Après un mot d’accueil, M. Jean-Louis Touraine interroge le Dr Bernard Senet au sujet de son expérience de l’accompagnement de patients en fin de vie.
Le Dr Bernard Senet raconte son parcours : après avoir fait ses études de médecine à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et obtenu son diplôme en 1974, le docteur s’est installé comme médecin généraliste à Velleron, dans le département du Vaucluse. Il a travaillé en parallèle à l’hôpital voisin de L’Isle-sur-la-Sorgue, dans le service de soins de suite et de rééducation et de long séjour. Il y a initié la création de cinq lits de soins palliatifs en 2000. Il fût également président de la commission médicale d’établissement de cet hôpital de 2001 à 2010. Pendant ses études, le Dr Bernard Senet a travaillé dans des services de neurologie où l’euthanasie, bien qu’illégale, était couramment pratiquée sur des malades en fin de vie, parfois même sans que ces derniers ne l’aient demandée. Plus tard, en tant que médecin généraliste, il a accompagné la fin de vie d’une jeune fille malade d’un cancer, dont l’état était très dégradé et qui avait demandé à partir. C’était la démarche honnête d’un médecin soucieux d’accompagner sa patiente jusqu’au bout. Ce cas lui a fait prendre conscience de la nécessité de changer la loi.
Pour le Dr Bernard Senet, abréger l’agonie du malade, c’est aller au bout de la démarche de soin. Les médecins devraient pouvoir pratiquer cet accompagnement en toute légalité, même si le cas ne se pose que pour 2 % des patients en fin de vie chaque année. Il fait le parallèle avec l’interruption volontaire de grossesse qui, elle aussi, était pratiquée illégalement jusqu’en 1975. Pour les personnes concernées, dont le nombre reste marginal, le fait de savoir qu’une solution est possible en toute légalité est déjà un facteur de soulagement.
C’est ce que démontre une étude du Pr Jan Bernheim, professeur émérite de médecine et d’éthique médicale en Belgique, cancérologue : les patients qui savent qu’ils bénéficient d’une solution pour mourir en dernier recours se battent davantage et vivent six mois de plus en moyenne pour la même pathologie cancéreuse grave.
M. Jean-Louis Touraine dit partager ce point de vue, comme 96 % des Français. C’est une question philosophique, la question de savoir si l’on accepte que la personne ait le droit de choisir les conditions de sa mort lorsqu’elle est en fin de vie. Comme le Dr Senet, il a connu l’époque des cocktails mortels administrés aux patients. C’était une pratique admise dans le milieu médical. Le médecin décidait seul si son patient pouvait y prétendre ou non. C’était une approche très paternaliste, plutôt choquante. La situation actuelle vis-à-vis de la fin de vie est comparable à celle de 1975 vis-à-vis de l’IVG. Les avortements dits « criminels » étaient possibles pour les jeunes femmes qui avaient la chance de connaître un médecin courageux, comme aujourd’hui l’euthanasie est possible pour ceux qui connaissent des médecins compatissants. Les autres femmes mettaient leurs vies entre les mains de faiseuses d’anges. Il a vu beaucoup de femmes arriver mourantes. C’était difficile de comprendre que l’on pouvait mourir juste parce que c’était interdit. Mme Veil a été insultée. Elle a fait preuve d’un grand courage. Aujourd’hui, de la même manière, on est dans une forme d’hypocrisie vis-à-vis de l’euthanasie.
Le Dr Bernard Senet aime employer le concept d’interruption volontaire de la vie (IVV) pour l’aide à mourir, considérant que la problématique est très proche de celle de l’IVG. Certaines personnes ont les moyens d’aller en Suisse et en Belgique. Les autres se contentent des solutions françaises. Mais dans le cadre d’une sédation continue la mort peut prendre jusqu’à six semaines. Finalement, quitte à endormir jusqu’au décès, pourquoi ne pas pousser un peu les doses ? Cela se fait dans certains services et le Dr Senet le pratique aussi de manière illégale. Il y a quinze jours, il a donné le dernier soin à un homme atteint d’une leucémie en lui administrant du Penthotal (produit utilisé en Suisse). Entouré de son épouse et de ses deux enfants, il est décédé vingt minutes plus tard. Le Dr Senet a aidé de la même manière entre soixante et quatre-vingts personnes, des personnes fières et courageuses qui entendaient maîtriser leur mort, parfois des militaires, toujours des individus qui avaient maîtrisé leur vie et voulaient mourir « droits dans les bottes ». Cela représenterait près de 15 000 décès sur 600 000 décès en France chaque année. Dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, aucune inflation du nombre d’euthanasies n’a été observée.
Mme Nicole Dubré-Chirat remercie le Dr Senet pour son approche humaniste. Elle salue la formule utilisée : « donner le dernier soin ». Quelle serait la formule adéquate à inscrire dans la loi pour emporter l’adhésion du plus grand nombre ? Elle aussi, en tant que soignante, a connu la période des IVG illégales et elle a aussi accompagné beaucoup de cancéreux. Si la demande d’aide à mourir ne concerne qu’un faible nombre de personnes, elle est très importante pour ces dernières.
