N° 1175 - Rapport de M. Richard Ferrand sur la proposition de résolution européenne de M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron, rapporteur de la commission des affaires européennes sur la proposition de directive relative à l'exécution de la directive sur le détachement de travailleurs (n°1088)



N° 1175

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 juin 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs,

PAR M. Richard FERRAND

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1088.

A. UNE DIRECTIVE À L’ORIGINE D’UNE SITUATION D’« OPTIMISATION SOCIALE » ET DE « DUMPING SOCIAL » 6

B. UNE DIRECTIVE INADAPTÉE AU CONTEXTE ACTUEL ET MASSIVEMENT CONTOURNÉE DANS LES FAITS 8

1. Une directive inadaptée 8

2. Une directive en réalité massivement contournée 9

II.- VERS L’ADOPTION D’UNE DIRECTIVE D’APPLICATION EN MATIÈRE DE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS 10

A. LES RÉFORMES ENVISAGÉES : UNE DIRECTIVE D’APPLICATION 10

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 11

TRAVAUX DE LA COMMISSION 17

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 33

En vertu des articles 151-2 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, les propositions de résolution européenne sont instruites en deux temps avant d’être, le cas échéant, discutées en séance publique. Elles sont d’abord examinées par la commission des Affaires européennes, puis renvoyées devant la commission permanente compétente au fond.

Le présent rapport fait donc suite à la proposition de résolution européenne n° 1088 présentée par nos collègues M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron, devant la commission des Affaires européennes sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs. Celle-ci a fait l’objet d’un rapport d’information n° 1087 déposé par les mêmes auteurs, membres de la Commission des affaires européennes, auquel nous renvoyons pour de plus amples développements sur cette question (1).

Le sujet de l’application des normes européennes en matière de détachement des travailleurs a également retenu récemment l’attention de nos collègues sénateurs (2) à travers la présentation d’un rapport d’information et l’adoption d’une proposition de résolution européenne sur le sujet.

Le détachement de travailleurs au sein de l’Union européenne représente en effet un phénomène aujourd’hui important, bien qu’il reste mal connu : la Commission européenne estime ainsi à un million le nombre de travailleurs détachés chaque année par leur employeur dans un autre État membre. En France, où un dispositif de déclaration préalable a été mis en place, la direction générale du travail a recensé 45 000 déclarations de détachement en 2011, pour 145 000 salariés détachés, soit une progression de 17 % par rapport à 2010, mais les services du ministère du travail estiment entre 220 000 et 300 000 le nombre de salariés présents sur le territoire français sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable de détachement.

La pratique du détachement de travailleurs fait l’objet d’un encadrement juridique par la directive 96/71/CE : mise en œuvre au moment de l’entrée dans la Communauté européenne de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, cette directive se trouve aujourd’hui totalement inapte à encadrer rigoureusement la pratique du détachement qui est devenue un outil redoutable de « dumping social », en particulier dans certains secteurs d’activité tels que la construction, les bâtiments travaux publics, l’agro-alimentaire ou encore le transport de marchandises. De nombreuses dérives sont en effet constatées, qui conduisent à l’utilisation parfois massive de travailleurs « low cost » par la mise en place de véritables filières de prestations de main-d’œuvre bon marché à partir d’États membres où le coût du travail reste peu élevé.

Ayant dressé le constat des limites rencontrées dans la pratique pour l’application de la directive 96/71/CE, notamment par l’absence de pouvoirs de contrôle effectif des détachements par les États membres, la Commission européenne a, dans un premier temps, en 2009, envisagé l’adoption d’une nouvelle directive, projet finalement avorté au profit de simples mesures correctrices à travers une directive d’application de la directive 96/71/CE.

C’est pour affirmer sa détermination en faveur de la lutte contre ce phénomène de « dumping social » que la Commission des affaires européennes a souhaité adopter le 28 mai dernier la présente proposition de résolution. Celle-ci comporte une série de constats relatifs à l’application insatisfaisante de la directive actuelle sur le détachement de travailleurs ; elle énumère également une série de propositions d’amélioration de la proposition de directive d’application présentée par la Commission européenne le 21 mars 2012 ; elle présente enfin un certain nombre de mesures qui doivent être prises au plan interne afin de lutter contre les contournements de la réglementation en matière de détachement.

I.- UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION QUI DÉNONCE LES LACUNES ET LES INSUFFISANCES DE LA DIRECTIVE ACTUELLE

Destinée à encadrer les principes de libre circulation des travailleurs et de libre prestation de service par l’édiction d’un corpus de règles sociales minimales à respecter, la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs est aujourd’hui clairement inadaptée au contexte d’une Union européenne frappée par un chômage de masse et au sein de laquelle l’entrée en 2004 de nouveaux États membres a considérablement accru les disparités de conditions salariales et de protection sociale.

A. UNE DIRECTIVE À L’ORIGINE D’UNE SITUATION D’« OPTIMISATION SOCIALE » ET DE « DUMPING SOCIAL »

La directive 96/71/CE relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services pose le principe de l’application du droit du pays d’accueil : autrement dit, les entreprises prestataires de services doivent rémunérer les salariés qu’elles détachent dans un autre État membre aux conditions du pays dans lequel se déroule le contrat, sauf à ce que le droit du pays d’envoi soit plus favorable.

Néanmoins, s’agissant de l’affiliation au régime de sécurité sociale, le principe communautaire applicable aux salariés détachés est celui du maintien au régime de sécurité sociale de l’État membre d’origine, conformément aux dispositions des règlements n° 1408/71 de coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres et n° 883/2004 du 28 avril 2004. Ce second principe explique que même dans le cas d’un respect strict des règles édictées par la directive, les écarts de coûts salariaux peuvent rester importants, de l’ordre de 30 % entre un résident français dans le secteur de la construction et un salarié détaché de Pologne.

La directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services

La directive 96/71/CE s’applique, dans le cadre d’une prestation de service transnationale, aux salariés effectuant une tâche, par nature donc temporaire, dans un autre État membre que celui où ils exercent habituellement leur activité.

Il existe trois catégories de salariés détachés : les travailleurs détachés dans le cadre d’un contrat de services (sous-traitance), les personnes transférées par leur société au sein d’un établissement ou d’une entreprise établie sur le territoire d’un autre État membre, et enfin, les travailleurs des agences de travail intérimaire.

La directive fixe un socle minimal de conditions de travail et d’emploi applicable aux travailleurs détachés, qui comprend :

– les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

– la durée minimale des congés payés annuels ;

– les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ;

– les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

– la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

– les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes, et notamment des femmes enceintes, des jeunes et des enfants ;

– ainsi que l’égalité de traitement entre hommes et femmes et d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

L’ensemble de ces dispositions ont été transposées en droit français et figurent aux articles L. 1261-1 à L. 1263-2 du code du travail.

Les normes qui composent ce « noyau dur » dans chaque État membre doivent être de nature législative, réglementaire ou être issues de règles conventionnelles d’application générale. En outre, les conventions collectives ou les sentences arbitrales doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur concerné. Les normes minimales en matière de congés payés et de salarie minimum ne s’appliquent toutefois pas dans le cas de travaux de montage ou d’installation d’un bien inférieurs à huit jours. Dans le cas d’un détachement inférieur à un mois, les États membres ont également la possibilité de dispenser les entreprises étrangères de l’application des règles relatives au salaire minimum. Enfin, lorsque les travaux à effectuer sont de faible ampleur, les États membres peuvent également dispenser les entreprises étrangères qui détachent des travailleurs de l’application des règles relatives aux périodes maximales de travail, aux périodes minimales de repos, ainsi qu’au salaire minimum.

S’agissant de la coopération en matière d’information et du contrôle effectué par chaque État membre, la directive prévoit la mise en place, dans chaque pays, de bureaux de liaison ainsi qu’une coopération entre les administrations publiques compétentes, en particulier d’échange d’informations, afin de prévenir ou mettre fin notamment aux abus manifestes ou aux activités transnationales présumées illégales.

B. UNE DIRECTIVE INADAPTÉE AU CONTEXTE ACTUEL ET MASSIVEMENT CONTOURNÉE DANS LES FAITS

Comme l’indique le rapport d’information de nos collègues commissaires des affaires européennes, l’adhésion en 2004 de nouveaux États membres présentant de fortes disparités de conditions salariales et de couverture sociale d’une part, la crise économique qui sévit dans toute l’Union européenne depuis 2008 d’autre part, ont conduit à une utilisation de plus en plus massive du dispositif de détachement pour l’emploi de travailleurs « low cost », dispositif qui déstabilise des pans entiers de notre économie nationale autant par une concurrence intérieure déloyale que par une concurrence entre États membres.

