de minimiser la réalité de la fraude et de contester ce qui peut être fait pour la réduire ?
Par ailleurs, la cour constate que la gestion et les résultats sont très différents selon les caisses, ce qui peut révéler un problème de pilotage.
M. Hervé Drouet. La Cour des comptes s’est appuyée pour son rapport sur des éléments assez anciens. Comme Mme Rolande Ruellan l’a elle-même souligné devant vous, la situation a beaucoup évolué. Si la culture de la branche Famille a pu conduire à un discours de minoration des enjeux liés à la fraude, désormais la priorité donnée à la lutte contre la fraude est clairement affirmée et assumée, dans la communication interne comme dans la communication externe.
Nous lancerons prochainement une campagne grand public sur ce thème. Parallèlement, une circulaire va demander aux caisses d’allocations familiales de procéder plus systématiquement à l’affichage des condamnations, ce qu’elles font d’ailleurs de plus en plus.
Nous cherchons aussi à réduire les différences de pratiques entre caisses d’allocations familiales en impulsant des priorités nationales : les objectifs de contrôle sont déclinés dans chaque contrat pluriannuel d’objectifs et de gestion et entrent en compte dans l’appréciation de la performance de l’organisme, y compris au titre de l’intéressement des personnels. Nous faisons également en sorte que le ratio entre le nombre de contrôleurs et le nombre d’allocataires soit plus homogène.
La Cour des comptes fait sans doute référence dans son rapport à une période antérieure à la création du répertoire national des bénéficiaires car celui-ci a fait l’objet d’une réelle communication. Sa constitution, commencée en 2008, a été une opération massive, nécessitant un investissement très fort de l’ensemble de la branche ; elle a entraîné des charges de travail supplémentaires, à un moment où le réseau était sous tension, et témoigne de la prise de conscience de l’importance des enjeux.
M. le coprésident Pierre Morange. Ce discours, dont nous vous donnons acte, est relativement récent. Je me souviens d’une grande réunion à Bercy sur les comptes de la sécurité sociale, où certains propos m’avaient laissé perplexe…
Mme Bérengère Poletti. Nos concitoyens ont l’impression que les indus sont systématiquement recouvrés sur leurs prestations à la suite d’un changement, même minime, de leur situation, alors que les véritables fraudeurs restent inconnus ou mal identifiés. Cela crée un fort sentiment d’injustice. Comment comptez-vous utiliser le fichier national ?
M. Christian Castella, directeur du réseau. L’objectif que nous nous sommes fixé supposait de bien connaître le profil des fraudeurs et le montant de la fraude potentielle sur l’ensemble du réseau. C’est pourquoi il était si important de mener une étude statistique sur le sujet ; nous la reconduirons cette année. Nous savons aujourd’hui que nous ne parvenons à détecter que 10 % de la fraude, mais nous progresserons grâce aux typologies d’allocataires qui ressortent de l’étude.
Nous ne devons pas être dans l’incantation, mais approcher le sujet de manière rationnelle. Nos plans de lutte sont fondés sur le ciblage de populations et sur l’analyse de nos pratiques – nous nous efforçons de repérer ce qui est susceptible de générer un risque de fraude.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Les indus sur les minima sociaux ne trouvent-ils pas leur origine dans l’enchaînement des interruptions et des reprises d’activité ? Les blocages ou les délais très longs qui caractérisent le traitement des dossiers à Pôle emploi ou dans les caisses d’allocations familiales, lors de la montée en charge du revenu de solidarité active, n’expliquent-ils pas également ces indus ? Dans quelle mesure y a-t-il fraude véritable ?
Vous nous avez permis de réviser certaines idées reçues. J’ai par ailleurs noté avec satisfaction que les fraudes aux prestations familiales étaient peu nombreuses.
M. Hervé Drouet. Nous devons viser à la fois la simplification et la sécurisation des procédures administratives. Il nous faut pour cela recueillir le plus de données possible à la source – direction générale des finances publiques, Pôle emploi ou bailleurs sociaux – ce qui rend la falsification impossible et facilite le travail des agents.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans ce domaine, avez-vous des recommandations ou des demandes particulières à faire sur le plan réglementaire, voire sur le plan législatif ?
M. Hervé Drouet. Le système déclaratif crée le risque de fraude. Les télé-procédures, dans la mesure où les données sont recueillies directement à la source, constituent un élément de sécurisation en même temps qu’elles représentent une simplification pour l’usager. Cette sécurisation en début de chaîne, pour minorer les risques de fausse déclaration, constitue le premier pan de notre action. D’autre part, il nous faut renforcer les contrôles en bout de chaîne, en les ciblant mieux grâce à la technique du « data mining », c’est-à-dire du profilage des dossiers à risques.
M. Daniel Buchet. Le revenu de solidarité active est une prestation génératrice de risques, dans la mesure où on l’adapte à la situation des personnes. Le moindre retard dans la déclaration des interruptions et des reprises d’activité peut générer des versements excessifs ou insuffisants. Les régularisations sont donc très importantes. Le taux de fraude doit être mis en regard du taux d’indus – environ 10 % ; son niveau est la rançon d’une prestation appelée à évoluer fréquemment.
M. le rapporteur. Que les caisses d’allocations familiales ne cherchent jamais à reconstituer le parcours personnel des allocataires du revenu de solidarité active majoré, anciennement allocation de parent isolé, m’a toujours étonné. Si une dame a déclaré plusieurs enfants, pourquoi ne pas demander la recherche du père pour faire jouer l’obligation alimentaire ?
L’expérimentation du « data mining » a été notamment mise en œuvre à la caisse d’allocations familiales de Bordeaux où, semble-t-il, des fraudes massives ont été découvertes. Qu’en est-il exactement ?
Vous avez par ailleurs évoqué tout à l’heure l’existence de populations à risque. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. le coprésident Pierre Morange. Et pourriez-vous donner une définition précise du « data mining » ?
M. Daniel Buchet. Cette technique d’analyse des données consiste à repérer les informations – portant sur la situation familiale, la situation professionnelle, l’adresse, les ressources, le nombre d’enfants à charge – communes à un certain nombre de dossiers. L’ensemble de ces caractéristiques constitue un modèle. Le « scoring » permet ensuite d’évaluer le degré de similitude entre les dossiers de nos allocataires et le modèle.
Le « data mining » a été expérimenté entre 2004 et 2006 dans cinq organismes, dont la caisse d’allocations familiales de Bordeaux. Dans cette ville, 300 contrôles ont été réalisés sur la base d’un modèle global. Les taux de régularisation sont passés de 30 % à 40 %. Nous sommes en train de tester dans dix-sept organismes des modèles plus perfectionnés, mais fondés sur l’observation des indus et non sur celle des indus frauduleux.
Il y a un an, toujours à Bordeaux, des fraudes aux aides au logement ont été détectées par d’autres techniques. Nous avons réussi à remonter la piste de personnes qui avaient déposé une multitude de dossiers dans plusieurs organismes, y compris en région parisienne, après nous être rendu compte que l’une d’entre elles, dont le numéro d’inscription au répertoire n’était pas certifié, avait produit un faux acte de naissance.
M. le rapporteur. Y a-t-il d’autres exemples de fraudes en bande organisée ?
M. Daniel Buchet. L’année dernière à Perpignan, nous avons détecté une fraude assez comparable : les membres d’une même famille constituaient, semble-t-il – l’affaire n’est pas encore jugée – de faux dossiers pour des logements fictifs, situés en zone commerciale ou artisanale, et percevaient les aides au logement.
M. le coprésident Pierre Morange. Ces exemples démontrent la pertinence du répertoire national commun de la protection sociale et de l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire. Quelles conclusions tirez-vous des expérimentations ? J’imagine que les données sont pour le moment fragmentaires.
M. Daniel Buchet. En ce qui concerne l’expérimentation de la détection de logements fictifs, nous en sommes à la phase des contrôles. Ils ont débuté à Rosny-sous-Bois il y a environ trois semaines. Ils sont effectués par téléphone, puis, si besoin, sur place. Nous ne disposerons de résultats qu’à la fin du mois de novembre.
M. le coprésident Pierre Morange. Comme vous pouvez l’imaginer, nous aimerions que vous nous en fassiez part.
M. le rapporteur. Les contrôleurs des caisses d’allocations familiales, eux-mêmes, nous disent nourrir de forts soupçons quant à la réalité de certains isolements, sans pour autant que cela déclenche une recherche sur la situation familiale des allocataires. Mais j’imagine que désormais, il n’est plus possible pour un père de déclarer plus de cent naissances dans vingt départements différents !
M. Hervé Drouet. Le contrôle de la situation concrète d’isolement est effectivement complexe. Nos contrôleurs se heurtent à divers obstacles pour établir la matérialité des faits et pour les qualifier juridiquement. Les affaires de reconnaissances multiples de paternité frauduleuses ou, à l’inverse, de polygamie de fait sans reconnaissances de paternité constituent des imbroglios dans la mesure où il n’y a pas de qualification juridique au regard du droit aux prestations.
L’ouverture du droit est en effet conditionnée à l’isolement, cumulativement physique et économique. Il faut donc prouver que la personne ne vit pas seule, contrairement à ce qu’elle a déclaré, et qu’une partie de ses ressources provient de son concubin ou conjoint. Ce sont des situations qu’il est difficile de caractériser dans les faits, comme dans le droit.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelles dispositions la branche Famille entend-elle prendre ?
M. le rapporteur. Quid de l’obligation alimentaire, prévue par le code civil, puisque la loi permet la recherche d’une personne pour abandon de famille ?
M. Hervé Drouet. Nous la faisons jouer pour autant que nous ayons connaissance du père putatif ou qu’il y ait reconnaissance de paternité. C’est là toute la difficulté.
En ce qui concerne les reconnaissances multiples de paternité frauduleuses, les caisses d’allocations familiales sont en bout de chaîne ; la fraude originelle – sur la déclaration de naissance – est moins motivée par l’accès aux prestations que par l’obtention de titres de séjour. Ces fraudes doivent être combattues à la source, au moment de l’établissement de l’acte de naissance. Il est très difficile pour les caisses d’allocations familiales de les repérer et de les combattre.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est d’ailleurs une recommandation formulée par la Cour des comptes. Il semble qu’avec le ministère de l’intérieur, l’échange d’informations sur la délivrance des titres de séjours ne se fasse pas.
M. le rapporteur. Ceux d’entre nous qui sont maires constatent les tentatives de vol, voire les vols de documents d’état civil. Cela tend à prouver l’existence de filières, qui chercheront ensuite à frauder les caisses d’allocations familiales.
M. Hervé Drouet. L’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) a justement indiqué que l’acte de naissance était l’acte officiel le plus aisément falsifiable. Nous pouvons faire des progrès dans ce domaine, notamment en collectant le document directement à la source. Un projet est d’ailleurs en cours.
Plus que de « populations à risque », nous parlons de profils d’allocataires à risque, en lien avec le « data mining » : cette technique de « fouille de données » permet, après avoir dégagé et pondéré les caractéristiques principales des dossiers reconnus comme risqués ou frauduleux, de « profiler » nos dossiers et de cibler les contrôles sur ceux qui correspondent le plus au modèle.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous sommes rassurés de constater que la très grande majorité des allocataires sont honnêtes...
M. le coprésident Pierre Morange. C’est bien le but de la MECSS que de parvenir à une connaissance fine de ce sujet, afin de répondre aux procès d’intention qui sont menés avec des arrière-pensées contraires aux idéaux républicains. Cela suppose aussi de dire clairement que les détournements de fonds publics se font au détriment de populations en situation de précarité.
Je vous remercie.
*
Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale (DSS), et M. Emmanuel Dellacherie, directeur de projet fraude.
M. Dominique Tian, rapporteur. À combien s’élève la fraude sociale en France ? Quelles fraudes sont le plus souvent constatées et sur lesquelles travaillez-vous en priorité ?
M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale. La fraude sociale est un axe de travail très important pour nous.
Actuellement, nous élaborons un document sur le volume de la fraude sociale, domaine dans lequel des progrès restent encore à faire. Dans la convention d’objectifs et de gestion (COG), sur le point d’être signée avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), il est demandé à cette dernière de quantifier, d’ici à la fin de l’année, la fraude sociale selon une nomenclature plus précise car, même si c’est la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) qui est chargée des questions méthodologiques, les organismes de sécurité sociale ne parlent pas forcément de la même chose. En effet, si la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés retient une acception plutôt large de la fraude en y incluant les abus, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), par exemple, a, quant à elle, une définition plus restreinte. La Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) est celle qui a le plus travaillé ces derniers temps, à la fois sur la détermination de la fraude et sur sa quantification.
Nous estimons à 380 millions d’euros le montant des fraudes détectées en 2009, soit une progression de l’ordre de 10 % depuis 2007.
Selon moi, le travail dissimulé reste le sujet le plus lourd en termes financiers et d’enjeu global pour la protection sociale, car il touche à la fois aux cotisations, donc aux encaissements, mais aussi aux prestations. Principale source de fraude aux revenus déclarés, le travail dissimulé permet en effet de bénéficier indûment de prestations sous conditions de ressources ; il entraîne aussi des pertes de droits, notamment en matière d’assurance vieillesse.
Cette fraude est donc une source de préoccupation, et, en cette matière, il nous reste des progrès à faire, y compris en termes de communication et de pédagogie auprès l’opinion, car si les ateliers clandestins sont unanimement dénoncés, le travail dissimulé chez des particuliers ou certains employeurs bénéficie encore d’une tolérance forte. Il importe de concevoir une campagne de communication sur le travail clandestin du type de celle menée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et le ministère il y a un an et dont l’impact auprès de l’opinion a été positif.
Malgré des avancées considérables dans la lutte contre la fraude, des progrès restent également à faire en matière de mutualisation, et en particulier de transmission d’informations entre les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et caisses prestataires. Encore récemment, les URSSAF ne transmettaient pas aux organismes prestataires de renseignements sur les revenus concernant tel ou tel individu ; ce travail se met en place aujourd’hui.
M. le rapporteur. En 2007, la Cour des comptes évoquait le comportement frauduleux de médecins réalisant plus de 20 000 consultations annuelles, soit 6 666 heures par an et 18 heures de travail par jour, dimanches et jours fériés compris. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés prend-elle suffisamment en compte ce genre de comportement ?
De même, récemment, des fraudes subies par la caisse nationale d’assurance vieillesse ont été constatées, des déclarations établies sur l’honneur s’étant révélées fausses.
M. Dominique Libault. Les déclarations anormales d’activités, notamment de professionnels ou d’établissements de santé, constituent une deuxième source de fraude très importante et donc de travail pour nous. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés est sensible à ce problème.
Je partage le sentiment de la Cour des comptes selon laquelle il est possible de faire plus et mieux en matière de contrôle des déclarations des professionnels de santé. Cela étant dit, il est complexe de vérifier le nombre d’actes, comme de contrôler l’optimisation – la cotation plus élevée d’un acte. Tout l’objet de la tarification à l’activité est d’ailleurs de contrôler l’activité par rapport à la déclaration.
Au vu des redressements, ces contrôles sont efficaces même s’ils devraient être renforcés à l’avenir.
M. le coprésident Pierre Morange. Lors d’une audition sur le fonctionnement de l’hôpital, M. van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, nous a expliqué que la mise en œuvre du dispositif informatique n’étant pas terminée pour ce qui est de l’urbanisation, sa date butoir – en l’occurrence 2010 – serait reportée de deux à trois ans. Dans ces conditions, quelle sera l’efficacité de la convention d’objectifs et de gestion que vous avez signée avec la caisse nationale d’assurance maladie ?
Mme Bérengère Poletti. L’Agence nationale des titres sécurisés, qui a été installée à Charleville-Mézières, est un outil remarquable qui édite les cartes grises, les passeports, et bientôt les permis de conduire et les cartes nationales d’identité. Selon ses responsables, le nombre élevé de fraudes à la carte Vitale pourrait être dépisté si celle-ci était éditée par l’agence. Or il semble que la caisse nationale d’assurance maladie refuse d’accéder à cette demande.
M. Dominique Libault. Je ne néglige pas la question de l’identité, et c’est pourquoi nous avons développé la carte avec photo. Cependant, la fraude à la carte Vitale est moins importante quantitativement que les fraudes aux ressources ou aux actes, dans la mesure où notre système de protection sociale est très généreux : en bénéficient tout résident en situation régulière, mais aussi des étrangers en situation irrégulière…
Les représentants de la caisse nationale d’assurance maladie, qui pilote l’édition de la carte Vitale, sont mieux placés que moi pour vous indiquer si un titre sécurisé pourrait être un plus. Nous sommes ouverts sur ce sujet, mais il faut prendre en compte le coût de l’édition et ses enjeux.
Je rappelle que les professionnels de santé considèrent que la vérification de l’identité de leurs patients ne fait pas partie de leur mission – c’est du reste la raison pour laquelle nous avons développé la carte avec photo. En cas d’usurpation de carte, l’assurance maladie elle-même a peu de moyens de vérifier si la bonne personne était en face du professionnel. Néanmoins, la photo a un aspect dissuasif.
S’agissant de la mise en place du système d’information de l’assurance maladie, les délais sont plus longs que prévus en ce qui concerne l’urbanisation. L’assurance maladie s’investit fortement sur ce sujet qui tient particulièrement à cœur à son directeur, Frédéric van Roekeghem. Cela étant, les retards n’ont pas d’incidence sur la lutte contre la fraude.
Ainsi, dès 2010, une expérimentation du « data mining » sur les indemnités journalières maladie a été menée. Par ailleurs, un dossier doit être présenté à la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur la couverture maladie universelle complémentaire.
La rénovation des systèmes d’information doit nous aider à mieux identifier des situations à risque et à mener les actions nécessaires. L’urbanisation va nous servir mais la technologie du « data mining » est déjà utile.
De même, des contrôles de l’activité des infirmières donnent de bons résultats. Nous n’attendons donc pas que les systèmes d’information soient totalement rénovés pour les effectuer.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Le travail dissimulé est un sujet très important au regard des droits à la retraite.
Le chèque emploi service universel (CESU) a permis aux employeurs de déclarer des personnes qui ne l’étaient pas, et, ainsi, d’alimenter les caisses grâce aux cotisations. Or la suppression, prévue dans la loi de finances pour 2011, de l’exonération de 15 % de charges patronales pour les employeurs à domicile ne va-t-elle pas entraîner une augmentation du nombre de travailleurs « au noir » ?
M. Dominique Libault. Le chèque emploi service universel et l’allégement de cotisations ont eu un effet positif. Cette politique a été efficace, puisque, aujourd’hui, plus d’un million de personnes utilisent le chèque emploi service universel.
Cela dit, le contrôle au domicile des particuliers n’existant pas, il a fallu inventer d’autres modalités pour lutter contre le travail clandestin.
Si l’abattement de 15 % devait être supprimé, il faudrait éviter un trop grand report vers l’assiette forfaitaire – les employeurs ayant le choix, pour la déclaration, entre l’assiette réelle et l’assiette forfaitaire. Cette dernière entraînant moins de droits pour les salariés, il faut développer l’information en la matière car je crains que beaucoup de salariés ne connaissent pas le choix de leur employeur et les conséquences de ce choix sur leurs droits en matière de vieillesse. En tout cas, la mesure de suppression nous invite à la réflexion.
M. le rapporteur. Comme l’a souligné la Cour des comptes, un certain nombre d’engagements pris n’ont pas été tenus. La mise en place de la carte Vitale sécurisée et celle des fichiers ont subi des retards, alors qu’elles semblaient être des priorités pour l’État.
En outre, la Cour des comptes relève un problème de pilotage entre la Caisse nationale d’assurance maladie et les caisses primaires, sans aucun progrès en la matière.
M. Dominique Libault. Encourager les caisses à lutter contre la fraude fait partie du rôle de l’État. Cette ambition est renforcée dans l’actuelle convention d’objectifs et de gestion.
La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, où une vraie culture de contrôle et de lutte contre la fraude s’est mise en place, est très active dans certains domaines, notamment le contrôle de la tarification à l’activité. En revanche, certains dossiers ont pris du retard, comme la carte Vitale, dont le délai de mise en place est plus long que prévu, mais pour laquelle nous poursuivons l’objectif de sécurisation avec la photo. De même, une carte AME (aide médicale d’État) sécurisée doit être mise en place. Nous travaillons donc beaucoup sur la sécurisation et les fichiers.
D’après la Cour des comptes, les caisses de base sont très hétérogènes en termes d’implication : certaines sont très actives, d’autres moins. La caisse nationale d’assurance maladie y est très sensible. Toutefois, les réorganisations des réseaux, la professionnalisation accrue des métiers en matière de gestion du risque et de lutte contre la fraude, et l’organisation départementale devraient améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude dans toutes les caisses.
M. le rapporteur. Les parlementaires se sont émus de l’échec retentissant du dossier médical personnel (DMP), qui a coûté plusieurs dizaines de millions d’euros.
M. Dominique Libault. À l’origine, le dossier médical personnel n’était pas présenté comme un moyen de lutte contre la fraude, mais devait permettre des économies en évitant des examens redondants grâce à la circulation des informations médicales. Le transfert d’informations entre organismes, lui, est un axe fondamental pour lutter contre la fraude.
M. le coprésident Pierre Morange. Le dossier médical personnel est certes un outil de partage d’informations médicales au profit du patient, mais aussi de rationalisation du parcours de soins.
Le décret d’application sur l’interconnexion des fichiers a été publié, mais s’il vise l’échange des informations relatives à l’éligibilité à des droits, il ne concerne pas les montants. Il ne correspond donc pas à la volonté du législateur, les montants devant être des informations partagées entre les organismes et les collectivités territoriales – visées dans l’amendement que j’avais déposé à la fin de l’année 2006 – au titre de leur action sociale.
M. Emmanuel Dellacherie, directeur de projet fraude à la direction de la sécurité sociale. De manière générale, les échanges d’informations sur les montants et les ressources entre organismes de sécurité sociale sont tout à fait possibles. Quand une caisse primaire reçoit une demande de couverture maladie universelle complémentaire d’un assuré, le technicien examine les ressources de celui-ci en consultant CAFPRO. Pour la branche Famille, la consultation est donc possible à la fois sur les ressources et les montants de prestations servies. Cependant, des progrès restent à réaliser, notamment sur les prestations en espèces de l’assurance maladie.
Cela était, pour les collectivités locales, il serait intéressant que toutes les prestations d’action sociale servies à la fois par les caisses primaires et les caisses d’allocations familiales soient disponibles au niveau du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).
M. le coprésident Pierre Morange. Dans les communes, les assistantes sociales doivent en effet s’appuyer sur un certain nombre de données pour instruire les dossiers des administrés en situation de détresse sociale, par exemple. D’où la nécessité d’une connaissance la plus complète possible de ces données, y compris des montants !
M. Emmanuel Dellacherie. Des échanges d’information sur les prestations versées entre organismes ou entre organismes et administrations sont possibles. En prenant contact directement avec l’organisme qui sert les prestations, on peut obtenir davantage de précisions sur les montants, les ressources, mais aussi sur les périodes de référence prises en compte pour l’ouverture des droits, sachant que la législation prévoit des droits sous certaines conditions selon les branches.
Le sujet pourrait néanmoins être approfondi, si vous le souhaitez.
M. le coprésident Pierre Morange. Merci. Cet échange d’informations grâce à l’outil informatique répondrait aux besoins des citoyens, mais aussi des systèmes de protection sociale.
M. le rapporteur. Selon la Cour des comptes, il conviendrait que la direction de la sécurité sociale établisse périodiquement un bilan de l’ensemble des mesures législatives et réglementaires, qu’elle mettrait à la disposition des caisses.
M. Dominique Libault. Des dispositifs juridiques très importants ont été élaborés au cours des années récentes, à l’initiative notamment du Parlement. Ils doivent évidemment être correctement utilisés par les caisses. Certes, il faut renforcer l’arsenal juridique, mais il est déjà très volumineux.
Nous souhaitions disposer d’un outil de travail simple pour les caisses, d’où la création d’un guide sur l’ensemble des mesures juridiques. Nous voulons renforcer cet axe très fort de la bonne utilisation des outils.
Les conventions d’objectifs et de gestion comportent des indicateurs permettant d’apprécier la réelle utilisation des outils que nous mettons en place. Le nombre de pénalités administratives, par exemple, est passé de 100 en 2007 à 1 869 en 2009 pour la branche Famille, qui a mieux utilisé l’outil en la matière que la branche Maladie dont la progression est plus modeste.
M. le coprésident Pierre Morange. En effet, s’agissant du nombre des pénalités prononcées, la branche Vieillesse ne donne aucune indication pour 2007 et 2008, et fait état de huit pénalités seulement en 2009 !
M. le rapporteur. Alors qu’une fraude massive sur les reconstitutions de carrière, qui relève du pénal, fait l’objet d’une enquête !
M. Emmanuel Dellacherie. Fort heureusement, la très grande majorité des fraudes à l’assurance vieillesse sont détectées en amont de la liquidation de la pension ; on parle alors de préjudice évité, et non de préjudice subi. Reste que jusqu’à présent – le décret qui réforme le système est au Journal officiel de ce matin et sera applicable à partir de demain – les organismes ne pouvaient appliquer de pénalités que lorsque des indus avaient été constatés. Grâce au décret, il sera désormais possible d’infliger des pénalités dans des situations de fraude avérées, qu’elles aient donné lieu, ou non, à un indu. On attend donc une mobilisation plus forte de la branche Vieillesse sur ces questions.
M. Dominique Libault. Nous souhaitons mieux sanctionner la fausse déclaration, qui peut être détectée avant le versement de la pension. Mais il arrive que certaines fraudes soient détectées après. Nous avons eu le cas pour les longues carrières – des personnes allant jusqu’à produire de faux témoignages. Des procédures exceptionnelles ont été mises en place et ont abouti à des procédures pénales. Fort heureusement, ces affaires, très compliquées, sont marginales. En tout cas, nous sommes extrêmement actifs dans cette lutte contre ce type de fraudes.
M. le rapporteur. Ces fraudes portent sur des millions d’euros ; elles ont été commises intentionnellement, de plus avec des complicités internes – il y a eu une prise en compte de dossiers de gens qui n’étaient pas nés au moment où ils travaillaient, ou qui auraient commencé à travailler à l’âge de deux ans ! On ne peut pas dire, en l’occurrence, que les contrôles internes ont vraiment fonctionné. En raison du manque de pilotage du système, il a été possible, au cours de l’instruction même des dossiers, de monter des opérations frauduleuses. Vos explications sont un peu courtes !
M. Dominique Libault. C’est la direction de la sécurité sociale qui s’en est aperçue et qui a diligenté des inspections. Effectivement, il y a eu des fraudes, y compris des fraudes internes.
Mais ces fraudes ont été également rendues possibles parce que, à l’époque, les régularisations de cotisations arriérées se faisaient auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Les intéressés s’adressaient à elles pour procéder à ces régularisations à un tarif avantageux, et revenaient ensuite vers la branche Vieillesse en indiquant qu’ils bénéficiaient de x périodes nouvelles.
L’absence de dialogue entre les organismes a aussi posé problème. Je ne saurais trop insister sur la nécessaire transversalité de la lutte contre la fraude. Voilà pourquoi nous souhaitons la mise en place d’un fonds de performance pour améliorer la communication entre les branches. Il fait d’ailleurs l’objet d’une disposition au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
À la suite de l’affaire que vous évoquez, monsieur le rapporteur, les procédures ont été réformées et des enquêtes diligentées. Cela dit, la sanction administrative encourue n’est pas du tout adaptée à ce genre de fraude : elle est au maximum de 5 000 euros. À partir d’un certain niveau de fraude, on passe à un autre type de sanction : la suspension de la pension.
M. le rapporteur. Selon la Cour des comptes, la fraude que nous évoquons porte sur 2 500 à 10 000 dossiers, pour une somme atteignant probablement 40 millions d’euros, et ce malgré l’adoption d’une convention d’objectifs et de gestion exhortant à une plus grande implication dans la lutte contre la fraude. L’affaire des carrières longues prouve que les contrôles n’ont pas fonctionné.
M. le coprésident Pierre Morange. Au vu des chiffres qui viennent de nous être présentés, nous avons quelque difficulté à comprendre la faiblesse des résultats pour ce qui est de la branche Vieillesse.
M. Dominique Libault. Premièrement, nous n’avons pas été inactifs, c’est le moins que l’on puisse dire.
Deuxièmement, si des défaillances de fonctionnement du contrôle interne ont effectivement été pointées, nous avons commencé à en tirer les leçons. Je rappelle également que la branche Vieillesse n’a pas été certifiée par la Cour des comptes – et pas uniquement en raison de ces défaillances.
Troisièmement, il arrive parfois que, lors de l’instauration d’une nouvelle législation, on ne prenne pas suffisamment en compte les risques potentiels de fraude qu’elle comporte. Toute nouvelle mesure, tout nouveau droit crée une fraude potentielle – revenu de solidarité active (RSA), auto-entrepreneur, longues carrières… Nous devons donc anticiper.
M. le coprésident Pierre Morange. Tout cela confirme, comme vous l’avez dit, que le montant de la fraude aux prélèvements est infiniment plus élevé que celui de la fraude aux prestations.
Par ailleurs, que pense la direction de la sécurité sociale des violations des dispositions du code des marchés publics dans le cadre de la procédure de mise en concurrence ? Les services de l’État ont en effet rapporté des violations du code des marchés publics mettant en cause des structures hospitalières et des établissements de soins et dénoncé des détournements de fonds publics, dont la justice est d’ailleurs saisie. Quelles mesures la direction de la sécurité sociale souhaite-t-elle diligenter afin de s’assurer que cela ne se reproduise pas ? Comment peut s’opérer un contrôle de légalité en la matière ?
M. Dominique Libault. Je ne cherche pas à opposer le volume des fraudes aux prestations à celui des fraudes aux cotisations. Je dis simplement que le travail clandestin est une source de perte de cotisations et de prestations. C’est pour cela que je fais de la lutte contre le travail clandestin un enjeu fort.
Ensuite, je ne connais pas bien le sujet de la violation par les hôpitaux des dispositions du code des marchés publics, dans la mesure où ces manquements relèvent, non de la direction de la sécurité sociale, mais plutôt de la direction générale de l’offre de soins et de la direction générale des finances publiques. Pour autant, je n’y suis pas insensible.
Premièrement, derrière les hôpitaux, il y a l’État, qui se doit d’être exemplaire. On ne peut pas lutter contre la fraude sans faire soi-même preuve d’exemplarité. Il se trouve que l’État n’a pas été contrôlé en matière de versement des cotisations de sécurité sociale jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. C’est pourquoi, par la suite, il a été prévu qu’il soit soumis au contrôle de la Cour des comptes – laquelle n’a cependant pas manifesté un grand activisme sur le sujet. Maintenant, même s’il reste à parfaire, un contrôle s’est mis en place au sein des administrations. Bien sûr, il conviendra d’accentuer encore nos efforts en la matière.
Deuxièmement, la sécurité sociale peut être indirectement victime de fraudes qui apparaissent pourtant lointaines. Je pense à une fraude commise délibérément par des fabricants de produits de santé et qui portait sur la fabrication de prothèses mammaires défectueuses : pour des raisons sanitaires évidentes, l’assurance maladie était tenue d’intervenir. La fraude à la sécurité sociale peut en effet prendre des formes nouvelles auxquelles nous devons être extrêmement attentifs.
M. le coprésident Pierre Morange. Je reviens sur les dysfonctionnements observés dans la passation par certaines structures de soin de dix-neuf marchés publics qui ont entraîné un préjudice financier au détriment de l’assurance maladie, et donc des citoyens. En l’occurrence, il y a bien eu fraude, intentionnelle ou non, et la justice a été saisie !
M. Dominique Libault. Nous souhaitons, avec l’assurance maladie, la mise en place au sein des établissements publics de santé de référents « lutte contre la fraude interne ». Ce serait un moyen de faire mieux prendre conscience de ces sujets, et de mieux les analyser. Certes, il y a encore beaucoup de progrès à faire, mais il y a tout de même une prise de conscience.
M. le coprésident Pierre Morange. On pourrait même imaginer que les contrôles de légalité, qui relèvent de la responsabilité des préfectures, soient mis en œuvre…
M. Dominique Libault. C’est pour cela que j’ai parlé de la direction générale des finances publiques. Il me semble que la question relève du contrôle comptable.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes bien d’accord.
Mme Jacqueline Fraysse. Le Parlement vote très régulièrement des dispositions de lutte contre la fraude et demande aux caisses de les appliquer. Mais les caisses en ont-elles les moyens humains et matériels ? On met en place des logiciels, on parle de croiser les dossiers et de modifier les cultures. Mais si j’en juge par la situation des caisses de ma circonscription, les personnels paraissent débordés. Ont-ils le temps d’instruire correctement les dossiers ? Sont-ils informés des nouvelles dispositions ? Je voudrais que vous nous donniez votre point de vue. Si difficultés il y a, il serait important que la mission les connaisse.
M. Dominique Libault. Les conventions d’objectifs et de gestion permettent précisément de fixer des objectifs et de discuter des moyens qui sont en face. Il n’est pas facile de concilier les deux. Les transferts d’informations entre les organismes devraient y contribuer. Ils permettent de lutter plus efficacement contre la fraude, et de faire gagner du temps aux agents, qui n’ont plus à rechercher l’information ou à redemander des pièces aux intéressés. Il y a moins d’énergie de dépensée, tant de la part des professionnels que des assurés.
Pour prévenir la fraude, l’information des personnels comme des assurés est également indispensable : la législation est complexe et certains se trompent en toute bonne foi.
L’organisation des caisses n’est pas non plus à négliger. Certaines ont une taille un peu trop réduite : c’est davantage le cas des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales que des caisses maladie ou famille. Et si la convention d’objectifs et de gestion passée avec l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale prévoit une régionalisation, c’est parce que l’on a constaté qu’une Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de cent personnes avait du mal à faire face à toutes ses missions.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est une des recommandations de la MECSS.
M. Dominique Libault. Certes, il faut des moyens dédiés à la lutte contre la fraude au sein des caisses, mais le sujet concerne l’ensemble du processus et l’ensemble des personnels de la sécurité sociale. Ces derniers ont pour mission non seulement de faire rentrer les intéressés dans leurs droits, mais aussi d’éviter les fraudes – ils doivent prendre en compte cette autre dimension. Ils font d’ailleurs preuve, le plus souvent, d’un grand sens du service public.
M. le rapporteur. Lors de son audition, le délégué national à la lutte contre la fraude, M. Benoît Parlos, qui est placé directement sous l’autorité du Premier ministre, nous a déclaré fin juillet : « Sur la fraude détectée, nous disposons, depuis 2006, de chiffres, chaque année, qui montrent une forte croissance de la fraude. En 2008, elle atteignait à peu près 360 millions d’euros pour les quatre branches ».
Par ailleurs, dans son rapport, la Cour des comptes indique : « Un tableau de bord simplifié, commun à la direction de la sécurité sociale et à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, devrait permettre de définir des objectifs relatifs aux luttes contre la fraude ». Et elle précise : « La Délégation nationale à la lutte contre la fraude pourrait se voir confier la lutte contre la fraude, et cette double mission… ». Ce jugement est tout de même assez sévère. N’est-ce pas une remise en cause de l’organisation actuelle ?
M. Dominique Libault. Je ne pense pas. Les rôles sont bien répartis entre la Délégation nationale à la lutte contre la fraude et nous-mêmes : celle-ci a la responsabilité de définir les méthodologies, la quantification, ce qui me semble légitime dans la mesure où le sujet dépasse la sphère de la protection sociale. En outre, lorsqu’il s’agit de travailler avec la police et la gendarmerie, la Délégation nationale à la lutte contre la fraude est bien plus efficace que la direction de la sécurité sociale pour mettre tout ce « beau monde » en réseau.
Par le biais des conventions d’objectifs et de gestion, nous déterminons, avec le concours de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, les objectifs et les moyens alloués aux caisses. Nous intégrons la problématique fraude dans l’ensemble des missions des organismes. Ensuite, au sein de la sphère sécurité sociale, nous pouvons travailler sur des projets communs. Notre plus-value peut porter sur tout ce qui est transversal.
Après avoir incité les organismes à aller plus loin, plus fort, nous organisons la transversalité, qu’il s’agisse du répertoire national commun de la protection sociale, de la déclaration sociale nominative ou de divers projets transversaux d’échanges d’informations. C’est sans doute là que nous apportons une plus-value.
En conclusion, je crois que l’organisation administrative actuelle est satisfaisante.
Quant au montant de la fraude détectée, monsieur le rapporteur, nous ne le contestons pas : en 2006, elle était de 228 millions pour les organismes de sécurité sociale ; en 2008, de 355 millions ; et en 2009, de 384 millions. Mais ces données sont difficiles à interpréter : est-ce la fraude qui augmente ou la politique de détection qui est meilleure ?
Dans certaines branches, le contrôle et la détection de la fraude étaient autrefois assez limités. Aussi, je pense que l’évolution s’explique par une meilleure détection dans la période récente. Dans les années à venir, il faudra cependant regarder avec attention comment évolueront les chiffres.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous évoquez la transversalité. Mais nous avons appris, lors d’une audition précédente, qu’à la suite de l’application de décisions de justice de reconduites à la frontière, les préfectures n’avaient pas informé les caisses d’allocations familiales de l’arrêt des droits des personnes concernées. Ainsi, des prestations continuaient à être versées au bénéfice de populations revenues dans leur pays d’origine. Il ne serait pas déraisonnable que les différents services de l’État communiquent au moins entre eux, ainsi qu’avec les différents organismes assurantiels.
M. le rapporteur. Je vous rappelle que, dans son rapport d’avril 2010, la treizième préconisation faite à l’État par la Cour des comptes concernait l’établissement d’« un plan de lutte contre la fraude, pour une durée de trois à cinq ans, détaillé par opérateur et donc par branche et régime, qui puisse être réévalué de manière formalisée ».
M. Dominique Libault. Chaque convention d’objectifs et de gestion, et c’est le cas de la convention de la Caisse nationale d’assurance maladie, prévoit un plan de lutte contre la fraude pour chaque branche. Selon moi, la cour considère sans doute que le cumul de chaque plan de chaque branche n’est pas suffisant par rapport aux objectifs qu’implique une réelle transversalité.
Cela m’amène à évoquer le thème de la fraude à la résidence, qui n’a pas encore été abordé. Pour bénéficier de notre système – généreux –, il est nécessaire d’avoir un lieu de résidence. Or, il est très difficile pour les caisses, parce qu’elles sont dépendantes d’informations extérieures, notamment celles des préfectures, de procéder à la vérification du lieu de résidence des bénéficiaires. En cette matière, l’accès au fichier AGEDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), piloté par le ministère de l’intérieur, est pour elles très important ; mais, malheureusement, comme vous le savez, ce fichier est en cours de rénovation. Mais il faut aussi que l’information sur la gestion de la résidence circule entre les branches, et là encore, il y a des progrès à faire.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est une des missions des comités départementaux d’assurer la transmission des informations. Or il y a eu des dysfonctionnements.
Mme Jacqueline Fraysse. M. le directeur nous invite à réfléchir à la signification du montant des fraudes détectées et de son augmentation – sans doute liée en effet au renforcement de la détection. Connaissez-vous, monsieur le directeur, le montant des sommes récupérées ? Peut-on progresser en ce domaine ?
M. Dominique Libault. Nous ne recouvrons pas la totalité du montant des fraudes détectées, loin de là. Selon nos estimations, sur 360 millions d’euros, le montant de recouvrement effectif est d’environ 92 millions d’euros.
M. Emmanuel Dellacherie. Il faut savoir que ce montant, compris entre 90 et 100 millions d’euros, porte sur les indus frauduleux récupérés, mais que ces indus frauduleux ont pu être constatés sur divers exercices.
Nous ne disposons pas encore d’un indicateur de taux de recouvrement des indus frauduleux pour chaque branche, qui permettrait de rapporter de manière extrêmement précise l’ensemble des indus frauduleux récupérés aux indus frauduleux constatés. Malgré tout, les recouvrements sont beaucoup plus élevés dans la branche Famille, où il est possible de faire des récupérations sur prestations avec des systèmes de fongibilité – dans certaines caisses d’allocations familiales (CAF), les taux de recouvrement peuvent atteindre 70 % ou 80 %.
En revanche, le taux de recouvrement des redressements consécutifs aux situations de travail dissimulé est de l’ordre de 10 % à 15 %, donc très faible. Il est vrai que, suite à ces opérations de contrôle, de nombreuses entreprises se retrouvent en liquidation judiciaire, ce qui limite considérablement les perspectives de recouvrement pour les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.
M. le rapporteur. Une des missions de la MECSS est de connaître à peu près le montant de la fraude. Or, d’après la Cour des comptes, le montant des fraudes détectées dans la branche Famille serait huit fois supérieur à ce que la Caisse nationale d’allocations familiales a déclaré ! Il y a là de quoi s’inquiéter.
M. le coprésident Pierre Morange. La branche Famille a évoqué un taux de récupération des sommes indues assez flatteur, puisqu’il serait de l’ordre de 88 %. Un tel résultat serait dû à la dynamique spécifique des modalités de versement des prestations familiales. Cela vous paraît-il cohérent avec le montant global que vous venez d’avancer ? N’y a-t-il pas une relative disharmonie dans les différentes informations ?
M. Emmanuel Dellacherie. Je ne pense pas qu’il y ait de disharmonie entre les différentes informations. Ce que vous venez de dire corrobore assez bien ce que j’indiquais, à savoir que les taux de recouvrement des indus frauduleux dans la branche Famille sont bien supérieurs à ceux que l’on constate sur le travail dissimulé, où la fourchette va de 10 % à 15 %, sachant que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale doit encore progresser sur la fiabilisation de ses informations. Évidemment, comme les montants des redressements pour travail dissimulé représentent une part importante du montant global de la fraude détectée, cela impacte très fortement à la baisse les résultats sur les taux de recouvrement.
M. le coprésident Pierre Morange. Exception faite de la branche Famille, la récupération semble relativement faible. La récupération est sans doute malaisée, mais il y a peut-être aussi un défaut de collecte d’informations.
M. Dominique Libault. Certes, la Caisse nationale d’allocations familiales récupère 38 millions d’euros sur 90 à 100 millions d’euros, mais les autres branches procèdent également à des récupérations.
Je comprends que vous souhaitiez connaître précisément le montant de la fraude. Mais je voudrais mettre l’accent sur le fait qu’il est parfois un peu compliqué de qualifier celle-ci. La fraude repose sur un acte intentionnel de contournement de la loi, pour éviter le paiement d’un prélèvement ou bénéficier indûment de droits sociaux, de prestations, etc. Reste à savoir si l’acte est intentionnel ou non.
L’assurance maladie considère qu’un établissement de santé qui surfacture une deuxième fois, alors qu’on lui a déjà fait une observation, agit de manière frauduleuse. Des établissements de santé contestent cette vision des choses. Certaines fédérations se sont même plaintes auprès des parlementaires d’un manque de droits et de contradictoire, d’où certains amendements… Je vous mets en garde : on ne peut pas vouloir lutter contre la fraude et voter des amendements imposant l’avis conforme des professionnels de santé. À un moment donné, il faut savoir ce que l’on veut. Lutter contre la fraude implique de donner certaines prérogatives de puissance publique aux administrations chargées de cette lutte. Cela ne dispense évidemment pas du respect du contradictoire, de l’équité, et de faire preuve d’exemplarité.
Je tiens malgré tout à faire remarquer que des droits trop complexes provoquent des difficultés d’interprétation et peuvent créer cette perception de fraude. C’est ainsi que la tarification à l’activité donne lieu à des interprétations contradictoires entre celui qui est chargé du contrôle et l’établissement, lequel peut alors se trouver qualifié de fraudeur. Il arrive également que des entreprises, en ne respectant pas la législation, se pénalisent elles-mêmes. Toutefois, dans de tels cas, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales procèdent à des redressements positifs en faveur de ces entreprises.
M. le coprésident Pierre Morange. S’agissant du travail dissimulé, où en est-on des poursuites engagées et des pénalités prononcées au titre de la fraude sociale ? Observe-t-on une évolution ? Pensez-vous qu’un aménagement législatif soit nécessaire ?
Les représentants des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ont évoqué l’appréciation « à géométrie variable », par la magistrature, de la délinquance, suivant qu’elle est ou non d’ordre financier ou social. Cette « priorisation » ne respecte ni le principe de l’exemplarité ni celui de l’équité de traitement devant la loi. À telle enseigne que nous leur avons demandé de mettre au point un gradient du traitement de la délinquance en col blanc.
M. Emmanuel Dellacherie. En 2009, 2 200 procès-verbaux pour travail dissimulé ont été dressés par des agents de contrôle des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ou de la Mutualité sociale agricole. Si on prend en prend en compte l’ensemble des corps de contrôle habilités à verbaliser le travail dissimulé – c’est-à-dire également la police, la gendarmerie et l’inspection du travail –, il y aurait, selon les données de 2008, 9 000 ou 10 000 procédures engagées et communiquées aux parquets chaque année, les tribunaux correctionnels prononçant quant à eux entre 4 000 et 4 500 condamnations par an pour travail dissimulé. La réponse pénale existe donc.
Mais de quelle réponse pénale s’agit-il ? Pour les infractions de travail dissimulé, les textes prévoient jusqu’à deux ans de prison et 45 000 euros d’amende. Or on prononce très rarement des peines de prison ferme. Par ailleurs, et surtout, le montant moyen de l’amende pénale est très inférieur à 45 000 euros : d’après les informations communiquées à la Chancellerie, il tourne autour de 1 200 et 1 300 euros. Cela peut sembler faible au regard des redressements réalisés, puisque, en moyenne, en cas de travail dissimulé, un redressement opéré par une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales se situe entre 20 000 et 22 000 euros ; quant à la pénalité civile qui vient s’y ajouter, elle est en moyenne plus élevée que l’amende pénale.
Il ne faut pas oublier non plus toutes les dispositions votées au cours des lois de financement précédentes, notamment celle qui permet de remettre en cause les exonérations dont l’entreprise délictuelle a bénéficié.
Les sanctions financières prononcées au plan civil et mises en œuvre par les organismes sont beaucoup plus élevées que celles prononcées au plan pénal. À cet égard, il y a un certain déséquilibre.
La collaboration progresse dans le cadre des comités locaux que sont les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal et les comités départementaux anti-fraude.
Dans l’ensemble, les parquets et les services de contrôle ajustent leur action pour prioriser l’audiencement des plus grosses affaires, celles pour lesquelles la réponse pénale est la plus importante en termes de condamnation des employeurs fautifs.
Enfin, il y a une bonne collaboration, sur le terrain, entre les organismes et les tribunaux.
M. Dominique Libault. Selon moi, la société est relativement tolérante vis-à-vis du travail clandestin. En matière de fraudes à l’assurance maladie, par exemple, une décision sur deux rendue par les juridictions pénales est un classement sans suite, un non-lieu ou une relaxe. Voilà pourquoi nous attachons beaucoup d’importance aux sanctions administratives, que nous avons développées depuis quelques années. C’est d’ailleurs pourquoi les amendements déposés par M. Yves Bur, notamment ceux qui concernent les professionnels de santé, nous semblent tout à fait intéressants.
M. le coprésident Pierre Morange. Tolérance de la société ou tolérance des services de l’État ?
M. Dominique Libault. Les services chargés de la lutte contre le travail dissimulé ne sont pas tolérants. Ils font le maximum de ce qu’ils peuvent. Mais l’État est multiple…
M. le coprésident Pierre Morange. Ces fraudes sont commises au préjudice des Français, au mépris des efforts qu’ils consentent à travers leurs prélèvements obligatoires. Ce sont autant de moyens qui ne leur sont pas alloués pour leur protection sanitaire ou, plus généralement, pour leur protection sociale.
M. le rapporteur. Le Conseil des prélèvements obligatoire estime à 10 milliards d’euros la perte de recettes provoquée par le travail dissimulé. Entre les cas décelés et jugés, et ce montant de 10 milliards, le fossé est important.
Selon la Cour des comptes, la Caisse nationale d’allocations familiales semble d’abord chercher à minimiser les enjeux, en soulignant à la fois l’importance des contrôles et la faiblesse des fraudes décelées.
En 1999, la Caisse nationale d’allocations familiales soulignait déjà, dans une communication interne, que « finalement, la fonction de prévention collective des peines est assez controversée, le lien entre la peine et sa sévérité et la criminalité n’est guère prouvée ». Vis-à-vis des usagers, c’était tout de même assez affligeant ! En 2006, on notait un certain progrès, mais il était tout de même affirmé de manière officielle : « Le système de fichier unique ne permet pas de lutter efficacement contre les fraudes. Y a-t-il autant de malhonnêteté que cela ? Quelques-uns doivent-ils faire peser sur la majorité un a priori négatif ? Clairement, la réponse est non ».
La Cour des comptes s’inquiète de telles communications. Sans doute la direction de la sécurité sociale sera-t-elle amenée à modifier le type de communication de certaines caisses qui adressent un message un peu curieux aux allocataires.
M. Dominique Libault. Les extraits que vous citez illustrent une situation qui a existé mais qui, à mon avis, sera bientôt révolue.
Pendant longtemps, les partenaires sociaux, notamment dans les caisses prestataires, ont été très en retrait sur ces questions. Je me rappelle que le contrôle des indemnités journalières, lancé par le prédécesseur de M. Frédéric van Roekeghem à la tête de la Caisse nationale d’assurance maladie, avait été très mal perçu. De la même façon, les contrôles expérimentaux qui sont actuellement lancés sur les indemnités journalières des fonctionnaires ne passent pas non plus. Il faut donc travailler avec les partenaires sociaux pour faire comprendre que la lutte contre la fraude fait partie du respect de l’État de droit en France, et qu’elle est indispensable. Malgré tout, la situation progresse depuis quelques années.
Les services, quant à eux, étaient autrefois presque dans le déni. Je ne parle pas de ceux qui sont chargés du recouvrement, qui ont toujours eu cette culture du contrôle, mais de la branche Maladie, et surtout de la branche Vieillesse et de la branche Famille qui étaient très en retrait. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, et je pense d’ailleurs que la direction de la sécurité sociale, en, en installant des référents fraude, en obligeant à quantifier de la fraude, a contribué à un changement de culture. Bien sûr, des progrès restent à faire tant l’appropriation des outils, que dans le contrôle interne, la transversalité et collaboration entre les services. Ce seront nos priorités pour les années à venir.
M. le coprésident Pierre Morange. Merci d’avoir répondu à l’ensemble de nos questions et de nous avoir remis un guide pratique de lutte contre la fraude sociale. N’hésitez pas à nous communiquer toute proposition que nous pourrions traduire au niveau législatif.
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AUDITION DU 4 NOVEMBRE 2010
Audition de M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), M. Pierre Fender, directeur du contrôle, du contentieux et de la répression des fraudes à la CNAMTS, et Mme Sophie Thuot-Tavernier, chargée de la veille législative à la CNAMTS.
M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Je remercie la MECSS de nous avoir invités sur ce sujet important et sensible. J’ai cru comprendre que la mission attachait beaucoup d’attention à l’application des recommandations de la Cour des comptes, et c’est sur ce point que je voudrais commencer.
La Cour des comptes est naturellement dans son rôle lorsqu’elle met en évidence les possibilités d’améliorer le système. Néanmoins, en tant qu’opérateur de la lutte contre la fraude, je voudrais montrer notre volonté d’avancer dans ce domaine, mais aussi les obstacles rencontrés, ainsi que les réactions que soulèvent nos actions et qui peuvent conduire à des demandes de modification des textes en vigueur – en effet, un certain nombre d’acteurs ressentent très mal les actions de lutte contre la fraude, les abus et les gaspillages. Il faut noter à ce propos que la question se pose de façon quelque peu différente pour l’assurance maladie que pour les autres branches prestataires, qui appliquent les textes réglementaires pour attribuer des prestations en espèces : l’assurance maladie délivre en effet surtout des prestations en nature, à l’exception des arrêts de travail par exemple, et les acteurs concernés ne sont pas seulement les assurés mais aussi les professionnels et les établissements de santé.
Ainsi, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a émis douze propositions, dont l’une sur la suppression du « délit statistique » ; la Cour des comptes ayant mis en lumière le doublement du montant des pénalités financières appliquées aux professionnels de santé entre 2007 et 2008, le syndicat l’interprète comme la preuve d’une action déterminée à l’encontre de l’exercice libéral. L’Union des généralistes de Picardie, elle, a dénoncé avec virulence dans le Courrier picard la garde à vue d’un médecin saint-quentinois. Quant au syndicat Espace Généraliste, il a annoncé il y a quelques années vouloir déposer plainte pour harcèlement contre les caisses d’assurance maladie. Enfin, plus récemment, le docteur Didier Poupardin, assigné en justice par une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et dont les feuilles de soins remises à certains malades font l’objet d’une expertise, a dénoncé dans tous les médias la volonté de ladite caisse de faire respecter les textes en vigueur – concernant en l’occurrence les ordonnances dites « bizones ». Et je n’évoque même pas la question du respect de l’intégration dans les tarifs de produits de santé hospitaliers, comme le Venofer, qui a suscité une réaction assez forte de l’Association des insuffisants rénaux.
La question de la fraude ou de l’abus emporte donc des réactions importantes, même si les textes sont clairs. En matière de contrôle des établissements de santé publics par exemple, on peut se demander si une facturation réitérée de soins externes à des tarifs internalisés, qui ne respecterait pas la circulaire sur les « actes frontières » publiée pourtant il y a plusieurs années, serait ou non considérée comme de la fraude. Mais je constate que des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – article 66 (nouveau) – tendent déjà à limiter le contrôle de l’assurance maladie, en le restreignant aux manquements « délibérés ».
Bref, si la Cour des comptes est dans son rôle en disant qu’il faut aller encore plus loin, il ne faut pas ignorer que les actions de l’assurance maladie dans ce domaine ont des implications importantes. Concrètement, mon souci, après que le Gouvernement eut décidé d’accroître la lutte contre la fraude, les abus et les fautes – et l’assurance maladie a été largement pionnière dans ce domaine –, c’est que les réactions, qui sont d’ailleurs normales en raison de l’augmentation de la pression, ne se traduisent pas justement par une diminution de notre capacité de lutte – je pense particulièrement à l’obligation d’appliquer les décisions de la commission des pénalités.
On peut aussi s’étonner de ce que la Cour des comptes n’évoque aucunement le contrôle des établissements de santé. De même, elle laisse entendre que l’assurance maladie serait moins offensive contre les offreurs de soins que contre les assurés. Or il y a eu, en 2009, 426 saisines ordinales et 305 interdictions de donner des soins aux assurés sociaux. Surtout, l’assurance maladie a déposé 185 plaintes pénales concernant des professionnels de santé, contre 911 concernant des assurés. La cour a-t-elle calculé le ratio avant d’asséner sa vérité ? Nous ne sommes pas du tout laxistes avec les professionnels de santé – comme le prouvent justement leurs réactions, si les ratios ne suffisaient pas.
Encore une fois, je ne nie pas l’existence de marges d’amélioration mais cette politique de contrôle, qui représente un changement important, suscite des réactions dont nous sommes obligés de tenir compte.
M. le coprésident Pierre Morange. Je sais combien le sujet est sensible mais ces actions, qui visent à contrôler la bonne utilisation de l’argent public, sont légitimes. La MECSS s’est exprimée suffisamment clairement sur ce sujet, notamment sur la nécessité de contrôler les établissements de santé, pour que vous soyez assuré de sa volonté en la matière. Pouvez-vous dresser un bilan des actions que l’assurance maladie a diligentées ?
M. Frédéric van Roekeghem. Nous publions un bilan sur ce sujet chaque année – encore faut-il bien savoir ce qu’il mesure. Depuis 2006, nous distinguons fraude, abus et faute. Cette année-là, nous avons tenté de donner une première définition de la qualification juridique de fraude, qui reprenait celle de l’Office européen de lutte anti-fraude : la fraude était définie comme un acte intentionnel de la part d’un ou plusieurs individus visant à obtenir un avantage injustifié ou illégal, lequel créait un préjudice réel, direct et certain pour l’assurance maladie. Depuis un décret du 20 août 2009, sont qualifiés de fraude les faits commis dans le but d’obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d’une prestation injustifiée, au préjudice d’un organisme d’assurance maladie.
Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, la volonté n’est pas vraiment délibérée, ou alors il est difficile de la prouver. Il peut également s’agir d’un manquement aux textes, comme dans le cas des ordonnances « bizones » que j’ai déjà évoqué – un exemple intéressant dans la mesure où pour établir le manquement aux textes, le tribunal doit recourir à une expertise médicale.
Lorsqu’il s’agit de fraude donc, au sens d’action délibérée ayant des conséquences financières, nous engageons généralement une action pénale, éventuellement assortie d’une action civile, mais nous nous attachons aussi aux fautes et aux abus. Par exemple, le fait de ne pas appliquer les référentiels médicaux peut être considéré comme une faute, d’un point de vue médical, ou comme un abus.
Cette précision faite, j’en viens au bilan. Nos actions ont un impact de l’ordre de 150 millions par an, montant qui ne comprend que l’effet direct des contrôles. Par exemple, en matière d’arrêts de travail, le bilan ne tient compte que de la conséquence estimée de la mise sous accord préalable des prescripteurs excessifs.
M. le coprésident Pierre Morange. De quoi s’agit-il ? D’économies ? De sommes récupérées ?
M. Frédéric van Roekeghem. Nous vous ferons parvenir les rapports qui mesurent les fraudes détectées et stoppées ainsi que le préjudice évité et les sommes récupérées. Chaque évaluation donne lieu à un dossier approfondi.
Dans ce bilan, le contrôle de la tarification à l’activité représente des sommes qui varient entre 30 et 50 millions d’euros. En règle générale, nous ne considérons pas que les problèmes détectés constituent une fraude, sauf lorsque des éléments nous conduisent à aller au pénal – c’est le cas pour quelques établissements. Dans la plus grande partie des cas, il n’y a pas d’enrichissement personnel des personnes qui ont procédé à la codification et nous considérons qu’il s’agit d’une faute d’application des textes. C’est pour cela qu’il faut être très prudent à propos de ce bilan et faire toutes les distinctions qui s’imposent.
Toutefois, notre évaluation n’est pas seulement financière. Nous mesurons aussi les décisions prises par la justice ou les conseils de l’ordre dans les contentieux que nous avons initiés. Depuis 2006, nous dénombrons les plaintes pénales, les signalements au parquet et les notifications d’indus, ainsi, le cas échéant, que les transactions ou pénalités financières – car il nous arrive de passer des transactions pour rentrer dans nos fonds, lorsqu’il n’y a pas d’intention délibérée. Nous comptons aussi le nombre de décisions de justice donnant lieu à condamnation. Nous constatons ainsi que le nombre de contentieux pénaux, ordinaux ou donnant lieu à des pénalités administratives augmente depuis 2006, de façon encore insuffisante, mais c’est tout de même un changement de culture assez profond. Le nombre de condamnations à des peines de prison augmente même – 273 personnes en 2009, pour 11 700 jours de prison ferme et 44 634 jours de prison avec sursis. Mais il est à noter que nos plaintes ne sont pas toutes traitées avec la même diligence, selon le degré d’occupation des juridictions locales. De manière générale, une affaire au pénal met trois à quatre années à être jugée, mais en Seine-Saint-Denis, par exemple, aucune de nos plaintes pénales n’a commencé à être instruite. C’est très différent à Paris. Évidemment, cela rend les choses plus difficiles pour la caisse de Bobigny que pour d’autres.
M. le rapporteur. Il s’agit généralement de professionnels de santé. Sont-ils suspendus ? Sous entente préalable ?
M. Frédéric van Roekeghem. Comment stopper, par exemple, une fraude au transport sanitaire ? Alors qu’une disposition législative relative à la possibilité de procéder à un déconventionnement d’office a été votée par le Parlement en 2007, le texte d’application n’a pas encore pu être publié compte tenu, semble-t-il, de la complexité du sujet… Le droit en vigueur est une des limites de notre action, et l’opérateur public que nous sommes se doit d’être encore plus sourcilleux pour ce qui est des droits de la défense. Mais malgré tout cela, on voit la vigueur des réactions aux contrôles de l’assurance maladie.
Voilà donc l’évaluation financière des résultats de nos contrôles, sachant que tout ne correspond pas à des fraudes. Car nous sommes obligés de tenir compte de nos traditions. Peut-être qu’en Grande-Bretagne la facturation à un tarif de prestation interne d’un examen oculaire – 80 euros, qui peuvent parfois être tarifés 800 – ou d’un examen d’effort cardiaque serait-elle considérée comme une fraude. De notre point de vue, ce serait « disproportionné ». Nous devons tenir compte aussi du fait que 90 % de nos prestations sont en nature, ce qui nous rend très différents des branches Famille ou Vieillesse. Parmi ces prestations en nature, une partie concerne des prescriptions médicamenteuses – et pourtant, nous pensons qu’il y a des abus de prescriptions. On pourrait se demander comment traiter un praticien qui ne prescrirait jamais de médicaments génériques… Mais nous sommes obligés de proportionner nos sanctions pour tenir compte des pratiques historiques en France et de la complexité des prestations d’assurance maladie.
M. le rapporteur. Le rapport sur la fraude que nous avons demandé à la Cour des comptes est un document de travail extrêmement utile, et vous exprimez un certain nombre de divergences avec lui. La cour affirme ainsi que, malgré des annonces répétées d’amélioration, deux branches prestataires sur trois n’effectuent pas d’estimation de la fraude, que la Caisse nationale d’assurance maladie se borne à recenser l’aspect financier des fraudes qu’elle découvre, selon des approches méthodologiques hétérogènes, et que la lente progression des démarches engagées fausse la perception des enjeux en conduisant à une grave sous-estimation. Pour ce qui est du régime général, elle évalue la fraude aux prestations entre 2 et 3 milliards. Comprenez que nous sommes désireux d’en savoir plus !
La cour considère aussi que la Caisse nationale d’assurance maladie devrait généraliser les évaluations de fraudes potentielles à partir de vérifications approfondies d’échantillons significatifs de dossiers et que, du fait d’une impulsion insuffisante des caisses nationales, les actions des caisses locales restent trop limitées. Elle précise enfin que vous avez tous les outils juridiques nécessaires pour suivre les caisses et lutter activement contre cette fraude.
Encore une fois, il s’agit de 2 à 3 milliards ! On est loin de vos chiffres !
M. Frédéric van Roekeghem. Le coût de la fraude est compliqué à estimer – le Gouvernement s’interrogeait déjà sur la question en 1996. D’abord, si l’on connaissait la fraude de façon certaine, il suffirait de la sanctionner ! La difficulté est de développer des méthodes permettant, éventuellement par échantillonnage, d’évaluer de façon exhaustive la fraude, puis de faire la preuve que l’évaluation est juste. Sur ce point, je reconnais que nous pouvons nous améliorer. Nous nous sommes d’ailleurs engagés dans la convention d’objectifs et de gestion à essayer de mesurer la fraude dans un certain nombre de champs identifiés, tels que les arrêts de travail ou la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) par exemple, sur la base d’échantillons de données exhaustifs. C’est un travail très important, qui a déjà commencé – nous disposons pour cela de 2 200 médecins-conseils répartis sur toute la France.
L’ordre de grandeur de ce que peut représenter la fraude tourne autour de 1 %. Ce n’est pas une découverte pour nous : il y a déjà quelques années que nous fournissons ce taux. La Cour des comptes a abouti au même ordre de grandeur, de même que l’Office européen de lutte anti-fraude pour l’ensemble des pays européens. Faire ensuite la preuve de la fraude et en tirer les conséquences est une autre question…
M. le coprésident Jean Mallot. Il s’agit de 1 % de quoi ? Cela concerne-t-il à la fois les indus, les abus, les actes intentionnels ou non intentionnels ?
M. Frédéric van Roekeghem. Les abus ne sont pas forcément intentionnels. Dans certains domaines, l’ordre de grandeur des abus est bien supérieur à 1 %. En matière d’antibiothérapie par exemple – soit environ 800 millions de remboursements –, nous nous situons 25 % à 30 % au-dessus de la moyenne des pays européens, mais cela n’entre pas dans le périmètre de la faute. Le taux de 1 % concerne donc la fraude et la faute. Je distingue les deux parce que pour pouvoir qualifier un fait de fraude, les textes et la jurisprudence nous obligent à démontrer qu’il est intentionnel et donne lieu à enrichissement.
M. le coprésident Pierre Morange. Mais cela fait 1 % de quelle somme ?
M. Frédéric van Roekeghem. Il s’agit de 1 % des dépenses remboursées de l’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange. Soit environ 150 milliards d’euros.
M. Frédéric van Roekeghem. Ce taux, comme la Cour des comptes le dit d’ailleurs, n’est pas démontré : pour cela, des évaluations par échantillonnage extrêmement lourdes sont nécessaires. Il s’agit d’un ordre de grandeur constaté expérimentalement sur les champs sur lesquels nous travaillons. Il comprend les fraudes et les fautes.
J’ai évoqué les sommes provenant du contrôle de la tarification à l’activité : 30 à 50 millions d’euros. Or, le montant total de la tarification à l’activité (T2A) est de 40 milliards : ce n’est donc pas en l’occurrence 1 % des dépenses qui est redressé, mais 0,1 %, et pourtant cela déchaîne les passions ! Quand un établissement de santé facture une prestation à un prix qui, d’après les textes, n’est sans nul doute pas le bon, nous considérons qu’il s’agit plutôt d’une faute que d’une fraude, sauf pratique délibérée et réitérée, et encore. Dans certains pays, cette distinction n’existe pas. Je crois donc que notre politique est proportionnée et raisonnable.
M. le coprésident Pierre Morange. Faute ou fraude, elle doit être corrigée. Et elle doit être sanctionnée, plus ou moins durement en fonction de l’intentionnalité ; cela relève de l’ordre judiciaire.
Mme Bérengère Poletti. La France mène depuis quelques années une politique ambitieuse de sécurisation de ses titres. L’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui s’est installée à Charleville-Mézières en 2007, édite les cartes grises et les passeports, bientôt les cartes nationales d’identité et probablement les permis de conduire. Ce sont des titres extrêmement sécurisés, avec une puce et parfois de la biométrie. La carte Vitale 2, elle, est loin d’être aussi sécurisée. L’assurance maladie avait annoncé en février 2007 sa généralisation pour la fin 2010, mais seulement 15 millions de Français en disposent pour l’instant. Peut-être n’a-t-il pas été décidé à l’époque de travailler avec l’Agence nationale des titres sécurisés, mais pourquoi ne pas engager un partenariat avec elle en vue d’éditer les cartes Vitale 3, qui vont probablement bientôt voir le jour suite à l’échec de la deuxième génération ? En effet, les responsables de l’agence dessinent des perspectives de contrôle des fraudes très intéressantes.
M. Frédéric van Roekeghem. Je ne suis pas sûr que le Gouvernement souhaite une carte Vitale 3. Il ne l’a en tout cas pas demandé dans la convention d’objectifs et de gestion que nous venons de signer.
M. le rapporteur. Mais il demande que la carte Vitale soit sécurisée.
M. Frédéric van Roekeghem. Nous y avons veillé – je rappelle que nous n’émettons qu’environ 80 % des cartes Vitale, les autres régimes d’assurance maladie, le régime étudiant par exemple, faisant le reste. Chaque carte Vitale 2 comporte la photographie de l’assuré. Elle est envoyée à un centre de traitement qui vérifie la photocopie des pièces d’identité et la qualité de la photographie, et qui émet ensuite la carte après avoir vérifié que les droits sont ouverts. Il y a donc un contrôle.
Dans les cas que vous évoquez, par ailleurs, la sécurisation n’est pas le fait de la seule Agence nationale des titres sécurisés, mais résulte de tout un processus. Pour ce qui est des passeports par exemple, il y a d’abord un face-à-face et une instruction dans chaque collectivité locale, puis un envoi à la préfecture, laquelle valide le dossier. Ce n’est qu’ensuite que le titre est émis. Ce n’est donc pas l’agence qui sécurise le titre, mais l’ensemble du processus. Reste à savoir combien il coûte.
Lors du lancement de la carte Vitale 2, le Gouvernement n’avait pas souhaité cette procédure du face-à-face avec l’assuré, notamment parce qu’il était dans l’optique d’un renouvellement complet du parc. Aujourd’hui, il souhaite plutôt privilégier le remplacement des cartes sur le flux que sur le stock. Pour les passeports non plus, il n’y a pas de renouvellement du stock entier, ni pour les permis de conduire – qui posent pourtant un certain nombre de difficultés. En effet, les collectivités locales ne seraient pas forcément en mesure de renouveler le stock de passeports existants. Surtout, cela coûterait très cher. Nous avons pour notre part centralisé le processus de contrôle. Notre centre agit dans le cadre d’instructions précises. Il mutualise l’émission des titres pour la France entière. Et, contrairement au passeport, il n’existe pas de taxe pour financer le coût d’émission d’une carte Vitale. Certes, ce coût – 3 à 4 euros tout compris – est probablement sans commune mesure avec celui de l’émission des passeports, mais, pour nous, c’est un sujet majeur, parce que les volumes en question sont importants.
Mme Bérengère Poletti. Il vaudrait la peine de s’intéresser à cette question car l’Agence nationale des titres sécurisés prétend, elle, que le coût ne serait pas plus élevé. Par ailleurs, l’agence ne s’occupe pas encore des permis de conduire. Enfin, elle ne gère effectivement que les flux, pas les stocks – mais elle les gère correctement. Tout est sécurisé de A à Z, ce qui est loin d’être le cas de la carte Vitale. Même les 15 millions de cartes Vitale 2 ne sont pas bien sécurisées. Il semble qu’il y ait de fausses cartes Vitale qui circulent.
M. Frédéric van Roekeghem. Pouvez-vous nous en procurer une ?
Je n’ai jamais dit que l’Agence nationale des titres sécurisés ne travaillait pas bien. Et ce n’est pas à nous qu’il faut demander le coût d’émission des passeports ! En revanche, je suis capable de vous donner le coût de production de la carte Vitale 2.
M. le coprésident Pierre Morange. Les documents qui conditionnent l’attribution de la carte Vitale vous semblent-ils atteindre un niveau de sécurisation suffisant ? Nous avons des remontées d’informations mettant en cause la production de photocopies. Avez-vous des préconisations à ce sujet ? Exiger des originaux permettrait de limiter les possibilités de détournement du système.
M. Frédéric van Roekeghem. La différence entre la délivrance d’un passeport et d’une carte Vitale, c’est le face-à-face en mairie. Selon les textes en vigueur, la carte Vitale est délivrée au vu de photocopies. On ne peut pas nier que le face-à-face apporterait une sécurité supplémentaire. En revanche, ce serait beaucoup plus coûteux, ne serait-ce qu’en raison du temps que les agents consacreraient à cette tâche. L’opération de renouvellement du stock qui avait été initialement prévue est extrêmement lourde : tout le monde, y compris les personnes âgées de 80 ans pensionnaires d’une maison de retraite, devrait changer sa carte !
Si l’on décide de changer d’orientation, on pourrait par exemple imaginer que la demande de carte Vitale 2 se fasse en même temps que le renouvellement d’un passeport. Cela permettrait de mutualiser un certain nombre d’opérations et d’accélérer le processus d’émission de la carte. C’est possible, mais cela a un coût. Quel est-il exactement ? Est-on prêt à le payer ? Sur quel budget ? Sans compter que le sujet est politiquement sensible.
Mme Bérengère Poletti. Il semblerait que tous les pays européens aillent vers une sécurisation en la matière. Passer à une carte Vitale sécurisée par le processus de l’Agence nationale des titres sécurisés aurait le grand avantage de nous permettre d’accéder ensuite à la carte européenne d’accès aux soins – l’agence fait d’ailleurs partie du réseau STORK (Secure identity across borders linked) de l’Union européenne. Nous aurions tout intérêt à entrer dans le système dès maintenant.
M. le rapporteur. Les fabricants de cartes sécurisées n’attendent que ça. C’est en outre une spécialité française, qui a beaucoup de mal à se développer. Ils ont fabriqué la carte sécurisée de la sécurité sociale belge, qui fonctionne parfaitement. Ils sont en train de mettre en place la carte de sécurité sociale algérienne, qui est non seulement sécurisée mais en outre directement reliée au système de remboursement, ce qui permet d’en connaître l’évolution quotidiennement. Il n’y a aucun problème technique. Alors qu’est-ce qu’un coût de 2 ou 3 euros comparé aux 8 000 euros de remboursements par assuré social français ? J’ajoute que le contrat d’objectifs et de gestion signé avec l’État prévoyait la mise en place d’une carte Vitale sécurisée : c’est un des points qui n’a pas été atteint. Ne dites donc pas que l’État n’a pas exprimé cette volonté. Peut-être ne pensez-vous pas que c’est une priorité, mais l’État l’a demandé.
M. Frédéric van Roekeghem. Je ne sais pas ce qu’il en est de la sécurité des remboursements d’assurance maladie algériens. En revanche, j’aimerais bien disposer d’une carte Vitale frauduleuse. C’est ce que je demande à tous mes interlocuteurs depuis cinq ans : aucun n’a pu m’en fournir une – ce qui ne veut pas dire d’ailleurs que ce ne soit pas possible. Mais j’aimerais bien savoir de quoi il est question exactement : serait-ce du chiffre d’affaires de l’Agence nationale des titres sécurisés ? Parce que pour le reste, le droit en vigueur prévoit que la délivrance de la carte Vitale 2 se fait sur la base d’un processus industrialisé, sans face-à-face. L’émission par l’agence ne changerait donc rien à la sécurisation.
Un processus de délivrance qui prévoit la production des documents originaux et la confrontation avec la personne me paraît effectivement plus sécurisé qu’un processus sans face-à-face. En revanche, cela a un coût, qu’à ma connaissance on n’a jamais évalué. C’est pourtant facile : il suffit de connaître le coût du face-à-face pour les collectivités locales – j’ai cru comprendre qu’il y avait un débat avec l’État sur ce point –, le coût de la gestion en préfecture et le coût d’émission du titre. Il faut en outre bien veiller à prévoir l’ensemble du dispositif et pas seulement le processus d’émission de la carte – nous en émettons plus de 10 millions. Il convient notamment d’assurer toute la logistique d’interface avec les bases de données des régimes afin de pouvoir vérifier que les droits sont ouverts au moment de la production de la carte.
Compte tenu de l’inertie de l’ensemble, il me semble qu’une solution concrète pourrait consister à permettre aux personnes qui renouvellent certains titres de demander en même temps leur carte Vitale 2. Cela améliorerait encore la sécurisation tout en évitant des formalités administratives inutiles. Nous avons signé des marchés qui prévoient la possibilité de flux dématérialisés. Si les textes le permettaient, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, on pourrait mettre en place une transmission de flux à partir de la validation de la préfecture en direction de notre centre d’émission. Je ne suis pas sûr que cela plairait beaucoup à l’Agence nationale des titres sécurisés mais cela me paraîtrait une réponse pragmatique à la question de la sécurisation de la carte, qui pourrait être mise en œuvre à un horizon raisonnable et simplifierait la vie des assurés.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Vous avez évoqué 273 condamnations à des peines de prison. Sur quelle période ? Le nombre est-il en augmentation ? Quelle est la répartition entre professionnels de santé et assurés ? Et parmi les professionnels, quelles sont les fraudes principales ?
M. Frédéric van Roekeghem. Le nombre est en augmentation : il s’agissait de 143 personnes en 2006 et de 211 en 2008. Cela s’explique tout simplement par le délai d’instruction de trois ou quatre ans dont je vous ai parlé : nous sommes encore en période de montée en puissance. Certaines de nos plaintes déposées en 2006 n’ont pas encore commencé à être traitées.
Sur la répartition, nous vous ferons parvenir les données précises.
M. Pierre Fender, directeur du contrôle, du contentieux et de la répression des fraudes à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Il y a par nature plus d’assurés que de professionnels, d’autant que ces derniers peuvent être jugés par la voie ordinale, qui va d’ailleurs beaucoup plus vite…
M. Frédéric van Roekeghem. …mais qui est aussi fonction de la volonté des ordres et de leur homogénéité au niveau départemental. Dans un certain nombre de cas, les choses sont un peu compliquées. Cela dit, les différences de politiques des ordres professionnels sont un autre sujet.
Certaines des plaintes que nous avons déposées – pas en grand nombre, mais tout de même – concernent des fraudes « interne-externe ».
M. le coprésident Pierre Morange. Et qu’en est-il des plaintes concernant les établissements ?
M. le rapporteur. L’établissement de Marseille, où des patientes ont été « charcutées » pendant cinq ans par le docteur Maure, contre qui ont été déposées des centaines de plaintes, ne semble pas avoir été harcelé par les pouvoirs publics.
M. Pierre Fender. Madame Martine Carillon-Couvreur, les fraudes principales sanctionnées sont, pour les professionnels, les actes fictifs, c’est-à-dire la facturation d’actes non réalisés, et pour les assurés, les fraudes aux prestations en espèces, en particulier aux indemnités journalières, à partir notamment de fausses déclarations de salaire.
En raison de la lenteur de la procédure pénale, nous choisissons soit le dispositif des pénalités pour les assurés ou les professionnels, soit la plainte ordinale pour les professionnels.
En cas de fraude reconnue pour laquelle une plainte pénale ou une plainte ordinale a été déposée, nous devrions avoir la capacité de déconventionner si nous estimons être face à une urgence. Or le décret d’application de cette disposition votée par le législateur n’a toujours pas été publié.
M. Frédéric van Roekeghem. Cela ne signifie pas que nous sommes totalement démunis, puisque des déconventionnements ou des interdictions d’exercer peuvent être prononcés par le juge dans le cadre d’une instruction. Je songe à l’affaire El Said, qui remonte à trois ans et dans laquelle, à la suite d’une utilisation frauduleuse de la carte Vitale, le juge a prononcé une interdiction d’exercer. Toutefois, ce système suppose une réactivité assez forte de la justice ; or, étant donné le nombre très élevé d’affaires en instance devant les tribunaux – et, souvent, d’affaires plus importantes que les nôtres –, il faudra réfléchir à des outils moins lourds, mais plus efficaces, dans les années à venir. Les établissements de santé pensent d’ailleurs que les sanctions administratives sont très lourdes, puisqu’elles peuvent atteindre jusqu’à 5 %.
Nous considérons que l’utilisation des textes par les organismes locaux peut être améliorée. Au demeurant, nous constatons encore une hétérogénéité dans l’utilisation des outils de lutte contre la fraude au sein du réseau des caisses primaires – et, en ce domaine, la Cour des comptes n’a fait que reprendre nos chiffres. Nous avons mesuré cette hétérogénéité – nous connaissons, pour chacun des organismes, le montant des fraudes détectées au niveau local et les sanctions appliquées – et nous avons constaté l’absence de lien systématique entre la taille des organismes et l’efficacité de la lutte contre la fraude, mais aussi entre le nombre de personnes engagées dans cette action et les résultats obtenus.
Nous nous sommes mis d’accord avec les pouvoirs publics pour aboutir à une unicité de reporting, avec une pression accentuée sur le reporting local pour disposer d’un étalonnage des établissements permettant de mettre en évidence les meilleures pratiques.
M. Pierre Fender. Nous avons déposé 911 plaintes pénales contre des assurés, 185 contre des professionnels, 12 contre des établissements et 134 contre les transporteurs et fournisseurs.
Les motifs de plainte contre les établissements sont l’absence de prestations par rapport à la facturation ou un doublement de facturation. Après récidive de la part de certains établissements qui, pour les soins de ville, facturent des prestations qui s’ajoutent au forfait, nous déposons une plainte pénale. Il faut que, dans le milieu, on sache que nous agissons en cas de récidive.
M. Frédéric van Roekeghem. Aujourd’hui, notre stratégie consiste plutôt à analyser les surfacturations en tarification à l’activité (T2A) et l’internalisation de soins externes, non conforme à la circulaire sur les « actes frontières ». En cas par exemple de facturation des transports au sein des assistances publiques (AP), nous considérons qu’il s’agit de fautes de facturation. Par contre, si un établissement facture des actes en répartissant sur un même patient les professionnels de manière à ne pas appliquer le taux d’abattement des actes et qu’il y a réitération, nous considérons qu’il y a suspicion de fraude, il s’agit de cas très précis et identifiés.
Nous menons une instruction préalable du dossier avec des critères stricts. Sans la certitude de graves suspicions d’actions délibérées ayant pour volonté de nuire, nous utilisons d’autres voies que la procédure pénale, car il me semble inutile de déposer un grand nombre de plaintes qui risqueront d’être classées sans suite pour insuffisance d’éléments de preuve.
Pour les professionnels de santé, nous pouvons dans certains cas non seulement utiliser les sanctions administratives car l’assurance maladie subit un dol, mais aussi saisir le conseil de l’ordre si nous constatons des manquements importants à la déontologie – le conseil de l’ordre ayant la possibilité, depuis peu, de prononcer des pénalités financières.
En revanche, nous avons toujours résisté à la demande réitérée des syndicats de professionnels de rendre les pénalités conventionnelles prioritaires par rapport aux pénalités de droit administratif. Au reste, selon moi, ce ne serait pas conforme à la Constitution.
En définitive, la manière dont nous utilisons la palette d’outils est un sujet sur lequel nous travaillons.
M. le coprésident Pierre Morange. Nos travaux sur le fonctionnement de l’hôpital ont révélé la violation des dispositions du code des marchés publics de la part de certains établissements de santé. De fait, la surfacturation constitue un dévoiement de l’utilisation de l’argent des Français au préjudice de leur santé. Que ce soit une faute ou une fraude, c’est à la justice de trancher, mais, en vérité, l’assurance maladie doit prendre en compte ce phénomène.
Les exemples ne sont pas isolés et devraient conduire à une plus grande vigilance en matière de contrôle de légalité. Il me semble légitime que l’assurance maladie se porte partie civile dans ces affaires où elle subit un préjudice au titre de son rôle d’assureur. Elle n’est pas un simple guichet, un payeur aveugle : elle doit s’assurer que les efforts de Français sont utilisés à bon escient. N’oublions pas que les déficits d’aujourd’hui sont les risques sanitaires de demain.
Quelle est votre doctrine sur le sujet ?
M. Frédéric van Roekeghem. S’agissant du contrôle des établissements de santé, tout particulièrement le contrôle de la tarification à l’activité, les textes confient cette responsabilité au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS). Ce contrôle passe par deux commissions : une commission technique paritaire entre l’agence régionale de santé et l’assurance maladie ; une commission – plus politique, elle – au sein de laquelle le directeur général de l’agence régionale de santé est seul juge de la décision de sanctionner in fine.
M. le coprésident Pierre Morange. Auparavant, c’était l’autorité préfectorale qui décidait.
M. Frédéric van Roekeghem. C’était l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) dans le cadre d’une unité de coordination.
M. le coprésident Pierre Morange. Il y avait une responsabilité partagée entre la préfecture et l’agence régionale de l’hospitalisation.
M. Frédéric van Roekeghem. En matière de contrôle, l’action de l’assurance maladie est encore plus liée aujourd’hui qu’elle ne l’était auparavant. Aujourd’hui, la décision finale ne nous appartient pas. Néanmoins, nous tenons à votre disposition un bilan exhaustif, région par région, des propositions qui ont été faites par chacun des organismes techniques et des décisions qui sont prises. Cela dit, nous reconnaissons qu’il y a une certaine hétérogénéité dans notre réseau.
Les établissements de santé n’étant pas placés sous notre tutelle, il ne nous appartient pas de veiller à la bonne application par ceux-ci des dispositions du code des marchés publics. C’est aux instances responsables de la gestion de ces établissements – directeur, instances de contrôle interne, éventuellement agent comptable – mais aussi à tout le dispositif de contrôle de l’État que revient cette tâche. Les textes ne confient pas ce rôle à l’assurance maladie. Pour autant, en cas de manquement au droit et si celui-ci emporte des conséquences financières avérées au détriment de l’assurance maladie, il n’est exclu que nous puissions nous constituer partie civile : il faut étudier les dossiers au cas par cas pour voir si nous sommes fondés à le faire. A priori, il n’y a pas de problème de doctrine en la matière.
M. Patrick Lebreton (usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres). Très régulièrement, les départements d’outre-mer font l’objet de campagnes médiatiques pas toujours à leur avantage, pointant des déclarations de fraude, aux prestations sociales notamment.
À la fin de l’année 2008, la préfecture de La Réunion a mis en place un comité local unique de lutte contre la fraude. Il nous avait été dit que cette expérimentation allait aussi être conduite en Dordogne et dans l’Hérault. Ce travail de dix-huit mois devait être mené en croisant les données de la caisse d’allocations familiales, de l’Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), du régime social des indépendants, de la caisse générale de sécurité sociale et des autres caisses prestataires afin de traquer les tricheurs.
À l’époque, nous avions demandé si ce travail porterait jusqu’aux abus de dépenses d’assurance maladie notamment. Il ne nous a pas été répondu par la négative.
Avez-vous connaissance de cette expérimentation ? Si oui, disposez-vous d’éléments permettant d’effectuer un bilan général, et, dans ce cas, les taux de fraudes à ces prestations sont-ils supérieurs dans notre département à ceux d’autres départements pilotes ?
M. Frédéric van Roekeghem. Nous avons connaissance de cette expérimentation, menée sous l’égide de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et des comités locaux uniques, transformés récemment en comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF).
Je ne suis pas en mesure de vous dire si nous avons constaté à La Réunion des résultats différents de ceux de la Dordogne, mais nous pourrons regarder ce point avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude.
M. Pierre Fender. Les comités opérationnels départementaux antifraude ne traitent pas des abus, mais uniquement des fraudes.
M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur Patrick Lebreton, nous poserons votre question précise à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. Ce sera peut-être l’occasion de contredire certaines assertions n’ayant que pour but de fissurer le pacte républicain.
M. le rapporteur. Dans son rapport, la Cour des comptes souligne que, pour la branche Maladie, dans le cas des actions décentralisées, la pauvreté des informations remontées à la caisse nationale est patente. Et elle cite comme exemple l’absence de diffusion des meilleures pratiques dans le cas de la lutte contre les fraudes liées à la consommation du Subutex. Selon le rapport de la cour, le contrôle exercé par les caisses primaires d’assurance maladie n’a eu que peu d’impact sur la présence globale du Subutex sur le marché parallèle du fait de détournements non contrôlés. Le marché parallèle est largement alimenté en Subutex, et cela est confirmé par le rapport de 2006 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants de l’Organisation des Nations Unies (ONU), rapport selon lequel 20 % à 25 % du Subutex délivré dans le système français sont détournés vers le marché illicite. Enfin, selon ce rapport, pour le système social français, notamment l’aide médicale d’État (AME), il s’agit aujourd’hui de la principale source de trafic international de Subutex, à tel point que les instances de l’Organisation des Nations Unies s’en inquiètent et pointent systématiquement le phénomène depuis trois ans.
Dans notre débat sur l’aide médicale d’État, la ministre de la santé et des sports a indiqué que 439 personnes consommaient 45 millions d’euros de soins à Paris. Le rapport annuel de performances présenté au Parlement indique qu’un contrôle a été effectué en 2009 par 106 caisses primaires d’assurance maladie sur 5 % des bénéficiaires de l’aide médicale d’État, et que la vérification de l’État a amené un taux de découverte de fausses déclarations de 49,81 %, soit un dossier sur deux non conforme et accepté par une caisse primaire.
Avez-vous le sentiment qu’il existe un problème de pilotage entre la caisse nationale et les caisses primaires, ce que vous reconnaissez vous-même en parlant de très grandes disparités régionales ?
M. Frédéric van Roekeghem. La recherche de l’homogénéité sur tout le territoire est un souci partagé par les responsables de réseau national. Il n’en reste pas moins que nos cartes sur les professionnels de santé libéraux établissent l’existence d’hétérogénéités, comme pourraient également en relever, s’il y en avait, des cartes sur les professionnels hospitaliers ou sur les caisses primaires… ou encore sur la magistrature.
En ce qui concerne le Subutex, la Cour des comptes mentionne une initiative prise par la caisse primaire de Toulouse. Cette initiative est-elle conforme aux textes ? A-t-elle produit des résultats ? Il est dommage que la cour ne se soit pas posée ces deux questions, et je suis prêt à en débattre publiquement avec elle.
M. le rapporteur. Il est dit qu’à Toulouse, uniquement, une chasse au Subutex a été menée.
M. Frédéric van Roekeghem. Cette affirmation est erronée ! Interrogez la juge Bertella-Geffroy à Paris ! Regardez où les plaintes sont déposées et par qui ! Sur quoi repose l’affirmation de ce monsieur de Toulouse indiquant qu’il est le seul à obtenir des résultats ? Des vérifications ont-elles été faites ?
Le Subutex est un traitement substitutif aux opiacés afin d’aider les patients à s’en sortir dans le cadre d’une politique de santé. A-t-on le droit aujourd’hui en France de limiter la délivrance du Subutex à un pharmacien ? Non cela n’est pas autorisé par les textes.
Pour autant, il est exact que nous constatons, dans un certain nombre de cas, des délivrances de produits substitutifs aux opiacés non conformes aux prescriptions raisonnables et qui, de toute évidence, donnent lieu à un trafic. Nous avons déposé plainte. Sur ce point, nous tenons un dossier à votre disposition.
M. Pierre Fender. Nous avons 50 programmes, dont deux sur les traitements substitutifs aux opiacés comme la buphénorphine ou la méthadone, le premier portant sur les professionnels de santé, le second sur les assurés.
En ce qui concerne les assurés, une trentaine de plaintes pénales avec constitution de partie civile ont été déposées et 50 informations ont été ouvertes. Cela concerne la France entière. Je tiens à votre disposition le programme qui est établi annuellement.
Pour les professionnels, nous avons ciblé 74 professionnels de santé pour la France entière. Je tiens également le bilan à votre disposition.
M. Frédéric van Roekeghem. Il faut savoir que la caisse de Toulouse ne représente pas grand-chose sur ces 74 professionnels.
M. Pierre Fender. En effet, les problématiques du Subutex concernent principalement l’Île-de-France, la région Provence-Alpes-Côte d’azur et l’Alsace, régions sur lesquelles nous travaillons principalement.
