Table ronde "L'avenir du Fabriqué en France"

8 décembre 2021

Groupe d’études « Attractivité de la France : export, investissement, compétitivité »

Réunion du 8 décembre 2021

« L’avenir du « fabriqué en France » : état des lieux et perspectives des producteurs internationaux de grandes marques industrielles.

 

Le groupe d’études « Attractivité de la France : export, investissement, compétitivité » s’est réuni le mercredi 8 décembre 2021, sous la présidence de Madame Marie Lebec, députée des Yvelines, en présence de :

  • M. Richard Panquiault, directeur général de ILEC-La Voix des marques ;
  • M. François Gay Bellile, président-directeur général de Coca-Cola Europacific Partners France ;
  • M. Pascal Gilet, président de Heineken France ;
  • M. Richard Joaristi, directeur général France de SEB ;
  • M. Arnaud Lafleur, vice-président biens de consommation France et Italie de Essity ;
  • M. Nicolas Liabeuf, président France et vice-président Europe de l’ouest d’Unilever ;
  • M. Olivier Mercier, directeur général de Britvic BTI ;
  • Mme Béatrice de Noray, directrice générale de BEL France.

Étaient également présents :

  • M. Bruno Bonnell, député du Rhône ;
  • M. François Cornut-Gentille, député de Haute-Marne ;
  • M. Guillaume Garot, député de Mayenne ;
  • Mme Nicole Le Peih, députée du Morbihan ;
  • Mme Cendra Motin, députée de l’Isère ;
  • M. Mickaël Nogal, député de Haute-Garonne ;
  • Mme Anne-Laurence Petel, députée des Bouches-du-Rhône ;
  • M. Jean-Pierre Pont, député du Pas-de-Calais.

 

Madame Marie Lebec, présidente du groupe d’études, députée des Yvelines, a introduit la réunion en en présentant les objectifs : faire, en fin de mandat, le bilan de cinq années d’actions engagées du point de vue des entreprises, de manière à ce qu’elles témoignent de ce qui a évolué et des travaux qui restent à poursuivre. Il s’agit de confronter les points de vue sur les réformes mises en œuvre, autour de trois axes : les enjeux fiscaux et sociaux ; les enjeux de transition écologique ; les enjeux liés au marché français.

Madame Marie Lebec a rappelé le contexte dans lequel se tenait la réunion : depuis 2017, une politique forte en faveur de l’attractivité du pays a été engagée, permettant à la France de passer de la troisième place européenne en matière d’attractivité des investissements étrangers à la première place en 2018. Un travail important a été réalisé pour se maintenir à cette place depuis lors, et ce malgré la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19, qui a freiné pour partie les investissements étrangers et nationaux. La ligne politique a, de manière stable, été celle d’une démarche favorable aux entreprises, « business-friendly », au travers d’une volonté de s’aligner sur les partenaires européens en matière de fiscalité et de simplifier les démarches, notamment d’implantation des sites industriels ou de protection des brevets. En témoignent, par exemple, les lois dites « PACTE » (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) et « ASAP » (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique).

Au cours de la crise, des mesures ont été prises pour protéger à la fois les entreprises et les emplois, au travers de divers dispositifs d’accompagnement, puis du plan de relance. Le sentiment est partagé que ce plan de relance traduit une dynamique positive, qu’il est clair et s’adresse effectivement aux entreprises industrielles, avec un véritable effet sur leurs décisions d’implantation et d’investissement. En outre, le plan de relance contient également des éléments nouveaux, relatifs notamment à l’accélération de la digitalisation et de la robotisation. Il peut enfin être noté que le plan d’investissement « France 2030 » contient également une ambition, dont il conviendra de voir comment les entreprises s’en saisissent.

Cette trajectoire a payé : des entreprises étrangères ont fait le choix de s’implanter en France. Certaines entreprises nationales ont décidé de relocaliser certaines de leurs activités. La question de la souveraineté s’est manifesté avec plus d’acuité et a rappelé l’importance de conserver ou de faire venir des compétences et des savoir-faire en France. À l’issue de cinq années, les résultats montrent que la politique engagée a permis de repositionner la France au niveau européen. 70 % des chefs d’entreprises étrangers indiquent que l’image de la France s’est améliorée et qu’ils ont le souhait d’investir en France. C’est cette dynamique qu’il convient de maintenir, notamment par le travail et le dialogue de ce jour.