D’une part, les principes édictés par la directive sont insuffisamment précis ou rigoureux et laissent le champ libre à des pratiques totalement dérégulées. D’autre part, on assiste dans certains cas à un contournement pur et simple des règles communautaires, par l’organisation de fraudes, qui peuvent être massives dans certains secteurs, et que l’absence de contrôles et de coopération entre les États membres a laissé s’installer durablement.

1. Une directive inadaptée

Premièrement, c’est la directive elle-même qui est pointée du doigt par l’insuffisance des règles qu’elle fixe.

En effet, sans parler d’un quelconque contournement des règles posées, le principe même du maintien de l’affiliation au système de sécurité sociale du pays d’origine représente un avantage comparatif important pour les États membres où les charges sociales sont les plus faibles.

En outre, les règles qui s’imposent au détachement telles que fixées par la directive sont clairement insuffisantes : d’une part, les dérogations permises à l’application du socle minimal pour les détachements inférieurs à un mois ont conduit à la multiplication de détachements de courte durée ; d’autre part, aucune condition d’activité substantielle dans le pays d’origine de l’entreprise détachant des travailleurs n’est requise par la directive.

2. Une directive en réalité massivement contournée

Deuxièmement, les lacunes du cadre communautaire, et en particulier les difficultés pour un État de procéder à un contrôle efficace sur le détachement de travailleurs étrangers, conduisent à de nombreuses fraudes.

Soit, il s’agit de fraude pure et simple, autrement dit, l’entreprise d’envoi ne respecte pas l’obligation de déclaration préalable au détachement. Ce phénomène est loin d’être anecdotique, puisque le ministère du travail estime entre 220 000 et 300 000 le nombre de salariés « à bas coût » présents sur le territoire français sans avoir fait l’objet d’une déclaration et qui sont donc, au mieux, rémunérées selon les standards du pays d’envoi.

Soit il s’agit d’une fraude plus organisée qui prend le plus souvent la forme de la mise en place d’une entreprise « boîte aux lettres », d’une société « réservoir de main-d’œuvre » ou encore d’une société « coquille vide » implantée dans un pays où les charges sociales sont faibles, qui emploie des travailleurs pour les détacher dans un autre État membre.

Ces systèmes, amplement décrits par les rapports d’information respectifs de nos collègues députés et sénateurs, conduisent, dans certains secteurs, à une forte déstabilisation du marché du travail et à une pratique de « dumping social » intolérable :

– Dans le secteur des transports, des entreprises françaises installent un siège dans un pays de l’Union européenne où les salaires et les charges sociales sont moins élevés pour recruter du personnel qui sera détaché en France : on assiste ainsi à une substitution massive de conducteurs étrangers à des conducteurs français.

– Sur le marché européen de l’abattage de viande, l’Allemagne se taille la part du lion grâce au recours massif à des travailleurs détachés de nouveaux États membres ou des ex-pays de l’Est, rémunérés à un niveau bien inférieur aux salariés des abattoirs des autres pays européens. Comme le montrent nos collègues députés dans leur rapport d’information, le différentiel de coût du travail dans les abattoirs allemands par rapport au coût français est considérable : il est de 6 à 7 euros en Allemagne, contre 10 ou 11 euros en France.

Le dispositif de contrôle et d’échange d’informations prévu par la directive se révèle en pratique inefficient. Le degré de coopération des différents bureaux de liaison nationaux mis en place dans les États membres est très variable et leur saisine est jugée complexe par l’inspection du travail qui doit en effet apporter au préalable la preuve de l’existence de la société et de sa situation légale, avant de se heurter à des délais de réponse souvent longs et à une réponse au contenu souvent insuffisant pour poursuivre la procédure en interne.

Ces pratiques ne sont certes pas directement imputables à la directive communautaire. Néanmoins, l’absence de mise en place d’un dispositif de coopération et de contrôle entre les États membres digne de ce nom met l’Union européenne dans la situation d’agir en urgence : il est en effet de son ressort de réguler le marché intérieur, et précisément de créer les conditions d’un libre jeu de la concurrence non faussée. C’est l’objectif de la proposition de résolution que d’en appeler à des mesures fortes dans le cadre du processus de négociation d’une directive d’application en matière de détachement des travailleurs telle qu’elle est aujourd’hui envisagée par la Commission européenne.

II.- VERS L’ADOPTION D’UNE DIRECTIVE D’APPLICATION EN MATIÈRE DE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS

A. LES RÉFORMES ENVISAGÉES : UNE DIRECTIVE D’APPLICATION

Face aux abus constatés en la matière, la Commission européenne a présenté le 21 mars 2012 une proposition de directive d’exécution, destinée à améliorer la directive 96/71/CE.

Ce projet de directive procède à un encadrement de la définition du travailleur détaché afin de se prémunir contre la pratique des détachements successifs ou permanents ou encore de l’envoi de travailleurs détachés par des entreprises d’un État membre qui n’ont pas d’autre lien avec celui-ci que d’y être installées pour détacher des salariés dans d’autres pays. Ainsi, le projet de texte communautaire propose une série de critères aux autorités nationales pour leur permettre de vérifier l’existence de l’activité réelle sur leur territoire de l’entreprise qui détache des travailleurs : lieu d’implantation du siège et d’exercice de l’essentiel de son activité commerciale, lieu de recrutement des travailleurs détachés, nombre de contrats et chiffre d’affaires réalisé dans l’État membre d’établissement. D’autres critères sont proposés pour évaluer la réalité du détachement, en particulier si le travailleur détaché est censé reprendre son activité dans son État d’origine, si le voyage, la nourriture et l’hébergement sont pris en charge par son employeur. Ces critères figurent à l’article 3 du projet de directive. Il s’agit d’un « faisceau d’indices » non exhaustif pouvant être pris en compte par les autorités des États membres.

Son article 5 vise l’ensemble des informations sur la législation et les conventions collectives applicables à la relation de travail dans l’État d’accueil à destination tant des entreprises qui y détachent des salariés que des travailleurs détachés eux-mêmes, en particulier les éléments constitutifs du salaire minimal, la méthode de calcul de la rémunération due et la grille salariale. Ces éléments doivent impérativement faire l’objet d’une traduction.

La proposition de directive d’application cherche également à améliorer les conditions de la coopération administrative entre États membres : la mise en place de points de contact nationaux est ainsi prévue. En outre, le texte fixe à moins de deux semaines le délai imparti pour répondre à toute demande d’information motivée adressée par les autorités compétentes d’un État membre visant à contrôler des situations de détachement. Ce délai est même ramené à vingt-quatre heures en cas d’urgence.

L’article 9 du projet de texte fixe un cadre délimité aux États membres pour réaliser leurs contrôles, en les autorisant notamment à exiger une déclaration de détachement préalablement à celui-ci ou au plus tard au début de la prestation : une telle déclaration est d’ores et déjà mise en œuvre en France. Une telle déclaration doit permettre aux autorités nationales de connaître l’identité des salariés, leur nombre, la durée prévue de leur mission, leur localisation et les services offerts. Est également prévue l’obligation de conserver ou de fournir pendant toute la durée de la prestation le contrat de travail, les fiches de paie, les relevés d’heures, ainsi que les preuves du paiement, l’ensemble de ces documents devant être traduits et conservés sur le lieu de travail. La liste des mesures de contrôle ainsi prévues est « fermée », ce qui limite en réalité la liberté des États-membres dans leurs pouvoirs d’investigation

En aval, la proposition de directive prévoit que les États membres doivent s’assurer que les salariés détachés puissent facilement saisir l’administration et la justice, le cas échéant, en s’appuyant sur les organisations syndicales pour ester en justice (article 11).

Enfin, l’article 12 prévoit, dans le secteur de la construction, d’instaurer une responsabilité du cocontractant direct en cas de non-versement des rémunérations et contributions sociales ; les États membres resteront libres de durcir ces règles ou d’élargir ce dispositif à d’autres secteurs d’activité.

En l’état des négociations sur la proposition de directive, deux visions antagonistes s’affrontent : les partisans d’une ligne protectrice d’une part, associant la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, ainsi que, dans une moindre mesure, l’Allemagne, et les tenants d’une position plus libérale sur le sujet d’autre part, défendue par les nouveaux États membres ainsi que par le Royaume-Uni. Le Conseil des ministres de l’emploi qui s’est tenu le 20 juin dernier a en effet achoppé sur deux points précis : celui de la liste fermée des mesures de contrôle pouvant être imposées par l’État membre d’accueil et celui de la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre. Il a donc été renvoyé à une nouvelle phase de négociations pour recueillir la majorité qualifiée sur ce texte.

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Dressant le constat du manque d’ambition de la proposition de directive d’application présentée par la Commission européenne, qui aurait nécessité, d’après le rapport d’information de nos collègues, un remplacement et non un simple toilettage, la présente proposition de résolution s’inscrit dans une démarche d’encadrement, de coopération et de contrôle beaucoup plus vigoureuse.

