Intervenants :
- M. Blaise Meyrat, professeur, chirurgien pédiatrique au centre hospitalier universitaire vaudois (Suisse) ;
- Le collectif Intersexe ;
- L’association GISS (groupement d’information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles).
Réunion conjointe des groupes d’études Discriminations et LGBTQI-phobies dans le monde et Droits de l'enfant et protection de la jeunesse.
Collectif Intersexe :
Il faut comprendre l’intersexuation comme une situation avant tout sociale, qu’on ne peut définir de façon exhaustive. Elle concerne des personnes invalidées socialement du fait de leurs caractéristiques sexuelles atypiques.
Ces personnes vont en conséquence subir des interventions chirurgicales afin de modifier ces caractéristiques sexuelles, sans que leur santé soit menacée, et souvent sans leur consentement – les opérations étant souvent réalisées dès les premiers mois ou les premières années de la vie.
L’intersexuation concerne 1,7% des naissances par an. 13 600 personnes intersexes naissent en France tous les ans.
Il est nécessaire de ne pas faire de raccourcis entre intersexuation et identité de genre. La plupart des personnes intersexuées s’identifient comme homme ou comme femme.
Les opérations chirurgicales de personnes intersexuées se sont multipliées, depuis 1945, du fait des progrès médicaux et de la volonté d’inclure toute la population dans le cadre « homme-femme ». S’en est suivi le développement d’une série de pratiques non cruciales et « pathologisantes » : récession clitoridienne, vaginoplastie, prescription d’hormones, etc.
Les personnes concernées peuvent très rarement exprimer un consentement libre et éclairé pour ces opérations, largement décidées par les parents sous l’influence du personnel médical. Elles mènent pourtant à de très nombreuses complications de santé manifestes : ablation d’organes sains, cicatrices marquées, infection des voies urinaires, insensibilité sexuelle, etc.
Professeur B. Meyrat :
Contrairement à l’imaginaire collectif au sein du corps médical, il est tout à fait possible pour les personnes intersexuées de connaître une enfance normale sans intervention médicale ou chirurgicale précoce. Il s’agit avant tout d’un problème éthique et social qui dérange, plutôt que d’une condition pathologique. Il est nécessaire d’attendre la puberté ou l’âge adulte pour que les personnes concernées puissent décider librement.
La pression des professionnels de santé sur les parents est importante. Par exemple, la majorité des chirurgiens suisses sont intimement persuadés que les opérations de modification génitale sont une bonne chose et en convainquent les familles, alors que ces interventions n’offrent aucun bénéfice pour la santé de l’enfant.
En Allemagne, 96% des enfants intersexués sont opérés ou traités dès la naissance. On estime que ce chiffre est similaire dans tout l’Occident.
En Afrique de l’Ouest, notamment au Togo et au Bénin, il n’est pas rare de voir des enfants intersexués mener une enfance et même une adolescence sans complication aucune.
Association GISS :
D’un point de vue juridique, il est très difficile de justifier les opérations de modification des variations sexuelles. La justification retenue par la majorité des médecins est celle de la finalité thérapeutique. Or, il est aujourd’hui prouvé que les personnes intersexuées ne présentent pas de problèmes de santé particuliers. En l’absence de nécessité médicale, on peut parler d’invalidations permanentes volontaires, de traitement inhumain et dégradant, voire de mutilations.
De nombreuses organisations internationales (Comité des droits de l’Homme des Nations unies, Comité contre la torture, Commissaire aux droits de l’Homme auprès du Conseil de l’Europe…) considèrent d’ailleurs que la France ne respecte pas les droits des personnes intersexuées. Ces voix s’ajoutent à celles présentes en France, comme celle du Défenseur des droits.
Il existe deux pays dans le monde qui ont rendu pénalement répréhensibles les opérations et les traitements de personnes intersexuées : Malte et le Portugal. L’Association GISS aimerait voir la France devenir le troisième.
Collectif Intersexe :
Le collectif Intersexe insiste sur l’importance d’un article à visée interprétative, qui pourrait être insérée dans un texte législatif. Dans cette optique, la proposition n°14 du rapport d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique de M. Xavier Breton, président et de M. Jean‑Louis Touraine, rapporteur, publié le 15 janvier 2019, pose des bases saines et solides, fondées sur les recommandations d’institutions de défense des droits humains.
Il faut inclure les personnes concernées dans le processus de changement des procédures médicales. Il faut un rappel clair du caractère illicite de ces actes médicaux non consentis ainsi que s’assurer que ces actes ne sont pas commis sur le territoire national.
Des mesures d’urgence devraient être prises, notamment :
- la modification de la circulaire du 28 octobre 2011 sur l’acte de naissance, qui préconise un délai avant d’inscrire le sexe de l’enfant, afin que des opérations et traitements soient effectués ;
- la mise en place d’un fonds d’indemnisation des personnes intersexuées, sous l’égide de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ;
- la révision des protocoles et des programmes médicaux ;
- la révision des programmes d’enseignement de l’Éducation nationale pour que l’amalgame entre « intersexuation » et « anomalie » cesse ;
- la formation des personnels de puériculture au sujet de l’intersexuation ;
- la création de programmes d’accueil et de soutien psychologique ;
- la mise en place de groupes de réflexion sur la ségrégation sexuée.
S’agissant de l’inscription du sexe de l’enfant sur l’acte de naissance, le collectif Intersexe estime qu’il ne faut pas considérer la création d’une « troisième case à cocher » comme une nécessité mais au contraire déconstruire, à terme, ce concept de case.