Compte rendu de la réunion du mercredi 20 mars 2024 à 15h

20 mars 2024

M. Jimmy Pahun, député du Morbihan (Modem) et Mme Clémence Guetté, députée du Val-de-Marne (LFI-NUPES), co-présidents du groupe d’études, remercient la communauté polaire de sa présence et saluent l’ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes, la Préfète des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le président du Muséum national d’histoire naturelle, le président-directeur général de l’IFREMER, le sous-chef d'État-major de la Marine en charge des opérations, la directrice générale de la recherche et de l’innovation du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le directeur de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor et la présidente du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques (CNFRAA).

La 2e session du groupe d’études débute par un hommage à M. Jean Malaurie, ethnologue et géographe, fondateur de la collection Terre humaine, grande figure de la recherche polaire française. 

M. Philippe Charlier, anthropologue et directeur de la collection Terre humaine, est invité à intervenir pour évoquer sa mémoire. Il présente M. Malaurie comme un homme porteur d’une révolte positive, résistant depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s’est battu contre l’effacement des cultures et l’oubli des peuples autochtones, en particulier aux côtés des Inuits du Groenland. La création de la collection Terre humaine, qui mêle littérature et anthropologie, est une œuvre majeure qui lui survit. M. Malaurie était un « grand homme », tout à la fois géomorphologue et chaman, aimant les longs séjours solitaires aux pôles.

L’hommage à M. Jean Malaurie est salué par les applaudissements de la salle.

M. le président Jimmy Pahun prend la parole pour faire le bilan des travaux du groupe d’études, comme les coprésidents s’y étaient engagés lors de la session inaugurale, dans cette même salle, le 22 mars 2023. Il rappelle les mobilisations parlementaires antérieures en faveur de l’IPEV dans le cadre des lois de finances pour 2022 et 2023. Il poursuit en présentant la proposition de loi de programmation polaire pour les années 2024 à 2030, conçue par les coprésidents avec la communauté polaire française. Elle vise à fixer une trajectoire budgétaire pour la stratégie polaire française construite par l’ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes, M. Olivier Poivre d’Arvor. M. le président remercie toutes les personnes qui ont contribué à ce travail, en particulier par le biais du groupe de travail polaire de l’Alliance nationale de recherche pour l'environnement. Il remercie également Mme Valérie Masson-Delmotte, M. Jean Jouzel et M. Bruno David, pour la tribune publiée dans le journal Le Monde en soutien à cette initiative.

La proposition de loi a été ensuite déposée à l’identique au Sénat par Mme Nadège Havet, sénatrice du Finistère. Au total, elle a été signée par plus de 300 parlementaires. Elle estime à 450 millions d’euros l'investissement nécessaire dans la recherche polaire, à la fois pour renforcer l’IPEV, reconstruire la station antarctique Dumont d’Urville (DDU), financer de nouveaux projets et instruments de recherche et se doter d’un navire océanographique adapté à l’environnement polaire.

M. le président se satisfait ensuite des engagements pris par le président de la République lors du Sommet polaire organisé à Paris en novembre 2023, qui reprennent les demandes formulées dans la proposition de loi. Il remercie le conseiller diplomatique de l’Élysée, M. Josué Serres, pour son écoute en amont du Sommet. M. le président exprime néanmoins le regret, qu’il partage avec Mme la présidente Clémence Guetté, de ne pas avoir réussi à convaincre le Gouvernement de l’importance de faire voter une loi de programmation polaire. Ils ont cependant reçu l’assurance que les parlementaires seront intégrés au suivi des engagements du Sommet polaire.

L’enjeu immédiat, conclut M. le président, est de renforcer le budget de l’IPEV et de le conforter dans son fonctionnement. Il assure l’Institut et sa direction de son soutien et de celui de Mme la présidente. Les coprésidents annoncent vouloir augmenter la dotation de l’IPEV dans la loi de finances pour 2025, tel que souhaité dans la proposition de loi et en cohérence avec les annonces du Sommet polaire.

Mme la présidente Clémence Guetté complète la présentation des travaux du groupe d’études en décrivant son déplacement, avec M. le président, en Terre Adélie. Les coprésidents ont été honorés d’y avoir été invités et expriment leur gratitude aux personnels de l’IPEV, des TAAF et de la Marine nationale. Ils ont ainsi pu se rendre sur le terrain pour apprécier par eux-mêmes les conditions de réalisation de la recherche polaire française.