● S’agissant de la définition même du détachement : la proposition de résolution soutient fortement, dans son point 8, le principe d’un « faisceau d’indices » permettant aux États membres de s’assurer de la réalité du détachement et de sa conformité au régime juridique auquel il est soumis, la liste des critères à prendre en compte ne devant aucunement être exhaustive. Il s’agit là de la position défendue par la France au plan communautaire, et que la proposition de résolution entend réaffirmer.

● S’agissant de la garantie par l’Union européenne du principe d’une concurrence libre et non faussée, la proposition de résolution souhaite voir instauré un salaire minimum de référence interprofessionnel ou professionnel, afin de permettre une harmonisation sociale des conditions de détachement (point 21). Votre rapporteur juge essentiel de souligner que l’objectif communautaire est bien celui d’une harmonisation sociale de l’ensemble des États membres : il semble toutefois, en l’état, que la fixation d’un tel salaire minimum n’ait guère de sens au vu des disparités très fortes qui continuent de caractériser les économies nationales respectives des États membres. Une telle proposition ne pourra donc valoir concrètement qu’au terme d’un processus de convergence des nouveaux États membres avec le reste de l’Union européenne qui n’a pas encore abouti. C’est pourquoi votre rapporteur suggère de préciser que la mise en place d’un tel salaire minimum constitue bien un objectif, à atteindre à terme, à l’issue d’une phase de convergence progressive dont le calendrier doit être fixé au niveau communautaire.

● S’agissant des mesures de contrôle menées par les États membres d’accueil des travailleurs détachés, la présente proposition de résolution avance plusieurs propositions.

Elle souhaite tout d’abord voir créée une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, afin de pallier l’incapacité des États membre à assurer des contrôles à leur niveau au vu de l’ampleur du phénomène et du fait qu’ils demeurent trop largement dépendants du degré de coopération des autres États membres. Cette agence aurait pour missions l’observation du phénomène et des infractions interétatiques, le suivi des législations nationales, la formulation de propositions d’amélioration de la réglementation européenne, et l’amélioration du système d’information administratif entre États membres (point 5). Une telle instance serait en effet plus que bienvenue aux yeux de votre rapporteur.

Elle préconise également la création d’une carte électronique du travailleur européen, qui serait de nature à faciliter le contrôle des détachements (point 6).

Elle souhaite en outre la mise en place, au niveau national et communautaire, d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats, sur le modèle des listes qui existent dans l’aviation civile, sur laquelle figurerait toute entreprise condamnée à une sanction pour fraude à la législation sur le détachement ou à tout le moins, toute entreprise qui se serait soustraite à une sanction (point 7).

Ces deux mesures seraient en effet de nature à donner davantage de moyens de contrôle aux États membres.

La proposition de résolution émet également des réserves sur la réalité concrète de la coopération entre États membres que la directive d’application souhaite formaliser, en particulier sur les bureaux de liaison devant être mis en place dans chaque État, en insistant sur le fait que l’activité de ces bureaux dépend trop largement du bon vouloir des autorités nationales compétentes (point 9).

Elle précise en outre que la liste, prévue par l’article 9 de la proposition de directive, des mesures de contrôle que peut imposer un État membre d’accueil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs doit impérativement rester ouverte, sous peine de constituer une régression par rapport au droit existant en la matière (point 10). Il s’agit, là encore, de la position officielle de la France au niveau communautaire.

Enfin, nos collègues commissaires des affaires européennes ont souhaité rappeler que les autorités internes doivent être plus que jamais mobilisées dans la lutte contre les fraudes au détachement sur le territoire national : c’est pourquoi le point 17 de la proposition de résolution affirme la nécessité de mobiliser de manière concertée l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse de l’inspection du travail, des caisses de recouvrement, des autorités préfectorales ou de la gendarmerie. Une telle mobilisation est nécessaire pour mettre à jour certains systèmes de fraudes organisées et complexes, notamment les fraudes par chaîne de sous-traitance. Votre rapporteur approuve cette proposition de mise en place d’opérations « coup de poing », de même que la spécialisation d’une part du corps des inspecteurs du travail sur le travail illégal et la fraude au détachement des travailleurs, que la proposition de résolution appelle également de ses vœux (point 18).

● S’agissant de la mise en place d’un principe de responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre que l’article 12 de la proposition de directive cantonne au seul secteur de la construction, la proposition de résolution, dans son point 11, se pose en faveur de son élargissement à l’ensemble de la chaîne de sous-traitance et à l’ensemble des secteurs d’activité, à l’exclusion des activités agricoles. Votre rapporteur rappelle en effet qu’un tel dispositif existe déjà en droit français, les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail fixant les obligations de vérification et de solidarité financière des donneurs d’ordre et des maîtres d’ouvrage en cas de non-paiement des salaires ou des charges sociales afférentes par leur sous-traitant direct. La solidarité financière du donneur d’ordre est cependant levée, aux termes de l’article D. 8222-5, si celui-ci a fait preuve d’une diligence suffisante, autrement dit, s’il a procédé aux vérifications relatives à l’acquittement des charges sociales par la société sous-traitante et à l’immatriculation de celle-ci au registre du commerce. Il semble dès lors légitime de demander que la France s’oppose à une directive si et dans la mesure où, sur ce point, elle s’avérerait en deçà du droit interne.

Afin d’améliorer la lutte contre les fraudes au détachement, est préconisée la mise en place d’une possibilité de recours contre un donneur d’ordre qui recourrait en toute connaissance de cause à une main-d’œuvre facturée à un niveau très largement inférieur aux prix constatés sur le marché national (point 15) : votre rapporteur comprend bien sûr l’intention, au demeurant louable, de cette mesure, qui a pour objet de se prémunir contre des comportements abusifs d’entreprises nationales qui recourent à une main-d’œuvre sous-payée en ayant conscience du contournement que représente le détachement des travailleurs qu’elles accueillent par rapport aux règles applicables. Toutefois, la mise en œuvre d’une telle mesure apparaît difficile : où fixe-t-on la limite précise entre une offre de services compétitive par rapport aux prix du marché et une offre de services abusive ? En effet, la formulation retenue par la proposition de résolution, qui porte sur une « prestation facturée en dessous des prix français » supposerait au préalable que l’on puisse déterminer de manière objective le « niveau » des prix français pratiqués par type de prestation de services : à supposer même que la détermination d’une « gamme de prix nationale » soit possible – ce qui est loin d’être certain –, cela signifierait que tout donneur d’ordre qui recourrait à une entreprise sous-traitante lui proposant un prix inférieur pourrait se voir exposé à un recours.

Il semble bien plus légitime de lutter contre ces connivences en punissant les infractions à la réglementation. De deux choses l’une : soit les prix proposés par la société sous-traitante impliquent une facturation à des niveaux de rémunération inférieurs aux minima français, et alors il s’agit d’une infraction au régime du détachement, puni comme tel par la loi ; soit, les prix proposés sont simplement compétitifs, et il n’y a pas lieu alors de souhaiter exercer un recours ni contre le sous-traitant, ni contre le donneur d’ordre d’ailleurs. De la même manière, à partir du moment où les travailleurs détachés effectuent par exemple des tâches permanentes et normales dans une entreprise donneuse d’ordre, il s’agit d’un abus au régime du détachement, puni par la loi. Pour ces raisons, votre rapporteur propose la suppression du point 15, qui lui semble affaiblir la portée de la proposition de résolution plutôt que de la renforcer.

Plus judicieuse apparaît la proposition formulée au point 16 de la proposition de résolution, qui recommande la mise en place d’une déclaration de sous-traitance par le donneur d’ordre, qui s’ajouterait à l’obligation de déclaration faite par l’entreprise qui détache des salariés : elle s’inscrit dans la continuité d’une volonté de responsabilisation des entreprises donneuses d’ordre, qui apparaît en effet essentielle à votre rapporteur dans le contexte actuel.

● S’agissant de la défense des droits des travailleurs détachés, la proposition de résolution se réjouit de l’initiative prise par les autorités communautaires d’ouvrir la possibilité aux organisations syndicales et autres parties tierces à ester en justice au nom d’un salarié lésé au titre du droit applicable en matière de détachement : elle préconise toutefois que les syndicats puissent engager des démarches judiciaires ou administratives sans l’approbation du travailleur en question. Votre rapporteur souhaite à cet égard rappeler que le droit français prévoit déjà la possibilité pour les organisations syndicales d’exercer une action en justice en faveur d’un salarié sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé, en matière de délit de marchandage (article L. 8233-1 du code du travail) comme en matière de prêt illicite de main-d’œuvre (article L. 8242-1 du même code) : dans les deux cas, le salarié en question doit toutefois avoir été averti et ne pas avoir opposé de refus dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’organisation syndicale lui a notifié son intention. Enfin, le salarié garde toujours la possibilité d’intervenir à l’instance engagée et d’y mettre un terme à tout moment. Au regard de la situation particulière des salariés détachés, qui sont souvent particulièrement vulnérables, il semble toutefois légitime de préconiser une possibilité pour les syndicats d’exercer un recours en justice au nom du salarié lésé sans son accord. En outre, le détachement prenant souvent place sur une très courte durée, cette option semble d’autant plus justifiée.