M. Frédéric van Roekeghem. Nous pouvons démontrer, chiffres à l’appui, que l’affirmation selon laquelle seule Toulouse obtient des résultats en ce domaine est fausse.
M. le rapporteur. Évoquant un pilotage insuffisant, la cour souligne que la question du Subutex est résolue à Toulouse, où a été mis fin au problème des méga-consommateurs. En d’autres termes, ce directeur de la caisse de Toulouse a réglé un problème de trafic de drogue !
M. Frédéric van Roekeghem. Ce n’est pas vrai, et je peux le démontrer chiffres à l’appui !
M. Pierre Fender. S’agissant du taux de personnes qui achètent plus de 32 milligrammes par jour, la région Midi-Pyrénées est passée de 0,8 % en 2006 à 1,6 % en 2009, tandis que la France entière, hors région Midi-Pyrénées, est passée de 2,3 % au deuxième semestre 2006 à 1,5 % en 2009. Ainsi, dans le même temps, l’ensemble du programme national a divisé par deux la proportion des assurés au-dessus d’une facturation de 32 milligrammes par jour alors que la région Midi-Pyrénées a doublé cette proportion.
Entre la cour et nous, il y a probablement eu une incompréhension : nous nous sommes peut-être mal exprimés et n’avons pas donné les bons chiffres. Nous vous communiquerons les bilans de nos plans, qui font apparaître le nombre de plaintes par catégories – pharmacies, médecins, assurés –, ainsi que le nombre de condamnations.
Selon la brigade des stupéfiants, avec laquelle nous travaillons en Île-de-France, le prix de la plaquette de Subutex (buprénorphine à haut dosage) à 8 milligrammes serait passé sur le marché parisien de 6 euros à 20 euros. Cela signifie bien que nous avons réduit le débit de la source. Certes, cela ne résout pas tout, mais nos échanges avec la brigade des stupéfiants nous aident à repérer les pratiques frauduleuses.
M. Frédéric van Roekeghem. Je persiste à dire que l’affirmation contenue dans le rapport de la cour et selon laquelle seule la caisse de Toulouse fait quelque chose pour lutter contre les dérives en matière de Subutex est erronée. Elle est insuffisamment étayée, et nous sommes prêts à le démontrer.
M. le coprésident Jean Mallot. Il n’y a pas de raison de mettre en doute les informations que vous nous donnez, mais je souligne que la Cour des comptes respecte une procédure contradictoire.
M. Frédéric van Roekeghem. Comment le contradictoire a-t-il été effectué ? Nous sommes d’accord avec la Cour des comptes sur de nombreux points. Ainsi, nous reconnaissons qu’il faut améliorer les performances en matière d’évaluation, accomplir des efforts pour l’homogénéité des traitements. Toutefois, nous ne sommes pas d’accord avec la cour quand elle écrit que la caisse de Toulouse est la seule à lutter contre les dérives en matière de Subutex !
Cela ne veut pas dire que nous considérons avoir résolu le problème. En effet, depuis que nous avons engagé ces actions de lutte contre les prescriptions abusives et le trafic de Subutex, les modes opératoires des professionnels et des assurés concernés ont évolué pour s’adapter.
Je rappelle que M. Didier Jayle, le précédent président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), avait évoqué la possibilité de classer le buprénorphine dans la catégorie des stupéfiants. Toutefois, il n’y avait pas eu de suite. En effet, ce sujet ne se limite pas à un problème de trafic ou de prescriptions abusives. N’oublions pas que sont aussi concernés des patients auxquels on apporte des soins, des publics difficiles auxquels on délivre ce produit – ce qui permet parfois d’endiguer des maladies transmissibles dues à la mauvaise utilisation d’autres produits. Cela dit, il est évident qu’il convient de lutter contre le trafic de Subutex.
Je pense que le Gouvernement a débattu sur ce sujet complexe avec les professionnels de santé concernés, notamment les pharmaciens d’officine. Il est exact qu’un certain nombre de produits provenant du marché français se retrouvent dans des pays étrangers qui ne les utilisent pas pour des soins. Et c’est pourquoi nous participons à cette lutte, mais nous le faisons dans le respect des textes.
M. le coprésident Pierre Morange. Précédemment, la MECSS a eu connaissance d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales totalement contraire à la réalité des faits et rédigé pour des motivations que nous avons eu quelques difficultés à percevoir.
M. le rapporteur. Qu’avez-vous à répondre sur le fait que les services de l’État aient découvert qu’un dossier sur deux donne droit à l’aide médicale d’État indûment ?
M. Frédéric van Roekeghem. Il s’agit de dossiers sur lesquels nous avions des interrogations, pour ne pas dire des suspicions.
Pour autant, en 2007, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales soulignait que les dossiers d’aide médicale d’État étaient plutôt instruits convenablement par les organismes de sécurité sociale. Le travail des caisses n’est d’ailleurs pas facile, car il s’agit de vérifier si des personnes qui sont en situation irrégulière et qui n’ont pas de papiers d’identité, ont droit à la couverture maladie financée par l’État.
Conformément au souhait du Gouvernement, des titres plus sécurisés sont mis en place dans l’ensemble des réseaux de l’assurance maladie. Nous sommes d’ailleurs d’accord pour dire que les anciens titres en papier de l’aide médicale d’État ne sont pas suffisamment sécurisés. Un travail a été fait en liaison avec les services de l’État et les associations, notamment Médecins du monde, pour émettre progressivement des cartes sécurisées pour tous les renouvellements d’attestations d’aide médicale d’État, selon des normes identiques à celles du ministère de l’intérieur. Je tiens un spécimen à votre disposition.
Mme Bérengère Poletti. Comment procédez-vous ?
M. Frédéric van Roekeghem. Pour la couverture maladie universelle complémentaire et pour l’aide médicale d’État, il y a un face-à-face dans les organismes, c’est-à-dire que la personne doit se déplacer.
Mme Bérengère Poletti. Pourquoi ne pas faire la même chose pour la carte Vitale ?
M. Frédéric van Roekeghem. Ce ne sont pas les mêmes ordres de grandeur : le nombre de personnes concernées par l’aide médicale d’État est de 240 000, à comparer aux 35 millions d’assurés. Se pose donc la question du coût. Les deux organismes qui délivrent le plus d’attestations d’aide médicale d’État en France métropolitaine sont ceux de Paris et de Bobigny,
Je rappelle que, pour la couverture maladie universelle complémentaire, les textes prévoient un face-à-face obligatoire chaque année. La couverture maladie universelle complémentaire et l’aide médicale d’État sont en effet des droits particuliers, d’où des modalités particulières.
M. le rapporteur. Mettre en place une carte Vitale sécurisée pour des publics prioritaires, ne serait-ce que parce qu’ils ont eu des incidents au fil des années, ne semble pas très difficile puisque vous avez tous les moyens pour y parvenir.
La Cour des comptes note que votre système informatique connaît de grandes difficultés et que, malgré 2 000 informaticiens répartis sur 50 sites, vous manquez cruellement de personnels qualifiés.
M. Frédéric van Roekeghem. Il est exact que notre système d’information peut être amélioré. Néanmoins, je voudrais revenir sur tout ce qu’il permet de faire.
Ainsi, nous n’avons pas eu les problèmes qu’a connus le système fiscal anglais. Il faut savoir que le système Vitale permet la transmission d’un milliard de feuilles de remboursement de soins par la voie électronique.
M. le coprésident Pierre Morange. Rappelez-nous votre taux de télétransmission.
M. Frédéric van Roekeghem. Nous avons dépassé 85 %. Cette année, nous avons dépassé notre objectif annuel parce que nous mettons en place la taxation sur les feuilles de soins papier. Depuis le mois de septembre, nos délégués d’assurance maladie rendent visite à tous les professionnels qui ne télétransmettent pas et à tous ceux qui télétransmettent moins de 75 %, pour leur expliquer le mécanisme incitatif qui a été mis en place et les informer sur les possibilités techniques qui s’ouvrent à eux – cela va de systèmes intégrés jusqu’à des systèmes plus complexes fonctionnant avec des logiciels adaptés. Notre but est d’arriver, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion, à un taux supérieur à 90 %. Le taux le plus élevé, de 95 %, est atteint par les pharmaciens d’officine.
Notre système d’information permet de rembourser environ 170 milliards d’euros, de rembourser en moins de cinq jours les feuilles de soins électroniques, d’interconnecter les professionnels de santé libéraux et les établissements de santé, de gérer 55 millions d’assurés et d’ayants droit, de faire du téléservice auprès des 5,7 millions d’assurés – nous devrions atteindre 6,3 millions à la fin de l’année – et des 280 000 professionnels de santé qui ont ouvert un compte. J’ajoute que de grands pays occidentaux ou orientaux s’intéressent à la manière dont le système Vitale fonctionne et nous rendent visite.
Cela dit, un certain nombre d’informations contenues dans le rapport de la Cour des comptes sont exactes.
Premièrement, il y a une dispersion des moyens géographiques au niveau des centres de développement. En outre, les centres d’exploitation pourraient évoluer vers plus de spécialisation pour augmenter leur performance.
Deuxièmement, nous avons un problème de capacité de développement par rapport à la commande : la commande de développement, qu’elle soit réglementaire ou liée aux évolutions de notre offre de services, est supérieure à ce que nous pouvons faire.
Troisièmement, des gains en matière de productivité sont nécessaires, soit en introduisant des techniques plus performantes de développement, soit en harmonisant les implantations géographiques et en spécialisant certains de nos centres de développement. En la matière, la carte de la Cour des comptes est exacte, puisque c’est la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés qui lui a fournie.
Au final, nous pouvons améliorer notre système d’information et son management. Au reste, nous avons cet après-midi une réunion avec les partenaires sociaux du conseil de la caisse nationale d’assurance maladie pour évoquer ce sujet.
De plus, sur la base des orientations votées par le conseil de la caisse nationale d’assurance maladie, la convention d’objectifs et de gestion pour 2010-2013 a prévu d’examiner la question de l’implantation des centres. D’ici à la fin de l’année, nous entrerons dans un schéma directeur des systèmes d’information qui doit être validé par l’État, ce dernier ayant prévu dans la convention une tranche de crédits, conditionnée à la présentation et à la validation de ce schéma directeur.
M. le coprésident Pierre Morange. Selon le rapport de la Cour des comptes, l’interconnexion des fichiers de l’assurance maladie – nœud gordien, selon moi, de l’efficience de notre système sanitaire et social – n’est toujours pas opérationnelle. Au reste, lors d’une précédente audition, vous nous aviez indiqué que la montée en puissance du plan informatique de l’assurance maladie avait pris quelques retards, notamment au titre de l’urbanisation. Les résistances sont-elles de nature humaine, technique, financière, voire culturelle ? Y a-t-il des obstacles réglementaires, voire législatifs ? Comment l’Assemblée nationale peut-elle vous aider ?
M. Frédéric van Roekeghem. La cour a en effet pointé une insuffisance en matière d’élaboration d’un schéma directeur des systèmes d’information, ce que nous ne remettons pas en cause.
M. le coprésident Pierre Morange. Le serveur de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) de Tours est opérationnel depuis le mois d’août. La date butoir d’une centralisation des données fixée pour la fin de l’année sera-t-elle tenue ?
M. Frédéric van Roekeghem. Nous visons a priori un rattachement des données centralisées au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) – première étape de la mise en œuvre du dispositif – pour la fin de l’année, les applicatifs étant développés et en cours de validation depuis le 1er octobre 2010.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous souhaitons être informés régulièrement de la mise en œuvre de cet agenda.
M. Frédéric van Roekeghem. Nous avons pris en compte la priorité de la mise en place du répertoire national commun de la protection sociale. Par ailleurs, nous menons avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) des discussions sur les modalités techniques de mise en place des étapes supplémentaires.
Les systèmes d’information de l’assurance maladie présentent un ensemble de problématiques.
Premièrement, ils font vraisemblablement partie des plus lourds de France, puisqu’ils représentent en termes d’échanges pour la Carte Vitale l’équivalent d’une très grosse banque française. Ils sont caractérisés par une grande complexité, nos intervenants externes étant très nombreux : différents régimes sociaux, Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic), professionnels de santé, État, etc.
La majorité des applicatifs ont été développés au début des années quatre-vingt-dix en technologie dite « NS-DK », c’est-à-dire à la fois pour des serveurs et des postes de travail locaux. Pour les « urbaniser », il faut apporter des modifications sur ces deux champs, ce qui nécessite de mobiliser beaucoup de ressources humaines. Or si l’on veut repositionner des forces sur le développement, plutôt que sur l’exploitation et la mise en œuvre locale, il faut changer cette technologie, comme l’ont fait France Télécom et de grandes banques françaises. Cela fait partie des propositions que nous ferons à l’État dans le cadre du schéma directeur des systèmes d’information. Nous devrons vraisemblablement avoir recours à des prestataires spécialisés, car ce n’est pas notre cœur de métier.
Deuxièmement, nous ne pouvons pas nous permettre une pause applicative. Le concept, un moment envisagé, d’un « big bang informatique » est inenvisageable, compte tenu de l’importance des programmes de l’assurance maladie : il nous mènerait à l’échec. C’est d’ailleurs ce que nous avons répondu à la Cour des comptes.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous prêchez des convaincus !
Nous avons compris l’utilité des 2 000 informaticiens dans la mesure où il fallait accélérer le processus de télétransmission afin de diminuer les coûts de gestion de l’assurance maladie.
Le dispositif de l’interconnexion des fichiers permettra de s’assurer de l’éligibilité des droits, mais pas l’échange d’informations sur les montants. Sur ce dernier point, notre amendement présenté lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale a reçu un avis défavorable de la part du Gouvernement. Pourtant, il est essentiel de connaître l’importance des montants, sachant que le versement de certaines prestations se fait sous condition de ressources. C’est une nécessité pour les collectivités territoriales pour instruire les dossiers en matière d’aide sociale. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Frédéric van Roekeghem. Il faut distinguer les prestations en nature, qui correspondent à des soins dispensés, et les prestations en espèces. En outre, la remontée d’informations est techniquement compliquée.
Par exemple, les dossiers d’accidents du travail doivent être gérés non par la caisse du ressort de l’assuré, mais par celle où l’accident du travail est déclaré. En outre, en cas de décès, le dossier est géré par la caisse du lieu de constat de l’accident du travail, alors que l’assuré ou ses ayants droit peuvent relever d’une autre caisse, voire d’un autre régime. Cela engendre une grande complexité de gestion.
Ces questions nous renvoient à une réflexion sur l’architecture informatique et la manière dont le code de la sécurité sociale prévoit la territorialisation, ce dernier sujet étant lui-même très complexe. En effet, à travers le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), nous ne disposons des informations des grandes assistances publiques que par le biais d’un identifiant unique de l’assistance publique ; nous n’avons pas les informations territorialisées de chaque établissement. C’est ainsi que la caisse primaire de Nanterre ne dispose pas sur les informations de programmes de médicalisation des établissements qui sont de son ressort géographique. Aujourd’hui, il n’existe pas de référentiel qui permettrait d’identifier l’activité d’un établissement de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), et le retour d’information vers les organismes de sécurité sociale ne se fait pas.
Cela dit, le projet de facturation individuelle des établissements – le projet FIDES – avance.
En conclusion, notre système d’information est très transparent sur le monde libéral. Mais il reste à améliorer s’agissant des établissements de soins, sujet que nous souhaitons évoquer avec l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) et les directions du ministère. Je reviens sur la territorialisation : ce n’est pas la même chose d’avoir une vision globale de l’activité d’une grande assistance publique et d’avoir une vision de l’activité de ses principaux établissements.
M. le coprésident Pierre Morange. La territorialisation que vous appelez de vos vœux relève d’une disposition de type réglementaire. C’est une question de volonté politique.
M. Frédéric van Roekeghem. Il faut aussi tenir compte de l’attitude de tous les systèmes de gestion…
M. le coprésident Pierre Morange. Cela relève de la logique de l’état statistique : en matière de remboursement, les établissements de soins ne passent pas directement par la caisse primaire d’assurance maladie, mais par l’agence régionale de l’hospitalisation – désormais par l’agence régionale de santé.
M. Frédéric van Roekeghem. La question est de savoir qui va facturer. Est-ce une assistance publique ou un établissement de santé ?
M. le rapporteur. Dans le débat sur l’aide médicale d’État (AME), il a été dit que la tarification à l’activité ne s’appliquait pas pour les personnes bénéficiaires de l’aide et que la tarification au prix fort rapportait 60 millions d’euros à l’Assistance publique de Paris. M. Jean-Pierre Door m’a demandé de vous interroger sur ce point – et je crois que M. Gérard Bapt aurait fait de même.
M. Frédéric van Roekeghem. C’est exact. Cela se fait certainement pour des raisons historiques…
M. le coprésident Pierre Morange. Pensez-vous vraiment que ce soit pour des raisons historiques ? Selon des sources bien informées, ce système absurde, qui conduit à une surfacturation, permet de rééquilibrer des budgets hospitaliers de l’Assistance publique.
M. Frédéric van Roekeghem. Je pense que la facturation en tarif journalier de prestation (TJP) de l’aide médicale d’État tient au fait qu’avant l’instauration de la tarification à l’activité, la facturation se faisait en tarif journalier de prestation, et que les textes n’ont pas été modifiés.
À la demande de l’Inspection générale des affaires sociales, nous avons réalisé une évaluation. Pour l’année 2008, la comparaison entre, d’une part, la valorisation qui serait induite par la facturation des activités des établissements de soins au prix du groupe homogène de séjour (GHS) et, d’autre part, la facturation en tarif journalier de prestation révèle un différentiel de l’ordre de 130 millions d’euros.
M. le rapporteur. Les chiffres qui nous ont été donnés sont de 60 millions pour Paris et de 180 millions pour tout le territoire.
M. Frédéric van Roekeghem. L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation arrive à des évaluations à peu près similaires aux nôtres.
Pour évaluer l’écart entre le tarif journalier de prestation et le groupe homogène de séjour, il faut aussi tenir compte de la « liste en sus », c’est-à-dire des médicaments en sus des groupes, faute de quoi le résultat peut être surévalué.
Pour l’année 2009, le coût total de l’hospitalisation publique et privée s’élève à 370 millions d’euros. L’écart est important, de près de 25 % à 30 %.
M. le rapporteur. Avez-vous regardé également la durée moyenne de séjour qui est peut-être un peu plus longue que celle du régime de tarification à l’activité ?
M. Frédéric van Roekeghem. La durée moyenne de séjour intervient aussi dans la facturation en tarification de l’activité. N’ayant pas accès aux comptes des établissements, nous ne sommes pas capables de dire aujourd’hui si cette facturation correspond à des coûts qui seraient supérieurs.
Le mode de facturation en tarif journalier de prestation a deux conséquences.
Premièrement, la transparence dans la connaissance des prestations est relativement faible. En effet, le tarif journalier de prestation n’est ni une nomenclature commune, ni une tarification commune à l’ensemble des établissements. Surtout, l’activité peut être très importante – certains tarifs journaliers de prestation couvrent toute la chirurgie, par exemple – et les tarifs sont très variables. En médecine, par exemple, le tarif est de 758,76 euros à l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) et de 1 230 euros à l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Deuxièmement, le tarif journalier de prestation est notablement supérieur à la facture groupe homogène de séjour.
En somme, facturer en tarif journalier de prestation aboutit à moins de transparence pour les caisses, et est donc beaucoup moins performant du point de vue de l’identification que la nomenclature en groupe homogène de séjour et des médicaments facturés en sus. Cela a évidemment des conséquences financières pour l’État, d’autant plus qu’il faut y rajouter les soins urgents. Et, bien entendu, s’il y a des conséquences financières pour l’État, cela implique des ressources pour l’établissement public concerné.
Cela étant dit, les dépenses d’aide médicale d’État sont extrêmement concentrées sur des dépenses hospitalières, et une partie non négligeable de cette concentration s’explique par le mode de facturation. Il est très compliqué d’analyser objectivement les dépenses de l’aide car, pour effectuer une comparaison, il faudrait opérer une sorte de redressement en fonction de l’âge des personnes concernées et de leur état de santé.
M. le rapporteur. Les personnes concernées sont plutôt jeunes, et pourtant elles consomment un peu plus que la population française. Une surfacturation due à une durée de séjour plus longue profite à l’Assistance publique. Cela explique vraisemblablement pourquoi l’aide médicale d’État a augmenté de 13 % l’année dernière. Il faut corriger cela.
M. Frédéric van Roekeghem. La mission en cours de l’Inspection générale des affaires sociales, demandée par le Gouvernement, étudie ce sujet.
À notre connaissance, les tarifs journaliers de prestation ont augmenté de façon importante entre 2007 et 2008, et de manière moins importante entre 2008 et 2009. Certes, il faut s’interroger sur le tarif journalier de prestation, mais il n’a pas que des conséquences sur l’aide médicale d’État. Ainsi, le ticket modérateur a pour base ce tarif.
M. le coprésident Pierre Morange. Merci beaucoup, madame, messieurs.
*
AUDITIONS DU 18 NOVEMBRE 2010
Audition de Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés, Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement, et Mme Alexandra Vaillant, rédactrice au bureau du droit économique et financier.
M. Dominique Tian, rapporteur. Selon la Cour des comptes, la fraude aux prestations sociales dans notre pays s’élèverait de 2 à 3 milliards d’euros. Nos auditions ont mis en relief des chiffres branche par branche, ainsi que les moyens mis en œuvre par chacune d’entre elle pour lutter contre la fraude. De récents articles de presse ont d’ailleurs montré que les branches de la sécurité sociale progressent vers une meilleure connaissance du phénomène.
Madame la directrice, comment la fraude sociale est-elle traitée au ministère de la justice ? Est-elle réellement prise en compte ? Les sanctions pénales sont-elles suffisantes et dissuasives ? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les décisions de justice prononcées ? Certains organismes nous ont fait part de difficultés à cet égard.
Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés. Je vous remercie de m’avoir conviée à vos travaux. Je puis vous assurer de l’implication sans faille du ministère de la justice en matière de lutte contre la fraude sociale.
La direction des affaires criminelles et des grâces se situe au niveau de l’administration centrale. Elle a un rôle particulier entre les instructions ministérielles, que nous sommes chargés de traduire, et les juridictions chargées d’appliquer les lois et d’assurer la répression. Il s’agit donc d’un rôle d’accompagnement, mais aussi de vérification de l’application cohérente de la loi sur l’ensemble du territoire.
L’implication du ministère à l’égard de la fraude sociale est très ancienne et pérenne.
Récemment, nous avons accompagné la mise en place d’un dispositif aux côtés de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au travers d’un nouveau décret pris au mois de mars dernier, qui a singulièrement modifié le paysage des structures destinées à lutter contre la fraude sur le plan national, mais aussi sur le plan local qui est le seul à être opérationnel. En effet, nous étions présents lors des expérimentations menées durant plusieurs années et qui ont permis d’aboutir à une juste évaluation des besoins locaux, et donc à la mise en place de nouvelles cellules destinées à lutter contre la fraude sous tous ses aspects, concernant notamment le travail illégal. Ces expérimentations concernaient des structures départementales et des juridictions.
À la suite de ce décret a été adressée aux juridictions une circulaire d’accompagnement qui trouve sa place dans un ensemble de circulaires qui n’ont cessé, d’une part, de rappeler l’implication du ministère de la justice et, d’autre part, de poser des règles et d’accompagner les juridictions dans le travail de lutte contre la fraude sociale.
Cette circulaire d’avril 2010 est à nos yeux très importante car elle a une finalité opérationnelle. Notre souci est bien que les juridictions appréhendent le phénomène le plus efficacement possible dans la mesure de leurs moyens – ils sont ce qu’ils sont, mais ils existent – et de la façon la plus cohérente possible afin de répondre aux questions qui nous sont posées par les personnes avec lesquelles nous travaillons – administrations, agents verbalisateurs, services d’enquête.
Cette circulaire a surtout été l’occasion pour nous d’insister à nouveau très fortement sur le rôle du ministère public et du procureur de la République aux côtés du préfet pour ce qui concerne les structures départementales, dans le cadre du comité plénier et, surtout, des comités restreints. Ces derniers sont le lieu où, sur le plan pénal, les actions judiciaires susceptibles d’être décidées doivent être conduites sous la main d’un parquet très présent, entouré des services dont il a besoin pour mener les opérations les plus efficaces possibles, peut-être les plus emblématiques.
Ainsi, cette circulaire nous a permis de souligner la place du ministère public comme possible déclencheur de poursuites en matière de fraude sociale.
Auparavant, deux circulaires, sinon fondatrices, du moins très importantes, ont rythmé l’engagement demandé au parquet. Une circulaire de septembre 2008 a marqué la place et le rôle essentiel de l’institution judiciaire et fait apparaître la nécessité de lutter contre la fraude. Une autre de mai 2009, relative à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, a été élaborée avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), ce qui montre la nécessité absolue d’une interministérialité en la matière. Dans sa deuxième partie, elle propose une typologie d’un certain nombre infractions existantes, permettant aux juridictions, mais aussi aux services d’enquête et aux services verbalisateurs d’appréhender au plus près les comportements délinquants. Ce travail de synthèse – c’est le rôle d’une administration centrale – a le mérite d’apporter de la clarté.
Je précise que la circulaire de 2010, qui rappelait la nécessaire implication du parquet dans le travail de lutte contre la fraude, nous a valu quelques échanges avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude sur la notion d’opérationnalité.
M. le rapporteur. Lors de son audition du 8 juillet 2010, M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget, a indiqué que : « la politique pénale doit être rationalisée. On a recensé vingt-quatre incriminations différentes, ce qui ne permet pas une bonne appréhension par le système judiciaire des différentes fraudes. Il faudrait peut-être les ramener à huit ou dix. »
Les organismes que nous auditionnons se plaignent d’ailleurs souvent de la complexité de la législation. La Cour des comptes elle-même indiquait, en avril 2010, que le système répressif actuel est complexe, notamment pour l’assurance maladie, et que les sanctions pénales ou ordinales restent trop peu dissuasives.
Mme Maryvonne Caillibotte. Il s’agit d’une critique récurrente à l’égard de la loi pénale, laquelle, je le rappelle, est votée par le législateur. La typologie contenue dans la circulaire de 2009 est très intéressante car elle fait référence à des infractions figurant dans le code pénal, le code de la sécurité sociale, le code de l’action sociale et des familles ou le code de la construction et de l’habitation, avec des échelles de peines allant de simples amendes jusqu’à l’emprisonnement.
Cette succession d’infractions pénales, nous la subissons d’une certaine façon. En effet, à chaque fois qu’une infraction pénale a été créée, c’est parce qu’il y avait une volonté de stigmatiser un comportement que l’on pensait ne pas être alors appréhendé par la loi. Cela est vrai pour la fraude sociale, mais aussi pour nombre d’autres domaines.
En matière d’organismes génétiquement modifiés (OGM), par exemple, le législateur a créé et défini le délit de fauchage, avec des sanctions. Cependant, ce comportement pouvait déjà être appréhendé et puni, par exemple sous la qualification de dégradation en réunion, laquelle permet des condamnations beaucoup plus lourdes. Par conséquent, le délit de fauchage n’est pratiquement pas utilisé par les juridictions.
Ainsi, lorsqu’un comportement précis n’est pas défini pénalement, on a l’impression qu’il n’est pas réprimé pénalement. Cela me semble être une erreur de droit qui peut se comprendre, mais que l’on constate malheureusement.
Tous les comportements très précis qui sont sanctionnés par des définitions non moins précises cohabitent avec des infractions de droit pénal général, par exemple l’escroquerie, très souvent reprise par les juridictions car elle est punie de peines d’emprisonnement et permet donc un placement en garde à vue, contrairement à un certain nombre d’infractions utilisées dans le cadre de la répression contre la fraude et punies de simples peines d’amendes.
Je ne fais pas l’apologie de la garde à vue, mais, dans un certain nombre de dossiers complexes où l’on a affaire à de vrais délinquants et non à un comportement individuel, elle est adaptée.
Si la complexité de la législation est très souvent critiquée, les parquets ne perçoivent pas les choses de façon aussi négative. Et je suis heureuse de constater que la Cour des comptes s’appuie davantage sur des éléments statistiques et des faits, et non pas simplement sur un sentiment, qui nous semble très souvent subjectif, d’une justice qui ne serait pas assez sévère, pas assez dissuasive.
Pour ma part, je ne peux pas mesurer un sentiment. Je peux vous donner le nombre de certaines condamnations et le montant des amendes prononcées. Je peux vous dire que les faits de récidive sont très peu fréquents, mais c’est aussi peut-être parce que les récidivistes n’ont pas été appréhendés. Les éléments de mesure dont nous disposons se limitent aux données que nous fournissent les juridictions.
En conclusion, les choix de procédure doivent sans doute être mieux expliqués.
M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes indique que les organismes de sécurité sociale, au bout de cinq à sept ans de procédure, n’obtiennent une condamnation que dans 40 % à 50 % des cas.
Mme Maryvonne Caillibotte. Soit pour une affaire sur deux, ce qui est énorme ! Cela ne signifie pas absence de réponse pénale pour les 50 % restants. C’est pourquoi je parlais de pédagogie.
M. le rapporteur. Toujours selon la Cour des comptes, ce taux à nos yeux relativement faible n’est pas dû aux relaxes, mais plutôt à la fréquence des classements sans suite par les parquets. Et je parle de cas avérés proches de l’escroquerie, ce qui est décourageant pour les organismes sociaux.
Mme Maryvonne Caillibotte. Je crois que les organismes sociaux poursuivent toutes sortes de comportements, des moins graves aux plus graves. Ils ne sont pas forcément à l’origine des dossiers portant sur les comportements les plus graves. Les services de police ou de gendarmerie peuvent avoir des renseignements liés à de grosses affaires, de stupéfiants par exemple, lesquelles font émerger des comportements périphériques frauduleux.
Classement sans suite ne signifie pas absence de réponse pénale car, lorsque l’affaire le justifie, les parquets ont très souvent recours à la « troisième voie », qui est une solution de réparation, voire de médiation, permettant de régulariser la situation.
On attend des affaires qui « montent » à l’audience une portée symbolique, répressive et donc publique. Pour les autres affaires, la régularisation peut être une réponse qui, si elle n’est pas publique, n’en est pas moins dissuasive ; c’est en tout cas la position que soutient le ministère de la justice. Lorsque nous choisissons cette voie, plus furtive, l’important pour nous est d’en informer les organismes sociaux et d’obtenir leur assentiment.
Dans cette logique, nous encourageons, d’une part, la nomination de magistrats référents en matière de fraude sociale au sein des juridictions et, d’autre part, l’organisation par les parquets de juridictions dédiées.
C’est vers le magistrat référent que pourront se tourner les organismes sociaux. J’encourage les directeurs centraux à rencontrer le procureur de la République, qui est le directeur des poursuites sur le plan local et à même d’expliquer ses choix et de les moduler en fonction du moment, de l’affaire elle-même, des particularités locales, des contraintes de la juridiction.
Les audiences dédiées permettront d’élaborer une jurisprudence cohérente. Si elle ne l’est pas, le parquet pourra exercer les voies de recours en vue de peines dignes de ce nom.
En définitive, les organismes sociaux savent que classement sans suite n’équivaut pas à absence de réponse pénale.
M. le coprésident Pierre Morange. Des auditions précédentes, notamment des représentants des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ont révélé une inéquité de traitement devant la loi selon les tribunaux, en particulier s’agissant de la délinquance en col blanc, ce qui a choqué la représentation nationale.
En outre, les travaux de la MECSS sur le fonctionnement de l’hôpital ont mis en évidence des violations du code des marchés publics. Or les cheminements judiciaires paraissent difficiles et la lenteur des procédures ne peut qu’alimenter les craintes quant à l’égalité de traitement et la bonne gestion de fonds publics. Comment s’expliquent ces dysfonctionnements ?
Mme Maryvonne Caillibotte. Je ne peux qu’adhérer à certains de vos propos, monsieur le président. Vous ne trouverez pas au ministère de la justice autre chose qu’une grande honnêteté, de l’humilité, et la volonté de toujours mieux faire.
Vous faites référence à la délinquance en col blanc. En réalité, nous visons une autre population de délinquants, qui n’est pas moins organisée et qui, bien évidemment, mérite toute l’attention des enquêteurs dédiés.
Vous évoquez la difficulté pour la justice de se mettre en œuvre de façon équitable, ce qui est une expression très forte…
M. le coprésident Pierre Morange. Je ne fais que reprendre les propos des représentants des unions de recouvrement.
Mme Maryvonne Caillibotte. Les représentants des unions de recouvrement ont d’autant plus de légitimité à dire ce genre de choses que leurs agents, avec lesquels les parquets ont l’habitude de travailler, souhaitent vraiment faire avancer les choses. Pour avoir travaillé avec eux sur le terrain, notamment dans les anciens comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI), je les connais bien : on peut vraiment s’appuyer sur eux.
Dans la lutte contre ce fléau qu’est la fraude sociale, la question est de savoir quelle est la meilleure réponse. Je ne prétends pas que la réponse pénale soit la plus efficace. Vous avez parlé de « lenteur », mais la justice pénale cohabite avec une justice administrative ou civile qui a aussi son intérêt.
Dans un certain nombre de cas, la justice pénale intervient très a posteriori. Lorsqu’une sanction administrative a déjà été prise pour un dossier qui arrive au pénal, la juridiction prend en compte les sommes déjà déboursées : c’est l’individualisation de la peine. La condamnation pénale, parce qu’elle est publique, doit-elle être plus dissuasive que la sanction administrative ? La question doit être posée. En tout cas, celui qui prononce la sanction pénale doit s’interroger sur la juste proportion de celle-ci.
M. le coprésident Pierre Morange. Eu égard à un certain nombre d’affaires ayant défrayé les chroniques, la puissance symbolique d’une décision judiciaire ne prend-elle pas tout son sens vis-à-vis du risque de récidive ?
Au cours de précédents travaux, le rapporteur évoquait des débats, avec notamment des représentants des caisses d’allocations familiales, me semble-t-il, dont il ressortait que des prestations continuaient d’être versées à des populations rapatriées dans leur pays d’origine à la suite d’une décision de justice, la préfecture n’en ayant pas informé les caisses. À cet égard, le caractère opérationnel de structures telles que les anciens comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) vous semble-t-il réel ?
Enfin, comme il y a un palmarès des hôpitaux, ne doit-il pas y avoir un palmarès des tribunaux ?
Mme Maryvonne Caillibotte. On s’engagerait sur un terrain dangereux avec un palmarès des tribunaux…
M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà de mon propos quelque peu polémique, ne faut-il pas tirer les conclusions de l’inéquité de traitement devant la loi ?
Mme Maryvonne Caillibotte. Les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui remplacent les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal, sont des structures très utiles et opérationnelles.
Le comité en formation plénière, coprésidé par le préfet et par le procureur, est intéressant et permet de fixer les grandes orientations, de décliner les circulaires, d’impliquer les services. Dans le comité restreint vont se décider les opérations à vocation judiciaire, sous la direction du procureur, avec l’aide des services qui montent les enquêtes et aboutissent à des traitements.
Je ne peux pas vous rendre de comptes sur les décisions rendues par les tribunaux, l’indépendance des juges étant un fondement de la démocratie.
En revanche, j’ai une obligation de résultat sur la cohérence des critères de poursuite des procureurs de la République. Le parquet est hiérarchisé pour conduire une politique cohérente. C’est ma responsabilité, sous l’autorité du ministre de la justice. Plus les procureurs seront impliqués dans les comités locaux avec des feuilles de route claires, transparentes, cohérentes sur l’ensemble du territoire, déclinées en fonction des particularités locales, mieux ce sera.
M. le coprésident Pierre Morange. Mon propos ne consiste pas à remettre en question une décision qui relève de la compétence du juge, pierre angulaire de notre système judiciaire. Ma question est celle de savoir si des situations similaires sont traitées de façon équitable sur le territoire et avec la même diligence en fonction des instructions données aux parquets.
Mme Maryvonne Caillibotte. En premier lieu, l’administration centrale a un rôle de direction, d’impulsion, puis de contrôle et d’évaluation pour que ce traitement soit cohérent, équitable, décliné de la même façon sur l’ensemble du territoire tout en prenant en compte les particularités locales en fonction du lieu et des moyens disponibles. S’il y a des dysfonctionnements, je peux m’en préoccuper.
En second lieu, si les condamnations prononcées ne me conviennent pas, nous disposons de voies de recours par l’intermédiaire des cours d’appel, voire de la Cour de cassation. Ma part de responsabilité est donc grande puisque le parquet est à l’origine des poursuites et que j’ai une obligation de cohérence et d’évaluation.
Je reviens sur la délinquance en col blanc. La compilation des rapports de politique pénale que nous établissons tous les ans fait apparaître que, pour cette année, l’activité des juridictions porte de plus en plus sur la fraude, mais également sur la délinquance économique et financière. Or comme je l’ai très souvent dit au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, nous avons des difficultés à disposer d’enquêteurs financiers très spécialisés nous permettant de conduire les enquêtes particulières qu’impose cette délinquance.
M. le rapporteur. Selon la Cour des comptes, les bonnes pratiques ne sont pas suffisamment diffusées.
Le code civil prévoyant l’obligation alimentaire, il est étonnant que les caisses d’allocations familiales (CAF) ne soient pas fondées à demander des recherches en paternité dans les cas de femmes ayant eu quatre enfants de quatre pères différents, dont elles n’ont plus de nouvelles. Ce sont des cas de fraude très probable à l’allocation de parent isolé (API), devenue revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), très utilisée par certaines communautés. Or les inspecteurs des caisses d’allocations familiales ne sont pas très motivés pour lutter contre cette fraude.
Par ailleurs, la Cour des comptes note l’absence de volonté, sur le plan national, de lutter contre le marché parallèle du Subutex, la caisse de Toulouse étant la seule, à sa connaissance, à mener une action dynamique et très efficace en la matière.
Le ministère de la justice ne devrait-il pas conduire des actions de formation professionnelle auprès des organismes sociaux, où nos interlocuteurs sont très vite dépassés n’étant pas de grands juristes ?
Mme Maryvonne Caillibotte. Je partage entièrement votre constat. Les actions de formation ne doivent pas relever du seul ministère de la justice, mais nous y sommes très favorables. Nous organisons d’ailleurs déjà, dans la mesure de nos moyens, des réunions déconcentrées sur le terrain. Au-delà des juridictions, il s’agit de toucher tous les partenaires. Le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) nous semble donc adapté pour dispenser une formation juridique permettant aux agents de s’y retrouver dans le « fatras judiciaire » et de dépasser certains blocages. Les administrations d’autres ministères redoutent en effet souvent de mettre en branle, par leurs déclarations, la « machine judiciaire », qui peut broyer les personnes.
Bien sûr, ces réunions ne sont pas assez nombreuses ; mais nous allons en faire davantage et inciter les parquets, surtout les parquets généraux, à mettre en place des actions de formation ou à y participer. Cela peut aussi être fait via les administrations centrales.
Quoi qu’il en soit, le premier blocage à lever est la crainte de la justice. C’est d’autant plus important que nous sommes une « clientèle captive » : pour déclencher une procédure, la justice doit disposer de l’information. Or ces organismes savent beaucoup de choses et, en choisissant de les révéler ou de ne pas les révéler, ils exercent finalement un pouvoir qui n’est pas le leur.
En principe, toute situation susceptible de recevoir une qualification pénale doit faire l’objet d’une révélation à l’autorité judiciaire, qui décidera de l’opportunité des poursuites. Lorsque l’organisme social effectue un tri, c’est une part d’information – et de répression – qui disparaît : bref, il fait sa propre politique pénale, ce qui n’est évidemment pas satisfaisant.
M. le rapporteur. Vous évoquez un sujet sensible : la responsabilité de ceux qui instruisent les dossiers ou ont connaissance de faits délictuels qu’ils ne révèlent pas. C’est, hélas, fréquent dans le domaine social. Je pense, par exemple, à la reconstitution des carrières longues : la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) instruit des dossiers faisant apparaître que les personnes concernées ont commencé à travailler avant leur naissance ! Mais tout cela commence à être traité par la justice : des agents d’organismes sociaux ont été mis en examen.
Il faut tout de même un minimum de déontologie lorsqu’il s’agit d’argent public ! Peut-être le problème est-il d’ordre culturel : nous nous battons depuis des années pour la carte Vitale sécurisée, sans que la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) y mette un grand enthousiasme. Du moins pourrait-on sensibiliser les organismes sociaux à la nécessité de prendre certaines garanties avant de procéder à des versements.
On observe par ailleurs qu’il est rare qu’un fraudeur se cantonne à un type de fraude ou d’activité délictuelle. Il faut donc responsabiliser les uns et les autres !
Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement. Un réseau de formateurs a été mis en place dans le cadre de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. L’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, organisme de formation du ministère de l’emploi, organise des formations des agents de contrôle. La direction des affaires criminelles et des grâces y apporte sa contribution en intervenant auprès des agents de contrôle lors des actions de formation organisées sur le terrain. Des magistrats référents et des membres du ministère public assurent également des formations.
Ces formations comportent à la fois un volet pédagogique – il convient d’expliquer aux agents de contrôle les différentes voies de poursuite et la notion de réponse pénale – et un volet relatif à l’efficacité des contrôles, à la cohérence entre ceux-ci et aux relations avec les parquets.
M. le rapporteur. Il ne s’agit pas seulement de la fraude aux prestations, mais aussi du travail au noir. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les sommes en cause s’élèveraient à plusieurs milliards d’euros. Les moyens de lutter contre cette fraude paraissent dérisoires, et les sanctions sont rares. On ne peut en effet qu’être saisi de vertige devant le montant de la fraude : environ 3 milliards pour les prestations, de l’ordre de 10 à 15 milliards, sinon plus, pour le travail dissimulé. Je n’ai pas le sentiment que la réponse judiciaire soit suffisamment dissuasive. Et les chiffres n’évoluent pas, hélas, dans le bon sens.
Mme Maryvonne Caillibotte. Il serait présomptueux de ma part de vous dire que cette évolution peut facilement être enrayée. Hormis pour les fraudes très organisées, nous sommes en effet confrontés à une difficulté : si le chiffre global de la fraude donne le vertige, ses artisans – j’emploie ce terme à dessein – sont disséminés sur le territoire et la plupart des faits sont minimes. Il ne faut donc pas hésiter à marteler ce que représente réellement cette fraude, car une sensibilisation particulière est nécessaire pour dépasser le cas d’espèce et le replacer dans un cadre global. Les choses sont finalement plus complexes que pour les dossiers importants, dont on sait qu’ils donneront lieu à une condamnation – si tant est qu’on puisse rapporter des preuves. Sachez par ailleurs que, dans le domaine du travail illégal, les dossiers ne sont pas toujours simples à monter.
M. le rapporteur. J’ai conduit une mission sur les fraudes dont ont été victimes les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). Il s’agissait toujours des mêmes individus, mais il n’y avait pas de fichier national des interdits de gestion ; pour déclarer la création de l’entreprise au greffe du tribunal, il suffisait de venir avec une photocopie de carte d’identité ; aucun recoupement n’était fait. Bref, le système était loin d’être parfait.
Les choses n’ont pas véritablement changé. Y a-t-il maintenant un fichier national des interdits de gestion ? Vérifie-t-on davantage l’identité des personnes qui déclarent la création d’une entreprise ? J’en doute. À trop vouloir simplifier, on finit par encourager la fraude. Quelques mesures de bon sens ont été prises, mais on retrouve finalement presque toujours les mêmes filières et les mêmes individus, notamment dans le travail clandestin. Il y a donc encore à faire ! On sait, par exemple, que le travail clandestin touche principalement trois secteurs : le bâtiment, le textile et la restauration. Et l’on sait comment fonctionne cette fraude, qui coûte très cher à la collectivité. Les sanctions et les contrôles sont-ils suffisants ? Le bon sens est-il encore au rendez-vous ?
Mme Maryvonne Caillibotte. Le fichier des interdits de gestion est en voie de création. Vous savez combien la notion de fichier national est sensible en France. Quoi qu’il en soit, ces outils de travail sont de plus en plus nécessaires. Nous avons beaucoup amélioré le traitement des infractions transfrontalières, mais nous devons nous préoccuper aussi de ce qui se passe sur le territoire national ! La mise en place de ce fichier est suivie par une autre direction du ministère, mais nous nous y intéressons de près, tout comme la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. Cette mise en place devrait permettre des progrès sensibles.
M. le coprésident Pierre Morange. Quel est l’agenda de mise en œuvre de ce fichier ?
Mme Maryvonne Caillibotte. En toute honnêteté, je ne le connais pas ; mais je pourrai vous fournir des éléments complémentaires.
M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS s’est beaucoup investie sur cette question des échanges d’information et des interconnexions de fichiers. Nous avons légiféré pour permettre l’interconnexion des fichiers de 1 750 organismes sanitaires et sociaux. Le système est maintenant opérationnel.
Le fichier que vous évoquez, qui vise à colliger les informations concernant les individus peu scrupuleux qui se sont fait une profession de détourner l’argent public, pourra-t-il s’inscrire dans ce cadre ?
J’ai pour la part le sentiment que ce n’est pas tout à fait la même philosophie qui est à l’œuvre.
Mme Maryvonne Caillibotte. Il ne s’agit pas de la même architecture.
M. le coprésident Pierre Morange. Si l’interconnexion n’est pas pensée dès le départ, nous aboutirons à un système entièrement cloisonné, et nous perdrons en efficience.
Mme Maryvonne Caillibotte. Resteront tout de même les échanges indirects !
M. le coprésident Pierre Morange. Bref, il y a encore du travail !
Nous vous remercions de vos réponses, même si nous restons un peu sur notre faim – ce qui est somme toute classique à la MECSS !
Nous serons attentifs aux souhaits, et plus encore aux propositions précises et opérationnelles, que vous pourriez formuler. Nous sommes prêts le cas échéant à les défendre, que ce soit au Parlement ou en attirant l’attention du pouvoir exécutif sur tel ou tel point relevant du domaine réglementaire.
Mme Maryvonne Caillibotte. Pour finir, je souhaiterais vous livrer une réflexion, qui rejoint ce que disait tout à l’heure M. le rapporteur.
Pour limiter le « fatras judiciaire », il serait bon de revenir à sept, huit ou neuf infractions au lieu de quinze ou seize. On peut ensuite se demander s’il faut légiférer par addition ou par soustraction. Réduire le nombre des infractions permettrait quand même de garder plusieurs qualifications.
Si vous envisagez un travail législatif, je peux vous proposer une expertise, un accompagnement, dans la mesure où vous le souhaiterez. Mais le ministère de la justice souhaite mettre en garde contre la création successive d’infractions pénales qui soient peu ou qui ne soient pas assez poursuivies, la qualification d’escroquerie suffisant à couvrir la fraude sociale comme le travail illégal. Bref, nous préférons raisonner par voie de soustraction ! Mieux vaut avoir un « cordon pénal » efficace et réellement utilisé.
M. le coprésident Pierre Morange. Il s’agira donc d’une action législative dans la soustraction !
*
Audition de M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques, et M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques, et M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances. Madame, messieurs, nous aimerions notamment recueillir votre sentiment sur les effets des dernières actions qu’a menées l’Assemblée nationale pour combattre la fraude sociale : s’agissant de l’interconnexion des fichiers et des échanges d’informations, concernant notamment le centre, faut-il aller plus loin, ou la situation actuelle vous paraît-elle satisfaisante ?
M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de Sécurité sociale. Nous vous sommes reconnaissants de votre invitation car le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est un petit organisme et, par ailleurs, l’international semble bien souvent se trouver dans l’angle mort des politiques publiques. Cela étant, je sollicite votre indulgence à titre personnel : maîtriser à la fois les règles, déjà complexes, de notre sécurité sociale et celles de ses équivalents étrangers représente un défi de l’ordre du monstrueux et mes deux collègues estiment qu’il faut environ quatre ans à un agent pour devenir pleinement opérationnel. Or je ne dirige le centre que depuis trois ans ! (Sourires.)
Pour nous, combattre les erreurs et la fraude consiste à éviter qu’on ne se soustraie au paiement des cotisations sur le territoire national et qu’on ne bénéficie de versements indus. Il s’agit donc de vérifier qu’on applique à chaque activité ou organisme concerné la législation nationale qui convient, et que les prestations sont bien versées par les institutions de l’État responsable.
Créé par le règlement n° 3 de la Communauté économique européenne, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) a environ cinquante ans. C’est un organisme de liaison pour l’application de la réglementation communautaire sur le territoire de l’Union européenne et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) – y compris la Suisse donc. Il est également compétent pour l’application de 34 conventions bilatérales passées avec autant d’États extra-européens, et de trois décrets de coordination avec la Polynésie française, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie.
Le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est compétent pour l’ensemble des risques de sécurité sociale et pour l’ensemble des régimes. Il ne délivre pas de prestations individuelles et n’a de rapport direct ni avec les assurés ni avec les employeurs, mais il joue un rôle d’interface entre les institutions françaises et les institutions étrangères de sécurité sociale.
C’est un établissement public administratif, financé essentiellement par les contributions des organismes de sécurité sociale. Lors du contrôle qu’elle a effectué en 2008, la Cour des comptes a estimé que, dans sa gestion quotidienne, il était soucieux de la maîtrise des dépenses – un peu trop, à mon sens, car il gagnerait sans doute à être plus ambitieux.
Il assure également une mission de traduction.
M. Jean-Paul Letertre est responsable de la gestion des créances, c’est-à-dire de tout ce qui concerne le remboursement aux institutions et organismes étrangers des dépenses engagées pour les assurés français sur leur territoire – environ 300 millions d’euros – et le recouvrement des créances nées des soins dispensés à des assurés étrangers sur le territoire national – environ un milliard. Le solde est donc positif pour notre balance des paiements.
M. le coprésident Pierre Morange. Le milliard d’euros de rentrées est-il conforme aux prévisions ? Récupérez-vous la totalité ou seulement une partie de ce qui est dû ?
M. Jean-Yves Hocquet. Les contrôles du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale sont effectués, non sur la base des factures individuelles, mais sur celle de documents administratifs fournis par nos partenaires étrangers. En effet, nous ne parlons ici que des rapports d’institution à institution et les remboursements et recouvrements auxquels nous procédons partent des flux constatés – les dépenses, par exemple, ayant déjà été prises en charge par nos homologues étrangers.
Je laisse à M. Jean-Paul Letertre le soin de vous parler des contrôles et du règlement des litiges, ainsi que de l’opération que nous menons actuellement avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur le contrôle des dépenses.
M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. Nous recevons à peu près 350 000 factures par an des organismes étrangers. Ces factures s’élèvent à environ 200 millions d’euros pour les dépenses remboursables au coût réel, et à quelque 120 millions d’euros pour les dépenses remboursables forfaitairement.
Les contrôles varient selon les types de dépenses : identification de l’assuré, vérification des droits ouverts à son bénéfice au moment des soins, existence d’une caisse française compétente pour rembourser les dépenses… Toutes ces informations sont répertoriées sur les relevés individuels de dépenses effectives que nous recevons de l’étranger. Si ces factures sont incomplètes, les contrôles qui pourront être opérés via le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS)…
M. Dominique Tian, rapporteur. Dites le « fichier Morange » ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Letertre. …nous permettront de lever le doute sans avoir à aller vérifier auprès de la caisse française à laquelle elles sont destinées, ou auprès de la caisse étrangère, ce qui prend encore plus de temps.
Nous avons demandé à la caisse nationale d’assurance maladie de procéder à un contrôle portant sur un échantillon de factures réduit – environ 150 en 2010 –, mais plus approfondi, en ce qui concerne les droits comme du point de vue médical. Ce travail n’est pas encore achevé. Les caisses primaires d’assurance maladie semblent se heurter aux mêmes difficultés que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. Elles ont relevé un certain nombre d’anomalies – doubles facturations, absence d’informations –, ce qui ne fait que corroborer les conclusions de nos propres contrôles. Sont maintenant en cours des recherches portant sur l’aspect médical de ces dossiers ; elles concernent une trentaine d’assurés, qui seront éventuellement convoqués par les caisses afin de vérifier la nature des soins reçus à l’étranger et de s’assurer de leur nécessité. Les résultats sont attendus pour la fin de l’année.
Pour la caisse nationale d’assurance maladie, ces contrôles représentent une charge importante, en particulier en raison du temps exigé pour obtenir des données médicales de caisses étrangères, ainsi que des contraintes de traduction. Aussi s’interroge-t-elle sur l’opportunité de les étendre à l’ensemble des factures. Elle n’a pas encore de philosophie arrêtée, et les autres régimes attendent son avis pour se prononcer.
M. Jean-Yves Hocquet. Les flux que nous gérons sont pour l’essentiel des flux au sein de l’Union et, avant tout, entre la France et l’« arc frontalier » Belgique-Luxembourg-Allemagne – encore que les retraités britanniques figurent en bonne place dans nos comptes ! Comme en France, l’hospitalisation représente la plus grande part des dépenses.
M. le rapporteur. Pourquoi vous limiter à l’Europe ? Nous aimerions en savoir plus sur les dettes contractées par certains pays vis-à-vis de la France. Il est évident, pour prendre un exemple, qu’il y a davantage de Marocains concernés que de Luxembourgeois. Pouvez-vous nous donner un échantillon pays par pays et faire le point sur ces dettes ?
M. Jean-Paul Letertre. Il faut distinguer le cas de l’Union européenne de celui des pays auxquels nous lient des conventions bilatérales. Dans le premier, le remboursement des dépenses est individuel. Dans le second, il s’effectue sur une base forfaitaire. Après recensement du nombre de personnes concernées par catégorie, on applique un coût moyen de soins de santé, déterminé par les États. On ne peut donc pas procéder aux mêmes contrôles.
M. le coprésident Pierre Morange. Il serait instructif pour la représentation nationale d’avoir connaissance de ces coûts moyens pour pouvoir les comparer. Il ne s’agit pas de stigmatiser tel ou tel État, mais d’assurer équité de traitement et transparence.
M. Jean-Yves Hocquet. Nous avons un suivi des coûts moyens. Il s’agit d’une définition administrative, qui vaut également pour l’Union européenne : tous les ans, la commission des comptes avalise les coûts moyens déclarés par chacun des membres de l’Union. En ce qui concerne les États avec lesquels nous sommes liés par une convention bilatérale, je pourrai bien entendu vous fournir les coûts moyens, dont nous discutons lors des commissions mixtes. À cet égard, le premier pays concerné en volume des dépenses de santé est l’Algérie. Sachez néanmoins que les sommes en jeu n’ont rien à voir avec ce qu’elles sont pour les pays de l’Union : le Luxembourg pèse bien plus que l’Algérie !
M. le rapporteur. Dans une optique de comparaison, il est indispensable que nous disposions de ces coûts moyens pour tous les États.
Le versement de prestations vieillesse à l’étranger relève-t-il de votre compétence ?
M. Jean-Yves Hocquet. La branche Vieillesse est la plus internationalisée de notre système de sécurité sociale : environ 10 % des retraités relevant de la caisse nationale d’assurance vieillesse vivent à l’étranger. L’essentiel des 6 milliards versés par la France au titre de la sécurité sociale correspond à des pensions de retraite.
M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous préciser ?
M. Jean-Yves Hocquet. Sur un total d’environ 6 milliards d’euros versés en 2008, 5,6 milliards l’ont été au titre des rentes, pensions et allocations à des bénéficiaires résidant à l’étranger.
M. le coprésident Pierre Morange. Dispose-t-on d’une ventilation par pays ?
M. Jean-Yves Hocquet. Oui, pour les flux sortants, et depuis l’an dernier, notre connaissance des flux entrants commence à s’affiner.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelles sont les modalités techniques de versement de ces prestations, notamment des pensions ? Cela se passe-t-il de structure assurantielle à structure assurantielle, ou de structure assurantielle à bénéficiaire ? Éventuellement par l’intermédiaire d’une banque ?
Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. En principe, le paiement des pensions et rentes se fait directement au bénéficiaire. Les paiements par les organismes de liaison ont été pratiqués dans le passé, mais à ce jour ils ne concernent plus que le Mali – les pensions françaises destinées à des Maliens sont payées à l’Institut national de la prévoyance sociale du Mali, qui se charge d’en assurer la distribution, tandis que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale reçoit les prestations maliennes qui doivent être versées en France. Dans tous les autres cas, il s’agit de versements directs, les organismes français de sécurité sociale ayant choisi le paiement par voie bancaire. Chaque bénéficiaire de prestations communique les coordonnées de son compte, la caisse nationale d’assurance vieillesse passant un contrat avec une banque choisie par appel d’offres. Les autres modes de paiement – mandats, lettres-chèques, comptes de non-résidents – ne sont utilisés qu’à titre exceptionnel.
M. le rapporteur. Comment êtes-vous informés du décès des personnes ?
Mme Françoise Roger. Nous sortons là de la compétence du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale… Les organismes français débiteurs de prestations envoient régulièrement aux bénéficiaires – tous les ans pour les organismes vieillesse, tous les trois mois pour les pensions d’invalidité – un questionnaire dit « questionnaire de vie ». Dès lors que ce questionnaire est renvoyé avec un document attestant de l’existence de la personne, la vie de celle-ci est supposée se poursuivre.
M. le coprésident Pierre Morange. L’emploi que vous venez de faire de « supposée » sous-entend-il un doute ou une interrogation ?
Mme Françoise Roger. D’une manière générale, les contrôles, notamment en Europe, sont tout à fait fiables. Mais dans certains pays où les personnes semblent vivre jusqu’à un âge très avancé, des procédures de contrôle sont actuellement mises en place, notamment grâce au décret qui nous autorise à choisir un prestataire à l’étranger pour effectuer ces contrôles.
M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes est plus précis : il s’étonne des progrès de la médecine dans certains pays… Il en cite un certain nombre où les centenaires semblent légion, alors que les gens meurent bien plus jeunes dans le pays voisin ! Or cela représente des sommes non négligeables.
M. Jean-Yves Hocquet. Dans les années 1980, j’ai géré l’accompagnement de plans sociaux dans un certain nombre d’entreprises. On sait qu’à cette occasion, nombre de personnes ont « vieilli » très rapidement pour pouvoir accéder aux dispositifs de préretraite… Même si le phénomène n’a eu qu’une ampleur relative, il se peut qu’il ait un effet-retour aujourd’hui.
Sous l’égide de la direction de la sécurité sociale, nous expérimentons aujourd’hui le recours à des prestataires chargés de vérifier physiquement l’existence des personnes. Il faut par ailleurs savoir que, pour ce qui est des certificats de vie, la caisse nationale d’assurance vieillesse procède à ces contrôles selon une périodicité variable d’un pays à l’autre. Les bénéficiaires maliens, par exemple, sont ainsi astreints à fournir un certificat deux fois par an.
M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà de l’anecdote, il serait important de connaître le nombre des bénéficiaires par pays et les volumes financiers en jeu. Cela permettrait de faire le tri entre ce qui relève du procès sans fondement et ce qui correspond à un réel préjudice, appelant des mesures correctrices. S’agissant des prestataires chargés de contrôler l’état civil, peu fiable dans certains pays, leur nombre vous semble-t-il suffisant ?
Mme Françoise Roger. La nécessité de combattre la fraude est de mieux en mieux comprise et d’importants efforts sont déployés. Phénomène nouveau, des dispositions d’entraide administrative et en faveur de la communication entre institutions apparaissent dans les conventions, notamment bilatérales. Un certain nombre d’États, comme le Maroc, commencent eux-mêmes à prendre conscience de l’existence de fraudes nées sur leur territoire et nous envoient des signalements détaillés. La structure juridique qui le permettait existait ; grâce à cette sensibilité nouvelle, elle est aujourd’hui opérationnelle.
M. Jean-Yves Hocquet. Vous pourrez trouver dans notre rapport statistique l’ensemble des informations que vous demandez sur les volumes financiers en jeu et sur le nombre de bénéficiaires, tous régimes confondus.
Dans la lutte qu’il mène contre la fraude, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale entend utiliser tous les instruments à sa disposition, qui sont de trois types : les expérimentations de contrôle sur place, avec l’aide de prestataires ; les dispositions, telles que le rapprochement de fichiers électroniques, prévues par les accords bilatéraux ; le recours aux services administratifs des États concernés, dont font mention les procès-verbaux des commissions mixtes.
M. le coprésident Pierre Morange. Envisagez-vous d’engager des prestataires pour assurer des contrôles physiques ? Nous souhaiterions connaître le nombre d’agents contrôleurs pour le rapporter à celui des bénéficiaires. Par ailleurs, dans quelle mesure nos services consulaires ont-ils connaissance de la situation des pensionnés, et peuvent-ils s’assurer qu’ils sont encore en vie ?
M. Jean-Yves Hocquet. Le décret autorisant le recours à des prestataires est récent, puisqu’il date de 2009. Le dispositif qui sera prochainement mis en œuvre est le suivant : les consulats des pays concernés lanceront une procédure d’appel d’offres et sélectionneront les candidats. Ceux-ci feront l’objet d’un agrément par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, qui agira comme élément « facilitateur » pour le compte des caisses. Nous transmettrons ensuite ces agréments aux consulats. Sous l’autorité de la direction de la sécurité sociale, nous procédons actuellement à une première expérimentation en Tunisie, pour laquelle le prestataire a d’ores et déjà été sélectionné.
M. le coprésident Pierre Morange. Il sera donc chargé de contrôler l’exactitude des réponses aux questionnaires de vie ? Pour quel coût ?
M. Jean-Yves Hocquet. La mission de ces prestataires sera relativement large, puisqu’elle couvrira l’assurance vieillesse et l’assurance maladie. L’état civil comme la réalité des soins feront ainsi l’objet de contrôles. Quant au coût, il fera l’objet d’une estimation par le prestataire en fonction du cahier des charges, mais on peut estimer que l’opération donnera des résultats intéressants, précisément en raison de l’étendue du champ couvert.
M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2010 est assez sévère à votre encontre. Les magistrats rappellent que le rapprochement préconisé entre le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés depuis plusieurs années n’a toujours pas été effectué, que le manque de coordination est patent, et ils posent même la question d’une intégration du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale au sein de la caisse nationale d’assurance maladie. En vous présentant comme des prestataires de services ou des « facilitateurs », vous nous confortez dans cette analyse. À moins que vous n’ayez une compétence particulière pour exercer vous-mêmes les contrôles, ce dont je doute, la caisse nationale d’assurance maladie pourrait se charger de ce volet.
M. Jean-Yves Hocquet. La Cour des comptes n’évoque que la gestion des créances de l’assurance maladie, périmètre couvert par M. Jean-Paul Letertre. Il est vrai que depuis des années, nous nous trouvons contraints de corriger, parfois manuellement, les informations qui nous sont transmises par la caisse nationale d’assurance maladie, les fichiers n’ayant pas été modifiés malgré nos demandes récurrentes. Ces problèmes purement techniques pèsent sur notre productivité globale. La Cour des comptes, qui avait noté en 2008 que l’ensemble des caisses était satisfait de nos services, suggère que la caisse nationale d’assurance maladie se sentirait responsabilisée si elle était chargée de cette tâche.
Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure solution. L’activité du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ne représente que 6 % de l’activité des caisses d’assurance maladie. Pourquoi les gestionnaires de la caisse nationale d’assurance maladie s’intéresseraient-ils aux dossiers internationaux, dont le traitement est complexe et long, et qui ne sont pas valorisés dans les rapports de performance ? La partie concernant l’invalidité n’entre même pas dans la mesure de la productivité des caisses.
Il existe plusieurs modèles d’organisation possibles ; celui que préconise la Cour des comptes nous ferait perdre un peu de taille critique, mais il ne remet pas en cause l’ensemble des fonctions du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.
M. Jean-Paul Letertre. Pour traiter les créances françaises – c’est-à-dire relatives aux soins prodigués en France à des assurés relevant de régimes étrangers –, nous recevons chaque année quelque 700 000 factures individuelles. Or, soit que cela suppose des mises à jour trop coûteuses de ses applications, soit qu’elle n’en discerne pas l’intérêt, la Caisse nationale d’assurance maladie a du mal à intégrer dans ses systèmes informatiques les modifications successives des règlements. Nous devons donc intervenir sur les fichiers et corriger les erreurs avant leur transmission aux caisses étrangères. Devant l’inertie de la Caisse nationale d’assurance maladie, la Cour des comptes a suggéré qu’il serait préférable que celle-ci prenne en charge l’ensemble du traitement. Cette préconisation paraît simpliste, dans la mesure où les personnels de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ne maîtrisent pas forcément les règlements communautaires.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelle masse financière est en jeu dans ce risque d’embolisation ?
M. Jean-Yves Hocquet. C’est le milliard d’euros que nous avons mentionné au début de notre présentation. Les coûts liés au travail manuel de correction pourraient être économisés…
M. le coprésident Pierre Morange. C’est ainsi que l’assurance maladie a pu économiser en coûts de gestion l’équivalent de 200 millions d’euros grâce à la télétransmission, qui a permis de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
M. Jean-Yves Hocquet. L’activité du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est sans doute marginale par rapport à celle de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés mais, même si notre organisation n’est pas optimale, nous remplissons notre mission : les créances sont présentées, la France recouvre l’argent qui lui est dû. Les frais de gestion du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ne représentent que 0,8 % de la masse des prestations de sécurité sociale. Globalement, le système fonctionne.
Dans la mesure où notre tâche consiste principalement à corriger les erreurs administratives, les économies viendront plutôt des améliorations apportées à notre fonctionnement interne que de mécanismes lourds de contrôle des dossiers médicaux.
M. le coprésident Pierre Morange. Très concrètement, avez-vous des soupçons de fraude institutionnelle ?
M. Jean-Yves Hocquet. Compte tenu du fait que les dépenses ont transité par des services administratifs supposés aussi fiables que les nôtres, les risques de fraude institutionnelle sont limités. Les litiges avec nos collègues étrangers portent essentiellement sur des informations administratives.
M. le rapporteur. Dans la convention d’objectifs et de gestion pour 2009-2011, l’État vous incite à lutter contre la fraude. Or vous ne semblez pas vous livrer à une chasse aux fraudeurs effrénée, vous abritant derrière le montant insignifiant des sommes en cause. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de percevoir ce phénomène de la fraude, qui représente 1 % du déficit de la sécurité sociale, soit environ 3 milliards d’euros !
Il est tout de même inquiétant que les magistrats de la Cour des comptes, soulignant des problèmes récurrents de fonctionnement, aillent jusqu’à douter de la validité et de l’exhaustivité de vos créances. Nous pensions que cette audition serait pour vous l’occasion de nous fournir des éléments statistiques, de détailler les dettes de certains pays, comme le Mali, et de nous présenter un plan d’action contre la fraude.
M. Jean-Yves Hocquet. Dans le rapport statistique que nous tenons à votre disposition, les flux avec l’Union européenne et avec l’Association européenne de libre-échange, ainsi qu’avec les États auxquels nous sommes liés par des conventions bilatérales, sont décrits dans le détail, sur la base des informations qui nous sont fournies par les régimes de ces pays.
90 % des créances d’assurance maladie sont d’origine européenne. Or les règlements européens prévoient que nous travaillions sur la base des comptabilités des organismes d’assurance maladie, le principe étant celui de la bonne foi. C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes rappelait, dans un contrôle précédent, que notre intervention ne pouvait conduire à remettre en cause les créances de nos homologues. Nous avons fait valoir cette « règle du jeu » auprès d’un nouvel État membre, qui nous demandait systématiquement les dossiers médicaux pour procéder au remboursement de créances importantes. Je ne pense donc pas que ce soit du côté de la lutte contre la fraude à l’assurance maladie que nous pouvons attendre des gains importants, dans ce cadre européen bien balisé. Mais il est vrai que la convention d’objectifs et de gestion nous a investis d’une mission à cet égard, et nous luttons donc contre ce phénomène avec nos moyens, ceux d’un établissement de liaison comptant 120 personnes. Nous effectuons des contrôles à l’étranger en appui à l’action du ministère. Surtout, nous veillons à ce que soit appliquée la législation qui convient, et à ce que tous ceux qui sont redevables de cotisations en France s’en acquittent.
Dans ce cadre, nous avons mené une opération en lien avec l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, les caisses primaires d’assurance maladie et le Centre national des firmes étrangères (CNFE) de Strasbourg sur le détachement des intérimaires employés au Luxembourg. Nous avons pour ce faire utilisé une base de données qui recueille l’ensemble des formulaires de détachement et un logiciel d’analyse des situations suspectes, tous deux mis en place en 2008. Nous apportons également notre expertise juridique à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale dans les dossiers concernant les compagnies aériennes à bas coûts (low cost) aérien et les détachements de salariés de plates-formes de gestion en Suisse.
Il serait dommage de ne pas évoquer ces opérations, qui sont lourdes et qui impliquent un grand nombre de partenaires. Car en matière de lutte contre la fraude, leur taux de rentabilité est tout à fait satisfaisant. Nous rapportons plus d’argent à la sécurité sociale en faisant en sorte que les cotisations qui reviennent au régime français soient effectivement acquittées, plutôt qu’en intervenant en appui des caisses à propos de la gestion de prestations qui se trouvent hors de notre champ de compétence. C’est ainsi que la Cour des comptes avait estimé, en 2008, que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale coûtait peu pour le service rendu.
Mme Françoise Roger. L’une des missions de la direction des affaires juridiques du centre consiste à déterminer la législation applicable dans des situations complexes, plus nombreuses en Europe que dans les pays auxquels nous sommes liés par des conventions bilatérales. La règle principale de rattachement est que les travailleurs sont soumis à la législation de l’État sur le territoire duquel ils exercent leur activité professionnelle. Grâce au système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers (SIRDAR), nous avons constaté qu’un certain nombre de personnes exerçant leur activité sur le territoire français étaient, de fait, rattachées à des régimes étrangers de sécurité sociale.
M. le rapporteur. L’Union européenne n’a-t-elle pas été créée en vue de la libre circulation des personnes et des capitaux ? Le détachement d’intérimaires au Luxembourg est certainement un sujet de très grande importance, mais ne serait-il pas conforme à la mission de lutte contre les fraudes qui vous a été confiée par l’État de vous préoccuper aussi de vérifier les dettes contractées par les autres pays du monde, tels le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ou la Chine ? Nous nous attendions à ce que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale soit davantage tourné vers l’international.
Mme Françoise Roger. Certes, la libre circulation est un principe européen. Mais est-il normal que les salariés d’une entreprise française soient brusquement payés par une société luxembourgeoise d’intérim pour exercer les mêmes fonctions, et soient rattachés au régime luxembourgeois de sécurité sociale ?
Les différences qui existent entre les législations nationales font varier le coût du travail et incitent les entreprises à ne pas respecter le règlement européen. Ce détournement de la législation européenne, qui prévoit le rattachement au régime du pays sur le territoire duquel est exercée l’activité, constitue bien une fraude.
Le phénomène n’est pas marginal. Grâce au système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers, nous avons pu identifier 3 700 fausses missions d’intérim sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 mars 2010. Si l’on considère que ces salariés sont payés au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), ces détachements entraînent un « manque à gagner » pour le régime français de 4 millions d’euros par trimestre. Cela représente, sur plusieurs années, des sommes importantes. De surcroît, les procédures de gestion européennes font qu’une partie des prestations auxquelles auront droit ces personnes incomberont au régime français.
M. Jean-Yves Hocquet. Les créances de la France sur le Luxembourg, au titre de l’assurance maladie, se montaient en 2008 à 120 millions d’euros, contre 29 millions pour l’Algérie.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous souhaiterions disposer d’une présentation affinée des créances par branche et par pays.
M. le rapporteur. Je ne savais pas les Luxembourgeois si grands consommateurs de biens de santé !
M. Jean-Yves Hocquet. La population frontalière est importante. La création d’un hôpital supplémentaire à Luxembourg entraînerait automatiquement une baisse de la consommation en France. Ce problème de coopération transfrontalière sanitaire est un sujet intéressant, que la direction de la sécurité sociale nous a chargés d’étudier.
M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous nous transmettre des éléments concernant les effets de la création d’un tel établissement de santé sur les flux financiers de prise en charge assurantielle ? Dans la même logique, je préconise que les sommes actuellement consacrées à l’aide médicale d’État (AME), qui attire dans notre pays des personnes en situation irrégulière désireuses de bénéficier de soins de qualité – puissent servir à la création d’établissements de santé dans les pays sources de cette immigration clandestine. Cela répondrait aux besoins d’un plus grand nombre de personnes, optimiserait l’effort fourni par chaque Français au titre de la solidarité et s’inscrirait dans la tradition d’humanisme de notre pays.
Par ailleurs, j’espère que la disposition législative adoptée dernièrement, dont le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale a bénéficié – l’interconnexion avec le répertoire national commun de la protection sociale – permettra de remédier aux problèmes de coordination soulignés par la Cour des comptes.
M. Jean-Yves Hocquet. Cet amendement permet en effet de remédier à une partie des carences évoquées par la Cour des comptes, puisque nous pourrons désormais accéder directement aux fichiers sans passer par les caisses. Il s’agit pour le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale d’un gain significatif.
Nous vous avons remis un dossier dans lequel sont détaillées les opérations menées par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale au titre de la lutte contre la fraude. J’ai d’ailleurs omis d’insister comme il le faudrait sur notre mission de traduction, qui permet de contrôler les dossiers médicaux et les pièces d’état civil pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).
M. le rapporteur. Beaucoup d’organismes sociaux nous ont fait part, en effet, de la difficulté qu’ils ont à vérifier l’identité des prestataires. Comment procédez-vous lorsque l’état civil est inexistant, pour ainsi dire, dans un pays ?
M. Jean-Yves Hocquet. Nous certifions la qualité de la traduction des documents.
M. le rapporteur. Si l’état civil est approximatif, que vaut cette traduction ? L’un des problèmes que rencontrent les organismes sociaux est la certification de documents faux.
M. Jean-Yves Hocquet. Sans vouloir sortir de mon champ de compétence, je rappellerai l’une des dispositions du décret, qui est l’exercice de contrôles in situ.
La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de dialoguer avec nos homologues suisses sur les pratiques de lutte contre la fraude. Leurs contrôles, réalisés par des filiales d’entreprises de contrôle à l’étranger, ont abouti à des résultats suffisamment probants pour qu’ils menacent de dénoncer la convention qui les lie avec certains pays.
M. le rapporteur. C’est exactement ce que nous attendions de vous ! Il est bon que vous imaginiez des actions de coopération avec d’autres pays européens, notamment à l’égard des fraudes facilitées par l’absence d’état civil dans certains pays. Pourriez-vous nous adresser des éléments écrits, propres à confirmer certaines suspicions ? L’exemple du Luxembourg est instructif, mais je ne pense pas qu’il soit le seul.
M. Jean-Yves Hocquet. Le dossier que nous vous avons transmis contient la liste des accords signés par le ministère en matière de lutte contre la fraude. Celle-ci est également évoquée dans les procès-verbaux des commissions mixtes présidées par le ministère chargé des affaires sociales. Nous sommes à votre disposition pour compléter ces informations et poursuivre le débat.
M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie.
*
AUDITION DU 25 NOVEMBRE 2010
Audition de M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), Mme Pascale Robakowski, agent comptable, Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale, et Mme Brigitte Langlois-Meurinne, référent national en matière de fraude au département de prévention et de lutte contre les fraudes.
M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS). Je formulerai trois observations liminaires sur la lutte contre les fraudes dans la branche Vieillesse, pour souligner tout d’abord leur caractère spécifique, puis pour rappeler les efforts importants réalisés depuis 2008, enfin pour présenter le rôle de détonateur qu’ont joué les fraudes portant sur les régularisations de cotisations prescrites, ou fraudes aux carrières longues.
Les fraudes liées aux retraites ont un caractère spécifique par rapport à celles qui concernent d’autres branches de la protection sociale. Elles portent sur l’identité, sur la carrière, sur la constitution du droit – car certains avantages sont soumis à des conditions de ressources, de résidence ou de situation familiale – ou sur les paiements.
La Cour des comptes a souligné à la page 37 de son rapport que le système d’information de la branche Vieillesse est adossé à un processus d’identification strict, le numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), sur lequel elle a construit deux principaux référentiels uniques et nationaux : le système national de gestion des identifications (SNGI) et le système national de gestion des carrières (SNGC), lequel bénéficie d’une alimentation automatique, sans intervention humaine, à partir des déclarations des employeurs. Je précise à ce propos que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés est investie, bien que cela ne soit reconnu par aucun texte précis, d’une responsabilité en matière de droit d’immatriculation, et qu’il convient de ne pas fragiliser cet acquis, notamment pour ce qui concerne les numéros identifiants d’attente (NIA). Un lien direct avec l’Institut national de la statistique et des études économiques permet une information quasi-immédiate en cas de décès survenu en France, ce qui permet d’interrompre la prestation. Le système connaît néanmoins quelques fragilités, liées notamment aux cas de décès à l’étranger et au fait que, dans certains cas, l’immatriculation soit possible sur la base d’un certificat de naissance.
La fraude présentant peu de bénéfice immédiat pour les personnes qui sont encore éloignées de la retraite, la branche Vieillesse a pris conscience de ce problème plus tard que d’autres branches de la protection sociale et la lutte contre les fraudes ne faisait, jusqu’à une date récente, pas partie de sa culture et n’a pas fait l’objet d’investissement de temps et de moyens à la hauteur de l’enjeu. En outre, l’anticipation du défi industriel du « papy boom », qui a fait passer en quelques mois de 450 000 à 700 000 ou 800 000 le nombre annuel de liquidations de retraites, a considérablement absorbé les efforts de la branche Vieillesse, occultant quelque peu la question de la fraude.
Des efforts importants ont néanmoins été réalisés depuis 2008, notamment par mon prédécesseur et par Mme Pascale Robakowski, agent comptable national. Tout d’abord, nous nous sommes dotés d’outils réseau et avons mis en place une structure de pilotage nationale – le département « prévention et lutte contre les fraudes » qu’anime Mme Brigitte Langlois-Meurinne –, un plan annuel, des indicateurs mesurant semestriellement l’activité des structures dédiées à la lutte contre les fraudes, une animation du réseau et des formations. Nous avons également renforcé, avec l’agent comptable, le contrôle interne au moyen des instructions nationales de contrôle, de la procédure « carrières à risque », destinée à signaler les éventuels problèmes que pourrait révéler une carrière, et du pilotage de l’audit dans le réseau.
La convention d’objectifs et de gestion pour 2009-2013, signée en avril 2009, se conforme à la priorité qu’accorde désormais la nouvelle génération de conventions de ce type à la lutte contre la fraude. Des recrutements sont prévus à ce titre et les effectifs chargés de la lutte contre la fraude pour la branche Vieillesse, déjà passés de vingt-huit personnes à la fin de 2008 à quarante-quatre à la fin de 2009, étaient de soixante et une personnes en juin 2010, avec un « référent fraude », qui, dans chaque caisse régionale, pourra faire remonter au niveau national l’ensemble des informations et animer la lutte contre les fraudes, qui concerne tous les agents de la branche. Un autre profil des agents est celui des agents de contrôle agréés et assermentés.
Nous avons également développé une politique de communication interne et externe. Ainsi, nous avons consacré toute la matinée d’une réunion des directeurs de caisses régionales, en juin 2010, à la lutte contre les fraudes, avec la participation de M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude. De même, le 14 juin 2010, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a organisé sur ce thème un point de presse qui a donné lieu à l’élaboration d’un dossier de presse diffusé sur notre site internet et d’affichettes distribuées dans le réseau, portant le slogan : « Garantir les retraites, c’est aussi agir et lutte contre la fraude ».
Nous avons en outre pris l’engagement, qui sera tenu courant 2011, de réaliser une évaluation globale – chiffrée avec prudence – du taux de fraude à l’assurance vieillesse dans le cadre des travaux de la Délégation nationale de lutte contre les fraudes.
Nous avons aussi voulu utiliser les outils législatifs pour lutter contre les fraudes et avons recouru à cette fin au dispositif des échanges inter régimes de retraite (EIRR), en vue de la majoration des pensions de réversion. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoyait une majoration des pensions de réversion pour les personnes percevant moins de 800 euros d’avantage de retraite. Afin d’éviter les inconvénients d’un système traditionnel de questionnaire rempli par les assurés, nous avons recouru à un système qui a permis de faire remonter automatiquement l’information depuis tous les régimes de retraite afin d’identifier les personnes dont des pensions de retraite étaient réellement inférieures à 800 euros et nous avons ainsi pu être certains de réserver la majoration à ceux dont la situation le justifiait. Dans le cadre de la loi de 2010 sur les retraites, nous avons étendu l’EIRR aux avantages non contributifs, afin d’intégrer les pensions de réversion et le minimum vieillesse – désormais allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) –, en vue d’une plus grande efficience.
Les premiers résultats, même modestes, apparaissent déjà : les signalements à nos partenaires se multiplient et, réciproquement, nous traitons les signalements de plus en plus nombreux qu’ils nous adressent. Le montant des préjudices constatés est en hausse, même si, là aussi, les chiffres sont modestes en valeur absolue. L’effort accompli a été clairement reconnu par la Cour des comptes, tant dans le processus de certification – car la lutte contre les fraudes n’est nullement en cause dans le fait que les comptes de la branche Vieillesse n’aient pas été certifiés pour les années 2008 et 2009 – que dans le rapport sur la fraude qui sert de fondement à vos travaux.
J’évoquerai enfin la question de la régularisation des cotisations prescrites dans le cadre des carrières longues, qui a servi de détonateur et d’accélérateur dans la lutte contre les fraudes. Le problème que nous avons rencontré tient à l’articulation malheureuse entre une nouvelle législation – la loi de 2003 qui permet aux personnes ayant accompli une carrière longue, donc cotisé sur une longue durée, de partir à la retraite avant l’âge de soixante ans, et parfois dès cinquante-six ans – et une lettre ministérielle de 1976 qui permettait de régulariser des cotisations prescrites sur la base du témoignage de deux personnes. Ce dernier dispositif était du reste très peu utilisé, car les personnes concernées, ne pouvant partir en retraite avant soixante ans, avaient généralement atteint à cet âge la durée de cotisation requise. Pour les carrières longues, la régularisation des cotisations prescrites permettait des départs anticipés.
Si cette mesure est parfaitement justifiée dans bien des cas, des fraudes ont eu lieu. Elles s’expliquent d’abord par le fait que le processus était partagé entre deux branches de la sécurité sociale – après régularisation par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), l’assuré faisait valoir ses droits auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés –, ce qui responsabilisait peu les acteurs du système.
Dès le 2 décembre 2005, mon prédécesseur, M. Patrick Hermange, a écrit à la tutelle pour l’alerter d’un nombre de régularisations qui paraissait trop élevé et portait sur un nombre de trimestres lui-même apparemment exagéré. Après cette alerte, cependant, la maturation a sans doute été un peu longue et ce n’est qu’à partir de 2007-2008 qu’un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales a fait apparaître les fraudes. Un travail très lourd a ensuite été engagé, sous la direction d’un comité de pilotage coordonné par la direction de la sécurité sociale, pour réviser les dossiers les plus risqués en fonction de critères d’alerte pertinents. Le ciblage a porté sur 701 dossiers de régularisation de cotisations concernant les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et 500 à 600 dossiers de rachat agricole.
Les caisses ont ensuite mené une action sans précédent. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) ont demandé par courrier aux personnes concernées si elles se rétractaient, après quoi, si ce n’était pas le cas, a été réalisé un travail d’enquête très lourd, complexe et chronophage, qu’il a en outre fallu apprendre car il s’agissait d’un savoir-faire, d’un métier nouveau. Ce travail, salué par la commission des suites de l’Inspection générale des affaires sociales, a déjà produit des résultats : 80 % des 701 dossiers ont fait l’objet d’une décision, 20 % restant à traiter d’ici à la fin de 2010. Dans un peu plus de 60 % des cas, la régularisation de cotisations prescrites a été annulée, du fait d’éléments objectifs permettant d’établir la fraude.
Il ne s’agit pas alors d’une simple suspension de pension car, la pension versée étant indue, l’indu constaté, parfois d’un montant très important, doit être remboursé, ce qui peut placer les personnes concernées dans des situations très difficiles. Ainsi, s’il était constaté que la régularisation de cotisation prescrite dont elle a bénéficié était entachée de fraude, une personne de cinquante-neuf ans retraitée depuis l’âge de cinquante-six ans verrait le versement de sa pension arrêté et devrait rembourser l’intégralité des pensions perçues depuis sa retraite : c’est loin d’être neutre.
Pour ce qui est des dossiers agricoles, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, qui est aussi, je le rappelle, caisse régionale pour l’Île-de-France, a reçu de la Mutualité sociale agricole de cette même région 71 dossiers sur 250 en cours de régularisation. Je précise qu’en cas de fraude, l’application de pénalités est systématique. Quatorze dossiers ont été traités par la caisse nationale d’assurance vieillesse-Île-de-France depuis septembre et huit doivent l’être au début de 2011. En matière de pénalités, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avait mis en place un dispositif assez complexe. Celle de 2009 a prévu un dispositif allégé, pour lequel le décret d’application a été publié voici environ un mois. La branche Vieillesse était peu avancée dans l’application de ce dispositif, notamment parce que le mécanisme prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 subordonnait l’application de sanctions à la constatation de l’indu. Nous utiliserons désormais sans complexe cet outil. Le nombre de dossiers ayant fait l’objet de pénalités, qui était de 13 en 2009, atteint déjà le chiffre de 27 en 2010.
S’il est évident que la lutte contre les fraudes est une exigence pour la branche Vieillesse, la prévention des dispositifs « fraudogènes » n’en est pas moins importante. En effet, certains dispositifs qui ouvrent des droits à la retraite sont plus exposés que d’autres à la fraude, car les justificatifs qu’ils exigent consistent en une déclaration sur l’honneur ou des documents plus faciles à fabriquer que par le passé, comme les bulletins de salaire. Peut-être les dispositifs législatifs et réglementaires devraient-il évoluer en conséquence. Une réflexion s’impose en la matière.
M. le coprésident Jean Mallot. Quelle part des 701 dossiers de régularisation de cotisations prescrites détectés fait-elle l’objet de contestations de la part des intéressés ? Où en sont ces dossiers ?
Par ailleurs, pourriez-vous indiquer à la MECSS quelle est votre évaluation de l’ampleur de la fraude, en pourcentage des prestations versées ou en valeur absolue ? Cette évaluation pouvant varier d’une caisse à l’autre, disposer d’ordres de grandeur nous serait utile.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelle est la proportion de saisines de la justice ?
M. Pierre Mayeur. L’évaluation de la fraude est un chantier en cours et je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre. À la suite de l’impulsion donnée par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, nous avons défini un cadrage méthodologique pour ce calcul. Nous devrions disposer d’un chiffre pour le taux global de fraude en juin 2011.
Le montant des fraudes constatées, qui figure dans le dossier de presse, est de 3 millions d’euros. Quant aux fraudes évitées, elles s’élèvent à 22 millions d’euros.
M. le coprésident Pierre Morange. De quand vos chiffres datent-ils ?
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. De 2009.
M. le coprésident Pierre Morange. Des montants beaucoup plus élevés ont pourtant été évoqués récemment.
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Au 30 juin, le montant était de 3,3 millions d’euros, rejoignant donc celui de l’ensemble de l’année 2009. La part de cette somme attribuable à la carrière est de l’ordre de 900 000 euros. L’impact tient essentiellement au rachat de cotisations prescrites. Nous n’avons cependant pas la totalité des indus qui ont été générés : nous ne disposons ainsi que de 55 % des dossiers ayant fait l’objet d’une décision et pour lesquels il a été procédé à l’annulation. Il me semble que le montant des indus liés au rachat des cotisations prescrites devrait aisément atteindre 2 millions ou 2,5 millions d’euros.
M. Pierre Mayeur. Sur les 701 dossiers évoqués, au terme d’un travail très long reposant sur des critères de doute, la fraude est avérée dans 60 % à 61 % des cas.
M. Jean Mallot, coprésident. Le caractère intentionnel de la démarche est ce qui distingue la fraude de l’erreur.
M. Pierre Mayeur. Il n’y a aucun doute.
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Parallèlement au préjudice constaté, nous calculons également la perte évitée en mettant fin à la fraude : pour un montant constaté de 3 millions d’euros, le préjudice évité, en ayant mis un terme à cette fraude, représente globalement le quadruple.
M. Pierre Morange, coprésident. Disposez-vous d’un chiffre pour les saisines de la justice ?
Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale. En dehors de l’Île-de-France, on a dénombré treize contentieux devant les commissions de recours amiable : dix à Marseille, deux à Montpellier et un à Bordeaux. Dans tous les cas, les commissions de recours amiable ont rejeté les demandes, confirmant les éléments initialement retenus. Dans deux cas, les tribunaux des affaires de sécurité sociale ont ensuite été saisis.
Dans la région Île-de-France, où la Mutualité sociale agricole a plus particulièrement été en charge des dossiers, quatorze recours ont été déposés. Le tribunal des affaires de sécurité sociale a été saisi deux fois, après rejet des demandes par la commission de recours amiable.
M. le coprésident Pierre Morange. Compte tenu du ratio de fraude évoqué par la Cour des comptes, toutes branches confondues, on peut s’étonner des données concernant la branche Vieillesse – le montant des fraudes ne dépasserait pas 3, voire 20 millions d’euros, sur 150 milliards d’euros au total.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous dire si des agents de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ou des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ont été poursuivis en justice ? Avez-vous été amenés à radier certains d’entre eux ?
M. Pierre Mayeur. Le rapport entre les fraudes constatées – 3 millions d’euros – et les prestations versées par la branche Vieillesse du régime général – 92 milliards – est effectivement très faible.
À la page 37 de son rapport, la cour précise que ces résultats « ont pu alimenter un optimisme marqué des responsables de la branche, qui ont indiqué ainsi ne pas être concernés au même degré par la problématique de la fraude. Ce diagnostic est sans doute en partie exact ». La cour estime toutefois qu’on peut nuancer ce raisonnement, comme je l’ai fait dans mon propos liminaire, en particulier à la lumière des fraudes constatées en matière de reconstitution des carrières longues : ont été recensés dans ce domaine entre 2 510 et 10 000 cas de fraudes, pour un coût potentiel compris entre 10 et 45 millions d’euros.