M. Richard Panquiault, directeur général de ILEC-La Voix des marques a présenté l’association, qui représente 90 entreprises pour un chiffre d’affaires global de 76 milliards d’euros, dont 42 milliards d’euros vendus dans les grandes surfaces, lui conférant une représentativité considérable sur les produits de grande consommation.

M. Panquiault a indiqué que, depuis plusieurs années, le principal sujet de préoccupation était celui de l’attractivité de la France, à concevoir sous l’angle de la concurrence avec les autres États. En effet, la rentabilité des filiales françaises est un problème majeur, la France restant dilutive de rentabilité au niveau européen et mondial malgré les actions entreprises. Cette rentabilité des filiales françaises est d’autant plus forte qu’elles exportent beaucoup. M. Panquiault a évoqué « l’éléphant dans la pièce » que constituent, à ce sujet, les relations commerciales entre producteurs et distributeurs, faites de rapports de force. Ainsi, sur les neuf dernières années, une déflation est enregistrée, les industriels vendant moins chers leurs produits à la distribution, malgré des augmentations de salaires. Ceci représenterait une perte de 2,5 milliards d’euros de valeur sur les cinq dernières années. Les enjeux de politique sociale et fiscale, de même que ceux de la transition énergétique, ne sont pas non plus étrangers à cette question de l’attractivité de la France.

M. Olivier Mercier, directeur général de Britvic BTI a présenté son entreprise, groupe international côté à la bourse de Londres, réalisant 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 200 millions d’euros en France, employant 300 salariés, et détenant notamment les marques Teisseire, Pressade ou encore Fruitshoot. M. Olivier Mercier a souhaité commencer par saluer le travail des parlementaires pour aller à l’encontre des pratiques illicites des distributeurs, lesquelles menacent la pérennité des entreprises.

S’agissant des relations commerciales, il a rappelé le contexte de déflation depuis neuf ans, avec un transfert des marges des producteurs vers la marge des distributeurs, et ce malgré les efforts d’innovation, d’investissement dans la recherche et développement, et d’amélioration de la performance des produits. Ceci conduit à devoir faire des choix, pouvant aller jusqu’à la fermeture d’un site industriel et des licenciements. Si la France a un véritable savoir-faire, elle reste l’un des pays les moins rentables, par comparaison, par exemple, avec le Royaume-Uni : un euro investi en France rapporterait ainsi trois fois moins qu’un euro investi au Royaume-Uni. Or il existe un véritable besoin d’investissement en France, où les opportunités peuvent être nombreuses.

Mme Béatrice de Noray, directrice générale de BEL France a présenté son entreprise, entreprise familiale – la cinquième génération étant à sa tête – détentrice de marques iconiques comme Vache qui Rit, Boursin, Materne Mont-Blanc, Pom’potes, Babibel. Alors que le groupe est aujourd’hui côté, il va sortir de la cotation, ce qui rendra les investissements plus difficiles. L’entreprise fait part d’une véritable volonté d’investir en France pour exporter à l’étranger. 99,5 % des produits vendus en France sont produits en France : l’ancrage local est très fort. L’entreprise a également pour ambition de travailler sur le modèle économique, pour promouvoir une agriculture saine et durable, comme en témoignent notamment les accords de revalorisation qui ont été conclus pour l’achat du lait.

De manière générale, il existe une volonté d’être en avance de phase sur les textes législatifs notamment les lois dites « Egalim I » (loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) et « Egalim II » (loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs). Cependant, ces textes ont tout de même aidé à assoir le discours de la revalorisation du revenu agricole, sur lequel tout le monde s’accordait en théorie, mais pour lequel les comportements observés en négociation pouvaient s’en éloigner. « Egalim » a ainsi permis de donner le bon cap.

L’encadrement des promotions prévu par Egalim I est une bonne mesure : si les promotions sont nécessaires pour assurer la visibilité des marques, elles sont aussi une grande source de perte de valeur. Or une alimentation saine et durable doit avoir une certaine valeur. Egalim II doit permettre d’aller plus loin et d’encadrer encore certaines pratiques d’un rapport de force complexe : il faut réussir à recréer un modèle vertueux, notamment au niveau agroalimentaire, dans un contexte de forte tension sur les coûts.