● Enfin, s’agissant du problème spécifique du cabotage routier, qui n’est plus soumis, depuis le 19 avril 2010 à une obligation de déclaration de détachement préalable lorsque celui-ci n’excède pas huit jours, la proposition de résolution souhaite qu’aucune disposition communautaire ne soit prise dans ce secteur avant qu’une réponse n’ait été apportée au problème massif du « dumping social » qui le frappe en raison de la forte mobilité qui caractérise par nature ce secteur d’activité (point 20).

Sous réserve des quelques modifications évoquées et d’une série de modifications strictement rédactionnelles, votre rapporteur souhaite que la commission des affaires sociales adopte la présente proposition de résolution.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission examine, sur le rapport de M. Richard Ferrand, la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs (n° 1088) lors de sa séance du mercredi 26 juin 2013.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous examinons aujourd'hui la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs.

Elle a été adoptée le 29 mai dernier par la commission des affaires européennes et je salue la présence, parmi nous, de deux de ses rapporteurs, Gilles Savary et Chantal Guittet, qui interviendront après notre rapporteur.

M. Richard Ferrand, rapporteur. Avant d’évoquer en détail le fond du sujet, je rappelle qu’en vertu des articles 151-2 et suivants de notre Règlement, les propositions de résolution européenne sont d’abord examinées par la commission des affaires européennes, puis renvoyées devant la commission permanente compétente au fond. C’est cette étape qui nous réunit aujourd'hui. L’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée de la proposition de résolution peut ensuite être demandée dans un délai de quinze jours et je crois savoir que nos collègues souhaitent bien voir ce texte discuté dans l’hémicycle.

La question du détachement des travailleurs à l’intérieur du marché communautaire est cruciale.

D’abord, le phénomène est important : il y aurait chaque année environ 1,5 million de travailleurs détachés par leur employeur dans un autre État membre de l’Union. La France en a accueilli près de 145 000 en 2011, un nombre multiplié par quatre depuis 2006. Encore s’agit-il là des chiffres « officiels », puisque le détachement fait normalement l’objet d’une déclaration préalable auprès de l'administration.

En réalité, les flux sont, hélas, très difficiles à évaluer tant la pratique s’éloigne des principes qui l’encadrent. Ce qui est en cause, – et la proposition de résolution insiste bien sur ce point –, c’est la directive communautaire de 1996 sur le détachement de travailleurs : adoptée avant l’adhésion des nouveaux États membres de l’ancien bloc soviétique, où le coût de la main-d’œuvre reste très faible, elle s’avère aujourd’hui totalement inadaptée, quand elle n’est pas purement et simplement contournée.

D’une part, les règles qu’elle fixe apparaissent insuffisantes. Si la directive définit un socle minimal de règles obligatoirement applicables dans l’État membre d’accueil aux salariés détachés, socle qui couvre notamment le salaire minimum, ces règles ne s’appliquent pas aux détachements de courte durée, de moins d’un mois. Cette exception conduit, dans les faits, à la multiplication des détachements successifs de très courte durée. En outre, la directive n’exige aucune preuve d’activité substantielle dans le pays d’origine de l’entreprise qui procède au détachement, ce qui occasionne un véritable « business » d’entreprises, « s’installant » dans un pays d’Europe de l’Est, uniquement pour se spécialiser dans le détachement de salariés « low cost ».

D’autre part, la directive de 1996 n’est pas assortie de mécanismes de contrôle suffisants : tout juste prévoit-elle la mise en place de bureaux de liaison dans chaque État membre, pour permettre l’échange d’informations. Le contrôle en lui-même est donc entièrement laissé à l’initiative des États membres. L’inspection du travail en France est outillée pour lutter contre le travail illégal, mais elle ne dispose malheureusement pas des éléments suffisants, faute d’informations venues de l’État membre d’origine des salariés détachés, pour exercer un contrôle digne de ce nom.

En tout état de cause, le dispositif communautaire se révèle aujourd'hui très insuffisant – et c’est un euphémisme. C’est le bilan que dresse la proposition de résolution qui nous est aujourd'hui soumise, et que partage d’une certaine façon la Commission européenne puisqu’elle a présenté un projet de directive d’application pour remédier aux insuffisances de la directive initiale de 1996.

La nouvelle directive, en cours de négociation, propose d’encadrer la définition même du travailleur détaché afin de se prémunir contre la multiplication des détachements successifs ou contre l’existence d’entreprises qui n’exercent pas d’activité substantielle dans le pays depuis lequel elles envoient des salariés en détachement vers d’autres États membres. La nouvelle directive prévoit également de renforcer la coopération administrative entre États membres, notamment en fixant des délais de réponse aux demandes qui leur sont adressées. Elle pose aussi un cadre au contrôle effectué par les États membres sur les détachements. Elle souhaite enfin renforcer la défense des droits des salariés détachés et instaurer une responsabilité conjointe et solidaire des cocontractants en la matière.

J’en viens au contenu de la proposition de résolution, destinée à inciter l’Union à adopter des mesures plus fortes que celles prévues par le projet de directive d’application.

En premier lieu, elle préconise, comme la Commission, de mieux définir le détachement, par une série de critères qui permettront aux États membres de s’assurer à la fois de la réalité du détachement et de sa conformité aux règles communautaires.

Elle propose également un net renforcement des capacités et des moyens de contrôle des États membres, par exemple, par la mise en place d’une carte électronique du travailleur européen et d’une agence européenne du travail mobile, ou encore par l’instauration d’une « liste noire » des entreprises qui ne respecteraient pas les règles applicables au détachement, à l’instar de ce qui a été fait pour l’aviation civile. La proposition de résolution souhaite en outre que soit étendue la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre, prévue par la proposition de directive d’application, à l’ensemble de la chaîne des sous-traitants et des secteurs d’activité, alors que le projet de directive la cantonne au secteur de la construction. En particulier, elle souhaiterait qu’une déclaration de sous-traitance soit obligatoirement effectuée par tout donneur d’ordre qui recourt à des salariés détachés.

Enfin, s’agissant de la défense des droits des salariés détachés, le projet de directive prévoit d’autoriser les syndicats à ester en justice en leur nom. La proposition de résolution suggère d’aller plus loin, en leur permettant d’agir sans l’accord du salarié, en raison de sa position particulièrement précaire.

L’ensemble de ces préconisations me semblent bienvenues dans le contexte actuel de détournement quasi systématique des règles communautaires, et l’on ne peut qu’y souscrire résolument.

Deux points spécifiques me semblent toutefois appeler des modifications.

Il s’agit, en premier lieu, du point 15 de la proposition de résolution, qui propose la mise en place d’un recours contre tout donneur d’ordre qui ferait appel à une prestation de service facturée en dessous des prix « français ». Si l’on en comprend l’intention, cette préconisation me semble inapplicable. Comment en effet déterminer le niveau des prix « français » ? Comment ensuite différencier une offre de services compétitive et une offre de services qui reposerait sur une facturation du coût de la main-d’œuvre en deçà des minima de salaires français ? Je vous invite donc à supprimer l’alinéa 19 de la présente proposition de résolution.

En second lieu, le dernier point de la proposition de résolution engage l’Union européenne à définir un salaire minimum de référence, professionnel ou interprofessionnel, et cela, afin de garantir les conditions d’une concurrence libre et non faussée. Je souscris pleinement à cette ambition. Simplement, je vous proposerai une nouvelle rédaction de cet alinéa, qui tienne compte des disparités très fortes qui continuent d’exister entre les anciens et les nouveaux États membres, mais prenne le parti d’une telle harmonisation à terme, puisqu’elle ne peut, pour des raisons évidentes, être exigée hic et nunc.

Sous réserve de ces deux modifications substantielles et d’une série d’amendements strictement rédactionnels, je souhaiterais que la Commission adopte cette proposition de résolution, qui a le mérite de proposer de réelles solutions pour mieux encadrer la pratique du détachement intracommunautaire.

Les négociations en cours sur la proposition de directive d’application ont achoppé le 20 juin dernier, lors du dernier conseil des ministres de l’emploi, sur le contrôle du détachement confié aux États membres et sur la responsabilité conjointe et solidaire de la chaîne contractuelle. En l’état des positions en présence, – avec notamment l’existence d’une minorité de blocage du Royaume-Uni et des nouveaux États membres contre le renforcement des règles pour lutter contre la fraude au détachement –, il est essentiel que le Parlement français montre sa détermination à aller de l’avant.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est une proposition qui arrive à point nommé pour répondre aux eurosceptiques qui reprochent à l’Europe de ne pas les protéger.

