Pierre, Jean de Béranger
1780 - 1857
- Informations générales
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- Né le 19 août 1780 à Paris ( - Généralité de Paris France)
- Décédé le 16 juillet 1857 à Paris (Seine - France)
1780 - 1857
Représentant du peuple à l’Assemblée constituante de 1848, né à Paris (Généralité de Paris), le 19 août 1780, mort à Paris (Seine), le 16 juillet 1857. Son acte de baptême enregistré à la paroisse de Saint-Sauveur est ainsi rédigé: « Le même jour (20 août) a été baptisé Pierre Jean, né d'hier, fils de Jean-François Béranger, négociant, et de Marie-Jeanne Champy, son épouse, rue Montorgueil; parrain, Pierre Champy, maître tailleur, de cette paroisse, marraine Mario-Jeanne Grisel, veuve de Nicolas Dupré, tailleur, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, Père absent pour affaires. Signé : Grisel, Champy. »
Picard par son origine, parisien par sa naissance, Béranger enfant resta chez son aïeul jusqu'à l'âge de neuf ans, et fut, ainsi qu'il le rappela, dans une de ses chansons, témoin de la prise de la Bastille:
J'étais bien jeune ; on criait: Vengeons-nous !
A la Bastille ! Aux armes! vite aux armes !
Marchands, bourgeois, artisans couraient tous...
Puis il quitta Paris pour Péronne, où il fut quelque peu « garçon d'auberge» dans la maison de sa tante. A quatorze ans, il entra en apprentissage dans une imprimerie; il suivit les cours de l'Institut patriotique, sorte d'école primaire fondée à Péronne par un ancien député à l'Assemblée législative, M. Ballue (V. ce nom) et organisée d'après le système de J.-J. Rousseau. A douze ans, il haranguait les représentants de passage à Péronne, et rédigeait des adresses à la Convention.
A seize ans, il revint à Paris auprès de son père; celui-ci, entiché de noblesse, était le banquier des royalistes, et le fils portait souvent aux conspirateurs l'argent provenant de Londres; entre temps, il appliquait à la comédie et à l'épopée ses premiers efforts poétiques ; le succès ne répondant pas à tous ces débuts, et son père ruiné ayant été réduit à tenir un cabinet de lecture au coin de la rue Saint-Nicaise, il se vit bientôt « privé de ressources, las d'espérances déçues, versifiant sans but et sans encouragement, sans instruction et sans conseil. »
Alors il eut l'idée de mettre sous enveloppe ses poésies et de les adresser à Lucien Bonaparte, qui, devenu le protecteur de Béranger, l'aida de ses conseils et de son appui; en 1809, il fut attaché au secrétariat de l'Université. Il resta douze ans dans ce modeste emploi, dont les appointements ne s'élevèrent jamais au-delà de 2.000 fr. Dès lors le plaisir qu'il éprouvait à formuler ses pensées en chansons l'éclaira sur sa véritable vocation et sur la nature particulière de son talent. Membre du Caveau, il y paya tout d'abord sa bienvenue par d'aimables fantaisies où perce déjà parfois l'allusion politique: témoin, la chanson du Roi d'Yvetot, parue sous l'Empire, et dont l'antithèse piquante essayait de faire la leçon au soldat couronné. « Admirateur enthousiaste du génie de l'Empereur, il ne s'aveugla pas, en effet, sur le despotisme toujours croissant de l'Empire » (Préface des chansons, 1833); témoin aussi le Sénateur, qui est de la même époque (1813). Mais les événements de 1814 vinrent réveiller chez le poète, qui commençait à être célèbre, la fibre patriotique. Pendant la campagne de France, sa muse entonna le cri de guerre :
Gai ! gai ! serrons nos rangs !
En avant, Gaulois et Francs!
puis, quand les défenseurs du sol eurent succombé sous le nombre, il osa, au Cadran Bleu, devant les aides de camp de l'empereur Alexandre, chansonner l'Anglomanie et lord Vilain-Ton. Ces refrains populaires eurent alors un très vif succès et contribuèrent à consoler la France des malheurs d'une double invasion. La censure littéraire ayant été rétablie par Louis XVIII, Béranger se moqua gaiement du roi, de la censure et des censeurs :
« Rats de caves littéraires. »
La censure, cependant, fut impuissante à empêcher de chanter dans les ateliers, les boutiques et les « guinguettes, » de fines satires comme Vieux habits, vieux galons (novembre 1814), où l'auteur passe eu revue les renégats de la République et de l'Empire.
Le gouvernement des Cent-jours offrit à Béranger un avancement qu'il refusa; puis vint la seconde Restauration : ce fut la plus belle époque de son talent. D'anciens privilèges revendiqués, de vieux usages mis en honneur, la religion au service de la politique, tout cela fut ridiculisé par Béranger avec une finesse qui n'excluait pas la force. A la face de la jeunesse dorée qui se pressait dans les salons des Tuileries, il jeta son Habit de cour, son Marquis de Carabas, Paillasse, la Marquise de Pretintaille, l'Enfant de bonne maison, en même temps qu'il flétrissait l'adulation servile dans la Sainte-Alliance barbaresque, le Juge de Charenton, etc.