M. Richard Panquiault a précisé qu’avec les lois « Egalim », les produits de grande consommation n’ont plus un corpus législatif uniforme : il y a désormais une spécificité des produits agroalimentaires.

M. Nicolas Liabeuf, président France et vice-président Europe de l’ouest d’Unilever a rappelé que son groupe, anglo-néerlandais, réalisant un chiffre d’affaires de 50 milliards d’euros et employant 150 000 personnes dans le monde, avait placé la croissance durable au cœur de sa stratégie depuis sa fondation, avec l’élaboration notamment de produits d’hygiène destinés à réduire la mortalité infantile. Le groupe réalise 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, emploie 2000 personnes et a un taux de pénétration de 98 % sur des produits tels que des produits alimentaires, des produits d’entretien, des glaces ou des produits d’hygiène et de beauté. Il est leader sur le marché pour près de 80 % de son chiffre d’affaires.

M. Nicolas Liabeuf a estimé que les cinq dernières années avaient permis d’accroître l’attractivité de la France, grâce aux actions sur les impôts de production, les impôts sur les sociétés, la protection des emplois et des entreprises : de manière générale, la marche des affaires est favorisée et plus attractive. Mais la déflation reste un enjeu majeur, et ce d’autant plus que 80 % du chiffre d’affaires de l’entreprise est entre les mains de quatre centrales d’achats.

Alors que la France était à l’initiative des lessives concentrées, des déodorants compressés, des tubes de dentifrice recyclables ou encore des actifs de lessive à base végétale, ces projets ne sont plus initiés par la France, qui n’est plus que 7ème dans le monde pour Unilever, s’agissant de la croissance durable.

Même si 50 % du chiffre d’affaires reste produit en France (jusqu’à 65 % pour la partie alimentaire), la déflation représente un nombre de millions d’euros « à trois chiffres ». Alors que le groupe comptait 6 usines il y a quelques années, elles ne sont plus que trois aujourd’hui, car il faut constamment trouver des efficiences, pour soutenir les marques, tout en offrant une rentabilité pour leurs produits.

Malgré les lois Egalim I et II, la France reste dilutive en termes de rentabilité et la déflation se poursuit. Les promotions sont certes encadrées sur les produits alimentaires, mais elles se sont accélérées sur les produits non-alimentaires : les demandes de baisse en entrée de négociations peuvent aller jusqu’à -4 %, nécessitant de rechercher une profitabilité supplémentaire dans le compte d’exploitation. Plus de 40 % des volumes sont vendus sous promotion, avec des réductions allant jusqu’à 90 % du prix de vente. La perte de valeur est considérable, d’autant plus que les volumes sont également en baisse : ceci ne dynamise donc pas les marchés.

Cette recherche permanente d’efficience dans les compte d’exploitation se répercute sur les sources d’approvisionnement, sur les sites d’exploitation : aujourd’hui, le groupe se bat pour conserver trois usines et y faire rentrer du volume. Ce combat ne peut plus durer.

M. Arnaud Lafleur, vice-président biens de consommation France et Italie de Essity a rappelé que son groupe, suédois, réalise 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial. Présent en France depuis 1965, il y réalise un milliard d’euros de chiffre d’affaires et y emploie 2500 personnes dans 8 sites et 6 usines, autour des marques Lotus, Nana, Tena et Lotus bébé. Le centre recherche et développement mondial se situe en Alsace.

M. Arnaud Lafleur a partagé l’opinion selon laquelle la France est un marché dilutif, par comparaison avec les autres marchés européens et certains marchés émergents. La compétition s’exerce particulièrement avec des marchés comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, où la pression économique est moins importante. La France subit de plein fouet la déflation depuis neuf ans, d’autant plus qu’un effet de bord des lois Egalim I et II peut être constaté : alors que les promotions sont encadrées sur les produits alimentaires, la distribution les reporte sur les produits non-alimentaires, pour lesquels les demandes de promotion ont explosé ce qui, combiné à la déflation, met l’entreprise sous forte pression.