M. Gilles Savary, co-rapporteur de la Commission des affaires européennes. De façon très classique, nous avons engagé nos travaux à l’occasion de la procédure de révision de la directive « détachement ». Au gré de nos auditions – des acteurs de terrain surtout –, nous avons pris conscience que le phénomène dépassait très largement le cadre fixé initialement, celui de la simple révision d’une directive.

Le problème doit être envisagé avec beaucoup de discernement car les principaux pays qui détachent ne sont pas forcément à l’Est de l’Europe. La France se classe troisième, derrière l’Allemagne et la Pologne. Il faut donc faire preuve de prudence même si les flux sont socialement asymétriques – nous détachons plutôt des commerciaux et des ingénieurs tandis que nous accueillons surtout des ouvriers – car le détachement a toujours été conçu pour offrir une respiration aux acteurs économiques. La directive « détachement » a correspondu à une époque à une rationalisation bienvenue, favorable à l’essor de l’échange marchand international.

Ce qui doit aujourd'hui nous alarmer, c’est la mise en place de stratégie d’optimisation sociale systématique, comme jadis en matière fiscale. Les flux de détachements deviennent autonomes et tendent à se disjoindre de l’échange matériel. Le détachement fait l’objet d’un « business » et aller chercher le travailleur « low cost » devient un but en soi. Modifiée ou non, la directive « détachement », restera un outil largement insuffisant pour canaliser de tels comportements. Si on ne réagit pas, le phénomène prospérera comme l’optimisation fiscale que l’on a trop tardé à prendre au sérieux. Nous sommes donc au début d’une histoire qui pourrait se révéler dévastatrice pour l’emploi et contribuer à l’exacerbation des sentiments xénophobes ou europhobes.

Si l’optimisation sociale tendait à devenir massive, ce que les dernières tendances laissent augurer, les comptes sociaux seraient directement affectés puisque les détachés n’acquittent pas leur sécurité sociale dans le pays qui les accueille. Ils bénéficient déjà d’emblée d’un « discount » sur le coût du travail.

Le phénomène doit donc impérativement être encadré et c’est la raison pour laquelle nous avons débordé le cadre du simple commentaire de la directive en cours de révision pour faire des propositions plus audacieuses. La France serait fondée à les porter à Bruxelles assez vite, dans le contexte, ou non, de la révision de la directive. Elle y trouverait sans doute des alliés.

Les contournements des règles de détachement sont massifs. À côté des comportements illicites, on trouve des procédés licites, quand les détachements sont inférieurs à un mois ou que des entreprises françaises créent des sociétés « boîte aux lettres », qui n’ont d’autre but que de recruter localement du personnel à bas coût pour l’envoyer en France. On voit ainsi se développer un trading de main-d’œuvre qui ressemble beaucoup à ce que la crise de la viande de cheval a révélé : nous avons ainsi découvert que des sociétés chypriotes envoyaient des travailleurs de l’Est dans les pays de l’Ouest.

On a également observé des non-détachements internes. Des entreprises implantées dans les pays de l’Est envoient du personnel local chez nous, en France, mais « oublient » de suivre les procédures déclaratives, alors que le détachement est pourtant parfaitement licite.

On trouve ensuite toutes sortes de contournement : défaut de déclaration – deux cas sur trois, selon les estimations –, et détachement effectif sans déclaration d’aucune sorte. Il s’agit alors d’une fraude puisque, dans ce cas, non seulement les cotisations sociales sont au niveau de celles du pays d’origine, mais le salaire aussi, avec des effets dévastateurs.

Enfin, le contrôle est extrêmement difficile. C’est pourquoi nous avons proposé des sanctions très lourdes, comme la « liste noire », car nous avons la conviction que les contrôles ne seront jamais faciles, surtout si l’on en reste à des bureaux de liaison interadministratifs. Quand on embauche, pour une campagne de vendanges de huit jours, cent personnes de cinq ou six nationalités différentes, le temps de vérifier les identités, de téléphoner aux bureaux de liaison des pays d’origine, elles se sont égayées dans la nature et on n’a plus aucune chance de les rattraper. Les inspecteurs du travail expliquent que, pour obtenir un résultat, ils auraient besoin d’au moins un mois, au détriment de leurs autres tâches. Il faut donc des mesures beaucoup plus fortes. Tel est le sens de notre proposition.

L’alinéa 15 que Richard Ferrand propose de supprimer à cause de l’expression « les prix français » nous a été inspiré par le patronat qui se trouve, sur ce thème, en phase avec les syndicats. La formulation est malheureuse et j’accueille volontiers son amendement, mais il s’agissait de permettre aux branches professionnelles d’attaquer un donneur d’ordre qui a manifestement choisi un maître d’œuvre à bas coût, même si ce choix est licite. Cette affaire a trouvé un début de régularisation juridique parce que le Gouvernement vient d’obtenir que, dans la directive « marchés publics », elle-même en cours de révision, un soumissionnaire puisse être récusé dès lors que ses prix seraient anormalement bas, du fait de conditions salariales anormalement basses. Déjà des recours sont formés devant les tribunaux français à ce sujet. La Fédération du bâtiment et des travaux publics des Pyrénées-Atlantiques a ainsi attaqué la Chambre des métiers de Bayonne qui a employé une entreprise « low cost » !

Pour conclure, le point 21 propose un salaire minimum de référence, dont j’ai toujours été un militant, mais, ayant passé dix ans au Parlement européen, je sais combien la route sera longue. L’idée est d’enclencher une procédure plus rapide pour les branches déstabilisées par l’absence de salaire minimum – je pense bien sûr au secteur de l’abattage dans lequel l’Allemagne emploie des travailleurs bulgares ou roumains à 2, 3 ou 4 euros de l’heure – où des mesures unilatérales de rétorsion pourraient être prises si les prix tombaient en deçà d’un plancher à définir.

Notre travail se poursuit au sein de la Commission des affaires européennes.

Mme Chantal Guittet, co-rapporteure de la Commission des affaires européennes. Le détachement présente des atouts, mais il ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux des salariés. C’est pourtant ce qui arrive et nous nous battons contre une forme d’esclavage moderne. Cette résolution est destinée à affirmer notre position de parlementaire français, quitte à ce que la France applique ses propres solutions pour encadrer le détachement des travailleurs qui fragilise des pans entiers de notre industrie. À cause des détournements de la directive, l’agriculture elle-même n’est plus à l’abri des délocalisations puisque l’abattage est désormais moins cher en Allemagne qu’en France.

Mme Annie Le Houérou. En tant que représentante du groupe socialiste, je félicite Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, de s’être saisis d’un problème qui a des répercussions catastrophiques sur l’emploi et met en difficulté notre système de protection sociale. Et je remercie également notre rapporteur de son excellent plaidoyer pour que la France soit le moteur d’une prise en charge de cette question par la Commission européenne. Celle-ci demeure en effet trop timide, et ses propositions sont très en deçà des besoins réels.

La libre circulation des travailleurs inscrite dans les traités implique l’abolition de toute discrimination entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Toutefois, le droit communautaire ne prévoit pas d’harmonisation des droits des travailleurs mobiles et n’envisage qu’une coordination des régimes juridiques internes, ce que nous déplorons.

Selon la définition, rappelée par notre rapporteur, du travailleur détaché, celui-ci travaille dans un État membre différent du sien parce qu’il y a été affecté provisoirement par son employeur, dans le cadre d’une mission. Mais, comme le droit européen n’oblige pas les États membres à fixer un salaire minimum, ni les entreprises à exercer une activité substantielle dans leur pays d’origine, ni ne limite les détachements dans le temps, on trouve donc des entreprises « boîtes aux lettres » dans les pays où le droit social est a minima. La directive de 1996 prévoit que le droit du travail applicable au travailleur détaché est celui du pays d’accueil, sauf pour les missions de courte durée, le système de sécurité sociale restant toujours celui du pays d’origine. De plus, la Cour de justice de l’Union européenne fait une application très stricte de la directive en considérant que tout ce qui va au-delà des exceptions prévues par la directive est une entrave au principe de libres prestations de services et de libre circulation des travailleurs.

Pourtant, on constate une concurrence déloyale dans les secteurs de la construction, du bâtiment et des travaux publics, de l’agriculture et de l’agroalimentaire. L’arrivée massive de travailleurs « low cost » déstabilise des filières productives entières. La directive, qui avait pour objectif de protéger les travailleurs et les marchés du travail des États membres, a eu l’effet inverse dans un marché européen obéissant à un grand libéralisme, et tend à provoquer un alignement vers le bas du droit social. La conséquence de l’exploitation abusive de cette réglementation a entraîné chez nous deux fléaux, économique et social : la désindustrialisation, qui frappe notamment l’agroalimentaire en Bretagne, et le chômage.