Cela étant précisé, la cour n’a pas fourni d’estimation de la fraude pour la branche Vieillesse. Conformément aux orientations qui nous ont été données, nous allons procéder à une évaluation du taux global de fraude dans le cadre d’un travail conjoint avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. Cette évaluation devrait être connue avant juin 2010.
M. le coprésident Pierre Morange. Je précise que je faisais référence à un ratio toutes branches confondues. Mais nous allons maintenant écouter votre réponse à la question posée par notre rapporteur.
M. Pierre Mayeur. Il serait absurde de nier l’existence de fraude à la retraite. Des cas existent. Il n’en demeure pas moins que les métiers, les activités et les systèmes d’information sont différents d’une branche à l’autre. Comme l’a reconnu la Cour des comptes, la question se pose en des termes spécifiques selon les branches concernées.
Les fraudes commises par les agents des organismes de sécurité sociale peuvent s’expliquer par deux raisons principales : certains d’entre eux sont plus susceptibles que d’autres salariés de bénéficier du dispositif relatif aux carrières longues, car ils sont entrés très jeunes dans les cadres ; en outre, des phénomènes de circulation d’informations de bouche à oreille ont pu se produire. Parmi les 1 200 dossiers faisant l’objet de suspicions – et non de certitudes, je tiens à le rappeler –, 130 agents des organismes de sécurité sociale sont concernés.
Il n’est plus possible de prononcer de sanctions disciplinaires contre les agents déjà partis à la retraite ; pour les autres, les sanctions peuvent aller jusqu’au licenciement. Plusieurs éléments d’appréciation ont été retenus par le comité de pilotage animé par M. Michel Thierry, inspecteur général des affaires sociales, à l’issue du rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales : la position hiérarchique des agents et leur implication dans le processus « retraite ». Il revient toutefois à chaque employeur, c’est-à-dire chaque caisse, d’exercer ses responsabilités.
M. le rapporteur. Nous aimerions quelques précisions supplémentaires sur le nombre des sanctions administratives.
Nous avons appris, par ailleurs, que certains agents faisaient l’objet de poursuites judiciaires : deux affaires sont en cours, dont une à Marseille, et la police a procédé à des mises en examen. Pouvez-vous nous dire combien d’agents sont concernés, et combien de radiations ont été prononcées par les organismes de sécurité sociale ?
M. Pierre Mayeur. Je le répète : nous n’avons pas de certitudes dans ces 130 dossiers. Tous les agents concernés ne sont pas nécessairement coupables.
Je peux vous dire, en revanche, que six licenciements ont été décidés. Pour les agents déjà à la retraite, nous déposons systématiquement plainte et des sanctions administratives peuvent être prononcées.
Mme Annie Rosès. Une action pénale est effectivement en cours à Marseille, sur la base d’une plainte déposée par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), mais nous n’avons pas de retour précis en qualité de caisse nationale. S’agissant de l’Île-de-France, nous nous sommes associés aux plaintes déposées par la Mutualité sociale agricole. Nous n’avons pas encore reçu de convocation, mais l’affaire suit son cours.
M. le rapporteur. Il me semblerait utile que la caisse nationale, à laquelle revient un rôle de pilotage, s’intéresse au cas des agents mis en examen. Il serait bon que nous puissions connaître les chiffres en la matière. Nous aimerions également savoir combien de radiations et de retraites anticipées ont eu lieu.
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire en quoi consistent les fraudes ? Les agents ont-ils reçu de l’argent pour fermer les yeux sur certains dossiers ? Ont-ils avantagé leur famille ? Existe-t-il des complicités internes avec des grandes entreprises ? Y a-t-il eu un réseau qui aurait « vendu » des dossiers fabriqués de toutes pièces ? De fait, des éléments parus dans la presse le laissent penser.
Mme Annie Rosès. Mise à part l’affaire de Marseille, dans laquelle des entreprises sont susceptibles d’être concernées, nous n’avons pas détecté de filières organisées dont l’existence se traduirait par des versements d’argent à des agents appartenant aux organismes de sécurité sociale – les travaux du comité de pilotage et de l’Inspection générale des affaires sociales confirment cette analyse. Il semblerait plutôt que des informations aient été transmises de bouche à oreille et que des dossiers aient été instruits avec un certain laxisme, sans véritable vérification des informations apportées par les témoins ou par les intéressés. L’affaire est entre les mains de la justice, mais il ne semble pas qu’il y ait eu des fraudes massives, impliquant des reversements d’argent : on est plutôt dans le cadre d’informations circulant au sein des entreprises, sans que leur implication soit établie pour l’instant, faisant état de la facilité avec laquelle la régularisation des situations pouvait être obtenue : deux témoins et une déclaration sur l’honneur suffisaient. Le dispositif était, en effet, très peu encadré par les organismes qui étaient alors en charge de le gérer, à savoir les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et la Mutualité sociale agricole.
M. le rapporteur. Si l’on en croit la presse, certains intéressés auraient commencé à travailler à l’âge de deux ou trois ans, voire avant d’être nés… N’y a-t-il pas un problème de contrôle interne ?
Mme Annie Rosès. Certains éléments laissent penser que les dossiers auraient dû être instruits différemment, ce qui renvoie effectivement à la question du contrôle interne et de la vigilance exercée.
Jusqu’au 1er janvier 2010, les dossiers étaient gérés par la branche Recouvrement, dont ce n’était pas le cœur de métier. Ils ont été suivis de façon assez hétérogène par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et le contrôle interne a été défectueux dans certains cas. Suite aux alertes que nous avons adressées dès le mois de décembre 2005, le dispositif de vérification a été recadré en janvier 2008 par voie de circulaire ministérielle, puis un décret est venu apporter des éléments complémentaires.
Depuis le 1er janvier 2010, c’est la branche Vieillesse qui est en charge de la question : tous les dossiers en cours lui ont été transférés et les demandes de régularisation des cotisations prescrites sont désormais gérées par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT).
J’ajoute que nous appliquons de façon extrêmement stricte les procédures de vérification : très peu de dossiers aboutissent en matière de régularisation de cotisations prescrites.
M. le rapporteur. Permettez-moi de revenir un instant sur le rapport de la Cour des comptes. Il est indiqué, page 37, que « l’estimation fournie par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés paraît fortement sous-estimée ».
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Le dispositif relatif aux carrières longues a posé un certain nombre de difficultés. Nous sommes parfois amenés à intervenir, en tant que parlementaires, pour aider nos concitoyens à trouver le bon interlocuteur quand il s’agit de reconstituer les carrières. On peut imaginer que le nombre des intéressés tend maintenant à se réduire. Pouvez-vous nous indiquer si beaucoup de personnes sont encore concernées ?
Pour avoir aidé une personne qui se trouvait dans cette situation, j’ai pu constater qu’il n’est pas toujours facile de reconstituer sa carrière en l’absence de déclarations de cotisations et de fiches de salaire. Vous avez indiqué qu’une attestation sur l’honneur pouvait suffire. Il m’a semblé que la situation s’était améliorée en matière de reconstitution de carrière et que l’on disposait maintenant de tous les éléments nécessaires pour vérifier que la situation de la personne correspondait bien aux relevés. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes exactement ?
M. Pierre Mayeur. Nous avons enregistré en 2009 une forte diminution des départs à la retraite dans le cadre du dispositif des carrières longues. L’augmentation de la durée de cotisation, passée à 164 trimestres, a réduit les entrées dans le dispositif ; la sécurisation et le durcissement des procédures en matière de régularisation a également joué un rôle ; nous arrivons, par ailleurs, à une génération qui a connu la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans. Ces trois facteurs expliquent que le nombre d’entrées dans le dispositif de carrières longues soit passé de plus de 120 000 en 2008 à 25 000 en 2009.
Nous anticipons une certaine remontée en puissance du dispositif en 2010, car certaines personnes pourraient liquider leur pension cette année en raison de la modification des règles applicables. Le nombre des intéressés pourrait alors s’élever à 35 000 ou 40 000, ce qui reste tout de même limité. Je précise, par ailleurs, que sur les 600 000 dossiers de carrières longues, moins de 100 000 font l’objet d’une régularisation de cotisations prescrites.
En ce qui concerne la reconstitution des carrières, nous avons effectivement amélioré le processus de gestion des dossiers, et c’est heureux. Nous allons également bénéficier, de façon croissante, des progrès réalisés en matière de droit à l’information. En effet, dans le cadre du groupement d’intérêt public (GIP) Info Retraite, les personnes nées en 1975 ont reçu un relevé de situation individuelle qui leur permet de vérifier dès maintenant si certaines périodes d’activité, telles que les emplois d’été ou le travail étudiant, ont bien été prises en compte.
Mme Annie Rosès. Grâce à la déclaration annuelle des données sociales, à laquelle les employeurs sont astreints, nous reportons automatiquement les salaires soumis à cotisation dans les comptes individuels. C’est une procédure qui fonctionne bien – et cela depuis longtemps. Il peut toutefois arriver qu’une déclaration ne soit pas faite en bonne et due forme ou qu’elle comporte des anomalies – un numéro de sécurité sociale erroné, par exemple –, ce qui empêche le report des données sur le compte individuel du salarié. Lorsque ce dernier demande la régularisation de sa carrière, nous commençons par effectuer des recherches plus approfondies dans les fichiers. Si nos techniciens ne retrouvent pas les données correspondantes, ou bien si elles ne paraissent pas suffisantes au salarié, nous demandons la production des bulletins de salaire, que les assurés ont l’obligation de conserver. C’est le seul document faisant foi du précompte des cotisations.
Cette solution peut comporter des failles, car il n’est pas très difficile de confectionner de faux bulletins de salaire à l’aide de logiciels disponibles dans le commerce. Pour y remédier, nous avons instauré une procédure dite de « carrière à risque » : lorsque la période à régulariser pour un même employeur est significative et que rien ne figure dans nos fichiers à ce titre, nous procédons à des vérifications très fines : nous nous assurons de la conformité des bulletins de salaire en testant leur cohérence à partir d’une liste d’éléments probants qui doivent figurer et nous diligentons une enquête auprès de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ainsi qu’éventuellement auprès de l’employeur et des services fiscaux.
La difficulté dans ce domaine est qu’il faut régulariser des carrières sur vingt ou trente ans : les autres documents que les bulletins de salaires, comme les avis d’imposition, ne sont pas conservés suffisamment longtemps, en particulier par les services administratifs, pour servir de mode de preuve.
En ce qui concerne le droit à l’information, je précise que des relevés de situation individuelle sont adressés tous les cinq ans aux assurés à partir de l’âge de trente-cinq ans. Cette mesure présente un grand intérêt pour notre branche, car l’assuré pourra vérifier que les informations figurant sur son compte individuel correspondent à son activité professionnelle. En cas d’anomalie, il devra contacter la caisse de retraite en vue d’une régularisation. Celle-ci est d’autant plus facile à réaliser qu’on est proche de la période d’emploi : il est plus simple de vérifier que l’employeur existe, de s’assurer auprès de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) que les déclarations sociales ont bien été exploitées et d’effectuer des recherches dans nos fichiers. Le droit à l’information est un élément important pour la fiabilisation des carrières tout au long de la vie.
M. Patrick Lebreton (usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres). L’outre-mer est régulièrement pointé du doigt pour l’intensité de la fraude sociale qui y aurait lieu. La reconstitution des dossiers peut présenter des difficultés particulières dans ces territoires, car l’administration s’est parfois déployée tardivement dans certaines terres lointaines. Un comité stratégique de la maîtrise des risques a été créé en 2009 au plan national, et des cellules « fraudes » ont été implantées localement, avec des moyens humains spécifiques. Après quelques mois d’application de ce dispositif, on peut penser que le moment est venu de procéder à une première évaluation. A-t-on constaté un taux de fraude supérieur dans les collectivités d’outre-mer en matière de retraite ? Sont-elles affectées par des types de fraude spécifiques ? Dans l’hypothèse où la fraude serait plus importante dans ces territoires, seriez-vous prêts à renforcer les moyens disponibles pour les activités de contrôle ?
M. le coprésident Pierre Morange. Qu’en est-il du rapport entre les sommes récupérées grâce à la détection de la fraude et les moyens consacrés à cette mission ?
M. Pierre Mayeur. Comme nous avons eu l’occasion de le préciser le 14 juin dernier, dans un dossier de presse qui est à votre disposition, le bilan est très favorable. Il ne faudrait pas non plus oublier le rôle important de la lutte contre la fraude en matière de prévention.
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous n’avons pas constaté, à ce stade, une intensité particulière de la fraude outre-mer.
Les cellules que vous citez sont en train de se déployer. On constate, en revanche, des difficultés organisationnelles au niveau des caisses générales de sécurité sociale (CGSS), qui sont chargées de gérer différentes branches. Il semble que la coordination de la lutte contre la fraude soit un peu plus complexe outre-mer qu’en métropole.
M. le coprésident Pierre Morange. La logique du guichet unique étant spécifique au droit ultramarin, il est difficile de procéder à des comparaisons entre la métropole et l’outre-mer dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire quand le dispositif évoqué sera opérationnel ?
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous devrions avoir les premiers chiffres dès 2010. Un équivalent temps plein a été attribué à toutes les caisses générales de sécurité sociale, auxquelles il revient, par ailleurs, de recruter un agent de contrôle agréé et assermenté afin de réaliser les enquêtes. J’ajoute que des objectifs ont déjà été fixés aux directeurs.
M. Patrick Lebreton. Nul ne peut ignorer la prégnance de certains problèmes dans nos territoires, notamment en matière d’immigration. Il peut en résulter des confusions et des critiques un peu faciles. C’est pourquoi nous souhaitons qu’un travail approfondi soit réalisé. En cas de difficultés spécifiques, il conviendra d’engager les moyens nécessaires.
Le nombre des dossiers de retraite à instruire a commencé à augmenter à partir de la fin des années 1970. Il me semble aujourd’hui nécessaire de procéder à des contrôles a posteriori, sans oublier la prévention, comme l’a rappelé à juste titre M. Pierre Mayeur.
Mme Pascale Robakowksi, agent comptable. Les caisses générales de sécurité sociale transmettent les mêmes données que les caisses de métropole, et elles ont reçu les mêmes instructions en ce qui concerne l’indicateur destiné à mesurer de façon aléatoire le taux de fraude au sein de notre branche. Cette opération ayant commencé en septembre dernier, nous serons probablement en mesure de fournir un premier résultat vers mars 2011. Nous pourrons alors comparer la situation des caisses générales de sécurité sociale avec celle de la métropole.
M. le rapporteur. À la page 89 de son rapport, la Cour des comptes appelle l’attention sur l’âge de décès des cotisants en fonction de leur pays de résidence. Il semble que les pensionnés nés en Algérie meurent plus tard que ceux des autres pays méditerranéens considérés… La structure par âge comporte des anomalies : la part des décès après quatre-vingt-dix ans et après cent ans des pensionnés résidant en Algérie est supérieure à celle qui est observée dans les autres pays du Maghreb. D’autres anomalies ont été constatées en matière de domiciliation : on a compté jusqu’à trente-neuf personnes déclarant habiter à la même adresse.
Vous avez indiqué que vous pouviez procéder aux recoupements nécessaires pour les personnes décédées en métropole ; la Cour des comptes semble douter que vous puissiez faire de même pour les décès à l’étranger.
Mme Pascale Robakowksi. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur le même dispositif en France et à l’étranger. En France, nous bénéficions d’une remontée automatique des informations transmises par les mairies en cas de décès via les fichiers de l’Institut national de la statistique et des études économiques. À l’étranger, notre dispositif repose sur les certificats d’existence, qui permettent de contrôler le lieu de résidence de l’assuré ainsi que son existence ; ce certificat est obligatoire lors du premier paiement à l’étranger, puis il est régulièrement demandé à l’assuré, qu’il soit un étranger ou un Français vivant hors de nos frontières. Le certificat doit être visé par les autorités administratives compétentes, dont une liste a été établie.
Suivant la situation géopolitique des 233 pays dans lesquels nous versons des retraites, le certificat d’existence est demandé tous les ans, tous les six mois ou tous les trois mois. Il est ensuite examiné par un technicien des services compétents. En l’absence de communication du document dans un délai de deux mois, le paiement est automatiquement suspendu.
Je précise toutefois que le certificat d’existence n’est pas le seul moyen à notre disposition pour avoir connaissance des décès survenus à l’étranger. Dans un certain nombre de cas, les plus fréquents, le certificat de décès nous est adressé par la famille de l’assuré. Nous pouvons également être informés par l’intermédiaire de nos correspondants bancaires, qui sont tenus de signaler les décès dont ils ont connaissance. Le certificat d’existence n’est qu’un moyen de contrôle supplémentaire.
M. le coprésident Pierre Morange. Lors d’une précédente audition, il a été question à plusieurs reprises d’une expérimentation consistant à mandater des sociétés pour vérifier le respect des critères d’éligibilité – il s’agit en particulier de vérifier que les bénéficiaires potentiels sont toujours en vie. Nous avons été saisis de plusieurs cas dans lesquels des prestations allaient en réalité à la famille d’assurés qui avaient travaillé sur notre territoire avant de retourner dans leur pays d’origine, et la Cour des comptes s’est étonnée de l’extraordinaire proportion de centenaires dans certains pays. Il y a là une véritable question à laquelle nous devons répondre afin de ne pas alimenter certains fantasmes.
M. Pierre Mayeur. Ce sujet particulièrement sensible, qui alimente en effet bien des fantasmes, impose d’être particulièrement attentif. D’évidence, le dispositif adopté pour les bénéficiaires de prestations servies hors de notre pays, auxquels nous demandons périodiquement un certificat d’existence, est moins sécurisé que le système en vigueur en France où les informations relatives aux décès collectées par l’Institut national de la statistique et des études économiques nous sont transmises systématiquement. C’est pourquoi, tout en notant qu’« à elles seules ces atypies ne permettent pas de conclure que des paiements significatifs soient effectués à des personnes décédées résidant en Algérie avant leur décès », la Cour des comptes appelle à des contrôles renforcés. Cela étant, nous ne pouvons demander à tous les bénéficiaires de se présenter chaque mois dans les consulats de France pour prouver qu’ils sont en vie.
Mme Pascale Robakowski. Je précise que nous servons des prestations à 1 100 000 bénéficiaires résidant à l’étranger, par le biais de 12 800 000 virements. Imaginez la charge qui serait imposée aux consulats de France si c’est à eux que ce contrôle devait échoir…
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous allons procéder à une expérimentation en Tunisie, avec l’aide d’un prestataire externe. Mais encore devra-t-il vérifier physiquement l’existence des assurés, sans s’en tenir à examiner ce qui figure sur les registres de l’état-civil.
M. le rapporteur. Après avoir noté que le nombre de centenaires pensionnés du régime général en Algérie est supérieur à celui de l’ensemble des centenaires recensés dans tout le pays par les services chargés du recensement, la cour observe qu’en dépit de cette anomalie c’est en Tunisie, pays « qui ne se signale pas particulièrement par une atypie statistique » que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a décidé de procéder à un contrôle ciblé. Pourquoi ce choix ?
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Ce choix n’est pas le nôtre mais celui de notre tutelle. Outre que la Tunisie est favorable à l’expérimentation, le ministère pense que cet essai aura un effet d’entraînement sur les autres pays du Maghreb. Par ailleurs, l’absence d’indices de fraude apparents n’empêche pas de soupçonner des anomalies, en Tunisie comme dans certains autres pays d’Afrique.
M. Pierre Mayeur. Lancer une expérimentation de ce type dans un petit pays où nous servons moins de prestations qu’ailleurs et qui en accepte le principe présente des avantages.
Mme Pascale Robakowski. Nos techniciens sont très entraînés à la lecture des certificats d’existence. C’est d’ailleurs une des raisons des réticences de l’agent comptable à l’hypothèse de la dématérialisation : il arrive que l’on mette fin à des versements après examen de certains documents sur papier qui nous parviennent comme certificats d’existence.
M. le coprésident Pierre Morange. Quel est le nombre des arrêts de paiement ?
Mme Pascale Robakowski. Je puis vous répondre pour l’Île-de-France : on y dénombre quelque 1 500 arrêts de paiement liés au non-retour du certificat d’existence chaque mois.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous serons particulièrement attentifs aux conclusions de cette expérimentation, qui devra en même temps faire la part de ce qui relève du fantasme pour éviter toute instrumentalisation et mettre fin à toute omerta éventuelle sur des pratiques frauduleuses avérées.
M. le rapporteur. Les amendements aux projets de lois de financement de la sécurité sociale successifs vous ont-ils permis de gagner en efficacité ? Facilitent-ils les contrôles comme vous le souhaitez ?
M. Pierre Mayeur. Les choses vont dans le bon sens. J’attends beaucoup, en particulier, des pénalités financières instituées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, à la condition que le dispositif soit souple et simple. Mais si de telles dispositions sont tout à fait nécessaires, il convient avant toute chose de réfléchir aux moyens de sécuriser les documents en amont, les bulletins de salaire par exemple.
Par ailleurs, le droit à l’information des futurs pensionnés ayant progressé puisque des relevés de situation leur sont désormais adressés tous les cinq ans, on pourrait imaginer qu’ils aient en contrepartie le devoir de vérifier l’exactitude de ces relevés dans un certain délai. De cette manière, après un temps donné, on pourrait considérer que les périodes de la carrière décrites dans chaque relevé successif sont consolidées sans que l’on puisse par la suite revenir en arrière au lieu que, comme c’est le cas à présent, les futurs retraités régularisent à 58 ou à 59 ans des anomalies dont ils n’avaient jamais fait état auparavant.
M. le coprésident Pierre Morange. D’une manière générale, considérez-vous suffisante la sécurité en amont ? L’interconnexion des fichiers ne permettrait-elle pas de l’améliorer ? Où en est-on, à ce sujet, de l’alimentation du serveur de Tours depuis août dernier ?
M. Pierre Mayeur. Vous me donnez l’occasion de rendre hommage ainsi au formidable travail accompli par tous ceux qui ont mis au point le répertoire national commun de la protection sociale à partir du système informatique de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, opérateur de ce registre qu’elle met à la disposition des autres organismes de protection sociale.
Mme Annie Rosès. Il est en effet indispensable, pour renforcer la sécurisation du système, de croiser les informations mais il faut aussi le faire au plus près de la situation à vérifier. C’est pourquoi nous recommandons, en corollaire du droit à l’information des futurs retraités, de leur faire obligation de vérifier les relevés de situation dans un délai donné, pour que les régularisations éventuelles soient faites au plus tôt. Actuellement, nous éprouvons les plus grandes difficultés à procéder à des vérifications qui nous obligent à remonter vingt, trente ou quarante ans dans le temps pour retrouver des informations qui, souvent, n’existent pas ou n’ont pas été conservées. Il faudrait créer une sorte de « droit de la carrière » prévoyant des vérifications par périodes successives. Au moment de prendre sa retraite, le futur pensionné saurait ainsi que toute sa carrière, les cinq dernières années exceptées, est sécurisée. C’est aussi important pour les assurés que pour les organismes.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans une logique de continuum et de sécurisation des parcours professionnels, on pourrait en effet imaginer une sorte de « compte social », colligeant l’ensemble des droits rattachés à chaque salarié.
Mme Annie Rosès. M. Pierre Mayeur a évoqué la responsabilité particulière de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés dans l’identification des bénéficiaires des prestations et avantages de toute nature servis par les divers régimes de protection sociale. En notre qualité de gestionnaire de ce fichier, nous attribuons les numéros d’inscription au répertoire (NIR) et, dans certains cas, on peut s’interroger sur la validité des pièces, notamment venues de l’étranger. Conformément au décret, aussi longtemps que nous ne disposons pas des pièces corroborant l’état civil, nous attribuons au demandeur un numéro identifiant d’attente (NIA) afin qu’il ne soit pas privé de droits aux soins, ni de prestations familiales. Nous souhaitons que la validité du numéro identifiant d’attente (NIA) soit limitée dans le temps : ainsi, soit les pièces demandées seront fournies et le numéro identifiant d’attente (NIA) sera transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR), soit elles ne le seront pas et l’on en tirera les conséquences qui s’imposent en suspendant les prestations.
M. le coprésident Pierre Morange. Cela relèverait du domaine législatif me semble-t-il.
M. Pierre Mayeur. Le sujet appelle une réponse différenciée selon les organismes de la protection sociale. Pour notre part, nous considérons que ne pas prolonger outre mesure les numéros identifiants d’attente et que tirer les conséquences de la non-production des pièces requises seraient des éléments de sécurisation essentiels.
M. le rapporteur. Tout en vérifiant si les conditions de régularité du séjour sur le territoire français sont remplies.
Mme Annie Rosès. Vérification de l’identité et droit au séjour sont deux choses différentes. Dans un cas on s’assure que l’ouverture des droits concerne la bonne personne, dans l’autre que les conditions administratives d’ouverture des droits sont remplies. Le système national de gestion des identifications (SNGI) doit être le plus fiable possible, puisque c’est la porte d’entrée dans le dispositif de protection sociale ; nous nous attachons donc à ne pas introduire ni conserver dans le répertoire national commun de la protection sociale d’éléments à la fiabilité douteuse, et c’est pourquoi nous souhaitons limiter la durée de validité des numéros identifiants d’attente (NIA).
M. le rapporteur. C’est aussi pourquoi, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, j’avais souhaité la production des originaux des pièces d’identité pour le service des prestations sociales.
M. le coprésident Pierre Morange. Cette approche me paraît très pertinente mais, dans les faits, il semble que le versement d’une prestation conduise à sa pérennisation.
Mme Annie Rosès. Nous demandons qu’un délai raisonnable soit fixé au cours duquel tous les organismes de sécurité sociale feront toutes diligences pour obtenir les pièces d’état civil requises, procéder aux vérifications nécessaires et pouvoir ainsi transformer le numéro identifiant d’attente (NIA) en numéro d’inscription au répertoire (NIR). Nous avons évalué ce délai à neuf mois, voire à douze mois, compte tenu des possibles échanges de correspondances et du fait que certains services d’état-civil étrangers ne sont pas très faciles à joindre. Si, à l’échéance de ce terme, les organismes concernés n’ont pas obtenu la corroboration de l’identité de la personne concernée, le versement des prestations sera suspendu. Le processus est plus compliqué en matière d’assurance maladie – et nous préconisons de distinguer l’accès aux soins des prestations en espèces – et pour les prestations familiales. Pour ce qui la concerne, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés instruit le droit mais suspend tout paiement concernant les numéros d’attente lorsqu’elle ne reçoit pas les pièces requises.
M. le coprésident Pierre Morange. Combien de « numéros d’inscription au répertoire (NIR) d’attente » recensez-vous à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ?
Mme Annie Rosès. Cent cinquante seulement sur 12 000 000 de bénéficiaires, car nous avons réalisé un travail considérable de gestion des identifiants. Pour fiabiliser le fichier au mieux, nous avons demandé des pièces supplémentaires à tous les bénéficiaires de prestations âgés de moins de soixante-quinze ans – nous ne voulions pas inquiéter les bénéficiaires les plus âgés – pour lesquels nous n’avions pas la certitude de la parfaite fiabilité des pièces en notre possession. Le système national de gestion des identifications (SNGI) a ainsi été mis à jour. Le principe qui nous guide est que les contrôles doivent être faits a priori, à chaque demande d’entrée dans le dispositif de protection sociale, que ce soit par le biais de l’assurance maladie ou par celui des allocations familiales, car si l’on nourrit le système d’éléments non fiables, ils mettront en péril la fiabilité du répertoire national commun de la protection sociale lui-même. Le contrôle en amont est, pour l’avenir, un fort élément de prévention de la fraude.
M. le coprésident Jean Mallot. J’aimerais vous entendre confirmer que le nombre de numéros identifiants d’attente (NIA) vaut pour l’ensemble des organismes.
Mme Pascale Robakowski. En effet. Les cent cinquante dossiers auxquels il a été fait référence correspondent aux prestations d’assurance vieillesse encore versées à ce jour sous « numéro d’inscription au répertoire (NIR) d’attente ».
M. le coprésident Jean Mallot. La prévention est toujours préférable à la sanction. Or, M. Pierre Mayeur a parlé de dispositifs « fraudogènes ». Quels sont-ils ? Les connaître nous permettrait d’en limiter le nombre.
Mme Annie Rosès. Ce sont, par exemple, les bulletins de salaire. D’une manière générale, il s’agit de dispositifs qui prévoient pour s’appliquer des conditions fondées sur des informations dont nous ne sommes pas en mesure de vérifier les justificatifs. Ainsi des dispositions prévues en faveur des assurés ayant élevé des enfants – comme on en trouve encore dans la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Chacun comprend ce que signifie « avoir élevé des enfants », mais quelle preuve tangible avons-nous qu’un assuré a effectivement élevé des enfants de leur naissance à leur majorité ? Aucune – pas même les déclarations fiscales, que nul n’est tenu de conserver plus de trois ans. La preuve apportée sera donc de l’ordre de la déclaration sur l’honneur. Nous essayons de réduire au maximum ce type de dispositifs et nous sommes aussi vigilants que nous pouvons l’être, mais il serait souhaitable, au moment d’adopter de nouvelles dispositions, de songer aux éléments de preuve possibles – soit la vérification d’une situation, soit la vérification d’une période – autres que la déclaration sur l’honneur, qui est un élément d’insécurité.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je suis stupéfaite d’apprendre qu’aucun moyen ne permet de vérifier qu’un assuré a effectivement élevé des enfants pendant une longue période. Qu’en est-il des prestations familiales ?
Mme Annie Rosès. Le terme n’a pas de signification précise, et il est particulièrement difficile d’apporter la preuve, au moment où l’on prend sa retraite, que l’on a effectivement élevé des enfants pendant une longue période, quarante ans auparavant. Après avoir cessé de verser les prestations dues à un assuré, la branche Famille ne garde pas d’archives à ce sujet sur une telle durée car c’est inutile à sa gestion.
M. le rapporteur. Selon moi, il revient à ceux qui souhaitent bénéficier d’une prestation d’apporter la preuve qu’ils y ont droit. À propos des numéros d’identification, pourquoi servez-vous des prestations avant que la personne considérée ait produit l’original de sa pièce d’identité ?
Mme Pascale Robakowski. Nous ne versons pas de prestations si nous n’avons pas de numéro d’inscription au répertoire (NIR) certifié. Un numéro identifiant d’attente (NIA) n’est attribué qu’en cas de manque extrême de ressources ; un délai de deux mois est alors fixé au-delà duquel la prestation est suspendue si les pièces corroborant l’identité de l’intéressé n’ont pas été fournies.
M. le rapporteur. Deux mois, ou neuf mois comme dit précédemment, ce qui me paraît un peu long ?
Mme Pascale Robakowski. Nous avons évoqué le délai de neuf mois comme la durée limite au-delà de laquelle soit le numéro identifiant d’attente (NIA) devrait être transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR) si les pièces requises ont été produites, soit les prestations suspendues.
M. Pierre Mayeur. La confusion naît sans doute de ce que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a plusieurs casquettes. En notre qualité de branche Vieillesse, nous ne servons pas de prestations à des personnes qui ont un numéro d’identification d’attente. En tant qu’opérateur du répertoire national commun de la protection sociale et du système national de gestion des identifications (SNGI), nous avons une responsabilité particulière à l’égard de toutes les branches et de tous les organismes de la protection sociale ; dans ce cadre, nous suggérons que les organismes servant des prestations familiales ou d’assurance maladie limitent le versement de ces prestations à neuf mois si le numéro identifiant d’attente (NIA) n’est pas transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR) à cette échéance.
M. le rapporteur. Si l’on n’est pas sûr de l’identité de la personne à laquelle on a affaire, comment peut-on être sûr de son absence de ressources ?
Mme Pascale Robakowski. Cette question doit être posée aux autres branches ; pour notre part, nous ne versons rien aux personnes auxquelles un numéro d’inscription au répertoire (NIR) n’a pas été attribué.
M. le coprésident Pierre Morange. J’aimerais des précisions sur l’état d’avancement de l’interconnexion des fichiers, dont j’ai compris qu’elle n’était pas entièrement opérationnelle.
M. Pierre Mayeur. La Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés n’a de retard ni en sa qualité d’opérateur, ni en sa qualité de « chargeur » alimentant le serveur en données. Il est vrai que les délais sont peut-être plus longs qu’annoncé pour les autres organismes de protection sociale, mais je puis vous dire que les fichiers de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, dont l’informatique est particulièrement complexe, sont en cours de chargement.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est une excellente nouvelle. Quand ce chargement spécifique sera-t-il achevé ?
Mme Brigitte Langlois-Meurinne. En juin 2011.
M. le coprésident Pierre Morange. Et qu’en est-il des autres organismes ?
M. Pierre Mayeur. La direction de la sécurité sociale, où un directeur de projet suit au jour le jour l’avancement de l’interconnexion des fichiers, est très attentive à la mise en œuvre du répertoire national commun de la protection sociale. Sans doute devriez-vous l’interroger.
M. le coprésident Pierre Morange. Mesdames, monsieur, je vous remercie pour ces réponses précises et je vous invite à nous faire part de toutes suggestions, en particulier opérationnelles, que vous jugeriez utiles.
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AUDITIONS DU 9 DÉCEMBRE 2010
Audition de M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable, Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude, et Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites ».
M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Comme vous le savez, la Mutualité sociale agricole gère l’ensemble des branches de la protection sociale pour la population agricole, salariée ou non salariée : c’est un guichet unique. À ce titre, elle détient dans une seule base de données l’ensemble des informations permettant d’identifier les bénéficiaires, d’appeler les cotisations et de verser les prestations, en matière de santé, de famille ou de retraite. Une première originalité du régime de la Mutualité sociale agricole par rapport au régime général est donc qu’il n’est pas nécessaire, pour opérer certains contrôles ou vérifications, de croiser différents fichiers entre eux.
Il s’agit non seulement d’un régime unique, mais aussi d’un régime « fermé » : pour relever du régime agricole, il faut remplir des conditions précises en termes d’activité professionnelle. Un premier filtre est donc appliqué dès le départ quant à l’identification des bénéficiaires.
La caisse centrale joue un rôle primordial dans le pilotage et le contrôle des politiques concernant l’ensemble du réseau. Elle n’exerce toutefois ces responsabilités que depuis les trois dernières lois de financement de sécurité sociale que vous avez votées, pour 2008, 2009 et 2010. Nous sommes donc dans une phase de transition. Jusqu’à présent, les dirigeants d’organisme étaient plutôt préoccupés par des questions de délais à respecter, de prestations de services ou d’accompagnement de personnes en difficulté – notamment quand une filière agricole était confrontée à une catastrophe économique ou naturelle. La Mutualité sociale agricole doit désormais assimiler une nouvelle culture et comprendre la nécessité d’établir des contrôles internes, des actions de vérification et de lutte contre la fraude. Nous nous sommes donc organisés en conséquence.
En 2008, nous avons mis en place une direction de l’audit, dont l’objectif était de mettre en œuvre les actions sur l’ensemble du réseau pour que nos comptes soient certifiés. Comme vous le savez, ils ne l’ont pas été jusqu’à présent. Alors que, pour le régime général, la nouvelle procédure en matière de certification a été instituée par un texte de 1993, en ce qui nous concerne, les règles n’ont été connues qu’en 2003. En matière de contrôle interne, nous avons donc un retard de dix ans à rattraper. Nous nous y employons, notamment avec le concours des commissaires aux comptes qui nous suivent.
En 2009, nous avons mis en place une direction de la maîtrise des risques, pilotée par Mme Françoise Vedel. Elle comprend deux pôles, l’un concernant le contrôle interne, l’autre regroupant – pour être en phase avec les structures nationales comme la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes (DNLF) – la lutte contre le travail illégal et la lutte contre la fraude.
En ce qui concerne la prévention, nous avons créé en 2009 un dispositif de contrôle interne et d’actions de « parade » : nous avons identifié les fraudes et recensé les actions possibles pour les éviter. Nous avons également établi un guichet unique virtuel, équivalent du répertoire national des bénéficiaires (RNB). Ainsi, n’importe quel agent de n’importe quelle caisse de la Mutualité sociale agricole peut aujourd’hui savoir si un assuré bénéficie d’une prestation déjà versée par une autre caisse. Ce dispositif ne concerne pour l’instant que la branche Famille, mais il sera progressivement étendu aux autres branches.
En 2009, nous avons également lancé une expérimentation concernant le paiement des indemnités journalières. Aujourd’hui, l’assurance maladie effectue ce paiement à partir d’une attestation de salaire délivrée par l’employeur, mais nous avons, nous, la possibilité de consulter nos bases afin de connaître, sans attendre de recevoir l’attestation, les déclarations trimestrielles effectuées par les employeurs pour chaque salarié concerné.
Nous avons également organisé un échange de données avec Pôle Emploi. Ce n’était pas une première, puisque nous procédons depuis fort longtemps au recouvrement des cotisations des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). Toutefois, cette démarche d’échanges reste à approfondir.
En matière de formation, nous avons, avec le concours de la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes, formé cent trente personnes sur les sujets traités habituellement par la direction nationale, comme la fraude documentaire ou les poursuites pénales. Par ailleurs, une trentaine de stagiaires ont bénéficié de formations propres à la Mutualité sociale agricole sur des dispositifs nouveaux relatifs notamment au droit de communication ou à la prise en compte des éléments du train de vie. Notre objectif est de former des formateurs, de façon à placer autant de relais au sein des différentes caisses.
En incluant le travail illégal, le montant de la fraude représentait 8 millions d’euros en 2009. Ce chiffre est relativement stable par rapport aux années précédentes. Notre objectif – nous le négocions dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion – est bien entendu d’améliorer la détection des fraudes. Jusqu’à présent, notre organisation – et même notre système d’information – ne permettait pas d’être exhaustif. Par exemple, dans le cadre du contrôle de la tarification à l’activité (T2A), des rappels importants sont chiffrés par l’Assurance maladie, tous régimes confondus : je ne suis pas certain que les caisses de Mutualité sociale agricole concernées aient le réflexe de faire remonter les renseignements nous concernant.
Des procédures ont été engagées devant des juridictions pénales ou civiles en fonction des branches concernées. Je pourrai y revenir en détail si vous le souhaitez.
Notre plan pour 2010 s’inscrit dans le prolongement des actions effectuées en 2009. Nous souhaitons ainsi poursuivre les échanges de fichier entre la Mutualité sociale agricole et Pôle Emploi et avoir un accès intégré aux données des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). En 2010, nous avons également fait partie des premiers régimes à alimenter le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Par ailleurs, nous avons prévu un certain nombre d’actions relatives à la domiciliation bancaire ou postale ou concernant la fraude à la résidence. Nous avons demandé aux caisses de vérifier plus précisément la situation des individus ayant changé de relevé d’identité bancaire (RIB) plus de six fois dans l’année ; de comparer les noms des bénéficiaires des paiements avec celui figurant sur les relevés d’identité bancaire ; de vérifier les adresses comportant la mention « chez Untel » ; de contrôler l’utilisation d’un même relevé d’identité bancaire pour des allocataires différents ; de croiser les données concernant les relevés d’identité bancaire avec nos propres informations ; d’opérer des vérifications complémentaires lorsque des virements sont effectués à l’étranger. Nous allons par ailleurs généraliser l’accès au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Enfin, en 2010, nous avons commencé à étudier la situation des retraités âgés pour lesquels il n’y a pas eu versement de prestations maladie au cours de l’année ou au cours des années précédentes ; certains cas mériteraient un approfondissement, voire une procédure de recouvrement d’indus.
Pour prévenir la fraude interne, c’est-à-dire une fraude qui serait effectuée au bénéfice du personnel de la Mutualité sociale agricole ou de ses administrateurs, l’agent comptable a adressé aux agents des caisses un plan de vérification réclamant qu’un contrôle précis et plus dense soit opéré sur les dossiers du personnel.
Bien entendu, nous poursuivrons le partenariat avec la Direction nationale de la lutte contre les fraudes et avec la Direction de la sécurité sociale.
Nous poursuivons également les actions de lutte contre le travail illégal en appelant les caisses à porter une attention particulière sur trois types d’entreprises : celles qui déclarent le même jour un salarié et un accident du travail ; celles qui se déclarent prestataires de services après qu’on leur a refusé une immatriculation ; et les entreprises à activité saisonnière qui présenteraient de fortes variations dans leurs déclarations de main-d’œuvre.
En termes de prévention, nous avons travaillé sur la qualité de l’identification des adhérents et des entreprises. Plus nous l’améliorerons en amont, plus nous limiterons le risque d’anomalies, voire de fraude.
Enfin, en 2010, la caisse centrale, en tant que tête de réseau, s’est appliquée à renforcer l’accompagnement des trente-cinq caisses locales, notamment en ce qui concerne la qualification de la fraude. Il importe que tous les régimes adoptent la même approche en ce domaine.
Nous avons également lancé des actions de communication dans plusieurs directions : vers nos agents ; vers les professionnels, pour rappeler aux employeurs les démarches à accomplir et les points de vigilance à respecter ; vers les particuliers. À partir de 2011, nous agirons en direction des partenaires opérationnels et institutionnels.
Je terminerai en revenant sur un dossier qui a défrayé la chronique, celui du rachat des cotisations retraite. À la suite d’une inspection menée en 2008 par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’agriculture et son régime de protection sociale ont été injustement mis en cause. Je ne prétends pas que le régime agricole est à l’abri de toute critique, mais comme l’ont montré les opérations de contrôle menées ultérieurement, ce n’est pas là que les dérives constatées sont les plus nombreuses. En outre, les bénéficiaires de rachats frauduleux n’étaient pas des agriculteurs et avaient un lien ténu, voire inexistant, avec le monde agricole.
À la suite des investigations de l’Inspection générale des affaires sociales, 12 000 dossiers de rachat des cotisations, concernant le régime général et le régime agricole, ont été identifiés comme présentant des risques de fraude. Par ailleurs, 2 000 dossiers ont été sélectionnés de manière aléatoire pour subir un contrôle. En tout, ce sont donc 14 000 dossiers qui ont été réexaminés. L’application de filtres successifs a permis de réduire ce nombre à 6 763 – dont environ 4 000 concernaient le régime de la Mutualité sociale agricole. Puis, des investigations complémentaires ont permis d’identifier 1 196 dossiers potentiellement à risques, dont 641 concernaient le régime général et 555 celui de la Mutualité sociale agricole – soit respectivement 25 % et 13 % du total.
On voit que le taux de dossiers sensibles est moitié moindre pour la Mutualité sociale agricole que pour le régime général. Il ne s’agit pas de s’exonérer de toute responsabilité : des fraudes ont bien été identifiées et sanctionnées. Mais lors d’une demande de rachat de cotisations, les demandeurs font état d’une activité en relation avec une exploitation agricole. Or nos fichiers gardent la trace de toutes les exploitations existantes ou ayant existé. Cela permet des vérifications qui seraient plus difficiles à effectuer dans le régime général : lorsque l’on évoque des cotisations liées à une activité professionnelle exercée dans un hôtel ou un restaurant dans les années 1970, je ne suis pas sûr qu’il soit possible de retrouver la trace de cette activité commerciale. Quoi qu’il en soit, l’organisation de la Mutualité sociale agricole permet de limiter la fraude, même si elle ne permet pas de l’éviter tout à fait.
L’inspection, ainsi que certaines alertes, nous ont conduits à réagir rapidement en plusieurs points du territoire, et les fraudes ont été sanctionnées. Dans la foulée, la Mutualité sociale agricole d’Île-de-France a procédé au licenciement de cinq membres de son personnel, tandis que la caisse centrale licenciait une personne. Indépendamment de la procédure de réexamen des dossiers, soixante-quatorze cas ont fait l’objet de plainte au pénal pour fraude au rachat de cotisations. Les dossiers jugés à risque sont soumis quant à eux à une procédure précise comprenant un envoi de courrier aux demandeurs ainsi qu’aux témoins. En cas de rétractation, nous considérons qu’il y a fraude avérée. Dans le cas contraire, nos contrôleurs se rendent sur place. Selon l’analyse effectuée par la caisse, la procédure débouche soit sur un classement sans suite, soit sur l’annulation du rachat, voire la suspension du versement des pensions. Pour éviter un traitement hétérogène des dossiers par les différentes caisses, nous avons mis en place une cellule nationale destinée à harmoniser l’examen des dossiers.
M. le coprésident Jean Mallot. Vous avez estimé à 8 millions d’euros le montant des fraudes détectées en 2009. Mais certaines fraudes ont conduit à des recouvrements. Ce coût pour la puissance publique est-il brut ou net ? Comment est-il réparti par branche, et en particulier, quelle est la part du travail illégal ? La fraude concerne-t-elle plutôt les prélèvements ou les prestations ?
Par ailleurs, un tel montant doit s’apprécier par rapport au total des prestations versées. La somme de 8 millions d’euros vous paraît-elle importante ?
M. François Gin. Le montant total des prestations servies par la Mutualité sociale agricole s’élève à 28 milliards d’euros. Sur cette somme, quelle peut être la part de la fraude ? Nous n’avons pas, à l’heure actuelle – et c’est une lacune –, d’outil permettant d’apporter une réponse précise à cette question. Je sais que dans le régime général, et plus particulièrement dans la branche Famille, le montant de la fraude est estimé à 1 % des prestations servies. J’aurais tendance à considérer, pour les raisons indiquées tout à l’heure, que la fraude en matière de prestations sociales agricoles est d’une ampleur moins importante. Toutefois, mon approche n’a rien de scientifique. C’est pourquoi nous sommes en train d’élaborer avec le délégué national à la lutte contre la fraude une méthode d’estimation plus sûre. Nous allons le faire de façon progressive, branche par branche, en commençant probablement par les indemnités journalières versées pour l’assurance maladie et les accidents du travail, aux salariés comme aux non-salariés, car je crois que le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) s’apprête à porter une attention particulière sur ce sujet.
Il est vrai que le montant de 8 millions d’euros prend en compte le travail illégal. Dans ce seul domaine, les redressements de cotisations opérés totalisent 1,7 million d’euros.
M. le coprésident Jean Mallot. Il s’agit de la fraude détectée : il est donc logique que le coût net soit peu élevé. S’agissant des autres branches, je suppose que vous procédez au recouvrement des sommes indues. Savez-vous ce qui est récupéré sur les 6,3 millions d’euros restant ?
M. François Gin. Nous mettons en œuvre des procédures de recouvrement classiques, comme l’émission d’un titre exécutoire, ou bien nous prélevons sur le versement des prestations à venir. Nous disposons de chiffres globaux sur le recouvrement des cotisations, mais, à ce jour – et cela fait partie des manques que nous devons combler –, nous n’avons pas de chiffres précis et consolidés sur le recouvrement des prestations servies à tort.
M. le coprésident Jean Mallot. Nous avons besoin de chiffres précis si nous voulons établir des ordres de grandeur incontestables. Mais il nous importe également de bien distinguer la fraude estimée de la fraude détectée. En effet, si dans la branche Famille il est possible de prélever sur les prestations à venir, les choses sont plus compliquées en ce qui concerne la maladie ou la retraite. Nous devons dépasser la notion générale de fraude et aller plus loin, par honnêteté vis-à-vis du public, et parce que les outils de traitement du problème ne sont pas les mêmes selon le type de fraude.
M. François Gin. Une des difficultés vient du fait que, jusqu’à présent, nous ne distinguions pas, en termes de codification, entre l’indu lié à une erreur de la caisse et celui qui résulte d’une fraude de l’assuré.
M. Dominique Tian, rapporteur. À titre de comparaison, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), les redressements au titre du travail illégal et de l’absence de contribution atteignaient l’année dernière la somme de 800 millions d’euros.
Par ailleurs, combien de personnes dépendent de votre régime ?
M. François Gin. Le nombre de personnes bénéficiant d’au moins une prestation de la Mutualité sociale agricole s’élève à 5,8 millions. La branche Maladie concerne 3,5 millions de personnes, la branche Vieillesse, 4,2 millions, et 430 000 familles bénéficient de prestations familiales. Par ailleurs, 810 000 équivalents temps plein de salariés agricoles sont identifiés chaque trimestre en moyenne, soit un peu plus de 2 millions de contrats à gérer.
Il est vrai que l’on peut effectuer des comparaisons avec l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ou avec le Régime social des indépendants. Mais pour le régime général, l’employeur calcule lui-même, chaque mois ou chaque trimestre, ses cotisations en appliquant un pourcentage aux montants des salaires qu’il a versés. Le contrôle de l’assiette se fait parallèlement, ou du moins dans le cadre d’une autre démarche. À la Mutualité sociale agricole, la procédure est différente : lors de toute embauche, un employeur est tenu d’effectuer une déclaration préalable et de transmettre toutes les informations nécessaires concernant le salarié ; puis il remplit chaque trimestre une déclaration de main-d’œuvre indiquant, pour chaque salarié, le montant du salaire reçu ; à partir de cette déclaration, la Mutualité sociale agricole calcule le montant des cotisations et adresse une facture. Nous pouvons ainsi procéder à des vérifications sur place, par exemple si aucune indication de salaire n’est mentionnée pour un salarié qui a été déclaré.
M. le rapporteur. Justement, combien de fois procédez-vous à des vérifications sur place ? Combien de personnes, au sein de votre organisme, sont chargées du contrôle ? Quel est le taux de redressement ? La presse cite souvent des exemples de travail illégal, saisonnier ou non saisonnier, dans le secteur agricole. Disposez-vous de données précises à ce sujet, et quels moyens mettez-vous en place pour lutter contre cette fraude ?
M. François Gin. L’ensemble des caisses de la Mutualité sociale agricole emploie 270 contrôleurs, mais ces derniers interviennent dans le cadre du guichet unique, et ne sont donc pas spécifiquement affectés à la lutte contre le travail illégal et au redressement d’assiette. Ils peuvent par exemple intervenir en matière familiale, pour vérifier qu’une personne est en situation isolée. Toutefois, aux termes de la convention d’objectifs et de gestion qui se termine en 2010, chaque contrôleur doit consacrer dans l’année au moins dix journées à la lutte contre le travail illégal – ce qui fait un total de 2 700 jours.
Cela étant, l’engagement de la Mutualité sociale agricole dans la lutte contre le travail illégal est variable et ne dépend pas de sa seule volonté : très souvent, il dépend aussi de l’impulsion donnée par les pouvoirs publics, dans le cadre des comités de lutte départementaux, pour mener des actions précises et ciblées dans tel ou tel domaine d’activité. Bien entendu, nous pourrons vous communiquer des chiffres plus précis dans ce domaine, département par département.
M. le coprésident Jean Mallot. À ce propos, l’organisation de la Mutualité sociale agricole en matière de lutte contre la fraude est-elle départementale ou régionale ?
M. François Gin. La caisse centrale, tête de réseau, exerce des responsabilités particulières en ce domaine. Elle a pour mission de déterminer des politiques et de veiller à leur mise en œuvre sur le terrain par les différentes caisses. Depuis le 1er avril 2010, le réseau a été restructuré : il comprend trente-cinq caisses, contre quatre-vingt au début des années 2000. Une douzaine correspondent au périmètre de la région administrative ; la compétence des autres s’étend sur plusieurs départements – sauf deux caisses monodépartementales, celle du Maine-et-Loire et celle de la Gironde.
Les politiques commanditées par l’échelon central sont donc mises en œuvre par les caisses locales dans le cadre de différents plans. J’ai cité le plan de vérification comptable, mais d’autres actions visent à maîtriser les risques grâce à un contrôle interne ou externe – dans ce dernier cas, il s’agit de cibler les populations et les domaines sur lesquels des contrôles devront être effectués. Jusqu’à présent, ces plans de contrôle devaient être soumis à l’approbation de l’autorité de tutelle – c’est-à-dire, jusque récemment encore, des services régionaux de l'inspection du travail, de l'emploi, et de la politique sociale agricole (SRITEPSA), lesquels sont désormais intégrés à la Mission nationale d'audit, d'évaluation et de contrôle des organismes de protection sociale agricole (MAECOPSA). Aujourd’hui, ces plans doivent être approuvés par la caisse centrale. Il existe par ailleurs un socle d’actions dans lesquelles les caisses vont puiser pour élaborer leurs plans de contrôle.
M. le rapporteur. Que voulez-vous dire par là ?
M. François Gin. Deux options étaient possibles : soit la caisse centrale imposait un plan de contrôle externe normalisé, soit on laissait aux caisses locales toute liberté pour les élaborer. C’est une solution intermédiaire qui a été retenue : la caisse centrale dresse une liste d’actions – ce que j’appelais le socle – dans laquelle les caisses puisent, domaine par domaine, celles qu’elles mettront en œuvre. Une fois élaboré, le plan de contrôle devait être soumis à l’approbation de la tutelle, puis à celle de la caisse centrale. Cependant, nous négocions une nouvelle convention d’objectifs et de gestion pour la période 2011-2015, et nos différentes autorités de tutelle semblent avoir, en matière de contrôle et de lutte contre la fraude, des exigences sans commune mesure avec celles de l’ancienne convention.
M. le coprésident Jean Mallot. Je comprends comment sont élaborés les plans de contrôle. Mais sous l’autorité de qui les 270 contrôleurs sont-ils placés ?
M. François Gin. Sous l’autorité du directeur de chaque caisse.
M. le coprésident Jean Mallot. Pourtant, vous avez évoqué des statistiques élaborées par département.
M. François Gin. Dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, les actions sont départementales, et les équipes de contrôleurs doivent être réparties en fonction des actions décidées dans chaque département.
M. le rapporteur. Votre réorganisation interne vous permettra-t-elle d’espérer la certification de vos comptes ?
M. François Gin. La non-certification de nos comptes en 2008 a été vécue comme un cataclysme par l’ensemble de l’institution. Auparavant, les comptes de chaque caisse avaient toujours été approuvés. Il résultait du texte de 2003 dont j’ai parlé de mettre en place un contrôle interne au sein de la Mutualité sociale agricole. Or, dans le cadre de cette nouvelle procédure, les commissaires aux comptes nous ont fait savoir que notre travail de contrôle interne correspondait à des bonnes pratiques, mais pas à leurs attentes. Ils n’ont donc pu certifier nos comptes, non que ceux-ci étaient mal tenus, mais parce qu’ils ne pouvaient pas certifier que nous maîtrisions les risques, en raison d’un contrôle interne défaillant.
En conséquence, il y a eu une réaction, qui a été facilitée par les responsabilités qui ont été confiées à la tête du réseau par les lois de financements de la sécurité sociale que j’ai évoquées. C’est ainsi que nous avons mis en place une direction de l’audit et une direction de la maîtrise des risques, qui structurent l’activité des caisses en la matière, et qu’un travail important a été effectué depuis dix-huit mois dans le but d’atteindre la certification des comptes.
M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. La politique mise en œuvre entre 2004 et 2008 a été qualifiée par les commissaires de « démarche qualité » et non « de démarche d’appréhension des risques ». Elle consistait à décrire les processus de travail et à définir des bonnes pratiques, sans élaboration préalable d’une cartographie des risques. Il nous a donc fallu tirer un trait sur cette pratique, et nous avons défini une nouvelle démarche en 2009. Elle consiste, à partir de chaque activité, à faire une analyse des risques potentiels ; à identifier pour chacun d’entre eux des actions de contrôle interne à conduire, que nous élaborons au plan national en associant cinq caisses de la Mutualité sociale agricole ; à diffuser ces actions de contrôle interne dans les caisses, à charge pour elles de les mettre en œuvre dans les trois mois suivants ; enfin, à diligenter des contrôles, des audits pour nous assurer que la mise en œuvre s’effectue correctement.
Dans la mesure où nous balayons l’ensemble des branches de sécurité sociale, il s’agit d’un travail de grande ampleur, mais nous pensons l’achever en juin prochain pour une diffusion totale dans le réseau à la fin de l’année 2011. Notre espérons que les comptes 2011 seront certifiés, sans nous faire d’illusion sur ceux de 2010 puisque la démarche actuelle n’a pas encore abouti.
Dans le cadre de cette démarche d’analyse des risques, nous intégrons l’analyse de nos produits informatiques. En effet, le contrôle interne étant aujourd’hui mal vécu car perçu dans les caisses comme un frein à la productivité, nous devons intégrer les contrôles le plus en amont possible, c’est-à-dire au niveau informatique, afin qu’ils soient considérés comme des éléments permettant de faciliter le travail.
Parallèlement, nous travaillons avec Délégation à la lutte contre la fraude pour intégrer ces éléments.
J’ajoute que j’ai été conduit à ne pas valider les comptes de cinq caisses en 2008 et de trois caisses en 2009 en raison de carences en termes de contrôle interne.
M. le rapporteur. Quelle est l’évolution du montant de la fraude par rapport aux années précédentes ?
En matière d’allocation de parent isolé (API), devenue revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), combien de cas de fausses déclarations avez-vous enregistrés ?
Un seul retraité aurait indûment perçu des prestations. Il semblerait que la fraude soit moindre dans les campagnes…
M. François Gin. Dans le cadre de notre expérimentation, nous ferons le bilan à la fin de l’exercice 2010 des cas de retraités âgés n’ayant pas eu recours à des soins de santé, mais pour lesquels un remboursement a été demandé. Cette fraude est liée à des prestations qui continuent d’être perçues, alors que le retraité est décédé.
M. le rapporteur. En cette matière, les organismes que nous avons reçus citent des chiffres beaucoup plus élevés. Pouvez-vous nous fournir des éléments statistiques ?
Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Sur les 8 millions d’euros de fraudes, 1 million concerne la branche Famille, la moins importante en termes de population pour la Mutualité sociale agricole.
À l’heure actuelle, le taux de fraude de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) est de 104,7 pour 100 000 allocataires et celui de la Mutualité sociale agricole est de 42,4 pour 100 000 allocataires.
La mise en place des relations automatisées avec la direction générale des impôts (DGI) pour la prise en compte des ressources a permis une diminution des anomalies.
M. Michel Brault. Compte tenu du rapprochement des fichiers de Pôle Emploi avec ceux relatifs aux prestations familiales, la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes a été surprise que notre taux de détection des prestations indues soit faible. Mais s’il en est ainsi, c’est parce que nous avions historiquement des relations avec Pôle Emploi, les périodes de chômage déclarées nous servant pour l’ouverture des droits en matière de maladie et de retraite. Le fait de connaître déjà certains éléments explique que le rapprochement n’ait pas donné lieu à la détection d’un grand nombre d’anomalies. Ce qui est frappant, c’est qu’il y ait eu quatre fois plus de dossiers de rappels de prestations que de dossiers de prestations indues : environ 4 400 contre un peu plus de 800.
M. le rapporteur. En ce qui concerne la fraude en matière de carrières longues, cinq personnes de vos services ont été licenciées ; je suppose que d’autres ont été sanctionnées par plusieurs jours de mise à pied, des mutations, ou encore des mises à la retraite comme cela a été pratiqué dans d’autres organismes.
Quel est le montant des préjudices ? Combien de personnes ont-elles été sanctionnées ? Comment avez-vous sélectionné les dossiers douteux ? Je suppose que les agents de la Mutualité sociale agricole licenciés l’ont été non en raison d’une erreur d’attention, mais parce qu’ils avaient reçu de l’argent en échange de la construction de dossiers…
M. François Gin. Dès le début, nous avons été très clairs : nous avons dit que si un agent d’une caisse de la Mutualité sociale agricole avait favorisé l’octroi injustifié de prestations ou agi pour son bénéfice, nous mettrions en œuvre les sanctions prévues par la convention collective. Ainsi, nous n’avons pas cherché à savoir s’il valait mieux se contenter d’un blâme ou d’une mise à pied, comme cela a été fait dans d’autres organismes : nous avons procédé à des licenciements car les éléments dont nous disposions étaient suffisamment graves et avérés.
La question de savoir comment des données peuvent être transférées entre organismes de protection sociale afin de vérifier si le personnel des organismes de sécurité sociale a bénéficié de rachats ou pas est plus générale et dépasse le cadre même de la Mutualité sociale agricole au regard des précautions juridiques qui doivent être prises.
S’agissant de la nature même des actes frauduleux, des plaintes ont été déposées, principalement dans la région d’Île-de-France. Nous attendons le résultat de ces actions en cours, et je n’ai pas d’éléments précis à vous fournir pour l’instant.
La méthode de détection des fraudes, élaborée par plusieurs régimes sous le pilotage de l’inspection générale des affaires sociales et de la direction de la sécurité sociale, est assez sophistiquée, mais il fallait vérifier plusieurs éléments, en particulier l’âge des personnes prétendant aux droits à la retraite et celui des témoins.
M. le rapporteur. Quand avez-vous pu détecter les dossiers suspects et grâce à quels types de vérifications ?
M. François Gin. Nous avons élaboré en inter-régimes des critères de présélection : nous avons décidé de regarder tous les dossiers qui avaient fait l’objet de plus de 14 trimestres de rachat pour le régime général et de plus de 21 trimestres pour le régime agricole. Grâce à nos bases, nous sommes en mesure d’identifier toutes les personnes pour lesquelles le rachat était égal ou supérieur à 21 trimestres. Nous avons extrait les dossiers et procédé, caisse par caisse, à une sélection en fonction de plusieurs éléments que nous avons vérifiés – âge des témoins, du bénéficiaire, existence de l’exploitation, entre autres –, ce qui nous a permis progressivement de détecter les dossiers dits « sensibles ».
Une concentration des dossiers problématiques sur un certain nombre de caisses du régime général et du régime agricole est apparue. Pour le régime général, je crois que la priorité a été de travailler sur ces dossiers. Pour notre part, nous avons demandé de reprendre l’ensemble des dossiers identifiés comme sensibles, selon la procédure que j’ai évoquée tout à l’heure : envoi de lettres, convocation par les agents de contrôle assermentés, décision validée au niveau national par la cellule. Sur les 600 dossiers que nous devions reprendre, un peu plus de 200 ont été examinés par la cellule nationale. Pour 58 d’entre eux, il s’en est suivi une annulation, pour 65 un ajournement – des précisions complémentaires étant nécessaires – et pour 92 un classement sans suite car les éléments laissaient apparaître une absence de fraude.
M. le coprésident Jean Mallot. Comment expliquez-vous la concentration des fraudes sur certaines caisses ?
M. François Gin. Il faut se souvenir que le dispositif prévu à l’origine était simple : une attestation sur l’honneur contresignée par deux témoins. En outre, dans les années 1960-1970, en milieu rural, il n’était pas inhabituel que les jeunes travaillent quelque temps sur l’exploitation pendant les vacances scolaires ou avant ou après le service militaire.
Il se peut que, selon les départements ou les entreprises, la nouvelle législation prévoyant des conditions plus restrictives ait été plus ou moins bien relayée auprès des intéressés.
M. le rapporteur. Selon la presse, le préjudice en ce qui concerne les carrières longues s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros. Avez-vous procédé à une analyse de bon sens en regardant dans les dossiers les éléments invraisemblables ?
Vous évoquez vous-même un phénomène régional. Cette fraude est-elle une escroquerie qui a conduit des agents à s’enrichir ? Pouvez-vous estimer le montant du préjudice ? Votre contrôle interne est-il satisfaisant ? Quel est le nombre de personnes mises en cause ? Combien ont remboursé les sommes indûment versées ? Des directeurs ont-ils été licenciés ? Je suppose que, en portant plainte, vous avez fourni des éléments à la justice.
M. François Gin. Cinq personnes n’ont pas, dans le cadre de leur activité, appliqué les textes : il est apparu qu’il y avait une connivence entre elles et les bénéficiaires des rachats frauduleux. Peut-on qualifier ces agissements d’escroquerie ? Je me garderai bien de me substituer aux autorités judiciaires qui auront à trancher. Jusqu’à présent, aucun directeur n’a été licencié.
Je pourrai vous communiquer le nombre de personnes qui ont pu, sur la période concernée, partir à la retraite grâce à ces rachats.
Aujourd’hui, nous ne connaissons pas le montant global du préjudice, car il existe deux cas de figure.
Dans le premier, les prestations ont déjà été versées à tort. Il faut donc cesser le versement des prestations, mais aussi récupérer l’indu, ce qui n’est pas simple juridiquement car la responsabilité de la caisse pourrait être mise en cause.
Dans le second cas de figure, la retraite n’a pas encore été servie. Faut-il alors parler de préjudice pour les finances publiques dans la mesure où le rachat de cotisations est annulé ?
En revanche, nous pouvons vous donner le nombre des personnes ayant bénéficié d’une retraite à la suite du rachat de cotisations.
Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites » à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Sur la période 2004-2007, sur 192 800 départs à la retraite d’exploitants agricoles, 9,5 % ont été rendus possibles grâce à un rachat ; sur 466 000 départs à la retraite de salariés agricoles, le taux est de 5,75 %. Ces pourcentages permettent de relativiser les données globales.
M. Michel Brault. Pour la plupart des dossiers traités, notamment ceux considérés comme délicats, la période rachetée concernait uniquement une activité agricole.
M. le coprésident Jean Mallot. Le guichet unique de la Mutualité sociale agricole en fait un modèle qui peut servir d’exemple à l’ensemble du système.
Un directeur d’organisme auditionné précédemment a évoqué des dispositifs « fraudogènes », c’est-à-dire des réglementations ou des législations qui, par leur nature ou leur rédaction, facilitent la fraude. De ce fait, une meilleure rédaction, un dispositif simplifié ou une disposition supplémentaire permettrait de combattre le mal à la racine. Avez-vous des préconisations à formuler en la matière ?
M. François Gin. Nous connaissons nous aussi le problème de la fraude documentaire.
Ce qui nous préoccupe, c’est la difficulté à se lancer dans la simplification des relations avec les assurés et la dématérialisation et, dans le même temps, à lutter contre la fraude. Cette situation complexe nécessite des arbitrages.
Parfois, la date d’effet des textes législatifs ou réglementaires ne nous laisse pas le temps d’organiser nos outils, notamment informatiques. En voulant aller vite pour respecter les échéances prévues, certains contrôles peuvent ne pas être pris en compte.
M. le rapporteur. Êtes-vous souvent victimes de faux papiers, d’usurpation d’identité, ou confrontés à des états civils suspects ?
Mme Françoise Vedel. Déceler les faux papiers pose le problème de l’obtention de l’original auprès de la mairie puisque, aujourd’hui, on accepte les photocopies. Un travail très important a été mené avec le Bureau de la fraude documentaire. Des détecteurs de faux papiers sont installés dans les Mutualités sociales agricoles, des personnes relais sont formées et forment elles-mêmes des collaborateurs, et une action en matière de détection des faux papiers est mise en œuvre dans le cadre du contrôle interne.
M. le rapporteur. Vous détectez les fausses photocopies ?
Mme Françoise Vedel. Le Bureau de la fraude documentaire nous adresse des alertes sur des faux papiers qui circulent en provenance de différents pays. Mais c’est un travail de fourmi.
M. le rapporteur. Du point de vue réglementaire, rien ne vous empêcherait de créer une carte de la Mutualité sociale agricole comportant l’identité de la personne, son numéro, etc. Cela faciliterait le travail de vos contrôleurs.
Mme Françoise Vedel. Le problème se situe en amont, au moment de l’immatriculation de la personne, car il faut s’assurer que la fiche d’état civil est la bonne et que les papiers d’identité ne sont pas falsifiés.
M. François Gin. S’agissant du projet de carte, nous sommes dans la même situation que le régime général. Aujourd’hui, la seule carte utilisée au sein de la Mutualité sociale agricole est la carte Vitale.
Par ailleurs, la question se pose de savoir si l’on ne délivre pas trop facilement de cartes Vitale à des saisonniers. Lors de l’ouverture de droits à des saisonniers, des vérifications sont réalisées en amont, notamment sur la validité et la durée d’autorisation du séjour, la régularité de la situation de la personne. Pour cette catégorie particulière de salariés, nous éditons une carte Vitale seulement si une demande de remboursement de soins nous parvient, à l’occasion de laquelle nous vérifions si la personne remplit toutes les conditions pour pouvoir entrer dans le cadre du dispositif de l’assurance maladie.
M. le rapporteur. Aujourd’hui, beaucoup de personnes travaillent de manière saisonnière et bénéficient du revenu de solidarité active (RSA) quasi automatiquement. Il est important de s’assurer de l’identité des personnes, car celles qui viennent d’autres pays d’Europe pour travailler en France quelques mois sur une exploitation agricole acquièrent ainsi des droits très importants.
M. François Gin. Je vous ai exposé notre démarche pour les saisonniers venant de pays étrangers. Pour les autres personnes, nous vérifions si des droits auprès d’autres régimes de protection sociale leur sont ouverts, et l’édition d’une carte Vitale pour ces travaux de courte période n’est pas non plus automatique.
M. le rapporteur. Sauf si elles se mettent en arrêt maladie…
M. François Gin. En cas de demande de remboursement de soins, nous n’éditons pas automatiquement la carte Vitale : nous vérifions si les conditions administratives et de durée d’activité sont remplies pour que la personne puisse bénéficier de l’assurance maladie.
En revanche, la question se poserait en cas d’accident du travail car le salarié a droit à une couverture.
M. le coprésident Jean Mallot. Il nous reste à vous remercier, mesdames, messieurs, d’avoir participé à cette audition.
N’hésitez pas à nous faire part, dans les semaines à venir, d’éléments complémentaires ou de suggestions qui pourraient nous aider à formuler des préconisations.
*
Audition de M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne, et M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle.
M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris et de la région parisienne. Quelques considérations tout d’abord sur l’action de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Nous sommes présents dans toute la région d’Île-de-France, à l’exception de la Seine-et-Marne, et nous avons procédé cette année à 76 milliards de recouvrements, ce qui représente tout de même la moitié du budget de l’assurance maladie… Notre mission consiste en effet à recouvrer les cotisations sociales et à faire en sorte qu’elles soient régulièrement acquittées, sachant que notre système – quérable – est fondé sur le principe de la déclaration, par l’employeur, de son activité et de la masse salariale de son entreprise ; c’est également lui qui effectue le calcul de sa cotisation et qui doit bien évidemment s’en acquitter à une date donnée – ce qui est le cas dans 95 % à 96 % des cas, avec un léger fléchissement en raison de la crise économique.
Afin que cette démarche citoyenne perdure, il nous faut à la fois améliorer la qualité du service – mais tel n’est pas l’objet de cette audition – et lutter contre la fraude. Cela passe, en particulier, par ce que j’appelle « la logique du ticket de métro » : si les contrôles visent à sanctionner quelques contrevenants, ils ont surtout pour objectif de montrer aux usagers vertueux qu’ils doivent continuer à bien se comporter. Moralisation et prévention sont à la base de notre action. Il en va de même en matière de redevance audiovisuelle. Son recouvrement a été beaucoup mieux assuré depuis que la déclaration de possession d’un téléviseur a été couplée avec la taxe d’habitation.
À ce jour, 300 inspecteurs du recouvrement travaillent en région parisienne, lesquels consacrent 15 % de leur temps à la lutte contre le travail illégal ce qui représente une quarantaine d’équivalents temps plein (ETP). En 2009, 6 000 contrôles ont été effectués avec un taux de redressement équivalent de 75 %. Le montant des sommes redressées devrait s’élever quant à lui, cette année, à 65 millions d’euros environ, le taux de récupération effective étant de 15 % à 20 % en fonction des dossiers et des départements.
Plus précisément, nous disposons d’une équipe d’inspecteurs spécialisée dans la lutte contre le travail illégal, tous les inspecteurs de recouvrement étant par ailleurs amenés à conduire des actions ponctuelles en la matière. En outre, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires des comités opérationnels départementaux anti fraude (CODAF) – l’inspection du travail, la police, la gendarmerie, la justice – dans le cadre d’un dispositif permettant de traiter très rapidement les procès-verbaux qui nous sont transmis, la « pédagogie du portefeuille » se révélant souvent efficace. À ce propos, je tiens à dire combien nous sommes satisfaits de la mesure dite du redressement forfaitaire votée par le Parlement voilà quelques années, laquelle nous permet d’accélérer le traitement des dossiers et d’éviter que les entreprises ne se volatilisent.
M. le coprésident Jean Mallot. À combien peut-on évaluer l’écart entre les redressements et la fraude non seulement détectée mais aussi estimée ?
M. Vincent Ravoux. La branche Recouvrement s’apprête à lancer l’année prochaine un sondage aléatoire permettant de déterminer la prévalence du risque de fraude parmi l’ensemble des cotisants, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris ayant quant à elle engagé une action spécifique auprès des auto-entrepreneurs – en effet, nous avons été surpris par un rapport remis à M. Hervé Novelli il y a quelques semaines évaluant la fraude à seulement 1 %. En l’occurrence, nous avons constitué un échantillon de 1 000 auto-entrepreneurs représentatifs de la région afin d’avoir une idée du nombre précis de fraudes et de mieux cibler les facteurs de risque.
J’ajoute que nous avons souvent l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau : par exemple, nos inspecteurs débusquent régulièrement des ateliers clandestins au cœur du quartier du Sentier dont les travailleurs ne sont d’ailleurs pas forcément en situation irrégulière mais dont les activités sont en revanche sous-déclarées ; plus, nous mettons la main sur des produits de confection de grandes marques, ce qui tend à montrer que le secteur de l’habillement est fondé sur un modèle économique impliquant nécessairement le recours à de tels ateliers. Faute de pouvoir placer un inspecteur derrière chaque cotisant, nous ne nous sortirons donc pas de ces difficultés à moins de les traiter globalement comme l’ont fait la Fédération française du bâtiment ou les entreprises de travail temporaire.
Poursuivre le travail de moralisation de ces secteurs passe par ce que nous appelons l’« action systémique » : lutter efficacement contre le travail illégal suppose de mobiliser l’ensemble des branches professionnelles et de faire en sorte qu’elles « fassent leur propre police ». Avant-hier, j’ai lu dans un entretien paru dans un grand journal du soir, à propos de la responsabilité sociale des entreprises, que les commissaires aux comptes certifiaient désormais les « données » sociales. Or, à aucun moment n’y figurent de données relatives par exemple à la sous-traitance. Sans doute les pouvoirs publics et les branches professionnelles pourraient-ils œuvrer afin que l’obligation citoyenne de paiement social ou le non-recours au travail dissimulé soient au cœur de la responsabilité sociale des entreprises – je pense, en particulier, aux obligations pesant sur le donneur d’ordre. De ce point de vue là, nous nous réjouissons hautement que le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoie le durcissement du dispositif des attestations de comptes à jour en généralisant celui qui est en vigueur à Paris.
En définitive, nous considérons d’une part qu’il n’est possible de se faire une idée précise de l’ampleur de la fraude qu’en mobilisant l’ensemble des branches professionnelles – et pas seulement dans les secteurs du bâtiment, du gardiennage ou du nettoyage – d’autre part, qu’il convient d’utiliser pleinement les dispositifs votés par le Parlement.
M. Dominique Tian, rapporteur. La situation, en l’occurrence, s’est me semble-t-il améliorée sensiblement grâce, notamment, aux contributions de la MECSS au projet de loi de financement de la sécurité sociale et, plus généralement, au travail parlementaire.
M. Vincent Ravoux. Absolument ! Que nous nous en félicitions, comme vous, ne dispense cependant pas de s’interroger lorsque nous constatons que des amendements votés par exemple par la commission des affaires sociales ne figurent plus dans le texte final – je songe, en particulier, à celui qui concernait la transmission universelle de patrimoine : en effet, si cette dernière est globalement très utile, je considère qu’il faudrait néanmoins faire en sorte qu’elle soit rendue vraiment publique de manière à ce que les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) puissent en avoir connaissance. En l’état, non seulement la publication n’est obligatoire que dans les trente jours seulement de la transmission mais rien n’oblige à ce qu’elle figure parmi les grands titres des annonces légales. Certaines d’entre elles, parfois curieuses et dont les enjeux financiers sont importants sont annoncées dans… L’Auvergnat de Paris dont chacun sait combien les administrations sont friandes. En l’occurrence, l’amendement n’a pu être examiné en séance car il ne relevait pas du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Il serait souhaitable qu’il soit adopté lors de l’examen d’un texte ultérieur.
J’ajoute que l’application du droit de communication est quant à elle satisfaisante même si des ajustements sont parfois nécessaires avec tel ou tel partenaire comme les banques ou certaines plateformes Internet.
Parmi d’autres mesures particulièrement efficaces figurent la transmission des procès-verbaux concernant la lutte contre le travail illégal aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) décidée par le Parlement il y a quelques années – même si cela a entraîné l’apparition de contentieux nouveaux, lesquels mobilisent nos commissions de recours amiable (CRA) – mais également des redressements forfaitaires qui ont donc permis d’accélérer les procédures ou encore l’annulation des réductions d’exonération de cotisations sociales ainsi que le signalement aux caisses prestataires. J’insiste : ces points sont particulièrement importants parce que la fraude passe toujours par le travail illégal qu’organisent de véritables réseaux maffieux : les fameux « kits ASSEDIC » circulent toujours.
M. le rapporteur. Hélas !
M. Vincent Ravoux. En matière de signalement, j’ai également en tête l’exemple d’une personne interdite de gestion… gérant pourtant plus de 70 entreprises ; si, en l’occurrence, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et le tribunal de commerce de Paris y ont mis bon ordre, les organismes de protection sociale doivent travailler cependant – en particulier depuis le développement de la révision générale des politiques publiques (RGPP) – sur des processus industriels précis et tout ce qui n’en ressort pas directement perturbe l’ensemble du système et, au final, demeure peu ou mal traité.
Un autre exemple en atteste : l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) découvre une personne non déclarée en situation de travail dissimulé ; elle adresse une information à la caisse primaire d’assurance maladie. Dans le même temps, un technicien gérant une rente pour accident du travail, une pension d’invalidité ou des indemnités journalières peut être amené à travailler sur le même cas, mais faute de lien « industriel » entre nos remarques et son travail quotidien, la perte d’information peut être sensible. Nous souhaiterions donc un véritable partage des outils et l’intégration de la lutte contre la fraude dans lesdits processus.
En outre, pour contrôler les revenus mondiaux des avocats – domaine où les évasions sont considérables – nous devons nous déplacer dans chaque centre des impôts alors qu’une consultation électronique sécurisée des fichiers – entourée bien évidemment des précautions nécessaires – serait beaucoup plus facile et efficace.
J’ajoute que les règles de consultation des déclarations préalables à l’embauche (DPAE), des déclarations uniques d’embauche (DUE) ou des déclarations annuelles sociales (DAS) devraient être assouplies : rien n’est plus facile, en effet, que de créer une entreprise fantôme afin de se faire verser des indemnités journalières. L’utilisation de notre fichier employeurs par la caisse primaire d’assurance maladie constituerait sur ce plan-là une sécurité supplémentaire.
La modification parlementaire de la notion de solidarité financière constitue un outil précieux dont les professionnels des marchés, par exemple, devraient être mieux informés car ils ignorent parfois les risques qu’ils prennent.
S’agissant de l’abus de droit, nous attendons la parution d’un décret mais nous fourbissons déjà nos armes. La décision du Parlement de sanctionner pénalement toute incitation au non-paiement des cotisations sociales et à la désaffiliation nous a déjà permis de faire diminuer chaque année un peu plus le nombre des contentieux à ce propos.
Grâce à l’ensemble de ces dispositions, nous avons pu réaliser des opérations qui auraient été impensables voilà à peine quatre ou cinq ans.
Afin d’améliorer encore l’efficacité du système je considère que, à l’instar de ce qui a été fait pour prévenir les accidents de la route, la lutte contre la fraude doit être déclarée grande cause nationale de manière à fédérer l’ensemble des actions qui sont menées notamment, je l’ai dit, celles – systémiques – qui concernent les branches professionnelles mais aussi l’éducation : il est tout de même curieux que l’éducation civique ne fasse pas état de ce que représente la protection sociale pour l’ensemble de la société.
En conclusion, je tiens à revenir sur les différents outils qui nous sont nécessaires : sur un plan juridique, je songe à la modification de la transmission universelle du patrimoine mais, également, à la flagrance « sociale » ; sur un plan plus pratique, alors que se mettent en place le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) et la déclaration sociale nominative (DSN), il convient d’améliorer encore le croisement des fichiers ; enfin, avec 45 à 50 d’équivalents temps plein chargés de la lutte contre le travail illégal en Île-de-France, nos effectifs doivent être impérativement renforcés.
M. le rapporteur. Monsieur Ravoux, depuis votre venue devant la mission d’information sur les fraudes massives dont sont victimes les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), je note que la situation ne s’est hélas guère améliorée et que le fichier national des interdits de gérer n’est quant à lui toujours pas opérationnel alors qu’il s’agissait de l’une de nos douze préconisations. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre de nos travaux actuels.
Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le coût du travail illégal s’élèverait entre huit et dix milliards. Dispose-t-on de chiffres nationaux précis ? À cet égard, que représentent les 780 millions de recouvrement opérés par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) en 2010 ?
M. Vincent Ravoux. Cette dernière somme inclut les sommes collectées depuis les redressements consécutifs à une erreur jusqu’aux fraudes massives ou à des non-déclarations. Ainsi, avons-nous procédé à un redressement de 15 millions d’euros à la suite de la découverte, avec la gendarmerie, d’une fraude organisée impliquant des travailleurs polonais.
Quoi qu’il en soit, nous ignorons la prévalence globale de la fraude, les seuls éléments dont nous disposons relevant, sur un mode global, du Conseil des prélèvements obligatoires et, sur un mode particulier, d’enquêtes ciblées – à l’instar de celle que nous avons menée il y a deux ou trois ans dans les hôtels-cafés-restaurants (HCR), laquelle a témoigné d’une prévalence de la fraude relativement importante. Nous ne disposons donc que d’une vision fragmentaire.
M. le rapporteur. Quid, plus précisément, de la fraude aux associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) et de la fraude identitaire même s’il s’agit là de combats peut-être désespérés ?
M. Vincent Ravoux. Mais néanmoins nécessaires : en effet, nous nous devons d’agir et de le faire savoir.
M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris et de la région parisienne. Si, une fois l’infraction constatée et la procédure pénale engagée, une sanction pénale est finalement prononcée – en droit jusqu’à trois ans de prison et une amende de 45 000 euros – il s’avère que celle-ci intervient tard et qu’elle est d’ordinaire clémente : les peines de prison sont rares et le sursis quasi-systématique. La véritable sanction financière, c’est donc l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) qui l’applique mais comme nous mesurons uniquement les cotisations dissimulées relevant du régime général et des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) et non celles des retraites complémentaires, la sanction demeure encore avantageuse en n’étant pas à la hauteur des gains réalisés par l’entreprise.
Si le recouvrement s’effectue dans des délais extrêmement rapides, les moyens dont nous disposons sont aussi encore limités : après l’établissement du procès-verbal et le chiffrage, le code de la sécurité sociale nous contraint d’envoyer tout d’abord à l’entreprise une lettre d’observation indiquant les constats effectués et le montant des cotisations redressées puis, après un mois, une mise en demeure et ce n’est que trente jours après que le directeur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) peut prendre un titre exécutoire contraignant, signifié par un huissier. Étant systématiquement confrontés à des oppositions à contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, nous devons en fait attendre un jugement qui ne survient à Paris qu’au bout de deux ans en moyenne – deux ans et demi pour le tribunal de Versailles – ce qui laisse tout le temps à l’entreprise pour s’évanouir dans la nature. C’est pourquoi nous insistons pour que les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) bénéficient du régime de la flagrance « sociale » afin de permettre à l’inspecteur du recouvrement, dès la constatation de l’infraction, d’établir un procès-verbal concernant la lutte contre le travail illégal qui aura été signifié par voie d’huissier pour que l’ensemble des mesures conservatoires puissent être prises. Lutter contre la fraude organisée suppose d’agir prestement !
M. le coprésident Jean Mallot. Que vous est-il d’ordinaire opposé par vos différents interlocuteurs à l’encontre de l’adoption d’une telle mesure ?
M. Jean Hue. L’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 prévoyant l’instauration de cette flagrance « sociale » n’a pas été adopté au Sénat.
M. le coprésident Jean Mallot. Pourquoi ?
M. Vincent Ravoux. Outre que la mesure aurait été insuffisamment préparée, elle n’aurait prévu aucune possibilité de recours. Quoi qu’il en soit, le parallélisme avec la flagrance « fiscale » n’est pas tout à fait exact. Si, en la matière, sécurisation juridique et respect des droits de la défense sont impératifs, la mise en place de mesures conservatoires ne l’est pas moins car les praticiens de la fraude organisée sont fins juristes. Je me propose de vous faire parvenir une argumentation globale à ce propos.
M. le coprésident Jean Mallot. Le débat doit bien entendu se poursuivre mais nous sommes intéressés par tout élément permettant de surmonter les obstacles.
M. Jean Hue. Je vous donne un autre exemple précis. Une société de gardiennage avait son siège social de 150 mètre carrés environ près de la Gare de Lyon, à Paris. Avec une secrétaire, une triple comptabilité, 200 ou 300 employés dispersés sur différents sites, la vitrine était parfaitement légale. Constituée sous forme de société à responsabilité limitée (SARL), elle comprenait différents associés – dont des personnes physiques mais… de paille ainsi qu’une entité juridique de droit allemand. Proposant des prix plus qu’attractifs, elle obtenait des marchés importants auprès de différentes collectivités locales ou de services publics : si l’ensemble du personnel était déclaré, la fraude consistait à verser une rémunération en espèces – provenant de la drogue et de la prostitution – en complément du salaire officiel. Les salariés s’estimaient ainsi gagnants puisqu’ils étaient socialement protégés tout en bénéficiant d’une rémunération défiscalisée.
Nous avons donc adressé un procès-verbal de travail illégal à l’entreprise mais la procédure a été systématiquement contestée par des cabinets d’avocats. Les grands fraudeurs se livrent souvent à des procédés d’intimidation via des interventions multiples et variées – y compris, je dois vous le dire, en faisant appel à des parlementaires qui ne savent pas vraiment à qui ils ont à faire. Ne disposant pas de titre exécutoire ni de preuve de la cessation des paiements, nous avons en l’occurrence pris l’initiative, avec le procureur adjoint de Paris, d’assigner en liquidation judiciaire la société. Le jour de l’audience, l’avocat de la partie adverse nous a indiqué que notre assignation visait une société qui n’existait plus en raison d’une transmission universelle de patrimoine ! Les associés s’étaient réunis et avaient transféré toutes les parts dans la société – fictive – de droit allemand. Qui détient donc réellement les fonds ? Nous l’ignorons mais sans doute sont-ce les mafias des ex-pays de l’Est.
Quoi qu’il en soit, même si la publicité de cette transmission a été faite dans L’Auvergnat de Paris sans que nous formions opposition, nous avons développé un certain nombre d’arguments juridiques – fraus omnia corrumpit – et nous avons été suivis par le tribunal de commerce, ce dernier ayant donc considéré que la transmission universelle de patrimoine était frauduleuse. À ce jour, nous ne disposons toujours pas de titre exécutoire et nous ne pouvons récupérer auprès des clients les factures qui n’ont pas été réglées même si j’ai bon espoir que cela se fera. J’ajoute, à ce propos, que si les fraudeurs répugnent à disparaître purement et simplement pour recréer ensuite une nouvelle société c’est que, précisément, des sommes très importantes ne leur ont pas été versées par leurs clients – que nous avertissons. La société allemande essaye donc aujourd’hui de les récupérer. Moralité, si vous me passez l’expression : la mafia n’abandonne jamais de l’argent.
M. Vincent Ravoux. Cette affaire illustre parfaitement la nécessité d’une action systémique. Il faut, premièrement, comprendre pourquoi des clients, dont le nom est très connu, ont accepté des prix en dessous du prix normal, au mépris de l’équité et même de la déontologie. Un texte de loi ne réglerait rien, il faut une prise de conscience générale. Deuxièmement, la société devait être connue, ne serait-ce que de ses concurrents qui ont été évincés. La profession aurait pu faire le ménage chez elle. Troisièmement, sur le plan juridique, nous étions condamnés à l’impuissance faute d’un dispositif légal nous permettant de prendre immédiatement des mesures conservatoires. Il est probable qu’on ne récupérera jamais rien car les circuits sont d’une extrême complexité. Quatrièmement, l’affaire a des ramifications européennes, voire internationales. Les cas sont de plus en plus fréquents. Or nous ne connaissons pas suffisamment le droit allemand, même si nous faisons des progrès… Plus compliquée encore est la fraude chinoise. Si nous voulons faire des recherches sur l’internet chinois, il nous faudrait des experts connaissant à la fois la langue et le pays. Nous aurions tout intérêt à unir nos efforts avec d’autres services chargés de contrôler pour mener des actions en faisant appel à des experts. Nous butons sur les limites nationales.
M. le rapporteur. Vous n’êtes pas les seuls dans ce cas, les juges d’instruction notamment ont les mêmes problèmes. Ainsi, a été mise au jour à Paris une filière chinoise qui rachetait des bars-tabacs en produisant de faux documents obtenus auprès d’un notaire chinois. Ce qui nous inquiète, ce sont les brèches qui profitent à la fraude intentionnelle et mafieuse, laquelle s’amplifie. Les greffes des tribunaux font-ils vraiment leur travail ? Comment est-il possible d’immatriculer des dizaines de sociétés gérées par des individus douteux sans rencontrer le moindre problème ?
M. Jean Hue. Pour le moment, le fichier national n’existe pas. Nous avons cherché à comprendre pourquoi des individus interdits de gérer peuvent continuer leur activité dans d’autres sociétés. Les sanctions prévues sont lourdes : jusqu’à cinq ans de prison et 350 000 euros d’amende, sans parler de la dissolution de la société dans laquelle l’interdit exerce. Mais il faut identifier les fraudeurs, ce qui, en l’absence de fichier, n’est pas facile.
L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris a essayé de contourner la difficulté en créant, avec l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), un outil appelé PARADE qui recense tous les interdits de gérer à la suite d’une décision judiciaire. Nous recherchons ensuite les sociétés dirigées par des interdits de gérer. Un jour, nous avons gagné le gros lot en dénichant un individu à la tête d’une soixantaine de sociétés. Nous enrichissons la base avec les informations que nous détenons sur les sociétés en question : liquidation judiciaire, existence d’un passif envers l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF)… Notre stratégie consiste à communiquer au procureur de la République la liste des entreprises dirigées par des personnes interdites de gérer pour qu’il prenne des sanctions et décide éventuellement la radiation du registre du commerce, laquelle n’est pas toujours simple surtout si la société emploie du personnel. Nous avons aussi lancé des assignations groupées à l’encontre de toutes les sociétés d’un même dirigeant ayant un passif envers nous, et le tribunal de commerce de Paris les a acceptées alors que nous n’avions pas toujours les titres exécutoires correspondants, autrement dit la preuve de la cessation des paiements.