L’ensemble des mesures incitatives développées par le Gouvernement sont appréciées mais, si le marché est encore attractif pour les dirigeants étrangers – parce qu’il y a un bassin de population de 60 millions d’habitants et des prix assez élevés – les perspectives d’avenir sont sombres en particulier par rapport à d’autres États. En outre, pour pouvoir rester dans la course, les entreprises doivent faire des coupes sur les investissements dans les sites industriels, la recherche et développement, les différents coûts de structure, les emplois, etc. A minima, étendre l’encadrement des promotions aux produits non-alimentaires donnerait un peu d’air. De ce point de vue, la loi actuelle doit évoluer sinon les Groupes internationaux porteurs d’investissements et d’emplois se tourneront vers d’autres pays plus favorables.

Mme Nicole Le Peih, députée du Morbihan, a indiqué qu’en arrivant comme députée en 2017, elle s’était étonnée de constater que l’agriculture et les producteurs n’étaient pas reconnus, les coûts de production non valorisés. Elle avait alors déposé un amendement à la loi Egalim I interdisant l’utilisation du mot « gratuit » pour les produits alimentaires vendus dans les grandes et moyennes surfaces, estimant que ce mot était un leurre : rien n’est gratuit, chaque produit a un coût de production qui doit être reconnu. Mme Le Peih a indiqué qu’il fallait repartir des producteurs, des agriculteurs, pour établir un prix fixe qui n’admet ensuite plus de variations, avant d’entamer les négociations avec les industriels puis les grandes et moyennes surfaces. Egalim II est allé dans ce sens, pour sauver la production, mais aussi l’industrie agro-alimentaire, et garantir pleinement l’autonomie alimentaire, la traçabilité et la sécurité alimentaire que les Français réclament.

Mme Cendra Motin, députée de l’Isère, a remercié les députés pour leurs retours sur les lois Egalim I et II, qui donnent un peu d’espoir pour la conduite des négociations agraolimentaires à venir. S’agissant du rayon « DHP » (droguerie, parfumerie, hygiène), les effets de bord avaient été pressentis, mais une autre inquiétude existait alors : celle de la vente sur internet, à prix bradés, de produits d’hygiène et de beauté, d’où l’instauration de dispositions fiscales dans la loi de finances pour 2020, faisant obligation aux plateformes de vente de collecter la TVA, en particulier pour les produits vendus depuis un pays européen vers la France. Cela devrait renchérir les produits et rendre la concurrence un peu moins déloyale.

M. Nicolas Liabeuf a indiqué que la part du volume vendu sur les plateformes était faible, mais servait tout de même d’indicateur aux grands acteurs pour fixer les prix. Si ces plateformes sont peu approvisionnées par les pays étrangers, elles le sont par des produits destinés à des marchés non-européens, produits selon des normes différentes et vendus à prix cassés. La véritable urgence est l’encadrement des promotions sur les produits non-alimentaires.

M. Bruno Bonnell, député du Rhône a estimé que, dès lors que l’on faisait un pas en avant pour un secteur, on observait des effets de report sur un autre secteur. Il a indiqué que la France était prisonnière entre, d’une part, une population qui cherche à améliorer sa capacité d’achat, en l’associant à sa qualité de vie (au détriment de produits non conformes, voire dangereux) et, d’autre part, une logique économique qui doit changer, la logique de maximisation. Il a estimé que l’on avait trop conditionné les acteurs économiques à réfléchir en termes de croissance absolue, et non en termes de croissance optimisée. La réflexion à avoir est la suivante : est-ce que l’objectif est de continuer à faire du volume, à quel prix ?

Il a souligné que les entreprises présentes autour de la table représentaient une force de mouvement collectif, sur laquelle il est possible de s’appuyer pour faire évoluer les mentalités et démontrer que la solution n’est pas dans l’hypercroissance systématique. La formation des acheteurs doit, à ce titre, évoluer, pour ne pas être centrée sur la maximisation de la croissance, mâtinée de greenwashing.

M. François Gay Bellile, président-directeur général de Coca-Cola Europacific Partners France, a mentionné que la France était le pays où les relations entre l’industrie et le commerce étaient les plus dégradées, y compris en comparaison avec la Chine et les États-Unis, où les industriels sont maîtres de leurs tarifs. La tendance de la France à régler une situation par l’adoption d’une loi l’expose à des contournements, des effets de bord. Il faudrait davantage faire confiance aux acteurs économiques.