Il doit être mis fin à ces pratiques de « dumping social » destructrices d’emplois et d’activités. La France n’est pas la seule dans cette bataille, les Belges notamment dénoncent ce système par lequel par exemple, l’industrie de la viande allemande se développe sur la base d’un coût moyen du travail de 6 euros de l’heure sans salaire minimum et sans convention collective, alors que ce coût est d’environ 20 euros de l’heure chez nous.

La proposition de directive d’application de la Commission européenne est très en deçà des besoins. L’article 3 vise à apprécier le caractère substantiel de l’activité dans le pays où elle est affiliée. L’article 9 donne une liste limitative de mesures nationales de contrôle des entreprises étrangères par les États membres. L’article 12 institue un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d’ordre. Ces propositions insuffisantes ne peuvent faire l’objet d’un vote favorable de la France – je cite les rapporteurs de la Commission des affaires européennes –, « au regard du principe de mesures de sauvegarde d’intérêts nationaux essentiels, notamment la sauvegarde de l’emploi dans les filières économiques importantes pour notre pays, mais aussi des standards sociaux nationaux imprescriptibles, et surtout du financement de notre système de sécurité sociale, dont la subsidiarité au regard des traités justifie des mesures de protection nationales s’il est mis en danger ». Des mesures nationales unilatérales doivent donc être autorisées par la législation européenne.

Au nom du groupe SRC, j’approuve les propositions des auteurs du rapport d’information et les amendements de notre rapporteur Richard Ferrand, notamment la création d’une agence de contrôle du travail mobile en Europe et d’une carte électronique de travailleur européen ; la mise en place d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats ; le renforcement de la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre et du prestataire ; l’amélioration de l’arsenal législatif de contrôle national ; l’extension de la possibilité de recours juridique par les organisations syndicales nationales sans l’accord des salariés détachés ainsi que la demande d’un moratoire sur la libéralisation du cabotage routier.

Par ailleurs, pour donner encore plus de poids à la proposition de résolution, l’article 151-7 du Règlement prévoit que, dans les quinze jours suivant la mise en ligne du texte adopté par la commission saisie au fond, la Conférence des présidents, saisie par le président de groupe ou d’une commission permanente peut proposer de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Madame la présidente de la commission des affaires sociales, vous serait-il possible d’engager cette démarche ?

M. Jean Leonetti. Il est évident depuis longtemps que, en matière de détachement des travailleurs au sein de l’Union, la fraude est massive et favorise le « dumping social », néfaste à notre économie et aux travailleurs eux-mêmes. L’Union européenne veut lutter contre le phénomène et cette proposition de résolution contribue à améliorer la directive, qui reste insuffisante et doit être renforcée.

L’Union européenne doit se doter de moyens supplémentaires. Une agence européenne de contrôle du travail mobile, une carte de travailleur européen et une liste noire des entreprises constitueraient à cet égard des outils majeurs.

Cela ne doit pas empêcher la France d’adapter son propre arsenal juridique pour pouvoir procéder à des contrôles plus stricts et lutter de façon opérationnelle contre la fraude.

Je relève aussi la naïveté de l’expression « prix français » mais les entreprises françaises qui sont soumises à des taxes et à des règles sociales strictes doivent pouvoir réagir quand les prix pratiqués sont anormalement bas. Le principe doit donc être maintenu même si la formulation doit être modifiée.

Le groupe UMP est lui aussi favorable à un salaire minimum de référence. Sans pour autant vouloir un pacte social unique immédiat, force est de constater que des travailleurs venus de l’Est travaillent en Allemagne pour des salaires dérisoires, ce qui crée des disparités entre pays de l’Union.

Le groupe UMP est donc favorable à cette résolution, et remercie ses auteurs pour leur travail remarquable. Nous sommes pour une Europe qui protège, et, au-delà de cette résolution, pour une Europe de la réciprocité qui protège également des pays qui ne respectent pas les mêmes règles que celles de l’Union. À cet égard, j’attire l’attention sur l’entrée probable et prochaine dans l’espace Schengen de la Bulgarie et de la Roumanie, que nous avons toujours repoussée à cause des risques de déstabilisation du marché du travail et aussi de fraude massive de la part de ces pays, en proie à la corruption.

M. Arnaud Richard. Je souligne à mon tour la qualité du travail accompli par les rapporteurs de la commission des affaires européennes. Le sujet qu’ils ont traité est très grave et on aurait tort de faire preuve d’une trop grande pudeur. Les termes diplomatiques de « dumping social » recouvrent plutôt une traite d’êtres humains, presque des trafics mafieux, Gilles Savary l’a dit à demi-mot. Quand des sociétés se livrent au trading de main-d’œuvre, les directives qui organisent la libre circulation des travailleurs sont conçues pour un monde de dessin animé.

C’est donc une bonne chose que la classe politique française dans son ensemble considère que la directive « détachement » mérite d’être revue. Mais ne soyons pas trop naïfs quant à la façon dont, aux quatre coins de l’Europe, certains acteurs économiques exploitent, tels des négriers, des personnes fragilisées. Le groupe UDI souhaite aussi, madame la présidente, que vous demandiez dans les quinze jours l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour de l’Assemblée.

M. Jean-Louis Roumegas. Cette résolution vient en effet à point nommé pour envoyer un signal aux États membres qui vont prendre le relais au Conseil européen où un recul est toujours à craindre par rapport aux propositions des parlementaires européens. Nous entendons donc renforcer la position de la France en faveur d’une directive beaucoup plus contraignante.

Arnaud Richard a raison de parler de « traite d’êtres humains ». On a vu des ouvriers portugais payés 2,86 euros de l’heure à Clermont-Ferrand, et des Bulgares et des Roumains 3 euros en Allemagne. Sur le chantier de la centrale EPR à Flamanville, travaillent des ouvriers polonais dont les accidents du travail ne sont même pas déclarés. Ce qui se passe est extrêmement grave et il faut des mesures fortes. Cette résolution est donc nécessaire et le groupe Écologiste espère qu’elle pourra conforter la position du Gouvernement au Conseil européen.

Certes, la notion de « prix français » est floue, mais faut-il pour autant renoncer à tout recours contre les donneurs d’ordre ? Un recours spécifique contre le donneur d’ordre, et pas seulement dans le nucléaire, au-delà de la responsabilité conjointe avec le prestataire est une bonne chose. N’y avait-il pas moyen de le conserver ?

À cette restriction près, le groupe Écologiste votera cette proposition de résolution et nous remercions ses auteurs.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Arnaud Richard a raison d’appeler un chat un chat, et de parler de nouvelles formes d’esclavage. Ce n’est pas en laissant cette gangrène envahir l’Europe que nous redonnerons à nos concitoyens confiance en elle.

M. Gilles Lurton. Selon la directive de 1996, les règles du pays d’accueil sur les conditions de travail, de salaire notamment, s’appliquent aux salariés détachés mais ils continuent à payer leurs cotisations sociales dans leur pays d’origine. En France, compte tenu du poids des charges sociales, cela peut représenter un différentiel de coût de l’ordre de 30 %. Les détachements connaissent aujourd'hui un boom qui concerne 1,5 million de salariés en Europe, dont 300 000 en France.

Si la libre circulation des travailleurs peut être un atout pour nos économies, elle a entraîné de nombreuses dérives. Nous sommes d’accord sur la nécessité de renforcer la directive actuellement en vigueur.

Toutefois, les pistes avancées par la proposition de résolution suscitent quelques questions.

La création d’une nouvelle agence est en contradiction avec la position du Parlement plus soucieux d’améliorer l’existant que de créer de nouvelles structures onéreuses, complexifiant encore la machine européenne.

Par ailleurs, la carte de travailleur européen ne se justifie pas, le principe de libre circulation étant inscrit dans les traités. En outre, elle soulève la question de la protection des données.

Enfin, qui tiendra la liste noire ? Selon quels critères sera-t-elle établie ? Quel recours auront les entreprises qui y figureront ? Et qu’en sera-t-il du droit à l’oubli ?

M. Denys Robiliard. Le droit européen fait l’objet de détournements massifs puisque pour 145 000 détachés déclarés, on compterait, selon le ministère du travail, entre 220 000 et 300 000 détachés non déclarés. Et pourquoi, dans certains cas, ne pas envisager de qualifier le détachement comme un prêt illicite de main-d’œuvre à titre onéreux – un délit en droit français –, ce qui n’impose pas de changer la législation et n’implique pas d’attendre la directive d’application ? Monsieur le rapporteur, s’il y a entreprise de détachement, c'est-à-dire pas d’activité substantielle de l’entreprise dans le pays d’origine, et s’il s’agit d’un prêt de main-d’œuvre, qu’est-ce qui empêche d’appliquer la législation française ?