Le texte que vous avez voté ne sera pleinement appliqué que le jour où le fichier existera et où les greffiers auront l’obligation, au moment de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, de vérifier que le dirigeant n’est pas interdit de gérer. Or cette formalité ne fait pas partie aujourd’hui des missions des greffes. Nous avons de très bons contacts avec le greffe de Paris qui, avec l’accord du procureur, a accepté de prendre en considération les listes de dirigeants interdits de gérer qu’on lui communiquait mais il n’y était pas obligé.
M. le rapporteur. Les greffes des tribunaux continuent-ils à se contenter de photocopies non certifiées conformes des pièces d’identité des personnes désignées comme dirigeantes des entreprises dont l’immatriculation est demandée ? C’était, paraît-il, une pratique courante.
M. Vincent Ravoux. Il ne nous est pas possible de vous répondre. En revanche, il faudrait être vigilant à l’égard des « formalistes », ceux qui accomplissent des formalités pour le compte des autres. Ils rendent un véritable service mais peuvent faciliter la fraude en évitant à leur client de se présenter en personne. Le procédé se répand à Paris, même pour avoir sa carte grise ou son permis de conduire.
M. Jean Hue. La liste des interdits de gérer que nous avons constituée est composée de dirigeants de sociétés qui faisaient toutes appel à des entreprises de domiciliation. Et pas n’importe lesquelles. On décèle manifestement des fraudes avec la complicité de certaines entreprises de domiciliation.
M. le rapporteur. Ce système est également destiné à obtenir des prestations auxquelles les fraudeurs n’ont pas droit : indemnités journalières, rentes d’accidents du travail et droits à la retraite. On m’a indiqué que l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) commençait à verser des pensions à des gens qui ont fait des faux mais qui n’ont pratiquement jamais travaillé.
M. Vincent Ravoux. Les fraudes initiées par des organisations mafieuses sont conçues pour rapporter gros, avec des détournements de prestations en espèces, à savoir des indemnités journalières, des allocations chômage et bientôt des pensions de retraite. J’ai lu, je crois dans un compte rendu de la MECSS, que l’on observait un « vieillissement » spontané des bénéficiaires des plans sociaux. C’est une autre façon de dire les choses. L’enjeu de ce type de fraude, c’est de se créer des revenus et de blanchir de l’argent. Nous sommes loin du contexte de celui qui fait travailler un voisin au noir. Cette fraude organisée, mafieuse, est peu sanctionnée et elle peut rapporter énormément.
M. le coprésident Jean Mallot. La mondialisation aggrave-t-elle le phénomène ?
M. Vincent Ravoux. Les détachements de personnels sont des opérations complexes à gérer. Nous attendons beaucoup de l’informatisation du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). Elle nous donnera plus de visibilité, et plus de rapidité. La législation européenne évolue dans le bon sens mais notre travail est compliqué du fait que l’Europe n’est plus la seule en cause. Quand nous contrôlons spontanément une entreprise chinoise, nous décelons très peu de fraudes, ce qui est tout de même surprenant. Nous avons l’impression de rester à la surface des choses. Il n’est pas question de dire que tout le monde fraude, mais l’absence de fraude est suspecte. Y a-t-il des problèmes d’identité ? C’est possible. Il est difficile de vérifier que l’employé qui travaille correspond à celui qui est déclaré. Même pour un employeur. Une entreprise de nettoyage est-elle sûre que le travailleur est celui qui a signé le contrat de travail, sauf si on le croise tous les jours ?
M. Jean Hue. La mondialisation occasionne aussi des comportements d’optimisation sociale qui n’ont rien à voir avec l’aspect pénal. Une multinationale peut récompenser son personnel implanté en France en lui versant des primes par l’intermédiaire d’une de ses filiales installée à l’étranger. M. Vincent Ravoux a aussi évoqué dans son introduction un phénomène qui prend de l’ampleur et qui nous inquiète beaucoup, c’est la mobilité des travailleurs à l’intérieur de l’Europe. Il y a de plus en plus de travailleurs indépendants qui exercent à la fois en France et à l’étranger, qu’il s’agisse de professions libérales, d’artisans ou de commerçants. Il y a des cabinets d’avocats, mais aussi des agences immobilières.
Comme vous le savez, nous avons eu à traiter un contentieux qui est allé jusqu’à la Cour de justice des Communautés européennes. Cette juridiction a pris une position ambiguë, et les pouvoirs publics ont décidé que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – qui représentent tout de même 8 % du revenu –seraient dues uniquement sur les revenus français. Maintenant, un contentieux du même type porte sur les cotisations d’allocations familiales : les plaignants essaient d’obtenir que les cotisations soient calculées uniquement sur les revenus français, et non sur les revenus mondiaux. Dans ces cas précis, il s’agit de revenus considérables dont 95 % sont obtenus à l’étranger. Les plaignants sont majoritairement de nationalité française et bénéficient de la sécurité sociale française. C’est la raison pour laquelle nous avons fait une proposition de bon sens consistant à introduire dans le code de sécurité sociale un article qui subordonnerait le bénéfice de la sécurité sociale française à une contribution assise sur la totalité des revenus de l’ayant droit, qu’ils proviennent d’une activité en France ou à l’étranger. Force est de reconnaître qu’il y a une dérive dans les pratiques : on veut bénéficier de la sécurité sociale française, mais on ne veut pas cotiser en fonction de la totalité des revenus.
M. le rapporteur. À quels fichiers avez-vous accès ? La collaboration avec les services fiscaux est-elle bonne ? Et quelles mesures de bon sens, outre celles que vous avez déjà citées, pouvez-vous nous suggérer ?
M. Vincent Ravoux. Les relations avec les services fiscaux sont bonnes, mais fonctionnent sur un mode archaïque car elles se font sous forme papier ou par déplacement physique des personnes. Il faudrait moderniser les procédures, d’autant que nous travaillons ensemble au sein des comités opérationnels départementaux anti fraude. Cela étant, des partenariats se nouent et nous nous connaissons de mieux en mieux.
Nous avons un accès direct à deux grands fichiers : celui des déclarations uniques d’embauche, et celui des déclarations annuelles de données sociales. Nous avons également un accès indirect au fichier des comptes bancaires et aux renseignements fournis par les plates-formes de services internet. Dans ce cas, on ne peut pas parler de mauvaise volonté, mais la pratique manque de fluidité. Comme les contacts ne sont pas fréquents, nos partenaires sont parfois surpris de nos demandes.
Un point n’a pas été évoqué, qui, pourtant, mériterait réflexion. Il s’agit de l’exploitation des signalements, des dénonciations, qui sont envoyés parfois à plusieurs services publics. Ils auraient donc intérêt à mieux les gérer. Les signalements sont utilisés, mais de façon fragmentaire. Or ils sont très efficaces.
M. Jean Hue. La plupart des signalements qui nous sont adressés ne sont pas anonymes. Ils proviennent souvent de salariés qui ont des soupçons, par exemple quand ils ne trouvent pas de numéro de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) sur leurs fiches de paie, ou encore de concurrents ou de syndicats patronaux qui signalent des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations. Il y a aussi des dénonciations anonymes, mais nos méthodes de traitement sont extrêmement précautionneuses. Nous procédons à des vérifications préalables. Si par exemple un restaurant fait l’objet d’une dénonciation, il ne nous est pas difficile de vérifier s’il existe, s’il est immatriculé, le nombre de salariés déclarés et le montant des cotisations versées. Si nos vérifications ne décèlent rien d’anormal, nous n’allons pas plus loin. Mais si un restaurant est dans l’annuaire téléphonique sans être déclaré à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), c’est suspect.
M. Vincent Ravoux. Nous avons même trouvé des entreprises qui faisaient de la publicité sur internet mais qui n’avaient pas d’existence légale. Nous en faisons maintenant un critère de tri.
Quand on a fusionné les fichiers du Régime social des indépendants et de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), avec les déboires que l’on sait, on a constaté que certains cotisants payaient leurs cotisations retraite, mais ne versaient rien à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ou l’inverse.
M. le président Jean Mallot. Il ne me reste plus qu’à vous remercier d’avoir répondu à nos questions. Si vous avez d’autres suggestions pour nous aider dans nos travaux, n’hésitez pas. Nous vous en remercions par avance.
*
AUDITIONS DU 20 JANVIER 2011
Audition de Mme Isabelle Adenot, présidente du conseil national de l’ordre des pharmaciens.
Mme Isabelle Adenot. Je vous remercie de votre invitation, même s’il est toujours difficile, pour le président d’un ordre, garant de l’éthique professionnelle, de traiter d’un tel sujet, la fraude sociale. Mais je suis bien obligée de le dire : il y a des fraudes. Celles-ci sont commises soit par les professionnels, soit par les patients. Elles sont soit individuelles, soit collectives, lorsqu’il y a, par exemple, l’accord du prescripteur et du patient.
D’emblée, je tiens à vous préciser que le dossier pharmaceutique n’est pas en lui-même un outil de contrôle de la fraude. Il n’est pas obligatoire et n’est ouvert qu’avec l’accord du patient. Celui qui décide de frauder comprend d’ailleurs vite que le dossier pharmaceutique permet une certaine traçabilité, et le fait fermer immédiatement.
Ensuite, les pharmaciens sont soumis à une très forte pression de la part des patients. Cet été, j’ai moi-même été agressée physiquement dans ma pharmacie pour avoir refusé de délivrer un produit. Quand vous êtes dans une pharmacie, seule ou avec un personnel très souvent féminin, face à des personnes d’une rare agressivité, c’est une situation très difficile à vivre. Mes propres équipes ont été littéralement traumatisées par l’agression que j’ai subie, d’autant que mon agresseur se sert toujours à la pharmacie.
Pour autant, nous estimons que des solutions pourraient être mises en œuvre pour diminuer sérieusement ces fraudes, tant celles des professionnels que celles des patients.
Les fraudes des professionnels consistent essentiellement à transformer les ordonnances, sans l’accord du prescripteur : le pharmacien modifie les posologies, ajoute des médicaments, prend des libertés avec les renouvellements.
M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous une estimation chiffrée de la fraude ?
Les déboires que vous avez connus au sein de votre officine posent le problème de la transmission de l’information. Les structures assurantielles ne pourraient-elles pas vous éclairer sur certaines affiliations.
Mme Isabelle Adenot. Je ne saurais vous donner une donnée chiffrée au sujet des modifications d’ordonnances. En revanche, j’ai fait faire l’état des décisions prises par nos chambres de discipline. Toutefois, elles ne concernent que des personnes qui se sont fait prendre. Le rôle de l’ordre n’en est pas moins important, dans la mesure où la population et les autorités ont besoin de pharmaciens intègres.
Pour vous donner un ordre d’idées, entre 2006 et 2010, nous avons plus de six fois interdit définitivement à des confrères d’exercer en raison de fraudes qu’ils avaient commises. C’est une sanction grave puisque l’intéressé devra attendre cinq ans pour demander au président de l’ordre une sorte de « grâce ». Les chambres prononcent également des interdictions de trois, cinq, six ans, voire plus, ce qui, bien évidemment, oblige la personne condamnée à vendre sa pharmacie et à interrompre sa carrière.
M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous des précisions sur le rythme annuel de ces interdictions ?
Mme Isabelle Adenot. Je vous ferai parvenir les statistiques dès la semaine prochaine.
Un autre type de fraude est commis « en bande organisée », c’est-à-dire avec le prescripteur ou avec le patient.
Dans le premier cas, le prescripteur modifie l’ordonnance : les médicaments ne sont pas délivrés, le pharmacien et le prescripteur partageant les bénéfices. Il s’agit bien d’une fraude à la solidarité nationale.
Dans le second cas, la prescription de l’ordonnance est facturée à la sécurité sociale, mais n’est pas délivrée au patient. Cette fraude est faite avec l’accord de ce dernier, qui, à la place ce qui lui a été prescrit, récupère par exemple des articles de parapharmacie. C’est l’objet de toutes nos interdictions définitives d’exercice. S’il a à connaître un tel type de fraude, l’ordre est intraitable : il prononce une interdiction définitive d’exercer.
Des solutions existent, comme la prescription télétransmise, qui est facile à mettre en œuvre et qui permettra d’éviter toute modification de l’ordonnance.
Les renouvellements constituent une autre source de fraude. Les pharmaciens peuvent renouveler des ordonnances qui ne doivent pas l’être, le patient obtenant le renouvellement dans deux villes différentes. Cette possibilité est due à une faiblesse informatique : normalement, les logiciels de facturation des pharmacies sont certifiés par le Centre national de dépôt et d’agrément (CNDA), c’est-à-dire la sécurité sociale. Cependant, cette certification n’est pas efficace. Il existe en particulier deux logiciels – je ne peux les citer – qui permettent d’établir des factures sans qu’il soit nécessaire de présenter la carte Vitale : dans ce cas, il est possible de faire des fausses factures, d’obtenir de fausses certifications, ainsi que l’agrément.
M. le coprésident Morange. Nous comprenons votre souci de discrétion, mais une telle information mérite peut-être que nous en sachions un peu plus.
Mme Isabelle Adenot. Certes, mais comme je subis actuellement des pressions personnelles, je n’en dirai pas plus.
M. le rapporteur. La presse a fait état d’une affaire concernant plusieurs centaines de pharmacies, à propos de laquelle vous livrez probablement des informations aux services de police et aux services fiscaux. Nous souhaiterions en savoir davantage.
Certes, vous avez évoqué six cas de radiation définitive, mais vous avez également parlé de sanctions prononcées à l’encontre d’un certain nombre de pharmaciens sans en citer le nombre. Pourriez-vous nous donner des précisions chiffrées ?
Que fait l’ordre après que la justice a prononcé des sanctions pénales contre des pharmaciens ?
Pourriez-vous être plus précise sur tous ces points ?
Mme Isabelle Adenot. Je ne souhaite absolument pas être imprécise, mais il se trouve que je n’ai pas avec moi les statistiques relatives aux sanctions prononcées par nos chambres de disciplines. Je vous les ferai parvenir au plus tard la semaine prochaine.
L’affaire que vous évoquez est sans doute celle des pharmacies équipées d’un logiciel permettant la fraude fiscale, ce qui est bien différent de la fraude sociale. Les médias ont parlé de 4 000 pharmacies, mais, à ma connaissance, ce nombre est exagéré. Par ailleurs, les opérations de police ont montré que ce n’est pas parce que vous disposez de ce type de logiciel que vous fraudez obligatoirement.
À l’heure actuelle, une soixantaine d’actions contre des pharmaciens sont en cours. L’ordre se porte et se portera systématiquement partie civile dans toute action qui lui sera communiquée au niveau pénal. Je précise que l’ordre a condamné notre consœur de Nîmes, où a démarré l’affaire, à six ans d’interdiction d’exercice – cette condamnation a été prononcée en 2009, c’est-à-dire bien avant que l’on parle de cette affaire. C’est l’exemple même de ce que fait l’ordre pour que la population française ait confiance dans ses pharmaciens.
Je ne connais pas le nombre de pharmacies concernées, mais je vis très mal le fait que des médias aient « lâché » des chiffres sans avoir une connaissance parfaite de l’ensemble du dossier. On a parlé d’une fraude s’élevant à 420 millions d’euros, mais, bien que présidente de l’ordre, je ne peux pas vous donner de chiffres précis. Cette situation explique le flou dans lequel je suis obligée de rester, et j’en suis désolée. Il n’en reste pas moins qu’il ne faudrait pas stigmatiser l’ensemble d’une profession dans son ensemble, car ce serait très grave.
Des patients peuvent également soumettre de fausses ordonnances à des pharmaciens. Ce type de fraude est très organisé : ainsi, lorsque le pharmacien qui a un doute appelle le prescripteur, la personne qui répond au téléphone est de plus en plus souvent un complice qui confirme la prescription.
Il arrive aussi que les ordonnances circulent. Ainsi, nous avons connaissance d’un trafic de médicaments avec la République démocratique du Congo. Mais ce n’est certainement pas le seul pays à être concerné pas un trafic de ce type. Le schéma est le suivant : une personne en affection de longue durée, munie d’une carte Vitale, produit une ordonnance ; le pharmacien remet les médicaments prescrits, mais, un quart d’heure plus tard, les mêmes médicaments sont délivrés dans une autre pharmacie avec la même carte Vitale et la même ordonnance. En une semaine, cette ordonnance peut servir plus d’une centaine de fois ! Certes, les pharmaciens sont équipés d’un logiciel concernant les cartes Vitale volées ou perdues, mais, au moment de l’utilisation de la carte, ils ne peuvent pas savoir qu’il y a fraude car il se passe plusieurs mois entre le signalement du vol de la carte et son blocage. Il faut absolument accélérer le processus.
Vous avez parlé de transmission de l’information. Le problème, c’est que, lorsque des ordonnances sont volées ou que telle ou telle personne est repérée, nous n’avons pas le droit de communiquer son nom. Il n’est possible de le faire que de manière anonyme.
L’ordre a mis au point un dispositif pour lutter contre les commandes anormales, mais nous ne pouvons pas l’utiliser pour l’instant. Nous avons bien demandé à plusieurs reprises au législateur d’intervenir en ce domaine, mais en vain.
En pratique, nous savons que les commandes directes passées par un pharmacien, à l’industrie ou aux grossistes répartiteurs doivent représenter tant de boîtes pour telle frange de population. On ne peut que s’interroger lorsque ce volume est multiplié par 10, 15, 20, 100, 200, voire plus. Certes, de telles commandes sont parfois justifiées, et c’est le cas lorsque le pharmacien est, par exemple, installé à la sortie d’un hôpital. Mais si elles ne sont pas justifiées, il faudrait pouvoir avertir l’Inspection de la pharmacie pour qu’une enquête soit diligentée, laquelle pourrait éventuellement déboucher sur la saisine d’une chambre de discipline, voire du procureur de la République.
En tout cas, il est clair que ce n’est pas à nous d’effectuer des contrôles ; cela ne fait pas partie de nos missions telles qu’elles figurent dans le code de la santé publique. Les contrôles relèvent de l’inspection.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelle modification législative suggérez-vous en ce qui concerne le contrôle de la commande de médicaments ?
Mme Isabelle Adenot. L’ordre ne peut pas à la fois être juge et policier. En revanche, il peut avoir un rôle d’alerte. Ne confondons pas les rôles.
M. le coprésident Pierre Morange. J’entends bien. Toutefois, les organismes assurantiels ayant des capacités de contrôle, grâce à des personnels compétents et qualifiés, on peut imaginer que vous leur fournissiez l’information que vous avez pu enregistrer ou, tout au moins, que vous leur fassiez part de vos soupçons à propos de commandes anormales, d’utilisations abusives et répétées de cartes volées ou de fausses cartes. De tels échanges d’informations ont-ils été mis en place ?
Mme Isabelle Adenot. Non, et c’est bien là le problème. L’ordre ne peut pas intervenir sans en avoir reçu la mission. Et comme il est garant de l’éthique professionnelle, il ne peut pas agir contre celle-ci.
Cela dit, nous travaillons régulièrement avec les services de M. Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Notre collaboration, qui est satisfaisante, porte sur la transmission d’informations, mais s’opère dans un sens descendant.
Nous ne sommes au courant de certaines affaires que lorsque le scandale est évoqué à la télévision ou dans les journaux ; c’est ce qui s’est passé dans l’affaire de la pharmacie de la rue de Prony. Si nous ne disposons pas d’éléments d’information, nous ne pouvons pas enclencher la saisine d’une chambre de discipline, qui peut pourtant statuer beaucoup plus rapidement que la justice . C’est la raison pour laquelle nous avons engagé un « partenariat » avec les services de M. Pierre Fender pour faire en sorte que lorsqu’une affaire grave est portée devant la justice, l’ordre en soit informé – bien entendu, avec l’accord du procureur – afin de pouvoir enclencher la saisine d’une chambre de discipline.
Quoi qu’il en soit, vous avez raison : la transmission d’informations pose problème.
M. le rapporteur. Vous avez indiqué que lorsqu’un pharmacien téléphonait pour vérifier une prescription, il était parfois mis en contact avec un complice, qui confirmait la prescription. Qui est ce complice ? Cela peut-il être un médecin ?
Mme Isabelle Adenot. Dans les cas que je peux vous citer, il ne s’agit pas du médecin. Mais c’est une hypothèse possible.
Je précise qu’il est très difficile de détecter une fausse ordonnance : elle ne comporte pas de défaut matériel, pas d’erreur de posologie, pas de contre-indication majeure entre les médicaments susceptibles d’alerter le pharmacien. Il faut vraiment mener une analyse pharmaceutique poussée pour s’apercevoir, par exemple, que l’ordonnance n’est pas cohérente. En général, le faux est remarquable.
M. le rapporteur. Quels sont les types de médicaments sur lesquels portent ces fraudes ?
Mme Isabelle Adenot. Tous les médicaments : cela va des médicaments pour le glaucome à des médicaments comme le Cytotec – qui permet de provoquer des avortements alors qu’il n’est pas fait pour cela – en passant par des médicaments onéreux. Je suppose qu’ils sont revendus par la suite. C’est parce qu’ils ont peur que certains pharmaciens ne refusent pas ces prescriptions.
M. le rapporteur. Avez-vous connaissance de l’affaire de Toulouse dans laquelle la fraude était liée à la délivrance de Subutex ? Pour lutter contre cette fraude, un certain nombre de médecins et de pharmaciens ont été sélectionnés par la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse pour être les seuls professionnels de santé à être aptes à prescrire et à délivrer du Subutex. L’expérience a été jugée par la Cour des comptes très probante, puisque la consommation de Subutex a fortement diminué. Toutefois, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés considère que ce n’est pas une manière de résoudre le problème, dans la mesure où une telle démarche ne respecte pas la liberté de prescription. L’ordre tire-t-il des conclusions particulières de cette affaire ?
Mme Isabelle Adenot. Certaines affaires ont été transmises à des chambres de discipline. À partir du moment où le Subutex existe et qu’on veut qu’il soit dispensé, il faut qu’il le soit correctement. Pour cela, l’idéal est qu’il y ait un accord entre le médecin, le pharmacien et le patient, et que le suivi mis en place soit respecté.
Le problème est que les prescripteurs et les pharmaciens sont soumis à d’énormes pressions et ont du mal à dire non. Il en résulte des dérives. J’ai en mémoire le cas d’une consœur de Toulouse, qui, victime d’agressions fréquentes dans sa pharmacie et ne recevant pas l’aide de la police, a fini par baisser les bras.
M. le coprésident Pierre Morange. Le docteur Pierre Fender est responsable du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à la caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés. Avez-vous passé une convention avec lui ? Si oui, quel champ recouvre cette convention ? Quels sont ses objectifs ? Comment assurer l’efficacité du dispositif ? Collaborer avec les organismes de contrôle devrait permettre de neutraliser les pressions auxquelles les prescripteurs et les délivreurs peuvent être exposés et contribuerait à lutter contre la fraude.
Mme Isabelle Adenot Je peux vous remettre la convention qui a été signée avec M. Pierre Fender. Elle porte sur une procédure de signalement, au conseil de l’ordre des pharmaciens, des procédures engagées par l’assurance maladie à l’encontre de pharmaciens d’officine. Elle est relativement récente. Sauf erreur de ma part, elle date de septembre 2010.
M. le coprésident Pierre Morange. J’en conclus qu’avant cette date, il n’y avait pas d’échanges avec les organismes de contrôle ?
Mme Isabelle Adenot. Nous avions parfois des rendez-vous informels. Mais pour que l’information circule, il faut absolument passer des conventions. Nous avons une éthique à respecter.
Mme Catherine Lemorton. Madame la présidente, je collabore au réseau « Toxicomanie » de Toulouse depuis 1996. En 2004, nous avons assisté aux premières dérives. Je connais la consœur dont vous avez évoqué le cas, et ce que vous avez dit est exact : les toxicomanes passaient de l’autre côté de son comptoir et se servaient directement. Elle a été mise en danger physiquement, et la police s’est montrée totalement défaillante. Finir devant la justice et être traînée dans la boue a été pour elle traumatisant.
Le réseau de Toulouse est un de ceux qui fonctionnent le mieux. Nous avons travaillé sans problème avec la sécurité sociale et les organismes de contrôle. Si nous avons sans doute outrepassé ce que la réglementation en vigueur nous permettait de faire, c’est que, dès 2004, nous nous étions rendu compte que les interventions de police n’auraient pas d’impact auprès des populations concernées. Ainsi, médecins, pharmaciens, travailleurs sociaux, travailleurs de rue, associations et sécurité sociale ont organisé un système de « délation ». Lorsqu’on sentait qu’un toxicomane était à la dérive, qu’il avait une polyconsommation, on allait voir le médecin et le pharmacien concernés. De plus, des réunions réunissant tous les acteurs du réseau avaient lieu tous les quinze jours, ce qui permettait de repérer les personnes et de cibler les demandes de remboursement.
Ce système a permis, non seulement de lutter contre le mésusage du Subutex, mais aussi de détecter des fraudes que l’on n’attendait pas : des médecins gardaient les cartes Vitale de patients bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU) et facturaient trois ou quatre visites par semaine alors que ces patients ne mettaient pas les pieds chez eux ou n’y venaient que tous les huit ou quinze jours. Certains ont facturé, sur la même carte Vitale, jusqu’à quinze ou vingt consultations dans le mois !
On peut remettre en cause ces méthodes, mais elles ont prouvé leur efficacité. Et même si le mésusage demeure, car tout n’est malheureusement pas parfait, il n’en reste pas moins que ce réseau est en alerte constante et que d’autres réseaux ont été mis en place dans d’autres villes.
J’en viens à mes questions.
Ne pensez-vous pas que le dossier pharmaceutique ou le dossier médical personnel (DMP) ne sont d’aucune utilité contre la fraude sociale dans la mesure où les patients ont le droit de cacher des informations ?
Par ailleurs, lors de l’examen des crédits de la santé, un grand débat a eu lieu sur les fraudes commises pas les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. En effet, ces patients n’ont pas de carte Vitale et les facturations qui les concernent ne sont pas transmises sous une forme sécurisée. Est-ce que l’ordre des pharmaciens a connaissance de fraudes aux médicaments ? Si oui, les avez-vous évaluées ?
Mme Isabelle Adenot. Concernant le dossier pharmaceutique et le dossier médical personnel, la réponse était dans la question. Le législateur ayant souhaité que le dossier pharmaceutique et le dossier médical personnel ne soient pas obligatoires pour le patient, tout fraudeur se retirera automatiquement du dispositif.
Je vous citerai néanmoins un cas dans lequel le dossier pharmaceutique a été utile. Un de mes clients sous Subutex, qui avait ouvert un dossier pharmaceutique sans en comprendre la pertinence, montrait des signes de dérive ; je lui ai alors proposé de fermer son dossier, mais il a refusé, estimant que cela l’inciterait à se conduire correctement, maintenant qu’il savait que tous les pharmaciens auxquels il s’adresserait seraient au courant de ses faits et gestes.
Quoi qu’il en soit, j’affirme que le dossier pharmaceutique et le dossier médical personnel ne peuvent pas servir à lutter contre la fraude. Le législateur doit en modifier le sens s’il veut que cela soit le cas.
Toutefois, le dossier pharmaceutique peut avoir une efficacité indirecte. Aujourd’hui, 12 millions de personnes en possèdent un, et ce chiffre augmente chaque jour ; une personne de plus de soixante ans sur quatre a ouvert un dossier pharmaceutique. Or, lorsqu’une carte Vitale est associée à un dossier pharmaceutique et que cette carte est dérobée, le voleur ne peut pas le savoir. Dans ce cas, le dossier pharmaceutique permet de déceler les dispensations, notamment les dispensations multiples. Plus la population française rentrera dans le processus, plus nous serons à même de détecter ces fraudes commises par les voleurs, bien entendu, et non par les titulaires de cartes.
En ce qui concerne la facturation de l’aide médicale d’État, l’ordre n’a jamais eu connaissance de quoi que ce soit. Nous avons un contrôle d’accès, un contrôle du respect des devoirs professionnels, mais nous n’avons aucune relation – et nous ne tenons pas à en avoir – avec la sécurité sociale en ce domaine. Nous ne sommes au courant que lorsque les affaires arrivent devant les chambres de discipline.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous évoquiez l’inertie du système en cas d’utilisation abusive ou détournée de cartes Vitale volées ou falsifiées. Les fraudes ne sont repérées qu’après plusieurs mois d’utilisation. Nous avons quelque difficulté à comprendre qu’il faille autant de temps s’agissant d’un dispositif informatique. Quand une carte bancaire est dérobée et que les systèmes informatiques de contrôle repèrent un retrait en France et un autre au Canada à dix minutes d’intervalle, la carte est automatiquement et immédiatement bloquée. Le système SESAM-Vitale devrait pouvoir fonctionner de façon similaire. Avez-vous des informations particulières à nous fournir à ce sujet ?
Mme Isabelle Adenot. Je n’en ai pas, monsieur le président. En revanche, je peux vous indiquer que les pharmaciens sont équipés d’un système qui fait que chaque nuit, ou quasiment, une liste d’oppositions à l’utilisation de certaines cartes Vitale est téléchargée dans nos ordinateurs. À partir du moment où l’émetteur en donne l’ordre, la carte est bloquée. La profession est donc déjà équipée, mais il faut absolument accélérer le processus.
M. le rapporteur. On peut aussi présenter une carte Vitale sans en être le titulaire. De toute façon, les pharmaciens ne vérifient pas l’identité des personnes. Il est vrai que les photographies, qui figurent rarement sur la carte vitale, ne sont toujours pas ressemblantes. D’ailleurs, il suffit d’envoyer par la Poste la photographie que vous voulez. Le système n’est donc pas tout à fait sécurisé.
Mme Isabelle Adenot. Ce sujet a fait largement débat voilà quelques années. Dans la pratique, il arrive que ce ne soit pas le patient qui vienne chercher ses médicaments, ne serait-ce que parce qu’il est malade ou âgé. S’il fallait que l’on demande une carte d’identité à toute personne qui rentre dans une pharmacie pour obtenir des médicaments, ce serait la Révolution et les pharmaciens se feraient traiter d’inquisiteurs. Quant à la photographie, disons simplement qu’elle existe…
M. le rapporteur. Il y a deux jours, sur une chaîne publique de télévision, un reportage montrait une personne allant consulter trois médecins dans la même journée puis retirer ensuite un nombre impressionnant d’antidépresseurs dans trois pharmacies différentes. Quand ils voient un tel reportage, ne croyez-vous pas que nos concitoyens sont en droit de s’interroger ? L’ordre est-il favorable à un dossier pharmaceutique obligatoire, voire à un dossier médical personnel obligatoire ?
Mme Isabelle Adenot. Je considère franchement que le dossier pharmaceutique et le dossier médical personnel n’ont pas à être rendus obligatoires. La sécurité sociale, via les caisses d’assurance maladie, a tous les moyens de détecter ce qui se passe. Si un assuré va voir trois ou quatre médecins dans un temps extrêmement rapproché, l’organisme payeur le décèle immédiatement, et c’est donc à lui de faire ce qu’il faut.
Le dossier pharmaceutique et le dossier médical personnel ont pour objectif d’améliorer le parcours et la coordination des soins, en accord avec les patients. Si vous les rendez obligatoires, ces derniers se sentiront complètement surveillés. À l’heure actuelle, 17 % des Français refusent le dossier pharmaceutique.
Pour repérer les dérives, d’autres solutions existent. Je pense plus particulièrement à la prescription télétransmise. L’ordonnance établie par le médecin est envoyée sur un hébergeur de données de santé à caractère personnel et peut, en insérant la carte Vitale du patient dans le boîtier adéquat, arriver dans n’importe quelle pharmacie par voie électronique. De la sorte, l’ordonnance ne peut plus être modifiée ni par le pharmacien, ni par le patient, et les fraudes dont nous avons parlé, notamment celles qui sont organisées avec certains pays étrangers, deviennent impossibles. Ce système a été adopté dans d’autres pays. Pour notre part, nous sommes en train d’y travailler avec les différents ordres de prescripteurs, et nous sommes au point. L’hébergeur du dossier pharmaceutique pourrait tout à fait être utilisé à cette fin. Autrement dit, cela peut fonctionner très rapidement.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous évoquerons la question avec les représentants des syndicats de prescripteurs, que nous allons auditionner dans quelques instants.
Mme Catherine Lemorton. J’observe qu’entre le dossier pharmaceutique, le dossier médical personnel et le dossier médical implanté sur un dispositif portable d’hébergement de données informatiques (clé USB) médicalisé, les patients sont dans le flou artistique le plus complet. Quant aux fraudeurs, ils pourront toujours frauder en utilisant les trois.
M. le coprésident Pierre Morange. Madame la présidente, nous serons très attentifs à tous les constats que vous pourriez nous communiquer et à toutes les propositions opérationnelles que vous pourriez nous faire.
Mme Isabelle Adenot. Je pourrai vous remettre une note sur la certification des logiciels que l’ordre souhaite mettre en œuvre. J’ai d’ailleurs informé le ministère de nos souhaits. Il est désolant que la Haute Autorité de santé, qui peut établir des certifications pour les logiciels de médecins, ne puisse pas le faire pour les logiciels des pharmaciens parce que cela ne rentre pas dans le cadre de ses missions. Nous avons donc dû signer une convention avec la Haute Autorité de santé, dans la mesure où cette affaire comporte des enjeux majeurs de santé publique.
M. le coprésident Pierre Morange. Madame, je vous remercie.
*
Audition, sous forme de table ronde réunissant des syndicats de médecins, de M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF), et M. Djamel Dib, président du collège des généralistes, de M. François Wilthien, premier vice-président de MG France, de M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux (SML), de M. Claude Bronner et M. Jean-Paul Hamon co-présidents de l’Union généraliste, et M. Pascal Lamy, secrétaire général, et de M. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français – Confédération des syndicats médicaux français (UNOF-CSMF).
M. Dominique Tian, rapporteur. La fraude, à en croire les articles de presse et les reportages télévisés qui en font régulièrement état, met parfois en cause les médecins. L’Assemblée nationale souhaiterait savoir quelle est, au-delà du ressenti de l’opinion publique et des médias, la réalité de la fraude sociale en France, qu’elle soit le fait des professionnels de santé – il serait hasardeux de nier qu’il existe des professionnels de santé qui commettent des fraudes – ou des assurés. Qu’il s’agisse d’abus de prescriptions, d’arrêts de travail injustifiés – par exemple, pour aller skier –, de cartes Vitale volées ou falsifiées, de fausses ordonnances, voire de fraudes organisées, nous souhaitons connaître l’avis des médecins. Nous aimerions savoir par ailleurs si vous pensez que le dossier médical personnel doit être mis en place plus rapidement et s’il doit être obligatoire.
M. Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français-Confédération des syndicats médicaux français (UNOF-CSMF). S’agissant de la fraude organisée, il s’agit purement et simplement d’une forme de délinquance, et vous comprendrez que des représentants de la profession médicale ne soient pas des experts en la matière ! Je ne conteste pas que le phénomène existe, comme partout, mais il ne faudrait pas sous ce prétexte, répandre une image négative de notre profession. La lutte contre la fraude relève de la police, voire de l’assurance maladie, qui dispose d’informations que nous n’avons pas.
En tout cas, ce n’est certainement pas en imposant que la photographie de l’assuré figure sur sa carte Vitale qu’on réglera le problème de la fraude. Que pourra faire le médecin – qui est de plus en plus souvent une femme – au cas où la photographie ne correspond pas au porteur de la carte ? Nous n’avons pas de pouvoirs de police : nous sommes là pour soigner les gens, dans le respect des lois. Or, aucune loi ne nous prescrit de refuser de soigner un patient quand la photographie qui figure sur sa carte Vitale ne lui correspond pas. C’est aussi le cas des pharmaciens, des kinésithérapeutes et des infirmiers.
Les économies qu’on peut en attendre paraissent vraiment marginales, même s’il n’y a pas de petites économies. J’aimerais surtout savoir ce que vous appelez fraude s’agissant des médecins libéraux, qui sont, dans leur immense majorité, honnêtes et à l’écoute de leurs patients. Cela consiste-t-il à ne pas remplir correctement l’ordonnance bizone ? À prescrire des médicaments à la famille du malade ? Tout cela est vraiment microscopique ! Jugez-vous que nous prescrivons trop d’arrêts de travail ? Cela fait un moment que leur nombre baisse. Est-ce vraiment de la fraude que de répondre à la souffrance sociale ? Est-ce frauder que d’arrêter des gens qui ont de plus en plus de difficultés au travail. Est-ce au médecin de contrôler ce que font les patients durant leur congé maladie ? Aucun de mes patients, depuis trente ans que j’exerce, n’est parti au ski pendant son congé maladie. Avant de vous parler de la fraude, j’aimerais la connaître ! Mon exercice en est exempt, et c’est le cas pour la majorité des médecins.
M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS n’est pas un tribunal, et cette audition n’est pas un procès : elle vise simplement à recueillir vos observations sur un phénomène clairement identifié par la Cour des comptes, afin de pouvoir en apprécier la réalité. Après avoir entendu toute une série de personnalités qui, du fait de leurs compétences, pouvaient nous éclairer sur cette question, il nous a paru légitime de connaître le sentiment des acteurs de terrain que vous êtes face à cette réalité, d’autant que le montant de cette fraude est en constante progression.
M. Jean-Paul Hamon, coprésident de l’Union généraliste. Quel est ce montant ?
M. le coprésident Pierre Morange. Les fraudes ont fait l’objet d’évaluations précises par la Cour des comptes et par le Conseil des prélèvements obligatoires.
M. le rapporteur. La Cour des comptes a été très précise. Elle a recommandé à la sécurité sociale de s’intéresser aux médecins qui font plus de 20 000 consultations annuelles. Récemment, une chaîne de télévision publique montrait un médecin qui recevait un malade durant deux minutes, en faisant son courrier et en prescrivant un certain nombre d’antidépresseurs. Certes, ce n’est pas de la fraude. Mais on peut aussi nier toutes les évidences et prétendre qu’il n’y a pas de problème en matière d’arrêts maladie, qu’il n’y a pas d’abus de prescriptions ou qu’il n’y a jamais eu aucun souci avec le Subutex. S’agissant de ce dernier exemple, la politique intéressante mise en place par la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse montre que le problème est réel.
M. Michel Combier. Croyez-vous que j’approuve les cas que vous me citez et qui sont assurément des dérives ? Ces cas sont connus de la sécurité sociale. Notre mission, à nous, est de représenter ceux qui travaillent bien et qui constituent l’écrasante majorité. On peut certes leur demander de rechercher des gisements d’économies, mais il s’agit alors d’une question entièrement différente.
Vous évoquez des abus dans la prescription de Subutex, mais il faudrait aussi évoquer les difficultés que les médecins rencontrent dans certains endroits et des menaces physiques auxquelles ils sont confrontés, sans être réellement protégés.
M. le rapporteur. Nous ne sommes pas là pour mettre en cause les médecins, mais pour trouver des solutions. Vous avez évoqué des pressions physiques : il existe aussi des pressions économiques. La Cour des comptes met surtout en cause la sécurité sociale et l’incapacité de celle-ci à utiliser les outils à sa disposition pour effectuer les recoupements nécessaires. Il est anormal que des assurés puissent bénéficier de vingt ordonnances de vingt médecins différents. Ce que nous cherchons, ce sont des moyens permettant de dépenser moins d’argent public et de réduire la fraude.
M. Claude Bronner, coprésident de l’Union généraliste. Vous devez bien comprendre que le caractère quelque peu tendu du dialogue entre nous traduit bien l’état des relations des médecins avec leurs autorités, que ce soit le Parlement ou la sécurité sociale.
Si je vous comprends bien, vous appelez fraude tout ce qui « sort un peu des clous ». Pour notre part, nous ne nions pas qu’il y a des cas de fraude caractérisée chez les médecins libéraux. Celles-ci relèvent des tribunaux correctionnels. Mais il ne faut pas oublier que l’assurance maladie dispose de moyens extrêmement efficaces pour traquer les pratiques que nous évoquons. En outre, les actes des médecins libéraux sont beaucoup plus faciles à contrôler que ceux accomplis au cours d’une hospitalisation et dont le détail n’est pas connu.
Ce qui nous pose problème, c’est tout l’éventail de « cas limites », que vous assimilez à de la fraude. Vous ne cessez de nous resservir le cas du patient qui se fait prescrire un arrêt de travail pour partir au ski. Je ne nie pas que cela existe, mais, comme vous l’a dit M. Michel Combier, si nos patients nous demandent des arrêts de travail, c’est qu’ils ont des raisons de le faire. On peut certes toujours contester la légitimité de ces raisons – sont-elles physiques, ou bien liées à leurs relations avec l’employeur ? –, mais on ne peut pas reprocher au médecin d’être un des derniers amortisseurs sociaux, alors qu’on lui demande aussi de jouer ce rôle. Voilà pourquoi nous vivons particulièrement mal ces accusations d’abus dans la prescription d’arrêts de travail.
Je vous invite à ce propos à vous pencher sur l’accord d’intéressement qui lie les médecins-conseils à l’assurance maladie. Sur les 800 points d’intéressement qui peuvent être attribués au médecin en vertu de cet accord, 160 points le sont au titre du contrôle des arrêts de travail, contre trente points seulement au titre du recours contre tiers. Or ce recours permet à l’assurance maladie de se faire rembourser par l’assurance du tiers responsable de l’accident les prestations versées à la suite de l’accident. Voilà qui pose problème aux malheureux médecins que nous sommes, surtout quand on sait que l’assurance maladie est actuellement dirigée par un ancien assureur.
La prescription de médicaments hors du cadre de l’autorisation de mise sur le marché fait également débat. Étant donné qu’on ne peut pas actuellement exercer la médecine sans faire des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché, une règle qui imposerait de les signaler toutes n’est pas adaptée à tous les cas, sauf si les praticiens ont la liberté de demander leur remboursement dans certains cas.
Nous trouvons par ailleurs que les instances représentatives des médecins ne sont pas suffisamment informées de la nature des contrôles de l’assurance maladie. Ainsi, elle n’a jamais consenti à indiquer à notre syndicat quelle était, parmi les praticiens qui ont fait l’objet de contrôles, la proportion des généralistes et celle des spécialistes. Comment voulez-vous agir dans ce domaine quand on vous refuse une information aussi élémentaire.
Quant au dossier médical personnel, il ne faut pas rêver : s’il peut améliorer la qualité des soins dispensés, sa mise en place est trop longue et trop complexe pour constituer une solution à la fraude. Pour autant, cela ne signifie pas qu’on ne doit pas utiliser les nouvelles technologies de communication, sous des formes susceptibles d’être développées rapidement : la communication électronique, qui permet notamment de renforcer le lien entre le médecin et le pharmacien par la transmission des ordonnances, pourrait être un moyen d’avancer dans ce domaine.
M. le rapporteur. Que pensez-vous de la prescription électronique ?
M. Claude Bronner. L’internet permettrait en effet de renforcer nos liens, non seulement avec les pharmaciens, mais également avec les caisses d’assurance maladie. Le problème, c’est que l’emploi de cette technologie ralentit les procédures. D’après une étude réalisée dans le cadre d’un mémoire d’internat, transmettre des arrêts de travail par l’internet prend cinq à six fois plus de temps. On ne peut pas, dans ces conditions, demander aux professionnels de l’utiliser régulièrement. Je suis persuadé qu’il est possible d’améliorer la performance de cet outil, mais il faut savoir que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’assurance maladie préfère « faire sa petite cuisine dans son coin », sans nous tenir informés de rien. Aujourd’hui, personne n’est pas capable de dire combien de temps il faut exactement pour transmettre un arrêt de travail.
M. François Wilthien, premier vice-président du syndicat des médecins généralistes (MG France). Il faut distinguer la fraude de l’abus : ce sont deux notions complètement différentes.
Envisager de nouveaux moyens de lutte contre la fraude, tels qu’une sécurisation renforcée de la carte Vitale, n’est pas sans poser des problèmes déontologiques : je vous rappelle que nous n’avons pas le droit de vérifier l’identité de nos patients. N’étant ni des officiers d’état civil, ni des officiers de police judiciaire, nous devons agir avec les documents qu’on nous présente.
Mais revenons à la « vraie vie », même si personne ne conteste l’existence de la fraude et la nécessité de lutter contre elle : celle-ci ne représente pas 1 % de l’activité moyenne d’un cabinet de médecine libérale. Un praticien exécutant 4 à 5 000 actes par an, cela signifie qu’elle porte sur quarante à cinquante actes par an, soit un acte par semaine. Une telle proportion justifie-t-elle que nous cherchions des moyens de lutte qui risquent de rendre la pratique de notre métier excessivement complexe, surtout pour ceux qui exercent dans des quartiers un peu difficiles. Exerçant depuis trente-cinq à Aubervilliers, dans un département, la Seine-Saint-Denis, dont la population n’est pas des plus faciles, je crois pouvoir dire que je connais mes patients, et j’imagine que ce doit être à peu près la même chose pour mes confrères. Si nous devenons aussi des auxiliaires de la police, ce sera au détriment de notre mission thérapeutique.
S’il s’agit de traquer les gaspillages de fonds publics, pourquoi ne développe-t-on pas le parcours de soins ? Pourquoi ne pas promouvoir une bonne utilisation de l’hôpital ? On pourrait également parler de la succession de coûteux plans de santé publique à l’utilité contestable, du Mediator, ou des médicaments anti-Alzheimer dispensés larga manu dans les hôpitaux, alors que leur service médical rendu est faible et qu’on commence à s’interroger sur leur innocuité. On voit qu’il s’agit d’un vaste débat.
J’ai cru comprendre qu’on préférait, comme d’autres pays européens, s’engager sur la voie d’une carte Vitale sécurisée. Si tel est le choix de l’État et de la Nation, il va de soi que nous nous y plierons. Je me permets simplement de vous dire que cela compliquera notre pratique thérapeutique alors qu’il existe des gisements d’économies beaucoup plus féconds.
M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF). Comme mes confrères vous l’ont dit, il est essentiel de bien différencier la fraude de la faute et de l’abus, que l’assurance maladie hésite peut-être à assimiler à de la fraude caractérisée. La difficulté de délimiter ces notions suffit à expliquer celle qu’il y a à résoudre le problème, sans qu’il soit besoin d’évoquer une soi-disant opposition des syndicats médicaux à voir sanctionner les fraudes délibérées. De telles pratiques relèvent bien évidemment du pénal.
Toute la difficulté réside dans la mise en application. Il suffit de voir la levée de boucliers provoquée par la mise en place de la tarification à l’activité dans les hôpitaux : l’économie attendue n’est pourtant que de trente à cinquante millions d’euros, à comparer avec le 1,5 milliard d’euros que coûterait la fraude sociale, selon tout au moins ce que vous avez essayé de faire dire à M. Frédéric van Roekeghem.
Les médecins ont d’autant plus de mal à digérer ce genre d’accusation qu’il existe déjà tout un arsenal pour contrôler notre profession. On a été jusqu’à inventer le « délit statistique » ! De même, l’ordonnance bizone est ressentie comme un instrument de harcèlement et une des causes essentielles du malaise de la profession. L’outil informatique permettrait pourtant aux caisses de contrôler directement la régularité des prescriptions, sans se décharger de ce travail sur les médecins.
D’une façon générale, les caisses pourraient mettre en place des dispositifs de contrôle qui ne soient pas vécus comme des agressions par notre profession. Nous sommes des syndicats responsables : nous demandons simplement qu’on ne stigmatise pas notre profession sous prétexte qu’il y a des abus incontestables.
M. Roger Rua, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux (SML). La France est tout de même un pays qui compte déjà un nombre proprement hallucinant d’organes de contrôle. L’assurance maladie elle-même comporte en son sein un système de contrôle puissant et fortement doté. Le conseil de l’ordre a, quant à lui, la charge de contrôler la déontologie de notre pratique. À cela s’ajoute la Cour des comptes, etc.
On ne cesse en outre de faire l’amalgame entre la lutte contre la fraude et la maîtrise des coûts. Ce sont les indemnités journalières qui posent problème et non je ne sais quelle histoire de séjour au ski ! La pertinence des arrêts de travail n’est jugée qu’à l’aune de critères économiques.
M. le rapporteur. Moraux !
M. Roger Rua. Soit, mais, de grâce, ne nous faites pas porter le chapeau. Quand un médecin prescrit un arrêt de travail, c’est qu’il juge en son âme et conscience que le patient en a besoin ! Vous trouverez toujours des pratiques déviantes, mais citez-moi une profession qui en soit exempte, y compris dans les corps de contrôle de l’État. La télévision nous en donne aussi des exemples tous les jours. Il est étonnant, à ce propos, qu’une chaîne de télévision ait trouvé un médecin prêt à admettre devant les caméras qu’il ne consacre que deux minutes à ses consultations ! Il faudrait peut-être s’interroger sur l’objectivité des médias et leur façon de mettre en scène tel ou tel problème de façon spectaculaire, sans y consacrer une réflexion approfondie. Évitons au moins de considérer ces exemples comme étant toujours des critères de vérité.
Faut-il une haute autorité indépendante supplémentaire pour contrôler l’activité des médecins ? On voit bien que ce n’est pas la solution. Si ce que cherche le patron de l’assurance maladie, ce sont des économies, il existe d’autres gisements d’économies et nous comptons en discuter avec lui à l’occasion des discussions conventionnelles. La fraude, c’est un autre problème. Parler de fraude, c’est parler de morale, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur. Pour qu’on puisse parler de fraude, il faut qu’il y ait intention de frauder : la notion de délit statistique est toute relative.
En tant que représentants de la profession, nous ne sommes pas là pour défendre des fraudeurs, mais pour défendre l’exercice libéral de notre profession. Or, dans cette époque où il faut absolument trouver des boucs émissaires, on semble lier ces fraudes à une soi-disant liberté sans contrôle. Vous imaginez bien que nous ne comptons pas souscrire à ce genre de présupposé.
C’est le rôle de la Représentation nationale de s’attaquer au problème de la fraude, mais nous refusons d’en porter le chapeau. Certes, la fraude médicale est du ressort du Conseil de l’ordre, et nous sommes prêts à assumer toutes les responsabilités qui en découlent, y compris sur le plan de la sanction. Toutefois, s’il s’agit d’un problème économique, il doit être traité à un autre niveau : celui de l’assurance maladie, voire celui du ministère. En tout cas, il est inadmissible de livrer les praticiens libéraux en pâture aux médias, en laissant penser qu’ils sont une source de gaspillage.
Quant au dossier médical personnel, je ne vois malheureusement pas ce qu’il pourrait changer au problème. Si le dossier médical personnel doit nous interpeller, c’est surtout en raison de la gabegie de fonds publics que sa mise en place a suscitée. Il aurait mieux valu retenir la solution de la clé USB, que le président Pierre Morange avait proposée.
M. le coprésident Pierre Morange. C’est ce que nous avons finalement voté.
M. Roger Rua. Espérons que cela n’a pas été voté pour être aussitôt oublié, comme cela arrive trop souvent en France !
Quant à vérifier l’identité des patients, ce serait sortir de notre rôle de médecin : nous ne sommes pas des officiers de police judiciaire. Ou bien alors poussons le raisonnement jusqu’à ses conséquences les plus absurdes : qu’on nous rémunère à ce titre !
M. Djamel Dib, président du collège des généralistes de la Fédération des médecins de France. Je m’en tiendrai pour ma part à la définition de la fraude telle qu’elle résulte du décret du 20 août 2009, qui délimite bien cette notion.
Le décalage entre l’évaluation du coût de la fraude par la Cour des comptes – entre deux et trois milliards d’euros – et celle de M. Frédéric van Roekeghem vient d’une différence de méthodologie. Les données de la cour représentent une estimation de la fraude potentielle, alors que ceux du directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés se fondent sur des contrôles effectifs.
Par ailleurs, il faudrait comparer l’activité des médecins libéraux totalement transparente pour l’assurance maladie, qui a les moyens de la connaître entièrement, à celle des hôpitaux ; cette deuxième est opaque, même dans le cadre de la T2A, du fait notamment de l’internalisation des coûts externes.
Il conviendrait de donner à M. Frédéric van Roekeghem les moyens de contrôler la fraude, notamment en s’assurant que les décrets d’application des lois sont publiés, ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour la disposition législative relative aux transports sanitaires.
Si la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse a pu s’attaquer au problème du Subutex, c’est que les prescriptions de ce produit avaient augmenté entre 2006 et 2009 dans cette région, alors que dans le même temps elles baissaient dans le reste de la France. En outre, l’agglomération de Toulouse n’était pas une grosse consommatrice de ce médicament par rapport aux grandes agglomérations en Île-de-France ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Je voudrais dire en conclusion qu’il est complètement erroné de reprocher à l’assurance maladie, comme semble le faire la Cour des comptes, de traquer davantage la fraude commise par les assurés – elle a fait l’objet de 911 plaintes pénales – que celle imputable aux professionnels de santé. En effet, si une activité est particulièrement suivie, c’est celle des médecins libéraux.
M. Jean-Paul Hamon, coprésident de l’Union généraliste. Si la fraude pèse 1,5 milliard d’euros, il ne faut pas oublier qu’un million de chômeurs représentent 7 milliards d’euros de pertes pour les caisses de la sécurité sociale.
Simplifiez-nous la vie ! Non seulement la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés sait tout de notre activité, mais, avec les articles L. 162-1-14 et L. 162-1-15 du code de la sécurité sociale, elle a tous les pouvoirs ! Si l’on donnait à un président de tribunal le pouvoir de condamner un prévenu gracié par le jury, c’est toute la population qui descendrait dans la rue ! Or c’est bien ce qui se passe avec le tribunal de la sécurité sociale : la commission dite de concertation n’ayant qu’un pouvoir consultatif, tous les pouvoirs reviennent au directeur de la caisse. Nous sommes d’accord pour être contrôlés, mais, de grâce, modifiez ces articles : que le médecin soit jugé de manière équitable !
Autre sujet : les médecins vont désormais payer 50 centimes d’euro pour chaque feuille de soins papier. J’ai été parmi les premiers médecins à télétransmettre les feuilles de soins. Mes associés se font régulièrement rappeler à l’ordre par la sécurité sociale au motif qu’ils ne télétransmettent que 71 % de leurs feuilles de soins et qu’il faudrait faire mieux. Mais dans la plupart des cas, ils n’y peuvent rien s’ils ne télétransmettent pas : le patient n’a pas sa carte Vitale sur lui, ou alors elle ne fonctionne pas ; les enfants sont rattachés à la carte de l’autre parent ; le patient est étudiant ou alors il a changé de caisse et attend sa nouvelle carte. Avec la nouvelle carte Vitale avec photo, le délai d’attente est de six mois, voire un an. Malgré cela, vous avez maintenu cette taxe qui pénalisera les médecins qui ne télétransmettent pas au moins 75 % de leurs feuilles de soins – ce qui est matériellement impossible.
Vous avez par ailleurs maintenu la taxe sur les consultations qui devait être supprimée, et vous vous apprêtez à présent à voter une taxe sur la dépendance ! Or que l’on vive quatre-vingts ans ou cent deux, c’est dans les trois dernières années de la vie que l’on est le plus dépendant. Bref, vous allez faire un énorme cadeau aux assurances !
En conclusion, et alors même que les marges d’économies existent, certains sont avantagés tandis que d’autres sont considérés comme des délinquants. Vous savez pourtant que le taux d’installation en médecine libérale des médecins diplômés n’a même pas atteint 9 % cette année.
S’agissant du dossier médical personnel, on peut parler de détournement de fonds. Pour utiliser une clé USB, encore faut-il pouvoir y transférer de façon ergonomique le contenu du dossier du patient. Or le logiciel étant protégé, il ne pourra pas être lu. J’ai demandé à vos collègues s’ils avaient pensé à la nécessaire adaptation des logiciels avant de lancer le projet de clé USB ; la réponse a été négative. Combien va coûter cette expérimentation parfaitement inutile ? On transforme le médecin généraliste en moine copiste parce qu’il n’a pas les moyens de transférer ergonomiquement le dossier sur la clé USB – et cela sans rémunération, puisqu’il m’a été répondu que c’était d’ordre conventionnel. Si la rémunération conventionnelle est de l’ordre de 7 centimes d’euro comme pour la feuille de soins électronique, il y a de quoi s’inquiéter.
M. Pascal Lamy, secrétaire général de l’Union généraliste. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de lutter contre la fraude, mais veillons à ne pas désespérer la profession. Les mesures prises doivent être raisonnables, applicables et fonctionnelles. Comme mon confrère l’a souligné, n’oublions pas qu’il y a déjà une crise des vocations.
Nous avons le pouvoir de mettre nos patients en arrêt de travail. Et cela n’est pas remis en cause pour l’instant, même si on pourrait fort bien imaginer d’autres systèmes : dans les pays scandinaves, par exemple, les patients s’auto-prescrivent les arrêts inférieurs à deux jours.
Vous devez savoir qu’il existe des outils pour transmettre rapidement les arrêts de travail à la sécurité sociale. Personnellement, j’aimerais aussi conserver le double des arrêts et des remboursements de transports que je prescris. Or les outils de la sécurité sociale ne me le permettent pas.
Nous n’avons pas les moyens de savoir si le patient qui est en face de nous s’est déjà fait prescrire le même produit par un confrère. Au demeurant, le secret médical interdit aux médecins-conseils de la sécurité sociale de nous mettre en garde. Je vois donc mal comment nous pourrions intervenir.
Je constate par ailleurs, à travers les courriers du médecin-conseil relatifs à mes prescriptions sur l’ordonnancier bizone, que la sécurité sociale dispose des outils informatiques lui permettant de savoir ce qui doit figurer en haut et en bas de l’ordonnance. À quoi cela sert-il donc que je fasse le tri ?
M. le rapporteur. Je me réfère au rapport de la Cour des comptes et aux déclarations du ministre de la fonction publique, dont les services travaillent sur un modèle qui permettrait de faire des économies significatives sur les arrêts de travail injustifiés dans la fonction publique. Je rappelle que la presse s’est fait l’écho d’abus, par exemple à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, et que la Cour des comptes estime que certains comportements ne sont pas suffisamment sanctionnés par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés en raison notamment du poids des syndicats médicaux engagés dans le jeu conventionnel. Elle relève que 1347 omnipraticiens ont facturé plus de 12 000 consultations par an et qu’il y a eu fort peu de sanctions.
M. Claude Bronner. Combien cela fait-il de consultations par jour ?
M. le rapporteur. Cela représente dix-huit heures par jour et par médecin, jours fériés compris.
M. Claude Bronner. Cela existe, monsieur le rapporteur. D’abord, ils ne sont que 1 300 sur 65 000 à être concernés. Ensuite, certains font peut-être n’importe quoi, mais il y a aussi des médecins dont l’activité est très importante. Vous pensez qu’ils ont de nombreux patients parce qu’ils donnent facilement des arrêts de travail. Mais vous vous trompez : les médecins qui travaillent « bien » sont pénalisés par le système de santé et le mode de rémunération en vigueur. Certes, le système donne une prime à celui qui travaille beaucoup, mais ne vous imaginez pas pour autant qu’il y a un seuil d’activité au-delà duquel un médecin n’exerce plus correctement son métier.
Nous en avons longuement discuté entre nous : 12 000 consultations par an représentent bien sûr une activité importante, mais c’est faisable. Personnellement, je n’ai pas envie d’assurer cinquante actes par jour, mais cela m’est arrivé dans ma vie professionnelle, par exemple lorsque mon associé était malade. Il ne faut donc pas se focaliser sur ce point. Il faut en revanche réformer le système de rémunération des médecins pour qu’ils n’aient plus intérêt à faire de « l’abattage ».
M. Jean-Paul Hamon. Faire 12 000 actes par an, cela représente quarante actes par jour trois cents jours par an. Ce n’est hélas pas rare chez les médecins généralistes – il y en a même qui travaillent plus. C’est une charge de travail importante. Je le sais pour le faire régulièrement moi-même. Mais pour peu que l’on soit correctement organisé, c’est faisable. Cela n’a donc rien de scandaleux. Certains psychanalystes gardent leurs patients dix minutes, et le prix de la consultation est bien plus élevé !
Je reviens sur l’ordonnancier bizone. Les caisses ont parfaitement les moyens d’identifier ce qui est à 100 % et ce qui ne l’est pas, mais elles préfèrent continuer à mettre la pression sur les médecins généralistes. Ce sont eux qui sont contrôlés dans ce domaine. Les caisses pratiquent une véritable gestion par le stress. Le taux de suicides chez les médecins est de deux à quatre fois plus élevé qu’à France Télécom, mais jamais la moindre sanction n’a été prise. Un généraliste de l’Yonne s’est suicidé il y a moins d’un mois : personne n’en a parlé !
M. Michel Combier. Je constate que les minorités sont plus facilement entendues que la majorité : les représentants de la Fédération des médecins de France, venus en nombre, s’expriment longuement, alors qu’ils sont arrivés derniers aux élections professionnelles…
Il m’arrive occasionnellement de me référer à l’historique des remboursements. Je puis vous dire que jamais aucun patient de passage ne m’a menti. De grâce, n’accréditons pas l’idée que tout patient est un fraudeur en puissance, ou que les médecins seraient tous opprimés !
Quant aux arrêts de travail, ils font l’objet d’une surveillance : ils font maintenant mention du diagnostic. Vous évoquez la fonction publique : reconnaissons que le système de paiement immédiat des indemnités journalières encourage les arrêts de travail. En revanche, la caissière de Carrefour, qui a absolument besoin de travailler, refusera le plus souvent d’être arrêtée, quitte à revenir nous voir le lendemain si elle a présumé de ses forces.
Je ne partage pas votre opinion sur les médecins qui assurent un grand nombre d’actes : si je me réfère à ma propre caisse, la proportion d’arrêts de travail chez la clientèle des médecins qui travaillent beaucoup est la même que chez celle des médecins qui travaillent peu.
Le dossier médical personnel ne doit pas être un outil de contrôle en tant que tel. Mieux vaudrait d’ailleurs qu’il soit facultatif et qu’on soit sûr que le patient joue le jeu de la transparence avec les médecins.
Venons-en à l’affaire du Subutex, et plus précisément au cas de Toulouse. Je ne suis pas du tout d’accord avec le docteur Djamel Dib – qui n’est pas de Toulouse, mais du Gers. Il existe indéniablement des problèmes à Toulouse avec le Subutex. J’ai constaté de visu qu’il y avait des distributions de Subutex place Wilson ou sous les arcades. Tout au moins l’affaire aura-t-elle permis à un certain nombre de médecins de prendre conscience des problèmes que pose la substitution. La politique qui a été mise en place explique peut-être qu’il y ait eu davantage de prises en charge dans la région Midi-Pyrénées que dans les autres : le médecin comme le pharmacien sont sécurisés. Malgré les critiques que l’on a pu entendre, le projet a donc été bien perçu par les médecins toulousains.
Permettez-moi enfin de revenir sur les arrêts de travail, pour dire que l’essentiel des dépenses de l’assurance maladie à ce titre concerne – et c’est heureux, car c’est la vocation même de la sécurité sociale – des arrêts de longue durée pour des maladies graves. Si les arrêts de travail doivent devenir un objet de conflit entre les pouvoirs publics et les médecins, autant nous en libérer. Mais je crains qu’il y ait de gros problèmes sociaux à la clé. Il faut rappeler que l’assurance maladie a obtenu une première diminution des arrêts de travail il y a quatre ou cinq ans en faisant passer un certain nombre d’assurés sociaux qui étaient en arrêt pour longue maladie – et dont il était acquis qu’ils ne reprendraient jamais le travail – sous le régime de l’invalidité. Cette décision qui ne pouvait être prise ni par le médecin ni par le patient a permis d’améliorer les statistiques. Arrêter quelqu’un plus de trente-six mois parce qu’il est atteint d’un cancer ne peut tout de même pas être assimilé à de la fraude !
M. Djamel Dib. Je n’ai parlé que d’un indicateur : les 32 milligrammes de Subutex prescrits. Le taux de progression entre 2006 et 2009 que j’ai indiqué ne concerne donc que cet indicateur.
M. Michel Combier. Maintenant que les médecins savent mieux prendre en charge ce type de patient, ils arrivent à traiter individuellement les deux ou trois cas qui posent problème.
M. Claude Bronner. J’ai de nombreux patients toxicomanes. Ceux qui se font prescrire du Subutex bénéficient la plupart du temps vraiment du traitement. Néanmoins, il existe du mésusage et du trafic. Ceux-ci se font souvent à grande échelle. La seule chose à faire pour améliorer la situation est de renforcer la collaboration entre médecins prescripteurs et contrôle médical. Pour ma part, je demande à ceux de mes patients qui sont concernés leur accord pour me faire communiquer par le médecin conseil leurs consommations des six derniers mois. Ce dernier a compris l’intérêt de la démarche et s’efforce de me répondre dans des délais raisonnables, mais ce n’est pas le cas de tous ses collègues.
Pour continuer à lutter contre la fraude, il va donc bien falloir formaliser les droits et les devoirs respectifs des médecins prescripteurs et du contrôle. C’est somme toute relativement simple. Nous parlons ici du Subutex, mais le même raisonnement peut être tenu pour certains somnifères. Les caisses mettent souvent du temps à détecter les gros consommateurs. Par conséquent, il faut, d’une part, repérer les patients concernés, et, d’autre part, mettre en place un système d’encadrement assorti de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de la carte Vitale – chose impensable aujourd’hui – pour ceux qui ne respectent pas les règles. Rappelons que les cartes Vitale sont aujourd’hui utilisables sans limite de temps. Pour réformer vraiment le système, il faudrait un système de péremption. Cela prendrait du temps, mais c’est indispensable. On n’ose pas aller jusque-là, mais je ne vois pas en quoi cela serait plus complexe que pour les cartes bancaires !
Nous avons perdu du temps avec la nouveauté de la photo, qui a des effets pervers : on allonge considérablement les délais d’obtention de la carte, si bien que nous avons davantage de patients qui en sont dépourvus. Prenez donc en compte ces aspects techniques avant de voter des lois !
M. Michel Combier. Étant parti en vacances il y a peu, j’ai appris que la caisse d’assurance maladie avait appelé mon associé pour signaler un patient venu se faire prescrire du Subutex. Elle peut donc faire preuve de réactivité, ce qui ne me paraît pas illégitime de la part du financeur.
M. François Wilthien. J’exerce en Seine-Saint-Denis et siège également à la commission paritaire locale de la sécurité sociale. J’attire votre attention sur l’impact sociologique des décisions prises en matière de politique sanitaire et sociale. Il y a deux ans, on s’attendait à une augmentation des arrêts de travail après la crise économique ; or, cela ne s’est pas produit. En revanche, cette année, leur nombre a explosé dans mon département.
Par ailleurs, le travail sur la toxicomanie que nous avons conduit il y a quelques années nous a montré que les prescriptions de Subutex et autres contribuaient à préserver un équilibre instable qui pouvait facilement voler en éclats. Je ne prétends pas qu’il ne faut pas lutter contre les trafics, mais je dis que dans les cités, où la précarité est palpable, on n’exerce pas nécessairement son métier de la même façon qu’ailleurs. Il y a des débords statistiques qui s’expliquent très facilement par des données sociologiques.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas : êtes-vous en train de nous dire qu’il vaudrait mieux continuer à autoriser les trafics de Subutex en Seine-Saint-Denis pour éviter une explosion sociale ?
M. François Wilthien. Je me suis mal exprimé. Nous nous sommes rendu compte il y a quelques années que les réseaux de trafiquants de Subutex en Seine-Saint-Denis étaient fragiles, mais importants – puisqu’une bonne partie des toxicomanes suivis dans les services hospitaliers parisiens venaient se fournir dans notre département.
M. le rapporteur. Il y avait donc un vaste trafic de Subutex.
M. François Wilthien. La caisse dispose de tous les éléments à ce sujet. Mais je le répète, la pratique professionnelle dans ces quartiers difficiles n’a rien à voir avec ce qu’elle peut être ailleurs.
M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie, messieurs, de nous avoir répondu de façon sincère et exhaustive. Nous souhaitions connaître votre analyse, mais aussi vos préconisations pratiques concernant les mesures législatives et réglementaires qui pourraient être prises, propositions que nous sommes prêts à relayer. J’ai tenu à rappeler en préambule quelle était la philosophie de nos travaux : il ne s’agit pas pour nous de nous ériger en tribunal, mais de recueillir votre sentiment sur le phénomène de la fraude et sur la manière d’en réduire l’impact.
La fraude sociale est un phénomène que nous commençons tout juste à appréhender en France – il y a une demi-douzaine d’années à peine, il était encore nié. Je me suis personnellement investi dans cette démarche à travers la promotion de l’interconnexion des fichiers des divers systèmes assurantiels. Mais, alors que les dispositions législatives datent de 2006, les décrets d’application n’ont été publiés qu’à la fin de l’année dernière… Cela vous donne une idée des barrières culturelles auxquelles nous nous heurtons !
N’hésitez pas à nous contacter pour nous faire part de vos remarques sur l’efficience du dispositif qui commence tout juste à être mis en œuvre. Vous qui êtes des acteurs de notre système de santé, vous serez sans doute à même de nous dire s’il a permis d’infléchir les comportements de fraude.
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AUDITIONS DU 27 JANVIER 2011
Audition de Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, de M. Franck Gambelli, représentant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, Mme Émilie Martinez, chargée de mission sur le recouvrement des charges sociales à la direction de la protection sociale, de Mme Miriana Clerc, chargée de mission à la direction des affaires publiques, et de M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA) et Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement.
Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME). Nous sommes effectivement préoccupés par la fraude, qui crée une distorsion de concurrence entre les entreprises et affecte les comptes de la protection sociale. Il convient de la détecter et de la sanctionner, et nous sommes très vigilants à cet égard. Pour ma part, je traiterai plutôt du volet « prestations ».
Il nous semble important de poursuivre le travail de constitution des fichiers, notamment du Répertoire national commun de protection sociale, et de développer le croisement de données. C’est une question d’actualité puisqu’à l’occasion du débat lancé en début de semaine à propos du bilan de la lutte contre la fraude aux prestations sociales dressé par la Cour des comptes, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a préconisé le croisement des données relatives aux enfants scolarisés. Faute de fichier national des élèves, nous ne connaissons pas suffisamment le nombre d’enfants et d’adolescents en « décrochage scolaire » ni celui des enfants qui ne séjournent plus en France. C’est donc une voie à explorer. Dans la même optique, nous approuvons l’idée d’un croisement entre les fichiers relatifs au logement et celui de l’aide au logement : ce travail, programmé, devrait être accéléré afin de vérifier la réalité des baux.
Plus largement, pour l’ensemble des branches du régime général de sécurité sociale, il serait hautement souhaitable, comme le demande la Cour des comptes, de donner très rapidement une réalité au croisement envisagé depuis plus de dix ans entre les données du ministère de l’intérieur et celles des organismes de sécurité sociale, pour la vérification des identités. Le fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) du ministère de l’intérieur, qui centralise les données sur l’identité et la régularité du séjour des étrangers, pourrait être consulté par les caisses, par une voie intranet sécurisée, en cas de présomption de fraude à l’identité ou d’irrégularité du séjour. En cas d’absence dans le fichier, le demandeur devrait se rapprocher des services préfectoraux pour établir son droit éventuel.
En aucun cas, la constitution et le croisement de fichiers ne doivent être considérés comme une délation ni comme une mise en cause d’un individu. D’ailleurs, il conviendrait de distinguer entre la fraude intentionnelle et la fraude non intentionnelle, à l’égard de laquelle une attitude plus conciliante s’impose.
Au-delà de ce travail, il faudrait s’intéresser aux moyens humains consacrés à la lutte contre la fraude. Le rapport de la Cour des comptes constate en effet que nombre d’informations pertinentes sur les fraudes ou sur le risque de fraudes restent sans suite faute de moyens humains et d’une impulsion nationale suffisante.
La Caisse nationale des allocations familiales s’est engagée avec détermination dans cette action : 11 733 fraudes ont été détectées en 2009, contre 1 650 en 2004, pour un montant recouvré de 85,6 millions, contre 21,5 millions en 2004. Ses services ont répondu à 40 millions d’appels téléphoniques et à 67 millions de courriers, pour 72 milliards d’euros distribués. Mais elle ne dispose que de 629 contrôleurs. On voit bien que cet effectif est probablement insuffisant, et que le porter à un niveau un peu plus pertinent améliorerait le dépistage de la fraude.
Quant à l’impulsion nationale, elle pourrait venir de la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes, constituée en 2008. La présentation d’un plan annuel détaillé de lutte contre les fraudes, tel que préconisé par la Cour des comptes dans son bilan, s’imposerait également.
M. Franck Gambelli, représentant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) partage le souci de voir amplifiée la lutte contre la fraude sociale, qui compromet la pérennité du système de protection sociale français. C’est un enjeu majeur du point de vue macroéconomique comme du point de vue éthique. La fraude sociale pénalise les salariés qui en sont victimes et constitue une inacceptable distorsion de compétition interne et un acte de concurrence déloyale entre entreprises nationales.
Notre première préoccupation concerne les dispositifs imposés aux entreprises pour limiter les fraudes. Je pense notamment aux règles relatives aux sous-traitants. Malgré les progrès apportés ces dernières années par les lois de financement de la sécurité sociale, ces dispositifs mériteraient d’être simplifiés : deux ou trois clics de souris devraient suffire. Songez que, dans une même branche industrielle, il arrive qu’il y ait six à sept rangs de sous-traitance !
Notre seconde préoccupation, qui est sans doute partagée par nos collègues des syndicats de salariés, concerne les systèmes complémentaires, ceux que nous mettons en place ensemble pour compléter les indemnisations de la sécurité sociale et qui, par ricochet, sont eux aussi affectés par les fraudes. Mais bien sûr, il faut savoir reconnaître la vraie fraude, laquelle suppose l’intention de frauder. Si l’on applique des critères un peu trop stricts, certaines situations pourraient, en effet, apparaître, à tort, comme relevant de la fraude.
M. le coprésident Jean Mallot. Qu’entendez-vous par « systèmes complémentaires » ?
M. Franck Gambelli. Les régimes complémentaires d’assurance maladie ou de retraite gérés par l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC) et l’Association générale des institutions de retraite des cadres (ARRCO).
M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Mon intervention portera plutôt sur la fraude aux prélèvements.
Comme le Mouvement des entreprises de France et la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, l’Union professionnelle artisanale considère qu’il faut lutter contre la fraude sociale qui génère de la concurrence déloyale. Pour autant, il faut avoir une double démarche : la répression, indispensable, ne doit pas faire oublier la nécessité de la prévention et de l’accompagnement, en particulier auprès des très petites entreprises. Si on les néglige, on risque d’aboutir à des confusions elles-mêmes génératrices de fraudes.
Ainsi, les organismes de sécurité sociale, notamment ceux qui ont en charge le recouvrement, ont mis en place des dispositifs pour accompagner les entreprises. Par exemple, depuis 2002-2003, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) n’engagent plus immédiatement de procédure à l’encontre des travailleurs indépendants qui n’auraient pas payé leurs cotisations personnelles de sécurité sociale ; elles commencent par leur téléphoner. Cette procédure – imaginée il y a quelques années par la Caisse nationale de compensation d’assurances vieillesse des artisans (CANCAVA), une caisse qui n’existe plus – a eu un grand succès. Pris par leur activité, de nombreux travailleurs indépendants oubliaient tout simplement de payer. Bien loin de les inciter, comme certains le craignaient, à attendre ce rappel à l’ordre pour verser leur dû, le fait de les appeler a largement réduit les contentieux, qui sont très coûteux, et a permis d’améliorer le recouvrement. J’ai donné cet exemple, mais on pourrait en donner d’autres. Nous devons donc faire en sorte que, malgré les exigences de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les équipes chargées du recouvrement aient la taille suffisante pour répondre à ce besoin d’accompagnement.
L’accompagnement et la prévention ont un rôle pédagogique. Ils permettent d’expliquer à quoi servent les prélèvements, mais aussi d’aborder le sujet de la fraude. En 2009, une campagne de communication sur la fraude fiscale et sociale a été lancée. Le ministre de l’époque avait en effet considéré qu’il fallait, pour obtenir des résultats durables, beaucoup plus communiquer sur le sujet. Cela suppose un effort soutenu.
Il faut également, pour être efficace, associer tous les acteurs concernés, en particulier les organisations professionnelles. Or celles-ci ont été écartées, ces derniers temps, des nouveaux comités départementaux de lutte contre la fraude (CODAF). Il s’agit pourtant d’une entreprise citoyenne à laquelle nous sommes tous prêts à participer.
Il faut enfin réduire la complexité des réglementations, qui est une source d’anomalies et d’erreurs, lesquelles ne relèvent pas nécessairement de la fraude. J’en veux pour preuve qu’un tiers des montants issus des redressements effectués par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales est reversé aux entreprises. Pour autant, je vous mets en garde : à trop simplifier, on risque de favoriser la fraude. Je pense en particulier au régime de l’auto-entrepreneur…
M. Dominique Tian, rapporteur. S’agissant de la fraude aux prélèvements, je souhaiterais qu’on évoque le travail dissimulé qui entraîne, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, un manque à gagner de 9 à 15 milliards d’euros par an. C’est une source de distorsion de concurrence évidente, mais aussi une source de précarité pour les travailleurs. Nous avons récemment durci la législation le concernant. Ces dispositions sont-elles suffisantes et les moyens consacrés à leur application donnent-ils ou non des résultats convaincants ?
Quant au statut de l’auto-entrepreneur, évoqué à l’instant par M. Pierre Burban, avez-vous le sentiment que les limitations que nous y avons apportées aient amélioré la situation ?
M. Pierre Burban. Il est vrai que l’on a apporté ces derniers mois au régime de l’auto-entrepreneur, non pas des limitations, mais un encadrement un peu plus important, ce que nous souhaitions. Pour autant, les éléments dont nous disposons montrent que le dispositif a été source de dérives.
La fraude est d’abord un problème de comportement et de culture : en France, des figures telles que Jacquou le croquant sont plutôt valorisées ! D’ailleurs, le Conseil des prélèvements obligatoires relève que de tous les délinquants, celui qui fraude le fisc ou la sécurité sociale est certainement celui qui bénéficie de la plus grande mansuétude de la part du grand public. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de campagnes de communication régulièrement renouvelées.
Ensuite, on a laissé penser que le statut de l’auto-entrepreneur permettait de faire tout et n’importe quoi. Les rares contrôles ont montré que les auto-entrepreneurs s’arrangeaient pour ne pas dépasser les seuils. Nous nous félicitons donc que, dans le plan de lutte contre les fraudes annoncées par le ministre du budget, figure un volet dédié à ce régime.
Loin de moi l’idée de vouloir tuer ce statut ou tuer l’initiative. Mais il se trouve que, sur le terrain, les artisans vivent la présence des auto-entrepreneurs comme une concurrence déloyale. Il faut donc que nous travaillions collectivement à ce que ce régime soit utilisé à bon escient, en endiguant les dérives.
M. le coprésident Jean Mallot. L’objectif était de permettre la régularisation du travail illégal. On peut néanmoins s’interroger sur le rapport coût-bénéfice du régime de l’auto-entrepreneur. Il est vrai qu’il peut être utilisé de façon frauduleuse – avec une véritable intention de contourner la loi – et je remarque à cet égard que les artisans ne sont pas les seuls à être affectés. Des entreprises de grande taille ou de taille moyenne s’en sont servi pour « externaliser » certains de leurs salariés qui, en adoptant ce régime, devenaient leurs prestataires de service. Je ne connais pas l’ampleur du phénomène qui ne relève pas vraiment de la fraude, mais s’apparente pour le moins à un détournement du dispositif. Qu’en pensez-vous ?
M. Franck Gambelli. Mon expérience vient de l’industrie. Or je ne connais pas beaucoup d’entreprises de ce secteur qui aient installé des salariés comme auto-entrepreneurs, comme cela se fait en Italie. De toute façon, l’arsenal répressif du code du travail – notamment les dispositions réprimant le délit de marchandage – limite ce type de pratiques. L’externalisation, quand elle a lieu, se fait en recourant à une véritable entreprise sous-traitante, et le juge peut requalifier en contrat de travail le contrat de « louage d’ouvrage et d’industrie » passé entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, s’il l’estime nécessaire. Il existe une jurisprudence très claire en la matière.
Mme Geneviève Roy. Je ne pense pas que l’on puisse parler de fraude en la matière. J’y vois plutôt un effet pervers de la création du statut d’auto-entrepreneur, qui s’ajoute au manque à gagner pour les organismes sociaux. Il est clair qu’une entreprise a maintenant le choix entre passer un contrat de travail qui la lie durablement au salarié, s’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, avec toutes les complications que l’on connaît en cas de rupture, et utiliser le statut d’auto-entrepreneur.
M. le coprésident Jean Mallot. Disons, plutôt que fraude, utilisation abusive…
Mme Geneviève Roy. Parler d’utilisation abusive impliquerait une sanction. Or je ne suis pas sûre que le juge pourrait sanctionner le fait qu’une entreprise ait choisi le statut d’auto-entrepreneur pour faire travailler quelqu’un. L’effet pervers n’est pas négligeable mais, pour moi, cela ne relève pas de la fraude.
M. le rapporteur. À ceci près qu’une entreprise pourrait contraindre un salarié à s’installer en tant qu’auto-entrepreneur, pour effectuer à peu près le même travail pour ne pas avoir à payer de charges sociales. Le statut de salarié s’en trouve fragilisé. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) se penche d’ailleurs sur le sujet.
Il nous faut appliquer un texte destiné à développer l’esprit d’entreprise mais, dans certains cas, notamment lorsque l’auto-entrepreneur est un ancien salarié, il peut y avoir un lien de subordination évident.
Mme Geneviève Roy. Parmi les auto-entrepreneurs, il y a aussi des fonctionnaires qui trouvent là un complément de revenus. La situation est très complexe. Au-delà même de la concurrence que certains peuvent ressentir comme déloyale, c’est toute la question de la « philosophie » du statut d’auto-entrepreneur qui est posée.
M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises. Avec le recul dont nous disposons maintenant, on s’aperçoit que la situation des auto-entrepreneurs est extrêmement diverse. Comme vient de le remarquer Mme Geneviève Roy, tous n’interviennent pas dans un champ concurrentiel et leur nombre est extrêmement important. Il faudrait peut-être affiner nos analyses les concernant.
M. Pierre Burban. Leur nombre est important, mais pas leur chiffre d’affaires. D’ailleurs, moins de 40 % d’entre eux en déclarent un.
M. le coprésident Jean Mallot. Dans ce cas, pourquoi se sont-ils installés comme auto-entrepreneurs ?
M. Pierre Burban. Le problème est qu’on a laissé penser que l’on pouvait faire n’importe quoi, alors que ce n’est pas le cas. Mais nous ne vous demandons pas d’arsenal juridique supplémentaire pour éviter les dérives, puisque les textes existent pour les contrer. En particulier, le juge peut requalifier la relation de travail lorsque l’entreprise utilise en fait l’auto-entrepreneur comme un salarié. Cela s’est déjà produit à Paris, et l’entreprise concernée a tout de suite réintégré l’intéressé comme salarié. Encore faut-il qu’il y ait des contrôles. Or, au début, il n’y en a pas eu, ce qui a été encore plus mal vécu par certains artisans.
M. François Baroin, ministre du budget, a annoncé qu’on procéderait à des contrôles. Ils seraient tout à fait normaux mais il faudrait aussi faire de la pédagogie. Nous pourrions nous-mêmes conseiller nos adhérents tentés de travailler avec des auto-entrepreneurs. Ils doivent savoir par exemple que le droit du travail est très clair : un auto-entrepreneur travaillant à 100 % pour un seul donneur d’ordre est considéré comme étant un salarié.
Mme Geneviève Roy. Pour en revenir au travail dissimulé, cette notion recouvre des situations totalement différentes : celle de l’entrepreneur qui ne déclare pas l’embauche d’un salarié qu’il paie en dessous du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ; celle de l’employeur qui ne déclare pas l’intégralité des heures supplémentaires ou qui les paie sous forme de primes, etc. La première constitue une terrible distorsion de concurrence, justifiant une sanction et un renforcement des contrôles.
Je remarque tout de même que l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales visite les entreprises à peu près tous les cinq ans. Comme le contrôle porte sur les trois années précédentes et l’année en cours, toutes les années sont quasiment contrôlées. De plus, les sommes dues sont recouvrées à 95 %, sachant que, pour un tiers, il y a ensuite remboursement, comme l’a rappelé M. Gambelli qui a raison d’appeler à une simplification des règles. Celles-ci sont si complexes que, pour ne pas s’exposer à un redressement, les entreprises ont tendance à payer plus qu’elles ne doivent et à attendre le contrôle pour obtenir le remboursement.
M. Georges Tissié. Il faut en effet mettre au point un système de contrôle et de sanctions qui soit à peu près compréhensible pour la majorité des entreprises. L’arsenal juridique, tel que complété par les dispositions qui figurent dans le projet présenté par M. Eric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, devrait être considérable, même si tout dépendra ensuite de son application concrète.
Mme Geneviève Roy. Ce projet de loi va jusqu’à prévoir la fermeture de l’entreprise.
M. le rapporteur. On reproche aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de contrôler surtout ce qui est « visible », et d’oublier ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire le travail illégal, plus compliqué à dépister. Avez-vous l’impression que les pouvoirs publics font leur travail contre le travail illégal ?
M. Franck Gambelli. Nous avons le sentiment qu’il y a des progrès. Les pouvoirs publics ont renforcé leur politique de contrôle, ce qui donne paradoxalement l’impression d’une amplification du travail au noir : les redressements ont atteint 130 millions en 2009, soit 20 % de plus que l’année précédente. En fait, c’est simplement qu’on appréhende mieux le phénomène.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu une procédure qui impose aux donneurs d’ordre d’obtenir la preuve du paiement des cotisations sociales par les sous-traitants. Je ne connais pas exactement les modalités techniques de cette mesure, mais il faudrait que le donneur d’ordre n’ait qu’une seule démarche à faire pour obtenir la certitude de la déclaration et la certitude du paiement. La Sécurité sociale ne pourrait-elle mettre à sa disposition une information consolidée pour éviter la multiplication des demandes de certificats ? Quand une entreprise a recours à de nombreux sous-traitants, rassembler tous ces certificats peut prendre du temps. Or, on peut comprendre que le sous-traitant aussi ait besoin d’un certificat de paiement pour s’adresser à ses différents clients. Ces éléments pratiques peuvent singulièrement augmenter l’efficacité de la lutte contre la fraude.
M. le coprésident Jean Mallot. Mme Geneviève Roy a regretté l’insuffisance des moyens humains, en particulier celle du nombre des contrôleurs de la Caisse nationale des allocations familiales. De la même façon, considérez-vous que les effectifs de l’inspection du travail sont insuffisants ? Si oui, seriez-vous d’accord pour que nous préconisions de les accroître ?
M. Franck Gambelli. Comme mes collègues de l’Union professionnelle artisanale, nous ne pouvons que soutenir une optimisation des moyens de la puissance publique, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Les moyens de l’inspection du travail étant limités, la lutte contre le travail dissimulé ne peut pas reposer sur elle seule. Il faut favoriser des synergies et une approche croisée des différents acteurs : services fiscaux, Sécurité sociale, régimes complémentaires, entreprises, etc. Cette approche ne peut qu’aider à mieux cerner la réalité du travail dissimulé.
M. le coprésident Jean Mallot. Depuis 2007, les heures supplémentaires sont exonérées de cotisations sociales et défiscalisées. Il ressort d’études que leur augmentation peut s’expliquer par le fait que certaines heures sont maintenant déclarées en heures supplémentaires, alors qu’auparavant elles ne l’étaient pas. On ne peut pas parler de fraude, mais au moins d’une optimisation, au détriment des finances publiques. Qu’en pensez-vous ?
Mme Geneviève Roy. La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA » ne concerne pas que les heures supplémentaires au-delà de la durée légale, mais aussi les heures supplémentaires allant de la durée légale à la durée conventionnelle. La durée conventionnelle du travail dans certaines branches est de 39 heures. Ces heures ont toujours été déclarées mais, maintenant, elles sont bien répertoriées comme heures supplémentaires par rapport à la durée légale et sont donc défiscalisées. Je ne connais pas la répartition entre ces heures et les heures considérées comme supplémentaires, c’est-à-dire dépassant la durée conventionnelle. Quoi qu’il en soit, c’est plutôt un avantage pour le salarié.
M. le coprésident Jean Mallot. Pour les entreprises aussi !
Mme Geneviève Roy. L’avantage est plus important pour les salariés, qui bénéficient d’une exonération totale, alors que les entreprises ne bénéficient que d’une déduction forfaitaire.
Mme Émilie Martinez, chargée de mission senior « recouvrement des charges sociales » à la direction de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France. En outre, depuis la loi du 21 août 2007, les heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés sont payées 125 %, et non plus 110 %.
M. le coprésident Jean Mallot. Sauf que l’exonération des charges patronales est plus importante pour les petites entreprises que pour les grandes.
M. Pierre Burban. Les partenaires sociaux sont gestionnaires de chaque union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et souhaitent le rester. Mais il convient d’agir avec discernement. Voilà pourquoi nous sommes très attachés aux dispositifs de prévention et aux commissions de recours amiable. Nous espérons qu’un dispositif de proximité sera maintenu après la régionalisation des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.
Quoi qu’il en soit, je tiens à faire remarquer que les dernières conventions d’objectifs et de gestion qui ont été signées entre l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et l’État ont porté sur le renforcement du contrôle. C’est même le seul secteur qui n’ait pas été touché par les réductions d’effectifs auxquelles les branches ont procédé. Ainsi des postes de contrôleurs ont été créés alors qu’il n’y avait auparavant que des inspecteurs. Ces contrôleurs ont précisément été chargés d’aller regarder du côté de ce que l’on ne voit pas habituellement. Une telle tâche nécessite obligatoirement un partenariat entre l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, l’inspection du travail, la gendarmerie et la police. Des efforts importants ont été faits pour renforcer leurs relations.