M. Nicolas Liabeuf a indiqué que le premier vecteur de croissance en volume était la croissance de la population or, en France, celle-ci est faible : les industriels attendent donc peu de croissance en volume, mais justement de la valorisation, passant par des produits meilleurs pour la santé et l’environnement. Cela demande des efforts de recherche et développement et d’innovation, des investissements, qui requièrent eux-mêmes de la croissance en volume pour être financés : cette croissance en volume n’est pas recherchée pour elle-même mais pour ce qu’elle permet de financer. Il faut mettre fin à la destruction de valeur, qui rend impossible d’investir suffisamment pour mettre en place la transition que tout le monde souhaite.

M. Richard Panquiault l’a confirmé : la course au volume n’existe plus vraiment. Au contraire, chacun recherche la valorisation pour vendre moins, mais mieux et plus cher : c’est une tendance transversale dans l’industrie. M. Panquiault a remercié les législateurs en indiquant que, si la situation n’est pas encore satisfaisante, elle n’en est pas moins meilleure qu’il y a quatre ou cinq ans. Les lois Egalim I et Egalim II sont bonnes – notamment en termes de construction du tarif – et produiront des résultats, pour peu qu’elles soient effectivement appliquées par les parties. Ces résultats pourront ensuite être consolidés et étendus à d’autres secteurs.

M. Pascal Gilet, président de Heineken France, a rappelé que la marque néerlandaise avait des positions en France depuis cinquante ans, dont témoignent aujourd’hui 5 brasseries, 72 dépôts France boissons, 2800 emplois directs et 30 000 emplois indirects.

300 millions d’euros ont été investis en 10 ans, avec une volonté de promouvoir le « fabriqué en France ». 92 % des volumes produits en France sont consommés en France. Aussi, la croissance n’est pas recherchée pour maximiser le profit, mais pour donner une pérennité à l’emploi, à l’entreprise. À l’heure où les matières premières sont en forte inflation, il faut défendre les emplois et garantir que l’ensemble de la chaîne soit rémunéré, pour permettre un investissement pour l’avenir.

M. François Gay Bellile, président-directeur général de Coca-Cola Europacific Partners France a présenté l’entreprise, franchisée de la compagnie Coca-Cola en France, détentrice des marques Coca, Fanta ou FuseTea, fabriquées et diffusées en France. L’entreprise emploie 2500 personnes en France, dont 50 % dans ses cinq usines, et réalise 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires (en baisse en raison du contexte de la crise sanitaire).

Pour M. Gay Bellile, le principal enjeu est celui de la transition environnementale : il faut pouvoir délivrer l’engagement d’être « net 0 » en carbone, sur toute la chaîne (scopes 1, 2 et 3). Si, aujourd’hui, 50 % de l’empreinte carbone vient des emballages, l’évolution vertueuse en ce domaine est rendue plus complexe en raison d’injonctions contradictoires. Ainsi, la loi dite « AGEC » (loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire) demande à la fois d’utiliser des matières recyclées et, dans le même temps, d’arrêter l’utilisation de tout plastique (y compris recyclé) d’ici 2040. La question se pose alors d’investir ou non dans le plastique recyclé et l’installation d’une ligne d’embouteillage spécifique, si celle-ci doit cesser de fonctionner en 2040.

M. Gay Bellile a recommandé d’envisager une nouvelle catégorie d’emballage, l’emballage dit « circulaire », qui réduirait l’empreinte carbone. Cette mesure, facile et lisible, pourrait faire de la France une terre d’excellence à cet égard, alors que le plastique recyclé, aujourd’hui, provient majoritairement d’États étrangers.

Ceci requiert une visibilité sur le long terme, pour ne pas revenir sur ce qui a été engagé, y compris au cours de la prochaine législature. Dans le même temps, il ne faut pas faire d’excès de zèle en surtransposant des textes européens, car cela crée des distorsions de concurrence avec les autres pays européens. Enfin, il faut pousser à la consigne pour recyclage, qui existe dans beaucoup de pays et a permis de faire des sauts de performance en termes de collecte (jusqu’à 95 % de recyclage dans certains pays). Ceci figure dans la loi AGEC – de manière conditionnelle, si l’on n’arrive pas à améliorer les performances en matière de plastique à usage unique à horizon 2023 – mais il ne faut pas repousser la décision.