Je suis d’accord avec l’essentiel des propositions, en particulier la création d’une agence européenne et d’une carte de travailleur européen. La proposition sur le salaire minimum est essentielle, mais il faudrait en priorité voir ce qui peut d’ores et déjà être fait. De quels moyens l’inspection du travail et les administrations en charge du problème disposent-elles ?

Plutôt que de supprimer le point 15 de la résolution, comme votre amendement le propose, monsieur le rapporteur, ne pourrait-on pas modifier la rédaction car la responsabilité du donneur d’ordre est un point fondamental ?

Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de résolution pour lutter contre le « dumping social » va dans le bon sens mais elle n’est qu’un premier pas. Le nombre de détachés, officiellement de 145 000 dans notre pays, a augmenté de 17 % et le chiffre réel doit être du double. La Bretagne est particulièrement touchée.

Concernant la création d’une agence européenne, je suis d’accord avec mon collègue : la priorité doit aller d’abord à l’application de la loi. Mais les DIRECCTE manquent souvent de moyens pour effectuer des contrôles. Qu’est-il prévu en cette matière ?

Qu’entraînera pour une entreprise son inscription sur la liste noire ? Ne pourra-t-elle plus répondre aux appels d’offre dans le cadre des marchés publics ?

Enfin, quel est le calendrier parlementaire ? Et, si cette résolution était adoptée, combien de temps faudrait-il pour qu’elle soit effective et apporte une réponse aux entreprises qui nous sollicitent ?

Mme Joëlle Huillier. Conçue à l’origine pour préserver les marchés du travail des pays à coûts salariaux élevés de la concurrence déloyale et de l’optimisation sociale, comment la directive est-elle parvenue au résultat inverse ? La fraude est-elle seule en cause ou bien faut-il y voir le symptôme du dogme néolibéral en vogue dans les institutions européennes ?

Pourquoi M. Barroso, qui donne des leçons à la France de manière fort peu élégante, n’a-t-il pas respecté sa promesse, faite au moment de son investiture en 2009, de proposer une nouvelle directive « détachement » ? Et pourquoi la Commission s’est-elle contentée de « mesurettes » ?

Mme Véronique Louwagie. Je félicite les rapporteurs pour leur initiative et leurs propositions car le détachement des travailleurs en Europe prend des proportions inadmissibles, attisé par la liberté de circulation des biens et des personnes. Presque tous les métiers et les régions sont désormais concernés – le bâtiment, l’agriculture et le transport. Nul n’est épargné. Le secteur du transport doit être traité à part car le service rendu n’est pas lié à un ancrage local.

S’agissant du point 16, la déclaration de sous-traitance par le donneur d’ordre est une bonne mesure car une simple vérification ne suffira pas, mais il faudra veiller à ne pas imposer de contraintes trop pesantes aux entreprises.

Ensuite, pourquoi spécialiser les inspecteurs du travail au lieu de les former tous à lutter contre l’ensemble des fraudes, puisque tout le territoire est concerné ?

M. Dominique Tian. La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a fait un travail courageux, même s’il a été parfois injustement décrié, sur la fraude sociale, et en particulier sur le travail au noir. Ses conclusions ont fait l’unanimité, s’agissant notamment de la faiblesse de notre législation et surtout de la mauvaise coordination des pouvoirs publics français.

Je félicite nos trois collègues pour leur rapport équilibré, sans qu’il dissimule la réalité des choses : « Au vu des lacunes de la proposition de directive, [l’Assemblée nationale] estime indispensable que la France modifie sa législation et son organisation administrative pour améliorer l’efficacité de la lutte contre ses fraudes » et « invite l’administration à une coordination de l’ensemble des corps concernés (inspection du travail, gendarmerie, préfectorale, URSSAF, MSA) pour effectuer des opérations de contrôle “coup-de-poing” ». À l’évidence, les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure du problème, qui est d’ordre politique, économique et juridique. Avec entre 220 000 et 300 000 travailleurs détachés sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable, nous avons un réel souci d’organisation administrative.

La carte électronique de travailleur européen, que la MECSS avait évoquée, nous semble indispensable. Mais il faudrait qu’elle soit sécurisée, sinon biométrique, puisque, dans la plupart des cas, l’identité déclinée est fausse.

Ensuite, s’agissant de la liste noire, nous réclamons depuis trois ans une liste nationale des personnes qui sont interdites de gérer, accessible à tout le monde. Commençons par motiver les administrations françaises !

M. Jean-Pierre Door. Oui, cette résolution arrive à point nommé car le problème est connu et reconnu. Nous avons tous des exemples en tête, dans le bâtiment, la logistique, le transport routier, qui déclenchent l’animosité, parfois très violente, des entreprises, des artisans et des commerçants, ainsi que des salariés et nous ne savons quoi leur répondre.

Cette résolution fait preuve de beaucoup d’optimisme. Espérons que nous passerons des écrits aux actes, pour mieux harmoniser l’environnement social et économique. Ce serait une bonne chose d’avoir les moyens de déceler l’origine des fraudes.

M. Élie Aboud. Nous voterons cette résolution sans réserve.

Les maires que nous sommes savent que ce sont aujourd'hui les entreprises étrangères qui remportent les appels d’offre, à cause du niveau des charges sociales. Et nous constatons un turnover de la main-d’œuvre, qui reste moins d’un mois, ce qui rend tout contrôle quasi impossible.

Le plus grave et le plus inadmissible est la contamination progressive de nos entreprises, qui sont poussées, pour répondre aux appels d’offre, à installer leur siège social à l’étranger et à embaucher des travailleurs étrangers.

Notre rapporteur souscrit à la proposition de créer une agence européenne de contrôle du travail mobile, « afin de pallier l’incapacité des États membres à assurer des contrôles à leur niveau au vu de l’ampleur du phénomène et du fait qu’ils demeurent trop largement dépendants du degré de coopération des autres États membres. » Partageant ce diagnostic, je me demande néanmoins si le remède changera quoi que ce soit et même si, faute de coordination, les choses ne risquent pas d’empirer.

M. le rapporteur. Je trouve au moins une satisfaction dans notre unanimité autour de l’enjeu. Personne ici ne supporte plus que la condamnation du trafic d’êtres humains, qui nuit à notre protection sociale et à nos entreprises, soit considérée comme une entrave à la liberté d’entreprendre. Récemment, Marianne a publié un dossier complet sur cette forme d’esclavage autorisé par la Cour de justice de l’Union européenne.

Je salue moi aussi l’initiative de nos collègues Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron car on ne peut pas demander à des gens qui, tels les salariés de nos abattoirs, sont mis au chômage à cause de ce type d’esclavage autorisé par l’Europe d’aimer celle-ci ! Or les mesures que préconisent nos collègues seraient précisément de nature à rendre l’Europe plus protectrice, donc plus aimable.

Elles sont sans doute insuffisantes, monsieur Leonetti, mais elles constituent un pas dans la bonne direction. Je souscris au vocabulaire utilisé par Arnaud Richard, car il s’agit bien d’esclavage.

Monsieur Roumegas, le point 15 que je vous propose de supprimer est un peu redondant avec le point 11, qui généralise la responsabilité conjointe et solidaire à l’ensemble des sous-traitants et des secteurs d’activité.

Gilles Lurton soutient la proposition de résolution tout en contestant la création d’une agence européenne, d’une carte de travailleur et de la liste noire. Il est donc impossible de passer des écrits aux actes ! Il s’agit, avec cette agence de régler un problème européen qui n’a de solution qu’européenne. Aucun des États membres, Élie Aboud l’a bien vu, ne pouvant agir isolément, il faut bien une agence, une carte de travailleur et une liste noire européennes.

Une entreprise qui figurerait sur cette liste noire se verrait interdire de répondre aux appels d’offre, de sous-traiter et d’effectuer une prestation quelconque pendant une période donnée.

Denys Robiliard a suggéré de se servir de nos propres outils juridiques, mais ils se heurtent au problème de la preuve : il faut lutter contre les séjours de courte durée de travailleurs soumis à un turnover très rapide, et de plusieurs nationalités. Ils ont déjà disparu quand l’inspection du travail a pu procéder aux contrôles. Le système est très bien organisé par de véritables trafiquants de main-d’œuvre.

La résolution entend permettre à l’agence européenne de coordonner la coopération active entre les services et de gérer la liste noire.

Les cellules spécialisées au sein de l’inspection du travail, madame Louwagie, pourraient permettre de mener des opérations « coup-de-poing » pour dissuader les employeurs de recourir à cette main-d’œuvre « low cost ».

Le point 20 concerne spécifiquement le cabotage routier qui doit en effet être traité à part.