Bientôt Béranger s'éleva jusqu'à l'ode : la Sainte-Alliance des peuples, le Vieux drapeau, les Adieux à la gloire, les Enfants de la France, poésies riches tour à tour de sentiments patriotiques et de pensées morales, excitèrent dans le peuple et dans la bourgeoisie un véritable enthousiasme; elles attirèrent aussi sur l'employé pamphlétaire les sévérités du pouvoir.
Le « libéralisme, » dont Béranger fut un des champions les plus populaires, suivait alors deux courants d'opinion, de principes contraires, mais unis dans un même esprit d'opposition au gouvernement : l'un remontait à l'Empire et personnifiait en lui la gloire nationale, l'autre, élargissant le cercle des libertés politiques, tendait à la Révolution et devait aboutir à la République. Béranger suivit cette double tendance en poète-citoyen. Destitué de sa modeste fonction, il fut, sur la dénonciation de Martainville, rédacteur en chef du Drapeau blanc, cité par le parquet devant la Cour d'assises de la Seine, comme prévenu d'outrage à la morale publique, aux bonnes moeurs, à la religion et à la personne du roi. Les fougueux réquisitoires de Marchangy firent plus d'impression sur le jury que le plaidoyer de Dupin aîné : le chansonnier fut condamné à trois mois de prison et 500 francs d'amende. A part la liberté qui lui était ravie, Béranger ne fut pas trop malheureux sous les verrous de Sainte-Pélagie, où il ne perdit rien de sa gaieté.
Avant sa condamnation il composa la Muse en fuite ou Ma première Visite au Palais de justice; après, il écrivit la Liberté, l'Agent provocateur, Mon Carnaval, etc. Sorti de prison, il put donner un libre cours à sa verve, et reprendre ses chansons. Mais la pièce des Révérends Pères:
Moitié renards, moitié loups,
Dont la règle est un mystère,
avait allumé contre lui l'implacable haine de ce qu'on appelait alors le « parti-prêtre » : les Chantres de paroisse, les Missionnaires, la Messe du Saint-Esprit mirent le comble à l'exaspération des hommes du gouvernement. Poursuivi et condamné encore une fois, Béranger fut enfermé pour neuf mois à la Force; il avait à payer 10.000 francs d'amende, mais jamais il ne consentit à désarmer :
« Dans un vieux carquois où font brèche
Les coups de vos juges maudits,
Il me reste encore une flèche,
J'écris dessus: pour Charles X. »
On sait avec quel intérêt passionné l'opinion libérale suivait alors les débats du Parlement. Béranger ne manquait pas de mettre en chansons et en satires chacune des entreprises des ultras contre la liberté et contre la Charte. Tour à tour il raillait les nouvelles lois d'exception (mars 1820).
Amis, Il pleut, il pleut des lois,
L'air est malsain, j'en perds la voix.
et les prières de M. de Quélen, archevêque de Paris, à l'ouverture des Chambres:
Hier, monseigneur, le front ceint
De sa mitre épiscopale,
En ces mots à l'Esprit saint
Parlait dans la cathédrale:
« Tant de bons nobles devenus
Députés du peuple, au peuple inconnus,
Dans notre Chambre septennale,
N'ont que tes clartés pour guider leurs pas.
Saint-esprit, descends, descends jusqu'au bas!
-- Non, dit Esprit saint, je ne descends pas. »
et la guerre d'Espagne, votée par les Chambres en 1823 :
Nous allons tirer de peine,
Des moin's blancs, noirs et roux
Dont on prendra d'la graine
Pour en r'planter chez nous.
La politique cependant le tentait peu, et il avait des jours de découragement; retiré à Péronne en 1828, pour s'y reposer, il écrivait le 28 mai à Madame Cauchois-Lemaire : « Il en est de mes chansons comme des beaux discours de nos orateurs, on doit en être las. Je le suis furieusement du bavardage parlementaire ; il me vient ici l'idée de renoncer à Paris et d'aller vivre au fond de quelque province. Ce ne sera pourtant pas en Picardie. »
La Révolution de 1830 fut au début le triomphe des idées et des voeux de Béranger, qui rêvait la République; mais, dès le 31 juillet, il était désabusé et écrivait à un ami : « Je ne suis pas orléaniste; je ne veux pas être en désaccord avec ceux que j'aime et que j'estime et je n'ai pas l'ambition de les diriger; je vais partir pour la campagne. »
Aussi, en dépit des avances qui lui furent faites, se tint-il constamment en dehors du pouvoir :
Non, mes amis, non, je ne veux rien être.