M. le rapporteur. De fait, la partie « invisible » du travail au noir semble insuffisamment sanctionnée. Mais nous irons vérifier sur place.
Vous occupez des fonctions au sein des conseils d’administration des organismes sociaux, notamment de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic). Je vous avais d’ailleurs rencontrés à ce titre lorsque nous avions engagé la lutte contre les « kits ASSEDIC » (associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce). Avez-vous une influence sur la politique de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, et donc de Pôle emploi, en matière de fraudes ?
Par ailleurs, depuis deux jours, un sujet occupe les médias. Que Choisir, France Soir et TF1 se sont fait l’écho d’une enquête menée sur les arrêts de travail. On peut consulter un médecin pour un simple mal de gorge et obtenir presque automatiquement un arrêt maladie. N’avez-vous pas vous-mêmes une part de responsabilité dans cet abus, en tant que gestionnaires des organismes sociaux ? Les organismes eux-mêmes sont-ils suffisamment motivés pour lutter contre le phénomène ?
M. Georges Tissié. La situation de l’assurance chômage est particulière. Comme le rappelle la Cour des comptes, Pôle emploi et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales sont maintenant en première ligne. On ne peut donc plus parler de la responsabilité de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce qui garde malgré tout, dans le cadre de la convention tripartite, un pouvoir d’orientation en matière de contrôle – pouvoir que nous entendons bien exercer !
Je sais, par expérience, que les fichiers et les croisements de fichiers sont essentiels. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, aucun croisement de fichiers n’était effectué par exemple entre les différentes associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, ou entre les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce et l’intérim.
M. le rapporteur. Que faisait le monde patronal à cette époque ?
M. Georges Tissié. Précisément, on a depuis assisté à une petite révolution culturelle, à laquelle les gestionnaires représentant les organisations de salariés ont d’ailleurs beaucoup œuvré. Quoi qu’il en soit, les résultats sont là : la constitution et le croisement de fichiers constituent l’arme absolue.
S’agissant de l’assurance-chômage, le directeur de Pôle emploi, M. Christian Charpy, a annoncé que des efforts seraient faits et qu’il disposerait bientôt de 130 contrôleurs. Mais c’est un nombre ridicule au regard des personnes à contrôler ! Il faut absolument renforcer les moyens humains du contrôle, comme le remarquait Mme Geneviève Roy pour la Caisse nationale des allocations familiales.
Mme Geneviève Roy. Je ne suis pas sûre que l’article de France Soir sur les arrêts maladie ait grandi la presse, la journaliste concernée ayant « piégé » des médecins par des mensonges. Reste que les arrêts maladie ont deux effets négatifs. En premier lieu, ils désorganisent l’entreprise, perturbent la gestion du personnel, retardent la livraison des commandes et se traduisent par une perte de chiffre d’affaires à une époque où les chefs d’entreprise cherchent désespérément à maintenir leur part de marché. En second lieu, ils génèrent des indemnités journalières et contribuent à l’augmentation des déficits, ce qui incite aux déremboursements. Il faudrait donc faire en sorte que chaque citoyen prenne conscience de sa responsabilité lorsqu’il abuse de ces arrêts maladie, et comprenne qu’un tel comportement peut se retourner contre lui.
Il faut le rappeler : il y a quelques années, un chef d’entreprise qui soupçonnait un arrêt de complaisance se faisait éconduire quand il appelait pour demander un contrôle : car c’était considéré comme de la délation ! Aujourd’hui, les attitudes ont heureusement changé et l’on a admis que ces contrôles, confiés pour certains à des officines privées, étaient le moyen de protéger les salariés de bonne foi.
M. le coprésident Jean Mallot. Des officines privées ? Quel est leur statut ?
Mme Geneviève Roy. Le dispositif est très encadré. Il s’agit d’entreprises privées qui, à l’appel des chefs d’entreprise, envoient un médecin contrôleur.
M. le rapporteur. Ces contrôles sont-ils suivis d’effets, c’est-à-dire de mesures adéquates de la part de la sécurité sociale ?
M. Georges Tissié. Après 2005, le nombre d’arrêts maladie a diminué, ainsi que celui des indemnités journalières. Depuis trois ans, tous deux remontent. Les explications que l’on nous donne – comme par exemple le stress dû à la crise – sont discutables. Selon moi, abstraction faite de l’insuffisance des moyens de contrôle de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la première est dans le comportement des médecins qui prescrivent des arrêts de travail sans fondement.
En outre, comme l’a remarqué la Cour des comptes dans son rapport, les sanctions prononcées en cas de fraude sont absolument dérisoires, même lorsqu’elles viennent de l’ordre. On ne peut pas continuer ainsi, d’autant que l’on dispose maintenant des moyens techniques d’établir les profils des médecins. On peut s’apercevoir, par exemple, que moins de 10 % d’entre eux sont à l’origine de plus de la moitié des prescriptions. Ce qui manque, c’est la sanction et l’application de la sanction.
M. le coprésident Jean Mallot. Si les arrêts de travail sont contrôlés par une entreprise privée, sur quels textes appuyer les sanctions prononcées ? D’ailleurs, sur quelle base juridique s’appuie le contrôle d’une entreprise privée ?
Mme Émilie Martinez. Ce genre de contrôle s’appuie sur les dispositifs adoptés dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, qui a généralisé la possibilité de contre-visites patronales.
M. le rapporteur. Sont-elles suivies d’effet ?
Mme Émilie Martinez. Normalement, la caisse devrait automatiquement demander à l’assuré le reversement intégral des sommes indûment perçues.
M. le rapporteur. Pourquoi les indemnités journalières explosent-elles ?
M. Georges Tissié. Parce qu’il y a trop d’arrêts de travail, du fait d’une minorité de médecins.
M. le rapporteur. J’ai l’impression que les députés font plutôt bien leur travail, notamment en renforçant les possibilités de contre-visite. Pourtant, je le répète, on assiste à une explosion des indemnités journalières. Alors, que font les patrons ? Quelle influence ont-ils sur la politique des organismes sociaux ? Quelle est la politique de sanctions de la Sécurité sociale et celles-ci servent-elles à quelque chose ?
M. Georges Tissié. Oui, mais il n’y en a pas assez.
M. le rapporteur. Alors, pourquoi une telle explosion ?
M. Georges Tissié. Puisque vous nous interpellez, je vous rappellerai que les employeurs sont minoritaires dans le conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, qui n’est d’ailleurs plus un conseil d’administration, mais un conseil de surveillance. Les vrais responsables appartiennent donc à l’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Ceux-ci nous opposent l’insuffisance des moyens et les réticences du monde médical. Cela nous ramène à ce qui a été dit précédemment : les progrès du contrôle sont réels, la volonté est là, mais des obstacles culturels demeurent ; en France, on a du mal à sanctionner, que ce soient les bénéficiaires des prestations ou les prescripteurs.
M. Pierre Burban. Je suis plutôt optimiste à propos du contrôle des fraudes aux prestations. La situation s’est nettement améliorée. Comme M. Georges Tissié l’a dit, on sait aujourd’hui procéder à des recoupements de fichiers. Les organisations syndicales de salariés ne sont plus aussi réticentes qu’elles l’étaient naguère, pour des raisons culturelles. Les caisses nationales ont engagé un vrai travail en ce domaine, même s’il est évident qu’il y a encore un problème de moyens. Il faudra malgré tout y aller progressivement, car les moyens ne sont pas extensibles et l’attitude du corps médical pose effectivement un réel problème.
M. le coprésident Jean Mallot. Ce n’est pas tout à fait ce que nous a dit le corps médical. Cela ne vous surprendra pas.
M. Pierre Burban. Mais il ne faut évidemment pas porter le même jugement sur l’ensemble des médecins : le problème concerne moins de 10 % des médecins, ce qui signifie que l’immense majorité d’entre eux fait bien son travail.
M. Franck Gambelli. Je préside la plus petite branche de la sécurité sociale, celle des accidents du travail et des maladies professionnelles (ATMP). Celle-ci est administrée paritairement, ce qui signifie que notre politique est absolument partagée entre les employeurs et les salariés.
La non-déclaration d’accident du travail est pénalement réprimée, mais c’est un phénomène marginal, sans doute lié au souci d’économiser sur la cotisation accidents du travail et maladies professionnelles.
M. le coprésident Jean Mallot. Vous dites que c’est un phénomène marginal. L’avez-vous évalué ?
M. Franck Gambelli. Nous disposons d’une jurisprudence et des procès-verbaux dressés pour absence de déclaration. Si celle-ci n’est pas une pratique massive, c’est parce que les entreprises, les petites notamment, n’y ont aucun intérêt, leur cotisation étant quasiment forfaitaire.
Nous sommes en train de démanteler des fraudes organisées aux prestations, du type du « kit ASSEDIC ». À Marseille, par exemple, 165 personnes ont créé de fausses entreprises, imaginé de faux salariés, déclaré de faux accidents du travail, mais bénéficient de vraies prestations. Le procès est en cours. À l’échelle de la branche, ce phénomène est cependant marginal.
Il faut savoir que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a mis au point des programmes nationaux qui visent à peser sur le comportement des médecins-conseils de la sécurité sociale et définissent avec précision le travail, lourd et difficile, des caisses primaires. Celles-ci constituent le premier filtre du contrôle. C’est grâce à elles que la fraude peut être éradiquée à la source.
Il conviendrait d’améliorer les procédures juridiques, car nous sommes là dans un droit très procédurier. Nous l’avons fait en 2009 pour les accidents du travail et maladies professionnelles. Il conviendrait aussi de croiser les fichiers internes à la sécurité sociale. Si étrange que cela paraisse, les dispositifs informatiques des branches Vieillesse et Maladie ne communiquent pas entre eux toujours de manière fluide.
L’informatisation et la modernisation interne de la Sécurité sociale sont absolument décisives. Le travail accompli n’est pas très visible de l’extérieur, mais je pense qu’il serait intéressant d’interroger M. Frédéric van Roekeghem et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) à ce propos.
M. le rapporteur. Selon la Cour des comptes, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ne manifesterait pas une grande volonté de renforcer l’action des caisses départementales. La situation ne serait donc pas aussi satisfaisante que vous nous le dites.
M. Franck Gambelli. Je ne parle que de la branche que je connais.
M. le rapporteur. Le Mouvement des entreprises de France est représenté au niveau le plus important des caisses de sécurité sociale, pas uniquement au sein de la seule branche Accidents du travail.
Pourrait-on revenir sur l’affaire qui se déroule dans une grande ville du sud de la France ?
M. Franck Gambelli. Comme elle est en cours d’instruction, il faut être prudent. D’après le directeur des risques professionnels, il s’agit d’une escroquerie consistant à monter des dossiers de victimes de l’amiante sur la base de faux documents. Une telle affaire doit ressembler à celle des « kits ASSEDIC » que vous mentionniez tout à l’heure : avant que la Sécurité sociale ne prenne conscience d’avoir affaire à des fictions, il s’est écoulé un certain temps. Cela montre l’importance de bien croiser l’ensemble des informations venant d’autres administrations.
M. le rapporteur. Les fausses reconstitutions de carrière concernaient plusieurs milliers de personnes. En tant que membres du conseil d’administration, avez-vous, dès le début, attiré l’attention sur les risques que comportent les déclarations sur l’honneur ? A-t-il fallu que cette importante escroquerie soit révélée pour que les organisations patronales s’en inquiètent ?
M. Pierre Burban. Vous laissez à penser que nous serions laxistes. Je peux témoigner que ce n’est pas le cas, s’agissant de l’ensemble de l’action de nos organisations en matière de recouvrement. De la même manière, nous avons été très vigilants s’agissant des reconstitutions de carrière. D’ailleurs – mais peut-être suis-je un incorrigible optimiste –, je pense que nos systèmes de détection et de contrôle sont bien meilleurs qu’auparavant. Par exemple, en matière de fraude au recouvrement, nous disposons aujourd’hui d’indicateurs fiables. Le travail effectué sur les reconstitutions de carrière a permis de redresser des situations anormales.
M. Georges Tissié. Il faut mettre en exergue le fait que certaines prestations font l’objet d’un taux de fraude très élevé. Même avec davantage de moyens et d’instruments techniques, on ne peut agir tous azimuts. Il faudrait donc que la mission de contrôle se concentre sur ces prestations : les aides au logement, le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation de parent isolé (API).
M. le rapporteur. Nous en sommes tout à fait conscients : il y a quelques années, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait soulevé ce problème de fraudes à l’allocation de parent isolé, et la Cour des comptes vient de renouveler le constat. Le législateur a-t-il bien fait son travail ? Nous avons indiqué qu’il était absurde de prévenir les bénéficiaires d’une visite à leur domicile, par lettre, quelques jours à l’avance. Faut-il aller plus loin et croiser les fichiers ? En l’occurrence, je ne vois pas lesquels. Le mieux serait de faire des visites de façon aléatoire, ce qui est plus une question de volonté que de moyens.
Sur les reconstitutions de carrières longues, vous êtes très optimiste, monsieur Pierre Burban. La Cour des comptes l’est un peu moins puisqu’elle évoque 10 000 cas de fraude, pour un coût de 45 millions d’euros. Heureusement que le système était contrôlé ! Le problème venait essentiellement de la déclaration sur l’honneur. Un certain nombre de salariés des caisses d’allocations familiales et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ont été révoqués pour avoir été mêlés à une fraude organisée, car on était là bien au-delà de la simple négligence ou des effets d’une impréparation.
M. Pierre Burban. Vous venez de dire que des sanctions ont été prises. Mais dans toute organisation humaine, il peut malheureusement y avoir des gens malintentionnés. L’important est de prendre des mesures pour endiguer les dérives. En l’occurrence, cela a été fait et les conseils d’administration des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ont assumé leurs responsabilités.
M. le coprésident Jean Mallot. J’aimerais que l’on aborde la question des fraudes à l’identité commises à partir de la carte Vitale. Personnellement, je suis très réservé sur l’utilité d’apposer sur celle-ci une photographie. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous d’autres suggestions ?
M. le rapporteur. Convient-il de rendre le dossier médical personnel (DMP) obligatoire ? Nous avons rencontré la semaine dernière des médecins qui y étaient défavorables mais d’aucuns pensent qu’un dossier médical personnel qui ne serait pas obligatoire ne servirait pas à grand-chose.
Mme Geneviève Roy. Nous sommes plutôt favorables au dossier médical personnel obligatoire et à la photographie sur la carte Vitale. Je ne comprends pas votre réticence sur ce dernier point, monsieur Jean Mallot.
M. le coprésident Jean Mallot. Je suis défavorable à cette photographie dans la mesure où personne ne contrôle l’identité du porteur de la carte. Jusqu’à preuve du contraire, aucun médecin ni aucun pharmacien n’est officier de police judiciaire. Par ailleurs, le bénéfice que son apposition a pu entraîner en termes de réduction de la fraude est loin de compenser le coût de la mesure !
Quoi qu’il en soit, il faut distinguer l’utilisation éventuellement abusive d’une carte Vitale de la question du dossier médical personnel, dont l’objet premier est d’améliorer les soins prodigués au patient. Le dossier médical personnel peut conduire à des économies en évitant la répétition inutile d’examens, mais ce ne peut pas être un instrument de lutte contre la fraude. En revanche, l’utilisation abusive d’une carte Vitale relève de la fraude, et je suis de ceux qui pensent que la photographie n’est pas un bon moyen d’y parer. Cela étant, vos avis nous intéressent.
M. le rapporteur. Que les choses soient claires : la mission n’est pas unanime sur cette question de la photographie !
M. Georges Tissié. Nous sommes bien d’accord que dossier médical personnel et carte Vitale sont deux sujets bien distincts. Mais, puisque vous souhaitez que nous parlions franchement, je vous soumets notre impression : quelle que soit la couleur du Gouvernement, les ministres chargés de la santé et leur cabinet manifestent une extrême réticence à s’engager réellement et à dialoguer avec les organisations patronales que nous sommes sur les moyens de mieux contrôler et de mieux sanctionner. C’est un sujet tabou ! Le sujet n’est pas considéré comme capital, à moins qu’il ne soit regardé comme trop sérieux pour être discuté avec les partenaires sociaux. Par exemple, sur la carte Vitale, nous n’avons cessé de dire, dès la première mouture, qu’il fallait y mettre une photographie. Or, à l’époque, les cabinets et les ministres compétents, sans doute influencés par leur cabinet, ne voulaient pas en entendre parler et affichaient un mépris à la limite du supportable à l’égard de ceux qui évoquaient la question.
On observe, il est vrai, une prise de conscience, notamment dans le domaine de la santé. Mais il faut encore progresser et les hauts fonctionnaires qui nous gouvernent doivent comprendre que la lutte contre la fraude, le contrôle et les sanctions ne sont pas des questions mineures. Je ne mets pas en cause la représentation parlementaire, mais l’exécutif.
À l’évidence, la photographie est nécessaire sur la carte Vitale même si nous avons, par ailleurs, des moyens techniques de sécurisation bien plus élaborés qu’auparavant.
M. le rapporteur. La mission s’est rendue en Belgique, et il nous est apparu que le système belge était beaucoup plus sécurisé et fonctionnait de manière de manière plus efficace que le nôtre. Depuis une quinzaine d’années, les problèmes d’identification des personnes ne s’y posent plus. En France, visiblement, on n’a pas beaucoup avancé en ce domaine. Mais quelle est la position du Mouvement des entreprises de France sur la sécurisation de la carte Vitale et sur la question de l’identification ?
M. Franck Gambelli. Je ne connais pas la position officielle du Mouvement des entreprises de France. Mais, a priori, si la finalité de la photographie sur la carte Vitale est l’identification de la personne, la réponse va de soi. Y a-t-il une photographie dans le dossier médical personnel ?
M. le coprésident Jean Mallot. Le dossier médical personnel n’est pas une carte.
M. Franck Gambelli. J’entends bien, mais l’objectif est que le médecin sache à qui il a affaire.
M. le rapporteur. S’agissant du dossier médical personnel, c’est un peu compliqué dans la mesure où la dernière version de la loi permet de présenter un dossier masqué. Dans ces conditions, il est évident que ce ne peut être le meilleur moyen de combattre la fraude, d’autant qu’il n’est pas obligatoire.
L’Union professionnelle artisanale considère-t-elle qu’il faudrait davantage sécuriser la carte Vitale, même si la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés juge le système plutôt satisfaisant puisque, à l’en croire, il n’y aurait ni vols ni contrefaçon ?
M. Pierre Burban. La photographie est-elle suffisante ? Nous n’en sommes pas sûrs. Doit-on se lancer dans des techniques d’identification biométrique ? Il est évident que tout ce qui permettra de sécuriser la carte Vitale ira dans le bon sens.
M. le coprésident Pierre Mallot. Je maintiens que la photographie n’est pas un bon moyen de combattre la fraude. C’est de l’argent public que l’on pourrait utiliser plus utilement, notamment en mettant au point d’autres méthodes de contrôle plus efficaces.
Cela dit, merci d’avoir participé franchement à cet échange. Naturellement, vous pouvez encore nous faire part de suggestions pour nous aider à formuler les préconisations les plus aptes à servir l’intérêt général.
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Audition de M. Michel Bergue, directeur de projet sur la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, de M. le Colonel Daniel Hestault, chef du bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l’identité à la direction de l’immigration, de M. le Commandant Hubert Gattet, chef de bureau par intérim de la fraude documentaire à la direction centrale de la police aux frontières et de M. le Préfet Raphaël Bartolt, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés.
M. Michel Bergue, directeur de projet sur la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité, au ministère de l’intérieur. La fraude documentaire et à l’identité constitue une des composantes de la fraude sociale dans la mesure où elle permet, à côté de l’exercice illégal d’une profession ou de l’obtention irrégulière de la nationalité française, la perception de prestations sociales indues. Elle recouvre diverses infractions punies par le code pénal qu’on a donc regroupées sous deux rubriques : la fraude documentaire, qui consiste à falsifier des titres d’identité établis par l’État ou à les contrefaire, éventuellement à partir de documents vierges volés, et la fraude à l’identité – qui peut être matérielle – lorsqu’on fournit de fausses pièces justificatives pour obtenir un document d’identité authentique – ou intellectuelle. C’est le cas, en particulier, de l’usurpation d’identité.
Cette fraude existe depuis longtemps mais tend à nettement se développer, avec une particularité : environ 80 % des fraudes détectées sont le fait de ressortissants étrangers souhaitant se maintenir irrégulièrement sur notre territoire. Ces faux titres, de séjour notamment, peuvent ensuite servir de supports à d’autres fraudes : à la législation du travail comme aux législations sociale et fiscale, – ou servir à mettre en place des escroqueries pures et simples.
Ce constat statistique explique que le comité interministériel de contrôle de l’immigration ait été à l’origine d’actions nouvelles. Dès sa création, en décembre 2006, il a lancé un plan national de lutte contre la fraude à l’identité commise par des ressortissants étrangers, comprenant la constitution d’un réseau national d’experts et, pour la détection, un programme d’équipement et un programme triennal de formation en direction de multiples catégories de personnels. La fraude étant rarement éclatante et faisant d’ailleurs l’objet de peu de plaintes, il faut en effet affiner les méthodes de détection.
Mais les ressortissants étrangers n’étant pas seuls en cause, il a été décidé, après le regroupement des ministères de l’intérieur et de l’immigration, de lancer le projet de lutte contre la fraude documentaire et à l’identité dont j’ai la charge depuis quelques semaines. L’objectif est de coordonner l’action des services de sécurité – police et gendarmerie – et celle des administrations délivrant des documents d’identité – préfectures, mairies ou consulats. Parallèlement, les « référents fraudes » ont vu leurs missions s’élargir au-delà des questions de fraude au séjour irrégulier. Dans le cadre de la mission de préfiguration qui m’est confiée, je dois rendre d’ici à l’été un rapport définissant une stratégie globale de lutte contre la fraude documentaire et suggérant les structures qu’il serait souhaitable de mettre en place à cet effet.
Pendant longtemps, la falsification et la contrefaçon de documents ont constitué le principal type de fraude : l’État a donc d’abord cherché à sécuriser les titres. Cette mission incombe aujourd’hui à l’Agence nationale des titres sécurisés. Plus on sécurise les titres, moins on a de contrefaçons, mais plus il convient aussi de veiller aux autres maillons de la chaîne, sur lesquels la fraude se reporte. L’obtention indue de vrais documents tend ainsi à devenir notre première préoccupation, et nous entendons donc la combattre sans pour autant renoncer à parfaire en permanence la sécurisation, car l’imagination des fraudeurs n’a pas de bornes !
M. le préfet Raphaël Bartolt, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés. Créée en 2007 au moment où se mettait en place le passeport biométrique, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) est placée sous la tutelle du ministère de l’intérieur mais sa vocation est interministérielle et son conseil d’administration comporte donc des secrétaires généraux de divers ministères tels que celui des affaires sociales, de la justice, des finances et de l’équipement notamment, ainsi que trois directeurs du ministère des affaires étrangères et trois du ministère des finances.
Sa mission est de gérer la nouvelle génération de titres ayant pris la succession, notamment, de la carte d’identité de 1955 qui était sur papier avec une photographie agrafée et qui pouvait facilement faire l’objet de fraudes. Nous avons parallèlement développé un système informatique capable de retracer un historique, couvrant toutes les préfectures et les consulats et permettant aux agents chargés de l’instruction des demandes et de la délivrance des titres de faire des recherches instantanées ainsi que de vérifier, grâce à la biométrie, l’authenticité des documents.
L’agence conduit une réflexion à la fois globale et systématique ; elle explore également de nouveaux domaines. Nous étudions ainsi l’usage de puces électroniques aux normes européennes pour qu’elles soient interopérables et permettent de reconnaître un citoyen français quel que soit le pays où il se trouve : c’est le cas pour le passeport biométrique, dont les normes EAC (extended access control, contrôle d’accès étendu) sont définies par l’Union européenne, ou pour le titre de séjour européen, qui devrait être disponible cette année. La nouvelle carte nationale d’identité s’inspire des mêmes principes, la Commission européenne recommandant la constitution d’un système homogène. Quant au nouveau permis de conduire, prévu pour le début de l’année 2013, il ne contiendra pas d’empreinte, mais une puce électronique y sera intégrée. Cette étape de la réforme de l’État bénéficiera aussi au citoyen, qui pourra savoir à tout moment combien il lui reste de points.
La mise en circulation de nouvelles générations de titres s’accompagne de l’apparition de nouvelles procédures. Ainsi les mairies sont raccordées à un réseau télématique fonctionnant en temps réel et sécurisé conformément aux préconisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – qui exerce en la matière un large contrôle –, avec cryptage et traçabilité des transmissions et possibilité de contrôle par les services chargés de l’administration du système d’information. De leur côté, la police et la gendarmerie sont à même de contrôler les titres en tout point du territoire grâce à 10 000 lecteurs « quatre en un » à leur disposition dans leurs véhicules, capables de lire les puces, que ce soit « en contact » – dans le cas de la carte d’identité – ou sans contact – cas du passeport notamment –, ainsi que de vérifier les empreintes et de lire les bandes MRZ (machine readable zone), c’est-à-dire une zone de données lisible automatiquement par une machine. Pour l’instant, la France est le seul pays à disposer d’un tel système qui vient cependant d’être acquis par la Hongrie auprès de la société française qui le fabrique. Le futur permis de conduire pourra être contrôlé dans les mêmes conditions.
M. Dominique Tian, rapporteur. Qu’en est-il de la carte d’identité électronique, qui était prévue par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) mais à laquelle on a ensuite renoncé ?
M. Raphaël Bartolt. La disposition a été reprise par le sénateur Jean-René Lecerf dans une proposition de loi déposée le 27 juillet dernier, pour laquelle un rapporteur vient d’être désigné en la personne de M. François Pillet. Ce texte devrait être examiné à la faveur d’une prochaine « niche » parlementaire.
M. Michel Bergue. Je ne saurais trop insister sur l’urgence qu’il y a à disposer d’une telle carte d’identité.
M. Raphaël Bartolt. La bande MRZ qui figure sur chaque passeport, est le seul élément actuellement contrôlé dans tous les aéroports du monde. La codification en a d’ailleurs été arrêtée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Cette bande a donc été reportée au bas des nouveaux documents où elle permet d’« ouvrir » la puce, mais elle assure un niveau de protection peu élevé. La PKD (service de répertoire de clés publiques) de l’Organisation de l’aviation civile internationale, qui regroupe douze pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Australie et la Chine, est donc en train de concevoir de nouveaux modes de contrôle.
Cependant, la nouvelle carte grise, qui n’est pas un titre d’identité mais de police, comporte aussi cette bande MRZ. La France est le premier pays d’Europe à avoir fait ce choix : il permet d’accélérer les contrôles opérés à partir des terminaux informatiques embarqués de la gendarmerie ou de la police, et de gagner ainsi en productivité tout en réduisant la gêne pour les automobilistes, dont la plupart sont fort heureusement sans reproche.
M. le rapporteur. Quel est le coût unitaire de fabrication de la future carte d’identité ?
M. Raphaël Bartolt. Ce coût a été pris en compte en même temps que celui du passeport biométrique : le projet de loi annoncé lors du conseil des ministres du 27 août 2007 prévoyait la création de ces deux documents, reprenant en cela le texte présenté par le gouvernement de M. Dominique de Villepin ; les stations situées dans les mairies sont d’ailleurs conçues pour le traitement de l’un et l’autre, de même que le formulaire CERFA (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs), ce qui fera là aussi gagner en productivité.
La carte comportera une signature électronique, support de services nouveaux en ce qu’elle permettra à l’usager de communiquer avec sa banque, avec son notaire ou avec sa société d’assurance. Sept pays en Europe ont déjà pris une telle disposition, la Belgique parmi les premiers. En revanche, nous ferons exception sur le continent dans la mesure où ce titre sera gratuit : la décision prise en 1999 a été reconduite en 2009.
Le coût de fabrication de la carte est fonction du nombre d’exemplaires réalisés : celui-ci a été de 6,2 millions en 2009 et 2010, mais pourrait être plus important avec la nouvelle carte. Dans la mesure où elle est très sécurisée, où elle comporte deux puces – une pour la signature électronique que l’on peut enregistrer sur son ordinateur ; l’autre permettant un contrôle sans contact – et où elle est fabriquée avec du polycarbonate par l’Imprimerie nationale – qui dispose d’un monopole –, ce coût unitaire pourrait varier entre 8 et 11 euros. Cela étant, plus on produira de titres de même génération, comme les titres de séjour – actuellement 850 par an – ou les permis de conduire – 2 millions par an –, plus il sera appelé à diminuer.
M. le rapporteur. À titre de comparaison, le prix de revient de la carte Vitale est de 4 euros pièce : compte tenu de son caractère très sécurisé, la carte d’identité présente un coût raisonnable.
Pouvez-vous nous parler de la carte de sécurité sociale belge, qui est sécurisée et sert également de carte d’identité ?
M. Raphaël Bartolt. Cette carte existe depuis 2006 et comporte une signature électronique, qui a permis de développer des services à distance. Certaines régions italiennes, comme la Lombardie, ont adopté un dispositif similaire. L’Autriche est également pionnière en Europe pour l’utilisation des nouvelles technologies, comme l’Estonie qui utilise même ce mode de reconnaissance pour les élections législatives.
Les usages de ce type de document divergent selon les pays : c’est la Belgique qui les a le plus développés, au point de concevoir des cartes permettant de limiter l’accès des mineurs à internet. Mais l’approche française n’est pas celle-là.
S’agissant de la carte Vitale, je pense qu’elle peut être sécurisée à un coût bien moindre que la carte d’identité.
M. le rapporteur. Lors de la visite que nous rendrons à votre agence le 11 mars prochain, à Charleville-Mézières, nous écouterons volontiers vos propositions, mais je dois avouer que le système belge est assez séduisant, en raison de son caractère évolutif.
Quels effets ce travail de sécurisation des documents a-t-il eus sur la fraude à l’identité ?
M. Michel Bergue. Nous ne disposons pas de statistiques précises en ce domaine. D’une part, il n’existe pas de définition précise de l’identité ; d’autre part, nous ne connaissons que le nombre des faux documents détectés, ce qui laisse de côté tous ceux qui ne le sont pas, ainsi que la part de titres perdus ou volés qui peuvent faire l’objet d’utilisations indélicates. Selon un rapport des inspections générales de novembre 2009, il y aurait entre un million et un million et demi de faux titres en circulation – cartes d’identité, passeports et titres de séjour –, dont une partie non utilisée.
M. le commandant Hubert Gattet, chef de bureau, par intérim, de la fraude documentaire à la direction centrale de la police aux frontières. Le nombre de faux documents détectés par la police aux frontières (PAF) – permis, cartes d’identité, visas, titres de séjour, etc. – a été d’un peu plus de 12 000 en 2010, contre 14 000 à 15 000 les années précédentes.
M. le rapporteur. Le nombre de 5 millions de faux permis de conduire avancé par la presse n’est-il pas alors exagéré ?
M. Hubert Gattet. Les statistiques de la police aux frontières sont loin de ce nombre, qui me paraît un peu aberrant. En 2010, elles font état de 1 595 faux permis en métropole. Mais il faudrait y ajouter ceux qui ont été détectés par les autres forces de police et par la gendarmerie.
M. le coprésident Jean Mallot. Le nombre de 5 millions recouvre sans doute une définition large, englobant par exemple l’utilisation de permis alors qu’on a perdu tous ses points…
M. Michel Bergue. … et probablement la conduite sans permis.
Le permis de conduire actuel est peu sécurisé. Pourtant, et alors même qu’il ne constitue pas un titre d’identité, il sert assez souvent à attester de celle-ci. Or la police aux frontières constate que beaucoup de permis de conduire étrangers échangés contre des permis français sont des faux.
Quant à l’estimation d’un million à un million et demi de faux titres en circulation, elle englobe ceux qui, perdus ou volés, sont utilisés par d’autres que leur propriétaire.
M. le coprésident Jean Mallot. Pour beaucoup de ces titres, on ne sait ce qu’ils sont devenus.
M. Michel Bergue. Cela tient au fait que la non-déclaration de perte ou de vol d’un document n’est pas sanctionnée : en général, ceux qui perdent une carte d’identité ne le déclarent que s’ils en redemandent une nouvelle. Il faut tenir compte de ces non-déclarations.
M. le coprésident Jean Mallot. On peut avoir une carte d’identité et un passeport, puis perdre l’un des deux et s’en passer sans difficulté pendant des années.
M. Michel Bergue. Les personnes qui perdent un titre d’identité ne sont souvent pas conscientes du préjudice auquel elles s’exposent en ne le déclarant pas. Si ce document est utilisé par d’autres, il peut l’être à leur détriment, avec parfois des conséquences très graves, comme dans les cas d’usurpation d’identité.
M. le rapporteur. Dans une affaire de fraudes à l’aide de « kits ASSEDIC », en région parisienne, le juge a convoqué 1 200 personnes dont l’identité était improbable : généralement, les fraudes massives sont fondées sur des usurpations ou falsifications d’identité. Avez-vous des éléments statistiques à ce sujet ?
M. Hubert Gattet. La police aux frontières utilise un outil statistique très précis, appelé PAFISA (programme d’analyse des flux et indicateurs statistiques d’activité) : il comptabilise les documents découverts par type de fraude, par nationalité, etc. Il permet de constater une augmentation, depuis quelques années, du nombre des titres obtenus frauduleusement, à partir de dossiers fictifs ou à partir d’une identité réelle : le phénomène a concerné 421 titres de séjour et 269 cartes nationales d’identité en 2010, soit une augmentation de 113 % et de 140 %, respectivement, depuis 2006 ; les chiffres pour les passeports sont un peu plus faibles. Ces infractions sont généralement le fait d’étrangers en situation irrégulière qui souhaitent ainsi se maintenir sur le territoire national et peuvent ensuite essayer d’obtenir frauduleusement des prestations sociales.
M. le rapporteur. Dans le domaine des fraudes au détriment des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), les faux papiers se comptaient par centaines, voire par milliers. Dans chaque affaire, lorsqu’on a mis en place des détecteurs dans les bureaux de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), ce sont des dizaines de faux papiers qu’on détectait chaque semaine !
Les documents permettant d’obtenir des titres français, le numéro INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) ou le numéro d’inscription au répertoire (NIR) sont-ils suffisamment sécurisés ? Des personnes que nous avons auditionnées récemment nous ont fait part de leur inquiétude sur les conditions de délivrance du numéro d’inscription au répertoire provisoire, sur la base de documents en langue étrangère dont on peut penser, sans pouvoir le prouver, qu’ils sont faux. Or ce numéro provisoire finit par ne plus l’être tout à fait…
M. Michel Bergue. Il existe effectivement une fraude sur les documents étrangers pouvant servir en France, sachant qu’il convient de distinguer entre les documents internes à l’Union européenne – permettant dans le cadre de l’espace Schengen de rester sur le territoire national – dont certains sont insuffisamment sécurisés, et ceux émanant de pays tiers, qui le sont encore moins.
M. le colonel Daniel Hestault, chef du bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l’identité à la direction de l’immigration. S’agissant des statistiques, en dehors de « l’état 4001 » qui recense les crimes et délits constatés, les estimations peuvent être plus ou moins floues.
Nos « référents fraudes » au sein des préfectures nous indiquent que, lorsqu’ils sont confrontés à des documents en langue étrangère, ils demandent aux consulats ou ambassades des pays concernés des informations qu’ils n’obtiennent pas toujours dans les délais, sachant qu’ils sont soumis à une certaine pression pour délivrer les titres assez rapidement. Avec la police aux frontières et le bureau de la fraude documentaire, nous organisons des formations et nous élaborons des « fiches réflexes » pour inciter les agents de guichet à prendre contact, en cas de doute, avec les « référents fraudes » de la police ou de la gendarmerie.
M. le rapporteur. Concernant le numéro d’inscription au répertoire, le problème est que le numéro provisoire tend à devenir définitif, ce qui est pire que la falsification car, une fois la certification acquise, la fraude devient indétectable : c’est un vrai sujet d’inquiétude.
M. Michel Bergue. Alors que le faux document peut toujours être détecté à l’occasion de tel ou tel contrôle, le vrai document obtenu de façon indue ne peut en effet l’être que si l’on remonte à la source, ce qui est très compliqué. C’est d’ailleurs ce qui explique la faiblesse des chiffres que nous enregistrons en la matière. Nous essayons donc, en collaboration avec l’Agence nationale des titres sécurisés, de sécuriser les conditions d’obtention, notamment en réduisant le spectre des justificatifs de domicile pouvant être fournis à l’appui des demandes.
M. le rapporteur. La Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés nous fait valoir qu’après huit ou neuf mois de versement de prestations sur la base du numéro provisoire, il est difficile de ne pas rendre celui-ci définitif. Cela pose un problème d’équité et constitue une brèche où peuvent s’engouffrer les fraudeurs. Le système vous paraît-il suffisamment sécurisé, ou faut-il refuser d’accorder un numéro d’inscription au répertoire en cas de doute ?
M. Daniel Hestault. Le numéro d’inscription au répertoire ne relève pas du domaine de compétence de mon bureau mais, dans le cadre du projet AGDREF (application de gestion des ressortissants étrangers en France), certains agents des organismes sociaux nous ont dit en effet que, lorsqu’ils avaient un doute sur la validité d’un titre, ils préféraient accorder des droits plutôt que de prendre le risque de les refuser. Aussi, dans le cadre du groupe interministériel d’expertise de la lutte contre la fraude à l’identité (GIELFI), des actions de formation ont été proposées à ces organismes et on réfléchit à des « fiches réflexes » permettant d’indiquer aux agents ce qu’il convient de faire. Se pose d’ailleurs au passage la question de savoir si l’on peut interpeller un demandeur au guichet de tels organismes.
M. Michel Bergue. Il faut distinguer les documents d’identité français, dont la délivrance relève de notre responsabilité, et les documents étrangers qui peuvent servir à les obtenir. Cependant, dans le cas des titres de séjour, l’identité est souvent établie sur une base quasiment déclarative – ainsi les demandeurs d’asile ayant obtenu le statut de réfugié sont pour beaucoup incapables de produire leur état civil. Or, les services préfectoraux sont bien obligés de délivrer ces titres lorsque les conditions requises sont remplies, quand bien même ils ne sont pas certains de l’identité des intéressés.
M. le coprésident Jean Mallot. Les fraudes aux prestations sociales pouvant passer par des fraudes documentaires ou à l’identité. Votre action de sécurisation peut contribuer à les limiter, mais faut-il sécuriser d’autres titres, tels que la carte Vitale, ou utiliser ceux que vous délivrez pour sécuriser « par ricochet » les documents permettant d’obtenir des prestations sociales ? Dans cette dernière hypothèse se poserait la question des capacités matérielles et juridiques des personnes délivrant ces prestations. Faudrait-il qu’elles aient le statut d’officiers de police judiciaire ?
M. Raphaël Bartolt. Les titres sociaux ne sont pas pour l’instant de la compétence de l’Agence nationale des titres sécurisés, qui ne s’occupe que des titres avec puce, mais le processus de délivrance de la carte Vitale me paraît présenter une faille : il suffit de l’envoi d’un formulaire, d’une photographie et de la photocopie plus ou moins nette d’une carte d’identité, sans qu’il y ait de face-à-face avec le demandeur.
Lorsque l’Agence nationale des titres sécurisés lui a soumis le décret portant constitution du système d’information, en 2008, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a reconnu que nos titres étaient sécurisés. Rappelons que seules trois tentatives de fraude ont été enregistrées pour le passeport biométrique en Europe au cours du premier semestre 2010. Mais la commission a observé que les fraudes s’étaient reportées sur l’acte de naissance, qui, comme la carte Vitale, est aisé à obtenir par correspondance puisqu’il suffit de fournir la date de naissance.
L’effort doit donc porter maintenant sur deux points : sur la quittance permettant de prouver son identité et sur l’acte de naissance. S’agissant de la quittance, nous avons conçu un système consistant à introduire dans un code barres des éléments figurant sur le justificatif et d’autres que nous sommes seuls à connaître : cela permet de déterminer à distance – grâce à un scanner ou à une cybercaméra (webcam), donc pratiquement sans coût – s’il s’agit d’une quittance authentique ou si elle a subi des modifications – et, dans ce cas, lesquelles. Le procédé est déjà appliqué, d’ailleurs, pour déceler des fraudes sur les produits de luxe, sur le vin par exemple.
Nous progressons également, sous l’autorité du ministère de la justice, en ce qui concerne l’acte de naissance : pour éviter la fraude, il faudrait qu’il ne se trouve jamais entre les mains de l’usager, qu’il circule seulement de mairie à mairie. Mais jusqu’ici, le maire, officier d’état civil, n’avait pas la possibilité de recourir à la signature électronique, contrairement aux notaires et aux huissiers qui le peuvent en vertu d’un décret de 2006. L’obstacle va être levé dans les tout prochains jours par un décret, qui fait l’objet, de la part de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, d’un avis d’autant plus positif qu’il répond à son observation. Tout en étant hautement sécurisé, ce nouveau dispositif de dématérialisation des échanges de données d’état civil, qui se greffera sur celui qui a déjà été mis en place pour le passeport biométrique, offrira une grande souplesse : il admettra la délégation par le maire des fonctions d’officier d’état civil ; il pourra s’étendre aux mentions marginales, relatives au mariage et au décès, ce qui permettra d’importants gains de productivité ; il pourra s’ouvrir aux caisses d’allocations familiales (CAF), aux organismes sociaux et aux notaires, qui maîtrisent bien la signature électronique et y recourent souvent. Il a fait l’objet pendant un an d’une concertation avec l’Association des maires de France (AMF), qui a donné lieu à un compte rendu le 15 décembre : 36 communes se sont portées volontaires, dont Marseille et Lyon, et une expérimentation commencera, dès que le décret sera paru, dans certaines villes comme Melun.
Lorsqu’elles ne seront pas prises en même temps que les empreintes, les photographies fournies par le demandeur seront vérifiées en mairie dans le cadre d’un face-à-face.
J’ajoute enfin que nous nous préoccupons d’organiser la traçabilité des opérations un peu atypiques des professionnels, en rapport avec l’immatriculation des véhicules, ou de certaines opérations sensibles au sein des préfectures – car la fraude peut aussi être interne.
M. Michel Bergue. On parle de fraude interne lorsqu’il y a complicité d’un agent chargé de délivrer des titres.
M. le rapporteur. Y a-t-il eu des cas ?
M. Michel Bergue. Oui, et ils sont malheureusement en augmentation. Ils peuvent être découverts de l’intérieur des services ou de l’extérieur, en remontant une filière. Plusieurs dizaines de dossiers disciplinaires concernant des fonctionnaires de l’État sont actuellement en instance au ministère de l’intérieur.
M. le rapporteur. Est-il raisonnable de confier à un fonctionnaire de l’État tout pouvoir de délivrer un titre alors même que les justificatifs présentés sont douteux ?
M. Michel Bergue. Il faut relativiser : le nombre de dossiers disciplinaires doit être rapporté à celui des fonctionnaires chargés de délivrer des titres, qui se comptent par milliers ! Si les préfectures ont traditionnellement une culture de suspicion, la situation est variable selon les communes. Quoi qu’il en soit, le face-à-face avec un fonctionnaire réduit fortement le risque de fraude, celle-ci pouvant être détectée à partir du comportement du demandeur.
M. le rapporteur. S’agissant des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, le fait d’exiger un face-à-face et de signaler à trois reprises qu’il y aurait vérification des pièces d’identité a été dissuasif.
Pensez-vous que, dans les nouvelles missions que l’on va confier aux municipalités, on pourrait leur demander d’organiser des face-à-face pour la carte Vitale sécurisée ?
M. Raphaël Bartolt. Dans la phase de développement du passeport biométrique, les communes n’étaient pas enthousiasmées par la nouvelle procédure. Dans les réunions publiques que j’ai tenues dans toute la France, les maires s’interrogeaient souvent sur leur responsabilité en cas de fraude. Nous leur répondions que cette responsabilité pesait sur le préfet, à qui incombaient les vérifications. Cela étant, il est possible d’introduire un dispositif d’alerte dans le logiciel utilisé pour les communications entre les mairies, l’Agence nationale des titres sécurisés et la préfecture.
Aujourd’hui, l’attitude à l’égard des liaisons télématiques avec les préfectures a bien changé et la moitié des communes, y compris en Île-de-France, souhaitent participer à la lutte contre la fraude et être dotées de petits équipements tels que des détecteurs ultraviolets. Avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), nous réfléchissons aux moyens de répondre à cette demande, notamment par le biais de formations destinées aux agents municipaux qui se portent volontaires.
Les procédures de traçabilité sont essentielles et il est important que tout le réseau soit informé des fraudes constatées. Par ailleurs, il est utile de pouvoir détecter certains comportements atypiques, comme celui d’un professionnel de l’automobile qui fait brusquement une grande quantité de réceptions nationales ou celui d’un agent de préfecture qui multiplie les déductions de taxe environnementale.
Enfin, on part souvent du principe que la fraude est pour ainsi dire définitivement consommée après le passage au guichet, se privant du coup de la combattre a posteriori, comme le font par exemple le Royaume-Uni ou la Belgique au moyen d’une analyse automatisée approfondie. Il nous semble au contraire que les services chargés de l’intendance du système d’information pourraient prendre le temps d’identifier la fraude et, quand celle-ci est avérée, saisir le parquet. Dès que le demandeur ou l’agent savent qu’existe un tel contrôle, la fraude diminue considérablement, d’autant qu’ils ignorent sur quoi il va porter exactement. Ce procédé est approuvé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui n’a jamais élevé d’objections contre les contrôles aléatoires.
M. le coprésident Jean Mallot. La crainte est parfois le début de la sagesse…
À combien estimez-vous le surcoût de la sécurisation ?
M. Raphaël Bartolt. Il faut distinguer trois types de documents : la carte bancaire sécurisée, qui ne permet de faire qu’une opération et fait l’objet d’un contrôle interne des banques, et pour laquelle le surcoût de la sécurisation peut être évalué à trois euros ; la carte Vitale, plus sécurisée ; et la carte d’identité, qui l’est encore davantage et dont le prix de revient est de l’ordre de huit euros. Mais le surcoût principal est constitué par le face-à-face qui, comme on l’a vu, est très dissuasif.
Cela dit, si le titre donne accès à des prestations d’un montant important, l’investissement initial dans la sécurité peut être facilement amorti par la réduction des fraudes, d’autant que ce type de titres dure en général dix ans, voire davantage, comme la carte Vitale 1.
M. le rapporteur. Comment faire pour sécuriser les titres en Guyane et à Mayotte ?
M. Daniel Hestault. Dans mes fonctions de chef d’état-major du commandement de la gendarmerie de Mayotte, mon principal souci était plutôt la lutte contre l’immigration clandestine. Le problème des faux documents ne se posait d’ailleurs guère, les 120 ou 130 clandestins débarquant certaines nuits sur les plages étant le plus souvent dépourvus de papiers. La situation est similaire en Guyane.
M. Raphaël Bartolt. Le passeport biométrique est étendu à Mayotte, de même que le sera la nouvelle carte d’identité. Cependant, ce futur département a encore à établir son état civil alors même que la forte humidité ambiante provoque une détérioration rapide des documents. Cela devrait conduire à y privilégier l’archivage électronique. Mais celui-ci devrait être développé en métropole aussi, sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés : cela permettrait de retrouver instantanément une donnée, de la mettre à disposition de plusieurs services et de mener des recherches « expertes » aux fins de combattre la fraude.
Par ailleurs, si l’on veut conduire une action efficace au niveau international, il faut sans doute une bibliothèque de modèles de documents, permettant par exemple de savoir comment se présente tel titre ou tel acte dans tel pays. La diffusion du code barres constitue à cet égard un atout, dans la mesure où il permet un contrôle à distance des documents dans de brefs délais.
Dans le domaine social, la carte européenne d’assurance maladie (CEAM) est peu sûre puisqu’elle comporte une bande uniquement à piste : il conviendrait de la sécuriser afin de faciliter les remboursements aussi bien que les échanges et compensations entre hôpitaux de l’Union européenne. Nous participons d’ailleurs activement à cet effet au programme STORK sur l’interopérabilité des identifiants électroniques.
M. le rapporteur. Peut-être serait-il bon que vous vous joigniez à nous lorsque nous nous rendrons à Tours, avec des magistrats de la Cour des comptes, pour visiter le service national d’identification des assurés (SANDIA). Quelles sont vos relations avec celui-ci ? La liaison entre les préfectures et les services sociaux semble faible : il n’est pas rare que les caisses de sécurité sociale ne soient pas informées du retour de ressortissants étrangers dans leur pays, après expiration de leur titre de séjour.
M. Michel Bergue. Ces relations sont en train de se développer, notamment depuis la création des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF), qui réunissent les organismes sociaux, mais cela prendra du temps en raison de différences de culture entre les services ; en tout cas, le ministère de l’intérieur est tout disposé à fournir toutes les informations souhaitées par ces organismes et à organiser des échanges réguliers sur ces questions.
M. Raphaël Bartolt. Nous nous sommes déjà rendus voici quelques mois dans les locaux du service national d’identification des assurés avec des représentants de tous les organes engagés dans la lutte contre la fraude, y compris le groupe interministériel d’expertise de la lutte contre la fraude à l’identité et la délégation interministérielle. Cette dernière a relayé nos observations, sous forme de propositions au Gouvernement.
M. le rapporteur. Il y avait là-bas de réelles difficultés, n’est-ce pas ?
M. Raphaël Bartolt. Oui, mais ces observations sont internes à l’administration.
M. le rapporteur. Nous en avons néanmoins eu connaissance, et cela n’enlève rien à la nécessité de régler ces problèmes.
M. Raphaël Bartolt. Je dispose de deux conseillers « sécurité » suivant les questions de fraude avec M. Michel Bergue : un colonel de gendarmerie et un commissaire de police. Nous travaillons en étroite relation avec l’inspection générale de l’administration, qui a fait l’an passé trente-six rapports sur les titres d’identité, et nous analysons toutes les observations pour voir comment améliorer le dispositif existant. L’Agence nationale des titres sécurisés a également passé une convention avec la direction générale de la modernisation de l’État (DGME), avec laquelle nous nous efforçons de définir des procédures cohérentes, applicables à l’ensemble des administrations de l’État. J’ajoute que tout notre environnement de travail – comme par exemple le logiciel reconnaissant les documents d’identité, qui fonctionne à la fois sur Microsoft, sur les logiciels libres et sur Apple – a fait l’objet d’une certification par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), ce qui a demandé des mois de travail.
M. le coprésident Jean Mallot. Messieurs, je vous remercie.
*
AUDITIONS DU 10 FÉVRIER 2011
Audition de M. Serge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) au conseil d’administration de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, de Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC), de M. Jean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) et de M. Jean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral et conseiller à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale de Force Ouvrière (FO), de M. François Joliclerc, secrétaire national de l’Union des syndicats autonomes (UNSA), et M. Jean-Louis Besnard, conseiller national.
M. Dominique Tian, rapporteur. Merci d’avoir répondu à l’invitation de la MECSS dans le cadre de ses travaux sur la fraude sociale, sujet dont, partout, on parle beaucoup. Demain, le Conseil d’État organise ainsi un colloque sur le thème « Fraudes et protection sociale ». Et hier, un article du Figaro rapportait notamment que, fort curieusement, les arrêts maladie des enseignants entouraient bien souvent le week-end.
La MECSS a décidé de travailler à la fois sur la fraude aux cotisations sociales, sur laquelle le Conseil des prélèvements obligatoires a tiré la sonnette d’alarme et qui passe en particulier par le « travail au noir », et sur la fraude aux prestations sociales. La Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), qui communique désormais sur ce sujet, admet ainsi que 700 millions d’euros seraient détournés chaque année ; dans les autres branches, la fraude serait également importante.
Si nous avons souhaité vous auditionner aujourd’hui, c’est que les syndicats sont co-gestionnaires de beaucoup d’organismes sociaux et qu’ils doivent, à ce titre, rendre des comptes aux assurés. Que pensez-vous de la fraude ? Estimez-vous que les organismes sociaux sont suffisamment engagés dans la lutte contre ce phénomène – qui est problématique non seulement d’un point de vue financier, mais aussi du point de vue de la justice ?
M. le coprésident Pierre Morange. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur les moyens techniques de contrôle qui sont à votre disposition dans les différentes branches pour lutter contre la fraude. Sont-ils suffisamment opérationnels ? Avez-vous des solutions concrètes à proposer pour améliorer la situation ?
M. Serge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) au conseil d’administration de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). La Confédération française démocratique du travail est évidemment très sensible au problème de la fraude sociale, dont il faut souligner qu’il concerne non seulement les prestations, aspect le plus souvent mis en avant, mais aussi les cotisations – pour lesquelles elle représente un enjeu financier très important.
La fraude remet en cause le principe d’égalité des citoyens ou des entreprises devant les charges communes ou en matière de droits à prestations. Par exemple, une personne qui n’est pas déclarée par son employeur se trouve privée de droits à la retraite. Par ailleurs, la fraude affecte l’équilibre des comptes sociaux, elle entrave la lutte contre le chômage et elle crée des distorsions de concurrence importantes entre les entreprises. La Confédération française démocratique du travail ne peut donc que se féliciter que les diverses branches aient engagé des actions pour lutter plus efficacement contre la fraude sociale. Des progrès ont été réalisés dans chacune d’entre elles : le taux de détection et le taux de recouvrement des fraudes se sont améliorés, mais il existe encore des marges de progression importantes. De nouveaux efforts sont donc nécessaires.
M. le coprésident Pierre Morange. Quelles recommandations concrètes pourriez-vous faire ?
M. Serge Cigana. S’agissant de la fraude aux cotisations, les moyens de lutte ont été renforcés avec la création de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et la mise en place progressive des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Les organismes sociaux peuvent s’appuyer sur des dispositifs et des outils juridiques leur permettant de mieux appréhender la fraude et de la combattre plus efficacement. Malgré ces évolutions, les résultats demeurent mitigés : le montant des redressements effectués dans le cadre de la lutte contre le travail illégal n’a pas dépassé 130 millions en 2009, ce qui est assez modeste au regard de l’ampleur du phénomène. Dans ce domaine, la difficulté vient de la faiblesse des moyens en personnel : sur 1 500 inspecteurs en charge du contrôle d’assiette et de la lutte contre la fraude, seuls 180 sont affectés à cette dernière tâche ; dans certains départements, il y a ainsi moins d’un équivalent temps plein pour lutter contre le travail dissimulé. Par ailleurs, la fixation d’objectifs financiers aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) conduit à ce que les efforts portent sur les entreprises pour lesquelles l’enjeu financier est le plus important. On contrôle ainsi toujours le même type d’entreprises, tandis que des pans entiers de l’activité économique, où le montant unitaire des fraudes est moindre, ne font pas l’objet d’investigations. À moins d’une augmentation globale des effectifs, hypothèse qui ne semble pas à l’ordre du jour dans le contexte actuel, déplacer les lignes supposerait de faire de la lutte contre le travail dissimulé une priorité, en réduisant le personnel affecté aux activités classiques de contrôle d’assiette.
Nous sommes par ailleurs confrontés, avec les auto-entrepreneurs, à une problématique nouvelle. Entre 60 % et 70 % des 500 000 auto-entrepreneurs ne déclarent aucun revenu, sans doute à juste titre dans la grande majorité des cas mais, si leur statut a incontestablement des aspects positifs, il peut conduire à des distorsions de concurrence et occasionner un niveau important de fraude. Il serait donc utile d’améliorer, sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), les informations disponibles sur les auto-entrepreneurs. Si leur activité est souvent connue, leur origine l’est moins ; or il serait intéressant de savoir si l’auto-entreprise constitue une part marginale de l’activité de la personne, ou bien son activité principale : cela permettrait de mieux orienter la lutte contre la fraude.
Autre problème : le taux de recouvrement effectif des cotisations sociales. Si 130 millions d’euros sont mis en recouvrement au titre de la lutte contre le travail illicite, la plupart des entreprises concernées déposent leur bilan – ce qui n’est pas sans conséquence sur le recouvrement effectif. En outre, ces opérations de redressement n’étant pas isolées dans les comptes, la mesure de la fraude est difficile.
Le problème est le même pour la fraude aux prestations dans la branche Famille. En matière de revenu minimum d’insertion (RMI) et de revenu de solidarité active (RSA), les indus sont considérés par la Caisse nationale d’allocations familiales comme soldés dès lors qu’ils sont transférés dans les comptes des paieries départementales, où cependant le taux de recouvrement effectif est faible. Que ce soit dans les comptabilités des caisses d’allocations familiales (CAF) ou dans celles des paieries départementales, les fraudes ne sont pas individualisées. Tous les indus sont confondus. Il serait bon d’assurer un suivi du début à la fin de la chaîne.
Des liens commencent à se développer entre les caisses d’allocations familiales et les conseils généraux, au-delà des rapprochements qui ont déjà lieu avec les services de l’État, notamment les administrations financières, la police et la gendarmerie. Il convient d’aller plus loin dans le dialogue, notamment pour la qualification de la fraude, sur laquelle on constate souvent aujourd’hui des divergences d’appréciation entre les conseils généraux et les caisses d’allocations familiales.
Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC). La Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres considère que la lutte contre la fraude est une priorité : la protection sociale ouvre des droits, mais elle crée aussi des devoirs ; elle est un bien commun que nos concitoyens doivent respecter et défendre. Comme l’indiquait le rapporteur, c’est une question de justice.
Je voudrais insister sur la nécessité de l’accompagnement des assurés, par la pédagogie et l’information. Il faut aider les assurés à mieux appréhender les enjeux de la fraude – souvent estimée à 1 % du montant des prestations versées dans les branches Famille et Maladie. Chacun doit être conscient de l’importance des montants, mais sans toutefois les surestimer : l’éradication de la fraude ne permettrait pas de résoudre les difficultés financières de la Sécurité sociale. Par ailleurs, les assurés ont besoin de connaître clairement leurs droits et leurs devoirs ; or la complexité du système actuel les en empêche. Il faut donc aider nos concitoyens à mieux comprendre, d’une part, ce à quoi ils peuvent prétendre et, d’autre part, ce qu’ils doivent s’abstenir de faire au nom de la morale collective.
Il convient aussi d’avoir une démarche de prévention, au moment de l’élaboration des textes législatifs, par une meilleure anticipation de la réaction des assurés. En ce qui concerne les dérives constatées en matière de carrières longues, la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) avait insisté en 2005 sur les risques du dispositif en vigueur, mais elle n’a pas été écoutée avant 2007 ou 2008.
M. le rapporteur. Faites-vous allusion aux déclarations sur l’honneur ?
Mme Danièle Karniewicz. Oui. Les failles de la législation n’exonèrent pas de leur responsabilité ceux qui ont fraudé, mais leur existence pose tout de même problème, surtout quand elles sont identifiées à l’avance.
M. le rapporteur. Si la fraude a été massive, c’est aussi à cause de complicités internes. Des agents appartenant aux organismes sociaux ont été licenciés, dont deux directeurs de caisses. 87 personnes font aujourd’hui l’objet de poursuites devant la justice.
Mme Danièle Karniewicz. Je ne veux exonérer personne de ses responsabilités, qu’il s’agisse des assurés ou des salariés des organismes sociaux. Néanmoins j’insiste sur la nécessité d’améliorer l’information des assurés et de mieux anticiper les risques de fraude au moment de la rédaction de la loi.
M. le coprésident Pierre Morange. Le but de la MECSS n’est pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d’essayer de rationaliser, au service de nos concitoyens, les dépenses effectuées dans le cadre de notre système de protection sociale. Ce que nous attendons de vous, ce sont les propositions concrètes que vous pouvez formuler en tant qu’acteurs et observateurs privilégiés de ce système.
À titre personnel, je me suis particulièrement impliqué dans la mise en place d’une interconnexion entre les fichiers des organismes sanitaires et sociaux, via le numéro d’identification commun ; nous allons bientôt aller vérifier sur le terrain, à Tours, l’efficience du dispositif. Quelles suggestions complémentaires pouvez-vous nous faire pour aller dans le sens d’une plus grande vertu, aussi bien en matière de cotisations qu’en matière de prestations ? Certes cela ne suffira pas à résoudre le problème des déficits ; néanmoins l’enjeu financier est important.
Mme Danièle Karniewicz. C’est bien des moyens de lutter contre le phénomène de la fraude que je parle lorsque j’évoque la prévention à laquelle doit se livrer le législateur en anticipant les difficultés. Tout ne relève pas des organismes sociaux, je tiens à le faire entendre.
Il est indispensable aussi que les dispositifs soient simples : ils sont aujourd’hui de plus en plus complexes et incompréhensibles pour les assurés. Le système des pensions de réversion est particulièrement effrayant et incohérent : alors qu’aujourd’hui on autorise le cumul emploi-retraite pour tous ceux qui ont une bonne retraite, ce n’est pas le cas pour les personnes qui touchent une pension de réversion puisque celle-ci est soumise à une condition de ressources.
Par ailleurs, si la lutte contre la fraude est un objectif que je partage, la protection des assurés est également fondamentale à mes yeux. Si je suis favorable au recoupement des fichiers afin que les organismes de sécurité sociale disposent de tous les éléments nécessaires à leur action, il me paraît indispensable d’être très prudent dans ce domaine. La question ne concerne pas seulement la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
S’agissant des moyens des organismes, des référentiels utiles à tous ont été développés par la caisse nationale d’assurance vieillesse, notamment le système national de gestion des identifications et au système de gestion des carrières. Mais beaucoup de progrès restent à faire dans le développement de l’outil informatique. Il faut aussi développer la sensibilisation des salariés, afin qu’ils consacrent une partie plus importante de leur temps aux contrôles. Mais cela signifie que des personnels doivent remplir spécifiquement cette mission de contrôle.
En outre, il me paraît nécessaire d’améliorer, dans chaque caisse, les données statistiques et l’évaluation de la fraude. Nous avançons dans cette démarche dans le cadre des conventions d’objectifs et de gestion (COG), mais il reste encore beaucoup à faire.
Enfin, une réflexion s’impose sur les indus et les sanctions. Faut-il sanctionner seulement s’il y a eu un préjudice, ou dès lors qu’il y a eu intention de frauder ? Il faut s’interroger aussi sur le type de sanctions à prendre. Il faudrait arriver sur ce sujet à un système cohérent.
M. le rapporteur. En ce qui concerne la caisse nationale d’assurance vieillesse, la Cour des comptes a estimé que les résultats extrêmement limités de la lutte contre la fraude témoignaient d’un manque de motivation de la branche. Elle a signalé un problème d’appréhension statistique de la fraude et s’est étonnée que les mesures annoncées ne reçoivent pas d’application immédiate, la caisse nationale d’assurance vieillesse les assortissant souvent d’un horizon assez vague. Elle a par ailleurs observé que les engagements quantifiés de la caisse nationale d’assurance vieillesse ne paraissaient pas vraiment contraignants. Elle a donc formulé des reproches assez sérieux.
Mme Danièle Karniewicz. Dans d’autres passages de son rapport, la Cour des comptes souligne l’importance du travail effectué. Je n’entrerai donc pas dans un débat sur ce sujet. Si le volume des fraudes constatées est peu important, c’est que la caisse nationale d’assurance vieillesse intervient beaucoup en amont pour stopper le processus. La Cour des comptes fait également ce constat.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le problème des moyens humains et informatiques. Ainsi, la caisse nationale d’assurance vieillesse a dû mettre en œuvre, dans des délais très courts et à effectifs constants, voire en baisse, les différentes réformes des retraites.
J’aimerais que nous adoptions ici une attitude positive. Toutes les caisses, dont la caisse nationale d’assurance vieillesse, sont engagées dans une démarche de progrès.
M. le rapporteur. La Cour des comptes observe que le renforcement des contrôles ne s’est pas concrétisé comme on l’attendait dans un certain nombre de domaines. C’est notamment le cas pour la réalisation des contrôles à l’étranger, la signature d’accords internationaux avec certains pays européens pour permettre des échanges de données, le ciblage des zones géographiques à risques, hors Union européenne, et la vérification de l’authenticité et la sincérité des certificats de vie dans le cadre de paiement de prestations à l’étranger. La Cour relève qu’il y aurait plus de centenaires en Algérie percevant une pension de retraite de la caisse nationale d’assurance vieillesse que de centenaires recensés par les autorités algériennes.
Mme Danièle Karniewicz. Je ne pensais pas venir pour débattre du rapport de la Cour des comptes. À l’étranger, vous le savez bien, on réalise beaucoup de contrôles, en passant par des prestataires, par le système bancaire ou divers intermédiaires. Ils vérifient que les bénéficiaires sont toujours en vie et résident bien à l’adresse indiquée. Ces contrôles ne sont pas simples et il ne s’agit pas toujours de contrôles physiques sur place, car il faut se soucier de l’adéquation entre les objectifs et les moyens… La Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés est bien consciente des difficultés signalées par la cour dans certains pays et se montre très vigilante.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons pu constater, au cours de précédentes auditions, les difficultés extrêmes auxquelles on se heurte pour vérifier certaines données au Maghreb. Une expérimentation de contrôle reposant sur une délégation de service devrait être engagée, mais elle n’est pas encore opérationnelle. Il semble, par ailleurs, que la tenue et l’actualisation de l’état civil soient, dans certains cas, des plus aléatoires. Des efforts ont certes été engagés par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, mais ils restent à géométrie variable et leur efficience reste à démontrer.
Mais revenons-en aux préconisations concrètes et opérationnelles. Quelle appréciation portez-vous sur les organes récemment créés au niveau départemental dans le cadre de la lutte contre la fraude ?
Mme Danièle Karniewicz. Je suis assez surprise de la tonalité de nos échanges. Tous les organismes sont engagés dans des démarches de progrès. Ils rencontrent des difficultés qu’il faut chercher ensemble à résoudre, au lieu de désigner les bons et les mauvais élèves.
M. le rapporteur. La Cour des comptes relève qu’il existe un écart d’espérance de vie difficile à expliquer en faveur des retraités algériens.
Mme Danièle Karniewicz. Arrêtons d’alimenter cette rumeur malsaine qui enfle depuis quelques mois sur cette question. Il faut cesser de stigmatiser certaines populations.
M. le rapporteur. En attendant, on continue à verser des prestations à des personnes décédées.
M. Jean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT). La discussion prend un tour quelque peu surprenant. Je ne serais pas hostile à une augmentation des effectifs de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, mais je ne suis pas certain que la priorité soit d’envoyer des dizaines d’agents en Algérie pour réaliser des contrôles.
On a l’impression, à vous écouter, que la fraude aux prestations sociales est considérable. Or la fraude la plus importante est la fraude fiscale. La fraude sociale porte avant tout sur les cotisations. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il ne faut pas se soucier de la fraude aux prestations : il est hors de question de laisser des personnes malintentionnées piller l’argent des salariés.
Je constate également que la question est essentiellement abordée sous l’angle de la fraude pratiquée. Or il me semblerait utile d’essayer d’anticiper et de faire de la prévention. L’affichage de décision judiciaire auquel le tribunal de Melun a récemment demandé aux caisses d’allocations familiales de procéder illustre bien un certain état d’esprit : il s’agit d’une liste de sept noms, tous à consonance maghrébine, avec indication des dates de naissance, des adresses et du montant des condamnations. La nature de la fraude, en revanche, n’est pas mentionnée. Il n’y a donc aucun effet pédagogique et cela conduit à une terrible stigmatisation.
M. le coprésident Pierre Morange. Pour des raisons évidentes, tenant au principe de séparation des pouvoirs, la Représentation nationale ne peut faire de commentaire. Je souhaiterais donc que nous en revenions aux propositions concrètes que vous pourriez formuler.
M. Jean-Louis Butour. C’est dans la façon dont l’intention du tribunal a été traduite qu’il me semble y avoir problème.
Dans son rapport d’avril dernier, la Cour des comptes suggère au Parlement d’essayer de réduire les possibilités de fraude. Il me semble, en effet, qu’il y a beaucoup à faire au niveau de la législation et de la réglementation : on constate une complexification croissante des dispositions applicables dans chaque branche et une tendance croissante à la mise sous condition de ressources des prestations. Le système produit ainsi de plus en plus d’indus, alors même que les assurés sont généralement de bonne foi – ils sont tout au plus un peu négligents –, car les organismes, submergés par les règles nouvelles, réagissent parfois avec un peu de retard. Les assurés qui sont en situation d’indu sont considérés a priori comme des fraudeurs, ce qui est extrêmement fâcheux.
Les parlementaires que vous êtes devraient donc prêter une grande attention à ne pas multiplier les conditions dans les procédures que vous mettez en place : elles sont potentiellement sources de fraude. La question des pensions de réversion, évoquée par Mme Danièle Karniewicz, en est un exemple frappant.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons justement décidé d’engager un travail de fond avec la Cour des comptes sur la question de la complexification des règles en matière sanitaire et sociale, souvent contreproductive et source d’une mauvaise utilisation des deniers publics. Nous veillerons à ce que les représentants des organisations syndicales puissent contribuer à notre réflexion.
M. Jean-Louis Butour. La dernière réforme des retraites, notamment avec le système du minimum contributif, va produire des situations de ce type : il faudra réaliser des comparaisons a posteriori, après liquidation des pensions, ce qui sera très complexe et va entraîner des indus.
M. le rapporteur. Notre système de retraite est historiquement complexe : pourquoi ne pas s’intéresser, un jour, à la multiplicité sans équivalent des caisses de retraite dans notre pays ? On pourrait envisager de les fusionner.
M. Jean-Louis Butour. Cela ne changerait rien à la complexité des conditions posées par la loi et le règlement, notamment en matière de ressources. Les assurés sont très mal informés. Un travail est d’ailleurs en cours au sein de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés : nous essayons, notamment à partir de l’activité des commissions de recours amiable, de repérer les problématiques les plus fréquentes et de trouver des solutions.
Mais pour agir, il faut des moyens. Nous sommes progressivement passés, notamment à la demande du Gouvernement et du Parlement, à des mécanismes de gestion de risques plus que de contrôle. Gérer les risques, c’est admettre une part de risque, et par conséquent une part d’indus et une part de fraude. Mais en demandant aux organismes de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite, on limite les moyens disponibles pour ce travail complexe et qui nécessite de surcroît une formation.
Faute de personnel, on ne pourra pas faire de prévention, alors qu’il conviendrait de revoir l’ensemble des mécanismes d’information de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés. Afin d’améliorer la transparence, il faudrait une obligation de motivation des actes, telle qu’on la connaît pour les actes administratifs. Évitons de transformer en fraudeurs des assurés qui n’avaient pas du tout l’intention de frauder : dans le cas des longues carrières, on ne peut pas nier qu’il y a eu des faux témoignages, mais on a fait tout ce qu’il fallait, y compris au Parlement, pour provoquer ce qui s’est produit…
M. Jean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Nous avons besoin de définitions aussi claires que possible sur un certain nombre de points. Qu’est-ce que la fraude ? Que sont les abus ? Que faut-il imputer à la méconnaissance ? Je rappelle qu’un assuré social dont on a mal calculé les indemnités journalières est en situation d’indu. Il est considéré comme un fraudeur, alors qu’il ne maîtrise en rien l’attestation salariale de son employeur ni le calcul des indemnités effectué par la caisse primaire. On lui demande de rembourser le trop-perçu, ce qui est normal, mais il faut faire attention à la manière dont on le traite.
Le système a, par ailleurs, atteint un tel degré de complexité que les divergences d’appréciation entre les caisses ne sont pas rares, ce qui met en difficulté les assurés, les agents des organismes, ainsi que les professionnels et les établissements de santé. La complexité des groupes homogènes de séjours (GHS) en est l’illustration.
M. le rapporteur. Les organisations syndicales siègent dans les conseils des organismes sociaux. Que faites-vous concrètement pour réduire la complexité du système ?
M. Jean-Michel Cano. Je participais hier à la commission de réglementation de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, qui s’est opposée à un projet de décret tendant à créer de nouveaux groupes homogènes de séjours, dont l’effet serait de complexifier encore la situation. Il faut cesser d’empiler les normes, car personne n’y comprend plus rien. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas une démarche délibérée ; non pas du pouvoir législatif, qui ne fait que définir un cadre, mais du pouvoir réglementaire qui négocie et échange avec certains professionnels de santé. Aujourd’hui, un médecin conseil contrôlant un établissement de santé peut très bien voir sa décision remise en cause parce qu’une appréciation différente est retenue par la caisse primaire d’assurance maladie voisine ou au niveau national.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes convaincus de la nécessité de clarifier un paysage devenu une telle jungle que personne ne peut plus en avoir une vision exhaustive et opérationnelle. C’est pourquoi nous allons vous inviter à participer à un travail collectif. Quelles propositions pourriez-vous aujourd’hui nous faire ?
M. Jean-Michel Cano. En cas de fraude avérée, les cliniques et les professionnels de santé se dégagent de leur responsabilité en remboursant le montant fraudé. Mais l’assurance maladie engage des dépenses importantes pour réaliser les contrôles : il a ainsi fallu mobiliser huit agents pendant six mois pour percer à jour une fraude de trois millions d’euros commise par une clinique de la région parisienne ; est-il normal que celle-ci ne rembourse que le montant de la fraude ?
J’appelle en outre votre attention sur la durée de conservation des pièces, de deux ans et trois mois : c’est trop peu. Quand on détecte une fraude commise par un professionnel de santé, il est impossible de remonter au-delà de cette durée faute de documents probants. Or on ne peut pas caractériser la fraude en l’absence de pièces. Il conviendrait d’assurer une véritable dématérialisation de ces pièces, avec l’approbation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou bien d’allonger la durée de conservation des données afin de permettre des recherches sur des périodes plus longues.
M. le rapporteur. La Cour des comptes observe que très peu de sanctions sont prononcées à l’encontre des professionnels de santé, qui s’exposent surtout à devoir rembourser le montant de leur fraude. On n’a pas l’impression d’une volonté de s’en prendre aux professionnels qui abusent du système. Ne pourriez-vous pas vous faire l’écho de cette préoccupation auprès des organismes sociaux ? La décision de poursuivre ou non les professionnels de santé relève de la responsabilité de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.
M. Jean-Michel Cano. Elle exerce des poursuites, mais vous connaissez ses relations avec les professionnels de santé et l’impact que peut avoir le fait de cibler l’un d’entre eux comme fraudeur.
M. le rapporteur. La Cour des comptes écrit que l’impunité des professionnels de santé n’est satisfaisante ni du point de vue de l’équité, ni du point de vue de l’efficacité.
M. le coprésident Pierre Morange. Estimez-vous que les tribunaux sont suffisamment saisis de tels faits ?
M. Jean-Michel Cano. Oui, mais le lobbying dont fait l’objet l’assurance maladie la contraint régulièrement à faire machine arrière. Je pense notamment au Conseil national de l’ordre des médecins et à diverses organisations qui se sont précisément fédérées pour éviter de telles actions en justice. En cas de fraude d’un médecin, il est possible de saisir soit le tribunal des affaires de sécurité sociale soit le Conseil national de l’ordre, et le choix est difficile.
M. le coprésident Pierre Morange. Quid de la saisine des procureurs de la République en cas de violation du code des marchés publics par les établissements de santé ? Avez-vous le sentiment qu’ils sont suffisamment saisis ?
M. Jean-Michel Cano. Oui, c’est mon sentiment.
M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière (FO) chargé de la protection sociale. Partageant assez largement tout ce que mes collègues ont pu dire jusqu’à présent, je n’y reviendrai pas. Pour Force Ouvrière, la lutte contre les fraudes est un impératif qui tombe sous le sens. Depuis déjà un certain nombre d’années, nous constatons dans les organismes que la volonté de lutter contre les fraudes grandit. Il faut souligner que l’évolution est réelle.
M. le rapporteur. C’est un peu grâce à nous !
M. le coprésident Pierre Morange. J’ai encore un souvenir précis de la diabolisation dont avaient fait l’objet, en 2006, mes amendements sur l’interconnexion des fichiers… Depuis, les esprits ont fortement évolué.
M. le rapporteur. Nous avons fait un peu de pédagogie…
M. Jean-Marc Bilquez. Sans retirer aux parlementaires leurs mérites, je crois nécessaire de reconnaître ceux des personnels : en disant que les organismes sont convaincus de la nécessité de lutter contre la fraude, je ne parle pas seulement, bien entendu, de leurs dirigeants, de leur conseil d’administration ou de leur modeste conseil car à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, où je siège, nous ne sommes plus administrateurs. Mais je pense surtout aux personnels.
M. le coprésident Pierre Morange. S’agissant de « l’appropriation culturelle » de la démarche de lutte contre la fraude par les personnels, la Cour des comptes a formulé dans son rapport une appréciation plus tempérée que la vôtre. Pensez-vous que son avis est un peu daté ou que des progrès ont eu lieu ?
M. Jean-Marc Bilquez. L’appréciation de la Cour des comptes me paraît, en effet, un peu datée : il existe toujours une marge de progression mais il nous paraît clair, quand nous parlons avec les personnels, que les choses avancent. Cela dit, leur sentiment est qu’ils n’ont pas toujours les moyens de faire leur travail. Ce problème de moyens ne relève pas de la direction des organismes, mais de l’État. À la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, M. Jean-Michel Cano et moi-même venons de participer à des discussions sur la convention d’objectifs et de gestion, dont le contenu est à cet égard dramatique : j’ai voté sans aucune difficulté l’orientation « gestion du risque », dont la lutte contre la fraude fait partie, mais j’ai néanmoins voté contre la convention d’objectifs et de gestion, l’État n’apportant pas les moyens nécessaires. L’aveuglement avec lequel la révision générale des politiques publiques (RGPP) est appliquée aux organismes sociaux conduit ainsi les personnels à se trouver confrontés à un problème de crédibilité de leur travail : ils ne peuvent pas aller au bout de ce qu’ils voudraient faire. J’insiste sur la responsabilité de l’État dans cette situation.
Au-delà de la fraude aux prestations et de la fraude aux cotisations, il faut s’intéresser au champ de fraude énorme qu’a révélé l’affaire du Mediator. Elle sera peut-être suivie d’autres affaires.
M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS avait effectué une mission sur le médicament, sa fiscalité, sa prescription et son utilisation. Le rapport établi par notre collègue socialiste Mme Catherine Lemorton, qui avait été fortement contesté par l’industrie pharmaceutique, préconisait le renforcement des dispositifs de pharmacovigilance. La MECSS l’avait voté à l’unanimité.
M. Jean-Marc Bilquez. Il faudrait aussi se préoccuper du problème de la sous-déclaration des accidents du travail, qui fait régulièrement l’objet de rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Il s’agit, là encore, de fraudes et d’abus de la part des employeurs. Peut-être l’assurance maladie n’en fait-elle pas assez, mais quels sont ses moyens d’action ?
Enfin, il me paraît essentiel de mener un travail de prévention sur l’ensemble des sujets, à l’égard des assurés, des professionnels de santé et de l’ensemble des personnes concernées.
M. le rapporteur. À combien chiffrez-vous la fraude pour la branche Maladie ? Et que dites-vous des surfacturations dont la Sécurité sociale est victime dans les hôpitaux ?
M. Jean-Marc Bilquez. Je ne suis pas un technicien du chiffrage.
M. le rapporteur. Mais que pensez-vous des radios à répétition, des examens redondants ?
M. Jean-Marc Bilquez. Sur ces sujets, il faut être prudent et éviter les poncifs.
Je rappelle que la tarification à l’activité (T2A) n’est pas une invention française. Elle est appliquée dans beaucoup de pays, dont certains ont d’ailleurs commencé à faire marche arrière.
Par ailleurs, dans la définition des groupes homogènes de séjours, le ministère de la santé me paraît avoir un rôle central.
M. le coprésident Pierre Morange. Il ne s’agit pas pour nous de jeter la pierre à tel ou tel, mais de trouver comment mettre fin à certains dysfonctionnements.
M. Jean-Louis Besnard, conseiller national de l’Union des syndicats autonomes (UNSA). L’organisation à laquelle j’appartiens occupe une place quelque peu marginale dans les organismes sociaux, ce qui limite sa capacité d’expertise. La lutte contre la fraude est évidemment pour nous un objectif d’intérêt général ; sans doute faudrait-il s’intéresser d’aussi près à la fraude fiscale qu’à la fraude sociale.
M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS, émanation de la commission des affaires sociales, ne peut s’occuper que de ce qui relève de son champ de compétences.
M. Jean-Louis Besnard. Les chiffres qui ont été avancés concernant la fraude sociale ne sont que des évaluations, incertaines et bien inférieures à celles de la fraude fiscale. Il me paraît nécessaire de se garder d’un discours stigmatisant et réducteur.
M. le coprésident Pierre Morange. Je rappelle les montants : la fraude fiscale est estimée entre 30 et 40 milliards d’euros chaque année ; pour la fraude sociale, on évoque en général une fourchette de 10 à 12 milliards. Mais ces montants ne sont qu’une estimation.
M. Jean-Louis Besnard. Mon intention n’est nullement de minorer l’importance de la fraude sociale, ni bien évidemment la nécessité de lutter contre.
Je rejoins Mme Danièle Karniewicz pour dire qu’il faut veiller à améliorer l’accès aux droits : les réglementations sont non seulement compliquées, mais variables dans le temps, ce qui crée beaucoup de difficultés pour les assurés, qui peuvent se retrouver dans une position de fraudeur sans l’avoir voulu.
S’agissant des techniques de lutte contre la fraude, les administrateurs des caisses ne me paraissent pas les mieux placées pour déterminer les procédures les plus adéquates.
M. le rapporteur. Selon la définition qui figure dans le code de la sécurité sociale, la fraude suppose un caractère intentionnel. C’est sur cette fraude que portent les estimations fournies par la Cour des comptes.
M. Serge Cigana. Je voudrais, pour terminer, formuler quelques propositions concrètes.
Il faut clarifier la réglementation. On l’a vu en matière de cotisations sociales des entreprises, en faveur desquelles 266 millions d’euros ont été régularisés en 2009.
Comme il a été dit, il convient de faire un travail de prévention. La question de la réversion a été évoquée. Il serait également important de bien informer les auto-entrepreneurs que leur situation n’est pas celle des salariés en matière de droits à la retraite.
Concernant la fraude, le plan de communication a été bien perçu ; ce genre d’opération me paraît devoir être renouvelé.
Cela étant, il faut des moyens humains à la dimension de la tâche à accomplir. Nous n’ignorons pas les contraintes budgétaires actuelles mais nous réclamons un renforcement des moyens car il en va de la capacité des organismes à agir : actuellement, je le répète, certains départements disposent d’un demi-équivalent temps plein pour la lutte contre le travail illégal !
Il faudrait que les conseils généraux fassent partie des comités opérationnels départementaux anti-fraude.
J’ai déjà évoqué le suivi du recouvrement effectif des indus du revenu de solidarité active. La plupart du temps, il n’y a pas de préméditation. Dans la majorité des cas, il s’agit de personnes qui trouvent dans la fraude une solution à leur situation de précarité. Souvent les allocataires n’ont pas de ressources et on ne peut recouvrer auprès d’eux les sommes indûment perçues.
Je voudrais enfin évoquer des problèmes annexes qui peuvent engendrer des dérives : le non-recours aux droits – ce sujet fait actuellement l’objet d’une étude par la Caisse nationale d’allocations familiales et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) –, la répartition des médecins sur le territoire, le paiement à l’acte.
M. le coprésident Pierre Morange. Merci à tous. N’hésitez pas à nous faire parvenir des contributions écrites sur vos préconisations opérationnelles.
*
Audition de M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales, coauteur du rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances sur le dispositif des départs anticipés pour carrières longues.
M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales. Nous avons été saisis avant l’été 2008, à la suite d’une demande du directeur de la sécurité sociale, lui-même alerté à deux reprises depuis décembre par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, qui s’inquiétait d’une augmentation des flux d’examen des dossiers de complétion pour carrières longues.
Nous avons donc d’abord rencontré les trois têtes de réseau, la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés. L’Inspection générale des finances ayant organisé une « suite » de brigades, nous pouvions avoir recours à l’ensemble de ses jeunes inspecteurs : de ce fait, nous avons pu visiter de nombreux sites et intervenir sur l’ensemble des réseaux sous une forme qui s’apparentait à des opérations « coups de poing ».
Après avoir conduit des tests dans des caisses, choisies au hasard, dépendant de chacun des trois opérateurs, M. David Lubek, de l’Inspection générale des finances, et moi-même avons concentré nos efforts sur la Mutualité sociale agricole (MSA), où nous avions identifié des éléments de fragilité, confirmés par des informations reçues par ailleurs.
À la mi-juillet, nous avons élaboré à l’attention du ministre du budget de l’époque, M. Éric Woerth, une note d’étape. Sur cette base, il a pris plusieurs décisions. Cependant, nos constats n’avaient déjà plus qu’une valeur historique : depuis janvier 2008, une circulaire de la direction de la sécurité sociale avait, fort heureusement, modifié le régime que nous avions contrôlé. Il était réellement « fraudogène », c’est-à-dire si fragile, si peu contraignant et si incitatif à la fraude que c’est un miracle que les fraudeurs n’aient pas été plus nombreux. Ce qui nous a frappés, c’est qu’aucun des trois réseaux n’avait songé à développer une approche commune aux régimes ou aux caisses, alors même qu’il avait été décidé, dans le cadre de la réforme des retraites, de favoriser les complétions de carrières longues. En outre, les décisions prises ne pouvaient être que très difficilement corrigées.
Nous avons débusqué des situations préoccupantes, voire cocasses. Aucune des trois têtes de réseau ne s’était rendu compte de l’extraordinaire hétérogénéité des conditions d’instruction des dossiers. Tandis qu’une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) pouvait avoir organisé un examen des dossiers sur pièces, la réception des demandeurs et le recoupement des informations, sa voisine, à quelques dizaines de kilomètres, ne convoquait même pas les bénéficiaires et calculait les retraites, non pas sur des bases forfaitaires, mais sur les salaires déclarés.
J’ai découvert qu’au lieu d’instruire les dossiers, un agent solitaire de la Mutualité sociale agricole de la région d’Île-de-France aidait les demandeurs à les améliorer. Le « festival » de témoignages douteux, d’invraisemblances, d’homonymies non vérifiées que nous avons découvert dans certains dossiers nous a parfois bien fait rire.
Malgré trois circulaires de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, personne n’a traité le problème. L’actuel directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole est d’ailleurs convenu du caractère surprenant de cette absence de réaction.
En fait, l’attention des pouvoirs publics a été attirée par un afflux de demandes que personne n’avait vu venir. C’est pourquoi nul ne saurait en faire grief à la seule Mutualité sociale agricole. Nous avons parfaitement pu expliquer cette augmentation du flux : la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés avait commis une erreur d’appréciation en ce qui concerne la validation des périodes d’apprentissage. Mais cette erreur, qui pouvait être corrigée sans difficulté, nous a fait découvrir d’autres pratiques et lors de la commission des suites qui s’est tenue à l’Inspection générale des affaires sociales l’an dernier, il a fallu adopter des correctifs importants. Pour parler pudiquement, l’affaire a montré que si la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole était bien une caisse centrale, elle n’était pas encore une vraie tête de réseau. Seules une ou deux caisses avaient évoqué la situation, de façon cursive et lacunaire, dans certains de leurs conseils.
Si, dans la chaîne de services à l’assuré, la culture de la réglementation, de la prestation, de l’instruction, du conseil étaient bien présentes, aucune approche n’y permettait de discerner les comportements déviants. Les agents n’étaient pas formés à ce travail. Le seul outil d’analyse du risque est celui que nous avons très modestement proposé dans notre rapport. Aujourd’hui, seule la réglementation fait écran à la fraude. Or, ne répondre aux risques de fraude que par un supplément de réglementation peut aboutir à des lourdeurs ainsi qu’à des pénalisations injustes.
À ce propos précisément, dernier paradoxe, ce dossier a fait apparaître la forte pénalisation par le système des fils d’agriculteurs passés par des maisons familiales rurales. Ils n’ont en effet pas pu faire valider leurs périodes d’apprentissage, les maisons familiales rurales n’ayant pas été reconnues par la loi de 1972 comme centres de formation d’apprentis alors qu’elles fonctionnaient effectivement comme telles. Dans le même temps, d’autres abusaient du système en faisant valider des périodes de travaux aux champs relevant de la pure poésie ! Cette injustice m’a laissé une certaine amertume.
M. Dominique Tian, rapporteur. À combien s’est monté le préjudice pour les finances publiques ?
M. François Schechter. À partir d’échantillons, nous avons estimé que la fraude portait sur 10 à 45 millions d’euros. Le rapport donne les raisons d’une telle amplitude.
M. le coprésident Pierre Morange. Ce montant s’entend-il tous organismes confondus ?
M. François Schechter. Oui.
M. le rapporteur. Ces fraudes pourraient-elles être parfois dues, non à un défaut d’organisation ou de vigilance de la part de la Mutualité sociale agricole ou des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, mais à des complicités ?
M. François Schechter. Nous avons repéré deux sortes de fraudes. La première est la fraude anodine, à attendre dans un système vraiment très relâché. Elle a été corrigée. Mais nous avons aussi découvert une entreprise de fraude organisée, au moyen notamment de faux documents, et constaté que des agents, ayant perdu leurs repères, pratiquaient une forme de délit d’initié social, en faisant profiter des proches d’informations dont ils disposaient à titre professionnel. Dans certaines caisses, des agents ont validé au profit de proches 70 trimestres d’un coup ! La fraude est alors avérée.
Même face à des faits précisément établis, les services de contrôle interne, puis les services de police, peuvent se retrouver en position incertaine si leur auteur prend un avocat. La commission des suites nous a ainsi expliqué que des dossiers n’avaient pas abouti parce que, en l’absence d’aveu des intéressés, il était très difficile d’aller au-delà de la constatation de la fraude. Si certains agents ont sans doute vu leur carrière retardée ou compromise, les conséquences pour d’autres, déjà retraités, ont été minimes.