Monsieur Door, nous sommes optimistes. Le pessimisme serait de ne rien tenter ! Nous avons seulement la volonté de porter le problème au niveau européen, pour que de nouvelles directives permettent d’endiguer le phénomène.

L’agence européenne du travail mobile, monsieur Aboud, aurait vocation à mettre un terme à la contamination que vous dénoncez et à pallier l’impuissance des États membres à agir contre des flux par essence éphémères. La liste noire pourrait s’étendre à ceux qui, dans nos pays, vont créer ailleurs des sociétés « boîtes aux lettres », jusqu’à présent tout à fait légalement.

M. le co-rapporteur de la Commission des affaires européennes. Je me réjouis que tous les groupes politiques se rallient à l’esprit de cette résolution qui ouvre la voie à un travail plus approfondi. Elle n’est pas optimiste, elle est résolument audacieuse.

Les propositions qu’elle comporte ont vocation à devenir celles de la France, et elles ne sont formulées nulle part ailleurs. La France doit aussi rationaliser ses contrôles car les mesures proposées ont peu de chances d’être adoptées très rapidement, même pas dans la directive d’application en cours d’élaboration. Elles constituent un corpus nouveau de propositions françaises au niveau européen. Plutôt que l’alignement de l’Europe sur nos règles sociales, nous réclamons des outils concrets.

L’agence européenne, d’abord, en vertu du principe de subsidiarité, puisque le travail mobile, difficile à saisir dans chaque pays, ne peut être que du ressort européen. L’Europe doit se doter d’un corps minimal d’investigation pour pallier la carence des bureaux de liaison. Tout le monde n’a pas une administration aussi structurée que celle de la France et tout le monde n’a pas envie de collaborer avec ses voisins. Dans d’autres domaines, l’Europe ne respecte pas la subsidiarité et ses agences s’immiscent dans les affaires nationales ; dans celui du travail mobile, elle doit être pleinement responsable.

Avec la liste noire, il s’agit de référencer les entreprises qui sont très nombreuses à échapper aux sanctions, et de faire en sorte, en publiant leur nom, qu’on ne les revoit plus en France pendant un certain temps. La liste noire des compagnies aériennes a été terriblement efficace.

Quant à la carte de travailleur, elle existe en France et nous nous sommes inspirés du secteur du bâtiment et des travaux publics, français qui a une caisse de congés pour des personnels qui changent régulièrement de chantier et d’entreprise. Il ne s’agit pas d’en faire une carte d’identité bis, en contradiction avec les principes fondamentaux du droit européen, mais il faut pouvoir s’assurer que le travailleur est affilié social. Aujourd'hui, un grand nombre des salariés détachés chez nous ne sont pas couverts, même contre les accidents du travail. S’ils en sont victimes, ils sont rapatriés chez eux et sombrent dans la misère.

Dernière précision sur la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre et du prestataire. J’ai proposé d’exclure l’agriculture parce que les agriculteurs ne sont pas armés pour mener des investigations. Ils sont d’autant plus inquiets que le personnel auquel ils font appel reste très peu de temps, parfois juste le temps d’une campagne.

Notre collègue Huillier a parlé, au niveau européen, de dogme, de la liberté totale, à n’importe quel prix. Pas toujours. C’est pourquoi mon ton est resté mesuré et je suis surpris que l’on n’ait pas parlé des secteurs qui souffrent chez nous de pénurie de main-d’œuvre. Il faut faire preuve à la fois de fermeté et de discernement.

*

* *

La Commission en vient à l’examen des amendements à l’article unique de la proposition de résolution.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels, AS 1 et AS 2, du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement AS 3 du rapporteur.

M. Dominique Tian. Pour être efficace, la carte doit être électronique et sécurisée, puisqu’il s’agit de lutter contre de la fraude organisée. Le procédé n’est pas liberticide puisqu’il est utilisé en Afrique du Sud pour verser les retraites, et en Inde.

M. le rapporteur. Je propose d’ajouter « sécurisée ».

La Commission adopte l’amendement AS 3 ainsi rectifié.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS 4 à AS 9 du rapporteur.

Elle adopte l’amendement AS 10 du rapporteur, corrigeant une erreur matérielle.

Elle est saisie de l’amendement AS 15 du rapporteur.

M. le rapporteur. La commission des affaires européennes prévoit un recours contre le donneur d’ordre dès lors qu’il aurait bénéficié d’une prestation facturée en dessous des prix « français ». Mais comme la notion est très difficile à cerner, et que le meilleur moyen de lutter contre les connivences entre sous-traitants et donneurs d’ordre reste la mise en cause de leur responsabilité conjointe et solidaire étendue par le point 11, je vous propose de supprimer l’alinéa 19, correspondant au point 15 de la proposition de résolution.

M. Dominique Tian. Je remercie le rapporteur de son amendement.

La Commission adopte l’amendement AS 15. En conséquence, le point 15 est supprimé.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels AS 11 à AS 13 du rapporteur.

Puis elle adopte l’amendement de cohérence, AS 14, du rapporteur.

La Commission en vient à l’amendement AS 16 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le point 21 propose la mise en place d’un SMIC européen, mais les disparités qui existent toujours entre les économies des États membres plaident pour une rédaction à la fois plus précise et plus souple. Puisqu’il ne s’agit pas d’un objectif à court terme, il vaut mieux, sans y renoncer, poser les jalons d’une harmonisation sociale en matière de détachement en exigeant que la Commission européenne s’engage à définir un calendrier.

La Commission adopte l’amendement AS 16.

Puis elle adopte à l’unanimité l’article unique, modifié, valant adoption de la proposition de résolution, modifiée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Conformément au souhait de l’ensemble des groupes – l’UMP est d’accord aussi –, je demanderai, dans un délai de quinze jours, à la conférence des présidents l’inscription à l’ordre du jour d’un débat sur cette proposition de résolution. Il appartiendra ensuite à la conférence des présidents et au Gouvernement d’en fixer la date. Ce ne sera pas pendant la session extraordinaire de juillet puisque le décret de convocation est paru. Je ferai donc les démarches pour que la discussion ait lieu pendant la session extraordinaire de septembre, en tout cas, le plus rapidement possible, d’autant plus que la résolution fait l’unanimité.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AS 1 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À la fin de l’alinéa 7, substituer au mot : « pays », les mots : « États membres ».

Amendement n° AS 2 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 8, substituer aux mots : « motive aujourd’hui », les mots : « conduit aujourd’hui la Commission européenne à présenter ».

Amendement n° AS 3 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

I. – À l’alinéa 10, après le mot : « carte », insérer les mots : « électronique sécurisée ».

II. – En conséquence, au même alinéa, supprimer le mot : « , électronique, ».

Amendement n° AS 5 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À la seconde phrase de l’alinéa 11, substituer aux mots : « , au moins, qui n’aurait pas honoré ses sanctions », les mots : « se serait à tout le moins soustraite à cette sanction ».

Amendement n° AS 4 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À la seconde phrase de l’alinéa 11, supprimer les deuxième et troisième occurrences des mots : « l’interdiction ».

Amendement n° AS 6 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 12, substituer aux mots : « de la tentative », les mots : « du souhait ».

Amendement n° AS 7 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 13, après la première occurrence du mot : « États », insérer le mot : « membres ».

Amendement n° AS 8 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 14, substituer au mot : « la », les mots : « en faveur de la proposition de ».

Amendement n° AS 9 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

I. – À l’alinéa 17, après le mot : « favorable », insérer les mots : « que le droit français positif actuel ».

II. – En conséquence, au même alinéa, supprimer les mots : « que le droit français positif actuel ».

Amendement n° AS 10 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 18, substituer au mot : « ses », le mot : « les ».

Amendement n° AS 15 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

Supprimer l'alinéa 19.

Amendement n° AS 11 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 21, substituer au mot : « corps », le mot : « acteurs ».

Amendement n° AS 12 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 21, substituer au mot : « préfectorale », le mot : « préfectures ».

Amendement n° AS 13 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

À l’alinéa 22, substituer aux mots : « la question », les mots : « les questions ».

Amendement n° AS 14 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

Après le mot : « dans », rédiger ainsi la fin de l’alinéa 24 :

« le rapport d’information n° 1087 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs ; ».

Amendement n° AS 16 présenté par M. Ferrand, rapporteur

Article unique

Rédiger ainsi l’alinéa 25 :

« 21. Propose que l’Union européenne se fixe pour objectif, au nom du principe de concurrence libre et non faussée, de parvenir à la définition d’un salaire minimum de référence interprofessionnel ou professionnel au niveau de l’Union, afin d’harmoniser socialement les conditions du détachement. Cet objectif doit être atteint à l’issue d’une phase de convergence progressive entre États membres, dont le calendrier sera précisément déterminé. ».

© Assemblée nationale