Mme la présidente dépeint l’Antarctique comme le continent de tous les extrêmes. Pour rejoindre DDU, depuis Hobart en Tasmanie, il faut affronter une des mers les plus imprévisibles du globe, puis la banquise. La traversée est réalisée sur l’Astrolabe, navire brise-glace, dont Mme Guetté salue le commandant, M. Biseau, et son équipage. Au centre du continent, la température peut descendre à -80°C. A DDU, pendant l’été austral – période pendant laquelle les coprésidents étaient sur place – la température oscille entre -10 et 0°C.

A cette époque de l’année, la station peut accueillir jusqu’à 120 personnes, tandis que pendant l’hiver, seules 25 à 35 personnes y vivent isolées. La diversité des métiers y est grande : médecins, ornithologues, responsables logistique, marins, maçons, guides de montagne, sismologues, conducteurs d’engins de chantier, pâtissière ou encore glaciologue.

Mme la présidente explique qu’ils ont passé environ deux semaines sur place avec M. le président. Ils ont visité DDU, ses lieux de vie, sa centrale énergétique et les laboratoires de recherche. Ils ont également découvert la station Cap Prud’homme, point de départ du Raid vers Concordia, et ont suivi les scientifiques à Port-Martin. Ce court séjour leur aura permis d’effleurer certains sujets humains, notamment la difficulté de revenir à la « vie normale » et l’angoisse ressentie en voyant de si près un environnement bouleversé par le changement climatique.

Sur place, les coprésidents ont recueilli les attentes et les interrogations, nombreuses, de la communauté polaire, s’agissant des engagements du président de la République pris au Sommet polaire, mais aussi sur l’urgence écologique. Les pôles jouent en effet un rôle majeur dans la régulation du climat et les bouleversements qu’ils subissent ont un effet direct sur nos sociétés.

Mme la présidente explique ainsi que des choix doivent être faits rapidement et une ambition réaffirmée. Il faut, par exemple, déterminer quelle science pourra être conduite dans les pôles en 2050, question indispensable en vue de la reconstruction de DDU. Il faut partir des besoins et se poser la question de l’impact écologique de la recherche. Il faut aussi se demander s’il est possible de mener des recherches scientifiques ailleurs sur le continent, par le déploiement, par exemple, d’installations légères et mobiles. Enfin, la coopération scientifique avec les autres nations est un enjeu crucial.

Mme la présidente conclut en remerciant à nouveau la communauté polaire de son soutien et l’assure que ses membres continueront à être associés aux travaux du groupe d’études.

M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur aux pôles et aux enjeux maritimes, remercie les coprésidents et les membres du groupe d’études pour leur engagement en faveur des pôles. Il explique s’être récemment entretenu avec le président de la République pour faire le point sur les engagements du Sommet polaire. Ce sommet était une première au niveau international : jamais un événement n'avait permis de réunir autant de pays autour des pôles et de la cryosphère. Il a aussi été l’occasion pour la France d’annoncer une ambition polaire renouvelée. M. Poivre d’Arvor précise que la bonne santé de l’IPEV est un indicateur important de cette ambition pour le président de la République. Une grande attention sera portée à son budget pour 2024.

M. l’ambassadeur évoque son propre déplacement en Antarctique, à Concordia et DDU, aux côtés de l’astronaute Thomas Pesquet. Ensemble, ils en ont rendu compte au président de la République pour insister sur l’importance que revêtent nos infrastructures de recherche polaire.

M. l’ambassadeur continue de travailler à la réalisation d’un autre engagement du Sommet polaire : l’organisation sous l’égide de l’UNESCO d’une décennie pour les sciences polaires et glaciaires. Il espère qu’elle puisse débuter en 2025, « Année internationale de la préservation des glaciers ». La recherche polaire se déploie en effet sur du temps long, mais demande des décisions rapides.

Le navire à capacité glace, le « Michel Rocard », sera partagé entre le Pacifique Ouest et l’Antarctique de l’Est (entre trois et quatre mois). La reconstruction de DDU demande un travail concerté entre les différents ministères concernés. Il convient de poser la question de la science qu’on souhaite y faire, de sa complémentarité avec Concordia, et d'évaluer les différentes options en termes de site : des réponses dépendent les crédits alloués à ce chantier.