C’est un problème à la fois de formation et de déontologie qui est en cause. À l’Inspection générale des affaires sociales, nous avons établi des règles très claires en matière de déclaration de conflit d’intérêts et d’information de notre direction au cas où, à l’occasion d’une mission, nous sommes amenés à traiter une information qui pourrait fragiliser les procédures de l’Inspection générale des affaires sociales et faciliter la défense des personnes contrôlées. Toute information qui pourrait être exploitée à des fins personnelles doit être portée à la connaissance du chef de corps, ne serait-ce que par courriel. Cette procédure n’existait pas dans les trois régimes lorsque nous y avons enquêté. Si leurs obligations générales étaient très proches de celles des fonctionnaires, les agents, pour des raisons historiques, n’ont reçu qu’une formation sommaire. De plus, la formation déontologique des agents d’encadrement du secteur médico-social, social et sanitaire reste très scolaire. Ils se contentent de gérer des procédures. Ceux qui ont utilisé des informations ont, je le répète, manqué de repères.
Un code de déontologie ne doit pas être seulement un document disponible sur l’intranet de la Caisse. Les managers doivent le « faire vivre ». Régulièrement, ils doivent expliquer les risques auxquels ceux qui s’écarteraient des règles exposeraient l’institution et s’exposeraient eux-mêmes, sachant que, dans ces cas, la fraude finit toujours par être détectée.
M. Dominique Tian, rapporteur. Celui qui verse les prestations doit-il se contrôler lui-même ?
M. François Schechter. Le contrôle interne des organismes de prestations sociales et des hôpitaux doit être lui-même contrôlé : il n’est pas raisonnable qu’une personne puisse en être chargée pendant vingt-trois ans d’affilée !
Les principaux organismes doivent disposer d’un corps de contrôle interne et, sans doute, d’un dispositif d’alerte : pour moi, à l’exemple des entreprises privées soumises à la loi américaine Sarbanes-Oxley, une personne doit pouvoir signaler des dysfonctionnements en étant protégée. Je me souviens aussi que, dans l’entreprise anglo-saxonne où j’ai travaillé, je recevais tous les deux mois une formation au titre de cette loi.
Dans les établissements de plus petite taille, il appartient aux corps d’inspection, dans le cadre de leurs plans de contrôle, non seulement de faire prendre conscience aux gestionnaires que des procédures de contrôle interne et qu’un contrôle de gestion régulier sont indispensables, mais de leur expliquer qu’eux-mêmes passeront régulièrement sous l’œil du contrôleur. Nous disposons désormais d’une jurisprudence à cet égard : le tribunal administratif de Paris a condamné l’ancienne Commission de contrôle des institutions de prévoyance, désormais fusionnée avec la Commission de contrôle des assurances, pour défaut de contrôle et de vigilance. L’environnement actuel impose donc déjà aux pouvoirs publics de procéder à ces contrôles. À l’Inspection générale des affaires sociales, nous mettons l’accent sur ce point.
Enfin, les organismes qui dépendent des collectivités territoriales ou de la direction générale de la cohésion sociale doivent relever, s’ils mènent des politiques publiques, d’un corps d’inspection et, sinon, d’un dispositif d’alerte. Le ministre chargé des affaires sociales dispose à leur égard d’instruments plus nombreux qu’auparavant : la direction de la sécurité sociale est désormais dotée d’un corps de contrôle et le secrétariat général pilote avec l’Inspection générale des affaires sociales la mission d’audit interne du ministère (MAI).
Les progrès sont réels : des leçons ont été tirées de ce qui s’est passé entre 2003 et 2006. Il faut dire que, lorsque nous avons présenté les résultats de nos enquêtes, les directeurs généraux des têtes de réseaux se sont sentis quelque peu sur la sellette…
M. le rapporteur. À l’occasion de l’audition de représentants de la Mutualité sociale agricole, nous avons découvert non seulement que des fautes avaient été commises, mais que des personnes s’étaient enrichies à titre personnel. À force d’insistance, nous avons fini par apprendre que la Mutualité sociale agricole d’Île-de-France avait procédé au licenciement de cinq agents et la caisse centrale d’un, et que, pour 10 000 dossiers réexaminés, 74 cas avaient fait l’objet d’une plainte au pénal pour fraude. C’est là un taux de poursuites extrêmement faible.
M. François Schechter. Pendant la tenue de la commission des suites, nous pressentions déjà ce qu’il allait en advenir. La mission elle-même a préconisé de ne traiter que les dossiers à risque portant sur plus de quatorze trimestres. Autrement dit, nous avons probablement de nous-mêmes « biseauté » fortement le dispositif.
Réunir les preuves est très complexe. Le dispositif que nous avons examiné est, je l’ai dit, « fraudogène » et difficilement amendable. Il est l’illustration de tout ce qu’il ne fallait pas faire. Il a été construit à la hussarde. Les circulaires ont été rédigées dans l’idée que les gestionnaires allaient par eux-mêmes découvrir la méthode de contrôle, ce qui n’est évidemment jamais le cas. Une forte proportion des agents ne disposait pas du niveau suffisant pour procéder aux contrôles. Les outils étaient désuets : dans bien des caisses de Mutualité sociale agricole, même la vérification de l’existence des exploitations était très difficile ; il fallait parfois appliquer des plaques de verre sur le cadastre. Certaines caisses n’étaient tout simplement pas en capacité de contrôler.
Une fois les éléments réunis, il revient à chaque directeur général d’apprécier les chances d’aboutir à une condamnation. Beaucoup de gens l’ont ainsi échappé belle. En outre, nous n’avons inspecté qu’une partie des caisses et j’ai appris, plus tard et par d’autres canaux, qu’ailleurs, la situation allait au-delà de ce que nous avions pu constater de plus grave.
L’inspection après coup n’est pas une solution pour remédier à un dispositif mal conçu. S’il était très généreux, ce qui était socialement et politiquement légitime, le nombre de situations folkloriques que nous avons pu mettre au jour montre aussi que, s’agissant de la complétion des droits comme de la vérification des pièces, l’organisation souffrait de vices originels.
M. le coprésident Pierre Morange. Les corrections apportées vous semblent-elles suffisantes ?
M. François Schechter. La commission des suites travaille sur la base des déclarations des personnes entendues. Dans ce dossier, cependant, le délégué interministériel, assisté d’un magistrat, était présent pour vérifier que les motifs juridiques invoqués par les caisses étaient les bons.
Les organismes ont été relativement honnêtes ; ils nous ont confirmé l’ampleur du « biseau » entre la fraude identifiée et les mesures correctives. Nous ne sommes pas allés ensuite vérifier si ces mesures, introduites par voie de circulaires ou de lettres circulaires et qui portaient sur la formation des agents, sur la déontologie et sur le renforcement du contrôle interne, étaient bien appliquées sur le terrain.
M. le rapporteur. Trouveriez-vous utile, comme l’un de nos collègues l’a préconisé, de créer un corps chargé de contrôler l’ensemble des organismes qui versent des prestations, selon les modalités en vigueur pour les contrôles fiscaux ?
M. François Schechter. Je vous répondrai en faisant appel à une expérience antérieure, dans un organisme privé, Experian, qui effectuait pour les douanes britanniques et pour les services fiscaux américains des tâches de contrôle de fraude, selon des procédures strictes.
Pour moi, en créant son corps de contrôle – qui n’est pas un corps d’inspection –, la direction de la sécurité sociale a bien identifié la nécessité de définir des modalités adaptées aux spécificités des organismes sociaux. En revanche, que ce corps de contrôle soit placé auprès du directeur pourrait avoir des répercussions sur la relation entre la direction de la sécurité sociale et ces organismes. Une voie médiane consisterait à ce que les corps de contrôle interne rendent compte, sous une forme à définir, au pouvoir législatif.
En revanche, créer un nouvel acteur supposerait de clarifier les compétences de la mission d’audit interne, des inspecteurs de la direction de la sécurité sociale, de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances. Lorsqu’on examine leurs modes de travail, une coordination n’a rien d’évident. L’Inspection générale des affaires sociales élabore un programme de travail qu’elle soumet au ministre et les organismes sociaux entrent sans aucun doute dans le champ de son contrôle. Mais le directeur de la sécurité sociale, s’il ne l’a déjà fait, vous expliquera sans doute beaucoup mieux que moi, de façon très documentée, pourquoi ce nouvel acteur n’est pas utile !
Se pose aussi une question de coût, surtout si vous considérez qu’au-delà des procédures, le contrôle devrait également porter sur l’ensemble de la gestion de ces organismes, et notamment sur leurs politiques de regroupement de sites ou de mutualisation des moyens.
La réponse à la question que vous posez touche aussi à l’organisation de l’État ; c’est pourquoi elle doit être débattue au plus haut niveau.
Pour les Anglo-Saxons, c’est au moment du calcul de la prestation qu’il faut agir. La transposition de cette méthode en France est délicate : aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les données personnelles font l’objet d’un traitement trop différent du nôtre. Le contrôle s’y appuie sur des systèmes d’aide à la décision reposant eux-mêmes sur l’utilisation de bases de données et de recoupements. Le débat qui a duré quinze ans en France sur le numéro d’inscription au répertoire (NIR) a été réglé aux États-Unis en 1947 ou 1948 ; les deux premiers ordinateurs d’IBM capables de traiter ce type de données achetés par l’administration civile américaine ont été destinés à l’Internal Revenue Service. La Grande-Bretagne dispose également d’un système de bases de données pour lutter contre la fraude. Je ne saurais vous assurer que les résultats sont meilleurs qu’en France, mais il est certain que chaque directeur régional dispose ainsi d’informations sur la situation d’un administré ou d’un assuré social au regard des dispositifs fiscaux sans commune mesure avec celles dont dispose un directeur d’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales sur la situation de chaque bénéficiaire ou cotisant au regard des prestations versées, à verser ou en attente.
Les différences entre modalités de contrôle américaines ou britanniques et françaises ne s’arrêtent pas là. Aux États-Unis, mentir à un corps de contrôle est un crime. Devant une mission de contrôle, tout agent public détenteur d’autorité est ainsi mis dans une situation psychologique très différente de celle d’un agent français. Il sait que, dans le déroulement même de la procédure, omettre des éléments, ne pas effectuer toutes les diligences, le met juridiquement en situation de risque à titre personnel. Sa responsabilisation est ainsi très large. De plus, la judiciarisation américaine l’expose à être attaqué par un usager, éventuellement aidé d’un avocat bien informé.
Je suis toutefois persuadé qu’en France, le régime de la faute de service sera un jour ou l’autre supplanté par un régime de responsabilité personnelle.
Cela dit, pour précis que soient ces dispositifs d’aide à la décision – qui seraient en France en contradiction avec la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés –, ils ne sont pas pour autant parfaits : des bandes comportant des données nominatives ont été retrouvées dans une poubelle…
M. le rapporteur. À mesure que nous avançons, nous constatons aussi que les dossiers sont traités de façon anonyme, sous forme dématérialisée, sans qu’il y ait une rencontre physique entre le demandeur et l’agent. Le face-à-face n’aurait-il pas permis d’éviter les fraudes, et si oui, en quelle proportion ?
M. François Schechter. Notre rapport expose très clairement que convoquer les bénéficiaires et leur demander les pièces dont ils se prévalent aurait permis d’éviter un nombre considérable de situations qu’on peut aujourd’hui qualifier de frauduleuses. Cela étant, au moment où les faits se sont produits, leurs auteurs ont pu, vu la faible rigueur du système, n’y voir que des « bons coups » à faire, un peu comme lorsqu’on réussit à éviter de payer au parcmètre !
L’inconscience que nous avons constatée nous a stupéfiés. Nous avons par exemple retrouvé des mots de remerciement pour des indications fournies adressés par téléphone aux bénéficiaires de ces situations. Aujourd’hui pourtant, la circulation de l’information permet de contourner la protection juridique dont pensent bénéficier les acteurs publics.
Cela étant, je pense effectivement que rencontrer physiquement les bénéficiaires au moins une fois au cours de la procédure pour leur poser une série de questions préparées à l’avance permettrait de détecter des comportements répréhensibles.
M. le rapporteur. Dans certains cas, une simple lecture des attestations de travail aurait pu permettre de voir qu’elles couvraient une période où l’intéressé n’était pas encore né !
M. François Schechter. C’est là, au mieux, de l’amateurisme !
C’est une folie que de fonder un système sur la moralité du bénéficiaire. Un dispositif doit être rigoureux, précisément expliqué aux agents, et appliqué avec méthode. La personne qui en bénéficie doit pressentir qu’elle sera contrôlée.
Tout un dossier a pu être rédigé de la même main et comprendre des attestations attribuées aussi bien à un maire honoraire, père du bénéficiaire, qu’au gardien du château de famille ! D’autres personnes, à l’inverse, avaient visiblement été guidées par l’agent : on trouvait leur lettre de remerciement dans le dossier, où l’employé l’avait laissée !
Tous les services encaisseurs souffrent de ce que j’appellerai un peu pompeusement une « fracture actuarielle ». Ils se satisfont d’encaisser, sans se soucier du décalage entre le montant perçu et celui des droits ainsi ouverts, qui peuvent être dix ou cinquante fois supérieurs compte tenu de la durée moyenne pendant laquelle ils seront honorés. La raison en est sans doute d’abord que nombre de leurs agents n’ont pas été formés, ayant été recrutés dans les années 1970 pour mettre en œuvre un système beaucoup plus simple. On devrait à tout le moins fournir à ceux qui instruisent les dossiers de reconstitution de carrière une table leur indiquant la prestation moyenne qui sera versée pour chaque euro perçu par la caisse. Nos collègues de l’Inspection générale des finances sont arrivés à démontrer à des dirigeants de caisses stupéfaits qu’en cumulant les dispositifs de validation, une mise de fonds de 5 000 ou 6 000 euros permettait la constitution d’un revenu complémentaire annuel décuple ! Personne dans le dispositif n’en avait conscience. L’alerte est venue de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, en décembre 2007, et de plus pour un motif qui n’était pas le bon ! L’envolée qui a attiré son attention avait en effet pour origine, non pas les modalités de liquidation, mais les validations de périodes.
M. le rapporteur. Du fait de la facilité avec laquelle de faux dossiers peuvent être construits à partir de fausses identités et de faux documents d’entreprise créateurs de droits, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, nous a-t-on dit, commence à servir des retraites à des personnes n’ayant que très peu travaillé, voire pas travaillé du tout. Pour y remédier, ne faudrait-il pas envisager de réexaminer à fond certains dossiers, choisis par tirage au sort ?
Ne serait-il pas souhaitable également de revenir sur le caractère irrémédiable du versement de la pension liquidée, et ce pour l’ensemble des branches ? Cette réflexion me semble aussi valable pour le handicap : handicap déclaré et handicap réel sont-ils toujours identiques ?
M. François Schechter. Le premier devoir d’un organisme, c’est de tester la robustesse de ses procédures. Deux techniques sont possibles, celle du « client mystère » et celle du contrôle externe massif. La méthode pratiquée dans le secteur privé sous le nom de « client mystère » consiste à injecter régulièrement dans les procédures d’instruction, en respectant bien entendu des règles déontologiques, des dossiers complètement fictifs et frauduleux, pour voir ce qu’il en advient. Un collègue et moi-même avions proposé, sans succès, à la mission de la préconiser. Après la présentation orale du rapport, le ministre du budget de l’époque avait repris un temps cette idée, mais les organismes contrôlés n’en ont pas voulu.
Quelles sont les possibilités pour un opérateur public de revenir sur une liquidation ? Les pistes sont peu nombreuses. L’administration fiscale recourt à l’abus de droit qui est l’utilisation d’un dispositif dans un but contraire à son esprit. Mais la procédure est très lourde. Intéressante pour des montages financiers, elle ne paraît guère utilisable dans des dossiers qui ne portent que sur 3 000 euros.
Une autre voie possible est celle de la liquidation provisoire ; le droit est servi, mais, compte tenu de la qualité jugée insuffisante des pièces, pour une durée limitée à la fin de laquelle, s’il n’y a pas été remédié, le service n’est pas prolongé. Cette procédure ne concernerait évidemment qu’une petite partie des dossiers, c’est-à-dire ceux qui présentent des risques.
Comment les déterminer ? Un graphique publié dans le rapport devrait être sur le bureau de chaque directeur de caisse : le croisement de la productivité et de la complexité de la fraude permet d’identifier dans chaque organisme quatre ou cinq dispositifs à risque, et donc les dossiers les plus sensibles.
Même si un membre du Conseil d’État nous a confié ses réticences pour des raisons juridiques, instaurer une période de liquidation provisoire a l’avantage de ne pas refuser les droits.
Qui prendra la décision de cette liquidation provisoire ? Quel sera le champ de contentieux ouvert ? Dans le cadre de la mission de sécurisation des procédures juridiques dont j’ai été chargé, j’ai examiné pendant deux mois avec les avocats de la place de Paris les conditions dans lesquelles les procédures sociales pouvaient être attaquées. Les « entrepreneurs du droit » étant ce qu’ils sont, des champs contentieux très complexes risquent d’être ouverts, portant notamment sur les relations entre la liquidation provisoire et le patrimoine de la personne. Il reste que le fraudeur ne doit pas éprouver le sentiment d’impunité que nous avons rencontré. L’avertissement, figurant sur les formulaires, relatif aux risques auxquels expose toute déclaration frauduleuse n’est pris au sérieux par personne aujourd’hui.
Il nous faudrait pouvoir amener les intéressés à accepter que leur situation puisse faire l’objet d’un examen, en vue d’une liquidation définitive, en allant au-delà de la production de pièces dont on a vu que certaines peuvent être fausses. À Marseille, on a découvert une entreprise spécialisée dans la constitution de faux dossiers en kit.
M. le rapporteur. Une affaire est en effet actuellement traitée par la justice dans cette ville – dont je suis l’élu. Il s’agirait d’une fraude aux carrières longues qui concernerait des centaines de personnes et aurait été réalisée grâce à de nombreuses complicités internes. J’ai aussi découvert, dans le cadre d’une mission sur les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), des milliers de kits constitués à partir de fausses attestations revêtues d’un tampon très officiel, et vendus 1 500 euros pièce à l’entrée des agences.
L’éparpillement du système social français n’est-il pas une des causes de la fraude ? Le regroupement des informations, à l’instar de ce que pratique par exemple la Belgique, ne permettrait-il pas de mieux combattre celle-ci ? En France, la multiplicité des entrées, la constitution de dossiers parallèles, l’absence de regroupement des informations sur les personnes, l’identification très difficile de leurs ressources ne constituent-elles pas autant de portes d’entrée très facile pour la fraude ?
M. François Schechter. Ne pas pouvoir mutualiser des informations sur les assurés pour examiner la cohérence de leurs différentes situations est en effet un élément de fragilité. Cela dit, la jurisprudence récente est très peu favorable à ce type de recoupements. Je ne sais pas quelle serait la position de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Une solution intermédiaire est peut-être possible. Pendant notre mission, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales étaient en train de mettre en place l’interlocuteur social unique (ISU) du Régime social des indépendants (RSI). Or, chaque rapprochement de deux systèmes d’information donne le sentiment qu’il impose de soulever des montagnes, donnant notamment lieu, presque toujours, à un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales ou de l’Inspection générale des finances, alors que ce type d’action ne semble pas poser problème dans d’autres pays européens. Si cette particularité française est pour moi un mystère, l’expérience de l’interlocuteur social unique me laisse penser que les rapprochements sont des périodes à risque : c’est parce qu’ils étaient mobilisés par cette tâche que le Régime social des indépendants et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales se sont détournés de leurs missions de contrôle.
Sans doute conviendrait-il de sensibiliser les cadres dirigeants des organismes à la nécessité de procédures internes de lutte contre les fraudes et de politiques coordonnées destinées à détecter celles-ci. Il leur appartiendrait ensuite de prendre des initiatives, en liaison avec les directions des affaires juridiques et avec les services d’information. Si nos interlocuteurs déploraient les fraudes, et tentaient de se les expliquer, aucun ne s’en sentait véritablement responsable, alors même que le cabinet du ministre et les deux corps d’inspection s’étaient mobilisés, et que le ministre avait même pris le risque politique de constater la fraude.
Les trois circulaires de remise au point de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole sont plutôt curieuses. On y trouve des formulations du type : « il importera d’examiner attentivement les pièces », comme si une indication contraire était possible !
Quelles procédures instaurer ? Dans les années soixante-dix, le corps de direction de chaque caisse de sécurité sociale allait régulièrement réviser les dossiers pour apprécier le travail des agents. Les directions des caisses doivent se considérer comme responsables de l’instruction des dossiers et du contact avec l’assuré. Lorsque cinquante personnes arrivent le même jour de la même ville munies du même dossier pro forma, les agents doivent savoir que la direction attend qu’ils la préviennent. Elle aura vite compris la manœuvre !
Deux ou trois fois par an, les inspecteurs expérimentés de l’Inspection générale des affaires sociales se mêlent aux plus jeunes dans une opération de contrôle. Suivant cet exemple, les directions des caisses devraient régulièrement instruire des dossiers. Chacun des membres de la haute direction du numéro un mondial de la distribution de la parfumerie tient un poste de vendeur en magasin deux semaines par an ! Il peut ainsi comprendre les modalités des vols. Imposer une période de présence sur le terrain améliorerait sans aucun doute la lutte contre la fraude.
Par ailleurs, il revient à la direction de la sécurité sociale d’élaborer chaque année un plan de lutte contre la fraude, de définir des priorités et, grâce à son corps de contrôle, d’en vérifier l’application.
M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur l’inspecteur général, merci de ces informations.
*
AUDITION DU 17 FÉVRIER 2011
Audition de M. Philippe Gosselin, député de la Manche, membre du collège de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et M. Paul Hébert, chef du service des affaires juridiques.
M. Philippe Gosselin, député et membre du collège de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Alex Türk, président de la CNIL, retenu par une réunion plénière. Cela fait deux ans, pour ma part, que je suis chargé du secteur qui vous intéresse.
Sans être une des missions confiées par le législateur à la CNIL, la lutte contre la fraude est au nombre de ses préoccupations. À aucun moment, la Commission n’a souhaité favoriser la rétention d’informations, ni ériger des barrières infranchissables en arguant de la législation ou de la réglementation en vigueur.
Un ensemble de dispositions nouvelles a été adopté depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006. La CNIL a toujours accompagné ces évolutions, même si elle conserve une sensibilité qui n’est pas sans lien avec le contexte de sa création, en 1978 : un certain laisser-aller, source de vives inquiétudes, existait alors en matière de fichiers et d’interconnexion.
En dépit de cette sensibilité, la CNIL n’a jamais constitué un frein, ni exercé de blocage, que ce soit dans le cadre du système de déclaration des fichiers, qui représente l’essentiel de son activité, ou dans le cadre des autorisations qu’elle délivre. Le collège de la CNIL et ses services ont fait leur l’objectif de lutte contre la fraude.
Si des difficultés semblent encore exister, dans certains cas, c’est peut-être que les fondements législatifs de l’intervention de la CNIL manquent de clarté. Comme son président aime à le rappeler, la CNIL est ce que le législateur veut bien en faire : son rôle est d’appliquer la loi, et elle n’a pas la capacité de déterminer ses propres missions. Quand la loi autorise des contrôles supplémentaires et des interconnexions de fichiers, comme c’est le cas depuis quelques années, la CNIL applique naturellement ces dispositions.
De façon plus générale, on observe que la culture de la lutte contre la fraude se développe non seulement au sein de la CNIL mais aussi dans des organismes tels que la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ou la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA), sans doute sous l’influence d’un certain nombre de parlementaires et sous celle de la MECSS. Plusieurs affaires de fraudes patentes ont par ailleurs défrayé la chronique et incitent à la prudence.
Sans chercher à exempter la CNIL de toute critique, je ne voudrais pas qu’on la perçoive comme « un empêcheur de tourner en rond ». Depuis trois ans que j’y siège, j’ai pu constater son souci de bien faire, et j’ai le sentiment que certains organismes s’abritent un peu facilement derrière ses préconisations en les présentant comme un obstacle à l’adoption des mesures de lutte contre la fraude.
M. le coprésident Pierre Morange. Dans un récent rapport, la Cour des comptes évoque, en effet, une interprétation particulière de votre doctrine, qui serait utilisée comme un frein à la mise en œuvre de certaines dispositions législatives visant à lutter contre la fraude sociale, notamment en matière d’interconnexion de fichiers. Les mesures concernées sont pourtant conformes aux préceptes de la CNIL, laquelle exige le respect de la confidentialité et l’existence d’une mission d’intérêt général.
Existe-t-il une doctrine écrite qui permettrait de régler ces difficultés une fois pour toute, et d’éviter la lecture à géométrie variable pratiquée par certains acteurs ?
M. Philippe Gosselin. Il n’y a pas de document précisant la position de la CNIL de façon claire, définitive et absolue : chaque demande constitue un cas spécifique. En revanche, une douzaine de délibérations, adoptées depuis 2008, forment une sorte de jurisprudence. La plupart du temps, la Commission donne acte de la déclaration des traitements informatiques en délivrant des récépissés. Des milliers de récépissés sont délivrés chaque année. D’autres cas, plus complexes, donnent lieu à de nombreux échanges et à une sorte d’instruction à charge et à décharge. Il en va de même pour les décrets et arrêtés pris après avis de la CNIL.
Certains organismes ont encore du mal à s’y mettre, mais il faut reconnaître que la lutte contre la fraude est une préoccupation relativement récente. Dans certaines caisses d’allocations familiales ou au sein de la Mutualité sociale agricole, certains agents n’ont pas encore totalement adopté la culture de lutte contre la fraude : ils considèrent que leur mission est, avant tout, de permettre aux assurés de bénéficier de leurs droits. Il reste que la situation commence à évoluer : nos échanges avec certains administrateurs des caisses d’allocations familiales, des caisses primaires d’assurance maladie et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) montrent que la lutte contre la fraude devient une priorité, alors que ce n’était pas toujours le cas, notamment chez les représentants syndicaux, pour des raisons compréhensibles. Certains cas ayant défrayé la chronique, la lutte contre la fraude sociale est désormais considérée, sinon comme une priorité absolue, du moins comme une politique importante.
Je le répète avec force, la CNIL n’a pas pour philosophie de chercher à s’opposer à la politique de lutte contre la fraude, qu’elle soit de nature sociale ou non. Toutefois, elle doit appliquer la loi : il ne peut pas y avoir d’interconnexion ou de création de nouveaux fichiers pour lutter contre la fraude sans base légale. C’est une limite consubstantielle au contrôle que nous sommes chargés d’exercer.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous prêchez des convaincus : le législateur mesure la place qui revient à la loi.
La lutte contre la fraude a longtemps fait l’objet d’une diabolisation, voire d’un terrorisme intellectuel. Aborder ce sujet revenait à s’exposer à la vindicte de certains représentants des branches assurantielles et des syndicats. J’ai pu le mesurer quand j’ai déposé des amendements tendant à permettre l’interconnexion des fichiers des organismes sanitaires et médico-sociaux.
Il a fallu un certain temps pour mieux faire admettre, sur le terrain, la nécessité de rendre compte aux Français de l’utilisation de leur argent au profit de la solidarité nationale. Il reste encore du travail à faire, et on ne peut pas se contenter d’être fataliste ; la situation économique actuelle rend encore plus nécessaire la rigueur dans la gestion des deniers publics.
J’en viens à un cas précis. Comment analysez-vous les retards, récemment dénoncés par la Cour des comptes, dans le croisement des fichiers des organismes sociaux et du ministère de l’intérieur, notamment le fichier AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) qui centralise les données concernant l’identité et la régularité du séjour des ressortissants étrangers en France ?
M. Philippe Gosselin. C’est un exemple typique de dossier enlisé dans les sables.
Un décret du 29 mars 1993 offrait un premier fondement juridique. Cependant, il a fallu le modifier pour tenir compte de la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France qui a imposé aux organismes chargés de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale de vérifier que les assurés étrangers satisfont aux conditions de régularité de leur situation en France. La CNIL a été saisie une première fois en décembre 1996 par le ministère de l’intérieur, et à nouveau en 1998 et en 1999. Pour être franc, il ne semble pas que les différents ministres de l’intérieur aient fait preuve d’un grand empressement à cette époque. Un nouveau dossier a été déposé en février 2001, puis des échanges d’informations et des demandes de compléments ont suivi. Parmi les organismes sociaux sollicités, seule la Caisse nationale d’allocations familiales a clairement manifesté un intérêt. La CNIL a rendu un avis favorable le 27 juin 2002, soit neuf ans après la parution du décret.
Si je suis entré dans le détail, c’est pour vous montrer que la CNIL n’a jamais cherché à exercer un blocage. Ce sont les organismes sociaux qui n’ont pas manifesté le souhait de bénéficier du dispositif, exception faite de la Caisse nationale d’allocations familiales. Les ministres de l’intérieur successifs n’ont pas non plus fait preuve de beaucoup d’allant.
La délibération de 2002 précisait que, conformément au droit commun, les ressortissants étrangers devaient être informés de la possibilité d’un rapprochement des fichiers ; que l’identité des caisses d’allocations familiales (CAF) de rattachement des allocataires ne devait pas être automatiquement transmise aux services préfectoraux ; que le ministère devait apporter des réponses suffisamment précises et explicites pour dispenser les caisses d’allocations familiales de se rapprocher des services préfectoraux concernés.
Malgré l’avis favorable rendu en 2002, le nouveau décret modifiant le précédent n’est jamais paru. On ne saurait en faire le reproche à la CNIL.
En 2009, le ministère de l’immigration a signalé que le dispositif d’interrogation du fichier par la Caisse nationale d’allocations familiales n’avait pas été mis en œuvre, et indiqué, dans un courrier en date du 28 avril de la même année, que cette question serait désormais prioritaire. Le dossier semble avoir été relancé : un fichier AGDREF 2 (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), succédant au projet GREGOIRE, est aujourd’hui en cours de finalisation. Le 10 février 2011, la CNIL s’est prononcée sur ce traitement qui doit permettre des échanges de données entre le fichier AGDREF et les systèmes informatiques des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi. Elle attend désormais les « dossiers de formalité » qui seront présentés par ces organismes. Si tout s’est accéléré, c’est que la volonté politique est là. Encore une fois, la CNIL n’était pas à l’origine des blocages constatés.
M. le coprésident Pierre Morange. Cette affaire apporte aussi la démonstration de l’efficacité de la MECSS, qui s’est beaucoup intéressée à cette question. Avez-vous une idée du calendrier de publication des décrets d’application ?
M. Philippe Gosselin. Il est question du printemps, me semble-t-il.
M. Paul Hébert, chef du service des affaires juridiques de la CNIL. Nous n’avons pas d’éléments plus précis à notre connaissance.
M. Philippe Gosselin. Beaucoup de temps s’est déjà écoulé depuis 1993… Les responsabilités étaient sans doute partagées, mais il y a certainement eu une volonté de ne pas faire une priorité de la lutte contre la fraude. Depuis quelques années, sous l’influence de la MECSS, mais aussi parce que l’environnement a changé, nous n’en sommes plus là. Sans me lancer dans un plaidoyer pro domo, j’observe que ce dossier illustre de manière emblématique que la CNIL a fait tout ce qu’il fallait mais qu’elle n’a pu rendre un avis favorable qu’en 2002, avant de devoir statuer une seconde fois.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pour avoir eu l’occasion de m’entretenir longuement avec la CNIL dans le cadre de la mission d’information sur les fraudes massives subies par l’Unédic, j’ai l’impression que la situation a évolué : la CNIL n’en est plus au stade des déclarations de principe.
Est-elle allée, pour autant, dans le sens d’une plus grande simplicité et d’une plus grande lisibilité ? Si l’on en croit les observations formulées par Mme Rolande Ruellan, alors présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, qui a travaillé en appui de notre mission et qui a aussi remis un rapport sur votre institution, on peut en douter : elle estime que vos avis sont souvent difficiles à comprendre et que leur interprétation peut se révéler délicate, y compris pour des magistrats de la cour – on peut donc imaginer ce qu’il en est pour d’autres acteurs.
Dans son audition du 16 septembre 2010, M. Bertrand Fragonard, que l’on ne peut considérer comme le plus radical en matière de lutte contre la fraude, nous a fait part des difficultés qu’il avait rencontrées, lorsqu’il dirigeait la Caisse nationale d’allocations familiales, pour convaincre la CNIL d’établir des interconnexions. Il existe, selon lui, une volonté manifeste de ne pas les autoriser.
D’autres auditions nous ont permis de constater, par ailleurs, que les acteurs sociaux peuvent aisément tirer parti des incertitudes planant sur l’appréciation exacte des décisions et des avis de la CNIL pour s’opposer aux interconnexions ou à la délivrance de documents : il leur est facile d’invoquer la notion de secret professionnel ou l’absence d’autorisation. La CNIL compte-t-elle rendre des avis plus simples, plus compréhensibles et plus facilement applicables ?
M. Philippe Gosselin. Rien n’interdit, dans la loi ayant créée la CNIL, adoptée en 1978 et modifiée en 2004, les interconnexions de fichiers. Il n’y a pas de blocage de principe. La CNIL a, en revanche, une position assez ferme sur l’utilisation de certains numéros d’identification, tels que le numéro d’inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, le NIR, qui permet d’accéder à de nombreuses informations – en particulier le lieu de naissance, en France ou à l’étranger. Il y a, sur ce point, une différence avec le système belge.
Si la CNIL a des préventions contre l’utilisation d’un numéro unique et le croisement systématique de tous les fichiers, ce n’est pas une lubie : le législateur lui a confié pour mission de veiller au respect de la vie privée.
J’en viens à la clarté de nos délibérations. Nous avons peut-être le tort de vouloir bien faire : au lieu de nous limiter à émettre une autorisation ou un refus, nous expliquons le cheminement suivi et il nous arrive de formuler des préconisations, voire des réserves, qui ont éventuellement une portée obligatoire. Ces éléments sont peut-être mal compris, et je veux bien croire que nous pourrions faire preuve d’encore plus de pédagogie, mais il ne faudrait pas que certains organismes, parce que cela les arrange, s’abritent derrière la prétendue complexité d’un avis de la CNIL pour ne pas porter à son terme la démarche attendue d’eux.
Que chacun balaie devant sa porte : il se peut que certaines délibérations suscitent des difficultés, notre souci de bien faire conduisant à donner des clefs de lecture au lieu de répondre simplement par « oui » ou par « non », mais il faudrait aussi que les organismes mettent plus d’entrain pour répondre aux souhaits du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire.
Je rappelle, en outre, que l’essentiel de l’activité de la CNIL ne consiste pas à se prononcer sur des demandes d’autorisation, mais à délivrer des récépissés : de nombreux fichiers sont constitués sur une base déclarative. Il suffit de se conformer au cadre normatif.
M. Paul Hébert. Il n’y a délibération qu’en cas de demande d’autorisation, et la réponse de la CNIL est très claire : elle accepte ou refuse la demande. Sauf erreur de ma part, la CNIL n’a jamais interdit d’interconnexion de fichiers.
Nos avis sont peut-être plus difficiles à lire parce qu’ils sont motivés de manière circonstanciée, sur la base de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Les caisses nationales ont entrepris de désigner des correspondants « informatique et libertés », ce qui est très positif. Nous disposons ainsi d’interlocuteurs uniques, au fait de la matière. La préparation des dossiers, si complexes soient-ils, en est facilitée, ainsi que les échanges ultérieurs.
M. le coprésident Pierre Morange. La Cour des comptes a appelé notre attention sur l’empilement des dispositions normatives. Que penseriez-vous d’une disposition qui autoriserait, de manière générale, l’interconnexion des fichiers dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale ?
M. Philippe Gosselin. À titre personnel, je ne verrais pas d’objection à ce que l’on précise, au plan législatif, que la CNIL participe à la grande œuvre commune qu’est la lutte contre la fraude. Cela permettrait peut-être de clarifier la situation, puisque chacun voit bien, y compris les membres du collège de la CNIL, la nécessité d’avancer sur cette question. Nous prendrions acte de l’évolution du cadre général, sans difficulté particulière.
Je suis plus réservé, en revanche, sur l’établissement d’un principe général d’interconnexion. La lutte contre la fraude est déjà une des finalités en considération desquelles nous nous prononçons, mais il me semble difficile d’en faire un principe général. Je vois mal, en effet, comment concilier un tel principe avec le fondement de la loi de 1978, à savoir le respect de la vie privée.
On peut sans doute faire mieux qu’aujourd’hui, mais sans aller jusqu’à la constitution d’un fichier unique regroupant toutes les informations disponibles, telles que les données de nature sociale, les fichiers de police, ou encore les permis de conduire et les cartes d’identité. Je grossis le trait à dessein, car ce n’est pas ce que vous proposez, mais constituer un fichier qui ressemblerait au « Big Brother » du roman 1984 de George Orwell poserait des risques sérieux d’atteinte à la vie privée. Même la banque de données Carrefour de la sécurité sociale de Belgique ne va pas si loin.
Au regard du principe de respect de la vie privée, je ne suis d’ailleurs pas certain que le Conseil constitutionnel accepterait l’instauration d’un principe général d’interconnexion.
Vous trouverez peut-être ma réponse un peu tiède, mais elle entrouvre la porte – sans doute plus que vous ne le pensiez.
M. le coprésident Pierre Morange. Vous défendez effectivement une option pragmatique consistant à améliorer de façon constante la loi. La MECSS, pour sa part, est bien consciente que nous ne sommes pas en 1984…
M. Philippe Gosselin. Il y avait quatre autorités administratives indépendantes en France quand j’étais étudiant, et aujourd’hui près d’une cinquantaine. Certains s’interrogent sur leur utilité, mais j’observe avec satisfaction que la CNIL n’est pas remise en cause – même si elle peut certainement progresser sur certains points, notamment en matière de lisibilité de son action. Je note aussi que de nombreux parlementaires s’intéressent à nous. Notre travail ne laisse donc pas indifférent.
M. Dominique Tian, rapporteur. La Cour des comptes a exprimé des critiques sur certains remboursements de frais mais aussi formulé des reproches sur la qualité des avis rendus, et notamment sur leur lisibilité.
J’appuierai mon propos sur un exemple figurant dans la liasse que vous nous avez fait parvenir. Les demandes n° 252.873 et n° 253.080 portaient sur le projet de liaisons automatisées envisagé par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et la Caisse nationale d’allocations familiales en matière d’allocation de parent isolé (API). Le service de cette prestation est un grave sujet de préoccupation pour nous, car elle fait l’objet de nombreuses fraudes. Aux demandes qui lui étaient faites, la CNIL a répondu que les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) « transmettront la liste des assurés sociaux connus comme relevant du régime R 660, afin que les CAF indiquent en retour, pour chacun d’eux, la période de versement de l’allocation sur les deux dernières années »…
Si je comprends bien, la CNIL raisonne par allocataire et par versement. Ne pensez-vous pas que l’on pourrait aller plus loin et plus vite ? On nous dit souvent que la CNIL acquiesce sur le principe, mais assortit sa réponse de telles restrictions que son approbation équivaut à un refus, les modalités qu’elle impose étant en réalité inapplicables.
M. Philippe Gosselin. Il faut raisonner au cas par cas : on ne peut pas systématiquement considérer telle ou telle catégorie d’allocataires comme des fraudeurs potentiels. Certaines précautions s’imposent donc. Des améliorations sont envisageables, mais elles ne concernent pas que la CNIL : indépendamment de toute interconnexion des fichiers, il revient aussi aux caisses d’allocations familiales et à la Mutualité sociale agricole de renforcer leurs contrôles.
M. le coprésident Pierre Morange. Il y a deux problèmes : celui de la lisibilité, et celui du traitement au cas par cas. En imposant des contrôles individuels, la CNIL prive de toute efficacité le cadre législatif que nous avons adopté, notamment pour la branche Famille. C’est une grande satisfaction pour nous d’apprendre que la CNIL est prête à des évolutions.
M. Philippe Gosselin. Les mentalités ont changé. J’en veux pour preuve qu’au cours des deux dernières années, la plupart des autorisations données et des avis rendus par la CNIL l’ont été à l’unanimité des membres du collège. Sans doute devra-t-elle faire œuvre plus pédagogique et pour cela renforcer ses échanges – déjà très fréquents – avec la Caisse nationale d’allocations familiales et la Mutualité sociale agricole. Mais, je le redis, beaucoup tient à ce que pendant très longtemps la lutte contre la fraude sociale n’a pas été considérée comme prioritaire dans notre pays.
S’agissant du document de la Cour des comptes, auquel vous avez fait référence, je noterai qu’il ne s’agit pas de son rapport définitif mais d’un relevé d’observations provisoires. La Cour n’y met pas en cause l’indemnité perçue par le président de la CNIL – qui n’a rien que de normal – mais son fondement juridique, qu’elle juge inadéquatement assuré. Comment, par ailleurs, reprocher au président de la CNIL, qui vient y travailler plusieurs jours par semaine, de se loger pour cela à l’hôtel ?
M. le coprésident Pierre Morange. Ce qui nous intéresse au premier chef est d’avoir la certitude que la CNIL ne mettra pas d’obstacle à ce que l’échange d’informations sur les dossiers se fasse de manière systématique et non au cas par cas. Pour parvenir à ce résultat, de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires vous paraissent-elles nécessaires ?
M. Philippe Gosselin. Sous réserve de vérification, je pense que le cadre légal actuel doit permettre une plus grande clarté. Mais en aucun cas une évolution ne pourra se traduire par une autorisation d’interconnexion générale de tous les fichiers comprenant le numéro de sécurité sociale (NIR).
M. le coprésident Pierre Morange. Soit, mais qu’en est-il de l’allocation de parent isolé spécifiquement évoquée par notre rapporteur ?
M. Philippe Gosselin. Je ne vois pas de difficulté particulière à réexaminer les dispositions pratiques de traitement de ces informations dans l’optique d’améliorer l’efficacité du système. Si, alors, des difficultés d’ordre légal apparaissent, il reviendra au législateur d’en tirer les conclusions nécessaires.
M. Paul Hébert. La CNIL reçoit de nombreuses demandes d’avis et d’autorisations d’organismes variés, et nous avons des réunions régulières avec les services de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. En précisant très souvent dans ses délibérations qu’aucune décision ne peut avoir pour seul fondement le rapprochement automatisé de données à caractère personnel, la CNIL ne fait que dire le droit. Ainsi, le répertoire national commun de la protection sociale, le RNCPS, peut être une aide à la décision, mais la CNIL ne souhaite pas que son utilisation se substitue à la décision humaine : si le rapprochement des données révèle une anomalie, il revient à une cellule spécialisée, dans chaque organisme considéré, de définir si une sanction doit être prise.
M. Philippe Gosselin. Et, je le redis, se pose aussi la question des moyens que chaque organisme consacre à la lutte contre la fraude.
M. Dominique Tian, rapporteur. La manière dont vous décrivez les choses correspond exactement ce que d’autres interlocuteurs nous ont indiqué : les avis rendus par la CNIL ne sont positifs qu’en trompe l’œil, car assortis de restrictions qui les rendent, en pratique, inapplicables.
M. Paul Hébert. Sans doute la CNIL doit-elle se faire plus pédagogue, mais il ne lui revient pas de passer outre un principe énoncé dans la loi. Il lui appartient singulièrement de vérifier le respect de l’article 10 de la loi du 6 janvier 1978 précitée, selon lequel aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données. Le législateur modifiera cet article s’il lui sied.
M. Philippe Gosselin. La question ne concerne pas la seule CNIL : qu’il n’y ait pas de sanction automatique est un principe général de notre droit. En appelant au contrôle individuel des situations, la commission ne fait qu’appliquer la loi. Indépendamment des commentaires que suscite la rédaction de ses avis, la difficulté tient au hiatus entre la mission confiée à la CNIL et celles qui incombent aux organismes sociaux.
M. le coprésident Pierre Morange. Il est indispensable de renforcer l’efficacité du dispositif de lutte contre la fraude. À cette fin, il est impératif que la décision soit prise à titre individuel mais que l’échange d’informations soit automatique.
M. Dominique Tian, rapporteur. Vous semblez considérer que la banque de données Carrefour de la sécurité sociale de Belgique n’est pas sans défauts. Or, ayant étudié sur place son fonctionnement, j’ai eu le sentiment que la Belgique était en avance sur nous en ce domaine. Ce dispositif permet en effet des vérifications faciles grâce à un système sécurisé, tout en évitant aux usagers des démarches multiples – et la Commission nationale de la protection de la vie privée belge n’y a rien trouvé à redire.
M. Philippe Gosselin. Les situations diffèrent. En premier lieu, à l’inverse de ce qui s’est passé en France, la banque de données Carrefour a été créée avant qu’une législation relative aux données personnelles soit adoptée en Belgique, cette législation a donc pris en compte les dispositifs existants. Ensuite, le numéro belge d’identification unique des citoyens et des entreprises recense des données moins fournies que le numéro de sécurité sociale en France – par exemple, ce numéro ne permet pas de déterminer si un individu est né en Belgique ou à l’étranger. Par ailleurs, la CNIL a pour doctrine que l’usage du numéro de sécurité sociale doit être cantonné à la sphère sociale ; si l’on souhaitait en venir à l’équivalent de la banque de données belge, il faudrait élargir cet usage. Enfin, un dispositif de ce genre, avec un identifiant unique, n’est pas sans risques : qui l’alimente en données ? Qui le contrôle ? Comment le sécuriser ?
En résumé, je ne crois pas que le mécanisme adopté par la Belgique soit entièrement transposable en France. En revanche, le répertoire national commun de la protection sociale créé en décembre 2009 et encore balbutiant pourrait avoir les effets attribués au système Carrefour en Belgique. Il est intéressant de prendre connaissance de ce qui se pratique ailleurs, mais il faut tenir compte de la diversité des approches culturelles.
M. Dominique Tian, rapporteur. En appréciant les multiples usages de la banque de données Carrefour, qui permet, par une clé d'accès unique – une pièce d’identité à caractère social – les relations entre les assurés sociaux et un ensemble de guichets de sécurité sociale et de services administratifs, ce dont les usagers sont fort aise, j’ai eu le sentiment que nous étions à des années-lumière de la Belgique. Et il ne me semble pas que les libertés publiques soient particulièrement menacées dans ce pays.
M. Philippe Gosselin. Nous pourrions faire figurer sur une carte unique des données utiles à des administrations différentes, à condition que ces informations soient segmentées : elles devraient être répertoriées sur des puces différentes, de manière que ce qui figure sur la puce « A » ne puisse être accessible qu’à l’organisme « A ». Des évolutions sont possibles : ainsi, on pourrait profiter du passage prévu au permis de conduire électronique, dans deux ans, pour inclure d’autres éléments dans ce nouveau document, sans pour autant remettre en cause ni la sécurité juridique ni le droit légitime au respect de la vie privée.
La CNIL ne juge pas en opportunité ; elle respecte le cadre légal et réglementaire qui lui a été fixé. Elle doit sans aucun doute s’évertuer à rédiger des délibérations plus immédiatement lisibles pour répondre aux reproches qui lui ont été faits à ce sujet mais il ne faut pas attendre d’elle plus que le respect des missions que la loi lui a confiées. La CNIL ne peut perdre son âme en trahissant la loi de 1978.
M. Dominique Tian, rapporteur. Au regard de l’approche retenue par la directive européenne relative à la protection des données à caractère personnel, certains ont le sentiment que la CNIL souhaite, pour justifier son existence, que les choses soient le plus compliqué possible.
M. Philippe Gosselin. L’argument est un peu facile, si je puis me permettre, et c’est faire à la CNIL un faux procès. Certaines critiques lui ont été adressées, dont j’ai pris acte. Il n’empêche que chacun s’accorde à reconnaître qu’elle a sa raison d’être – c’est notamment le cas du récent rapport d’information parlementaire sur les autorités administratives indépendantes, cosigné par M. Christian Vanneste, pourtant peu suspect d’être favorable à la multiplication de ces organismes. Siégeant au collège de la CNIL, je suis convaincu que la commission ne cherche pas à compliquer les choses. Mais il se trouve qu’elle intéresse beaucoup le législateur, si bien qu’au fil des textes, depuis deux ou trois ans, des amendements successifs sont venus brouiller ses missions, au point que la CNIL peine parfois à savoir exactement ce qui est attendu d’elle. Peut-être serait-il judicieux de remettre les textes à plat pour déterminer les attentes du législateur.
De même, s’il apparaît nécessaire de mieux coordonner l’action de la CNIL et certaines directives européennes, il revient à la représentation nationale de préciser ce qu’elle souhaite. La CNIL, dont le président a présidé plusieurs années le groupe de travail européen mis en place par l’article 29 de la directive européenne du 24 octobre 1995 sur la protection des données personnelles, a beaucoup apporté à l’Union européenne en ce domaine. Toutefois, les approches sont différentes selon que l’on adopte le point de vue continental ou le point de vue anglo-saxon, le droit anglo-saxon considérant comme des données commerciales ce que la France tient pour des données personnelles. On sait que la commissaire européenne chargée de ce secteur a une vision de ce dossier qui diffère de la vision française, et aussi que certains pays de l’Est de l’Europe ont fait d’autres choix que le nôtre. Ce débat, qui a trait aussi à l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des doits de l’homme, dépasse la CNIL. Mais, dans tous les cas, la commission prendra naturellement acte de la volonté du législateur.
M. le coprésident Pierre Morange. Messieurs, je vous remercie.
*
AUDITIONS DU 3 MARS 2011
Audition de M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants, Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé, Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et contrôle financier, M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement, et Mme Sandrine Toscanelli, chargée de communication.
M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants. Je souhaite tout d’abord dire quelques mots sur cette idée répandue selon laquelle les travailleurs indépendants frauderaient davantage que les salariés. Il s’agit tout simplement d’un mythe, comme d’ailleurs l’idée que les indépendants toucheraient de petites retraites : depuis 1973, ces dernières sont alignées sur le régime général et, si elles sont inférieures, c’est tout simplement parce que les indépendants cotisent moins longtemps.
Les administrateurs régionaux et nationaux du Régime social des indépendants souhaitent s’inscrire dans la politique de lutte contre la fraude menée à l’échelle nationale. Parce qu’ils voient dans ce phénomène une distorsion de concurrence, ils y sont particulièrement sensibles, tout comme d’ailleurs à tout ce qui a trait aux exonérations de cotisations salariales et fiscales. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir.
Le Régime social des indépendants est récent mais il a hérité de la politique de lutte contre la fraude qui était précédemment menée par les organismes qui ont été fusionnés. Ainsi, si nous gérons désormais, pour le compte de l’État, le recouvrement de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), il s’agit d’un domaine dans lequel la lutte contre la fraude a été développée depuis très longtemps.
Nous exerçons par ailleurs la quasi-totalité de la gamme des métiers de la protection sociale : nous assurons le recouvrement, pour le compte de l’État et pour nous-mêmes ; nous gérons les deux risques principaux que sont la maladie et la retraite, seules les prestations familiales nous échappant. De la sorte nous nous trouvons dans une situation plus proche de celle de la Mutualité sociale agricole (MSA) que de la branche générale.
J’observe d’ailleurs que la lutte contre la fraude concerne la totalité des secteurs de notre activité – recouvrement des cotisations comme versement des prestations –, ainsi que notre mission de service public.
Une autre particularité du régime des indépendants est que nous avons recours à de très nombreux délégataires pour exercer cette mission de service public. Ainsi, l’assurance-maladie est-elle depuis toujours délégué à des organismes conventionnés – mutuelles et assurances – qui traitent pour nous les filières de soins et les remboursements. Pour cette raison, nous ne disposons donc pas d’effectifs importants.
Depuis 2008, nous externalisons également le recouvrement de toutes les cotisations sociales des travailleurs indépendants dont le législateur a souhaité, en vue de mettre en place l’interlocuteur social unique (ISU), confier la collecte et le calcul aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Mais cela n’a pas été sans entraîner d’importants problèmes informatiques, qui persistent et dont la résolution mobilise toute l’énergie des agents de nos caisses régionales comme d’ailleurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Or, tant que l’on n’est pas capable d’assurer un service public de qualité pour calculer et pour recouvrer les cotisations, l’efficacité de la lutte contre la fraude est moindre. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons, dans la nouvelle convention d’objectifs que nous nous apprêtons à signer avec l’État, mettre tout particulièrement l’accent sur la lutte contre la fraude en espérant que ces problèmes de fonctionnement sont désormais derrière nous.
Bien évidemment, nous ne sommes pas pour autant restés les bras ballants : conformément aux directives qui ont été données à tous les organismes de sécurité sociale, nous nous sommes organisés, en interne comme avec nos partenaires, pour élaborer un dispositif permettant de détecter et de combattre la fraude. Nos trente caisses régionales et la caisse nationale sont désormais dotées de collaborateurs spécialisés et le service d’audit, chargé de piloter notre lutte contre la fraude, est directement rattaché au directeur général. Nous réunissons de façon assez systématique l’ensemble de nos correspondants fraude. Le processus est donc désormais bien lancé et il devrait produire des effets dans un délai raisonnable.
Alors que les recouvrements liés à la lutte contre la fraude avaient été assez homéopathiques en 2008, les documents que nous vous avons remis montrent qu’ils ont doublé pour atteindre 6,85 millions d’euros en 2009. Ce montant doit être rapporté à l’assiette des six cotisations collectées par le Régime social des indépendants au titre des six régimes qu’il gère, qui dépasse 9 milliards d’euros. On peut comparer ce recouvrement avec ce que nous faisons depuis des années en matière de lutte contre la fraude à la contribution sociale de solidarité des sociétés. Cette taxe, extrêmement impopulaire chez les chefs d’entreprise et frappant les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 900 000 euros, devait à l’origine être supportée par les grandes surfaces et bénéficier au petit commerce. Depuis lors, toutes les entreprises y ont été soumises et son produit a été affecté pour partie au Régime social des indépendants et pour partie à la Mutualité sociale agricole et aux autres organismes de protection sociale. Alors que nous prélevons à ce titre 5 milliards d’euros, nous avons réalisé, pour la seule année 2009, 80 millions d’euros de recouvrements dans le cadre de notre lutte contre la fraude. On voit bien d’une part que, lorsque nous disposons d’outils performants et que nous ne sommes pas perturbés par des problèmes informatiques, nous disposons d’un véritable savoir-faire et nous faisons preuve d’efficacité, d’autre part que nous n’avons nullement l’intention de nous soustraire à la politique nationale de lutte contre la fraude.
Nous sommes également chargés de l’immatriculation des auto-entrepreneurs mais la gestion, en particulier le recouvrement des cotisations, a été confiée aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Pour nous, ce régime fort utile n’est pas davantage générateur de fraude que les autres, même si son succès – nous immatriculons encore aujourd’hui plus de 25 000 auto-entrepreneurs chaque mois – ouvre de nouveaux horizons aux fraudeurs. Ainsi, afin d’alléger leurs charges sociales, certains entrepreneurs demandent à leurs salariés de recourir à ce statut. Il est assez difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, ne serait-ce que parce que 45 % des auto-entrepreneurs ne réalisent aucun chiffre d’affaires – ce qui ne fait bien évidemment pas d’eux des fraudeurs. Qui plus est, il est encore un peu tôt pour savoir combien de personnes qui se sont engagées dans cette voie vont développer suffisamment leur activité pour atteindre le plafond de ce dispositif et en sortir. On peut aussi se demander si l’auto-entreprise n’est pas une façon de légaliser des revenus d’appoint : aujourd’hui, un conseiller d’État, un parlementaire ou un directeur de sécurité sociale peuvent se transformer en auto-entrepreneurs… Quoi qu’il en soit, c’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup et sur lequel nous travaillons en étroite relation avec l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.
Enfin, même si nous ne disposons pas des outils nécessaires pour l’analyser, nous nous intéressons, en étroite liaison avec l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris, au développement du commerce par internet. Bien évidemment, nous ne sommes pas concernés lorsque des particuliers procèdent de façon raisonnable à des achats et à des ventes sur des sites comme ebay. Mais on trouve aussi dans ce domaine un certain nombre de professionnels du commerce qui commencent à intéresser sérieusement les services fiscaux et les organismes de protection sociale. En effet, le commerce électronique est une nouvelle façon de développer son chiffre d’affaires, sur laquelle il est extrêmement difficile d’asseoir des cotisations sociales, ne serait-ce que parce que l’on ne sait pas à partir de quel seuil de chiffre d’affaires et d’activité une personne peut être qualifiée de commerçant par internet.
Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé du Régime social des indépendants. S’agissant de la branche Maladie, nous nous distinguons assez nettement du régime général. C’est aussi un domaine dans lequel nous avons été mis moins en difficulté par l’institution de l’interlocuteur social unique, ce qui nous a permis de nous intégrer parfaitement dans la dynamique des politiques de lutte contre la fraude menées depuis 2006, année où 688 000 euros ont été collectés à ce titre. En 2009, les résultats de la lutte contre la fraude représentaient 5,217 millions d’euros, toutes actions – régime en lui-même et organismes conventionnés – confondues. Cette forte progression est similaire à celle qui est enregistrée dans les autres régimes. S’il est difficile de dire à quel pourcentage de la fraude globale ce total correspond, on peut toutefois noter qu’il représente 0,1 % de notre objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), qui atteint 6,5 milliards d’euros.
Notre action s’insère dans un plan national qui comporte notamment le contrôle de la tarification à l’activité (T2A) des établissements de santé ainsi que le contrôle des assurés, en particulier des indemnités journalières, qui font l’objet d’une réglementation spécifique. Au total, 4,625 millions d’euros sont ainsi collectés.
S’y ajoutent 340 000 euros au titre des fraudes individuelles, à la suite notamment de dénonciations, ainsi que 252 000 euros liés aux préjudices constatés dans le cadre de l’important accroissement de l’activité des organismes conventionnés.
En raison notamment du très fort accroissement du nombre des auto-entrepreneurs, la population couverte par notre régime s’est accrue de 13 % entre 2009 et 2010, tandis que le Régime social des indépendants enregistrait une progression de 2,7 % de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie, soit moins que ce qui était prévu.
M. Dominique Tian, rapporteur. La Cour des comptes estime la fraude, au minimum, à 1,5 % des dépenses. Un résultat représentant 0,1 % des dépenses reste donc limité.
Nous connaissons bien vos problèmes d’organisation, dont nos électeurs nous font part régulièrement. Mais la période de transition que vous avez évoquée paraît bien longue… Comment pensez-vous pouvoir progresser ?
Pourriez-vous par ailleurs préciser à quels types de fraude vous êtes confrontés ?
Enfin, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions sur le tableau que vous nous avez fourni car les sommes collectées paraissent très faibles.
Mme Stéphanie Deschaume. Tout comme le régime général, avec lequel nous travaillons dans le cadre des agences régionales de santé (ARS), nous contrôlons la tarification à l’activité des établissements de santé, pour lesquels la fraude consiste pour l’essentiel en un usage abusif de nomenclatures favorisantes.
Chez les professionnels de santé, la fraude passe surtout par des actes fictifs ou surcotés. Là aussi, elle se rapproche de ce que constate le régime général. Vous trouverez dans le dossier l’exemple d’une infirmière qui dépasse régulièrement la limite réglementaire quotidienne des actes infirmiers de soins (AIS), atteignant parfois 61 actes par jour…
Dans le cadre de ce contrôle, nous utilisons un système d’information décisionnel, qui nous permet d’émettre des requêtes et de dégager des profils atypiques présentant des dysfonctionnements quantitatifs. L’analyse du dossier entraîne un échange avec le professionnel avant que l’on aille éventuellement plus loin.
Au titre des soins infirmiers, les indus émis ont atteint 111 000 euros en 2009 et devraient dépasser 500 000 euros en 2010.
Pour les assurés, la principale problématique est celle des prestations en espèces. La réglementation est un peu différente de celle qui prévaut pour les salariés mais la loi de finances pour 2010 a élargi notre champ d’intervention. Nous pouvons désormais mieux contrôler les indemnités journalières des indépendants, notamment leur sortie de domicile, et donc une éventuelle poursuite de l’activité pendant l’arrêt de travail. Nous avons ainsi pu percevoir 776 000 euros en 2009, le montant pour 2010 n’étant pas encore connu. Je rappelle que, juridiquement, les indemnités journalières sont des prestations supplémentaires pour lesquelles nous avons une obligation d’équilibre financier, que nous vérifions mois après mois. De la sorte, les droits sont moins importants que dans le régime général, avec des délais de carence et un plus faible plafond de montant journalier. De la sorte, ce risque est aujourd’hui financièrement contenu.
M. Dominique Liger. N’oublions pas que, lorsqu’un travailleur indépendant est sous indemnités journalières, son activité s’interrompt. Les indemnités journalières sont d’ailleurs de création très récente dans le Régime social des indépendants.
Mme Stéphanie Deschaume. En effet, elles ont été instituées en 1995 pour les artisans et en 2001 pour les commerçants ; elles n’existent toujours pas pour les professions libérales. Par ailleurs, pour obtenir une indemnité journalière, il faut être à jour de ses cotisations pour ce risque. Le risque financier est donc contenu.
Nous exerçons aussi dans ce cadre une activité de contrôle médical et nous constatons que les arrêts de travail sont très souvent justifiés par des raisons médicales, en particulier chez des personnes de cinquante à soixante ans présentant des signes d’usure physique après des années de travail dans le bâtiment.
Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et contrôle financier du Régime social des indépendants. S’il est fréquemment indiqué dans le tableau qui vous a été remis en annexe 2 et présentant les différentes fraudes détectées en 2009 que la somme finalement récupérée suite à la détection d’une fraude est égale à zéro, c’est tout simplement parce que l’estimation globale n’est pas encore disponible. Cela vaut en particulier pour les cas de travail dissimulé, pour lesquels nous rencontrons de sérieuses difficultés de liaison avec les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, le montant ne pouvant être établi pour l’instant en raison de problèmes liés aux systèmes d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
L’estimation de 1,8 million d’euros de fraudes liées aux cotisations est donc très en deçà du montant réel des fraudes détectées, qui atteint plus probablement des dizaines de millions. Nous ne pouvons donc ni estimer correctement ni réclamer ces cotisations, faute des outils nécessaires, alors que les personnes concernées ont pourtant été condamnées pénalement pour une fraude à l’assiette ou une activité non déclarée.
M. le rapporteur. On comprend mal pourquoi il serait plus difficile de combattre la fraude que lorsque l’informatique n’existait pas…
Mme Fatoumata Diallo. Certes, mais dès lors que nous avons pris l’engagement d’entrer dans le système de l’interlocuteur social unique et de déléguer le recouvrement aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, nous sommes totalement liés à notre partenaire.
M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement du Régime social des indépendants. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale gère le système d’information. En vertu des textes fondateurs de l’interlocuteur social unique et du Régime social des indépendants, ce dernier a en charge le recouvrement : à partir du moment où la personne n’a pas payé, il relève du système d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. En cas de travail illégal, un constat de l’infraction est dressé, le plus souvent par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, qui ont la compétence de ce contrôle. Le travail mené sur le terrain avec les caisses régionales du Régime social des indépendants se traduit in fine par la nécessité d’intégrer la fraude dans ce que nous appelons le parcours du recouvrement puisque nous ne pouvons pas immatriculer une personne si nous n’avons pas respecté une procédure contradictoire qui impose certains délais. On pourrait donc le faire à la main mais, pour procéder au recouvrement, il est impératif de recourir au système d’information, sinon nous sommes incapables de le gérer. Procéder à l’immatriculation immédiate d’un fraudeur reviendrait à le faire entrer dans le parcours normal. Or en la matière, dès lors qu’il y a eu fraude, on peut revenir non pas trois mais cinq ans en arrière ; il y a des pénalités particulières et une procédure contradictoire à respecter. Nous savons qu’un certain nombre de dossiers importants sont pendants, en particulier en Aquitaine à propos de ferrailleurs, mais ils ne peuvent pour l’instant être intégrés dans le système d’information, qui seul nous permet d’opérer le recouvrement.
M. Dominique Liger. Pour ce motif, on pourrait parler d’accident industriel informatique lourd.
On a découvert que les systèmes d’information du Régime social des indépendants et de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale étaient totalement incompatibles, lorsqu’une première vague de cotisations a été appelée en 2008, avec des problèmes pour pas moins de 20 % des cotisations ! Depuis lors, les deux organismes s’efforcent de les résoudre, avec comme première priorité d’appeler des cotisations exactes, puis d’éviter des anomalies. Le système d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale n’a pas été en mesure de nous fournir les outils pour procéder au recouvrement et nous sommes donc totalement démunis. Les difficultés de la lutte contre la fraude peuvent être considérées comme des dommages collatéraux et ce n’est pas à cela que l’on s’est efforcé de remédier en premier lieu.
M. le rapporteur. On peut quand même espérer que les choses ont progressé depuis 2008. La situation s’est-elle rétablie en 2010 ou l’incompatibilité des systèmes d’information perdure-t-elle ?
M. Jean-Philippe Naudon. En 2010, nous avons travaillé en priorité sur ce que nous appelons dans notre jargon les « singletons », c’est-à-dire des gens connus mais pour lesquels on n’avait pas émis ce que l’on appelle les risques manquants, c’est-à-dire que l’on avait procédé à l’appel de cotisations pour un risque mais pas pour les autres. Cette opération n’a pas été réalisée avant 2010, les années antérieures ayant été consacrées en priorité à rétablir un équilibre dans les systèmes d’information. Ainsi, ce n’est qu’en 2009 que le Régime social des indépendants a pu envoyer les premières mises en demeure aux cotisants n’ayant pas versé leurs cotisations alors que leur compte était juste. En 2011, nous allons demander en priorité absolue à disposer du module de gestion permettant de traiter les dossiers liés à la lutte contre le travail illégal. Nous récupérerons bien entendu tous les dossiers qui auraient dû être traités précédemment et qui n’ont pas été frappés de forclusion.
Mme Fatoumata Diallo. Pour les cas de travail dissimulé constatés, les cas de cotisations non recouvrées concernent notamment des bandes organisées exerçant dans la vente de ferraille. Des plaintes ont été déposées et des condamnations sont intervenues, même si le calcul des cotisations n’a pas pu aboutir. L’action à l’encontre des fraudeurs se poursuit donc.
M. le rapporteur. On peut ainsi espérer récupérer une partie des sommes, du moins pour ceux qui n’ont pas disparu dans la nature. Surtout, ces bandes organisées, qui sont promptes à s’engager dans les brèches de la réglementation, doivent savoir qu’elles ne sauraient le faire impunément. Il ne faudrait pas que certains, convaincus que le Régime social des indépendants ne fonctionne pas parfaitement, s’y inscrivent délibérément afin de se soustraire à leurs obligations de cotisations…
M. Jean-Philippe Naudon. Nous avons identifié des personnes qui auraient dû relever du Régime social des indépendants et qui n’y étaient pas immatriculées parce que le système d’information de l’un ou l’autre des partenaires n’avait pas permis, via le numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), de s’assurer qu’il s’agissait bien de la même personne. Dans ces conditions et dans le contexte économique des années 2008-2009, nous n’avons pas voulu prendre le risque d’appeler deux fois les cotisations, pas plus que celui d’un amalgame informatique, opération qui consiste à réunir deux dossiers sous une seule identité. Nous avons donc pris beaucoup de précautions. Nous avons traité l’an dernier plus de 150 000 comptes ; nous avons émis des risques manquants pour 70 000 d’entre eux. C’est une opération énorme qui a mobilisé de nombreux informaticiens. En dépit de ce travail considérable, il nous reste environ 30 000 dossiers à traiter, mais les informaticiens sont désormais disponibles et nous nous fixons bien pour objectif de mettre en place en 2011 le module de gestion des cotisations dans le cadre de la lutte contre le travail illégal.
M. le rapporteur. Comment ciblez-vous les personnes à risque : par comparaison avec les fichiers des services fiscaux ?
M. Jean-Philippe Naudon. Non, en comparant nos propres fichiers. Nous savions par exemple que des personnes apparaissant comme professionnels libéraux chez nous étaient répertoriées comme artisans-commerçants auprès de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ce qui signifie que les risques n’étaient pas les mêmes. Mais cela peut tenir à une erreur et ne peut être assimilé aux fraudes délibérées que j’évoquais à l’instant : les ferrailleurs n’étant même pas immatriculés, ils ne pouvaient pas être repérés par comparaison des fichiers informatiques.
Mme Fatoumata Diallo. Ces cas nous ont été signalés dans le cadre des opérations de contrôle des inspecteurs de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, le Régime social des indépendants exploitant les fiches de signalement qui lui ont été transmises. Mais, je le répète, même si les montants peuvent être estimés, ils ne peuvent pas encore être intégrés dans le système d’information.
M. Dominique Liger. Le contrôle des cotisations des travailleurs indépendants n’appartient pas au Régime social des indépendants : il a été confié aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, dont les outils informatiques sont insuffisants. Seule la mise en service d’outils automatisés permettrait de détecter les fraudes à la cotisation des travailleurs indépendants, mais encore faut-il que cela soit une priorité pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Nous avons délégué à cette dernière la compétence du contrôle : ou bien ils ne sont pas en mesure de le faire, ou bien ce n’est pas leur priorité car ce n’est pas là qu’il y a le plus d’argent à récupérer.
M. le rapporteur. Cela représente tout de même quelques dizaines de millions d’euros !
M. Dominique Liger. Certaines unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ont sans doute procédé à des arbitrages, mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de consolidation nationale. Il ne m’appartient pas de demander à M. Pierre Ricordeau de faire tel ou tel choix.
M. le rapporteur. Qu’en dit M. Benoît Parlos ?
M. Dominique Liger. Il regarde attentivement ce que font le Régime social des indépendants et tous les organismes de protection sociale. Nos correspondants l’ont auditionné afin de montrer aux caisses régionales que nous sommes particulièrement impliqués dans le dispositif national. Je rappelle que nous avons à traiter, en plus des fraudes aux cotisations, les fraudes aux prestations maladie et retraite. M. Benoît Parlos constate comme nous un accroissement des fraudes, même si les montants restent relativement faibles.
S’agissant de la contribution sociale de solidarité des sociétés, les chiffres sont plus significatifs. J’ai pris devant M. Benoît Parlos l’engagement de faire de la lutte contre la fraude un objectif quantifiable et un indice d’efficience et d’efficacité dans la nouvelle convention d’objectifs que je m’apprête à négocier avec les mutuelles et les assureurs.
M. le rapporteur. Combien de personnes se consacrent à la lutte contre la fraude au sein de votre organisme ?
Mme Fatoumata Diallo. Environ deux cents, dont une bonne partie est affectée au contrôle de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Les contrôles à proprement parler occupent près de 72 équivalents temps plein, dont 51 au sein des 30 caisses régionales, qui comptent chacune un référent « fraude » et un référent suppléant, qui, à la différence de leurs homologues des organismes conventionnés, exercent parallèlement d’autres activités et qui ne peuvent pas non plus être comparés aux contrôleurs et aux inspecteurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.
Les quelque cent agents agréés et assermentés du Régime social des indépendants ont obtenu leur assermentation avant la mise en place du Régime social des indépendants et disposent des cartes des anciens réseaux. L’arrêté du 6 mai 1995 qui régissait leur statut ayant été abrogé, nous n’avons pu leur délivrer de nouvelles cartes, ce qui entrave la promotion des actions de lutte contre la fraude. Un nouvel arrêté ministériel nous permettrait d’assainir cette situation.
M. le rapporteur. M. Benoît Parlos fera sans nul doute le nécessaire.
Sans remettre en cause vos méthodes de contrôle, je constate que les chiffres sont extrêmement faibles. On voit aussi que l’apnée du sommeil vous a permis d’économiser 1,7 million d’euros : frappe-t-elle particulièrement les commerçants et les artisans ?
Mme Stéphanie Deschaume. Nous identifions a priori certaines thématiques comme problématiques et sources potentielles de fraude. Elles sont inscrites au plan national et font l’objet d’une méthodologie, construite par un groupe d’experts, que toutes les caisses appliquent ensuite à l’ensemble du champ de dépenses considéré. L’apnée du sommeil avait fait l’objet en Languedoc-Roussillon d’une étude expérimentale qui, ayant mis en relief des dysfonctionnements majeurs – c’est-à-dire des cas d’entente entre un médecin prescripteur et un laboratoire –, a été généralisée à l’ensemble du territoire. Le régime général a ensuite engagé la même action. Désormais, cette pathologie n’est plus source de fraude particulière.
Les cas individuels sont en effet peu nombreux, les caisses et les organismes conventionnés reçoivent des dénonciations ou identifient des dysfonctionnements. Ces cas sont traités, même s’ils ne rapportent rien au sens macro-économique, et nous établissons des profils grâce à notre système d’analyses statistiques afin de nous assurer qu’ils ne se reproduiront pas ailleurs.
M. le rapporteur. Vous dites n’être pas en mesure de vérifier l’identité des personnes et leur numéro d’inscription au répertoire. Cela a-t-il un rapport avec la fraude à la carte Vitale ?
Mme Stéphanie Deschaume. Notre système d’information n’est pas mûr car il n’a pas été mis en cohérence parfaite avec celui de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Pour la branche Maladie, nous obtenons toutefois avec le système précédent un bon niveau d’identification des personnes. Il subsiste néanmoins des usages abusifs d’une carte Vitale par un tiers. Notre système nous permet de suivre quantitativement la consommation de chaque carte et nous procédons à une vérification lorsqu’un certain montant est dépassé. Certains professionnels conservent abusivement la carte Vitale d’une personne vivante ou, plus rarement décédée. Ainsi, un pharmacien a utilisé abusivement la carte Vitale de sa fille pour un montant de 252 000 euros !
Pour contrôler l’usage de la carte Vitale des personnes décédées, nous avons engagé l’action « soins post mortem ».
M. Dominique Liger. Ces derniers cas nous intéressent doublement, car il y a alors un cumul du paiement de la retraite et de l’utilisation de la carte Vitale !
Mme Stéphanie Deschaume. Nous ne sommes pas toujours informés du décès d’une personne. Si la déclaration passe par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le régime social, il est techniquement possible pour un tiers d’utiliser la carte Vitale pendant un certain temps. C’est pourquoi notre action se poursuit quelques mois après le décès.
M. le rapporteur. Se peut-il que le Régime social des indépendants ne soit pas informé du décès des personnes ?
Mme Stéphanie Deschaume. Cela peut arriver. Lorsque les personnes sont détentrices d’un numéro d’inscription au répertoire certifié et rattaché, l’information du décès nous parvient en quelques jours ; en revanche, quand le numéro d’inscription au répertoire n’est pas certifié, il faut recourir à l’Institut national de la statistique et des études économiques et l’information nous est parfois transmise après plusieurs mois, surtout si les ayants droit n’ont pas déclaré le décès.
M. le rapporteur. Quelle est la différence entre le numéro d’inscription au répertoire certifié et le numéro d’inscription au répertoire non certifié ? Quelles en sont les proportions ?
Mme Stéphanie Deschaume. Le numéro d’inscription au répertoire certifié nous permet d’identifier de façon certaine la personne et, d’un point de vue technique, d’accélérer les échanges de flux.
M. Jean-Philippe Naudon. Les numéros d’inscription au répertoire non certifiés concernent des personnes nées à l’étranger, dont nous devons reconstituer l’identification par le biais de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Ces cas sont traités par le service administratif national d’identification des assurés de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés à Tours. L’Institut national de la statistique et des études économiques communique les dates de décès au Régime social des indépendants et au centre de Tours. La généralisation des numéros d’inscription au répertoire certifiés est indispensable, mais, du fait de la structure de notre population, 5 % de personnes n’en disposent pas.
Depuis la création du Régime social des indépendants, nous menons une politique très active en la matière pour atteindre 100 % de numéros d’inscription au répertoire certifiés, non sur l’année en cours – pour différentes raisons, liées notamment aux cas des personnes nées à l’étranger – mais sur l’année précédente. À la fin de l’année dernière, nous avions atteint de 97 % pour la population des artisans, 96,74 % pour les commerçants et 80 % pour les ayants droit. L’objectif très clair affiché par le Régime social des indépendants est de parvenir à une population certifiée à 100 %, ce que nous devrions obtenir en 2011 pour l’année 2010.
M. le rapporteur. Venons-en aux fraudes en matière de retraite.
M. Dominique Liger. Je rappelle que nous avons la compétence pour les retraites des commerçants et des artisans et non pour celles des professions libérales.
Environ 90 % des retraités du Régime social des indépendants sont polypensionnés : les artisans commencent souvent leur vie professionnelle en tant qu’apprentis, donc salariés, avant de créer leur entreprise et de retrouver parfois ensuite le salariat. Cette situation rend le dispositif de liquidation plus complexe.
La crise de l’informatique des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et du Régime social des indépendants a eu des effets collatéraux en bloquant l’automatisation des deux ou trois dernières années de cotisation. Nous ne disposions pas des sommes exactes affectées à l’ouverture des droits, ce qui a fortement ralenti les délais de liquidation, et nous avons dû reconstituer à la main les cotisations payées depuis 2008. Ce problème est fort heureusement réglé.
Le Régime social des indépendants connaît le même type de fraudes que le régime général, mais nous n’avons détecté qu’un nombre infime de fraudes comme celle des faux trimestres dont a souffert la Mutualité sociale agricole.
Mme Fatoumata Diallo. Pour lutter contre la fraude à la retraite, les organismes sociaux ont engagé des actions récurrentes, portant notamment sur les certificats de vie. Des contrôles sont effectués chaque année auprès des retraités, sur notre territoire comme à l’étranger. Comme le régime général, nous adressons au domicile de la personne retraitée un courrier lui demandant de nous retourner le certificat de vie. Mais nous n’avons pas à ce jour les moyens de vérifier sur place que les personnes sont toujours en vie.
M. Jean-Philippe Naudon. Si le courrier ne nous revient pas, nous suspendons la pension. S’il nous revient avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée », nous la maintenons. Qui plus est, nous ne pouvons être certains de l’identité du signataire.
Mme Fatoumata Diallo. Le contrôle des fraudes liées aux prestataires eux-mêmes est intégré au dispositif de contrôle interne.
M. le rapporteur. Quel est le montant des pensions que vous versez à l’étranger et quelle en est la répartition par pays ?
Mme Fatoumata Diallo. Nous servons environ 36,8 millions d’euros de prestations, soit 0,46 % de la totalité des 8 milliards de prestations retraite, pensions de droit direct et de réversion.
70 % des retraites sont versées à des artisans et commerçants résidant dans l’Union européenne et 30 % à des ressortissants d’autres pays, sachant que les artisans sont très majoritairement installés dans l’Union européenne.
M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes indique que nous versons en Algérie plus de prestations à des centenaires qu’il n’en existe…
De quels moyens disposez-vous pour contrôler la véracité du décès d’une personne et donc cesser le versement de la pension ?
M. Jean-Philippe Naudon. Dans le cas d’un numéro d’inscription au répertoire certifié, nous sécurisons le paiement de la pension dès que nous apprenons le décès via la base de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Mais, lorsque nous envoyons un courrier à une personne qui vit dans un pays étranger, si c’est une autre personne qui répond à sa place, nous sommes totalement démunis.
M. le rapporteur. L’Algérie se distingue-t-elle uniquement par la longévité de ses retraités ?
Mme Fatoumata Diallo. Les retraités sont essentiellement installés en Espagne, en Italie et au Portugal. Si l’Algérie se distingue, c’est surtout pour le montant des prestations retraite qui y sont versées. Je ne dispose pas d’analyses précises sur l’âge des retraités, mais je peux vous dire que l’Algérie représente à peu près 3 % des prestations versées aux personnes vivant à l’étranger, soit 520 000 euros, versés à 428 artisans et 3 000 commerçants.
M. le rapporteur. Vous serait-il possible de nous adresser un tableau présentant les chiffres pays par pays et l’âge moyen auquel les prestations sont versées, de façon à ce que nous puissions vérifier les distorsions relevées par la Cour des comptes ?
Quelle procédure utilisez-vous pour vérifier la date du décès ? Le recours à une société qui effectue la vérification des identités auprès de l’état civil du pays vous paraît-il efficace ?
Mme Fatoumata Diallo. Vous évoquez l’expérimentation menée en Tunisie.
M. le rapporteur. Ce n’était pas le pays le plus ciblé mais celui où il était le plus facile de vérifier l’état civil et les décès.
Mme Fatoumata Diallo. La Tunisie ne représente en effet que 142 artisans et 484 commerçants.
M. le rapporteur. Cela me surprend, car les commerçants sont en grande majorité originaires de Tunisie. Avez-vous ciblé la Chine ?
Mme Fatoumata Diallo. Nous vous fournirons les éléments statistiques demandés.
S’agissant des fraudes transnationales, nous souhaitons nous rapprocher davantage du Comité national de lutte contre la fraude. Nous devrions y parvenir en 2011.
Nous n’avons pas envisagé de participer à l’expérimentation réalisée en Tunisie à l’initiative de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) – ce que nous ferons certainement dans un deuxième temps – car les pays où les risques nous paraissent les plus importants restent l’Union européenne et l’Algérie.
M. le rapporteur. Votre système est-il plus sécurisé en Espagne et au Portugal ?
Mme Fatoumata Diallo. Nous n’allons pas vérifier sur place si les personnes sont réellement ce qu’elles prétendent être et si elles sont toujours en vie. Ces contrôles, nous en sommes conscients, devront être développés dans un avenir proche, éventuellement par l’intermédiaire d’un prestataire comme dans l’expérimentation en Tunisie.
M. Dominique Liger. Je suis moi-même surpris du faible nombre de retraités tunisiens, algériens et chinois, mais je rappelle que nous ne versons de pensions qu’aux anciens travailleurs indépendants, les salariés de leur propre société à responsabilité limitée (SARL) étant affiliés au régime général : pour avoir une vision exhaustive, il faudrait recouper ses fichiers avec ceux du Régime social des indépendants.
M. le rapporteur. Mesdames, messieurs, je vous remercie.
*
Audition de M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins, M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel, et Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales.
M. Dominique Tian, rapporteur. Après deux ou trois mois de travail, nous sommes convaincus que la fraude sociale est une réalité. Certaines données sont impressionnantes et la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2010, relève de nombreux dysfonctionnements, dont certains intéressent les médecins et l’Ordre national.
Les cas les plus fréquents sont ceux des médecins « superactifs » : 1 347 praticiens effectuent plus de 12 000 consultations par an, 120 allant jusqu’à 18 000 consultations ! Est-ce là une bonne pratique médicale ?
Les arrêts maladie sont un autre sujet de préoccupation. Récemment une compagnie républicaine de sécurité (CRS) entière se trouvait en congé maladie… Et que dire des petites filles d’origine musulmane qui obtiennent systématiquement un certificat médical pour éviter d’aller à la piscine ? Selon une étude récente de l’éducation nationale, les maladies surviennent le plus souvent le vendredi, voire le jeudi. À l’évidence, des praticiens délivrent donc des certificats de complaisance. L’Ordre des pharmaciens mène un important travail pour dénoncer certaines pratiques, mais sur tous ces sujets, nous aimerions connaître votre sentiment.
M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins. Je suis médecin, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’Ordre, en charge du contentieux. Mon expérience est celle d’un spécialiste qui a pratiqué la médecine libérale et hospitalière. J’ai présidé pendant de nombreuses années un conseil départemental de l’ordre ainsi que la commission médicale d’établissement d’un hôpital général.
J’ai demandé à deux de nos juristes de m’accompagner : Mme Mireille-Andrée Peiffer, en charge du contentieux auprès du Conseil national, en particulier de la section des assurances sociales, et M. Francisco Jornet, responsable de la section d’exercice professionnel.
Parce que l’une de ses missions est de sanctionner les médecins fautifs et d’assurer le maintien de la qualité des soins aux patients, l’Ordre national des médecins est bien évidemment très concerné par le problème de la fraude.
L’ordre comprend deux structures. Tant au niveau régional de première instance, où elles sont adossées au conseil régional, qu’en appel, les sections des assurances sociales ont pour mission de traiter du contentieux du contrôle technique – j’insiste sur cette formulation – à travers les dispositions de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale relatif aux fraudes, aux abus et aux fautes. Les patients ne peuvent les saisir directement.
Pour leur part, les sections disciplinaires traitent surtout des questions de déontologie en s’appuyant sur quelques articles de notre code de déontologie, qui interdisent « toute fraude, abus de cotation, indications inexactes des honoraires perçus et des actes effectués », ainsi que « tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite », et qui traitent également des certificats de complaisance et des bonnes pratiques.
On peut avoir le sentiment d’y trouver un copié-collé de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale. En réalité, notre vision des choses n’est pas strictement superposable à celle de la sécurité sociale car nous nous intéressons davantage à la déontologie, à la morale et au comportement des médecins. Ces deux structures se complètent donc, même si la question de leur maintien mérite d’être posée.
Les motifs de nos saisines sont multiples, comme le sont souvent les griefs contre un médecin. Sans être exhaustif, il s’agit des actes fictifs – le médecin emprunte la carte Vitale d’un patient un peu faible pour facturer des actes ; des actes facturés à tort – une femme demande à un médecin une intervention de chirurgie esthétique, souvent mammaire, qui n’est pas remboursée : le médecin transforme cette intervention en chirurgie réparatrice pour la facturer à l’assurance maladie ; des actes non réalisés par le médecin lui-même – un dermatologue demande à son assistant de pratiquer des soins esthétiques mais les facture à son nom. Nos saisines portent également sur les certificats médicaux, notamment les arrêts de travail non justifiés ; sur les fautes, volontaires ou non, relatives à la nomenclature et aux prescriptions comme le mésusage de médicaments, notamment les thérapeutiques de substitution, les prescriptions faites à un tiers ou destinées à envoyer des médicaments à l’étranger… Elles portent enfin sur les abus d’actes, ce qui introduit le débat sur ce qu’on appelle le délit statistique : on ne peut sanctionner un médecin au plan disciplinaire simplement à partir de chiffres, il nous faut les analyser pour déterminer s’il y a véritablement une intention du médecin ou si un nombre important de consultations résulte de la démographie médicale, par exemple lorsqu’un médecin se retrouve seul dans un cabinet alors que trois médecins étaient présents auparavant.
En 2010, la section des assurances sociales a enregistré 208 saisines en première instance et 132 en appel. Auprès des sections disciplinaires, il est plus difficile d’identifier les véritables griefs ; les statistiques font toutefois ressortir 60 ou 70 cas sur 1 200 plaintes disciplinaires enregistrées chaque année en première instance. Cela peut paraître peu au regard des 90 000 médecins libéraux et des 55 000 médecins hospitaliers en exercice : soit les médecins sont particulièrement vertueux, soit les mailles du filet sont trop larges…
En dehors de ces contentieux déclarés, les caisses d’assurance maladie ou les conseils départementaux de l’ordre convoquent de nombreux médecins pour discuter avec eux de leur conduite avant d’entamer des poursuites. Il est difficile de donner des chiffres en la matière.
S’agissant des saisines, je dois dire un mot de nos relations avec nos partenaires institutionnels et avec les conseils départementaux de l’ordre.
Bien qu’ils en aient l’obligation, les parquets n’informent pas toujours les conseils départementaux des sanctions pénales devenues définitives à l’encontre d’un médecin en cas de fraude et nous avons souvent la mauvaise surprise de les apprendre par la presse…
M. le rapporteur. Se peut-il que l’ordre ne soit pas informé automatiquement en cas de plainte ?
M. Michel Fillol. Une plainte pénale peut être diligentée par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sans que l’ordre ne soit consulté.
M. le rapporteur. C’est l’un des reproches que la Cour des comptes a adressés à la caisse.
M. Michel Fillol. L’article L. 162-1-19 du code de la sécurité sociale, issu de l’article 56 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires dispose que « les directeurs des organismes locaux d’assurance maladie et les services médicaux de ces organismes sont tenus de communiquer à l’ordre compétent les informations (…) susceptibles de constituer un manquement à la déontologie ». Or, j’insiste sur ce point, bien qu’aucun décret ne soit nécessaire, cette disposition n’est pas appliquée. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés nous promet depuis plusieurs mois d’adresser à toutes les caisses une lettre sur les termes de laquelle nous nous sommes entendus. Mais elle n’est toujours pas arrivée. Des démarches locales sont entreprises à l’initiative de quelques directeurs de caisse et médecins conseils, mais elles sont très parcellaires et largement insuffisantes.
J’en viens à l’attitude des conseils départementaux. Lorsqu’ils sont saisis d’une plainte de l’assurance maladie, la procédure est très claire : ils doivent organiser une conciliation et si elle échoue, transmettre la plainte à la chambre disciplinaire. S’il s’agit de faits graves, qui peuvent relever de la fraude, le conseil départemental a le devoir de se saisir de ces faits et de porter plainte – et il le fait en règle générale. Les conseils s’intéressent aussi à toutes sortes de doléances et de récriminations, qui portent sur des faits qui ne sont pas forcément d’une particulière gravité, dont un certain nombre passent à travers les mailles du filet. Au Conseil national, nous incitons régulièrement les conseils départementaux à se montrer plus vigilants et à examiner de façon rigoureuse les faits qui leur sont signalés.
En 2010, les sections d’assurances sociales de première instance ont prononcé 203 sanctions, dont 134 interdictions d’exercice de courte durée ou définitives, les premières pouvant être assorties d’un sursis ou accompagnées d’une demande de remboursement en cas d’abus d’actes. Ce nombre est relativement important, car l’interdiction d’exercice est très lourde de conséquences pour un médecin. Une affaire peut toujours être dirigée vers le pénal et la section disciplinaire.
M. le rapporteur. Pouvez-vous préciser de façon chiffrée la nature des sanctions ?
M. Michel Fillol. Vous trouverez dans le dossier que nous vous avons transmis des statistiques très complètes.
Les sections disciplinaires prononcent plus d’interdictions d’exercice que d’avertissements ou de blâmes, même pour des faits qui ne paraissent pas très graves.
M. le rapporteur. Ce qui nous intéresse, ce n’est ni la qualité professionnelle des médecins ni la moralité de leur comportement vis-à-vis de leurs patients, mais la lutte contre la fraude. Or la Cour des comptes a relevé qu’un grand nombre de professionnels étaient en situation d’abus sans faire l’objet de la moindre sanction. Un médecin qui pratique 18 000 actes par an est-il sanctionné par l’ordre ? Le fait de travailler 18 heures par jour, tous les jours de l’année, relève-t-il pour vous de la faute professionnelle ?