M. Richard Panquiault a précisé que ceci requerrait d’embarquer la grande distribution dans la démarche.

M. Richard Joaristi, directeur général France de SEB a félicité les législateurs pour la loi AGEC, qui est en phase avec les valeurs du groupe et avec son origine même, liée à un marchand ambulant qui étamait du fer. Le groupe dispose aujourd’hui de 11 sites en France et emploie 6000 salariés dans ses différentes marques françaises (Moulinex, Calor, Tefal) et internationales produites en France et vendues dans le monde. Il importe aujourd’hui de s’adresser au consommateur mondial avec des produits français créant des emplois en production mais aussi en innovation et en développement produit, l’innovation bénéficiant d’ailleurs à l’image de la marque et du produit. La compétitivité de la France est possible (elle a été observée pour certains produits, par rapport aux produits locaux, par exemple au Mexique, en raison de leur solidité et de leur durée de vie) mais passe par l’innovation vers des produits durables. Il y a, également, des démarches vertueuses, comme la disponibilité des pièces détachées passée à 15 ans, avec des stocks de pièces en France pour les consommateurs. Il y a enfin, s’agissant du groupe SEB, une possibilité de croissance des volumes car tous les foyers ne sont pas encore touchés.

Mais la loi AGEC comporte des injonctions contradictoires et des à-coups problématiques pour les industriels, s’agissant par exemple de l’étiquetage avec le logo « triman » qui s’impose aux produits vendus en France mais non aux produits exportés, alors même qu’ils sont produits sur le même site de production. Il ne faut pas que les mesures prises pour protéger l’environnement – que le groupe soutient – soient prises au détriment des industriels. Il faut aussi prendre en compte le temps de l’industrie : il n’est pas possible de changer des emballages, des lignes de production, dès janvier 2022 alors même que le décret d’application de la loi n’est pas encore publié.

Au-delà de l’innovation pour la seule entreprise, il faut envisager le développement de filières françaises plus larges, par exemple de batteries : les entreprises ont besoin d’être proches de fournisseurs compétents qui pourront aider à maintenir la compétitivité de l’industrie. Ceci nécessite de former des jeunes aux métiers de pilotage, de maintenance de robotique pour lesquels la France est aujourd’hui en pénurie.

Mme Anne-Laurence Petel, députée des Bouches-du-Rhône a rappelé qu’à l’Assemblée nationale, deux commissions travaillent sur ces sujets : la commission des affaires économiques et la commission du développement durable, avec, parfois, des divergences de point de vue. Madame Anne-Laurence Petel a interrogé Monsieur François Gay Bellile sur l’existence d’une pertinence relative plus grande du recyclage par rapport à la consigne. Elle a également interrogé M. Richard Joaristi que l’utilisation de pièces imprimées en 3D, s’agissant notamment des pièces détachées de rechange.

M. Richard Joaristi a indiqué que le groupe imprimait déjà des pièces détachées en 3D, pour les matériaux et produits qui le permettent : cela permet d’avoir rapidement une pièce nécessaire pour un produit, pour lequel il ne serait cependant pas viable de maintenir un stock physique. Mais il faut, pour cela, pouvoir nourrir la filière en termes de compétences.

M. Pascal Gilet a indiqué qu’il ne fallait pas opposer consigne et recyclage, mais élargir les filières. Si le verre est aujourd’hui bien collecté, il faut réfléchir à la collecte du plastique et à celle de l’aluminium. La consigne peut avoir deux objectifs :

  • avoir accès à la matière : collecte des bouteilles de plastique pour pouvoir les recycler ;
  • permettre le réemploi, notamment des emballages.