Le Dr Bernard Senet estime primordial d’exiger que la demande d’aide à mourir émane de la personne elle-même. Peut-être devrait-on supprimer la notion d’inopposabilité des directives anticipées dans l’hypothèse où elles sont « manifestement inappropriées », afin que les médecins ne puissent pas s’y opposer ? Peut-être devrait-on aussi donner plus de poids à la parole de la personne de confiance qu’à celle de la famille ? Enfin, en cas de légalisation, il serait pertinent d’exiger l’avis de deux médecins : le médecin de famille + un médecin indépendant, éventuellement un médecin-conseil, pour ne pas laisser le généraliste ou le cancérologue décider seul. Ce n’est pas tant le geste, mais la décision qui est difficile. Il est important que cette décision se prenne dans la transparence.
M. Yves Daniel salue l’analyse du Dr Senet, son approche humaniste. Certes, l’approche adoptée ici est médicale, mais c’est avant tout un fait sociétal. Il faut en tenir compte pour écrire la loi. La diversité des individus est telle que la question est difficile à traiter. Il l’interroge sur sa vision de l’euthanasie comme fait sociétal. Personne ne souhaite mourir, mais beaucoup refusent de souffrir. Comme articuler ces concepts pour convaincre nos concitoyens d’autoriser l’aide à mourir ?
Le Dr Bernard Senet estime essentiel de mettre la volonté du patient au cœur de la réflexion. Le patient doit pouvoir exiger d’être réanimé, ou de bénéficier d’un accompagnement pour supporter la souffrance de l’agonie, si ces options sont préférables pour lui à l’aide active à mourir. L’expression de la volonté est au cœur de l’acceptation de l’euthanasie. Il faut aussi veiller à la prise en charge de la douleur, pour qu’elle ne soit pas un motif de demande d’euthanasie quand elle pourrait être évitée. Il est vrai que c’est un fait sociétal, et que les pays catholiques y sont plus réticents que les pays protestants. Il faudra aussi se poser la question de la prise en charge des nourrissons en fin de vie, et des patients atteints de maladies neurodégénératives.
Mme Nicole Dubré Chirat remercie à nouveau pour la qualité de l’exposé. On y retrouve beaucoup d’éléments déjà évoqués dans le cadre des auditions précédentes. Elle aussi pense qu’il est important que plusieurs professionnels soient consultés dans le cadre d’une aide à mourir. En effet, les infirmières à domicile pourraient être un bon appui.
Pour le Dr Senet, beaucoup trop de personnes décèdent à l’hôpital en France. La légalisation de l’aide à mourir pourrait permettre de maintenir davantage de patients à domicile, ce que beaucoup souhaitent. Aux Pays-Bas, la légalisation de l’euthanasie a eu pour effet d’augmenter le nombre des décès à domicile. Il faudrait autoriser les médecins à utiliser à nouveau le Midazolam en ville, et pour cela les former à la prise en charge de la fin de vie, aux soins palliatifs, au traitement de la douleur.
M. Jean-Louis Touraine approuve : la grande majorité des malades préfère décéder à domicile. On nous dit souvent que certains soins ne peuvent pas être apportés à domicile, mais c’est précisément ceux-là même qui correspondent bien souvent à de l’obstination déraisonnable (exemple : administrer une chimiothérapie à un cancéreux qui agonise). Les gens ne souhaitent pas mourir, mais être libérés. Anne Bert disait qu’elle aimait la vie, elle ne demandait pas au médecin de lui donner la mort, mais de l’aider à mourir dignement, sans agonie insupportable. Elle demandait la délivrance. Il interroge le Dr Senet : a-t-il déjà subi des pressions de la part de confrères, de l’Ordre des médecins, d’intégristes ? Et comment a-t-il réagi ?
Le Dr Senet a effectivement reçu quelques lettres d’injures, comme celle d’un intégriste vendéen qui l’avait fait convoquer devant l’Ordre des médecins de son département. Mais, la plainte ne venant pas d’un de ses patients, elle n’a pas connu de suites. Le Dr Senet a aidé de vrais croyants, catholiques, comme un prêtre ouvrier qui souffrait d’un cancer généralisé et qui raisonnait ainsi : « Si Dieu m’appelle, je n’ai pas de raison de le faire attendre ». La foi n’empêche pas de demander l’euthanasie.
M. Jean-Louis Touraine évoque un sondage publié par le journal La Croix, selon lequel 2/3 des croyants sont favorables à la liberté de choix. Il rappelle aussi que des médecins catholiques pratiquant l’euthanasie en Belgique ont été entendus par le groupe d’études, eux-mêmes racontant avoir déjà aidé des prêtres à mourir. Si la hiérarchie ecclésiastique et certains croyants intégristes s’y opposent, ce n’est pas forcément le cas de la majorité des croyants. Ce n’est plus un débat entre croyants et non croyants.