M. Michel Fillol. Les abus d’actes sont sanctionnés. Un médecin qui avait pratiqué 488 consultations et visites en une semaine et effectué des prescriptions thérapeutiques injustifiées a été sanctionné par une interdiction d’exercer de quatre mois. Je pourrais citer d’autres sanctions de même type, émanant des sections des assurances sociales ou des sections disciplinaires.
M. le rapporteur. Je ne m’intéresse qu’à ce qui relève de la fraude sociale. Le rapport de la Cour des comptes fait état de 1 347 praticiens hyperactifs, qui effectuent 12 000 consultations par an. Une telle activité n’est pas normale et ne permet pas de faire de la bonne médecine. Certains médecins vont jusqu’à 20 000 consultations annuelles, ce qui signifie, à raison de 20 minutes par consultation, qu’ils travaillent plus de 6 000 heures par an, à raison de 18 heures par jour, y compris les dimanches et jours fériés ! La Cour des comptes y voit une fraude sociale. Ces 120 praticiens dont le nombre de consultations est trois fois supérieur à la moyenne annuelle ont-ils été convoqués par l’ordre et sanctionnés ? Leur a-t-on dit que leur conduite était incompatible avec de bonnes pratiques médicales ?
Les responsables du Régime social des indépendants, que nous venons d’auditionner, nous ont signalé le cas de praticiens ayant rédigé des ordonnances post mortem. L’ordre en a-t-il été saisi ? Combien de sanctions a-t-il prononcées au cours des années précédentes, et pour quelles raisons ? En bref, fait-il bien son travail et contribue-t-il à la lutte contre la fraude sociale ?
Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales de l’Ordre national des médecins. Les juridictions placées auprès de l’ordre ne peuvent se prononcer que lorsqu’elles ont été saisies d’une plainte. Si les organismes d’assurance maladie ne portent pas les faits à la connaissance du conseil départemental ou du conseil national, l’ordre ne peut s’autosaisir et, bien évidemment, le patient qui bénéficie de la fraude ne le saisira pas non plus.
Les griefs qui nous parviennent sont multiples. L’assurance maladie relève souvent ceux d’abus d’actes, d’abus de soins, d’actes fictifs, de soins de mauvaise qualité, ainsi que de prescriptions hors spécialité ou de prescriptions non conformes aux conditions de remboursement. Et, pour la plupart des praticiens en cause, c’est en général un ensemble de griefs que fait ressortir le contrôle d’activité. Aussi est-il très difficile, lorsque l’on analyse les décisions, de recenser celles qui ne relèvent que de l’abus d’actes.
M. Michel Fillol. Comme je l’ai dit, nous sommes bien loin d’être systématiquement saisis des récriminations de l’assurance maladie envers les praticiens. C’est là que se situe la difficulté affectant la quantité et la qualité de notre travail.
M. le rapporteur. Le rôle de l’Ordre des médecins n’est-il pas de veiller à ce qu’une bonne médecine soit pratiquée dans notre pays ? Il appartient bien entendu aux caisses d’assurance maladie de vous signaler les cas aberrants, mais êtes-vous suffisamment en relation avec les caisses ? N’avez-vous pas aussi à réaliser un travail disciplinaire préventif ?
M. Michel Fillol. Qu’entendez-vous par « travail disciplinaire préventif » ?
M. le rapporteur. Les médecins dont l’activité est aberrante sont connus. Ce sont des choses qui se savent et qui peuvent être vérifiées.
M. Michel Fillol. Je le répète : lorsque les conseils départementaux ont connaissance de ces cas, ils se saisissent des faits et portent plainte eux-mêmes, mais, alors que le volume le plus important de plaintes transite par l’assurance maladie, nous ne sommes pas suffisamment informés ou saisis de ces situations. Or, nous ne pouvons nous prononcer que sur ce qui nous est rapporté.
M. le rapporteur. Nous avons là un point de divergence. Les syndicats médicaux eux-mêmes admettent qu’il existe des abus et que certains praticiens sont pour le moins laxistes. L’Ordre des pharmaciens semble s’inscrire dans une démarche assez différente de la vôtre : il a signé avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés une convention visant à faciliter la transmission d’informations sur les pharmaciens et il a accepté des opérations pilotes pour des produits faisant l’objet d’abus manifestes, comme les substituts de drogue. De plus, il est favorable au développement du dossier pharmaceutique, alors que les médecins s’opposent depuis longtemps au dossier médical personnel (DMP) – dont le dernier avatar est le dossier médical personnel masqué ! Bref, on n’a pas l’impression que votre ordre souhaite pousser les choses très loin.
M. Michel Fillol. Je respecte tout à fait l’appréciation quelque peu négative que vous portez sur notre action. Une fois encore, nous ne pouvons traiter des faits que nous ignorons, et nous en ignorons beaucoup pour les raisons que je vous ai exposées. Mais il peut être prouvé que nous ne sommes pas laxistes vis-à-vis des médecins, y compris de ceux qui effectuent des actes en nombre excessif.
Pour ce qui est de la signature d’une convention entre l’Ordre des pharmaciens et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, je ne puis que répéter que nous avons nous aussi tenu plusieurs réunions de travail avec cet organisme. Nous nous sommes mis d’accord sur la rédaction d’une lettre-cadre devant être adressée aux caisses primaires. Nous attendons toujours que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés l’envoie.
Quant au dossier médical personnel, l’ordre n’y a jamais été opposé. Il a au contraire rendu un avis favorable, sous certaines conditions de confidentialité et de respect du droit des patients, et il s’active pour que ce dispositif prenne enfin forme, sachant que ce dossier est conçu pour améliorer la coordination des soins, et non pour combattre la fraude. Bien entendu, l’examen des données peut amener à formuler des remarques sur certaines redondances dans les prescriptions d’examens techniques, mais l’objectif essentiel n’est pas celui-là.
M. le rapporteur. Pourquoi ?
M. Michel Fillol. Le dossier médical personnel n’est pas fait pour lutter contre la fraude mais pour améliorer la coordination des soins et pour guider le patient dans son parcours. En outre, l’accord de ce même patient est nécessaire pour que soit créé son dossier personnel et il lui est reconnu un droit à l’oubli ainsi qu’un droit au retrait de certaines informations, cependant que la possibilité de consultation de ce dossier par tous les professionnels de santé est encadrée…
M. le rapporteur. Tout cela, nous le savons bien. Nous attendons depuis dix ans la mise en œuvre du dispositif.
M. Michel Fillol. Ce n’est pas notre fait.
M. le rapporteur. J’en conviens, mais on ne peut dire que vous ayez fortement soutenu la démarche.
M. Michel Fillol. Si !
M. le rapporteur. Le dossier pharmaceutique existe depuis des années et c’est un bon outil pour les professionnels, qui permet de détecter certains problèmes.
Plus généralement, nous sommes confrontés à un problème de société récurrent : on consomme beaucoup de médicaments en France, nous sommes de plus en plus interpellés sur des questions de santé publique et la crédibilité des médecins est parfois mise en cause. Tout cela ne devrait pas laisser l’ordre indifférent.
Par ailleurs, quel peut bien être l’intérêt d’un dossier médical masqué ?
M. Michel Fillol. Peut-être y a-t-il là une entrave, en effet, mais le dossier médical est celui du patient, lequel doit être protégé par le secret médical, comme le précise la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Face aux associations de patients qui insistent en faveur du droit à l’oubli et du masquage, que voulez-vous que nous objections ?
M. le rapporteur. La démarche des pharmaciens paraît un peu différente, et sert mieux la protection du malade.
M. Michel Fillol. Le dossier pharmaceutique est d’un maniement relativement simple : sa transmission se fait uniquement de pharmacien à pharmacien et de pharmacien à patient. Dans le cas du dossier médical, les intervenants potentiels sont bien plus nombreux.
M. le rapporteur. D’après une enquête menée par M. Yves Bur, il existe 1 800 faux dossiers médicaux dans les réseaux d’information des médecins, en France. La profession a devancé l’institution du dossier médical personnel ! Les médecins savent communiquer entre eux par des moyens modernes, ne serait-ce que pour gagner du temps, même si, du point de vue légal, cette pratique est discutable dans la mesure où il ne s’agit pas exactement d’un dossier médical partagé.
M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel au sein de l’Ordre des médecins. Tout comme pour le dossier médical, le patient peut demander qu’une prescription ne figure pas dans son dossier pharmaceutique – pour peu qu’il connaisse l’existence de celui-ci et que le pharmacien l’informe de cette possibilité. Il n’y a pas de différence d’architecture, de ce point de vue, entre ces deux dossiers : c’est le patient qui décide de ce qui doit y figurer.
M. le rapporteur. Il peut même s’opposer à la création d’un dossier pharmaceutique.
M. Michel Fillol. Je ne voudrais pas que l’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit. L’Ordre des médecins n’a jamais été opposé à la création d’un dossier médical personnel. Tout prouve qu’il y a même beaucoup contribué. Et l’on ne peut me faire dire non plus qu’il est impossible de tirer de ce dossier des signes d’alerte concernant par exemple la surconsommation d’actes techniques. Je note simplement qu’il n’a pas été créé pour cela et que ce n’est pas une arme dont on pourrait user en première ligne dans la lutte contre la fraude.
M. le rapporteur. Le Régime social des indépendants, dont nous venons de recevoir les représentants observe la consommation médicale par patient et dispose d’un système d’alerte en cas de surconsommation. Il y a là une inégalité…
M. Michel Fillol. Nous ne sommes pas aveugles face aux surconsommations médicamenteuses ou aux prescriptions inappropriées. Nous les sanctionnons.
M. le rapporteur. Combien de sanctions prononcez-vous ? Je vois dans vos documents que 33 sanctions ont été prononcées en 2010 pour fraude en matière de prescription. Pourtant, la Cour des comptes dénombre quelque 1 800 médecins en situation de surrégime et de fraude manifeste, et quelques autres milliers dont l’activité est considérée comme exagérée. En somme, ces pratiques ne font pas courir un grand risque !
M. Francisco Jornet. Nous traitons 100 % des dossiers. Aussi avons-nous pris connaissance avec un certain étonnement de cette convention passée par l’Ordre des pharmaciens avec l’assurance maladie et M. Pierre Fender : en effet M. Michel Legmann, président de notre conseil national, avait écrit à M. Frédéric van Roekeghem pour demander que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés signale à l’ordre les pratiques déviantes, et il lui a été répondu que l’assurance maladie n’avait à signaler que le manquement au tact et à la mesure !
Par ailleurs, quels sont les chiffres précis de la Cour des comptes concernant les médecins ?
M. le rapporteur. La cour distingue 1 347 médecins qualifiés de « super-actifs », qui facturent plus de 12 000 consultations par an, et 120 médecins qualifiés de « hyperactifs », qui en facturent plus de 18 000.
M. Francisco Jornet. Ce qu’il faudrait demander à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, c’est combien de fois elle a alerté l’ordre au sujet de ces 120 médecins !
M. Michel Fillol. Quand les dossiers nous sont transmis, nous nous employons à sanctionner réellement les médecins déviants. Tout le problème tient à la transmission de l’information par les caisses d’assurance maladie. C’est ce qui explique l’écart choquant entre, d’une part, les chiffres fournis par la Cour des comptes et, d’autre part, le nombre des dossiers qui nous parviennent et des sanctions que nous prenons.
Une fois encore, nous ne pouvons sanctionner que les comportements dont nous avons connaissance. Nous nous montrons à cet égard très pressants auprès de l’assurance maladie mais celle-ci ne répond pas à nos demandes. Je regrette d’avoir à porter cette accusation grave, mais le problème se situe là.
M. le rapporteur. C’est un peu notre sentiment. Nous en reparlerons avec M. Frédéric van Roekeghem.
M. Michel Fillol. Nous n’avons pas à exprimer de points de vue subjectifs mais nous sommes quelque peu amers d’entendre sans cesse demander : « Mais que fait l’Ordre des médecins ? » L’ordre fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, et il ne le fait pas si mal que cela !
Pour améliorer le système et réduire les abus et les fraudes, un travail préventif est d’abord nécessaire. La formation initiale des médecins est notoirement insuffisante, qu’il s’agisse de la thérapeutique, de la pharmacologie ou des modalités d’exercice. Quant à la formation médicale continue, c’est un serpent de mer depuis vingt-cinq ans. Les textes précis que le Parlement avait élaborés en la matière ont été abandonnés. Le plus récent dispositif, celui du développement professionnel continu, n’a pas été mis en œuvre, si bien que les médecins sont livrés à eux-mêmes ou tributaires d’une « formation » délivrée par les laboratoires pharmaceutiques, avec toutes les conséquences que l’on a pu récemment constater.
L’amélioration doit également porter sur la communication institutionnelle, en particulier de l’assurance maladie vers l’ordre.
M. le rapporteur. Les députés essaient de répondre aux questions que la rue se pose. Comment se fait-il que l’on indique à une personne intégrant tel ou tel organisme qu’elle a droit à 35 jours d’arrêt maladie par an ?
M. Michel Fillol. Ce ne sont pas les médecins qui le disent.
M. le rapporteur. Mais ce sont eux qui délivrent l’arrêt maladie. Pour prendre un autre exemple que celui des compagnies républicaines de sécurité, la Cour des comptes relève que ce sont les personnels des caisses d’assurance maladie qui sont le plus souvent en arrêt maladie ! Ces choses ne peuvent échapper à de bons professionnels. Est-ce de la bonne médecine que de mettre en arrêt maladie tous ces patients qui, visiblement, ne sont pas très malades ?
M. Michel Fillol. Certainement pas.
M. le rapporteur. De même, il est abusif de coter une consultation pour une visite médicale d’aptitude au sport scolaire. Tous ces abus sont largement connus, y compris des médecins.
M. Michel Fillol. Je pourrais même vous donner des exemples d’interdictions temporaires prononcées pour des certificats médicaux justifiant des absences scolaires. Pourtant, le préjudice pour l’assurance maladie est nul. Bien entendu, l’ordre sanctionne également la facturation à l’assurance maladie des actes destinés à la délivrance d’un certificat de non contre-indication à la pratique du sport.
M. le rapporteur. À ce propos, les certificats d’interdiction de piscine non justifiés que certains médecins délivrent systématiquement à des jeunes filles de religion musulmane posent un problème d’éducation que la société ne pourra ignorer longtemps. Alors que ces jeunes filles ont le droit et les capacités physiques d’aller à la piscine comme les autres, on crée une ségrégation.
Pour en revenir à notre sujet, est-il supportable que 15 % à 20 % des personnes soient en arrêt maladie dans certains services ? Ce sont des questions que l’on pose aux députés. Un médecin a une autorité mais il a aussi des responsabilités.
M. Francisco Jornet. Les certificats de non contre-indication à la pratique du sport sont un exemple intéressant. Alors que les publications de l’ordre rappellent aux médecins que certains certificats ne doivent pas faire l’objet d’une feuille de soins, nous recevons des kyrielles de doléances ou de plaintes de la part de patients s’indignant de ce que leur médecin ait respecté la loi ! La pression des patients complique singulièrement l’exercice vertueux de la médecine.
De même, les employeurs se plaignent quotidiennement auprès de l’ordre de la mise en arrêt maladie de tel ou tel salarié. Tous ces courriers sont traités. Le conseil départemental interroge le médecin mis en cause et recueille ses explications. Mais, si l’on donnait systématiquement suite aux plaintes, il y aurait actuellement 50 000 médecins devant les juridictions disciplinaires. Pour les employeurs, en effet, tout arrêt de travail est de complaisance et tout médecin le délivrant doit être poursuivi. C’est pourquoi le conseil départemental effectue à la fois un travail d’écoute du médecin et de recoupement. Au niveau national, le bulletin de l’ordre rappelle que les certificats de complaisance sont prohibés par la déontologie médicale et qu’ils peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires. À l’inverse, les médecins font valoir qu’ils sont soumis à une pression d’autant plus forte que nous sommes en période de crise.
M. le rapporteur. C’est certain. Cela étant, la MECSS observe ce qui se passe dans les autres pays européens. Le système allemand, fondé sur la responsabilité des médecins et sur leur capacité à gérer eux-mêmes le dispositif de santé, est très différent du nôtre mais il fonctionne. Le nôtre a certes ses spécificités, mais cela justifie-t-il des indicateurs aussi divergents de ceux du reste de l’Europe, sur les sujets qui nous préoccupent ?
Je vous remercie pour votre contribution.
*
AUDITION DU 17 MARS 2011
Audition de M. Pierre Leportier, président honoraire de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), de M. Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), et M. Frédéric Laurent, vice-président, et de Mme Marie-Josée Augé-Caumon, conseillère de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Mme Marie-Josée Augé-Caumon, conseillère de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). La pharmacie est certainement, parmi les professions de santé, celle qui est la plus encadrée : le médicament est codé, la carte Vitale permet de connaître parfaitement l’identité des patients et notre dispositif de liste d’oppositions des cartes Vitale, régulièrement mise à jour en officine, permet de détecter les cartes volées.
Les fraudes les plus courantes sont les fausses ordonnances ou les ordonnances falsifiées.
Je ne m’étendrai pas sur les fraudes réalisées par des pharmaciens d’officine, l’Ordre des pharmaciens disposant, comme les caisses d’assurance maladie, de moyens de contrôle et sanctionnant assez rapidement et fortement les contrevenants. Nous sommes attentifs à ce que les anomalies soient détectées dans les meilleurs délais, afin d’éviter qu’elles ne soient assimilées à des fraudes ou à une escroquerie.
Les fraudes peuvent porter sur des médicaments sensibles qu’on ne peut obtenir facilement. Certains patients sont enclins à falsifier des ordonnances par des moyens aussi faciles que la photocopie ou le scanner. Une intervention rapide des services de l’assurance maladie et des officines devrait permettre de limiter ce phénomène.
Nous avons ainsi été récemment confrontés à une affaire d’ordonnances apocryphes appartenant à un même assuré des Hauts-de-Seine et copiées à de nombreuses reprises, qui ont permis de délivrer des médicaments et appareils pour le diabète dans toute la France. Lorsque les services de l’assurance maladie s’en sont rendu compte, ils ont arrêté de payer les pharmaciens, ce qui a déclenché un tollé de leur part, dans la mesure où ils n’avaient aucun moyen de savoir que ces ordonnances étaient falsifiées. Si, dans ce type de cas, la caisse n’intervient pas rapidement, on peut penser qu’il s’agit d’une escroquerie des pharmaciens ou des patients. Il faut donc que les systèmes d’alerte soient très réactifs.
S’agissant de l’affaire du Subutex à Toulouse, on a du mal à obtenir des caisses d’assurance maladie qu’elles indiquent à l’ensemble des pharmaciens quels sont les publics susceptibles de participer à ce genre de trafic, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ayant interdit que l’on dispose de listes de personnes appartenant à une certaine catégorie de population, en l’occurrence les toxicomanes.
Les systèmes d’alerte doivent également être fiables. On peut envisager une authentification de l’ordonnance avec un code prescripteur facilement lisible et non falsifiable, sachant que l’ordonnance électronique n’est pas le système le plus sûr.
M. Dominique Tian, président. Je connais un pharmacien dans ma circonscription qui a falsifié des ordonnances et entraîné un préjudice de l’ordre d’un million d’euros pour la sécurité sociale. Comment expliquez-vous ce type de dérapages : sont-ils liés aux difficultés de la profession ou à un contrôle insuffisant des pharmaciens, qui sont pourtant des notables responsables, gagnant plutôt bien leur vie et soumis à un numerus clausus ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Ces dérapages s’expliquent par des difficultés économiques, mais ils ne sont pas plus nombreux que dans d’autres professions. Si les services de l’assurance maladie – qui disposent de tous les moyens de contrôle – alertent un pharmacien en cas d’erreur, celui-ci réagira très vite et l’on évitera qu’il soit condamné pour escroquerie, avec en général de lourdes sanctions.
Cela nécessite, encore une fois, un dispositif d’alerte rapide au sein de l’assurance maladie, voire de la profession.
M. Dominique Tian, président. Le dispositif actuel des caisses n’est donc pas assez réactif pour éviter ce type de dérives.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Pourtant, nous disposons de tous les moyens conventionnels : nous avons des commissions paritaires locales et nationales au sein desquelles ces problèmes pourraient être résorbés.
M. Pierre Leportier, président honoraire de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les fraudes chez les pharmaciens ne sont en effet pas plus répandues que dans d’autres professions. Mais la pression économique s’exerçant sur eux peut expliquer l’augmentation du nombre de ceux qui ne respectent pas les règles. C’est le cas notamment dans la région parisienne, où la densité des pharmacies est importante et où les chiffres d’affaires sont faibles et la concurrence forte.
Les fraudes touchant les pharmacies sont bien connues. Il peut s’agir de fraudes individuelles telles que les « bourrages » d’ordonnances – consistant à donner la totalité des médicaments prescrits même si les patients ne les prennent pas – ou les renouvellements intempestifs de prescriptions. Elles ont évolué avec la mise en place du système du forfait à la boîte, qui dans ces cas induit un surcoût pour le patient qui sera plus vigilent.
Le deuxième type principal de fraude est celui organisé entre le patient et le prescripteur. Il consiste à ne pas faire délivrer la totalité des produits remboursés prescrits pour permettre d’échanger des médicaments remboursés par d’autres qui ne le sont pas. Ce type d’acte est condamnable, mais il est parfois le fait de personnes financièrement démunies.
Un troisième type de fraude a trait aux trafics réalisés par les toxicomanes, qui font du « nomadisme », consistant à demander autant de fois que possible, avec la même ordonnance, la délivrance des mêmes produits.
Enfin, il ne faut pas négliger les fraudes fiscales. À cet égard, il faut se garder du fantasme véhiculé par la presse selon lequel un logiciel aurait permis à 4 000 pharmaciens de frauder grâce un code administrateur. Dans toutes les entreprises utilisant un logiciel en réseau, il existe un administrateur par système afin que tout le personnel ne puisse accéder au logiciel.
Il est difficile au pharmacien de frauder le fisc, dans la mesure où il n’est pas en mesure d’acheter quelque chose qui ne soit pas facturé et où il a essentiellement une fonction de revendeur : le fisc sait parfaitement ce qu’il a acheté, ses charges et ses marges. D’autant que 85 % du chiffre d’affaires des officines correspond au tiers payant, remboursé par l’assurance maladie, et que sur les 15 % restant, la moitié est payée par carte bancaire et le quart par chèque. Les règlements en espèces ne représentent donc que 3 à 4 % de l’ensemble.
Plusieurs types de contrôles ont été mis en place. D’abord, celui exercé par les chambres disciplinaires. Ensuite, le contrôle judiciaire, souvent utilisé par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Nous avons, en tant que syndicats, signé avec elle une convention, à laquelle est lié un système de sanctions, avec des dispositions concernant la défense du pharmacien.
M. Dominique Tian, président. Disposez-vous d’éléments chiffrés sur le nombre de sanctions prononcées ?
M. Pierre Leportier. Nous ne sommes pas informés des actions menées par les caisses. Quand celles-ci veulent sanctionner un ou plusieurs pharmaciens agissant en bande organisée, c’est-à-dire avec le prescripteur ou avec le patient – comme on l’a vu dans des affaires récentes de toxicomanie ou de trafic de médicaments –, elles ne choisissent pas forcément la voie conventionnelle, mais la voie juridictionnelle.
M. Dominique Tian, président. L’Ordre des médecins que nous avons auditionné s’est plaint du manque de communication avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés notamment, laquelle ne l’informe pas des sanctions prises, ce qui lui pose des problèmes pour décider de ses propres sanctions. De même, il formule des demandes de sanction auprès de la caisse nationale d’assurance maladie qui ne sont pas prises en compte.
M. Pierre Leportier. De fait, nous ne connaissons que ce qui est constaté dans le cadre conventionnel – qui ne concerne généralement pas des fraudes mais des pharmaciens qui ne prescrivent pas assez de génériques ou n’appliquent pas certaines dispositions de la convention. Dès que la caisse nationale d’assurance maladie a décidé de recourir à une solution juridictionnelle ou ordinale, nous ne sommes pas informés.
Quant aux logiciels informatiques – et, plus largement, à l’informatisation de la profession –, ils offrent une protection supplémentaire puisqu’ils permettent potentiellement un suivi et un contrôle des pharmacies.
M. Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). L’essentiel des fraudes concerne l’assuré et a plusieurs origines. Il peut reposer sur un système organisé entre l’assuré, le médecin et le pharmacien, qui peut ou non constater la fraude. Deux types de produits peuvent alors être en cause : les traitements de substitution aux opiacés et les produits non utilisés bénéficiant à d’autres personnes non assurées, résidant ou non sur le territoire national.
Les non-résidents viennent – en raison de difficulté d’accès aux soins de certaines populations locales – de trois zones principales : l’Asie – avec parfois le racket de personnes envoyées sur notre sol –, l’Inde et l’Afrique. La fraude résulte d’une prescription légale : si des anomalies sont constatées par le pharmacien, notamment en cas d’interactions, la plupart du temps le médecin maintient sa prescription.
Les ordonnances peuvent également être délivrées par les hôpitaux. Elles sont alors souvent détournées de leur objet et non contrôlables par le pharmacien, celui-ci n’étant pas en mesure, la plupart du temps, de retrouver le prescripteur. Elles peuvent aussi être informatisées et donner lieu à une duplication illégale de la part des assurés, à l’instar des ordonnances apocryphes évoquées précédemment. Dans ce dernier cas, le pharmacien ne peut déceler la moindre anomalie : elles portent sur des produits de consommation courante et adressées le même jour à cinq, dix, vingt ou trente pharmacies. Seule l’assurance maladie est en mesure de détecter ce type de fraude, dans la mesure où elle reçoit au même instant la totalité de l’information, que ce soit grâce à la carte Vitale ou aux attestations.
Autre cas de fraude, qui tend à se développer : celle de l’assuré vis-à-vis du droit. Elle repose sur des attestations sous forme papier, sans limitation de durée, fournies par l’assurance maladie lorsque l’assuré a perdu sa carte. Elles peuvent être reproduites à de nombreuses reprises et présentées aux pharmaciens, qui délivrent leurs produits au regard d’une ordonnance elle-même dupliquée. L’assurance maladie sanctionne alors, la plupart du temps, l’ensemble des pharmaciens ayant indirectement participé à la fraude. Chaque fois que nous lui avons demandé de bloquer les droits, elle s’y est refusée catégoriquement, arguant de l’impossibilité de supprimer des droits en raison d’une fraude.
L’assurance maladie nous envoie une liste d’oppositions nous informant de la validité des cartes Vitale, mais nous n’avons pas de dispositif d’opposition à l’égard des assurés pour des prestations identifiées. Un tel procédé tend cependant à se développer sur le plan national – il a été mis en place dans les Hauts-de-Seine puis étendu à la région d’Île-de-France –, mais selon une procédure assez surprenante : nous recevons quotidiennement sous une forme papier des informations tendant au refus de tel produit à tel assuré – même s’il ne réside pas dans le département ou les environs – sur lesquelles nous n’avons aucun moyen informatique d’exercer un contrôle. Se pose le problème de la transmission de cette information, de manière à permettre à chacun de savoir ce qu’il en est.
Un autre phénomène est lié à la dichotomie entre médecins et pharmaciens et à la fraude de ces derniers. Quand les pharmaciens sont informés que des assurés fraudent sans être sanctionnés – alors qu’eux-mêmes le sont pour des montants pouvant aller de un ou deux euros à des sommes importantes – et qu’ils ne peuvent récupérer l’indu auprès de l’assurance maladie – dans la mesure où ils ont vendu des produits, sur la délivrance desquels ils ne disposaient pourtant d’aucun moyen de contrôle –, certains peuvent être tentés de frauder.
Cela dit, les fraudes pharmaceutiques sont relativement limitées, car nous sommes dans un système de télétransmission : les officines sont totalement informatisées et entièrement sous le contrôle de l’assurance maladie. Il est vrai que ce système se faisait jusqu’à présent en deux temps : la pharmacie télétransmettait la facture et envoyait par courrier l’ordonnance à l’assurance maladie ; dans un premier temps, celle-ci vérifiait si la facture était correcte et s’il n’y avait pas d’anomalies au regard du droit de l’assuré, puis réglait cette facture ; dans un second temps, elle effectuait un contrôle après avoir reçu les ordonnances – lequel était particulièrement lourd au vu du nombre de celles-ci.
Depuis un an, une expérimentation a été lancée avec l’assurance maladie, tendant à scanner et à transmettre à celle-ci les ordonnances, de manière à lui permettre d’avoir en même temps la facture et l’ordonnance. À partir de juin prochain, est prévue une transmission simultanée de ces deux documents, qui permettra à l’assurance maladie de vérifier immédiatement la conformité de l’un à l’autre. Des processus conventionnels permettront également d’accélérer la transmission d’informations.
M. Dominique Tian, président. Où est réalisée cette expérimentation ?
M. Claude Japhet. Elle est réalisée dans sept départements et concerne une centaine de pharmaciens, à qui est envoyé un cédérom. Sa généralisation à l’ensemble du territoire national – en cours de négociation, afin de permettre à toutes les caisses de préparer leurs logiciels et leurs services – devrait être effective d’ici la fin 2011 ou la mi-2012.
Ce choix a été motivé par deux motifs : il simplifie la tâche des pharmaciens – qui n’auront plus à envoyer de documents sous forme papier aux caisses – et permet à celles-ci d’effectuer les paiements dans les meilleures conditions.
Autre cas de figure : entre le moment où la caisse fait éventuellement le constat d’une anomalie et la transmission de l’information au pharmacien concerné, il peut s’écouler entre un et six mois. Elle ne transmet jamais d’alerte après la première anomalie : elle attend généralement les suivantes et que le montant cumulé soit suffisamment élevé pour déclencher un contrôle général du confrère.
M. Dominique Tian, président. Qu’est-ce qu’une anomalie ?
M. Claude Japhet. L’anomalie peut résider, soit dans la récurrence d’une même ordonnance, soit dans l’envoi le même jour de dix ordonnances pour un même patient. Dans ce cas, la caisse nous envoie un indu, c’est-à-dire un refus de payer la facture. Ce qui a le don d’exaspérer nos confrères, c’est qu’elle ne motive pas ce refus, sinon en parlant d’« ordonnance apocryphe ». Or ces ordonnances présentent toutes les apparences de la régularité, et ce n’est que de la réception de plusieurs factures pour la même ordonnance que la caisse a pu déduire la fraude.
On sait très bien que la technologie actuelle rend le système des feuilles de soin papier totalement obsolète, tant il est aisé de falsifier les ordonnances. Pis, de vraies ordonnances délivrées par des médecins ont l’air falsifiées ! C’est en amont, au niveau du médecin, tant hospitalier que de ville, qu’il faut sécuriser le processus, en permettant son authentification et l’identification du prescripteur, faute de quoi on laissera aux assurés tous les moyens technologiques de frauder.
M. Dominique Tian, président. Vous pensez à une signature électronique du médecin ?
M. Claude Japhet. C’est possible, puisque les officines sont informatisées à 100 %.
M. Dominique Tian, président. Quelle est la proportion de fraudes par officine ?
M. Claude Japhet. Elle est fatalement marginale, puisque les fraudeurs ne vont pas revenir voir un pharmacien qui leur demandera nécessairement de régler ce qui n’a pas été payé.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. En outre, on ne connaît par définition que la fraude qui a été détectée.
M. Dominique Tian, président. Quel est le montant des indus ?
M. Claude Japhet. Moins d’un pour mille pour chaque officine. Ce montant est à distinguer de celui de la fraude, plus de 60 % de ces indus étant attribuables à des problèmes d’ouverture de droits, notamment au niveau de l’assurance complémentaire : il s’agit souvent de personnes qui ont changé de mutuelle. Ce n’est donc pas une question de fraude. Les 40 % restant constituent une perte sèche pour le pharmacien, qu’il s’agisse de nomades pharmaceutiques ou de spécialistes de la fraude. Le problème, c’est qu’on continue à ouvrir des droits au bénéfice de fraudeurs notoires.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Il faudrait obtenir de l’assurance maladie qu’elle réduise les délais de renouvellement des cartes Vitale, qui sont anormalement longs : il peut arriver qu’on soit privé de carte Vitale pendant des mois. Un assuré de mon département a même porté plainte contre sa caisse parce qu’il attendait sa carte depuis deux ans ! Or la possibilité de frauder s’accroît proportionnellement à ces délais puisque les attestations papier sont aisément falsifiables.
M. Dominique Tian, président. La présence d’une photographie de l’assuré sur la nouvelle génération de cartes Vitale vous est-elle utile ?
M. Claude Japhet. Cela ne sert à rien. Il arrive souvent que la photographie ne permette pas d’identifier l’assuré. En outre, la carte ne comporte pas la photographie de tous les ayants droit – à moins qu’on impose une photographie de groupe ! Même dans ce cas, comment va-t-on reconnaître un enfant qui a été photographié bébé ? En outre, le législateur ne s’est pas rendu compte que l’apposition de cette photographie était une incitation à la fraude. En effet, plutôt que d’affronter le véritable parcours du combattant qui conditionne l’obtention de cette nouvelle carte, l’assuré préférera utiliser l’attestation papier, qui lui ouvre les mêmes droits. J’ai vu des assurés attendre leur carte trois ans ! Certes, la proportion des feuilles de soins sans carte Vitale n’excède pas 10 %, mais ce phénomène est en augmentation, notamment du fait des gens du voyage ou de ceux bénéficiant de l’aide médicale. Il est vrai que ces derniers sont dorénavant dotés, du moins en principe, d’une carte d’admission à l’aide médicale permettant leur identification. La question est de savoir s’il faut arrêter de délivrer des médicaments sur simple présentation d’une feuille d’attestation papier, et qui doit prendre cette décision. Dans le système actuel, les assurés ne se sentent pas concernés par cette question, puisque les droits sont ouverts en tout état de cause, et l’assurance maladie ne nous donne pas les informations nécessaires et distribue des attestations sans contrôles et sans fixer de date limite. Dans un tel système, les pharmaciens ne savent plus que faire.
M. Pierre Leportier. Je voudrais profiter de cette occasion pour mettre fin une fois pour toutes aux accusations de manque de fiabilité qui pèsent sur les logiciels de facturation dont disposent les pharmaciens, soupçons sans fondement, mais desquels la presse s’est fait l’écho, à la suite de l’audition de Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Pilotant depuis 1995 le système SESAM-Vitale pour le compte des pharmaciens, je ne peux pas laisser dire que les éditeurs de ces logiciels peuvent se dispenser de certification. Au contraire de ce que prétend la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, il me semble que la certification par le Centre national de dépôt l’assurance maladie (CNDA) des logiciels d’élaboration et de transmission des feuilles de soins électroniques utilisés dans les officines est tout à fait efficace. En tout état de cause, il aurait fallu vérifier cette efficacité avant de faire peser sur les pharmaciens le soupçon de frauder en déverrouillant les logiciels qu’ils utilisent. Un certain M. Jérôme Crétaux avait, à une certaine époque, lancé le même type d’accusations. Or, tant l’assurance maladie que les éditeurs de logiciels m’ont assuré que c’était impossible : la sécurisation des feuilles de soins électroniques ne dépend pas du logiciel utilisé par le pharmacien, mais du lecteur de carte vitale et la certification de codes connus du seul GIE-SESAM-Vitale. C’est d’ailleurs ce qui lui permet de détecter les cartes Vitale frauduleuses.
C’est non seulement impossible, mais en plus inutile, le pharmacien qui souhaiterait frauder l’assurance maladie ayant à sa disposition des moyens bien plus simples et faciles, ne serait-ce que la transmission des feuilles de soins sans la carte Vitale du patient.
En réalité, l’assurance maladie et l’ensemble du système conventionnel ont tout mis en œuvre pour sécuriser le système de la carte Vitale, en réponse notamment aux critiques de M. Jérôme Crétaux.
M. Dominique Tian, président. Voyez-vous souvent des clients vous présenter plusieurs cartes ?
M. Pierre Leportier. Voilà un autre fantasme !
M. Claude Japhet. C’est impossible. L’assurance maladie ferait immédiatement opposition, en envoyant aux logiciels de toutes les officines l’ordre de bloquer la carte en cause dans les dix jours au maximum.
M. Pierre Leportier. À la suite de l’« affaire Crétaux », la sécurisation du dispositif SESAM-Vitale a été encore renforcée. Depuis, la liste d’opposition des cartes Vitale est remise à jour quotidiennement, et non plus chaque mois seulement. Ce dispositif a une réactivité semblable à celle du système d’opposition à la carte bleue. L’inconvénient de ce nouveau logiciel est sa lourdeur, qui fait que toutes les officines n’en sont pas encore équipées.
Le problème, c’est que le contrôle de l’assurance maladie s’effectue a posteriori sur les ordonnances papier, en les confrontant aux feuilles de soins électroniques.
M. Dominique Tian, président. Disant cela, vous reconnaissez que le système n’est pas suffisamment sécurisé et qu’on peut se faire délivrer des médicaments dans différentes pharmacies à partir de la même ordonnance.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. D’où l’intérêt du dossier pharmaceutique.
M. Dominique Tian, président. Ne pourrait-on pas s’inspirer de dispositifs qui ont cours dans d’autres pays ? L’authentification par empreinte digitale, par exemple, ne vous semble-t-elle pas plus rapide et rationnelle, pour un coût similaire ?
M. Claude Japhet. Un tel système ne peut fonctionner que pour le titulaire de la carte, et non pour ses ayants droit. En outre, il ne peut s’appliquer que lorsque la dispensation de médicaments est faite directement à l’assuré. Or ils sont souvent vendus à des tiers, dans le cas notamment de patients âgés. Que fait-on pour les quinze mille à vingt mille centenaires que compte aujourd’hui la France ? C’est pourquoi la profession demande de pouvoir assurer certains services au domicile du patient.
M. Dominique Tian, président. Ne pourrait-on pas confier cette mission au service public de la Poste ?
M. Claude Japhet. Il faudrait alors entrer dans un système d’envoi recommandé avec accusé de réception, dont je ne suis pas sûr qu’il serait plus pertinent, plus sécurisé et moins coûteux.
M. Dominique Tian, président. Quelle est la proportion de clients venant pour le compte d’autrui ?
M. Pierre Leportier. Elle est par définition très importante, car si les malades sont obligés de rencontrer leur médecin, ils peuvent se dispenser d’aller à la pharmacie !
M. Frédéric Laurent, vice-président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). C’est notamment le cas des personnes à mobilité réduite, comme les personnes âgées.
M. Dominique Tian, président. Il semblerait que certains médecins ne voient jamais leurs patients non plus !
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Je dirais qu’au moins un tiers de nos clients achètent des médicaments pour autrui, les mères de famille venant souvent pour toute la famille, même pour leurs maris.
M. Pierre Leportier. En réalité, ce n’est pas une mesure unique qui va suffire à assurer la sécurisation du dispositif. Même la prescription électronique n’est pas la panacée : on sera toujours obligé de délivrer une ordonnance papier au patient. Il est vrai que les prescriptions électroniques seront envoyées vers un serveur unique auquel tous les professionnels de santé – kinésithérapeutes, infirmières, etc. – auront accès. Mais la généralisation des services en ligne poserait de gros problèmes organisationnels : les pharmaciens devraient se connecter à une bonne dizaine de serveurs pour vérifier la validité des droits du patient au régime obligatoire, à une couverture complémentaire, pour récupérer la prescription électronique et vérifier sa régularité, accéder au dossier pharmaceutique, voire au dossier médical personnel, valider les demandes de prises en charge en cas d’affection de longue durée, etc.
La prescription électronique est surtout utile pour permettre au pharmacien qui a un doute sur la prescription que le patient lui a transmise d’effectuer des vérifications.
De même, l’expérience des ordonnances en papier filigrané a donné de bons résultats : étant plus difficiles à dupliquer, elles limitent le nombre d’ordonnances apocryphes. Mais les médecins ayant refusé leur généralisation, leur usage est réservé à la délivrance de médicaments inscrits sur la liste des stupéfiants.
L’utilisation de codes de type Datamatrix, qui permettent d’intégrer un grand nombre d’informations, serait également un élément de sécurisation, même s’ils peuvent être falsifiés.
M. Dominique Tian, président. Ne pourrait-on pas généraliser l’initiative de la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse, au moins dans les zones qui souffrent de problèmes de trafics de Subutex ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. La caisse primaire d’assurance maladie de Montpellier a mis en place un système similaire à celui mis en œuvre par celle de Toulouse : lorsqu’elle constate qu’un même patient se fait prescrire du Subutex par plusieurs médecins et pharmaciens, elle lance immédiatement l’alerte, et n’autorise la délivrance ou la prescription de ce produit au patient qu’au médecin et au pharmacien qu’il aura désignés dans le cadre d’un protocole d’accord. Cette procédure est assez efficace, le plus difficile étant de convaincre le patient de participer à un tel protocole. L’obligation d’indiquer le nom du pharmacien constitue aussi une garantie contre la fraude. Un tel système a fait ses preuves et pourrait être généralisé. Le seul problème est que la Commission nationale de l’informatique et des libertés interdit à l’assurance maladie de prévenir les professionnels de santé autres que les parties au protocole que ce patient a fraudé.
Mme Catherine Lemorton. Il est vrai qu’à Toulouse, toutes les officines et tous les médecins sont informés de l’identité et du numéro de sécurité sociale des fraudeurs, pour parer au risque de nomadisme pharmaceutique. Ce n’est pas pour autant qu’il y a violation du secret médical, au contraire de ce que prétend M. Frédéric van Roekeghem, les professionnels de santé étant simplement prévenus que tel ou tel patient a déjà un médecin et un pharmacien.
M. Dominique Tian, président. Je cite les propos de M. Frédéric van Roekeghem lors de son audition par la MECSS : « le Subutex est un traitement substitutif aux opiacés afin d’aider les patients à s’en sortir dans le cadre d’une politique de santé. A-t-on le droit aujourd’hui en France de limiter la délivrance du Subutex à un pharmacien ? Non cela n’est pas autorisé par les textes. ». Cette vision est très différente de la vôtre, et contraire à l’opinion de la Cour des comptes, qui jugeait intéressante l’initiative de la caisse primaire d’assurance maladie de Toulouse.
M. Frédéric Laurent. En Alsace, comme à Toulouse, les cas de nomadisme pharmaceutique font l’objet d’un signalement. Les officines qui auraient été victimes de la fraude sont défrayées des frais engagés et sont prévenues qu’elles ne pourront plus délivrer ce produit au fraudeur.
M. Dominique Tian, président. En revanche, il ne semble pas y avoir eu d’expérience similaire en région parisienne, alors que c’est surtout là que sévit ce type de trafic.
M. Claude Japhet. Le problème est celui de l’absence d’alertes a priori. Tant qu’il n’y aura pas d’obligation de déclaration initiale et d’autorisation par la caisse primaire d’assurance maladie en amont du parcours de soins de ces patients, la lutte contre la fraude sera insuffisamment réactive.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Je ne peux pas laisser dire cela. Les toxicomanes sont des patients comme les autres, surtout dans la perspective d’une politique de réduction des risques. Durcir leur parcours de soins causera plus de dégâts encore, et risque de favoriser les actes de violence contre les pharmaciens. Je ne suis pas pour autant partisane du laxisme, mais je préfère des dispositifs comme celui qui a été mis en place à Toulouse et dans d’autres régions, qui mettent à contribution les réseaux de pharmaciens et de médecins. Je pense notamment aux microstructures mises en place en Alsace, et qui se sont révélées très efficaces.
Mme Catherine Lemorton. Il est vrai que les pharmaciens toulousains habilités à délivrer du Subutex interviennent souvent avant même d’être alertés par la caisse primaire d’assurance maladie, en s’informant auprès des médecins ou de la caisse.
S’agissant des indus, ils sont inévitables, le code de déontologie des pharmaciens leur faisant obligation de délivrer le produit au patient, même s’il n’est pas à jour de ses droits.
M. Claude Japhet. De ce point de vue, les pertes subies par les officines peuvent avoir trois origines : les indus, les avances de soins quand l’ordonnance n’est pas renouvelé immédiatement – ce qui n’est pas rare étant donné les problèmes de démographie médicale – car les refuser reviendrait à interrompre un traitement, et les crédits. Pour nous, la perte est plus sensible que pour les médecins, qui après tout ne perdent que quelques minutes de leur temps : un produit non remboursé par la sécurité sociale représente une perte équivalant à quatre fois notre marge.
M. Dominique Tian, président. Pouvez-vous nous proposer des mesures simples de lutte contre la fraude, telles que la signature électronique des ordonnances ?
M. Claude Japhet. Tout devrait être mis en œuvre pour permettre l’identification du prescripteur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, notamment en cas de prescription hospitalière, alors que cette identification est déjà obligatoire en théorie. Le nom du médecin prescripteur et le service auquel il appartient devraient être mentionnés de façon lisible. Cela permettrait déjà de réduire notablement le nombre des ordonnances apocryphes.
Je défends par ailleurs un système de déclaration obligatoire du pharmacien ou du médecin prescripteur – cette obligation existe déjà dans certains cas – géré par l’organisme payeur.
L’obligation de la présence d’une photographie ne fait que rendre plus difficile l’accès à la carte Vitale, sans aucun bénéfice pour la sécurité du dispositif.
M. Dominique Tian, président. Elle serait utile si elle supposait un face-à-face entre les agents de la sécurité sociale et l’assuré, comme c’est le cas pour le passeport ou la carte d’identité.
M. Claude Japhet. Ce qu’il faut surtout, c’est faciliter l’obtention de la carte Vitale par l’assurance maladie : plus on simplifiera la procédure de délivrance de la carte Vitale, plus on sécurisera l’ensemble du système, d’autant que cette carte permet également de simplifier la prise en charge du patient par les professionnels de santé et d’accélérer les paiements. Le grand avantage de la carte Vitale sur l’attestation papier, c’est qu’elle n’est pas falsifiable.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Il faut intensifier et accélérer les procédures d’alerte. Les caisses doivent nous prévenir dès qu’elles constatent une anomalie.
M. Pierre Leportier. Avant de parler de sécurisation, je voudrais m’assurer que le débat n’est pas biaisé par une confusion entre indu et fraude, qui obéit à une logique différente. L’indu naît d’une divergence d’interprétation entre l’assurance maladie et le pharmacien.
La sécurisation du système doit opérer à tous les niveaux. Cela signifie qu’elle doit porter, non seulement sur l’identité du patient, mais également sur celle du prescripteur et du produit prescrit. Je ne pense pas que rendre le dossier pharmaceutique et le dossier médical obligatoires suffirait à régler le problème de la fraude, même si le dossier pharmaceutique comme le dossier médical personnel peuvent être mis à contribution pour sécuriser le dispositif.
Il serait également utile de permettre aux pharmaciens d’avoir, comme les médecins, accès à l’historique des remboursements du patient.
M. Dominique Tian, président. Le secret médical s’y oppose.
M. Pierre Leportier. Mais c’est nous qui délivrons les médicaments !
M. Dominique Tian, président. Il serait logique que le dossier médical puisse servir d’élément de contrôle en cas d’abus manifeste.
Mme Marie-Josée Augé-Caumon. Il permettrait au pharmacien de donner l’alerte en cas de nomadisme pharmaceutique d’un patient. C’est un moyen de détecter une dispensation anormale ou un nombre excessif de prescriptions.
Mme Catherine Lemorton. Je ne confonds pas indu et fraude, monsieur Pierre Leportier. Je dis simplement que l’accumulation des indus, des avances et des impayés risque de pousser certains pharmaciens à la fraude.
Par ailleurs, je m’inquiète de la possibilité de détenir simultanément deux cartes Vitale en cas de changement de régime, voire de caisse : ne devrait-on pas instaurer l’obligation de rendre sa carte Vitale lorsqu’on en reçoit une autre ?
M. Pierre Leportier. Je vous rappelle qu’il ne devait y avoir à l’origine qu’un fichier des cartes Vitale, valable pour tous les régimes. Quinze ans après l’instauration de la carte Vitale, ce fichier inter-régimes n’est toujours pas mis en place.
Mme Catherine Lemorton. Il est vrai qu’à l’origine la carte Vitale, le dossier pharmaceutique ou le dossier médical personnel avaient pour finalité d’améliorer la qualité des soins, et non de lutter contre la fraude. Ces outils pourraient changer de finalité, mais il faut le dire ouvertement et en débattre.
M. Dominique Tian, président. Seriez-vous favorable à la création d’un fichier unique ?
Mme Marie-Josée Augé-Caumon, M. Pierre Leportier et M. Claude Japhet. Bien sûr !
M. Pierre Leportier. Le problème est que chaque organisme répugne à laisser la collectivité accéder aux informations qu’il détient. Je me souviens d’un temps, pas si loin, où il n’y avait pas de fichier national et où chaque caisse primaire d’assurance maladie avait son propre fichier !
M. Dominique Tian, président. Je vous remercie de ces témoignages.
*
AUDITION DU 18 MAI 2011
Audition de Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères et européennes, M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire, et M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale.
Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères. En matière sociale, notre activité présente deux volets.
Nous servons à nos ressortissants à l’étranger des prestations sociales. Le versement de ces prestations au titre de la Convention de Vienne et dans le cadre d’un budget contraint est organisé par des circulaires internes. Une dotation d’environ 16 millions d’euros nous permet de servir des aides à des personnes âgées, des personnes handicapées et des enfants en détresse. Nous versons également des aides à la scolarité pour un budget de 119 millions d’euros, les bourses étant ouvertes de la maternelle à la terminale, des bourses complémentaires pouvant être versées pour les classes de seconde, première et terminale. Cette partie de nos prestations est très spécifique au ministère des affaires étrangères.
En matière de versement de prestations des régimes de sécurité sociale, le rôle des consulats est très limité. Ainsi, les remboursements de soins ou les pensions de retraite sont versés directement par les caisses aux bénéficiaires qu’ils soient français ou étrangers.
S’agissant du premier volet, c’est-à-dire les « prestations hors sécurité sociale », les contrôles prennent la forme d’enquêtes réalisées sur place par les agents des consulats. Ils vérifient le dossier et les pièces justificatives des personnes demandant à bénéficier d’une aide, en essayant d’apprécier un éventuel décalage entre le train de vie de ces dernières et les éléments contenus dans le dossier. Après ce premier examen individuel des dossiers, des commissions locales composées de membres du consulat, du consul, de représentants élus à l’Assemblée des Français de l’étranger et, éventuellement, de personnalités extérieures nommées procèdent à un deuxième examen individuel. Un troisième contrôle est effectué en administration centrale sur la base du travail réalisé par les commissions locales. Enfin, nous présentons l’ensemble des demandes à une commission nationale.
Ce mécanisme à quatre niveaux existe à la fois pour les prestations d’aide sociale et les aides à la scolarité.
Pour ce faire, nous disposons d’outils d’enquête sur place, mais aussi, depuis quelques mois, de l’article L. 158 du livre des procédures fiscales qui permet à nos consulats, en cas de doute sur un dossier, de vérifier avec les services fiscaux qu’une déclaration mentionnant l’absence de revenu ne cache pas des éléments de revenus hors du pays.
Dans la mesure où notre enveloppe financière est contrainte et n’évolue pas au rythme de l’inflation, nous devons prendre en compte des situations nouvelles. Cette année encore, des personnes sont sorties du dispositif car leurs ressources ou les aides qu’elles recevaient localement dépassaient les plafonds fixés par pays.
S’agissant du deuxième volet – des prestations versées par les organismes de sécurité sociale à leurs bénéficiaires dans le cadre des régimes de sécurité sociale –, le consulat a un rôle de facilitateur des contrôles. D’abord, nous disposons d’un réseau de conventions de sécurité sociale assez important qui nous permet, surtout grâce aux plus récentes, de développer la coopération administrative entre régimes de sécurité sociale. Les nouvelles conventions que nous négocions conjointement avec la direction de la sécurité sociale intègrent systématiquement cette dimension de coopération administrative, essentielle pour la lutte contre la fraude. Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’une convention se négocie sur le long terme. Ensuite, le décret du 5 octobre 2009 relatif à l’agrément des personnes physiques ou morales pouvant réaliser des enquêtes en matière de sécurité sociale permet à nos consulats d’agréer des organismes spécialisés après avis du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). L’agrément conduit à la conclusion d’une convention entre le ou les organismes de sécurité sociale qui le souhaitent et l’organisme agréé, l’objectif étant de contrôler telle ou telle prestation dans le pays concerné. Une circulaire parue au mois de janvier explicite ce mécanisme d’agrément et de convention. Nous avons commencé à le tester pour la Tunisie : l’organisme est d’ores et déjà agréé, mais le processus de convention est interrompu depuis les événements politiques récents. Il devrait reprendre fin juin à la faveur d’une mission de la direction de la sécurité sociale à Tunis.
En matière de contrôles, nous nous heurtons à un problème juridique fondamental : beaucoup de personnes de nationalité étrangère présentent des documents émanant des autorités locales. Or l’autorité consulaire française peut rencontrer des difficultés pour obtenir l’accord des autorités locales en vue de contrôler ces documents. Nous connaissons déjà cette difficulté pour des demandes de transcription d’actes d’état civil lorsque nos services souhaitent faire des levées d’acte dans les registres locaux : dans de nombreux cas, ils n’arrivent pas à obtenir l’accord des autorités locales pour faire ces levées d’acte.
L’intérêt d’un organisme agréé est d’avoir des autorités locales l’autorisation d’exercer. Nous vérifions son objet social et il agit à titre privé pour le compte d’un organisme de sécurité sociale. Pour choisir un organisme, nous lançons un appel à candidatures, réceptionnons les dossiers, nous assurons qu’ils sont complets, les transmettons au Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale après l’expertise duquel nous procédons à l’agrément.
M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire au ministère des affaires étrangères et européennes. Cette procédure d’agrément est née d’une volonté de la direction de la sécurité sociale de lutter plus efficacement contre la fraude, mais sans aller au-delà de l’article L. 114-11 du code de la sécurité sociale désignant les consulats pour l’agrément des personnes morales ou physiques. La direction de la sécurité sociale a toujours estimé que les consulats ne sont pas en mesure d’utiliser les constatations recueillies sur le terrain par les personnes morales ou physiques et faisant état d’une fraude manifeste à la sécurité sociale. Les entités compétentes en la matière sont le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, les caisses et l’administration centrale de sécurité sociale. Le rôle du consulat est de diffuser l’information et de se déterminer sur l’honorabilité et le professionnalisme des acteurs qui constatent sur le terrain des manquements avérés ou apparents à la réglementation. Autrement dit, nous recevons les dossiers mais ne les instruisons pas.
Les dossiers de fraude à la sécurité sociale concernent essentiellement des surfacturations de soins à l’étranger – la Tunisie faisant l’objet d’une suspicion de fraude très importante en matière de dialyses. Ils portent également sur les pensions, dans la mesure où nous n’avons pas toujours la preuve que les bénéficiaires qui ont travaillé en France et sont revenus dans leur pays sont toujours vivants. Ils portent enfin sur des soins inopinés à l’occasion de voyages touristiques de résidents ; en l’occurrence, un grand nombre de Tunisiens résidant en France se rendent en Tunisie et y bénéficient de soins.
M. le coprésident Jean Mallot. Je suppose que les organismes de sécurité sociale ont des estimations précises des prestations versées à des ressortissants résidant à l’étranger, qu’ils soient français ou étranger.
Pouvez-vous clarifier le rôle du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ? Si j’ai bien compris, vous agréez des organismes qui procèdent aux contrôles sur la base d’orientations fournies par les organismes de sécurité sociale.
M. Renaud Collard. Le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale donne son avis pour l’agrément, lequel émane du consulat.
Les organismes agréés ne jugent pas de la mauvaise application de la législation sociale française : ils constatent des faits dont ils informent, via le consulat, les organismes de sécurité sociale.
Le consulat examine la régularité des dossiers au regard d’une série de conditions – absence de condamnation pénale, nombre d’années d’exercice dans la profession, etc. – et les transmet au Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, qui les instruit.
Mme Odile Soupison. La caisse de sécurité sociale conclut une convention avec l’organisme agréé. Elle peut ainsi lui demander de procéder à tel type de contrôle et le rémunère.
M. le coprésident Jean Mallot. Je suppose que les conventions de sécurité sociale sont passées entre États.
Mme Odile Soupison. Les conventions de sécurité sociale entre États prévoient que les ressortissants d’un pays ayant travaillé dans l’autre peuvent par exemple cumuler des années pour faire valoir leur retraite. Dans les conventions que nous négocions actuellement, nous introduisons des clauses de coopération administrative entre États.
Les conventions dans le cadre du décret du 5 octobre 2009 sont des contrats de droit privé. Je tiens à votre disposition la circulaire d’application de ce texte qui précise la mécanique de conclusion des conventions.
M. le coprésident Jean Mallot. Quels pays ont conclu de telles conventions avec la France ?
M. Renaud Collard. Trente-six conventions intergouvernementales, signées avec des pays d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique, sont en vigueur.
Les conventions traditionnelles ne prévoient qu’une réunion de commission mixte, d’où une coopération embryonnaire, voire impossible à réaliser.
Avec le Togo, par exemple, une convention ancienne contient un article sibyllin prévoyant que les assurés sont soumis aux mêmes conditions en matière de preuves. Cela n’est pas probant pour nos dossiers.
Les nouvelles conventions, par exemple avec le Brésil et l’Uruguay, dont la négociation est achevée, contiennent des articles qui permettront de contrôler notamment la qualité de résident, les conditions de ressources du bénéficiaire, etc. Celle négociée avec le Brésil prévoit en outre un contrôle sur les certificats de vie et de décès. Il sera détaillé dans le cadre d’un arrangement administratif conclu entre ministres, que la direction de la sécurité sociale négocie actuellement. Cette nouveauté sera à peu près équivalente au dispositif particulier pour la Tunisie.
Les conventions récentes prévoient également la reconnaissance des décisions de justice en matière de prestations indûment versées ou de cotisations impayées, c’est-à-dire l’exequatur. C’est une nouvelle avancée.
Les nouvelles conventions semblent donc être la voie à suivre.
Au sein de l’Union européenne, des conventions bilatérales en matière de sécurité sociale – avec la République tchèque et le Luxembourg notamment – prévoient des coopérations en matière de preuves de décès, de conditions de résidence, de ressources, etc., plus poussées que celles prévues par le règlement communautaire de 2010, lequel ne va guère au-delà d’une coopération administrative.
M. le coprésident Jean Mallot. Au sein de l’Union européenne, les conventions diffèrent selon les États. Hors Union européenne, elles sont peu nombreuses et de nature différente. Des progrès restent donc à accomplir.
Si j’ai bien compris, le dispositif prévu par le décret du 5 octobre 2009 est expérimenté uniquement en Tunisie.
Mme Odile Soupison. Nous reprendrons le test en juin. Nous souhaitons mettre en place le dispositif en Tunisie et en tirer, quelques mois après, un premier bilan avec la direction de la sécurité sociale, notre objectif n’étant pas de le généraliser, mais de le cibler sur les pays et les prestations pour lesquels le contrôle s’impose.
Si nous parvenions à étendre le réseau des conventions de sécurité sociale « nouvelle formule », nous n’aurions pas besoin du dispositif du décret. Celui-ci présente néanmoins l’intérêt de dépendre de la France, alors qu’un accord international nécessite l’accord de deux États. Il constitue donc une solution intermédiaire qui, à mon sens, peut être efficace.
La plupart des conventions sont ciblées géographiquement et correspondent à une évolution historique. Or dans ce contexte de fraude, il faudrait renégocier certaines conventions et non des moindres, ce qui n’est pas chose facile. À cet égard, je pense à l’Algérie. Il ne suffit pas de proposer à un État de renégocier, encore faut-il que celui-ci apporte une réponse…
M. Dominique Tian, rapporteur. Certains pays ont-ils réussi à signer davantage de conventions que la France ?
M. Renaud Collard. Beaucoup ont un réseau de conventions de sécurité sociale, mais pas forcément plus étendu que celui de la France : l’Allemagne n’en a pas conclu plus de trente.
M. le rapporteur. Sont-elles différentes des nôtres ?
Mme Odile Soupison. C’est le degré d’homogénéité des systèmes sociaux qui détermine l’étendue du réseau de conventions. Il est difficile de se mettre en phase avec un pays dont la structure juridique est très éloignée de la nôtre, par exemple si son système de retraite repose uniquement sur un régime complémentaire. Comme tous nos principaux partenaires, nous nous heurtons à cette limite pour toutes les branches.
M. le rapporteur. Vous ne parvenez pas à conclure une convention avec l’Algérie. Quelles sont les raisons invoquées par les autorités algériennes ?
M. Renaud Collard. Elles ne donnent pas de raison particulière. Elles ne sont pas contre le principe dans l’absolu, mais ne nous transmettent pas les informations sur les possibilités de coopération entre les systèmes dont nous avons besoin pour préparer la négociation. La direction de la sécurité sociale elle-même ne semble pas certaine que les propositions actuelles ne marquent pas une régression : pour l’instant, le compte n’y est pas.
Pour des raisons différentes, nous avons beaucoup de mal à progresser dans la négociation avec l’Australie : les autorités de ce pays ne veulent pas lâcher du terrain sur leur conception en matière de risques couverts. De notre côté, nous ne souhaitons pas un texte plus défavorable à nos détachés.
M. le rapporteur. Sur un million de pensionnés des régimes français de retraites dans le monde, 440 000 se trouvent en Algérie. Or, selon la Cour des comptes, le nombre de retraités algériens centenaires indemnisés est supérieur à ce que déclare l’état civil algérien…
Comment la fraude en Tunisie a-t-elle été découverte ? De quelle manière les choses ont-elles été résolues sur le terrain ?
M. Renaud Collard. J’ignore comment la direction de la sécurité sociale a détecté cette fraude en Tunisie. Selon des estimations qui m’ont été communiquées par oral et dont j’ignore quelle période elles couvrent, la fraude – soit par facturation de soins non effectués, soit par surfacturation de soins très bon marché en Tunisie et facturés sur une base de remboursement française – atteindrait plusieurs centaines de millions.
La Société tunisienne d’assurances et de réassurances a été agréée. Les acteurs du système devraient être en contact fin juin ou début juillet. Le recueil des informations en est donc à un stade très embryonnaire.
En ce qui concerne l’Algérie, la direction de la sécurité sociale est assez réservée sur la renégociation d’un accord de sécurité sociale en raison d’un problème d’impayés, la partie algérienne refusant d’intégrer à la négociation des créances hospitalières importantes qui représentent plusieurs centaines de millions d’euros. Nous recherchons des améliorations via des communications plus directes entre le consulat et les hôpitaux.
Mme Odile Soupison. La direction de la sécurité sociale doit pouvoir nous communiquer les chiffres précis. Les impayés hospitaliers constituent depuis plusieurs années une question que nous n’arrivons pas à traiter avec les autorités algériennes.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le cadre européen ?
M. Renaud Collard. Outre un accord avec la Belgique, que ce pays n’a pas encore ratifié pour les raisons que l’on sait, deux accords, l’un avec la République tchèque, signé le 11 juillet 2008 et entré en vigueur le 1er avril 2011, l’autre avec le Luxembourg, qui sera signé prochainement, vont au-delà du règlement de 2010 : comme dans le dispositif tunisien, nous nous entendons avec l’autre partie pour pratiquer une série de vérifications : détermination des droits à prestation, appréciation des ressources, vérification du cumul des prestations, conditions d’affiliation et d’éligibilité liées à la résidence, etc.
M. le rapporteur. De telles conventions sont-elles prévues avec l’ensemble des pays européens ? Une attention particulière est-elle portée aux nouveaux entrants ?
M. Renaud Collard. Je ne dispose pas d’informations de la direction de la sécurité sociale quant à de nouveaux chantiers de négociation.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les certificats de vie ?
Mme Odile Soupison. Conformément au principe de la caisse nationale d’assurance vieillesse, les certificats de vie sont demandés aux autorités locales, selon une périodicité de six à douze mois selon les pays ou les régions. La réalité des certificats de vie est un problème récurrent.
Face à cela, le consulat peut, à la limite, vérifier que l’autorité ayant délivré le certificat existe bien et que la personne ayant signé détient bien une délégation de signature. Cela ne signifie pas pour autant que le contenu de l’acte correspond à la réalité. Lorsque nous sommes saisis d’une demande de transcription d’un acte, nous pouvons bien sûr envisager des vérifications en cas de doute. Néanmoins, cela est possible à la seule condition que les autorités locales nous laissent faire ou que nous trouvions les registres locaux. Cela peut prendre des mois, voire des années. Beaucoup de pays, notamment africains, ne nous laissent pas consulter les registres. J’ajoute que les registres d’état civil peuvent ne pas contenir l’acte recherché ou dévoiler une série d’actes d’état civil ajoutés au 31 décembre…
Outre ces difficultés, les effectifs des consulats ne permettent pas de faire des vérifications systématiques.
M. le rapporteur. Que pensez-vous de la proposition de M. Xavier Bertrand de confier aux consulats les contrôles des certificats de vie ? Cela semble une grande ambition…
Mme Odile Soupison. En effet… Même si nos effectifs évoluaient de façon très positive, je ne vois pas comment nous pourrions mettre en place un tel système : les autorités locales, qui nous envoient les certificats de vie par la poste, n’accepteraient pas que nous mettions en doute leur parole, dès lors nous borner à attester qu’elles sont bien compétentes, n’a aucun intérêt, cette légalité externe ne nous prémunissant pas contre un faux contenu. Il est également inenvisageable que les demandeurs se déplacent en personne au consulat, où il serait de toute façon bien difficile de vérifier leur identité.
Le dispositif que nous mettons en place en Tunisie nous semble efficace. Conformément au décret du 5 octobre 2009 et à sa circulaire d’application, les organismes doivent avoir la capacité juridique d’exercer leur activité. Autrement dit, ils ont indirectement l’agrément des autorités locales pour exercer ces contrôles.
M. le rapporteur. Pour la Tunisie, la Société tunisienne d’assurances et de réassurances se déplacera, même dans des contrées très éloignées, pour constater auprès des autorités locales que les personnes sont toujours vivantes.
M. Renaud Collard. Selon le cahier des charges, elle a les moyens matériels de se déplacer dans l’ensemble de la circonscription consulaire unique que constitue la Tunisie.
M. le rapporteur. Selon la caisse nationale d’assurance vieillesse, cela n’est pas possible en Algérie, le consulat lui-même demandant aux Français de rester dans les grandes métropoles algériennes. Selon elle, concevoir un processus de contrôle différent est susceptible de poser des problèmes administratifs et politiques et il paraît très difficile de procéder à des convocations une fois par an dans les consulats.
Il faudra donc passer par un prestataire, ce qu’elle recommande, susceptible de se déplacer partout, à condition qu’une convention soit signée.
Mme Odile Soupison. Une fois le dispositif expérimenté, il nous faudra développer ce type d’organismes agréés en Algérie, probablement en fonction du lieu de résidence des bénéficiaires – l’Algérie comportant trois circonscriptions consulaires, Alger, Annaba et Oran.
M. le rapporteur. Il n’est pas très difficile, dans le cadre d’un accord de coopération internationale, premièrement, d’entrer en contact avec la sécurité sociale du pays pour savoir si des personnes de quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix ans continuent à bénéficier de prestations payées par l’État ; deuxièmement, de procéder à des rapprochements de fichiers pour savoir si les gens sont décédés.
M. Renaud Collard. En Tunisie, une directive présidentielle de 2009 a rappelé la prudence nécessaire en matière de communication de données personnelles et les autorités sont assez réticentes à divulguer des données relatives à l’état civil. Certes, elles ont accepté les procédures d’agrément en toute transparence, mais nous ne serions certainement pas arrivés au même résultat si nous avions négocié un avenant à la convention franco-tunisienne.
Avec l’Algérie, beaucoup plus sensible à ces questions, nous n’arrivons pas à reprendre les négociations. Nous souhaitons faire dans ce pays ce que nous avons fait en Tunisie, mais cela semble très difficile aujourd’hui…
M. le rapporteur. Entre l’Algérie et les Pays-Bas, les négociations sont au point mort depuis très longtemps. Ce dernier pays rencontre également des difficultés avec la Turquie en matière d’échanges d’informations.
Un dossier qui comprendrait une empreinte biométrique des personnes qui, après avoir travaillé en France, prendraient leur retraite dans leur pays de naissance, vous paraît-il envisageable sur un plan technique ?
Mme Odile Soupison. Ce serait donc pour les nouveaux bénéficiaires. Mais encore faut-il arriver à récupérer les données biométriques de chaque personne.
Pratiquement, cela signifierait que la prestation ne serait versée qu’après vérification de la donnée biométrique. Techniquement, ce mécanisme est séduisant.
M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale au ministère des affaires étrangères et européennes. Il faudrait alors que les personnes se présentent au consulat.
M. le rapporteur. Cela viendrait compléter le certificat de vie. Un système de reconnaissance biométrique permettrait de savoir si la personne est vivante et si elle est la bonne personne. Cela pourrait se faire par le prestataire que vous auriez agréé dans le cadre du décret du 5 octobre 2009, par exemple.
M. Étienne Léandre. Ce serait un certificat de vie informatique. La personne passerait devant une borne, et l’information serait renvoyée à la caisse nationale d’assurance vieillesse. Sur le plan technique, cela n’est pas irréaliste.
M. le rapporteur. Cette technique est déjà utilisée par plusieurs pays, notamment africains comme la Mauritanie.
Mme Odile Soupison. Qui dit contrôle biométrique dit présentation de la personne. Pour la délivrance des passeports biométriques dans nos consulats, par exemple, nos concitoyens doivent faire 2 000 kilomètres, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pratiques.
En outre, je ne suis pas certaine que l’État du ressortissant étranger verrait d’un bon œil ce type de contrôle, alors même que nous pouvons être liés par des conventions de sécurité sociale.
M. Étienne Léandre. Cela ne pose pas de problème pour les visas. Cela étant, il n’est pas facile de faire accepter la biométrie à certains pays et cela nécessitera probablement quelques négociations.
Mme Odile Soupison. Les données biométriques recueillies localement devront être transmises aux organismes idoines, par exemple la caisse nationale d’assurance vieillesse, pour vérification. Or leur caractère très sensible suppose des canaux de transmission suffisamment sécurisés.
En outre, compte tenu de leur nature, ces données ne seront pas transmises en clair, mais de façon chiffrée. Or certains États n’acceptent pas la transmission de données chiffrées.
M. Étienne Léandre. Sauf si on leur donne les clés de déchiffrement.
M. le coprésident Jean Mallot. Le système biométrique ne pourrait être appliqué qu’aux nouveaux entrants dans le système. Il ne produirait donc ses effets qu’après plusieurs décennies.
En outre, nous devons nous interroger sur une possible rupture d’égalité : pouvons-nous imposer ce dispositif à des Français ou étrangers vivant à l’étranger, et non aux Français et étrangers vivant en France ?
Enfin, il faudrait évaluer le coût de ce dispositif par rapport au montant de la fraude qu’il permettrait d’éviter.
M. le rapporteur. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer la fraude.
Si notre pays n’arrive pas à signer des accords bilatéraux, il faudra bien trouver une solution pour sécuriser les dispositifs : la biométrie peut en être une.
Ce système pourrait être appliqué dans un premier temps à ceux qui partent à la retraite, puis aux personnes de soixante-cinq à soixante-quinze ans.
Je vous remercie d’avoir participé à cette audition fort intéressante.
*
AUDITIONS DU 19 MAI 2011
Audition de Mme Anne-Sophie Grave, directrice à la direction des retraites à la Caisse des dépôts et consignations, M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, et Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable des affaires publiques
M. le président Pierre Morange. La représentation nationale est interpellée à propos du minimum vieillesse, sujet qui suscite de nombreuses réactions sur internet et défraye la chronique. Nous souhaiterions que vous nous fassiez le bilan de l’actuelle allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) : son impact budgétaire, ses bénéficiaires, la ventilation de ceux-ci, la durée de séjour de ceux qui sont d’origine extra-européenne…
Mme Anne-Sophie Grave, directrice à la direction des retraites à la Caisse des dépôts et consignations. Le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est géré par la Caisse des dépôts et consignations, sous la tutelle du ministère chargé du budget et de celui chargé la sécurité sociale. Il assure la liquidation et le paiement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées en faveur des personnes qui ne relèvent d’aucun régime de base obligatoire d’assurance vieillesse, qu’elles soient françaises ou étrangères. L’allocation de solidarité aux personnes âgées est attribuée sous condition d’âge, de ressources, de résidence et de régularité du séjour.
Au moment du dépôt de la demande, les conditions d’ouverture du droit font l’objet de vérifications. En 2010, nous avons ainsi été amenés à rejeter 4 300 dossiers. Nous contrôlons également le maintien des conditions d’attribution, en particulier la stabilité de la résidence, qui est d’au moins cent quatre-vingt jours de présence sur le territoire français. En 2010, ces contrôles ont donné lieu à 7 800 suspensions de droits, qui ont abouti à 2 200 annulations de droits.
Environ 10 000 demandes sont déposées par an. Malgré une évolution dans le temps, sur les quatre ou cinq dernières années, leur nombre est assez constant. En moyenne, 45 % de ces demandes sont rejetées, ce qui signifie qu’à peu près 5 500 allocations de solidarité aux personnes âgées sont attribuées chaque année.
La population totale des bénéficiaires est de l’ordre de 70 000. En 2010, elle était de 70 914, contre 70 024 en 2006, soit une augmentation de 1,3 % en quatre ans et d’environ 0,25 % par an. Le nombre des bénéficiaires est donc relativement stable.
En 2010, nous avons reçu 9 631 demandes contre 10 297 en 2006. Elles ont donné lieu, en 2010, à 5 390 attributions de droits, contre 5 601 en 2006 – ce qui correspond à un léger fléchissement.
Parmi les bénéficiaires, 35 % sont des non-nationaux. Plus précisément, 35,17 % en 2006 et 35,54 % en 2010.
M. le président Pierre Morange. Quel est le taux des ressortissants de l’Union européenne et des ressortissants extra-européens ?
M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels à la Caisse des dépôts et consignations. 32 % des bénéficiaires sont des non-Européens – 21 000 personnes – et 3 % des Européens – environ 2 000 personnes.
M. le président Pierre Morange. Pour quels volumes financiers ?
Mme Anne-Sophie Grave. En 2010, le budget de cette allocation était de 572 millions d’euros pour les nationaux et 175 à 178 millions d’euros pour les non-nationaux.
M. Dominique Tian, rapporteur. Avez-vous établi une ventilation par pays d’origine ?
M. Daniel Rau. Non. Nos outils informatiques nous permettent seulement de distinguer entre les personnes de l’espace économique européen et les autres.
M. Pierre Morange. D’autres ventilations sont-elles possibles ? Je pense notamment à l’ancienneté des bénéficiaires.
Mme Anne-Sophie Grave. En tant que gestionnaires, nous ne suivons pas l’ancienneté des bénéficiaires. Malgré tout, nous avons reconstitué les données correspondantes. Nous pouvons donc vous préciser qu’en 2010, l’antériorité moyenne sur le territoire, au moment de la formation de la demande, était de dix ans et huit mois.
M. Dominique Tian, rapporteur. Selon les « légendes urbaines », certains étrangers peuvent bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées dès le moment où ils arrivent sur le territoire national.
M. Daniel Rau. L’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles précise quels sont les titres de séjour permettant d’accéder à l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
En principe, il faut pouvoir présenter un titre de séjour d’un an autorisant la personne à travailler, renouvelé cinq fois.
Des exceptions existent, à commencer par les cartes de résident de dix ans et, depuis le traité franco-algérien de décembre 1968, les certificats de résidence de dix ans pour Algériens, qui ouvrent à peu près les mêmes possibilités que la carte de résident de dix ans.
L’attribution de la carte de résident de dix ans relève des préfectures. Parmi les critères d’attribution, on peut citer la qualité d’ancien combattant ayant servi dans les forces françaises ou le fait d’être parent d’un enfant de nationalité française. Je précise que le gestionnaire qu’est la Caisse des dépôts et consignations n’a pas à se prononcer sur ces critères et qu’elle se contente d’apprécier le titre qui lui est présenté.
Deux autres exceptions doivent être soulignées : la qualité d’apatride et celle de réfugié.
M. Dominique Tian, rapporteur. Les conditions de cinq ans de résidence sur le territoire national sont donc requises pour tout le monde, à l’exception des apatrides, des réfugiés, des détenteurs d’une carte de résident de dix ans ou d’un certificat de résidence de dix ans pour Algériens.
M. le président Pierre Morange. L’hypothèse selon laquelle on pourrait bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées alors que l’on ne réside sur le territoire français que depuis six mois est donc sans fondement ?
M. Daniel Rau. Encore une fois, nous ne nous prononçons pas sur les conditions d’attribution de la carte de résident de dix ans, laquelle est accordée par les préfectures. Son attribution répond à des critères très précis, dont la condition d’ancien combattant et le fait d’avoir des enfants français résidant en France. Cette carte peut être attribuée de plein droit à la personne qui remplit ces critères.
M. Dominique Tian, rapporteur. Le fait d’avoir des enfants en France permet, a priori, de venir en France et donc de bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ?
M. Daniel Rau. A priori, oui. Mais je ne me prononcerai pas, en tant que gestionnaire, sur les conditions d’attribution de la carte de résident.
M. Dominique Tian, rapporteur. Combien de personnes sont-elles concernées ?
M. Daniel Rau. C’est très difficile à dire, dans la mesure où nous ne suivons pas un tel critère.
M. Dominique Tian, rapporteur. On nous a fait parvenir des documents officiels, venant des préfectures, selon lesquels il est possible de bénéficier automatiquement de cette allocation à partir du moment où l’on réside en France et où l’on fait la démarche.
Avoir des enfants en France ouvre-t-il donc systématiquement le droit de toucher cette allocation ?
M. Daniel Rau. Je ne suis pas capable de répondre à cette question.
M. le président Pierre Morange. Vous nous avez dit que les personnes qui formulaient une demande d’allocation de solidarité aux personnes âgées avaient déjà résidé, en moyenne, dix années et huit mois sur le territoire national. Une moyenne suppose une courbe, avec des extrêmes. Et je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible, à partir de cette courbe, de connaître le nombre des personnes qui se sont manifestées, par exemple, moins d’un an ou de deux ans après leur arrivée sur le territoire.
M. Daniel Rau. Nous ne tenons pas de statistiques de cette nature, mais je peux vous répondre en termes de flux : sur l’année 2010, l’effectif des demandeurs ayant résidé moins de cinq ans sur notre territoire s’élevait à peu près à 450 personnes. Sur ces 450 personnes, 76 % détenaient une carte de résident.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pourquoi ne tenez-vous pas de statistiques de cette nature ?
Mme Anne-Sophie Grave. Parce que cela ne rentre pas dans nos missions de gestionnaires du service. Si nous pouvons vous donner quelques éléments aujourd’hui, c’est parce que, en prévision de cette audition, nous avons travaillé plus spécifiquement sur l’année 2010 pour pouvoir vous éclairer.
M. Dominique Tian, rapporteur. Vous travaillez sur les documents produits par ceux qui font une demande d’ouverture de droits. En vérifiez-vous l’authenticité ? Par quels moyens ? Enfin, comment vous assurez-vous de l’identité de ces demandeurs ?
M. Daniel Rau. Chacun des dossiers que nous étudions a préalablement été déposé en mairie par le demandeur ou son ayant droit. Il nous parvient muni du cachet de la mairie et de la signature du maire.
Nous procédons alors à une étude du numéro d’inscription au répertoire (NIR) du demandeur et à une démarche de certification du numéro d’inscription au répertoire auprès de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Actuellement, 95 % des numéros d’inscription au répertoire sont certifiés.
M. le président Pierre Morange. Cette certification se fait-elle sous l’égide de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), dont le fichier central, situé sur le site informatique de Tours, constitue une plate-forme permettant justement de relier tous les fichiers de l’ensemble des organismes sanitaires et sociaux français ?
M. Daniel Rau. En effet. Le dispositif connaît d’ailleurs une extraordinaire montée en puissance.
En 2010, nous avons examiné la situation de nos 70 000 allocataires dans le cadre de cet échange de fichiers avec le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Nous souhaitions nous assurer que ceux-ci n’avaient pas de droits ouverts dans un autre régime de prestations sociales. Il s’est avéré que c’était le cas de 1 300 allocataires, et que, parmi eux, environ un millier avaient fait l’objet d’un versement forfaitaire unique – les personnes qui ont très peu cotisé au titre des autres régimes perçoivent en effet un montant forfaitaire dont le fichier garde la trace.
Nous essayons de faire progresser cette logique, dans la mesure où elle permettra, à terme, de décloisonner l’information entre les différents prestataires et les différents intervenants. D’ores et déjà, grâce aux moyens technologiques dont nous disposons, nous pouvons procéder à des échanges de fichiers et croiser les informations. Nos contrôles s’en trouvent renforcés.
M. Dominique Tian, rapporteur. L’identité des 5 % de personnes dont le numéro d’inscription au répertoire n’est pas certifié est douteuse. Leur ouvrez-vous tout de même les droits ?
M. Daniel Rau. Quand son numéro d’inscription au répertoire n’est pas certifié, nous demandons systématiquement au demandeur de produire un extrait d’acte de naissance. Cela nous permet de lui servir l’allocation de solidarité aux personnes âgées, dans l’attente de la certification.
M. Dominique Tian, rapporteur. Donc, vous lui attribuez les droits, même si son identité est douteuse.
M. Daniel Rau. Son identité n’est pas douteuse. Nous possédons suffisamment d’éléments sur cette personne pour nous assurer de son existence et de son identité, ne serait-ce qu’à partir des éléments qu’elle a pu fournir à la mairie dans son dossier d’origine. Simplement, son numéro d’inscription au répertoire n’a pas été validé par le fichier.
M. Dominique Tian, rapporteur. Certes, la personne existe physiquement. Mais on n’est toujours pas sûr de son identité, qui n’a pas été certifiée.
M. Daniel Rau. La certification est un élément de sécurité maximale. Le défaut de certification ne signifie pas que la personne n’existe pas.
M. Dominique Tian, rapporteur. Des représentants du ministère des affaires étrangères nous ont confié qu’il était impossible de signer des conventions internationales avec un certain nombre de pays. Comment dès lors vérifier les actes d’identité ou d’état civil présentés par les ressortissants de ces pays ? On ne peut que douter de leur validité.
Sachant qu’environ 5 % des numéros d’inscription au répertoire ne sont pas certifiés – soit environ 100 000 – est-il opportun d’ouvrir malgré tout des droits aux personnes concernées ?
M. Daniel Rau. Certes, nous versons la prestation, mais nous le faisons sous réserve de certaines vérifications, sur la base de pièces prouvant l’existence de la personne – en particulier, s’agissant d’un étranger, sa carte de résident.
M. le président Pierre Morange. Vous nous avez dit que le dossier de demande d’allocation de solidarité aux personnes âgées était déposé en mairie par le bénéficiaire potentiel « ou son ayant droit ». Un dossier peut-il donc être ouvert sans qu’on ait pu vérifier le physique du demandeur ?
M. Daniel Rau. Je faisais référence aux 18 000 de nos allocataires qui bénéficient de mesures de protection, allant de la tutelle à la curatelle.
M. le président Pierre Morange. Il serait utile de connaître le profil médical et sociologique de l’ensemble des allocataires.
Vous avez par ailleurs cité, parmi les personnes bénéficiant de conditions dérogatoires pour bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, les demandeurs d’asile…
M. Daniel Rau. J’ai cité les apatrides et les réfugiés, mais leur nombre est extrêmement faible.
Mme Anne-Sophie Grave. Nous avons regardé, au 31 mars, de quel dispositif de protection sociale pouvaient précédemment relever nos allocataires. Nous avons constaté que 63 % d’entre eux relevaient déjà d’un dispositif de protection sociale : 38 % touchaient l’allocation adulte handicapé (AAH), et 25 % le revenu minimum d’insertion (RMI) ou le revenu de solidarité active (RSA).
M. Dominique Tian, rapporteur. Le nombre des bénéficiaires sous tutelle me semble élevé. Comment se répartissent-ils entre les nationaux et les étrangers ? Pourquoi ne relèvent-ils pas de l’allocation adulte handicapé ? On peut comprendre qu’ils n’aient pas cotisé, étant loin du monde du travail. Mais n’auraient-ils pas dû être couverts par un autre type de prestations ?
M. Daniel Rau. Je n’ai pas la réponse.
M. Dominique Tian, rapporteur. Peut-être, tout simplement, parce que l’allocation adulte handicapé s’interrompt lorsque l’intéressé atteint un certain âge.
J’observe en tout cas que la Caisse des dépôts et consignations, qui est connue pour la qualité de son travail, ne s’est pas « férocement » engagée dans la bataille statistique.
Mme Anne-Sophie Grave. Le gestionnaire s’est « férocement » engagé à remplir le mandat défini par ses tutelles, en l’occurrence le ministère chargé du budget et celui chargé de la sécurité sociale.
Il ne nous est pas demandé de publier certaines statistiques. L’étude que nous avons réalisée était uniquement destinée à préparer cette audition.
M. le président Pierre Morange. De fait, la curiosité parlementaire n’a pas été précédée par une curiosité similaire de la part de l’exécutif et des autorités de tutelle. Toutefois, la MECSS vous remercie d’avoir préparé cette audition en nous fournissant un certain nombre d’éléments même si, vous l’avez compris, nous aimerions avoir une vision encore plus fine de la situation.
M. Dominique Tian, rapporteur. Toujours selon les « légendes urbaines », l’allocation de solidarité aux personnes âgées serait assez facile à obtenir sur le territoire national. Des réseaux se seraient même constitués pour profiter de l’effet d’aubaine. Qu’en est-il ?
Un ministre a souhaité que l’allocation de solidarité aux personnes âgées ne soit pas versée à ceux qui ne résident pas sur le territoire depuis au moins cinq ans. De fait, il semblerait qu’il soit possible de toucher cette allocation sans avoir à remplir cette condition, si l’on est apatride, réfugié politique ou parent d’un enfant de nationalité française. Voilà pourquoi nous serions très intéressés par des statistiques complémentaires.
Mme Anne-Sophie Grave. Vous pouvez sans doute trouver des éléments de réponse dans le fait que la population allocataire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées soit stable : depuis quatre ans, le nombre des allocataires tourne autour de 70 000.
Parmi les principaux motifs de rejet, on trouve le cumul de droit, pour 47 %, et la non-validité du titre de séjour, pour 12 %. En 2010, 45 % des demandes ont été rejetées.
M. Dominique Tian, rapporteur. Maintenant que le répertoire national commun de la protection sociale existe, il est facile de découvrir, par exemple, les cas de cumul de droits. Dès lors comment se fait-il que votre stock n’ait pas davantage diminué ?
M. Daniel Rau. Parce que nous procédions déjà à des vérifications, sous d’autres formes et avec d’autres moyens. J’ai loué la pertinence et la commodité du Répertoire national commun de la protection sociale, mais cela ne signifie pas que, par le passé, nous ne contrôlions pas l’existence éventuelle du cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec une prestation associée à un autre régime.
M. le président Pierre Morange. Il y a dix ou quinze ans, on pouvait lire dans certains rapports qu’en raison de la montée du taux d’activité, tout sexe confondu, la population bénéficiaire du minimum vieillesse allait, sinon disparaître, du moins diminuer considérablement au cours des années. Or cette population est stable. Pourquoi ?
Comment vous assurez-vous que les conditions d’éligibilité à la prestation – notamment les cent quatre-vingt jours passés sur le territoire national – sont remplies ?
M. Daniel Rau. Sur le plan démographique, la population bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est constituée d’à peu près 80 % de personnes seules, dont 67 % de femmes – souvent veuves, séparées ou divorcées.
Hors la logique démographique, on observe un nombre élevé de personnes sous tutelle ou hébergées dans des maisons de retraite – 12 000 – et le fait que 40 000 bénéficiaires ont été précédemment bénéficiaires d’autres régimes de protection sociale, en l’occurrence l’allocation adulte handicapé, et le revenu minimum d’insertion ou le revenu de solidarité active.
Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe habituellement pour un régime de retraite, la question de l’ouverture du droit est remise en cause et contrôlée chaque année.
M. le président Pierre Morange. Ces 70 000 personnes constituent, en quelque sorte, un socle.
M. Daniel Rau. C’est difficile à dire.
M. Dominique Tian, rapporteur. Puisque vous contrôlez les conditions d’entrée dans les droits dès que les mairies vous transmettent les dossiers, vous pouvez prévoir le volume du stock à partir des flux.
Mme Anne-Sophie Grave. Nous ne disposons pas des données nous permettant de faire une projection sur les populations éligibles. Nous pouvons seulement imaginer que l’allongement de la durée de vie contribuera à l’augmentation du stock.
M. Daniel Rau. En raison des caractéristiques de la population à laquelle nous avons affaire et de celles du régime lui-même, il faudra faire en sorte que l’information que nous diffusons – conditions d’éligibilité, droits et obligations des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, contrôles – soit plus compréhensible. Comme il est difficile de délivrer directement le message aux intéressés, nous pourrions passer par des personnes-ressources ou des personnes relais. Je pense notamment aux employés de mairie qui sont chargés de recevoir les bénéficiaires potentiels au moment du dépôt de leur demande.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pourquoi cette mission a-t-elle été confiée aux municipalités ?
M. Daniel Rau. Je ne peux pas vous en donner l’origine. En revanche, je peux vous dire comment nous nous sommes aperçus qu’il fallait rendre plus compréhensible l’information délivrée aux demandeurs.
Durant une partie de l’année 2009 et pendant toute l’année 2010, nous avons mené un contrôle de résidence sur l’ensemble de notre population. Au cours de cette enquête, certaines personnes ont déclaré qu’elles étaient parties à l’étranger au-delà du temps autorisé – ce qui entraîne la suspension des droits. Or nous nous sommes aperçus, au vu de la copie des pièces qu’elles nous avaient envoyées – notamment des passeports –, que ces personnes avaient respecté les délais réglementaires.