Cet objectif de réemploi est assuré aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore en Belgique, et est vertueux d’un point de vue local et environnemental. Mais cela a de fortes implications logistiques et industrielles. Il faut, notamment, des points de collecte et de réemploi proches les uns des autres, pour ne pas perdre l’intérêt de la démarche en termes de réduction de l’empreinte carbone. Ceci affecte aussi fortement les collectivités territoriales. C’est donc en partie pour cela que les industriels ont besoin de visibilité et d’engagements sur des temps longs, car les effets sur la chaîne de valeur sont importants.

Madame Béatrice de Noray a précisé qu’il fallait, aujourd’hui, réfléchir aux matériaux, pour déterminer ceux qui peuvent être réemployés. S’agissant du problème de la déflation, elle a indiqué qu’il s’agissait d’un problème structurel qui requiert d’être géré collectivement, selon les différentes temporalités : le temps politique n’est pas le même que le temps de l’investissement ni que celui de l’urgence climatique : l’investissement n’est pas un problème en lui-même, mais il doit être réalisé de manière structurée, sans que cela ne soit au détriment des entreprises ni du pouvoir d’achat des consommateurs, mais sans non plus se donner vingt ans pour le faire. Il faut trouver la bonne trajectoire pour prendre des engagements ambitieux mais tenables.

M. Bruno Bonnell a indiqué que les entreprises étaient en avance par rapport au politique et travaillaient depuis plus de quinze ans, par exemple, à la question des emballages et à l’amélioration de la trajectoire environnementale. Il y a effectivement besoin de faire dialoguer la commission des affaires économiques et la commission du développement durable, qui ont des positionnements très différents, pour des raisons de fond, mais aussi pour des raisons politiques et tactiques. Il faut inventer une nouvelle forme de lobby, permettant de faire comprendre que le politique a son rythme, et que la stabilité économique est une des clés de choix de toute mandature qui devra être élue à l’avenir

Le plan France 2030 prévoit 2,5 milliards d’euros pour la formation des nouveaux talents ; Bpifrance fait un important travail pour l’investissement à long terme : il y a des outils de financements puissants en France. Mais il faut retenir que le monde économique est constitué de bateaux à moteur, avec des équipages (les employés), un cap (la vision de l’entreprise) et de l’essence (l’investissement) ; tandis que le monde politique est un bateau à voile, qui dépend des courants, des vents contraires, mais doit maintenir le cap.

Madame Marie Lebec a également souligné que s’agissant de la transition écologique, la scission entre la commission du développement durable et la commission des affaires économiques donne l’impression d’une confrontation des points de vue. Or, dans l’élaboration de la loi dite « climat-résilience » (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets), le message qui a été délivré était le suivant : il est nécessaire d’avancer dans la transition écologique, avec des échéances ambitieuses et raisonnables. Un véritable travail sur le calendrier de mise en place des obligations pour les entreprises a été entrepris.

M. François Gay Bellile a précisé que, s’agissant de la transition énergétique, il était difficile d’aligner tous les acteurs sur un même objectif, à l’exception de celui de la réduction du carbone : ceci, en effet, constitue une urgence bien connue, est facilement mesurable, et peut être mis en œuvre de différentes manières par chaque entreprise. Il est souhaitable de transmettre un message clair sur l’objectif de réduction du carbone.

M. Nicolas Liabeuf a indiqué que la maison mère du groupe Unilever voyait d’un bon œil l’évolution de la fiscalité sur la production et les sociétés mais se demandait si cela allait durer. Pour en revenir à l’aspect social, il a indiqué qu’après avoir dû fermer un site aux deux tiers vide, non compétitifs, avec 251 personnes concernées, les différents intervenants avaient été des facilitateurs : 600 offres d’emploi ont été collectées localement et 90 personnes ont retrouvé un emploi depuis le mois d’août. 60 % des volumes du site restent produits en France chez des partenaires ou d’autres sites de la marque.

Ceci donne un bon signal au groupe : il est plus difficile d’investir lorsqu’il est craint qu’il ne soit impossible ou excessivement cher de fermer un site.

S’agissant des recrutements et de la formation, deux pôles de besoins se font sentir : 

  • la digitalisation et le e-commerce : les ventes en e-commerce connaissent une croissance à deux chiffres mais l’offre de talents sur le marché est trop faible pour accompagner cette tendance ;
  • l’apprentissage sur les sites industriels : il faut repenser et accélérer l’apprentissage pour des emplois d’opérateurs de lignes automatisées, parfois pilotées à distance, en formant au pilotage de robots, à l’utilisation d’outils informatiques, à la maintenance informatique ou électromécanique.