S’agissant du grand programme scientifique, autre annonce du Sommet polaire, M. l’ambassadeur évoque le projet Antarctica InSync et rappelle que c’est aux scientifiques que revient toute décision en la matière. Enfin, il aborde la Fondation Albedo, lancée par M. Frédéric Paulsen et dotée de 10 millions d’euros, qui est prête à soutenir des projets de recherche qui lui seront soumis.

M. l'ambassadeur conclut son propos en mentionnant le projet de rapprochement de l’IPEV et de l’IFREMER. Il souhaite avoir davantage d’informations sur ce sujet en alertant sur les risques de ce projet s’il était mal pensé. Ce sujet mérite selon lui d’être étudié dans la sérénité afin d’éviter de nouveaux « psychodrames » et d’être cohérent avec les engagements pris par le président de la République.

Mme Claire Giry, directrice générale de la recherche et de l’innovation au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, confirme que le budget de l’IPEV est un point d’attention du ministère. C’est une institution essentielle, qui fournit un travail de grande valeur. Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a souhaité qu’un rapprochement entre l’IPEV et l’IFREMER soit étudié d’ici juin 2024, dans l’intérêt des scientifiques. Mme Giry rappelle que son ministère porte une grande partie des engagements du Sommet polaire, dans un contexte budgétaire contraint.

M. le président intervient pour insister sur l’important poste de dépenses que constitue le gazole. Il se demande si des moyens peuvent être trouvés pour en consommer moins lors des traversées de l’Astrolabe, par un routage différent ou une vitesse moindre.

Mme la présidente souligne à son tour l’enjeu du verdissement des infrastructures polaires.

M. Yan Ropert-Coudert, directeur de l’IPEV, est accompagné de Mme Nathalie Metzler, directrice adjointe, de M. David Renault, directeur des opérations scientifiques, et de Mme Emilie Perrot, responsable des infrastructures polaires. M. le directeur admet des "hauts et des bas" ces dernières années, mais insiste sur le fait que l’Institut est dans une dynamique ascendante et se consolide autour de l’équipe de direction actuelle. Le fonctionnement ne repose plus sur la figure du directeur mais sur une équipe nouvelle et stable. M. le directeur rappelle que l’IPEV a mené la construction de la station franco-italienne Concordia et qu’il est prêt à conduire le chantier de la reconstruction de DDU. L’IPEV est un bel outil dont il convient de préserver l’ensemble fonctionnel, garant de sa flexibilité et de son efficacité.

Les coprésidents saluent l’arrivée de M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Mme Metzler détaille l’organisation et le fonctionnement de l’IPEV. En 2023, l’Institut compte 52 équivalents temps plein (ETP) permanents, après avoir bénéficié d’une hausse de son plafond d’emplois non compensée par une hausse de sa subvention. Ce chiffre ne prend pas en compte les agents en contrat à durée déterminée (CDD) et les volontaires en service civique : au total, l’IPEV compte 263 agents.

Mme la directrice adjointe poursuit en présentant l’évolution des dépenses de l’Institut entre 2021 et 2023 : le coût du carburant a progressé de 130 %, celui du fret maritime de 251 %, celui du fret aérien de 27 %, et celui de l’alimentation de 103 %. Cette très forte inflation crée un déficit que les dotations exceptionnelles reçues en 2022 et 2023 ne permettent pas de combler de manière structurelle. Cette année, le déficit s'établit à 7 millions d’euros.

Les coprésidents saluent l’arrivée de M. Eric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale.

M. Renault aborde les enjeux scientifiques des régions polaires. Il présente la recherche polaire comme une source de connaissances majeures dans un monde en mutation, notamment dans la mesure où ces régions se réchauffent trois à quatre fois plus vite que le reste du monde. Il y a donc un besoin urgent d’acquisition de connaissances. La France bénéficie pour cela d’atouts uniques, en étant présente à la fois en Arctique, en subarctique, en subantarctique et en Antarctique, et en étant engagée dans de nombreuses coopérations scientifiques et instances internationales. Le réinvestissement annoncé au Sommet polaire est primordial : si rien n’est fait, la recherche polaire française présente un fort risque de décrochage. Les annonces doivent être rapidement mises en œuvre.