En tout état de cause, un vrai problème d’information et de compréhension se pose, surtout pour ceux qui ne maîtrisent pas totalement notre langue. Voilà pourquoi nous avons pensé à développer des relais, qui pourraient être aussi les centres communaux d’action sociale, ou les consulats pour les personnes étrangères. L’autre avantage serait qu’avec ces relais d’information, nous pourrions travailler de façon dématérialisée plutôt que sur support papier.
M. Dominique Tian, rapporteur. Comment sont effectués les contrôles de résidence et par qui ? Tirez-vous au sort un certain nombre de dossiers ?
M. Daniel Rau. D’abord, nous avons procédé à une enquête déclarative générale auprès du stock des allocataires.
Ensuite, à l’appui de cette enquête, nous avons effectué un contrôle sur un échantillon de 3 000 personnes, dont nous avons vérifié les déclarations.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pour quel résultat ?
M. Daniel Rau. Cent onze annulations pour l’année 2010.
M. Dominique Tian, rapporteur. Avez-vous l’intention d’accélérer les contrôles ?
M. Daniel Rau. Dans quelques jours, nous aurons terminé une cartographie des risques. L’exercice consiste à prendre en considération tous les cas possibles et imaginables, à partir des éléments de contrôle qui sont intégrés dans le processus de gestion, qui est informatisé. Pour la partie résiduelle, qui n’est pas prise en compte par l’outil informatique, on peut procéder à des contrôles ciblés. La cartographie des risques permet de piloter plus efficacement les contrôles.
M. Dominique Tian, rapporteur. Comment est établie cette cartographie ?
M. Daniel Rau. À partir de l’entretien avec les gestionnaires, sachant que l’outillage informatique permet déjà d’effectuer un certain nombre de contrôles : par exemple, lorsqu’un titre de séjour nous parvient, sa date de fin de validité est entrée dans le système d’information ; deux mois avant l’échéance, le système appelle l’attention des bénéficiaires concernés sur le fait que leur titre de séjour va arriver à expiration ; si aucune réponse n’est apportée et que le délai est dépassé, le paiement de la prestation est suspendu.
La cartographie des risques consiste, à partir de l’existant, à étudier, avec les gestionnaires, tous les cas possibles de fraude et à établir une sorte de cotation du risque, en commençant par ce qui est le plus important, de manière à piloter des actions de contrôle de façon plus ciblée.
Mme Anne-Sophie Grave. La démarche est habituelle à la Caisse des dépôts et consignations : le contrôle interne est très renforcé et des cartographies des risques sont établies, quels que soient les processus gérés. En l’occurrence, nous sommes en train d’en développer sur la fraude, notamment la fraude sociale.
M. Dominique Tian, rapporteur. De quels résultats disposez-vous déjà ?
M. Daniel Rau. L’enquête de résidence, réalisée à partir du mois de mai 2009 et sur l’intégralité de l’année 2010, est pérennisée. Nous sommes en train d’en faire un bilan très précis et exhaustif.
Quant à la cartographie des risques, elle viendra, en complément, optimiser le pilotage du contrôle.
M. le président Pierre Morange. Le pourcentage des annulations de droits est-il similaire à celui des années précédentes ? Dans le cas où il serait plus élevé, ne faudrait-il pas développer des outils encore plus pertinents.
M. Daniel Rau. Les chiffres sont restés à peu près stables entre 2009 et 2010, à peine supérieurs à ceux de 2008, année où a été publiée la circulaire sur le délai de résidence de cent quatre-vingt jours.
M. Dominique Tian, rapporteur. L’enquête de résidence concernait-elle les 21 000 bénéficiaires étrangers non ressortissants de l’Union européenne ?
M. Daniel Rau. L’enquête a porté sur l’intégralité du stock, c’est-à-dire sur l’ensemble des allocataires : plus ou moins 70 000.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pour contrôler le respect des conditions de résidence, vous avez vérifié les passeports, les demandes de visa et les séjours à l’étranger. Mais êtes-vous allés plus loin dans votre investigation en procédant, par exemple, à des enquêtes de voisinage, comme le font les caisses d’allocations familiales, à des visites à domicile, à l’examen du compte bancaire ou des factures de téléphone ?
M. Daniel Rau. En dehors du contrôle de résidence, nous effectuons un contrôle qui porte sur 30 000 personnes par an. Au bout de trois ans, tous les bénéficiaires ont ainsi été contrôlés. À cette occasion, nous examinons assez systématiquement un certain nombre de pièces en relation avec les ressources des intéressés, comme les comptes bancaires.
M. Dominique Tian, rapporteur. Qui effectue le contrôle physique ?
M. Daniel Rau. C’est un contrôle exclusivement sur pièces. Nous ne faisons pas d’enquêtes de voisinage.
M. Dominique Tian, rapporteur. Pourquoi ne vous êtes-vous pas rapprochés, par exemple, des caisses d’allocations familiales, avec qui il est facile de signer des conventions, ou d’autres services ?
Ensuite, l’enquête qui portait sur les 3 000 personnes tirées au hasard a-t-elle été menée en interne ? Vous êtes-vous appuyés sur des prestataires de services ?
Mme Anne-Sophie Grave. Les contrôles effectués sur 38 000 personnes ont donné lieu à 7 800 suspensions de droits – les droits de ceux qui ne répondent pas sont suspendus. In fine, ces contrôles ont abouti à 1 500 annulations de droit.
La problématique du gestionnaire est de mettre les moyens appropriés en face d’un risque. C’est cette problématique que l’on apprécie au travers de la cartographie des risques. Aujourd’hui, en tant que gestionnaires, nous pouvions penser que ce contrôle était pertinent et efficace, compte tenu des résultats obtenus.
M. le président Pierre Morange. Si vous n’avez pas les moyens humains suffisants pour effectuer des contrôles sur place, il serait logique que vous passiez des conventions, notamment avec les agents de contrôle des caisses d’allocations familiales.
M. Daniel Rau. C’est à cela que je faisais implicitement référence tout à l’heure en parlant de décloisonner l’information entre les différents prestataires sociaux. Nous sommes en train de mettre au point une nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG) avec notre tutelle, grâce à laquelle les autres régimes ayant contrôlé certains de nos bénéficiaires pourront nous faire part du résultat de leurs contrôles.
M. le président Pierre Morange. Cette convention d’objectifs et de gestion n’est donc pas signée ?
M. Daniel Rau. Elle est en cours de validation, de la part de nos tutelles respectives. Sans doute sera-t-elle validée à la fin de l’année.
M. le président Pierre Morange. Je vous remercie. Nous souhaiterions néanmoins obtenir des informations complémentaires sur la façon dont se répartissent les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et connaître les mesures que vous aimeriez voir adopter par la représentation nationale.
*
Audition de M. Bernard Didier, directeur général adjoint, directeur technique et de la stratégie de Safran Morpho, et Mme Carole Pellegrino, responsable des relations institutionnelles, de Mme Marie Figarella, vice-présidente Stratégie et affaires gouvernementales de Gemalto France, et M. Ari Bouzbib, responsable Identité et programmes gouvernementaux, de M. Georges Liberman, président-directeur général de Xiring, de M. Frédéric Massé, directeur des relations institutionnelles de Sap France SA, et de M. Jacques de Varax, directeur du GIE Sesam-Vitale.
Mme Marie Figarella, vice-présidente stratégie et affaires gouvernementales de Gemalto France. Gemalto, fort de son expérience en France et à l’international, présent sur onze projets de cartes nationales d’assurance maladie et de standardisation des cartes européennes d’assurance maladie, a plusieurs propositions à faire.
Tout d’abord, on pourrait envisager de renforcer la gestion des droits associés à chaque carte. Aujourd’hui, à notre connaissance, toutes les cartes d’assurance maladie n’ont pas une durée de validité logique. La rendre systématique permettrait de réduire sensiblement les risques de fraude, une fois les droits épuisés. La question de la validité physique de la carte pourrait également être étudiée.
Cette mesure a déjà été adoptée par plusieurs pays, dont l’Allemagne. Une durée de validité de cinq ans paraît raisonnable pour une carte de santé, mais on pourrait l’étendre à dix ans.
M. le rapporteur. Outre l’Allemagne, quels sont les pays qui ont adopté cette mesure ?
Mme Marie Figarella. La Slovénie, où la société Gemalto a installé l’un des systèmes les plus aboutis au monde, a mis en place le régime de validité suivant : trois mois pour les étudiants et les étrangers, un an pour les salariés du privé, trois ans pour les retraités et les salariés du public. Les droits sont inscrits dans la puce, et non sur la carte. L’assuré doit donc mettre à jour sa carte – pour l’essentiel dans les pharmacies – avant la date d’expiration pour pouvoir continuer à l’utiliser.
Les durées et les catégories devraient, bien entendu, être adaptées au cas français, mais une telle mesure permettrait de limiter les risques d’utilisation abusive ou frauduleuse avant l’acte, car le contrôle s’effectuerait hors ligne et a priori. Cela ne nécessiterait pas de modification structurelle de la carte car elle a intégré cette possibilité dès le départ : il suffirait d’utiliser la procédure standard de mise à jour chez le pharmacien.
On pourrait par ailleurs prévoir l’enregistrement des dernières transactions dans la carte, ce qui permettrait, par exemple, de refuser le tiers payant en cas d’utilisation abusive. Un simple compteur de transactions par ayant droit permettrait d’éviter un grand nombre de fraudes. En revanche, à ma connaissance, cette fonctionnalité n’est pas disponible sur la carte Sesam-Vitale 2.
M. le rapporteur. Des pays ont-ils déjà pris cette mesure ?
Mme Marie Figarella. Elle est d’ores et déjà appliquée en Slovénie, et l’Allemagne a prévu d’ajouter un compteur de transactions à sa nouvelle carte. Pour que le dispositif soit efficace, il faudrait remplacer rapidement les cartes déjà déployées, afin d’homogénéiser le parc.
M. le rapporteur. D’autres pays comptent-ils le faire prochainement ?
M. Ari Bouzbib, responsable Identité et programmes gouvernementaux de Gemalto. Nous avons introduit un compteur de transactions sur les cartes de santé de la Bulgarie, de l’Algérie, du Gabon et du Mali. Comme vous le faisiez remarquer, les pays d’Afrique commencent à mettre en place des cartes de santé sécurisées.
M. le rapporteur. Qu’est-ce qu’une carte de santé sécurisée, par exemple en Algérie ?
M. Ari Bouzbib. La carte algérienne reprend peu ou prou les fonctionnalités de la carte slovène. L’objectif est de permettre une gestion des droits associés à chaque carte.
M. le coprésident Pierre Morange. Il s’agit donc de passer d’un outil statique à un outil dynamique, ce qui pose le problème de la sécurisation des documents permettant d’ouvrir des droits. Or, dans un certain nombre de pays, l’état civil est des plus aléatoires. Comment résoudre ce problème ?
M. Bernard Didier, directeur général adjoint, directeur technique de la stratégie de Safran Morpho. Concevoir un titre à vie reviendrait à nier que la menace en matière de fraude évolue. La sécurité n’est pas permanente et la technologie doit s’adapter en conséquence. La société Morpho est surtout connue dans le domaine de la biométrie. Nous avons mis en place 450 systèmes, équipant plus de 100 pays dans le monde, en matière de droits sociaux, de passeports, de cartes d’identité et de droits de vote faisant appel à la biométrie. Ces systèmes reposent sur trois grands principes : contrôler le bien-fondé de la délivrance du droit ; authentifier l’organisme émetteur, pour s’assurer qu’il est de confiance ; authentifier le porteur du document, pour vérifier qu’il n’y a pas eu substitution.
C’est sur le premier et le troisième points qu’intervient la biométrie. Dans la plupart des États, la délivrance d’un droit s’accompagne généralement d’un effort financier sur sa matérialisation, par exemple sur le composant électronique, la personnalisation, les documents de sécurité. On oublie souvent que les failles en matière de sécurité se situent au niveau des documents servant à justifier la demande.
Vous avez évoqué la situation de certains pays étrangers, mais même en France, à partir du moment où il n’existe pas encore d’état civil centralisé, il est difficile de déterminer si une identité est fictive ou non – même si la dématérialisation des extraits de naissance, préconisée par l’Agence nationale des titres sécurisés, devrait empêcher ce type de fraude à l’avenir.
L’objectif de la biométrie est de vérifier que l’on ne délivre pas plusieurs fois les mêmes droits à une même personne – ce qui peut poser des problèmes de protection des données, dans la mesure où l’on constitue un fichier biométrique dont la finalité peut être détournée. En France, il devrait être possible de s’appuyer sur la nouvelle carte d’identité – une proposition de loi est en cours d’examen au Sénat –, sans qu’il soit nécessaire de mettre en œuvre un système biométrique spécifique.
Par ailleurs, on peut introduire une donnée biométrique dans la carte elle-même, celle-ci ne pouvant être déverrouillée que sur sa présentation – par exemple, l’empreinte digitale, le visage ou l’iris. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ne s’y oppose pas, car la donnée biométrique est sous le contrôle de l’usager : elle protège les données personnelles et permet à l’usager de prouver qu’il est bien le possesseur de la carte, interdisant tout prêt ou substitution.
En matière de droits sociaux, notre référence est la gestion du système social de l’État de New York, qui distribue 25 milliards de dollars par an : le contrôle de la délivrance par un moteur biométrique a permis de réaliser 10 % d’économies. Partout où nous avons mis en place un tel système, il s’est avéré que la fraude avait été sous-évaluée. Dans l’État de New York, ce sont 20 % des personnes qui n’ont plus accès aux droits, la moitié parce qu’elles ont changé de statut ou quitté l’État, l’autre moitié parce qu’elles essayaient de frauder. Nous distribuons les pensions en Afrique du Sud selon le même mécanisme.
Pour ce qui est du contrôle de l’usage du titre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a autorisé l’expérimentation d’une identification des patients en radiothérapie par empreinte digitale. L’hôpital de Malaga a mis en place un mécanisme de distribution de médicaments reposant sur la biométrie. En Australie, la distribution de la méthadone se fait au moyen de cartes biométriques qui préservent l’anonymat de la personne. Aux États-Unis, un État va utiliser la biométrie pour gérer les personnes sans domicile fixe et sans identité.
Mme Carole Pellegrino, responsable des relations institutionnelles de Safran Morpho. En Espagne, on utilise dans quelques provinces, notamment à Madrid, la biométrie pour l’identification des nouveaux nés, afin d’éviter toute erreur d’attribution à la sortie de la maternité.
Par ailleurs, il existe, dans la région de Madrid, une expérience pilote d’identification aux urgences des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, grâce à la biométrie. L’objectif est d’étendre la pratique à l’ensemble de la population de la région.
M. Georges Liberman, président-directeur général de Xiring. Xiring bénéficie d’une expérience européenne sur les systèmes de carte de santé et sur les systèmes de carte en général. S’agissant de Sesam-Vitale, nous fournissons un parc de 280 000 terminaux, participons à la signature de 700 millions de feuilles de soins électroniques et au traitement de 20 millions de demandes de mises à jour de cartes Vitale par an. Nous fournissons également des systèmes carte de santé à la Belgique, à la Slovénie et à l’Allemagne.
La société Xiring est par ailleurs fortement impliquée dans le domaine de la sécurité. Nous sommes partenaires de l’Agence nationale des titres sécurisés pour sécuriser l’administration française ; à ce titre, nous avons équipé la gendarmerie nationale, et l’Union des groupements d’achats publics a retenu nos produits pour la sécurisation des postes de travail de l’administration.
La différence entre un système de santé et un système bancaire, c’est que, dans un système bancaire, s’il manque dix euros, quelqu’un va se plaindre. Il y a une responsabilité des acteurs : le porteur de la carte bancaire et le commerçant surveillent leur compte, la banque surveille les transactions. Tous les acteurs sont impliqués dans la sécurité.
Dans un système comme celui de Sesam-Vitale, la sécurité n’est le problème de personne. Le porteur de la carte n’est pas concerné : si des transactions sont faites avec son numéro de carte, il ne le sait même pas. Les professionnels de santé estiment ne pas devoir faire la police ; dans certains cas, une forme d’humanisme les conduit même à accepter des cartes dont ils savent pertinemment que le patient n’est pas le titulaire. Quant à l’État, il a du mal à identifier la fraude.
Le seul mode de protection d’un système santé est donc l’infrastructure technologique : il faut que les réseaux, les cartes, les systèmes soient conçus pour empêcher la fraude, sans qu’il y ait besoin d’une intervention humaine. C’est pourquoi l’on note, dans la plupart des pays d’Europe, une très forte évolution vers plus de sécurité, de contrôle et de gouvernance, avec des cartes plus puissantes, des terminaux incluant des systèmes de sécurité et des réseaux gérés par des entités chargées de surveiller le bon fonctionnement de l’infrastructure.
De ce point de vue, le système Sesam-Vitale donne satisfaction. Il présente toutefois une faiblesse, qui devrait disparaître avec la nouvelle carte d’identité nationale : il n’établit aucun lien direct entre la personne et la carte. Il serait bon de le faire, soit grâce à une évolution de la technologie de la carte, soit en recourant à la nouvelle carte nationale d’identité électronique pour valider les transactions de santé.
Par ailleurs, on note un peu partout un renforcement de la sécurité des terminaux. Le système allemand, qui est le plus récent, se rapproche ainsi de par son niveau de contrôle des systèmes utilisés par les banquiers. Le modèle bancaire devrait d’ailleurs alimenter la réflexion, car il utilisé par 250 pays dans le monde et est soumis à de très forts risques de fraude. Sesam-Vitale n’est pas encore confronté à la fraude informatique, ou à des pirates informatiques en Ukraine ou en Asie attaquant le système par l’extérieur en pénétrant les ordinateurs des médecins ou des infirmières, mais cela pourrait se produire. En France, les 200 000 à 300 000 professionnels de santé ont acheté leurs ordinateurs par leurs propres moyens, et leur niveau d’équipement en logiciels est limité ; ils font du peer to peer (échanges de pair à pair), du téléchargement, de la messagerie non sécurisée sur leur poste de travail. Pour éviter que l’institution soit obligée de financer leurs antivirus et leurs firewalls (pare-feux), il faudrait confier la sécurité à des outils dédiés.
Notre recommandation est donc double : premièrement, renforcer la sécurité de l’infrastructure : c’est-à-dire des cartes, des terminaux et des réseaux ; deuxièmement, améliorer le contrôle de la personne et le lien entre la carte et l’individu.
M. Frédéric Massé, directeur des relations institutionnelles de Sap France SA. Force est de constater que, quel que soit le système retenu, la fraude existe : l’inventivité des fraudeurs, voire des délinquants – on voit en effet apparaître une fraude internationale s’attaquant aux systèmes sociaux les plus permissifs –, est telle qu’il faut s’intéresser à ce qui se passe en aval, c’est-à-dire aux systèmes qui stockent et analysent l’ensemble des informations relatives aux prestations et aux prélèvements.
En France, en 2010, le ministère du travail, de l’emploi et de la santé estimait que le taux de fraude se situait entre 0,91 et 1,36 %, et que 88 % des sommes étaient recouvrées : on en conclurait presque qu’il n’y a pas de problème ! Or, aux États-Unis, le Government Accountability Office (GAO) – l’équivalent de la Cour des comptes – estimait en mars 2011 que la fraude sur les programmes medicaid et medicare, dont le budget s’élève à 750 milliards de dollars, représentait 70 milliards de dollars, soit 9 % des deux programmes. De deux choses l’une : soit la France est particulièrement vertueuse, soit la fraude détectée est sans commune mesure avec la fraude réelle !
Avant de lutter contre la fraude, il faut donc la détecter. Le problème, aujourd’hui, c’est que l’organisation des différents acteurs du système social français ne permet pas de croiser facilement les données et de repérer les anomalies et les incohérences.
La première étape consiste à collecter des informations d’origines diverses, à les consolider, à en assurer la traçabilité et à réaliser une première analyse. Cela soulève des difficultés non seulement légales – quoique la Commission nationale de l'informatique et des libertés n’interdise pas la lutte contre la fraude –, mais aussi techniques et organisationnelles, la quantité de données à traiter étant colossale. En Allemagne, dont le système de sécurité sociale est proche du nôtre, l’Allgemeine Ortskrankenkassen, c’est-à-dire la caisse d’assurance maladie, a décidé d’utiliser des systèmes de consolidation de données afin de lutter contre la fraude, détecter des profils de pathologie et mettre en place des services d’anticipation ; bien que les volumes à traiter soient énormes – 21 millions de dossiers, 800 millions d’enregistrements en ligne –, les temps de réponse ne dépassent pas les trente secondes. Cette technologie est également utilisée, à l’échelon national, par l’administration fiscale espagnole, pour gérer en ligne 2 milliards d’enregistrements.
Vient ensuite ce que les Anglo-Saxons appellent l’intelligence, c’est-à-dire l’analyse des données : en appliquant des algorithmes, il s’agit de faire de l’analyse prédictive en mettant en évidence des profils, plus ou moins complexes, de fraude. En cette matière, nous travaillons, avec IBM, sur le logiciel SPSS (Statistical Package for the Social Sciences). Le monde de la banque et de l’assurance utilise beaucoup ce type d’outils, de même que de nombreux services de police.
Il convient aussi d’intégrer une dimension internationale, ou à tout le moins européenne, afin de retrouver les ayants droit étrangers ou résidant à l’étranger, et de pouvoir croiser les données entre pays.
Après que l’on a détecté une anomalie et qu’elle a été qualifiée d’irrégularité ou de fraude, il faut engager le travail d’investigation. Le problème en France, c’est qu’il existe un découpage entre ce qui relève du système de sécurité sociale et ce qui relève du système judiciaire, alors que d’autres pays, comme les États-Unis, l’Australie, ou le Royaume-Uni, ont mis en place des autorités cumulant les deux compétences. Ces systèmes d’instruction vont permettent d’affiner la connaissance des profils de fraude et, en retour, d’améliorer les systèmes de détection.
En Australie, nous mettons ainsi en place une organisation des processus et un système de suivi des investigations, pour le compte de Center Link, organisme qui est chargé de gérer l’ensemble des services sociaux – retour à l’emploi, protection de l’enfance, gestion des retraites –, et distribue 62 milliards de prestations sociales par an. Le projet a débuté au début du mois de mars, et le premier service sera opérationnel au début du mois de juin à Melbourne. Ces systèmes sont donc extrêmement rapides à mettre en œuvre ; il s’agit simplement de dématérialiser des actes, d’enregistrer des lieux, des objets, des outils et des textes, et d’analyser l’ensemble de ces informations, qu’elles soient ou non structurées.
Notre recommandation serait de simplifier et de renforcer l’organisation actuelle, en créant une agence chargée spécifiquement de la lutte contre la fraude, dont les missions seraient plus étendues que celles de l’actuelle Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), et qui serait dotée d’un système informatique capable de faire de l’analyse de données et de lancer des investigations. Une telle mesure aurait trois objectifs principaux : recouvrir les sommes payées de façon indue, envoyer un signal fort à l’adresse des fraudeurs, et donner à l’ensemble des acteurs sociaux le sentiment que le problème est sérieusement pris en considération. En 2007, le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs rendu un rapport extrêmement intéressant sur le sujet, mettant en évidence les effets très négatifs de la fraude sur le lien social.
M. le coprésident Pierre Morange. Nous prenons acte de vos propositions.
S’agissant de la sous-estimation de la fraude en France, je rappellerai que je suis à l’origine de la création du répertoire national commun de protection sociale. Il a fallu quatre ans pour que le décret d’application soit publié, à la suite de toute une série de résistances. La mise en œuvre de la mesure est pour le moins laborieuse.
Les donnée relatives à la fraude sociale sont variables et incertaines car il s’agit, par essence, d’un domaine très mal connu. Vous avez cité l’exemple américain ; mais même dans un système de type beveridgien, comme le système britannique, dont les capacités de contrôle sont supposées supérieures, la fraude est évaluée à 4 % ou 5 %. Pour le système français, qui est mixte, une estimation aussi modique ne semble guère raisonnable. À quel niveau situeriez-vous la fraude sociale en France ?
M. Bernard Didier. S’agissant des États-Unis, il faut faire attention, car, comme l’identité est gérée à l’échelon des États, il existe des possibilités de fraude différentes. En France, nous avons détecté, dans d’autres domaines, des taux de fraude allant de 5 % à 8 %. S’agissant des droits sociaux, je pense que le taux est inférieur à 5 %, mais supérieur à 1 %.
Mme Marie Figarella. Il est difficile d’obtenir des chiffres concernant la fraude. Le plus transparent de nos clients est la Slovénie. Or, alors qu’il s’agit d’un système national particulièrement sécurisé, le taux de fraude est estimé entre 5 % et 7 %. On peut supposer qu’il est supérieur en France.
M. le coprésident Pierre Morange. Il faut aussi tenir compte du degré de développement économique et de déstructuration d’une nation : les aléas des dernières décennies ont pu provoquer l’émergence de stratégies de contournement, ne serait-ce que pour des raisons de survie.
M. Georges Liberman. La Slovénie possède une organisation centralisée, une carte d’identité électronique et un contrôle particulièrement fort de la citoyenneté et de l’identité. C’est aujourd’hui le pays d’Europe le plus avancé en termes d’identité électronique et de dématérialisation de l’identité !
M. Frédéric Massé. Il s’agit d’un sujet extrêmement important, qui entretient le doute à l’égard des institutions politiques et sociales. Il faudrait à tout le moins se doter d’outils permettant d’évaluer objectivement la fraude : soit l’on démontrera que la fraude est résiduelle, et l’on pourra communiquer sur ce thème ; soit l’on constatera – comme c’est à craindre – qu’elle se situe autour de 5 %, mais on pourra dire que les institutions sociales se sont saisies du problème. Or, comme vous l’avez signalé, il ne s’est pas passé grand-chose depuis 2006 : ce n’est pas le meilleur signal à donner.
M. le coprésident Pierre Morange. Que pensez-vous du dispositif actuel ? Que faudrait-il faire pour lui donner toute son efficacité opérationnelle ?
M. Frédéric Massé. Les pays les plus efficaces sont ceux qui ont créé une institution chargée de la lutte contre la fraude. Le problème en France, c’est que l’articulation entre la chaîne policière et la chaîne judiciaire soulève des difficultés techniques. En outre, il existe une triple disjonction : l’institution sociale mène une partie de l’investigation, puis le cas échéant saisit un magistrat, qui chargera la police judiciaire d’aller au-delà. Aucun système informatique ne pourra traiter cette complexité organisationnelle ; n’écoutez pas ceux qui prétendent que l’informatique peut tout régler !
M. le rapporteur. Combien coûteraient la création d’une carte biométrique et l’équipement des professionnels de santé en terminaux permettant d’en contrôler l’utilisation ?
M. Georges Liberman. Il est difficile de vous donner un chiffre précis, mais je ne pense pas que cela revienne beaucoup plus cher que le système actuel ; l’évolution de la technologie des cartes et des terminaux n’a pas d’effets notables sur leur coût : un terminal bancaire n’est pas beaucoup plus cher qu’un terminal Sesam-Vitale, alors qu’il est bien plus sécurisé.
Il faut toutefois se méfier des approches économiques qui ne prennent en considération qu’un seul aspect de la question. Le système Sesam-Vitale permet des transactions en mode non connecté : il ne s’agit pas d’un système en ligne, qui imposerait à l’administration d’effectuer des contrôles en temps réel, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Si l’on voulait mettre en œuvre un tel système, cela entraînerait des coûts d’infrastructure énormes. Actuellement, une grande partie des coûts sont supportés par les acteurs : les terminaux sont achetés par les professionnels de santé et la « télémise à jour » est financée en grande partie par les établissements qui décident de s’équiper.
Le système actuel fonctionne de façon relativement satisfaisante, même s’il doit être renforcé. Par ailleurs, méfiez-vous des gens qui prétendent qu’il n’y a pas de fraude et que l’on peut simplifier le système pour qu’il aille plus vite ! La fraude a un coût, et si l’ensemble des systèmes carte dans le monde s’oriente vers un renforcement de la sécurité, ce n’est pas un hasard. Il faut s’inspirer de l’expérience des pays voisins et du modèle bancaire.
Mme Marie Figarella. Le préalable serait de déterminer les modifications à apporter à l’architecture actuelle, au niveau de la carte. Si l’on compte à peu près un an pour mettre à jour l’ensemble des logiciels, il n’y aurait plus qu’un tiers des cartes à changer. Grosso modo, si l’on retient un coût unitaire de 3 euros, le coût total serait de 60 millions d’euros pour 20 millions de cartes. Si l’on rapporte cette somme aux gains potentiels – une réduction de 10 % de la fraude, laquelle coûte, selon la presse, 1 milliard par an –, l’investissement serait amorti en moins d’un an. Mais il faut que, dans un premier temps, les industriels réfléchissent ensemble à toutes les étapes : la spécification de la carte – durée de validité logique, compteur de transactions – et la délivrance du titre dans le cadre d’un face à face. C’est ainsi que nous avons procédé pour la carte nationale d’identité électronique.
M. le rapporteur. Trois euros, ce serait pour une carte biométrique ?
Mme Marie Figarella. Non, il s’agit du coût de fabrication d’une carte intégrant les données actuelles – comme la photo, qui n’est pas systématiquement contrôlée par le médecin.
M. Bernard Didier. Je ne recommanderais pas la création d’un système biométrique pour ce genre d’application. Normalement, il revient à l’État d’en créer un pour l’ensemble des activités sociales ; vous gagneriez à utiliser celui qui sera lié à la nouvelle carte d’identité.
Lorsque l’État de New York et le Texas ont mis en place leur système central biométrique, il y a une dizaine d’années, il fallait compter l’équivalent d’un dollar par personne : c’est proportionnellement moins cher que la carte. Toutefois, il faut prendre en considération les facteurs qui pèseront sur le coût d’investissement : la population concernée, le nombre de requêtes par jour et la capillarité du système.
Le coût de l’intégration d’éléments biométriques à l’intérieur de la carte Sesam-Vitale est marginal par rapport aux 3 euros évoqués : il s’élève à quelques dizaines de centimes. Cela ne revient pas plus cher qu’un autre mécanisme de sécurité.
Un terminal biométrique coûte quelques centaines de dollars l’unité. Mais, là encore, l’effet de quantité joue.
M. Jacques de Varax, directeur du GIE Sesam-Vitale. En 2008, au salon « Cartes & Identification », on trouvait une pile de journaux au titre accrocheur : « L’Allemagne est en train de distancer la France sur son système carte ». L’article visait à montrer que l’Allemagne avait pris de l’avance dans le déploiement de nouvelles solutions carte. Voyez où en sont les Allemands aujourd’hui ! Cela ne signifie pas que leur solution ne soit pas la bonne – elle n’est pas très différente de la nôtre –, mais ils sont confrontés aux problèmes habituels de décision politique, d’acceptation par les professionnels de santé et de gouvernance.
Par ailleurs, je souhaiterais faire une mise au point : le système français, le plus important au monde en volume, a une politique de sécurité. Celle-ci n’est pas parfaite, on peut en contester les principes, mais je ne laisserai pas dire que la sécurité n’est l’affaire de personne.
La proposition de M. Frédéric Massé de créer un observatoire me semble une bonne idée. Comment comparer des pays qui n’ont ni la même politique, ni le même système ? Attention aux raccourcis ! Notre système bénéficie de technologies intéressantes, qui lui permettent d’évoluer en permanence. Je me souviens des discours élogieux des industriels sur la carte Vitale 2, lorsqu’il s’agissait de la vendre. Aujourd’hui, cette carte existe ; il faut continuer à la déployer, si possible rapidement, et activer ses fonctionnalités : s’agissant de la durée de validité de la carte, le dispositif est en cours de déploiement. Quant à la gestion des droits intégrés dans la carte, la mise à jour n’est plus valable que pour un an.
Je suis donc plutôt favorable à la consolidation du système actuel. J’ai cependant noté avec intérêt la suggestion de mettre en relation la gestion des droits sociaux avec le processus d’enrôlement de l’identité, avec un enrôlement principal très contrôlé et un processus secondaire.
M. le rapporteur. Vous êtes donc favorable à une carte Vitale biométrique ?
M. Jacques de Varax. Plus précisément, je suis prêt, en tant qu’opérateur technique, à étudier ce type de processus. Par ailleurs, cela ne signifie pas que la carte serait biométrique, mais que l’on pourrait tirer profit d’un système biométrique principal.
M. Georges Liberman. L’enjeu serait d’établir un lien entre le système régalien lié à la nouvelle carte d’identité électronique et le système de santé, de façon à ce que le second bénéficie de la sécurité du premier, sans qu’il soit nécessaire de créer un autre système biométrique.
M. Bernard Didier. À ce propos, je signale qu’il a été introduit dans la proposition de loi relative à la protection d’identité un article 5 ter prévoyant que des administrations habilitées puissent avoir accès à la vérification de l’identité pour leurs besoins propres, dans certains cas particuliers, notamment pour la délivrance de la carte Sesam-Vitale.
M. le rapporteur. C’est une demande que nous formulions depuis longtemps ! Cela étant, restons prudents, car l’examen du texte en séance publique n’a pas encore débuté au Sénat.
M. Jacques de Varax. Je trouve également intéressantes les solutions évoquées par M. Frédéric Massé concernant les analyses de données, les analyses statistiques et le forage de données. J’ignore comment elles pourraient s’articuler avec les outils actuels, mais cela permettrait de réfléchir à une distinction entre contrôle a priori et contrôle a posteriori.
Par exemple, sur les péages d’autoroute, on ne contrôle pas le code PIN de la carte bancaire, car il existe des systèmes de caméras de surveillance et des systèmes d’administration du système d’information qui permettent de réduire le taux de fraude. Dans ce cas, le contrôle a priori, léger, est couplé à un contrôle a posteriori bien plus sophistiqué.
M. Georges Liberman. Les deux dispositifs ne sont pas comparables : si l’on peut ne pas payer l’autoroute, une fraude organisée est inconcevable !
Quant à l’Allemagne, même si son système est technologiquement plus avancé, elle connaît actuellement les mêmes « errements » au démarrage et les mêmes problèmes politiques qu’a connus la France avec Sesam-Vitale.
M. le rapporteur. Quelles sont les caractéristiques de sa carte ?
M. Georges Liberman. Il s’agit d’une carte à microprocesseur mixte (contact et sans contact), avec un niveau de sécurité élevé et utilisant de la cryptographie – comme une carte Vitale 2, une carte IAS (Identification-Authentification-Signature) ou une carte d’identité électronique.
M. le rapporteur. Est-elle biométrique ?
M. Georges Liberman. Non, il n’y a pas de reconnaissance biométrique. D’ailleurs, on peut se demander si le propriétaire d’une carte doit être nécessairement présent pour faire valoir ses droits. Quand on a 40° de fièvre, c’est souvent une autre personne qui va chercher les médicaments à la pharmacie !
M. Bernard Didier. Au Texas, cela marche très bien.
M. le rapporteur. Techniquement, est-il possible de transmettre des données depuis l’étranger pour apporter la preuve que la personne à qui l’on verse des prestations est toujours en vie ? Je pense au cas des centenaires algériens.
Mme Marie Figarella. Nous avons commencé à travailler sur la gestion de l’ensemble du cycle de vie d’une carte, au-delà de la prolongation spontané des droits par l’utilisateur. Un premier envoi signalant la nécessité de mettre à jour les droits pourrait être fait par courrier, avec la possibilité d’un retour avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ». Une grande partie de la population possédant aujourd’hui un téléphone portable, on pourrait également envoyer un message téléphonique, puis un courriel. Les assurés indiqueraient sur le site Ameli.fr leur adresse électronique et leur numéro de mobile pour recevoir l’alerte.
M. Georges Liberman. L’Agence nationale des titres sécurisés est en train de mettre en place la carte de séjour biométrique. À cet effet, l’ensemble des consulats et des ambassades à l’étranger vont être équipés de terminaux biométriques. Il ne serait donc pas difficile de mettre en place un contrôle biométrique à l’étranger.
M. le rapporteur. En l’occurrence, il s’agirait de demander, en sus du certificat remis par les autorités locales, un document plus sécurisé. Le terminal biométrique serait confié soit à la représentation consulaire – mais cela soulève des difficultés –, soit aux autorités locales, soit à un médecin agréé, soit à un opérateur certifié.
M. Georges Liberman. Dans les pays où il y a de grandes distances à parcourir, on a conçu des terminaux mobiles, qui permettent de se rapprocher des demandeurs de titres de séjour et de faire du contrôle en déplacement de l’identité biométrique.
M. Bernard Didier. Le flux transfrontières de données personnelles est toujours très délicat. La biométrie peut être utile, mais elle n’apportera pas la preuve que la personne qui se présente est l’ayant droit ; elle permettra simplement de garantir qu’il n’y aura pas de substitution ultérieure.
En Afrique du Sud, des véhicules munis de distributeurs de billets biométriques passent dans les villages. Pour pouvoir toucher leur pension, les ayants droit présentent leur carte et donnent leur empreinte.
M. Jacques de Varax. Le plus important est en effet de mettre à jour les fichiers centraux de l’assurance maladie. Sesam-Vitale a récemment mis au point un dispositif, installé dans mille hôpitaux et cliniques privées, qui permet de contrôler les droits en ligne, avec une simple pièce d’identité, sans qu’il soit nécessaire de présenter la carte de santé. Cela est possible parce que les hôpitaux disposent de services d’admission. Mais il faut que les fichiers centraux soient à jour.
M. Frédéric Massé. Le ministère de la santé reconnaît que 4 % à 5 % des actes produits par les hôpitaux ne sont pas cotés…
M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS avait en effet mis en évidence ce point dans un précédent travail consacré au fonctionnement de l’hôpital.
S’agissant de votre suggestion de créer un organisme de contrôle central qui se substituerait à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, je ne suis pas sûr que cela permettrait de régler le problème. Multiplier les structures administratives est un travers bien français : nous excellons à rédiger des lois et des décrets d’application, alors que ce qui importe, c’est la mise en œuvre opérationnelle.
Ainsi, à l’occasion d’une visite à un comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF), nous avons pu constater que la mutualisation de l’information était plutôt limitée : la fraude était évaluée par le comité à moins de 600 000 euros, alors qu’en rapportant le montant – déjà modique – de l’évaluation nationale au département, on aurait dû aboutir à une somme de 15 à 17 millions d’euros. Après vérification, il s’est avéré que, si l’on additionnait les données des différents systèmes assurantiels, le total était bien de 17 millions. Cela donne la mesure des progrès à faire !
M. Frédéric Massé. S’agissant de l’hôpital, la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) a débuté il y a huit ou neuf ans ; on estime qu’il faudra encore quatre ans pour l’achever. On aura donc mis treize ans pour imposer de la rigueur dans la gestion du patient et des séjours, alors que les Allemands ont fait la même chose en quatre ans ! Du point de vue strictement technique, identifier de façon unique un patient et un séjour à l’hôpital permettra de se prémunir contre un certain nombre de fraudes.
M. le rapporteur. Existe-t-il des risques de piratage depuis l’étranger ?
Par ailleurs, la France éprouve de grandes difficultés à signer des conventions avec d’autres pays, non seulement dans le monde, mais également en Europe. Il faudrait parvenir à des systèmes mieux sécurisés !
M. Jacques de Varax. Nous réalisons des tests anti-intrusion sur tous les systèmes mis à disposition par Sesam-Vitale. Nous bénéficions également de l’aide de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Il nous est arrivé de recevoir de nombreux virus sur certains dispositifs. Mais nous travaillons avec des prestataires qui ont la capacité d’apporter les corrections nécessaires.
*
AUDITION DU 1ER JUIN 2011
Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Il est important pour moi de venir m’expliquer devant la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) dans la mesure où la lutte contre la fraude sociale me tient à cœur depuis longtemps. Depuis que je suis entré au Gouvernement – en tant que secrétaire d’État à l’assurance maladie –, je n’ai jamais cessé, dans les différentes fonctions ministérielles que j’ai assumées, de me préoccuper de ce sujet, qui n’est pas mineur, même s’il a longtemps été minoré et parfois ignoré. Au nom de la valeur travail, à laquelle je crois profondément, la lutte contre la fraude est un impératif.
D’ailleurs, ce problème alimente un sentiment d’injustice chez nos concitoyens, parce que la fraude à la protection sociale constitue un vol de la protection sociale. Hier encore, j’avais l’occasion de discuter avec un certain nombre d’observateurs qui se demandaient si elle ne pouvait pas s’expliquer, voire s’excuser : pour moi, la réponse est clairement non ! Les fraudeurs sont des voleurs et la fraude n’est pas un système « D » ou une façon de se débrouiller ! Au-delà du sentiment d’injustice, la fraude a un impact financier. La faire reculer est donc avant tout une exigence de justice sociale, mais aussi un impératif de bonne gestion.
Le fait que votre mission rédige un rapport sur le sujet montre bien une prise de conscience collective et un changement complet d’approche à cet égard, même si certains d’entre vous – je pense notamment à M. Pierre Morange et à M. Dominique Tian – n’ont pas attendu cela pour se mobiliser. Cet engagement global a du sens et nous donne davantage de chances d’être efficaces.
Si l’on ne veut pas ajouter une injustice au sentiment d’injustice, il faut que la lutte contre la fraude concerne chacun, quel que soit son statut, sa situation ou sa position sociale. Elle doit s’en prendre au chef d’entreprise qui use et abuse du travail clandestin avant l’assuré social. De même, en matière d’arrêts de travail abusifs, il convient de contrôler le médecin qui « surprescrit » – seule façon légitime de mettre en cause l’assuré social qui en bénéficie. Conçue de cette manière, la lutte contre la fraude ne devrait pas encourir de reproche.
Au-delà de nos travaux, chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale permet de revenir régulièrement et de façon légitime sur le sujet.
L’action contre la fraude s’est d’ailleurs accrue depuis 2004, notamment au temps où M. Éric Woerth occupait des fonctions ministérielles. Je tiens à lui rendre hommage : il s’est toujours mobilisé sur le sujet, qu’il s’agisse de la fraude fiscale ou d’autres types de fraudes – je me souviens notamment des premiers comités nationaux de lutte contre la fraude que nous avons présidés ensemble et de la détermination farouche dont il a toujours fait preuve dans ce domaine.
Depuis 2007, nous sommes passés à la vitesse supérieure, avec la mise en place de nouveaux outils. Les acteurs de contrôle ont besoin de se les approprier : il est donc utile que nous les examinions ensemble au cours de cette audition.
Le regroupement, au sein de mon ministère, des secteurs du travail, de l’emploi et de la santé constitue un gage de cohérence et d’efficacité. Pour lutter contre la fraude sociale, un décloisonnement et une vision d’ensemble sont en effet indispensables. Les fraudeurs ont d’ailleurs généralement une approche décloisonnée de ce à quoi ils peuvent avoir droit en fraudant ; or, l’action des pouvoirs publics a souvent été trop morcelée et cloisonnée.
Un grand nombre de fraudes sont au croisement des problématiques de l’emploi et de la santé – je pense notamment aux arrêts de travail, qui concernent à la fois l’assurance maladie et le travail. Quant à la lutte contre le travail clandestin, elle exige l’action conjointe de l’assurance maladie et des employeurs ; elle concerne aussi l’inspection du travail et a un impact sur les comptes sociaux.
Notre méthode d’action est d’agir au plus près du terrain. Voter des lois, c’est bien, mais encore faut-il qu’elles soient suivies d’effet et que les nouveaux outils soient utilisés par les acteurs de terrain. Faute de quoi nous passerons à côté de très nombreux cas de fraude.
Mon approche pragmatique m’a conduit à me rendre à différentes reprises dans plusieurs comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) ; je continuerai à le faire régulièrement pour voir ce dont les acteurs de terrain ont besoin pour être encore plus efficaces. J’y ai rencontré des personnes très compétentes et motivées, avec un sens élevé de la protection sociale ; elles sont convaincues que leur action est totalement légitime. Sans cette motivation, cette compétence et une bonne circulation de l’information entre les acteurs, rien ne se passerait.
Cela dit, la lutte contre la fraude ne repose pas seulement sur les corps de contrôle. Tout agent de liquidation doit, lorsqu’il a un soupçon légitime, avoir le réflexe de leur en faire part. Il ne s’agit naturellement pas de confondre les missions de chacun, qui sont bien définies par ailleurs. Bien souvent, cela peut se faire à l’occasion d’une simple demande d’information. Il faut que chacun ait conscience de ce qu’est la fraude et de la façon dont elle met en péril nos comptes sociaux et notre système de protection sociale.
Je ne suis pas le seul à me mobiliser : l’ensemble du Gouvernement aura à prendre dans les semaines à venir de nouvelles initiatives ; il est encore trop tôt pour en parler car nous devons prochainement nous réunir sur le sujet. Il est important également que cette action puisse être conduite conjointement avec les parlementaires.
M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales. La fraude sociale est un problème plus aigu en France qu’ailleurs. D’une part, parce que l’on y recense en moyenne 24 prestations sociales entre la naissance et la mort et que la protection sociale mobilise 32 % de la richesse nationale. D’autre part, en raison de la complexité de notre système de protection sociale.
Dès qu’on aborde cette question, on a tendance à être caricaturé. Je tiens à dire deux choses à cet égard : d’abord, la maîtrise des dépenses sociales et la lutte contre la fraude sont un moyen de mieux gérer les dépenses pour les redéployer dans la lutte contre les inégalités de départ. Deuxièmement, comme le disait M. Jacques Delors dans un rapport du Centre d’étude des revenus et des coûts (CERC), l’effort de productivité du pays lors des vingt dernières années a été absorbé par le poids croissant des prestations au détriment du salaire direct.
Au cours des vingt-cinq dernières années, les dépenses sociales ont connu une augmentation équivalant à 6,1 % du PIB en France, contre un accroissement de 2,4 % en Allemagne et une diminution de 0,7 % en Suède – qui a, comme les autres pays scandinaves, infléchi sa politique en faveur de la protection de l’emploi et d’un meilleur redéploiement des dépenses.
La lutte contre la fraude sociale est donc un moyen d’assurer une plus grande justice.
M. Dominique Tian, rapporteur. La question de la fraude sociale est en effet abordée de façon relativement récente, mais le fait que la création d’une mission d’information sur le sujet ait été décidée à la demande de l’ensemble des groupes politiques atteste une prise de conscience.
Nous essayons d’établir un bilan aussi précis que possible. Vous avez, lors de différentes interviews, indiqué que la fraude sociale recouvrait des sommes considérables : à combien l’estimez-vous ? Certains disent que si on luttait plus efficacement contre elle, nos comptes sociaux ne seraient quasiment plus en déficit. C’est sans doute excessif, mais un montant de l’ordre de 1 % des dépenses paraît crédible ; d’aucuns prétendent même qu’au vu d’études portant sur d’autres pays européens, ce montant pourrait être de 4 % ou 5 % des dépenses.
Quels sont les résultats des expérimentations mises en place depuis octobre 2010 sur les arrêts de travail des fonctionnaires ? Qu’en est-il plus précisément s’agissant de chacune des fonctions publiques : nationale, territoriale et hospitalière ?
Quelles précisions pouvez-vous nous apporter sur les pistes que vous avez évoquées s’agissant des prestations servies à l’étranger ?
Les croisements de fichiers semblent avoir pris du retard – je pense notamment au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), qui est une priorité absolue – : qu’en est-il ?
Enfin, où en sommes-nous de l’accès des organismes de sécurité sociale à l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), qui est également importante ?
M. le ministre. L’évaluation de la fraude est par nature difficile. Nos évaluations reposent sur les fraudes détectées, que l’on estime à 457,6 millions d’euros en 2010.
La détection s’est accrue de 19 % entre 2009 et 2010, après une progression de 8 % entre 2008 et 2009. Elle n’est pas, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, liée à une augmentation de la fraude, mais à une plus grande efficacité des procédures et des services.
Depuis 2006, où ont été lancés les premiers programmes nationaux de lutte contre la fraude au sein de la sécurité sociale, plus de 1,7 milliard d’euros de fraudes ont été détectés par les organismes de sécurité sociale. Les sommes récupérées permettent non seulement de réduire les déficits, mais surtout de mieux lutter contre les inégalités, comme vient de le souligner M. Pierre Méhaignerie. Elles permettent aussi de garantir la pérennité du système et de mieux rembourser certains actes. J’ai quelques idées sur ce point dont nous aurons l’occasion de reparler dans les mois qui viennent. Le montant annuel de la fraude détectée a plus que doublé depuis 2006, ce qui montre l’utilité des programmes nationaux.
Les redressements notifiés par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) se sont élevés à plus de 185 millions d’euros en 2010, contre 130 millions d’euros en 2009, soit une augmentation de 42 %. Les fraudes détectées sur les prestations ont atteint 266 millions d’euros l’an dernier, soit 15 millions de plus qu’en 2009. Pour la branche Maladie, la fraude constatée est comprise entre 150 et 160 millions d’euros par an depuis 2008. Enfin, celle relative à la branche Vieillesse a quasiment triplé, passant de 3,4 à 10,1 millions d’euros entre 2009 et 2010.
Cela étant, une chose est de détecter la fraude, une autre est de se faire rembourser. Il faut en finir avec l’idée que les fraudeurs peuvent passer entre les mailles du filet et que la fraude est un jeu à somme nulle ! Avant, si l’on fraudait, on risquait au pire de devoir rembourser les sommes indûment perçues. Il faut casser cette logique : non seulement on doit avoir l’assurance de récupérer ces sommes mais il faut aussi que le fraudeur ait conscience qu’avec les moyens informatiques et humains mis en place et la volonté politique qui les sous-tend, il se fera forcément prendre et que la fraude risque de lui coûter plus cher. C’est l’objectif poursuivi par les pénalités financières et les sanctions administratives.
Sur le montant réel de la fraude, il faut convenir qu’il doit être très supérieur à celui des fraudes détectées mais il faut éviter certaines confusions, par exemple avec les chiffres sur l’économie souterraine dans certains pays.
M. Pierre Morange, coprésident. Pouvez-vous être plus précis ? Ce montant correspond-il aux ordres de grandeur évoqués par M. Dominique Tian ?
M. le ministre. J’estime la fraude sociale au sens large à plusieurs milliards d’euros par an, sans parler naturellement des gaspillages !
Nous devrions donc pouvoir récupérer des sommes beaucoup plus importantes auprès des fraudeurs dans les années à venir. L’efficacité de nos services sur le terrain est essentielle : elle ne passe pas nécessairement par une augmentation démesurée des effectifs des corps de contrôle, mais par une mutualisation des informations et la garantie de sanctions rapides et dissuasives à l’encontre des fraudeurs.
S’agissant des arrêts de travail des fonctionnaires, il est légitime que tout salarié soit contrôlé. Il n’y a pas lieu d’en faire un débat passionnel. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a prévu de lancer une expérimentation sur le contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires de l’État dans six départements depuis octobre 2010. Cette mesure devrait être étendue aux fonctions publiques territoriale et hospitalière dès l’automne prochain ; je veillerai à ce que ce soit le cas le plus tôt possible.
Nous avons de larges marges de progression. Dans 80 % des cas, les informations sur les arrêts de travail parviennent aux services de contrôle lorsque ceux-là sont terminés ! Il faut davantage mobiliser les administrations et les rendre plus réactives, ce qui n’est vraiment pas insurmontable. En outre, dans bien des cas, les adresses dont disposent les services sont incomplètes. Il faut donc améliorer les conditions de contrôle ; nous y travaillons avec M. François Baroin, ministre chargé du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État.
Le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) sera opérationnel fin 2011. C’est un outil très important, réclamé par tous les acteurs. Il conditionne l’efficacité de la lutte contre la fraude sociale, qui, comme je l’ai dit, a un caractère transversal.
La mise en place de cet outil a tardé, car elle est très compliquée, ne correspondait pas aux habitudes ou à la culture des services et a exigé un énorme travail. Le répertoire national commun de la protection sociale devrait permettre de disposer d’une information complète sur la situation de l’assuré – c’est-à-dire le régime, la caisse d’affiliation et l’ensemble des prestations versées –, dans le respect des règles fixées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). On pourra alors immédiatement constater certaines prestations indues, soit qu’elles aient été versées deux fois, soit qu’elles soient incompatibles entre elles, comme l’allocation pour adulte handicapé (AAH) et la pension d’invalidité.
M. Pierre Morange, coprésident. L’interconnexion des fichiers, qui a mis du temps à se mettre en place, ne permet pas de connaître le montant des prestations. Or il est nécessaire de vérifier non seulement l’éligibilité d’un assuré à telle ou telle prestation, mais aussi le montant des droits obtenus. Cela est complexe à réaliser, d’autant que les prestations évoluent au fil du temps. Mais il est important d’y parvenir – dans le cadre de l’automaticité du croisement des fichiers, notamment avec ceux des services fiscaux – pour faire en sorte que le décloisonnement que vous appelez de vos vœux soit pleinement opérationnel.
M. le ministre. Lorsque je me suis rendu au comité opérationnel départemental anti-fraude de Rennes, j’ai vu le cas d’une fraude détectée en raison d’un cumul d’indemnités versées notamment pour une garde d’enfant alors que les revenus de l’assuré étaient supérieurs à 12 000 euros ou 14 000 euros par mois !
Si l’on a bien raison de vouloir respecter les règles touchant à la vie privée et à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous devons, pour faciliter la lutte contre la fraude, pouvoir avoir accès à certaines informations, d’autant que de nombreuses données personnelles figurent déjà sur internet et les réseaux sociaux.
M. Pierre Morange, coprésident. Sur la question de la communication du montant des prestations, la Commission nationale de l’informatique et des libertés n’a guère de réserves : le problème tient davantage à la complexité technique de la mise en œuvre des échanges d’informations.
M. le rapporteur. Il faut aussi tenir compte des réticences des services fiscaux ou de La Poste à fournir certains documents.
M. le ministre. S’agissant des services fiscaux, la situation est en train de changer, mais le problème de l’agrément de la Commission nationale de l’informatique et des libertés se pose dans certains cas. Les réticences que vous évoquez me paraissent davantage relever du passé.
Concernant La Poste, j’ai vu des conventions locales apporter de très bons résultats, notamment pour le cas de personnes déclarant résider en France et faisant suivre leur courrier à l’étranger. Il n’y a pas lieu de mettre en cause le secret des correspondances, mais si un assuré fait suivre son courrier à l’étranger, il est légitime de lui poser quelques questions pour vérifier la réalité de sa domiciliation.
Faites-vous également allusion à la Banque postale ?
M. le rapporteur. Oui : au-delà des réticences de La Poste dans certains cas, la Banque postale refuse très souvent de fournir des documents alors que les autres banques le font très rapidement.
M. le ministre. Pour régler ce type de problème, il faut voir tous les acteurs concernés et placer chacun en face de ses responsabilités. Chacun doit être sur la même ligne pour se mobiliser contre la fraude.
Jusqu’ici, les agents recouraient souvent au système « D », ce qui leur prenait beaucoup de temps. Avec les nouveaux outils de contrôle, ils devraient plus facilement avoir accès aux informations et être plus efficaces.
Quant à l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, qui devrait être opérationnelle à l’automne prochain, elle permettra aux organismes de sécurité sociale de mieux contrôler que les assurés qui reçoivent des prestations ont un titre de séjour régulier.
L’accès de ces organismes au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) sera aussi bientôt possible. Cela étant, les échanges entre la direction générale des finances publiques et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés permettent d’ores et déjà de mieux contrôler les revenus des bénéficiaires de la couverture maladie universelle de base et complémentaire. Nous nous attachons à vérifier le caractère opérationnel de ces dispositifs.
S’agissant des prestations servies à l’étranger, j’ai déjà apporté des précisions en réponse à une question que m’a posée M. Jean-Michel Ferrand lors d’une récente séance de questions au Gouvernement.
La caisse nationale d’assurance vieillesse verse plus de 3 milliards d’euros par an de pensions à des personnes résidant à l’étranger, lesquels représentent environ 10 % des bénéficiaires du régime général. La moitié des retraités concernés résident dans d’autres pays que l’Union européenne. Il s’agit de personnes ayant travaillé et cotisé en France.
Il y a lieu de s’assurer que lorsqu’une personne décède, les caisses de retraite en soient informées. Force est de reconnaître que l’on doit renforcer les informations dont on dispose dans ce domaine.
Différentes expériences ont été tentées, par exemple en Tunisie avec un assureur local ; mais le dispositif, qui n’en est qu’à ses débuts, n’a pas encore fait la preuve de son efficacité.
Pour un certain nombre d’États tiers, le contrôle repose sur trois leviers : l’entraide administrative, si les conditions de protection des données du pays sont équivalentes à celles prévalant en France – nous avons ainsi une convention avec le Canada par exemple – ; la constatation sur place de la situation de fait des assurés sociaux par des sociétés agréées par les autorités consulaires – tel l’assureur que j’évoquais pour la Tunisie – ; enfin, nous travaillons avec le ministère des affaires étrangères à un dispositif de vérification ciblé en cas de présomption de fraude sur des documents délivrés par des autorités civiles.
Se pose à cet égard la question de savoir s’il y a lieu de contrôler tout le monde. Certains parlementaires pensent que tous les assurés devraient venir au consulat ou à l’ambassade, ce qui risque de ne pas être simple à organiser dans certains cas, au regard du nombre de personnes concernées. Il y a lieu de se demander si l’on ne devrait pas plutôt opérer des contrôles en fonction de l’âge des assurés, pour s’assurer qu’ils sont bien en vie.
M. le rapporteur. Il s’agit là pour nous d’un sujet important. Nous sommes partis de l’enquête de la Cour des comptes, qui indique qu’il existe plus de centenaires recevant des prestations en Algérie que ce pays n’en recense. Cette question mérite un débat. Or vous avez déclaré que les certificats de vie étaient aisément falsifiables : il faudra mettre en place un dispositif de validation de ces documents…
M. le ministre. … et une formation des agents ayant accès à ces données, pour leur permettre de déceler les risques de falsification !
En Algérie, le nombre de nos retraités centenaires est de 539, soit 0,12 % des retraités. En France, ils sont 13 072, soit 0,11 % des retraités.
Le contrôle des fraudes dans ce domaine est pour moi un sujet important, quels que soient les pays dans lesquels résident nos affiliés.
M. le rapporteur. La MECSS fera des propositions en ce sens.
M. Jean Mallot, coprésident. Nous devons nous appuyer sur des chiffres précis, afin d’éviter toute exagération.
La problématique des prestations servies à l’étranger se pose pour tous les pays. Mais s’il est difficile de négocier des conventions de sécurité sociale avec des pays dont l’organisation est très différente de la nôtre, ne pourrions nous pas trouver avec les autres États de l’Union européenne des moyens de contrôle plus efficaces et plus simples ?
Nous sommes tous d’accord ici pour lutter contre la fraude sociale : c’est une question d’éthique républicaine. La règle doit être respectée par tout le monde et, lorsqu’elle ne l’est pas, cela doit donner lieu à des sanctions. Mais il faut savoir de quoi on parle : de la fraude estimée ou de la fraude détectée ? De la fraude aux prélèvements ou aux prestations ? Il faut également avoir à l’esprit ce que représente par comparaison la fraude fiscale, qui elle porte sur plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Quelle définition donnez-vous de la fraude ? Retenez-vous, à côté des critères de l’infraction et du dommage, celui de la démarche intentionnelle ?
Par ailleurs, certaines formes de fraudes sont plus coûteuses que d’autres. Quelles sont les plus importantes auxquelles il conviendrait prioritairement de s’attaquer ?
M. le ministre. Au sein de l’Union européenne, les directives et règlements relatifs à la sécurité sociale harmonisent les exigences en matière de contrôle et les renseignements à demander. Nous n’avons pas le même type de relations avec les États tiers, même si certains accords existent, notamment avec le Canada. Je solliciterai le ministère des affaires étrangères afin de mener dans ce domaine une action efficace.
Pour distinguer la fraude de l’erreur, il faut prendre en compte la bonne foi de l’intéressé et la présence ou non d’un élément intentionnel.
Au lieu d’isoler les principaux types de fraude en matière de lutte contre la fraude, nous devons mener une action tous azimuts contre toutes les formes d’abus, car un fraudeur agit rarement une seule fois. Un groupe d’intervention régional (GIR), qui a décloisonné l’action des services, a arrêté récemment à Rennes les auteurs d’un vol de cuivre et de métaux. En vérifiant leur activité et les prestations sociales qu’ils percevaient, il a découvert une fraude au revenu de solidarité active.
En ce qui concerne les arrêts de travail, la culture française incite à contrôler potentiellement tout le monde. Mieux vaut se concentrer sur les surprescripteurs ou les surconsommateurs, abstraction faite des personnes atteintes d’une maladie professionnelle, qui s’absentent fréquemment. Les données informatiques montrent que certains médecins prescrivent cinq fois plus d’arrêts que leurs confrères, ce qui justifie tout de même une demande d’explications de la part de l’administration.
La fraude à l’allocation de parent isolé, qui ne portait que sur quelques euros par mois, a aussi été une des plus répandues, de sorte qu’elle a occasionné des détournements considérables. Elle décourageait le retour vers l’emploi. En outre, il était particulièrement injuste que deux personnes percevant le revenu de solidarité active, vivant ensemble, dont l’une touchait indûment le revenu de solidarité active majoré, bénéficient d’un contrat aidé.
Le travail clandestin est un vol à double titre, puisque non seulement l’employeur ne verse pas les prestations sociales, ce qui constitue une fraude aux prélèvements, mais que les employés ne perçoivent aucune protection sociale.
Les contrôles relatifs au revenu de solidarité active relèvent de la responsabilité de Mme Roseline Bachelot-Narquin, qui a eu raison de lancer une expérimentation à ce sujet. L’initiative de M. Éric Ciotti dans les Alpes-Maritimes me semble également légitime, dès lors que le conseil général est concerné par le financement du revenu de solidarité active.
Pour les arrêts de travail, j’ai fait adopter en 2004, dans le cadre de la loi portant réforme de l’assurance maladie, la mise sous accord préalable, qui a permis une économie estimée à 9 millions d’euros. Cette procédure assez lourde n’a concerné qu’une centaine de médecins dont l’activité était particulièrement déviante. L’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a introduit un dispositif alternatif plus souple, qui permet au directeur de caisse de proposer aux médecins concernés de réduire leurs prescriptions dans un délai déterminé. Le décret d’application a été publié le 19 mai. La contre-visite à la demande de l’employeur constitue un autre instrument efficace. Le plan d’ensemble que je présenterai en juin comprendra d’autres mesures. Enfin, même si les investigations concernent plus souvent les arrêts de longue durée, plus faciles à contrôler et représentant des montants importants, il faut considérer qu’en matière de fraude, il n’y a pas de petites sommes en jeu.
Mme Bérengère Poletti. J’apprécie que vous présentiez la lutte contre la fraude comme une mesure de justice sociale. À l’heure où nous débattons du cinquième risque et où l’on envisage de demander aux Français un effort supplémentaire, ils attendent que les décideurs fassent un effort pour mieux gérer l’argent de leurs cotisations.
Est-il vrai que certains départements comptent jusqu’à cinq fois plus de bénéficiaires de l’allocation pour adulte handicapé que d’autres ? Que représente, pour les caisses, le manque à gagner induit par le travail clandestin ? Ce phénomène lié au problème de l’immigration clandestine donne lieu à une nouvelle forme d’esclavagisme.
M. le ministre. L’allocation pour adulte handicapé relève des attributions de Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Cependant, pour avoir été ministre de la santé et des solidarités, je peux confirmer qu’il existe des disparités entre les départements. Elles s’expliquent par l’existence de certaines passerelles vers l’emploi destinées aux travailleurs handicapés, ainsi que par l’action des associations. Il est logique que l’AAH soit versée plus largement dans les départements où le taux d’emploi des personnes handicapées est plus faible, mais il n’est pas interdit d’effectuer des contrôles dans ce domaine.
Comme vous, je considère comme des délinquants et des exploiteurs ceux qui organisent leur entreprise autour du travail clandestin. Le dernier projet de loi sur l’immigration permet de prononcer la fermeture administrative des sociétés qui emploient exclusivement des clandestins, ce qui se rencontre dans tous les secteurs. Une agence de travail temporaire de ce type, coupable de multiples fraudes sociales et fiscales, a été signalée dans l’Oise. Dans ce cas, la fermeture s’impose, la société n’ayant ni existence légale ni justification sociale. Nous devons combattre tous les fraudeurs, quelle que soit leur situation. Cette année, notre objectif est de récupérer 190 millions d’euros de fraude aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, contre un total de 170 millions d’euros l’an dernier, qui intégrait pourtant une récupération exceptionnelle de 15 millions. Nous avons considérablement augmenté notre objectif et, compte tenu des nouveaux moyens engagés, je pense même que nous pourrons le dépasser.
Mme Catherine Génisson. Il est nécessaire de lutter contre la fraude sociale, qui représente une atteinte à l’éthique républicaine comme à la justice sociale, et qui, en confisquant des sommes importantes, risque de remettre en cause certaines prestations. Cependant, soyons conscients que les mesures qui seront prises dans ce sens ne suffiront pas à résorber le déficit de la sécurité sociale.
L’étude que vous avez eu raison de commander sur les arrêts de travail abusifs concerne-t-elle aussi les salariés du secteur privé ? Si l’on observe un nombre élevé d’arrêts dans un secteur d’activité, n’excluons pas, à l’heure où l’on met en évidence les risques psychosociaux, l’éventualité d’un dysfonctionnement du service lui-même. Étudiez-vous la sous-déclaration d’accidents du travail déguisés en arrêts-maladie ? Peut-on vraiment, compte tenu de la complexité des prestations sociales et de la diversité des situations administratives, distinguer la fraude, l’erreur et les dysfonctionnements ? Je m’étonne enfin des chiffres particulièrement élevés que vous avez cités, en matière de fraude sur la branche Vieillesse.
M. le ministre. Ils sont très faibles : elle ne porte que sur 10 millions d’euros !
Mme Catherine Génisson. Si les chiffres sont bas, leur augmentation est considérable. Comment l’expliquer ? Est-elle seulement imputable aux Français qui vivent à l’étranger ?
M. Jean-Pierre Door. Il me semble essentiel de distinguer les excès ou les abus, de la fraude elle-même.
Le Parlement et le Gouvernement doivent tout faire pour lutter contre les premiers, notamment dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Un ancien directeur de la sécurité sociale a évalué à près de 10 milliards les dépenses imputables à l’abus de prescriptions, aux transports inutiles ou aux examens redondants. À en croire les acteurs des fédérations hospitalières, ce montant n’a pas diminué, alors qu’il représente 8 % à 10 % du budget global de la sécurité sociale, qui serait bénéficiaire si nous partagions le civisme des Allemands. Nous avons le devoir d’ouvrir le débat. Dans ma circonscription, j’ai souvent entendu des personnes logées dans une logement social se plaindre qu’un de leurs voisins vivant en couple percevait indûment l’allocation de parent isolé.
Quant à la fraude, qui constitue un acte de délinquance, l’État doit non seulement la sanctionner, mais aussi la prévenir. Lors d’une précédente MECSS consacrée à la gestion des caisses sociales, nous avions évoqué la possibilité de mettre en place un guichet unique, qui offrirait une meilleure visibilité des prestations sociales et permettrait de croiser les données. Où en est-on à cet égard ?
M. Pierre Méhaignerie. Dans nos villes, nous voyons tous des familles monoparentales victimes de la pauvreté. Quand elles se recomposent, leur situation reste difficile, et leur tentation est grande de conserver une prestation de près de 600 euros, d’autant que la Caisse d’allocations familiales est tenue d’annoncer toute visite de contrôle et que les intéressés sont assez prudents pour ne pas mettre leur nom sur la boîte aux lettres. Peut-on mettre fin à cette situation qui crée disparités et jalousies ?
Pouvez-vous nous communiquer le coût des vingt-quatre prestations par département ? L’allocation pour adulte handicapé n’est sans doute pas la seule dont le nombre de bénéficiaires varie d’un à cinq. Si l’on veut que la collectivité comprenne qu’elle pâtit collectivement de la mauvaise gestion des dépenses sociales, on doit porter ces chiffres à sa connaissance.
Enfin, il résulte d’une étude récente que le taux de performance économique et sociale des régions françaises coïncide avec un niveau plus bas de dépenses de santé et avec un versement de prestations moins important. Ces données doivent être exploitées dans un but pédagogique, puisque les valeurs civiques varient d’une région à l’autre.
M. le ministre. Je m’en tiendrai à la lutte contre la fraude, sans m’aventurer sur le vaste sujet de la justice sociale, qui comprend bien des aspects.
Le premier point à considérer est le mode d’attribution des aides. Les bourses, par exemple, sont versées au-dessous d’un certain seuil de revenus, et disparaissent totalement au-delà. Cet effet de seuil provoque des situations absurdes. L’absence de progressivité explique que des personnes de bonne foi puissent se retrouver en situation de fraude.
Dans mon ministère, j’ai trois priorités : faire baisser le chômage, réintroduire de la confiance dans notre système de santé et faire de la lutte contre les fraudes une réalité gouvernementale. Ramener une population vers l’emploi et lutter contre les fraudes sont des missions de justice sociale. Le mode d’attribution des aides est un autre débat. Cela dit, je souscris à l’analyse de M. Jean-Pierre Door. Il l’avait d’ailleurs présentée dans sa circonscription lors d’une réunion à laquelle j’ai assisté.
Monsieur Pierre Méhaignerie, nous vous fournirons facilement, Mme Roseline Bachelot-Narquin et moi, les statistiques que vous me demandez, mais on ne peut les exploiter qu’en prenant en compte la réalité sociologique des départements. Elle explique par exemple que, dans deux collectivités territoriales voisines, l’Aisne et l’Oise, le taux de bénéficiaires du revenu de solidarité active soit extrêmement différent.
Dans un autre domaine, une piste intéressante consisterait à établir une cartographie des suites pénales engagées, une fois qu’une action pénale a été décelée.
M. Pierre Morange, coprésident. C’est un sujet que j’ai souvent évoqué au sein de la MECSS. Dès lors qu’une cartographie a été envisagée pour les hôpitaux, pourquoi ne pas en prévoir une pour les tribunaux, tout en respectant bien entendu le principe constitutionnel de l’indépendance de la justice ?
M. le ministre. Madame Catherine Génisson, un contrôle des arrêts de travail pour les salariés du régime général a déjà été mis en place : 2,4 millions de contrôles ont été réalisés en 2009, contre 2,2 en 2008, ce qui représente une forte augmentation. Ils peuvent être aléatoires ou ciblés, mais concernent principalement les arrêts de travail de longue durée.
La direction générale du travail et le Conseil d’orientation sur les conditions de travail examinent la question de la sous-déclaration des accidents de travail. Comme les partenaires sociaux, je suis conscient du problème, qui pose celui de la santé au travail dans certains secteurs.
Nous considérons que, dès qu’un chiffre paraît trop important, on doit interroger l’intéressé. Ainsi, une surprescription, qui ne constitue pas une fraude, justifie une demande d’explication. Nous devons aussi travailler sur la charge de la preuve et envisager des sanctions administratives et financières, qui ne sont en rien une alternative aux sanctions pénales. Autant de sujets que je ne demande qu’à évoquer lors d’une prochaine réunion. Sachez que mon implication est sans défaut, comme l’a été celle de M. Éric Woerth, mais la réussite de l’action contre les fraudes ne doit pas dépendre de l’implication des ministres.
Mme Cécile Dumoulin. Comment expliquer que le secteur public souffre d’un absentéisme plus important que le privé ? Les conditions de travail sont-elles plus dures ou les contrôles moins vigilants ? Peut-être existe-t-il dans ce secteur une marge de progression.
La distinction que Mme Catherine Génisson propose d’établir pour les particuliers entre l’erreur et la fraude doit valoir aussi pour les entreprises. Si certaines pratiquent une fraude massive, d’autres commettent peut-être des erreurs involontaires.
Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour contrôler les fraudes au revenu de solidarité active majoré ? Puisque nous avons souhaité une coopération plus importante entre l’administration fiscale et les caisses d’allocations familiales, celles-ci ne pourraient-elles pas indiquer aux services fiscaux les sommes versées, ce qui constituerait un premier contrôle ?
M. le rapporteur. Une des demandes les plus fortes des inspecteurs de la Caisse d’allocations familiales est l’inversion de la charge de la preuve en matière d’isolement.
M. le ministre. Vous savez que nous y travaillons.
M. le rapporteur. Il n’est pas facile de vérifier les conditions d’isolement. Depuis peu, certains couples, qui continuent à habiter sous le même toit, déclarent entamer une procédure de divorce, ce qui leur permet de toucher le revenu de solidarité active majoré ou l’aide personnalisée au logement (APL). Mieux vaudrait recourir à la notion d’isolement économique, qui sera plus facile à prouver. Ce sera sans doute l’une des préconisations de la MECSS.
M. le ministre. Nous avons déjà mis fin à certaines absurdités. Il y a un an et demi, les contrôleurs des caisses d’allocations familiales chargés de vérifier les conditions d’obtention du revenu de solidarité active majoré étaient encore tenus d’annoncer leur visite. Ce n’est plus le cas. Les contrôles sont désormais inopinés.
Mme Cécile Dumoulin, depuis 2008, le flux d’informations nécessaires à la détermination des montants à verser se fait des services fiscaux vers les caisses d’allocations familiales. Je comprends votre proposition, mais le caractère non imposable des prestations ne permettrait sans doute pas aux caisses, sur le plan juridique, de transmettre leur montant aux services fiscaux. La question doit être posée à M. François Baroin.
Les fraudes aux retraites portent généralement sur des sommes peu importantes, mais, du fait que le versement des prestations intervient longtemps après la fraude, les contrôles et les vérifications sont complexes. Nous avons mené une action exemplaire, en terme d’efficacité, concernant les carrières longues. Les poursuites sont allées très loin. Cela dit, on ne compte que 10 millions d’euros de fraude pour la branche Vieillesse contre 160 millions d’euros pour la branche Maladie, alors que le montant des sommes perçues indûment n’est pas moindre.
Mme Catherine Génisson. S’il est essentiel de lutter contre la fraude au revenu de solidarité active majoré, veillons à ne pas confier des charges trop lourdes au personnel des caisses d’allocations familiales. Par ailleurs, les contrôles, si justifiés qu’ils soient, sont souvent vécus comme une humiliation. La traque à la fraude doit être menée de manière stricte, mais dans le respect de la dignité de chacun.
M. Jean Mallot, coprésident. Le travail clandestin ne doit pas être confondu avec l’immigration, puisqu’il n’est effectué qu’à 13 % par des étrangers en situation irrégulière.
M. le ministre. Certes, mais tout immigré sans papier est une proie pour les exploiteurs qui recourent à la main-d’œuvre clandestine.
M. Jean Mallot, coprésident. Un Français en situation de précarité ne l’est pas moins. Ce n’est pas en agissant sur l’immigration qu’on résoudra le problème du travail clandestin.
M. le ministre. Je vous laisse avoir le dernier mot sur ce sujet.
Madame Catherine Génisson, les contrôleurs, qui souhaitent avant tout disposer de véritables moyens pour travailler efficacement, sont très respectueux de notre système de sécurité sociale, dont ils sont les premiers défenseurs. Je les ai rencontrés dans ma ville de Saint-Quentin, comme dans les différents comités opérationnels départementaux anti-fraude. Ils connaissent parfaitement les dossiers, savent repérer les faisceaux d’indices et n’interviennent qu’en cas de forte suspicion.
Quand une personne demande à faire valoir ses droits à la retraite, on doit rechercher dans son dossier d’éventuelles incohérences. Il s’agit non de changer d’optique ou d’imposer une nouvelle conduite aux agents, mais de les amener à vérifier les informations, ce qu’on fait dans toute profession.
M. Pierre Morange, coprésident. Au cours des auditions, plusieurs intervenants ont réclamé l’établissement d’un corps de doctrine en matière de lutte contre la fraude. Ils souhaitent que l’on définisse des principes et des critères standardisés, applicables sur le terrain. La Délégation nationale à la lutte contre la fraude semble toute désignée pour le faire. Ils réclament par ailleurs la fin du cloisonnement et l’échange systématique des informations.
*
1 () Ouverture du colloque du Conseil d’État sur la fraude sociale (Droit social, n° 5, mai 2011).
2 () Courson (Charles), LÉonard (Gérard) : rapport remis au Premier ministre sur les fraudes et les pratiques abusives (1996).
3 () Dont notamment 185 millions d’euros au titre du travail dissimulé, 90 millions d’euros au titre de la branche Famille, 156 millions d’euros au titre de la branche Maladie et 10 millions d’euros au titre de la branche Vieillesse.
4 () Voir liste des membres, en annexe.
5 () Circulaire interministérielle du ministre de la justice et du ministre du budget du 6 mai 2009.
6 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
7 () Voir la liste des auditions et les comptes rendus, en annexe.
8 () Audition du 21 octobre 2010.
9 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
10 () DonnÉ (Stéphane), Lemoine (Sylvain) : « Prestations sociales, de la lutte contre la fraude au paiement à bon droit », Conseil d’analyse stratégique (Note de veille, n° 98, mai 2008).
11 () Audition du 19 mai 2011.
12 () SAP est le plus important concepteur de logiciels d’Europe.
13 () Avec une incertitude statistique de plus ou moins 0,3 point.
14 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
15 () « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle », Conseil des prélèvements obligatoires (mars 2007).
16 () Ces fraudes concernent notamment le calcul de l’assiette et le taux des cotisations sociales, les mesures dérogatoires en faveur de l’emploi, les rémunérations non soumises à cotisations et les frais professionnels.
17 () Audition du 30 septembre 2010.
18 () Tian (Dominique) : « Les moyens de contrôle de l’Unédic et des Assedic », rapport d’information de la commission des affaires sociales (n° 3529, 19 décembre 2006).
19 () Audition du 17 mars 2011.
20 () Audition du 9 décembre 2010.
21 () Décret n° 2008-371 du 18 avril 2008 relatif à la coordination de la lutte contre les fraudes et créant une délégation nationale à la lutte contre la fraude.
22 () Décret n° 2010-333 du 25 mars 2010 modifiant le décret n° 2008-371 du 18 avril 2008 relatif à la coordination de la lutte contre les fraudes et créant une délégation nationale à la lutte contre la fraude.
23 () Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
24 () Ainsi, l’article 118 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 donne un pouvoir de contrainte à l’ensemble des caisses de sécurité sociale pour recouvrer les prestations indûment versées. Par ailleurs, il instaure un mécanisme de fongibilité permettant de récupérer des indus de prestations délivrées par une caisse d’allocation familiale sur une autre catégorie de prestations.
25 () Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.
26 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
27 () Loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
28 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
29 () Loi n 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
30 () Audition du 21 octobre 2010.
31 () Audition du 25 novembre 2010.
32 () Ce numéro est géré par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
33 () Instituée par la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
34 () Il s’agit d’une technique d’analyse multicritères qui permet de cerner des dossiers présentant des risques de fraude.
35 () Cela représente cinq consultations par heure pendant dix heures par jour, 360 jours par an.
36 () Audition du 30 septembre 2010.
37 () Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
38 () Dans cette hypothèse, les rémunérations correspondantes sont évaluées forfaitairement, par bénéficiaire dissimulé, à six fois le salaire minimum mensuel et sont soumises à cotisations.
39 () Audition du 8 juillet 2010.
40 () Les déclarations de ressources pour les allocations familiales ont été supprimées grâce à un croisement de fichiers entre les caisses d’allocations familiales et les services fiscaux.
41 () Audition du 8 juillet 2010.
42 () Soit 229 802 euros pour les dossiers ayant un impact frauduleux pour la caisse d’allocations familiales et transmis aux autres partenaires et 40 889 euros pour les dossiers transmis par les autres partenaires et ayant un impact frauduleux pour la caisse d’allocations familiales.
43 () Audition du 1er juin 2011.
44 () Il s’agit d’un montant brut : 40,5 % de cette somme ont été recouvrés en 2010 et le solde sera recouvré en majeure partie par des retenues sur les prestations à échoir en 2011 et 2012.
45 () Audition du 21 octobre 2010.
46 () Dans un article du 6 mars 2011, le Journal du dimanche mentionne, par exemple, le cas d’un homme interpellé et suspecté d’avoir fait treize reconnaissances de paternité frauduleuses au bénéfice de ressortissantes étrangères en situation irrégulière entre 2002 et 2008. Le montant des prestations sociales (allocations familiales et remboursements d’assurance-maladie) indûment perçu était estimé à 600 000 euros.
47 () Audition du 4 novembre 2010.
48 () Audition du 1er juin 2011.
49 () Cela représente cinq consultations par heure pendant dix heures par jour, 360 jours par an.
50 () Mallot (Jean) : « Le fonctionnement de l’hôpital », rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (n° 2556, 26 mai 2010).
51 () Audition du 25 novembre 2010.
52 () Ainsi, dans un article du 12 mars 2011, le journal La Provence mentionne le cas d’un homme, jugé pour escroquerie, car il touchait la pension de réversion de sa mère décédée depuis vingt et un ans pour une somme totale de 63 000 euros.
53 () Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
54 () Hors redressements réalisés pour le compte de l’Unédic.
55 () Cette augmentation s’explique notamment par forte augmentation des redressements liés aux avantages en nature et aux frais professionnels.
56 () Audition du 30 septembre 2010.
57 () Courson (Charles), LÉonard (Gérard) : rapport remis au Premier ministre sur les fraudes et les pratiques abusives (1996).
58 () Audition du 9 décembre 2010.
59 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
60 () Audition du 1er juillet 2010.
61 () Taux de faits générateurs contrôles ciblés sur le risque de fraude, taux de détection de fraude pour 100 000 allocataires, taux de fraudes ayant donné lieu à sanction.
62 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
63 () Coauteur du rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances sur le dispositif des départs anticipés pour carrières longues.
64 () Audition du 11 février 2011.
65 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
66 () Audition du 9 décembre 2010.
67 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
68 () La procédure de production de cette nouvelle carte est peu sécurisée, l’envoi de la photographie se faisant par simple courrier et sans aucun contrôle supplémentaire.
69 () Article 138 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
70 () Arrêté du 21 mars 2011 fixant la liste des organismes, des risques, droits et prestations entrant dans le champ du Répertoire national commun de la protection sociale.
71 () Décret du 29 mars 1993 portant création d’un système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France.
72 () Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.
73 () Audition du 17 février 2011.
74 () Audition du 21 octobre 2010.
75 () Vachey (Laurent), Dantoine (Hélène), Gratieux (Laurent), Dupays (Stéphanie) : rapport sur l’allocation de parent isolé (mission d’audit de modernisation, décembre 2006).
76 () Voir l’annexe 2.
77 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
78 () Décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant simplification de formalités administratives et suppression de la fiche d’état civil.
79 () Audition du 1er juillet 2010.
80 () Audition du 10 février 2011.
81 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
82 () Audition du 9 décembre 2010.
83 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
84 () Elles bénéficient à ce titre d’une exonération d’impôt sur le revenu.
85 () Audition du 16 septembre 2010.
86 () Audition du 1er juillet 2010.
87 () Audition du 9 décembre 2010.
88 () Kusnik-Joinville (Odile), Lamy (Céline), Merlière (Yvon), Polton (Dominique) : « Déterminants de l’évolution des indemnités journalières maladie » (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, novembre 2006).
89 () Expert (Aude) : « Les disparités géographiques de consommation d’indemnités journalières », Point de repère, novembre 2007 (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés).
90 () Baromètre du groupe Alma consulting sur les arrêts de travail en 2010.
91 () Quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (ESWC) 2007.
92 () Décret n° 2007-354 du 14 mars 2007 relatif aux modalités d’application de la condition de résidence pour le bénéfice de certaines prestations et modifiant le code de la sécurité sociale.
93 () Audition du 19 mai 2011.
94 () La Caisse des dépôts et consignations gère la délivrance de cette allocation aux personnes qui n’ont jamais cotisé.
95 () Réfugiés, apatrides ou personnes sous protection subsidiaire.
96 () Rapport du groupe de travail « Attribution de l’allocation aux adultes handicapés », juillet 2009.
97 () Part des personnes âgées ou handicapées dans la population, part des personnes titulaires d’une carte d’invalidité, part des allocataires du RSA, taux d’équipement en lits et places d’établissements et services pour enfants ou adultes handicapés, etc.
98 () Cour des comptes : « L’évolution de la charge de financement de l’allocation aux adultes handicapés », enquête demandée par la commission des finances et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale (octobre 2010).
99 () Audition du 25 novembre 2010.
100 () Audition du 8 juillet 2010.
101 () Le Monde : « La Grèce veut lutter contre la fraude aux prestations sociales », 6 juin 2011.
102 () Cour des comptes : « Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale – exercice 2008 ».
103 () Audition du 25 novembre 2010.
104 () La loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.
105 () Loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.
106 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
107 () Audition du 21 octobre 2010.
108 () Audition du 3 mars 2011.
109 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
110 () Audition du 4 novembre 2010.
111 () Audition du 21 octobre 2010.
112 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
113 () Audition du 8 juillet 2010.
114 () Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.
115 () Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
116 () Audition du 10 février 2011.
117 () « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle », Conseil des prélèvements obligatoires (mars 2007).
118 () Audition du 30 septembre 2010.
119 () « Pas de si, pas de mais ».
120 () « Vous n’aurez aucune excuse si vous prenez de l’argent qui n’est pas à vous ! »
121 () « Fraudeurs, notre technologie vous traque ! ».
122 () Loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
123 () Tian (Dominique) : « Les moyens de contrôle de l’Unédic et des Assedic », rapport d’information de la commission des affaires sociales (n° 3529, 19 décembre 2006).
124 () Pôle emploi a généralisé l’utilisation de lampes à ultraviolets pour détecter les faux papiers.
125 () Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
126 () Décret n° 2008-88 du 28 janvier 2008 relatif aux modalités d’évaluation des biens et des éléments de train de vie pour le bénéfice de certaines prestations sociales sous condition de ressources.
127 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
128 () Vachey (Laurent), Dantoine (Hélène), Gratieux (Laurent), Dupays (Stéphanie) : rapport sur l’allocation de parent isolé (mission d’audit de modernisation, décembre 2006).
129 () La Cour de cassation dans sa jurisprudence considère que le relevé de compte ne relève pas de la vie privée et est accessible aux contrôleurs des caisses d’allocations familiales.
130 () Loi n 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
131 () Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
132 () Elle prévoit aussi que les agents de contrôle de Pôle emploi sont désormais assermentés et habilités à rechercher et à constater les infractions de travail dissimulé et les fraudes à l’assurance chômage.
133 () Que ce travail illégal concerne des étrangers en situation irrégulière, des étrangers en situation régulière ou des Français.
134 () Tian (Dominique) : « Les moyens de contrôle de l’Unédic et des Assedic », rapport d’information de la commission des affaires sociales (n° 3529, 19 décembre 2006).
135 () Audition du 9 décembre 2011.
136 () Loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007.
137 () Le procès-verbal de flagrance, comme les mesures conservatoires, peut faire l’objet d’un recours immédiat par la voie du référé.
138 () Audition du 8 juillet 2011.
139 () Le projet est prêt et la caisse attend l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour sa mise en œuvre.
140 () Audition du 1er juin 2011.
141 () Page 12.
142 () « La lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général », enquête demandée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes (avril 2010).
143 () Audition du 20 janvier 2011.
144 () Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
145 () Arrêté du 1er avril 2008 relatif à la liste de soins ou traitements susceptibles de faire l’objet de mésusage, d’un usage détourné ou abusif, pris en application de l’article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale.
146 () Celles-ci ont notamment pour mission de contrôler les candidats à des allocations logements dans certaines régions.
147 () Les Échos : « Londres part en chasse contre les fraudeurs aux prestations sociales ».
148 () Le Figaro : « L’Italie supprime 40 000 pensions d’invalidité », 11 août 2010.
149 () Signé le 17 novembre 2008 mais non encore entré en vigueur.
150 () Signé le 11 juillet 2008 et entré en vigueur le 1er avril 2011.
151 () Audition du 18 mai 2011.
152 () Cazalet (Auguste), de Montgolfier (Albéric), Blanc (Paul) : rapport d’information fait au nom de la commission des finances et de la commission des affaires sociales du Sénat sur l’évaluation des coûts de l’allocation aux adultes handicapés (octobre 2010).
153 () Son poids dans la commission pourrait être renforcé par la présence du directeur de l’agence régionale de santé ou de son représentant.
154 () Audition du 18 mai 2011.
155 () Décret n° 2009-1185 du 5 octobre 2009 relatif à l’agrément des personnes mentionnées à l’article L. 114-11 du code de la sécurité sociale.
156 () La circulaire interministérielle DSS/DACI n° 2010-14 du 11 janvier 2010 relative à l’application du décret no 2009-1185 du 5 octobre 2009 relatif à l’agrément des personnes mentionnées à l’article L. 114-11 du code de la sécurité sociale explicite ce mécanisme d’agrément et de convention.
157 () Audition du 10 février 2011.
158 () Audition du 21 octobre 2011.
159 () Audition du 27 janvier 2011.
160 () Décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant simplification de formalités administratives et suppression de la fiche d’état civil.
161 () Loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004.
162 () Loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.
163 () Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
164 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
165 () Loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
166 () Loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.
167 () Loi n° 78-49 du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle.
168 () Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
169 () Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
170 () Rapport au Parlement sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’expérimentation relative à la contre-visite employeur prévue à l’article 103 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
171 () Audition du 17 mars 2011.
172 () Audition du 19 mai 2011.
173 () Audition du 20 janvier 2011.
174 () Loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005.
175 () Arrêté du 6 février 2009 portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Répertoire partagé des professionnels de santé ».
176 () Décret n° 2011-453 du 22 avril 2011 relatif à la régulation des dépenses de médicaments et de la liste des produits et prestations résultant de prescriptions médicales effectuées dans les établissements de santé et remboursées sur l’enveloppe des soins de ville.
177 () Audition du 1er juin 2011.
178 () Audition du 9 décembre 2010.
179 () Audition du 3 mars 2011.
180 () Audition du 20 janvier 2011.
181 () Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.
182 () Audition du 1er juin 2011.
183 () de Tocqueville (Alexis) : « De la démocratie en Amérique ».
184 () Notre système d’assurance-maladie est quasi-universel et même les personnes en situation irrégulière peuvent en bénéficier grâce à l’aide médicale d’État: il n’est donc pas nécessaire de frauder pour y avoir droit.
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