Sa sympathie revint par la suite au gouvernement de Louis-Philippe et le 19 août 1838, il écrivait même à un ami: « Quoique républicain, j'ai poussé tant que j'ai pu au duc d'Orléans ; » mais s'apercevant
...Qu'on rebadigeonne
Un trône noirci,
il reprit la plume, se montra républicain dans le Conseil aux Belges, et inaccessible à toute faveur, surtout secrète, dans le Refus adressé au général Sebastiani :
Pourquoi pensionner
Ma muse indépendante et vraie ?
Je suis un sou de bon aloi;
Mais en secret argentez-moi,
Et me voilà fausse monnaie.
Jacques, le Vieux Vagabond, la Pauvre femme, les Fous, la Prédiction de Nostradamus, etc., eurent une haute portée politique et sociale. Pourtant, il s'abstint de faire à la royauté de 1830 la guerre d'épigrammes dont il avait poursuivi la Restauration; il vécut retiré à Passy, loin du bruit des affaires, et il songeait, a-t-il dit lui-même, à la publication d'un Dictionnaire historique des contemporains, quand l'avènement de la République de 1848 apporta encore au poète une recrudescence de popularité.
Elu, le 23 avril 1848, représentant du peuple de la Seine à l'Assemblée constituante, le 8e sur 34 (immédiatement après les membres du gouvernement provisoire), par 204,271 voix (267,888 votants, 399,191 inscrits), il accepta d'abord le mandat parlementaire et vint s'asseoir à la Montagne : il avait pour voisins Lamennais et Félix Pyat ; mais « dès qu'il eût pu apprécier, a écrit M. Arthur Arnould (Béranger, ses amis et ses ennemis), les hommes qui remplissaient l'Assemblée et l'esprit qui la dominait, et quelle scission profonde s'opérait entre Paris révolutionnaire et les députés des départements, dès qu'il comprit que la guerre civile, devenue chaque jour plus imminente, allait éclater, » il jugea la partie perdue et voulut se retirer. Une première lettre de démission fut envoyée par lui, le 8 mai, au président ; à l'unanimité la démission fut repoussée par l'Assemblée. Huit jours après, le représentant malgré lui revint à la charge et écrivit à M. Buchez:
« Citoyen président,
« Si quelque chose pouvait mettre en oubli mon âge, ma santé et mon incapacité législative, ce serait la lettre que vous avez eu l'obligeance de m'écrire, et par laquelle vous m'annoncez que l'Assemblée nationale a honoré ma démission d'un refus... Heureux d'avoir été l'occasion de cet exemple encourageant, je viens de nouveau supplier à mains jointes l'Assemblée nationale de ne pas m'arracher à l'obscurité de la vie privée.
« Ce n'est pas le voeu d'un philosophe, encore moins d'un sage, c'est le voeu d'un rimeur qui croirait se survivre s'il perdait, au milieu du bruit des affaires, l'indépendance de l'âme, seul bien qu'il ait jamais ambitionné.
« Pour la première fois je demande quelque chose à mon pays; que ses dignes représentants ne repoussent donc pas la prière que je leur adresse en réitérant ma démission et qu'ils veuillent bien pardonner aux faiblesses d'un vieillard qui ne peut se dissimuler de quel honneur il se prive en se séparant d'eux.
« En vous chargeant de présenter mes très humbles excuses à l'Assemblée, recevez, citoyen président, l'hommage de mon respectueux dévouement.
« Salut et fraternité.
« BÉRANGER. »
La démission de Béranger fut acceptée au début de la séance orageuse du 15 mai. Cette démission a été depuis, de la part de certains détracteurs de Béranger, l'objet de critiques assez vives : pourtant la plupart des personnages les plus marquants comme les plus avancés du parti démocratique ne lui en gardèrent pas rancune. Béranger passa les dernières années de sa vie dans la retraite, à Passy, à Fontainebleau, à Tours, dans le paisible quartier Beaujon, à Paris, enfin dans un modeste logement du Marais, où il mourut.
On a dit que Béranger, en popularisant le nom de Napoléon, avait contribué, plus que personne, au mouvement qui porta Louis-Napoléon à la présidence de la République; Béranger s'en est défendu, au moins comme intention, dans mainte conversation particulière avec des amis ou des étrangers. Très diversement appréciée, la carrière littéraire de Béranger et les tendances politiques de son oeuvre ont rencontré une malveillance marquée chez MM. de Pontmartin, Louis Veuillot, Renan, Alexandre Vinet, Athanase Coquerel, Proudhon et Eugène Pelletan, dont le pamphlet célèbre, Une Etoile filante, fit un certain bruit en 1860. Par contre, on peut citer parmi les admirateurs fidèles de Béranger : Lamartine, Louis Blanc, Félix Pyat, George Sand, Laurent Pichat, Alexandre Dumas et Michelet.
Le gouvernement impérial voulut se charger des funérailles de Beranger; il leur donna ainsi un caractère officiel qui prévint toute manifestation démocratique.