M. Arnaud Lafleur a estimé qu’il y avait un vrai besoin de créer un écosystème interdépendant entre les acteurs socio-économiques du marché : entreprises, écoles, syndicats, etc. Un travail doit encore être fourni, même si le dialogue est plus serein.

M. Olivier Mercier a estimé qu’un grand pas en avant avait été réalisé durant le quinquennat, notamment au travers de la mise en place du comité social et économique (CSE), mais précisé que les dirigeants internationaux évoquent toujours des craintes quant au climat social et à la difficulté des partenaires sociaux à accepter des changements. Il a mentionné l’existence d’un contre-pouvoir extrêmement fort, aux mains de personnes ne comprenant pas toujours les enjeux à long terme de l’entreprise.

Madame Marie Lebec a rappelé que la crise des gilets jaunes avait soulevé beaucoup d’inquiétudes quant aux effets sur les investisseurs et à leur volonté de continuer à investir en France, dans un contexte de tensions sociales. Cependant, la stabilité du discours du Président de la République les a finalement rassurés.

Le défi d’aujourd’hui est celui de l’emploi et de la formation de la main d’œuvre. Certes, il y a toujours eu des métiers en tension, mais beaucoup d’entreprises ont aujourd’hui des postes non pourvus, correspondant à des compétences très spécifiques. La diminution de la courbe du chômage, qui est une bonne nouvelle, devrait renforcer cette situation de tension sur ces postes et donner un pouvoir de négociation aux salariés. Or cette main d’œuvre qualifiée est une condition à l’investissement et à la conquête de nouveaux marchés.

M. François Gay Bellile a indiqué que les entreprises n’auraient aucune difficulté à augmenter la rémunération des salariés, dès lors qu’elles parviendront à reprendre de la marge à la distribution.

M. Bruno Bonnell a rappelé l’existence du plan d’investissement dans les compétences (PIC) ainsi que du plan « France 2030 », qui sont l’occasion de monter des projets avec les entreprises. Il a évoqué la nécessité d’accélérer les formations, en réduisant par exemple d’une année la formation de base pour devenir manager ou technicien, mais en confrontant l’étudiant « au réel » et en l’immergeant en entreprise une année plus tôt. La formation initiale pourrait ensuite être complétée par une formation tout au long de la vie. Il a présenté l’exemple d’entreprises, notamment aux États-Unis, qui développent leurs propres écoles pour former aux compétences dont elles ont besoin. Ces nouvelles modalités de formation ne peuvent pas être pensées sans les entreprises et doivent intégrer les questions de l’apprentissage et du tutorat par des salariés en fin de carrière.

S’agissant des salaires, il conviendra de distribuer justement les profits qui seront dégagés grâce à l’innovation et à l’automatisation, par une augmentation de la rémunération des salariés plutôt que par une augmentation du bénéfice actionnarial, de la valeur d’entreprise ou des résultats plus spectaculaires. Il faut réfléchir à un mode de redistribution et de valorisation des personnes, au risque autrement de faire monter la tension sociale. La cause sociale est aussi importante que la cause technologique.

M. Nicolas Liabeuf a rappelé qu’au 1er mars de l’année, son entreprise aurait besoin de 30 à 50 millions d’euros pour compenser la déflation ce qui, de facto, affecterait nécessairement toutes les discussions sur les salaires. Il a estimé, pour cette raison, qu’Egalim II ne devait pas se limiter aux produits alimentaires, et qu’il faudrait travailler pour éviter les effets de débord sur les autres catégories de produits. En cas contraire, les entreprises n’auront aucune marge de manœuvre.

M. Richard Panquiault a conclu la réunion en remerciant les parlementaires pour leurs initiatives en matière commerciale (Egalim), environnementale (AGEC) ou fiscale. Ces textes structurants vont dans la bonne direction. Mais il demeure nécessaire de réussir à créer de la valeur. Les parlementaires ont raison de s’appuyer sur les entreprises conviées, car elles sont en mesure de faire changer les choses. Le dialogue du jour participe à la création de l’écosystème souhaité par tous.