Mme Perrot présente, pour finir, les enjeux de la reconstruction de DDU. Celle-ci devra être précédée d’analyses permettant d’évaluer l’ensemble des hypothèses en matière d’effectifs, de bilan carbone, d’emplacement et de planification des travaux. Elle rappelle notamment que si des solutions énergétiques nouvelles existent, il faudra garantir leur fiabilité face aux conditions climatiques extrêmes de l’Antarctique. Il faut aussi réussir à motiver les industriels pour ce chantier complexe et de taille relativement petite. Mener à bien ce projet sera aussi un défi logistique, notamment pour continuer à conduire des travaux scientifiques à DDU en parallèle de la reconstruction, les bâtiments d’hébergement étant déjà à leur capacité maximale. S’agissant du calendrier, l’IPEV estime que le programme pourrait être validé en 2028 et les travaux être réalisés entre 2030 et 2050.

M. le président invite à la tribune M. Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan, M. Yan Ropert-Coudert, M. Jean-Louis Étienne, explorateur polaire et porteur du projet Polar Pod, ainsi que M. Olivier Poivre d’Arvor. MM. Troublé et Ropert-Coudert signent à cette occasion un partenariat qui permet à la Fondation Tara de profiter de l’expertise de l’IPEV dans la réalisation de son projet de station polaire dérivante en Arctique (Tara Polar Station).

La session se poursuit par un échange avec la salle.

M. Eric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, intervient à l’invitation des coprésidents pour se réjouir des annonces du Sommet polaire et assurer de sa vigilance quant à leur respect. Faisant le parallèle avec un autre « joyau » national, Météo France, il alerte sur la possibilité de dégradation critique du fonctionnement d’organismes soumis à des coupes budgétaires importantes. Les dernières annonces budgétaires du ministre délégué aux comptes publics invitant à redoubler de vigilance.

Mme Florence Jeanblanc-Risler, préfète des TAAF, salue à son tour l’engagement des personnels présents en Antarctique, qu’il s’agisse des personnels de soutien, des scientifiques ou du chef de district. Étant allée à DDU au même moment que les coprésidents, elle a pu constater l’urgence permanente dans laquelle toutes et tous agissaient. Mme la préfète évoque ensuite les chantiers qu’il est important de lancer rapidement, comme la construction d’un quai qu’il faudra concevoir en fonction de la nouvelle station, à laquelle les TAAF devront être associés. Mme la préfète estime par ailleurs qu’il faut laisser plus de place à de nouveaux projets de recherche, quitte à repenser ceux qui permettent de collecter des données sur le temps long. A titre d’exemple, l’automatisation devrait permettre de transmettre des données sans solliciter plus de personnels.

Mme Anne Choquet, présidente du CNFRAA, prend la parole pour remercier les coprésidents du groupe d’études pour l’organisation de cette réunion. Elle souhaite mettre en avant l'enjeu des jeunes chercheurs. Mme la présidente indique que le CNFRAA reste très attentif à la situation de l’IPEV. Il réalise un très beau travail et son agilité est un atout, mais son budget doit être rehaussé pour le faire correspondre à ses missions. Mme Choquet conclut en posant trois questions : quelle place pour la programmation scientifique dans la mise en œuvre de cette ambition polaire renouvelée ? Quel impact du contexte budgétaire global sur celle-ci ? Comment associer les chercheurs à ce travail ?

D’autres interventions de scientifiques présents mentionnent l’importance de la recherche en subantarctique, complémentaire avec celle en Antarctique, ainsi que l’importance de la recherche sur le temps long ; suggèrent de taxer les groupes pétroliers pour financer la logistique polaire (carburants et projets de recherche et développement), en prenant l’exemple du groupe TotalÉnergies et de ses 19,88 milliards d’euros de bénéfice annuel net en 2023 ; soulignent la nécessaire programmation scientifique préalable à la reconstruction de DDU ; enfin insistent sur la volonté de la communauté scientifique, notamment de la recherche publique, d’être pleinement associée aux travaux du groupe d’études.

Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, évoque un rapport du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur l’exposition des littoraux à la hausse du niveau des mers et encourage le groupe d’études à questionner les élus locaux sur la manière dont la recherche polaire peut répondre aux défis auxquels ils font face, afin de mieux articuler science et société.

Mme la présidente ajoute que les parlementaires sont déjà, et seront de plus en plus, confrontés aux conséquences de la hausse du niveau des mers et du changement climatique dans leurs circonscriptions. Elle rejoint l’intervention précédente, en appelant à une meilleure sensibilisation scientifique des parlementaires aux conséquences des changements aux pôles. Elle conclut en soulignant l'importance de l'implication de la communauté de la recherche polaire dans les travaux du groupe d'études et propose que les scientifiques puissent présenter leurs recherches lors de la prochaine réunion annuelle du groupe d’études.

 

Fin de la session.